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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 6 - Témoignages du 20 avril 2004


OTTAWA, le mardi 20 avril 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 19 heures, pour étudier des questions qu'ont suscité le dépôt en octobre 2002 de son rapport final sur le système de soins de santé au Canada et les faits nouveaux survenus depuis lors. Plus particulièrement, le comité est autorisé à examiner la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Madame Hefford et monsieur Casey, soyez les bienvenus. Mes collègues et moi sommes ravis de vous accueillir, car nous avons plein de questions à vous poser.

Je vais d'abord vous fournir le contexte en vous décrivant le genre de questions au sujet desquelles nous aimerions avoir votre opinion. Nous avons fait une étude importante du système canadien de soins actifs donnés par les hôpitaux et par les médecins, soins qui sont assurés par notre régime universel. Nous avons publié ce rapport il y a un an et demi environ. Diverses mesures recommandées semblent vouloir être mises en oeuvre bien que, comme vous le savez, comme toute autre chose dans le système de santé, elles soulèvent beaucoup de controverse et suscitent de l'opposition de toutes parts. Vous serez peut-être intéressés d'apprendre que notre comité, qui est formé d'un certain nombre de sénateurs libéraux et conservateurs et d'un sénateur indépendant, a tout de même produit un rapport unanime au sujet d'un dossier qui, à de nombreux égards, est peut-être le plus controversé en matière de politique publique. Ce seul fait rend le document d'autant plus précieux.

À mesure qu'évoluait notre étude, il est devenu clair que s'il y avait un système encore plus mal géré ou peut-être plus mal organisé que notre système de soins actifs, c'était bien celui de la santé mentale, pour diverses raisons. Or, nul ne voulait en parler. Il y avait beaucoup de compartimentation. À l'exception des hôpitaux psychiatriques, ces soins ne sont dans l'ensemble pas visés par notre régime d'assurance-maladie et ainsi de suite.

Nous nous sommes donc lancés dans une seconde grande étude, celle-ci portant sur la santé mentale. Nous avions jugé utile, lorsque nous avions effectué l'étude précédente, de savoir ce qui se faisait à l'étranger en matière de santé mentale. L'Australie a été une de nos bases de comparaison quand nous avons fait l'étude des soins actifs, et nous avons entendu plusieurs témoins du Canada et de l'étranger au sujet de l'approche relativement nouvelle que vous avez adoptée comparativement à de nombreux autres pays, y compris au nôtre.

Nous n'avons jamais eu de stratégie nationale de la santé mentale. Il n'y a pas de loi nationale de la santé mentale. C'est un sujet qui n'a tout simplement jamais été du ressort fédéral parce que, dans notre cas, la santé relève de la compétence provinciale, alors que chez vous, elle relève des États.

Nous en sommes au tout début de nos travaux. Nous essayons de nous renseigner sur ce qui s'est avéré efficace et inefficace dans votre système. Sachant ce que vous savez maintenant, si vous en étiez au stade où nous en sommes, c'est-à-dire si c'était à refaire, en ce sens qu'il ne s'agit pas de modifier une loi existante et ainsi de suite, que feriez-vous autrement et que referiez-vous sans hésiter à l'égard, tout d'abord, de la politique nationale en matière de santé mentale et, d'autre part, à l'égard de la prestation des services?

Même si, comme vous, le gouvernement fédéral ne s'occupe pas comme tel de la prestation des services de santé mentale, nous déborderons inévitablement dans ce qui est de toute évidence un champ de compétence provinciale parce qu'il sera autant question de la prestation des services dans ce domaine que lorsque nous avons cherché à savoir comment assurer la prestation de services de soins actifs. Nous ne nous sentons pas atrocement limités par l'ordre du gouvernement qui est en réalité responsable d'assurer la prestation des services. Nous essayons de dresser un plan à l'intention des deux ordres de gouvernement, si vous préférez.

J'aimerais commencer par demander aux deux témoins de nous donner un aperçu de ce qui est avéré efficace et de ce qui ne l'est pas, à l'égard tant de la santé mentale que de la toxicomanie, parce que notre véritable plan de travail vise la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie. Nous avons préféré intégrer la question des services de traitement de la toxicomanie à l'étude sur la santé mentale, plutôt que d'en faire une question distincte.

Voilà qui vous situe en contexte. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir accepté notre invitation. Monsieur Casey, pourquoi ne pas commencer par quelques observations de votre part, après quoi Mme Hefford pourra prendre la parole, et nous passerons ensuite à une période de questions.

M. Dermot Casey, secrétaire adjoint, Direction des priorités sanitaires et de la prévention du suicide, ministère de la Santé et de la Vieillesse, gouvernement de l'Australie: Pour en revenir à vos thèmes concernant ce que nous avons fait et ce que nous aurions pu faire différemment, comme vous le savez, notre système ressemble beaucoup à celui du Canada. Avant le début des années 90, le gouvernement fédéral ne s'intéressait pas du tout à la santé mentale, il n'y participait pas et n'avait pas compétence dans ce domaine.

À ce que l'on raconte, le ministère fédéral de la Santé avait affecté la moitié du temps d'un diététiste à voir à ses intérêts en matière de santé mentale, domaine qui relève définitivement des États et des territoires et qui, historiquement, trouve ses racines dans les vieux systèmes d'asile, d'aliénation mentale et de régime britannique qui ont été importés chez nous au XIXe siècle.

Il est intéressant de noter que l'élan favorable à un changement en Australie est venu en réalité des États et des territoires qui demandaient au gouvernement fédéral d'assumer un rôle et d'intervenir en matière de soins de santé mentale. Plusieurs scandales sont survenus durant les années 80 dans des hôpitaux psychiatriques et ils ont vraiment permis de se concentrer sur les droits civils et les mauvais traitements. L'intérêt qu'a commencé à manifester le gouvernement fédéral pour une réforme de la santé mentale a été dicté en partie par des préoccupations selon lesquelles la responsabilité financière de soutien du revenu et des services d'emploi, qui étaient les conséquences en aval de soins de santé mentale médiocres, revenait en réalité au gouvernement fédéral. On a soutenu que le gouvernement fédéral engageait des dépenses très élevées, mais qu'il n'exerçait aucun contrôle en amont, c'est-à-dire en vue d'améliorer ce qui se faisait en santé mentale. Voilà pour le contexte vers la fin des années 80 et au début des années 90.

En 1992, tous les ministres de la Santé se sont entendus, par l'intermédiaire du conseil national des ministres de la Santé de l'Australie, pour adopter une stratégie nationale de la santé mentale, et le gouvernement fédéral a injecté quelque 140 millions de dollars australiens sur une période de cinq ans pour soutenir le changement pendant la période la plus difficile. Certains grands objectifs avaient été fixés, mais ils étaient très ciblés sur ce que nous qualifierions de «système public de soins de santé mentale prodigués par des spécialistes». Ce système s'occupe de personnes qui ont une maladie aiguë — des psychoses, le trouble bipolaire —, c'est-à-dire de la population qui par le passé était prise en charge par les asiles. Nous avons évalué, vers le milieu des années 60, que nous avions environ 30 000 lits réservés aux soins psychiatriques en Australie pour une population de quelque 12 millions de personnes. Actuellement, le ratio, dans le secteur public, est de quelques 5 000 lits psychiatriques pour une population de 20 millions.

Dans le premier plan, sur lequel il y a eu entente en 1993, on insistait surtout sur un changement dans la gamme des services offerts par des spécialistes du système public. Il n'était pas question de réduire les effectifs des hôpitaux psychiatriques, qui avaient déjà été soumis à de pareilles mesures. Au début des années 90, il ne restait plus au pays que 9 000 lits réservés aux soins psychiatriques environ. Cette baisse phénoménale du nombre de lits réservés aux soins psychiatriques a marqué le début de la désinstitutionnalisation survenue du milieu des années 60 jusqu'à la fin des années 80. Elle s'est poursuivie par un certain nombre de fermetures, mais la politique ou le programme stratégique qui y était associé était vraiment réduit à sa plus simple expression.

En 1993, on a beaucoup mis l'accent sur le système public de soins spécialisés, et les changements fondamentaux apportés ont consisté à modifier l'équilibre des services offerts en diminuant le recours aux soins en établissement et en augmentant la quantité de ressources investies dans les soins communautaires.

Le rôle du gouvernement fédéral a consisté en grande partie à financer seulement 2 ou 3 p. 100 environ des dépenses des États et des territoires de manière à leur laisser une certaine marge de manoeuvre financière pour amorcer le changement.

En 1997 ou 1998, pendant que s'effectuait une étude épidémiologique nationale, nous avons probablement pris conscience que le principal problème en matière de santé mentale pour toute la collectivité n'était pas tant les psychoses, les troubles bipolaires et les troubles à faible taux de prévalence que les troubles à fort taux de prévalence.

À la suite d'études comme celle de Murray et Lopez sur le fardeau global de la maladie, nous avons commencé à tenir compte de la population globale en matière de santé mentale.

Le fait a son importance, pour deux raisons. En vertu de notre système de financement de la santé, pour la première fois, on tenait compte des composantes des systèmes de santé, particulièrement des omnipraticiens, qui traitent la plupart des gens qui ont des troubles à taux élevé de prévalence comme la dépression et l'anxiété. C'était là un volet du financement de la santé au sujet duquel le gouvernement fédéral avait une responsabilité. Donc, pour la première fois, la question est devenue en un certain sens de nos affaires.

Le second point, c'est qu'en même temps, nous nous sommes lancés dans de vastes campagnes d'information sur la santé mentale, parce que nous nous sommes rendu compte qu'on savait très peu au sujet des problèmes de santé mentale par rapport à l'épidémiologie, qui était très élevée. Ensuite, nous avons été très sensibilisés au fait que les stigmates liés à la santé mentale étaient également nombreux et que, par conséquent, ceux qui souffraient de troubles mentaux ne cherchaient même pas à obtenir des soins du système de santé.

La situation nous a causé de bien grands problèmes quand nous avons cherché à soutenir nos omnipraticiens, à examiner la santé mentale dans nos écoles et à adopter une approche beaucoup plus globale à l'égard de ce problème.

Vous m'avez demandé ce que nous aurions fait différemment. La constatation la plus importante que nous ayons faite au cours des dix dernières années est que, parce que nous sommes un ministère de la Santé, nous avons ciblé les aspects santé des soins de santé mentale. Par contre, nous sommes devenus beaucoup plus conscients qu'en l'absence d'un modèle de soins sociaux convenables axé sur tous les besoins des personnes ayant des troubles de santé mentale, on ne va pas très loin.

Nous avons effectivement réformé toute la prestation des services. Cependant, ce que nous n'avons pas réussi à très bien faire, c'est d'intervenir au niveau de l'emploi, du logement et des soins sociaux pour faire en sorte que ceux qui vivent avec une maladie mentale — je crois que c'est l'expression que nous utilisons actuellement puisque la personne ne guérira pas forcément — sont capables de le faire dans un contexte d'interaction sociale maximale et de participation à la vie sociale qui, comme telles, les aideront à demeurer stables et à se rétablir. Le traitement médical à lui seul n'est pas une réponse adéquate aux problèmes des personnes atteintes de troubles mentaux.

