Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales
Fascicule 8 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 10 juin 2003
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 9 h 34 pour examiner le projet de loi C-28, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 18 février 2003.
Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte. Nous sommes saisis du projet de loi C-28, Loi portant exécution du budget proposé en 2003. Comme les honorables sénateurs le savent, il s'agit d'un projet de loi omnibus typique qui renferme 130 articles et plus de 132 pages. Il porte sur tous les sujets imaginables mentionnés dans le budget. La plupart de ces questions, certes pas toutes, sont englobées dans le Budget principal de 2003-2004 que nous avons examiné il y a quelques semaines. Le comité se réunira de nouveau demain pour entendre des représentants du ministère des Finances. Si tout se passe bien, nous pourrions entamer l'étude article par article du projet de loi à ce moment-là.
Le projet de loi C-28 renferme une disposition qui a attiré beaucoup d'attention et sur laquelle nombre de témoins ont demandé à être entendus.
[Français]
Il s'agit de modifications à la Loi sur la taxe d'accise. Ces modifications visent particulièrement la section 64, à la page 54, partie VII du projet de loi. Cette partie traite du remboursement de la taxe sur les produits et services payée aux transporteurs privés pour le transport scolaire. Le problème touche la législation rétroactive et le fait qu'il y ait eu renversement d'une décision judiciaire.
[Traduction]
Nous avons plusieurs groupes de témoins sur cette question. Un témoin qui comparaissait à titre personnel devant le comité s'est montré particulièrement intéressé par cette question et a fait part, par écrit, au comité de ses inquiétudes. Je voudrais souhaiter un retour chaleureux à la colline parlementaire à l'honorable Marc Lalonde, ancien ministre des Finances. Monsieur Lalonde, bienvenue. C'est un plaisir de vous avoir parmi nous aujourd'hui. Nous avons lu votre mémoire avec un vif intérêt.
[Français]
De la Fédération des commissions scolaires du Québec, nous allons entendre tout d'abord Me Roger Tassé. Il est bien connu sur la colline parlementaire ayant été, entre autres, sous-ministre de la Justice de 1977 à 1985. Il fut également conseiller constitutionnel de plusieurs gouvernements fédéraux et de plusieurs premiers ministres fédéraux; il est membre de l'Ordre du Canada et il fut un des artisans de la Charte des droits et libertés.
[Traduction]
La réputation de M. Roger Tassé en cette enceinte est impeccable. Monsieur Tassé, bienvenue. La parole est à vous.
[Français]
Me Roger Tassé, à titre personnel: Je vous remercie, monsieur le président, de votre accueil. Il me fait plaisir de comparaître à votre comité. Je tenterai dans un premier temps de vous présenter, de façon succincte, les principaux points où nous divergeons sur la proposition du ministre des Finances qui est devant vous. Celle-ci vise à amender la Loi sur la taxe d'accise. Elle concerne les commissions scolaires et les services de transport scolaire.
Bien que les faits soient assez complexes, la question qui vous est posée est assez simple. Il faut toutefois bien comprendre les faits tels qu'ils se sont présentés, depuis 1996, dans l'affaire Des Chênes et d'autres causes afférentes.
Je n'ai pas l'intention de faire une grande dissertation sur la rétroactivité des lois. Nous acceptons qu'il existe des situations, particulièrement en matière fiscale, où il est approprié que le Parlement rende des lois rétroactives. C'est d'ailleurs ce que le ministre a proposé au Parlement dans le cas présent. Ce à quoi nous nous objectons est la façon dont on applique ces principes aux faits. Voilà pourquoi nous considérons que les faits ont une grande importance.
Je vais donc m'en tenir aux principaux faits. Tout d'abord, il existe un premier groupe de commissions scolaires. On y distingue la cause Des Chênes. En 1996, quelques années après la mise en vigueur de la Loi sur la taxe d'accises en 1991, 29 commissions scolaires ont décidé de soumettre des réclamations. Leurs conseillers ont indiqué qu'il était possible de réclamer un remboursement total des coûts reliés aux services de transport scolaire, plutôt qu'un remboursement partiel. Ces commissions scolaires ont donc déposé des demandes de remboursement. Celles-ci furent refusées par le ministère.
Le sénateur Bolduc: On parle du transport de leurs propres élèves?
M. Tassé: En effet. Des procédures ont donc été entamées et ont suivi leur cours. Les 29 commissions scolaires s'étaient consolidées en un bloc avec en tête, la commission scolaire Des Chênes. On s'est demandé si on devait procéder dans chaque cause ou seulement dans Des Chênes. Suite à plusieurs débats tenues devant la Cour canadienne de l'impôt, le juge a décidé qu'il s'agissait des mêmes faits et points de droit. Il était donc indiqué de déposer les causes simultanément. Toutefois, afin de simplifier les procédures, on a décidé de procéder avec la cause Des Chênes. Voilà pourquoi cette cause est devenue la cause principale.
Dans un premier temps, en 1999, les causes furent entendues par la Cour canadienne de l'impôt. Celle-ci décida en faveur du gouvernement. La cause fut alors portée en appel, le 17 octobre en 2001, à la Cour fédérale d'appel. Celle-ci ne donna pas raison au ministère mais aux commissions scolaires. Les 29 commissions scolaires, regroupées autour de la commission scolaire Des Chênes, ont obtenu jugement et ont été remboursées.
Ces faits sont pertinent à la question qui nous préoccupe. Le ministère a proposé que la rétroactivité de la modification à la Loi sur la taxe d'accise, à la date d'entrée en vigueur de la Loi en 1990, exempte ces causes. Il est important de le noter. On a reconnu qu'il était juste et équitable de faire cette exception. On aurait toutefois dû aller plus loin et élargir cette exemption.
Il existe un deuxième groupe de dossiers de commissions scolaires. Ce groupe comprend, d'une part, des commissions scolaires du Québec. Dix-huit des dix-neuf commissions scolaires du Québec dont il s'agit dans ce deuxième groupe sont les mêmes commissions scolaires que dans le premier groupe. Celles-ci ont continué à déposer des demandes de remboursement suite aux procédures ayant mené à la décision Des Chênes et aux jugements ci-haut mentionnés. Ces causes se sont tenues de 1997 à 2001.
Ce groupe comprenait des commissions scolaires de l'Ontario. Toutefois, les commission scolaires qui ont agi de façon utile, soit en présentant des réclamations et en déposant leur position devant la Cour fédérale de l'impôt pour s'assurer que les causes étaient prêtes, sont celles de l'Ontario et la dix-neuvième du deuxième groupe.
Les procédures s'accumulant devant la Cour canadienne de l'impôt, les procureurs, ont décidé, plutôt que de mener de front toutes ces causes, qu'il serait hautement approprié de les suspendre en attendant le jugement Des Chênes — intervenu le 17 octobre 2001.
Les causes du deuxième groupe sont déposées, prêtes à procéder à la Commission canadienne de l'impôt, et ce, avant la décision de la Cour d'appel fédérale. Celles-ci sont en suspens suite à l'entente des procureurs.
Lorsque le jugement dans la cause Des Chênes survient, en octobre 2001, ces commissions scolaires, par leurs procureurs, déposent une requête en jugement en vertu de la cause Des Chênes. Ces procureurs indiquent donc à la Cour fédérale de l'impôt qu'ils désirent que l'on rende jugement, maintenant que l'on connaît la position de la Cour d'appel fédérale sur cette question de droit.
Le procureur du ministère s'oppose à cette requête des procureurs des commissions scolaires. Il prétend que des faits nouveaux empêchent la cour de procéder et que l'on doive aller au fond de la question et que l'on doive plaider cette question de droit et de faits, comme si la décision Des Chênes n'avait pas été rendue. La Cour canadienne de l'impôt, eu égard à cette objection de la part des procureurs du gouvernement, accepte donc de rejeter la requête. Les commissions scolaires ont ainsi décidé d'aller en appel de cette décision à la Cour d'appel fédérale.
Ces questions sont d'importance. Nous avons une demande d'appel à la Cour d'appel fédérale qui devait être entendue le 19 décembre 2002. Je vous signale que la Cour canadienne de l'impôt avait fixé les causes du deuxième groupe pour audition au mois de mars 2003. Le 13 décembre, six jours avant l'audition devant la Cour d'appel fédérale, les procureurs du ministère déposent une offre aux commissions scolaires. Cette offre dit que si vous retirez votre appel sur les faits nouveaux, nous sommes prêts à consentir à un jugement, comme dans la cause Des Chênes.
Cette proposition vient sans doute du fait qu'il s'agissait des mêmes faits et points de droit. Il s'agissait, pour les causes du Québec, des mêmes parties et des mêmes procureurs. Cette offre est conditionnelle à ce que les commissions scolaires retirent leur requête devant la Cour d'appel fédérale sur les faits nouveaux.
L'offre est acceptée, consentement au jugement est rendu, déposé à la Cour canadienne de l'impôt, et jugement est rendu le 29 janvier 2003, avant le budget qui a été déposé en février.
Notons qu'en janvier 2003, devant la Cour canadienne de l'impôt, en ce qui a trait aux causes de l'Ontario, le ministère avait suspendu sa position afin de vérifier si la Loi sur l'éducation en Ontario était semblable à celle du Québec. Si tel était le cas et que les faits étaient en grande partie les mêmes, il prendrait la même position en ce qui a trait aux causes de l'Ontario.
