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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 13 - Témoignages du 20 avril 2005


OTTAWA, le mercredi 20 avril 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 heures pour examiner des questions concernant la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, nous sommes ici pour poursuivre l'audition de témoins dans le cadre de l'étude sur la santé mentale et la toxicomanie. Nos témoins sont si nombreux que la séance se prolongera sans doute en soirée.

Nous accueillons ce soir avec plaisir des témoins de tout le pays. Le premier est M. Terry Bogyo, directeur de la Planification, Workers' Compensation Board of British Columbia. Certains d'entre vous se souviennent certainement que nous avons par le passé entendu des points de vue sur le rôle que les commissions d'indemnisation des accidentés du travail de tout le pays assument à l'égard de travailleurs qui ne sont pas « blessés » au sens corporel, mais qui souffrent d'une forme quelconque de maladie mentale comme le stress ou l'épuisement professionnel. Il nous a semblé important de comprendre comment les commissions d'indemnisation des accidentés du travail abordent ces cas et, notamment, de pouvoir comparer le rôle des commissions d'indemnisation des accidentés du travail à celui des assureurs privés qui couvrent les avantages sociaux et les soins de santé des cols blancs de divers secteurs d'activité.

Je sais que vous voulez nous présenter d'abord un bref exposé, vous nous avez d'ailleurs remis les transparents. Nous vous écoutons. Nous serons ensuite ravis de pouvoir vous poser quelques questions.

M. Terry Bogyo, directeur de la planification corporative, Workers' Compensation Board of British Columbia : Mesdames et messieurs les sénateurs, employés du Sénat, je vous remercie de me donner l'occasion de discuter avec vous aujourd'hui de l'indemnisation des accidentés du travail.

Les régimes d'indemnisation des accidentés du travail ne sont pas nouveaux. Ils existent au Canada depuis environ 90 ans. Ils s'appuient sur un rapport réalisé pour le compte du gouvernement de l'Ontario par sir William Meredith et qui a donné lieu à l'adoption de la première loi sur l'indemnisation des accidentés du travail en Ontario, en 1914. Toutes les provinces ont repris les principes de base énoncés par Meredith dans son projet de loi. Aujourd'hui, les provinces et territoires ont tous une loi sur l'indemnisation des accidentés du travail. Le gouvernement fédéral en a une aussi, c'est la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État.

M. Meredith intégrait certains principes dans son projet de loi, notamment celui du « compromis historique ». C'est ce qui distingue l'indemnisation des accidentés du travail des régimes d'assurance privés ou du modèle d'assurance responsabilité que vous avez examiné. Essentiellement, l'indemnisation des accidentés du travail est un contrat social. C'est une forme d'assurance, bien sûr, mais son but consiste essentiellement à protéger l'employeur contre les poursuites que pourraient intenter ses employés à la suite d'accidents du travail.

Cette protection a un prix. L'employeur doit financer un programme d'indemnisation sans égard à la responsabilité pour pouvoir verser des prestations aux travailleurs. Grâce à ce régime d'assurance sans égard à la responsabilité, le travailleur reçoit des prestations pour les services médicaux et la perte de revenus mais il doit renoncer à son droit d'intenter des poursuites. Cela fait partie du contrat social que constitue l'indemnisation des accidentés du travail. Le travailleur et l'employeur, l'État et la collectivité, bénéficient tous de la réduction des tensions et des frais judiciaires ainsi que d'une justice plus rapide, si vous me permettez l'expression, pour le travailleur concerné.

Chaque compétence a une responsabilité constitutionnelle en matière de santé et de main-d'œuvre et elle doit définir la portée de ses propres lois. Chacune doit déterminer qui est protégé. Chacune doit définir ce qui est couvert par sa loi sur l'indemnisation des accidentés du travail et les pouvoirs que devrait avoir l'organisme chargé de l'administrer.

En Colombie-Britannique, nous couvrons entre 93 et 94 p. 100 de la population active, mais nous avons aussi un mandat en matière de santé et de sécurité. Nous sommes chargés de la fonction d'inspection. Nous fixons les règles régissant l'indemnisation des travailleurs, les règles relatives à la santé et à la sécurité au travail. Nous sommes chargés de faire la promotion de la santé et de la sécurité sur notre territoire. Tel n'est pas le cas de toutes les commissions des accidentés du travail, il y a des différences selon les régions du Canada.

Toutefois, des accidents continuent de se produire. Nous avons deux millions de travailleurs en Colombie- Britannique. Chaque année, environ 150 000 d'entre eux sont blessés au travail; 60 000 sont victimes de blessures suffisamment graves pour devoir prendre des congés. Et, malheureusement, 150 demandes d'indemnisation liées à des accidents mortels en milieu de travail nous parviennent chaque année.

Parmi les travailleurs, il y a des personnes atteintes de maladie mentale ou de toxicomanie, et certaines d'entre elles sont blessées. Les problèmes qu'elles nous présentent sont les mêmes que ceux de tous les autres accidentés. Parfois, les problèmes liés à leur santé mentale ou à leur toxicomanie se superposent à la blessure et peuvent nuire à leur rétablissement. Il arrive aussi qu'une blessure physique provoque un problème de santé mentale. Pensez au travailleur victime d'une blessure à la tête. Pensez au travailleur qui développe une accoutumance à l'égard des médicaments qui lui ont été prescrits pour soulager une douleur au dos ou au cou. Tous ces problèmes sont très concrets et peuvent se présenter dans le cadre d'une demande d'indemnisation.

Certaines personnes souffrent d'une affection sous-jacente, et une blessure peut déclencher une psychose ou créer une invalidité. Dans tous ces cas, nous avons des lois et des politiques qui permettent au WCB d'intervenir. L'an dernier, en Colombie-Britannique, nous avons réalisé 960 évaluations psychologiques de particuliers inscrits à notre système, pour les aider à se rétablir et à obtenir des traitements et aussi pour déterminer la validité de leurs demandes d'indemnisation.

Nous avons des politiques et nous acceptons tous les cas où il existe un besoin et un lien clair entre le lieu de travail et la blessure, la maladie mentale ou la toxicomanie. Là où nous avons le plus de difficulté, c'est dans le secteur du stress. Dans les cas de stress déclenché de façon spécifique, par un incident traumatisant — une prise d'otage, un vol de banque, un pompier qui arrache un enfant aux flammes mais qui voit d'autres enfants périr dans l'incendie —, le problème nous regarde. Il s'agit d'incidents très réels qui peuvent produire un stress psychologique. Nous pouvons traiter ces cas en vertu de notre loi, et nous le faisons.

Certaines provinces ont fixé la limite d'inclusion au stress d'apparition graduelle, c'est-à-dire les cas où le stress n'est pas nécessairement dû à un incident spécifique, mais s'aggrave avec le temps. La tendance, en Amérique du Nord, est d'exclure ces états de santé de la sphère des problèmes visés par l'indemnisation des accidentés du travail. Cela nous ramène au compromis historique. Comment peut-on rapprocher le lieu de travail et le problème de santé? Quel est le lien dans de tels cas? Si vous voulez obliger les employés à financer le système, cet aspect doit être examiné.

La protection n'est pas universelle. En Australie, le régime d'indemnisation des employés fédéraux s'appelle ComCare. Il prévoit des indemnités pour le stress, y compris le stress d'apparition graduelle. Mais sachez que le stress figure maintenant dans 7 p. 100 de toutes les demandes d'indemnisation présentées au régime d'indemnisation des employés fédéraux en Australie et qu'il représente 27 p. 100 de tous les coûts du système.

Vous avez une loi similaire, comme je l'ai dit, la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État, qui protège l'employeur, c'est-à-dire le gouvernement fédéral, contre les poursuites intentées par les employés en raison d'accidents et de blessures liés au travail. Le gouvernement fédéral a demandé à chaque province d'administrer cette loi. J'ai distribué à la greffière un exemplaire d'une très récente décision dans la cause Royal Canadian Mounted Police c. Bruce Rees and Vina Rees entendue par la Cour d'appel de Terre-Neuve-et-Labrador, qui a été prononcée par le juge en chef Clyde Wells. Elle vous donnera peut-être une meilleure idée de la complexité des affaires d'apparition graduelle du stress et illustre bien le fait que les définitions fédérales diffèrent de celles adoptées au niveau provincial. C'est peut-être l'un des premiers cas où l'apparition graduelle du stress est considérée, du moins d'après les tribunaux, comme relevant de la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État, et cela pourrait avoir certaines conséquences en matière de politique.

Le président : Pouvez-vous nous indiquer rapidement de quoi il retourne?

M. Bogyo : Le travailleur était un agent de la GRC qui a été victime au travail d'une série d'incidents de harcèlement, selon les termes utilisés, et qui a fini par sombrer dans la dépression à tel point qu'il ne pouvait plus travailler. L'affaire a été soumise au Tribunal des droits de la personne et, au bout du compte, des dommages-intérêts ont été accordés au travailleur et à sa conjointe. Les choses se sont déroulées ainsi parce que le travailleur avait été avisé qu'il ne pourrait pas faire appel ni présenter une demande au régime d'indemnisation des travailleurs de Terre-Neuve, car ce système exclut l'apparition graduelle du stress. Le tribunal a considéré qu'une demande aurait dû être présentée au régime d'indemnisation des travailleurs de Terre-Neuve, mais qu'en réalité, cette demande relevait de la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État, la loi fédérale. La définition d'« accident » dans la loi fédérale est différente de celle que l'on trouve dans la loi provinciale.

Le président : Différente... vous voulez dire plus large?

M. Bogyo : C'est exact. Elle est plus large. Elle ne prévoit pas d'exclusion pour l'apparition graduelle du stress, alors que la loi provinciale l'exclut spécifiquement.

En conséquence, d'après le tribunal, et je le répète, je n'ai pas eu l'occasion d'examiner en détail la décision depuis sa publication, hier, mais le tribunal a conclu que ce cas relève de la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État, qu'il n'aurait pas dû être soumis à une autre compétence. La compétence indiquée, c'est la Commission de l'indemnisation des accidentés du travail. Le régime d'indemnisation des travailleurs de Terre-Neuve aurait dû examiner la demande, mais en fonction de la définition inscrite dans la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État, et accorder une indemnité, même si la loi provinciale n'autorise pas une telle mesure.

Le président : J'imagine que maintenant c'est la Commission de l'indemnisation des accidentés du travail de Terre- Neuve qui décidera du sort de cet agent de la GRC?

M. Bogyo : Je le crois.

Le président : Merci. Je n'ai pas lu le document, mais je me suis dit que puisque nous sommes télédiffusés au réseau CPAC, il valait la peine de donner la réponse plutôt que simplement la question.

M. Bogyo : Cette affaire est complexe et elle crée des différences dans la façon dont les causes seront traitées. Le cas illustre aussi les épreuves que les victimes doivent traverser y compris, en l'occurrence, les conjoints.

Le président : Merci.

M. Bogyo : C'est le thème de mon exposé d'aujourd'hui. Je tiens à souligner que les dispositions législatives visant l'indemnisation des travailleurs sont déterminées par les assemblées législatives du Canada. Nous prenons des mesures pour lutter contre le stress et la maladie mentale, qu'elle soit préexistante ou qu'elle soit attribuable à la blessure. Si cela constitue un obstacle au rétablissement, nous interviendrons.

De fait, on m'a téléphoné ce matin pour indiquer que l'an dernier, nous avions traité 780 personnes — c'est beaucoup plus que nos estimations — au coût de 1,4 million de dollars.

Aujourd'hui, il y a toujours 370 personnes qui sont considérées comme souffrant de maladie mentale ou de problèmes de toxicomanie et qui suivent des traitements au sein de notre système. Le plus souvent, ces personnes souffrent de troubles de l'humeur, de troubles de stress post-traumatique ou de dépression. Nous traitons aussi les difficultés d'apprentissage, qui créent des problèmes aux intéressés.

Nous avons un réseau de 300 psychologues qui peuvent fournir une aide, en particulier dans le cas des victimes de lésion cérébrale ou de psychose. À l'interne, nous avons 14,5 équivalents temps plein qui surveillent et gèrent ces cas.

Y a-t-il plus de cas maintenant que par le passé? D'après nos psychologues, un plus grand nombre de travailleurs souffrant de psychoses préexistantes, de maladies mentales et de toxicomanies sont victimes d'accidents. Ils traînent donc ce bagage avec leur blessure corporelle pendant leur rétablissement. Nous ne recevons pas plus de demandes pour cause de stress parce que notre régime législatif exclut le stress d'apparition graduelle.

Le président : Vous mentionnez que la loi fédérale n'exclut pas le stress qui s'aggrave avec le temps, le stress d'apparition graduelle. Vous avez peut-être de l'information à ce sujet en Colombie-Britannique, car vous arbitrez sans doute toutes les réclamations fédérales. Est-ce qu'un certain nombre de ces réclamations étaient liées à l'apparition graduelle du stress?

M. Bogyo : À ce que je sache, pas tellement. C'est sans doute en partie parce qu'avant la décision dont je viens de parler, la plupart des gens supposaient que la définition légale inscrite dans la loi provinciale prévaudrait. De fait, comme nous le savons maintenant, c'est la définition de la loi fédérale qui prévaut. Est-ce que les cas se multiplieront? Je crois que cela est possible, si la décision est maintenue.

Le président : Je suis renversé par les statistiques que vous nous avez présentées pour l'Australie, qui, si je comprends bien, portent uniquement sur les travailleurs de l'administration fédérale, et non pas sur l'ensemble de la population active.

M. Bogyo : C'est exact.

Le président : Vous avez dit que sept pour cent des réclamations avaient trait à des problèmes liés à la maladie mentale. C'est sept pour cent, en comparaison d'environ 1 000 sur 150 000, d'après les chiffres que vous nous avez fournis. Ce qui m'étonne encore plus c'est l'affirmation qu'en Australie cela ne correspond pas seulement à sept pour cent des demandes, mais aussi à 25 p. 100 des coûts.

M. Bogyo : C'est exact.

Le président : Je n'arrive pas à comprendre pourquoi. Nous devrons essayer de répondre à cela. Ces chiffres me semblent tout à fait disproportionnés.

M. Bogyo : En effet, cela paraît disproportionné. C'est une de nos préoccupations.

L'Australie n'est pas la première compétence à se heurter à ce problème. Des statistiques similaires ont été compilées en Californie et en Oregon, deux États qui ont modifié leurs définitions et les critères d'admissibilité du stress, quel qu'en soit le type. Dans leurs lois, je crois que l'on parle de stress d'origine mentale. Ce sont les cas où le stress est mental, par opposition à une blessure physique. Dans les deux cas, cela signifie un accès restreint aux prestations d'indemnisation.

Il faut aussi reconnaître que la plupart des blessures physiques, même les fractures, guérissent généralement en six semaines. Les préjudices causés à la constitution psychologique peuvent être beaucoup plus insidieux et difficiles à traiter et à guérir. Ce 27 p. 100 des coûts, en Australie, se rapporte principalement à l'indemnisation pour perte de revenus et au traitement qui continuera, dans de nombreux cas, pendant toute la vie de l'intéressé.

Le président : De fait, cela devient un coût permanent, étalé sur une période beaucoup plus longue que ce qu'il faut pour poser un plâtre sur une jambe cassée ou pour replacer une épaule.

Lorsque l'on vous présente une demande liée non pas au stress mais à une maladie mentale, vous êtes d'avis que cela n'est pas couvert par votre loi. Les victimes doivent donc se tourner vers le système de soins de santé de la Colombie- Britannique ou vers une autre ressource, si c'est leur seul problème. Est-ce exact?

M. Bogyo : Oui, à une réserve près. S'il existe un doute, notre système est basé sur l'enquête. Nous sommes autorisés à payer une évaluation psychologique et nous pouvons faire la détermination. Dans certains cas, nous concluons, après avoir demandé une évaluation, que la maladie n'est pas liée au travail. Le travailleur est alors libre d'utiliser cette évaluation psychologique relativement coûteuse pour obtenir des soins, dans la collectivité ou par l'entremise d'un autre organisme, y compris peut-être un programme d'aide aux employés.

Le président : Par contre, que se passe-t-il si quelqu'un vous présente une demande d'indemnisation à la suite d'un accident de travail qui s'est peut-être produit parce que cette personne était déprimée, distraite ou ne travaillait pas aussi bien qu'elle l'aurait dû? Je ne parle pas de schizophrénie ni d'autre maladie aussi grave; je parle de questions de stress qui font que les personnes sont moins attentives. Est-ce que d'après vous, dans de telles circonstances, en plus de traiter la blessure physique, vous essayeriez aussi de traiter la maladie sous-jacente?

M. Bogyo : Comme je l'ai dit, si cela fait obstacle au rétablissement ou au traitement, nous avons pour politique de traiter la toxicomanie et la maladie mentale. Nous avons un cas à l'heure actuelle, un sans-abri qui a été blessé à l'épaule et que nous logeons dans un hôtel. Cette personne souffre d'une maladie mentale préexistante et de toxicomanie. Ces troubles nous empêchent de stabiliser sont état pour que notre client puisse subir une chirurgie de l'épaule.

Le président : J'imagine qu'il s'est blessé alors qu'il travaillait, et qu'il n'était pas sans-abri.

M. Bogyo : C'est exact. Il y a un lien avec le travail. Il a été embauché, si je me souviens bien, comme journalier. Quoi qu'il en soit, puisqu'il est blessé à l'épaule et que cela est relié au travail, nous devons l'aider. Pour ce faire, nous lui avons offert, et il l'a accepté, un appui pour traiter sa toxicomanie et stabiliser son état mental afin qu'il puisse se soumettre à la chirurgie.

Après la chirurgie, nous le logerons encore à l'hôtel et des infirmières visiteuses et des conseillers iront changer ses pansements et s'assurer qu'il est stabilisé. Nous fermerons ensuite son dossier, et nous essayerons — et nous essayons — de l'aiguiller vers les services communautaires appropriés, car nous n'avons pas la compétence voulue pour continuer d'intervenir lorsque nous aurons fini de le soigner.

Le président : Mais concrètement, dans les faits, quand son épaule sera guérie, cette personne ne relèvera plus de vous.

M. Bogyo : Le compromis historique qui découle du lien entre le milieu de travail et l'accident ou l'état de santé ne justifiera plus la dépense des fonds de l'employeur qui nous sont confiés.

Le président : Vous n'êtes peut-être pas au courant, mais est-ce que toutes les lois provinciales sur les commissions d'indemnisation des accidentés du travail traitent la maladie mentale et les problèmes liés au stress de la même façon? Vous avez dit que la loi fédérale était différente à cet égard, mais est-ce que toutes les lois provinciales sont à peu près semblables?

M. Bogyo : La situation évolue en ce sens. Je ne peux pas parler de toutes les lois. Il existe certaines différences. Dans notre premier rapport, vous trouverez un tableau qui indique les écarts pour chaque province. Des changements sont continuellement apportés. Dans les faits, la situation que j'ai décrite s'appuie plus sur la politique sur la loi. Vous constaterez aussi certaines différences de politique entre les régions du pays.

Le sénateur Cordy : J'aimerais revenir à ce qui se passe lorsqu'une blessure physique vient s'ajouter à une maladie mentale ou à une toxicomanie. L'exemple que vous nous avez donné concernait une personne qui était déjà toxicomane. Que se passe-t-il si une blessure entraîne effectivement une accoutumance ou une dépression? Quelqu'un confiné dans sa résidence pendant des mois à cause d'un mal de dos peut sombre dans la dépression.

Que se passe-t-il dans ces cas? Est-ce que vous traitez seulement la blessure qui était directement liée au travail, le mal de dos? Si un état mental ou une toxicomanie est le résultat d'une blessure physique, est-ce que vous devez prendre en charge ce nouveau problème?

M. Bogyo : La réponse est brève, c'est oui. S'il y a un lien clair entre la blessure subie au travail et la dépression ou la toxicomanie, nous intervenons. C'est une situation très courante, la blessure entraîne une dépression, une accoutumance aux médicaments, en particulier aux antidouleurs, et même des idées suicidaires. Dans ces cas, nous intervenons et nous offrons des services de counselling.

J'ai commencé ma carrière il y a 25 ans à titre de consultant en réadaptation professionnelle. Un de mes premiers clients était une personne qui avait travaillé dans une imprimerie du genre où parfois le papier se coince et prend feu. Il était en train de dégager une de ces accumulations de papier lorsqu'un courant d'air est venu enrouler le papier autour de ses jambes, et le papier a pris feu. Le polyester de son pantalon a fondu et le travailleur a été gravement blessé. Son cas m'a été confié environ trois mois après l'accident, et j'ai constaté que nous n'avions eu aucun contact avec ce travailleur depuis trois ou quatre semaines. Je me suis rendu à son appartement. Comme il ne répondait pas au téléphone, j'ai demandé au concierge d'essayer de le convaincre de nous ouvrir. Nous avons frappé à la porte, et il est venu nous ouvrir. Il était au lit. Après lui avoir parlé, j'ai établi qu'il semblait ruminer des pensées suicidaires, et le psychologue m'a appris par la suite qu'il s'agissait de stress post-traumatique. Ce travailleur a mis du temps à se remettre, et je pense qu'il n'est jamais retourné travailler à l'imprimerie. Tout le traitement, le traitement psychologique, les médicaments que nous avons utilisés, le temps qu'il nous a fallu et la perte de revenus, tout a été couvert comme séquelle de la blessure, et donc dans le cadre du régime d'indemnisation des travailleurs.

Le sénateur Cordy : Est-ce que ce travailleur a dû prouver qu'il ne souffrait pas d'une maladie préexistante? Par exemple, s'il avait vécu un épisode dépressif cinq ans auparavant, est-ce que cela serait entré en compte?

M. Bogyo : Les renseignements de ce type sont importants. Comme je l'ai dit, s'il s'agissait d'une maladie et non pas d'une invalidité, si la personne travaillait et qu'elle était en mesure de gérer sa maladie avant la blessure, nous l'accepter telle qu'elle nous arrive. Dans le cadre d'un régime d'indemnisation des travailleurs, nous devons admettre le principe qu'une personne fragile peut être victime d'un accident. Le fait que pour ces personnes la blessure soit plus grave ou ait des conséquences plus graves ne nous dégage pas de notre obligation d'engager les dépenses qui s'imposent pour améliorer son état. Nous devons faire ce que nous pouvons pour l'aider à se rétablir.

Le sénateur Cordy : Si vous parlez strictement de santé mentale ou de toxicomanie, il vous faudrait prouver un lien évident entre le travail et le problème de santé mentale. Est-ce qu'il est très difficile pour une personne qui souffre de stress de prouver un lien clair avec le travail? Est-ce laborieux, ou est-ce relativement courant?

M. Bogyo : Nous fonctionnons dans un contexte d'enquête. Notre loi prescrit que s'il y a autant de probabilités d'un côté que de l'autre, nous devons trancher en faveur du travailleur. La plupart de ces cas nous sont renvoyés par des arbitres ou des médecins et des physiothérapeutes qui traitent le travailleur pour un mal physique et qui constatent un changement de comportement. La personne fait de remarques dépressives, ou ses fournisseurs de soins reconnaissent un symptôme quelconque d'une toxicomanie ou d'une maladie mentale. Ils informent l'arbitre, et c'est dans de tels cas — dans au moins 960 cas, l'an dernier — que nous demandons une évaluation psychologique. Nous commençons par examiner les causes du problème, et si un traitement s'avère nécessaire, nous le fournissons.

Le sénateur Cordy : Quelle est la durée de l'attente en cas d'appel de la décision, qu'il s'agisse d'un problème physique ou mental?

