Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 8 - Témoignages du 22 février 2005


OTTAWA, le mardi 22 février 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 17 h 51 pour examiner les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique, la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent et la politique étrangère du Canada envers l'Afrique.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, la séance est ouverte.

Mesdames et messieurs, soyez les bienvenus à la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude spéciale sur l'Afrique, conformément au mandat que nous a confié le Sénat le 8 décembre.

[Français]

Nous avons le plaisir d'accueillir trois témoins qui parleront d'un des plus graves problèmes qui frappe l'Afrique, le sida. Tout d'abord nous entendrons Marie-Hélène Bonin, qui représente le Congrès du travail du Canada et la Coalition interagence sida et développement.

[Traduction]

Nous entendrons ensuite M. Kevin Perkins, directeur exécutif du Partenariat Canada-Afrique sur le sida.

[Français]

Finalement, nous accueillerons Mme Dorothée Gizenga Ngolo, chargée des programmes à Partenariat Afrique Canada.

[Traduction]

Demain, nous accueillerons le haut-commissaire du Nigeria, Son Excellence O. O. George, qui nous donnera un aperçu de son pays, des défis qu'il doit relever de même que des efforts que doivent déployer les Nigérians pour assurer la sécurité, non seulement dans la sous-région de l'Afrique australe, mais sur le continent dans son ensemble. Je rappelle à tous que le Nigeria compte aujourd'hui une population d'environ 125 millions d'habitants, soit 25 p. 100 de la population africaine au sud du Sahara.

Nous tiendrons aujourd'hui notre première audience thématique en abordant de nombreux points inscrits à notre ordre de renvoi, notamment le développement, la sécurité et la politique du Canada. La semaine dernière, M. Amoako nous a fait remarquer bien clairement qu'il n'était pas exagéré de dire qu'aujourd'hui, le sida constitue la plus grande menace qui pèse sur le développement de l'Afrique.

C'est pourquoi il est essentiel que nous tenions une séance sur cette question aujourd'hui, question qui n'est pas du tout théorique, mais bien plutôt effroyablement réelle.

[Français]

Mme Marie-Hélène Bonin, représentante pour l'Afrique et le VIH/sida au Congrès du travail du Canada, et membre du conseil d'administration de la Coalition interagence sida et développement : Je vous remercie de votre intérêt à notre égard. Je vais m'adresser brièvement d'abord en français, puis je passerai à l'anglais, mais je me ferai plaisir de répondre à vos questions en français par la suite.

Comme le disait le président du comité, je représente le Congrès du travail du Canada où je suis aussi la représentante responsable pour l'Afrique et pour le VIH/sida au Service international.

Le Congrès du travail du Canada est la centrale syndicale canadienne qui regroupe près de 3 millions de travailleurs canadiens dans plusieurs secteurs de l'économie, tant dans le secteur public que privé.

Je suis également représentante du conseil d'administration de la Coalition interagence sida et développement. Cette coalition regroupe plus d'une centaine d'organismes canadiens dont le mouvement syndical, un grand nombre d'associations d'appui aux personnes vivant avec le VIH/sida au Canada et un certain nombre d'organisations d'aide au développement qui œuvrent à l'étranger, en Afrique particulièrement, en appui à des projets portant sur le VIH/ sida. Alors cette coalition est active d'abord au Canada; elle offre des services à ses membres et elle informe le public des enjeux reliés au VIH/sida et au développement.

C'est donc tout à fait dans le cadre de votre sujet d'aujourd'hui. Avec votre permission, je vais maintenant passer à l'anglais.

[Traduction]

En novembre, le Congrès du travail du Canada a présenté au ministre Goodale ses observations sur le document de consultation de la Commission internationale pour l'Afrique intitulé Pour une Afrique forte et prospère. Les membres du comité ont maintenant ce document en main qui leur a été remis par votre greffier, M. François Michaud. Il est disponible dans les deux langues.

Nos commentaires ont consisté en un bref aperçu de ce que nous estimons être les forces et les faiblesses du dernier plan d'action pour l'Afrique adopté par le Canada avant la réunion de Kananaskis, et les mesures mises en œuvre par le G8. Nous avons cherché à voir comment ces mesures pouvaient être renforcées.

À notre avis, les questions fondamentales qu'il faut étudier au sujet de l'Afrique, dans le cadre de l'examen actuel de la politique internationale du Canada, de même que dans les réunions préparatoires au sommet du G8 de cet été et aux sommets du millénaire à l'automne, sont de quatre ordres.

Premièrement, pour nous, la question des partenariats est très importante, comme en témoigne le nom du NEPAD, le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique. Je pense que ce partenariat est également important pour les dirigeants africains. Malheureusement, on a, dans le passé, créé des partenariats qui excluaient les représentants de la société civile du côté de l'Afrique en particulier, mais aussi du Canada. Nous croyons qu'au cours des prochaines années, le partenariat doit être renforcé et élargi pour inclure non seulement des représentants du gouvernement et des gens d'affaires, mais des représentants syndicaux, des ONG et des petites organisations de la société civile afin d'avoir le point de vue de l'ensemble de la population de l'Afrique.

La deuxième question qui est essentielle pour nous, c'est la lutte à la pauvreté en Afrique. Nous avons constaté que dans toutes les initiatives de la communauté internationale pour s'attaquer au problème de la pauvreté, on a sous- estimé une stratégie essentielle. En effet, on accorde peu d'attention à la création et à la conservation d'emplois décents en Afrique. Pour nous, c'est la stratégie la plus importante et la plus déterminante : aborder le problème de la pauvreté et, par ricochet, d'autres problèmes comme le VIH/sida, qui sont souvent le résultat de la vulnérabilité provoquée par la pauvreté.

Cela m'amène à notre troisième défi majeur pour l'Afrique, qui est effectivement le VIH et la pandémie de sida. C'est là un défi majeur non seulement pour la santé publique sur ce continent, mais également pour la préservation et l'exploitation des gains qui ont été réalisés au cours des dernières décennies dans tous les secteurs, que ce soit dans la société, l'économie, au sein des gouvernements, des institutions nationales, au niveau de la culture et ainsi de suite.

Si l'on n'aborde pas de toute urgence le problème du VIH/sida, non seulement pour des motifs de santé publique, mais aussi de développement, tous les gains réalisés au cours des dernières décennies seront compromis.

La quatrième grande préoccupation pour nous en ce qui concerne l'Afrique est la participation pleine et entière des femmes à tous les aspects du développement. Là encore, si l'on n'aborde pas les problèmes particuliers de ces femmes, nous ne serons pas en mesure de relever avec succès les défis provoqués par la pandémie. L'égalité des sexes et les questions de pauvreté sont très étroitement liées à la propagation de la pandémie en Afrique.

Enfin, le CTC croit de façon générale que la libéralisation des échanges commerciaux ne constitue pas la bonne porte d'entrée lorsque l'on parle de développement. Nous entretenons des doutes très sérieux pour ce qui est de l'Afrique, et nous en avons fait part à Kananaskis, mais entre-temps, nous avons eu la preuve de ce que nous constations à ce moment-là. Pour lutter contre la pauvreté et développer le continent, le libre-échange n'est pas la solution à privilégier. Plusieurs des ententes qui ont été signées au niveau mondial, y compris celles qui permettent maintenant l'entrée des textiles chinois sur le marché africain depuis le mois dernier, par exemple, ont provoqué d'énormes pertes d'emplois, ont exacerbé la pauvreté et accru la vulnérabilité aux maladies comme le VIH et le sida. Nous devons être extrêmement prudents quant à la façon dont la libéralisation des échanges commerciaux se fait en Afrique.

Si on regarde plus étroitement la question du VIH/sida, la Coalition interagence sida et développement vous a présenté un mémoire dans lequel elle fait état des enjeux clés et formule des recommandations à cet égard.

Le premier de ces enjeux concerne le leadership et la nécessité d'assurer la cohérence au niveau politique. Dans ce cas, la recommandation, pour assurer une meilleure cohérence dans l'action de tous les ministères canadiens en ce qui concerne le VIH et le sida, consisterait à nommer un ambassadeur ou un représentant spécial en matière de sida qui relèverait du premier ministre.