Aujourd'hui, consentement et jugement ont été rendus dans presque tous ces dossiers de l'Ontario, en vertu de cette entente stipulant que si les faits sont largement les mêmes, il suivrait le même cheminement. Ce deuxième groupe, comprenant les causes du Québec et les causes de l'Ontario, ne fait pas l'objet de l'exemption que l'on trouve dans la proposition du gouvernement. On a dit simplement que le premier groupe sera exempté de la règle de rétroactivité.
Les remboursements ont été faits en vertu des jugements rendus par la Cour canadienne de l'impôt. Toutefois, je signale à nouveau que dans le cas du deuxième groupe comprenant les causes du Québec et les causes de l'Ontario s'applique la règle de rétroactivité de façon absolue. Aucun remboursement n'est accordé, comme si les procédures n'avaient jamais eu lieu. Notons encore une fois que, dans le cas des commissions scolaires du Québec, il s'agit des mêmes parties.
Pourquoi l'exemption à la règle de rétroactivité ne s'appliquerait-elle pas, telle que consentie par le gouvernement, à ce deuxième groupe? Il s'agit des mêmes faits. À l'examen des procédures, on constate à peu près les mêmes termes dans chacune des causes. Les prétentions avancées par les commissions scolaires et les réponses données par les procureurs sont à peu près les mêmes. Les points de droit sont les mêmes pour les causes du deuxième groupe et les causes du premier groupe.
Par ailleurs, les procédures ont été intentées par chaque commission scolaire du deuxième groupe en temps utile, soit avant la décision de la Cour fédérale d'appel. Ces parties ont désiré faire valoir leurs prétentions et une entente est intervenue entre les procureurs pour suspendre l'audition de ces causes jusqu'à ce que le jugement Des Chênes soit rendu. Ces causes étaient prêtes à être entendues avant le 17 octobre 2001. Pourquoi suspendre ces causes si ce n'est simplement pour attendre le jugement Des Chênes afin de déterminer la règle de droit devant s'appliquer?
Notons également que consentement au jugement a été offert par les procureurs de Sa Majesté. Ceux-ci ont pris l'initiative de s'adresser aux procureurs des commissions scolaires du deuxième groupe et de leur proposer de retirer leur appel sur les faits nouveaux en retour d'un consentement au jugement et jugements ont été obtenus en conséquence. Pourquoi proposer un consentement si on a nulle intention d'y donner suite?
La question véritable est de savoir si l'administration, durant cette période de 1996 à 2001, a été de bonne foi. On a commencé à déposer des demandes de remboursement en 1996. Il était loisible à l'administration d'indiquer — tel qu'on le prétend aujourd'hui — que cette disposition est claire, qu'elle ne vous donne pas ouverture à un plein remboursement mais à un remboursement partiel. Pourquoi ne pas présenter un amendement dès maintenant?
On a accepté plutôt d'emprunter une voie judiciaire échelonnée sur plusieurs années, en supposant que le tribunal donnerait éventuellement raison au gouvernement. Ce n'est malheureusement pas ce qui s'est produit. La Cour d'appel fédérale a donné raison aux contribuables.
On invoque que, quelques mois après la décision de la Cour fédérale, le 21 décembre 2001, on ait indiqué l'intention de proposer des amendements à la loi.
Le jugement a été rendu le 17 octobre 2001. Le 10 décembre 2001, alors qu'un budget fut présenté, il n'en fut pas question. Toutefois, on émet un communiqué de presse signalant des intentions de changement. Au cours de l'année 2002, on a entendu les débats sur le budget du 10 décembre sans qu'il ne soit question de cette intention. Ce n'est que 15 mois plus tard qu'il est question, dans le budget de février 2003, de proposer l'amendement.
On peut se demander, étant donné l'émission d'un communiqué de presse en 2001, si nécessairement les commissions scolaires, ayant un jugement de la Cour fédérale et ayant obtenu consentements au jugement, ne devraient pas laisser tomber, le ministre ayant indiqué son intention de présenter des amendements.
Le ministre peut toutefois changer d'idée. Le gouvernement peut faire autre chose. Est-il juste de prétendre aujourd'hui que les commissions scolaires savaient que depuis 2001, on était pour avoir des changements? On ne peut prétendre deux choses à la fois.
Lorsque l'intention existe de faire les choses en temps utile, il ne faut pas retarder, laisser les procureurs plaider devant les tribunaux, consentir à des jugements et dire qu'on a perdu en cour, que nous allons modifier la loi pour gagner d'une façon ou d'une autre. Cette façon de procéder ne me semble pas correcte.
Pour cette raison, permettez-moi de suggérer que votre Comité se penche sur la possibilité de recommander que l'exemption à la règle de rétroactivité déposée devant vous soit étendue à ces causes. Je ne prétends pas que la règle de rétroactivité ne soit pas correcte. La règle, même avec un amendement visant à exempter les causes du deuxième groupe, continue de s'appliquer à ces commissions scolaires. Pour l'avenir, à compter de 2001, la règle de rétroactivité empêcherait les premiers et deuxièmes groupes de présenter d'autres demandes.
Cette suggestion me paraît correcte. La règle de rétroactivité a sa raison d'être dans ces situations. Toutefois, si le Parlement acceptait de modifier la loi et de ne pas inclure le deuxième groupe, il deviendrait un peu complice de ce qui s'est produit dans cette saga judiciaire et de ses multiples tergiversations.
Le président: Nous ne disposons que d'une vingtaine de minute avant d'entendre les autres témoins sur ce sujet. Cependant, maître Yves St-Cyr, avocat-conseil de la Fédération des commissions scolaires du Québec, doit déposer un document au Comité.
Me Yves St-Cyr, avocat-conseil, Fédération des commissions scolaires du Québec: Il s'agit de schémas préparés pour faciliter la compréhension de la chronologie des faits, tant dans le cas des commissions scolaires du Québec que de celles de l'Ontario. Vous avez les versions anglaise et française, si vous désirez les distribuer aux honorables membres de ce Comité.
Le président: Passons maintenant à la période des questions.
Le sénateur Bolduc: Si je comprends bien, monsieur Tassé, la question principale est de savoir si le gouvernement tient parole. Il s'agit de savoir si l'engagement des procureurs, entre 1997 et 2001, lie, à toutes fins pratiques, le ministre des Finances et que la législation qui s'ensuive puisse être rétroactive. Nous savons que les budgets sont toujours rétroactifs, le dépôt étant annoncée à une date donnée, suivi d'un vote parfois un an et demi plus tard.
La question est donc de savoir si le consentement des procureurs donné pour le deuxième groupe de commissions scolaires entre 1997 et 2001 lie le gouvernement. Si tel n'est pas le cas, avez-vous un amendement à proposer?
M. Tassé: Pour répondre à votre question, nous prétendons que l'engagement lie en effet le gouvernement. D'ailleurs, ce lien a été reconnu par le consentement à ce que des jugements soient rendus.
Par ailleurs, on nous indique que le Parlement est suprême, qu'il peut décider à l'encontre des décisions des tribunaux dans ces cas. Le Parlement a la responsabilité de s'assurer que les valeurs fondamentales soient reconnues et que le respect des tribunaux pour les jugements soit effectif.
Le sénateur Bolduc: En d'autres mots, il en va de même du budget.
M. Tassé: Je pourrais vous soumettre le type d'amendements susceptible de remédier à la situation.
Le sénateur Bolduc: Vous cernez donc le deuxième groupe et non un troisième groupe de commissions scolaires qui ne sont pas en cause.
M. Tassé: Celles-ci n'ont pas pris action en temps utile pour faire valoir leurs prétentions.
M. St-Cyr: Il s'agit seulement des commissions scolaires du Québec et de l'Ontario ayant déjà obtenu jugement de la Cour canadienne de l'impôt suite au consentement donné par Sa Majesté la Reine.
Le sénateur Bolduc: La loi le prévoit. C'est acquis. C'est le deuxième groupe.
M. St-Cyr: Je vous parle du deuxième groupe. Pour le premier groupe, on a un jugement de la Cour d'appel fédéral. Le deuxième groupe, ce sont les commissions scolaires du Québec. Elles ont obtenu jugement suite au consentement de Sa Majesté. Celles de l'Ontario ont aussi obtenu jugement suite au consentement de Sa Majesté.
Le président: Monsieur Tassé a déposé un projet d'amendements.
M. Tassé: J'ai fait parvenir une lettre au député Paquette et, à la deuxième page de cette lettre, j'évoque une façon de procéder qui permettrait de rendre justice en toute équité à ces commissions scolaires du deuxième groupe. Je suggère que l'article 64.(2) du projet de loi C-28 soit modifié. Le paragraphe actuel se lit:
(2) Le paragraphe (1) est réputé être entré en vigueur le 17 décembre 1990.
J'ajouterais: Sauf dans ces causes pour lesquelles les procureurs de Sa Majesté se sont engagés à déposer des consentements en jugement devant le tribunal approprié.
Ce serait très limité. Il s'agirait de ces cas où il y a eu consentement en jugement.
Le sénateur Bolduc: On confirmerait que le ministre des Finances est lié par la décision de ses procureurs.
