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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 10 - Témoignages du 23 mars 2005


OTTAWA, le mercredi 23 mars 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 16 h 8 pour étudier les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique; la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent; la politique étrangère du Canada envers l'Afrique. Sujet : Sénégal

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, Excellence, tout d'abord, veuillez m'excuser, car nous sommes dans une situation un peu particulière. Vous entendez le son des cloches car un vote est prévu au Sénat pour 16 h 40. Dès que nous en serons avisés par le whip, nous devrons donc suspendre la séance du comité pour le vote.

Le sénateur Corbin : Monsieur le président, afin de clarifier la situation, j'ai consulté les fonctionnaires de la table. Ils m'ont réitéré que le comité a la permission de siéger mais que nous devrons nous présenter pour le vote. Il faudra donc suspendre au moins cinq minutes avant la fin des cloches afin de permettre aux sénateurs de se rendre à la Chambre pour le vote.

Le président : Ce règlement est un peu nouveau pour moi. Même après 23 ans au Sénat, certains aspects m'échappent toujours. Le sénateur Corbin, pour sa part, est très bien informé.

Le sénateur Corbin : Je me suis renseigné.

Le président : Son Excellence voudra peut-être commencer son allocution et ensuite nous lui poserons quelques questions. Soyez les bienvenus. Sans plus tarder, nous vous cédons la parole.

Son Excellence Amadou Diallo, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, Ambassade de la République du Sénégal : Permettez-moi tout d'abord de vous remercier sincèrement de m'avoir permis de me joindre à la réflexion que vous menez dans le but de faire un rapport sur les défis en matière de développement auxquels l'Afrique fait face. La présentation de notre pays, le Sénégal, contribuera à cette réflexion qui, j'en suis persuadé, apportera des solutions heureuses aux nombreux défis du continent africain.

Le Sénégal se situe à l'avancée la plus occidentale du continent africain, dans l'océan Atlantique, au confluent de l'Europe, de l'Afrique et des Amériques et à un carrefour des grandes routes maritimes et aériennes. Sa superficie est de 196 722 kilomètres carrés. Il est limité au nord par la Mauritanie, à l'est par le Mali, au sud par la Guinée et la Guinée- Bissau, à l'ouest par la Gambie et par l'océan Atlantique sur une façade maritime de 500 kilomètres.

Dakar, la capitale, est une presqu'île située à l'extrême ouest du Sénégal. En 2001, la population du Sénégal s'évaluait à 9,8 millions d'habitants, soit une densité moyenne de 48 habitants par kilomètre carré. Le Sénégal compte une vingtaine d'ethnies dont les principales sont les Wolof (43 p. 100), les Pulaar (24 p. 100) et les Sérères (15 p. 100). La religion est composée à 94 p. 100 de musulmans, 5 p. 100 de chrétiens et 1 p. 100 de religions traditionnelles.

Depuis plusieurs décennies, le Sénégal est considéré comme la vitrine de la démocratie en Afrique. Après avoir été dirigé pendant 40 ans par le parti socialiste, le pays a connu une alternance politique sans violence, en mars 2000, saluée d'ailleurs par l'ensemble des partenaires au développement et le reste du monde. Au plan politique, le Sénégal a opté pour le multipartisme intégral depuis 1981. Il compte aujourd'hui plus d'une soixantaine de partis politiques dont 13 sont représentés à l'Assemblée nationale.

La nouvelle constitution, introduite par référendum en janvier 2001, a réduit le mandat des futurs présidents de 7 à 5 ans. Ce mandat n'est renouvelable qu'une seule fois. Le nombre de députés fut également réduit de 140 à 120. L'adoption de cette nouvelle constitution a été suivie de nouvelles élections législatives à l'issue desquelles la mouvance présidentielle — communément appelée la coalition SOPI, ce qui signifie en sénégalais changement — a obtenu la majorité des 89 sièges au Parlement. Le président de la République, Me Abdoulaye Wade, a été élu pour un mandat de sept ans, au suffrage universel, renouvelable une seule fois.

Depuis son indépendance, le Sénégal a mis en place un certain nombre d'institutions qui ont pour objectif de garantir l'état de droit : le chef de l'État, clef de voûte desdites institutions, et le président de la République. La séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire est scrupuleusement respectée par la Constitution de 1963, plusieurs fois modifiée.

