Aller au contenu
SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 7 - Témoignages


TORONTO, jeudi 17 février 2005

Le Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner des questions se rapportant à la santé et à la maladie mentales.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Sénateurs, nous avons avec nous ce matin trois groupes de témoins qui nous parleront de la prestation des services. Le premier groupe que nous entendrons nous parlera de la manière d'offrir des services dans un contexte culturel, et c'est un sujet que nous avons abordé dans notre rapport intitulé Problèmes et options.

M. Raymond Chung est directeur exécutif du Hong Fook Mental Health Association et Mme Martha Ocampo est codirectrice de l'organisme Across Boundaries, un groupe qui se spécialise dans la santé mentale ethnoraciale. Nous avons également avec nous M. Raymond Chung, qui connaît très bien le domaine de la prestation de services de cette nature.

Je demanderais à M. Raymond Chung de commencer. Nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à dire et de vous poser de nombreuses questions. Merci d'être venu ce matin.

M. Raymond Chung, directeur exécutif, Hong Fook Mental Health Association : Bonjour. Je voudrais remercier le comité sénatorial de m'avoir invité à titre de témoin afin de vous faire part de mes commentaires et recommandations. Pour bien situer mes propos, permettez-moi de vous poser quelques questions.

Premièrement, seriez-vous surpris si je vous disais que Hong Fook Mental Health Association est un des deux organismes de santé mentale communautaire et ethnoculturel financé par le ministère ontarien de la Santé et des soins de longue durée?

Deuxièmement, seriez-vous surpris si je vous disais que Hong Fook Mental Health Association reçoit actuellement 1,96 million de dollars pour offrir des services aux communautés cambodgiennes, chinoises de Hong Kong, de la Chine populaire, taïwanaise, coréenne et vietnamienne? Pour votre gouverne, sachez que la population de ces six communautés qui habitent dans la région métropolitaine de Toronto est de près d'un demi-million.

Troisièmement, seriez-vous surpris si je vous disais que la communauté cambodgienne ne compte pas un seul médecin de famille ni psychiatre?

Quatrièmement, seriez-vous surpris si je vous disais que, il y a deux ans, plus de 150 patients actifs recevant des soins de santé mentale, issus de la communauté coréenne n'ont pas pu recevoir de suivi, parce que le seul et unique psychiatre parlant le coréen avait déménagé en Colombie-Britannique?

Permettez-moi maintenant de vous parler un peu de notre association, Hong Fook. Déjà en 1978, on avait mis en lumière des difficultés relatives à l'évaluation des services de santé mentale reçus par les clients issus de communautés ethnoculturelles. Ainsi, deux problèmes ont été recensés : le premier, la sous-utilisation des services psychiatriques hospitaliers par les communautés asiatiques et, le deuxième, le séjour prolongé à l'hôpital quand le patient ne parle pas anglais.

Hong Fook a été financé officiellement pour la première fois en 1992 pour servir de pont entre les communautés ethniques et l'hôpital suivant le modèle de liaison consultative. Je voudrais insister sur le concept de « modèle de liaison consultative ». Aujourd'hui, 23 ans plus tard, nous cherchons toujours des réponses à ces deux questions.

Le fait que Hong Fook soit le seul organisme de santé mentale ethnoculturel en dit long. Plus de la moitié de la population de Toronto est née à l'étranger et parle plus de 180 langues.

Hong Fook Mental Health Association est membre de Centraide et, à ce titre reçoit des fonds pour mener des activités de promotion de la santé auprès de six communautés. Nos stratégies de promotion à cet égard se fondent sur les principes du l'édification de la capacité communautaire. Je répète : l'édification de la capacité communautaire.

Depuis 23 ans, c'est-à-dire depuis de Hong Fook reçoit du financement, nous avons montré qu'il existe des modèles efficaces et efficients de répondre aux besoins en matière de santé et de maladie mentales des communautés ethniques. Notre palette de services actuels englobe un vaste éventail de services et d'initiatives.

Hong Fook a changé son approche en matière de prestation de services. Au départ, notre principal mode de prestation de services était sous forme de gestion des cas, et c'est d'ailleurs pour cette raison que nous avions été financés, mais nous nous sommes rendu compte des limites de ce mode de prestation, puisque les gens font partie d'un système plus large. Par conséquent, en considérant une approche plus exhaustive et holistique de la santé, il est logique que l'on fournisse une palette de services qui aide le consommateur dans son cheminement vers le rétablissement de même que sa famille et la communauté de celui-ci.

Je voudrais attirer votre attention sur les brochures et le mémoire écrit que nous vous avons remis pour en savoir davantage. Mon exposé oral fera ressortir quelques éléments d'information que j'aimerais vous signaler.

Permettez-moi de vous faire part de mes commentaires sur certaines sections de votre rapport intitulé Santé mentale, maladie mentale et toxicomanie : Problèmes et options pour le Canada, ainsi que de certaines recommandations. Dans mon mémoire écrit, j'aborde d'autres aspects, mais j'estime que les sections suivantes sont les plus significatives.

Premièrement, nous saluons ce rapport et adhérons pleinement à l'idée d'explorer les problèmes et les options se rapportant à la santé mentale, à la maladie mentale et à la toxicomanie. Je préciserai que Hong Fook n'a pas d'expertise en toxicomanie. Le rapport fait l'objet d'une discussion à un moment on ne peut plus opportun, puisque le système de soins de santé ontarien subit actuellement une transformation.

Le chapitre 1 parle de la prestation des services et des mesures de soutien : le comité fait allusion à un système comportant deux caractéristiques clés axées sur le patient et sur le rétablissement dans un contexte culturellement adapté. C'est également un système uniforme où les services et les mesures de soutien sont accessibles, de qualité supérieure et bien coordonnés et intégrés.

Il faut se rappeler et tenir sérieusement compte du fait que la composante cruciale de la prestation de services, c'est l'accessibilité. L'accessibilité constitue une barrière considérable pour les patients et les familles qui ne parlent ni l'une ni l'autre des langues officielles et qui ont besoin d'une attention immédiate. Autrement, par exemple ici à Toronto, on fait fi de plus de 55 p. 100 de la population issue de l'immigration.

Quand nous parlons d'un système uniforme, nous pensons à un système où les services et les mesures de soutien sont accessibles, et on a qu'à regarder l'histoire de nos soins de santé. Les services qui sont articulés autour d'un modèle médical où l'hôpital est au cœur du système ne seront jamais axés sur le patient. C'est au sein des familles et des communautés que nous trouvons les réseaux de soutien.

Quand nous parlons de prestation de services et de mesures de soutien culturellement adaptées, notamment au chapitre 1, point 1,2, il est important de reconnaître que la compréhension culturelle et la compétence linguistique sont deux facteurs parmi tant d'autres de la prestation de services. Étant donné que plus de 55 p. 100 de la population de Toronto est née à l'étranger, toute tentative d'élaborer des services pour répondre à tous les besoins des divers groupes culturels et linguistiques est pratiquement impossible.

Nous recommandons que l'accent soit mis sur des fournisseurs de services familiarisés avec la culture afin de rehausser leur niveau de professionnalisme. Cela pourrait commander l'élaboration de stratégies permanentes de perfectionnement du personnel comme le recours efficace à la consultation culturelle, approche que nous utilisons nous-mêmes, pour perfectionner les compétences des professionnels et les sensibiliser davantage à la manière dont la culture des patients affecte le traitement.

À titre de recommandation, nous préconisons l'élaboration d'une autre stratégie réaliste qui serait d'assurer le financement d' équipes d'interprètes culturels et linguistiques mobiles. De telles équipes consisteraient en des interprètes en santé mentale qualifiés qui seraient disponibles sur appel. C'est une des recommandations faite par le Toronto Peel Mental Health Implementation Task Force en 2002.

Nous recommandons aussi l'établissement d'une politique fédérale assortie de lignes directrices obligatoires en matière de financement, de formation et de prestation de services à des interprètes en santé mentale qualifiés qui seraient au service de quiconque en a besoin.

S'agissant du point 1.4, qui parle de dépistage et d'intervention précoces, je pense que cela devrait s'appliquer à tous les niveaux, y compris les stratégies de promotion de la santé. Selon l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé, les déterminants sociaux de la santé, l'émigration et la santé mentale sont d'importants facteurs qui contribuent à une vie saine.

En guise de recommandation, nous préconisons l'établissement d'une politique fédérale qui reposerait sur une approche holistique de la santé mentale. L'interprétation actuelle de la santé mentale est trop étroitement liée à la maladie, si bien que cela compromet le dépistage précoce. Nous estimons qu'être bien informé constitue la première étape vers la réduction de la stigmatisation et de la discrimination.

Nous recommandons également une sorte de financement stable des programmes communautaires pour aider les patients à obtenir des services culturellement adaptés et pour fournir des services intégrés qui privilégient la promotion de la santé holistique comme moyen de dépistage et d'intervention précoces. Sinon, nous continuerons de faire face aux problèmes de la sous-utilisation des services par les nouveaux venus, ce qui, à long terme, grèvera le système de soins de santé. C'est seulement en adoptant des stratégies de prévention et de promotion de la santé mentale adaptées à des réalités ethnoculturelles et linguistiques que l'on pourra atteindre les objectifs du dépistage et de l'intervention précoces. Ce faisant, vous contribuerez à réduire les coûts financiers et humains assumés par notre société et, à long terme, les coûts associés au traitement de maladies mentales plus graves.

Le supplément de la santé mentale du sondage sur la santé de l'Ontario constate que, dans notre société, une personne sur cinq a des problèmes de santé mentale. Le coût pour la société sera énorme, si on ne fait pas de prévention de la maladie mentale ou qu'on ne fait pas de promotion de la santé mentale par l'éducation et l'intervention précoces.

Un nombre croissant de travaux dans le domaine constatent que, au fur et à mesure que la durée des psychoses non traitées augmentent, le séjour à l'hôpital se prolonge, les rémissions se font de plus en plus rares et prennent plus de temps à se produire, la réaction au traitement précoce de la psychose par médicament est réduite, la capacité de se juger soi-même diminue, les soutiens sociaux disparaissent et les trajectoires de vie sont gravement modifiées.

Passons maintenant au chapitre 1.2, dans lequel on parle de donner plus largement accès aux services : il faut reconnaître que personne ne fait appel aux services de soins de santé mentale, à moins qu'eux-mêmes ou leurs proches ne soient en mesure de reconnaître les signes précoces de maladie mentale.

Si nous voulons vraiment garantir les droits des patients aux services, nous recommandons de financer les stratégies de promotion de la santé en vue d'aider les nouveaux arrivants, et surtout ceux qui ne parlent ni l'une ni l'autre des langues officielles. Il faut faire la promotion de la santé mentale et prévenir les troubles mentaux chez les nouveaux arrivants et les membres de leurs familles, et il est tout aussi important d'assurer à ces gens le droit d'obtenir des services. En sensibilisant les nouveaux arrivants, ceux qui sont malades et leurs proches seront plus en mesure de déceler les étapes précoces de la maladie, puis d'intervenir. Il est important de comprendre que ce sont les membres de la famille qui deviendront nos principaux partenaires dans la chaîne des soins offerts aux patients.

Nous recommandons que la politique fédérale comporte des lignes directrices sur le financement de la promotion des services de santé aux membres de la famille.

Mon seul commentaire au sujet du chapitre 2, qui traite de groupes concernés de la population, prendra la forme d'une question. Étant donné que les groupes d'immigrants représentent plus de 55 p. 100 de la population de Toronto, les nouveaux arrivants ne parlant ni l'une ni l'autre des deux langues officielles ne devraient-ils pas être inscrits comme groupes concernés?

Le paragraphe 4.1 du chapitre 4 s'intitule : « Combattre la stigmatisation et la discrimination ». Nous souscrivons à la constatation du rapport selon laquelle pour réduire la stigmatisation et la discrimination envers des individus qui souffrent de maladie mentale, il faudra déployer des efforts soutenus qui devront être accompagnés d'un financement stable. Nous souscrivons aussi à l'énoncé selon lequel les stratégies et les campagnes de sensibilisation du public par les gouvernements et par les médias, auxquelles on associe l'éducation à l'échelle locale, les ateliers d'information et d'autres tactiques de promotion de la santé, ont déjà donné de bons résultats.

Voici notre recommandation : il est maintenant temps de fournir un financement stable afin de combattre les dommages qu'entraînent la stigmatisation et la discrimination dominant dans la société à l'égard des personnes souffrant de maladie mentale.

Le président : Puis-je vous demander d'aller plus vite, car nous avons des contraintes de temps?

M. Chung : Il ne me reste plus qu'une page. Je répète qu'il s'agit ici d'un résumé, puisque notre mémoire est beaucoup plus long.

Hong Fook est l'une des très rares organisations communautaires, multiculturelles et multilingues de l'Ontario qui consacre ses ressources à la promotion du bien-être mental. En oeuvrant avec les nouveaux arrivants au pays, nous avons pour but de leur donner des ressources afin qu'ils développent leurs capacités dans la collectivité et qu'ils deviennent autonomes.

Pour aider ces milieux à maintenir leur santé mentale, nous offrons des programmes destinés à sensibiliser la collectivité et à mieux faire comprendre les questions de santé et de maladie mentales; nous prônons également la participation de la collectivité dans toutes les questions de santé mentale, de même que la compréhension de l'entourage et l'acceptation de ceux qui ont des problèmes d'ordre mental. Parmi nos programmes, vous trouverez des ateliers et des séminaires; des foires de la santé; des conférences; des promotions de la santé dans les médias; des comités consultatifs communautaires; la formation des bénévoles et des occasions de travailler bénévolement auprès des patients; des explorations de stratégies destinées à maintenir la santé mentale, ainsi que des activités intégrées de types social et récréatif.

Concernant le paragraphe 5.4, « Soutien des aidants naturels », nous reconnaissons que les membres de la famille doivent être aidés. Si on les encourage et qu'on les soutient, les membres de la famille sont les mieux placés pour aider les patients. En les intégrant, on réduit ainsi la demande auprès des fournisseurs de services.

Dans vos lignes directrices, nous vous recommandons d'inclure les services de soutien destinés aux membres de la famille, pour qu'ils fassent partie de la palette des services.

Enfin, nous arrivons au chapitre 7, « Le rôle du gouvernement fédéral ». Le gouvernement fédéral étant le décideur politique du Canada, son rôle le plus important est d'orienter la transformation du système de soins de santé en redonnant une plus grande place à la santé mentale, à la maladie mentale et à la toxicomanie.

Le gouvernement fédéral peut montrer sa vision en établissant des lignes directrices sur le financement qui viendraient renforcer les stratégies de promotion de la santé. Il vaut mieux prévenir que guérir, et l'intervention précoce réduirait les ressources nécessaires au traitement à long terme.

Le gouvernement fédéral peut, dans ses lignes directrices, favoriser l'accès équitable aux programmes et services de santé mentale destinés à ceux qui ne parlent ni l'une ni l'autre de nos langues officielles. Vous devriez envisager d'inscrire dans des mesures législatives les droits à des interprètes en vue d'avoir accès aux services de santé mentale.

Mme Martha Ocampo, codirectrice, Across Boundaries, Ethnoracial Mental Health Centre : J'ai un exposé à vous faire, mais j'ai aussi apporté notre rapport orange, intitulé « Across Boundaries », qui définit notre modèle de soins holistiques. À la dernière page, vous trouverez les définitions de deux termes que j'emploierai souvent : racialiser et racialisation.

Plusieurs rapports et études déjà publiés portent sur le racisme. Ce sont notamment : « After the Door Has Been Opened » en 1988; « Improving Mental Health Supports for Diverse Ethno/Racial Communities in Metro Toronto » en 1992; « The Healing Journey », en 2001; et « Integrated Opportunity : Access to Integrated Health Care for Racialize and Marginalized Communitie », en janvier 2005. Dans tous ces rapports et études, on considère le racisme comme un phénomène particulier auquel se heurtent collectivement certains groupes marginalisés et racialisés de la société. Vous avez sans doute remarqué que certaines de ces études remontent à la fin des années 80, et pourtant, notre système de soins de santé s'est fort peu intéressé à la question. Or, le racisme sous toutes ses formes et à tous les niveaux a une incidence directe sur la santé en général et la santé mentale de la population, puisqu'il lèse environ 43 p. 100 de la population canadienne.

À la suite du rapport « Improving Mental Health Supports for Diverse Ethno/Racial Communities in Metro Toronto », qui ciblait le racisme comme étant l'obstacle principal empêchant d'avoir accès aux services appropriés, le ministère ontarien de la Santé offrait un financement modeste pour la création d'un centre. « Across Boundaries » ouvrait donc ses portes en 1995, et devenait un centre de santé mentale dans l'ouest de Toronto destiné à offrir toute une gamme de mesures de soutien et de services aux groupes racialisés de la ville qui souffraient de problèmes ou de maladies mentales graves. Notre centre a donc été crée en vue de fournir les services appropriés et de répondre aux besoins de certains milieux ciblés, par le truchement d'un modèle holistique de santé mentale dans une optique de lutte contre le racisme. En Ontario, aucune autre agence et aucun autre programme n'offre des services en santé mentale et de lutte contre la toxicomanie, dans une optique de lutte contre le racisme et l'oppression.

Le rapport « Ethno-Racial Inequality in the City of Toronto : An analysis for the 1996 Census que publiait Michael Ornstein en mai 2000, mais qui fut en grande partie dédaigné par les élus municipaux, démontre à quel point la majorité racialisée de Toronto est affligée par des taux de chômage et de pauvreté disproportionnés. Le rapport estime que, bien que 14 p. 100 des familles européennes vivent en deçà du seuil de pauvreté, le pourcentage est beaucoup plus élevé chez le non-européens. Il est de 35 p. 100 chez les Asiatiques du Sud, de 45 p. 100 chez les Africains, les Noirs et les Antillais, et de 45 p. 100 chez les Arabes et les Asiatiques de l'Ouest. Les taux de chômage chez les Africains, les Noirs et les Asiatiques du Sud ont grimpé en flèche, malgré leurs diplômes. Le taux de chômage est ainsi de 45 p. 100 chez les Ghanéens, par exemple. D'après Ornstein, ces inégalités sont presque toujours liées aux phénomènes de la race.

Le racisme a donné lieu à un environnement dans lequel les soins de santé de qualité sont une denrée inaccessible du point de vue social, économique et politique à certains membres de notre société, tandis qu'ils sont un droit pour d'autres. Un des facteurs principaux expliquant cet état de fait, c'est l'incapacité actuelle du système de fournir des services et des soins de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie qui soient culturellement appropriés, qui ne soient pas racistes et qui s'adressent à tous les membres de la société canadienne, peu importe leur race, leur sexe, leur situation socio-économique, leur statut d'immigrant ou non, leur religion et leur orientation sexuelle.

Le système canadien des soins de santé est tel qu'un grand nombre des membres des groupes racialisés se heurtent à des obstacles qui nuisent à leur capacité d'accès à des services de santé mentale. En effet, un bon nombre de ces collectivités ne se conforment pas au modèle nord-américain de prestations des soins de santé qui sont surtout de type biomédical, monoculturel et eurocentriques. Par conséquent, les groupes racialisés ont de moins en moins recours aux services de santé et sont par conséquent diagnostiqués et traités beaucoup plus tard que les autres segments de la population. Par conséquent, les clients de Across Boundaries sont souvent ceux qui souffrent déjà de graves problèmes de santé mentale.

Les consommateurs-survivants et leurs familles dénoncent le problème constant du racisme auquel ils doivent faire face, aussi bien quand ils vont suivre un traitement, quand ils cherchent un logement convenable ou lorsqu'ils essaient simplement de trouver un endroit où rester en sécurité quand ils se sentent déprimés ou isolés.

Il arrive que les médias, dont les articles sont confirmés par différentes études, expliquent que le racisme est explicitement lié au taux élevé de suicide parmi les membres des Premières nations. Depuis le 11 septembre, notre centre a dû s'occuper des conséquences du profilage racial qui a provoqué de graves problèmes de santé mentale parmi les membres de certaines communautés, en particulier la communauté musulmane.

Dans ce contexte de violence et de maltraitance, le racisme est une forme de violence déclarée et systémique envers les gens de couleur, qui peut causer de graves dépressions, du stress, de l'anxiété, de la paranoïa, de l'isolement social, des idées suicidaires, de l'alcoolisme et de la toxicomanie, des problèmes de jeu et de nombreuses affections physiques. Il faut considérer ces problèmes de façon holistique dans une approche antiraciste; autrement, le cycle se perpétue.

Dans le contexte de la diminution des ressources du réseau de santé mentale, le racisme est une question économique. Ainsi, l'approche biomédicale en matière de traitement, qui s'en remet essentiellement à l'industrie pharmaceutique, a provoqué une crise dans notre réseau de la santé. Il se pourrait également que ceux qui s'occupent de santé mentale et de toxicomanie aient été formés à l'idée selon laquelle l'approche médicale occidentale est la meilleure et la seule façon de soigner, les autres méthodes étant inférieures ou tout juste complémentaires.

En Ontario, l'OHIP ne couvre que les services médicaux, et non pas les thérapies alternatives comme la médecine chinoise traditionnelle, l'Ayurveda, l'homéopathie, et cetera. Il est paradoxal que la plupart des communautés ethnoraciales continuent à recourir aux vieux remèdes tant pour la prévention que pour le traitement des problèmes de santé mentale, alors que ces pratiques sont toujours ignorées par le système, qui prétend pourtant reconnaître que le patient a le droit de choisir un traitement.

Il s'agit ici d'une question de discrimination raciale. Le racisme est une constante qu'il faut toujours prendre en compte lorsqu'on parle des soins à prodiguer dans une société canadienne dont la démographie et la diversité culturelle et raciale sont en constante évolution.

La santé mentale des membres des communautés victimes de discrimination raciale ne peut être comprise en dehors du contexte des conditions sociales dans lesquelles ils vivent. Ces conditions sont caractérisées par les inégalités sociales qui vont déterminer les types de problèmes de santé mentale dont ils vont souffrir et qui ont une incidence sur la façon dont ces problèmes sont compris et traités par les professionnels de la santé et par le réseau de santé mentale. Par exemple, la santé mentale des nouveaux immigrants et des réfugiés dépend en partie des traumatismes qu'ils ont subis et qui ont pu détériorer leur santé. Le réseau de santé mentale reconnaît la nécessité de faire face au syndrome post- traumatique, sans toutefois reconnaître que tant que les réfugiés et les nouveaux immigrants victimes de traumatismes devront faire quotidiennement face au racisme, une telle méthode restera inefficace.

Quelle orientation faudrait-il prendre dans le domaine de la santé mentale, compte tenu de la nature multiculturelle de la société canadienne?

Tout d'abord, il faudrait que la politique de santé mentale passe de la conception biomédicale à une véritable compréhension de la santé mentale qui est notamment déterminée par des facteurs sociaux, et que par conséquent, on mette au point un modèle plus intégrateur de soins destiné au corps, à l'esprit et à l'âme.

Deuxièmement, il faut mettre en place à tous les niveaux du secteur public une stratégie antiraciste de santé mentale qui opère des changements systémiques et structurels notamment en matière de gouvernance, de politiques, de formation, d'éducation, de recherche communautaire et de prestations de services. Cette stratégie doit être axée sur une analyse et des principes de lutte contre le racisme et l'oppression, et sur la reconnaissance des compétences culturelles.

En 1995, le gouvernement ontarien a élaboré une stratégie intitulée « Une voix plus forte : Stratégie antiraciste du ministère de la Santé » qui, malheureusement, s'est retrouvée sur une étagère poussiéreuse. Les communautés ethnoraciales ont été consultées lors de la préparation de ce document. S'il avait comporté une stratégie de mise en œuvre, cette politique aurait peut-être progressée.

Troisièmement, les groupes non dominants devraient être inclus dans le processus décisionnel et dans l'élaboration des politiques. Ils doivent avoir l'occasion de participer pleinement au débat et d'accéder sur un pied d'égalité aux ressources et aux mesures de soutien nécessaires pour pouvoir apporter leurs connaissances et leurs aptitudes à tout le spectre des soins de santé mentale.

Quatrièmement, il faut veiller à ce que la consultation, l'évaluation des besoins, les études de recherche et les initiatives de planification soient menées dans un souci d'accessibilité, notamment en ce qui concerne les données, la collecte de l'information dans plusieurs langues, sous divers formats et à différents endroits, de façon à favoriser la participation.

Cinquièmement, il faudrait obliger tous les organismes subventionnés à assimiler les principes de planification et d'exécution des programmes à l'intention des communautés victimes de discrimination raciale de façon directe et identifiable, afin qu'on ait des points de repère précis sur les objectifs à atteindre pour obtenir du financement.

Sixièmement, il faut identifier, créer et mettre en œuvre des services de santé mentale et de traitement de la toxicomanie qui répondent aux besoins des diverses communautés d'immigrants victimes de discrimination raciale.

M. Raymond Cheng, témoignage à titre personnel : Bonjour. C'est pour moi un privilège de m'adresser à vous aujourd'hui. Je m'adresse à vous en tant que membre d'un groupe ethnoracial et je m'associe aux autres consommateurs survivants, que je voudrais remercier pour les propos très convaincants dont ils vous font part depuis hier.

Je dois vous dire que je travaille bénévolement dans le système de santé mentale où j'ai des activités de revendication et de socialisation; j'y ai même présenté des monologues. Je dois également signaler que j'ai une incapacité physique, une difficulté auditive importante qui m'oblige à utiliser deux prothèses auditives.

Peut-être aimeriez-vous savoir comment j'en suis arrivé là à cause du système de santé mentale.

J'aimerais vous dire trois choses. Premièrement, comment j'en suis venu à recourir au système de santé mentale; ensuite ce qu'il y a, à mon avis, de plus efficace dans le système actuel de santé mentale axée sur la convalescence;, et enfin sur ce qu'il faudrait faire à l'avenir pour assurer la réussite du traitement d'un plus grand nombre de consommateurs ethnoraciaux ou ordinaires.

Pour recourir au système de santé mentale, d'un point de vue ethnoracial ou du point de vue des consommateurs survivants, puisque nous nous appelons ainsi, il ne faut pas nécessairement passer par une crise. Il suffit de connaître une période difficile et pour moi, c'est le cas lorsqu'on a pas toutes les réponses aux événements de la vie et lorsqu'on a l'impression d'être totalement incompris. Lorsqu'on ne trouve plus d'aide parmi les amis et les membres de la famille, il est normal de solliciter l'intervention d'un professionnel.

D'un point de vue ethnoracial, c'est qui m'est arrivé.

Les soins donnent les meilleurs résultats lorsqu'ils sont prodigués par un personnel prêt à écouter, à communiquer et à manifester de l'empathie. C'est particulièrement important, non seulement pour le patient, mais aussi pour les membres de la famille qui veulent comprendre ce qui se passe.

Les obstacles linguistiques et culturels peuvent entraîner des erreurs d'interprétation, un manque de compréhension mutuelle, voire des erreurs de diagnostic. C'est particulièrement vrai au moment de l'admission en milieu hospitalier.