Le deuxième enjeu clé établi par la coalition, et je vais y revenir plus en détail tout à l'heure, est le problème du VIH/ sida dans le milieu de travail. En tant qu'organisme de défense des travailleurs, bien sûr, c'est là une question qui nous inquiète particulièrement, et c'est dans ce domaine que nous pouvons apporter la plus grande contribution possible. La coalition des organisations canadiennes reconnaît la nécessité d'aborder l'impact du VIH/sida sur la main-d'œuvre en Afrique, tant pour ce qui est de prévenir la propagation de la maladie chez les travailleurs, que d'en atténuer les répercussions chez ceux qui sont déjà infectés et qui ne sont peut-être pas encore malades, ou qui pourraient l'être, mais qui sont encore capables de travailler s'ils sont bien encadrés et si l'on s'occupe bien d'eux, au travail et dans la société en général.

Nous avons toute une gamme de propositions et de recommandations que le Canada pourrait examiner pour apporter une contribution spéciale à cet égard afin de sauvegarder l'économie très fragile des pays africains grâce à la protection de leur main-d'œuvre. Nous parlons ici de travailleurs qui œuvrent dans les secteurs officiels et officieux de l'économie. Qu'ils soient syndiqués ou non, tous les travailleurs nécessitent une attention spéciale et urgente. Je ne fais pas ici seulement référence aux travailleurs de la santé ou aux enseignants, comme c'est souvent le cas dans les nombreuses interventions internationales auprès des travailleurs. La crise que nous percevons dans le secteur de la santé actuellement avec les infirmières et les médecins qui sont trop malades pour s'occuper des malades est la pointe de l'iceberg. Chaque groupe de travailleurs de la société, dans tous les secteurs, est tout aussi à risque que ceux qui travaillent dans le secteur de la santé. L'effondrement éventuel de ce secteur n'a rien de différent de l'effondrement éventuel de tous les secteurs de l'économie et des institutions, ce qui a d'importantes répercussions sur la gouvernance, la stabilité et la résolution des conflits.

La troisième inquiétude pour la CISD est l'intégration de la problématique du VIH/sida au programme d'action des instances internationales. À cet égard, nous pensons que Affaires étrangères Canada et Industrie Canada devraient entreprendre une analyse de la façon dont les enjeux touchant le VIH/sida pourraient être introduits dans les discussions diplomatiques et commerciales. Ces questions sont aussi manifestement pertinentes dans les discussions sur la paix et la sécurité, mais je ne vais pas entrer dans ces détails parce que ma sœur, Dorothée Ngolo, vous en parlera tout à l'heure.

Une autre préoccupation très importante pour tout le monde au sein de la CISD concerne la nécessité d'aborder le problème du VIH et du sida selon les sexes. Les recommandations formulées visent à élaborer une réaction plus exhaustive à la vulnérabilité sexospécifique au VIH/sida en appuyant non seulement les mécanismes de prévention et de traitement comme les microbicides, mais aussi le type de facteurs qui empêchent la prévention et qui sont directement liés à la situation des femmes dans la société africaine. En donnant plus de pouvoir à ces femmes comme travailleuses, mères et productrices agricoles, nous les habilitons à faire face à la pandémie, à se protéger, à négocier la sexualité et l'accès aux soins de santé. Cela fait partie d'un tout. On ne peut pas être faible dans tout et soudainement devenir fort quand il est temps de combattre le VIH et le sida; il est donc important de donner plus de pouvoir aux femmes dans tous les aspects de leur vie afin qu'elles soient moins vulnérables à la pandémie en Afrique.

Enfin, il y a la question des ressources. Vous entendez probablement plus de rumeurs que nous au sujet du budget de demain, mais nous espérons fortement que l'on cherchera à atteindre plus vite l'objectif de 0,7 p. 100 de notre PIB pour l'aide au développement. Nous endossons cet objectif à cent pour cent. Je vais en Afrique de quatre à cinq fois par année. Il est gênant de se dire Canadien lorsqu'on rencontre ses homologues européens, par exemple. Notre pays ne donne pas beaucoup, et il est temps de redresser la situation, surtout quand on pense à l'Afrique et à la pandémie.

Cependant, nous devons également exercer des pressions pour que l'annulation de la dette se fasse, et nous devons nous assurer que la libéralisation des échanges commerciaux n'appauvrit pas l'Afrique plus que ce n'est déjà le cas, et empêche les gouvernements africains d'affecter les ressources nécessaires à la lutte contre la pandémie.

L'Organisation internationale du travail, l'OIT, qui, comme vous le savez, est le seul organe de l'ONU constitué de représentants du gouvernement, des employeurs et des syndicats, estime actuellement la population totale de travailleurs infectés par le VIH à 26 millions de personnes.

Le président : En Afrique uniquement?

Mme Bonin : Au monde.

Le président : Et en Afrique?

Mme Bonin : Je n'ai pas les chiffres sous les yeux, mais c'est probablement 20 millions de personnes, je dirais. Selon l'OIT :

Le VIH/sida est une crise humaine, mais c'est aussi une menace au développement social et économique durable. En provoquant la maladie et la mort des travailleurs, l'épidémie du VIH/sida réduit les compétences et l'expérience dont un pays dispose. Cette perte en capital humain constitue une menace directe à l'atteinte des objectifs du développement social et de l'éradication de la pauvreté. L'OIT estime la perte cumulative de la population active à l'échelle mondiale à 28 millions de personnes en 2005, 48 millions en 2010 et 74 millions en 2015, si l'on n'accroît pas l'accès aux traitements.

La maladie avant la mort réduit également la contribution d'hommes et de femmes qui seraient autrement économiquement actifs. L'OIT estime que mondialement, en 2005, plus de deux millions de membres de la population active seront incapables de travailler à cause du VIH/sida, et en 2015, ce nombre dépassera les quatre millions.

Lorsqu'il élaborera les mesures qu'il souhaite adopter à l'échelle mondiale, mais plus particulièrement à l'égard de l'Afrique, pour combattre le VIH/sida, le Canada doit mieux exploiter le potentiel des Canadiens qui travaillent dans le domaine, comme les membres de la CISD. De même, il faut profiter davantage des organisations de la société civile africaine qui ont la capacité de s'attaquer à la pandémie, mais qui doivent avoir accès aux ressources. Cette semaine, nous avons eu la visite de notre sœur du Nigeria Labour Congress qui est responsable du programme de lutte contre le VIH/sida pour son organisation, laquelle représente quatre millions de travailleurs organisés et des syndicats. Cela fait beaucoup de monde. Nous ne parlons pas ici de petites organisations communautaires perdues dans la brousse quelque part, mais d'un mouvement syndical massif et bien organisé. Cette femme doit renforcer et développer les capacités, former les gens, offrir des programmes de prévention et de soutien et exercer des pressions auprès de 26 syndicats sans pratiquement aucune ressource. Et c'est là que le Canada pourrait changer quelque chose.

M. Kevin Perkins, directeur exécutif, Canada Afrique Partnership on AIDS : Bonjour. Je suis fondateur et directeur exécutif du Partenariat Canada Afrique sur le sida ou CAP AIDS en anglais. J'aimerais d'abord remercier le comité de me donner l'occasion de participer et de contribuer à l'étude sur l'Afrique du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères.

Notre organisation a été créée il y a à peine deux ans par un petit groupe de Canadiens et d'Africains qui croyaient fermement que les Canadiens pouvaient et devaient faire davantage pour appuyer et aider les Africains touchés par la pandémie meurtrière de sida. Notre conviction repose sur plusieurs faits alarmants, et je vous ferai part de quelques- uns d'entre eux, même si les sénateurs les connaissent pour la plupart. Quelque 180 000 Africains meurent tous les mois du sida, cette maladie étant devenue la principale cause de décès sur le continent. C'est comme un tsunami qui frappe l'Afrique tous les mois. Tous les jours, 11 000 personnes de plus sont infectées, il y a plus de 11 millions d'enfants qui sont orphelins du sida. Ce nombre devrait atteindre les 40 millions en l'an 2030. Face à ces réalités, nous entrevoyons le jour où nos petits-enfants nous demanderont ce que nous avons fait lorsque l'Afrique était dévastée par le sida.