Le président de la République détient le pouvoir exécutif. Il est élu au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à deux tours. La durée de son mandat est de cinq ans. Ce mandat est renouvelable une seule fois. Le président détermine la politique de la nation. L'actuel président de la République, Abdoulaye Wade, élu une première fois le 19 mars 2000, exerce actuellement son premier mandat.

L'Assemblée nationale est composée de 120 députés élus pour cinq ans. Elle est l'institution où le peuple délègue ses représentants pour exercer le pouvoir législatif. Elle vote les lois, contrôle l'activité gouvernementale et peut appeler la démission du gouvernement par le vote d'une motion de censure.

Le gouvernement comprend le premier ministre, le chef du gouvernement et les ministres. Le gouvernement conduit et coordonne la politique de la nation, définie par le président de la République, sous la direction du premier ministre. Il est responsable devant l'Assemblée nationale.

Quant au système judiciaire, il est organisé autour du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation, du Conseil d'État, de la Cour des comptes et des cours et tribunaux. La constitution sénégalaise consacre trois principes fondamentaux : l'indépendance des magistrats, des cours et tribunaux, l'inviolabilité des droits de l'Homme et le caractère absolu des droits de la défense.

Le Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales, appelé en abrégé Conseil de la République, est une institution consultative. De par sa composition, il reflète les catégories sociales nationales s'adonnant à des activités économiques, sociales, éducatives ou culturelles. Il est, par l'âge et la qualité de ses membres, un creuset de sagesse et d'expérience utile au renforcement de l'unité nationale et de la cohésion sociale. Pour l'ensemble de ses activités, le Conseil de la République est le conseiller privilégié du président de la République, du gouvernement et de l'Assemblée nationale. Il donne ses avis à la demande de ces institutions ou de sa propre initiative.

Le Sénégal est composé administrativement de 11 régions dont les chefs-lieux sont les principales villes de Dakar, Diourbel, Fatick, Kaolack, Louga, Matam, Saint-Louis, Tambacounda, Thiès, Ziguinchor.

En matière de développement local et de décentralisation de l'administration, les prérogatives et compétences des collectivités locales ont été renforcées par les lois de 1996 dites de régionalisation. L'objectif poursuivi est non seulement de transférer aux collectivités locales des compétences dans divers domaines, notamment en matière d'éducation, d'environnement et de développement d'infrastructures, mais également d'apporter des mécanismes de financement à cette fin.

Quant à sa politique extérieure, le Sénégal a toujours été considéré, sur la scène internationale, comme un pôle de développement régional jouant un rôle stratégique important en Afrique, malgré sa faible population et ses moyens modestes. Aidé par une position géostratégique exceptionnelle et surtout par des ressources humaines de qualité, le Sénégal compte bien faire entendre sa voix dans le monde, à travers une politique extérieure efficace et rationnelle, au service du développement économique et social, basée sur la paix entre les peuples. Le Sénégal prône l'élimination de toute forme de discrimination et l'établissement de relations plus justes et plus équitables entre les nations.

La politique extérieure sénégalaise s'articule autour de cinq grands axes. Le premier axe est la politique de bon voisinage et la poursuite des objectifs d'intégration sous-régionale. La gestion du voisinage immédiat se traduit par la maîtrise de l'environnement frontalier, d'où l'importance toute particulière de considérer les enjeux et les données politiques, économiques et sociales des pays voisins. Cette diplomatie de notre géographie est fondée sur le dialogue et les pratiques en matière de concertation mutuelle. Elle se caractérise également par la maturité, le sens du compromis dynamique et une volonté de paix dans nos relations avec les pays limitrophes.

Dans ses efforts d'intégration sous-régionale, la politique extérieure sénégalaise est essentiellement orientée vers la constitution de grands ensembles à l'image de la Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et plus récemment l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Cette démarche découle peut-être de la doctrine senghorienne des cercles concentriques selon laquelle la réussite de l'intégration à l'échelle continentale est conditionnée par le succès des regroupements sous-régionaux.

Le deuxième axe de la politique extérieure du Sénégal est l'intégration continentale par la poursuite de l'unité africaine. La Constitution sénégalaise proclame dans son préambule « l'attachement du Sénégal à l'idéal de l'unité africaine ». En outre, l'article 96 stipule ce qui suit :

La République du Sénégal peut conclure avec tout État africain des accords d'association ou de communauté comprenant abandon total ou partiel de souveraineté en vue de réaliser l'unité africaine.