M. Tassé: Que le ministre des Finances devrait respecter les décisions prises par les procureurs qui ont mené à des jugements de cour. Donc, il respecterait les jugements de cour rendus sur consentement.
Le sénateur Bolduc: Cela ferait disparaître le troisième paragraphe.
M. Tassé: C'est exact.
Le président: Monsieur Tassé a fait parvenir une lettre à Mme Sue Barnes, présidente du Comité permanent des finances à la Chambre des communes.
[Traduction]
Dans la lettre, on propose que le paragraphe (2), dont voici la teneur: «(2) Le paragraphe (1) est réputé être entré en vigueur le 17 décembre 1990», soit modifié par adjonction des mots suivants à la fin: «sauf dans le cas des causes pour lesquelles les avocats représentant Sa Majesté la reine ont convenu de consentir à des jugements devant le tribunal compétent.»
Est-ce que vous avez tous une copie de la lettre?
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Votre raisonnement se tient très bien. Il est vrai qu'en principe la res judicata s'applique aux partis dans un litige devant une certaine cour, mais une fois que la décision est rendue, c'est un principe de droit qui est créé. Ce principe de droit, si on le conjugue avec d'autres faits qui sont les mêmes et qui se sont passés à peu près à la même période ou encore en partie dans le même temps — parce qu'il y a interaction entre deux cours de justice et il ne faut jamais l'oublier — me suffit sur le plan juridique. Le Parlement serait très mal inspiré, alors qu'on a déjà une décision très claire d'un tribunal en appel, d'arriver à une conclusion différente parce que c'est dans un deuxième groupe plutôt qu'un premier.
Autrement dit, le problème est dans la similarité des faits. Si les faits sont similaires et que la décision est rendue, cela ne me gêne pas qu'on applique exactement les mêmes principes. J'accepte cela. Comme branche législative de l'État, on serait mal venu d'aller à l'encontre des décisions rendues par un tribunal. Sur ce plan, je ne vois pas de difficulté. Sur le plan de la rétroactivité des lois, c'est autre chose.
En matière fiscale, il y a de la rétroactivité des lois. Le budget en est un cas classique. Pour le deuxième groupe, nous devons légiférer de la même façon que pour le premier, à la lumière de la décision rendue dans l'affaire Des Chênes. Je n'ai pas de problème avec cela. La règle de rétroactivité de la loi, qui n'est que partielle, ne me gène pas du tout. Pour ce qui est du troisième groupe, vous n'en avez pas parlé.
M. Tassé: Le troisième groupe est composé de toutes les autres commissions scolaires qui n'ont pas pris action en temps utile et même pour les commissions scolaires du premier et du deuxième groupe, pour les périodes qui ont suivi la décision de la Cour d'appel fédérale. En d'autres mots, les commissions scolaires qui n'ont pas eu de jugement et qui déposeraient une requête pour la période qui a suivi le jugement 2001-2002 seraient assujetties à la règle de rétroactivité. Vous avez raison de dire que c'est une application partielle de l'exemption à la règle de rétroactivité.
La règle de rétroactivité s'applique pour des cas très précis comme les causes du premier groupe où il y a eu jugement. Je ne comprends pas qu'après analyse des faits — ce sont les mêmes faits, les mêmes points de droits — les consentements des procureurs ne s'étendent pas au principe reconnu. Le gouvernement a reconnu que la règle de rétroactivité ne devrait pas s'appliquer au premier groupe. Pourquoi pas au deuxième?
Le sénateur Beaudoin: Autrement dit, aux mêmes faits, on applique les mêmes principes de droit. Cela me suffit.
M. St-Cyr: Lorsqu'on parle du deuxième groupe des commissions scolaires, on parle du deuxième groupe des commissions scolaires du Québec et de l'Ontario. Plus particulièrement, ces commissions scolaires — je veux être clair — ont obtenu un jugement de la Cour canadienne de l'impôt suite au consentement de Sa Majesté et ce jugement est final, donc exécutoire.
Si l'amendement est adopté, à cause de la partie de l'amendement qui fait en sorte que les commissions scolaires ne sont pas couvertes ou qu'elle ne seront pas exemptées, le ministre du Revenu devra rembourser les commissions scolaires pour exécuter le jugement et par l'amendement rétroactif, il s'arroge le droit d'aller rechercher les sommes dans un an, un an et demi.
Le sénateur Bolduc: Tout à l'heure, j'ai dit qu'il s'agissait de savoir si le ministre des Finances accepterait ou, j'ai utilisé un autre mot, mais je voulais dire respecter les consentements. Au fond, c'est le problème.
M. St-Cyr: Vous avez raison.
Le président: Y a-t-il d'autres intervenants?
Le sénateur Biron: Avez-vous un ordre de grandeur des montants réclamés?
M. St-Cyr: Dans les deux groupes restants, le deuxième groupe du Québec et les commissions scolaires de l'Ontario, la totalité devrait être d'environ 16 millions de dollars.
Le sénateur Bolduc: Pourrait-on prendre une procédure non usuelle, monsieur le président?
Le président: Laquelle, sénateur Bolduc?
Le sénateur Bolduc: J'ai été membre de l'administration, mais moins que l'ancien ministre des Finances présent aujourd'hui. J'ai l'impression qu'un fonctionnaire du ministère des Finances a, sous prétexte d'efficacité ou autrement, rédigé quelque chose dans l'idée de fermer la porte pour ce qui s'était passé avant 1991 afin que ce ne soit pas tout le monde qui embarque dans l'affaire.
Je suis certain que notre ex-ministre des Finances, s'il avait été ministre dans une situation comme celle-là, comprendrait qu'une règle de droit s'applique et que, franchement, cela n'a pas de bon sens.
Le sénateur Comeau: Vous avez mentionné que la règle de rétroactivité est une procédure assez commune qui se fait normalement. Je comprends cela et on le voit souvent avec des mesures de taxation.
Toutefois, je ne suis pas convaincu que la règle de rétroactivité puisse s'appliquer à une date antérieure à celle de l'annonce. Par exemple, si le ministre des Finances annonce une mesure pour taxer davantage quelque chose, nous n'allons généralement pas agir rétroactivement à cette date. C'est un peu le cas ici.
La Cour d'appel a rendu un jugement en 2001 et a dit qu'il y avait exemption pour les commissions scolaires. Le gouvernement a acquiescé, mais a dit qu'il allait faire un changement rétroactif à 1991. Est-ce normal? Le gouvernement pourrait annoncer des mesures rétroactives jusqu'à 2001, mais d'aller rétroactivement jusqu'en 1991! Je n'ai pas entendu parler de cela auparavant.
M. Tassé: J'avoue que je n'ai pas entendu parler d'une telle situation, mais cela peut être utile de le faire pour s'assurer qu'il n'y ait pas une série de demandes qui pourraient surgir à la suite d'un jugement de cour. Que le gouvernement propose au Parlement des modifications pour s'assurer que les gens qui n'ont pas agi en temps utile ne puissent se prévaloir d'un jugement qui soit survenu plus tard, d'accord. Mais dans notre cas, ce n'est pas le cas.
On dit qu'on souhaiterait que l'exemption à la règle de rétroactivité s'applique uniquement aux commissions scolaires ayant fait des demandes de remboursement en temps utile pour les mêmes faits, qui ont obtenu des consentements et qui étaient donc prêts à aller en jugement. C'est très restreint dans notre cas.
Le sénateur Comeau: Je comprends mais il demeure que la Cour d'appel a rendu un jugement et qu'il y avait exemption. Le gouvernement a décidé qu'il allait enlever cette exemption pour tous. Si le gouvernement peut arriver à établir une règle de rétroactivité pour une date antérieure, on crée peut-être un précédent qu'on ne voudrait pas voir. Si les Canadiens ont l'impression que le gouvernement peut faire ce qu'il veut et changer les lois rétroactivement, cela signifie qu'il y a un problème.
M. St-Cyr: Quant au principe de rétroactivité des lois, le Parlement est souverain et peut faire rétroagir des lois. Par ailleurs, dans les faits, on peut se demander si cela s'est déjà fait. Effectivement, cela se fait.
Il y a des situations plus particulières où le Parlement va décider de faire rétroagir un article de loi, par exemple, dans des cas où cela n'a aucune conséquence sur l'argent des contribuables. Généralement, il s'agit de préciser l'intention du ministère lors de l'adoption et faire valoir que ce n'était peut-être pas clair dans l'article de loi mais que c'était clair dans les notes techniques de l'époque. À ce moment, il va souvent modifier à nouveau la disposition en question et ce, jusqu'à l'instauration du régime en 1991. C'est assez fréquent.
Par ailleurs, lorsque cela concerne des droits, comme dans ce cas, c'est autre chose. Le fait de rétroagir dans ce cas, par exemple, en sauvant les 29 causes qui ont été décidées favorablement par la Cour d'appel fédérale, n'est pas inhabituel parce que le jugement est quand même respecté. Le ministère décide de respecter le jugement. Un peu plus tard après cette date, il décide, pour éviter un trou dans les coffres, d'une modification qui s'applique à toutes les autres commissions scolaires et ce, jusqu'à l'instauration du régime.
Le sénateur Comeau: Pour le deuxième groupe qui s'est entendu avec les procureurs afin d'attendre la décision, cela signifie que la parole des procureurs du gouvernement du Canada ne vaut rien.