M. Bogyo : En vertu des derniers changements apportés à la loi en Colombie-Britannique, nous avons des échéances strictes à respecter tant pour l'examen interne — je crois que c'est de l'ordre de 90 jours — qu'au deuxième niveau, au tribunal d'appel du régime d'indemnisation des accidentés du travail, où le délai est de l'ordre de 150 jours. Ce sont les échéances fixées par la loi, et nous devons les respecter en cas de différend.

Nous essayons dès le départ de traiter un maximum de demandes. Il ne faut pas oublier que dans la plupart de ces cas, les cas qui présentent un aspect psychologique ou dont la psychose, la maladie mentale ou la toxicomanie s'est déclarée à la suite d'une blessure, il est fort probable que nous avons déjà accepté la demande. Nous avons commencé à traiter la blessure. La question qui se pose alors, c'est de savoir si le problème ouvre droit à une indemnisation. Il est très rare que l'on aille en appel, et je n'ai aucune statistique à ce sujet. Si le comité le désire, je suis convaincu que nous pourrons effectuer quelques vérifications précises pour établir le nombre de cas visés.

Le sénateur Cordy : Est-ce que les autres provinces ont légiféré au sujet des délais?

M. Bogyo : De plus en plus, on essaie dans les lois de veiller à ce que les décisions soient prises en temps opportun.

Le sénateur Cordy : Dans ma province, en Nouvelle-Écosse, on entend toutes sortes d'histoires au sujet de blessures. Les journaux ne parlent que des pires cas, mais il y a certainement un important retard dans le traitement des dossiers d'indemnisation des accidentés du travail, et la situation est déjà très difficile lorsqu'il s'agit d'une blessure physique, mais c'est encore pire si le travailleur souffre aussi de stress, parce que l'attente ne fait qu'augmenter le stress.

M. Bogyo : Nous sommes d'accord, et la loi l'a reconnu et a fixé des limites que nous devons maintenant respecter.

Le sénateur Cook : Je crois que la province de la Colombie-Britannique a une longueur d'avance sur le reste du pays en matière d'indemnisation des accidentés du travail. Je crois comprendre, d'après ce que j'ai lu, que votre programme est très complet. Nous envisageons d'élaborer une stratégie nationale de santé mentale. J'aimerais connaître vos hypothèses, si je peux m'exprimer ainsi, au sujet des écarts qui existent au pays et que nous devrions chercher à éliminer dans ce contexte. Par exemple, est-ce que les politiques sur les demandes d'indemnisation des travailleurs pour des questions de santé mentale seraient révisées, et par qui? De quelle manière est-ce que nous pourrions uniformiser les diverses commissions d'indemnisation des accidents du travail relativement à la maladie mentale et à la toxicomanie? C'est l'angle sous lequel je vois les choses. Si nous envisageons une stratégie nationale en matière de santé mentale, est- ce que nous trouverons un dénominateur commun, est-ce qu'il y a des écarts dans le système?

M. Bogyo : C'est le genre de questions, je m'en souviens, qui étaient soulevées dans le document que vous avez consacré aux options. La situation est complexe. Les lois sur l'indemnisation des accidentés du travail relèvent des provinces. Elles ne sont pas élaborées isolément, mais bien dans le contexte des autres dispositions législatives de la province. La Colombie-Britannique a peut-être déjà des lois qui appuient à certains égards la santé mentale dans les collectivités. Les limites et la portée de la loi sur l'indemnisation des accidentés du travail sont définies dans ce contexte.

Sur la scène nationale, il existe une association des commissions d'indemnisation des accidentés du travail au Canada. Nous l'utilisons pour échanger des idées et de l'information qui pourraient être utiles aux législateurs et aux décideurs. Le personnel de cette association ne compte toutefois que trois équivalents temps plein et un employé à temps partiel pour nous aider à produire certaines statistiques. Il s'agit d'une association d'administrateurs et non pas de législateurs. Une telle stratégie serait, sur le plan législatif, très analogue à ce qui existe pour les soins de santé.

Il s'agit d'une compétence provinciale. Il faudra un consensus national entre les législateurs pour établir une norme à ce niveau. Nous pourrions aussi faire des comparaisons, ce qui favoriserait une certaine uniformité. Les travaux du comité et de l'Association des commissions d'indemnisation des accidentés du travail pour dégager les différences aident les législateurs et la population à déterminer dans quels secteurs des ajustements s'imposent. Le gouvernement fédéral est un intervenant dans ce domaine puisqu'il a instauré la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État. Il pourrait peut-être assurer le leadership et encourager d'autres organisations à uniformiser les règles. En effet, il a avec les gouvernements provinciaux des contrats relatifs à l'administration des demandes d'indemnisation. Il pourrait adopter dans sa propre loi un libellé spécifique qui favoriserait une certaine uniformité de traitement dans l'ensemble du pays, d'abord pour les employés fédéraux puis, en bout de ligne, pour les autres.

Le sénateur Cook : Dans le système actuel, il y a peu de communication entre les structures des différentes provinces. Est-ce qu'il y a en matière de pratiques exemplaires un étalon qui nous aiderait à mettre au point une stratégie nationale de la santé mentale dans le contexte actuel? Devrions-nous plutôt chercher d'autres solutions?

M. Bogyo : De façon générale, cela serait peut-être un peu ambitieux à notre avis, en raison de la nature même de l'indemnisation des accidentés du travail. En outre, il y a une mesure de compétition dans ce que nous faisons. Le coût de l'indemnisation des accidentés du travail est de deux ou trois pour cent du coût de la main-d'œuvre au Canada. Nous sommes en compétition avec le monde entier. Les commissions d'indemnisation des accidentés du travail aux États-Unis ont une structure de coûts et des limites semblables aux nôtres. Compte tenu entre autres de l'information dont nous disposons au sujet des régimes qui couvrent mieux le stress d'apparition graduelle, il faut s'attendre à une augmentation des coûts; c'est ce qui s'est produit en Californie et en Oregon. L'entreprise s'inquiète d'une hausse des coûts qui influerait sur sa compétitivité. À certains égard, je veux modifier le paradigme et faire valoir qu'en effet, les commissions d'indemnisation des accidentés du travail profitent de la mesure, mais que de façon plus générale c'est la société et l'économie canadienne qui bénéficient d'une population active en bonne santé mentale. Le Canada profite du fait que ses travailleurs ont accès à un régime complet de soins de santé, un avantage qui n'existe pas aux États-Unis et qui inquiète profondément les régimes d'indemnisation des travailleurs chez nos voisins du sud. Nous profitons de cela et nous serions aussi en faveur d'un régime de mieux-être. Nous voulons promouvoir le mieux-être, en particulier sur le plan de la prévention, car notre organisation, en Colombie-Britannique, a un mandat dans ce domaine. Je ne sais pas si vous êtes en mesure d'assurer une certaine uniformité entre les régimes d'indemnisation des accidentés du travail, mais vous pourriez soutenir qu'il serait bénéfique d'adopter une stratégie uniforme.

Le sénateur Cook : Je suis heureuse de constater que même quand la blessure est d'abord physique vous abordez la guérison de façon globale. Il est réconfortant de l'entendre affirmé par le représentant d'une commission d'indemnisation des accidentés du travail.

Le président : Je veux souhaiter la bienvenue au sénateur Dyck, de la Saskatchewan. Elle a été nommée au Sénat la semaine dernière, et nous sommes heureux qu'elle fasse maintenant partie de notre comité.

Le sénateur Cochrane : Monsieur Bogyo, dans votre mémoire vous faites allusion à la section 6.4.2 du volume 1 d'une étude qui indique que certaines commissions d'indemnisation des accidentés du travail hésitent plus que d'autres à offrir des prestations d'invalidité pour les maladies mentales. Pouvez-vous m'en dire plus?

M. Bogyo : Cela se trouvait dans le volume 1 du rapport du comité, qui citait un rapport rédigé pour le Yukon, si je me souviens bien. On y exposait simplement les dispositions législatives. Ce n'est pas tant que les commissions hésitent à offrir de telles prestations, mais plutôt que les législateurs ont adopté des règles qui conviennent à leur situation pour déterminer dans quelle mesure le stress ou certains types de maladie mentale seront couverts par la loi.

Ce choix relève des législateurs; les commissions d'indemnisation des accidentés du travail se contentent d'administrer la loi. Le tableau du rapport montrait l'éventail des écarts législatifs. Il ne s'agit pas d'hésitation de la part des commissions, car les commissions ne font que ce que la loi leur dit de faire. Nous sommes la manifestation concrète de la loi. La loi nous régit tout comme la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État, qui ne figurait pas sur cette liste, influe sur ce qui est couvert pour les employés fédéraux. Les différences découlent de la responsabilité qu'ont les législateurs de concevoir des lois qui reflètent les valeurs sociales, politiques, économiques, culturelles et historiques inhérentes à leur compétence. Il n'appartient pas à la commission de dire si cela est bien ou mal. Notre tâche est d'administrer la loi. Ce n'est pas une question d'hésitation. Si la loi dit que quelque chose est inclus, nous allons l'accepter.

Le sénateur Cochrane : Je ne sais pas s'il est juste de vous poser cette question. Souvent, nous entendons à la radio ou à la télévision que les travailleurs perdent plus de temps en raison du stress. Le stress a un effet sur l'efficacité au travail. Est-ce que vous le constatez?

M. Bogyo : Nous avons environ 2 200 employés. Nous ne pouvons pas ignorer les dangers du « présentéisme ». Nous accordons tant d'importance au bien-être de notre main-d'œuvre que nous avons mis sur pied un programme d'aide aux employés. Nous avons précisé qu'il s'agissait d'un programme d'aide aux employés et à leurs familles, car nous voulons la famille puisse avoir accès aux services sans s'inquiéter de faire intervenir directement l'employé. Nous diffusons des messages dans les foyers au moyen d'aimants à poser sur les réfrigérateurs. Nous tenons tellement à ce principe que nous avons adopté un nouveau programme pour nos employés, pour offrir comme modèle ce qui nous paraît être un programme approprié pour promouvoir la sécurité, la santé et le bien-être des employés. Nous constatons certainement les effets du stress. Au pays et à l'étranger, cette question prend de plus en plus d'importance dans le domaine de l'indemnisation des accidentés du travail. Le rapport des National Institutes for Occupational Safety and Health est une excellente source d'information au sujet du stress lié au travail, et il est distribué gratuitement. Aux États-Unis, peu de régimes admettent les cas de stress lié au travail, mais de toute évidence il s'agit d'un problème que même les NIOSH tentent d'atténuer.

Le sénateur Cochrane : Savez-vous si certaines entreprises s'inspirent des programmes que votre organisation a créés à l'intention de ses employés et de leurs familles?

M. Bogyo : Oui. Je ne veux pas en nommer, mais je sais que cette tendance est de plus en plus marquée. Vous le constaterez dans la documentation sur les ressources humaines publiée issue de la conférence de l'American Association of State Compensation Insurance Funds, qui s'est tenue l'été dernier à Minneapolis. Un des discours- programmes était consacré au mieux-être, notamment au sein des organisations. Nous avons vu des rapports similaires au Workers' Compensation Summit, à Sydney, en Australie, l'an dernier. L'International Association of Industrial Accidents Boards and Commissions a justement consacré tout un séminaire au thème du leadership cette année, à Omaha.

Les employeurs sont de plus en plus conscients que la santé mentale et le mieux-être, l'équilibre dans la vie des travailleurs, sont des aspects que nous devons apprécier et encourager. À la WCB de la Colombie-Britannique, nous croyons qu'il nous faut présenter un modèle de ce type à la communauté des employeurs et l'adopter pour nos propres employés.

Le sénateur Cochrane : À Toronto, nous avons entendu des témoins souligner que les organisations, les employeurs, et cetera, devraient être sensibilisés au fait qu'il faut modifier les horaires pour certains de ces travailleurs qui souffrent d'un stress considérable ou de maladie mentale. Par exemple, plutôt que de les faire travailler de neuf heures à dix-sept heures, on pourrait sans doute leur demander de travailler de neuf heures à quinze heures ou de neuf heures à midi, répondre à leurs besoins parce qu'ils éprouvent des difficultés que d'autres ne connaissent pas. Est-ce que cela se fait?

M. Bogyo : Au début de ma carrière, et cela fait partie de mes états de service, j'étais consultant en réadaptation professionnelle, c'est-à-dire que je travaillais avec les gens eux-mêmes. Au WCB de la Colombie-Britannique, nous avons un solide programme de retour au travail. Si quelqu'un éprouve des difficultés d'ordre mental ou physique, que le problème soit lié au travail ou à d'autres causes, nous faisons ce que nous pouvons pour l'aider à s'adapter à notre lieu de travail.

Récemment, une employée qui travaillait avec moi depuis à peu près un an souffrait d'un cancer très avancé. Elle ne voulait pas rester à la maison avec son fils adolescent. Elle préférait être au milieu des gens. Nous avons pris certaines dispositions et elle a pu travailler avec moi jusqu'à la dernière semaine avant son décès. Mes assistants et moi-même avons établi des liens d'amitié avec elle. C'était une situation difficile, mais je crois qu'il était important pour elle, mais aussi pour les membres de mon groupe, de pouvoir continuer à travailler. Cette expérience nous a beaucoup apporté.

Le président : J'aimerais poser une petite question au sujet des réponses que vous avez fournies au sénateur Cochrane. Je suppose que le type de programmes dont vous venez de parler, qui sont offerts à vos employés, qu'il s'agisse de stress au travail ou de prévention du stress, ne s'adressent pas aux clients du WCB, mais plutôt à ses employés, et que le WCB est ici l'employeur qui parraine un régime de santé. Est-ce exact?

M. Bogyo : C'est exact. Nous croyons que nous devons prêcher par l'exemple et nous sommes partisans de la gestion de l'incapacité. Nous reconnaissons l'importance du retour au travail. Nous croyons que le travail est un aspect précieux de la vie de tous et nous reconnaissons l'importance du mieux-être, que cela soit lié au travail ou non. C'est ce que nous voulons offrir comme modèle. Nous agissons ainsi parce que nous voulons être un bon employeur, mais aussi parce que cela reflète les valeurs de notre organisation.

Le président : J'imagine que vous achetez une police auprès d'un assureur privé.

M. Bogyo : Oui, pour les prestations d'invalidité à long terme, mais nous avons notre propre personnel pour le retour au travail, du personnel qui travaille avec nos employés, que leurs blessures soient ou non liées au travail; nous faisons les deux. Nous avons notre propre programme de mieux-être, administré par notre service des ressources humaines. Nous avons notre propre programme de conditionnement physique, administré bénévolement par des membres de notre personnel.

Le président : Vous autofinancez votre programme d'invalidité à court terme? Vous n'avez pas d'assurance?

M. Bogyo : Tout est autofinancé. Notre programme assuré est administré par un tiers sur une base d'acheminement des coûts.

Le sénateur Pépin : Vous avez un programme de prévention, vous avez divers programmes comme — et je lis — mieux-être mental, mieux-être intellectuel, mieux-être spirituel. Je constate aussi que vous gérez un programme en milieu scolaire, en collaboration avec le ministère de l'Éducation. J'aimerais que vous nous en parliez un peu, parce que cela paraît fort intéressant.

M. Bogyo : C'est un secteur très intéressant, et nous sommes très fiers de pouvoir y intervenir. Nous croyons que la prochaine génération de travailleurs devra manifester des attitudes sécuritaires et saines, elle devra avoir des convictions en matière de sécurité et de prévention. Avec le ministère de l'Éducation, du jardin d'enfance jusqu'à la fin des études secondaires, nous avons intégré dans les programmes scolaires un volet de sensibilisation à la sécurité en milieu de travail.

Je serai très heureux de faire parvenir au comité un de nos ouvrages-ressources, en particulier pour le niveau secondaire, mais nous ne sommes pas les seuls à agir dans ce domaine au Canada. Dans l'Île-du-Prince-Édouard, on a créé une mascotte baptisée Stella, une moufette qui prône la sécurité, parce que « c'est dégoûtant d'avoir mal! » Il s'agit d'attirer l'attention des jeunes enfants sur la sécurité et la prévention. En Colombie-Britannique, nous avons un petit personnage qui s'appelle Work Safe Sam, une créature amicale qui porte un casque de sécurité et ressemble un peu à un Schtroumpf. Il participe maintenant à des défilés et à des manifestations pour rendre la notion de sécurité plus attrayante et plus accessible aux yeux des enfants et de leurs familles. Nous croyons que c'est la société qui doit changer les attitudes, tout comme vous parlez, dans votre rapport, de la société qui doit changer les attitudes à l'égard de la maladie mentale et de la toxicomanie.

Le sénateur Pépin : L'intervention commence au jardin d'enfance, et je crois que c'est excellent, parce que les enfants apprennent très tôt ce qu'ils devraient faire. J'aimerais en avoir un exemplaire.

M. Bogyo : Je ferai parvenir au comité certains de nos documents au sujet du programme du jardin d'enfance à la fin des études secondaires.

Le président : Cela nous sera très utile.

Le sénateur Gill : J'aimerais savoir si ce programme cible aussi les membres des Premières nations.

M. Bogyo : Est-ce que le programme s'applique à eux? Le programme d'éducation?

Le sénateur Gill : Celui-là et les autres, l'indemnisation.

M. Bogyo : Les programmes d'éducation et d'indemnisation s'adressent aussi aux membres des Premières nations. Les Autochtones sont couverts par la Commission de l'indemnisation des accidentés du travail. Nous recevons des demandes de ce secteur. Nous travaillons avec les bandes. Certains de nos bureaux sont situés dans des régions où il y a une forte proportion de membres des Premières nations, et nos agents de la prévention, nos arbitres et nos agents de réadaptation établissent des rapports avec la bande pour aider les travailleurs à reprendre le travail et à prévenir les accidents.

Le sénateur Gill : Est-ce que cela signifie que vous êtes dans les réserves ou à l'extérieur?

M. Bogyo : Certains types d'emploi dans les réserves sont visés. Ils ne sont pas exclus.

Le président : Pour terminer, j'aimerais revenir sur trois ou quatre points, d'après ce que vous nous avez expliqué. Vous me direz si j'ai tort ou raison. Premièrement, en règle générale, la fréquence croissante de la maladie mentale chez les Canadiens n'est pas du ressort du WCB, simplement parce que l'organisation n'a jamais eu pour mandat de s'occuper d'autre chose que des accidents de travail. Comme vous l'avez mentionné au sujet des données de l'Oregon et de la Californie, l'élargissement de la couverture du WCB de façon à englober toutes les formes de maladie mentale, en particulier celles dues au stress, pourrait avoir un impact économique considérable. C'est donc dire que si notre comité envisage de modifier le système pour aider les gens qui souffrent de ce genre de problèmes, il doit chercher ailleurs qu'au WCB, en raison des conséquences économiques et parce qu'il s'agit pour les employeurs d'une question qui ne se limite pas au milieu de travail.

Il nous faut donc examiner un peu plus en détail ce que font divers employeurs pour aider leurs employés à lutter contre le stress dû au travail. Est-ce que cela est une conclusion raisonnable?

M. Bogyo : Je crois que c'est une conclusion très raisonnable. Permettez-moi d'ajouter que j'ai entendu d'autres intervenants proposer que les employeurs se regroupent pour offrir des programmes et des services, parce que nous faisons affaire avec un grand nombre de petits employeurs qui n'ont pas accès à ces services. L'instauration d'une infrastructure pourrait, de toute évidence, favoriser la santé de la main-d'œuvre.

Le président : Bien. Il ne s'agirait pas d'un régime collectif classique, qui s'adresse à un groupe d'employés d'un même employeur; vous voudriez créer un régime collectif pour un ensemble d'employeurs.

M. Bogyo : C'est une des propositions dont j'ai pris connaissance. Là encore, nous n'avons pas d'autorité dans ce domaine.

Le président : Les données de l'Australie me reviennent constamment à l'esprit. Est-ce que vous pouvez nous dire d'où viennent ces chiffres? J'aimerais voir autant de détails que possible à ce sujet.

M. Bogyo : Ces données viennent de deux sources. L'une est un rapport de presse de l'Australie; je vous enverrai avec plaisir les découpures de presse. Je crois aussi qu'un exposé a été présenté en Australie. Ma collègue Roberta Ellis, vice-présidente à l'examen et aux enquêtes, y a assisté il y a environ un mois. J'essayerai de trouver plus d'information à ce sujet.

Le président : Cela nous aiderait beaucoup. Et voici ma dernière question. Puisque la loi canadienne couvre nombre des aspects que les lois provinciales ne couvrent pas, avez-vous recueilli des données au sujet du coût du régime canadien? J'imagine qu'il n'existe pas de données pour le Canada, car on suppose généralement que les lois provinciales définissent les conditions, alors très peu de demandes seraient présentées en vertu de la loi canadienne. Est-ce que c'est exact?

M. Bogyo : Je crois que oui. Il serait très difficile de calculer les coûts réels de l'indemnisation au moyen des données canadiennes. Si vous le faisiez, cela serait peut-être faussé parce que l'on croit généralement que la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État n'a pas plus de portée que les diverses lois provinciales sur l'indemnisation des accidentés du travail.

Le président : Dans l'autre étude que nous avons réalisée au sujet des soins physiques, du système hospitalier et médical, nous avons conclu que les données australiennes étaient fort comparables à celles du Canada, non pas en termes de montants absolus, mais de pourcentages des divers types de demandes et de la répartition fédérale- provinciale ou, pour l'Australie, fédérale-étatique.

Je vous remercie beaucoup d'être venu. Vous êtes venu de loin, mais votre contribution nous sera très utile.

M. Bogyo : Merci beaucoup.

Le président : Les témoins du prochain groupe représentent l'Association médicale canadienne, l'Association des psychiatres du Canada et la Société canadienne de pédiatrie.

Nous accueillons le Dr Albert Schumacher, président de l'Association médicale canadienne; le Dr Blake Woodside, président de l'Association des psychiatres du Canada et la Dre Diane Sacks, présidente sortante de la Société canadienne de pédiatrie, qui a déjà témoigné aux premières étapes de notre étude. Nous demandons aux témoins de nous présenter leur déclaration préliminaire, puis nous leur poserons des questions.

La docteure Diane Sacks, présidente sortante, Société canadienne de pédiatrie : Merci, je suis heureuse d'être à nouveau ici.

Je tiens à dire que les travaux de votre comité ont de nombreux aspects positifs, et je les suis de près. Je ne suis toutefois pas venue ici pour vous encenser. Ce n'est d'ailleurs pas ce que vous m'avez demandé.

Je suis ici à titre de présidente sortante de la Société canadienne de pédiatrie. Notre société compte environ 2 000 membres, soit presque tous les pédiatres du Canada, dont bon nombre travaillent dans les hôpitaux de notre pays.

La pédiatrie est une spécialité médicale axée sur le développement et la prévention, et ses praticiens étudient encore pendant quatre ans après avoir obtenu leur diplôme de médecine, en se concentrant sur les nourrissons, les enfants et les adolescents. Ils sont nombreux à consacrer une grande partie de leur temps de consultation et de soins primaires à traiter des problèmes de santé mentale. Notre pratique est le lieu idéal pour écarter toute affection physique qui se manifeste sous forme de troubles psychiatriques et pour appliquer des traitements médicaux institués par nos collègues pédopsychiatres et psychiatres de l'adolescence. Notre expérience des normes de développement et de comportement constitue un atout supplémentaire, mais pourtant les pédiatres sont souvent oubliés par les régimes provinciaux lorsqu'il s'agit de régler les problèmes de santé mentale des enfants et des adolescents.