Voilà ce que je puis vous dire rapidement du cheminement que nous avons fait. Bref, nous avons constaté non seulement qu'il était important de se concentrer sur le système classique de santé mentale, les asiles et les troubles à taux élevé de prévalence, mais également qu'il fallait adopter une approche plus globale; ensuite, nous nous sommes rendu compte que nous n'avons pas suffisamment insisté sur l'aspect des soins sociaux, du revenu, de l'emploi et du logement et, à nouveau, je précise que le logement relève nettement de la compétence des États et des territoires. Dans notre troisième plan, auquel viennent tout juste de souscrire les ministres, nous commençons à insister sur le concept du rétablissement et du maintien des soins dans la communauté, beaucoup plus que nous l'aurions même envisagé, il y a dix ans environ.

Le président: Je vous remercie de cet aperçu. Nous aurons plusieurs questions à vous poser à son sujet.

Madame Hefford, avez-vous des observations à faire au sujet de votre stratégie? Vous la qualifiez de stratégie contre la drogue alors que je parlerais de toxicomanie. Pourriez-vous nous parler plus particulièrement de la manière dont s'articulent les liens entre la stratégie en matière de santé mentale et votre stratégie ou sont-ce, en fait, deux stratégies complètement distinctes?

Mme Jenny Hefford, secrétaire adjointe, Direction de la stratégie contre la drogue, ministère de la Santé et de la Vieillesse, gouvernement de l'Australie: Pour en parler en termes très généraux, l'Australie a ce que nous appelons une «stratégie nationale contre la drogue» depuis le milieu des années 80. Nous l'avons révisée et peaufinée au fil des ans, ce qui a été une expérience d'apprentissage à tous les niveaux, tant à notre niveau fédéral qu'au niveau des gouvernements d'État, sans oublier le niveau local de la prestation des services et des praticiens.

Dans la dernière version, il y a des choses que nous faisons assurément beaucoup mieux. Entre autres, il y a beaucoup plus de collaboration entre les secteurs et aux divers niveaux de gouvernement. Nous avons maintenant une stratégie dans laquelle le gouvernement fédéral a injecté un milliard de dollars au cours des cinq ou six dernières années. Elle englobe la santé, le maintien de l'ordre, l'éducation et les douanes au niveau fédéral, au niveau des États et au niveau local. Nous croyons mieux travailler en réalité à régler les problèmes grâce à cette approche transsectorielle et transdisciplinaire. Cela signifie, par exemple, que nous avons réussi à lancer des programmes de déjudiciarisation hâtive pour les jeunes qui se font prendre par les policiers en possession de cannabis ou de petites quantités d'autres drogues et auxquels on offre la possibilité de ne pas avoir de verdict enregistré contre eux à condition de se soumettre à une évaluation et à un traitement. Certaines de ces mesures ont connu beaucoup de succès. Ainsi, entre 30 000 et 40 000 jeunes ont été écartés du système judiciaire et ont reçu des traitements grâce à ce processus.

Cela étant dit, en dépit de l'efficacité dont nous qualifierions nos trois piliers actuels, qui sont une réduction de l'offre, une réduction de la demande et une réduction des effets néfastes et qui engagent la participation des diverses autorités tant au niveau fédéral que de l'État, la question dont vous discutez actuellement est une de celles au sujet desquelles il faudrait dire que nous avons été les moins efficaces. Je souscris à beaucoup de choses qu'a dites M. Casey, en ce sens qu'une personne sur quatre ayant un problème de toxicomanie continue d'avoir des troubles mentaux sous- jacents. En fait, jusqu'à 60 ou 70 p. 100 des clients des services de traitement de la toxicomanie et de l'alcoolisme ont un trouble mental sous-jacent ou non diagnostiqué.

Ce sont probablement ceux avec lesquels nous réussissons le moins, pour toutes les raisons que vous avez avancées, soit qu'ils tombent entre les mailles du filet, qu'ils ne sont ni soignés dans un milieu hospitalier ou psychiatrique, ni traités pour leur toxicomanie et alcoolisme. J'aurais quelques suggestions à faire quant à la façon d'examiner certaines de ces questions en fonction de l'expérience que nous avons vécue, mais je vais m'arrêter ici et voir dans quel sens vont vos questions.

Le président: Je vous remercie tous deux de vos propos, et nous aborderons dans quelques instants, madame Hefford, les sujets qui selon vous devraient nous intéresser.

Puis-je demander quelques petits éclaircissements? Madame Hefford, quand vous parlez de stratégie contre les drogues, y incluez-vous l'alcool? Vous ne l'avez pas précisé, de sorte que je me demande où au juste s'inscrit l'alcoolisme. Est-il intégré au système de santé, au système psychiatrique ou fait-il partie de la stratégie contre les drogues?

Mme Hefford: J'aurais quelques points à préciser à ce sujet. Si vous m'interrogez au sujet du problème en général et du coût des effets néfastes des drogues en Australie, notre plus grand problème est le tabagisme, ce qui est probablement parallèle à l'expérience canadienne. Le second grand problème est la mauvaise utilisation ou la consommation à des fins inappropriées de produits pharmaceutiques, suivie de la consommation d'alcool et la polytoxicomanie. La consommation de plusieurs drogues à la fois est en train de s'imposer comme le plus grand problème chez nous, ce qui coïncide probablement également avec votre expérience. Chaque héroïnomane consomme également des Benzos. De plus, il a toujours consommé de l'alcool. La plupart des services de traitement de la toxicomanie et de l'alcoolisme — et nous finançons des services qui traitent également des problèmes de toxicomanie liés aux drogues licites et illicites — affirmeraient tous que le scénario le plus courant est le client qui se présente et prétend avoir un problème de consommation d'une drogue particulière, mais un problème secondaire est presque toujours l'alcool.

Nous finançons de la même manière les services qui traitent ces problèmes et ne faisons pas de discrimination dans le financement que nous accordons aux services de traitement qu'il s'agisse d'alcool ou d'autres types de substances. Nous finançons simplement le secteur IOD, le secteur du traitement de l'abus de l'alcool et des autres toxicomanies, pour faire face aux problèmes de toxicomanie des clients qui se présentent.

Est-ce que cela répond à votre question?

Le président: Si je comprends bien, et c'est une bonne chose, vous avez une interprétation ou une définition très large des drogues dans ce sens qu'elle comprend l'alcool, les médicaments mal utilisés et le tabac. Est-ce exact?

Mme Hefford: C'est exact.

Le président: Vous en êtes maintenant à votre troisième plan quinquennal, du fait qu'il s'agit de votre troisième stratégie?

M. Casey: Oui. Nous disons une stratégie, trois plans. Nous en sommes à la troisième période de cinq ans. Les ministres ont récemment accepté un autre plan de cinq ans. Chacun bâtit sur les acquis du précédent. Nous nous dirigeons maintenant vers ce qui deviendra un jour un engagement de 15 ans. Mais cela demeure sous l'égide de la Stratégie nationale en matière de santé mentale.

Le président: Je crois comprendre à partir de ce que vous avez dit que vous mettez l'accent de plus en plus sur la prestation des services. Vous reconnaissez que vous devez aller au-delà de la définition étroite de «maladie mentale». Vous l'avez étendue pour qu'elle englobe la personne tout entière, la prestation des services sociaux aussi bien que la prestation des soins de santé.

Ai-je raison? Depuis 1992, au cours des 12 dernières années, il y a eu l'élaboration d'un concept plus large de maladie mentale et, par conséquent, d'un ensemble plus étendu d'outils pour faire face à ce problème?

M. Casey: Oui, ce que vous dites est fondamentalement exact. Cela résume le tout. La coordination nationale est maintenant devenue beaucoup plus importante pour nous, non seulement dans notre rôle comme gouvernement national, mais également pour apporter notre aide aux États et aux territoires. C'est devenu beaucoup plus pertinent dans le cas de certains objectifs plus larges que le gouvernement fédéral cherche à réaliser.

Un exemple de cela serait que par l'intermédiaire de nos études épidémiologiques, nous avons été en mesure d'examiner une sous-population, à savoir les personnes qui reçoivent une aide gouvernementale par le biais de pensions, de prestations d'emploi, et cetera. Les taux de prévalence des problèmes de santé mentale au sein de cette sous-population sont beaucoup plus élevés que dans la population générale. Dans le cas des prestataires de l'aide sociale uniparentaux, nous avons des taux de prévalence, dans le cas de la dépression et de l'anxiété, de 40 p. 100, alors que dans la population générale, ce taux de prévalence n'est que le cinquième de ce chiffre.

Cette information devient importante pour le gouvernement lorsque nous essayons d'accroître la participation sociale et la réintégration au marché du travail chez les gens qui reçoivent des prestations d'aide sociale. Lorsque le Trésor présente des données sur les projections démographiques et le rapport de dépendance pour une population vieillissante, cela devient une question politique pertinente pour notre portefeuille de la sécurité sociale. Cela devient une question politique pertinente pour notre portefeuille de l'emploi et des relations de travail.

Dans ce sens, cela devient plus pertinent pour les objectifs fédéraux, plutôt que de voir le gouvernement national simplement essayer d'aider les États et les territoires à gérer les services de santé de manière plus efficace. Cela devient davantage un sujet d'intérêt global pour le gouvernement plutôt qu'un sujet d'intérêt simplement du point de vue des soins de santé.

Le président: Je suis fasciné par la quantité des données que vous avez. Qui finance ces études épidémiologiques? Je peux me tromper, mais je ne crois pas que nous ayons ces données au Canada.

M. Casey: Je ne crois pas que vous ayez réalisé une étude épidémiologique nationale. Le gouvernement fédéral a décidé d'entreprendre notre étude épidémiologique en 1995. Nous avions l'information épidémiologique américaine. Pour dire franchement, nos données ne sont pas tellement différentes de celles des Américains ou de celles de n'importe quel autre pays. Cependant, si elles ne sont pas australiennes, elles n'ont pas de pertinence pour l'élaboration des politiques.

Nous avons réalisé trois études en 1997. Nous avons effectué une étude à domicile en Australie. Nos données statistiques sont tirées de 10 600 entrevues. C'est là que nous avons obtenu notre information sur la population adulte. Nous avons effectué une étude semblable pour les enfants et pour les adolescents. Nous nous sommes rendus dans 3 500 foyers pour interroger les parents et les enfants pour mieux savoir quelle était la situation pour les personnes ayant des maladies à faible prévalence, comme la schizophrénie. Nous avons financé des études dans trois bassins de population dans le pays, principalement en milieu urbain, mais nous avons également inclus certaines des périphéries. Ces études de bassins de population ont permis d'identifier toutes les personnes de la région connues par les agences comme ayant des problèmes de santé mentale et nous avons tenté d'interroger ces personnes.

Nous avons une excellente base de données épidémiologiques. Cela nous a coûté 5 millions de dollars australiens entre 1996 et 1998. Nous avons estimé qu'il s'agissait là d'un très bon investissement. Sans ces données, nous ne serions pas maintenant en mesure de faire face à certaines des questions politiques et nous n'aurions pas une bonne compréhension de la situation.

Lorsque nous avons obtenu ces données, nous les avons rendues publiques en utilisant le slogan: «Un sur cinq». Ce fut notre slogan pendant cinq ans. Le but était de sensibiliser davantage le public et le milieu politique à l'importance des problèmes de santé mentale pour la communauté et c'est à partir de cela que nous avons pu élaborer certains de nos programmes et de nos stratégies politiques.

