Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 2 - Témoignages du 28 octobre 2004
OTTAWA, le jeudi 28 octobre 2004
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 11 h 31 pour étudier le projet de loi S-9, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur, dont il est saisi par ordre de renvoi.
Le sénateur Wilbert J. Keon (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, les témoins que nous accueillons aujourd'hui font partie de la Coalition des photographes canadiens.
Je vais demander à M. Brian Boyle de bien vouloir faire son exposé.
M. Brian Boyle, photographe, ressources (nouveaux médias), Musée royal de l'Ontario, Coalition des photographes canadiens : Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à discuter avec vous du projet de loi S- 9. Je suis photographe et également coprésident de la Coalition des photographes canadiens, qui représente plus de 14 000 photographes professionnels oeuvrant dans tous les domaines de la photographie d'un bout à l'autre du Canada. Je suis accompagné aujourd'hui par André Cornellier, l'autre coprésident de la Coalition, qui lui aussi est photographe. Notre coalition regroupe les membres de Photographes professionnels du Canada (PPC), à laquelle j'appartiens, et de l'Association canadienne des photographes et illustrateurs en communication (ACPIC) qu'André Cornellier représente.
La photographie est un art très « canadien ». Notre pays et ses habitants sont une source intarissable d'inspiration pour tous les créateurs. Depuis les débuts de la photographie, les photographes canadiens sont reconnus et respectés pour la qualité artistique de leurs images et celles de photographes canadiens légendaires comme Notman, Karsh et Malak sont vénérées dans le monde entier. En fait, le portrait photographique le plus célèbre qui soit — la photo de sir Winston Churchill réalisée par Karsh — a été prise dans l'édifice du Centre, juste de l'autre côté de la rue.
Comme tous les créateurs, les photographes dépendent de la législation sur les droits d'auteur afin de pouvoir bénéficier de leurs créations et pour les aider à protéger l'intégrité de leur vision artistique. C'est la raison pour laquelle nous sommes très heureux que cette législation soit étudiée par le Sénat. S'il est adopté, le projet de loi S-9 mettra enfin un terme à deux injustices résultant de la Loi sur le droit d'auteur. Premièrement, il signifiera l'abrogation du paragraphe 10(2) de la loi. En vertu de cet article, le propriétaire d'un négatif est considéré comme l'auteur de l'œuvre photographique. Cet article aurait dû être abrogé depuis bien longtemps et, en l'éliminant, on moderniserait les lois canadiennes et les mettrait en phase avec la technologie actuelle qui fait que, bien souvent, il n'y a tout simplement pas de négatifs. Deuxièmement, et c'est là un point plus important, le S-9 mettrait un terme à cette fiction juridique selon laquelle la personne qui commande une photo est considérée comme l'auteur de l'œuvre et donc, d'un point de vue légal et à moins de stipulation contraire, le premier titulaire du droit d'auteur.
Outre le fait qu'elle est une insulte flagrante pour les photographes, la législation canadienne sur le droit d'auteur refuse aux photographes les droits qui sont reconnus à tous les autres créateurs de ce pays en ce qui concerne leurs œuvres. Le projet de loi S-9 propose de supprimer cette distinction erronée en abrogeant le paragraphe 13(2) de la Loi sur le droit d'auteur. De plus, et c'est tout aussi important, il permettra aux photographes canadiens d'être compétitifs par rapport à leurs homologues dans les autres pays.
En fait, de nombreux pays, dont le Royaume-Uni, la France et les États-Unis, faisaient eux aussi la distinction, autrefois, entre les photographes et les autres créateurs. C'était là un vestige de la vieille attitude arrogante selon laquelle la photographie n'était pas vraiment un « art ». Toutefois, plus personne ne le pense aujourd'hui. Tous les grands pays industrialisés ont donc changé leurs lois sur le droit d'auteur pour donner aux photographes les mêmes droits que ceux dont jouissent les autres créateurs. Tous les grands pays industrialisés, sauf le Canada.
Ce n'est pas seulement une question de fierté professionnelle car les lois désuètes de notre pays entraînent chaque année une perte de revenus pour les photographes canadiens. Aux États-Unis, les images d'archives représentent 3,7 milliards de dollars de ventes annuelles. À elle seule, la plus grande agence américaine de photos d'archives réalise par année des ventes de 700 millions de dollars. Cependant, du fait que les photographes canadiens ne sont pas toujours les premiers titulaires du droit d'auteur, notre participation au marché de la photo d'archives est limitée. La condition fondamentale pour que les photographes puissent faire de la photo d'archives est de détenir le droit d'auteur. La législation canadienne faisant la distinction entre deux types de propriété du droit d'auteur, les agences de photos d'archives hésitent à accepter des œuvres de photographes canadiens. Le Canada a un dixième du nombre de photographes des États-Unis mais les revenus annuels de notre plus grande banque d'images ne sont que de 21 millions de dollars — or ils devraient être beaucoup plus élevés.
Sur le plan individuel, si nous nous reportons encore à l'expérience américaine, nous pensons que de nombreux photographes canadiens perdent chaque année entre 50 000 et 100 000 $ de revenus. L'abrogation du paragraphe 13(2) de la loi aura par conséquent une incidence immédiate sur notre industrie et nous aidera à promouvoir la photographie canadienne dans le monde entier.
M. André Cornellier, photographe et vice-président du droit d'auteur, Coalition des photographes canadiens : Honorables sénateurs, c'est la première fois que nous soulevons de telles questions devant le Sénat mais, depuis plusieurs années, nous en parlons avec les sénateurs et d'autres personnes de l'autre endroit.
Chaque fois que nous allons quelque part pour parler de cette question, il se trouve quelqu'un qui a entendu dire que, si on accorde le droit d'auteur à un photographe dans le cas d'une oeuvre commandée, les droits des personnes apparaissant sur cette photo pourraient être compromis, en ce qui concerne la protection de leur image et le contrôle de l'utilisation qui en est faite. C'est l'excuse avancée par Industrie Canada depuis des années pour retarder son intervention. Cette inquiétude est sans fondement.