Des médications et des posologies définies pour une population cible peuvent donner des résultats différents pour un autre groupe de population. Un médicament très courant qui a été utilisé pendant des années, et dont je me suis servi, m'a provoqué des effets secondaires graves. Récemment, la recherche a permis d'établir que la posologie normale pour les personnes d'origine asiatique est considérablement inférieure que pour le reste de la population.

En dehors de la communauté, comme vous l'ont dit les autres membres du groupe, les fournisseurs de service compétents au plan culturel ne sont pas assez nombreux pour que ceux qui en ont besoin puissent continuer à s'améliorer.

J'aimerais maintenant aborder les approches novatrices de convalescence actuellement disponibles dans le réseau de santé mentale; autrement dit, j'aimerais parler de ce qui, à mon avis, fonctionne bien actuellement. J'ai été en mesure d'évaluer une vaste gamme de services de soutien communautaire, et j'aimerais insister sur l'importance du soutien des pairs. Qu'est-ce que le soutien des pairs? Ce sont des groupes de personnes qui ont été en contact avec le réseau de la santé mentale et qui se réunissent régulièrement dans un environnement sûr et confortable pour évoquer leur expérience, pour faire preuve d'empathie et pour prendre le temps de se comprendre.

C'est tout à fait semblable à l'entretien préventif, car après tout, l'isolement social est le principal facteur qui renvoie les patients en milieu hospitalier. Les organismes communautaires qui m'ont le plus aidé insistent sur l'importance du soutien des pairs et ici, en Ontario, nous avons plus de 50 de ces organismes qui sont gérés par des utilisateurs pour des utilisateurs, et qui proposent cette forme unique, spécifique et indispensable d'auto-assistance.

Je travaille actuellement pour une équipe provinciale de soutien appelée Ontario Peer Development and Initiative et j'estime personnellement qu'il nous faut beaucoup plus de ce genre d'organismes.

En outre, le soutien par les pairs s'applique à toutes les situations et les groupes peuvent trouver des points en commun tout en respectant les cultures et la langue.

J'ajouterai une autre chose concernant leur établissement : la santé mentale fait partie intégrante du bien-être physique, social, spirituel et économique de chacun. On ne peut avoir espoir en l'avenir que si on est intimement convaincu que les inégalités présentent dans la société disparaîtront. Mardi et mercredi, mes amis vous ont entretenus éloquemment de ce que cela représente pour eux d'avoir un emploi, un endroit pour lequel on a un sentiment d'appartenance, un réseau social d'amis. J'espère que vous répondrez à cet appel collectif et que vous comprendrez que la guérison individuelle des malades mentaux est impossible quand on doit faire face aux conséquences de la pauvreté, de la stigmatisation et de la discrimination.

J'aimerais vous faire part de deux recommandations en ce qui a trait aux mesures à prendre à l'avenir.

La plupart des gens dans ma situation veulent travailler. Ils ne sont peut-être pas tous en mesure de travailler à temps plein, mais ils aimeraient avoir la chance de travailler à temps partiel. Ce n'est pas toujours facile dans leurs collectivités. Un rapport que j'ai corédigé en 1993 pour la Hong Fook Mental Health Association a confirmé que les employeurs hésitaient à donner une chance à ceux qui souffraient ou avaient souffert de troubles mentaux. Or, un emploi représente beaucoup pour eux. Il faudrait donc une stratégie nationale d'emploi qui tienne compte des besoins des personnes ayant des troubles mentaux.

Devrait-on prévoir une enveloppe budgétaire pour le soutien à l'emploi dans tout système de santé mentale? Je crois que oui. En contrepartie, au bout du compte, ceux qui travaillent ont moins recours aux soins de santé et paient davantage d'impôt. Il me semble que cela devrait plaire à tout politicien.

Ceux qui sont actuellement jugés incapables de travailler ont droit à des prestations mensuelles, à des médicaments subventionnés, s'ils ont de la chance, à un logement subventionné et à l'appui d'un réseau de professionnels de la santé et de programmes gratuits.

Bien des gens se sentent pris au piège et n'ont pas la motivation de dresser et d'exécuter un plan leur permettant de mettre fin à ce cercle vicieux de l'impuissance. L'esprit de la guérison ne peut émerger des simples attentes ambiguës de gens vivant ce cycle de visites périodiques aux services de soutien et de santé mentale. Pour les populations ethnoraciales, la marginalisation est accrue si elles n'ont pas la chance de trouver un programme qui réponde à leurs besoins particuliers et leur offre une autre voie.

Les choix de vie de ceux qui veulent guérir et être des citoyens à part entière ne devraient pas être limités par les postulats systémiques incorporés dans des programmes qui existent depuis des générations sans avoir fait l'objet d'un examen objectif.

En conclusion, les consommateurs-survivants et leurs familles ont le droit de vivre pleinement leurs vies et leurs ambitions raisonnables dans une société juste et humaine. Je suis assez vieux pour me rappeler qui a tenu ces propos.

Je remercie le comité de m'avoir écouté et j'ai hâte de lire vos recommandations. Merci.

Le président : Je remercie les trois témoins. Monsieur Cheng, auriez-vous l'obligeance de nous remettre un exemplaire de votre mémoire?

M. Cheng : Oui, j'en ai des exemplaires.

Le président : J'ai une question générale qui s'adresse à tous les témoins. Nous sommes aujourd'hui dans une ville où 55 p. 100 des habitants ne sont pas nés au Canada et ne parlent ni l'anglais ni le français. Pourtant, les deux Raymond m'ont dit, quand je me suis entretenu avec eux un peu plus tôt, qu'il n'y a que deux organisations ethnoraciales qui sont toutes les deux représentées ici aujourd'hui.

Il y a donc manifestement un problème systémique. Que devrait faire le gouvernement pour augmenter de façon considérable le nombre de centres et d'organisations communautaires de services afin d'offrir des programmes dans d'autres langues et cultures? Il n'y a que deux organisations de ce genre, il n'y a eu qu'un projet pilote de temps à autre, et rien n'a fondamentalement changé. Vous citez des rapports vieux de 10 ans. Quelle est la cause profonde du problème selon vous et comment s'y attaquer?

Martha, voulez-vous répondre?

Mme Ocampo : Je crois que le problème systémique, c'est le financement à tous les niveaux.

Je ne dis pas cela pour faire la promotion de Across Boundaries car notre objectif ultime, comme celui de Hong Fook, est de disparaître un jour. Toutes les agences de santé, de santé mentale, de lutte contre la toxicomanie doivent trouver une façon de servir leurs clients, ceux qui s'adressent à elles. À l'heure actuelle, les grands organismes obtiennent une partie des fonds et dispensent quelques services à ce groupe de gens. Mais cela n'a aucun sens, car 53 p. 100 de cette population provient de ces collectivités et rien ne permet de s'assurer que ces organismes servent cette population.

Il y a bien des années, en Ontario, on a demandé aux agences d'envoyer des propositions de stratégies sur les compétences culturelles et contre le racisme. Ce sont les agences disposant de plus de ressources qui ont présenté les meilleures propositions. Par conséquent, ce sont elles qui ont reçu la majorité des fonds. Les petits organismes comme le nôtre continuent de se débattre. Toutefois, quand vient le temps de dispenser des services, les grandes agences ne semblent pas se servir des sommes qui leur sont accordées pour servir la population dans le besoin.

Un changement systémique s'impose donc. Ces agences doivent rendre des comptes aux gens qu'elles servent, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle.

M. Chung : J'aimerais faire deux remarques. Premièrement, les organismes de financement devraient exiger des comptes des agences dispensant des services. Quand ces agences prétendent que les fonds serviront à répondre aux besoins de certains groupes de gens, peuvent-elles prouver qu'elles seront en mesure de le faire? Actuellement, bon nombre de grandes agences dispensant des services affirment pouvoir servir la communauté chinoise, par exemple, parce que des employés parlent chinois alors qu'en fait la personne qui parle chinois est peut-être une adjointe administrative et non une intervenante de première ligne.

Ma deuxième observation porte sur l'approche occidentale en matière de traitement qu'a mentionné Martha. Les nouveaux Canadiens, les nouveaux immigrants hésiteraient-ils à entrer dans certains bureaux pour obtenir des services? S'y sentiraient-ils bienvenus?

Une étude du Service de santé publique des États-Unis a révélé que la formation des interprètes est cruciale. Dans quelques Etats américains, la loi exige des prestataires des services qu'ils garantissent la présence d'interprètes formés à communiquer avec les patients qui se rendent dans les cliniques ou les centres.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, il serait irréaliste de croire que d'autres organisations comme Hong Fook ou Across Boundaries verront le jour. Hong Fook a été crée il y a 23 ans et Across Boundaries il y a 10 ans pour combler une lacune. Nous savons que nous avons les connaissances et les compétences d'experts du point de vue culturel. Nous savons aussi quels modèles de traitement, quelles stratégies de promotion de la santé et autres sont efficaces, car nous avons les connaissances et l'expertise nécessaires, mais personne ne nous consulte.

Le président : Vous avez dit que la majorité des fonds sont versés aux grandes organisations. Cela signifie-t-il que le gros de l'argent devant servir aux services de santé communautaire sert en fait à répondre aux besoins de personnes qui parlent l'anglais tout simplement par ces organisations ne sont pas en mesure d'offrir des services dans d'autres langues?

Mme Ocampo : Ces agences servent peut-être les communautés ethnoculturelles, mais pas comme il se doit. Bon nombre de nos clients se sont probablement adressés à ces autres agences, mais cela ne les a pas aidés parce qu'ils n'ont pas été bien servis ou parce qu'on n'a pas pu leur offrir des services. On les a renvoyés parce que personne ne parlait leur langue. On les a renvoyés parce que des professionnels de la santé ont jugé qu'ils n'avaient pas besoin de ce genre de soins. On leur a donné des médicaments et on les a renvoyés parce que ceux qui étaient censés les aider ne connaissaient pas leurs origines ou leurs antécédents.

Quand ils s'adressent à nous, ils sont déjà passés par ces portes tournantes à maintes reprises. Ils retournent régulièrement voir différents médecins pour leurs médicaments. On leur a donné toutes sortes de médicaments, mais ils ne se sentent pas mieux. Quand ils peuvent enfin parler à quelqu'un qui comprend leur langue et leur culture, on économise du temps et de l'argent et on leur épargne des épreuves.

L'approche médicale est axée avant tout sur le traitement. Elle ne reconnaît pas nécessairement que le plus important pour certaines personnes, c'est le logement, l'instruction et un emploi. Il n'y a pas d'approche holistique. Si vous souffrez d'insomnie, on vous donnera un somnifère.

C'est un des plus importants déterminants de la santé. Il faut reconnaître l'importance de ces facteurs dans la santé mentale et la toxicomanie.

M. Chung : Comme l'a signalé mon ami Raymond, l'espace social est important. Selon le modèle médical, vous allez chez le médecin quand vous êtes malade, on vous soigne et vous partez. Les approches mieux adaptées du point de vue culturel tiennent compte de l'espace social. Toute personne devrait se sentir la bienvenue même si elle n'est pas là pour voir un médecin ou un travailleur social mais simplement pour voir d'autres patients, sortir de son isolement et trouver un peu de soutien auprès de ses pairs. Tout cela est important, et c'est ce qu'a souligné mon ami Raymond.

M. Cheng : J'aimerais revenir à ce qu'a dit Martha sur les services appropriés. Il faut comprendre que certaines de ces personnes ont du mal à communiquer. Certaines ont du mal à s'exprimer. Il y a la barrière linguistique et, bien sûr, la prestation de services en santé mentale se fonde sur les symptômes. Si vous avez du mal à communiquer ou si vous semblez ne pas vouloir coopérer, si vous semblez refuser de vous exprimer de façon à être compris, vous risquez de vous faire accoler un certain diagnostic et peut-être même de vous faire prescrire certains médicaments. Or, il se peut que personne ne comprenne bien votre situation. Mais une fois qu'on a commencé à vous donner des médicaments auxquels vous ne réagissez pas, on y ajoutera d'autres médicaments, peut-être un traitement plus intensif et il se peut que vous en arriviez au point où vous ne soyez plus en mesure de dire ce qui vous troublait au départ. Même les personnes ayant des troubles mentaux pour qui l'anglais est la langue maternelle ont du mal à s'exprimer quand elles sont en crise; si vous vivez une crise et que l'anglais n'est pas votre langue maternelle, la situation est bien pire.

Je peux vous parler de mon expérience personnelle : je suis anglophone mais quand les gens me regardent, ils tiennent certaines choses pour acquis, ce qui est encore pire. J'ai 23 ans et quand j'emploie ce ton de voix un peu arrogant que j'utilise pour m'adresser à vous, estimés sénateurs, pour parler à un résident en psychiatrie qui se croit plus intelligent que tout le monde, les conflits de personnalité sont inévitables.

J'ai de la chance. Je me suis débrouillé. Je représente tout un groupe de gens qui n'ont pas eu pareille chance. Je m'estime privilégié de pouvoir plaider la cause de tous ceux qui ont encore du chemin à faire sur la voie de la guérison.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je remercie les merveilleux témoins de ce matin.

En vous écoutant, je me suis dit que j'ai entendu les mêmes histoires et les mêmes demandes dans ma province du Nouveau-Brunswick où les immigrants sont si peu nombreux. Je souhaiterais qu'ils soient plus nombreux. Si vous pouvez encourager des immigrants à s'installer au Nouveau-Brunswick, n'hésitez pas à le faire.

Il y a une chose qui ressort de toutes vos remarques, et c'est l'importance de l'interprétation. Mais l'interprétation est peut-être un concept trop limité. J'ai l'impression qu'il s'agit davantage d'un concept plus large comme le soutien communautaire que peut offrir, par exemple, Raymond Cheng qui, semble-t-il, parle toutes les langues. Il nous faut quelqu'un dans chaque communauté qui puisse aider un certain nombre de familles dès l'apparition de la maladie.

C'est surtout un problème pour la première génération, n'est-ce pas? Les enfants des nouveaux immigrants fréquentent nos écoles et peuvent communiquer dans au moins l'une des deux langues officielles. Ce sont ceux qui viennent d'arriver au Canada qui ont besoin de soutien.

Les problèmes sont les mêmes à une clinique de santé mentale, à une clinique prénatale, au cabinet du médecin, à l'agence de logement ou même là où on remplit le formulaire de demande de pension et ainsi de suite. On a constamment besoin de communiquer mais cela présente des difficultés particulières en santé mentale et en toxicomanie. Dans notre société multiculturelle, est-ce que nous faisons tout ce que nous pouvons pour qu'il y ait suffisamment de soutien communautaire pendant les premières années? Je parle de soutien pour seulement l'un de ces douzaines de groupes linguistiques et culturels qui vivent dans une ville comme celle-ci. Dans les provinces moins densément peuplées, ces groupes sont très dispersés. En faisons-nous assez?

M. Chung : La communication est un aspect parmi tant d'autres. Permettez-moi de vous donner quelques exemples.

Dans la communauté coréenne, les membres de ce que nous appelons la Génération 1.5, soit ceux qui sont nés à l'étranger mais qui ont grandi ici et qui parlent couramment le coréen, préfèrent s'adresser à Hong Fook car nous reconnaissons leur identité culturelle, ce que les autres prestataires de services ne font pas.

Récemment, un groupe de jeunes cambodgiens de la Génération 1.5 est venu me voir pour me dire qu'ils s'inquiétaient du niveau de stress de leurs parents avec lesquels ils communiquent mal car ils parlent anglais et que leurs parents parlent cambodgien. Ils ont donc décidé de produire leur propre DVD pour exprimer ce qu'ils éprouvent, comme membres de la Génération 1.5, surtout si l'un de leurs parents souffre de troubles mentaux. Ce DVD sera lancé ce dimanche dans la communauté cambodgienne. Seuls des membres de la Génération 1.5 y ont travaillé. Ils voulaient le faire. Ce DVD est en cambodgien et en anglais.

Ces jeunes parlent couramment l'anglais mais pas le cambodgien. Ils reconnaissent l'importance de la communication et de la langue dans l'environnement culturel. Mais la langue n'est pas le seul facteur. Nous parlons plutôt du sentiment d'aise qu'on éprouve dans sa propre culture.

Mme Ocampo : Je tiens à souligner l'importance des liens avec la communauté. On nous renvoie beaucoup de gens provenant de certaines communautés car nous nous assurons que nos fournisseurs de services ont des liens avec les communautés. Environ 60 à 70 p. 100 de nos clients sont envoyés par les communautés et non pas par les hôpitaux ou d'autres agences de santé.

Bon nombre de nouveaux arrivants au Canada sont des professionnels de la santé. Ils conduisent des taxis ou font du travail domestique en raison du système actuel. Quand nous recrutons quelqu'un, nous nous assurons qu'il a acquis une solide expérience en santé mentale dans son pays d'origine.

Cela nous met dans une situation difficile, car, en général, il nous faut des employés qui ont un diplôme collégial ou universitaire d'un établissement canadien. C'est une grave lacune. Ces communautés ethniques comptent beaucoup de gens dont les grandes compétences sont sous-utilisées.

Avoir des liens est un aspect important de la santé mentale. Toute grande agence vous dira que c'est le fondement de la guérison — pour se rétablir, le malade doit avoir des liens avec quelqu'un, et c'est encore mieux s'il a des liens avec son réseau de soutien naturel, soit sa communauté.

M. Cheng : Le modèle traditionnel qui veut que les services soient reçus et dispensés de 9 à 5 n'a plus vraiment sa place au XXIe siècle.

Premièrement, on veut pouvoir offrir du soutien et non pas seulement recevoir des services. L'idéal serait pour les malades de recevoir moins de services et de soutien à mesure que leur santé s'améliore et qu'ils dviennent plus autonomes.

Deuxièmement, il faut se demander comment dispenser les services de santé quand on s'attend à ce que le malade guérisse. Peut-on travailler de 9 à 5 ou de 10 à 6 et dire : « Excusez-moi, je dois m'absenter. Je ne peux vous dire où je vais, mais, toutes les semaines, ce jour-ci, je devrai m'absenter entre 14 heures et 16 heures. » Il n'est pas réaliste de penser qu'on peut garder un emploi dans de telles circonstances.

La prestation de services doit bénéficier d'une certaine souplesse. Le mot « services » n'est peut-être pas approprié. On s'en sert pour masquer très poliment toutes les injustices du système traditionnel. Les besoins des clients, des patients, des consommateurs, des consommateurs-survivants changent de l'un à l'autre, parce que chacun a des attentes qui lui sont propres. On souhaite aller mieux, on souhaite aller bien, mais cependant, on constate que les services et le soutien offerts sont soumis à des délais imposés par l'ère industrielle, qui nous semble inappropriés.

Le sénateur Keon : Je vous félicite tous les trois pour cet exposé très précis et très intelligent.

J'essaie de bien comprendre vos difficultés. Sauf erreur de ma part, la communauté asiatique de Toronto, telle que je la vois, se trouve dans l'une des 20 plus grosses villes du Canada. Cette communauté pourrait à elle seule constituer l'une des plus grosses villes du Canada. La difficulté à laquelle vous devez faire face, c'est le très grand nombre de langues et de dialectes parlés en Asie. Comme vous l'avez dit, vous avez aussi le grave problème du phénomène du 1,5, dont je n'avais jamais entendu parler auparavant.

Il semble que les ressources dont vous avez besoin soient disponibles, même si elles ne le sont pas toutes à l'intérieur des frontières canadiennes. Il y a toujours moyen à l'occasion de faire venir le spécialiste dont vous avez besoin, de lui trouver une place dans le système et d'obtenir les soins nécessaires. Mais le problème est encore aggravé du fait du caractère inconciliable de la médecine traditionnelle ou holistique avec la médecine scientifique occidentale.

Heureusement, vous avez un très grand nombre d'étudiants à l'Université de Toronto, et ils figurent parmi les meilleurs et les plus brillants de cette université. Est-il possible de faire appel à cette ressource considérable pour que les étudiants, une fois formés, s'intègrent dans le système que vous souhaitez?

À la décharge du jeune psychiatre arrogant dont Raymond a parlé, je voudrais dire qu'il n'est pas facile de se faire admettre en faculté de médecine au Canada. Les étudiants en médecine auxquels j'ai enseignés se prennent tous pour des génies. C'est un problème en soi. Peut-être faudrait-il utiliser des critères autres que le quotient intellectuel pour l'admission des étudiants.

Est-ce que vous avez la possibilité de faire appel dès maintenant au système éducatif? On y trouve des jeunes remarquablement intelligents, qui pourraient peut-être être formés de façon à s'adapter au travail de service communautaire dont vous avez besoin et à la vaste perspective que vous envisagez. Ce serait très utile. Le problème, c'est qu'ils peuvent se qualifier en tant que médecins, avocats, travailleurs sociaux et physiothérapeutes, mais dans le moule traditionnel de ces professions. Néanmoins, vos organismes pourraient entrer en contact avec les doyens et les enseignants au niveau universitaire pour leur dire que vous avez besoin de spécialistes présentant des qualifications un peu différentes. Peut-être pourriez-vous travailler avec eux pour atteindre cet objectif.

M. Chung : Vous abordez la question essentielle de la formation des professionnels. On peut sans doute supposer que beaucoup d'étudiants asiatiques peuvent être admis dans les facultés de médecine. Il faut aussi savoir si la génération X, la génération 1,5 ou la deuxième génération, va pouvoir parler sa langue maternelle après l'obtention des diplômes.

J'en reviens à l'exemple de la communauté coréenne. Récemment, nous avons pu obtenir un interne qui a choisi la psychiatrie, mais il ne parle pas un mot de coréen. Grâce à sa bonne volonté, il retourne actuellement à l'Université de Toronto pour apprendre le coréen. C'est le seul psychiatre d'origine coréenne. Dans le milieu de la psychiatrie, rares sont ceux qui sont prêts à travailler en psychiatrie communautaire. Les psychiatres préfèrent travailler en milieu hospitalier et faire de la recherche.

Il y a plusieurs problèmes systématiques. J'ai parlé dans mon mémoire du problème du recrutement. Les étudiants non blancs qui s'inscrivent et qui sont recrutés en travail social à l'Université de Toronto ne sont pas très nombreux. Et c'est la même chose dans toutes les stratégies de recrutement. Quels critères applique-t-on pour recruter des étudiants? Est-ce qu'on s'efforce de les recruter en tenant compte de leur langue et de leur culture? Ma fille a grandi au Canada. Elle ne parle pas souvent le chinois, qui est sa langue maternelle. Néanmoins, au plan culturel, les familles continuent à promouvoir la langue maternelle, car il faut allier la culture à la langue.

Laissez-moi réagir à ce qu'a dit Raymond au sujet de l'emploi. Il y a deux aspects à cette question. On peut d'abord parler de barrière systématique. Beaucoup de gens voudraient se sentir mis à contribution, mais le pourcentage de consommateurs-survivants qui veulent retrouver un emploi rémunéré à temps plein n'est pas très élevé. Pour qu'ils puissent prétendre avoir récupéré, le système s'attend à ce qu'ils soient employés. Bien sûr, le programme ontarien de soutien aux personnes handicapées n'encourage pas cela. En effet, ils se sentent punis, et bon nombre d'entre eux ne veulent pas retourner travailler parce que s'ils gagnent au-dessus d'un certain seuil, le programme ontarien de soutien aux personnes handicapées va les pénaliser. Il y a donc du pour et du contre.

Les employeurs ne comprennent pas non plus que Raymond Cheng, par exemple, puisse travailler trois semaines et être obligé, au cours de la quatrième semaine, de prendre deux jours de congé à cause de problèmes de santé mentale. L'emploi à temps plein n'est pas généralisé, mais il est toutefois possible de trouver des emplois qui vous soutiennent. Le temps partiel est également possible, mais le système établi ne l'encourage pas. Et pourtant, ce même système s'attend à ce que les patients retournent au travail, dès qu'ils ont récupéré, faute de quoi, ils ne sont pas considérés comme ayant vraiment récupéré. Vous voyez bien que nous envoyons un message contradictoire.

Mme Ocampo : Nous avons des étudiants en placement dans toutes les universités et les collèges. Voilà notre contribution. Nous montrons notre modèle à ces futurs fournisseurs de services. Toutefois, il est toujours très difficile pour nous d'avoir des rencontres avec le département de psychiatrie de l'Université de Toronto. Il nous est aussi très difficile d'aller rencontrer les représentants des universités, quelles qu'elles soient, pour leur expliquer comment nous appliquons notre cadre holistique et antiraciste.

Les universités érigent toutes sortes de barrières et nous citent leurs programmes d'éducation. Or, quand nous parvenons à organiser des discussions avec les universités et les collèges, cela nous impose énormément de contraintes, à cause de nos maigres ressources. Nous voudrions bien expliquer ce que nous faisons et les programmes efficaces que nous avons lancés dans nos collectivités, mais nous manquons de ressources pour le faire.

Ma présence ici, aujourd'hui, m'empêche de travailler à mon bureau. Nous sommes une agence qui doit lutter pour survivre, et pourtant il est important pour nous de comparaître pour prouver que notre modèle donne des résultats. Si nous avions des tas de collègues qui puissent consacrer tout leur temps à la formation, ce serait magnifique.

M. Cheng : On peut bien parler d'approche novatrice, mais elle prend beaucoup de temps à faire surface.

Par exemple, la notion que des clients founissent des services de soutien à d'autres clients existe depuis 13 ans en Ontario, et pourtant notre niveau de financement n'a pas changé depuis 1997 ou 1998. Nous avons mené des études empiriques, et le ministère ontarien de la Santé a subventionné des études pour la SCHL. Toutes ces études démontrent que les initiatives des consommateurs-survivants sont efficaces et donnent des résultats. De plus, nous savons, de notre côté, que ce modèle donne des résultats s'il est associé de près au soutien par les pairs qui est offert dans les organisations ethnoraciales. Et pourtant, nous ne semblons jamais être en mesure de soutirer des fonds aux autorités. Nous aimerions bien pouvoir dire à celles-ci que nos programmes fonctionnent. Mais pourquoi faut-il qu'elles continuent à subventionner le Jour de la marmotte?

Il me semble illogique que notre système de soins de santé et son volet santé mentale dépendent non pas de ce que les gens veulent avoir comme service, mais plutôt de ce que les gens pensent que vous méritez.

Voilà toute l'histoire des services ethnoraciaux. On ne vous donne pas ce que vous voulez recevoir. On vous donne ce que d'autres pensent que vous méritez; et nous nous adressons à un auditoire qui a une perte d'ouïe aussi grande que la mienne!

Le sénateur Callbeck : Je peux assurément comprendre votre argument, car j'ai été associée de près à une famille vietnamienne qui a émigré dans ma province, à l'Île-du-Prince-Édouard. Je comprends donc ce que vous avez vécu par son intermédiaire.

Pour revenir à vos recommandations, Martha, vous dites vouloir prendre une part plus active dans le processus de prise de décisions et dans la planification des politiques. Vous avez mentionné une stratégie lancée par le gouvernement ontarien en 1995 qui a malheureusement fini sur les tablettes. Je suppose que vous ne savez pas quelles recommandations figuraient dans la stratégie.