Ce que je déplore le plus dans le travail en cours, c'est que personne n'insiste sur le fait que la plupart des troubles de santé mentale dont souffrent les Canadiens aujourd'hui ont débuté dans l'enfance ou l'adolescence. Faute de reconnaître cette réalité, nous devons traiter un cancer de phase quatre, souvent avec d'importants effets secondaires, plutôt qu'une maladie de phase un ou deux. Comme l'obésité, les questions de santé mentale, si elles ne sont pas traitées dans l'enfance, menacent de mener à la ruine notre système de soins de santé.

On ne reconnaît pas non plus le succès des approches que les spécialistes du développement, du comportement et de la santé des enfants utilisent déjà dans les collectivités. Les pédiatres, les psychologues, les travailleurs sociaux et les infirmières pédiatriques, en collaboration avec les écoles, les médecins de famille et nos collègues de la pédopsychiatrie, consacrent jusqu'à 70 p. 100 du temps à vérifier, à détecter et à traiter avec succès ces états et certains des troubles qui nous inquiètent. Faute de soutien, ces approches sont vouées à l'échec.

La société a répondu au rapport du comité, et j'aimerais développer certains aspects de notre réponse. Il est positif de reconnaître que les enfants et les adolescents qui ont des troubles de santé mentale sont en fait « doublement orphelins ». Il faut maintenant passer à l'étape suivante et reconnaître que la majorité des troubles de santé mentale des adolescents — la dépression, l'anxiété, les troubles déficitaires de l'attention, les difficultés d'apprentissage — sont d'origine génétique, qu'ils commencent dans l'enfance et qu'ils ne finissent pas par disparaître. Nous devrions concentrer le dépistage et le traitement des jeunes. Les maladies des enfants et des adolescents doivent être comprises à titre de précurseurs des troubles des adultes et non pas en eux-mêmes, comme des orphelins. Cela devrait, de fait, constituer une priorité.

Il est positif de reconnaître qu'il faut offrir les services en milieu scolaire. L'étape suivante consiste à reconnaître qu'il existe maintenant des outils peu coûteux, faciles à utiliser et déjà validés pour dépister nombre de ces troubles chez les enfants. Ces outils doivent être utilisés auprès d'une population à haut risque, qu'il est possible de définir dans le système scolaire.

Qui compose cette population? Ce sont les enfants souvent absents, ceux qui échouent ou qui décrochent. Il faut les repérer et vérifier automatiquement leur état de santé mentale. Il n'est pas nécessaire d'attendre qu'ils soient en prison pour les tester et constater, comme cela s'est fait aux États-Unis, que près de 80 p. 100 des détenus sont atteints d'une maladie qui aurait pu être diagnostiquée.

Il est impérieux que les médecins de famille apprennent à repérer et à faire tester tous les enfants de parents qui souffrent de tels troubles. Les ministères de l'Éducation doivent contribuer aux stratégies provinciales en matière de santé mentale. Il nous faut reconnaître que les services doivent être communautaires; les traitements doivent être offerts dans la collectivité, souvent par des spécialistes, dont d'ailleurs un bon nombre sont déjà installés et pourraient, avec un soutien éducatif et une rémunération adéquate, s'attaquer à ces problèmes.

Dans le contexte actuel, on ne reconnaît pas la présence de professionnels qui luttent déjà efficacement contre ces troubles. L'accès est donc inéquitable dans la collectivité.

Il nous faut reconnaître qu'actuellement, nombre de spécialistes et de traitements sont disponibles seulement pour ceux qui ont les moyens de payer. Les listes d'attente pour consulter ces spécialistes qui travaillent dans les hôpitaux ou les cliniques ont souvent plus d'un an. C'est la durée de l'attente pour le traitement de l'anxiété couvert par la RAMO à l'hôpital pour enfants à Toronto.

Il faut débloquer de nouveaux fonds pour réglementer les professionnels de la santé qui sont prêts à travailler auprès de ces enfants et de leurs familles. La pénurie de pédiatres qui prescrivent et supervisent les traitements médicaux et d'autres traitements pour les cas légers ou moyens, et l'extrême pénurie de pédopsychiatres et de psychiatres pour adolescents qui pourraient intervenir dans les cas les plus difficiles, en particulier en région rurale, ajoute à l'inégalité de l'accès aux soins.

Il nous faut reconnaître, comme vous l'avez fait dans votre rapport, qu'il y a actuellement une épidémie de suicide chez les adolescents au Canada. En outre, nous devons reconnaître qu'il est possible, aujourd'hui, de diagnostiquer la dépression chez les adolescents. La dépression est le principal précurseur du suicide dans ce groupe d'âge, et il existe des traitements psychothérapeutiques qui sont efficaces dans 60 p. 100 des cas. Une étude réalisée aux États-Unis a confirmé les statistiques américaines montrant que les taux de suicide dans ce pays ont radicalement diminué grâce à certaines de ces thérapies.

Par conséquent, comme le signalent les rapports, le Canada a besoin d'une stratégie nationale pour s'attaquer aux questions de santé mentale. Nous devons reconnaître que la population est dans une large mesure en faveur d'une intervention nationale dans ce secteur, en particulier s'il s'agit d'aider nos jeunes. Un très grand nombre de familles touchées par la maladie mentale vivent dans l'isolement et le désespoir, et faute de tests et de diagnostics, les parents ont souvent l'impression que ce sont eux qui ont échoué. La plupart des familles où des adultes sont atteints de ces maladies se rendent compte que ceux qu'elles aiment sont malades depuis l'enfance et elles auraient bien voulu être informées de ce qui se passait.

Nous recommandons la création d'un institut national de la santé mentale. Il nous faut cet institut pour mener une campagne d'éducation publique de grande visibilité. Il nous faut coordonner et appuyer des initiatives en cours, éliminer le double emploi ou, pire encore, la sous-utilisation de programmes efficaces. Nous devons superviser le financement accordé à la recherche sur les nouvelles thérapies et les méthodes innovatrices de collaboration avec les psychiatres de l'enfance et de l'adolescence, il nous faut instituer des bourses d'études spéciales pour accroître les effectifs professionnels dans ce domaine.

Cet institut devra appuyer la recherche pharmacologique dans le domaine de l'enfance et de l'adolescente. Faute de médicaments testés en pédiatrie, ces patients sont doublement orphelins, et les organismes fédéraux de réglementation des médicaments doivent être inclus. Nous avons besoin de cet institut pour coordonner la mise en commun, dans le cadre de rencontrer régulière, de programmes qui sont efficaces dans l'ensemble du pays et pour diffuser cette information et les résultats de la recherche dans les publications parrainées. Un tel plan pourrait faciliter la mise en commun opportune de l'information sur ces troubles, pour éviter des fiascos comme ceux qui ont récemment mené au rappel ou à la ségrégation de certains médicaments sans un avis préalable aux travailleurs de première ligne, de telle sorte que les patients ont abruptement cessé de prendre leurs médicaments.

Le comité doit être conscient qu'il faut s'attaquer aux problèmes de santé mentale dès le départ, avant que des années d'isolement, d'échec et de dysfonctionnement social ne mènent à l'automédication par les drogues et l'alcool, à des comportements abusifs, à une perte d'estime de soi, à d'autres comportements antisociaux et, malheureusement trop souvent, au suicide. En outre, il nous faut éduquer et rémunérer les professionnels pour qu'ils puissent travailler efficacement dans ce domaine et que leurs soins soient accessibles à tous. N'oublions qu'il y a de nombreux spécialistes dans ce domaine, mais que faute d'organisation et de communication, ils ne peuvent pas donner leur pleine mesure.

Le docteur Albert Schumacher, président, Association médicale canadienne : Honorables sénateurs, l'Association médicale canadienne est heureuse de témoigner à nouveau devant vous aujourd'hui, pour faire valoir la pressante nécessité de s'attaquer aux questions de santé mentale, de maladie mentale et de toxicomanie dans notre pays. Comme nous vous l'avons dit lors de notre comparution précédente, nous avons adressé une série de recommandations au gouvernement fédéral et nous les réitérons aujourd'hui. Depuis notre dernière comparution, votre comité a publié son rapport sur la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie, il a étudié les programmes et les politiques qui s'y rapportent au pays et les questions connexes dans le document résumant les options. Il s'agit d'une étude complète et approfondie des programmes et des services. Votre rapport définit la portée et la profondeur de toutes les préoccupations liées à la santé mentale et à la maladie mentale.

Dans ce contexte, l'AMC se concentre sur le rôle du gouvernement fédéral en matière de leadership, d'accessibilité, de responsabilisation et de disponibilité. Pour aller de l'avant, nous croyons qu'il faut pouvoir compter sur un leadership fédéral et une collaboration intergouvernementale sans précédents afin d'enrayer l'épidémie de problèmes de santé mentale et de toxicomanie qui sévit dans notre pays. Un premier pas en ce sens pourrait être de créer une ressource adéquate, un centre de la santé mentale confié, au sein de Santé Canada, à un sous-ministre délégué. Ce sous- ministre lancerait et coordonnerait des activités dans l'ensemble des ministères fédéraux pour s'acquitter des responsabilités fédérales à l'égard de populations précises relevant de sa compétence immédiate, notamment les employés fédéraux, les Autochtones et les anciens combattants.

Le sous-ministre délégué superviserait aussi les politiques et les programmes pancanadiens qui touchent la santé mentale, la maladie mentale et les toxicomanies et qui appuient la collaboration intergouvernementale. Le gouvernement fédéral réaliserait ainsi deux objectifs : il indiquerait sans ambiguïté sa ferme intention de s'attaquer au déséquilibre historique en matière de traitement des maladies mentales et il veillerait à ce que la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie ne soient pas perçues comme en marge du système de soins de santé, mais plutôt comme un élément des services de soins actifs, de soins aux malades chroniques et de santé publique. Pour ce qui est de l'équité de l'accès, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux doivent adopter une approche globale, reconnaître que les services de santé, l'éducation, le logement, le revenu, la collectivité et le système de justice ont tous un rôle à jouer en matière de santé mentale et de soins de santé mentale. La récente initiative de recherche en santé, dotée d'un budget de 3,2 millions de dollars et qui visait à améliorer la santé mentale en milieu de travail, comme l'a annoncé le ministre de la Santé, ainsi que la nomination de l'honorable Michael Wilson à titre de conseiller spécial sont une manifestation du leadership requis.

Parlons maintenant d'accessibilité. C'est la principale préoccupation des patients et de leurs familles relativement au système de soins de santé, en particulier en ce qui concerne l'accès aux services et aux programmes de santé mentale et de traitement des toxicomanies. L'AMC affirme depuis longtemps que l'accessibilité est une question vitale qu'il faut régler pour améliorer le système de soins de santé. L'enquête nationale réalisée auprès des médecins et dont les résultats ont été publiés en 2004 a révélé que 65 p. 100 des médecins accordaient à l'accès aux psychiatres une cote entre passable et mauvais à l'échelle nationale. Toutefois, il faut reconnaître que le problème ne tient pas seulement à l'accessibilité, mais aussi à la disponibilité. Il est impossible d'offrir de nombreux services importants en matière de santé mentale et de traitement de toxicomanie parce qu'ils ne sont tout simplement pas disponibles. Chez moi, à Windsor, en Ontario, la restructuration des services de santé a entraîné une diminution du nombre de lits réservés aux soins psychiatriques actifs et à long terme. Compte tenu de la population du comté d'Essex, il nous faudrait 35 psychiatres, mais nous n'en avons que 12. Nous empruntons deux pédopsychiatres quelques jours par mois, parce que nous n'en avons pas sur place, alors que nous devrions en compter cinq. Nos enfants attendent jusqu'à un an pour recevoir des soins dans un programme local de services à la jeunesse. Je sais que vous êtes de mon avis, cette situation n'est pas acceptable.

En septembre 2004, l'AMC a publié un plan d'action national pour régler les questions d'accessibilité, de disponibilité et de viabilité dans l'ensemble du système de soins de santé. Ce plan en vue d'améliorer l'accès aux soins et de favoriser la santé comprend des recommandations tels l'établissement de normes pancanadiennes visant les délais d'attente, la création d'un fonds de réinvestissement dans les ressources humaines du secteur de la santé, l'élargissement de la gamme des soins et un renforcement des engagements fédéraux en matière de financement de base. Toutes ces mesures auraient un effet positif sur l'accessibilité des services de santé mentale et de traitement de la toxicomanie. Comme nous l'avons signalé dans ce rapport, la disponibilité se rapporte d'abord et avant tout aux personnes qui assurent des soins de qualité ainsi qu'aux outils et à l'infrastructure dont elles ont besoin pour le faire.

La santé mentale et la maladie mentale font appel à des soins intégrés et interdisciplinaires assurés par tout un éventail de fournisseurs de soins de santé. La pénurie de médecins de famille, de spécialistes, d'infirmières, de psychologues et d'autres professionnels dans le système de santé public se répercute sur notre capacité d'offrir des soins et des services. En conséquence, pour accroître l'accessibilité et la disponibilité, l'AMC croît qu'il faut accorder la priorité à l'établissement d'une stratégie nationale de ressources humaines dans le secteur de la santé, pour trouver des solutions à la pénurie chronique de professionnels de la santé.

Je veux parler aussi de responsabilisation. Depuis 2000, les premiers ministres provinciaux et leurs gouvernements se sont engagés à présenter des rapports sur divers indicateurs comparables concernant l'état de santé, les résultats et la qualité des services. Malheureusement, la maladie mentale, malgré un besoin criant, fait figure de parent pauvre dans tous ces rapports. Parmi les 70 indicateurs mis au point, seulement deux ont directement trait à la maladie mentale.

Il s'agit d'une part des années de vie peut-être perdues en raison du suicide et d'autre part de la prévalence de la dépression.

En outre, il n'y a aucun indicateur de rendement se rapportant aux délais d'attente dans le secteur de la maladie mentale. Voilà un autre exemple de la négligence dont sont victimes la maladie mentale et les questions connexes. Cela crée un cercle vicieux, car en l'absence d'indicateurs il est difficile de démontrer qu'il faut accorder plus d'attention au problème.

En conséquence, l'AMC appuie énergiquement l'adoption de normes et de cibles nationales pour allouer des ressources aux services de santé mentale et au traitement de la toxicomanie afin d'en améliorer la disponibilité. Ces cibles ont pour but de soulager le fardeau de la maladie mentale, mais il est bien entendu qu'aucune norme ni cible ne peut être établie tant que nous n'aurons pas une idée nette de la situation actuelle au pays. Il faut réaliser des études pancanadiennes pour déterminer les carences en matière de disponibilité des services et les délais d'attente dans l'ensemble du pays.

Pour terminer, l'Association médicale canadienne croit que pour s'acquitter de son rôle en matière d'amélioration des services de santé mentale au Canada le gouvernement fédéral doit accorder la priorité à l'établissement d'un centre fédéral de la santé mentale, des maladies mentales et de la toxicomanie, qui sera chargé de coordonner et de promouvoir la collaboration dans des dossiers comme l'accessibilité et la disponibilité; deuxièmement, le gouvernement fédéral, de concert avec les provinces et les territoires, doit mettre au point une stratégie des ressources humaines dans le domaine de la santé mentale, de la maladie mentale et de la toxicomanie; troisièmement, il faut définir des normes et des cibles pour améliorer le système de santé mentale et le responsabiliser à l'égard des patients et de la population.

Bref, il nous faut faire pour la santé mentale ce que nous avons fait pour la santé publique. La crise du SRAS a sonné l'alarme dans le domaine de la santé publique, mais la nécessité d'une intervention urgente dans le domaine de la santé mentale est tout aussi pressante. Finalement, je tiens à souligner à nouveau qu'il faut adopter une stratégie nationale efficace pour sensibiliser la population et ainsi réduire la honte liée à la maladie mentale et aux toxicomanies dans la société canadienne. Tant que nous n'aurons pas réglé cette question, trop de Canadiens n'oseront pas solliciter les soins dont ils ont besoin. Ceux qui le font continueront de se heurter à l'ignorance et aux préjugés de la société.

Le docteur Blake Woodside, président, Association des psychiatres du Canada : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis psychiatre. Je préside le conseil de l'Association des psychiatres du Canada. L'APC représente les quelque 4 000 psychiatres qui exercent au Canada. Les psychiatres sont des médecins qui se sont astreints à une formation supplémentaire en psychiatrie et dont la tâche consiste à aider les personnes atteintes de maladies mentales.

Je suis heureux de pouvoir à nouveau m'adresser au comité alors qu'il poursuit son important travail dans le domaine de la santé mentale au Canada. L'Association des psychiatres du Canada est reconnaissante de l'occasion qui lui a été donnée et qui lui est à nouveau offerte de participer à ce processus. Notre association, comme les autres, tient à féliciter le comité du leadership dont il fait preuve. Son rapport préliminaire est un document complet qui trace clairement la voie à suivre pour parvenir au but. J'y reviendrai. Nous croyons déjà percevoir des signes que les travaux du comité commencent à porter fruit. La santé mentale en tant que question stratégique nationale semble avoir pris de l'importance, et cette sensibilisation a atteint jusqu'au ministre fédéral, qui a très ouvertement indiqué récemment que la santé mentale des Canadiens constituait une priorité nationale.

Je suis en outre heureux de constater que la collectivité médicale combine mieux ses divers rôles pour améliorer la qualité des soins de santé mentale offerts aux Canadiens. Si le comité n'obtenait que ce résultat, cela serait déjà très significatif. Il est difficile de mobiliser les médecins qui tiennent beaucoup à leur libre arbitre. Vous avez fait du bon travail à cet égard.

J'ai apporté des exemplaires d'une liste plus détaillée de nos recommandations. Aux fins de cette courte présentation, je me contenterai d'aborder un sous-ensemble de nos recommandations. Je ne veux pas répéter ce que d'autres intervenants ont dit avant moi. Je vais regrouper mes recommandations en fonction d'un thème, celui du rôle du gouvernement fédéral dans l'amélioration en cours des systèmes de santé mentale.

À la lecture de votre rapport préliminaire, tous les membres de l'APC ont conclu que vous recommandiez aux Canadiens de s'engager dans une entreprise visant à créer un nouveau système de soins pour les personnes atteintes de maladie mentale dans notre pays. J'ai pensé que pour commenter nos recommandations je pourrais utiliser une métaphore, si vous me le permettez, celle d'une signalisation qui vous aide à vous rendre du point A au point B.

Ce qui nous vient d'abord à l'esprit, c'est que si nous nous apprêtons à partir en voyage il est bon de savoir où nous voulons aller. Dans votre cas, le gouvernement fédéral joue un rôle important dans l'élaboration des politiques. Le rôle du gouvernement fédéral dans ce domaine doit être renforcé. Pour ce faire, il devra s'engager beaucoup plus à fond pour déterminer l'orientation d'une politique nationale en matière de santé mentale et pour faciliter la définition de normes nationales en vue de réduire la mortalité et la morbidité associées aux problèmes de santé mentale.

Le Dr Schumacher a commenté des aspects comme l'établissement de normes pour les délais d'attente. Dans mon cabinet, j'administre un programme de traitement pour les plus personnes les plus gravement atteintes d'anorexie mentale. Lorsque j'ai quitté le bureau, ce matin, vers 10 h 30, il y avait 25 personnes d'inscrites à ma liste d'attente. Je pourrai voir la 25e personne vers le mois de septembre. Cette personne pèse 72 livres. Quand je me suis présenté devant le comité, en mars dernier, il y avait 30 personnes sur ma liste d'attente. En avril, nous avons cessé d'accepter de nouveaux noms sur cette liste d'attente. Cela signifie que nous avons refusé d'accueillir de nouveaux patients. Nous sommes les seuls fournisseurs de services pour tout l'Ontario, à l'exception d'Ottawa. Un médecin nous a adressé un patient qui pesait 60 livres, mais nous lui avons dit que nous ne pouvions pas lui offrir de consultation. Nous avons vidé notre liste d'attente. Il nous a fallu jusqu'à la fin d'août pour ce faire, puis nous avons rouvert la liste d'attente, et voilà que six mois plus tard, elle est aussi longue que celle de l'an dernier. Je pense que nous devrons la fermer d'ici la fin d'avril ou le milieu de mai.

Au cours des 12 derniers mois, le gouvernement de l'Ontario a dépensé 4,5 millions de dollars pour faire traiter aux États-Unis 33 personnes atteintes d'anorexie mentale. Je suis très heureux que ces personnes aient pu être traitées. Nombre d'entre elles figuraient sur ma liste d'attente. Au cours de la dernière année, j'ai traité 45 personnes atteintes d'anorexie mentale, et il en a coûté 900 000 $. Le gouvernement a payé cinq fois plus pour 33 patients. Voilà le chaos qui règne dans notre pays en matière de santé mentale. Vous avez très bien documenté la situation. Je n'ai pas besoin de vous le dire. Je sais que je prêche à des convertis.

Nous recommandons la création d'une division de la santé mentale et des services de santé mentale comme élément stratégique à Santé Canada, pour s'attaquer aux questions de politique. Cette division s'efforcerait d'atteindre les buts que j'ai décrits précédemment pour orienter les discussions sur la politique nationale en matière de santé mentale. Cette organisation serait distincte de l'organisation de santé mentale que l'AMC recommande, et que nous appuyons aussi.

Je vais reprendre ma métaphore du voyage. Si vous savez où vous voulez aller mais que vous ignorez d'où vous partez, vous aurez de la difficulté à vous rendre à bon port. Il est urgent d'améliorer la surveillance dans le domaine de la santé mentale. Les besoins les plus pressants, à notre avis, touchent trois aspects. Le premier est la prévalence. Il nous faut en savoir plus sur l'identité des patients et les types de maux qui les affectent. L'étude sur la santé dans les collectivités canadiennes est très utile, mais ce n'est qu'un début. Le deuxième aspect est celui de l'accès aux services. Qui a droit à quoi? Quelles sont les modalités d'accès? Nous n'avons toujours pas suffisamment d'information à ce sujet. Le troisième aspect est celui du capital humain dans le secteur de la santé mentale. En santé mentale, nos ressources les plus précieuses sont les ressources humaines, les personnes qui dispensent directement les soins à ceux qui souffrent de maladie mentale. Nous n'utilisons pas de gros appareils ni de tests diagnostiques complexes. Nous faisons appel à des gens qui parlent avec les patients. Il nous faut pouvoir déterminer quelles ressources humaines nous permettront de répondre aux besoins de la population en matière de santé. Il nous faut évaluer les besoins de la population, puis déterminer comment nous pouvons former des personnes pour accomplir le travail.

Nous convenons avec l'Association médicale canadienne de la nécessité de créer un centre de santé mentale. Son emplacement exact reste à déterminer. Ce centre ou organisme de santé mentale aurait pour mandat de coordonner les activités de surveillance. À notre avis, le centre devrait être affilié à une organisation de santé publique, parce que ses activités recouperaient celles de l'organisation de santé publique.

Troisièmement, lorsqu'on voyage, on peut se perdre, et il faut alors retrouver son chemin. Nous croyons que la nation devra puiser dans ses réserves d'innovation pour déterminer comment il convient de réorganiser le système de santé mentale. Nous avons toujours besoin d'innovation. Nous aimerions certainement qu'un financement soit accordé à un institut des neurosciences et de la toxicomanie pour faciliter la recherche sur les modèles de prestation de services et le transfert des connaissances. Nous n'avons pas tellement besoin de stimuler la production de nouvelles connaissances scientifiques. Cette activité importante est déjà financée. Nous recommandons d'accorder un nouveau financement à la recherche sur la façon dont les soins sont dispensés aux patients atteints de maladie mentale et sur la façon dont les nouvelles connaissances scientifiques se traduisent en progrès cliniques.