La participation du Sénégal aux travaux préparatoires de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) et de l'Union africaine (UA) illustre son option politique en faveur de l'unité du continent.

Quant à la promotion de la paix dans le monde, qui est le troisième axe de la politique extérieure du Sénégal, elle se traduit par l'implication directe de la diplomatie ou de l'armée sénégalaise dans la recherche des voies et moyens de prévention contre les conflits et pour l'établissement de la paix. La présence sénégalaise s'est fait remarquer notamment au Mozambique, en Côte d'Ivoire, en Angola, en Bosnie-Herzégovine, au Soudan, au Liberia et au Congo.

Sous l'égide de l'ONU, le Sénégal a participé depuis son indépendance à plus d'une vingtaine d'opérations de maintien de la paix à travers le monde. C'est dans ce même esprit que le Sénégal a été l'un des initiateurs des mécanismes de la Communauté économiques des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) et de l'Union africaine (UA) pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits.

Le quatrième axe de la politique extérieure du Sénégal est la protection des droits de l'homme. Au niveau africain, c'est le Sénégal qui a lancé l'idée d'une Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Au plan mondial, la politique extérieure du Sénégal dans ce domaine est marquée par une présence quasi permanente au sein des la Commission des droits de l'homme des Nations Unies qu'il a présidée en 1978 et en 1988. Dans la crise israélo-arabe, le Sénégal préside depuis sa création le Comité pour l'exercice des droits inaliénables du peuple palestinien.

Le cinquième axe de la politique extérieure du Sénégal est la diplomatie économique. Pour maintenir le cap sur la croissance économique, réduire la pauvreté et développer les infrastructures entrepreneuriales, les pouvoirs publics entendent accélérer le processus d'intégration au commerce international et promouvoir le partenariat d'entreprises sous forme de consortium avec les entreprises des pays du Nord afin de susciter non seulement l'Investissement direct étranger (IDE), le transfert de technologie mais également afin de profiter des débouchés rémunérateurs des produits sénégalais dans les pays développés.

Le Sénégal est présent dans le monde à travers les organismes régionaux, sous-régionaux et les organisations internationales. Il est membre de l'Union africaine (UA), de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), de l'Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) qui regroupe les États riverains tels que le Mali et la Mauritanie, et de l'Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (OMVG) qui regroupe la Gambie, la Guinée-Bissau, le Sénégal et la Guinée Conakry.

Le Sénégal est également membre du Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS), dont les pays membres sont le Burkina Faso, le Cap Vert, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad. Il est aussi membres d'autres organismes tels que l'Observatoire économique et statistique pour l'Afrique subsaharienne (AFRISTAT), la Conférence interafricaine de la prévoyance sociale (CIPRES), la Conférence interafricaine des marchés d'assurances (CIMA) et l'Organisation pour l'harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA).

Le Sénégal est membre de nombreuses organisations internationales, dont l'Organisation des Nations Unies (ONU), l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), le Groupe des quinze (G15), et enfin, l'Organisation de la conférence islamique (OCI). Le Sénégal entretient des relations privilégiées avec l'Union européenne, dans le cadre du Groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (groupe ACP), et avec de nombreux autres pays de l'OCDE dont le Canada.

L'environnement économique sénégalais a été marqué par l'ajustement monétaire, intervenu en janvier 1994, qui a mené à la dévaluation du franc CFA. Cette dévaluation a été également complétée par des réformes économiques successives qui ont inscrit le Sénégal, depuis lors, dans une dynamique de croissance. Cependant, les performances enregistrées jusqu'ici ne se sont pas encore traduites par l'amélioration, au niveau souhaité, des conditions de vie des populations et de la situation des entreprises.

Le président : Je vous prie de m'excuser de vous interrompre, monsieur l'ambassadeur. Je regarde l'heure et je constate que nous devrons aller voter en Chambre dans 10 minutes. Je tenais simplement à vous le signaler, car je sais que le sénateur Carney a des questions qu'elle aimerait vous poser.