Nous croyons que beaucoup de Canadiens partagent notre désir de contribuer davantage pour faire face à cette crise et qu'ils seraient disposés à aider les courageuses personnes et organisations qui luttent dans les villages et les communautés de toute l'Afrique pour éradiquer le sida. Par conséquent, nous avons créé CAP AIDS et lui avons confié la mission d'aider les Africains à résister et à survivre à la pandémie, voire à en venir à bout. Depuis notre constitution en 2003, CAP AIDS a reçu des contributions volontaires sous forme d'argent et de temps de plus de 1 000 personnes et a versé des contributions à neuf partenaires de soins et de prévention contre le VIH et le sida dans des collectivités de l'Afrique. Maintenant que nous bénéficions de cette expérience, nous sommes plus convaincus que jamais que les Canadiens peuvent et doivent contribuer au changement.

Le défi que pose le sida est vaste et complexe, et je ne serais pas en mesure de vous le décrire dans les sept minutes qui m'ont été allouées ce soir, ni même en sept semaines. Par conséquent, j'aimerais me concentrer sur deux enjeux. Premièrement, j'aimerais attirer votre attention sur les nombreux liens qu'a le sida avec d'autres défis en matière de développement auxquels est confrontée l'Afrique et la nécessité de faire du VIH/sida un thème transversal important de toutes les formes de coopération et d'engagement du Canada en Afrique. Deuxièmement, j'aimerais encourager le Canada à se pencher sur certains des programmes novateurs qui ont été mis au point pour relever des défis semblables comme la famine dans la Corne de l'Afrique au début des années 1980.

Le sida a des répercussions négatives sur tous les aspects du développement social, économique et politique de l'Afrique. Il fauche la vie des gens qui sont dans la fleur de l'âge, au moment où ils élèvent des enfants, exploitent leurs terres, gagnent leur salaire, enseignent aux générations futures et dirigent leur pays. Du même souffle, chaque défi en matière de développement auquel l'Afrique est confrontée, que ce soit au chapitre de la pauvreté, de la santé, de l'égalité des sexes, de la guerre et de l'instabilité, contribue à la propagation du sida. Je peux vous donner des exemples de ces liens entre le sida et la pauvreté, dont Mme Bonin a parlé brièvement.

Le sida et la pauvreté ont des liens profonds qui se renforcent mutuellement. Le sida accentue la pauvreté de façon remarquable dans de nombreuses régions de l'Afrique. Par exemple, au Botswana, le revenu annuel des ménages les plus pauvres devrait diminuer de 13 p. 100 d'ici à 2015 à cause du sida. Chacun de ces ménages absorbera une moyenne de quatre personnes à charge de plus avec des revenus amoindris. Si on regarde l'équation d'une autre façon, on voit que la pauvreté provoque la pandémie. Elle crée de la vulnérabilité mais offre peu de possibilités de gagner un revenu. Par exemple, elle alimente le travail du sexe à des fins commerciales, ce qui, de toute évidence, rend les femmes vulnérables. Tout comme on ne peut régler le problème du sida sans éliminer la pauvreté, le problème de la pauvreté ne peut être éliminé sans l'adoption de mesures visant à contrôler le sida et à y faire face. L'omniprésence et le caractère pernicieux du sida dans toutes les facettes de la vie de l'Afrique et dans toutes les perspectives de développement futur signifient que cette maladie doit être considérée comme intégrée à tous les secteurs de la coopération canado-africaine, que ce soit pour l'éducation de base, la paix et la sécurité, les échanges commerciaux ou la bonne gouvernance. Toutes les mesures qu'adopte le Canada à l'égard de l'Afrique doivent contribuer à la lutte contre le sida. Notre proposition visant à désigner un ambassadeur au Canada pour le VIH/sida serait un bon moyen de parvenir à atteindre cet objectif.

Ma deuxième série d'observations concerne l'importance vitale d'amener les Canadiens et la société civile canadienne à s'engager de nouveau dans la lutte contre le sida en Afrique. C'est la véritable raison d'être de CAP AIDS et je crois que cela devrait devenir un objectif stratégique important pour le Canada. La générosité récente des Canadiens à l'égard des gens touchés par le tsunami en Asie a surpris tout le monde. Pourquoi? Qu'il s'agisse de la réponse des Canadiens à la famine dans la Corne de l'Afrique dans les années 1980, à la crise des réfugiés vietnamiens dans les années 1970 et à d'autres calamités internationales, on est venu à escompter la grande générosité des Canadiens. Après le dernier tsunami, le gouvernement a été forcé, voire amené par les gens à faire preuve de générosité en appariant les dons privés versés aux organismes de bienfaisance. La même chose s'est produite il y a 20 ans après la famine dans la Corne de l'Afrique lorsque le très grand nombre de dons de la part des citoyens ordinaires a amené la création de nouveaux programmes d'intervention comme le Partenariat Afrique Canada. L'ACDI a versé quelque 150 millions de dollars sur dix ans grâce à ce programme pour apparier les contributions des Canadiens afin de réaliser les projets des ONG de l'Afrique. La même chose peut se répéter en mettant l'accent sur le sida en Afrique.

Mais pour une raison ou pour une autre, malgré des évaluations indépendantes positives de programmes comme Partenariat Afrique Canada, dans les années 1990, l'ACDI a commencé à délaisser ce genre de programmes d'intervention. De plus en plus, les partenariats entre particuliers et entre ONG sont en train de devenir pratiquement des éléments accessoires de la stratégie du Canada en matière d'aide étrangère. Dans le programme de Partenariat Afrique Canada, les composantes intervention ont été éliminées et la Direction générale des partenariats a réduit la part du financement de l'ACDI au secteur bénévole.

J'ai lu récemment l'ébauche de cadre stratégique de l'ACDI pour le VIH/sida, et j'ai recherché le mot « Canadien » pour voir combien de fois il apparaît dans le document. J'ai été surpris de voir qu'il n'y figurait que deux fois. Dans les deux cas, c'était dans le contexte de « gouvernement canadien ». On ne fait aucune référence à la possibilité d'engager des Canadiens comme partenaires des Africains dans la lutte contre la pandémie.

L'honorable Aileen Carroll, ministre de la Coopération internationale, je suis heureux de le dire, a annoncé récemment 2 millions de dollars pour un projet de jumelage sur deux ans. C'est un bon point de départ, mais bien faible comparativement à ce qui aurait pu être fait et ce qui a déjà été fait dans le passé avec d'excellents résultats. Je ne veux pas contester ni renier les contributions très importantes et très louables du Canada, y compris une contribution de 15 millions de dollars pour le développement de microbicides, une contribution de 100 millions de dollars à la campagne « 3 d'ici 2005 » et le projet de loi C-9. Cependant, je crois que le gouvernement a sous-estimé la possibilité qu'ont les Canadiens ordinaires de faire face à la crise du sida autrement que par leurs impôts. Et ce, malgré le fait que les Canadiens contribuent de façon importante à l'aide internationale en tant que donateurs individuels. En 1997, les Canadiens ont versé 760 millions de dollars aux organismes caritatifs au chapitre de l'aide internationale et du développement. Cela constituait 41 p. 100 des recettes totales des organismes caritatifs qui ont un volet international, et près du tiers du budget annuel de l'ACDI. Pourtant, le soutien des Canadiens n'est qu'une fraction de ce qu'il pourrait être. Seulement 5 p. 100 des Canadiens font des dons pour des projets de développement et d'aide à l'échelle internationale, et j'estime que l'on pourrait faire davantage ici. La possibilité qu'ont les Canadiens d'aider directement les Africains constitue une ressource puissante qui peut être mobilisée, exploitée, promue et amplifiée par les programmes d'aide étrangère du Canada. Ce potentiel ne devrait pas être passé sous silence et marginalisé. Voilà pourquoi je crois que l'une des meilleures choses que le Canada peut faire pour réagir à la crise du sida en Afrique est de laisser au public canadien le soin de s'engager à cet égard. Il faudra pour cela revenir sur des programmes plus interventionnistes qui font état de l'appariement des contributions du gouvernement aux contributions privées, d'un engagement plus public et de partenariats entre particuliers soigneusement négociés.