Mme Ocampo : J'en ai une copie. Je peux vous la remettre. Je crois qu'il n'y avait pas de stratégie de mise en œuvre. Il ne faut pas oublier que, quand il est question de santé mentale et de services pour les toxicomanes, la question est évidemment politique. Tout dépend de la façon dont le gouvernement au pouvoir envisage la question. Je pense que cette stratégie a été élaborée pendant le mandat du gouvernement du Nouveau Parti démocratique, auquel avait succédé le gouvernement Harris, lequel avait pris une orientation tout à fait différente.

Je tiens quand même à rappeler l'importance de ce qui est dit quand les collectivités sont invitées à participer. Vous pourriez employer les mêmes mots que moi, mais il est très important pour moi que je le dise moi-même, que ce ne soit pas dit par d'autres. C'est en partie ainsi qu'on acquiert son autonomie. C'est vraiment ce que les gens ressentent : « C'est ce que j'ai dit et c'est ce qui est important pour moi. »

Quand on donne aux gens l'occasion de participer, vous devez vous rappeler que les nouveaux immigrants ou les réfugiés s'efforcent de s'établir et auront besoin de certaines adaptations pour être en mesure de participer pleinement. S'il se pose un problème pour la garde d'enfants ou pour des frais de transport, bien des choses doivent être prises en considération. Je pense à notre position dans la société. Si certaines choses ne sont pas accessibles, les collectivités ne participeront pas. Par exemple où tiendriez-vous la consultation? Est-ce que ce serait à un endroit où ils se sentiraient à l'aise?

Par exemple, aujourd'hui, je dois être très honnête avec vous et vous dire que je me sens très intimidée par ce groupe — et je suis de celles qui arrivent à bien s'exprimer. Cependant, je ne trouve pas que je suis représentée ici. C'est un exemple de l'importance que cela a et du stresse qu'on crée ainsi. Les problèmes de santé mentale qui en découlent sont cruciaux. Si on ne se voit pas, on est là que pour la forme. Sentez-vous que vous participez à votre plein potentiel?

M. Cheng : La mise en œuvre, c'est tout. Martha, Raymond et moi-même sommes des conférenciers symboliques à de nombreux groupes de travail lors des multiples étapes de leurs nombreux rapports. Au cours des 23 dernières années, je ne sais pas combien d'exposés j'ai présentés. Le dernier rapport était celui qui a été rédigé par le Toronto- Peel Mental Health Implementation Task Force. Où est-il maintenant? M. Michael Wilson a passé trois ans à faire le travail, et le rapport du groupe de travail attend quelque part. Nous trois avons présenté le même exposé, peut-être sous des angles différents, mais le simple fait que nous trois y ayons participé en dit encore là très long parce que nous sommes aussi les seuls à être considérés comme représentant le système de santé mentale multiculturel, ethnoculturel. Ce n'est pas acceptable. Il n'y a pas que nous trois.

Le sénateur Cochrane : Avez-vous des liens, soit par l'intermédiaire de membres de collectivités culturelles ou de groupes culturels, avec le système de santé de l'Ontario? Je sais, madame, que vous avez dit qu'il était difficile de se faire entendre dans le système, mais avez-vous par exemple un groupe particulier ou des individus qui sont — je dirais résolus à participer et à se faire entendre?

Mme Ocampo : Nous avons des liens solides avec le système de santé mentale de l'Ontario. Par exemple, nous faisons partie de la Federation of Mental Health and Addiction. Nous avons des liens avec toutes les agences de proximité. Nous avons de bons liens, et notre participation leur plaît. Toutes ces autres agences doivent agir de façon responsable pour s'assurer que la population qu'elles servent, tous les gens de leur secteur, soient servis adéquatement.

Nous entendons beaucoup parler de collectivités qui ne sont pas servies comme il se doit. Ces gens sont peut-être allés voir un médecin, et sont peut-être allés à l'hôpital, mais ils ne sont pas servis comme il se doit, et c'est alors pour eux la porte tournante jusqu'à ce que dans la collectivité ils entendent parler de Hong Fook ou de Across Boundaries, ou d'un groupe de soutien des pairs qui est majoritairement d'Asie du Sud-Est. Sans cela, comment l'information est- elle transmise? S'ils ne parlent pas la langue et s'il n'y a pas de feuillet d'information disponible, l'information ne parvient pas aux collectivités.

Nous sommes toujours disponibles, et à nos propres frais. Nous devons assister à toutes ces réunions. Nous ne voulons en manquer aucune parce que nous tenons à être entendus, mais à combien de réunions pouvons-nous assister?

M. Cheng : Nous avons établi des réseaux avec d'autres organismes et hôpitaux qui s'occupent de santé mentale. Bien sûr, ils nous ont invités à titre symbolique. Lorsqu'on fait des démarches auprès d'eux ils disent : « Nous avons Raymond et Martha. Que voulez-vous de plus? »

Il y a aussi la question de la prestation de services. Lorsqu'on leur renvoie des personnes qui ne parlent pas la langue, ils nous les envoient automatiquement. Ils ne s'acquittent pas de leurs responsabilités. Je m'excuse de le dire mais c'est sur nous qu'ils se déchargent de leurs responsabilités.

M. Cheng : Il arrive que les patients ont besoin de soins et qu'ils les obtiennent. Je ne le conteste pas. Ils diront même qu'ils en sont reconnaissants. Mais que leur arrivent-ils une fois qu'ils ont dépassé ce stade et qu'ils comprennent la situation? Ils veulent communiquer aux gens leurs désirs et leurs objectifs, mais personne ne les comprend. Il n'y a personne pour les écouter.

Tout le monde part simplement du principe qu'une fois qu'un patient a reçu les services disponibles, il pourra retourner dans la collectivité. Ils cherchent quelqu'un qui comprend vraiment leur situation et c'est là où le système de soins communautaires échoue parce qu'au bout du compte c'est vers nous, les trois copains, qu'ils se tournent. Si vous n'appartenez pas à une collectivité ethnoraciale particulière et que vous n'avez pas la chance de trouver quelqu'un dans un domaine d'aide qui n'est peut-être pas le système de santé mentale, mais peut-être une maison d'entraide ou un centre communautaire de santé mentale ou une autre forme quelconque d'aide informelle, comment alors allez-vous améliorer votre état de santé? C'est aussi simple que cela.

Le sénateur Cochrane : Pourquoi certains groupes ethniques reçoivent-ils une aide financière et pas vos groupes?

Mme Ocampo : Il n'existe aucun autre groupe ethnique dans le domaine de la santé mentale ou de la toxicomanie.

Le sénateur Cochrane : Je ne sais pas si cela pourra vous consoler, mais d'après certains témoins qui ont comparu devant nous, il est très difficile d'occuper un emploi à temps plein à cause des médicaments, à cause de l'état de santé, des rendez-vous chez le médecin et ainsi de suite. Donc ces personnes trouvent surtout du travail à temps partiel.

Parlez-moi de votre propre système. Pour ce qui est de la santé mentale, la situation est-elle meilleure au Canada qu'elle l'était dans votre pays? Est-ce que c'est une affreuse question à poser? Vous êtes libres de ne pas y répondre.

M. Cheng : Je ne peux pas répondre à cette question parce que je suis Canadien depuis 35 ans et j'ignore par conséquent la situation qui existe dans mon pays.

Mme Ocampo : Je ne sais pas de quel pays vous parlez parce que par exemple à Across Boundaries, nos services s'adressent à un grand nombre de personnes provenant du continent africain. Il y a énormément de diversités parmi les Africains de l'Afrique australe. Nous tenons à souligner que les méthodes utilisées par ces collectivités sont utilisées depuis des années, depuis des générations, comme par exemple l'acupuncture. Pourtant, en raison du modèle biomédical que nous utilisons, l'approche occidentale, cette approche est critiquée. Il faut que l'on intègre ces méthodes mais il faut qu'on les considère sur le même pied d'égalité que l'approche occidentale parce qu'elles présentent leurs propres avantages.

Comme vous le savez tous, l'acupuncture est utilisée depuis des siècles. L'ayurveda est une forme ancienne de médecine qui est encore exercée aujourd'hui par un grand nombre de personnes, mais qui n'est pas reconnue par notre système. Par conséquent, lorsque des gens veulent consulter un médecin ayurvédique ou un acupuncteur, ils doivent les payer de leur poche, et les personnes que nous voyons dépendent pratiquement toutes de l'aide sociale ou connaissent des situations financières difficiles, il est donc très probable qu'elles ne seront pas en mesure d'avoir accès à ce genre de service. Elles sont alors obligées d'avoir recours aux services médicaux occidentaux car très souvent, on les étiquette ou on fait de faux diagnostics à partir de certaines hypothèses.

Après les événements du 11 septembre, on a avancé certaines hypothèses selon lesquelles la plupart d'entre nous avaient participé aux attaques terroristes du 11 septembre. Nous recevons des personnes gravement psychotiques qui fuient la GRC. Elles pensent qu'elles sont poursuivies. On n'est pas sûr si ce qu'elles disent est vrai ou non.

Ces personnes sont désignées psychotiques et se voient administrer une foule de médicaments. Parfois, il suffit simplement de prendre le temps de leur parler pour déterminer précisément pourquoi elles raisonnent ainsi. Elles ont regardé la télévision, lu les journaux et on parle d'elles partout, et tout finit par s'expliquer.

Vers qui cette personne se tourne-t-elle? Ceux qui essaient de les aider ne connaissent peut-être pas la terminologie médicale ni les produits pharmaceutiques. Je considère que la formation est très importante. À l'heure actuelle, nous sommes en train de former des gens à l'approche médicale occidentale, de façon constante.

Le sénateur Cochrane : Nous nous sommes familiarisé avec l'acupuncture, les remèdes à base de plantes médicinales et ainsi de suite grâce à notre population asiatique. Je considère que le pouvoir de guérison de certaines de ces substances est merveilleux. J'ai fait savoir autour de moi les remèdes qui m'ont aidé.

Le sénateur Pépin : Je tiens à dire à Raymond que je le comprends lorsqu'il dit que les personnes malades ont de la difficulté à trouver du personnel médical à qui parler dans leur propre langue. Je n'ai pas connu ce problème parce que je suis de Montréal, mais si je devais tomber malade dans une autre province, je voudrais pouvoir m'exprimer dans ma propre langue.

Vous avez commencé à parler de médecines douces, pourriez-vous nous donner un peu plus de détails. Quels sont les groupes qui offrent ces services? Une personne peut-elle se rendre à votre clinique et recevoir des traitements de médecine douce?

Si j'ai bien compris, ces services ne sont pas remboursés par OHIP. S'ils l'étaient, croyez-vous qu'on y aurait recours plus souvent?

Mme Ocampo : Je parlais d'une approche holistique. Lorsque nous parlons d'une approche holistique, il s'agirait d'utiliser différentes approches qui seraient efficaces dans le cas d'une personne. Par exemple, lorsque nous utilisons l'acupuncture, ce n'est pas le seul traitement que nous administrons. Nous pouvons offrir de nombreux programmes qui compléteraient un autre traitement. Même les acupuncteurs ne se contentent pas de faire de l'acupuncture. Ils offrent aussi du counselling en mode de vie. Ils travaillent avec les clients et ils diront, par exemple : « Si vous voulez cesser de fumer, nous ne pouvons pas simplement vous faire un traitement d'acupuncture; vous devez modifier votre mode de vie. » Nous offrons aussi du yoga, de la méditation, et nous avons une cuisine communautaire qui nous permet d'aborder les aspects qui se rattachent à la nutrition et aux finances. Les personnes viennent au centre parce qu'elles pourront y recevoir un bon repas complet. Cela permet donc de répondre à leurs besoins financiers autant qu'alimentaires.

Nous suivons l'actualité, les nouvelles, mais nous les savons tendancieuses. Les personnes tenues à l'écart du pouvoir ou marginalisées ont besoin de se faire entendre. Elles doivent pouvoir exprimer une opinion. Vous pouvez demander : qu'est-ce que cela a à voir avec la santé mentale? Cela a beaucoup à voir avec la santé mentale parce que si je me fais entendre, je serais sûre que ce que je dis est valable. On ne tient pas compte de ce genre de choses dans le cadre d'un modèle biomédical.

Je crois qu'il faut conjuguer tous ces aspects. On ne peut pas simplement utiliser des remèdes à base de plantes médicinales ou simplement des médicaments. Il faut donne suite à tous les problèmes auxquels les gens font face. Si le principal problème, c'est le logement, alors c'est peut-être le premier problème dont il faut s'occuper parce que ces personnes risquent d'être expulsées de leur logement.

M. Chung : Il existe différentes formes de méthodes médicales traditionnelles. Les femmes cambodgiennes, par exemple, ont connu la guerre et souffrent de stress post-traumatique. Elle nous disent qu'elles ne veulent pas de thérapie. Elles disent ne pas en avoir besoin. Elles disent : « Donnez-moi simplement la possibilité, une fois par mois, de venir ici et de danser », la danse est le traitement. Elles se réunissent et dansent pendant deux heures puis rentrent chez elles et vont bien pendant un autre mois.

Nos compatriotes chinois et les aînés chinois ont un groupe avec lequel ils se réunissent simplement pour parler. Parfois ils font de la danse de groupe, du tai chi ou quoi que ce soit, mais il existe un soutien mutuel. Ils ne sont plus isolés. Ils peuvent se réunir avec d'autres personnes. Ce sont les modèles non médicaux et importants dont Martha et moi-même avons parlé. Il n'est pas nécessaire que ce soit de l'acupuncture ou des herbes médicinales. Il peut s'agir tout simplement de danse. De jouer simplement de la musique. Il n'est pas nécessaire que nous fassions quoi que ce soit. C'est le genre de soutien simple que nous sommes en mesure d'offrir.

M. Cheng : Pour enchaîner sur ce que Raymond a dit, ce dont les gens ont besoin, c'est d'un endroit sécuritaire et confortable, ouvert aux heures qui leur conviennent, qui répondent à leurs besoins, et d'avoir un sentiment de communauté, de manger ensemble, de se parler, de rire ensemble et de s'entraider. Malheureusement, ici en Ontario, cela ne constitue pas des heures facturables, donc nous n'obtenons pas le genre d'aide financière dont nous avons besoin, mais il s'agit d'un service tout aussi valable et tout aussi utile.

Le sénateur Cook : Je tiens à vous remercier de vous être joints à nous et moi aussi j'aimerais faire appel à votre sagesse pour que vous m'aidiez à comprendre ce qui suit. Ce qui m'a d'abord étonnée ce matin, et je pense que vous serez d'accord avec moi, monsieur le président, c'est de constater que je viens d'une province qui compte la même population que la population que vous desservez dans la région du Grand Toronto, donc il m'est difficile de comprendre la situation.

J'aimerais savoir, dans cette collectivité d'un demi-million de personnes, quelle est la taille de votre clientèle. Nous tâchons de comprendre le sujet pour lequel nous nous efforçons de créer un modèle. Vous pouvez le qualifier d'holistique ou vous pouvez le qualifié d'intégré. Nous parlons de prestation uniforme, et j'ignore comment nous pourrons logiquement parvenir à assurer la prestation uniforme d'un service complexe ou mettre l'accent sur le bien- être de la personne.

Vous parlez d'intervention précoce, et nous avons entendu un grand nombre d'éléments des différents groupes qui ont comparu devant nous. Ce matin, j'ai entendu un élément d'information nouveau qui, je crois, va m'aider personnellement et aidera, j'espère, le comité, à savoir un sentiment solide d'appartenance à la collectivité.

Tant que la politique d'immigration au Canada sera une politique de portes ouvertes, nous nous débattrons toujours avec le problème de la langue. Lorsqu'il s'agira d'immigrants, de la deuxième, troisième et quatrième génération, le problème de la langue disparaîtra graduellement. Cependant, votre service devra toujours tenir compte de cet aspect linguistique. Je crois que c'est un besoin qui demeurera.

Vous parlez d'entraide, de promotion, d'initiatives familiales, comme la plupart des témoins qui ont comparu devant nous.

Ce matin, j'ai entendu un nouveau mot. Je parle du préjugé qui se rattache à l'expression « nouvel arrivant ». Je n'en avais pas entendu parler auparavant. J'avais entendu parler du préjugé qui se rattache à la langue et à la culture; et j'avais entendu parler de racisme.

J'ai souri lorsque Raymond, en parlant de ses problèmes, a dit qu'il avait traversé une période difficile. Je viens de Terre-Neuve et nous sommes toujours en train de traverser une période difficile, d'une façon ou d'une autre.

Vous avez parlé du personnel soignant approprié, des médicaments appropriés et d'un soutien approprié de la part des pairs. La définition du terme « approprié » varie d'un témoin à l'autre. Vous dites que vous voulez travailler. Notre objectif à tous est de nous tailler une meilleure place au Canada. Nous considérons tous qu'il s'agit d'un assez bon pays où vivre.

Cependant, ce que je vous entends dire, c'est que le système donne à sa clientèle ce dont il « croit » qu'elle a besoin, au lieu que les consommateurs, les clients obtiennent du système ce dont ils ont besoin.

Avec la permission de mes collègues, je vous dirais, Martha, que nous sommes des gens ordinaires en train d'entreprendre une tâche très extraordinaire, et que nous avons besoin de l'aide de chacun d'entre vous. Nous avons besoin de votre compréhension et, dans mon cas, j'ai besoin de votre patience.

J'aimerais que Raymond commente le modèle médical qui, à mon avis, comporte de multiples facettes. À un certain stade du processus, compte tenu de l'ensemble des soins que fournit votre organisme, une intervention médicale peut s'avérer nécessaire. Pourriez-vous nous fournir vos commentaires à ce sujet?

M. Chung : Le fait que nous ne soyons pas subventionnés pour administrer des traitements ne signifie pas que nous n'utilisons pas un modèle médical. Cela se fait en parallèle. Nous savons qu'un bon nombre de patients doivent prendre des médicaments et ils consulteront le médecin ou le psychiatre. Cependant, il existe des types d'activités complémentaires que je tâche d'encourager. Tout au long de cette discussion, nous avons parlé uniquement du modèle médical, et dans bien de nos collectivités, cela ne fonctionne pas. Il faut intégrer le soutien communautaire.

Si vous êtes malade, vous recevez le service, vous recevez le traitement médical. La collectivité et les membres de la famille ne reçoivent pas d'aide. Alors, sans le soutien de sa famille ou de sa collectivité, le patient se trouve isolé. Le patient ne peut recevoir que le traitement médical ou la meilleure thérapie. Il faut intégrer les autres formes de soutien. Il est important de bâtir les collectivités car si les collectivités peuvent offrir un soutien aux familles et aux patients, ils n'auront pas besoin de s'adresser à des organisations de services comme la nôtre. Il s'agit de formes de soutien mutuellement complémentaires.

Dans la culture asiatique, la famille demeure le soutien le plus important, mais les préjugés qui se rattachent à la santé mentale recoupent toutes les cultures. Est-il plus fort dans la culture asiatique? Je n'en suis pas sûr. Ils ne sont pas bien informés. Je peux vous garantir qu'il y a des patients qui ne sont ni évalués ni traités parce que la famille craint que l'on apprenne qu'un de ses membres est malade.

M. Cheng : En réponse à ce que vous dites, je ferai une déclaration générale. En tant que personne qui a immigré au Canada à l'âge de six ans, au moment même où Pierre Elliott Trudeau est devenu premier ministre, ma perception de ce que signifie le fait d'appartenir à une collectivité de Canadiens en tant que minorité visible diffère nettement de celle des personnes avec qui j'ai travaillé, c'est-à-dire celles qui sont arrivées au Canada plus tard, qui ne connaissent pas aussi bien la culture dominante ni nos deux langues officielles.

Cela dit, je crois que le système de soins de santé, et pas simplement le système de soins de santé mentale, doit mettre en pratique ce qu'il prêche, c'est-à-dire qu'il doit être axé sur le patient. Je crois parler au nom de chacun d'entre nous lorsque je dis que nous voulons que l'on réponde aux besoins exprimés par les patients et qu'on les comprenne. Cela représente un message universel que nous pouvons tous comprendre. Je ne suis pas un génie, j'ignore comment nous pouvons y parvenir. C'est à vous d'en décider.

Le président : Je tiens à vous remercier tous d'être venus. Le comité vous est reconnaissant d'avoir pris le temps de vous joindre à nous ce matin.

Chers collègues, j'accueille le prochain groupe de fournisseurs de services. Nous accueillons M. Steve Lurie, directeur exécutif de l'Association canadienne pour la santé mentale de Toronto. J'ai déjà passé une soirée à faire appel à ses lumières sur un certain nombre de questions. Nous accueillons également M. Paul Links, professeur de psychiatrie à l'Université de Toronto, mais qui comparaît ici en fait au nom de l'Association canadienne pour la prévention du suicide; et Gordon Milak, qui fait partie de l'Ordre des infirmières de Victoria à Middlesex-Elgin. Je tiens à vous remercier tous d'être ici. Je pense que vous connaissez la formule. Je demanderai à Steve de commencer.

M. Steve Lurie, directeur exécutif, Association canadienne pour la santé mentale (bureau de Toronto) : Je vous remercie, sénateur Kirby et membres du comité sénatorial.

Je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir permis à Pat Capponi de porter un chapeau l'autre jour. Vous n'auriez pas entendu ce qu'elle avait à dire si elle avait dû l'enlever. Une bonne partie de ce qu'elle a dit et de ce que ses collègues ont dit représente le message que chacun d'entre nous, à mon avis, que nous soyons des fournisseurs de services ou des représentants de la communauté, voulons vous transmettre.

Je tiens aussi à dire que les trois premiers volumes de votre rapport sont formidables. Vous avez tout compris. Le défi que nous devons relever, et c'est probablement le plus grand, c'est de créer un rapport qui motivera tout le pays, car rédiger un bon rapport ne suffit pas. Nous devons susciter la volonté politique et bureaucratique qui manque.

J'aimerais faire d'abord quelques réflexions d'ordre historique car cela pourrait étayer vos arguments. En 1963, l'Association canadienne pour la santé mentale a dit ce qui suit sur les services de santé mentale dans son rapport Au service de l'esprit :

Dans aucun autre domaine, sauf peut-être la lèpre, y a-t-il autant de confusion, d'erreurs et de discrimination à l'endroit du patient que dans celui de la maladie mentale [...] Même aujourd'hui la maladie mentale est trop souvent considérée comme un crime qui doit être puni, un péché qu'on doit expier, un démon qu'on doit exorciser, une tare qu'on doit cacher, une faiblesse qu'on doit déplorer ou un problème social qu'on doit régler en dépensant le moins possible.

Ces mots, écrits il y a plus de 40 ans, plaident en faveur d'une campagne contre la stigmatisation et de garanties législatives pour l'accès à des soins en santé mentale et à des services de soutien dans les lois fédérales et provinciales.

Il y a 20 ans, on m'a demandé de passer en revue Au service de l'esprit, et j'ai fait les observations suivantes après avoir examiné les informations disponibles à l'époque de Statistique Canada qui compilait alors des données nationales sur la santé mentale, ce qu'il ne fait plus vraiment. J'ai alors constaté que les Canadiens se prévalaient des services en santé mentale plus que jamais, que la majorité de ces services étaient offerts dans les hôpitaux et que le transfert des ressources qui devaient accompagner la désinstitutionnalisation ne s'était pas produit. C'était en 1984.

Depuis lors, les provinces ont institué une réforme de la santé mentale qui a donné ce que nous devons appeler des résultats mitigés. Les observations faites il y a 20 et 40 ans sont encore pertinentes.

Je crois savoir que le sénateur Kirby a rencontré Bev Leiber, qui lui a parlé du rapport Graham, probablement la première étape d'une stratégie provinciale en santé mentale. J'ai trouvé ce que je croyais être le seul exemplaire disponible en Ontario et je vous en ai fait une copie.

J'ai eu le privilège d'aider Bob Graham à rédiger son rapport en 1988; à l'époque, nous voyions le verre comme étant à moitié plein et, en dépit de certains événements prometteurs, il l'est toujours. Il n'est toujours pas plein.

Dans le second rapport intitulé Pour un avenir en santé : deuxième rapport sur la santé de la population canadienne, on indique que, il y a à peine 10 ans, les Canadiens avaient passé 15 millions de jours dans des hôpitaux psychiatriques — plus que pour les maladies cardiovasculaires et le cancer combinés — en dépit du fait qu'il y avait des connaissances et des technologies de service qui auraient pu réduire l'hospitalisation de 80 à 90 p. 100.

Comme d'autres témoins vous l'ont probablement dit, le problème de l'accès aux soins est encore énorme. De 50 p. 100 à 75 p. 100 de la population souffrant de troubles mentaux n'obtient pas de traitement ou ne l'obtient pas à temps, ce qui provoque beaucoup de difficulté. Voilà pourquoi, entre autres, nous devons susciter la volonté politique et bureaucratique qui nous permettra de progresser jusqu'où s'est rendue la Nouvelle-Zélande, là où le Canada n'est pas encore.

C'était le premier rapport à établir des objectifs de planification. C'est un modèle pour tout plan de santé mentale qu'on devrait exiger des provinces, mais il n'a pas permis aux gouvernements subséquents qui ont poursuivi l'accord bipartite sur la santé mentale de prévoir des objectifs de dépense précis, ainsi que des buts précis en matière d'appui et de service. Par conséquent, le peu de volonté qui existait alors s'est effrité.

Ainsi, à l'heure actuelle en Ontario, nous avons la chance de pouvoir compter sur le fait que les gouvernements fédéral et provincial consacreront 185 millions de dollars de plus aux soins de santé mentale communautaires au cours des cinq prochaines années. C'est impressionnant, mais cela ne représente qu'environ 12 p. 100 du prix approximatif selon les groupes de travail provinciaux sur la santé mentale présidés par Michael Wilson et ses collègues ces dernières années.

Que nous faut-il? Il nous faut une stratégie de réforme en matière de santé mentale qui comprennent les éléments suivants : Chaque province et territoire devra se doter d'un plan quinquennal en santé mentale prévoyant des objectifs de rendement précis, un financement garanti, c'est-à-dire l'injection de fonds nouveaux chaque année, et la protection des ressources existantes en santé mentale, et ce, comme les témoins précédents vous l'ont dit, pour permettre l'accès au traitement et l'accès au soutien dont on a besoin pour trouver un logement, un emploi, des amis et des occasions de participer à la vie de la collectivité.

En partant du chiffre de deux milliards de dollars établi par les groupes de travail provinciaux, je dirais que pour tout le pays, il faudrait engager au moins trois milliards de dollars. Ce qui est bien, c'est que c'est moins que pour les garderies, mais ce qui est moins bien, c'est que bon nombre d'entre nous ne s'attendent pas à voir l'affectation d'une telle somme avant leur mort.

Je vous donne un exemple. Toronto a pris 20 ans pour construire 2 000 unités de logements avec services de soutien et nous savons aujourd'hui qu'il nous en faudrait 3 200 de plus. Cela signifie-t-il que nous devrons attendre 30 ans pour les obtenir? Il faut absolument que chaque province ait un plan ferme et que le gouvernement fédéral ait un plan de coordination.