Les personnes qui apparaissent sur ces photos jouissent déjà de mesures de protection de leur vie personnelle beaucoup plus efficaces. Ces mesures vont beaucoup plus loin que tout ce qu'on pourrait trouver dans la Loi sur le droit d'auteur.
En premier lieu, la vie privée des personnes apparaissant en photo a été clairement et fermement protégée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Aubrey c. Les Éditions Vice-Versa inc. en 1998. Dans cette affaire, la cour a estimé que le droit de contrôler la publication du portrait d'une personne était une composante essentielle du droit à la protection de la vie privée.
Ce droit de contrôler la publication de son image existe, quoi que dise le paragraphe 13(2) de la Loi sur le droit d'auteur. Les lois sur la protection des renseignements personnels du Québec, du Manitoba, de la Saskatchewan, de la Colombie-Britannique et de Terre-neuve protègent expressément les droits des personnes figurant sur des photos commandées contre toute utilisation non autorisée de leur représentation.
Qui plus est, les lois portant sur la responsabilité délictuelle du Canada, par exemple sur l'usurpation d'identité, la diffamation et l'obligation de confidentialité, ajoutent un autre niveau de protection contre toute utilisation commerciale non désirée de leur image pour les personnes représentées sur des photos commandées. Tout cela vient s'ajouter aux normes courantes de l'industrie selon lesquelles une renonciation au droit à l'image doit être signée par toute personne susceptible d'être reconnue sur une photo.
Outre le fait que les photos bénéficient déjà de mesures de protection de la vie privée, de nombreuses études fédérales ont également clairement indiqué que la Loi sur le droit d'auteur n'est pas un bon mécanisme de protection de la vie privée. En 1984, par exemple, le rapport intitulé « De Gutenberg à Telidon : Livre blanc sur le droit d'auteur » affirmait que la législation relative au droit d'auteur n'était pas conçue pour protéger la vie privée. Les auteurs demandaient au gouvernement de révoquer l'article sur les oeuvres commandées et de préciser que l'auteur d'une oeuvre est le détenteur du droit d'auteur. Quant au rapport de 1985 intitulé « Une Charte des droits des créateurs et créatrices », préparé par le Sous-comité sur la révision du droit d'auteur du Comité permanent des communications et de la culture de la Chambre des communes, il arrivait à la même conclusion.
Comme vous le voyez, le Canada dispose déjà d'un système très complet de lois sur les droits de la personne, qui protègent les Canadiens et les Canadiennes d'une utilisation non autorisée ou inappropriée de leur image. Quasiment partout ailleurs, aux États-Unis et en Europe, les photographes détiennent le droit d'auteur de leurs photos commandées et les droits à la vie privée des personnes représentées sur ces mêmes photos sont quand même protégés. Ils le sont grâce à des lois sur la protection de la vie privée et non au moyen des lois sur le droit d'auteur — et c'est la meilleure façon de le faire.
Nous maintenons donc que la vie privée bénéficie déjà d'une protection intégrale. Nous avons demandé l'avis juridique du réputé cabinet d'avocats Gowlings, et il nous a apporté confirmation sur ce point. Nous avons remis ce texte à votre comité.
Qui plus est, si, de l'avis de certains, la protection de la vie privée est insuffisante, c'est dans la loi fédérale traitant de ce sujet, la Loi sur la protection des renseignements personnels et des documents électroniques (LPRPDE), qu'il faut chercher un remède. Tenter de protéger les renseignements personnels au moyen de la Loi sur le droit d'auteur entraînerait des incohérences et des contradictions avec les lois en vigueur.
Outre la question de la protection de la vie privée, certaines personnes concernées — principalement le groupe de pression Clinique d'intérêt public et de politique d'Internet du Canada (CIPPIC) — ont suggéré que le Canada ne devrait pas adopter l'approche courante aux États-Unis et en Europe pour les photographies commandées et qu'il devrait plutôt suivre l'approche unique en son genre choisie par l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
Il est important de noter qu'en Nouvelle-Zélande les lois stipulent que le droit d'auteur pour toutes les oeuvres commandées pour usage privé ou interne est accordé à la personne qui a commandé l'oeuvre, pas à son auteur. Cela est vrai des oeuvres littéraires et musicales, des programmes informatiques, des peintures, de sorte que les photographes sont traités comme tous les autres créateurs.
La CIPPIC a beau dire que cette proposition devrait être appliquée à toutes les oeuvres commandées, du fait qu'elle la présente dans le cadre de discussions sur un projet de loi d'initiative parlementaire portant exclusivement sur la photographie, elle ne s'appliquerait en fait qu'aux photos commandées. Étant donné que cette préférence en matière de politique va à l'encontre de l'approche généralement adoptée par le Canada, nous sommes tout à fait contre sa mise en oeuvre limitée aux photographies.
La Loi sur le droit d'auteur est conçue pour défendre à la fois les droits des créateurs et ceux des utilisateurs. Si le droit d'auteur est attribué à la personne qui a commandé la photo, le photographe n'a plus aucun moyen de contrôler l'utilisation qui est faite de ses oeuvres. Ainsi, si la personne ayant commandé la photo indiquait au photographe qu'elle voulait juste commander et payer une photo de format quatre sur cinq et photocopier ensuite cette photo en 100 exemplaires pour ne pas avoir à payer le photographe, ce dernier n'aurait aucun recours pour l'en empêcher.
Lorsqu'un photographe détient le droit d'auteur, il peut discuter avec le client des différentes utilisations envisagées pour cette photo et négocier à partir de là un tarif approprié. On parvient ainsi à une solution équilibrée. Le photographe a le droit de contrôler l'utilisation faite de ses oeuvres et le consommateur peut négocier avec lui pour être en mesure d'utiliser la photo de toutes les façons souhaitées. Lorsque le droit d'auteur est attribué à la personne ayant commandé la photo, par contre, on ne reconnaît pas le droit du photographe de contrôler l'utilisation qui est faite de son oeuvre.