Finalement, toujours au sujet de notre voyage, nous aimerions emmener toute la population du Canada. Je pense aux préjugés et à la discrimination, à la nécessité de sensibiliser la population. Franchement, nous pensons qu'il incombe au gouvernement fédéral d'assumer un leadership à cet égard et de déterminer comment coordonner et financer en particulier les organisations non gouvernementales qui représentent les familles, les personnes touchées, et cetera, pour sensibiliser la population aux questions de maladie mentale.

Nous croyons qu'il faudrait coordonner dans une certaine mesure, peut-être par l'entremise d'un centre des maladies mentales, les approches de financement de Santé Canada, de l'organisme de santé publique et de Développement social Canada.

Mesdames et messieurs les membres du comité, nous vous proposons d'autres recommandations mais je ne vais pas les développer longuement ici. Je serai heureux de répondre à vos questions. On nous demande souvent « Par où faut-il commencer? » Nous sommes d'accord avec nos collègues de la Société canadienne de pédiatrie, commençons par les enfants. Nous avons une longue liste de recommandations concernant les ressources humaines du secteur de la santé mentale, en particulier pour ce qui est des psychiatres. Pour l'instant, je termine ici mon exposé. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Une voix : Je suis handicapé. Je ne pourrai pas venir à la prochaine séance parce que j'ai trop mal lorsque je reste longtemps assis. Dr Woodside, je vais communiquer avec vous par courriel. Je suis un activiste non violent. Les électrochocs doivent être bannis au Canada. Nous avons un comité directeur, et ce sont mes libertés qui sont en jeu. Nous allons envoyer des courriels à tous les sénateurs aux États-Unis et au Canada, pour mettre un terme à ce traitement barbare que l'on appelle les électrochocs. Je ne suis pas une personne violente, mais comme vous le savez je suis un activiste, j'ai mon intégrité et je me porterai toujours à la défense de mes semblables qui souffrent de lésions cérébrales à la suite de traitements aux électrochocs. Ni l'APA ni l'APC ne nous disent la vérité.

J'ai fait un exposé en 1993. L'Association des psychiatres du Canada m'avait invité avec le Dr Brendan, un psychiatre américain spécialiste des électrochocs. Il a dit que les électrochocs entraînent toujours des lésions cérébrales, et c'est vrai. Vous continuez à prescrire ce traitement, et je souffre d'une perte de mémoire permanente, diagnostiquée en 1995. Je ne me souviens de rien de ce qui s'est passé avant 1972. Les électrochocs constituent un crime contre l'humanité.

Je m'en vais maintenant. Je suis désolé, je m'excuse auprès de tous les sénateurs et de toutes les personnes présentes, mais je dois dire la vérité. Que mon intervention passe à la télévision ou pas, je devais le dire devant vous. D'ici quelques années, il n'y aura plus d'électrochocs. Allez sur le site B-R-E-G-G-I-N point com. Il y a un psychiatre qui dit la vérité depuis 30 ans, et on l'écoute. Je n'en dirai pas plus. Je vous parle avec toute mon intégrité, et je ne peux pas taire la vérité.

Le président : Merci.

Une autre voix : Que je passe ou non à la télévision au réseau CPAC, je m'en fiche. Vous saurez mon nom, je m'appelle Sue Clark, je suis une survivante des soins psychiatriques et je milite pour faire interdire les électrochocs, parce qu'il faut que cela cesse. C'est une technique qui crée des lésions au cerveau. Consultez l'Internet, visitez le site B- R-E-G-G-I-N point com. Ce psychiatre proclame la vérité depuis 30 ans, et des psychiatres comme vous ne disent pas la vérité. Nous arriverons à nos fins. Je suis en colère parce que rien ne se fait. Une personne sur 200 meurt à la suite de traitements aux électrochocs. Vous pouvez sombrer dans un coma, et 14 000 séances d'électrochocs sont prescrites chaque année en Ontario, 100 000 aux États-Unis, et de un à deux millions dans le monde.

Le président : Merci, madame.

Une autre voix : Docteur Woodside, vous devriez avoir honte de ne pas avoir mis fin aux électrochocs, c'est une honte.

Le président : Merci, madame.

J'aimerais demander à chacun de nos témoins de nous fournir un supplément d'information sur deux ou trois points.

Docteure Sacks, vous avez parlé d'un institut national de la santé mentale. Je ne vous demande pas de réponse immédiate; vous pouvez nous répondre par écrit. De nombreuses personnes nous ont soumis des recommandations similaires. C'est une idée à laquelle, de toute évidence, nous voudrions pouvoir réfléchir. Dans la mesure où vous l'avez développée, vous pouvez nous dire spécifiquement ce que le mandat devrait être à votre avis. Cela nous serait très utile.

Deuxièmement, ces idées circulent ailleurs, et nous aurons besoin de tous les détails supplémentaires que vous pourrez nous fournir. Au sujet des programmes de dépistage national ou de la mise au point d'outils de dépistage pour les enfants, en particulier les outils qui peuvent être utilisés en milieu scolaire, nous aimerions savoir s'il existe quelque chose. Je sais par hasard qu'il existe un projet pilote dans une école à Kingston. Si d'autres projets ont été réalisés, nous aimerions que cette information nous soit transmise.

Le troisième point, soulevé par les autres témoins, porte sur le traitement que les écoles réservent aux enfants qui souffrent de troubles déficitaires de l'attention ou d'hyperactivité avec déficit de l'attention, lorsque ces enfants sont placés dans une classe de 35 élèves, par exemple, surtout au niveau élémentaire, et perturbent l'enseignement. Les données sont anecdotiques, mais il semble que la réponse standard à ce problème soit de prescrire à l'enfant du Ritalin. Ce médicament ne traite pas l'enfant, il traite le symptôme, et cela règle le problème de l'enseignant et des autres élèves, mais certainement pas celui de l'enfant.

Là encore, vous voudrez peut-être faire des commentaires à ce sujet après la période de questions, mais j'aimerais savoir dans quelle mesure les données anecdotiques que plusieurs personnes nous ont fournies sont réelles. Est-ce possible qu'il s'agisse simplement d'un hasard, parce que nous rencontrons des personnes qui ont connu ce problème?

Docteur Schumacher, vous proposez la création d'un centre national de la santé mentale. Nous aimerions que vous étoffiez un peu votre proposition, pas nécessairement aujourd'hui, mais plus tard, vos commentaires nous seraient utiles. Certaines personnes ont affirmé que ce centre devrait relever de Santé Canada et d'autres, qu'il faudrait en faire un organisme de santé publique. Le Dr Woodside a proposé un organisme de santé publique. L'AMC peut très bien dire qu'il s'agit d'une question d'organisation qui relève du gouvernement fédéral. J'aimerais savoir laquelle de ces options vous préconisez.

Docteur Woodside, les statistiques que vous nous avez fournies au sujet de votre propre pratique sont renversantes. Nous connaissons la situation, sur le plan intellectuel, mais c'est autre chose lorsque quelqu'un nous fournit des renseignements directement tirés de son exercice de la profession. On nous a souvent dit que la situation des ressources humaines était désespérée, mais cette réalité exprimée dans les termes que vous avez choisis est tout simplement renversante. Je vous remercie de cet exemple. Vous avez signalé dans votre mémoire que la société préparait une réponse beaucoup plus détaillée. Nous l'attendrons avec impatience. Je vous remercie tous d'être venus.

Le sénateur Keon : Nous vous remercions tous les trois de votre présence aujourd'hui. Personne ne conteste l'ampleur du problème, personne ne met en doute la nécessité d'une solution. Nous avons encore du chemin à parcourir. Certes, il nous faut une stratégie de santé mentale comme celle élaborée dans d'autres pays. Certaines des idées que vous nous avez proposées aujourd'hui, qu'il s'agisse d'un centre ou d'un institut national de santé mentale, s'en inspirent peut-être. Il reste à déterminer si cela devrait s'inscrire dans le cadre des IRSC et dans celui de l'Institut de neurologie et de santé mentale.

Je vous poserai à tous trois une question relative aux effectifs médicaux. Il nous faut beaucoup plus de main-d'œuvre médicale pour régler le problème, mais compte tenu du contexte de la main-d'œuvre médicale, des services médicaux et de la mosaïque des ententes fédérales-provinciales en matière de santé, comment tout cela peut-il se combiner? Quelle est, à votre avis, l'interface entre les psychiatres, les spécialistes, les établissements spécialisés, les intermédiaires, les spécialités comme les pédiatres, les internes, et cetera, et le personnel sur le terrain, ceux qui assurent les soins primaires? J'ai l'impression que si nous voulons rejoindre les 70 p. 100 des personnes qui n'ont pas accès à des services de santé mentale à l'heure actuelle, nous devrons faire un effort colossal dans le domaine des soins primaires. Je veux faire le point à ce sujet, parce que vous nous offrez une occasion unique.

Docteur Woodside, s'il vous plaît, répondez en premier, puis nous entendrons le Dr Sacks et le Dr Schumacher.

Le Dr Woodside : Merci, sénateur Keon. Une coopération accrue entre les psychiatres et les spécialistes des soins primaires est essentielle. Nous participons à un projet de soins partagés dans cette optique depuis dix ans. Récemment, le Fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires a accordé des fonds à l'APC et au Collège des médecins de famille pour réaliser un projet de soins en collaboration qui favorisera la mise au point de projets de soins partagés. Nous espérons que le gouvernement fédéral financera une deuxième étape de ce projet. Ce travail est essentiel. Cela dit, il existe une grave pénurie de médecins de famille au pays. Il y a aussi une grave pénurie de psychiatres au pays. Chercher à restructurer le système de santé mentale en confiant des services de santé mentale aux médecins de famille pour alléger le fardeau des psychiatres équivaut à réorganiser les chaises longues sur le pont du Titanic. De toute évidence, nous avons besoin de mécanismes de coopération qui permettront aux psychiatres de remplir des fonctions qu'ils sont les seuls à pouvoir remplir tandis que d'autres types de spécialistes des soins de santé, les médecins de famille, les infirmières praticiennes, les psychologues, les travailleurs sociaux, et cetera, assureront les services connexes qui ne nécessitent pas la présence d'un psychiatre. À l'heure actuelle, nous travaillons au sein de telles équipes. En tant que professionnel, je ne pense pas que nous ayons un territoire à protéger. Je travaille au sein d'une équipe multidisciplinaire de 20 personnes qui représentent huit disciplines. Nous n'essayons pas d'exclure les autres intervenants du domaine de la santé mentale. Nombre de disciplines de la communauté ne sont pas financées. Il s'agit de services privés, qu'il faut payer soi-même, et leur accès devient donc problématique. Oui, nous espérons vivement pouvoir continuer à développer des rapports de collaboration avec les soins primaires et d'autres disciplines de la santé. Il n'y a pas suffisamment de praticiens dans l'une ou l'autre de ces disciplines pour que l'on puisse simplement transférer une partie de la charge de travail existante. Il y a des pénuries dans toutes les disciplines, personne n'y échappe.

La Dre Sacks : J'ai été agréablement surprise, même si je sais qu'il y a une pénurie de psychiatres au pays, d'entendre qu'ils sont 4 000. Il n'y a que 365 pédopsychiatres au Canada. Les pédiatres reçoivent une formation qui leur permet d'évaluer le développement et le comportement. À l'heure actuelle, la grande majorité des pédiatres au sein de la collectivité, et nombre de ceux qui travaillent dans des hôpitaux, travaillent beaucoup au niveau du dépistage et du diagnostic et ils prescrivent des traitements pour les cas légers et moyens.

Heureusement, nous avons des programmes en collaboration dans nombre de nos grandes villes et dans certaines petites villes. Je me rends avec un pédopsychiatre à Orillia, en Ontario, une ville de 25 000 habitants. Nous collaborons avec eux et ils nous aident à traiter les cas difficiles. Ils sont si peu nombreux que parfois ils ne peuvent pas voir nos patients. Nous essayons de régler ce problème. Je veux préciser que les pédiatres reçoivent une formation pour traiter les cas légers et moyens de maladie mentale chez les enfants et les adolescents et pour aider leurs familles. La plupart des cas qui nous sont renvoyés par des médecins de famille se rapportent à des problèmes de comportement ou de santé mentale. Il s'agit surtout de troubles déficitaires de l'attention. Ces enfants ont été renvoyés de l'école et se retrouvent dans mon cabinet. La dépression et l'anxiété sont les principaux problèmes que nous traitons à l'heure actuelle, cela est indéniable.

J'ai participé aux travaux de deux groupes de travail nord-américains avec des médecins de famille et des psychiatres, et nous avons des outils pour le dépistage de la dépression et des troubles déficitaires de l'attention chez les adolescents ainsi que pour diagnostiquer le déficit d'attention et l'hyperactivité. Ces techniques doivent être enseignées aux fournisseurs de soins primaires qui sont disposées à les apprendre et à assumer une partie du fardeau.

Grâce à une étude sur la santé en Ontario et au regretté Dr Dan Orford, nous savons combien il y a d'enfants atteints de graves maladies psychiatriques. Même si cette étude a été réalisée dans les années 1990, elle est sans doute encore valable. Nous possédons une foule d'information et cela m'irrite toujours un peu lorsque nous nous retrouvons à la case départ. Nous connaissons les chiffres et, dans bien des cas, nous avons des traitements raisonnables à appliquer, dont certains sont d'ordre médical, d'autres psychothérapeutiques et d'autres encore combinent les deux aspects. Je crois que les pédiatres sont prêts à aller de l'avant; il suffit qu'on nous invite à faire partie de l'équipe. Cela se fait dans bien des cas, mais pas assez souvent.

Le Dr Shumacher : Sénateur, vous avez parlé d'une combinaison. Dans un monde idéal, les professionnels qui ne sont pas tout à fait certains de la source du problème enverraient le patient au pédiatre pour vérifier l'aspect développemental et au psychiatre pour dépister les maladies mentales. Dans un monde idéal, c'est ce qui se ferait. Hélas, il nous manque souvent l'un ou l'autre des éléments. Les pédiatres sont débordés par le volume disproportionné de services psychiatriques qu'ils fournissent, en particulier dans ma collectivité. Nous n'avons guère le loisir de solliciter une seconde opinion ces temps-ci. Ce choix n'existe même pas dans la plupart des régions. Le patient ou la famille se considère déjà chanceux de pouvoir consulter dans des délais raisonnables un professionnel un peu plus spécialisé. En tant que professionnel, je suis heureux de faire ce travail difficile, mais je dois faire l'essai de divers traitements sur une période de six mois avant de me prononcer. Je ne dispose toutefois pas de quatre ou cinq mois, dans certains cas, par exemple lorsqu'un patient est admis d'urgence à la suite d'une arrestation, Je n'ai pas le temps, car la situation risque de dégénérer d'ici là. Je n'ai pas de marge de manoeuvre. Nous avons été formés de cette façon dans les hôpitaux, à une époque où toutes les combinaisons étaient possibles. En contexte communautaire, cela ne se fait plus. Vous avez une option et vous devez vous en contenter; il faut espérer que ce soit toujours la bonne.

Le sénateur Keon : Les hôpitaux aussi ont perdu de leur marge de manœuvre. Il faut donc se demander comment rétablir la combinaison. Il faut dresser un plan quelconque, même s'il n'est pas parfait, dès le départ. Il faut instaurer un cadre structurel quelconque pour pouvoir mettre au point un système et recruter le personnel compétent qui assurera l'interface.

Le Dr Shumacher : Ce qui manque, dans le système, c'est la possibilité pour les médecins d'aller suivre une formation supplémentaire. Je ne parle pas de retourner aux études pendant quatre ou cinq ans. Il y a sans doute suffisamment de médecins qui s'intéressent à ce domaine de la profession et qui accepteraient de s'astreindre à une formation supplémentaire d'un an, en résidence, pour ensuite se joindre au système. Je pense que nous aurions de nombreux candidats. Malheureusement, aucune structure d'enseignement supérieur ne nous offre cette option au pays. Cela serait nécessaire.

Le sénateur Pépin : Je veux m'informer au sujet de la possibilité de définir une telle structure et du fait que le coordonnateur pourrait en être un médecin, un travailleur social ou un autre spécialiste du domaine de la santé mentale. Est-ce que vous envisagez ainsi cette nouvelle structure?

Le Dr Woodside : Beaucoup croient que la plupart des psychiatres travaillent seuls en cabinet, mais c'est un mythe, c'est faux. La plupart des psychiatres travaillent dans des hôpitaux ou en clinique. Nous établissons depuis une quarantaine d'années des équipes multidisciplinaires comme celles que vous décrivez. Notre capacité actuelle de former des équipes multidisciplinaires est exploitée au maximum. Nous avons fait tout ce que nous pouvions à cet égard. Pour que nous puissions faire plus, vous devrez nous fournir des fonds pour payer le psychologue ou le travailleur social, et cetera, parce qu'il n'y a plus d'argent pour les payer. Vous devrez former ces personnes. En médecine familiale, l'initiative de soins partagés nous fournit des structures. Il y a au pays 250 centres membres d'un registre national d'ententes entre des médecins de famille et des psychiatres pour assurer des soins en collaboration. Nous voudrions faire plus que cela, mais nous avons besoin de financement pour appuyer les psychiatres. Dans la plupart des cas, les psychiatres se rendent dans les cliniques de médecine familiale pour aider les médecins de famille sur place, dans leurs cabinets. Nous avons besoin de fonds pour payer les psychiatres qui font cela, parce que ce n'est pas un service assuré.

Nous avons besoin d'un plus grand nombre de médecins de famille, pour avoir plus d'endroits où travailler. Nous avons besoin d'un plus grand nombre de psychiatres pour pouvoir les envoyer dans les cabinets de tous ces médecins de famille. Il existe des structures et des modèles de travail d'équipe. C'est ce que nous faisons, c'est ainsi que nous avons réussi à tant faire avec si peu de ressources jusqu'à maintenant, mais nous ne pouvons pas suffire à la tâche. Il y a cinq personnes en Ontario qui traitent les patients atteints d'anorexie mentale. J'ai mes limites moi aussi.

Le sénateur Keon : C'est une occasion exceptionnelle.

Je vais vous proposer quelque chose dont j'ai parlé hier à Toronto. Il y a au niveau communautaire des cliniques de soins multidisciplinaires où les personnes atteintes de maladie mentale peuvent se présenter sans crainte d'être jugées, puisqu'elles utilisent la même clinique que quelqu'un qui se serait cassé une jambe, par exemple. Ces cliniques sont bien situées dans les collectivités, elles ont des ressources et elles entretiennent des rapports avec les établissements de soins secondaires et tertiaires et avec les établissements psychiatriques. Évidemment, il faudra de l'argent pour payer les psychologues qui ne sont pas rémunérés par le régime à l'heure actuelle. J'ai vécu cette situation dans mon propre établissement, où les patients devaient payer pour les services d'un psychologue parce que le psychologue à l'interne était débordé. La seule option qui s'offrait à ces clients était d'aller au centre-ville et de payer eux-mêmes.

Si vous projetez d'élargir les services pour englober les 70 p. 100 restants, les personnes qui sont privés d'accès, comme cela semble nécessaire, il faut commencer au niveau communautaire. Nous aurons besoin de pédiatres et d'internes. Nous devrons aussi solliciter l'appui des psychiatres, mais le niveau communautaire vient en premier lieu. Dites-moi si je me trompe.

Le Dr Shumacher : Nous venons de recevoir un signe encourageant. En vertu de l'entente que les médecins et le gouvernement en Ontario viennent de conclure, le gouvernement a accepté d'encourager les médecins qui offrent des soins complets, que ces médecins travaillent seuls, au sein d'un groupe de médecine familiale ou dans un réseau. Ils recevront des primes s'ils acceptent de prendre en charge des patients souffrant de maladies mentales graves, des personnes atteintes de schizophrénie ou de troubles bipolaires. On ne leur demande pas d'offrir toute la gamme des services de santé mentale. Les psychiatres continueront d'exercer. Mais si ces généralistes rencontrent de tels patients sur une base régulière, des patients qui manquent souvent leurs rendez-vous, qui sont souvent admis à l'hôpital et qui éprouvent d'autres difficultés, ils auront droit à une prime. S'ils suivent cinq de ces patients, ils toucheront une prime de 1 000 $. S'ils en suivent dix ou plus, ils auront droit à 2 000 $. C'est la première fois qu'un encouragement est accordé pour que les personnes qui connaissent de graves difficultés puissent bénéficier de la stabilité qu'offrent les médecins de famille dans les centres de soins. Pour beaucoup d'entre nous qui offrons ce genre de services complets, cette mesure est très positive. J'ai 11 patients qui sont admissibles. J'étais un peu nerveux, parce que ce travail est difficile. Mais je m'en réjouis. C'est un pas dans la bonne direction. Est-ce que je souhaite que d'autres services soient offerts suivant cette formule? Bien sûr. De façon partagée, par rotation, nous pourrions faire appel à des travailleurs sociaux, à des psychologues, à tous ceux qui voudront bien travailler avec nous. Malheureusement, dans les collectivités, ces services ne se trouvent que dans les hôpitaux, c'est-à-dire dans des établissements financés en bloc ou selon une autre formule d'allocation budgétaire. Cela n'existe pas à l'extérieur des hôpitaux, qu'il s'agisse d'établissements concrets ou d'hôpitaux virtuels.

Le président : Voilà qui en dit long sur la nécessité de modifier le mécanisme de financement, mais c'est là un problème différent.

Le Dr Woodside : Je voulais fournir au Dr Keon une métaphore qu'il puisse expliquer aux autres membres du comité, plus tard. Le Dr Keon est chirurgien cardiologue. Vous pourriez sans doute réduire un pontage à une ou deux actions à accomplir, comme par exemple recoudre le greffon et laisser le reste du travail à d'autres personnes. Il est possible d'envisager un système où vous passez d'une salle d'opération à une autre et tout ce que vous avez à faire est de recoudre la greffe. Peut-être que s'il y avait une douzaine de salles d'opération consacrées à cela, vous pourriez faire beaucoup de pontages. Toutefois, vous faites des interventions chirurgicales une journée par semaine plutôt que d'en faire pendant 12 jours consécutifs de manière à maximiser votre temps comme chirurgien. C'est là où nous en sommes avec la santé mentale. Nous sommes comme le chirurgien cardiologue qui fait des interventions une journée par semaine et, pour maximiser nos efforts, nous aurions besoin de 12 blocs opératoires tournant 24 heures par jour. Telle est l'ampleur du manque de ressources dans le système.

La Dre Sacks : Je voulais ajouter quelque chose aux observations du Dr Keon concernant les systèmes communautaires. Notre multiculturalisme est une autre des raisons pour lesquelles cette approche est essentielle au Canada. En tant que pédiatre, je vois des enfants qui viennent de familles dont le comportement n'est pas nécessairement un signe de maladie mentale mais qui est le fait d'une culture différente. Si nous n'allons pas dans la collectivité avec des spécialistes communautaires et des spécialistes culturels, nous risquons de ne pas voir ce groupe et de nous retrouver là où nous en sommes maintenant, avec un groupe d'enfants et d'adolescents immigrants que nous n'avons pas pu voir parce que nous n'avons pas reconnu le désordre dont ils souffrent. Par conséquent, nous devons nous rapprocher de la collectivité pour diverses raisons, comme mes collègues l'ont mentionné, mais aussi pour retrouver les enfants qui nous échappent pour des raisons culturelles.