[Traduction]

Le sénateur Carney : Monsieur l'ambassadeur, vos propos sont cohérents et faciles à suivre. Comme la plupart d'entre nous connaissent peu votre pays, quelle est l'importance du commerce avec le Canada ou les autres pays d'Amérique du Nord, par rapport au commerce entre le sud et les pays du sud avec vous? Des représentants d'autres pays nous ont dit que le commerce Sud-Sud est plus important pour vous que le commerce Sud-Nord et que le Canada devrait s'employer à faciliter le commerce Sud-Sud à l'OMC, au lieu d'encourager le commerce nord-sud. Êtes-vous de cet avis?

[Français]

M. Diallo : La promotion des exportations du Sénégal vers le Canada représente pour nous tout un défi. Actuellement, les relations commerciales sont défavorables pour le Sénégal. Le Sénégal exporte pour environ 1 million de dollars par année alors que le Canada exporte vers le Sénégal pour presque 40 millions de dollars canadiens annuellement. Cela entraîne donc un déséquilibre assez important dans la balance commerciale.

Le Canada a ouvert récemment ses frontières aux produits des pays en développement, particulièrement aux pays d'Afrique. Cette démarche s'inscrit dans le cadre de « L'initiative canadienne » et elle s'applique à tous les produits sauf les œufs et la volaille. Malheureusement, cette nouvelle politique n'a pas été étendue à nos opérateurs économiques. Nous avons donc le défi important de diffuser l'information à travers les réseaux économiques sénégalais pour que ceux-ci puissent profiter de la nouvelle situation.

Il faudrait également qu'on adapte nos produits afin qu'ils répondent aux normes canadiennes, voire conditionner nos produits. Malheureusement, dans plusieurs pays africains on n'exporte que de la matière première sans pour autant y apporter de la valeur ajoutée.

Je crois que le Bureau de promotion du commerce devrait offrir de la formation à nos entreprises pour les positionner sur le marché canadien. L'ambassade essaie d'identifier des créneaux pour les exportations sénégalaises et tente de faciliter la pénétration des produits et services canadiens ainsi que l'exportation des produits et services sénégalais sur le territoire canadien.

[Traduction]

Le sénateur Carney : Je vais revenir là-dessus si nous avons le temps. J'aimerais passer à autre chose.

Je remarque dans la documentation que votre population est très jeune. L'âge médian n'est que de 18 ans, ce qui signifie que vous avez beaucoup d'enfants et de jeunes à instruire. Je constate aussi que sur les 16 millions de dollars que l'ACDI accorde annuellement au Sénégal, 60 p. 100 sont consacrés à l'éducation, en particulier celle des filles, et 40 p. 100 à l'aide économique au développement. Ce ne sont que des chiffres arrondis : 60 p. 100 de l'aide au Sénégal va à l'éducation, 40 p. 100 au développement économique, surtout des micro-entreprises. Approuvez-vous cette proportion? Le Canada mise-t-il juste dans l'aide qu'il accorde au Sénégal ou vos priorités sont-elles différentes?

[Français]

M. Diallo : L'éducation constitue le centre du développement. En consacrant 60 p. 100 de ses ressources au développement de l'éducation, je crois que l'ACDI a cerné le point sur lequel il devait poser ses actions.

Au Sénégal et en Afrique, tout est défi, non seulement l'éducation mais aussi la santé et les infrastructures. D'ailleurs, on se bat souvent pour ramener cette question des infrastructures au niveau de l'aide publique au développement, comme le faisait auparavant l'ACDI. On sait que le Canada a beaucoup contribué à l'élaboration d'infrastructures, comme la construction d'écoles, notamment l'École Polytechnique de Thiés. Le centre d'étude en journalisme compte parmi les projets d'infrastructures qui ont été menés par le Canada et qui contribuent au rayonnement du Canada en Afrique. Lorsque les gens s'arrêtent devant un édifice, on dit avec fierté que cette réalisation est celle des Canadiens.

Il reste donc plusieurs défis à relever. Si on parvient à cibler d'autres volets, tels que l'infrastructure et la santé, cette intégration aidera également.

[Traduction]

Le sénateur Carney : Ma troisième question porte sur les institutions internationales comme la Banque mondiale et le FMI. D'autres représentants nous ont dit que les modalités de l'aide qu'accordent la Banque mondiale et le FMI font plus de tort que de bien aux pays d'Afrique. Leurs conditions sont si strictes et inflexibles qu'elles nuisent à ces économies au lieu de leur venir en aide.