Ottawa devrait dresser un plan comprenant le financement du logement avec des services de soutien, des services d'emploi et des services en santé mentale pour les immigrants et les réfugiés qui seraient offerts aux groupes communautaires, aux provinces et aux territoires. Je formule ainsi ma demande parce que quand les gens ont besoin de services, peu leur importe qui les paie. Voilà pourquoi j'estime que les collectivités peuvent apporter leur contribution. Je pense plus particulièrement au mouvement Villes et villages en santé et à l'alliance urbaine de la ville de Toronto qui réclament des fonds pour les collectivités et l'octroi d'un financement commun et qui fait fi des compétences provinciales.

Le rapport « After the Door Has Been Opened », rapport qui a fait date sur la santé mentale des immigrants et des réfugiés, réclamait des mesures de tous les ordres de gouvernement. En fait, plutôt qu'ouvrir la porte, nous l'avons fermée.

Le gouvernement fédéral ne fournit pas suffisamment de ressources pour répondre aux besoins en santé mentale des immigrants et des réfugiés et, d'après le plus récent rapport sur la santé des immigrants, ce qui est paradoxal, c'est que la santé des immigrantes se détériore plus elles passent du temps au Canada. Ce rapport n'a pas ciblé la santé mentale, mais on pourrait présumer qu'avec le temps, les immigrants finissent par connaître des problèmes importants à cet égard. Pourtant, le gouvernement fédéral finance les services d'établissement de façon telle qu'aucune somme ne sert à la santé mentale des immigrants et des réfugiés.

Dans notre collectivité, on a produit un rapport sur les besoins des francophones qui ont des troubles mentaux. C'est un excellent rapport qui a été publié par le Conseil de santé du district de Toronto, qui cessera d'exister le 31 mars. J'espère que vous pourrez obtenir un exemplaire de ce rapport intitulé I Only Have the Words In French. On y relate l'expérience de personnes qui n'ont pas pu exprimer leur problème de santé mentale dans leur propre langue. Ces problèmes sont considérables. Nous devons faire beaucoup plus à ce chapitre.

Troisièmement, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux devraient collaborer pour améliorer les services offerts aux personnes souffrant de troubles mentaux qui ont des démêlés avec la justice pénale. Je crois savoir que certains membres de votre comité s'intéressent à cette question. Je préside le Comité de coordination sur la santé mentale et la justice de Toronto et je pourrais certainement répondre à vos questions sur ce sujet que je n'aborderai pas en détail dans mes remarques liminaires.

Quatrièmement, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux devraient collaborer pour accroître le financement de l'évaluation des services de santé mentale — une question qui est soulevée dans votre rapport — et travailler de concert avec les services communautaires de santé mentale et les universités pour créer des partenariats de recherche.

Un bon modèle serait l'Initiative communautaire d'évaluation de la santé mentale qui a été élaborée ici en Ontario. Je pense qu'il ne serait même pas nécessaire de changer le sigle en anglais, à savoir CMHEI. Il suffirait en effet de remplacer le mot communautaire par canadien. Je vous exhorte à envisager sérieusement de vous en inspirer.

Le cinquième point est que le financement devrait viser à améliorer l'accès au traitement et aux services communautaires de santé mentale et mettre l'accent sur l'amélioration en première ligne, au lieu de la réorganisation. Je me ferai un plaisir de vous en parler en long et en large. J'ai remis au comité un certain nombre de communications que j'ai écrites sur la question, mais on obtient un système bien intégré en faisant en sorte qu'il soit facile pour les gens de s'y diriger et, comme les gens de la communauté somalienne pourraient vous le dire, si vous les rencontriez, à Scarborough, où nous fournissons des services, il n'y a pas nécessairement de lien direct.

D'après notre expérience, si quelqu'un éprouve des problèmes de santé mentale, il téléphone à notre représentant pour avoir accès aux soins et notre employé est alors peut-être le premier point d'entrée, la personne qui va établir le lien entre le consommateur et un médecin, entre le client et un psychiatre et aussi d'autres types de soutien de rechange qui, d'après notre travailleur, répondent aux besoins du consommateur.

Un système de triage en milieu hospitalier ne donne pas de bons résultats pour certaines collectivités. Il faut donc les deux éléments. Il faut un système mieux organisé en première ligne, mais il faut une plus grande souplesse pour brancher les collectivités et les organisations comme Across Boundaries, Hong Fook et d'autres, et même des organisations grand public comme la nôtre qui commencent à être présentes dans ce domaine.

Le sixième point est qu'une commission de la santé mentale semblable à celle de la Nouvelle-Zélande devrait être établie et chargée de travailler avec tous les niveaux de gouvernement pour défendre les consommateurs et les familles et faire rapport sur les progrès accomplis aux quatre coins du pays. C'est essentiel. Il faut exercer des pressions sur tous les gouvernements. C'est mieux d'avoir des leaders des consommateurs et des familles qui dénoncent les lacunes. « Voici ce que vous devez faire. Voici les faiblesses de l'approche traditionnelle ». C'est de ce point de vue que la Commission de la santé mentale de la Nouvelle-Zélande a pu jouer un rôle important.

Enfin, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux doivent collaborer pour élaborer des campagnes d'atténuation de la stigmatisation faisant appel à la fois aux médias et aux techniques d'éducation communautaire.

Je voudrais en terminant citer le regretté Dr Clarence Hincks, qui souffrait lui-même d'un problème de santé mentale. Juste avant de mourir en 1964, il nous a expliqué les raisons pour lesquelles nous devons faire avancer ce dossier. Je cite :

Tout ce qu'il nous faut, ce sont des gens qui prennent l'initiative après avoir pris conscience du fait que nous en sommes à l'étape de développement de la charrette tirée par des bœufs... À Amsterdam, ils n'ont pas construit un seul hôpital psychiatrique depuis des années parce que leurs travailleurs en santé mentale fonctionnent au sein de la collectivité, là où ils devraient travailler.

Le président : Merci, Steve.

Docteur Links, vous avez la parole.

Le Dr Paul Links, président, Association canadienne pour la prévention du suicide, professeur de psychiatrie, Université de Toronto : Je vous remercie de me donner cette occasion de m'entretenir avec vous aujourd'hui.

Comme le sénateur Kirby l'a dit, j'interviens ici essentiellement à titre de président de l'Association canadienne pour la prévention du suicide et je le fais parce que je voulais partager avec vous ce document, le plan d'action, que vous avez sous les yeux.

L'Association canadienne pour la prévention du suicide est un groupe de professionnels qui a été constitué en société en 1985. Son principal objectif est de travailler à réduire le taux de suicide et à réduire au minimum les conséquences néfastes du comportement suicidaire. Notre organisation travaille en facilitant et en appuyant les efforts de prévention du suicide, les interventions et les initiatives de postvention et de soutien des personnes en deuil d'un bout à l'autre du Canada.

Je voudrais d'abord vous rappeler l'ampleur du problème, quoique je doive dire que j'ai été des plus impressionnés en lisant les rapports. Je souscris aux observations de Steve et je trouve encourageant de constater que nous sommes dans la bonne voie. Cependant, environ 4 000 Canadiens se suicident chaque année au Canada. Plus de 10 Canadiens vont mourir chaque jour au cours de la prochaine année, et environ 400 000 Canadiens s'automutilent chaque année au Canada. Le suicide est la principale cause de décès chez les hommes canadiens âgés de 10 à 49 ans, avant le cancer, avant les accidents de véhicules automobiles, avant le VIH/sida.

Ce qui est important, c'est que nous ayons une solution à proposer. Contrairement à de nombreux pays dont l'Australie, la Finlande, la France, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Suède, le Royaume-Uni, l'Écosse et les États-Unis, le Canada n'a pas de stratégie nationale de prévention du suicide. Comme vous l'avez dit, le Canada a besoin d'un plan d'action global sur la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie, et une stratégie nationale de prévention du suicide doit être une composante centrale de ce plan d'action.

L'Association canadienne pour la prévention du suicide vous présente aujourd'hui l'ébauche d'une stratégie nationale canadienne de prévention du suicide. On y expose les buts et les objectifs en vue d'amorcer l'élaboration d'une stratégie nationale. Comme vous le constaterez, cette ébauche a été publiée en octobre 2004 à notre assemblée générale annuelle. J'espère que chacun en a un exemplaire pour s'y reporter.

Nous avons une solution. Il nous faut une stratégie nationale de prévention du suicide. À l'instar d'autres nations qui ont connu du succès dans ce domaine, il nous faut un leadership fédéral. Le gouvernement fédéral doit établir une politique relative à l'adoption d'une stratégie nationale et, bien sûr, doit prendre l'initiative de la collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, en vue d'élaborer une stratégie nationale de prévention du suicide que l'on pourra mettre en œuvre à tous les niveaux de la collectivité aux quatre coins du pays.

Des fonds doivent être accordés pour appuyer cet effort de coordination et de mise en œuvre de cette activité. Une bonne analogie de cette initiative serait l'Institut canadien de la sécurité du patient, pour ce qui est de son mandat et des ressources qui lui sont accordées. L'Institut a été créé récemment pour assurer le leadership dans le dossier de la sécurité des patients, le tout dans le contexte de l'amélioration de la qualité des soins. L'Institut fait la promotion des meilleures pratiques, fait des campagnes de conscientisation et fournit des conseils sur les stratégies efficaces en vue de renforcer la sécurité du patient. Le gouvernement du Canada a annoncé un financement de 10 millions de dollars par année pour appuyer l'initiative de la sécurité du patient partout au Canada.

J'ai pensé qu'aujourd'hui, je mettrais l'accent plus précisément sur votre troisième rapport, intitulé Problèmes et options pour le Canada, et plus précisément le paragraphe 4.2, prévention du suicide, où l'on répond aux questions posées à la page 30. Je vais essayer de répondre aux très importantes questions que vous avez posées.

Vous demandez : Lesquels parmi les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et les organisations non gouvernementales devraient participer à l'élaboration d'une stratégie nationale pour la prévention du suicide?

Tous les niveaux de gouvernement, les diverses agences et organisations communautaires, les survivants et les clients doivent y participer, mais il est clair que nous devons compter sur le leadership fédéral pour établir les politiques, fournir les ressources et fixer les objectifs en termes de résultats, y compris la réduction réelle du taux de suicide.

Vous montrez clairement dans vos rapports pourquoi le gouvernement fédéral doit prendre l'initiative dans ce dossier et je voudrais mettre en lumière quelques règles importantes relativement à la stratégie nationale. Il est évident que le gouvernement fédéral joue un rôle important en termes de surveillance. Nous faisons actuellement du très bon travail à ce niveau, mais nous devons commencer à faire de la surveillance du comportement suicidaire. Le gouvernement fédéral assume le rôle de leadership et de la recherche et, en 2003, les Instituts canadiens de recherche en santé ont établi les domaines de recherche prioritaires pour les études relatives au suicide.

Bien sûr, vous avez la priorité pour le service direct relativement à un certain nombre de groupes à haut risque de suicide. Le gouvernement fédéral a demandé une meilleure reddition de comptes relativement aux dépenses consacrées aux soins de santé et il est évident qu'une réduction du taux de suicide et du comportement suicidaire doit être un élément des résultats souhaitables à cet égard.

Bien sûr, vous avez le leadership pour la promotion de la santé et à ce chapitre, il nous faut des initiatives pour la prévention de la stigmatisation. Cela relève du domaine fédéral.

À cet égard, nous avons besoin du leadership fédéral. Comme on l'a fait pour l'Institut canadien de la sécurité du patient, il nous faut faire preuve de leadership en rassemblant tous les intervenants et en travaillant ensemble en se fondant sur un document semblable à notre ébauche et dans le but de progresser vers une stratégie nationale.

Vous posez ensuite la question suivante : quels devraient être les objectifs précis d'une telle stratégie? J'espère que vous considérerez cette ébauche comme un début. Nous prévoyons que, durant vos déplacements d'un bout à l'autre du Canada, vous rencontrerez d'autres membres du conseil de notre association. J'espère que, quand vous aurez eu l'occasion de lire le document, vous poserez des questions précises à mes collègues qui témoigneront devant vous, de manière que vous ayez l'occasion de vous familiariser davantage avec notre proposition.

Vous demandez ensuite : quels programmes et activités devraient faire partie d'une stratégie nationale de prévention du suicide? Encore une fois, je pense que l'avant-projet propose une liste de ces activités.

Vous demandez : combien celle-ci devrait-elle coûter et comment devrait-elle être financée? Encore une fois, je pense que le financement d'un organisme de coordination et de mise en œuvre pourrait suivre le modèle de l'Institut canadien sur la sécurité des patients, disposant d'un budget annuel d'environ 10 millions de dollars pour la mise sur pied de cet organisme de mise en œuvre ou de coordination. Il est évident qu'il faut des fonds pour la surveillance, la recherche et l'évaluation, la programmation relative à la promotion de la santé et, bien entendu, pour la programmation directe ciblant les populations à risque élevé desservies par le gouvernement fédéral. Il faudra des fonds provinciaux et territoriaux et je pense que nous pouvons solliciter la participation du secteur privé dans le domaine de la prévention du suicide.

Votre dernière question est la suivante : devrait-il y avoir une seule stratégie nationale ou chaque ordre de gouvernement devrait-il en implanter une? Dans ce domaine, je crois que la réponse est claire : pour une stratégie nationale, il faut un leadership fédéral. Les objectifs des stratégies nationales sont bien établis. Elles ont été adoptées par presque toutes les nations qui ont entrepris quelque chose en ce sens et nous les décrivons dans notre avant-projet. Les objectifs sont vastes. Ils nous permettent d'intervenir au niveau local et ils sont exhaustifs. Ils doivent comprendre et englober toutes les initiatives de toutes les collectivités du Canada. Je m'arrête ici.

Le président : Merci, monsieur Links.

Nous allons maintenant écouter M. Gordon Milak, des Infirmières de l'Ordre de Victoria du Canada, à Middlesex- Elgin.

M. Gordon Milak, Infirmières de l'Ordre de Victoria du Canada, Middlesex-Elgin : Monsieur le président et honorables sénateurs, merci pour cette occasion de vous parler.

Les Infirmières de l'Ordre de Victoria du Canada reconnaissent que la santé mentale a fait des progrès en étant intégrée dans l'accord entre les premiers ministres, dans les récentes recommandations du Conseil de la santé et, bien entendu, dans l'étude faite par votre comité. En comparaissant devant vous, nous présentons un point de vue un peu différent de celui de groupes et personnes célèbres qui nous ont précédés. Notre organisme s'occupe de soins communautaires pour tous les groupes vulnérables, y compris les personnes ayant des problèmes de santé mentale, sans toutefois que ce groupe soit particulièrement ciblé. C'est pourquoi tous les jours, dans bien des milieux, nous voyons des problèmes de santé mentale. Dans ce que j'ai entendu ce matin, un thème revenait souvent, celui de la communauté, et c'est précisément de cela que je vais vous parler.

Les Infirmières de l'Ordre de Victoria du Canada, c'est un organisme à but non lucratif, un organisme de charité reconnu par le fédéral, qui s'occupe des Canadiens chez eux, dans la communauté, depuis 108 ans. Notre organisme compte plus de 50 programmes de soins infirmiers à domicile, de promotion de la santé et de soutien dans la communauté, notamment, à un million de Canadiens, chaque année. Nous avons plus de 7 000 fournisseurs de soins de santé et 13 000 bénévoles qui savent que les interventions communautaires doivent être adaptées à chaque communauté. Nous savons que les interventions communautaires sont différentes et nous savons que nos clients sont nos meilleurs guides lorsqu'il s'agit d'établir des programmes pertinents et efficaces. Et c'est au niveau local que sont le mieux entendues les demandes de nos clients.

Nos bureaux régionaux sont dirigés par des conseils d'administration locaux composés de bénévoles qui sont les défenseurs de leurs communautés. Leur rôle est de cerner les besoins à satisfaire dans la communauté et de réunir les ressources pour les combler, que ce soit notre organisme ou un autre qui donne le service. Les visites par des bénévoles, les programmes de jour pour adultes et les popotes roulantes ne sont que quelques-uns des programmes offerts par notre organisme dans l'ensemble du pays.

Tous les programmes de notre organisme visent à soutenir les populations vulnérables, où qu'elles soient. Bien que les problèmes de santé mentale se voient dans tous nos services, et tous nos groupes de clientèle, d'après notre expérience, on les voit chez les sans-abri et j'aimerais vous en parler ce matin.

À London, en Ontario, l'Armée du Salut aide les démunis depuis plus d'un siècle en leur offrant des repas chauds ou un endroit chaud où dormir. Ceux qui ont le malheur de vivre dans la rue ou dans un refuge ont rarement accès à un médecin de famille, à des bilans de santé réguliers et à des visites chez le dentiste. Quand ils ont accès à des services de santé, c'est souvent dans une salle d'urgence débordée, en situation de crise, et, trop souvent, en compagnie d'un policier. Les sans-abri, comme l'ensemble de la société, sont un groupe vieillissant. Le vieillissement est assorti de maladies chroniques rarement diagnostiquées et traitées. Plus grave encore, nous constatons une incidence croissante de l'hépatite C et de souches de tuberculose résistantes aux médicaments, auxquelles les sans-abri sont particulièrement vulnérables.

En 1995, les Infirmières de l'Ordre de Victoria de Middlesex-Elgin ont commencé à offrir des services de clinique de soins infirmiers pour fins caritatives à divers organismes et refuges travaillant auprès des itinérants. En 1999, nous avions conclu un partenariat avec l'Armée du Salut pour mettre sur pied une clinique médicale dans un refuge, afin de répondre aux besoins du nombre croissant d'itinérants. Un accès uniforme à des soins primaires permettait la détection des maladies, leur traitement et la promotion de la santé. Les installations physiques offertes par l'Armée du Salut de même que les services médicaux dispensés par notre organisme ont amélioré la qualité de vie des itinérants, allégé le travail des services d'urgence débordés sans toutefois régler les problèmes fondamentaux qui sont à la source de l'itinérance, soit la pauvreté, les toxicomanies et, bien sûr, les troubles mentaux.

En 2000, nous avons participé au financement d'une étude de la University of Western Ontario, menée par Evelyn Vingilis, pour évaluer la prévalence de la maladie mentale dans le sud-ouest de l'Ontario. D'après les conclusions, chez les itinérants masculins, 61 p. 100 des sujets éprouvaient deux troubles mentaux ou plus, 46 p. 100 avaient des problèmes liés à l'alcool ou aux drogues et dans 31 p. 100 des cas, les deux genres de problèmes coexistaient.

En 2004, notre organisme a obtenu une subvention dans le cadre du Fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires, pour un projet pilote en santé mentale. La subvention offre deux années de financement pour améliorer l'accès à des médecins pour notre clinique, ainsi que pour l'ajout de fonctions de travail social visant plus particulièrement le counselling et le soutien en situation de crise, la réadaptation, le soutien aux toxicomanes, l'accès au logement et le soutien au revenu.

Les sans-abri qui fréquentent le refuge ont maintenant accès à une équipe multidisciplinaire qui offre sur place des soins primaires notamment en santé mentale, des soins infirmiers, des services sociaux ainsi que des services de réorientation vers des services psychiatriques, des programmes de lutte contre les toxicomanies et des services sociaux et médicaux spécialisés. Une stratégie de services est offerte à chaque résident, en coordination avec les hôpitaux, les organismes régionaux de santé mentale, les centres de désintoxication, l'ACSM, les centres de logement de London et beaucoup d'autres, qui représentent les principaux services. Dans le cadre de rencontres avec les principaux intervenants, le modèle de projet a été associé à l'ensemble du réseau existant des services de santé de London- Middlesex.

En outre, nous continuons de communiquer avec les écoles de médecine, de médecine dentaire et de sciences infirmières, et le service de placement étudiant de l'Université Western Ontario et du King's College, pour offrir du mentorat aux étudiants de troisième année en travail social. La clinique VON/Armée du Salut est aussi partenaire dans la demande présentée par l'Université Western Ontario intitulée « Creating Interpersonal Collaboration Teams for Comprenhensive Mental Health Services ». La demande a été faite par les Facultés de médecine, de médecine dentaire et de sciences de la santé.

L'objectif de ce projet, à court terme, est d'augmenter le nombre de professionnels de la santé qui reçoivent une formation dans un contexte de collaboration, axée sur les clients, avant et après le début de leur pratique.

Si le financement est obtenu, la clinique du Centre of Hope de l'Armée du Salut ne sera que l'un des sites de pratique. Ce mois-ci, notre organisme et l'Armée du Salut ont présenté le projet de clinique comme équipe de santé familiale, dans le cadre de l'Initiative de réforme des soins primaires du ministère de la Santé de l'Ontario. De plus en plus, on le comprend, les omnipraticiens ne sont pas prêts à prendre des patients qui ont des problèmes de santé mentale complexes et qui nécessitent constamment du soutien et une gestion de leur cas. Nous avons l'intention d'établir une clinique et un projet pilote comme ressources permanentes pour les sans-abri de London, afin qu'il y ait un centre de médecine familiale réservé aux sans-abri.

Le refuge et la clinique montrent que le système actuel ne subvient pas aux besoins des malades mentaux. Les programmes de prévention primaire n'ont pas été efficaces pour tarir les sources du problème. Le fait que nous ayons des ressources pour établir des liens, pour nos clients, ne garantit pas que ces services soient même disponibles. Il continue d'y avoir un goulot d'étranglement, à mesure que les listes d'attente pour les services s'allongent et que la disponibilité des services, particulièrement du logement à prix modique, reste bien en deçà des besoins réels.

Le rapport Problèmes et options met le doigt sur le sous-financement. Le travail dont je viens de vous parler le montre bien : la clinique médicale est actuellement financée par le conseil d'administration bénévole des Infirmières de l'Ordre de Victoria de Middlesex-Elgin et par l'Armée du Salut, grâce à l'argent obtenu par des campagnes de levée de fonds, soit des bingos et des ventes de pâtisseries. Le projet pilote en santé mentale n'a plus de fonds que pour 16 mois. La réussite et la taille de ce projet ont dépassé les moyens des deux organismes de charité et de leurs campagnes de financement.

En terminant, j'insiste sur l'urgence de définir de nouvelles options de traitement et de soutien communautaires dans le domaine de la santé mentale. Pour assurer la continuité des services, il faut trouver des formules novatrices et souples de prestation des soins. Les gens n'ont pas besoin de tous les services, tout le temps, ni des services les plus intensifs. Il faut un modèle qui permette aux clients de bénéficier de différents types de soins au fur et à mesure que leurs besoins évoluent. Par ailleurs, la formation de tout le personnel médical doit comprendre un volet de santé mentale.

Enfin, il s'agit à notre avis tout autant d'une question de justice sociale que d'une question de soins de santé. Si nous avons droit à des soins palliatifs de qualité ou à des greffes d'organes, nous avons tout autant le droit d'être soulagés des souffrances engendrées par les maladies mentales et les toxicomanies. En tant qu'organisme, l'Ordre de Victoria du Canada s'efforce de répondre à ces besoins par des moyens que nous connaissons.

Nous vous invitons instamment à évaluer l'efficacité des programmes actuels, à mettre fin à ceux dont l'efficacité n'est pas démontrée, à garantir la présence des effectifs nécessaires au bon moment et à faire en sorte que les clients puissent obtenir là où ils habitent les différents services dont ils ont besoin.

Le document que je vous ai remis traite expressément des questions auxquelles nous sommes les plus capables de répondre.

Le président : Monsieur Milak, pourriez-vous nous remettre un exemplaire de l'étude que vous avez mentionnée, sur les sans-abri de London? J'imagine qu'il s'agit d'un document public.

M. Milak : Oui.

Le président : Existe-t-il d'autres études sur les sans-abri qui auraient été réalisées ailleurs au pays? C'est la première dont nous ayons entendu parler. Je vois que Steve fait oui de la tête. Si certains d'entre vous peuvent nous signaler d'autres études, cela nous serait utile.

Je m'adresse à tous les témoins, mais surtout à Steve qui a soulevé cette question. Nous comprenons l'importance d'augmenter le financement sur le terrain, c'est-à-dire d'améliorer les services offerts aux clients plutôt que de procéder à ce que Steve a décrit comme « une autre restructuration organisationnelle ». Ce matin au plus tard, nous aimerions connaître votre avis sur ce qu'on pourrait faire dans ce sens; il faut cependant rappeler que les services sont offerts sur le terrain et, que les fonds soient débloqués par le gouvernement fédéral ou la province, la filière est assez longue. Il s'agit d'offrir des services aux personnes qui en ont besoin sans être trop directifs.

Par ailleurs, vous avez tous les trois souligné la nécessité d'évaluer l'efficacité des programmes parce qu'évidemment, il ne suffit pas d'augmenter le financement pour régler le problème. Il faut mettre l'argent là où il sera le plus efficace. Dès que vous décidez de faire une évaluation, vous êtes forcés de remonter un peu la filière parce qu'il faut décider qui fera cette évaluation. Vous devez vous assurer que l'évaluation sera menée correctement. Comment pouvez-vous le déterminer? Là encore, il faut trouver le juste équilibre.

Vous pouvez répondre à mes interrogations tout de suite si vous le souhaitez. Comment concilier la nécessité d'évaluer les programmes, c'est-à-dire de déterminer si on en a eu pour son argent, et la nécessité d'offrir les services sur le terrain d'une façon qui soit adaptée aux besoins des consommateurs. C'est là un énorme défi pour ceux qui doivent structurer les programmes. Il nous serait très utile de savoir ce que des gens comme vous, qui travaillent à la base, en pensent.

M. Lurie : Il faut, entre autres, déterminer les aspects des programmes déjà en place qui peuvent servir de point de départ. Par exemple, il y a une dizaine ou une quinzaine d'années en Ontario, il y avait un programme de santé mentale offert à l'étranger; ainsi, des personnes aux prises avec des problèmes de toxicomanie étaient envoyées aux États-Unis pour y être traitées. Le ministère de la Santé a financé la création du Répertoire des traitements — drogues et alcool, qui permettait de savoir quels services existaient à l'intention des alcooliques et des toxicomanes. Ensuite, on adressait les gens aux centres d'évaluation locaux de manière à ce qu'ils puissent avoir accès plus facilement à un éventail de services.

Ce qui est bien, c'est que plusieurs d'entre nous ont demandé qu'on applique le même système au domaine de la santé mentale. Le 7 septembre de l'année en cours, George Smitherman sera probablement à London, en Ontario, pour annoncer l'ouverture du répertoire des services de santé mentale. C'est un service téléphonique en direct qui permettra aux consommateurs de soins, à leur famille, aux médecins de famille et à d'autres fournisseurs de services de connaître le service disponible. Le répertoire ne paraîtra pas sous forme de livre qu'il faudrait rééditer chaque année. Ce sera une formule vivante et interactive. Je pense qu'il y a ou qu'il y avait un répertoire semblable en Colombie-Britannique. Quand j'y vivais, il y a 10 ans, il existait une ligne téléphonique d'information sur la santé mentale.