M. St-Cyr: Ce qui se passe maintenant dans les dossiers que nous traitons de façon générale dans la communauté juridique et en fiscalité, c'est que lorsque les avocats du ministère nous disent qu'ils vont suspendre une cause pour voir ce que la Cour va dire mais qu'ils ne se sentent pas liés pour les autres, on dit toujours non. Cela engage des frais extraordinaires pour les contribuables.
Le sénateur Comeau: C'est fini maintenant.
M. St-Cyr: Ces causes ont coûté une fortune aux contribuables canadiens.
Le sénateur Gauthier: Les faits sont les mêmes?
M. St-Cyr: Les faits sont les mêmes et le droit est le même.
M. Tassé: La question de droit est la même.
Le sénateur Gauthier: Les avocats ont une facilité de compliquer les choses. Monsieur Tassé, vous avez essayé d'éclaircir cette question.
M. Tassé: Mais elle est compliquée!
Le sénateur Gauthier: Si je lis bien l'amendement que vous proposez, le premier paragraphe est réputé être entré en vigueur le 17 décembre 1990, sauf dans le cas des causes pour lesquelles les avocats représentant Sa Majesté ont convenu de consentir à des jugements devant le tribunal compétent. C'est ce que le sénateur Comeau vous a demandé. Les avocats de la Couronne représentent tout de même la Couronne. Ils ont une parole ou ils n'en ont pas! Ils se sont engagés. Y a-t-il d'autres considérations que l'on ne comprend pas? Il me semble que c'est clair.
M. Tassé: Je vais profiter de cette occasion pour vous dire que dans une lettre adressée à Me St-Cyr, au moment où les consentements ont été donnés dans une cause, le procureur a dit que le ministère du Revenu ferait tout ce qui est possible pour donner suite aux jugements qui seront rendus. Mais il a ajouté qu'il devait nous prévenir que le ministre avait déjà donné avis de son intention de proposer des modifications et que si elles étaient adoptées, tout cela tomberait à l'eau.
Je me pose la question à savoir pourquoi on n'a pas agi en temps utile. Cela aurait pu être en 1996, lorsqu'on a commencé à faire ces demandes. Mais on n'a pas réagi, tout comme on n'a pas réagi au budget de 2001-2002 présenté le 10 décembre 2001. Rien n'indiquait qu'on voulait faire le changement, et là, 15 mois plus tard, on présente une modification. Est-ce qu'on peut reprocher aux contribuables de ne pas avoir laissé tomber leur cause? La Cour d'appel leur avait reconnu des droits.
D'une part, j'ai l'impression que l'administration, dans cette saga qui s'est poursuivie de 1996 à 2003, veut prendre la voie judiciaire et se dit que si elle gagne, elle n'en entendra plus parler et que si elle perd, elle pourra toujours suivre la voie législative.
Dans les circonstances, je trouve cela inacceptable de demander au Parlement de permettre au gouvernement de suivre la voie législative et de faire un changement par rapport à ce qui a été décidé par le tribunal avec le consentement des procureurs. À mon avis, c'est une offense à une des valeurs fondamentales de notre pays, le respect des jugements.
Le sénateur Gauthier: Est-ce que je peux avoir une copie de cette lettre?
M. Tassé: Oui.
[Traduction]
Le sénateur Day: Si j'ai bien compris, le remboursement de la TPS aux commissions scolaires, qui a commencé en 1991, était d'environ 68 p. 100. Par la suite, on a informé les commissions scolaires qu'elles pourraient recevoir 100 p. 100, et c'est pourquoi elles ont demandé une réévaluation. Si elles n'obtenaient pas gain de cause, elles iraient devant un tribunal. En 1997, un groupe de commissions scolaires a saisi la Cour canadienne de l'impôt. Une série d'appels et une tentative pour combler l'écart entre le remboursement à 68 p. 100 et à 100 p. 100 a donné naissance à un groupe communément appelé le Groupe des commissions scolaires Des Chênes, qui comprend 29 commissions scolaires.
Les autres commissions ont-elles interjeté appel aussi?
M. St-Cyr: Oui, certaines d'entre elles l'ont fait mais pas d'autres. Nous n'avons pas été en mesure d'interjeter appel parce que toutes les affaires n'étaient pas prêtes à être entendues.
Le sénateur Day: Pourquoi toutes les affaires en suspens n'ont-elles pas été regroupées?
M. St-Cyr: Nous aurions souhaité le faire, mais les 29 premières affaires étaient prêtes à être entendues par la cour, et c'est pourquoi nous sommes allés de l'avant. Nous avons commencé par ce groupe en attendant que les autres appels soient prêts. Chaque semaine, nous avons reçu des mémoires de défense du ministère. Les autres affaires n'étaient pas encore prêtes à être entendues par la Cour. Par conséquent, après que les 29 premières affaires ont été entendues, nous avons décidé de surseoir aux autres. C'est la procédure que l'on suit généralement dans des affaires de ce genre.
M. Tassé: Avec leur consentement.
M. St-Cyr: La Cour canadienne de l'impôt a été saisie de 200 affaires. La Cour était inondée de ces affaires. C'est pourquoi nous avons dû les mettre en suspens en attendant d'avoir, d'abord, la décision de la Cour canadienne de l'impôt et, ensuite, la décision de la Cour d'appel fédérale.
Le sénateur Day: Dans l'affaire Des Chênes, la Cour d'appel fédérale a rendu une décision et c'est la Couronne qui a décidé d'interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada. Vous attendiez encore.
M. St-Cyr: Oui, nous avons attendu jusqu'à la fin de décembre.
Le sénateur Day: Le 21 décembre 2001, ou à la fin de décembre, la Couronne a décidé de ne pas contester la décision de la Cour d'appel fédérale rendue le 21 octobre 2001. Le 21 décembre, peu de temps après la décision de la Couronne de ne pas interjeter appel, le ministre a annoncé à la Chambre qu'il allait faire adopter un projet de loi pour éclaircir la situation et rendre le remboursement de la TPS rétroactif à 1991. Le ministre a affirmé qu'il allait tenter d'éclaircir la loi pour faire en sorte qu'elle soit interprétée de la sorte.
M. St-Cyr: Oui.
Le sénateur Day: Cela s'est passé en décembre 2001. En janvier, moins d'un mois après, les avocats représentant le deuxième groupe de commissions scolaires sont allés plaider leur cause devant la Cour canadienne de l'impôt pour lui signifier qu'ils souhaiteraient, à la lumière de la décision Des Chênes, avoir le même jugement en leur faveur. C'est bien cela?
M. St-Cyr: Oui.
Le sénateur Day: Ce qui m'ennuie, c'est que cette fois-ci on aurait pu avoir un jugement. A-t-on discuté avec le juge à ce moment-là de l'annonce faite par le ministre moins d'un mois plus tôt?
M. St-Cyr: On en a discuté sommairement. Cela dit, le juge a décidé que c'était la loi à ce moment-là et qu'il allait juger la motion dont il était saisi en fonction de la loi existante, puisque toute modification à loi n'était que proposée et que personne ne savait si elle allait être adoptée. Par conséquent, la Cour canadienne de l'impôt n'a pas tenu compte de ces arguments. De plus, l'avocat du ministère a indiqué qu'il allait peut-être avoir de nouveaux arguments à présenter à la cour, ce qui s'est révélé faux.
Le sénateur Day: Monsieur St-Cyr, êtes-vous en train de me dire que le juge de la Cour canadienne de l'impôt a dit qu'il n'allait pas donner gain de cause au deuxième groupe en dépit de la décision Des Chênes, parce que des représentants de la Couronne ont dit qu'ils allaient présenter de nouveaux faits et que, par voie de conséquence, il allait devoir se pencher sur ces nouveaux faits.
[Français]
M. St-Cyr: Oui et non. Les procureurs de la Couronne ont référé à une décision de la Cour d'appel du Québec qui faisait suite à une décision de la Cour d'appel fédérale. Il s'agissait de l'affaire Des Chênes qui traitait des subventions accordées à des administrations publiques, à des universités en l'occurrence.
Ce jugement de la Cour d'appel ne portait absolument pas sur une question fiscale et disait que les subventions étaient des gratuités alors que la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Des Chênes, avait dit que la subvention très directe et dirigée pour le transport, selon la Loi sur la taxe d'accise et de la façon qu'elle est rédigée, faisait en sorte que c'était une contrepartie d'une fourniture.
Selon cette base, les procureurs de la Couronne ont tenté de faire croire au juge qu'ils auraient des motifs à faire valoir quant à cette nouvelle décision de la Cour d'appel du Québec qui a été rendue après la décision de la Cour d'appel fédérale. Lors du jugement sur requête, le juge a simplement dit qu'il ne jugerait pas du fond et qu'il ne pouvait pas accepter la requête, même si la Couronne prétend qu'elle aurait pu faire valoir des motifs qu'elle n'avait pas fait valoir à l'époque parce que la décision n'avait pas encore été rendue en Cour d'appel du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Day: Monsieur le président, je pense qu'il est important que je continue pour que la chronologie des événements soit complète. Nous sommes maintenant à l'étape où le deuxième groupe a demandé un jugement en sa faveur à la lumière de la décision rendue relativement au premier groupe. La Cour canadienne de l'impôt a débouté le premier groupe, et celui-ci a interjeté appel auprès de la Cour d'appel fédérale. Or, un règlement est intervenu avant que l'affaire ne soit entendue.