En attribuant le droit d'auteur à la personne ayant commandé l'oeuvre, on crée des difficultés supplémentaires.
Dans de nombreux cas, la personne qui a commandé la photo n'est pas celle que l'on voit sur cette photo. Le meilleur exemple est celui des photos de classe. Dans ce cas, c'est l'école qui a commandé la photo, pas les parents des enfants sur ces photos. Si l'on devait appliquer la loi australienne au Canada, il serait plus difficile, et non plus facile, pour les parents, d'afficher la photo de leur enfant sur leur site Web personnel. En effet, les parents devraient négocier avec le photographe pour obtenir un exemplaire de la photo, puis négocier avec le détenteur du droit d'auteur, c'est-à- dire l'école. Si c'est le photographe qui détient le droit d'auteur, par contre, il leur suffirait de négocier avec lui.
Le problème serait le même pour les photos d'équipes de sport, de tournois de golf, et pour toute autre photo de groupe.
Les photographes reconnaissent que la protection de la vie privée est extrêmement importante et c'est une question que nous prenons très au sérieux. Remplacer une exception par une autre exception n'est cependant pas une solution viable. Cela n'aidera pas à protéger les photographes canadiens sur le marché mondial et cela ne protégera pas non plus le droit des gens de contrôler l'utilisation qui est faite de leur image. Bref, accorder le droit d'auteur à la personne qui a commandé la photo ne répondra pas aux préoccupations soulevées entre autres par CIPPIC, mais exacerbera en fait le problème.
Tous les autres pays, y compris les États-Unis et l'Europe, ont choisi de protéger la vie privée de la façon proposée dans le projet de loi S-9. Les Canadiens devraient adopter la même approche pour moderniser la Loi sur le droit d'auteur. Si, en tant que Canadiens et Canadiennes, nous nous soucions vraiment de faire tout ce qui est possible pour protéger les renseignements personnels, nous devrions alors amender la LPRPDE. C'est là qu'il faut intervenir pour protéger la vie privée et une initiative de ce type recevrait l'appui inconditionnel des photographes du Canada.
[Français]
J'aimerais en conclusion remercier le sénateur Day d'avoir parrainé ce projet de loi qui nous permettra de régler les problèmes que nous avons, nous les photographes, avec la Loi sur le droit d'auteur actuelle.
Le projet de loi, s'il est adopté, mettra sur un pied d'égalité les photographes et les autres créateurs au Canada. Il nous permettra d'être compétitifs par rapport aux photographes d'autres pays sur le marché mondial de la photographie d'archives, ceci sans supprimer, limiter ou diminuer de quelque façon que ce soit la capacité des Canadiens à contrôler ou à protéger l'utilisation de leurs propres images.
Merci de nous avoir écoutés et il nous fera maintenant plaisir de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le vice-président : Je vous remercie beaucoup, monsieur Cornellier.
Monsieur Cornellier, si j'ai bien compris, d'après vous, le système idéal est celui qui est en vigueur en Australie. Est- ce bien cela?
M. Cornellier : Pas du tout. C'est la CIPPIC qui le cite en exemple. Nous proposons plutôt les systèmes en vigueur aux États-Unis et dans 80 autres pays, qui reposent sur une démarche très différente. L'Australie et la Nouvelle- Zélande sont des exceptions et nous ne tenons pas à ce que leur régime soit mis en vigueur au Canada.
Le vice-président : Merci beaucoup de cet éclaircissement. J'avais mal compris vos propos au sujet de l'Australie. Je suis content que vous ayez tiré cela au clair.
Au début de votre exposé, vous avez traité des préoccupations de la plupart des gens au sujet de la diffusion de photos de noces ou d'autres photos de groupe et de leur protection. Vous avez donné de bonnes explications, mais je ne suis pas sûr que vous ayez rassuré tous ceux qui s'opposent à votre proposition.
À propos des photos d'école, vous avez affirmé qu'on simplifierait la question en s'en remettant au photographe et au parent. Toutefois, notre comité n'est pas sûr que le contrat passé entre vous et les parents accorderait la protection voulue.
Dans ce genre de situations, est-ce qu'il y aurait de multiples contrats avec les parents?
M. Cornellier : La protection accordée à quiconque figure sur une photo ne repose pas sur un contrat mais bien sur la loi. Les lois relatives au respect de la vie privée, tant celles des provinces que la loi fédérale ainsi que le jugement de la Cour suprême donnent préséance à la protection de la vie privée sur le droit d'auteur. Dans le cas de toute oeuvre de création, c'est le créateur qui est le titulaire du droit d'auteur. S'il s'agit d'une peinture, c'est le peintre.
En revanche, en photographie, il n'y a pas un mais deux droits qui s'appliquent. Il y a d'abord le droit d'auteur reconnaissant au photographe le droit de créer l'image puis vient le droit qui correspond au contenu de la photo et qui est distinct du premier.
Supposons que je prenne en photo une bouteille de Coca-Cola. C'est une marque de commerce et je ne peux donc utiliser la photo en question sans obtenir préalablement l'autorisation du titulaire de cette marque. Chaque fois que je photographie un objet visé par un brevet, il est protégé par la Loi sur les brevets, et je dois donc demander l'autorisation du titulaire dudit brevet pour reproduire la photo. Si une personne figure sur la photo, je dois demander par écrit la permission de cette dernière car le droit relatif au respect de la vie privée la protège. Tout ce qui est représenté dans la photo est protégé mais pas le photographe.
Le sénateur Hubley : Le sujet est très intéressant; j'espère qu'on résoudra le problème en tenant compte des intérêts des photographes.
J'aimerais maintenant demander des éclaircissements au sujet de certaines des notes d'information fournies, en espérant ne pas interpréter les choses hors contexte. Il est dit que la Loi sur le droit d'auteur comporte plusieurs exceptions au principe général voulant que les photos soient assujetties au droit d'auteur mais que la paternité et la propriété ne reviennent pas nécessairement à la personne qui a pris la photo. Plus loin, on trouve que la loi apporte une exception visant les photographies et que le paragraphe 10(2) prévoit que l'auteur de la photographie est le propriétaire du négatif initial ou, s'il n'y a pas de négatif, le propriétaire de la photographie initiale. Si un photographe prend une photo avec un appareil et un film fournis par une autre personne, le photographe n'a aucun droit sur la photo.