La docteure Isra Levy, administratice médicale en chef et directrice, Bureau de la santé publique, Association médicale canadienne : Merci. Il y avait un problème d'espace au début, de sorte que je n'ai pu me joindre à vous que plus tard.

Je voulais revenir sur votre dernière question, sénateur Keon. La question de la collectivité, au niveau local, se rapporte directement à votre première question, sénateur Kirby, concernant ce centre de santé mentale auquel nous pensons et dont nous parlons.

L'énormité du défi et la complexité multidimensionnelle font en sorte qu'il sera difficile de trouver une solution fédérale à un problème local, peut-être davantage ici qu'ailleurs. La sensibilisation au fait que l'interface clinique pour cet ensemble particulier de problèmes médicaux et de santé sous-tend toutes les présentations, et je sais qu'il en est de même pour votre rapport provisoire. Il y a des problèmes qui exigent une sensibilisation considérable. Nous voyons des gens qui souffrent beaucoup, une souffrance qui se manifeste de diverses façons, notamment par la colère. Nous avons tous vu cela.

Comme vous le savez, la clinique permet d'apporter un soulagement au niveau local qui se manifeste de façon inhabituelle dans une stratégie structurelle. Il peut sembler curieux que nous proposions cette solution en disant « Ouvrons un centre au sein du gouvernement fédéral ». Toutefois, il y a une certaine logique à cela, comme en témoigne notre appel à un leadership solide, malgré les besoins fort bien articulés pour des ressources humaines plus considérables et, de toute évidence, pour une formation continue plus importante du personnel de première ligne. Le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de leadership, pour faire du nettoyage, approche qui exige une certaine détermination et la capacité d'administrer, et qui doit bénéficier de ressources suffisantes, que ce soit à Santé Canada, ou qu'il s'agisse d'une entité ou d'un organisme indépendant. Notre réflexion nous porte à croire que cet organisme pourrait relever de Santé Canada parce qu'il est au cœur des questions de santé. Toutefois, il faut réfléchir à la façon dont ces mécanismes seront alimentés et structurés, de manière à ce que la coordination interministérielle et intersectorielle, au niveau fédéral, de même que le leadership des provinces et des territoires puissent avoir un bon effet au niveau local.

Tout cela revient non seulement à reconnaître l'à-propos de situer l'organisme au niveau local, mais aussi à justifier un centre fédéral, probablement au sein d'une entité comme Santé Canada, à un niveau supérieur, et assorti d'un leadership politique fort.

Le président : Merci, docteure Levy.

Le sénateur Cordy : De toute évidence, vous avez fait un travail considérable avant de venir nous rencontrer. Vos recommandations nous serons très utiles.

Ma question s'adresse à la Dre Sacks. Quand vous avez parlé des enfants et des problèmes de santé mentale, vous avez dit que si nous n'abordions pas la situation assez rapidement, elle pourrait entraîner des problèmes comme l'anxiété, la dépression, le suicide, l'intimidation et la faible estime de soi.

Dans notre société, les écoles sont de plus en plus poussées à aborder le problème de l'intimidation en raison de l'augmentation de la violence de notre société. Plusieurs systèmes scolaires ont élaboré une politique de tolérance zéro face à l'intimidation. Bien que cela puisse, à court terme, apaiser les parents parce que l'intimidation est ainsi punie et éliminée de l'école, cela n'aide en rien l'enfant qui vit le problème.

Je me demande, dans un premier temps, comment vous réagissez à la politique de tolérance zéro concernant l'intimidation. Deuxièmement, il est impossible de parler des enfants de manière isolée. Vous devez parler de la famille, et vous avez dit que la famille et les parents ont besoin d'aide. J'ai été enseignante au niveau primaire. Assurément, plusieurs parents et plusieurs familles sont en situation de crise.

À titre d'enseignante, je me sentais bien souvent exclue. Comment peut-on inciter le système scolaire à aider ces enfants? Quand je parle d'engagement du système scolaire, je ne parle pas du psychologue scolaire, qui peut avoir une responsabilité pour 10 ou 15 écoles, ou parfois plus, au sein d'une commission scolaire. Je parle plutôt d'engager les enseignants qui traitent avec les enfants sur une base quotidienne.

La Dre Sacks : Ce sont là de gros problèmes et des questions fondamentales qu'il est tout à fait possible d'aborder. Premièrement, dans tout nouvel institut, le conseil d'éducation doit être inclus. Je note que la Colombie-Britannique a un nouveau système qui est merveilleux pour aborder les problèmes de santé mentale chez les enfants. La province y a incorporé des médecins, des infirmières et des psychologues. Par contre, elle ne fait pas intervenir le système d'éducation.

La majorité des systèmes de dépistage que je connais, et j'ai contribué à en élaborer quelques-uns, visent les enfants qui sont identifiés dans les écoles. Ce sont des enfants qui, pour une raison quelconque, ne réussissent pas bien. Bien entendu, vous pouvez demander au psychologue scolaire de vérifier si un trouble d'apprentissage est en cause, mais en tant que société, nous devons chercher d'autres raisons pour lesquelles ces enfants ne réussissent pas à l'école.

Il est intéressant de savoir si ces enfants sont absents fréquemment ou bien s'ils ne font pas ce qu'ils devraient faire. Il est possible de dépister assez tôt, dès l'âge de six, sept ou même huit ans, et même plus tard, au début de l'adolescence, les problèmes d'anxiété, de dépression et autres. Il suffit que l'enseignant note que l'enfant n'apprend pas malgré ses efforts.

Pour ce qui est de l'intimidation, il est intéressant de noter que ce sont des personnes qui ont des problèmes, mais pas nécessairement ceux auxquels nous pensons. Toutefois, la personne qui est victime d'intimidation a presque toujours un problème d'anxiété et de dépression, ou certains autres problèmes. Celui qui intimide choisit ses victimes parmi les plus vulnérables. Les deux aspects du problème doivent être abordés.

Comme l'école n'a pas les ressources nécessaires pour intervenir sauf renvoyer les coupables à la maison, et qu'il n'y a personne à la maison, la situation est désastreuse. Une telle approche n'aide personne, même pas l'école, parce que personne n'a appris ce qu'il faut faire pour corriger le problème. Il faut également apprendre des choses aux écoles. Une partie du travail de cet institut serait d'éduquer les gens qui travaillent auprès des enfants et des adolescents. Ces personnes doivent apprendre que certaines choses ne sont pas autorisées dans le système scolaire. Tous ceux qui fréquentent l'école, qu'ils aient été victimes d'intimidation ou non, doivent être identifiés et l'école doit transformer son système social.

Nous avons besoin de coordination. Nous devons aussi incorporer les enseignants parce que, en ce qui me concerne, ce sont les intervenants clés, et non les parents. D'abord, ils passent plus de temps avec l'enfant que ne le font les parents, et l'interaction se produit au moment où les problèmes de l'enfant se manifestent. En conséquence, il est plus probable que la maladie des enfants et des adolescents pourra être observée dans le système scolaire. Nous devons montrer aux enseignants comment repérer l'enfant qui a besoin d'aide, et leurs observations pourraient être consignées dans un bulletin.

J'ai travaillé 30 ans en pédiatrie, dont les 20 premières années à dire aux ceux qui insistaient pour subir des tests toujours plus poussés que le mal de ventre n'était pas dû à une tumeur à l'estomac. Que ce soit à cause de l'influence des médias ou d'autres facteurs, tout cela a changé dans plusieurs cas. Aujourd'hui, je dois me battre pour faire un examen physique parce que la mère est persuadée qu'il s'agit d'un cas d'anxiété. Les gens nous consultent et ils sont disposés à accepter une partie du diagnostic. De toute évidence, nous avons fait quelques progrès.

C'est le genre de soutien public dont nous aurions besoin pour traiter de ces cas, et je pense que nous l'avons déjà. Je ne sais pas qui a fait le travail, peut-être que ce sont les psychiatres ou d'autres spécialistes, mais je pense que les résultats sont disponibles. Toutefois, l'école doit faire partie du processus de dépistage de ces enfants, qui deviendront des adultes et qui seront aux prises avec des problèmes mentaux.

Le président : Puis-je vous poser une question? Comment peut-on régler le problème? Premièrement, vous avez parlé des psychologues scolaires; dans plusieurs conseils scolaires du pays, ils ont disparu avec les coupures de budget. Le nombre d'orthophonistes a été grandement réduit, et il en est de même des psychologues scolaires et ainsi de suite.

Comment peut-on régler le problème suivant? L'enseignant diagnostique un problème médical, à tout le moins détermine qu'il y a problème. Supposons qu'il est possible d'aller à l'étape suivante, c'est-à-dire où l'élève recevra de l'aide. N'ai-je pas raison de dire qu'à ce stade il faut presque éliminer l'enseignant en raison des lois sur la protection de la vie privée qui font en sorte qu'il est impossible pour qui traite le patient, qu'il s'agisse d'un généraliste, d'un pédiatre, d'un psychiatre ou ce que vous voudrez, de parler à l'enseignant ou à la famille de ce qu'il faut faire? Ai-je raison de dire que le traitement collégial, pluridisciplinaire qui serait nécessaire est difficile à offrir en raison des lois qui gouvernent la protection de la vie privée?

La Dre Sacks : Non, pas vraiment, sauf s'il y a coopération de la part de la famille. Les pédiatres passent beaucoup de temps dans les écoles à parler aux enseignants au sujet des consultations avec leurs patients. Comme vous l'avez mentionné, je reçois des notes rédigées par des enseignants qui me disent que tel enfant est impossible à contrôler, et qui me demandent de lui donner quelque chose.

Le président : Débarrassez-moi du problème.

La Dre Sacks : C'est exact. De fait, si nous diagnostiquons un problème qui doit être abordé en collaboration avec l'école, les enseignants doivent collaborer avec nous. Soit dit en passant, il se prescrit du Ritalin au pays en proportion égale au nombre d'enfants qui, selon nous, souffriraient de DCA ou de THADA. On semble croire qu'il est prescrit comme s'il s'agissait de bonbons, mais ce n'est pas le cas.

Le président : Ma préoccupation est différente. Dans quelle mesure le fait de prescrire du Ritalin et de ne rien faire d'autre contribue-t-il à calmer l'élève perturbateur et à régler le problème de l'enseignant, mais non celui de l'élève?

La Dre Sacks : J'hésite à vous donner la réponse parce qu'elle ne vous plaira pas. Le trouble déficitaire de l'attention est un désordre chimique, d'origine génétique, qui se traite dans plus de 70 p. 100 des cas par voie pharmacologique. En vérité, je ne traite jamais un enfant à moins d'avoir la coopération des parents et de l'école. Il faut viser un changement du comportement, il faut que l'enseignant accepte de placer l'enfant à un endroit de la classe où il pourra l'inciter à être plus attentif. Il faut aussi que l'enseignant puisse m'aider dans l'utilisation du médicament.

C'est un peu comme les médicaments utilisés dans le cadre de régimes alimentaires. Peu importe le nombre de comprimés que vous pourrez prendre, si vous voulez manger un gâteau au chocolat, vous en mangerez. Peu importe la quantité de Ritalin ou de médicament de stimulation qui peuvent être prescrits, ces médicaments n'auront aucun effet si les parents et le système scolaire ne contribuent pas au traitement du comportement.

Le président : Vous pouvez parler aux enseignants et la législation concernant la protection de la vie privée ne vous pose pas de problème.

La Dre Sacks : Avec la permission des parents et, la plupart du temps, dans le contexte de l'école et pour ce problème particulier, il n'y a pas de problème. Parfois, il est plus difficile de parler des autres diagnostics psychiatriques.

Le Dr Woodside : Je voudrais ajouter un mot concernant la protection de la vie privée, la LPRPDE, qui pose un problème considérable pour la plupart des gens, mais qui est similaire à la législation qui régit l'information sur la santé mentale en vigueur depuis 20 ou 30 ans. Depuis des décennies, nous travaillons dans un système qui ressemble à celui de la LPRPDE.

Le président : Pourriez-vous préciser ce qu'est la LPRPDE pour notre auditoire de la télévision, je vous prie?

Le Dr Woodside : La LPRPDE est la législation sur la protection des renseignements personnels. Les restrictions concernant les renseignements sur la santé mentale existent depuis des années. Nous avons déjà établi nos propres arrangements de travail pluridisciplinaire et de travail en collaboration selon des limites qui sont aussi contraignantes que celles de la nouvelle législation sur la protection des renseignements personnels. Nous nous en accommodons très bien.

Il sera impossible en vertu de la nouvelle législation sur la protection des renseignements privés d'établir des réseaux provinciaux, régionaux ou de district au sein desquels les renseignements sur la santé mentale feront partie d'un dossier médical complet. Par contrer, à l'intérieur d'une clinique ou dans une pratique de médecine familiale, à l'intérieur d'un groupe unique, nous nous débrouillons fort bien avec des contraintes réelles concernant l'information sur la santé mentale.

La Dre Levy : Vous avez très bien identifié un problème, particulièrement dans le contexte non institutionnel. Les obstacles au travail pluridisciplinaire dans un cadre communautaire sont assez importants. La meilleure façon d'y faire face, compte tenu de la réalité et des raisons valables qui s'appliquent aux contraintes, il est mieux de chercher à déstigmatiser. La clé de la solution est dans le consentement. Selon mon expérience, la raison pour laquelle on nous interdit d'accéder aux renseignements personnels est plutôt la peur de la discrimination à un autre niveau. Je le répète, même si cela ne semble pas répondre directement à votre question, mais pour une raison qui m'échappe les craintes concernant la protection des renseignements personnels disparaissent presque toujours lorsque disparaissent les stigmates.

Le président : Ainsi, les observations du Dr Woodside à l'effet que les psychiatres qui traitent les maladies mentales sont soumis à des règles de protection de renseignements personnels beaucoup plus rigoureuses depuis fort longtemps et depuis plus longtemps que pour le reste de la profession médicale, sont une indication claire du stigmate. Dans la réalité, les gens qui ont eu des problèmes de santé physique sentent moins la nécessité de le cacher. Ce n'est pas qu'ils ne veulent pas que les renseignements demeurent privés, mais si quelqu'un découvrait ces renseignements, ils pourraient s'en accommoder. Par contre, si on découvrait qu'ils avaient souffert d'un problème de santé mentale, alors là tout change. Et je soupçonne que l'origine de vos règles puisse être associée à cet aspect.

Le sénateur Cook : Pour vous aider à mieux situer le contexte de mes questions, je vous dirais que je viens de Terre- Neuve-et-Labrador où les problèmes sont les mêmes qu'ailleurs au Canada, mais où les ressources, c'est-à-dire des gens comme vous, sont très disparates. La province compte un hôpital de soins tertiaires. Quand j'entends parler de groupes et de soins primaires et de toutes ces choses, j'aimerais bien pouvoir accéder à ces ressources. Compte tenu de l'endroit où nous sommes, il faudra un peu plus de temps avant que l'impossible ne se réalise.

Je voudrais m'attarder à la structure, parce que si nous avons l'intention de nous embarquer dans une aventure, c'est ce qu'il faut faire. Le Dr Woodside a recommandé l'établissement d'un centre de santé mentale au sein de l'organisme de santé publique, et le Dr Schumacher a parlé d'un centre de santé mentale au sein de Santé Canada. J'aimerais que vous réfléchissiez à cela dans le contexte de mon lieu de résidence, là où il y a 500 000 personnes qui représentent l'équivalent d'une petite partie de la Région du Grand Toronto. Cela serait positif pour ma province.

Permettez-moi d'aller un peu plus loin. L'an dernier, les gens qui gouvernent notre pays ont signé un accord de santé de 10 ans, de sorte que nous devons travailler dans les limites de ces paramètres. Pendant ce temps, nous chercherons à faire ce que j'appellerais « verser le contenu d'un litre dans une chopine ». Nous aurons tout un défi à relever pour aborder les besoins dont vous nous parlez. Je suis curieuse de savoir si vous êtes favorable à un financement consacré à ce centre de sorte qu'en matière de santé publique, ou même du côté de Santé Canada, il ne soit pas nécessaire de se battre pour obtenir l'argent requis pour faire le travail qui doit être fait.

Je délaisse pour un moment la structure pour parler des ressources humaines requises pour aborder le problème. Il faudra beaucoup de temps, probablement une dizaine d'années. Y a-t-il des possibilités d'établir des programmes de bourses d'études fédérales? Ne devrions-nous pas examiner, non seulement la possibilité d'un programme pour les écoles de médecine mais aussi pour une formation supplémentaire pour les infirmiers et les infirmières? Faut-il avoir recours à la télémédecine? Avons-nous pensé à un programme d'études pour les enseignants afin qu'ils puissent reconnaître les problèmes avant qu'il ne soit trop tard? Où en sommes-nous avec tous ces éléments?

Idéalement, le noyau est un groupe de personnes savantes qui peuvent s'occuper de toute la personne. Dans le cas de ma province, il s'agit d'un rêve qui est encore loin de la réalité. Malgré cela, je crois que nous devrions tendre vers cette solution. Nous avons parlé de sociologues. Nous parlons de psychologues. Nous savons ce qu'est le financement en vertu de la Loi canadienne sur la santé et le régime d'assurance-maladie. Certaines personnes échappent à cette juridiction et nous nous devons d'offrir l'accès à un système qui traite de la personne dans son entier.

Ce sont donc les enjeux sur lesquels nous devons d'abord nous pencher. Si nous devons commencer quelque part, Dr Sacks, commençons par le début. Commençons par nos enfants. Faisons les choses correctement, mais entre-temps nous devrons maintenir le statu quo.

Je vous ai entendu parler de votre liste d'attente pour le traitement de l'anorexie mentale. J'ai connu une jeune personne dont la vie a été transformée grâce à l'intervention d'une diététiste et d'une psychologue qui préparait sa thèse de maîtrise sur les troubles de la nutrition. C'est grâce à des personnes engagées comme vous l'êtes que cette personne a pu retrouver une vie normale.

Nous cherchons à atteindre l'idéal, mais j'aimerais vous entendre dire ce qu'il est possible de faire maintenant, et comment nous pourrons travailler dans le contexte actuel. On me dit que 70 p. 100 des médecins de famille n'ont pas eu une formation poussée en ce qui a trait aux questions de santé mentale. Je ne sais pas ce qu'il en est véritablement. J'estime que si nous voulons avancer, nous devons le faire d'un point de vue de ressources humaines. Que pouvons- nous offrir dans le système actuel, qu'il s'agisse de téléconférence, de télémédecine, de consultation, pour que ma province puisse disposer d'un groupe mobile de personnes savantes, qui fasse en sorte que tous les éléments puissent fonctionner? J'aimerais entendre votre opinion à ce sujet.

Le président : Voilà une gamme de questions assez complète.

Le Dr Woodside : La réponse à la question, sénateur Cook, est oui. Vous avez raison, il faudra beaucoup de temps. Si nous ne commençons pas, nous n'y arriverons jamais. Un des inconvénients dans le cas d'une province de la taille de Terre-Neuve-et-Labrador est qu'il y a beaucoup d'espace, mais peu de gens. Il n'y a pas de poisson, et il pourrait y avoir du pétrole. Mais il y a un problème de ressources. L'avantage, c'est qu'il est possible d'y réfléchir. Il s'agit d'un problème que l'on peut facilement comprendre. Si vous me demandez de régler le problème à Toronto, mon cerveau ne tiendra pas le coup parce que le problème est trop grand et trop complexe. Si vous me demandez de consulter les gens à Terre-Neuve-et-Labrador pendant un an en vue d'élaborer un système de santé mentale qui sera adapté à la province, je serai probablement en mesure de le faire parce qu'il s'agit d'un problème de taille réduite.

Certaines des choses que votre comité propose pourraient, au départ, être mieux adaptées à la plupart des régions de notre pays, aux régions qui comptent une population rurale dispersée et aux plus petites collectivités, parce que les gens sont capables de penser en ces termes.

Tout ce que vous décrivez, fera partie de la solution et cette solution sera différente pour le Labrador de ce qu'elle ne pourrait être pour l'Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse ou Terre-Neuve-et-Labrador. Comme l'a dit le Dr Keon, vous devrez commencer au niveau de la collectivité et vous dire qu'il s'agit de l'objectif. C'est ce que nous voulons offrir à la population. Nous voulons que les gens puissent accéder à ces services. Pour y arriver, voici un ensemble d'éléments, de stratégies utiles qui pourraient aider à atteindre le but.

Aidez-nous à concevoir une stratégie qui sera adaptée à votre collectivité. Il sera plus facile d'y arriver dans un contexte où les gens sont capables de l'envisager plutôt que d'être complètement obnubilés par l'ampleur du problème.

Le Dr Shumacher : Laissez-moi d'abord vous rassurer au sujet des études en médecine. Le programme est déjà très complet. Bien que vous ayez raison de penser que l'enseignement en gériatrie ne représente qu'un pour cent, que la formation officielle en pédiatrie ne représente peut-être qu'un pour cent, dans la réalité, à compter de l'entrée à l'école de médecine, 30 p. 100 des contacts se font avec des personnes âgées et 30 p. 100 des contacts se font avec des patients en pédiatrie parce que cette clientèle consulte beaucoup plus les médecins que d'autres. Par conséquent, bien que la formation et les manuels scolaires représentent une proportion moindre, dans la réalité, nous avons des contacts quotidiens avec cette clientèle.

La même chose s'applique à la maladie mentale, où 30 p. 100 des consultations que je donne en tant que médecin de famille comportent un élément relié aux émotions. C'est ainsi que sont les choses. Si vous n'êtes pas apte à fonctionner le premier jour, vous le deviendrez dès le cinquième.

Permettez-moi de revenir au dépistage. C'est une des choses les plus importantes que nous pouvons faire maintenant. Un des actes les plus utiles dans mon cabinet est d'éliminer le stigmate relié à cet aspect. J'ai placé dans toutes mes salles d'examen une jolie petite carte en couleurs. J'évite d'encombrer les salles d'examen. Sur cette carte se trouve une description de différents symptômes de dépression. Il y a deux mots : « sad » et « faces » et la lettre « I » entre les deux. Chaque lettre représente un des symptômes, qu'il s'agisse d'un trouble du sommeil, d'un problème d'appétit ou de manque d'appétit. La dernière concerne le suicide. Les patients qui attendent doivent la regarder. En général, ils constatent que six des neuf problèmes s'appliquent à eux. Cette approche élimine le stigmate rattaché à l'idée de la santé mentale parce que les patients peuvent regarder la carte et s'y retrouver. C'est la même chose que si j'avais une affiche. Vous seriez blessé si je vous demandais quels sont les risques que vous courez d'avoir le sida. Toutefois, si j'ai placé une affiche dans la salle d'attente qui pose des questions au sujet du VIH, vous serez plus probablement porté à en parler et à poser des questions, par exemple qui a-t-il de si important concernant le VIH. Cela permet d'amorcer la conversation. C'est une des façons les plus douces de le faire. Le cabinet de tout médecin est un endroit sûr où parler de santé mentale.

Où faudrait-il situer ce centre? Selon moi, il faudrait qu'il soit créé au sein de Santé Canada. Je ne pense pas qu'il soit possible de disposer d'un édifice pour les troubles somatiques et physiques et d'un autre édifice pour la santé mentale. Ces deux volets doivent cohabiter. La personne en charge doit être au cœur de l'action. Il faut d'abord traiter de la question de santé mentale de manière appropriée au sein du gouvernement fédéral. S'il est impossible de réunir les ressources à Ottawa ou dans un autre centre d'importance qui a besoin de psychologues, de travailleurs sociaux et d'intégrer tout ce monde dans un seul endroit où les gens pourront profiter de régimes d'avantages sociaux raisonnables, où pourrait-on installer un tel centre ailleurs au pays? En conséquence, nous devons commencer par le commencement, c'est-à-dire tirer profit des ressources existantes. La fonction publique fédérale est la ressource existante. Si nous voulons rejoindre un groupe donné, nous devons d'abord nous tourner du côté de cette ressource et nous en servir à titre d'exemple.