Il s'agit là de moyens simples qui permettent à la population et aux fournisseurs de services connexes de savoir ce qui existe localement, parce que les collectivités sont très complexes.

Le ministère provincial de la Santé exigera de tous les organismes qu'il subventionne et qui offrent des services communautaires de santé mentale qu'ils décrivent leurs services dans un langage compréhensible et en termes simples. Ces organismes devront également faire rapport régulièrement au répertoire, d'après les types de services offerts, et indiquer qu'ils ont des places. Ainsi, il est possible de connaître l'éventail de services existant dans chaque localité. Cela permet aussi aux municipalités et aux gouvernements provinciaux d'examiner les lacunes du système de façon méthodique. Ils pourront savoir quels organismes ont été utilisés, confirmant la nécessité de leurs services, et quels organismes sont sous-utilisés. C'est un mécanisme très important pour favoriser l'accès aux services.

On peut aussi, comme l'ont fait d'autres provinces, faire en sorte que les subventions qu'on verse encouragent les comportements qu'on souhaite susciter. Si on veut que les fournisseurs de services adressent leurs clients aux organismes pertinents et mettent en place des réseaux de soins, les critères de financement doivent le préciser. Le bailleur de fonds peut alors décider de financer certains projets, qu'ils émanent des Infirmières de l'Ordre de Victoria (VON) ou de l'ACSM. Mon collègue de VON a parlé d'une entreprise de collaboration. Il faut favoriser la collaboration entre des unités lorsque c'est logique compte tenu de leur taille.

Prenez l'exemple du groupe de travail Wilson ici même à Toronto-Peel; il a reconnu que la ville de Toronto était trop grande pour que seul le groupe de santé mentale puisse aiguiller tous les clients vers les services. Il a décidé qu'il fallait diviser la ville en quadrants ou en quelques autres unités. Ainsi, on pourrait aider les fournisseurs de services de North York, par exemple, à mettre au point un programme de santé mentale à l'intention de leur collectivité et à discuter de l'éventail des services à offrir. Ils pourraient se poser les questions suivantes : « Comment relier le nombre de lits à l'hôpital avec les services de gestion des cas? Quel rôle les services aux personnes en crise jouent-il dans notre collectivité? » Ils pourraient tracer un plan, mais ce plan partirait de la base, de la collectivité.

Le bailleur de fonds, dans ce cas le ministère provincial de la Santé, a proposé la création d'une régie de la santé mentale semblable à la commission qui existe au Nouveau-Brunswick depuis 10 ans. Il ferait comprendre aux fournisseurs de services qu'ils doivent collaborer, qu'ils ne peuvent pas refuser de le faire et travailler chacun de son côté. Les organismes qui refuseraient de collaborer à la planification des services devraient en assumer les conséquences. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de débat. Nous ne sommes pas toujours d'accord sur tout, mais nous arrivons néanmoins très souvent à des consensus.

À titre d'exemple, ici même à Toronto, au cours des trois derniers mois, un groupe d'organismes d'hébergement caractérisés par des modèles et des approches différents ont préparé un plan concerté de logement supervisé qui permettra de créer 6 000 unités de logement supervisées dans l'ensemble de la province, dont 3 000 à Toronto, au cours des trois prochaines années.

Nous avons défini la formule de financement. Nous avons déterminé le modèle de développement immobilier et obtenu l'approbation et le consentement de la Fédération des programmes communautaires de santé mentale et des traitements des toxicomanies de l'Ontario, de l'Association canadienne pour la santé mentale, à l'échelle de la province, et de l'Association du logement sans but lucratif de l'Ontario.

Encore une fois, cela revient à favoriser la planification et la collaboration dans la collectivité et à obliger les gens à rendre des comptes.

Il faut ensuite établir de simples stratégies d'information qui se fondent sur des objectifs de rendement, comme cela se fait en Nouvelle-Zélande. Ces stratégies vous permettront de voir si vous atteignez vos objectifs ou pas, et c'est un principe qui doit être compris par le réseau des fournisseurs. Si ceux-ci ont affirmé desservir 150 personnes grâce à un nouveau programme amélioré de gestion des cas, ils devront se demander s'ils ont atteint ou pas leur objectif et, dans la négative, pourquoi ils ne l'ont pas atteint. Il faut donc créer les conditions optimales pour que les fournisseurs se posent ces questions, étant donné que le gouvernement est beaucoup trop éloigné de la réalité quotidienne. Toutefois, c'est à ce dernier qu'il revient d'établir les conditions pour y parvenir.

Laissez-moi vous donner un bon exemple de ce qui peut être fait. Vous savez peut-être que le 12 janvier dernier, George Smitherman a annoncé l'injection de 27 millions de dollars dans des programmes d'aide à ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale et qui ont eu des démêlés avec le système de justice pénale. Le plan de financement annoncé comporte des éléments de base : ce sont d'abord la déjudiciarisation avant la mise en accusation; puis la réaction face à la crise; l'aide des tribunaux; le logement; et enfin, la gestion des cas. Conjointement avec les organismes subventionnés, le ministère de la Santé a créé des tables d'élaboration des plans de mise en oeuvre. Par conséquent, les agences ne sont pas laissées à elles seules. Toutes celles dont les programmes de déjudiciarisation avant la mise en accusation ont été subventionnés s'assoient autour de la même table et conçoivent un plan coordonné. On peut dire la même chose du réseau des refuges, des programmes de soutien au logement, du consortium de soutien des tribunaux et de la gestion des cas.

De plus, je présiderai le 30 mars prochain une réunion qui permettra de présenter tout le travail effectué par chacun des groupes et qui permettra de faire le lien entre chacun d'eux. Autrement dit, nous nous demanderons comment assurer le lien entre les refuges, l'aide au logement et la réaction en cas de crise. Il s'agit donc essentiellement d'une activité de planification communautaire. Dans ce cas-ci, il faut féliciter le ministère ontarien de la Santé et le Bureau régional de Toronto d'avoir permis que cela se réalise. C'est bien différent de l'ancien modèle des appels de proposition qui se traduisaient, en bout de ligne, par une lutte féroce entre les différents organismes qui se faisaient concurrence pour prouver qu'ils étaient les meilleurs. C'est d'ailleurs ce qui explique la confusion dans les divers gouvernements. Dès qu'on fait un appel de proposition, les organisations naguère amies deviennent votre concurrent, et chacune fait de son mieux pour obtenir le contrat au détriment de l'autre.

Toutefois, vous devriez dresser la table de façon que les organisations veuillent travailler les unes avec les autres, miser sur leurs forces respectives, tout en cernant les secteurs dans lesquels elles auraient encore besoin d'apprendre. Il y a évidemment des domaines dans lesquels nous ne sommes pas très habiles, mais nous pouvons quand même parler de réussite dans les domaines où nous oeuvrons depuis déjà 25 ou 30 ans. À mon avis, c'est la voie à suivre.

Les documents émanant du secteur privé vous diront que dans 80 p. 100 des cas, les fusions échouent. Toutefois, la plupart des entreprises cherchent désormais à forger des alliances stratégiques. Il est donc de l'intérêt de tous de commencer à parler d'alliances stratégiques dans l'exécution des programmes de soins de santé mentale communautaires.

Le président : Si je vous comprends bien — et c'est notre problème, et pas le vôtre —, il faut trouver des façons d'encourager les parties prenantes à aller dans ce sens, sous peine d'en subir les conséquences ou d'être pénalisées.

M. Lurie : Le groupe de conception des systèmes du groupe d'étude Wilson en a déjà débattu. Si vous déterminez que dans trois ans, vous voulez ne recevoir qu'un seul plan d'exploitation collectif pour les 35 agences de santé mentale de North York, et que pour y arriver, vous fournirez les ressources nécessaires, vous devez vous demander aussi s'il est tout aussi logique de faire travailler en concertation les gestionnaires de cas. D'ailleurs, le ministère de la Santé a déjà pris des mesures en ce sens. Il existe déjà un plan combiné à North York et à Scarborough en vue de donner un plus grand accès aux services de soutien. Le Comité PASS a été créé puis financé, et il a ensuite déposé un plan.

Mais aura-t-on les fonds nécessaires à la mise en œuvre du plan? La difficulté vient notamment du fait qu'on a toujours l'impression que la collaboration est gratuite et que toute l'édification d'un système peut se faire aisément pendant ses loisirs. Eh bien, non : c'est impossible, car nous n'avons pas de loisirs.

Il y a quelques années, Industrie Canada a entrepris une étude intéressante sur les PME. Le ministère voulait former des réseaux de collaboration ici même, dans la région du Grand Toronto. Or, non seulement il a découvert qu'il fallait convaincre les intéressés de l'importance de collaborer, mais on a surtout constaté qu'il était nécessaire d'offrir aux collaborateurs les outils nécessaires pour qu'ils puissent collaborer. Or, cela ne coûte pas bien cher.

Prenez par exemple Jeffrey Dyer qui, dans son ouvrage intitulé Competitive Advantage, étudie la chaîne d'approvisionnement mise en place par Toyota. Il explique que la production automobile est une entreprise extrêmement complexe. Je dirais qu'il en va de même avec les soins de santé mentale. En termes de qualité, les données recueillies montrent que chez Toyota, les coûts de transaction sont les plus faibles par rapport aux autres fabricants automobiles. Toyota a réussi à se doter d'un réseau de fournisseurs grâce à ce que Mintzberg a appelé la « mentalité de l'entreprise unique », en vertu de laquelle Toyota forme ses propres fournisseurs. Ensemble, tous se penchent sur les questions de qualité, et la consultation est toujours disponible.

Nous pouvons apprendre, à partir de ce qui se fait ailleurs, comment avoir le même état d'esprit, c'est-à-dire avoir la mentalité du système de santé mentale unique au niveau approprié. Mais il ne faudrait pas qu'il soit trop ambitieux. Il faut comprendre que l'Ontario aura des défis à relever lorsqu'elle instaurera ses réseaux locaux d'intégration des services de santé, dans le centre-nord. Les RLIS, qui entreront en vigueur le 1er avril, partent de North York jusqu'à Grey-Bruce et ne forment pas nécessairement un milieu naturel. Celui du centre-est ira de Scarborough à Haliburton, et là non plus, on ne forme pas une communauté d'intérêts naturelle.

Malgré tout, il se pourrait que parfois, les gens de Scarborough aient besoin de parler à ceux de la région de Durham qui jouxte celle de Scarborough. C'est parce qu'il y aura des dossiers qui passeront d'un secteur à l'autre. Toutefois, les réseaux existent déjà.

Je n'en dirai pas plus. Il se fait déjà beaucoup de réseautage. Vous n'aurez qu'à poser la question lorsque vous visiterez les diverses collectivités. Vous pourriez demander s'il y a des résultats, dans les collectivités, démontrant que les fournisseurs sont capables de fournir des services en collaboration. J'ai l'impression qu'on vous citera beaucoup d'exemples comme celui de London dont vous a parlé Gordon.

M. Milak : Les clients et les travailleurs de première ligne sont les plus frustrés, peu importe leur discipline, et ils sont très désireux de cerner les lacunes et les secteurs où il faut apporter du changement.

Votre rapport critique à juste titre la segmentation du système. Bien sûr, il nous faut des spécialités. Toutefois, — et c'est un défi —, chaque discipline finit par dépendre presque uniquement de ses propres solutions, et il devient alors presque impossible à chacune d'entre elles de comprendre de façon exhaustive la valeur du reste du système. Il nous faut un changement systémique et créer des équipes interdisciplinaires. Je parle ici de ceux qui donnent les soins, c'est- à-dire des médecins, infirmières, travailleurs sociaux et autres travailleurs de la santé mentale qui collaborent les uns avec les autres. Cela suppose un changement de philosophie du tout au tout. Le gouvernement fédéral doit montrer l'exemple au gouvernement provincial, mais le changement doit se faire simultanément et également au niveau des fournisseurs de soins et de services de première ligne.

Le sénateur Cordy : Vous parlez d'un changement de philosophie. Nous savons très bien que la désinstitutionnalisation n'a pas nécessairement entraîné un transfert des ressources vers les collectivités. On sait également que l'on continue à se tourner vers le modèle du médecin attaché à un hôpital. Plusieurs nous ont dit que ce qu'ils recherchent surtout, c'est le sens d'appartenance à la communauté, et c'est ce dont vous parliez ce matin. Ils nous ont également dit qu'ils souhaitaient que le gouvernement finance les groupes de pairs pour qu'ils se réunissent et organisent des activités sociales, telles que la danse. Et pourtant, même si l'on peut parler d'une certaine collaboration et d'un certain réseautage chez les fournisseurs de services, les ministères semblent continuer à fonctionner en vase clos.

Le ministère de la Santé vous subventionne-t-il en vue du réseautage par le jumelage? Comment les ministères font- ils?

En second lieu, j'aimerais savoir si on a besoin de financement ciblé. L'un de vous a mentionné le financement direct et les besoins en matière de financement. Devrait-on prôner le financement ciblé de façon à offrir les services demandés par la population?

M. Lurie : Je regardais justement le rapport, et j'ai surligné ce que nous avons dit sur la question en 1998. Je vais d'ailleurs laisser cela au sénateur Kirby. Il faut que les ministères se consultent, et je donnerais comme exemple le dossier du logement.

On pourrait faire valoir que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer en matière de logement. De plus, il existe une stratégie Ontario-Canada sur le logement abordable dont on est encore en train d'établir le mandat. On parle ici de 20 000 logements abordables à Toronto. Il faudrait sans doute que les deux paliers de gouvernement s'engagent en ce sens. Mais le gouvernement fédéral pourrait peut-être faire preuve d'une certaine souplesse et décider d'injecter certains fonds pour aider l'Ontario, si celle-ci était incapable de financer la construction des logements abordables pendant les trois premières années, pour cause de déficit. Le ministère de la Santé a ce qu'il faut pour subventionner les services de soutien, grâce aux fonds reçus en vertu de l'entente sur la santé.

Il s'agit pour le gouvernement de regarder ce qu'il faut et quels sont les objectifs en matière de logement. Le gouvernement pourrait aussi se demander comment faire pour mettre en commun tous les montants nécessaires, comme l'ont fait le Royaume-Uni et d'autres pays. Il devrait également permettre une certaine marge de manœuvre en fonction de la capacité de payer de chacun. Cela aussi est important.

Mais le gouvernement fédéral pourrait également décider de ne pas financer l'Ontario parce que le gouvernement ontarien refuse de verser des fonds de contrepartie. Je répliquerais à cela que le simple citoyen ne veut pas savoir d'où proviennent les fonds. Le gouvernement fédéral pourrait plutôt décider de verser au moins sa part, en faisant comprendre aux Ontariens qu'ils auraient pu recevoir plus encore si le gouvernement provincial avait accepté de verser des fonds en contrepartie.

Mais il y a aussi les autres secteurs qui relèvent de la compétence du gouvernement fédéral. On vous a parlé de la gamme des services nécessaires aux immigrants et aux réfugiés. Le gouvernement fédéral ne verse rien pour combler les besoins en santé mentale des immigrants et des réfugiés, car il affirme que ces soins relèvent de la province. Or, la province nous dit à son tour qu'elle ne peut même pas financer les soins de santé communautaires ici, mais qu'elle voudrait savoir aussi comment elle pourrait subventionner plus d'organisations plus petites comme Hong Fook, ou Across Boundaries, par exemple.

Il faut que l'on s'entende sur ce qui doit être instauré au palier provincial. La planification doit se faire à partir de la base vers le haut, et il faudrait par exemple que les habitants de North York se regroupent pour se demander s'il y a suffisamment de programmes de soutien des pairs à North York et comment il est possible de changer la situation, dans la négative.

Une partie du travail consiste à cerner les fonctions essentielles, comme l'a fait le rapport Graham. Il faut que le plan d'action national et le plan d'action provincial se concertent pour qu'il y ait accès au traitement. Il faut des programmes de réaction aux crises et de gestion des cas, de même que des programmes de soutien au consommateur et à la famille. Il faut donc offrir tout un menu de services. Puis, le gouvernement fédéral pourra dire aux provinces qu'ensemble, il faut faire en sorte que les fonds versés soient utilisés localement pour certains services, tout en laissant justement la collectivité décider par elle-même quelle est la meilleure façon de les utiliser.

Une éventuelle commission de la santé mentale pourrait servir de chien de garde, puisqu'elle mènerait des audiences d'un bout à l'autre du pays pour évaluer si les provinces, comme l'Ontario, ont bien compris la façon de faire ou pas.

Il faut être polyvalents. Je vous rappelle que l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont décidé que 3 p. 100 de leur population souffrant de maladie mentale aurait accès aux soins à tout moment. Sept ans après l'instauration du régime de soins de santé mentale néo-zélandais, on soigne en moyenne partout au pays 2,5 p. 100 de la population malade. La Nouvelle-Zélande a donc démontré sérieusement qu'elle voulait atteindre cet objectif de service. Il s'agit là d'objectifs qu'il est important de préciser, que l'on parle d'un régime de santé mentale provincial ou d'un autre régime.

En 1992, l'Ontario s'est donné pour cible les niveaux de financement de la Nouvelle-Zélande. On voulait qu'en 2003 la collectivité bénéficie de 60 p. 100 du financement. Nous sommes maintenant en 2005. Le financement est passé de 20 p. 100 à 40 p. 100. Combien de temps cela prendra-t-il pour qu'on atteigne notre objectif?

Pour vous donner un exemple, sur le terrain, le gouvernement fédéral se débrouille bien, même s'il s'agit d'un processus annuel, car la responsabilité et le financement des programmes d'emploi lui reviennent. Ici, le ministère de la Santé ne peut pas se permettre de financer les programmes d'emploi. Notre association, par exemple, a pu bénéficier d'environ 750 000 $ par année, financement qui est destiné aux programmes d'emploi ciblant les personnes souffrant de troubles psychologiques qui ont du mal à se trouver ou à garder un emploi.

S'il est vrai que diverses administrations sont concernées, il faut tout de même s'assurer que le financement des programmes d'emploi soit disponible en même temps que les fonds consentis par le ministère de la Santé à la gestion des cas. L'approche utilisée est personnalisée, c'est-à-dire qu'il faut définir les besoins des collectivités puis déterminer quel rôle peuvent jouer les différents paliers de gouvernement.

Il y a autre chose d'intéressant. Pour ce qui est de l'emploi, nous bénéficions non seulement du financement fédéral mais également du POSPH. C'est une approche qu'on peut qualifier de multiministérielle. Par contre, le demandeur d'emploi ne sait pas que c'est le gouvernement fédéral qui le finance ni que c'est le POSPH qui finance le travailleur qui l'aide à trouver du travail. Le demandeur d'emploi sait tout simplement qu'il y a un travailleur qui l'aide à se trouver un emploi. C'est un bon modèle.

Le sénateur Cordy : Paul, j'aimerais qu'on parle de la prévention du suicide et des programmes. Comment faites- vous pour montrer aux gens comment identifier les personnes à risque? Existe-t-il des programmes, par exemple, dans les écoles où vous ciblez un groupe particulier? Vous avez mentionné l'incidence du suicide chez les hommes. Comment faire pour cibler un groupe précis?

Je me souviens quand on a commencé à enseigner l'éducation sexuelle. Ça a soulevé un véritable tollé et on disait que si on leur parlait de contraception à l'école, on inciterait les élèves à avoir des relations sexuelles. Est-ce que la prévention du suicide et les programmes sur le suicide dans les écoles ont suscité la même réaction?

Le Dr Links : Vous soulevez un aspect très important qui fait en réalité partie des objectifs de la stratégie nationale. Il faut qu'on ait une méthode de sensibilisation préventive. Les premiers intervenants doivent savoir qui est à risque et comment réagir.

Par exemple, nous collaborons actuellement avec la Toronto Transit Commission afin de permettre au personnel d'identifier les personnes stressées ou à risque dans le but d'augmenter le nombre de ce qu'on appelle les « arrestations » menant à la prise en charge des personnes concernées par les hôpitaux ou les centres de soins, faisant ainsi baisser le nombre potentiel de suicides dans le métro.

Il faut procéder prudemment parce qu'on ne peut pas vraiment espérer avoir un impact si, en plus de la sensibilisation, on n'explique pas clairement aux personnes concernées ce qu'il faut faire et vers qui il faut se tourner. Il est clair que la sensibilisation préventive fait partie de tout programme de prévention du suicide qui se veut efficace.

Le sénateur Cordy : Vous avez parlé du système de transport en commun?

Le Dr Links : Oui, la Toronto Transit Commission. Les suicides dans le métro, c'est un véritable problème. L'objectif, c'est de montrer au personnel ce qu'il peut faire pour le prévenir. C'est un bon exemple de programme de sensibilisation préventive.

Je répéterai ce qu'a dit Steve. Pour ce qui est de la prévention du suicide, nous sommes conscients de certaines choses : nous savons ce que nous devrions faire, quels devraient être les objectifs et dans quels secteurs nous devrions mener. Par contre, il y a un élément qui manque et qui est dans votre rapport, le leadership. Le leadership fédéral aurait un impact sur la prévention du suicide parce que le gouvernement pourrait établir des objectifs, comme d'autres pays l'ont fait, en matière de réduction des taux de suicide. On pourrait ensuite se servir de ce paramètre, parmi d'autres, afin de déterminer si l'argent est dépensé à bon escient.

Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai deux questions à vous poser ce matin. Ce plan est excellent. Parfois, je me demande si nous ne réinventons pas la roue. Votre dernière remarque sur le leadership fédéral qui fera toute la différence va au cœur du mandat de notre comité. Vous nous donnez l'espoir que nous ne faisons pas trop double emploi.

Premièrement, quelle réponse avez-vous eue du gouvernement fédéral, puisque c'est lui que nous représentons, au sujet de cet excellent plan?

Deuxièmement, je suis un vieux médecin de famille et je crois fermement que si nous avions la chance de recommencer à zéro, nous considérerions probablement que l'idéal, c'est le centre de santé communautaire.

Par exemple, à St. John, on est à mettre sur pied un centre qui rassemblera divers aspects des soins de santé plutôt que de créer des cliniques pour la santé mentale et ainsi de suite. Je reconnais que la santé mentale nécessite beaucoup d'attention spéciale. Je me demande toutefois si on ne pourrait pas rassembler les ressources des collectivités et des régions et, en collaboration avec tous les dispensateurs de soins de santé, sous l'égide du gouvernement fédéral, servir la population beaucoup mieux qu'à l'heure actuelle.

Il est particulièrement difficile d'amener les omnipraticiens, les médecins eux-mêmes, à embrasser ce concept. Est-ce que ce ne serait pas l'idéal que de mettre sur pied des centres de santé communautaire dans chaque collectivité, dans chaque région, à l'échelle du pays?

Le Dr Links : Je répondrai d'abord à votre première question. Ce plan n'a été rendu public qu'en octobre et nous nous occupons encore de le faire connaître. Certaines collectivités ont examiné le document et nous ont dit qu'elles travaillent à des initiatives de ce genre.

Ainsi, un groupe associé à l'ACPS travaille à mettre sur pied une ligne téléphonique nationale pour les personnes en crise qui auraient le même numéro 300 dans tout le pays. On vise à créer quelque chose qui serait facilement accessible partout. Nous avons aussi entendu parler d'autres initiatives.

Dans notre province, l'Association of General Hospitals with Psychiatric Services a récemment lancé un projet de prévention du suicide dans les hôpitaux généraux où on trouve, bien sûr, beaucoup de gens à risque.

Quand nous avons rendu public notre plan, le défrichage avait été fait. Dans le domaine de la prévention du suicide, on travaille en étroite collaboration depuis longtemps. C'est là le message que nous voulons transmettre. Si le leadership existe, on peut accomplir beaucoup.

M. Milak : Au sujet des centres de santé communautaire, notre organisme est convaincu que ce modèle a beaucoup de mérite. Et cela ne se limite pas aux centres de santé communautaire : Nous croyons aussi que les soins à domicile pourraient revêtir plus d'importance. En Ontario, on a un des plus hauts niveaux de soins à domicile au pays, mais les services infirmiers sont encore rationnés. La capacité de dépistage précoce s'en trouve minée, surtout auprès des personnes âgées. De même, parce qu'il n'y a plus d'infirmières dans les écoles, on n'est plus en mesure d'identifier très tôt les enfants qui ont besoin d'aide.

M. Lurie : Comme l'a dit Gordon, il n'y a pas de solution universelle. Les centres de santé communautaire font du bon travail. À Ottawa, il y a un ou deux centres de santé communautaire qui se composent d'équipes de traitement très dynamiques. Je sais que Carrie Hayward vous en a parlé l'autre jour. C'est un partenariat au sein d'une seule organisation. Ça permet d'offrir des services spécialisés à ceux qui souffrent de troubles mentaux graves et d'améliorer les soins primaires.

Il y a bien d'autres exemples. La section de Windsor de l'ACSM a pu recruter une infirmière praticienne pour ses clients souffrant de troubles mentaux graves et, en un an, a pu desservir 800 personnes. Quand j'ai entendu parler de ce projet, je me suis dit que j'aimerais en faire autant à Toronto. Toutefois, ce n'est pas possible car Toronto n'a pas été désignée comme région insuffisamment desservie par le ministère de la Santé comme l'a été Windsor. Si nous avions dit au ministère de la Santé que le domaine de la santé mentale était insuffisamment desservi, nous y aurions peut-être eu droit, mais ça n'a pas été possible.

Il y a aussi les modèles de soins partagés que Nick Kates et ses collègues ont mis au point. J'espère qu'ils présenteront des mémoires à votre comité ou y témoigneront. On a consacré 20 ans de travail à la question du soutien aux médecins de famille. Paul Links et moi avons assisté à une rencontre au printemps dernier où un réseau d'omnipraticiens et de psychothérapeutes collaborant avec des psychiatres a été formé autour des questions de santé mentale.

Il y a un grand nombre de modèles. Les cadres conceptuels que je signale à votre attention sont, dans une certaine mesure, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. Au niveau de la planification, ces pays ne se sont pas trompés.

Dans une perspective démographique, si vous dites qu'un Canadien sur cinq ou 20 p. 100 de la population a une maladie mentale, mais que 17 p. 100 auront des formes douces à modérées de maladie mentale, et étant donné que les médecins de famille sont les portiers de la santé mentale dans au moins 50 p. 100 des cas, vous pourriez décider que le principal point d'accès sera le médecin de famille ou le centre de santé communautaire, mais vous voudrez peut-être un cadre de soins partagés. Vous voudrez peut-être une assistance technique qui sera fournie aux omnipraticiens dans le cadre d'un programme structuré.