Il n'a aucun droit sur la photographie; c'est bien cela?
M. Cornellier : C'est bien cela, selon les paragraphes 10(2) et 13(2). Toutefois, le paragraphe 10(2) peut être contredit par le paragraphe 13(2).
Pour l'essentiel, la loi dit que la personne qui paye la pellicule est titulaire du droit d'auteur. Supposons par exemple que j'utilise votre appareil pour prendre des photos mais que c'est vous qui payez la pellicule. C'est vous le titulaire du droit d'auteur, pas moi.
Si un client à moi paye la pellicule et si je prends une photo avec mon appareil, mon matériel et en y consacrant mon temps, c'est lui le titulaire du droit d'auteur.
Le sénateur Hubley : Cela me gêne. À mon avis, l'intégrité artistique est le fait du photographe. Par conséquent, c'est lui qui devrait détenir le droit d'auteur. On ne pourra jamais changer quoi que ce soit à cela. Autrement dit, si j'ai un petit appareil et si vous l'utilisez pour prendre une photo, alors le geste artistique a été posé intégralement par vous et non par moi.
Si c'est moi qui prenais la photo, ce ne serait pas pareil parce que je n'ai pas votre compétence. Nous devons protéger la compétence et l'intégrité artistique des photographes.
Je tiens à ce que ce soit clair. Votre exposé était intéressant. Si j'écoute davantage d'échanges, je serai peut-être davantage persuadée par cet argument. Lorsque je l'ai lu, je me suis d'abord dit que je ne pourrais pas être d'accord.
M. Cornellier : Je ne saurais être plus d'accord avec vous, et c'est pourquoi nous avons demandé au Sénat d'abroger cette exception dans la loi, au moyen du projet de loi S-9.
Le sénateur Callbeck : J'aimerais un éclaircissement. À la page 4, vous affirmez que le photographe devrait avoir le droit d'auteur. Supposons que vous me preniez en photo et qu'ensuite, nous discutions d'une somme quelconque à vous remettre car je songe à utiliser la photo à certaines fins. Qu'arrivera-t-il si vous n'êtes pas d'accord avec certains des usages que je prévois faire?
M. Cornellier : Je ne serai jamais en désaccord avec cet usage.
Je serai alors en mesure de vendre et plus je vendrai, mieux je me porterai. Je pourrais être en désaccord dans certains cas toutefois.
Supposons que vous vouliez utiliser la photo dans une brochure du Ku Klux Klan, organisme que je réprouve tout à fait. D'abord, je pourrai refuser de prendre la photo. Je ne tiendrai peut-être pas à ce que mon œuvre soit diffusée dans de telles circonstances. La même chose vaut d'ailleurs pour vous. Si je vous prends en photo, vous ne voudrez peut-être pas que je m'en serve au profit du Ku Klux Klan. Vous tiendrez peut-être aussi à me donner une permission, droit que vous reconnaît justement la loi sur le respect de la vie privée.
Le sénateur Callbeck : Les deux parties doivent s'entendre sur l'usage qu'on fera de la photo.
Supposons que dans un an, je décide d'utiliser la photo à une autre fin. Est-ce que je devrais alors négocier une nouvelle somme avec vous?
M. Boyle : C'est exact. Vous relancez le photographe et lui rappellerez que selon le contrat intervenu avec lui, vous pouviez utiliser la photo à telle et telle fin. Vous ajouterez que vous souhaitez maintenant l'utiliser à une autre fin et lui demanderez s'il est d'accord pour fournir une autre copie et en arriver à une autre entente. C'est alors qu'on négocie une nouvelle entente couvrant le nouvel usage.
Le sénateur Callbeck : On parle de sommes d'argent ici; de quoi s'agit-il?
M. Cornellier : C'est ici qu'il pourrait y avoir quelque confusion, mais pour nous c'est très simple. Si vous souhaitez envoyer une seconde copie à votre fils qui vit en Afrique, cela ne vous coûtera que les frais de copie. Ainsi par exemple, une photo coûtant 5 $ vous coûtera 5 $. Cela ne fait aucun doute.
La situation se complique un peu lorsque des possibilités commerciales sont en jeu. Ainsi par exemple, un homme a demandé à une jeune photographe de Montréal de le prendre en photo. Il lui a dit qu'il offrirait la photo en question à sa femme, qu'il en ferait un usage personnel. La photographe a donc demandé des honoraires très bas, seulement 75 $ pour une photographie de 8 centimètres par 10 centimètres. Trois mois plus tard cependant, cet homme s'est trouvé un nouvel emploi et son nouvel employeur lui a demandé s'il avait une photo qu'il pouvait diffuser. La photo a donc été diffusée en public. Elle a été publiée dans le journal et partout dans l'entreprise. Ça, c'est un usage commercial. À notre avis, dans un tel cas, le client aurait dû demander une autorisation et la compagnie aurait dû payer des frais pour utiliser la photo.
Après tout, c'est notre gagne-pain. Lorsque nous prenons la photographie, nous nous efforçons cependant de demander des honoraires très bas. Si quelqu'un veut obtenir une photo de passeport, je ne pourrai pas la vendre 3 000 $. Je la vendrai 20 $, étant entendu qu'elle ne servira qu'à votre passeport
Supposons qu'après, vous vouliez publier un livre ou qu'on vous demande de représenter une entreprise qui aimerait utiliser votre photo sur des panneaux publicitaires. Dans ce cas, nous vous dirions qu'il faut en discuter et que nous devons avoir notre part.