L'épidémiologie a joué un rôle essentiel pour rassembler la communauté et les ressources en main-d'oeuvre autour d'une compréhension commune du problème tel qu'il était vécu en Australie.

Le président: Merci de ces observations. Nous devrons nous assurer que nous obtenons ce genre de données au Canada, parce qu'elles n'existent pas.

Je vais donner la parole à notre vice-présidente, le sénateur LeBreton, qui, curieusement, parmi ses activités hors Sénat, est présidente nationale d'un organisme appelé «Les mères contre l'alcool au volant». Elle s'intéresse depuis longtemps à la question des toxicomanies. Je suis enchanté de pouvoir compter sur elle comme vice-présidente du comité.

Le sénateur LeBreton: Les questions du président ont bien préparé le terrain pour celles que je veux vous poser. Vous avez parlé d'une campagne de sensibilisation à la maladie mentale. Un des problèmes que nous avons évidemment rencontrés dans nos premières études est la stigmatisation.

La dépression est l'un des grands problèmes. Il y a beaucoup de personnes qui vont hésiter à dire qu'un membre de leur famille, ou elle-même, souffre d'une maladie mentale à cause de la stigmatisation.

Je suis curieuse de savoir comment a fonctionné la campagne de sensibilisation à la maladie mentale. A-t-elle été un succès parce que vous avez utilisé ces données? Qui l'a financée et combien de temps a-t-elle duré? Avez-vous de la rétroaction immédiate sur la façon dont cette campagne et la question de comprendre la maladie mentale ont fait leur chemin dans la population? De plus, est-ce que la population a accepté la campagne et vous a-t-elle permis de recueillir plus d'information?

M. Casey: Laissez-moi répondre, sénateur, en disant qu'au milieu des années 90, nous avons entrepris une campagne de publicité majeure à financement double à la télévision, au cinéma et dans les journaux. Son seul objectif était de rendre les gens conscients de l'existence des problèmes de santé mentale.

Nous cherchions véritablement à susciter une attitude beaucoup plus positive et je crois que le slogan dans la publicité télévisée disait quelque chose dans le genre: «Dans quelle mesure vont-ils souffrir? Cela dépend de vous.» Il y avait un certain nombre de scénarios dans lesquels nous mettions en parallèle la façon dont nous réagissons aux personnes atteintes d'une maladie physique et la façon dont nous réagissons aux personnes atteintes d'une maladie mentale.

Bien que nous n'ayons pas constaté de changement majeur dans les attitudes de la population face aux problèmes de santé mentale, même aujourd'hui, les gens se souviennent de la campagne publicitaire, alors elle a touché les esprits à certaines égards.

Cependant, par la suite, nous avons commencé à cibler beaucoup plus nos interventions. Nous avons produit un assez grand nombre de dépliants d'information, qui ont été distribués dans les pharmacies, les organismes communautaires et je ne sais quoi encore, et nous en avons probablement distribué environ deux millions au cours d'une période de deux ans. Nous avons un programme de promotion de la santé mentale dans nos écoles secondaires et près de 70 p. 100 d'entre elles utilisent ce programme. Et nous avons quelque 2 000 écoles secondaires.

Cette mesure vise en réalité à changer la façon dont les jeunes gens font connaissance avec cette réalité et font l'expérience de la maladie mentale. Cela leur est enseigné dans le cadre de leur formation scolaire et il s'agit d'une stratégie qui est fortement axée sur la prochaine génération.

Nous avons créé une entreprise, financée par le gouvernement, appelée «beyondblue». Il s'agit d'une entreprise privée sans but lucratif dont la mission est de promouvoir une meilleure compréhension de la dépression. Elle finance un certain nombre de programmes, dont une étude majeure qui est en cours sur la dépression postnatale et nous envisageons la possibilité d'ajouter des programmes de dépistage de cette dernière dans notre système de soins de santé. Elle est très présente dans les médias et est devenue l'incarnation du message en matière de santé mentale.

Nous avons le Conseil national de santé mentale qui réunit tous les intervenants dans le domaine de la santé mentale dans un même organisme financé par le gouvernement fédéral et qui a pour objectif de parler au gouvernement fédéral au nom de la communauté active dans le domaine de la santé mentale. Les consommateurs, leurs familles, les politiciens, les organismes non gouvernementaux, nous avons un organisme pour tous ces gens-là.

Je pense qu'il s'agit d'une réalisation majeure, parce qu'une des difficultés auxquelles est confronté le gouvernement, c'est de se faire dire des choses différentes par différentes personnes. Alors, lorsqu'il prend une décision, il rend certaines personnes malheureuses; mais nous les avons réunies ensemble et leur avons dit de nous parler d'une voix unique. Cela a très bien fonctionné et, encore une fois, cet organisme est devenu un important porte-parole pour ces questions.

Il y a eu un certain nombre d'éléments plutôt qu'une seule stratégie. Les données récentes indiquent que nous avons amélioré la sensibilisation de la population australienne à l'égard de la maladie mentale d'environ 10 p. 100 depuis 1996. Ces données seront publiées bientôt et ont été recueillies par une étude de suivi réalisée par l'Université Nationale australienne. Nous faisons tout juste commencer à recevoir leurs données, qui montrent que cela fait une différence dans la façon dont le public reconnaît et comprend les gens ayant un problème de maladie mentale et dans la façon dont elles réagissent à ces personnes.

Dans la collectivité australienne, 60 p. 100 des personnes interrogées disent connaître quelqu'un au travail, à la maison, un membre de la famille ou un parent dont ils pensent qu'il a un problème de santé mentale. Leur perception du problème est là. Leur crainte à l'idée d'en faire partie, la stigmatisation, est toujours présente. Cependant, en suivant ce qui se passe dans les médias, nous sommes en mesure de voir l'effet des histoires positives.

Nous avons également une stratégie nationale des médias, dans le cadre de laquelle nous travaillons directement avec les médias pour promouvoir des messages plus positifs à l'égard de la santé mentale et de la prévention du suicide. Cette stratégie fonctionne dans les écoles de journalisme et dans les universités, où nous apprenons aux journalistes la façon d'aborder ces problèmes dans un reportage, d'une manière qui n'entraîne pas de stigmatisation.

Il y a eu une stratégie de financement majeure de la part du gouvernement fédéral, parce que nous pensons qu'il s'agit de notre responsabilité. Cela concerne la population dans son ensemble, contrairement à la prestation des services que nous considérons comme la responsabilité des États et des territoires.

Le sénateur LeBreton: Ai-je raison de supposer qu'une bonne part de tout cela a porté sur la question de la stigmatisation? Si les gens n'ont pas à vivre dans la crainte de la stigmatisation et s'ils traitent la maladie mentale comme n'importe quelle autre maladie, est-il exact de dire qu'avec ces campagnes, on a franchi un grand pas?

M. Casey: Je pense que l'on en a franchi un certain pas. Nous n'avons pas de données comparatives avec d'autres stratégies pour déterminer si une amélioration de 10 p. 100 constitue un bon ou un mauvais résultat. Nous n'avons vu personne d'autre traiter de cette question et faire un suivi pendant une période de temps.

Ce que nous pouvons dire, c'est que nos données sur les prises de contact avec les hôpitaux et sur des prises de contact avec les services de santé révèlent que la proportion de la population qui cherche à obtenir des soins est plus grande qu'au moment où nous avons réalisé notre étude épidémiologique. Nous pourrions en conclure qu'au moins les gens sont maintenant plus prêts à chercher un traitement — et, évidemment, il y a de nombreux traitements efficaces.

Nous savons également que nous n'en savons pas suffisamment sur le traitement de toutes les maladies. Un des inconvénients, c'est que les gens cherchent à se faire traiter — et c'est particulièrement vrai dans les cas où vous avez un problème de santé mentale combiné à des problèmes de toxicomanie —, mais nous n'avons pas encore les stratégies pour obtenir de bons résultats, nécessairement, de ces traitements. Nous travaillons toujours à essayer de comprendre quelle est la meilleure façon de traiter les gens qui se présentent avec des états de comorbidité.

Il ne fait aucun doute que nous voyons plus de gens chercher à se faire traiter. Nous interprétons ce résultat comme signifiant que les gens estiment qu'ils sont moins stigmatisés. L'inconvénient, c'est que cela exerce une certaine pression sur notre système de santé, parce que les préparations dans le domaine de la santé mentale, le contenu en santé mentale, augmentent sans cesse par rapport à l'ensemble des services de santé, comparativement à des états comparables. Par conséquent, nous commençons à voir poindre dans nos données une demande importante.

Le sénateur LeBreton: J'ai été très touchée par l'affirmation de Mme Hefford qui disait que 30 000 à 40 000 jeunes — et je suis particulièrement intéressée à cette question en raison de mon travail avec Les mères contre l'alcool au volant — ont échappé au système judiciaire pour se retrouver plutôt dans le système de soins de santé. Comment cela est-il arrivé? Est-ce que vous les avez attrapés avant qu'ils soient rendus dans le système judiciaire ou étaient-ils déjà dans ce système et vous les en avez retirés avant qu'ils ne deviennent des résidents à vie de ce système?

Mme Hefford: Il a fallu quelques années et la situation a été tributaire en grande partie d'un changement d'attitude fondamental chez les policiers. Ce que nous avons maintenant, ce sont des policiers sur le terrain dont la position de départ n'est pas de savoir comment ils peuvent arrêter cette personne, mais comment ils peuvent empêcher cette personne de se retrouver de nouveau dans une telle situation?

Cela signifie que les jeunes qui ont en leur possession du cannabis, de la marijuana, par exemple, sont amenés au poste local où on leur explique les choix qui s'offrent à eux — ils peuvent être détenus jusqu'à ce qu'un magistrat se penche sur leur cas le matin suivant et ainsi s'exposer à la possibilité d'être accusés d'un délit criminel, ou ils peuvent accepter de se soumettre à une séance de consultation et d'évaluation et à un traitement si l'évaluation détermine que c'est nécessaire.

La grande majorité des jeunes, surtout ceux qui en sont à leur première offense, choisissent la voie de la consultation-évaluation-traitement. Évidemment, nous devons prévoir certaines mesures de sorte que si le jeune ne se présente pas à la séance de consultation, il renonce de ce fait à la possibilité d'emprunter cette voie. Le jeune est alors dirigé vers l'autre voie, c'est-à-dire celle du système judiciaire. Cependant, cette approche a connu beaucoup de succès.

Comme je l'ai dit, il a fallu un changement d'attitude chez les policiers. Il faut également avoir des conseillers, des services d'évaluation et des services de traitements accessibles partout au pays. Il ne sert à rien d'offrir cette possibilité à des jeunes pour se faire dire qu'il n'y a pas de capacité dans le centre régional pour offrir ce service. Il a fallu améliorer les services dans ces endroits.

Il est juste de dire qu'au début les policiers et le système judiciaire nourrissaient certaines réticences à l'égard de ce système. Aujourd'hui, ils considèrent que c'est très avantageux parce qu'ils peuvent consacrer le plus clair de leur temps sur les cas vraiment difficiles, les véritables criminels, plutôt que de perdre du temps avec des délinquants primaires âgés de 14 ou 15 ans qui font l'école buissonnière et qui se font prendre avec une petite quantité de marijuana dans les poches.