Helen Lester est psychiatre et pratique à Birmingham. Elle a fait un examen intéressant de la question de l'accès aux soins pour les personnes éprouvant un trouble mental qui sont passées par les omnipraticiens. Elle a constaté que si l'on s'adressait à l'omnipraticien, on pouvait obtenir un accès rapide à des soins, ce qui est une bonne chose. Ces soins étaient aisément accessibles. Cependant, elle a également constaté que, par exemple, étant donné que les omnipraticiens n'ont pas une longue formation en santé mentale, ils avaient une force tendance à la stigmatisation. Des patients ont rapporté qu'ils disaient à leur omnipraticien qu'ils voulaient retourner au travail, et l'omnipraticien leur répondait : « Vous êtes schizophrène. Vous ne pouvez pas travailler. »

Il y a beaucoup à faire de ce côté. Nous pouvons utiliser l'initiative de réforme des soins de santé primaires pour bâtir des ponts plus solides.

Le sénateur Keon : Merci pour ces exposés qui donnent amplement matière à réflexion et pour ces informations abondantes dont nous ferons notre profit sans aucun doute.

Comme vous le savez, c'est la première province où nous allons. Nous allons visiter toutes les provinces et tous les territoires et nous espérons que, d'ici décembre, nous produirons un rapport qui constituera en fait une sorte de plan stratégique pour la santé mentale. Notre pays est le seul du G8 qui n'a pas un tel plan. Ce sera un cadre structurel qui unira tous les services que vous avez mentionnés, Steve. Ce sera le « menu » qui rendra cela possible.

Ce qu'on nous a dit jusqu'à ce jour, c'est que le chaînon manquant, c'est la combinaison de services communautaires, de soins primaires, de soins à domicile et de soins d'urgence au niveau communautaire. Nous tâchons de trouver un moyen d'unir tout cela.

Je connais assez bien le modèle de l'Ontario parce que j'ai travaillé dans le système ontarien comme praticien et administrateur de la santé pendant 35 ans. Quand on regarde ce modèle et l'organigramme du ministère de la Santé et le reste, c'est vraiment un cauchemar.

On s'apprête à créer les RLISS et, en santé mentale, on propose neuf régions. Elles n'ont pas encore été créées, mais on en est au niveau de la planification, et ces régions ne correspondent pas aux territoires des RLISS. Tous les silos du ministère de la Santé financent ceci et cela. On n'a pas grand-chance d'obtenir des ressources sous forme de personnel et d'argent pour combler les trous dans le système et compléter les bonnes ressources qu'on a déjà.

Les services de santé mentale devraient-ils être planifiés à l'intérieur du système de santé existant en Ontario? Une bonne part de cette planification se faisait à l'extérieur, mais on assiste à une intégration graduelle. Comment peut-on faire le pont avec les services sociaux et communautaires? Je n'y crois pas, mais y a-t-il encore lieu de planifier un système de santé mentale qui opérerait une jonction avec le système de santé et le système des services sociaux? J'aimerais avoir votre avis à tous trois sur cette question.

M. Lurie : Je vais commencer par une rétrospective historique. Lorsque nous avons ouvert nos asiles dans notre pays, il y avait séparation. Puis est arrivé le secteur hospitalier général. Dans les années 1960 et 1970, on a assisté à la création des unités psychiatriques dans les hôpitaux généraux. Puis, dans les années 1980 et 1990, on a vu émerger la notion de santé mentale communautaire. Depuis ce temps, nous essayons d'harmoniser le système.

Les groupes de travail que vous avez mentionnés ont proposé divers modèles, mais chose intéressante, à l'exception du sud-ouest, qui a épousé un pur modèle de réseau, les autres groupes de travail ont dit qu'il nous fallait une autorité de santé mentale quelconque, comme la Commission de santé mentale du Nouveau-Brunswick, qui connaissait beaucoup de succès.

Je pense qu'il faudra toujours insérer la santé mentale dans le système de santé général. La discussion que nous avons eue à propos de l'accès aux soins de santé primaires pour les personnes atteintes de maladie mentale grave en est un bon exemple. Il faut aussi pouvoir organiser le système de santé mentale et le système de traitement des toxicomanies parce qu'ils ne sont pas organisés. Comme je l'ai dit plus tôt, cela peut venir d'un effort de planification communautaire où des objectifs précis auront été arrêtés.

Je tiens à vous donner un exemple concret parce qu'on peut aller dans un sens ou dans l'autre ici. À Auckland — et j'aurai la chance de voir tout cela de mes yeux dans quelques semaines — il existe, comme vous le savez, un plan de santé mentale qui précise les moyens qu'il faut mettre en place à Auckland. Comme l'a dit leur administrateur de la santé mentale là-bas, ils ont « un conseil de district de la santé qui ne connaît pas grand-chose à propos de la santé mentale ». Cependant, ils ont une coalition de 40 fournisseurs, consommateurs et groupes familiaux qui se réunissent chaque année pour étudier le plan de santé mentale, le situer au niveau d'Auckland et voir où ils doivent investir les ressources. Ils posent la question suivante : « Obtenons-nous les résultats qu'il nous faut? » Puis ils présentent un rapport au conseil de district de la santé, qui l'approuve.

Le sénateur Keon : Steve, permettez-moi de vous interrompre un instant. Je connais assez bien le système là-bas, et j'ai d'ailleurs une nièce qui est dans ce système. Le fait est que le gouvernement de ce pays est unicaméral, la population est peu nombreuse et l'organigramme est simple.

Quand vous serez là-bas, auriez-vous l'obligeance de réfléchir à la manière dont nous pourrions transplanter ce très joli tableau dans notre mosaïque fédérale-provinciale?

M. Lurie : Étant donné la séparation traditionnelle des pouvoirs, les provinces devront avoir des plans de santé mentale avec des objectifs fixes, des cibles de financement et des affectations de fonds irrévocables. C'est un élément essentiel dans notre pays.

Si vous pouviez les convaincre que vous allez travailler avec elles dans certains dossiers, et que le gouvernement fédéral va absorber sa part des coûts, ce serait une amélioration. Dans ce cadre — et Graham l'a dit en 1988, Wilson et ses collègues l'ont dit en 1999 et 2003 — il vous faudra quand même des plans régionaux et locaux pour faire le travail. Puis le financement doit correspondre aux plans locaux et régionaux.

Lorsque vous irez au Nouveau-Brunswick, vous pourriez leur demander de réfléchir à ce qu'ils ont fait en santé mentale, en vous appuyant sur l'expérience qu'ils ont acquise avec la Commission de la santé mentale. Cette région du pays est celle qui a agi le plus rapidement et le plus efficacement. C'est une petite commission comportant des divisions régionales. S'ils comparent l'expérience qu'ils ont eue avec la Commission à ce qu'ils ont maintenant, où les services de santé mentale ont été réintégrés au ministère de la Santé, est-ce qu'ils vous diront que c'est mieux?

L'autre question est celle-ci, et j'ai eu du mal à obtenir des données partout au pays, comment se porte la santé mentale dans un contexte d'autorité de la santé dans notre pays? Je me rappelle en avoir discuté avec Glen Rutherford qui dirigeait le Centre de santé mentale de Saskatoon. Il m'a dit, il y a environ cinq ans : « J'ai le meilleur service de santé mentale des années 1950 que tu peux imaginer. » Je lui ai demandé : « Mais pourquoi? » Sa réponse : « Parce que chaque fois que nous trouvons une approche innovatrice pour économiser de l'argent et créer des capacités communautaires en santé mentale, l'argent est aspiré par les soins de santé physique. »

C'est un vrai problème. Ce qu'il faut faire, c'est préciser ce dont chaque gouvernement provincial a besoin pour avoir un plan en santé mentale avec des objectifs fixes, des cibles de rendement et une stratégie de financement. Que l'on soit dans un contexte d'autorité de la santé ou un contexte où l'autorité de santé mentale est distincte, on aurait au moins un plan. Est-ce que nous faisons des progrès? Est-ce que ce menu de services est en place, oui ou non? Est-ce que le service est de qualité, oui ou non? Comment saurons-nous tout cela? On le saura en effectuant des contrôles suivis et en finançant la recherche et l'évaluation. Je ne crois pas qu'on puisse y aller simplement à la pièce.

Certains vous diront que la santé mentale ferait davantage parler d'elle si elle était séparée du reste. Ici en Ontario, on parle d'une dépense d'environ probablement 1,5 à 2 milliards de dollars. C'est assez d'argent pour en faire un ministère.

Quand vous serez en Colombie-Britannique, vous trouverez intéressant de leur demander quelle expérience ils ont vécue avec leur ministère d'État à la santé mentale. Ce ministère a-t-il changé des choses?

M. Milak : J'aimerais parler de cette question d'un point de vue plus proche de l'Ontario rurale.

Je viens d'apprendre que je serai situé dans le RLISS qui s'étend du lac Érié jusqu'à Owen Sound. Cela représente environ 1 million de personnes, dont seulement 350 sont dans la ville de London, si bien que le reste de la population fait moins de 50 personnes par kilomètre carré.

Quand on parle de ressources dans le continuum, qu'il s'agisse de santé primaire, de santé mentale ou même des autres services de soutien communautaire, je pense que la base démographique serait semblable à cela dans de nombreuses provinces dans les secteurs hors des centres urbains. Par conséquent, offrir un accès, offrir des ressources humaines et, en particulier, des ressources spécialisées devient incroyablement compliqué. Pour ce qui est des médecins de famille, c'est une situation grave dans ces régions. Il est particulièrement important que quelqu'un se fasse la porte d'accès à ces services.

Il est également important que ce service ait une base communautaire. De toute évidence, il y a des situations uniques. Je suis d'accord avec Steve pour dire qu'il faut planifier à des niveaux multiples afin d'être efficaces, mais il faut qu'il y ait intégration.

L'un de nos programmes est la visite de bénévoles. Tout simplement, vous vous liez d'amitié avec une personne âgée qui commence à se retirer socialement et qui, si elle est laissée à elle-même, risque de voir sa santé dépérir et peut-être d'être admise plus tôt et inutilement dans une maison de soins de longue durée. Cela ressemble à la situation que mentionnait le premier groupe de témoins, c'est-à-dire se réunir une fois par mois et danser pendant quelques heures. Pour les problèmes de santé mentale, c'est la même chose. C'est une communauté intégrée. Il s'agit de vivre indépendamment dans son milieu le plus longtemps possible, et cela nécessite la création de tous ces réseaux interministériels. Si ceux-ci sont indépendants, il faut les souder. S'ils sont regroupés dans un super ministère, il faut alors qu'ils soient très rationalisés de telle sorte que la bureaucratie ne consomme pas toutes les ressources.

Le Dr Links : Je suis d'accord avec Steve. Il faut comprendre qu'il doit y avoir des ressources protégées. Qu'on soit dans le système ou en dehors, il faut un ensemble de ressources qui restera à l'abri des autres initiatives. Ce qu'on a dit à propos des résultats d'évaluation est important, et cela pourrait certainement être le déclencheur.

Je le répète, le leadership est très important. Quand j'étais dans une grande université des États-Unis, on donnait l'exemple de la stratégie américaine. Dans cette grande université, le travailleur en santé mentale était la personne qui avait lancé la prévention primaire en matière de suicide avant même que la stratégie soit mise en place. Cette responsabilité appartient maintenant au vice-président aux affaires étudiantes. Le leadership fait toute la différence.

Le sénateur Callbeck : Je n'ai qu'une question qui rejoint ce que Steve a dit dans son exposé à propos de l'amélioration des services pour les malades mentaux qui se retrouvent dans le système de justice pénale.

Le projet de loi C-10 est actuellement étudié par le Sénat. Il propose de modifier le Code criminel pour les personnes inaptes à subir un procès et celles qui ne peuvent être jugées criminellement responsables pour des actes criminels. J'ignore si vous connaissez ce projet de loi, mais il donne des outils supplémentaires à la commission de révision, à la police pour faire son travail et il permettra de modifier la manière dont sont traitées les déclarations de victimes. J'aimerais que vous me disiez ce que vous pensez de ce projet de loi, si vous le connaissez.

M. Lurie : Je connais un certain nombre de projets de loi. Des collègues du CTSM ont comparu devant le Comité de la justice des Communes et si c'est le projet de loi que ce comité étudiait, je le connais un peu.

Dans le contexte de l'appareil de la justice pénale, je dirais que depuis les modifications apportées au Code criminel en 1992, il y a ce que certains appellent une extension du champ de l'appareil légal. C'est intéressant parce que selon un document publié par l'Ontario, si on n'y met pas bonne mesure, tous les lits de nos hôpitaux psychiatriques risquent de devenir d'ici cinq ans des lits de psychiatrie légale.

Le comble, c'est qu'ici à Toronto, où le programme de santé mentale regroupe environ 220 personnes, c'est-à-dire des personnes qui ont commis un délit criminel, 50 p. 100 des délits n'impliquent pas de lésions aux droits d'autrui. Prenons maintenant la situation dans le système de justice pénale ici à Toronto. Nos données nous apprennent que chaque année 2 300 personnes souffrant de problèmes mentaux passent par le système de justice pénale. Les délits vont du simple délit de, disons, troubles de l'ordre public jusqu'au meurtre. Ils ne se retrouvent pas tous dans le système légal, mais ils ont tous besoin de soins de santé mentale.

Nous avons fait une étude sur cette question et je peux vous la faire parvenir si vous le souhaitez. Les rapports des services de soutien des cinq tribunaux de Toronto nous apprennent que près de 40 p. 100 des clients font l'objet d'évaluations d'aptitude. Heureusement, grâce au programme de soutien des tribunaux et à la présence sur place de psychiatres, ces évaluations peuvent être faites dans les cellules sans avoir besoin d'envoyer les intéressés séjourner pendant cinq à 30 jours, voire 60 jours, dans un hôpital psychiatrique.

Nous avons constaté que 70 p. 100 des intéressés finissaient par être déclarés aptes et étaient renvoyés devant le tribunal. C'est significatif. Cela veut dire que présenter à des juges des gens soi-disant mentalement malade sans évaluation préalable ne pose pas de problème. Pour moi le gros problème c'est l'accès aux services psychiatriques et au traitement. En fait, la situation régresse dans notre province car, selon le ministère du Procureur général, désormais ne seront financées que les évaluations pour des faits relevant du Code criminel dans le cadre des programmes de soutien aux tribunaux. Cela signifie que notre agence a dû payer de sa poche les simples évaluations psychiatriques grâce à une entente de partenariat avec l'hôpital de Scarborough qui permet aux prévenus d'être libérés sous caution.

Ce n'est pas une simple question d'aptitude. C'est une question d'accès aux soins de santé mentale. Mon collègue du CTSM, le Dr Howard Barbaree, qui est responsable du programme concernant la santé mentale et le droit, a préparé un rapport interne il y a quelques années pour notre Comité de la justice et de la santé mentale. Selon ce sous-comité, peu importe le système dans lequel se trouve le prévenu, il lui faut un accès décent aux soins de santé mentale. S'il est dans le circuit correctionnel et qu'il a besoin de voir un psychiatre, il devrait pouvoir en voir un.

À Toronto, 50 p. 100 des lits dans les unités de besoins spéciaux de nos prisons sont occupés par des gens qui souffrent de maladie mentale grave et elles ne peuvent assurer ce genre de service. C'est un énorme problème. C'est la raison pour laquelle j'estime que le fédéral a un rôle à jouer et je recommande qu'il examine avec les provinces et les territoires les modèles qui pourraient faire changer les choses. Pas pour pallier cette petite augmentation des cas qui relèvent de la médecine légale, mais pour les milliers qui ont des problèmes avec la loi causés par un problème de santé mentale et qui ont besoin d'aide.

Le sénateur Cochrane : Steve, vous avez dit que le gouvernement fédéral finançait la recherche d'emploi pour nos bénéficiaires à hauteur de 750 000 $. À mon avis, c'est très peu, parce que si l'on prend 750 $ il faut quand même tenir compte des économies que cela suppose pour nos hôpitaux, notre système de soins de la santé, nos médicaments et tout le reste. C'est une bagatelle. On essaie simplement de trouver de l'emploi ou de l'emploi à temps partiel pour nos gens.

Gordon pourrait-il nous éclairer sur votre nouveau système de coordination au niveau de la ligne de feu à London. Je suis sûre que ce sera aussi un succès lorsqu'on s'en servira à Toronto. Y aura-t-il quelqu'un là pour répondre aux questions des immigrants? À Toronto, nous avons découvert ce matin que 55 p. 100 des bénéficiaires sont des immigrants. Ce chiffre m'affole. On ne prend pas soin d'eux. Ils n'ont pas de voix.

Steve, vous nous avez parlé du succès de votre projet sur le logement. La Dream Team a fait une excellente présentation et je les ai appuyés. C'est toute une organisation. Ces gens-là font-ils partie de votre équipe sur le logement?

M. Lurie : Je vais vous dire comment la Dream Team a été fondée. Comme vous le savez, ce sont des chefs de file au niveau de la consommation et de la famille dans notre communauté et nous sommes vraiment chanceux de pouvoir compter sur eux. Il y avait une organisation qui s'appelait Boards for Mental Health — ils vous en ont peut-être touché un mot lors de leur présentation — qui se réunissait depuis des années pour essayer de regrouper tous les fournisseurs de logements et de soins de santé mentale au niveau de la gouvernance. À l'occasion, on permettait aux cadres supérieurs de participer aux réunions. Ce groupe essayait de savoir ce qu'il fallait faire parce qu'il connaissait des problèmes au niveau du financement provincial, problèmes qui semblaient insolubles. Évidemment, il y avait ce phénomène du « pas dans ma cour » dont ils vous ont parlé.

Linda Chamberlain écoutait ce qui se disait et j'ai fait l'erreur de dire : « je crois que nous donnons des coups d'épée dans l'eau. Peut-être devrions-nous penser à ce que nous pourrions faire et ne nous rencontrer que lorsque nous aurons une idée ». Linda a dit : « De quoi parlez-vous? » Elle a raconté son histoire à l'assemblée exactement comme elle vient de le faire pour vous. C'est alors qu'un certain nombre d'entre nous ont dit : « Mon Dieu! Voilà ce qu'il vous faut. Vous avez besoin de gens pour donner un visage à la maladie mentale et qui pourront faire voir qu'il y a une lumière au bout du tunnel. Ils pourront nous parler des clés du problème : l'espoir, du travail et un ami. Raymond Chung vous a parlé de toutes ces choses qui, clairement, sont un des ingrédients du succès au niveau d'une stratégie du logement. Ces choses découlent de la disponibilité de fonds versés en appui au logement. C'est le résultat des 2 000 unités créées pendant les 20 dernières années, mais nous ne pouvons pas attendre encore 20 ans avant d'en avoir d'autres.

Quant à la question des immigrants, DART, le répertoire des traitements en matière de drogue et d'alcool qui existe à London, jouit d'un accès immédiat à des services d'interprétation. Les gens sur la ligne de feu s'expriment en 70 ou 80 langues. Si les gens appellent et demandent un service d'aide en santé mentale et qu'ils ne parlent pas anglais, les standardistes peuvent renvoyer l'appel à quelqu'un qui parle la langue du client. Sur la ligne de feu, c'est un facteur critique. On a la technologie qu'il faut pour le faire.

Par souci de précision, parce qu'il s'agit d'un comité parlementaire, le montant de 750 000 $ dont j'ai parlé constitue le financement de notre agence. Ces fonds proviennent de DRHC et du POSPH. Je crois bien qu'il doit se dépenser pas mal plus d'argent à la grandeur du pays. Cependant, j'aimerais souligner que nous devons renouveler la demande pour ces fonds chaque année. C'est ridicule. Ce n'est pas comme si les gens n'avaient pas besoin d'un emploi d'une année à l'autre. Peut-être pourraient-ils s'inspirer du gouvernement provincial et fournir un programme de financement de base pour les soutiens à l'emploi.

Le sénateur Cochrane : Une des filles s'inquiétait de cela.

Le président : Merci à tous d'être venus et merci pour vos excellentes présentations.

Je prie les membres du dernier groupe d'experts de bien vouloir s'avancer, s'il vous plaît.

Il y a donc trois intervenants, le Dr Paul Garfinkel, le directeur du CTSM qui représente aujourd'hui le Comité de travail sur la santé mentale de l'Association des hôpitaux de l'Ontario; Mme Florence Budden, présidente élue de la Société canadienne de schizophrénie; et le Dr Nick Kates, président de l'Initiative canadienne de collaboration en santé mentale.

Nick, notre personnel a passé pas mal de temps avec Scott Dudgeon, votre directeur exécutif, et nous avons une assez bonne idée de ce que vous faites.

Merci, madame et messieurs, d'être venus. Nous allons écouter vos présentations et nous aimerions avoir beaucoup de temps pour poser nos questions.

Le Dr Nick Kates, président, Initiative canadienne de collaboration en santé mentale : L'ICCSM est un consortium de 12 organismes nationaux qui représentent les médecins de famille, psychiatres, infirmiers et infirmières, travailleurs sociaux, ergothérapeutes, psychologues, groupes de consommateurs, groupes de revendication et groupes familiaux dont le but est l'intégration des soins de santé mentale et des soins de première ligne afin d'améliorer l'accès et les résultats pour les Canadiens qui ont des problèmes de santé mentale. Au nom de ce consortium, nous vous remercions de l'occasion que vous nous donnez de comparaître devant vous.

Nous croyons que le niveau des soins de première ligne est la meilleure façon de dispenser bon nombre des services en santé mentale dont ont besoin les Canadiens, qu'il s'agisse de soins préventifs, de détection précoce, de réadaptation ou de rétablissement. La question est de savoir comment nous y prendre pour en arriver là?

Dans votre rapport, vous reconnaissez les résultats obtenus pendant les 10 dernières années grâce à la collaboration entre les psychiatres et les médecins de famille. Notre initiative se sert de cela comme base, mais on reconnaît l'importance d'élargir le cadre de collaboration afin d'y inclure une vaste gamme de fournisseurs de services de santé mentale, de consommateurs et de membres de la famille dans ces partenariats, et un important facteur de motivation au niveau de notre initiative c'est qu'une collaboration efficace servira à construire des liens entre les diverses parties du système, ce qui nous aidera à atteindre un de nos buts principaux qui est que chaque consommateur aura accès à la pleine panoplie de services et du soutien nécessaire, le tout livré de façon continue.

À notre avis, notre rapport tombe à point nommé. La réforme au niveau des soins de première ligne au pays envisage une réorganisation fondée sur des modèles regroupant le financement, l'intégration de services spécialisés, des modèles de gestion de maladies chroniques, de soins de santé intégrés, le tout fondé sur le travail en équipe et la collaboration entre partenaires. Nous voyons ici une occasion formidable pour promouvoir l'intégration de la santé mentale au niveau des soins de première ligne.

D'après nos constats, nous savons que ce genre d'intégration offre un certain nombre d'avantages. Tout d'abord, on augmente ainsi l'accès aux services de santé mentale pour un grand nombre de personnes qui, autrement, n'y auraient pas accès. Nous savons que 72 p. 100 des personnes souffrant d'un problème de santé mentale ne reçoivent pas de soins pendant au moins un an, mais que 80 p. 100 de ces personnes se rendent quand même chez leur médecin de famille.

Nous savons aussi qu'un certain nombre de groupes, traditionnellement, sous-utilisent les services de santé mentale : groupes ethnoculturels, les aînés, les enfants, les personnes souffrant de problèmes d'accoutumance, les sans-abri ou les défavorisés sur le plan social, ceux qui vivent en milieu rural. Nous aurons beaucoup plus de chances de joindre ces gens-là si nous pouvons offrir nos services là où se trouvent les problèmes plutôt que de nous attendre à ce que ces personnes se déplacent vers nous, chose qui, sur le plan clinique ou culturel, n'est peut-être pas la meilleure chose à faire.

Nous savons que l'intégration des services au niveau des services de première ligne peut permettre de déceler les problèmes de dépression ou d'anxiété qui vont souvent de pair avec les problèmes médicaux chroniques, et nous savons que si ces problèmes ne sont pas traités à temps, il en coûtera plus cher au réseau de la santé et les résultats seront moins bons. Nous savons que si nous pouvons intégrer santé mentale et soins de première ligne, les fournisseurs de ces soins seront beaucoup mieux en mesure de gérer ces problèmes. Les soignants de premier recours sont prêts à traiter d'une gamme de problèmes plus vaste s'ils savent que les services de soutien sont disponibles et si l'on inclut la santé mentale au niveau des soins de première ligne, alors le système de santé mentale verra augmenter sa capacité parce que nous pourrons rejoindre un plus grand nombre d'individus.

Nous croyons que ces façons de faire rendront de bien meilleurs services aux consommateurs. D'après les résultats de notre programme à Hamilton et d'autres programmes ailleurs, les consommateurs aiment ce modèle. Il est plus accessible. Culturellement, il est plus porteur et le stigmate de la participation au système de santé mentale s'en trouve sensiblement diminué.

Nous croyons aussi que cette approche tient compte de certaines des questions précises soulevées dans votre troisième rapport. Tout d'abord, il y a la détection précoce. Beaucoup d'individus se présentent aux soignants de première ligne à un stade précoce du problème dont ils souffrent. Si nous pouvons mieux former les soignants de première ligne afin qu'ils puissent identifier ces problèmes au stade précoce et que nous avons facilement accès aux services de santé mentale afin d'intervenir et de commencer le traitement, nous en tirerons beaucoup d'avantages à long terme. C'est probablement une des façons les plus efficaces d'encourager la détection précoce.

Deuxièmement, nous croyons que ce modèle permettra une utilisation plus efficace des ressources. Les spécialistes en santé mentale travaillent de plus en plus, mais pas exclusivement, à titre de consultants, accordant leur appui aux soignants de première ligne et offrant aussi une gamme d'autres services. Ce modèle permet de suivre les progrès de ces individus qui ont subi un traitement afin d'empêcher la rechute ou faciliter la prévention secondaire, surtout lorsqu'il existe des dossiers électroniques de santé qui, sur simple pression d'un bouton, permettent d'identifier un groupe de personnes qui pourraient avoir un problème précis, par exemple, à cause d'un médicament précis ou d'un événement spécifique.

À Hamilton, nous avons réussi à adapter ce modèle en milieu de travail. Nous étudions la possibilité d'offrir ce même genre de collaboration à un des plus gros employeurs de Hamilton afin de pouvoir offrir des services de santé mentale aux travailleurs.

Vous avez soulevé un certain nombre de questions précises dans votre rapport à propos des soins de première ligne. Nous y répondrons brièvement. Vous avez demandé : que faut-il faire pour améliorer la santé mentale au niveau des soins de première ligne?

À notre avis, il faut une stratégie globale dont un certain nombre d'éléments existent déjà grâce à notre initiative. Nous croyons qu'il faut analyser les forces des programmes qui ont connu du succès, les obstacles à l'intégration et comment les surmonter. Nous croyons qu'il faut développer des ressources précises pour aider ceux qui veulent mettre sur pied de nouveaux programmes. Il faut une stratégie de formation qui permettra à la prochaine génération de soignants de se sentir plus à l'aise pour travailler en collaboration et qui comprendront les principes de la collaboration. Il faut établir des projets pilotes qui nous montreront comment ces modèles fonctionnent et il est important d'évaluer tous les nouveaux projets, de préférence en adoptant des façons communes de mesurer les résultats qui pourront servir partout au pays. Il serait bon d'avoir une charte engageant tous les partenaires du consortium à travailler en collaboration afin d'intégrer les services de santé mentale et les soins de première ligne. Nous y travaillons déjà, d'ailleurs. Il faut de nouvelles stratégies de financement, des stratégies de financement qui offrent un choix autre que la rémunération à l'acte, des stratégies de financement qui signifient une modification au système de facturation pour pouvoir facturer les services indirects, les consultations téléphoniques, ainsi que des stratégies de financement qui créeront une augmentation de financement pour permettre l'intégration des services au niveau des services de première ligne.