[Français]

M. Diallo : Les politiques du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale incluent un programme d'ajustement structurel qui, depuis des décennies, a été appliqué à l'Afrique. Malheureusement, ce programme a des conséquences souvent désastreuses pour nos économies.

À titre d'exemple, le programme d'ajustement structurel préconise la libéralisation de l'économie, le blocage des salaires, la dévaluation de la monnaie, et surtout la réduction de la fonction publique. Comme on sait, en Afrique, un fonctionnaire nourrit une vingtaine de personnes. Vous imaginez déjà les conséquences sur les populations.

Également, quand on effectue une dévaluation monétaire, s'ensuit la détérioration des termes de l'échange. On peut illustrer cette conséquence comme suit. Disons qu'un agriculteur puisse normalement s'acheter un tracteur en produisant 10 tonnes d'arachides. Avec la dévaluation, il devra cultiver 20 tonnes d'arachides pour acheter ce même tracteur.

Vous voyez donc les conséquences réelles de ces politiques d'ajustement structurel vis-à-vis l'Afrique.

[Traduction]

Le président : Je vais vous interrompre ici. Ce sont de bonnes questions, sénateur Carney. Nos adjoints prennent note des réponses.

Nous allons suspendre la séance pendant quelques instants pour que les membres du comité puissent participer à un vote au Sénat.

[Français]

Il s'agit d'une nouvelle procédure qui est un peu inhabituelle.

[Traduction]

Je m'en remets au comité.

Le sénateur Di Nino : Ce serait épatant si les témoins pouvaient rester. Veuillez nous excuser du contretemps. Nous ne sommes pas maîtres de nos vies au Parlement.

[Français]

Le sénateur Corbin : On pourrait peut-être leur faire visiter le Sénat.

Le président : Vous êtes les bienvenus si vous désirez venir voir le Sénat. Nous avons vos commentaires et ils seront joints à notre rapport. Ne vous dérangez surtout pas, nous nous chargerons de tout. Le greffier vous conduira aux tribunes. Nous reviendrons dans 15 minutes.

(La séance est suspendue.)

(Reprise de la séance.)

Le président : À son retour, le sénateur Corbin aura une question à vous poser. Entre-temps, j'aimerais vous en poser une autre. Si j'ai bien compris, les relations avec la Banque mondiale ne sont pas toujours bonnes. Est-ce le cas, Monsieur l'Ambassadeur?

M. Diallo : Absolument. Et cette situation met la population dans des conditions très difficiles. Comme je l'ai mentionné plus tôt, les pays qui ont été soumis au programme d'ajustement structurel ont souffert de ses conditions. La libéralisation de l'économie, bien entendu, entraîne une concurrence très vive au niveau international.

La dévaluation monétaire a aussi des conséquences pour les entreprises qui doivent importer leurs appareils de production. Il se trouve que ces appareils de production sont produits à l'étranger et en devises étrangères. Il faut donc les acheter à un prix beaucoup plus élevé. Il est à noter également que la plupart des pays d'Afrique ne sont pas autosuffisants sur le plan alimentaire. Plusieurs biens de consommation doivent également être importés et cela pose d'énormes défis pour les populations.

Prenons l'exemple du riz dont la consommation est très répandue en Afrique, particulièrement au Sénégal. Ce riz est importé en devises en provenance de pays asiatiques. De plus, d'autres intrants doivent être importés pour la production de biens et services sénégalais.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino : C'est une question que nous nous sommes engagés à examiner au nom du Sénat du Canada et plus nous y regarderons de près, plus le problème paraît vaste. La difficulté pour nous est de nous concentrer sur les secteurs qui, à notre avis, aideront le plus l'Afrique. C'est pourquoi j'aimerais avoir un petit échange avec vous, monsieur l'ambassadeur, et vous poser quelques questions sur nos relations et sur les secteurs qui, d'après vous, devraient retenir notre attention.

Vous avez parlé du commerce avec le Canada et il semble que nous n'achetions pas beaucoup de vos produits. C'est bien le cas?

[Français]

M. Diallo : Le Canada achète peu de produits sénégalais. En fait, la plupart des exportations du Sénégal vers le Canada sont des matières premières et des produits à base de phosphate. Paradoxalement, le Canada importe aussi des pièces informatiques du Sénégal.