Pour nous, il y a certains autres avantages. Nous avons maintenant, pour la première fois de notre histoire je pense, une tendance à la baisse dans l'incidence de l'hépatite C. Depuis de nombreuses années, l'hépatite C constitue un problème dans les prisons australiennes et nous savons que les gens qui vont en prison finiront souvent par quitter le système correctionnel avec un problème lié aux drogues encore plus grave, avec en prime, certains virus transmissibles par le sang. Nous avons enregistré une tendance à la baisse dans les données sur l'incidence du VIH/sida depuis environ huit ans. Maintenant, depuis quelques années, nous voyons une tendance à la baisse dans le cas de l'hépatite C, ce qui, à notre avis, représente une percée majeure.

Le sénateur LeBreton: Ma dernière question porte sur la réorientation des jeunes. Y a-t-il un mécanisme dans votre système d'éducation qui permet d'informer les jeunes de la disponibilité de ces programmes, si jamais ils se retrouvaient dans cette situation?

Mme Hefford: Il n'y a pas de réponse simple à cette question. Les trois piliers de la stratégie que nous utilisons sont la réduction de l'offre, c'est-à-dire la surveillance des frontières et la fermeture des laboratoires clandestins, et cetera, éliminer le produit de la rue; la réduction de la demande, qui consiste à sensibiliser les jeunes aux drogues dans les écoles et qui comprend les campagnes gouvernementales pour réduire la demande; et la réduction des préjudices, qui concerne les services de traitements et les programmes d'orientation pour les jeunes. J'aimerais pouvoir vous dire que ces trois piliers signifient que les jeunes sont au courant des dangers. Cependant, la réalité, c'est que pour une certaine proportion des jeunes, les programmes de sensibilisation aux drogues dans les écoles sont inefficaces, en partie parce qu'ils souffrent d'un traumatisme non diagnostiqué ou qu'ils ont des antécédents d'abus, ce qui signifie que leurs expériences de vie ne sont pas touchées par ces programmes d'éducation.

Il s'agit d'un véritable problème pour nous. Mais nous semblons maintenant, dans le cadre de cette discussion, quitter la question de la situation dans laquelle se trouvait l'Australie et la question de nos données pour parler plutôt de ce que nous aimerions changer en termes de politiques si nous en avions la capacité. Je peux en parler maintenant ou je peux attendre que vous soyez prêts à aborder cette partie de la discussion.

Le sénateur LeBreton: C'est très bien.

Le président: Vous êtes déjà rendu là, à savoir là où vous iriez par opposition à là où vous étiez, alors pourquoi ne pas continuer.

Mme Hefford: Très bien. Le problème pour nous, comme je le disais, ce sont les traumatismes non diagnostiqués, non traités chez les jeunes ou les abus commis envers les jeunes. Nous savons que ce sont là des situations qui prédisposent les jeunes à se retrouver dans la rue ou à avoir des problèmes de toxicomanie ou des problèmes de consommation d'alcool ou de drogues liés à un problème de santé mentale.

Quant à savoir où je voudrais aller, je pense qu'il y a un certain nombre de points. L'un d'entre eux, c'est d'examiner très attentivement les interventions antérieures. Cela ne signifie pas seulement les interventions précoces de la part du système de soins de santé. Vous devez d'une manière quelconque obtenir l'appui des policiers, des conseillers scolaires et d'autres personnes qui pourraient voir des choses qui sont des indicateurs de traumatismes futurs. Les policiers doivent intervenir dans des accidents de la route où un membre de la famille peut être gravement blessé ou même tué. Si des jeunes sont témoins de ces événements et qu'on ne les dirige pas vers des séances de consultation et de soutien, on peut alors s'attendre que dans quelques années ces jeunes seront des adolescents porteurs d'un traumatisme non diagnostiqué dans des familles dysfonctionnelles. Les conseillers scolaires peuvent savoir si les jeunes font l'école buissonnière et déceler d'autres problèmes de comportement. Il s'agit de trouver des façons de lier ces problèmes courants, de tous les jours, et d'avoir ces interventions précoces disponibles de sorte que les jeunes qui vivent ces expériences sont repérés à un stade précoce comme des gens que le système doit surveiller, qui ont besoin d'avoir accès à plus de soutien et à plus de soins.

L'autre élément, c'est que nous devons être conscients du fait que nous avons des familles dysfonctionnelles. La famille n'est pas toujours l'endroit où un jeune peut obtenir le meilleur soutien et le plus d'aide. Par ailleurs, on peut aider certaines familles dysfonctionnelles et on peut aider les jeunes en accordant plus de soutien à ces familles. M. Casey a parlé de la nécessité d'un conseil national de santé mentale comme nous en avons un en Australie. Nous devons accepter l'idée que la défense du consommateur est aussi importante dans le domaine de la consommation d'alcool et d'autres drogues que dans n'importe quel autre domaine. Ce n'est pas quelque chose que nous avons bien réussi à faire dans ce pays, mais je pense que nous pourrions changer cela.

Nous avons assisté à la montée d'un mouvement visant à appuyer les aidants au cours des dix dernières années. Les aidants sont des personnes qui viennent en aide à d'autres personnes qui ont une santé fragile, qui sont âgées ou qui ont une incapacité. Nous avons vu en Australie une augmentation énorme du travail de défense, de soutien et de compréhension à l'égard des aidants qui s'occupent d'un membre de leur famille qui a une santé fragile ou qui est âgé et qui, autrement, serait hospitalisé ou se retrouverait dans un centre d'hébergement et de soins de longue durée.

Nous fournissons beaucoup de soutien et beaucoup de compréhension communautaire et de reconnaissance pour ce que ces gens font. Nous devons penser à la façon dont nous pourrions habiliter les groupes de défense en ce qui a trait à l'abus d'alcool ou d'autres drogues. Il y a des parents et des grands-parents, même des enfants, qui en partie, aident ou tentent de soutenir quelqu'un qui a un problème de toxicomanie. Nous ne reconnaissons pas ces gens et nous n'avons pas d'aide ciblée pour eux. Nous n'avons pas un rôle de défense reconnu ou un rôle de lobbying pour eux. Nous devons peut-être essayer de faire un peu de cela, de sensibiliser davantage le public à ces questions et d'aider à les affranchir de la catégorie des stigmatisés à laquelle ils appartiennent toujours.

Il ne fait pas de doute que les personnes qui ont un problème de consommation d'alcool ou d'autres drogues en Australie pratiquent souvent l'automédication parce qu'elles ont un problème de santé mentale, mais également parce qu'elles font face à la stigmatisation liée à leur dépendance. Nous savons que certains omnipraticiens n'aiment pas particulièrement voir ces gens dans leur salle d'attente. Nous savons que certains pharmaciens n'aiment pas que ces gens viennent pour leur traitement à la méthadone ou à la buprénorphine, ou même pour chercher des aiguilles propres. Nous savons qu'il y a de nombreux obstacles qui bloquent l'accès aux soins, au traitement et à l'aide, et nous devons trouver des façons d'en surmonter quelques-uns.

Je pourrais m'arrêter ici, parce que je pense en avoir dit suffisamment.

J'aimerais faire un parallèle avec ce que M. Casey disait au sujet des données. Nous avons actuellement une enquête- ménage nationale sur les drogues. Tous les trois ans, nous faisons un recensement de 27 000 foyers et nous recueillons des données sur la prévalence de la consommation de tous les types de drogues. Nous utilisons ces données pour cibler les traitements et déterminer où des services sont nécessaires. C'est un outil très précieux. Je ne peux insister suffisamment pour vous dire dans quelle mesure les données sont précieuses pour écarter certains mythes et pour vous aider à cibler, géographiquement et régionalement, le bon service et le bon cadre pour traiter le problème réel.

Le président: Merci. Nous sommes parfaitement d'accord avec vous sur les données. Je suppose que vos données sont recueillies par un organisme équivalent à notre ministère appelé Statistique Canada. S'agit-il du gouvernement?

M. Casey: C'est exact.

Le président: Je veux revenir sur la question des coûts. Laissez-moi donner la parole à mon collègue, le sénateur Morin, qui, dans une vie antérieure, était doyen de l'une des plus grandes facultés de médecine au pays.

Le sénateur Morin: J'aimerais faire allusion à une étude internationale récente réalisée par un groupe d'experts qui affirme que l'Australie est à l'avant-garde dans le monde pour ce qui est, entre autres choses, de la prévention de la maladie mentale. Je sais qu'on a fait allusion à cette question plus tôt, mais quelles mesures précises avez-vous pour la prévention de la maladie mentale et avez-vous des indications qu'elles sont véritablement efficaces?

M. Casey: Je ne suis pas sûr de savoir de quelle publication il s'agit. Je pense qu'une des difficultés, c'est que les gens confondent souvent les mots «promotion» et «prévention». Je ne dirai pas que nous avons trouvé des façons de prévenir l'apparition de la maladie. Ce sur quoi nous travaillons présentement, c'est sur la façon dont nous pourrions prévenir les rechutes épisodiques.

Nous avons fait beaucoup de travail dans le domaine des services d'évaluation précoce de la psychose, mais je ne pense pas que personne d'entre nous en sache suffisamment au sujet de la maladie mentale pour savoir si nous pouvons spécifiquement en prévenir l'apparition.

Ceci dit, nous entreprenons actuellement, par le biais de notre initiative nationale sur la dépression, appelée «beyondblue», une étude de grande envergure dans les écoles pour déterminer si des interventions psychosociales spécifiques en classe peuvent prévenir l'apparition de la dépression et de l'anxiété chez les adolescents. L'intervention expérimentale ne sera pas terminée avant encore deux ans. Il s'agit d'une tentative précise pour voir, dans une expérience randomisée et contrôlée, si en fait, nous pouvons changer les taux de prévalence et d'incidence de la dépression et de l'anxiété dans une population d'adolescents, par comparaison avec ce que nous pouvons prévoir à partir de nos données épidémiologiques.

Je pense que nous avons fait la promotion d'une bien meilleure compréhension de la maladie mentale. Nous avons certainement restructuré et amélioré notre système de soins de santé et, dans une moindre mesure, intégré cela dans d'autres domaines de la politique sociale et sanitaire, y compris les forces policières. Et dans ce sens, si cette façon d'agir a permis d'empêcher les gens de développer une maladie mentale ou a facilité l'intervention précoce, alors je pense que nous avons fait quelque chose, mais nous n'avons rien de précis — et je ne connais personne qui en a; et si c'était le cas, j'aimerais bien le savoir — qui pourrait prévenir l'apparition des maladies.

Le sénateur Morin: Merci beaucoup. Ma deuxième question porte sur les services de santé mentale du secteur privé. Au Canada, nous n'avons pas du tout de secteur privé en ce qui a trait aux médecins et aux hôpitaux. J'ai été étonné de voir, si les chiffres que j'ai ici sont exacts, que 50 à 60 p. 100 des personnes vues par un spécialiste en santé mentale le sont dans le secteur privé. Pour nous, c'est quelque chose de tout à fait inédit.

Quelles sont vos impressions concernant les services de santé privés? Si vous deviez recommencer, est-ce que vous garderiez le secteur privé? Pensez-vous qu'il y a des avantages au fait qu'il soit présent? Pensez-vous qu'il y a des inconvénients? Quelles sont vos impressions sur la qualité des soins et sur l'accessibilité des soins de santé dispensés par le secteur privé?