M. Boyle : C'est un peu comme lorsqu'un couple engage un photographe pour prendre des photos de mariage. Il y aura souvent une annonce dans le journal, accompagnée de la photo de fiançailles ou d'une photo de mariage. Dans certaines petites villes de l'Ontario, nous avons dit aux journaux qu'ils pouvaient utiliser la photo et que tout ce que nous voulions, c'était des références photographiques en-dessous étant donné que nous ne demandions pas d'honoraires supplémentaires pour couvrir cet usage supplémentaire car il nous sert de publicité. Quelqu'un qui voit la photo dans le journal pourra dire qu'il l'aime beaucoup et qu'il aimerait savoir qui en est l'auteur.
Le sénateur Callbeck : Vous parlez d'honoraires commerciaux. Si on paye des honoraires commerciaux, est-ce que cela vous permet de publier la photo dans MacLean's ou dans le Toronto Star?
M. Cornellier : Au cours de la dernière campagne électorale, j'ai pris en photo bon nombre de députés. Ils m'ont dit avoir besoin d'utiliser la photo pour les besoins de la campagne et qu'ils le feraient peut-être au cours de leur mandat de quatre ans, s'ils étaient élus. Nous avons donc négocié des honoraires. Je leur ai ensuite dit qu'ils pouvaient s'en servir à leur guise, en permettant qu'on les publie dans des journaux, des revues ou des brochures ou encore sous forme d'affiches pour les besoins de la campagne électorale et au cours des quatre prochaines années, pourvu que ce soit au cours de leur mandat de député. J'ai ajouté que dans le cas où dans huit ans, il ne serait plus député et songerait à écrire un livre ou à travailler avec une entreprise, s'il envisageait d'utiliser la même photographie à des fins commerciales, il devait venir me voir.
Le sénateur Callbeck : Combien demandiez-vous?
M. Cornellier : Quatre cents dollars. Cela couvrait la prise de la photographie et les épreuves.
Les honoraires ne sont pas fixes. Un étudiant demandera moins que quelqu'un ayant 30 ans d'expérience.
[Français]
Le sénateur Pépin : Chaque fois qu'une personne demande à faire une photo et l'utilise, doit-elle vous demander la permission? Je ne parle pas d'une personne publique.
M. Cornellier : Dans les faits, cela ne se passe pas ainsi. En tant qu'homme d'affaires, je n'ai pas vraiment intérêt à ce que 150 personnes me téléphonent tous les jours pour me demander la permission de faire une reproduction de la photo pour l'envoyer à leur fils ou pour leur site Web. Au moment où on fait la photo, on donne un forfait qui comprend un tirage correspondant au besoin du client, un disque compact — ce qui permet de mettre les photos sur le site Web — et la permission de les utiliser pour leur besoin personnel sans jamais avoir à nous demander une permission.
Le sénateur Pépin : Ainsi, une photo de classe pourrait être placée sur un site Web? Par exemple, je pourrais placer une photo de ma petite fille sur le site Web après avoir signé une entente avec vous?
M. Cornellier : Bien sûr.
Le sénateur Pépin : Par conséquent, en tant qu'individu, dès que je fais prendre en photo, par exemple, ma maison, vous possédez tous les droits à cet égard, car je dois signer avec vous une entente pour l'usage de cette photo?
M. Cornellier : Cet exemple est plus ou moins juste. Ayant pris cette photo, je jouis de certains droits; la maison étant vôtre, vous jouissez de certains droits. Nous avons donc, tous deux, des droits.
Si je désire utiliser cette photo pour ma publicité ou mon portfolio, je dois obtenir votre autorisation.
Le sénateur Pépin : Il y a donc deux propriétaires?
M. Cornellier : Effectivement, chacun est propriétaire d'un aspect de la photo. Je suis propriétaire de son apparence et vous êtes propriétaire de son contenu.
Le sénateur Pépin : Il est donc préférable de s'entendre avec son photographe.
M. Cornellier : Il est toujours facile pour le photographe de s'entendre avec ses clients, car dans le cas contraire, il perdrait sa clientèle et ne pourrait pas travailler.
Le sénateur Pépin : Vous avez mentionné la protection qui existe au Québec, au Manitoba, en Saskatchewan, en Colombie-Britannique et à Terre-Neuve. Qu'en est-il des autres provinces?
M. Cornellier : Nous retrouvons le droit de la responsabilité délictuelle. Les lois spécifiques sur la vie privée ne sont pas aussi développées dans les autres provinces. Toutefois, certaines causes furent plaidées devant des tribunaux et ceux-ci ont toujours tranché en faveur de la personne et non du photographe. La Cour suprême également a tranché en faveur du contenu de la photo et non en faveur du photographe.
Le fait que ces décisions aient toutes été dans la même direction donne un droit acquis à la vie privé avant celui du droit d'auteur.
Le sénateur Pépin : Supposons que l'on soit en train de préparer une rétrospective historique d'une ville ou d'une famille et que l'on aille chercher des documents et des photos datant de 1920 ou 1930. Avec les lois existant au Québec ou au Manitoba, quelles seraient les implications? Les photographes sont peut-être décédés. Dans un tel cas, sommes- nous tenus d'obtenir l'autorisation du photographe ou de la famille?
M. Cornellier : Disons qu'une famille ait fait prendre ses photos par M. Karsh alors qu'il était jeune. Les droits rattachés à ces photos se sont éteints 50 ans après la prise. Ces photos sont donc désormais du domaine public. Par conséquent, il n'est plus nécessaire d'obtenir des droits, les photos ayant été prises il y a plus de 50 ans.
Dans le cas où les photos auraient été prises dans les 50 dernières années, les droits d'auteur de M. Karsh seraient protégés. Toutefois, M. Karsh ne pourrait utiliser ces photos sans autorisation.
[Traduction]
M. Boyle : Si vous me permettez d'intervenir, il y a autre chose en question ici, c'est la distinction qu'il faut faire entre le droit d'auteur et le droit à la protection de la vie privée. Le droit d'auteur sur l'image à l'époque prenait fin au bout de 50 ans. Les droits à la protection de la vie privée cependant, dépendraient des droits en question en vigueur à l'époque. Il faudrait donc consulter la Loi sur la protection des renseignements personnels et des documents électroniques afin de voir ce qu'elle renferme maintenant au sujet de l'utilisation de cette photographie si des personnes y figuraient.