Certaines entreprises canadiennes installées au Sénégal font le montage d'ordinateurs. Ce transfert technologique est très positif. Non seulement il emploie une main d'œuvre sénégalaise locale, mais il apporte également une certaine expertise en matière de production des biens de transformation. On devrait donc multiplier ce genre d'initiative.

À l'ambassade, nous organisons des missions économiques au Sénégal composées d'entreprises canadiennes. L'année dernière, nous avons organisé deux missions économiques. Par la suite, cinq entreprises se sont basées au Sénégal, non seulement dans la production d'ordinateurs, mais aussi en matière de sécurité et de construction domiciliaire.

Ces initiatives sont fort encouragées. On a d'ailleurs appelé ce genre de démarche « la diplomatie économique ». Le Sénégal tente de promouvoir cette diplomatie économique à travers ses ambassades. Il faut faire en sorte que les missions du Sénégal à l'étranger jouent davantage un rôle économique. Pour ce faire, nous sommes appuyés par certains organismes canadiens dont le Bureau de promotion du commerce, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, et la section du commerce international d'Équipe Canada.

Certains réseaux furent créés. Le Cercle canadien pour le développement du Sénégal regroupe une vingtaine d'entreprises canadiennes, dont la compagnie Tecsult et la firme SNC-Lavalin, qui désirent œuvrer pour le développement du Sénégal. Les institutions sont intéressées et on doit les encourager à aller de l'avant pour poursuivre ces objectifs commerciaux. Nous cherchons à résoudre le déséquilibre entre les exportations canadiennes qui se chiffrent à environ 40 millions de dollars et les exportations du Sénégal qui ne représentent qu'un million de dollars. Il faut donc trouver les voies pour réduire ce fossé qui nous sépare.

Le président : Que représentent ces 40 millions de dollars?

M. Diallo : Ce sont, en grande partie, des produits d'amiante et du blé. Le Canada exporte également beaucoup de produits œuvrés et de technologie.

Le président : Le Canada exporte certes des choses de toute sorte, mais en grande partie c'est du blé et de l'amiante, n'est-ce pas?

M. Diallo : L'amiante est une partie importante des exportations vers le Sénégal.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino : J'ai été très heureux de vous entendre parler de la compagnie canadienne qui fabrique des pièces d'ordinateur à exporter au Canada. J'aimerais m'y attarder pendant quelques instants. Il me semble que l'occasion existe pour beaucoup de pays africains de faire ce qu'ont fait des entreprises occidentales en Asie. Ils pourraient créer des manufactures, dans le secteur du textile ou de la haute- technologie et transférer des technologies qui seraient avantageuses pour l'Afrique à long terme. De toute évidence, cela se fait peu actuellement mais est-ce que cela commence à se faire? Ces activités pourraient-elles prendre de l'essor au Sénégal? Parlez-nous aussi de ce qui se fait ailleurs en Afrique, si vous le savez.

[Français]

M. Diallo : Je crois que le mouvement est lancé. Les entreprises dont je vous parle sont venues progressivement. L'entreprise Touch Technology est au Sénégal depuis sept ou huit ans. Depuis lors, plusieurs autres entreprises canadiennes se sont installées au Sénégal. Je pense aux compagnies Moteurs Dubé dans le secteur du rebobinage industriel et Lambert Somec dans l'électrification rurale. Je pense également au Service de communications Morrissette dans le secteur de la sécurité et des nouvelles technologies de l'information. Il y a également d'autres compagnies dans le domaine de l'édition et de l'informatique. Canarail s'est impliqué dans le domaine du transport ferroviaire au Sénégal. Ce sont des exemples concrets d'implantation de compagnies canadiennes en Afrique de l'Ouest. Au Sénégal, l'implantation a été plus visible. Ce succès est attribuable en partie à notre appartenance à la grande famille de la Francophonie, mais aussi au rôle moteur du secteur privé sénégalais qui est très dynamique.

La stabilité politique est également un point très important pour l'investisseur. Le Sénégal est l'un des pays les plus visibles sur le continent africain. Il est connu pour sa démocratie et son modèle de bonne gouvernance qui encourage les entreprises étrangères à venir s'y établir.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino : En termes généraux, pourriez-vous nous dire quelles sont les deux ou trois choses que le Canada, à votre avis, pourrait faire ou pourrait mieux faire pour venir en aide à l'Afrique et en particulier à votre pays?