M. Casey: C'est une question très vaste. Je vais essayer de la subdiviser.

Lorsque nous parlons du secteur privé en Australie, c'est probablement un euphémisme. Le secteur public représente les services financés et gérés directement par les gouvernements des États et des territoires, comme les hôpitaux et les services de santé communautaire, — qui sont historiquement responsables devant la Constitution de la prestation des soins de santé. Lorsque nous parlons du secteur privé, nous parlons des services qui sont subventionnés par le biais de notre régime d'assurance maladie. En fait, le gouvernement paie 60 p. 100 des coûts de ces services par l'intermédiaire du financement du régime d'assurance maladie.

Les services privés, dans notre cas, comprendraient les omnipraticiens, parce qu'ils sont payés par le biais du régime d'assurance maladie, ou un psychiatre en pratique privée. Environ 83 p. 100 des psychiatres en Australie ont des pratiques privées et ne travaillent pas dans le système de santé mentale de l'État.

Nous parlons également des hôpitaux privés, qui sont accessibles aux gens qui ont une assurance maladie privée. En Australie, tout le monde est couvert par le régime d'assurance maladie. De plus, environ 40 p. 100 de la population possède une assurance maladie privée. Cette assurance maladie privée donne accès à des installations de santé privées, et cela comprend des services de santé mentale.

Les compagnies d'assurance aimeraient se débarrasser des soins psychiatriques dans la gamme des services pour lesquels elles doivent payer, et elles ont tenté de le faire dans le passé. Le problème avec les soins de santé mentale, c'est qu'on sait si peu de chose du point de vue de l'évaluation du risque, à quel niveau il doit se situer, quel devrait être le taux de réussite, et ce à quoi elles doivent s'attendre en termes de soins permanents. Si vous vous fracturez le bras, on le répare et votre vie reprend son cours normal. Si vous ne faites pas une nouvelle chute, votre bras devrait bien se porter. Dans le cas d'un problème de santé mentale ou d'un problème psychiatrique, ce n'est pas quelque chose qui est facile à préciser, du point de vue de la connaissance du problème.

Notre secteur privé est un mélange. Jusqu'à maintenant, les psychiatres privés avaient fortement tendance à jouer un rôle de traitement primaire. Nous aimerions les amener à se voir non pas comme des personnes qui traitent des gens atteints d'une maladie psychiatrique et mentale, mais comme des personnes, qui, en raison de leur haut degré d'expertise, agissent comme des consultants auprès des autres. De la même manière que les médecins conseils, par rapport à la santé physique, constituent une source de soutien et d'évaluation pour les omnipraticiens, nous aimerions amener nos psychiatres privés à jouer ce rôle beaucoup plus, et nous examinons à l'heure actuelle nos stratégies de financement pour les encourager à consacrer plus de temps à agir comme psychiatre conseil plutôt qu'à traiter la maladie psychiatrique.

Pour nos omnipraticiens, une autre partie de notre système privé, le gouvernement fédéral a instauré un programme il y a trois ans qui est conçu expressément pour les récompenser financièrement de consacrer plus de temps aux gens atteints d'une maladie mentale. Ils ont la possibilité de faire intervenir des psychologues comme membres essentiels de l'équipe de traitement de la maladie mentale et cela améliore leur formation et leurs connaissances et leur assure des services de consultation d'urgence de manière qu'ils ne se sentent pas seuls pour régler le problème lorsqu'ils acceptent de s'occuper des problèmes de santé mentale de leurs patients. On nous a dit que si vous êtes omnipraticien et que quelqu'un se présente à votre cabinet et que vous pensez que cette personne a un problème de santé mentale, vous restez silencieux, parce que si vous ouvrez le dialogue, vous serez encore là vingt ou trente minutes plus tard et, évidemment, le paiement à l'acte est le mode de traitement en vigueur. Nous les avons encouragés en leur disant que si cela prend vingt minutes, nous allons les payer davantage pour avoir consacré ce temps aux malades. À l'heure actuelle, environ 15 p. 100 de notre main-d'oeuvre d'omnipraticien s'est inscrite à ce programme. Nous disposons donc de 3 500 omnipraticiens qui participent à ce programme et qui se reconnaissent comme des gens qui peuvent offrir un peu plus de soins en santé mentale et des soins un peu meilleurs. Il s'agit d'un nouveau programme.

Les hôpitaux privés devront probablement opérer une certaine réorganisation, au bout du compte, étant donné leur capacité de traitement et le désir de plus en plus fréquemment exprimé par les consommateurs d'être traités à la maison et non pas dans un hôpital psychiatrique, diminuant ainsi la demande de lits d'hôpitaux privés pour des soins psychiatriques. Nous encourageons les fournisseurs privés à commencer à réorienter leur structure de service vers les soins communautaires, tout en continuant de dispenser des soins psychiatriques grâce aux primes d'assurance que les gens choisissent de payer. Parfois, la réglementation gouvernementale du secteur de l'assurance fait obstacle à des soins de qualité. Nous essayons de revoir le règlement pour nous assurer que les patients continuent de recevoir une protection correspondant à leurs primes, tout en permettant aux fournisseurs une plus grande souplesse quant aux soins qu'ils dispensent et en évitant de les forcer à ne fournir que des soins en établissement, créant ainsi un obstacle à la qualité des soins communautaires.

Notre secteur privé est très compliqué, mais il traite une assez grande proportion de la population, et le secteur privé dans son ensemble, psychiatres, médecins de famille et hôpitaux privés, est devenu partie intégrante de la stratégie nationale en matière de santé mentale. Ce n'est pas seulement une stratégie du secteur public. Nous avons obtenu l'adhésion du secteur privé. En un sens, quiconque veut s'occuper de santé mentale dans notre pays doit adhérer au club et être perçu comme partie intégrante de la stratégie, faute de quoi il se retrouve sur la touche quant aux grandes décisions politiques prises à l'échelle nationale.

Je dois dire, en toute honnêteté, que les psychiatres privés ont été les plus décevants à cet égard, non pas à cause d'un manque de bonne volonté de la part de leurs dirigeants, mais parce qu'ils ne semblent pas capables de détourner les yeux du divan de consultation assez longtemps pour comprendre ce qui se passe dans le monde. Nous continuons à travailler avec eux.

Nous pensons que le secteur privé fait partie intégrante de notre régime de soins de santé. La politique du gouvernement est telle que les gens ont le choix quant à l'endroit où ils reçoivent leurs soins de santé. Dans certains États et territoires, un patient visé par la réglementation ou hospitalisé de force en soins psychiatriques peut se faire soigner dans un hôpital privé. Ce n'est pas le cas dans tout le pays, mais nous encourageons tous les États et territoires dans cette voie. Les gens qui ont payé un régime d'assurance privé et qui doivent être admis à l'hôpital psychiatrique, même sous le coup de la loi, ont quand même le droit de recevoir les traitements pour lesquels ils ont payé leurs primes d'assurance. Nous essayons d'encourager tous les États et les territoires à avoir des établissements privés, car la politique du gouvernement est d'avoir un seul système, mais de multiples choix. J'espère que cela répond à certaines de vos questions.

Le sénateur Morin: Absolument.

Le président: C'était une réponse extraordinairement complète. Si vous essayez de convaincre les psychiatres de s'occuper moins de soins primaires et d'agir davantage comme consultants, cela veut-il dire qu'à vos yeux, ce sont surtout les médecins généralistes qui doivent fournir les services de counselling? Est-ce que votre programme financé publiquement paie en tout ou en partie le coût des services de counselling dispensés par exemple par un psychologue clinicien, surtout des travailleurs sociaux ayant une formation spéciale ou d'autres personnes qui ont une formation dans ce domaine sans être médecin?

M. Casey: Historiquement, notre régime d'assurance-maladie remboursait seulement les services médicaux. Le dispensateur devait être médecin. De plus en plus, on reconnaît que les dispensateurs de soins de santé ne doivent pas nécessairement être tous médecins. Dans une récente initiative, autant dans le cadre de notre régime d'assurance- maladie que d'autres programmes axés sur un plus grand éventail de choix pour de meilleurs résultats, le gouvernement commence à donner de l'argent pour l'achat de services non médicaux dans le cadre d'une approche primaire multidisciplinaire des soins de santé. C'est une politique émergente. Le gouvernement a mis le doigt dans l'engrenage et a commencé à financer certains soins de santé connexes dans le cadre de notre régime d'assurance-maladie. Je pense que cela va aller en augmentant. À l'heure actuelle, il y a un obstacle à notre approche des soins primaires dans la santé mentale. L'un des traitements les plus efficaces, surtout pour les troubles les plus courants, serait un mélange de pharmacologie et de psychothérapie, de thérapie cognitivo-comportementale et d'autres thérapies. Nous avons une subvention gouvernementale pour la pharmacologie et nous augmentons actuellement la subvention gouvernementale pour le counselling, la psychothérapie et la thérapie cognitivo-comportementale. Nous nous orientons dans cette voie. Nous commençons à faire appel à notre effectif de psychologues dans le cadre d'un régime multidisciplinaire des soins de santé. C'est un élément de notre nouvelle approche et c'est pourquoi nous avons demandé à nos psychiatres d'agir davantage comme consultants dans le domaine des soins primaires parce que nous estimons que c'est dans ce cadre que beaucoup de problèmes de santé mentale peuvent être résolus.

Le président: J'ai deux observations. Les soins primaires, de votre point de vue, sont essentiellement le point d'entrée du régime, ce qui n'était pas le cas historiquement. Est-ce bien cela? C'est maintenant le principal point d'entrée.

M. Casey: C'est l'orientation que nous essayons de prendre.

Le président: Vous avez parlé de financer les services des dispensateurs de soins de santé qui ne sont pas médecins. La question qui se poserait immédiatement dans notre pays est qu'il vaudrait mieux faire cela en augmentant le montant total plutôt qu'en répartissant autrement les fonds actuellement consacrés à la profession médicale. Autrement dit, avez-vous augmenté le montant total ou bien avez-vous changé l'orientation pour atteindre ce but? Avez-vous changé la répartition des fonds?

M. Casey: Pour l'instant, nous augmentons le montant disponible et injectons cet argent dans les divisions australiennes de médecine générale, qui sont comme des regroupements de médecins de famille aux quatre coins du pays. Tout montant additionnel est injecté dans la médecine générale. Le gouvernement a récemment introduit un certain accès à des paiements d'assurance-maladie, mais nous ne savons pas très bien comment cela fonctionnera. Nous augmentons les ressources. La réalité, dans tout changement de processus, c'est que si les gens ont l'impression que l'on reprend d'une main ce que l'on donne de l'autre, cela créera toujours d'énormes problèmes politiques. Si l'on remonte au début de ce changement il y a plus de dix ans, il a fallu injecter de l'argent neuf, en quelque sorte des capitaux de démarrage, pour mettre en place de nouvelles mesures. Nous l'avons fait et nos données montrent que nous avons économisé. Pour toutes les sources de financement de nos services de santé mentale communautaire nouvellement réorganisés dans les États et les Territoires, nous pouvons préciser la source de l'argent. Nous publions un rapport annuel qui indique les progrès accomplis dans le domaine de la santé mentale dans notre pays et nous suivons l'argent à la trace. Il est important, dans tout processus de réforme, de ne pas perdre de vue les montants d'argent, parce qu'il y a bien des gens qui n'hésiteraient pas à voler de l'argent qui traînerait pour ainsi dire dans le système de soins de santé.