M. St-Cyr: Oui, un règlement a été négocié avec la Couronne.
Le sénateur Day: Le règlement faisait suite à un échange de lettres, dont vous avez copie. Je ne vais pas lire les lettres, mais je vous signale que la première est adressée par le ministère de la Justice à MM. Ogilvie et Renaud, ainsi qu'à maître Yves St-Cyr. Monsieur St-Cyr, vous avez joué un rôle dans l'affaire et dans le règlement. La lettre provenant du ministère de la Justice, si j'ai bien compris, indique que les modifications proposées n'auraient pas de conséquence pour les affaires qui ont déjà été décidées — en d'autres mots, les affaires Des Chênes — au moment où le communiqué a été publié, mais — et c'est l'annonce du ministre — elles s'appliqueraient à tous les autres procès. Cela signifie qu'elles pourraient s'appliquer à votre procès. Est-ce que j'ai bien compris?
M. St-Cyr: J'ai la lettre en français.
Le sénateur Day: Cette lettre est en date du 13 décembre.
M. St-Cyr: La lettre originale était en français.
Le sénateur Day: Désolé, oui, vous avez raison. La version anglaise porte la mention «traduction». Elle est en date du 13 décembre.
M. St-Cyr: Avez-vous lu la lettre datée du 16 décembre?
Le sénateur Day: On peut lire dans cette lettre qu'il est entendu que ce règlement est exécutoire, nonobstant le fait que les modifications rétroactives ont été annoncées le 21 décembre 2001.
Monsieur St-Cyr, vous êtes en train de dire que, en dépit de cela, l'annonce ne s'appliquera pas au deuxième groupe. La lettre du 16 décembre a été envoyée, et au ministère, on dit qu'on n'a pas compris le paragraphe parce qu'il avait été clairement indiqué que l'annonce s'appliquerait éventuellement au deuxième groupe. C'est ce que je crois comprendre de cet échange de lettres.
Voici ma question: quand le règlement a été conclu, est-ce qu'il était clair dans votre esprit que le deuxième groupe serait touché par l'annonce faite par le ministre le 21 décembre 2001?
[Français]
M. St-Cyr: Ce n'était pas plus clair que si cela n'avait pas été mentionné. Le ministère aurait pu modifier la Loi quand même. Cette modification était déjà pendante. On a reçu un consentement au jugement le 13 décembre de la part des procureurs de Sa Majesté la Reine. Est-ce que j'accepte ou je refuse un consentement de Sa Majesté la Reine dans une décision qui fait en sorte que mon client va gagner sa cause? Ce sont des situations assez extraordinaires.
J'ai écrit une lettre disant au ministère que l'on acceptait le consentement et que l'on comprend que tout va être beau. On reçoit une lettre disant que compte tenu du libellé du communiqué de presse du ministère des Finances en date du 21 décembre, il demeure possible que la modification rétroactive des dispositions pertinentes ait un impact sur les présentes causes, nonobstant les jugements de la Cour canadienne de l'impôt. Autrement dit, les procureurs de Sa Majesté nous disent: nous allons vous donner l'argent, mais il se peut que nous ne respections pas le jugement de la Cour canadienne de l'impôt et que nous allions reprendre l'argent. Ce qui m'apparaissait assez extraordinaire.
Le sénateur Bolduc: Il y a de l'abus de pouvoir là-dedans.
M. St-Cyr: C'est clair.
Le sénateur Bolduc: J'accepte que le ministre des Finances parle quand il fait son budget. Tout le monde comprend cela. Le ministre se lève le soir et il parle de la bourse et de toutes sortes d'événements. Mais ce n'est pas n'importe quelle lettre qui arrive n'importe quand qui modifie les décisions. La lettre du 16 n'a pas de bon sens. Le même gouvernement ne peut pas parler avec deux bouches même si cela vient du ministre des Finances que je respecte beaucoup. C'est de l'abus de pouvoir, c'est évident.
M. St-Cyr: Lorsque vous dites à un contribuable que vous allez consentir à un jugement dans un dossier et que vous êtes la personne au pouvoir en autorité et que vous lui dites par ailleurs: on ne sait pas, peut-être... J'ai téléphoné au ministère de la Justice Canada et je leur ai posé la question: est-ce que vous savez quelque chose que je ne sais pas? Est- ce que la modification sera adoptée ou non? On m'a répondu qu'il ne savait pas ce que fait le ministère des Finances. Alors, dans la même personne, le bras droit ne sait pas ce que le bras gauche fait. C'est de cette façon que l'on gère les dossiers des contribuables.
M. Tassé: Il le sait lui qu'il y a eu un avis d'intention et qu'il doit agir en conséquence.
M. St-Cyr: Lorsqu'il y a un avis d'intention, que les causes sont prêtes à procéder et qu'il y a eu une suspension d'accord avec les procureurs, il faudrait demander aux contribuables de retirer leurs dossiers de la Cour canadienne de l'impôt et risquer que la modification ne soit jamais adoptée. Et vous allez venir me dire qu'au Canada, on légifère par voie de communiqué du ministère des Finances.
[Traduction]
Le sénateur Day: J'aimerais savoir si vous avez reçu de la correspondance après la lettre qu'on vous a envoyée en date du 16 décembre, et dans laquelle on peut lire qu'à la lumière du communiqué publié par le ministre des Finances le 21 décembre 2001, il est toujours possible que les modifications rétroactives aux dispositions pertinentes puissent avoir des conséquences pour ce procès, en dépit des décisions rendues par la Cour canadienne de l'impôt. Dans une telle éventualité, le règlement actuel ne restreindra pas le pouvoir du ministre du Revenu national de réévaluer la question selon les termes de toute modification rétroactive. Quelle a été votre réponse à cela?
M. St-Cyr: De quelle date s'agit-il?
Le sénateur Day: Il s'agit de la lettre que le ministère de la Justice vous a envoyée en date du 16 décembre 2002. Si vous trouviez que c'était insensé, quelle a été alors votre réponse?
M. Tassé: Sénateur Day, quelle est la date de cette lettre?
Le sénateur Day: Le 16 décembre 2002.
[Français]
C'est le 16 décembre 2002. J'ai la lettre en anglais, mais il semble que c'était en français.
M. Tassé: Oui, c'était en français.
Le sénateur Day: L'original était en français.
M. St-Cyr: Il y a une phrase que vous n'avez pas lue dans la lettre du 16 décembre, celle du deuxième paragraphe de la deuxième page et je vous la lis en français. On y dit que le ministre du Revenu national entend respecter les jugements de la Cour canadienne de l'impôt et agir avec célérité afin d'y donner suite. Je n'ai pas répondu à cette lettre et ils ont signé les consentements en jugement.
Le sénateur Day: Pouvez-vous lire le dernier paragraphe?
M. St-Cyr: Vous l'avez lu vous-même. C'est ce qui est écrit. Je ne peux pas vous dire que ce n'est pas ce qui est écrit.
Le sénateur Day: Le paragraphe est là en français aussi.
Le sénateur Bolduc: Cela n'a pas de bon sens. Vous voyez comme moi que cela n'a pas de bon sens.
Le sénateur Day: Mais quand même le document a été signé avec cette lettre.
Le sénateur Bolduc: La Cour s'est prononcée et l'avocat du ministère de la Justice va dire, on en tiendra peut-être compte. Voyons donc.
Le sénateur Day: Je comprends que c'est une cause légale.
[Traduction]
Le président: Monsieur Tassé, monsieur St-Cyr, merci.
Nous invitons maintenant les représentants de l'Association du Barreau canadien et ceux du Barreau du Québec à venir s'installer à la table. Peut-être pourront-ils éclairer notre lanterne dans ce débat, débat qui a été animé par moments.
Avant de donner la parole aux prochains témoins, chers collègues, j'ai un devoir très plaisant à accomplir. Je voudrais souhaiter la bienvenue ce matin à une délégation de l'Assemblée nationale de la République de Serbie. La délégation est en visite au Canada cette semaine dans le cadre du Programme parlementaire pour l'Europe du sud-est du Centre parlementaire, qui est financé par l'ACDI. La délégation s'intéresse particulièrement à notre participation parlementaire au processus budgétaire, à la surveillance parlementaire des dépenses du gouvernement, au développement des ressources humaines et à la planification stratégique, et, surtout, aux activités de soutien qui contribuent à renforcer la responsabilité et la surveillance parlementaires.
Le sénateur Comeau: ... et la bonne gouvernance.
Le président: Soit, monsieur le sénateur. J'aimerais demander à la vice-présidente de l'Assemblée serbe, Mme Gordana Comic, ainsi qu'aux autres membres de la délégation de bien vouloir se lever. Merci infiniment. Nous vous souhaitons la bienvenue. Nous espérons que votre visite sera utile et qu'elle renforcera les liens entre nos deux pays, en particulier entre parlementaires des deux pays. Bienvenue.
Chers collègues, toujours sur le même sujet dont nous discutions avec MM. Tassé et St-Cyr il y a quelques instants, nous entendrons des représentants du Barreau du Québec et de l'Association du Barreau canadien.