Le président : Docteure Sacks, avez-vous d'autres observations à faire?

La Dre Sacks : Je comprends que Terre-Neuve-et-Labrador soit différente de l'Ontario, mais j'envisage un institut national où les intervenants puissent collaborer et informer. Lors de l'assemblée annuelle de l'Association canadienne de pédiatrie, il a été merveilleux d'entendre parler de ce que font d'autres collègues. J'aurais aimé savoir. Je suis un des examinateurs des centres d'excellence de l'Institut. Je reçois de nombreuses propositions de recherche et je suis surpris de constater que les gens qui travaillent à 200 kilomètres de chez moi ne savent pas que quelqu'un d'autre fait des recherches dans un domaine similaire au leur. Nous avons assurément besoin d'un centre qui favorise la collaboration. Ce sont deux bons projets et je me demande pourquoi les responsables ne cherchent pas à travailler ensemble.

Le Dr Woodside : J'aimerais faire une observation supplémentaire. Il n'y a pas de solution unique et c'est là où le gouvernement fédéral doit intervenir. C'est lui qui établit les normes de sorte que personne ne devrait être obligé d'attendre plus de 30 jours après le diagnostic d'une dépression pour recevoir un traitement. Les gens de Terre-Neuve- et-Labrador se demanderont comment y parvenir et les fonctionnaires de Santé Canada leur répondront qu'ils ont accès à « 200 idées extraordinaires » parmi lesquelles choisir.

Le sénateur Dyck : Je suis de la Saskatchewan, et comme vous le savez, la province connaît ce que j'appellerais une explosion démographique d'enfants de couleur. Nous avons une très importante population en pleine croissance et nous prévoyons que d'ici 25 ans, 50 p. 100 des enfants dans le système public seront autochtones. Par conséquent, la situation et l'incidence de maladies mentales présenteront un défi de taille pour la pédiatrie.

Ma question est reliée au dépistage. Vous disiez avoir des outils de dépistage. Je me demande s'ils sont aussi fiables pour une population autochtone qu'ils le sont pour une population caucasienne. En tant qu'Autochtone, je suis un peu nerveuse face à l'étiquetage. Quand vous avez parlé des différentes populations culturelles, vous avez dit craindre de passer outre à certains problèmes de maladie mentale au sein de la population de nouveaux immigrants. Ma crainte est exactement à l'opposé. Vous pourriez relever des choses qui n'ont rien à voir avec un problème de santé mentale.

La Dre Sacks : Ce sont des questions très importantes. L'Association canadienne de pédiatrie a un comité des Premières nations et des Inuits, et en mai nous tiendrons un sommet des Premières nations et des Inuits sur les questions principales de ce groupe. Ce sommet aura un important volet sur les questions de santé mentale. Comme vous le savez, l'incidence d'alcoolisme et de suicide chez les adolescents de cette population est absolument scandaleuse. C'est une disgrâce nationale. Les outils actuels de dépistage devront être modifiés avec l'aide de nos collègues des Premières nations et des Inuits.

De fait, c'est un des objectifs majeurs de ce sommet, c'est-à-dire délimiter ces problèmes.

J'ai utilisé le mot « étiquette » et je savais que cela indisposerait. Toutefois, si nous pouvons aider les personnes, nous devrions par conséquent les étiqueter. Nous savons que le problème ne disparaîtra pas et nous savons aussi ce qui se produit quand le problème n'est pas traité. Si nous ne pouvons aider parce que nous ne disposons pas des outils nécessaires, et cela peut fort bien s'appliquer aux populations culturelles qui nous consultent, il n'y aucune raison d'étiqueter. De fait, cette pratique peut être dangereuse. Toutefois, je suis persuadée que nous parviendrons à développer des outils assez facilement avec l'aide de nos collègues, si nous travaillons ensemble. Les outils qui ont été mis au point sont d'application multiculturelle du point de vue de plusieurs des populations culturelles que nous voyons au Canada, mais non du point de vue de la culture autochtone. À cet égard, vous avez raison.

Le Dr Woodside : Le but du dépistage est d'identifier les personnes qui devront faire l'objet d'une évaluation plus approfondie. Le dépistage n'est pas un diagnostic. Je transposerai vos observations à un autre domaine. Si nous suivons votre raisonnement, nous ne devrions pas soumettre les femmes au test de PAP parce que certaines d'entre elles seront identifiées, à tort, comme pouvant avoir un cancer du col de l'utérus, et nous ne voudrions pas en arriver là, n'est-ce pas? Le but du dépistage est de repérer les enfants à risque et ensuite, de faire une évaluation approfondie de ces enfants pour déterminer s'ils souffrent de dépression ou non. En santé mentale, le problème c'est le manque de diagnostic et non le contraire. Le dépistage ne devrait stigmatiser personne. Pas plus d'ailleurs que le diagnostic. Le dépistage est une façon de savoir qui a besoin d'une plus grande attention.

Tous les médecins font du dépistage, et je pense que nous tous ici sommes favorables à la santé mentale. Nous pensons à nos propres attitudes. Peut-être ne devrions-nous pas faire de dépistage parce que les gens pourraient être définis comme étant à risque alors même qu'ils n'ont pas de maladie. Nous ne penserions même pas comme ça dans un autre secteur des soins de santé parce qu'il est très important d'identifier les personnes qui souffrent et de leur offrir un traitement.

Le président : Le stigmate rend parfois les gens très hésitants.

Le Dr Shumacher : Si on considère la collectivité autochtone comme un tout et non uniquement du point de vue des pédiatres, cette collectivité porte un lourd fardeau de maladies chroniques, notamment de diabète. Nous avons appris en médecine générale que 50 p. 100 des hommes qui font un arrêt cardiaque, souffriront de dépression clinique au cours de l'année qui suivra. Ce taux est si élevé que l'on serait porté à intervenir auprès de toute personne qui a fait un arrêt cardiaque ou qui a subi un pontage. Rétrospectivement, nous aurions probablement dû prescrire à tous les patients du Dr Keon des antidépresseurs pendant qu'ils étaient à l'hôpital. La même chose s'applique à la polyarthrite rhumatoïde et au diabète.

Nous sommes plus conscients du fait que ces personnes courent un plus grand risque de dépression que d'autres. Il faut être plus proactif et éviter de nous en remettre à l'affiche qui se lit « Parlez-moi de la dépression ». Il faut poser les questions directement aux patients. Pour identifier les populations à risque, il faut poser des questions plus souvent dans le cadre du dépistage. Nous portons attention à ces problèmes. Nous avons ignoré trop longtemps les problèmes cardiaques chez les femmes, nous en avons sous-estimé les symptômes. Nous avons également sous-estimé ces symptômes dans d'autres situations. L'attention supplémentaire qui est apportée par les fournisseurs de soins de santé n'est pas une mauvaise chose; c'est probablement même une bonne chose.

Le sénateur Dyck : La différence en matière de dépistage des femmes adultes est justement que ce sont des adultes et que le dépistage se fait en privé. Un dépistage qui se fait à l'école auprès des enfants doit être plus discret afin de ne pas stigmatiser. S'il n'est pas nécessaire d'étiqueter, tant mieux. Pour en revenir à votre exemple de l'éducation, s'il existait un système qui serait perçu comme une pratique normale et non pas comme un système de ségrégation ou d'étiquetage, cela ferait une grande différence.

Le sénateur Fairbairn : Le Dr Woodside a parlé de l'importance de sensibiliser le public. On y trouve une référence dans les documents qui nous ont été fournis. Du point de vue de notre comité, la question du financement fédéral, y compris la façon de le faire et les bénéficiaires, serait une question importante.

Cela me semble essentiel à votre démarche. Dans une certaine mesure, c'est aussi une des choses les plus difficiles à faire. On peut dire que certains médias passent plus de temps à rédiger des articles sur la santé mentale et sur les divers incidents qui se produisent dans les collectivités. Bien souvent, cela se fait après-coup, et c'est là le drame. Je pense notamment à la sensibilisation du public qui se fait par l'entremise de la télévision, de l'Internet et des autres médias. Je pense aussi en particulier à certaines annonces qui sont publiées. Je crois certaines de ces campagnes bénéficient d'un financement fédéral, plus particulièrement la campagne de lutte contre le tabagisme. Une personne qui travaillait comme serveuse à Ottawa s'est servie des médias pour dire partout au pays qu'elle se mourait d'un cancer du poumon attribuable à la fumée secondaire, malgré qu'elle n'ait jamais fumé de sa vie. Il s'agit là d'un message personnel très fort. Il y en a d'autres qui concernent la consommation d'alcool et, bien entendu, la conduite en état d'ébriété et sur les effets de l'alcoolisme dans les familles.

Cela me semble être un problème considérable, un problème personnel. Chose curieuse, tous nos systèmes ont besoin d'une certaine pression pour donner des résultats, et cette pression doit, en bout de ligne, venir du public. Voilà une chose qui devrait figurer en tête de votre liste et je suppose que vous voudriez en savoir davantage, que votre comité aimerait en savoir davantage sur la façon dont vous présenterez la situation à ceux qui accordent le financement. La semaine de sensibilisation à la santé mentale est une très bonne initiative, mais elle ne dure qu'une semaine. Voilà un aspect pour lequel il faut de la constance. Pourriez-vous nous donner des suggestions, parce qu'il s'agit là d'une question qui relève assurément d'une responsabilité fédérale? Peut-être pourriez-vous nous parler aussi du type de réaction que vous avez eue du public, soit du fédéral, soit du provincial face à cette cause lors de vos discussions avec Santé Canada ou avec d'autres niveaux du gouvernement. Vous avez mentionné les enfants. Vous avez dit qu'il fallait commencer par les enfants, car une fois arrivés à l'âge adulte, la situation n'est pas seulement pire pour l'individu, elle l'est également pour le Trésor public, et ainsi de suite. Selon moi, il s'agit d'un élément essentiel de l'équation pour en arriver à une plus grande compréhension et à des mesures plus immédiates. Je me demande si vous voyez un espoir de succès dans votre démarche ou dans les discussions que vous pouvez avoir eues avec les fonctionnaires.

Le Dr Woodside : Quelqu'un doit prendre l'initiative. Nous sommes tous disposés à aider. Selon nous, il s'agit aussi d'un rôle pour le gouvernement fédéral. Vous avez parlé de la femme qui parcourt le pays pour dire publiquement qu'elle se meurt d'un cancer. Il y a 40 ans, elle n'aurait probablement pas reconnu qu'elle souffrait d'un cancer; elle aurait été trop embarrassée par cette situation. Les attitudes changent avec le temps.

Le gouvernement fédéral peut dire qu'il est acceptable d'avoir un problème de santé mentale, qu'il est acceptable d'en parler et que la personne mérite d'être traitée. Il peut dire aussi qu'il en fait une priorité et il peut dire que les besoins de ce segment de la population ont été négligés et qu'il est maintenant temps de corriger la situation. C'est là une démarche importante pour permettre aux gens de se sentir plus à l'aise de dire qu'ils ont besoin d'aide. La plupart des personnes qui souffrent d'un problème de santé mentale savent qu'ils sont malades. Elles ne le nient pas. Il y a pourtant des exceptions, mais la plupart des gens qui sont malades le savent. Il y a aussi des groupes de défense des intérêts, mais leur financement est disparate. Nous suggérons que l'agence de santé mentale, peu importe sa structure, puisse jouer un rôle de coordination pour aider à financer, ou du moins à organiser un soutien financier pour les groupes non gouvernementaux de défense des intérêts, pour les groupes de famille, pour les groupes de consommateurs, et ainsi de suite. Il est possible de générer un consensus parmi ces groupes.

L'APC fait partie de l'ACMMSM. Nous avons participé à un sommet il y a deux ou trois ans avec 27 groupes de défense des intérêts nationaux en matière de santé mentale. Nous avons pu nous entendre sur un plan en cinq points pour amorcer une réforme du système de santé mentale. Ce sont des éléments sur lesquels il est possible de s'entendre. Le gouvernement fédéral doit aider et il doit faire des déclarations publiques sur l'importance de cette démarche afin que les autres intervenants qui tentent de sensibiliser le public, de parler de l'importance de traiter les personnes qui souffrent de santé mentale, ne se sentent pas isolés. C'est pourquoi nous insistons fortement pour que le gouvernement fédéral joue un rôle de leader pour aider à financer directement les campagnes de sensibilisation du public et à coordonner les efforts de financement des autres groupes de défense non gouvernementaux dans le domaine de la santé mentale.

S'il y a un effort concerté à long terme, ce sera comme dans le cas du cancer. Dans 30 ou 40 ans d'ici, il y aura peut- être quelqu'un qui parcoura le pays pour parler du problème de bipolarité ou d'autres troubles semblables. Il faudra du temps, mais l'effort en vaut le coup. Nous savons comment le faire, nous l'avons fait dans le cas d'autres maladies.

Le sénateur Fairbairn : Quels ont été les résultats de vos discussions avec le gouvernement?

Le Dr Shumacher : Malheureusement, la réponse n'a pas été les 800 millions de dollars qui ont été investis pour la santé des Autochtones ni les 800 millions de dollars qui ont été investis en santé publique. Il en faut beaucoup plus pour avoir une incidence quelconque sur une question nationale aussi importante que celle-là.

On a abordé le problème en faisant de très petites diversions budgétaires mais non en faisant un investissement important comme celui qu'a fait le gouvernement fédéral dans d'autres secteurs récemment. Cela est très important. Quand les cinq éléments prioritaires pour réduire les listes d'attente, pour réduire le temps d'attente pour une chirurgie cardiaque, une chirurgie de la hanche, du genou et des cataractes ont été annoncés, le Dr Woodside et moi nous sommes d'abord demandés ce qu'on avait fait de la santé mentale. En ce qui nous concerne, même si cette question n'apparaît pas sur la liste des priorités, elle est tout de même au sixième rang. Il faudrait le reconnaître. Nous devons tout faire pour que la santé mentale et les autres services psychiatriques obtiennent le même respect que les chirurgies cardiaques. Malheureusement, le statut de chirurgien cardiaque est à peu près le même que celui d'un astronaute : c'est génial. Il n'y a pas d'émissions de qualité concernant les psychiatres. Il y a bien eu l'émission Frazier, mais il y en a eu très peu d'autres où le psychiatre est le personnage principal. Nous devons tenter de modifier cette perception sociétale.

La Dre Sacks : La plupart des psychiatres que je connais sont des gens très bien. Sénateur Fairbairn, vous m'avez citée, mais je ne suis pas tout à fait sûre que vous étiez ici pour entendre mon exposé. Je suis d'accord avec une bonne partie de ce que vous avez dit. En ce qui a trait à la publicité, nous fournissons des documents d'information médicale pour renseigner les gens. C'est une première étape. Éventuellement, cette approche permet de modifier les attitudes vis- à-vis la question, puis de changer les comportements. J'ai la même impression en ce qui a trait au gouvernement quand on parle de cette question. Il faut dire aux fonctionnaires que nous comprenons ce qu'ils font et que nous pouvons fournir des traitements positifs. Il faut également renseigner les gouvernements. D'une certaine manière, les rapports que vous soumettez au gouvernement font ce travail d'une manière que des professionnels ne pourraient jamais faire. Les gouvernements doivent savoir que nous pouvons non seulement faire du dépistage et poser des diagnostics, mais que nous pouvons également offrir des traitements positifs. Cela modifiera l'attitude du gouvernement vis-à-vis la santé mentale et nous ouvrira la porte à des subventions, du moins nous l'espérons. Nous sommes tous disposés à attendre, bien que nos patients ne soient pas aussi disposés que nous et qu'ils puissent être dans l'impossibilité d'attendre.

La Dre Levy : Le marketing social et le changement des habitudes sont une composante importante de l'apport que vous pouvez avoir. Pour y parvenir, il faut des budgets importants. Il y a aussi toute la question de structure. Quand vous nous demandez de vous parler des résultats que nous obtenons du gouvernement sur cette question, il est difficile de vous dire quel bureaucrate travaille à quel niveau au sein du gouvernement. À l'occasion, nous traitons avec des personnes très consciencieuses oeuvrant dans les structures très ténues. Si le réseau fédéral-provincial-territorial n'a pas été démantelé en 1990, il l'a bel et bien été par la suite. À quelque niveau que ce soit, il est impossible de trouver quelqu'un à qui s'adresser au gouvernement. Par contre, quand y parvenez, vous constatez que ce sont des gens très dévoués, engagés et extrêmement frustrés parce qu'ils doivent travailler dans des systèmes qui constituent des obstacles à la pertinence des politiques.

Le sénateur Fairbairn : En ce qui a trait à la question de la sensibilisation du public et du recours à toutes les occasions possibles de communiquer les messages, vous devrez probablement vous tourner du côté politique parce que l'orientation viendra de là. Le message permettre au public d'apprendre, de comprendre, de se sentir mieux et de se sentir encouragé à demander de l'aide.

Je n'insisterai pas davantage, mais les messages visuels qui peuvent être transmis à des millions de personnes ont une bonne chance de faire progresser ce sujet très difficile d'une manière qu'il était impossible d'imaginer auparavant. Peut- être qu'il serait bien d'aborder la question en recourant aux services d'une personne spécialisée en communications. Nous sommes parfaitement conscients du problème et nous ferons de notre mieux pour le régler.

Le président : Je remercie nos témoins et je voudrais leur donner un peu de devoirs à faire. Face à ce problème, il y a des éléments qui nous frappent en comparant la situation à celle du système de santé physique : Le système de santé mentale est en bien plus mauvais état que le système de santé physique et il ne profite d'aucun momentum. J'ai deux demandes à vous faire. Premièrement, notre comité n'aime pas préparer et soumettre des rapports qui n'ont pas de répercussions. Notre rapport précédent commence à avoir un effet dans le système, comme vous le savez. Les trois organisations que vous représentez pourraient nous aider considérablement en nous fournissant une liste de cinq à 10 choses spécifiques qui pourraient être entreprises au cours des 18 mois suivant la publication du rapport. C'est cela qui créerait un effet d'entraînement. Il faudra du temps pour donner suite à la plupart de nos recommandations et nous n'avons pas nécessairement les 800 millions de dollars requis pour le faire. Je ne conteste pas le fait que les fonds sont nécessaires, mais ma crainte qu'il est tellement facile pour les gouvernements de nous faire attendre, à cause du stigmate et d'autres questions, que plus vos recommandations pourront être concrètes et spécifiques, plus nous aurons de possibilités de progresser. Nous pourrions alors traiter d'éléments spécifiques plutôt que de parler d'éléments intangibles.

Deuxièmement, en supposant que nous utilisions cette liste pour créer un effet d'entraînement général, que devons- nous mettre en oeuvre pour que la question ne s'estompe pendant 20 autres années comme cela s'est déjà produit? Le risque est réel. Le comité apprécie grandement les observations positives que vous lui avez formulées sur le travail accompli jusqu'à maintenant. Toutefois, il y a le risque que tout disparaisse trois mois après que nous aurons terminé notre travail. Certains d'entre nous sont déterminés à user de tous les moyens possibles pour éviter que cela ne se produise. Vous pourriez grandement aider notre comité en lui disant quels sont les premiers pas à faire pour tendre vers une solution et créer un effet d'entraînement. Si vous pouviez nous faire part de ces idées au plus tard en septembre, ou même avant, vous nous aideriez grandement. Pour toutes les raisons que vous avez évoquées, la résistance collective est considérable au sein du système.

J'ai une dernière observation à l'intention du Dr Levy. Ne soyez malheureux de ne pas être en mesure de trouver quelqu'un au gouvernement fédéral qui soit responsable de la santé mentale. Nous avons fait notre recherche et nous avons pu trouver que dans le meilleur des cas il y a l'équivalent d'une année-personne et demie au sein d'un ministère comptant 8 000 et quelques employés. Par conséquent, la situation n'est pas en notre faveur.

Le président : Nous poursuivons nos audiences sur la maladie mentale et les toxicomanies en accueillant Mme Christine Davis, présidente de la Fédération canadienne des infirmières et infirmiers en santé mentale. Elle est la première de notre prochain groupe de trois témoins. Nous avons à maintes reprises, au fil des ans, entendu parler de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada et nous sommes heureux que la Fédération canadienne des infirmières et infirmiers en santé mentale soit représentée ici ce soir. Outre, Mme Davis, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Penelope Marrett, directrice générale de l'Association canadienne pour la santé mentale, et M. John Arnett, le nouveau président de la Société canadienne de psychologie. Nous avons accueilli votre prédécesseur à quelques reprises par le passé.

Mme Christine Davis, présidente, Fédération canadienne des infirmières et infirmiers en santé mentale, Association des infirmières et infirmiers du Canada : Je suis présidente de la Fédération canadienne des infirmières et infirmiers en santé mentale, la voix nationale des infirmières et infirmiers autorisés qui travaillent dans les domaines de la santé mentale, de la maladie mentale et des toxicomanies. En 2003, il y avait 12 016 infirmières et infirmiers autorisés travaillant dans les domaines de la santé mentale, de la maladie mentale et des toxicomanies au Canada.

Je profite de l'occasion pour féliciter votre comité pour son attitude progressiste dans l'examen d'une question essentielle pour mes confrères et consœurs et pour le Canada dans son ensemble. La santé mentale, la maladie mentale et les toxicomanies sont des domaines de spécialisation qui emploient une proportion importante de l'ensemble des infirmières et des infirmiers autorisés dans les cadres divers de la collectivité, des hôpitaux, des établissements de détention, des refuges pour sans-abri et sur la rue. Pour que nous ayons davantage de temps pour dialoguer, je me contenterai de souligner certains points clés plutôt que de vous donner lecture de tout le mémoire.

De façon générale, le patient ne peut avoir accès à un programme sans avoir réglé les problèmes qui relèvent d'un autre programme. Pour un trop grand nombre, le traitement se limite à un malaise à la fois. De même, on demande aux patients de n'aborder qu'une question par visite dans les cliniques ambulatoires, et il en est de même pour les questions de santé mentale, dont l'approche est limitée. Malheureusement, il semblerait que les approches holistiques soient peu nombreuses.

Il y a par contre de petits secteurs d'intégration des services un peu partout au pays. En Colombie-Britannique, par exemple, le ministère des Services de santé a réuni les programmes de santé mentale et de toxicomanies au niveau ministériel et cette nouvelle approche est présentement mise en application par les autorités sanitaires de la province. Comme nous le savons, l'approche du travail d'équipe de santé primaire fait aussi appel à d'autres professionnels de la santé de manière à traiter de tous les besoins d'une personne.

Le problème des listes d'attente est devenu une question politique brûlante lors des dernières élections. Ce dossier a amené le fédéral, les provinces et les territoires à conclure une entente pour réduire les listes d'attente dans les cinq secteurs prioritaires. Nous sommes préoccupés par le fait que la maladie mentale et les toxicomanies ne sont pas parmi les priorités.

L'Association canadienne pour la santé mentale a dit qu'il y avait, en juillet 2003, quelque 1 500 personnes souffrant de maladie mentale ou de toxicomanie demeurant dans les rues d'Ottawa faute de services. Une fois inscrites sur une liste pour recevoir des services communautaires en santé mentale, ces personnes doivent attendre de trois à cinq ans. Sur les 175 personnes qui attendent des services communautaires en santé mentale à Ottawa, la moitié ont tenté de se suicider.