En fait, l'une des craintes du gouvernement fédéral, il y a dix ans, c'était que si nous donnions de l'argent pour la santé mentale, les États et les Territoires se contenteraient de le prendre et de le consacrer à autre chose. Nous avions une entente stipulant qu'ils maintiendraient leur niveau de financement si le gouvernement fédéral augmentait le montant total. Nous avons suivi à la trace l'argent dépensé et les États et Territoires devaient faire rapport à une instance de contrôle des dépenses. Nous n'avons plus besoin de ce système aujourd'hui, dix ans plus tard, parce que les gouvernements, se rendant compte de l'importance de cet aspect au niveau juridictionnel, ne consacreraient pas l'argent à d'autres fins lorsque que c'est devenu l'objet d'une chaude controverse politique dans la collectivité.

Au début, si le gouvernement fédéral injectait de l'argent, vous auriez pu parier votre dernier dollar que les États et les Territoires auraient consacré cet argent à quelque chose d'autre. En fait, nous avons fait un contrôle et nous continuons de contrôler les dépenses. C'est dans la nature des relations intergouvernementales dans une fédération. Il y a toujours un sain scepticisme dans les relations entre les gouvernements national et provinciaux. Par conséquent, il fallait être conscient de cette réalité et faire quelque chose pour s'assurer que cela ne devienne pas un obstacle; c'était là un objectif important des architectes originaux de cette stratégie, qui étaient conscients qu'il fallait contrôler à quoi l'argent servait.

Le président: Manifestement, les politiciens provinciaux ou nationaux sont identiques, dans tous les coins du Commonwealth. Nous avons eu d'extraordinaires expériences dans le cadre de divers programmes dont le financement est assuré par le fédéral, par exemple la santé, les études supérieures et d'autres, où il s'est passé exactement la même chose. Le gouvernement fédéral a augmenté le financement et, chose curieuse, le total de l'argent dépensé n'augmentait pas. On jouait toujours à des jeux de passe-passe de sorte qu'il était difficile de savoir exactement comment on s'y prenait. J'ai été pendant un certain temps secrétaire d'un cabinet provincial et sous-secrétaire du cabinet fédéral, et j'ai donc opéré moi-même ces tours de passe-passe d'un côté comme de l'autre.

Le sénateur Cook a travaillé de près à l'élaboration de centres de soins de santé communautaires, par opposition aux centres de soins de santé ne faisant pas appel au concept d'établissement, dans un grand nombre de petites localités rurales, où il n'était pas possible d'implanter de grands hôpitaux et des soins en établissement. Elle aborde la question sous l'angle de ce que vous avez appelé la politique sociale au sens large, plutôt que sous l'angle traditionnel strictement médical.

Le sénateur Cook: Les centres communautaires peuvent offrir la paix sociale permettant à une personne souffrant de maladie mentale de réintégrer une vie normale, si l'on peut dire, la capacité de faire face ou d'acquérir de nouvelles habiletés de base permettant d'affronter les vicissitudes de la vie.

Ma première question est celle-ci: où se situe le travailleur social dans le continuum des soins pour une personne dans cette situation, quand on applique le modèle des services communautaires? Quel rôle jouent vos ONG, le secteur bénévole, dans la réadaptation et les soins dispensés à la personne?

M. Casey: Vous voulez parler des services de santé mentale?

Le sénateur Cook: Oui.

Le président: Nous voulons entendre Mme Hefford sur la même question, relativement aux toxicomanies et aux services aux drogués.

M. Casey: Je vais répondre à la question sur les services de santé mentale et je demanderai ensuite à Mme Hefford de vous parler de cette problématique sous l'angle des services aux toxicomanes.

Pour ce qui est du travailleur social, du psychologue ou du travailleur en santé mentale, nous avons un ensemble de groupes de professionnels qui travaillent dans les services de santé mentale. Je ne peux pas vous brosser un seul tableau pour tout le pays parce que la situation varie énormément.

Par contre, si je prends par exemple l'État de Victoria, qui a probablement les services les mieux structurés — et je parle ici des gens qui ont des troubles de faible prévalence, des troubles profonds comme les psychoses, le trouble bipolaire, et cetera — nous avons des équipes communautaires de santé mentale à la grandeur des régions. C'est le gouvernement de l'État qui s'en occupe.

L'État de Victoria consacre aussi environ 10 p. 100 de son budget de la santé à l'achat de services de soutien du secteur non gouvernemental. Ces services sont prélevés à même les services de logement; il s'agit donc de locaux avec personnel dans la collectivité, de résidences, ou même de foyers de groupe où habitent un petit nombre de gens, bénéficiant d'un soutien 24 heures sur 24 ou discontinu, selon la gravité de leur incapacité, assuré par un personnel rémunéré employé par des organisations non gouvernementales.

Les équipes communautaires de santé mentale rendent visite aux patients sur place. Ils offrent un soutien et peuvent aussi les diriger vers d'autres services pendant qu'ils habitent dans la collectivité. Ils peuvent habiter avec leur famille; ils peuvent habiter dans des logements partagés avec d'autres.

Nous constatons de plus en plus que le problème le plus difficile auquel sont confrontés les gens qui souffrent de maladie mentale grave et prolongée comme la schizophrénie, ce n'est pas les soins de santé qu'ils reçoivent. La plupart d'entre eux ont un professionnel de la santé mentale, la plupart sont en contact avec des services et la plupart reçoivent des médicaments. L'idée que les schizophrènes habitent sous les ponts et dans les ruelles du centre-ville a peut-être un fond de vérité, mais ce n'est pas le cas de la plupart des gens atteints de ces maladies. Ce qui leur manque le plus, c'est l'intégration sociale.

J'ignore si vous avez entendu parler du modèle de Clubhouse, qui est une sorte de centre de jour dirigé par les consommateurs pour les consommateurs. Nous constatons qu'une personne qui passe par ce modèle pour aller ensuite dans un programme de placement sur le marché du travail a de bien meilleures chances d'occuper un emploi avec succès qu'une personne qui n'est pas passée par l'un de ces programmes d'intégration sociale.

Dans le cadre de notre troisième plan, comme je l'ai dit au début, nous mettons beaucoup plus l'accent sur l'idée de récupération, au lieu de nous attarder uniquement aux traitements. Pour nous, la récupération, c'est la vie que ces gens- là devront continuer de mener alors même qu'ils continueront probablement de souffrir de cette maladie, avec le risque d'épisodes aigus pendant une période pouvant atteindre 20 ou 30 ans. Nous mettons l'accent sur la vie au sein de la collectivité, la capacité de vivre avec la maladie, mais dans un cadre offrant un bien meilleur soutien et une intégration sociale qui les empêchera de devenir des utilisateurs chroniques des services de soins de santé à cause de fréquents épisodes de maladie entraînant la réhospitalisation.

Les neurologues nous disent par ailleurs que plus les épisodes psychotiques sont nombreux en schizophrénie, plus les dommages au cerveau sont étendus et plus forte est la probabilité d'avoir par la suite de nouveaux épisodes psychotiques. Même dans le cadre du traitement, il est de loin préférable de soigner les gens dans un environnement plus stable, étant donné qu'ils passeront de longues périodes de convalescence et qu'il est improbable que le patient soit jamais guéri définitivement de ces maladies très graves.

Le sénateur Cook: Est-ce que le régime fédéral finance ces programmes, sont-ils financés par l'État ou bien l'État les administre-t-il au nom des autorités fédérales? Comment acheminez-vous l'argent à ces programmes communautaires?

M. Casey: Les États et Territoires sont chargés de financer les services. Le gouvernement fédéral finance bien certains services, mais il s'agit plutôt de projet de démonstration. De plus en plus, nous finançons directement certains services de toxicomanie, comme Mme Hefford l'a dit. En général, les États et territoires fournissent ces services et en assurent le financement. Le gouvernement fédéral finance les États et Territoires.

Quand le gouvernement fédéral fournit de l'argent pour la santé aux États et Territoires, un élément spécifique de l'argent est consacré à la réforme des soins de santé mentale. Nous utilisons cet argent pour aider les États et Territoires à réorienter la manière dont les services sont dispensés.

Aucun d'entre nous n'est assez naïf pour croire que la source de l'argent est intarissable et que l'on pourra continuer indéfiniment d'engloutir de l'argent dans la prestation des services. Comme n'importe quel autre pays, nous ne dépensons probablement pas assez pour la santé mentale, étant donné le fardeau que cela impose aux collectivités en termes d'incapacité. Je ne pense pas que nous soyons différents de tout autre pays à cet égard. Cependant, nous sommes en mesure d'aider les gens à réorienter et à réorganiser leur système pour qu'il soit plus efficace, et cela veut dire qu'il faut détourner une partie des ressources consacrées exclusivement aux soins de santé et au traitement, étant entendu que cet investissement à lui seul serait gaspillé en l'absence d'autres services.

Chaque État et territoire prend ses propres décisions. Victoria consacre 10 p. 100 de son budget de la santé aux organisations non gouvernementales dans le cadre du financement des soins pour la santé mentale. En Nouvelle-Galles du Sud, par contre, c'est seulement 4 p. 100. C'est intéressant de constater que les États et Territoires qui ont les plus grandes difficultés politiques dépensent le moins pour les soins communautaires. Un gouvernement d'État qui dépense beaucoup pour les soins communautaires à moins de chances d'être confronté à des difficultés politiques dans le domaine de la santé mentale.

La santé mentale est une importante question politique en Australie. Nous avons un groupe de consommateurs bien organisé; en fait, le président d'honneur de notre conseil national de la santé mentale est le sous-trésorier du gouvernement fédéral.

Il y a eu un très fort mouvement d'engagement du personnel politique du pays de la part de la communauté de la santé mentale, et cette stratégie visait explicitement à s'assurer que les dirigeants politiques soient bien informés et aussi respectés pour leurs réactions positives dans le dossier de la santé mentale au niveau fédéral et des États.

Nous avons donc un mouvement des consommateurs très bien informé et qui fait entendre sa voix. Évidemment, il ne convient pas que nous fassions du lobbying auprès de nos propres gouvernements. Le gouvernement finance ses propres mécanismes de lobbying, mais par l'entremise d'un mécanisme bien huilé qui répond aux besoins du gouvernement, des dirigeants politiques et de leurs commettants.

Le sénateur Cook: Votre formulaire pharmaceutique national prévoit le libre accès aux médicaments d'ordonnance à l'extérieur du cadre hospitalier, sous réserve d'un seuil annuel. Je voudrais que vous m'aidiez à comprendre cela. Le régime dispense-t-il directement les médicaments aux consommateurs?

M. Casey: C'est plutôt l'inverse. Chacun a accès aux médicaments qui sont approuvés par le régime et chacun fait un copaiement.

Un détenteur de carte d'assurance-santé, un bénéficiaire de la sécurité sociale paye environ 3,00 $ par ordonnance. Quand les paiements accumulés atteignent un certain seuil, — je ne me rappelle pas exactement à combien il se situe — on ne paie plus rien.