J'aimerais terminer en vous remerciant à nouveau de m'avoir invité à comparaître devant votre comité. C'est un véritable plaisir et un honneur pour moi. Merci.

[Français]

Mme Dorothée Gizenga Ngolo, chargée des programmes, Partenariat Afrique Canada : Je ferai ma présentation en anglais. Je fais seulement les introductions en français.

Partenariat Afrique Canada est une organisation qui a pour mandat de travailler avec les sociétés civiles africaines dans le domaine de la sécurité humaine.

[Traduction]

Nous sommes surtout reconnus pour notre travail concernant les « diamants de la guerre », et en 2003, notre organisation a été mise en candidature pour le prix Nobel de la paix, que nous n'avons pas obtenu, mais c'est quand même un grand honneur que d'avoir été mis en nomination pour un prix aussi prestigieux.

Comme je l'ai dit en français, nous travaillons avec la société civile africaine pour résoudre des enjeux concernant la sécurité humaine et le renforcement de ses capacités, en particulier, pour qu'elle puisse faire la promotion des intérêts des gens, entreprendre le dialogue politique et la recherche nécessaires pour faire ce travail de défense.

Je suis heureuse d'être ici aujourd'hui et de vous présenter un exposé sur la question du VIH/sida. Je le fais d'un point de vue bien particulier. J'examinerai la question du VIH/sida et des conflits.

En 2003, Partenariat Afrique Canada a mené des consultations dans 11 pays d'Afrique avec nos partenaires de l'Afrique de l'Est, de l'Ouest, du Centre et du Sud. Nous travaillons en particulier dans des pays qui viennent de sortir d'un conflit ou qui sont encore en conflit, comme nous l'avons fait pour les diamants de la guerre en Sierra Leone, en République démocratique du Congo et en Angola. Ces pays faisaient alors l'objet de sanctions sur les exportations de leurs diamants, grâce à la mobilisation de la société civile dans le monde et au fait que les gouvernements sont de plus en plus dirigés par des civils. Aujourd'hui, le Processus de Kimberley est en place, et j'en suis responsable au sein de mon organisation, lequel vise à juguler le trafic illégal de diamants tout en protégeant le commerce légal de ce produit.

Dans ces pays, surtout en République du Congo, en République démocratique du Congo et en Angola, l'un des thèmes qui est revenu très souvent était l'importance de percevoir le VIH/sida comme autre chose qu'un problème de santé. Il s'agissait de l'importance de percevoir le sida comme une arme de guerre. C'est là un élément qui est souvent oublié, à savoir que le VIH/sida n'est pas seulement une pandémie. Aujourd'hui, dans chaque zone de conflit, le VIH/ sida est utilisé comme arme de guerre où les soldats que l'on sait être séropositifs sont effectivement envoyés pour commettre systématiquement des actes de violence sexuelle contre les femmes de sorte qu'on a une autre façon de saper la population d'un pays en particulier.

Nombreux sont les exemples de ce genre. En Afrique, le sida est plus qu'un simple obstacle au développement. C'est un phénomène qui est en train de changer la démographie, la structure des familles et les relations sociales, d'affaiblir les économies et de miner la gouvernance. Il a effectivement fait reculer le processus du développement politique et économique dans divers pays comme le Botswana. Le Botswana était un exemple remarquable de développement en Afrique. Aujourd'hui, il est freiné dans son développement par la perte de cerveaux attribuable au VIH/sida. Les enseignants, les éducateurs et les médecins figurent tous parmi ceux-là.

En temps normal, la dévastation provoquée par le VIH/sida est déjà suffisamment grave. Ce n'est donc pas une coïncidence que de nombreux pays aux prises avec un conflit comptent aussi de nombreuses épidémies graves de VIH/ sida. Les conflits armés créent et exacerbent les conditions de vie et les violations des droits de la personne qui rendent les gens particulièrement vulnérables au VIH/sida. Une séparation prolongée des membres de la famille, l'accroissement de la violence sexuelle et physique, le déplacement forcé des populations, le non-respect de la loi et de l'ordre, tous ces éléments exposent les gens, surtout les jeunes, à un risque plus grand d'infection.

La violence sexuelle et physique dont sont victimes les femmes durant la guerre est une autre guerre. C'est une guerre dans la guerre.

L'appauvrissement qui accompagne les conflits laisse souvent les femmes et les jeunes filles tellement dans la misère que l'échange de faveurs sexuelles devient la seule option pour assurer la survie de nombre d'entre elles. Après l'expression « les enfants de la guerre », on entend maintenant « les enfants de la violence et du VIH/sida ». Si on regarde les émissions de télévision où l'on parle des femmes qui ont été victimes de viol au Rwanda, au Congo et en Angola, on remarque que celles-ci donnent naissance à des enfants séropositifs dont elles ne veulent pas et qu'elles rejettent. Ce sont les enfants de la violence et du VIH/sida, et c'est en train de devenir un phénomène énorme en ce moment en Afrique.

L'impact le plus visible des conflits se manifeste sur l'infrastructure nécessaire pour traiter les personnes aux prises avec le VIH/sida. Il faut enseigner aux gens comment éviter de contracter le virus, virus qui décime les familles et les ressources communautaires au point où les gens sont de moins en moins capables de s'occuper des personnes qui sont atteintes de la maladie. En temps de paix, les soldats ont, en moyenne, un taux de transmission de maladies sexuelles de deux à cinq fois plus élevé que le taux comparable chez les populations civiles. En période de conflit, la différence peut être beaucoup plus importante, soit huit à douze fois plus élevée. Lorsque les soldats sont démobilisés, souvent sans avoir subi de tests de dépistage de VIH ou reçu de counselling, ils rentrent chez eux et transmettent le virus à leur femme ou à leur partenaire et, probablement, à leurs futurs enfants.

En outre, le VIH/sida peut faire en sorte qu'il est plus difficile de mettre un terme à un conflit. Pour assurer une paix durable, il n'est pas suffisant de simplement cesser les combats et de mettre en œuvre des programmes de désarmement et de réinsertion sociale. Comme le sida fait grandement diminuer le nombre de personnes d'expérience et de formation nécessaires pour combler les postes et ajoute à la complexité de la démobilisation des combattants, le succès qu'obtiendra un pays pour résoudre des conflits internes dépend en partie de la façon dont il intègre le VIH/sida à ses programmes de désarmement et de réinsertion, et dans quelle mesure il gère les mesures adoptées à l'échelle nationale pour faire face à la pandémie de sida.

Le monde ne peut attendre la paix pour lutter contre l'épidémie du VIH/sida. La prévention de la maladie et celle des conflits devraient aller de pair. Ce sont les deux lames de la cisaille nécessaire pour couper la corde du VIH en Afrique. Quelque 2,5 millions d'Africains sont morts du sida en 2004. Un pays d'Afrique sur quatre est actuellement aux prises avec les effets de conflits armés.

La loi, l'ordre et le bon gouvernement doivent être rétablis sans délai. Les administrations régionales et locales doivent bâtir des écoles et ouvrir des cliniques très rapidement. La communauté internationale doit se concentrer immédiatement sur la question de la reconstruction post-conflit pour aider les pays actuels qui émergent d'un conflit.

Une fois de plus, le problème du VIH/sida devrait être abordé durant le conflit plutôt que d'attendre que ce dernier soit réglé. On parle beaucoup de la diminution du coût des médicaments rétroviraux à 80 p. 100 de leur valeur. Lorsque la population vit avec un dollar par jour, même si vous abaissez le coût des médicaments rétroviraux contre le VIH/sida pour le ramener à 80 p. 100 de sa valeur, les gens ne peuvent toujours pas se les payer.