C'est là que le droit d'auteur et le droit à la protection de la vie privée commencent à s'entremêler, mais nous nous efforçons de maintenir leur distinction car ils relèvent de deux lois différentes.
[Français]
M. Cornellier : La Loi sur le droit d'auteur est toujours basée sur un équilibre entre les droits du créateur et les droits de la personne impliquée. Si vous donnez tous les droits à la personne qui commande l'œuvre, cet équilibre n'existe pas et le photographe n'a aucun droit. Le photographe doit avoir le droit à sa création et la personne doit être protégée par la Loi sur la vie privée. Nous sommes d'accord sur ce point.
Je ne tiens pas à ce que mon portrait soit diffusé sans ma permission. Je partage donc votre position à ce sujet. Néanmoins, la loi empêche une telle diffusion. D'ailleurs, nous sommes bien heureux que cette loi existe et nous ne la contestons pas. Nous souhaitons toutefois qu'il y ait un équilibre.
Le sénateur Pépin : Actuellement, plusieurs individus ont des sites Web sur lesquels apparaissent des photos. Il ne s'agit pas seulement du domaine public mais aussi du domaine familial.
Dès qu'une personne affiche une photo sur un site Web, est-elle obligée de demander au photographe l'autorisation de le faire?
M. Cornellier : Au moment où j'ai pris la photo, je vous ai donné cette permission. Je n'ai pas intérêt à vous donner une permission si limitée qu'à chaque deux jours vous deviez me demander l'autorisation de l'envoyer par courrier électronique à une cousine en Hongrie, par exemple.
Le sénateur Pépin : L'entente initiale couvre donc plusieurs hypothèses.
M. Cornellier : À moins d'une demande particulière, je donne un ensemble de droits et non un seul droit spécifique. Une personne peut indiquer que la photo ne sera utilisée qu'à une fin bien particulière et qu'elle désire que les honoraires soient moins élevés en conséquence. Dans un tel cas, je n'y verrai aucun inconvénient. Toutefois, de façon courante, j'exigerai 75 $ et la personne pourra faire ce qu'elle désire.
Le sénateur Pépin : Une entente sera donc toujours nécessaire lorsqu'on désire faire prendre des photos?
M. Cornellier : Une entente existe déjà dans tous les cas.
[Traduction]
M. Boyle : Au sujet des images à utiliser dans Internet, il y a une autre chose à prendre en compte, c'est le cas où un client nous dit qu'il veut accrocher la photo au mur, la faire paraître dans le journal et l'afficher dans son site Web. Or, lorsque nous fournissons une image à des fins d'affichage dans un site Web, elle est très petite, en raison de la technologie utilisée. Ce genre d'image ne peut pas être aussi belle lorsqu'elle est agrandie et imprimée dans des dimensions de 8x10 ou de 5x7. Elle est belle à l'écran, mais seulement à l'écran.
Souvent, dans le cas de photos de famille, de portraits et de photos de mariage, nous allons fournir la petite image en supplément.
Le sénateur Cochrane : Je vous remercie, messieurs, de votre présence parmi nous aujourd'hui. Pouvez-vous me dire quelles lois provinciales et fédérales actuelles chargées de protéger la vie privée empêcheraient un photographe de vendre une photo commandée à une entreprise de publicité?
M. Cornellier : Toutes les lois relatives à la protection de la vie privée du Québec, de la Colombie-Britannique et du Manitoba, et cela de façon explicite. En tant que photographe, je ne peux absolument pas revendre une photo à une entreprise de publicité, quelle qu'elle soit, sans l'autorisation écrite de la personne représentée sur la photo.
Nous avons également un texte qui nous a été envoyé par le cabinet d'avocats Gowlings d'Ottawa où il est dit qu'après étude de toutes ces lois canadiennes, tout le monde est très bien protégé dans un tel cas.
En second lieu, dans les faits, j'imagine mal une compagnie comme Coca-Cola s'adresser à moi et me demander de lui vendre une photographie sans demander d'abord qui est représenté sur la photo et si j'ai obtenu la permission de la vendre. Ces entreprises ne veulent pas prêter flanc à des poursuites parce qu'on n'avait pas obtenu la permission d'utiliser la photo. Leur avocat nous dira d'ailleurs qu'elles doivent se conformer à la loi sur la protection de la vie privée et qu'en conséquence, il faut qu'on leur donne d'abord la permission par écrit. Si elles ne peuvent obtenir cela, elles n'achèteront pas la photo.
M. Boyle : À ce sujet, on peut se reporter à certains exemples dans le droit canadien, par exemple le jugement Aubry, déjà mentionné dans notre exposé, ainsi qu'aux causes de Myriam Bédard, et de Salé et Pelletier. Dans toutes ces affaires portées devant les tribunaux, les personnes étaient des Canadiens très connus et on s'était servi de leurs images sans leur autorisation préalable. Il existe donc des précédents et dans ces causes, les photographes ont été déboutés.
Dans le cours de nos activités, tant avec nos associations qu'avec des photographes de partout au pays, nous nous efforçons de renseigner les gens et de leur dire ce qu'ils peuvent et ne peuvent pas faire. D'ailleurs, nous recevons de plus en plus d'appels de la part de clients. Ces derniers savent que nous ne ménageons pas les photographes. Nous disons qu'ils ne peuvent faire telle et telle chose. Les clients nous appellent pour nous dire qu'un tel a affirmé avoir le droit de faire telle chose. Nous intervenons donc. Nous disons aux clients qu'à moins d'en arriver à un compromis acceptable pour les deux parties, ils doivent s'adresser à un avocat.
Nous comprenons suffisamment les lois relatives à la protection de la vie privée pour savoir que nous ne voulons pas nous retrouver dans le pétrin à cause d'elles. C'est pour cela que nous renseignons les photographes de notre pays de toutes les manières possibles, y compris au moyen de cours et d'articles dans des revues.