[Français]

M. Diallo : On devrait féliciter le Canada de son rôle incommensurable pour le développement de l'économie. Depuis plus de 40 ans, le Canada a injecté au-delà de 500 millions de dollars dans l'économie sénégalaise en termes de projets. Aujourd'hui, l'aide bilatérale se verra augmentée de 8 p. 100, dont la moitié sera dédiée à l'Afrique. Le Sénégal, bien sûr, bénéficiera également de cette augmentation puisqu'il fait partie des neuf pays de concentration de l'aide publique au développement canadien.

Actuellement, le Canada met beaucoup d'emphase sur l'éducation et l'économie populaire. Il aurait lieu d'explorer d'autres avenues comme celle des projets d'infrastructure, car l'infrastructure permet le développement. En créant des routes et des chemins de fer, on peut vraiment créer des marchés et faire en sorte que des entreprises viennent s'installer au Sénégal.

Le Canada peut également jouer un rôle important sur ce plan, en implantant des programmes qui permettent aux entreprises de s'établir au Sénégal. Il y a le Programme de développement des marchés d'exportation (PDME), le Programme de coopération industrielle existe toujours à l'ACDI, et le programme IDÉE-PME de Développement économique Canada. De tels programmes permettent aux entreprises de faire des études de marché et de monter des projets spéciaux avec les pays à l'étranger. Mais ces programmes n'existent pratiquement plus maintenant. Je crois qu'il aurait lieu de vitaliser cet aspect.

Le Canada doit aider le Sénégal à se positionner sur la scène internationale. Dans la mondialisation des marchés, il existe une concurrence de plus en plus accrue. Le Canada pourrait aider le Sénégal, par exemple, dans le domaine des exportations, dans la transformation des matières premières en produits à valeur ajoutée.

L'ouverture des marchés est présente. Toutefois, il faudrait que le Canada en fasse plus. Le Sénégal est un grand producteur de beurre d'arachides. Nous aimerions bien qu'un jour le beurre d'arachides que l'on retrouve sur vos tables lors du petit déjeuner provienne du Sénégal.

Vous avez beaucoup de neige au Canada, nous avons beaucoup de sel. Ce marché peut être très intéressant pour le Canada et le Sénégal.

Il faut ouvrir les frontières sur le plan économique. Pour ce faire, nous devons pouvoir transformer nos matières premières, mettre de la valeur ajoutée et trouver des terrains d'entente avec le Canada. J'ai cité, à titre d'exemple, le sel et le beurre d'arachides. Le Sénégal est également très riche en poisson. On l'exporte déjà aux États-Unis et on aimerait l'exporter davantage au Canada.

Un des principaux défis avec lequel le Canada pourrait nous aider est l'élaboration d'un pont aérien entre le Canada et le Sénégal qui favoriserait davantage nos relations économiques et commerciales.

Le sénateur Corbin : Permettez-moi de vous citer un extrait du document d'information sur le Sénégal que nous ont fourni nos recherchistes :

Les agriculteurs (du Sénégal) ont hâte de voir se concrétiser le projet de privatisation de la société d'État chargée de la surveillance du secteur des arachides, la Sonacos. Le démantèlement de la Sonagraines en 2002, organisme sectoriel de commercialisation, s'est avéré un désastre et a mis les agriculteurs en colère à cause de la production invendue et du rôle des institutions multilatérales dans la promotion de cette réforme.

Plusieurs facteurs clés ont joué ici. Ma question s'apparente à celle que vous posait précédemment le sénateur Carney. Est-ce que ce texte que je viens de vous lire traduit bien la situation qui a prévalu et qui prévaut à l'heure actuelle chez vous? Nous avons entendu plus tôt cette semaine, et la semaine dernière, des commentaires à l'effet que les politiques de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international favorisaient l'abolition d'organismes de commercialisation. Il me semble que c'est ce dont il s'agit dans le cas actuel.

Ces offices de commercialisation, comme on les appelle au Canada — on en retrouve, entre autres, pour le poulet et le lait — garantissent un revenu aux producteurs. Ce revenu est important pour vos agriculteurs. Est-ce qu'on doit vraiment s'inquiéter de la pression et de l'ingérence indue que les politiques de la Banque mondiale et du FMI exercent sur votre économie? J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

M. Diallo : Notre agriculture a toujours été difficile, car nous sommes soumis aux aléas climatiques. Nous vivons dans un pays au climat sahélien, avec des zones plus ou moins désertiques et où les précipitations sont imprévisibles. De plus, nous sommes sujets à des invasions de criquets. Les agriculteurs sont donc soumis à des conditions météorologiques très aléatoires.