La solution à long terme au VIH/sida réside dans l'éradication de la pauvreté. Lorsque les gens ont un emploi et un revenu, ils sont alors en mesure de faire face au sida, d'acheter des médicaments et d'avoir des systèmes de soutien.

Il faut examiner les modèles d'intervention et les appuyer à l'échelle internationale. Il nous faut appuyer des modèles d'intervention comme Médecins sans frontières qui travaillent dans le pays, en partenariat avec les centres médicaux existants et offrent de l'expertise à ces centres de sorte que lorsqu'ils partent — parce qu'ils sont normalement là pour une brève période — les centres sont en mesure de faire tous les tests et d'offrir le counselling et les services nécessaires aux gens malades.

Une autre de nos recommandations vise à accorder plus de crédits à l'aide technique et financière pour les militaires afin de prévenir et de traiter le VIH/sida. Des ressources plus grandes versées à des fonds mondiaux de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria sont aussi nécessaires.

J'aimerais vous laisser sur les paroles suivantes que j'ai entendues lorsque j'étais en Angola : « On peut dialoguer et négocier avec les forces armées et les forces rebelles. On peut dialoguer avec les personnes qui poursuivent des conflits ethniques afin d'y trouver une solution pacifique, mais on ne peut dialoguer avec le VIH/sida. » Merci.

[Français]

Le sénateur Corbin : Madame Bonin, j'ai écouté attentivement ce que vous avez dit. À la section « gouvernance » de la page 26 de la version française de votre document de travail, vous dites quelque chose qui m'étonne énormément. La recommandation que vous formulez est la suivante :

Nous demandons que soit mis un terme aux régimes fiscaux et aux stimulants à l'investissement direct à l'étranger conçus de manière à forcer l'Afrique de choisir entre l'investissement étranger et une saine fiscalité, la transparence et des programmes de lutte à la corruption.

Il va falloir que vous m'expliquiez pourquoi vous incluez la transparence et les programmes de lutte à la corruption, d'autant plus que tout le monde sait qu'il y a un manque de transparence et que la corruption est un fléau qui imprègne bien des administrations publiques en Afrique. Si on allait de l'avant avec ces deux dernières exigences, on donnerait un fort mauvais signal aux abuseurs en tout premier lieu.

Pouvez-vous m'expliquer pourquoi on a inclus la transparence et les programmes de lutte à la corruption dans cette recommandation?

Mme Bonin : L'esprit de cette recommandation est de dire que là où il y a des problèmes de gouvernance, de transparence et de corruption, on ne doit pas se croiser les bras et attirer des investisseurs étrangers en abandonnant tout espoir de paiement de royautés sur l'exploitation des minerais ou de contributions fiscales sur les profits. C'est maintenant souvent l'argument pour la création des zones franches d'exportation en Afrique qui se multiplient comme des petits pains chauds. L'argument sous le tapis est de dire que de toute façon, cela ne sert à rien de payer quoique ce soit à ces gouvernements, ils sont tellement corrompus que c'est comme jeter de l'argent par la fenêtre. Donc pourquoi se donner la peine de contribuer quoi que ce soit à ces pays?

Une espèce de connivence est en train de se mettre en place entre les investisseurs, les institutions financières internationales et les gouvernants pour permettre de plus en plus la création de telles zones franches où les investisseurs sont libres d'investir, sans rien avoir à verser en contributions au pays dans lequel ils emploient une main-d'œuvre super bon marché et non syndiquée. Les trois quarts du temps, cela fait partie des conditions. Lorsque vous ouvrez une usine en zone franche plutôt qu'en territoire normal, on vous permet d'avoir la main plus forte sur toute velléité de syndicalisation, on vous permet de ne pas avoir à payer de taxes et on vous permet de rapatrier tous vos profits intégralement. Finalement, une stratégie qui devait permettre le développement, permet seulement l'enrichissement des multinationales parce qu'il n'y a pas de retour dans le pays. L'argument utilisé pour permettre cela est que de toute façon, à quoi cela sert d'investir quoi que ce soit en taxes? Le système de fiscalité ne fonctionne pas, le gouvernement est corrompu, et cetera.

Pourquoi n'est-il pas possible de réformer ces systèmes de gouvernance fiscale, d'investir dans la gouvernance, de mettre fin à la corruption et de bénéficier de l'investissement étranger? En ce moment, le type d'investissement étranger qu'on attire en Afrique ne permet à personne d'autre qu'aux multinationales d'en bénéficier. Les Africains n'en bénéficient pas, ni leurs gouvernements, ni leurs institutions nationales, ni les populations parce que ce sont des investissements libres de toute contribution sous prétexte que les gouvernements sont trop corrompus. C'est l'enjeu.

Quand on voit que l'ACDI a décidé de mettre beaucoup plus d'emphase sur les programmes anticorruption, on croit qu'effectivement elle doit jouer un rôle plus actif pour combattre la corruption et renforcer la gouvernance plutôt que de simplement suivre la stratégie d'Industrie Canada. On encourage les investissements mais on repart avec toute la galette.

Le sénateur Corbin : Êtes-vous en train de dire que des entreprises canadiennes jouent ce jeu?

Mme Bonin : Absolument.

Le sénateur Corbin : C'est documenté?

Mme Bonin : Oui, c'est documenté.

Le sénateur Prud'homme : Là où il y a de la corruption, il y a des corrupteurs.

Le sénateur Corbin : Je ne sais pas si on peut demander qu'on nous cite des noms.

Mme Bonin : Je ne peux pas citer de noms ici. Je n'en ai pas sous la main. Je ne suis pas l'experte des multinationales canadiennes. Je travaille sur le VIH/sida plus particulièrement. Cependant, je peux vous dire qu'il y a des compagnies canadiennes qui parviennent à investir dans des soi-disant zones franches d'exportation où elles sont pratiquement libres de toute obligation.

Le sénateur Corbin : Elles évitent toutes leurs responsabilités sociales à l'endroit du pays hôte?

Mme Bonin : Exactement. Très souvent, dans ces zones, les conventions internationales de l'OIT, par exemple, qui ont par ailleurs été signées par le gouvernement du pays hôte, ne sont pas respectées. Il y a des femmes qui travaillent 18 heures par jour, des enfants de moins de 18 ans qui travaillent, des gens battus, des accidents de travail totalement évitables. Ce n'est pas seulement la faute des compagnies canadiennes, mais il y en a aussi.

Le sénateur Corbin : Je vais changer de sujet. À la section « VIH/sida » de la page 28 de la version française, en fait, c'est la recommandation numéro 12, vous suggérez que, et je cite :

Toutes les entreprises recevant un financement d'une agence d'un pays industrialisé, comme l'ACDI ou Exportation et Développement Canada(EDC), devraient produire obligatoirement un rapport annuel sur le VIH/ sida, comme c'est le cas à l'heure actuelle en matière de pratiques environnementales.

Pouvez-vous être plus spécifique? Que contiendrait un tel rapport en termes de renseignements ou d'informations et à quel but servirait-t-il?

Mme Bonin : L'Organisation internationale du travail a développé un outil intitulé « Recueil de directives pratiques du BIT sur le VIH/sida et le monde du travail». Selon Stephen Lewis, représentant de Kofi Annan sur le VIH/sida, il s'agit du meilleur document produit par les Nations Unies sur le sujet. Ce n'est pas une convention qui a force de loi. C'est un outil pour guider les employeurs et les syndicats sur la façon dont on devrait mettre en place en milieu de travail des pratiques permettant, d'une part, de limiter la propagation du virus et, d'autre part, d'amoindrir l'impact du virus sur le milieu de travail et sur la productivité des travailleurs. Il me fera plaisir de vous fournir une copie de ce document, si vous le désirez, sous forme électronique ou autre.