Le sénateur Cochrane : Monsieur Boyle et monsieur Cornellier, je sais que vous faites partie d'un organisme professionnel, et je respecte d'ailleurs votre professionnalisme. Je n'en demeure pas moins préoccupée par ce qu'il peut arriver à une photographie. Supposons par exemple qu'un photographe utilise une photo déjà prise à des fins qui peuvent se révéler embarrassantes pour la personne qui figure sur la photo. Une fois que la photo est utilisée de cette manière embarrassante, le mal est fait.
M. Boyle : Oui, mais c'est alors qu'il faut s'adresser aux tribunaux. La LPRPDÉ et les lois provinciales en matière de protection de la vie privée imposent certaines règles, et si un photographe ne les respecte pas, il sera poursuivi.
M. Cornellier : Je suis d'accord avec vous, madame le sénateur, dans un cas semblable, il se passe quelque chose de terrible, et le mal est déjà fait lorsqu'on s'en rend compte. Cela dit, quoi que nous disions et fassions, et même si dans la loi sur le droit d'auteur était inscrite une exception précisant qu'il ne faut pas faire telle et telle chose, la personne fautive va quand même agir de cette façon-là, car elle viole déjà une loi, celle qui protège la vie privée. Le simple fait d'en ajouter une autre n'empêchera nullement la personne de l'enfreindre.
Lorsqu'on adopte une loi, on ne peut éliminer toutes les possibilités de l'enfreindre.
Cela étant, en ajoutant cela dans la Loi sur le droit d'auteur, on ne fera que compliquer les choses pour toutes les personnes de bonne foi qui veulent récupérer leur photo.
Le sénateur Cochrane : Je comprends parfaitement ce que vous dites.
Ce qui me préoccupe, ce sont les photos d'enfants et les photos embarrassantes. Il existe des gens qui feraient ce genre de chose.
M. Boyle : La Loi sur le droit d'auteur traite seulement des photographies effectuées sur commande. Elle ne couvre pas le photographe qui prend un cliché dans la rue, y fixe quelque chose d'embarrassant et publie la photo.
Le sénateur Cochrane : Existe-t-il des gens ou des groupes, à votre connaissance, qui sont contre le projet de loi? Le projet de loi fait-il l'unanimité?
M. Cornellier : Il y a un groupe contre le projet de loi : la CIPPIC. Nous les avons évoqués dans notre mémoire. Ses membres expriment des préoccupations similaires aux vôtres. Selon eux, le changement à la Loi sur le droit d'auteur permettrait au photographe d'utiliser une photographie sans permission. C'est une supposition erronée.
Un photographe qui détient un droit d'auteur est en mesure de dire que c'est sa photographie mais pas de l'utiliser, la Loi sur la protection de la vie privée s'appliquant dans ce cas-là, quelle que soit la situation et quoi qu'en disent les membres du groupe.
Ils prétendent aussi que la mesure devrait s'appliquer à tous les créateurs et pas seulement aux photographes. Qu'elle devrait s'appliquer aux musiciens et aux écrivains. Nous rétorquons que dans ce cas-là, c'est dans la LPRPDE qu'il conviendrait de l'inclure, et pas dans la Loi sur le droit d'auteur.
Le sénateur Trenholme Counsell : Permettez-moi d'utiliser un exemple tiré de mon expérience personnelle en ce moment. On prend une photo de chaque sénateur. Nous en avons des exemplaires dans notre bureau et il est fréquent qu'un groupe ou un autre nous en demande, pour toute une série de raisons : pour inclusion dans un programme, pour une école, et cetera. Si le projet de loi est adopté, les sénateurs seront-ils tenus d'obtenir une permission chaque fois qu'ils remettront leur photographie à quelqu'un?
M. Boyle : Non. Quand on va chez le photographe, un accord ou un contrat est généralement conclu dès le départ. Vous pourriez dire : « J'aimerais utiliser cette photographie pour ceci ou cela, toute une série d'usages différents. »
Le sénateur Trenholme Counsell : Et si c'est un usage que l'on n'a pas prévu?
M. Cornellier : Ce n'est pas vraiment comme ça que ça fonctionne. Comme je l'ai dit précédemment, quand un député ou un sénateur me demande de le prendre en photo, je lui donne ma permission en disant : « Tant que vous serez député ou sénateur, vous pouvez utiliser la photographie dans le cadre de vos fonctions, sans m'en demander la permission. »
Le sénateur Trenholme Counsell : Vous venez de dire : « Tant que vous serez député ou sénateur ». Cela s'applique-t- il seulement pendant que je suis député ou sénateur?
M. Cornellier : Oui, ce serait les termes de notre accord. La personne que j'ai photographiée a demandé un droit spécifique. Si elle m'avait demandé plus, je lui en aurais donné plus. Toutefois elle m'a demandé juste cela; c'est donc juste ce que je lui ai donné; cela dépend de ses besoins. Disons que, dans quatre ans, vous ne soyez plus député ou sénateur, que vous soyez alors écrivain et désiriez utiliser la photographie que j'ai prise sur la couverture d'un livre que vous entendez vendre. Dans ce cas, manifestement, vous revendez ma photographie. Le cas est alors différent. Dans les autres cas, vous ne vendez pas la photographie. Vous l'utilisez pour vous promouvoir dans le cadre de l'exercice de vos fonctions. Dans ce cas, vous n'avez pas à demander ma permission. Je vous ai donné la permission de le faire dans ces circonstances.
Le sénateur Trenholme Counsell : Eh bien, reprenons l'exemple du livre que vous avez choisi. Je comprends bien que la situation soit différente dans le cas de la couverture d'un livre, qui est spécifique et bien visible. Disons que quelqu'un écrive un livre sur les femmes au Sénat et souhaite y inclure des photographies de certaines sénatrices. Faudrait-il alors obtenir votre permission?