[Français]
Les représentants du Barreau du Québec vont débuter, en l'occurrence, Me Claude P. Desaulniers, président du comité sur la législation et l'administration fiscales et M. Marc Sauvé, secrétaire du comité.
M. Marc Sauvé, secrétaire du comité sur la législation et l'administration fiscales, Barreau du Québec: Je suis avocat au service de la législation au Barreau du Québec et je suis accompagné, pour la présentation d'un jeune homme qui pratique depuis quelques années, c'est-à-dire un peu plus de 35 ans dans le domaine de la fiscalité. Le Barreau a une mission sociale, entre autres, défendre la règle de la primauté du droit et soutenir l'autorité des tribunaux et la crédibilité du processus judiciaire. Vous avez devant vous, malheureusement, l'illustration d'un projet législatif qui, de notre point de vue, jette le discrédit sur le processus judiciaire et vient miner la confiance des contribuables envers les institutions publiques et les tribunaux.
À ce sujet, le Barreau du Québec a acheminé une lettre au ministre de la Justice le 7 avril 2003, dont copie au ministre des Finances, M. John Manley. Je pense que cette lettre vous a été transmise. Pour aller au coeur du sujet, je cède la parole à Me Desaulniers.
Me Claude P. Desaulniers, président du comité sur la législation et l'administration fiscales, Barreau du Québec: Je ne reviendrai pas sur les faits qui ont été énumérés de façon fort éloquente par Me Tassé. Si on oublie la question de droit, les faits énumérés sont, à mon avis, suffisants pour justifier la conclusion à laquelle il est arrivé.
J'aimerais aussi vous faire part des commentaires d'un praticien du litige fiscal. J'oeuvre dans ce domaine depuis 37 ans et je plaide devant les tribunaux canadiens et québécois. Je vais brosser le contexte dans lequel on se retrouve. Vous savez sans doute que notre système fiscal repose sur l'autocotisation. Le premier principe est que les contribuables s'autocotisent. Le deuxième principe est que les contribuables ont le fardeau de la preuve devant les instances administratives et devant les tribunaux. Le troisième principe est que nous sommes en présence d'une législation fort complexe.
À titre d'ancien légiste et pour avoir été impliqué de très près dans la rédaction de certaines lois fiscales, y compris la Loi sur les impôts au Québec, je puis vous dire que cette législation est extrêmement technique. J'irais jusqu'à dire qu'on a présentement perdu le contrôle de la rédaction des lois fiscales.
Pour se remettre dans le contexte, on a adopté, en 1985, des dispositions «antiévitement» de la Loi sur l'impôt qui se retrouvent dans la Loi sur la taxe d'accise. Ces dispositions «antiévitement» mentionnent que si vous vous êtes conformés aux articles 1 et 2 de la Loi sur l'impôt et que le ministre pense que cela va à l'encontre de l'esprit de la loi, il peut «recaractériser» la transaction que vous avez faite. C'est le contexte dans lequel on se trouve lorsque les commissions scolaires font des demandes de remboursement auprès des autorités fiscales.
Vous vous souviendrez peut-être qu'au début des années 1990 d'une cause à la Cour suprême. Cette cause a entraîné le remboursement d'impôt le plus important jamais fait, soit une somme de 2 ou 3 milliards de dollars. Devant cet état de fait, le vérificateur général s'est interrogé et avait fortement suggéré l'implantation d'un système qui permettrait de déceler ce genre de problèmes avant que les tribunaux ne soient impliqués. On visait à arrêter ce genre de situations où on amène un contribuable jusqu'en Cour suprême pour être obligé ensuite de faire des remboursements qui n'avaient pas été prévus au budget du ministre des Finances.
Le gouvernement avait donné suite au rapport du vérificateur général en transmettant le problème au Comité permanent des comptes publics. Le Comité permanent des comptes publics avait fait un certain nombre de recommandations. En 1995, je crois, il y avait eu une réponse du gouvernement quant au rapport du Comité permanent des comptes publics.
Dans ce rapport, le gouvernement disait qu'il avait mis sur pied un système de gestion du risque extraordinaire. Ce système de gestion du risque visait à ne plus se faire prendre les culottes baissées à la Cour suprême. Il faut agir dès le début pour déceler les problèmes et éviter de se rendre jusqu'au tribunal.
Ensuite on a vu des commissions scolaires qui faisaient des demandes de remboursement. Je présume que les commissions scolaires ont d'abord demandé l'opinion de leurs avocats. Les avocats ont répondu aux commissions scolaires qu'elles pouvaient plaider une cause au tribunal. Je présume que le ministre de la Justice ou le ministre du Revenu a également demandé l'opinion de ses avocats. Leurs avocats ont dû répondre qu'il y avait un risque.
Donc, s'il y avait un risque et si on avait mis sur pied un système pour prévenir spécifiquement ce genre de situation, pourquoi a-t-on choisi la voie judiciaire plutôt que la voie immédiate de l'amendement? Voilà le premier point d'interrogation et la première conséquence. Si vous acceptez la voie judiciaire plutôt que l'amendement, vous en acceptez les conséquences. On en a discuté tantôt et cela va de soi.
La réponse du gouvernement mentionnait aussi que, dans certains cas, on peut décider de procéder avec une cause type. Je vous lis quelques lignes de ce rapport.
[Traduction]
Lorsque des questions concernant des groupes ne sont pas résolues à l'étape de l'opposition, un nombre limité d'oppositions (des affaires types) sont alors choisies en vue d'un procès après consultation des contribuables du groupe et du ministère de la Justice. La décision de la Cour, finale et exécutoire, est alors appliquée à toutes les autres oppositions de ce groupe.
[Français]
C'est le gouvernement qui dit cela.
On reconnaît la pratique normale. J'ai déjà été impliqué dans une série de causes qui impliquaient 192 contribuables. On ne pouvait pas plaider à la cour pour tous les contribuables et pour la même raison. On pouvait compter 40 000 ou 50 000 dollars pour les frais judiciaires. On avait décidé de procéder dans une seule cause et tous les autres contribuables impliqués partageaient les coûts.
Si on applique cela au cas présent, une seule personne a été choisie pour plaider au tribunal et on lui a donné raison. Tandis que pour tous les autres qui ont assumé les coûts, c'est tant pis.
Vous avez ce cas précis aujourd'hui. Je pense qu'on est en train de banaliser cette pratique. Ce n'est pas la première fois que cela se produit au gouvernement fédéral. C'est encore pire si l'on considère la fois qui a précédé celle dont on parle aujourd'hui et qui faisait suite à une décision de la Cour d'appel fédérale en avril 2001. Il ne s'agit pas du siècle précédent. Cette décision de la Cour d'appel fédérale déclarait ultra vires un règlement émis en vertu de l'article 59.3(2) de la Loi sur la taxe d'accise concernant les fournitures de bar.
La Cour a dit au gouvernement qu'elle lui donnait cinq mois pour amender son règlement. Amender un règlement est moins long que modifier la loi. Au mois de septembre ou octobre 2001, donc deux mois avant la déclaration du 21 décembre, le gouvernement n'a pas amendé son règlement concernant les fournitures de bar, mais a plutôt modifié la loi pour donner effet au règlement de façon rétroactive.
Donc on a amendé la disposition habilitante du règlement de façon rétroactive, vu que le règlement était ultra vires. Ainsi le règlement concernant les fournitures de bar devenait rétroactivement valide. Cela était rétroactif au 10 novembre 1986.
Cela prend une tournure qui, à notre avis, est grave. Je passe sous silence ce que les provinces font. Toutefois, pour les fournitures scolaires, le Québec a fait la même chose de même que pour une autre série de causes concernant les municipalités.
En réponse à ce que soulignait le sénateur Bolduc, les avocats, dans le cas présent, reçoivent un mandat de leur client. Ils sont les mandataires du gouvernement. Ce sont eux qui ont consenti au jugement et quand ils le font, c'est le gouvernement qui consent au jugement. Comment le gouvernement peut-il d'une main consentir au jugement et, de l'autre, préparer un amendement déclaratoire?
Tout le système fiscal se base sur la confiance des contribuables envers les institutions. Il est basé sur la confiance que les déclarations de revenus seront suivies de cotisations qui respecteront la loi et que si un contribuable n'est pas d'accord, il existe un processus administratif d'opposition muni d'une charte visant à protéger ses droits. Si en bout de ligne, tout cela ne fonctionne pas, le contribuable peut s'adresser aux tribunaux et se fier à l'exécution du jugement, qu'ils soit en sa faveur ou pas.
Ce qui inquiète le Barreau du Québec, c'est qu'on est en train de miner gravement cette confiance. Ce qui m'inquiète, à titre de praticien, c'est qu'on est en train de miner notre pratique. La prochaine fois que j'irai plaider au tribunal avec 192 cas, je serai peut-être obligé de procéder dans 192 cas distincts et le tribunal ne l'acceptera pas.
Les contribuables sont en droit de s'attendre à ne plus être taillables à merci comme au Moyen Âge. Ils ont droit à des institutions qui leur donnent raison lorsqu'ils obtiennent justice des tribunaux.
[Traduction]
Le président: J'invite maintenant M. Simon Potter, président de l'Association du Barreau canadien, à faire sa déclaration.