Ce code propose une série de mécanismes et d'actions qui peuvent être mis en œuvre conjointement par des représentants de la partie patronale et des travailleurs. C'est le genre d'action qui, par exemple, pourrait être documenté par les compagnies canadiennes. À titre d'exemple, on pourrait indiquer les informations suivantes : une entreprise donnée à un comité de santé et de sécurité au travail qui s'occupe du VIH/sida; un comité a été créé spécifiquement pour le VIH/sida car il s'agit d'un pays à incidence élevé et on a adopté une politique pour le milieu de travail en question; on a créé des bénéfices, on fournit des services de soutien pour les travailleurs d'une entreprise donnée.

Les mesures contenues dans ce code ont été développées conjointement avec l'Association internationale des employeurs, les gouvernements membres des Nations Unies et les syndicats internationaux.

Le sénateur Corbin : Ce document est un outil. Toutefois, vous insistez pour que ce rapport soit rendu obligatoire.

Mme Bonin : Cet outil n'est pas obligatoire en ce moment pour la simple raison qu'il existe des pays sous un régime dictatorial qui ne sont pas prêts à signer une convention assurant les droits des travailleurs et des travailleuses en vertu des risques reliés au VIH/sida. Pour de tels pays, on s'est contenté de créer un outil que l'on suggère fortement de respecter.

Les compagnies canadiennes sont issues d'un pays démocratique où des conventions signées sont respectées et où une loi sur le travail est en vigueur. Nous sommes donc en mesure d'exiger de ces compagnies qu'elles respectent des normes sur le VIH/sida lorsqu'elles investissent à l'étranger.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : Je tiens à remercier les témoins parce que je sais à quel point ils travaillent fort pour informer les gens, définir les problèmes concernant le sida et y trouver des solutions qui font appel aux Canadiens.

Le sida n'est pas un problème nouveau en Afrique. Il existe depuis un certain temps. Il y a des gens qui y travaillent actuellement. Lorsque la plupart des Canadiens entendent les statistiques, ils sont horrifiés de la situation; pourtant, cela n'a pas amené l'adoption de mesures intensives ni exercé de pressions sur le gouvernement canadien. Le sommet du G8 à Kananaskis a mis en relief le sida et le dilemme en Afrique, et pendant un moment, il y a eu discussions et expression d'opinions. Maintenant, ça ne semble plus être de ce problème dont on discute.

Nous sommes ici en tant que comité des affaires étrangères, s'intéressant aux problèmes de l'Afrique. Comment pouvons-nous amener le gouvernement canadien à faire les choses différemment, à fournir plus de ressources de façon concentrée et constante? Vous connaissez les dilemmes sur le terrain. Que pouvons-nous faire ici, et quelles recommandations devrions-nous formuler au gouvernement canadien et aux Canadiens?

M. Perkins : C'est une excellente question, sénateur.

Il est vrai que les statistiques sont accablantes et consternantes, et je pense qu'elles peuvent être paralysantes. Cela peut sembler tellement insurmontable qu'il est plus facile de se sentir mal et de ne rien faire. C'est un défi. Un défi pour toutes les ONG qui essaient de faire davantage.

Pour nous, d'abord, qui investissons des ressources humaines. On peut apporter quelque chose à un village, une famille, un enfant et une collectivité, et on peut arriver à certains résultats pour la collectivité en question. C'est là une façon de montrer que cela peut être possible.

Je ne sais pas si cela répond à votre question quant aux recommandations que vous devriez formuler au gouvernement, mais l'une des choses que nous avons commencé à faire, c'est simplement d'offrir des bicyclettes aux travailleurs du VIH/sida. Ces travailleurs sont des bénévoles communautaires qui vont aider les gens à la maison aux prises avec la maladie. Ils aident les orphelins à entrer à l'école, à trouver un nouveau foyer, ils font un travail d'information et de défense des droits de la personne et ainsi de suite. C'est une bonne stratégie, mais les endroits sont tellement éloignés. Il n'y a pas moyen de s'y rendre autrement qu'à pied, donc les travailleurs de la santé s'épuisent souvent et abandonnent. En leur donnant une bicyclette de 100 ou 200 $, ils peuvent voir de cinq à six fois plus de gens. C'est là une petite solution que les gens peuvent envisager. Ils le font, constatent que ça fait une différence dans la vie de plusieurs centaines de personnes.

Cela paraît simple, mais dans la mesure du possible, on peut faire la preuve qu'on peut venir en aide à des personnes de façon appréciable, et qu'on est capable de le faire. C'est pourquoi j'ai dit tout à l'heure qu'il est important de donner la possibilité aux gens de s'identifier directement à une initiative qui rejoint la base, ces gens-là peuvent se représenter les choses et avoir l'impression qu'ils font quelque chose et en tirer satisfaction. Même s'ils restent préoccupés par l'ampleur du problème, ils ont l'impression de pouvoir apporter leur petite contribution.

Des programmes d'intervention, avec des projets individuels, peuvent vraiment atteindre un tel objectif et commencer à générer un plus grand soutien. Dès que les gens sentent qu'ils peuvent apporter quelque chose, ils sont davantage enclins à vouloir le faire.

Mme Ngolo : Il est très important de se concentrer également sur les succès. Nous sommes ici en train de discuter d'une question tragique, et on décrit toujours l'Afrique comme un continent sans espoir. La télévision nous présente beaucoup de ces images, mais il y a aussi des succès en Afrique. L'Ouganda est un pays qui a surmonté beaucoup de problèmes, et pas seulement le VIH/sida. Nous l'utilisons comme exemple pour montrer que lorsqu'on fait quelque chose, on peut provoquer des changements. Cela est important, et c'est le message que l'on doit transmettre au gouvernement canadien. Aider les gens, aider les organisations et la société civile en Afrique, et si on peut les aider à adopter des mesures, les changements vont se matérialiser. Quand on s'y arrête, on constate qu'il y a des succès en Afrique actuellement.

Le problème ne connaît pas de frontières. Comment quelqu'un, quelque part, peut-il se sentir en sécurité lorsque cette pandémie progresse sans cesse sur le continent africain? Peu importe les lois sur l'immigration que l'on adopte ici au Canada, la pandémie va atteindre le pays, je vous le garantis. Elle est déjà là. Avant de travailler à Ottawa, j'ai vécu à Toronto, je faisais du bénévolat auprès de l'African Community Health Services Organization. Nous nous occupions des Africains séropositifs qui vivent à Toronto. Leur nombre augmente tous les ans. Il y a eu transmission de la maladie à Toronto, mais certains ont immigré avec elle. Il en va de même pour la population asiatique à Toronto, c'est vrai aussi pour la population africaine de cette ville. Comment quelqu'un peut-il se sentir en sécurité? Si on ne met pas un visage sur cette maladie, parce qu'on pense que c'est un problème bien loin de nous, nous avons tout à fait tort. Le problème est ici, chez nous. Il nous faut l'aborder là où la situation est la plus grave de sorte que nous sentions les répercussions de nos interventions. À bien des égards, c'est ce que nous sommes en train de faire avec le terrorisme. Nous attaquons le terrorisme à la base parce que nous ne voulons pas qu'il ait de répercussions ici au Canada. Les pandémies devraient être envisagées de la même façon. Ces enjeux doivent être abordés de la même manière et ils sont invisibles, contrairement au terrorisme assorti de violence. Le sida est un ennemi invisible qui se fraie un chemin dans le monde. Voilà les messages qu'il faut lancer, mais il faut aussi se concentrer sur les succès des mesures adoptées, cela est extrêmement important.

M. Perkins : L'an dernier, nous avons convenu d'une entente avec un homme de Toronto, Joseph van Veen, séropositif et toujours en santé depuis 19 ans. En fait, il a participé à un triathlon Ironman en 2003. Nous l'avons invité à prendre sa bicyclette pour faire un circuit de solidarité dans toute l'Afrique afin de rencontrer les organisations qui s'occupent du VIH et il a accepté. C'était remarquable. Bien sûr, il y a des différences majeures entre la façon dont le VIH est vécu ici au Canada et en Afrique. Il a été plus surpris par les similitudes quant à la façon dont une personne est touchée lorsqu'elle découvre qu'elle est séropositive. Il y a des problèmes de stigmatisation sociale, de divulgation, de relations et d'autres concernant le genre de soutien dont on a besoin. Il est revenu et a pu raconter son histoire à des groupes de Toronto et de tout le Canada de sorte qu'ils puissent se rendre compte que la maladie est physiquement éloignée, mais suffisamment proche pour qu'on s'y identifie, à plus d'égards qu'on ne le croie.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez parlé de l'Ouganda que je connais bien. Mis à part les problèmes de gouvernance, il est intéressant de voir que le président de l'Ouganda, un homme, ait pris la parole au sujet du problème du sida, et qu'il a eu un impact culturel très important sur le terrain. D'autres leaders d'Afrique sont moins ouverts.