Enfin, il est important d'étudier comment nous pouvons intégrer les services de première ligne dans les services de santé mentale. Beaucoup d'individus souffrant d'une grave maladie mentale disposent de très peu de services au niveau des soins de première ligne ou n'ont pas de médecin de famille. Il y a peu d'exemples de programmes où les infirmières de la santé publique, les infirmières praticiennes et les médecins de famille travaillent de concert au niveau de programmes de santé mentale et nous croyons que ce serait une piste de solution à suivre.

Comme je l'ai dit, l'Initiative canadienne de collaboration en santé mentale va de l'avant au niveau de certaines des questions que nous avons déjà soulevées. Nous voulons aussi dire quelques mots à propos des autres questions que vous avez soulevées dans votre rapport.

Vous avez demandé si les psychiatres devraient être des consultants ou membres d'équipes. Pour nous, les psychiatres et autres spécialistes de la santé mentale font partie intégrante des équipes cliniques de soins primaires, même s'ils exercent pendant une période limitée.

Vous avez demandé quel genre de services spécialisés peuvent être incorporés aux soins primaires. Nous estimons qu'un éventail complet de services peut être inclus. Cela comprend la détection précoce, la prévention et la promotion de la santé, les consultations, le traitement, le suivi et même certains services de réadaptation, mais nous insistons sur le fait qu'il faut voir comme complémentaires les systèmes de santé mentale et de soins primaires. L'un ne remplacera pas l'autre. Dans les travaux de recherche futurs, il faut voir quels problèmes sont le mieux traités par chaque secteur et quelles populations peuvent être le mieux servies par qui, puis s'assurer que le mouvement entre les systèmes permet aux malades d'aller là où il le faut avec le moins d'obstacles possible.

Nous voyons aussi la nécessité d'un vaste éventail de fournisseurs de soins de santé mentale en soins primaires. Nous voyons aussi les avantages de pharmaciens, diététistes, navigateurs de soins, programmes de soutien par les pairs, ainsi qu'une plus grande participation du consommateur et des membres de sa famille. Nous croyons en un modèle de soins axés sur le client. Nous pensons que les soins primaires sont idéalement placés pour le faire. Notre concept de soins axés sur le client inclut la création de plans de soins en collaboration, le consommateur étant un partenaire actif du traitement, le développement de mécanismes de soutien par les pairs et la participation du consommateur à tous les aspects de la planification, de la prestation et de l'évaluation des services de santé mentale en soins primaires.

Il y a un certain nombre d'obstacles. Les barrières psychologiques sont les plus difficiles à surmonter. Il y a aussi des contraintes de temps et des difficultés de financement mais nous croyons que les solutions à tous ces problèmes peuvent être trouvées.

Vous posez une question à propos du financement et du coût de ces initiatives. Un projet se construit en fonction des ressources mises à sa disposition. Si vous bénéficiez de peu de moyens, vous adaptez les services à ce que vous pouvez offrir mais vous vous concentrez sur ceux qui vous paraissent les plus importants. Si vous avez davantage de moyens, vous offrez une plus grande gamme de services. La flexibilité est de mise. Toutefois, notre projet et d'autres ont établi des formules précises qui établissent la quantité du temps de l'infirmière ou du travailleur social, du diététiste et du psychiatre, nécessaire à l'élaboration de modèles efficaces de soins collectifs.

Enfin, nous aimerions répondre à la question concernant la façon de conserver certains des acquis car nous estimons avoir déjà fait des progrès considérables dans l'atteinte de nos objectifs.

Une de nos convictions est tirée d'une citation d'Einstein qui a dit un jour : « La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s'attendre à un résultat différent ».

Une des raisons de notre existence, c'est que nous savons que les modèles traditionnels ne sont pas aussi efficaces que nous le souhaiterions et qu'une des solutions aux problèmes du système de santé mentale est de progresser dans cette voie. Comme je dis, nous avons fait des progrès considérables mais nous savons que notre projet prend fin en mars 2006.

Une recommandation que nous faisons est de créer un centre de promotion de soins de santé mentale collectifs entre les soins primaires et les services de santé mentale, qui pourrait faire office de centre permanent de ressources. Il pourrait gérer des sites web, diffuser de l'information et travailler de près avec les pouvoirs publics de tous les paliers parce que nous croyons, en plus du volet formation, que l'acceptation par les provinces et les territoires de ces idées est le deuxième élément clé important à sa longévité. Ce pourrait être un centre national.

Nous avons de la chance parce qu'il y a beaucoup de cohésion dans ce secteur. Nous avons pu élaborer une stratégie nationale qui pourrait, un jour, nous l'espérons, être un élément d'une stratégie de santé mentale beaucoup plus vaste. Nous aimerions avoir la chance de tirer parti de cette réalisation et de l'étendre.

Encore une fois, au nom de tous les participants à l'initiative, nous vous remercions non seulement du temps que vous nous accordez aujourd'hui mais de l'énorme contribution que vous avez faite au débat sur l'avenir des services de santé.

Le président : Merci, docteur Kates.

Nous entendons maintenant Mme Florence Budden, présidente désignée de la Société canadienne de schizophrénie. Avec un nom comme le vôtre, j'imagine que vous êtes de Terre-Neuve.

Mme Florence Budden, présidente désignée, Société canadienne de schizophrénie : Tout à fait, et j'en suis très fière.

Le président : Même si je n'avais pas reconnu le nom, j'aurais su que vous êtes de Terre-Neuve à vous entendre. Il y a deux Terre-neuviens au comité et je le suis presque puisque mes deux parents sont de Terre-Neuve. Comme les héros du film Going down the Road vous avez peut-être roulé votre bosse, mais vous êtes ici entre amis. Je vous en prie.

Mme Budden : Bonjour. Comme vous le savez peut-être, la SCS est une œuvre de bienfaisance nationale enregistrée dont la mission est d'atténuer les souffrances causées par la schizophrénie et les troubles mentaux connexes. Sur le modèle d'une fédération, nous travaillons avec dix sociétés provinciales et plus de 100 associations communautaires dans le but d'assurer une qualité de vie meilleure aux malades et à leurs familles.

Outre ses propres initiatives, la SCS est membre fondatrice de l'Alliance canadienne pour la maladie et la santé mentales et soutient vigoureusement son œuvre en faveur d'un plan d'action national pour la santé mentale.

Deux éléments importants d'un plan d'action national porteraient sur le rôle des soignants familiaux et sur la décriminalisation du malade mental. Ces deux questions cruciales ont été abordées dans le rapport du comité intitulé Problèmes et options. Je vous exposerai aujourd'hui le point de vue de la SCS sur le rôle des soignants et sur la décriminalisation des personnes atteintes de maladie mentale.

Au paragraphe 5.4 du document, vous demandez si les familles ont un accès adéquat aux ressources dont elles ont besoin pour aider leurs proches. La réponse est non. Les soignants n'ont pas suffisamment accès aux ressources dont elles ont besoin pour aider leurs proches et sont insuffisamment préparés pour faire face à la maladie. On n'a pas besoin d'un rapport d'experts pour comprendre combien les taux élevés de chômage, les lacunes des services de traitement, l'insuffisance des lois sur la santé mentale, les taux de suicide et le rapport entre la santé mentale et la criminalité ont de grandes conséquences pour les soignants qui sont souvent les seuls à soutenir leurs proches malades.

Les programmes de relève, les programmes et les documents pédagogiques, comme celui de la SCS appelé Strengthening Families Together, les campagnes de sensibilisation et les mesures de soutien du revenu sont autant d'outils qui viendraient en aide aux familles et reconnaîtraient leur rôle dans le soin des malades mentaux. Ils contribueraient à ce que les familles disposent des moyens psychologiques et financiers pour soutenir leurs proches et faire en sorte qu'ils restent des membres productifs de la société au lieu de devenir des détenus, des internés ou des sans- abri.

Les initiatives de ce genre donneront également plus de pouvoir aux familles : mieux informées, elles seront plus en mesure d'être des agents actifs dans le système de santé mentale. Faciliter l'inclusion de soignants familiaux dans des programmes comme SCPUOM et aux discussions en table ronde du ministre Tony Ianno feront beaucoup pour qu'on reconnaisse et mette en application de façon systémique les connaissances spécialisées des soignants.

Une dernière chose. Ces moyens et cette sensibilisation seront inutiles pour les familles si les professionnels de la santé ne reconnaissent pas officiellement le rôle essentiel qu'elles jouent comme soignantes et si les lois ne permettent pas aux professionnels de communiquer l'information. Si le médecin soigne une personne et, pas seulement une maladie, la famille peut donc être incluse dans l'équipe de traitement et son rôle actif favorisera des résultats meilleurs pour le malade.

En ce qui concerne la décriminalisation, au paragraphe 7.1, vous demandez ce que l'on peut faire pour améliorer les services de santé mentale dont ont besoin les détenus. Comment la collaboration peut-elle être améliorée entre les services? C'est une étape importante dans la décriminalisation du malade mental et pour s'assurer qu'ils reçoivent non pas un châtiment mais bien des traitements.

Voici les suggestions de la SCS : inclure un amendement au Code criminel qui créerait des tribunaux de santé mentale de manière à déjudiciariser les personnes atteintes de maladie mentale pour qu'elles soient traitées dans un système mieux apte à répondre à leurs besoins. Il faudrait ce genre de collaboration entre les diverses instances puisque le Code criminel est administré par les gouvernements provinciaux.

Le tribunal peut ordonner en vertu du Code criminel qu'une personne suive un traitement psychiatrique pour la rendre apte à subir son procès mais il n'existe pas de pouvoir correspondant d'ordonner le traitement de quelqu'un pour non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux. Nous recommandons vigoureusement qu'on apporte un amendement au Code criminel qui permettrait à la Commission de révision d'ordonner le traitement lorsque le malade refuse le traitement nécessaire à sa libération.

Des modifications comme celles-là corrigeraient les inégalités qui existent entre les diverses lois provinciales de santé mentale et feraient en sorte que les malades reçoivent le meilleur traitement qui soit dans un hôpital soit dans un système de psychiatrie légale. Il importe de signaler que les modifications législatives s'appliqueraient également aux lois qui encouragent le traitement précoce et le traitement de proximité lorsque la maladie empêche la personne d'accepter de plein gré d'être traitée et que des préjudices importants surviendront si le traitement n'est pas fourni.

La SCS a regroupé ces thèmes dans un modèle de loi de santé mentale que nous serons heureux de remettre au comité si vous l'estimez utile dans vos travaux.

Pour terminer, je vous remercie vous, sénateur Kirby, ainsi que les membres du comité, de l'occasion que vous nous avez donnée de comparaître devant vous aujourd'hui. La reconnaissance et l'inclusion des soignants familiaux dans le système de santé formelle et une meilleure collaboration intergouvernementale feront beaucoup pour améliorer la vie des malades et de leurs proches.

Nous vous encourageons également à consulter nos sociétés provinciales au cours de vos déplacements au Canada. Vu la diversité des questions abordées dans votre rapport et les particularités régionales, la priorité à accorder à chaque question et chaque solution pourra varier. Ces consultations vous donneront une occasion magnifique de rassembler cette information et de changer vaiment la vie des Canadiens atteints de maladies mentales et de leurs soignants.

Le président : Merci, Florence.

Voulez-vous continuer, Paul?

Le Dr Paul Garfinkel, président, Comité de travail sur la santé mentale, Association des hôpitaux de l'Ontario : Je commencerai d'abord par vous remercier de m'avoir invité à nouveau. L'AHO tient aussi à vous féliciter, sénateur, ainsi que les membres de votre comité, du travail exceptionnel que vous faites dans le cadre de votre étude approfondie des questions de santé mentale au pays. Nous sommes à la croisée des chemins et vous jetez un éclairage très important sur ce qui pourra être des virages majeurs.

Quand je suis venu l'an dernier, j'ai mis l'accent sur quatre secteurs où les besoins sont critiques : la qualité des soins, l'accès aux soins, la continuité des soins et la reddition de comptes. Il est évident pour moi que vous avez entendu clairement des avis sur ces questions à maintes reprises de la bouche de tous les témoins. Je ne vais pas les répéter.

En toile de fond se trouve toute la problématique de la stigmatisation et la façon terrible dont nous avons été élevés face à la maladie mentale. Il est clair pour moi que cela vous l'avez compris aussi et que vous avez mesuré l'ampleur du problème.

La dernière fois, j'ai dit combien il importait d'intervenir tôt d'une manière qui n'est pas très différente du modèle que vient de décrire le Dr Kates. J'ai parlé de l'importance de la promotion de la santé, de la prévention et de l'intervention précoce ainsi que de la nécessité d'investir dans la santé déterminative d'un point de vue global. Ces questions sont aussi importantes qu'il y a un an mais aujourd'hui j'aimerais m'attarder sur trois autres questions, à savoir un plan d'action national, la R-D ainsi que la collecte de données et l'information. J'insiste sur le fait que les autres n'ont pas moins d'importance, mais je crois que vous en avez suffisamment entendu parler. Pour moi, ce qui est essentiel, c'est un plan d'action.

Je crois savoir que votre étude vous a amenés à étudier la situation en Nouvelle-Zélande, par exemple, et vous savez combien un plan peut produire des résultats à l'échelle de tout un pays. Nous pensons que ceci devrait venir du gouvernement fédéral, avec beaucoup de collaboration. Nous avons des associations nationales qui sont les partenaires tout désignés dans cette entreprise, mais nous avons besoin de normes nationales pour quantité d'activités comme la promotion, la prévention, la sensibilisation et le traitement.

Le partenariat devrait être financé par le gouvernement fédéral et établir clairement les rôles et les responsabilités des gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral. Nous considérons que la dimension générale de la santé — je crois que cela été exprimé à plusieurs reprises — y compris les déterminants de la santé, l'emploi, le soutien des clients, le logement, l'aide sociale, sont des aspects d'une importance primordiale dans tout plan qui sera élaboré.

En ce qui concerne mon deuxième point, la R-D, je dirais que nous en savons plus à propos du cerveau grâce à la recherche que nous avons effectuée au cours des 10 dernières années que ce que nous avions appris au cours du siècle précédent. C'est une époque passionnante en neuroscience. C'est aussi une époque passionnante en ce qui concerne les sciences psychologiques et psychosociales puisque nous sommes en mesure de séparer correctement des variables qui pourraient être pertinentes. Parallèlement, nous en savons très peu sur les causes de la maladie mentale. Comprendre les mécanismes s'avérera extrêmement utile pour les traitements en bout de ligne.

Il y a aussi le secteur de l'évaluation du traitement et de la prestation des services de santé où la recherche fait gravement défaut. Cette lacune n'a pas été comblée de façon adéquate où que ce soit au pays. Nous devons établir des points de référence qui nous permettront d'améliorer le rendement du système. Nous devons renforcer la responsabilisation et encourager le développement de nouvelles approches en matière de traitement fondées sur les preuves.

Il existe également une importante fonction d'application des connaissances sur laquelle on ne s'est pas penché adéquatement. Au centre où je travaille nous avons de remarquables neurologues et cliniciens, et le lien entre les deux réside dans le rare clinicien-chercheur qu'il faut former pour pouvoir appliquer les nouveaux renseignements de base.

Nous sommes tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites que le Canada a besoin d'un système national d'information. Nous devons pouvoir évaluer la santé mentale des Canadiens. Nous devons pouvoir évaluer des programmes et des politiques et être en mesure de mieux partager l'information.

Nous encourageons fermement la mise sur pied d'un système national d'information, et nous recommandons que vous examiniez la preuve concernant un type d'évaluation appelé le RAI (Resident Assessment Instrument), c'est-à- dire l'instrument d'évaluation des pensionnaires. Il s'agit d'un système de collecte de données uniformisées et exhaustives des plus utiles qui vous permet de comprendre chaque client. Il vous permet de comprendre votre unité de soins et en quoi consiste un système de soins si vous en prévoyez un.

Tous les hôpitaux de l'Ontario mettront en œuvre le RAI en octobre. Nous avons recueilli des données sur des milliers de personnes en prévision de cette initiative et nous procédons par conséquent à beaucoup d'expériences et de connaissances sur les avantages que présente ce type d'évaluation. Nous pensons qu'il pourrait servir de base à un système national. Comme l'indique le document que je vous ai remis, cette initiative d'évaluation est étudiée partout dans le monde; et cinq ou six autres provinces ont beaucoup d'expérience à cet égard.

Je terminerai simplement en disant que votre travail jusqu'à présent a énormément contribué à énergiser notre milieu, et nous tenons à vous en remercier. Comme vous l'avez entendu à maintes reprises partout ou vous êtes allé, nous avons de graves problèmes. Nous travaillons dans un domaine thérapeutique dynamique. Nous pouvons énormément aider les gens si nous arrivons à mettre ce système sur pied, et je crois que grâce à un plan national d'action approprié, grâce à la recherche appropriée et à une responsabilisation appropriée, nous y parviendrons. Je vous remercie.

Le sénateur Cook : J'examine cette question dans la perspective des régions rurales du Canada en particulier. Là où je vis, les services ne sont pas facilement disponibles et il y a une pénurie de ressources humaines. Pourriez-vous nous donner un peu plus de précision sur le rôle des infirmières praticiennes?

Vous avez parlé de stratégies de financement et du besoin de recherche et de projets pilotes. Est-ce un domaine où le gouvernement fédéral peut jouer un rôle, compte tenu du fait que la santé relève de la compétence provinciale? Est-ce que de nouveaux organismes publics de la santé en feraient partie? J'aimerais connaître votre opinion sur ces deux questions.

Le Dr Kates : En ce qui concerne les régions rurales ou mal desservies, vous pourriez envisager différents modèles de collaboration. Ce n'est pas la seule solution, mais c'est sans doute la plus importante, surtout maintenant grâce aux nouvelles technologies. Par exemple, un psychiatre peut apporter son aide à une infirmière praticienne ou à un médecin de famille dans n'importe quelle région du pays. On peut prévoir des modèles où des spécialistes en santé mentale peuvent assurer la liaison avec un groupe de fournisseurs par courrier électronique ou par un programme dispensé sur le web et échanger des renseignements cliniques pratiquement de la même façon que cela se fait dans le cas Télésanté Ontario.

Il ne fait aucun doute qu'il nous faut réfléchir à nouveau à la façon dont nous utilisons les ressources. Certes, les infirmières peuvent s'acquitter de maintes fonctions avec soutien et aide. Je crois que Santé Canada a un projet à la Direction générale des Premières nations à propos des infirmières praticiennes qui offrent des consultations spécialisées aux postes de soins infirmiers éparpillés dans chacune des provinces canadiennes. Ces infirmières, à leur tour, ont des auxiliaires.

Il nous faut voir quels modèles considérer, examiner comment nous pouvons offrir le maximum de soutien à ceux qui sont en première ligne, soit en personne, soit en prévoyant des évacuations par avion, ou encore par les systèmes de télécommunications, afin qu'ils sachent qu'ils seront aidés et disposeront de certaines ressources, qu'il existe un système cohérent.

Le sénateur Cook : On cherche des budgets pour les choses les plus étranges. Je suis toujours en quête d'une solution. Diriez-vous que vos projets pilotes se situeraient dans un contexte de « recherche » et, si oui, quel rôle le gouvernement fédéral pourrait-il jouer en matière de financement?

Le Dr Kates : Pour nous, une des équipes critiques se trouve dans le Fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires qui n'a pas seulement soutenu des programmes tels que le nôtre mais qui a également, par exemple, en Ontario, permis la mise sur pied d'environ 120 projets qui comportent un élément d'évaluation de recherche. Si l'on considère tous ces projets ensemble, on en arrive à dresser un tableau presque inégal du potentiel d'un système réformé de soins de santé primaires.

La réponse à votre question est, oui, absolument, Il y a un certain nombre d'éléments différents. Il y a la recherche et l'évaluation. Il a aussi la nécessité de voir comment des modèles de soins partagés peuvent être adaptés pour satisfaire aux besoins de différentes localités et populations. Le troisième serait le genre de projet de démonstration que pourraient offrir des modèles qui pourraient être envisagés par d'autres. J'irais puiser à toutes les ressources possibles pour financer ce genre d'initiatives.

Je crois que le gouvernement fédéral a un rôle majeur à jouer tant dans le financement que dans la force d'entraînement qu'il peut représenter pour l'activité des provinces.

Le Dr Garfinkel : En ce qui touche au financement, sénateur, vous avez mentionné la nouvelle agence de santé publique. Par exemple, le CDC aux États-Unis, affecte plus de 9 p. 100 de son budget à la santé mentale et au comportement. Cela représente énormément de possibilités.

Quant à la question sur les infirmières praticiennes, je suis tout à fait d'accord avec Nick et j'irais même plus loin. Nous assurons les services de santé mentale à l'île de Baffin et nous avons fait un certain nombre de choses au Sri Lanka où il y a peu de psychiatres et, d'ailleurs, peu de docteurs. Le système de santé mentale de ce pays dépend dans une mesure énorme des travailleurs locaux de la santé mentale qui ont la formation et les connaissances voulues. C'est la même chose à l'île de Baffin. Il faut une très bonne formation et, comme le disait le Dr Kates, des auxiliaires, qu'il s'agisse de télésanté, de courriels ou de contacts directs. Quand ces gens ont besoin d'aide, c'est immédiatement. Ils peuvent faire énormément de choses s'ils obtiennent cette aide.

Mme Budden : En tant qu'infirmière moi-même, j'ai eu la possibilité de travailler avec des infirmières praticiennes spécialisées dans les soins de santé primaires et la santé mentale. Les avantages sont évidents. Ces infirmières connaissent le domaine de la santé mentale aussi bien que celui des soins primaires et peuvent ainsi offrir ces services.

Par exemple, l'hôpital Waterford à Terre-Neuve était un hôpital psychiatrique provincial qui avait trois infirmières praticiennes qui étaient des spécialistes des soins de santé primaires dans le système de santé mentale parce que l'on avait des difficultés à recruter des médecins de famille pour participer à ces programmes et assurer les services de santé mentale, de même que les services de soins de santé primaires. On a financé les études de ces trois infirmières qui avaient des connaissances en santé mentale et beaucoup d'années d'expérience et qui offrent maintenant ces services à des postes d'évaluation de courte durée ainsi qu'à des postes de soins actifs. Elles assurent également certains services externes à des clients qui n'ont pas forcément de médecins de famille sur place. Ce sont des services très utiles et essentiels. Elles travaillent en collaboration avec les médecins de famille et les psychiatres. Bien que les débuts furent difficiles, cela s'est bien terminé et c'est certainement grâce au professionnalisme de ces trois personnes. Le sénateur Cook en connaît très bien une.

J'aimerais voir cela se développer à Terre-Neuve pour ce qui est des soins de santé primaires et des services de santé mentale. Ce que l'on espère, c'est amener les infirmières praticiennes à adopter le modèle des soins primaires pour offrir ces services, mais en insistant en particulier sur celles qui ont une connaissance de la santé mentale.

Les infirmières praticiennes comprennent très bien le rôle que jouent les familles dans le soin des clients si bien qu'elles utiliseraient très bien les familles et les incluraient dans l'équipe de traitement. C'est le genre de choses qu'il faut assurer.

Nous avons des infirmières praticiennes pour les soins primaires dans toutes les régions rurales de Terre-Neuve mais, malheureusement, nombre de nos récentes diplômées n'ont pas d'emploi et on dû retourner travailler comme infirmières diplômées en attendant que des postes se libèrent. Je crois que le gouvernement fédéral devrait défendre cette stratégie d'infirmières praticiennes comme solution à la pénurie de médecins pour les soins primaires dans les petites localités, en particulier dans les régions rurales. Nombre de ces infirmières qui travaillent dans des régions rurales veulent y rester. Elles ont les connaissances et savent ce qui est nécessaire pour travailler dans ces localités. Nous devrions inviter le gouvernement fédéral à encourager les gouvernements provinciaux dans ce sens.

Quand des infirmières obtiennent leur diplôme dans un secteur rural de Terre-Neuve, étant donné que nous avons de nombreuses localités rurales, il ne devrait pas y avoir d'infirmières praticiennes sans travail. Elles devraient pouvoir trouver un poste.

Le gouvernement fédéral peut certainement jouer un rôle pour ce qui est du financement. Je crois d'autre part que l'Agence de santé publique a un rôle à jouer mais elle doit collaborer avec d'autres secteurs de l'administration qui assurent des services aux malades mentaux et qui, d'une façon ou d'une autre, réussissent à regrouper certains budgets pour que tous les aspects, logement, soutien, services médicaux, et cetera, soient financés convenablement. Le gouvernement fédéral doit collaborer afin de financer comme il faut les services et ne pas s'éparpiller trop.

Le sénateur Pépin : Docteur Kates, vous avez dit que beaucoup de groupes n'utilisent pas ces centres. Pourquoi? Est- ce parce qu'ils sont difficilement accessibles ou qu'il n'y a pas assez de personnel?

Vous avez parlé des minorités. Rencontrent-elles des difficultés d'ordre linguistique ou culturel? Pourriez-vous préciser votre pensée?

Le Dr Kates : Comme vous l'avez dit, il y a différentes raisons pour lesquelles les services de santé mentale sont difficilement accessibles. Dans certains cas, ce sont des obstacles que nous dressons nous-mêmes et qui font qu'il est plus difficile aux gens d'obtenir nos services. Il y en a toutefois d'autres.

Par exemple, pour les groupes ethnoculturels, les questions linguistiques et culturelles sont des facteurs importants. Je parlerai des soins primaires. Lorsque nous parlons de soins primaires, il ne s'agit pas simplement de généralistes, il y a aussi les centres de santé communautaires, les soins à domicile, les activités qui se déroulent chez les gens. Quelques fois, ces gens se trouvent dans des refuges pour sans-abri. Dans un tel contexte, ils peuvent choisir un médecin parce que celui-ci connaît leur culture ou une infirmière qui parle leur première langue. Cela facilite beaucoup les choses parce qu'il y a quelqu'un qui connaît un peu le contexte de l'intéressé et qui peut le guider vers quelqu'un qui s'occupe de santé mentale. Cette personne apprend en même temps qu'elle aide. C'est une des choses intéressantes à propos de la collaboration. Nous élargissons nos compétences et notre compréhension des problèmes.