[Français]
M. Simon Potter, président, Association du Barreau canadien: C'est un honneur de me retrouver devant vous et de pouvoir expliquer au Barreau canadien ce qui semble être un principe très important.
[Traduction]
L'Association du Barreau canadien est le porte-parole de quelque 38 000 avocats à l'échelle du Canada. La raison pour laquelle c'est son président qui comparaît devant vous aujourd'hui — plutôt que le président de la Section nationale des taxes à la consommation —, c'est que les enjeux dépassent la simple fiscalité. En effet, les enjeux couvrent toutes les branches du droit. Aujourd'hui, vous parlez de fiscalité, mais mon message à vous est que cette loi créera un précédent et cela signifiera que la question dont vous êtes saisis aujourd'hui reviendra plus tard dans un autre domaine du droit. J'espère vous convaincre que ce précédent n'est pas souhaitable.
[Français]
Je pense que vous avez déjà la lettre datée du 24 avril que nous avons fait parvenir aux honorables ministres des Finances et de la Justice.
[Traduction]
Je ne vais pas en faire la lecture, mais simplement aborder les points saillants. L'enjeu ici est le respect de la loi, c'est- à-dire le fonctionnement effectif de la loi, et bien entendu, des questions simples comme l'équité, questions qui ont été soulevées avec éloquence par les sénateurs Beaudoin et Bolduc.
S'agissant du respect de la loi, j'aimerais aborder avec vous trois points, et pour ceux d'entre vous qui ont ma lettre sous les yeux, vous les trouverez plus ou moins au troisième paragraphe de la page 2.
Voici donc ces trois points: premièrement, en n'encourage pas les citoyens à respecter la loi si le gouvernement ne le fait pas.
Deuxièmement, nous n'encourageons non plus le respect de la loi si nous disons que le gouvernement peut compter sur des modifications rétroactives ex post facto pour que l'interprétation de la loi concorde avec la préférence du gouvernement.
Troisièmement, et c'est le pire, nous n'encourageons pas le respect de la loi si nous autorisons le gouvernement, dans un différend l'opposant à un citoyen sur l'interprétation de la loi, à tenter sa chance auprès des tribunaux, et s'il n'obtient pas gain de cause, à faire comme bon lui semble de toute façon. À quoi bon recourir à un tribunal si nous autorisons le gouvernement à agir de la sorte? Ces arguments sont valables, qu'il s'agisse de fiscalité, de publicité trompeuse aux termes de la Loi sur la concurrence ou d'étiquetage tel que défini par l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Ces principes sont universels. Je vous soumets qu'un tel précédent serait dangereux à l'extrême.
En ce qui concerne l'application simple de la loi — et je pense particulièrement à des collègues comme Claude Desaulniers, qui est fiscaliste, quoi que cela est vrai pour moi aussi qui travaille dans d'autres branches du droit —, nous ne pouvons pas conseiller nos clients en nous fondant sur une interprétation rétroactive que le gouvernement pourrait donner à la loi dans 13 ans. Les seuls conseils que nous puissions donner à nos clients doivent reposer sur la législation telle qu'elle existe aujourd'hui, tout comme, en l'occurrence, le juge, qui a entendu cette affaire et à qui l'on a dit que des modifications pourraient être apportées, et que celles-ci pourraient être rétroactives a répondu, à juste titre: «Je crains de ne pas avoir de choix. Je dois rendre une décision en fonction de ce que la loi dispose aujourd'hui.» C'est ainsi que le droit fonctionne, et c'est ainsi qu'il devrait continuer de fonctionner.
S'agissant de la TPS, deux choses méritent d'être considérées: la première est que cette taxe est fondée sur une transaction. Les gens concluent des transactions entre eux, et chacun paie sa taxe en fonction des coûts et des bénéfices escomptés. L'acheteur comme le vendeur doit, en concluant une transaction, pouvoir compter sur une certitude relative. Par conséquent, les deux doivent calculer leur coût en fonction de ce que la loi leur semble être à ce moment-là. À partir du moment où l'on permet à un précédent de saper cette certitude, c'est là que l'on crée de l'incertitude dans le monde commercial, ce qui ne pourra que nuire aux affaires.
Le deuxième élément touche évidemment aux droits qu'ont les particuliers de faire des choix personnels en ce qui a trait à leur patrimoine. Comment peuvent-ils faire ces choix si le gouvernement risque de modifier rétroactivement les règles qui sous-tendent ces choix? En bout de ligne, cela touche directement à la place du citoyen dans notre pays.
Tout cela m'amène alors à dire que s'attaquer à des droits acquis n'est justifiable qu'en de très rares circonstances. J'ajouterais que c'est tout particulièrement vrai — à plus forte raison, n'est-ce pas? — quand les tribunaux ont confirmé l'existence de ces droits acquis.
[Français]
Il y a également une question de simple justice. Le gouvernement lui-même a rédigé cette règle. Il me semble que le gouvernement doit envisager le risque d'être lié aux tribunaux X plutôt que Y. En simple justice, que diront les citoyens si ce risque n'est pas pris par celui qui rédige les règles?
[Traduction]
Vous vous souviendrez que le gouvernement a répondu 18 mois plus tard au septième rapport du Comité permanent des comptes publics en énonçant cinq lignes directrices qui régiraient l'adoption par le gouvernement de mesures législatives rétroactives. J'estime qu'aucune de ces lignes directrices n'est remise en question ici.
L'une de ces lignes directrices stipule que les modifications seront acceptables si elles rectifient les dispositions ambiguës ou déficientes de la loi. Cet amendement ne rectifie aucune disposition ambiguë ou déficiente, pas plus qu'un autre amendement. Les amendements visent toujours à corriger des ambiguïtés ou des déficiences perçues. J'estime que si vous adoptez cet amendement, vous créerez du même coup un précédent dangereux qui s'ajoutera à ceux dont vous a déjà parlé M. Desaulniers.
[Français]
En conclusion, avec cette modification, la certitude du citoyen dans le domaine fiscal et d'autres disparaît. Ce serait un développement très grave pour tout le système, pas seulement pour la pratique de mon ami, mais pour la pratique de tous et pour tous les citoyens.
[Traduction]
Certains d'entre vous se sont demandés comment corriger cela. Une motion d'amendement au projet de loi vous a été soumise.
[Français]
Il est vrai que dans le domaine fiscal, on voit souvent un peu de rétroactivité. C'est normal pour la bourse, et cetera. Dans ce cas, pour faire miroir avec les cas fiscaux normaux, il serait tout à fait juste que la règle de rétroactivité vaille mais seulement jusqu'à l'annonce du mois de décembre 2001. C'est ma suggestion.
[Traduction]
Le président: Je remercie tous les témoins de leur coopération.
[Français]
Le sénateur Bolduc: J'ai trouvé les exposés de nos témoins très clairs. Par conséquent, je n'ai pas de commentaires particuliers à ce sujet.
J'ai le sentiment que pour corriger une erreur administrative faite par un fonctionnaire, on introduit ce genre de démarches comme on en voit aujourd'hui. Ce n'est pas acceptable. Si un fonctionnaire a commis une erreur — c'est possible, les choses sont tellement complexes, qu'un fonctionnaire commette une erreur à un endroit stratégique — le gouvernement doit payer pour cette erreur. Ce n'est pas au client à subir les conséquences.
Le sénateur Beaudoin: Si on choisit la voie judiciaire, il faut recourir, en toute logique, aux tribunaux. Si c'est législatif, il faut suivre la même voie. Ce que je trouve intéressant dans votre affirmation, c'est que l'intention d'un gouvernement, jusqu'à ce qu'elle soit mise sous la forme d'une loi, n'est qu'une intention. Je ne peux pas voir comment on peut intervenir et mettre de côté une décision judiciaire en disant qu'on ne pense pas comme cela et voici ce que l'on va faire. Il faut le faire. Il faut respecter le législatif et le judiciaire. Tous les deux, dans leur domaine, sont souverains. Si on emprunte une voie, il faut lui être fidèle jusqu'au bout. Il ne faut pas les mêler de façon à modifier la loi alors qu'il s'agit d'une pure intention gouvernementale. C'est une très bonne chose. Il faut que les choses soit claires.
Si la loi n'est pas modifiée, la décision judiciaire doit s'appliquer tant et aussi longtemps que le législatif n'intervient pas de façon très claire dans un domaine précis pour la mettre de côté.
M. Desaulniers: De tout temps — et cela fait près de 40 ans que j'oeuvre dans le domaine fiscal — on a toujours fait des amendements rétroactifs en fiscalité. Normalement, ils sont rétroactifs à la date du budget, mais on a toujours pris soin de dire que l'amendement ne s'appliquerait pas aux causes pendantes, tout simplement parce que le législatif veut respecter le judiciaire. C'est ce principe qu'on est en train de briser.
Le sénateur Beaudoin: Sinon, on mêle les deux.
M. Potter: Ce que M. Desaulniers vient de dire est très important. Il ne faut pas tomber dans le piège d'accorder une règle de rétroactivité seulement pour ceux qui ont réussi à obtenir un jugement.
Le sénateur Beaudoin: Non.