Nous avons un filet de sécurité pour les grands consommateurs de médicaments. Chaque fois que je remplis une ordonnance pour moi-même ou un membre de ma famille, cela me coûte 23 $ ou 24 $, quel que soit le coût du médicament. C'est un copaiement fixe. Si j'étais bénéficiaire de la sécurité sociale, je paierais seulement 3 $.

L'accès aux médicaments est structuré de telle manière que cela ne devrait pas être un obstacle. Sauf pour les gens extrêmement pauvres qui n'ont aucun revenu disponible, cela ne devrait pas être un obstacle.

Le sénateur Cook: Monsieur le président, nous n'avons pas posé de questions sur les Autochtones. Je pense que nous nous en voudrions de ne pas le faire, étant donné que notre prochaine étude portera sur nos Premières nations. Je voudrais que vous nous parliez de vos Autochtones. Habitent-ils surtout dans les régions rurales, en ville ou dans des réserves? Quel est le niveau de maladie mentale?

Mme Hefford: Nous nous consultons parce que ni l'un ni l'autre de nous deux ne connaît bien ce que nous appelons la santé autochtone. Je vais toutefois me lancer en disant que la majorité des Autochtones australiens n'habitent pas dans des régions éloignées, quoique ceux qui le font ont beaucoup plus de problèmes d'accès aux soins de santé que ceux qui habitent en ville.

Les Autochtones ont des taux beaucoup plus élevés chez nous pour toutes les toxicomanies. Le taux de tabagisme, par exemple, est beaucoup plus élevé parmi les Australiens autochtones que parmi les Australiens non autochtones. Les problèmes de toxicomanie, surtout l'alcoolisme et l'inhalation d'essence, atteignent des proportions extrêmes dans certaines communautés autochtones.

Les Autochtones ont une plus mauvaise santé que les Australiens non autochtones. L'espérance de vie moyenne d'une personne autochtone est plus courte d'une vingtaine d'années que celle d'un Australien non autochtone.

Si vous voulez avoir une discussion plus détaillée sur les Autochtones australiens et sur les programmes que nous avons mis en place et les possibilités de succès que nous discernons, je propose d'organiser une autre séance avec des responsables qui ont beaucoup travaillé dans ce domaine. Nous avons des gens qui ont énormément d'expérience et d'expertise dans ce domaine et qui pourraient vous être beaucoup plus utiles que nous. Nous pouvons seulement vous parler des problèmes de ce groupe de population en matière de santé mentale et de toxicomanie. Je pense qu'il vous faudrait avoir une conversation plus générale sur la santé et les indicateurs de santé pour l'ensemble de la population autochtone.

M. Casey: J'ajoute à cela qu'environ 1,5 p. 100 à 2 p. 100 de la population est composée d'Australiens autochtones. Tout ce que Mme Hefford vous a dit se reflète dans le dossier de la santé mentale. Par ailleurs, quand il est question de santé mentale parmi la population autochtone, nous ne disons pas qu'ils ont des problèmes psychiatriques ou qu'ils souffrent de maladies mentales, parce que cela pose de graves problèmes sur le plan culturel. Nous utilisons d'ailleurs de plus en plus un autre langage de façon généralisée. Nous parlons plutôt du bien-être affectif et social de la communauté autochtone. À certains égards, cela commence à refléter mes observations antérieures au sujet de la population dans son ensemble. La question du bien-être psychologique et du continuum entre ce que l'on pourrait appeler le simple stress psychologique normal et la maladie mentale, et des liens entre ces diverses maladies et la schizophrénie ou le trouble bipolaire est de plus en plus d'actualité en Australie. C'est parce que le gouvernement a récemment étudié un rapport sur les liens entre les troubles neurologiques et psychiatriques.

Si l'on met ensemble tous les problèmes neurologiques et psychiatriques, regroupant toutes les pathologies du cerveau et du système nerveux, on constate que cela dépasse de loin l'ampleur de toute autre pathologie. Les maladies cardio-vasculaires en prennent pour leur rhume — excusez le jeu de mots — quant à l'ampleur du fardeau qu'elles imposent à la collectivité.

De plus en plus, nous sommes amenés à examiner la relation entre l'esprit et le corps, pour reprendre cette vieille séparation cartésienne d'il y a 400 ans.

Je suis également responsable des priorités nationales en matière de santé. En plus de la santé mentale et de la prévention du suicide, mon domaine recouvre également nos priorités nationales en matière de santé, qui sont les maladies cardio-vasculaires, le diabète, l'asthme et le cancer. De plus en plus, nous constatons qu'il y a une étroite corrélation entre les gens qui éprouvent des problèmes de santé physique qui représentent le plus lourd fardeau de santé pour la collectivité et ceux qui ont un taux élevé de problèmes psychosociaux et de santé mentale concomitants.

C'est un défi énorme, compte tenu de l'orientation traditionnelle de notre régime de santé vers les affections physiques, si l'on constate que le bien-être psychologique de l'individu joue un rôle sous-jacent important. Je suppose que cela s'inscrit dans une tentative de dire que les Autochtones ont beaucoup à nous offrir pour ce qui est de comprendre la relation entre la façon dont on fait l'expérience du monde qui nous entoure sous l'angle psychologique et social, et les répercussions que tout cela peut avoir dans la manière de vivre physiquement sa vie en éprouvant un sentiment de mieux-être. Cette façon de voir fait un retour dans notre réflexion, car les Autochtones établissent un lien entre les deux. Votre santé physique et votre santé mentale doivent être associées. Nous commençons à comprendre que nous devrions nous pencher de plus près sur l'interaction entre tout cela, ce qui nous ramène à l'observation du président au début de la discussion sur les raisons pour lesquelles nous avons adopté dans tous les programmes que nous déployons une définition beaucoup plus étendue de la santé de la population. Nous ne pouvons pas considérer la santé strictement en termes de traitement et de médecine; nous devons faire place à une problématique plus large du mieux-être social de la communauté.

Je ne vais pas en parler maintenant, mais cela nous a amenés à tenir un certain nombre de discussions avec nos agences économiques comme le Trésor et l'Emploi, parce que ces questions prennent une importance clé dans leur réflexion également. Nous avons parlé du fardeau social de la santé. Nous n'avons pas abordé le fardeau économique. Ce qui commence à intéresser nos organismes centraux, nos organisations de gestion financière au gouvernement en Australie, ce sont les données que nous pouvons leur fournir sur les conséquences économiques d'un régime de santé mentale et de lutte contre les toxicomanies qui est mal géré. Quel en est l'impact économique pour la collectivité? Les chiffres sont énormes.

Nous commençons à peine à explorer cela dans le cadre de cette focalisation beaucoup plus étendue. C'est que l'affaire est devenue une question intéressant le gouvernement national.

Nous ne nous occupons pas de la prestation des soins au jour le jour, mais nous commençons à nous pencher sur certaines répercussions des politiques et sur les possibilités qui s'offrent dans la société dans son ensemble quand on met l'accent sur l'amélioration de la santé mentale. C'est l'un des défis passionnants de la prochaine décennie.

Le sénateur Cook: Monsieur le président, nous avons vu encore une fois que tous ne portent pas le même chapeau. Chose certaine, en plus de tenir compte de la totalité de la personne, nous devrons prendre en compte la culture d'un peuple dans notre quête de mieux-être et apprendre à comprendre leurs méthodes traditionnelles.

M. Casey: Je pense que notre bureau des affaires autochtones et des insulaires du détroit de Torres sur la Colline se ferait un plaisir, peut-être une autre fois, de vous parler des programmes que nous avons dans ce domaine. C'est le seul domaine des soins de santé dans lequel le gouvernement fédéral assume une responsabilité directe.

Le président: La situation est exactement la même chez nous. Deuxièmement, quand Mme Hefford a donné des chiffres, on aurait pu remplacer «Autochtones australiens» par «Autochtones canadiens» et les chiffres auraient été quasi identiques. C'est absolument renversant de voir la similitude, à l'autre bout du monde, d'un État fédéral qui est aux prises avec exactement la même situation quant à sa population autochtone. La ressemblance est très frappante.

Cela m'amène à poser plusieurs questions, en commençant par une question stratégique. Quand vous faites vos études épidémiologiques, est-ce que vous y incluez un échantillon statistique suffisant de la population autochtone? Est-ce ainsi que vous recueillez vos données à leur sujet? Le savez-vous, madame Hefford?

Mme Hefford: Oui, nous veillons à ce que nos études incluent un échantillon statistiquement valable. Nous avons divers mécanismes d'enquête et de cueillette des données. Nous faisons une compilation de tout cela. L'élément le plus controversé est probablement les gens qui reçoivent une formation pour faire enquête auprès des utilisateurs de drogues intraveineuses. Nous faisons cela régulièrement. Ainsi, nous savons ce que les drogués s'injectent dans les veines ce mois-ci. Nous savons combien ils payent leur drogue. Nous connaissons leurs sources d'approvisionnement. La question est importante pour nous, pas seulement du point de vue de la santé — en cas de surdose, les hôpitaux savent quelle drogue est consommée ces temps-ci dans la rue —, mais aussi du point de vue des politiques. Cela nous renseigne sur l'évolution du commerce illicite dans la rue. Nous savons combien la drogue coûte. Nous faisons ensuite le lien avec le taux de criminalité dans certains secteurs. Une foule d'organisations gouvernementales trouvent cette information précieuse.

Le président: N'empêche que vous êtes en mesure de recueillir ces renseignements. Dans notre pays, la droite grimperait aux rideaux si quelqu'un se mêlait de recueillir de telles données, sans même parler de les communiquer à la police. Je m'étonne que vous puissiez recueillir ces données sans qu'il y ait un tollé.

Mme Hefford: Comme je l'ai dit, c'est l'aspect le plus controversé de notre cueillette de données, mais c'est très précieux. Nous ne le faisons pas à l'interne, au ministère. Nous chargeons évidemment une entreprise de le faire pour nous. Il y a eu aussi une certaine controverse parce que nous demandons à des adolescents de 13 et 14 ans de nous dire quelles sont leurs habitudes de consommation d'alcool et de tabac. Ce sont des activités illégales pour ce groupe d'âge dans notre pays aussi. Il y a là un parallèle raisonnable. Comment peut-on élaborer des programmes d'éducation scolaire sur la drogue bien ciblés si l'on ne peut pas demander aux jeunes qui leur a donné l'alcool, combien ils l'ont payé et combien ils en boivent? Comment peut-on convaincre les parents d'améliorer leurs habilités parentales? Comment s'attaquer à tous les autres dossiers?

Le président: Cela m'apparaît logique. Je trouve fascinant que vous puissiez le faire.

M. Casey: Si l'on englobait toute la population dans une enquête sur les ménages, ce serait très difficile de sur- échantillonner la population autochtone pour obtenir un point de vue représentatif. Les épidémiologistes soutiendraient qu'il est beaucoup plus probable que l'on fasse une évaluation auprès d'un bassin de population ou de l'État. Dans la communauté autochtone, les gens ont le sentiment d'avoir fait l'objet d'innombrables recherches sans que rien ne change. Les Autochtones ont l'impression que les médias utilisent très souvent les résultats de la recherche faite dans les communautés autochtones, d'une manière très stigmatisante. Cette communauté est très sensible dans ses contacts avec les chercheurs.