Le manque de services est un problème de taille à l'échelle du pays. Les périodes d'attente pour les patients, les clients et leurs familles imposent des coûts aux employeurs, aux collectivités de même qu'aux patients et aux clients et à leurs familles. Par conséquent, il faut mettre en place un service tertiaire qui soutiendrait le patient, le client et sa famille dans l'attente de services continus.

Les infirmières et les infirmiers peuvent offrir des solutions pour palier le manque de services aux personnes touchées par la maladie mentale et les toxicomanies. Par exemple, il serait plus facile de détecter les problèmes et d'intervenir rapidement si on étendait le rôle des infirmières de la santé publique dans les écoles. J'ajouterais que ce serait là retourner à un rôle que les infirmières de la santé publique jouaient par le passé.

Trop souvent, nous abordons les maladies par le biais de soins aigus. Les infirmières estiment qu'il faut accorder plus d'importance à la prévention, ce qui profiterait à la société non seulement du point de vue de l'ensemble de la santé mentale, mais qui atténuerait les pressions qui s'exercent relativement au manque de services de soins de santé aigus. Les infirmières qui seraient présentes dans les écoles pourraient identifier les problèmes, et orienter l'enfant vers les services appropriés.

L'accroissement des services de télésanté permettrait aux infirmières et aux infirmiers de répondre aux besoins des résidents des régions rurales et des régions éloignées du Canada. La télésanté permet d'intervenir en cas de crise auprès de patients qui souffrent de problèmes et de troubles en santé mentale avant que cela ne débouche sur des conséquences négatives, comme cela s'est produit dans les collectivités rurales.

Si on leur donnait la formation appropriée, les infirmières et les infirmiers qui travaillent en milieu carcéral pourraient jouer un rôle plus actif en matière d'évaluation de la santé mentale, de méthodes de traitement fondées sur l'expérience clinique et de soins à long terme des détenus souffrant de problèmes de santé mentale. Trop souvent, les gens sont détenus faute de place dans les établissements de médecine légale. Si les infirmières qui fournissent des soins physiques bénéficiaient d'un soutien pour faire des évaluations de santé mentale et apporter des traitements, il y aurait moins de pression sur les établissements de médecine légale et les personnes qui sont dans le système de justice et qui sont affectées par la maladie mentale pourraient être dirigées vers les soins appropriés en temps opportun.

Les infirmières et infirmiers en santé au travail gèrent des programmes visant à créer des milieux de travail plus sains, à améliorer la santé des employés et à maintenir la productivité à un niveau intéressant. Nous savons que les forts taux d'absentéisme en milieu de travail sont reliés à des questions de santé mentale. Les infirmières et les infirmiers en santé au travail qui gèrent des programmes de mieux-être peuvent être en mesure d'aborder les problèmes avant qu'ils n'entraînent un absentéisme coûteux.

Les modèles innovateurs qui comprennent des infirmiers et des infirmières praticiennes dans le cadre de services de santé mentale communautaires doivent être mis en place ou reproduits. Ces praticiens et praticiennes qui ont une expérience particulière en santé mentale et en toxicomanie constituent une ressource intégrale pour un système pluridisciplinaire de santé mentale, une ressource qui, pour l'instant, n'est pas utilisée à sa pleine capacité.

Dans le cadre de la solution, la fédération recommande fortement l'élaboration d'une stratégie concernant la maladie mentale et la santé mentale à l'échelle du pays. Cette stratégie, selon la Fédération, devrait aussi comporter une campagne d'éducation auprès des professionnels de la santé. Il y a chez ceux qui fournissent des soins en santé mentale, en maladie mentale et en toxicomanie, un inconfort généralisé et un manque de connaissance. Tout cela a des répercussions directes sur nos patients.

Pour terminer mon exposé, j'aimerais vous mentionner les secteurs clés où le gouvernement fédéral peut faire preuve de leadership. Le gouvernement fédéral doit jouer un rôle pour établir un lien entre les déterminants sociaux de la santé et la promotion de la santé mentale chez les enfants, les jeunes, leurs familles et chez les adultes.

Le gouvernement fédéral doit également jouer un rôle clé pour faire en sorte que les services et l'éducation dans les domaines de la santé mentale, de la maladie mentale et des toxicomanies sont disponibles, et qu'ils constituent une priorité à l'échelle du pays. Le simple fait de donner de l'argent aux provinces ne fera rien pour améliorer véritablement les services qui sont offerts aux patients, aux clients et à leurs familles.

Le gouvernement fédéral doit s'assurer que chaque Canadien a un toit ou un abri. Le logement est une forme de protection contre la maladie. Le logement est aussi une protection contre les caprices de la maladie mentale, contre les voix et contre les peurs. Le gouvernement fédéral doit aborder la question du manque de logements abordables. Je n'ai fait qu'effleurer la pointe de l'iceberg. Il me fera plaisir de répondre à vos questions lorsque mes collègues auront fait leurs présentations.

Mme Penelope Marrett, chef de la direction, Association canadienne pour la santé mentale : Bonjour. Je suis chef de la direction de l'Association canadienne pour la santé mentale, le seul organisme de bienfaisance bénévole au Canada à s'intéresser à la fois à la santé mentale et à la maladie mentale. Notre mandat est de promouvoir la santé mentale des Canadiens et de fournir des services de soutien aux gens atteints d'une maladie mentale afin qu'ils puissent s'en sortir et y résister. Le travail de votre comité est très important et l'association tient à vous en féliciter. Les trois rapports constituent une excellente base sur laquelle poursuivre votre démarche essentielle.

Les efforts pour favoriser et maintenir une bonne santé mentale chez les Canadiens n'ont jamais été une grande priorité du gouvernement du Canada comme c'est le cas pour les services de diagnostic et pour la disponibilité de traitements pour les autres problèmes de santé comme le cancer, les maladies cardiovasculaires, le diabète ou le VIH/ sida. Trop souvent reléguées au rang de cousin pauvre du système de santé, les préoccupations relatives à la santé mentale et à la maladie mentale sont souvent laissées de côté. Au Canada, ces deux aspects ont été négligés depuis trop longtemps. Au moins une personne sur cinq est directement affectée par la maladie mentale au cours de son existence. Indirectement, les maladies mentales affectent des millions de Canadiens qui voient un de leurs proches, amis, collègues ou voisins atteints d'une maladie mentale. De même, il est essentiel que chacun bénéficie d'une bonne santé mentale pour assurer son bien-être.

[Français]

L'Association canadienne pour la santé mentale dirige depuis deux ans un projet qui a engagé ses participants dans le processus d'élaboration d'un cadre pour une politique en santé mentale. Ce document intitulé « Les citoyens pour la santé mentale » offre un mécanisme de discussion sur l'incidence des facteurs sociaux de la santé sur la politique en santé mentale. Deux des facteurs déterminants, identifiés comme étant une priorité par les Canadiens de partout au pays, sont le logement et le soutien du revenu.

Nous aimerions aujourd'hui nous concentrer sur ces deux questions. La recherche sur le logement a fait ressortir que jusqu'à 30 p. 100 des personnes sans logis souffrent de maladie mentale. Environ 75 000 femmes célibataires, sans abri, souffrent d'une maladie mentale. Les personnes atteintes de maladie mentale qui sont logées par autrui sont souvent dans un milieu de vie insalubre. Entre 1980 et 2000, le nombre d'unités de logement à prix abordable, créées par le gouvernement fédéral, est passé de 24 000 à 940.

[Traduction]

Comme l'a si justement dit M. David Hulchanski, le manque de logements abordables pour les Canadiens prive un nombre important de Canadiens d'une collectivité pour les soutenir, d'un accès à l'emploi et de l'exercice de leurs droits de citoyen. Essayez de trouver un emploi quand vous n'avez pas d'adresse; vous m'en direz des nouvelles.

À part le problème moral de la situation, il s'agit d'un gaspillage considérable de potentiel humain dans notre pays, et les conséquences sont désastreuses pour l'ensemble de la collectivité. Par conséquent, l'Association canadienne pour la santé mentale prie instamment votre comité de recommander, dans le cadre de l'engagement du gouvernement fédéral à assurer l'accès à des logements abordables, que des fonds soient attribués aux fins suivantes : construction de 20 000 nouvelles unités de logement, réaménagement de 10 000 unités de logement, 300 millions de dollars pour accélérer la mise en œuvre de l'accord-cadre sur les logements à prix abordable, 150 millions de dollars pour des initiatives visant les sans-abri, et 500 millions de dollars au cours des cinq prochaines années pour l'établissement d'un nouveau fonds de rénovation des logements.

[Français]

Notre deuxième grand sujet de préoccupation est la sécurité du revenu. La santé est tributaire de la sécurité du revenu. Comme nos collègues l'ont déjà dit, la sécurité du revenu est vraiment un facteur clé de la santé mentale dans nos collectivités. Les Canadiens à faible revenu sont plus vulnérables sur le plan de la santé. Au fil des ans, la recherche a fait ressortir que les conditions chroniques sont plus répandues dans les régions plus pauvres au Canada. Environ 15 p. 100 des enfants et des jeunes, soit un sur sept, connaissent des problèmes de santé mentale suffisamment graves pour que cela ait une incidence sur leur développement et leur fonctionnement. Les enfants issus de familles pauvres sont plus susceptibles que les enfants de familles à revenu supérieur de souffrir de faible estime de soi, de difficultés et de troubles mentaux connexes, et de l'exclusion d'activités culturelles et sportives.

[Traduction]

Les questions reliées aux travailleurs pauvres sont également préoccupantes. Le rapport du Conseil national du bien-être social publié en 1993 fait état d'une diminution marquée de la valeur du salaire minimum depuis 1976 et la tendance vers des emplois à temps partiel, précaires et temporaires plutôt que des emplois bien rémunérés et assurés. La baisse relative du salaire minimum fait en sorte que les travailleurs qui touchent le salaire minimum ne pourraient pas atteindre le seuil de pauvreté de 1998 en travaillant 40 heures par semaine, même s'ils n'avaient aucune personne à charge. Nous pourrions continuer l'énumération avec plusieurs autres exemples.

L'Association canadienne pour la santé mentale prie instamment votre comité de recommander au gouvernement fédéral d'aborder les lacunes des programmes de sécurité du revenu qui ont des répercussions sur les Canadiens, sur leur santé et sur les maladies mentales. Le mémoire que nous avons soumis à votre comité contient davantage de renseignements sur cet aspect.

En guise de conclusion, malgré une économie canadienne en santé et hautement compétitive, il y a toujours des niveaux élevés de sans-abri, la dette des ménages est élevée, il y a de la pauvreté chez les enfants et il y a une diminution des services de soins de santé. De plus, plusieurs segments de la société canadienne qui n'ont pas accès à une vie de qualité comme on devrait s'y attendre dans un pays riche comme le nôtre sont exclus.

[Français]

Afin de mieux distribuer les retombées de cette croissance économique, le gouvernement du Canada doit faire preuve de leadership et consentir un important investissement dans le logement abordable et améliorer la sécurité du revenu pour tous les Canadiens. Le gouvernement doit également s'assurer que le tissu social du pays continue de se développer et de répondre aux citoyens grâce à diverses initiatives dont le renforcement du secteur bénévole et communautaire.

[Traduction]

M. John Arnett, président, Société canadienne de psychologie : Je suis très heureux de représenter notre Société. Le jour, je suis professeur et chef du Département de psychologie clinique à l'Université du Manitoba. Le soir, je m'occupe de la Société.

La SCP est en accord avec la vision fondamentale de votre comité à l'effet que les services de santé mentale et de toxicomanie devraient être de qualité élevée, devraient être adaptés aux individus et devraient être bien intégrés aux autres services de santé. Nous sommes aussi d'accord pour dire que le système de prestation de soins devrait mettre l'accent sur les besoins spécifiques de l'individu, l'objectif étant que ces personnes puissent récupérer dans toute la mesure du possible. En plus d'être axée sur les besoins du patient et sur la nécessité d'une récupération, nous estimons que la vision devrait également mettre l'accent sur la prévention de la maladie en tant que composante intégrale du programme. Nous apprécions le fait que votre comité reconnaisse la forte influence qu'une vaste gamme de facteurs ont sur la santé mentale, la maladie mentale et les toxicomanies comme il est indiqué dans le premier rapport, et que plusieurs de ces facteurs vont bien au-delà de la couverture traditionnelle du système de soins de santé. C'est cela même qui mène à la conclusion que la santé mentale, la maladie mentale et les toxicomanies sont plus faciles à aborder du point de vue plus général de la santé de la population.

Il est également vrai que les questions de santé mentale sont importantes non seulement en rapport avec l'état de santé mentale, mais aussi en rapport avec l'état de santé physique comme nous continuons de le découvrir. C'est ainsi que nous devrons élaborer un modèle biomédical de base pour être en mesure d'offrir les soins les meilleurs et les plus complets aux Canadiens.

Le Dr George Engel, interne de formation, a reconnu que la distinction traditionnelle entre santé mentale et santé physique était, dans le meilleur des cas, arbitraire puisque chaque aspect influence l'autre. En 1977, il a fait état de la nécessité d'un nouveau modèle, le modèle bio-psycho-social permettant de mieux intégrer les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux si importants, non seulement pour la santé mentale, mais aussi pour toutes les maladies.

Compte tenu qu'un modèle a tendance à modeler notre perception des choses, il influence grandement la façon d'élaborer les services que nous voulons, qu'il s'agisse de santé mentale ou de santé physique. Le modèle bio-psycho- social du Dr Engel cadre très bien avec l'approche de santé de la population adoptée par votre comité. Ce modèle constitue également un cadre conceptuel qui réduit les facteurs qui soutiennent et favorisent les approches distinctes à la santé physique et à la santé mentale, dont votre comité a également parlé, et qui tendent à diviser plutôt qu'à intégrer les soins de santé. Le modèle bio-psycho-social ramène la santé mentale au cœur des services de santé et constitue un important outil pour diminuer le stigmate dont j'ai parlé à votre comité il y a un certain temps. Voilà un moyen important d'assurer de meilleurs soins à tous les Canadiens qui ont des problèmes de santé mentale.

Nous devons également nous assurer que le programme de recherche repose sur des fondements larges, non seulement au plan conceptuel mais aussi dans l'attribution de subventions à la recherche. Un bref examen des subventions versées par l'IRSC en janvier 2005 laisse entrevoir qu'il y a place à l'amélioration.

Les Canadiens qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie devraient avoir un meilleur accès à une vaste gamme de services cliniques et de fournisseurs de services qui sont présentement accessibles en vertu du financement existant dans le cadre de la législation courante. À l'heure actuelle, par exemple, la plupart des services psychologiques dont les gens ont besoin sont fournis par le secteur privé plutôt que par le secteur public et sont donc surtout accessibles aux Canadiens qui en ont les moyens financiers. Dans le cas des sans-emploi et des personnes qui n'ont pas suffisamment d'assurance ou qui n'en ont pas du tout, l'accès aux services psychologiques est réduit ou nul. De plus, nous estimons que l'accès à ces services se détériorera sans doute dans le futur sans un remède législatif approprié. Cela est particulièrement troublant en ce qui a trait aux services offerts aux populations Autochtones, aux enfants et aux adolescents, aux Canadiens âgés et aux personnes vivant en milieu rural, de même qu'aux services dans les écoles et aux systèmes de justice criminelle où la demande est exceptionnellement élevée.

Votre comité, de même que le Conseil canadien de la santé, ont exprimé des réserves sur la pénurie de ressources humaines en matière de soins de santé. Selon nous, il s'agit d'un véritable problème. Avec la psychologie qui a la distinction douteuse d'être une des professions de la santé où les praticiens sont vieillissants, à l'exclusion de ceux qui vous parlent, nous sommes particulièrement préoccupés par des questions de ressources humaines et de formation. Les récentes coupures institutionnelles décrétées ces dernières années en raison de restrictions budgétaires, particulièrement en Ontario, ont entraîné l'élimination d'un nombre important de postes de formation en psychologie. Dans le meilleur des cas, il pourrait s'écouler de nombreuses années avant que ces décisions et les mesures que l'on s'empresse d'apporter permettent de corriger la situation. Nous savons déjà que les coupures ont été trop lourdes. Bien que les conditions économiques du moment puissent expliquer la situation, ces réductions auront certainement des conséquences graves pour l'approvisionnement et l'accès à long terme. En Ontario, le nombre de stagiaires est sous le niveau suffisant pour assurer la formation complète du nombre de docteurs en psychologie requis pour répondre aux besoins actuels et remplacer les psychologues qui prennent leur retraite et qui quittent la profession. Une telle situation ne peut qu'aggraver les problèmes actuels qu'éprouvent les Canadiens à accéder à des services psychologiques.

Nous comprenons bien les considérations sous-jacentes de votre comité relativement à des enveloppes distinctes pour la santé mentale et les toxicomanies et d'une charte spéciale pour tenter d'assurer un meilleur accès et une parité financière avec les soins de santé physique. Toutefois, nous demandons à votre comité de reconsidérer un tel changement de politique bien intentionné de crainte qu'il n'entraîne un cloisonnement plus prononcé, situation dénoncée par votre comité, et le cloisonnement des services de santé mentale et de toxicomanie par rapport aux services de santé primaires.

Le président : Je vous demanderai de réfléchir à quelque chose, puis nous reviendrons à notre sujet. Je m'adresse à vous, Madame Marrett. Je ne suis pas en désaccord avec vous sur l'importance critique des déterminants pour la santé, et vous avez parlé de manière spécifique de diverses formes de programmes de logement abordable et de programmes de soutien du revenu. Il ne s'agit pas d'être en désaccord avec cela. Nous n'obtiendrons pas un milliard de dollars ou plus au cours des 18 prochains mois ni même des deux prochaines années pour tenter de régler ce problème. Compte tenu que l'objectif à long terme est exactement ce que vous avez décrit, comment pouvons-nous obtenir de petits éléments gérables qui nous permettraient de commencer à connaître du succès? Je vous demande d'y réfléchir. Monsieur Arnett, je vous prie de me donner une clarification sur votre document. Nous comprenons tout à fait l'importance des services de santé primaire qui représentent la façon dont 85 à 90 p. 100 de la population a accès au système. Nous ne voudrions jamais suggérer de faire du cloisonnement en ce sens.

Voici le problème avec lequel nous devons composer : tous les pays qui ont cherché à le faire ont constaté que s'ils ne parviennent pas à isoler des fonds nouveaux, le système de soins aigus absorbe immédiatement la majorité des fonds. Il s'agit d'un problème pratique et non d'un problème philosophique que celui de chercher à abattre le cloisonnement dans le secteur de la santé mentale comme dans tous les autres secteurs. Deuxièmement, comment faites-vous pour vous assurer que si vous obtenez des fonds nouveaux et que vous apportez des changements, que ces fonds ne seront pas dilués le reste du système? Nous aimerions beaucoup connaître vos idées sur ce sujet.

Vous avez également parlé des psychologues qui en sont au niveau du doctorat. J'ai toujours été sous l'impression, peut-être parce que ce sont les seuls que je connaisse, qu'une part importante du travail clinique était effectuée par des psychologues du niveau de la maîtrise, ou même par des professionnels qui détiennent une maîtrise en travail social, et non par les diplômés du niveau du doctorat. Est-ce que le nombre de ceux qui ont fait une maîtrise en psychologie diminue sous le taux de remplacement, comme vous l'indiquez pour le niveau doctoral?

Troisièmement, et je m'adresse à vous Madame Davis, vous avez commenté, favorablement à mon point de vue, la création en Colombie-Britannique d'un poste de ministre d'État, responsable de la santé mentale et des toxicomanies. De fait, ce poste regroupe divers éléments en un seul programme. J'aimerais que vous ou les membres de votre groupe qui participent à ce programme, me disent ce que constitue ce travail. Il serait intéressant de le comprendre. Je le dis parce qu'il arrive fréquemment, lors d'un changement organisationnel, que l'élément de succès soit les personnes plutôt que le changement lui-même. En conséquence, si vous pouviez commenter sur l'un ou l'autre de ces trois points, soit maintenant, soit plus tard.

M. Arnett : Permettez-moi de faire une observation sur le diplôme de doctorat par rapport au diplôme de maîtrise. Tout dépend, en partie, de l'endroit où vous vous trouvez au pays. Au Québec, par exemple, la vaste majorité des psychologues détiennent actuellement une maîtrise. Toutefois, si vous vous attardez au niveau réel de formation, ce diplôme est presque l'équivalent d'un diplôme de doctorat, particulièrement si l'on tient compte des éléments qui ont été ajoutés au fil des années.

Le président : Sans la thèse.

M. Arnett : C'est exact. Le Québec cherche maintenant à éliminer le programme de maîtrise parce que l'on reconnaît que la différence entre ce diplôme et le programme de doctorat est très mince et que les exigences en termes de compétence sont à la hausse.

Le président : Je me fais l'avocat du diable et je vous dis que cela serait tout à fait acceptable si vous aviez un diplôme qui n'exige pas de consacrer une année et demie ou deux ans à faire des dissertations.

M. Arnett : Vous pouvez chercher à obtenir un diplôme d'études professionnelles, ce que ces gens cherchent à faire.

Le président : C'est un diplôme professionnel moins la dissertation.

M. Arnett : Il s'agit là d'un point intéressant et important parce que ce diplôme n'est pas toujours obtenu sans la dissertation. Récemment, le conseil d'administration de la SCP s'est intéressé aux exigences pour le diplôme proposé de Psy.D et à un programme particulier au Québec par rapport au diplôme de Ph.D. Il est difficile de faire la distinction entre les deux programmes.

Le président : Madame Marrett, voulez-vous commenter?

Mme Marrett : J'aimerais répondre à la suite du témoignage. J'aimerais en parler à quelques collègues. Je crois qu'il y a des étapes possibles.

Le président : Il doit y avoir des étapes. Je ne vous critique pas. Mais je vous prie de bien vouloir comprendre notre dilemme : si nous ne donnons pas au gouvernement quelque chose qui lui permettra de marquer des points, il sera très facile pour lui de dire « qu'il s'agit d'une autre étude farfelue sur les services sociaux, et nous ne la ferons pas ».

Mme Marrett : Un des défis à relever se trouve dans l'Accord-cadre sur le logement abordable. Si je me souviens bien lors des discussions sur le budget, le ministre Ralph Goodale avait dit qu'il restait environ 500 millions de dollars dans cet accord. Et les provinces ne les utilisent pas. Pour nous, il s'agit d'un problème grave et nous devons trouver des façons qui permettent au gouvernement fédéral, aux provinces et aux territoires de travailler à éliminer les obstacles. L'Ontario n'a pas reçu une grande part de cet argent. En conséquence, le ministre il s'est engagé à ce que d'autres fonds soient disponibles dès que l'argent sera épuisé. Notre défi est que nous devons tous travailler à trouver la meilleure façon d'y arriver. C'est une observation générale, mais j'y reviendrai.

Mme Davis : J'aimerais commenter sur ce qui se passe en Colombie-Britannique. J'arrive tout juste de Victoria. Les programmes de santé mentale et de toxicomanie ont été réunis au niveau ministériel. Je puis vous assurer que cela a été difficile. J'ai travaillé à la Vancouver Island Health Authority à l'époque. Les patients se présentaient au service pour des problèmes de toxicomanie et nous ne pouvions les traiter dans le système de santé mentale tant que les problèmes de toxicomanie n'avaient pas été traités. Une telle situation devenait intenable. Les gens étaient renvoyés à droite et à gauche. La Vancouver Island Health Authority a fait de nombreuses innovations. Par exemple, les responsables ont élaboré et aménagé un centre où les itinérants peuvent se réfugier pour une période allant jusqu'à 23 heures pour retrouver leur sobriété. Ils peuvent être en état d'ébriété, ils peuvent être sous l'influence de drogues, ils arrivent comme ils sont, et ils peuvent rester dans ce centre pendant 23 heures. S'ils ont besoin de services de santé mentale, le personnel de santé mentale peut se rendre sur place pour les voir et les rencontrer ou vice versa.