M. Cornellier : C'est une demande que j'ai reçue à plusieurs reprises. Des personnes que j'ai prises en photo m'appellent, parce que quelqu'un souhaite publier un livre et veut utiliser leur photographie dans le livre. Ma réponse, dans ce cas-là, est la suivante : « Pas de problème. Dites à la personne qui publie le livre d'entrer en contact avec moi. » L'éditeur entre en contact avec moi et me donne 25 $ pour la permission de publier la photographie dans le livre. C'est l'éditeur, c'est lui qui doit payer, parce que c'est lui qui utilise la photographie; donc c'est lui qui paye les honoraires.
Le sénateur Trenholme Counsell : Et s'ils passaient soudainement à 2 500 $?
M. Cornellier : L'éditeur ferait alors faire une autre photo, ce qui lui coûterait 75 $, et il la publierait pour 75 $. Jamais je n'arriverais à me faire payer une somme pareille.
Le sénateur Trenholme Counsell : Quand il s'agit de photos de classe, quand on prend la photo d'un enfant, chaque parent signerait quelque chose et aurait une entente. C'est le parent qui signerait, parce que ce ne serait pas l'école qui prendrait les dispositions pour les photos; ce serait chaque parent.
M. Cornellier : Si c'est une école avec 700 élèves, nous ne ferions sans doute pas signer 700 contrats. La loi stipulerait que nous détenons le droit d'auteur pour ces photographies; un point c'est tout. Nous prendrions les enfants en photo et si nous voulions utiliser la photographie, nous serions tenus de demander la permission aux parents du fait des lois sur la protection de la vie privée. Si, par contre, les parents voulaient utiliser la photo, ils n'en feraient pas la demande à l'école. Il faudrait qu'ils s'adressent à nous pour avoir une épreuve. Pour 3 $ou 5 $, ils pourraient utiliser la photographie.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il est maintenant possible d'effectuer des copies de photographies et de les afficher sur Internet. N'est-ce pas quelque chose qu'ils auraient le droit de faire?
M. Cornellier : C'est illégal maintenant.
Le sénateur Trenholme Counsell : On lit souvent des biographies où figurent des photos de classe prises il y a 40 ou 50 ans. Peut-être ne serait-il pas possible d'inclure une photo de ce type, si on ne pouvait pas retrouver le photographe.
M. Boyle : C'est difficile. On nous téléphone sans arrêt pour tâcher de retrouver la trace d'un photographe donné. En général, après 40 ou 50 ans, il y a longtemps que le photographe n'exerce plus. Nombreux sont les photographes qui transmettent leurs archives à leur successeur. Nombreux aussi sont les photographes qui se débarrassent de leurs négatifs ou de leurs images après cinq ou dix ans.
Nous faisons des efforts pour retrouver le photographe. Quand ce n'est pas possible, nous parlons à la personne qui veut utiliser l'image et nous lui disons que nous ne pouvons pas trouver le photographe, malgré les recherches effectuées à la fois par l'ACPIC et par la PPC. Nous sommes généralement en mesure de trouver les photographes qui ont exercé au Canada dans les 50 ou 60 dernières années. Si ce n'est pas le cas, nous suggérons au client d'utiliser quand même l'image, mais de noter dans la publication que le photographe est inconnu ou connu mais qu'on ne peut pas le retrouver.
Quand nous sommes en mesure de trouver un photographe, quand il se manifeste lui-même, ou quand quelqu'un qui voit la photo reconnaît le photographe, l'individu doit convenir d'honoraires à remettre au photographe pour les usages faits de l'image.
M. Cornellier : Bref, notre conseil est d'utiliser l'image. La Commission du droit d'auteur du Canada vous accorde l'autorisation et vous recommande de mettre 25 $ de côté en témoignage de bonne foi. Dans ce cas, si le photographe refait surface dans cinq ans et demande à être payé, vous êtes en mesure de le payer. Entre-temps, ne vous privez surtout pas d'utiliser l'image. C'est ce que nous recommandons dans ces cas.
M. Boyle : Nous nous efforçons de ne pas empêcher les gens d'utiliser les images parce que nous savons combien les photos sont importantes en tant qu'archives. Nous sommes ravis de les voir utilisées. Et nous faisons notre possible pour faciliter cet usage.
M. Cornellier : Après 50 ans, une photo tombe dans le domaine public et tout le monde peut s'en servir sans autorisation.
Le sénateur Trenholme Counsell : Dans le cas de photos prises en studio, qui en détient les droits d'auteur, le studio ou le photographe? Y a-t-il une différence?
M. Boyle : Oui, il y a une différence. Normalement, le studio détiendrait les droits d'auteur.
M. Cornellier : Nous ne demandons pas des modifications à cette partie de la loi. La Loi sur le droit d'auteur stipule que si un photographe est un employé d'une société, d'un journal, d'une revue, de Bell Canada, d'un individu ou d'un studio photographique, ce photographe ne détient pas les droits d'auteur; les droits d'auteur appartiennent à l'employeur.
M. Boyle : C'est ma position. Je suis un employé du Musée royal de l'Ontario. Nous n'essayons pas d'obtenir les droits d'auteur pour les images que je photographie en mon nom pour le compte du Musée. Nous n'essayons pas du tout de changer cela. Le Musée détiendra toujours les droits d'auteur sur les images que je photographie pour lui. C'est la même chose pour le Musée des beaux-arts et le MCC. Un musée détiendra toujours les droits d'auteur pour les photos prises par ses employés.
[Français]
Le sénateur Morin : J'aimerais féliciter et remercier M. Cornellier et M. Boyle. Ils ont été d'excellents témoins.
[Traduction]
Le vice-président : Je crois qu'il n'y a plus de questions. Merci, messieurs.
[Français]
M. Cornellier : Merci à tous de votre généreuse invitation et de nous avoir reçu aujourd'hui.
Le sénateur Morin : Où habitez-vous maintenant, monsieur Cornellier?
M. Cornellier : À Montréal.
Le sénateur Morin : Un peu de publicité ne nuit pas!
M. Cornellier : Cela me fait toujours plaisir, je suis près du centre-ville, près du marché Atwater.
[Traduction]
Le vice-président : Sénateurs, nous poursuivrons nos délibérations sur le projet de loi S-9 la semaine prochaine.
La séance est levée.