Croyez-vous que le Canada pourrait jouer un rôle pour encourager les dirigeants de l'Afrique à assumer la responsabilité du problème et à s'y attaquer? Il me semble que s'ils ne le font pas, le message ne sera pas transmis aussi bien qu'il l'a été en Ouganda.

Mme Ngolo : Je suis tout à fait d'accord. C'est la carotte ou le bâton. On peut influencer le comportement des gens en leur disant ce que l'on attend d'eux pour créer des partenariats avec eux. Cela s'applique non seulement aux leaders politiques, mais aussi aux leaders religieux, qui jouent un rôle extrêmement important qui influence le comportement des gens.

Par exemple, il y a des stratégies de réduction de la pauvreté qui portent sur la question, entre autres. De la même façon, chaque pays devrait avoir un cadre stratégique pour planifier la façon dont il compte aborder le problème du VIH/sida. Cela n'est pas un commentaire populaire lorsque j'en fais part aux personnes qui défendent toujours l'allègement de la dette. Je ne crois pas à un allègement inconditionnel de la dette parce que cette mesure devrait être liée à certains progrès. Une fois l'allègement de la dette obtenu, il faut déterminer comment l'argent sera utilisé. Il ne faut pas piger dans la poche de quelqu'un pour combattre sa corruption, mais plutôt planifier des stratégies mesurables claires pour réaliser des progrès dans le domaine de l'éducation, de la santé et dans d'autres composantes des responsabilités sociales. Peut-être l'argent devra-t-il être utilisé pour combattre le VIH/sida. Des pays comme le Canada ont fait connaître de nombreux problèmes comme les mines antipersonnel et les diamants de la guerre, aussi ont-ils un rôle énorme à jouer sur la scène internationale pour inciter d'autres gouvernements à donner leur aide et à établir des partenariats avec eux lorsque cela est nécessaire.

[Français]

Le sénateur De Bané : Madame Gizenga Ngolo, vous avez dit que, aujourd'hui, cette maladie terrible fait partie de l'arsenal de ceux qui font la guerre. Je n'aurais pas pensé qu'on pouvait aller jusque-là.

Dans cette grande question du développement de l'Afrique, comme vous le savez, on a mis en place un nouveau programme du NEPAD. L'une des caractéristiques du NEPAD, c'est le « peer review », la revue par les pairs; autrement dit, des pays africains doivent porter un jugement sur la bonne gouvernance des autres pays africains pour que ces pays puissent être bénéficiaires d'une aide internationale. Sur papier, cela a l'air très bien, d'autres pays africains évaluent la bonne gouvernance. Mais en pratique, est-ce que cela fonctionne ou est-ce que ce sont uniquement des vœux pieux?

Mme Ngolo : Partenariat Afrique Canada est en train de faire une étude de l'état d'avancement des choses avec le NEPAD, par rapport, justement, au mécanisme d'évaluation par les pairs, car quatre pays se sont déjà portés volontaires et une évaluation à déjà été faite dans ces quatre pays dont on attend les résultats.

Quelle est la crédibilité d'un tel mécanisme? Notre première question est : où est la participation civile? Qui juge qui? Si ce sont les présidents qui jugent les autres présidents, je ne pense pas que le mécanisme soit valable. Je crois que c'est la population, sa société civile, ses organisations, ses syndicats et patronats, qui doivent faire l'évaluation et dire si la performance de leurs gouvernants dans leur pays a été satisfaisante ou non.

Il y a aussi les questions de droits humains. Les mécanismes d'évaluation doivent inclure les droits humains comme élément d'évaluation. En pratique, quand on voit que la loi de la charia est appliquée au Nigeria, c'est une grande violation de droits humains; comment un tel pays pourrait-il afficher, à la lumière d'un tel mécanisme d'évaluation, des couleurs vibrantes?

Ce sont des questions que nous nous posons. Nous n'avons pas les résultats, ils n'ont pas été rendus publics. Des quatre évaluations qui ont été faites, mais à travers notre étude, et en collaboration avec l'Union africaine, nous voulons voir où nous en sommes. Nous restons réservés quant à dire si cela fonctionne ou non. Je pense qu'une analyse plus profonde est nécessaire, d'autant qu'il n'y a pas d'élément d'évaluation par la population, par la société civile; ils n'ont pas voix au chapitre dans le cadre de ce mécanisme pour l'instant.

Mme Bonin : À propos de cette question, on travaille beaucoup au Zimbabwe en ce moment et c'est un cas qui explique bien l'ambiguïté de la mesure de révision par les pairs. L'Afrique du Sud est considérée comme le seul pays pouvant faire bouger le président du Zimbabwe, M. Robert Mugabe, mais elle ne le fait pas.

Le fait que le mécanisme de révision entre les pairs existe dans le document du NEPAD, même s'il n'est pas pleinement utilisé par les gouvernements de la région ou de la SAD, Southern African development Community, permet à la société civile, au Zimbabwe et en Afrique du Sud, de faire pression auprès des médias locaux et de la communauté internationale, en disant : nos gouvernants se sont engagés à faire cette révision et à se surveiller mutuellement; ils ne le font pas; pourtant nous sommes témoins des violations des droits humains au Zimbabwe.

C'est dans cet esprit, par exemple, qu'une délégation syndicale sud-africaine a tenté à deux reprises dans les derniers mois de se rendre au Zimbabwe pour faire état de violations des droits humains. À deux reprises, elle a été refoulée à la frontière par les autorités du Zimbabwe. Quand ils rentrent chez eux et donnent une conférence de presse, ils disent : nous sommes obligés de faire le travail que notre gouvernement s'est engagé à faire dans le cadre du NEPAD et qu'il ne fait pas.

Même s'il peut sembler que les choses ne fonctionnent pas, ce n'est donc pas tout à fait exact. L'engagement est sur papier et il permet à la société civile de brandir publiquement les engagements non respectés.

[Traduction]

Le président : On entend souvent parler du Zimbabwe, mais, semble-t-il, pas de la Zambie. La Zambie est un pays intéressant avec un contexte semblable à celui du Zimbabwe, mais les choses ne semblent pas aller très bien en ce moment là-bas.

En ce qui concerne le sida, ma question est la suivante : existe-t-il certaines caractéristiques qui déterminent où l'on trouve le sida? À mon avis, le sida est divisé entre l'Afrique islamiste, animiste et chrétienne, et entre les agriculteurs et les gardiens de troupeaux dans les plaines et les gens qui vivent dans les villes.

Le sida est-il aussi présent dans les régions islamiques de l'Afrique que dans l'Afrique chrétienne? L'est-il autant dans les régions rurales? Y a-t-il une distinction entre les grandes régions où l'on trouve des gardiens de troupeaux et des agriculteurs qui pratiquent leur métier pour fins de subsistance? Y a-t-il des caractéristiques concernant le sida dans ces milieux différents et très importants de l'Afrique?

Mme Bonin : Ma réponse ne sera pas très précise, mais elle s'appuiera sur l'expérience. J'ai vécu dix ans dans le sud de l'Afrique où la pandémie est à son plus fort. Au cours de ces années, j'ai également vécu au Mozambique où les musulmans sont surtout dans le Nord et les chrétiens, surtout dans le sud. Au Mozambique, il n'y a pas de différence en ce qui concerne la pandémie parce que tous les pays environnants ont un taux élevé semblable de prévalence. Il se fait beaucoup de déplacements, aller et retour. Cela n'a rien à voir avec le fait de savoir si les gens sont musulmans ou chrétiens.