Le sénateur Corbin : Faites-vous une analogie entre les criquets, le FMI et la Banque mondiale?

M. Diallo : Je n'irais pas jusque là, tout de même!

Le sénateur Corbin : Je vous écoute.

M. Diallo : La Sonacos est une entreprise qui s'occupe de la production des oléagineux, des huiles, du riz et des arachides. L'État fournit habituellement les semences et fixe un prix plafond pour l'achat des graines. Toutefois, cette politique ne fait pas toujours l'unanimité chez les agriculteurs. La situation fait en sorte que ceux-ci doivent alors exiger beaucoup plus d'argent pour leurs produits.

Également, pour répondre à votre question, je crois que tout récemment la Sonacos a été privatisée.

Le sénateur Corbin : Ma question portait plus spécifiquement sur ce que nous percevons de plus en plus comme une ingérence exagérée de la part de la Banque mondiale et du FMI dans la gouverne interne de vos affaires. On vous impose des éléments de solution qui sont la cause de problèmes encore plus graves au sein de vos populations, notamment en agriculture.

M. Diallo : Les propositions de ce genre ne sont pas adaptées à notre contexte et, malheureusement, nous causent des problèmes. Le genre de problème que vous venez de mentionner relance aussi le débat au niveau de la productivité. Doit-on s'adonner uniquement à la production vivrière pour faire vivre les populations, ou faut-il s'adonner à des cultures de rentes pour l'exportation? La question pose des défis énormes. Lorsque le paysan cultive uniquement un produit destiné à l'exportation, sa production diminue. Le paysan mange peu, puisqu'il ne s'adonne plus à une culture vivrière mais uniquement à une production de rentes.

D'ailleurs, le célèbre écrivain René Dumont a dénoncé cette situation dans son livre L'Afrique noire est mal partie. Il disait qu'il s'agit d'un cercle vicieux. Le paysan a faim parce qu'il cultive peu; et comme il cultive peu, il a faim, justement parce qu'il s'oriente vers la culture de rentes au détriment de la culture vivrière.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein : Ma question recoupe une question posée par le sénateur Andreychuk à un autre témoin au sujet de l'intérêt que nous portons réciproquement au développement régional.

Le Sénégal appartient à l'Union économique et monétaire ouest-africaine qui a pour vocation, que je sache, de créer un marché régional élargi pour l'importation et l'exportation de produits. Ce mécanisme est-il efficace? Donne-t-il des résultats et vous aide-t-il? Les institutions existantes sont-elles propices à son fonctionnement? Est-ce la solution privilégiée pour assurer le développement économique du Sénégal?

[Français]

M. Diallo : L'Union économique et monétaire ouest-africaine regroupe environ huit pays d'Afrique de l'Ouest qui ont une monnaie commune, soit le franc CFA. L'intégration fut donc un succès. L'Union européenne fut réalisée avant l'intégration de la monnaie. En Afrique de l'Ouest, la monnaie existait avant de réaliser l'Union économique et monétaire ouest-africaine. Cette union très dynamique a été créée pour assurer la cohésion de l'ensemble des politiques macroéconomiques.

L'union est également douanière et elle travaille beaucoup sur l'harmonisation au niveau tarifaire et au niveau des politiques d'investissements étrangers. Cette harmonisation vise à permettre à l'investisseur qui arrive de s'établir partout dans cette zone, tout en jouissant des mêmes conditions dans chaque pays africain.

Bien entendu, des défis se posent, puisque les pays, malheureusement, n'ont pas toujours les mêmes réalités économiques. Le Sénégal est un pays plus urbanisé et développé que les autres pays de cette région. La Côte d'Ivoire a aussi un certain niveau de développement qui surpasse celui des autres pays environnants. Voilà un peu les défis auxquels doivent faire face cette communauté monétaire.

Le président : Merci beaucoup, monsieur l'ambassadeur. Vous me pardonnerez, mais il faut lever la séance. Au nom des sénateurs, nous vous remercions. Votre témoignage fut très intéressant et vos réponses nous aideront dans nos travaux.

La séance est levée.


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