M. Potter: Il faut l'accorder à tous ceux qui avaient des causes déjà engagées. Autrement, pourquoi intenter des causes et avoir recours aux tribunaux? C'est le recours au tribunal qui compte et non pas le jugement.
Le sénateur Beaudoin: On est d'accord.
[Traduction]
Le sénateur Day: Je veux m'assurer d'avoir bien compris votre proposition. Vous vous souviendrez de la discussion que nous avons eue au sujet de trois groupes différents: celui du Conseil scolaire Des Chênes, le deuxième à l'origine de la mise en cause et le troisième qui n'a rien fait. Étant donné vos arguments contre la rétroactivité, préconisez-vous alors que le troisième groupe ait aussi droit au remboursement, même s'il n'a pas saisi les tribunaux de sa cause?
M. Potter: Sénateur Day, je suis ici pour représenter l'Association du Barreau canadien et non les groupes un, deux ou trois. Je n'ai pas l'intention de donner des détails sur qui a fait quoi quand, car je n'en sais rien. Quoi qu'il en soit, j'estime que cela importe peu puisque ce sont des principes que je défends.
Je soutiens, puisqu'il s'agit de taxes, que le Parlement devrait autoriser le genre de rétroactivité qui s'applique en matière d'impôt où la rétroactivité remonte au moment du budget. Dans ce cas-ci, nous parlons d'un communiqué. Reportez-vous au communiqué de décembre 2001. Personnellement, je ne remonterais pas plus loin.
Si en votre qualité de sénateurs vous craignez une ruée de gens qui n'avaient en réalité rien fait avant décembre 2001, alors vous serez tentés d'adopter l'amendement proposé par M. Tassé. Ce serait bien dommage. Pour autant que je le sache, vous n'avez aucun renseignement sur le risque, sur le nombre de personnes qui pourraient se faire connaître ni sur le coût éventuel. Si j'étais sénateur, je ferais respecter le principe car j'estime qu'il est temps d'y revenir pour les raisons que j'ai énoncées. Selon ce principe, la rétroactivité s'arrêterait à la date de l'annonce.
Le sénateur Day: Compte tenu de vos commentaires, si nous devions adopter votre position relative au principe, selon lequel le groupe trois qui n'a pas saisi les tribunaux aurait droit au même remboursement et devrait...
M. Potter: Veuillez m'excuser, sénateur, j'ai été très clair.
Le président: Un instant, sénateur. M. Potter va vous répondre.
M. Potter: Je croyais avoir dit clairement quand j'ai enchaîné après M. Desaulniers qu'il est important que ceux qui avaient effectivement intenté une poursuite à cette date-là ne soient pas être visés par la rétroactivité.
Le sénateur Day: Absolument. Pourquoi ceux qui n'ont rien fait devraient-ils être obligés d'intenter une poursuite devant les tribunaux pour avoir droit au même remboursement?
M. Potter: Sénateur, si j'étais moi-même sénateur, je remonterais jusqu'au jour de l'annonce, en décembre 2001, et je ne m'inquiéterais pas de savoir si d'autres personnes pourraient être tentées de se joindre au mouvement.
Toutefois, vous craignez peut-être qu'ils soient nombreux à n'avoir rien fait. Dans ce cas-là, vous pourriez adopter la solution proposée par M. Tassé — et en réalité, par M. Desaulniers aussi — à savoir de permettre une exception à la rétroactivité sans que l'exception s'applique uniquement à ceux qui ont obtenu un jugement d'un tribunal, par consentement ou autrement. L'exception doit s'appliquer à tous ceux qui avaient intenté une poursuite quelconque.
M. Desaulniers: Puis-je ajouter quelque chose à cela? La pratique veut que quand un amendement à effet rétroactif est proposé, il ne s'applique pas aux affaires en instance et les contribuables le savent bien depuis 1917. Ainsi, les gens savent que lorsqu'un amendement est proposé, ils doivent intenter une poursuite devant les tribunaux sans quoi ils seront exclus. C'est je crois la réponse à votre question.
Le sénateur Day: C'est une bonne réponse. Est-ce un principe établi qu'un amendement ne s'applique pas à une affaire en instance si elle est déjà engagée à la date de l'annonce?
M. Desaulniers: Absolument.
Le sénateur Mahovlich: En ce qui a trait au groupe trois, d'autres provinces, le Manitoba ou l'une des provinces de la côte Est, pourraient-elles décider d'agir?
M. Potter: Sénateur Mahovlich, je ne sais pas en ma qualité de porte-parole de l'Association du Barreau canadien si d'autres groupes pourraient décider d'agir. En théorie, c'est possible. Toutefois, si la rétroactivité que vous autorisez exclut des personnes qui avaient effectivement intenté des poursuites avant décembre 2001, vous faites échec à cette possibilité.
Le sénateur Mahovlich: Les commissions scolaires sont des commissions scolaires et au Canada, tout le monde est traité de la même façon. Ce qui est bon pour l'un est bon pour l'autre, voilà ce que je dis. C'est équitable et c'est, je crois, ce que souhaite les Canadiens. Cela tient du gros bon sens. Je ne suis pas avocat je ne suis qu'un homme qui se fie à son bon sens.
M. Potter: Monsieur le président, il y a autre chose. Parmi les cinq critères annoncés par le gouvernement en 1995 dans sa réponse au septième rapport du comité permanent publié en 1993, il y en a un qui traite d'un profit aléatoire pour certains contribuables et un autre qui traite de la nécessité de préserver la stabilité de l'assiette du revenu de l'État. Si l'on prend ces deux critères, on peut dire d'abord que cet argent n'est pas nécessaire pour préserver l'assiette des recettes de l'État. Il est peut-être nécessaire pour éviter que certains perdent la face mais il n'est pas nécessaire pour préserver la stabilité de l'assiette des recettes de l'État.
Certains contribuables profiteront-ils d'un profit aléatoire? Il m'apparaît important de ne pas oublier que nous parlons de commissions scolaires. Nous ne parlons pas d'un profit aléatoire pour chaque membre d'une commission scolaire. Ce ne sont pas des sommes énormes et elles ont besoin de cet argent. Cela me ramène à ma solution préférée: votre exemption ne devrait s'appliquer rétrospectivement qu'à la date de l'annonce, un point c'est tout.
Le sénateur Comeau: J'aimerais vous poser des questions au sujet d'une tendance. Récemment, le Sénat a adopté un projet de loi en vertu duquel nous avons trahi notre parole de parlementaires, rétroactivement. Nous avons dit que nous ne respecterons pas une promesse faite en 1917, ou dans ces eaux-là, où nous avions promis aux Canadiens que les réponses de leur questionnaire de recensement ne seraient pas rendues publiques. Récemment, le Sénat a adopté un projet de loi par lequel cette promesse est trahie rétroactivement. Est-ce une tendance lourde où le gouvernement n'hésite pas à trahir ses promesses rétroactivement?
M. Potter: D'abord, en droit et selon notre Constitution, le Parlement ne peut causer de tort. Nous avions l'habitude de dire que le Parlement pouvait faire tout ce qu'il voulait sauf changer un homme en femme, et franchement, en droit, il peut le faire. En fait, nous en sommes témoins maintenant.
Le fait est que nous avons toujours eu un régime gouvernemental qui permettait aux gens de faire des choses assez inimaginables, comme changer les choses rétroactivement. Toutefois, nous avons compris depuis longtemps que ces changements rétroactifs ont de graves conséquences — particulièrement sur les types de principes dont j'ai parlé: le respect du droit, la primauté du droit, la position du citoyen dans la société. Les conséquences sont très graves. Cela veut dire que nous devons penser à ces conséquences dans chaque cas où nous envisageons d'utiliser ce pouvoir incroyable qu'a le Parlement de changer l'histoire rétroactivement.
Cela ne veut pas dire que nous ne devrions jamais le faire, mais cela veut dire que nous devons nous montrer très prudent. Pour répondre à votre question, à savoir si ce faisant nous sommes en train de devenir un petit peu trop négligent, je pense qu'après avoir entendu l'histoire que M. Desaulniers vous a racontée, il faut bien conclure que la réponse est oui.
Le sénateur Comeau: Quand je suis arrivé au Sénat, nous avons été saisis de ce qu'on a appelé alors le projet de loi Pearson qui aurait eu pour effet de supprimer les droits des citoyens de se faire entendre.
Nous l'avons combattu bec et ongles et je pense qu'en réalité nous avons effectivement gagné. Je pense que ce fut une grande victoire pour les Canadiens. Nous ne devrions pas faire preuve de moins de vigilance que le Sénat en a toujours montré pour ce genre de questions, aussi loin que je me souvienne.
M. Potter: Le fait que vous soyez saisi de ce projet de loi montre que c'est à vous de défendre ce principe.
Le sénateur Comeau: Exactement.
Le président: Voilà une bonne note sur laquelle conclure, avant que nous évoquions de trop nombreux précédents.
Honorables sénateurs, des représentants du ministère des Finances viendront nous expliquer cela demain soir à 18 h 15. Bien sûr, ils seront là pour discuter de toutes les autres dispositions — il y en a 130 — dans ce projet de loi.
Permettez-moi de remercier à nouveau les témoins et tous ceux qui sont présents pour leur patience. Nous avons dépassé l'heure prévue pour la clôture. La séance a été très utile.
La séance est levée.