D'autres groupes se heurtent à des problèmes différents, comme les adolescents. Il peut même être difficile de les faire venir voir un médecin généraliste. Toutefois, il y a plus de chances qu'ils viendront voir un médecin et que celui-ci diagnostiquera leur problème si ce médecin dit : « Est-ce que vous voulez bien parler au conseiller qui se trouve au bureau parce qu'il pourra peut-être vous aider? » Il y a beaucoup plus de chances que l'adolescent le fasse que si le médecin déclare : « J'aimerais vous envoyer dans une clinique de santé mentale. Vous devrez probablement attendre six mois avant que quelqu'un ne vous voit mais je crois que ce sera très utile. » Je pense que certains de ces obstacles peuvent être éliminés si l'on amène les services là où se trouvent les gens ou le problème.

Comme Paul l'a mentionné, le stigmate est un facteur majeur à surmonter pour admettre qu'on puisse avoir un problème et parce qu'on craint ce que les gens vont penser, même si ça ne correspond pas du tout à la réalité de ce qu'on vit dans les services de santé mentale. Encore une fois, il est beaucoup plus facile de consulter quelqu'un qui fournit des soins de première ligne.

Le sénateur Pépin : Comment votre organisation est-elle structurée? Avez-vous des représentants de différentes collectivités, comme les collectivités multiculturelles? Est-ce que vos travailleurs s'identifient pour que votre organisation puisse dire à un client que vous avez des gens de sa collectivité qui travaillent dans votre bureau? Je pose cette question parce que bien des personnes sentent qu'elles n'ont pas accès à ces services.

Le Dr Kates : Je pense que les deux modèles ont leur place. S'il y a des endroits qui sont des points de rassemblement naturel pour certaines personnes, ce serait logique d'y offrir des services comme dans les organisations d'établissement communautaire de l'Ontario. Encore une fois, nous essayons de déterminer comment nous pouvons fournir nos services dans de tels cadres et dispenser des traitements sur place.

De nombreuses personnes s'adressent à leur médecin de famille qui a une petite pratique et qui appartient à leur propre culture parce qu'elles se sentent plus à l'aise avec lui ou elle ou parce qu'il y a un groupe de personnes qui lui ressemblent et, dans de tels cas, lorsque c'est possible, nous essayons de trouver des conseillers, des psychiatres qui connaissent à la fois la culture et la langue et qui peuvent fournir à cette personne des services dans son propre milieu. D'après notre expérience, la plupart de ces services peuvent être fournis dans ce cadre aussi efficacement que dans des services de santé mentale. De nombreux problèmes, mais pas tous, peuvent être traités et on peut ainsi voir un plus grand nombre de personnes. On rejoint ainsi un plus grand nombre de personnes qui n'auraient jamais eu accès aux services de santé mentale.

Il y a un autre groupe qu'il ne faut pas oublier, les sans-abri. Dans le cadre d'un projet à Toronto, des médecins de famille, accompagnés d'un psychiatre, se rendent dans des refuges voir des personnes qui ne voudraient peut-être pas voir un psychiatre mais qui sont prêts à consulter un médecin de famille. Le psychiatre conseille le médecin de famille. Encore une fois, c'est un moyen de fournir des services de soins de santé adaptés à la culture de la personne plutôt que d'essayer de la forcer à s'adapter à notre modèle.

Le sénateur Callbeck : Florence, dans votre mémoire, vous mentionnez qu'il est important que la commission d'examen puisse ordonner des traitements pour les personnes ayant fait l'objet d'un verdict de non-responsabilité criminelle, puis vous parlez d'un document sur une loi modèle en matière de santé mentale. Est-ce que vous voulez parler du document préparé en réponse au comité de la Chambre des communes qui a examiné un amendement au Code criminel visant ces personnes?

Mme Budden : Non, je préside le Comité national de défense des droits. Notre plan stratégique vise en partie la décriminalisation des personnes qui souffrent de troubles mentaux. Nous avons eu l'extrême chance d'avoir comme président John Gray, un expert en matière de législation sur la santé mentale, car il y a des différences dans chaque province. De nombreuses provinces sont maintenant en train d'examiner leurs lois en matière de santé mentale. Je viens d'une province dont la loi date de 1971. Nous attendons toujours une nouvelle loi.

Ce document fournit de l'information sur les personnes, les familles et les groupes qui veulent travailler de concert avec le gouvernement à l'élaboration d'une loi sur la santé mentale qui réponde vraiment aux besoins des personnes atteintes d'une maladie mentale. Nous avons préparé un document sur une loi modèle — dont nous pouvons certainement vous remettre un exemplaire — dans lequel nous examinons des questions comme la définition d'un trouble mental, les critères d'admission involontaire, les procédures d'examen et d'admission involontaires, l'autorisation relative au traitement et au consentement, tenant compte des ordonnances de traitement communautaire et les droits de la personne. Par cela, je veux dire les droits et libertés des patients et notamment ses droits de libre pensée.

Nous avons également tenu compte du refus de traitement par une personne qui n'a pas la compétence mentale nécessaire pour prendre une telle décision et le fait que cela peut lui causer plus de tort. Starson en est un exemple. Nous avons examiné les traitements communautaires assistés, les droits et les protections.

Nous nous sommes inspirés d'un livre intitulé Canadian Mental Health Law and Policy, de John Gray, Margaret Shone et P. Liddle, publié en 2000. Nous avons préparé ce document parce que chaque province a sa propre loi en matière de santé mentale. Nos sociétés provinciales ont demandé notre aide lorsque leur province préparait une nouvelle loi et nous pensions que certaines dispositions devaient se retrouver dans toutes les lois provinciales; c'est pourquoi nous avons préparé ce document.

Le sénateur Calbeck : J'ai soulevé la question de la commission d'examen qui peut ordonner le traitement puisqu'il y a une disposition à cet effet dans le projet de loi C-10 dont le Sénat est maintenant saisi et qui sera bientôt renvoyé à un comité.

Mme Budden : Oui. La Société canadienne de schizophrénie a comparu devant le Comité de la justice lorsque celui-ci étudiait le projet de loi C-10. C'est une des questions que nous avons soulevée à cette occasion.

Le sénateur Callbeck : Vous souvenez-vous des autres questions que vous avez soulevées?

Mme Budden : Je n'étais pas présente à la réunion, mais je peux certainement vous remettre une copie du mémoire pour que vous puissiez voir quelles questions ont été soulevées. Elles étaient semblables à celle que j'ai mentionnée ici en ce qui concerne la décriminalisation. Nous avons proposé que la Commission d'examen puisse ordonner un traitement lorsqu'une personne malade refuse un traitement dont elle a besoin. Dans certaines provinces, comme l'Ontario, ces personnes peuvent être hospitalisées de force mais on ne peut pas leur imposer un traitement. Au Nouveau-Brunswick, c'est différent. Là, on peut les traiter. Dans un cas d'admission involontaire, nous pouvons fournir le traitement.

Nous ne devons jamais oublier cependant les droits de la personne. À notre avis, il ne faudrait pas imposer un traitement mais plutôt travailler avec la personne afin qu'il ou elle accepte le traitement. Toutefois, notre loi nous autorise à administrer le traitement. À cet égard, c'est très différent.

Le sénateur Cook : J'ai fait carrière dans l'éducation, il y a donc de nombreux enfants qui me sont passés entre les mains et certains d'entre eux ont abouti ici en Ontario. J'ai appris qu'après leur arrivée ici on a diagnostiqué quelques cas de schizophrénie parmi mes anciens élèves.

Y a-t-il un symptôme que les éducateurs devraient apprendre à reconnaître pour dépister cette maladie afin que les enfants qui ont un problème puisse être orientés vers les services de traitement?

Mme Budden : La Société canadienne de schizophrénie a mis sur pied un programme d'information au sujet de la schizophrénie à l'intention des élèves des niveaux intermédiaire et secondaire et aussi un programme complet à l'intention des enseignants. Ces programmes leur fournissent toute l'information dont ils ont besoin au sujet de la schizophrénie. Il aide à informer les enseignants et les élèves. Les enseignants remarquent souvent des changements chez leurs étudiants mais parfois, en raison du grand nombre d'élèves par classe, les symptômes passent inaperçus. Les pairs sont plus susceptibles de remarquer des changements. Les amis peuvent remarquer que quelqu'un devient soudainement réservé, qu'il fait des commentaires bizarres ou qu'il commence à faire des choses bizarres. Les pairs comprennent que ces comportements peuvent être un symptôme de maladie mentale et ils en parleront à l'enseignant ou à un conseiller et encourageront leur ami à obtenir de l'aide.

Nous essayons d'effacer le stigmate de la maladie mentale dans le système scolaire et c'est pourquoi nous avons mis en œuvre ce programme. Je sais qu'à Terre-Neuve nous avons obtenu qu'il soit inscrit au programme d'études comme cours recommandé. Il figure également au programme d'études d'autres provinces. Nous devons informer les enseignants et nous devons informer les élèves. Certains des symptômes qui se manifestent au début peuvent être pris pour des changements dus à l'adolescence parce que beaucoup d'adolescents deviennent réservés à cet âge et commencent à agir différemment. Ce programme aide les gens à reconnaître certains symptômes. Nous ne sonnons pas l'alarme pour tous les adolescents, nous faisons simplement en sorte que l'information soit disponible. Nous disons aux gens où ils peuvent trouver l'information et quels services sont disponibles s'ils ont besoin d'aide. Ce genre d'information est très important.

Le Dr Kates : Je crois que cela s'applique également aux soins primaires. Les médecins de famille sont particulièrement bien placés pour reconnaître qu'il y a quelque chose de différent chez un jeune de 15 ou 16 ans. Ils ne pourront peut-être pas dire au juste ce dont il s'agit. Le patient n'a peut-être pas de symptômes psychotiques ou prépsychotiques mais le médecin peut néanmoins remarquer un changement.

Les familles qui sont en contact avec leur médecin de famille peuvent exprimer certaines préoccupations concernant l'un de leurs membres. Les médecins de soins primaires ne feront pas à la hâte un diagnostic de psychose, de dépression ou d'angoisse, mais le médecin est bien placé pour surveiller un jeune et s'assurer que de temps à autre il ou elle vienne à son bureau afin que l'on puisse surveiller tous les changements qui se manifestent. Lorsque la collaboration existe, le médecin de famille peut obtenir l'opinion d'un autre médecin pour confirmer la sienne.

La littérature médicale nous apprend que si les médecins de famille ont les appuis nécessaires, ils sont beaucoup plus susceptibles de détecter un problème et de faire un diagnostic. S'ils ne savent pas quoi faire à ce moment-là ou s'il n'y a pas de ressources disponibles ils sont plus susceptibles de laisser passer ou d'attendre pour voir ce qui se produira plus tard. Il existe beaucoup de littérature médicale sur les problèmes de toxicomanie. Avec ce genre de partenariat, les médecins de famille ou autres professionnels de la santé qui prodiguent les soins primaires peuvent avoir une vue longitudinale de ce patient.

Cela s'applique également au système scolaire. Il est important d'avoir quelqu'un qui est bien placé pour s'apercevoir s'il se passe quelque chose. Cette personne ne saura peut-être pas quoi faire, mais nous ne devrions pas attendre qu'un enfant soit assez malade pour avoir besoin de services de santé mentale.

Si vous me permettez une petite anecdote, un médecin de famille m'a demandé de voir une petite fille de cinq ans dans son bureau, qui d'après moi souffrait d'un trouble obsessivo-cumpulsif. J'en ai ensuite discuté avec le médecin de famille. Il m'a dit qu'il ne se rendait pas compte que les jeunes pouvaient souffrir de tels troubles. La prochaine fois que je suis allé à son bureau, il y avait trois autres enfants de moins de huit ans dont il s'inquiétait. Il ne pouvait pas voir exactement ce qui n'allait pas mais deux de ces enfants-là avaient effectivement des symptômes de troubles obsessivo- compulsif. Dans un partenariat, il est possible de faire intervenir des ressources communautaires.

Le Dr Garfinkel : Vous avez soulevé une bonne question. Nous savons que plus le diagnostic et le traitement de la schizophrénie se fait tôt, plus le résultat sera positif. Toutefois, il faut qu'il y ait plus d'un endroit où les symptômes peuvent être reconnus. C'est peut-être la famille. C'est peut-être l'école. C'est peut-être le milieu de travail. C'est peut- être le médecin de famille mais nous devons tous être en mesure de reconnaître les comportements inusités.

Je rajouterais que nous ne savons pas comment prévenir la schizophrénie, mais on a fait certaines études sur les risques élevés. Si vous avez un ou deux parents qui souffrent de schizophrénie, vous courez un risque très élevé de contracter vous-même cette maladie. Nous administrons actuellement des programmes de prévention intensive à ces gens-là, mais nous ne savons pas si nous pouvons prévenir la schizophrénie.

Le sénateur Keon : Docteur Kates, je regrette d'avoir manqué votre exposé, mais je crois comprendre que vous avez fait un excellent travail dans le domaine de l'intégration des professionnels de la santé. Avez-vous déployé les mêmes efforts pour ce qui est de l'intégration des ressources de santé dans la communauté, ou en d'autres mots, examiné non seulement les soins primaires en ce qui a trait à la santé mentale, mais aussi les soins communautaires, les services d'urgence, les services sociaux, et cetera? Vous êtes-vous penché sur cette question? Dans l'affirmative, et si vous en avez parlé, excusez-moi de vous poser cette question.

Le Dr Kates : Je n'en ai pas parlé de façon précise. La clé réside dans le fait que les modèles collaboratifs sont fondés sur certains principes, les contacts personnels, le respect et les soins qui sont véritablement axés sur le client, axés sur la guérison et la réalisation du plein potentiel de ces personnes, ainsi que l'élimination des obstacles structurels et comportementaux. Plutôt que de prendre un modèle et d'essayer de le faire fonctionner ailleurs, si vous appliquez les principes, il y a beaucoup d'exemples où la collaboration peut avoir lieu. Un de ces aspects serait l'intégration des spécialistes dans les soins primaires. Par exemple, on songe à un programme pour le traitement de l'insuffisance cardiaque congestive qui comprendrait des cardiologues, des respirologues et des pédiatres qui participeraient au travail d'une équipe de soins primaires.

Vous avez parlé de ressources communautaires. Certaines des provinces de l'Ouest sont allées beaucoup plus loin dans leurs efforts pour intégrer les soins de première ligne avec la santé mentale et les programmes communautaires. Selon notre conception des soins de première ligne, en plus des fournisseurs de soins de santé traditionnels, peut-être qu'il devrait y avoir quelqu'un du bureau de l'assurance-emploi ou d'indemnisation des travailleurs qui viendrait une fois par mois aider ceux qui ont du mal à remplir leur formulaire. Peut-être pourrait-on faire participer quelqu'un qui travaille à l'un des centres d'entraide communautaire; une telle personne pourrait mettre sur pied un programme en milieu de soins de première ligne. On pourrait faire participer également quelqu'un de la famille qui pourrait être appuyé dans l'élaboration d'un programme en milieu de soins de première ligne.

Toutes les autres interfaces dont vous avez parlé, dont les urgences, les soins de première ligne et la santé mentale, présentent des problèmes uniques en leur genre. Toutefois, il y a beaucoup d'éléments en commun auxquels j'ai déjà fait référence tout à l'heure. Il faudrait trouver un moyen d'envisager ensemble la question comme un problème commun plutôt que le problème d'une personne ou d'une autre. Il faudrait mettre de côté le passé et trouver de nouvelles solutions. Nous avons participé à des projets qui ont présenté certains problèmes par le passé; c'est donc la meilleure façon d'en arriver à des solutions.

Le sénateur Keon : Madame Budden, je pense que tout le monde appuie de plein cœur le rôle élargi des infirmiers et des infirmières. Dans ma vie professionnelle, j'ai eu l'occasion de rencontrer énormément d'infirmières cliniciennes spécialisées et d'infirmières cliniciennes entre autres qui ont toutes fait un excellent travail.

Mais le problème principal auquel vous faites face, c'est qu'il y aura bientôt un très grand nombre de départs à la retraite et votre rendement est bien en deçà des 12 000 infirmiers qu'avait recommandés le comité sénatorial. Comment comptez-vous faire face à ce problème? Avez-vous l'intention de recruter des infirmiers à l'étranger?

Mme Budden : Je ne représente pas la Société canadienne de schizophrénie, ni l'Association des infirmières et des infirmiers du Canada, je suis ici à titre personnel et c'est ainsi que je répondrai à votre question. Nous avons besoin de meilleures stratégies de recrutement et de maintien en poste. À titre de pédagogue, je crois que nous avons besoin de trouver des façons d'encourager nos jeunes à demeurer au Canada. Certains quittent pour des raisons financières, d'autres pour une question d'éducation. Il faudrait leur montrer la valeur que nous leur attribuons et trouver un moyen de réduire le stress auquel les infirmiers font face dans le système de santé. Ce sont des questions complexes. Je ne sais pas si l'Association des infirmières et des infirmiers du Canada aimerait que je donne mon opinion officielle là-dessus, mais, personnellement je crois que nous avons besoin d'améliorer nos stratégies de recrutement et de maintien de l'effectif. Nous devons trouver une stratégie pour garder nos jeunes infirmières. À Terre-Neuve, j'enseigne à une classe de plus de 100 infirmiers et infirmières. Je crois qu'on en perd entre 50 et 60 p. 100 parce qu'ils s'en vont dans d'autres régions du Canada et aux États-Unis en raison des meilleures pratiques médicales qu'ils offrent. Ces étudiants veulent poursuivre leurs études. Pour eux, l'éducation permanente est importante et ces autres régions leur offrent ces occasions. C'est malheureux pour Terre-Neuve.

Le Dr Garfinkel : J'aimerais souligner à quel point notre politique en matière d'infirmiers et de recrutement est incohérente depuis 30 ans. À un moment donné, nous voulons plus d'infirmiers, mais aussitôt qu'il y a des compressions, nous réduisons l'effectif. D'après ce que j'ai cru comprendre, l'année prochaine en Ontario il y aura probablement une réduction d'à peu près 750 postes d'infirmier. Dans de telles circonstances, beaucoup d'infirmiers décident de se recycler, peut-être en agents immobiliers ou en gens d'affaires. Ils ne veulent pas se casser la tête et perdre leur temps pendant deux ans si ce n'est que pour de nouveau perdre leur emploi.

Le sénateur Keon : Dès que le président Kennedy a commencé à fermer les hospices aux États-Unis, il y a une tendance qui se dessine selon laquelle les ressources des hôpitaux sont de plus en plus investies dans les collectivités. C'est une tendance qui persiste, mais l'Ontario a encore beaucoup de chemin à parcourir. Selon les hauts fonctionnaires ici en Ontario, environ 20 p. 100 des ressources des hôpitaux ont été transférés du régime hospitalier aux collectivités. Comment le régime hospitalier peut-il faire face à cela?

Le Dr Garfinkel : C'est un problème avec lequel on doit composer quotidiennement. Le système de santé mentale doit reposer sur quatre piliers solides : premièrement, comme Nick l'a dit, il y a le secteur des soins primaires, et je crois que nous avons réalisé des progrès importants dans ce secteur depuis 10 ans. Deuxièmement, il y a la collectivité. Troisièmement, le secteur des soins de courte durée, c'est-à-dire l'hôpital général. Et quatrièmement, le système de santé mentale.

Les trois derniers piliers du système ont des problèmes énormes. Il y en a un problème en ce qui concerne l'intégration. Ce que nous avons appris du passé, et là je ne vous parle pas des États-Unis, c'est qu'on peut fermer un hôpital psychiatrique sans réinvestir les ressources dans d'autres soins. On a fermé l'hôpital Lakeshore en 1971 et les patients sont devenus des clochards parce qu'on a consacré l'argent à d'autres fins.

Je crois que le niveau de soins de santé communautaire est formidable. Dans la mesure du possible, nous devrions normaliser les soins de santé, et l'admission à l'hôpital devrait se limiter aux cas où cela est nécessaire pour des fins de sûreté et de sécurité. Cependant, les soins de santé communautaires sont coûteux et exigent des ressources spécialisées ainsi qu'un personnel qualifié capables de dispenser les soins et le traitement.

Nous avons un programme de traitement des troubles psychotiques qui nous permet de procurer des soins à une centaine de personnes affligées de schizophrénie. Notre équipe fait des visites à domicile à Toronto, ce qui permet à ces gens de rester chez eux sans problème. C'est un programme de traitement excellent qui compte une centaine de patients qui, autrement, auraient été hospitalisés. Mais c'est un programme coûteux. Il faut un médecin, une infirmière, un travailleur social, toute une équipe.

Depuis les cinq ou sept dernières années, je crois que le système hospitalier et les médecins examinent, pour la première fois je crois, les facteurs déterminants de la santé dans son sens plus large et ce que cela comporte lorsque quelqu'un est affligé d'une maladie et ce qu'implique une bonne qualité de vie. Les médecins et les hôpitaux ne disent plus aux patients : « Vous n'êtes plus sous ma responsabilité. Je vous ai traité pour des troubles psychotiques depuis un mois et maintenant il incombe à quelqu'un d'autre de faire quelque chose. Voici un jeton de métro et au revoir. » Cela n'arrive plus comme dans le passé. On s'intéresse au sort des patients mais souvent il est difficile de trouver quelqu'un pour faire le suivi.

Mme Budden : Je crois que la collectivité doit offrir une plus grande aide aux membres des familles parce que ces gens sont souvent les seuls à venir en aide à une personne atteinte de maladie mentale. Cette aide doit comprendre des ressources humaines en matière de santé ainsi que d'autres ressources humaines mais également des formes de soutien pour aider les familles au sein de la collectivité. Plus on aidera les familles plus on réduira le fardeau sur le système de soins de santé. Nos recherches nous apprennent que les malades qui ont le soutien de la famille ont le plus de chances d'avoir un meilleur pronostic, une meilleure récupération et, par conséquent, ils passeraient moins de temps en milieu hospitalier. Nous devrions concevoir les familles dans la collectivité comme faisant partie intégrante de l'équipe de traitement, et non pas comme une entité à l'extérieur de cette équipe.

Le Dr Kates : À mon avis, ce concept de soins offerts en milieu hôpital par rapport au milieu communautaire est désuet. Ce terme remonte à 50 ans où les gens vivaient soit au sein de la collectivité ou à l'hôpital. Il faut considérer les hôpitaux comme des installations de la collectivité; et les hôpitaux doivent se considérer comme faisant partie intégrante de la collectivité en offrant des services plus mobiles, qui ne se limitent pas aux murs d'un établissement. L'hôpital doit pouvoir exister au sein d'une collectivité, même si parfois la prestation des services n'a pas lieu aux endroits traditionnels.

Un exemple simple, ce sont les spécialistes hospitaliers, et non pas seulement les médecins, qui, dans le cadre de leurs responsabilités hospitalières, sont prêts à consacrer une partie de leur journée de travail en milieu communautaire. Il faut envisager ce partage de responsabilités d'une façon complètement différente.

Le Dr Garfinkel : Pour revenir à votre question initiale, il nous faut du financement de transition pour procéder comme il faut. Il ne faut pas fermer un hôpital en disant qu'on va construire des logements avec services de soutien au cours des huit prochaines années. Nous allons nous retrouver avec le même problème que l'on a connu dans les années 70.

Le président : D'abord, monsieur Kates, il y a environ 45 ans, le Nouveau-Brunswick a contourné ce problème en créant quelque chose de génial : la notion « d'hôpital extra-mural ». C'était à l'époque où le gouvernement fédéral assumait 50 p. 100 des frais d'hôpital. En effet, la province a redéfini la notion « d'hôpital » pour y inclure les maisons des individus qui avaient quitté l'hôpital, parce que la province voulait fournir les soins à domicile. Les habitants des provinces maritimes ont beaucoup d'imagination lorsqu'il s'agit de contourner une situation. Il me semble que le défi ne consistera pas à encourager les décideurs de voir l'hôpital comme faisant partie intégrante de la communauté, il s'agira aux gens dans les hôpitaux de se voir comme des membres de la communauté. Cela soulève une question dans mon esprit.

Dans votre rapport, vous dites qu'il faut encourager les omnipraticiens à adopter ce modèle de soins partagés. Une certaine frustration existe. Serons-nous prêts, à un moment donné, à ne plus encourager mais plutôt à exiger? Je dois vous dire que lorsque j'examine les données de l'AHO en particulier, je note le manque de progrès en ce qui concerne l'adoption d'un modèle de soins partagés et une grande résistance de la part d'un bon nombre d'omnipraticiens à le faire. Cependant, je sais que leurs salaires sont payés à même les fonds publics et qu'en réalité, cette situation est somme toute inefficace. À partir de quand allons-nous cesser d'être gentils et d'en faire une exigence?

Le Dr Kates : Cela me rappelle un commentaire de Yogi Berra, le gérant des Yankees, lorsqu'on lui a demandé le secret pour bien gérer une équipe de baseball, et il a dit qu'il s'agissait de garder les personnes qui vous détestent loin de celles qui sont indécises.

Nous avons besoin d'une stratégie à deux volets. Il faut commencer par travailler avec ceux qui n'ont pas encore pris de décision, et ensuite élaborer des modèles qui fonctionnent pour montrer que cette méthode de prestation de soins est efficace et que les personnes qui se servent de ces modèles croient que cette méthode de prestation de soins est valable.

Le président : Ce que nous croyons tous. Je crois que dans un sens, certains essaient d'empêcher le véritable progrès. Comme ma femme vous le dirait, je n'ai pas guère de patience pour ce genre de choses. Il me semble qu'à un moment donné, le gouvernement devra s'affirmer beaucoup plus qu'il ne le fait à l'heure actuelle.

Le Dr Garfinkel : Nous avons fait énormément de progrès en matière d'éducation et en faisant valoir quels traitements sont utiles et nécessaires, mais les mécanismes de financement vont en inverse. Je crois que la réforme du système de soins primaires est la question la plus importante au Canada, non pas exclusivement dans l'intérêt du système de santé mentale, mais dans notre intérêt à tous.

Le président : C'est ce que dit le sénateur Keon depuis un certain temps.

Le Dr Garfinkel : Je ne serai plus là depuis longtemps lorsqu'une réforme des soins primaires verra le jour, donc je suis en faveur d'une approche plus musclée.

Le président : Nous allons accepter votre invitation à nous expliquer votre système d'information qui, selon votre description, s'applique exclusivement aux personnes dans les unités psychiatriques. Cependant, en réalité, la vaste majorité des gens qui reçoivent des soins de santé mentale ne sont pas dans ces unités; elles sont au sein de la collectivité. Vous dites que vous allez essayer d'élaborer une base de données similaire pour ces personnes.

Le Dr Garfinkel : Nous avons ce système que nous mettons à l'essai dans un certain nombre de collectivités en Ontario. Il en existe une version modifiée dont un médecin peut se servir dans son cabinet. Si le médecin fait une demande, il obtiendra les renseignements à propos des besoins de son patient, y compris le logement et toute une série d'autres choses. Il ne s'agit pas juste de renseignements portant sur la santé mentale. C'est un modèle très prometteur et j'aimerais avoir le temps de vous l'expliquer.

Le président : Nous aimerions le comprendre.

Je vous remercie tous d'avoir comparu devant notre comité aujourd'hui. Nous vous savons gré du temps que vous nous avez consacré.

La séance est levée.


Haut de page