Nous venons d'achever en Australie occidentale une grande étude financée surtout par le gouvernement fédéral, mais aussi par les États et par le secteur privé, sur l'aide apportée aux enfants et adolescents autochtones. Cette étude sera d'une immense valeur. Elle a été faite en collaboration avec la communauté autochtone parce que ceux-ci faisaient confiance aux chercheurs. Ils avaient confiance que l'information servirait à améliorer leur sort et ne serait pas seulement utilisée par les médias pour démontrer une fois de plus la situation désespérée de la population autochtone.

Le président: Pourrais-je revenir aux observations que M. Casey a faites au début? Je voudrais que vous me disiez si la conclusion que je tire de vos propos est raisonnable. Vous devez vous rendre compte que nous sommes dans la situation où vous étiez en 1992. Nous n'avons pas de stratégie nationale de la santé mentale. La plupart des provinces n'ont pas une stratégie très élaborée pour la santé mentale. Il n'y a certainement aucune coordination. Nous en sommes vraiment à votre premier programme quinquennal.

Vous avez fait deux observations très importantes. Premièrement, vous avez eu l'appui du gouvernement national et des gouvernements des États. En soi, c'est une grande réussite, pour n'importe quel dossier de la santé. J'en conclus que vous avez ensuite passé les cinq années suivantes, non seulement à lancer des programmes, mais aussi à créer un programme de communication très étoffé. Je ne dis pas cela de manière péjorative, mais il semble que vous ayez pris conscience très tôt que pour progresser dans ce domaine, il fallait l'adhésion de toute la population. Si le public n'était pas convaincu de l'importance du programme pour des raisons économiques, alors, en dépit de votre slogan voulant qu'une personne sur cinq est touchée, il serait impossible d'obtenir que le public approuve le montant que vous avez investi. Vous n'auriez pas pu changer le régime de prestations des soins autant que vous l'avez fait, sans compter que vous n'auriez pu, pour reprendre vos propos, faire en sorte que le programme soit d'une importance politique suffisante pour que les politiciens ne puissent le démolir pièce par pièce.

Il me semble que vous avez réussi à vous bâtir une clientèle fidèle au cours de cette première période de cinq ans. Peut-on raisonnablement tirer cette conclusion?

M. Casey: Nous n'avons probablement pas commencé à nous bâtir cette clientèle avant la fin de cette première période de cinq ans. Il nous a fallu d'abord déblayer le terrain. Nous avons commencé à changer le fonctionnement des services; nous avons fermé des lits et ouvert des services communautaires. L'attitude des Australiens n'était pas différente de celle d'autres nations. Les gens préféraient ne pas entendre parler de santé mentale. À la vue d'une personne que l'on soupçonnait d'être malade mentale, on préférait changer de trottoir. Seuls les gens qui en avaient fait l'expérience dans leur famille avaient le moindrement de compréhension, de sympathie ou une attitude quelque peu positive à ce sujet. Oui, nous étions convaincus qu'il nous fallait changer l'attitude des gens. Vous commenceriez probablement au milieu.

Le président: Au niveau provincial, nous sommes déjà passés par la phase de la désinstitutionalisation. En passant, c'était dicté en grande partie par des efforts visant à économiser de l'argent; cela ne visait pas directement à améliorer les services.

Avez-vous une trousse d'information renfermant vos premiers outils de communication, que ce soit des documents, des annonces télévisées ou des vidéos? Je suppose que vous avez utilisé tout un éventail de techniques de communication. Si c'est le cas, ce serait très utile si vous pouviez nous les faire parvenir.

M. Casey: Nous nous ferons un plaisir de le faire.

Le président: Vous rappelez-vous, en chiffres approximatifs, du coût annuel du programme de communications au cours des années suivantes, quand le programme était pleinement opérationnel?

M. Casey: Cette première campagne publique nous a coûté environ 6 millions de dollars.

Le président: Six millions de dollars par année?

M. Casey: Ce montant a été dépensé sur deux ans.

Permettez que je vous dise combien nous dépensons actuellement au niveau fédéral et d'où vient cet argent, à part le financement global pour la santé pour l'assurance-maladie. Je ne vous parlerai pas de cela.

J'ai environ 6 millions de dollars par année dans mon budget national, en plus de l'effectif dont je dispose, et cet argent est généralement consacré à ce que nous appelons le Plan national pour la santé mentale. En plus de cela, j'ai un budget pour ce que j'appelle la mise en oeuvre du programme national: programmes dans les écoles, campagnes publicitaires, élaboration de notre stratégie, le tout représentant 20 millions de dollars par année. C'est ce que le gouvernement fédéral dépense pour ce que j'appellerais la réforme des politiques et des programmes.

En plus, nous dépensons peut-être de l'argent pour les services. Nous dépensons assurément de l'argent pour l'assurance-maladie. Le programme des médecins de famille nous coûte environ 40 millions de dollars par année. Ce ne sont pas des montants importants. L'étude épidémiologique nous a coûté cinq millions de dollars, mais ce montant a probablement été réparti sur deux ans et demi. Ce n'est pas un niveau de financement gouvernemental énorme pour élaborer une politique et un cadre des programmes. Je peux toutefois vous faire parvenir de l'information sur nos finances, précisant combien il en a coûté au ministère fédéral pour devenir le chef de file national dans le dossier de la réforme de la santé mentale.

Le président: Ce serait utile. Le public est très en avance sur les gouvernements en cette matière. Dans notre pays, les citoyens réclament avec insistance que quelqu'un prenne les commandes. Il ne faudrait pas un montant énorme, en dollars, pour les communications — il faut évidemment de l'argent pour des programmes — pour commencer à bâtir une clientèle qui permettrait d'opérer bon nombre des changements que vous avez apportés dans votre pays. Ce serait utile que nous sachions tout cela. C'est comme l'évolution de l'automobile au fil des années. On peut comprendre comment le programme des communications a évolué. Ce serait très utile pour nous.

On a parlé des liens entre tout cela et les services de santé communautaire. Est-ce lié d'une manière quelconque à la santé publique? Est-ce que la santé publique est un dossier totalement séparé?

M. Casey: Ce programme comporte un volet de la santé publique nationale.

Mme Hefford: Je vais tenter de répondre à cette question. Dans nos structures ministérielles, les dossiers des toxicomanies sont traités à même le volet santé publique; c'est considéré comme une question de santé publique.

Je suis consciente du fait que je ne vous ai donné aucune idée de la structure de la prestation et de la mise en oeuvre des services de lutte contre la toxicomanie. Je sais que nous avons expliqué tout cela pour la santé mentale. Nous ne l'avons pas fait pour les toxicomanies.

Le secteur des soins actifs, le secteur hospitalier, joue un rôle très limité. Il fournit des programmes de désintoxication et s'occupe des décès causés par les surdoses, donc des cas extrêmes, quand cela ne saurait aller plus mal.

Le secteur des soins primaires cible essentiellement la dépendance envers les opiacés. Les médecins de pratique générale prescrivent de la méthadone et les pharmaciens administrent des programmes de distribution de méthadone. Il y a actuellement 30 000 Australiens participant à des programmes de méthadone.

Les gouvernements des États financent le secteur des soins actifs. Le gouvernement fédéral finance le secteur des soins primaires, les médecins omnipraticiens et le régime pharmaceutique. Les services de traitement de l'alcoolisme et des toxicomanies sont répartis environ moitié moitié entre les gouvernements des États et les organisations non gouvernementales. En Australie, le secteur communautaire joue un grand rôle, surtout les groupes religieux traditionnels. Des organisations comme l'Armée du Salut et l'Église catholique dirigent des services de traitement et de patrouille de nuit et mettent en oeuvre des programmes d'échange de seringues financés essentiellement par le gouvernement fédéral, avec une certaine intervention des gouvernements des États.

Il existe des ententes entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des États dans beaucoup de dossiers de santé publique. Nous les qualifions de partenariats. Il y a des ententes prévoyant que le gouvernement fédéral finance des activités comme les programmes nationaux d'échange de seringues, tandis que les gouvernements des États assument la responsabilité d'administrer les programmes en question.

À mesure que nous avons accentué nos interventions dans le dossier des toxicomanies en Australie, les programmes de santé publique ont englobé un nombre croissant d'éléments. Au début, on s'occupait seulement de prestations de soins de santé, mais on s'est par la suite diversifié dans des domaines comme la déjudiciarisation des jeunes contrevenants, le counselling par les tribunaux et les services judiciaires, et la distribution de seringues désinfectées.

Ce que nous englobons maintenant dans le partenariat pour la santé publique en Australie va bien au-delà de la simple prestation de ce qu'on appelait auparavant les services de soins de santé. On s'occupe d'autres dossiers beaucoup plus étendus, de la même manière que nous englobons le planning familial dans le dossier de la santé publique en Australie.

Ce qui est vraiment important dans la manière de gérer ces dossiers, de notre point de vue et dans l'optique de votre situation à vous, c'est la conversation que vous aviez il y a quelques instants avec M. Casey, quand vous parliez d'établir une clientèle. En Australie, nous avons fait la même chose pour la lutte contre les toxicomanies; nous avons établi une clientèle. Nous avons injecté de l'argent au départ pour déclencher le processus, mais parce que cette clientèle existe maintenant et qu'il y a un niveau élevé d'acceptation de cet état de fait, nous en obtenons beaucoup pour un investissement très minime, surtout pour des activités de communications. Par exemple, nous avons des réunions avec des cadres supérieurs de la santé et des hauts gradés de la police de tous les États et territoires, en présence de représentants des autorités fédérales, et ces réunions débouchent sur des communiqués, la publication de rapports ou l'annonce de lignes directrices sur lesquelles on s'est mis d'accord. À chaque fois qu'on fait cela, on obtient de la publicité et l'on renforce la stratégie de communications sans avoir à débourser un sou.

Si vous pouvez obtenir l'appui de la population et atteindre ce niveau de compréhension et d'engagement, vous progressez énormément parce que la collectivité accepte votre orientation. D'après notre expérience, le secteur non gouvernemental, surtout les groupes religieux et communautaires, a très bien accepté la volonté du gouvernement d'être un chef de file dans ce domaine. Vous obtenez alors des résultats considérables en investissant très peu d'argent.

Le président: Ayant moi-même participé à l'élaboration de programmes pour convaincre la population d'accepter diverses politiques gouvernementales, je suis absolument renversé par votre éclatante réussite. Tout le mérite vous en revient. J'en reviens à ce que disait le sénateur Morin, qui a cité un article dans lequel on disait que vous êtes clairement le chef de file mondial dans ce domaine. C'est assurément l'impression que m'a donnée notre conversation des dernières heures.

Je vous remercie d'avoir bien voulu nous consacrer de votre temps, malgré votre horaire très chargé. Si vous pouviez nous envoyer les documents de communications, ce serait vraiment utile.

À mesure que nous progresserons dans notre étude au cours des dix-huit prochains mois, il est bien possible que nous revenions à la charge pour vous poser des questions plus précises. Il est clair que nous avons au moins dix ans de retard sur vous. Nous allons tenter de faire du rattrapage, évidemment, mais pour éviter de réinventer la roue ou de nous fourvoyer dans des impasses où vous vous êtes inévitablement retrouvés avant d'aboutir dans la situation actuelle, nous aimerions beaucoup avoir la possibilité de compter de nouveau sur votre aide.

Au nom de nous tous, je vous remercie beaucoup. Nous vous en sommes très reconnaissants.

La séance est levée.


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