En outre, en ce qui concerne la division entre les régions urbaines et les régions rurales, historiquement, lorsque la pandémie a commencé dans le sud de l'Afrique, elle était surtout documentée et visible dans les régions urbaines ou dans les populations concentrées comme dans les exploitations minières. Cependant, il y a longtemps de cela. C'était à la fin des années 1980. Ces personnes sont retournées depuis dans leur famille le week-end et les jours de congé à bien des reprises au cours des deux dernières décennies. Très rapidement, les collectivités rurales ont été touchées, autant que les collectivités urbaines.

Le président : Dans la même mesure?

Mme Bonin : Les gens se déplacent. Les Africains, par définition, dans leur propre culture, même avant la colonisation et le développement économique et industriel qui a attiré les gens dans les villes, sont des gens qui se déplacent. Ils voyagent. Ils voyagent avec leur bétail. Ils voyagent pour se chercher du travail, pour rendre visite aux familles élargies. C'est là une des principales causes de la pandémie.

Le président : Nous entendrons demain un témoin du Nigeria, un pays dont 25 p. 100 de la population est de l'Afrique subsaharienne. Nous pourrons poser la question à ce témoin demain, bien sûr, mais est-ce qu'il y a une caractéristique qui définit le sida au Nigeria? Est-ce que le sida est prévalent dans tout le pays dans la même mesure? Est-ce que c'est seulement dans certaines régions du Nigeria? C'est un pays qui compte 125 millions d'habitants.

Mme Bonin : Ce n'est pas la même chose partout, mais je n'ai pas les chiffres pour appuyer ce que je dis. J'ai posé la même question la semaine dernière à ma sœur des syndicats, la coordonnatrice du VIH/sida du Nigerian Labour Congress. Elle m'a dit que dans les grandes villes, la prévalence est plus importante que dans les régions rurales. Je lui ai demandé si le Nord, qui est davantage musulman, est moins touché parce qu'il est plus conservateur. Elle dit que la pandémie y fait son chemin peut-être plus lentement, mais qu'une fois installée, elle se répand plus rapidement parce que les hommes ont plusieurs femmes, et lorsque le mari meurt, elles sont données à leurs frères. Elles infectent le frère et le frère infecte d'autres femmes. C'est comme si la religion avait servi de barrière. La pandémie a débuté plus lentement, mais une fois dans le pays, le problème s'accentue de façon exponentielle.

Mme Ngolo : Je veux simplement ajouter que, oui, la délimitation du problème est maintenant floue entre les régions urbaines et rurales. L'absence d'éducation dans les régions rurales, le manque d'accès à l'information et la culture traditionnelle qui fait en sorte qu'une femme est donnée au frère, et ainsi de suite, tout cela a beaucoup accéléré et exacerbé la propagation du VIH/sida. Au départ, les pays musulmans comptaient un taux de prévalence moindre que les pays chrétiens et les pays où les deux populations existent. Ces distinctions sont maintenant ténues.

Il est vrai également que de nombreux pays se croient exempts du VIH/sida et par conséquent n'ont pas de centres de dépistage. Leurs statistiques indiquent un faible taux de prévalence quand on ne connaît pas la réalité. Il y a aussi des pays qui sont en conflit ou qui viennent tout juste de sortir d'un conflit et tout le mouvement de déplacements et de réfugiés est venu embrouiller les frontières permettant de déterminer si le VIH y est prévalent ou pas.

[Français]

Le sénateur Prud'homme : Le sujet n'est sans doute pas le plus excitant ni le plus exaltant. Toutefois, il est, comme vous l'avez souligné, le plus important.

Le sénateur Stollery a touché un peu à l'aspect religion. Là où vous rencontrez une certaine résistance, est-ce davantage dû au phénomène politique ou au phénomène religieux? Certains leaders religieux ont parfois une aversion totale de l'enseignement des pratiques sexuelles, par exemple.

Mme Ngolo : Je dirais qu'il s'agit plus d'une résistance inconsciente. Ils pratiquent une religion et cela pose certaines barrières. Dans la mesure où la résistance est inconsciente, on contracte le VIH/sida également par inconscience. La propagation ensuite devient un phénomène qui se déchaîne de lui-même. Les gens suivent leur leader. Souvent les leaders religieux africains sont contre l'utilisation de tout mode de prévention.

Le sénateur Prud'homme : C'est justement ce sur quoi j'aimerais entendre vos commentaires.

Mme Ngolo : Ils sont contre l'utilisation des prophylactiques. La transmission se fait vraiment de façon inconsciente. On ne peut donc parler de mesure de prévention du VIH. Si le geste était conscient, il en serait tout autrement.

Mme Bonin : On parlait plus tôt des rôles propres à chacun des sexes. Certains pays africains ont une culture plus traditionnelle que d'autres. Dans certaines cultures, le modèle masculin traditionnel est qu'il est normal pour un homme de se livrer à plusieurs conquêtes. C'est ainsi qu'un homme aura beaucoup d'enfants, nés de nombreuses mères différentes, même si ceux-ci seront peut-être négligés par la suite.

Le fait de faire beaucoup d'enfants, même si on ne parvient pas à s'en occuper par la suite, à assumer la charge de tous ces enfants, cela prouve qu'on est un vrai homme, qu'on est viril, qu'on est capable.

Le sénateur Prud'homme : Et tout cela sans l'emploi de préservatifs.

Mme Bonin : Si l'homme emploie des préservatifs, il ne pourra pas prouver sa virilité parce qu'il n'aura pas autant d'enfants. Ce ne sera pas aussi visible qu'il est un vrai homme.

Bien sûr, il y a des milieux plus éduqués, où la culture est différente. C'est alors que des progrès se font et que des hommes arrivent à convaincre d'autres hommes qu'il n'est pas nécessaire d'avoir autant d'enfants pour prouver sa virilité.

Il est important de compter sur des hommes qui perçoivent et vivent leur virilité différemment et qui peuvent éduquer les autres. Il y a des pays où la tradition a été chamboulée par l'industrialisation, la pénétration des valeurs occidentales, l'immigration, la migration, la télévision. Par ailleurs, il y a d'autres pays pour lesquels c'est moins évident, où il faudra faire davantage d'efforts.

[Traduction]

Mme Ngolo : J'aimerais vous parler du rôle de l'ONU et d'autres forces de maintien de la paix. Je suis renversée de voir que les forces de maintien de la paix de l'ONU peuvent jouer un rôle si négatif dans la violence faite aux femmes, et dans la propagation du VIH/sida. Je suis née en République démocratique du Congo. Dans le Partenariat Afrique Canada, j'ai été engagée pour couvrir l'Angola, mais on a découvert que j'étais Congolaise, et on m'a confié ce pays également.

Lors de mes voyages au Congo, où se trouvent les forces de maintien de la paix des Nations Unies, la MONUC, les soldats logent à l'Hôtel International, et j'ai constaté que l'activité sexuelle est visible dans la rue avec les mineurs, et cetera. Après avoir observé la situation et fait du counselling auprès des jeunes, qui sont pratiquement des enfants, nous avons écrit une lettre à Kofi Annan pour qu'il sanctionne ces soldats. Parmi eux, se trouvent des Canadiens, je dois vous le dire. Je les ai rencontrés, je me suis assise et j'ai parlé avec eux.

S'il est un message que je tiens à livrer au gouvernement du Canada, c'est de s'assurer que les participants aux forces de maintien de la paix de l'ONU sont informés au sujet du VIH/sida et ne contribuent pas à l'exploitation sexuelle sous quelque forme que ce soit simplement parce que cela est facile, que les gens sont pauvres, et qu'ils sont prêts à échanger des faveurs sexuelles pour de la nourriture. C'est accablant d'être témoin de ce genre d'exploitation.

Le président : Au nom de tout le monde, je tiens à remercier nos invités. La séance a été intéressante. Nous devons continuer d'étudier la question, de toute évidence.

Je tiens à rappeler à mes collègues que demain, à l'ajournement du Sénat, nous entendrons le haut-commissaire du Nigeria.

La séance est levée.


Haut de page