Les responsables ont également créé un nouveau service d'urgence psychiatrique situé tout juste à côté des services d'urgence. Les patients qui se présentent à l'urgence font l'objet d'un triage et, s'il y a lieu, sont ensuite orientés vers l'urgence psychiatrique. Nous étions deux à avoir travaillé en toxicomanie et à pouvoir faire les évaluations; nous les faisions ensemble, de manière que les patients qui avaient besoin d'être traitées en priorité bénéficiaient d'une consultation sur la toxicomanie ou de services en santé mentale. Il y a toutes sortes de choses innovatrices qui se produisent sur le terrain.

Le président : S'agit-il d'un événement unique? Il y a des choses intéressantes et innovatrices qui se passent à l'échelle du pays. Soit dit en passant, une des choses qui manquent manifestement à votre secteur est un endroit au pays où l'on puisse trouver ce qui donne des résultats sur le terrain. Les gens viennent ici et nous le disent. Nous le savons probablement plus que quiconque parce que les gens de partout au pays sont venus nous donner des exemples merveilleux.

Le sénateur Cochrane : Je voudrais poser une question supplémentaire au sujet de ce que disait le Dr Arnett. Je fais référence au Québec maintenant et au programme de maîtrise. Si on doit éliminer ce programme, n'y aura-t-il pas un vide au Québec pendant que les futurs professionnels poursuivront leurs études?

M. Arnett : Non, parce que nous parlons de la production future, et non nécessairement d'une modification des exigences pour le personnel qui est déjà dans le système. Nous parlons de l'avenir. Ces gens passeront à un doctorat en psychologie qui ne fera qu'ajouter un peu de temps à la formation que recevront les étudiants de demain. Il n'y aura pas de changement dans les niveaux.

Le sénateur Cochrane : Qu'arrivera-t-il à ceux qui sont déjà dans le système?

M. Arnett : Ils continueront d'évoluer dans le système. Certains choisiront de poursuivre leurs études, bien qu'il ne soit pas nécessaire qu'ils le fassent. Il faut surtout rappeler que le diplôme de maîtrise au Québec représente quelque chose de différent et que, comme dans plusieurs autres cas, il s'agit d'une norme plus élevée au départ. La différence entre ces gens et les personnes qui détiennent un doctorat ailleurs n'est pas très grande. La situation s'est développée au fil des ans parce qu'ailleurs, on a ajouté de plus en plus d'exigences au fur et à mesure où l'on reconnaissait que les professionnels avaient besoin d'une formation plus poussée. Les exigences qui se sont ajoutées ont fini par créer un programme de doctorat.

Le sénateur Cochrane : Y a-t-il un changement au niveau du salaire?

M. Arnett : Je ne saurais répondre à cette question. Je n'en sais rien.

Le sénateur Keon : Je me rends compte que je m'en tiens à un thème avec toutes les personnes qui viennent témoigner devant notre comité parce que je suis d'accord avec le président sur le fait que les dépenses que nous envisageons pour que les services qui visent 30 p. 100 de la population s'appliquent à 100 p. 100 de la population. Ces dépenses seraient considérables. Nous devons tenter de déterminer comment il est possible de le faire de manière progressive. Par conséquent, nous devons d'abord élaborer un cadre structurel ou une stratégie nationale pour la santé mentale. Puis, nous devrons ensuite aller au niveau de la collectivité, déterminer les ressources dont elle aura besoin pour favoriser l'accès au système et établir un triage approprié, tout en assurant la continuité des soins lorsque les gens reviennent dans le système. J'ai été très heureux d'entendre ce que vous aviez à dire aujourd'hui, madame Davis, au sujet des approches innovatrices qui peuvent être prises quand on se replie à un niveau raisonnable, où il est possible de faire du travail, de changer les choses.

Vous avez été précédé par des représentants de la médecine, des spécialistes et des médecins de famille et des intermédiaires, c'est-à-dire les internes, les pédiatres et ainsi de suite. J'aimerais que vous me disiez quel genre d'unité vous percevez au sein de la collectivité pour traiter de la santé mentale et des problèmes sociaux qui s'y rapportent dans le cadre de la médecine familiale. En d'autres mots, Dr Arnett, comment peut-on aider les gens à trouver un emploi ou un revenu ou un logement ou quoi que ce soit et à composer avec les situations d'urgence qui se présentent et qui sont actuellement réglées par la police ou par d'autres intervenants qui font de leur mieux, à traiter avec les services de counselling et les services de psychologie?

Connaissez-vous un modèle qui donne des résultats à l'heure actuelle? Quel genre de modèle voyez-vous au sein de la collectivité qui puisse intégrer un système de santé mentale spécialisé, le système social, si je puis m'exprimer ainsi, ou d'autres composantes dans le système médical plus large? J'aimerais que tous les trois commentiez cet aspect. Je suis bien conscient que je vous force la main, et loin de moi l'idée que vos propos aient un caractère définitif. Nous ne faisons que chercher notre voie.

M. Arnett : Comme vous le savez, à l'heure actuelle la presque totalité des ressources sont attribuées aux institutions et aux hôpitaux. D'autre part, la grande majorité des problèmes de santé mentale n'exigent pas des ressources des hôpitaux. Ce qu'il faut dans la collectivité, et ce qui n'existe pas encore, c'est plutôt une équipe pluridisciplinaire pouvant travailler avec les médecins de famille, avec les psychiatres, les psychologues, les travailleurs sociaux, les infirmières et d'autres intervenants. Ce système est sous-développé. La vaste majorité des ressources sont attribuées aux institutions. Selon moi, il ne faut pas être un génie pour élaborer ce type d'approche pluridisciplinaire, mais il faut plutôt s'éloigner des lieux traditionnels de pratique que sont les institutions.

Le sénateur Keon : Savez-vous s'il y en a? J'ai examiné certains exemples de systèmes de prestation de soins de santé primaires qui fonctionnent assez bien, mais je ne sais pas s'il y en a qui ont la dimension élargie que je viens de vous décrire et qui, selon moi, sont requis pour offrir aux personnes atteintes de maladie mentale un emploi, un revenu, un toit et ainsi de suite.

Mme Marrett : Voilà une excellente question. L'Association canadienne pour la santé mentale travaille à l'élaboration d'un cadre de soutien où l'individu est au centre et où les ressources nécessaires sont disponibles et permettent de soutenir cet individu. Nous avons un certain nombre de filiales au niveau de la collectivité qui participent à des travaux plutôt innovateurs et qui cherchent à en faire davantage. Parmi les professionnels de la santé qui travaillent avec eux, notons des psychiatres et des praticiens généraux, de même que des infirmiers et infirmières praticiens dans une ou deux filiales. Les programmes offerts comprennent le logement ou l'emploi, mais il y a également les questions de soins de santé.

Une filiale en particulier cherche à amasser suffisamment de fonds pour mettre sur pied un programme de soins de santé primaires pour les personnes qui souffrent de maladie mentale sérieuse et qui s'occuperait non seulement de cet aspect de leur existence, mais également de leur être tout entier. Bien souvent, les personnes atteintes d'une maladie mentale sérieuse n'ont pas accès à un médecin de famille si elles ne sont pas reliées d'une façon ou d'une autre à leur famille ou à quelqu'un d'autre, et si elles ont également d'autres problèmes de santé. Il s'agit de notre filiale de Windsor-Essex, établie à Windsor. Cette filiale a adopté cette approche parce que les membres se sont rendu compte, dans le cadre de la prestation de services de soutien et de traitements par l'entremise de leurs équipes d'accueil professionnelles, qu'il manquait un élément que personne d'autre au sein de la collectivité n'était capable d'offrir. Aujourd'hui, la filiale essaie d'offrir ce qui manque.

Dans plusieurs de nos filiales, nous en comptons 125 à l'échelle du pays, certains des services sont offerts par l'entremise de professionnels des soins de santé. Par exemple, des patients laisseront leurs médicaments à ces professionnels, puis reviendront les chercher parce qu'ils ont décidé que c'est la seule façon de mener une existence à peu près équilibrée. De même, cette approche permet aux professionnels des soins de santé d'aider ces personnes si elles ont besoin de consulter un travailleur social à cause de problèmes de logement, par exemple, ou si elles ont besoin de voir quelqu'un d'autre. La filiale aide les personnes à accéder au reste de l'équipe. Nous comptons plusieurs filiales qui fonctionnent de cette manière. Je pourrai vous fournir la liste des filiales qui offrent des services de cette nature.

Le président : Cela serait très utile. De toute évidence, nous pouvons bien vous décrire ce que nous souhaiterions ce qui se produise, mais c'est une toute autre chose que d'être capable de dire « Voici deux ou trois ou quatre exemples de situation qui donnent des résultats ».

Mme Christine Davis : C'est une excellente question, mais il y a des éléments de programme qui donnent de très bons résultats à l'échelle du pays. Nous devons élargir notre approche afin de ne pas avoir à nous demander comment faire pour incorporer ces programmes dans l'ensemble du système que sont les institutions ou qui comprennent les institutions. Les gens ne séjournent pas dans les institutions pendant de longues périodes; ils reviennent aux institutions lorsque la collectivité ne parvient pas à les aider. Nous devons chercher des façons novatrices de garder les gens au sein de la collectivité.

Je suis au courant de ce qui se passe sur l'île de Vancouver. Au Comox Valley Nursing Centre il y a des équipes pluridisciplinaires qui offrent toutes sortes de services pour maintenir les gens dans la collectivité et leur éviter d'aller à l'hôpital, à Victoria. Il y a toutes sortes de programmes innovateurs dans le Downtown Eastside de Vancouver qui cherchent à soutenir les gens et à les aider à se trouver un logement et à faire ce qu'il faut pour demeurer en santé, peu importe la définition qu'ils en donnent.

J'ai des réserves concernant la façon dont nous concentrons nos énergies sur les personnes qui vivent avec une maladie mentale ou qui vivent des problèmes de toxicomanie. Nous devons penser à la prévention, et il doit y avoir une continuité dans les services. L'Hôpital pour les enfants malades administre des programmes de santé mentale pour les jeunes enfants. Cela suppose d'examiner la situation de la famille et des mesures de soutien qui existent pour cette famille afin d'encourager des méthodes parentales qui favoriseront la santé mentale de l'enfant. Cela comprend aussi le logement. Cela comprend également l'alimentation. Cela comprend l'accès à des services de soutien, à des programmes communautaires et ainsi de suite. L'ensemble de l'initiative de développement précoce lancée par le gouvernement est un pas dans la bonne direction mais la façon de la mettre en œuvre dans chaque secteur pose problème. Je n'ai pas de réponse, mais il y a des éléments de programme innovateurs et je pourrais assurément vous fournir de l'information sur ces éléments.

Le sénateur Keon : Merci beaucoup.

M. Arnett : Je suis tout à fait d'accord avec Mme Davis concernant a nécessité de faire la promotion de la santé et de faire de la prévention. Cela n'est pas aussi présent que nous l'aimerions. Le Winnipeg Regional Health Authority a mis au point ce que l'on appelle des centres d'accès à des soins de santé. En théorie, ce sont exactement ce que vous avez décrit. Non seulement réunit-on des groupes pluridisciplinaires, mais aussi des services sociaux pour les personnes qui recherchent un emploi, du counselling d'emploi et ainsi de suite. Toutefois, si ces concepts sont extraordinaires et s'ils ont donné lieu à certaines réalisations, le personnel professionnel et les autres intervenants n'ont jamais obtenu de financement. Malgré l'existence d'un concept intéressant, nous ne pouvons y donner suite faute de fonds. Par contre, les institutions bénéficient de fonds, mais il est très difficile de transférer ces fonds à la collectivité.

Le sénateur Keon : Un des problèmes est que les institutions sont là depuis fort longtemps, qu'elles ont leur propre organisation et leurs propres programmes. Dès que des fonds sont disponibles, elles sont en mesure de se les approprier. En ce qui concerne les initiatives dont vous parlez, nous devons dépasser le stade où nous en sommes présentement, élaborer un plan et à tout le moins ouvrir la porte à un développement de ce concept. À l'heure actuelle, les personnes qui élaborent ce concept n'ont nulle part où aller.

M. Arnett : Vous avez tout à fait raison.

Mme Christine Davis : Vous avez raison en ce qui a trait aux organisations. Elles sont en place depuis fort longtemps et elles sont très puissantes. Les fonds des ministères de la Santé sont attribués aux autorités de la santé qui s'empressent de faire ce qui est de plus pressant, c'est-à-dire réduire les listes d'attente pour la chirurgie de la hanche, du genou, la chirurgie cardiaque et ainsi de suite. Ces fonds ne sont jamais réservés à la santé mentale, et ils ne seront jamais consacrés à la maladie mentale ni aux toxicomanies. La maladie mentale et les toxicomanies sont au bas de l'échelle des soins de santé et les personnes aux prises avec ces problèmes sont perçues comme étant moins méritantes que les autres. Il faut que ces fonds soient réservés à la santé mentale dès le départ.

J'en reviens à la Colombie-Britannique, parce que je viens de là. Le ministère pour le Développement des enfants et la Famille a instauré un plan de santé mentale. Ce plan de santé mentale est axé sur la collectivité et bénéficie de subventions importantes pour le dépistage hâtif, la prévention, l'intervention et ainsi de suite. Les responsables du plan ont des choses spécifiques à faire avec ces fonds. Ce qui prouve qu'il y a moyen d'y arriver.

Le sénateur Fairbairn : J'ai cherché à revoir vos exposés, qui étaient tous très bien, afin de trouver une question pour chacun de vous.

Je vous énumère les questions, puis vous pourrez commencer à y répondre et à y réfléchir au fur et à mesure.

Monsieur Arnett, vous avez dit dans vos observations que les Canadiens qui ne sont pas suffisamment assurés ont peu ou pas d'accès aux services psychologiques nécessaires. Vous dites que cela risque de se détériorer dans le futur sans un remède législatif approprié. Pourriez-vous expliquer ce que vous recherchez en ce qui a trait à ce correctif législatif, pour nous dire s'il s'agit d'une simple question de financement ou d'un changement important à la politique?

M. Arnett : Je veux dire que la vaste majorité des services psychologiques, probablement les trois quarts, sont payés par le secteur privé. Il y a un petit nombre de services qui sont payés dans le cadre du système de soins de santé. Toutefois, la vaste majorité des services psychologiques qui sont dispensés aux patients sont payés par les patients eux- mêmes ou par une assurance quelconque.

Si on considère les divers textes de loi, ils font référence à du financement pour les procédures nécessaires au plan médical, et j'utilise les mots « nécessaires au plan médical » parce que c'est souvent l'expression que l'on retrouve dans les textes de loi. Cela exclut un grand nombre de services fournis par des disciplines qui ne sont pas reliées à la médecine. Cela crée un problème sérieux d'accès à ces services, lesquels sont très efficaces. De fait, les gens à qui on pose la question les choisiront. Ils les choisiront au lieu de se rabattre sur les produits pharmaceutiques, mais ils n'y ont pas accès parce que la législation ne crée pas les conditions nécessaires pour que le financement atteigne un niveau suffisant.

À moins de changements législatifs, et vous êtes sûrement mieux placé que moi pour le savoir, les gens qui ne sont pas assurés ou qui n'ont pas de régime d'assurance complémentaire ne pourront tout simplement pas s'offrir ces services, parce qu'ils sont offerts par le secteur privé et non par le secteur public.

Le sénateur Fairbairn : Merci beaucoup. Il s'agit peut-être là d'une question que nous devrions suivre de plus près. Madame Davis, vous avez parlé des personnes âgées et je crois que c'est là une des conséquences les plus tristes de tout ce casse-tête. Vous parlez de la nécessité d'explorer l'utilisation d'approches non traditionnelles pour maintenir les gens dans la collectivité dans toute la mesure du possible. Pourtant, on constate que souvent les personnes âgées sont incitées, surtout si elles sont hospitalisées, à aller dans une résidence qui n'est pas la leur. Pourriez-vous nous parler un peu des approches non traditionnelles auxquelles vous faites référence?

Mme Christine Davis : Certaines de ces approches non traditionnelles comprennent des centres de soins de jour pour les aînés. Par exemple, des personnes atteintes d'une maladie mentale de longue date ou associée à la vieillesse sont amenées dans ces centres pour la journée afin que les membres de la famille qui s'en occupent à leur domicile puissent travailler et avoir une vie normale à part les soins qu'ils assurent à leurs parents ou à une autre personne.

Il y a des ententes selon lesquelles des personnes qui ne font pas partie du personnel infirmier font des visites au domicile de ces personnes âgées et les accompagnent à l'épicerie ou à un rendez-vous chez le médecin, et cetera. Ce sont les programmes les plus novateurs et non traditionnels que je connaisse.

Je pense que si nous demandons aux familles et aux personnes qui travaillent avec les personnes âgées de quel type de programmes non traditionnels et novateurs ils auraient besoin, ils auront des idées; ils connaissent ce domaine. Je ne peux pas répondre précisément à cette question, mais je peux certainement me renseigner et transmettre cette information au comité. Le seul modèle que je connais, c'est celui des centres de jour.

Le sénateur Fairbairn : Madame Marrett, vous avez parlé de subventions progressives qui encouragent, par exemple, la formation et les soins aux enfants. Vous établissez une relation étroite entre le niveau d'éducation et les revenus.

Je m'intéresse depuis des années au problème de l'alphabétisation. Un des aspects les plus désolants est celui des adultes qui n'ont pas appris à lire et à écrire parce qu'ils avaient des problèmes physiques ou mentaux ou parce qu'ils ont simplement été oubliés par le système. Peu importe si leur enfant fréquente ou non un service de garde, ils doivent tout de même rentrer à la maison le soir et faire face à ce manque de soutien, car ce soutien n'existe pas.

Cette situation est une source de tension énorme du point de vue personnel et familial. Je me demandais si, lorsque vous parlez d'éducation, vous pensez également à eux et pas seulement à l'éducation offerte dans les établissements scolaires.

Mme Marrett : Nous considérons la situation dans un sens plus large. Par exemple, nous avons récemment publié une brochure sur la santé mentale et les soins aux jeunes enfants en collaboration avec le Hincks-Dellcrest Centre. Cette brochure s'adresse spécialement aux éducateurs de la petite enfance et identifie ce qu'ils peuvent faire dans le cadre de leur travail en vue d'améliorer et de préserver la santé mentale des jeunes enfants. Elle a été élaborée spécialement pour aider ceux qui travaillent avec les jeunes enfants — dans une garderie, par exemple — et pas aider seulement l'enfant, mais aussi la famille.

Je suis moi-même mère d'un jeune enfant et je me souviens d'une rencontre organisée par la garderie et dont le thème était « l'alphabétisation et mon enfant ». J'ai été extrêmement surprise de constater qu'un grand nombre de parents ne réalisait pas l'importance de la lecture pour les enfants, et j'ai ensuite compris que plusieurs ne s'étaient jamais fait lire des histoires. Cela expliquait pourquoi ils ne comprenaient pas son importance. Cependant, la garderie prenait l'initiative d'aider les parents à comprendre l'importance de la lecture et aussi l'importance d'en faire une habitude à long terme.

Dans ce sens, nous pensons qu'il n'est pas question uniquement des personnes dans un contexte d'établissement scolaire, cela touche tout le monde.

Nous avons récemment produit une brochure intitulée Your Education — Your Future qui s'adresse aux personnes qui étudient présentement à un niveau d'éducation plus élevé. Cette brochure aide les personnes atteintes d'une maladie mentale et qui fréquentent les collèges ou les universités en expliquant, par exemple, comment trouver l'hébergement dont elles auront besoin pendant leurs études.

Nous avons aussi produit un outil pour les étudiants de niveau secondaire, Mental Health in High School, qui traite de la santé mentale dans le sens le plus large et qui englobe les maladies mentales. Cette brochure a été conçue pour aider les jeunes qui peuvent décider de parler ou non à leurs parents de leurs anxiétés et des questions qui les préoccupent, de leurs sentiments à l'égard de ce qu'ils doivent faire pour s'aider, ainsi que des conseils si un de leurs amis souffre d'anxiété.

Je pense que le système d'éducation essaie de résoudre certains de ces problèmes en éduquant les parents; mais finalement, les ressources sont tellement limitées que seul un petit nombre y arrive. Un de nos plus grands défis relève de l'allocation des ressources.

Le sénateur Cook : Sur la question de l'éducation permanente, j'aimerais savoir ce que vous pensez d'un éventuel programme fédéral de bourses pour les personnes qui travaillent déjà dans le milieu, par exemple, une infirmière qui voulait devenir infirmière praticienne. Les programmes pourraient offrir plusieurs disciplines et être réalisés de nombreuses façons, comme la téléconférence, la télémédecine et les cours par correspondance. Cette infirmière pourrait être mariée et avoir une famille et ne pas avoir les moyens ni le temps de réaliser cet objectif.

Madame Marrett, j'aimerais aborder la question du logement à prix abordable. Nous n'avons pas beaucoup parlé du rôle des ONG dans le système de santé mentale. Dois-je comprendre qu'il y a des fonds disponibles et inutilisés au niveau fédéral en raison de l'absence d'une contribution égale de la part des provinces ou des ONG? Ai-je bien compris? Dans ma province, il existe un partenariat entre l'Église unie du Canada et le gouvernement fédéral afin d'offrir des logements à prix abordable aux clients des services de santé mentale. Présentement, nous comptons 79 logements. La bonne nouvelle est que les clients assurent la gestion des lieux. C'est une nouvelle intéressante. Je pense que nous pourrions jouer un rôle pour rejoindre le milieu des bénévoles. En ayant le soutien nécessaire, il pourrait offrir un excellent service. Je pense qu'il y a au Canada plusieurs ONG et organismes bénévoles qui font ce genre de travail. Avez-vous étudié la pertinence de cette question pour voir comment si nous pourrions mieux utiliser ces ressources?

Dans ma province, les centres de ressources pour personnes âgées sont un facteur important dans l'amélioration de leur vie. Les personnes âgées souffrent souvent de la solitude et les activités et les repas organisés par les centres offrent un formidable réconfort. Il se passe des choses intéressantes dans l'ensemble du pays sans que nous le sachions. Ne serait-il pas possible de les coordonner? Nous cherchons comment prendre soin des gens de manière chaleureuse et digne.

Je suis membre d'un centre de jour pour personnes ayant besoin de services en santé mentale dont nous célébrerons cette année le 25e anniversaire. Le sénateur Fairbairn a entendu parler de mon programme d'alphabétisation. Près de 75 à 80 personnes qui le fréquentent quotidiennement étaient incapables de s'occuper de leurs médicaments. Elles ne savaient pas lire l'information qui accompagne les médicaments et elles oubliaient de les prendre. Ces centres deviennent leur second foyer parce qu'elles habitent dans des pensions. Au centre social, elles font partie d'une famille élargie. J'espère que vous nous pourrez nous visiter lorsque vous viendrez à Terre-Neuve. Maintenant, parce que le centre s'est développé, nous pouvons accueillir des étudiants en soins infirmiers et en travail social dans le cadre de leurs stages. Tout ceci s'est organisé grâce à la générosité du milieu des bénévoles. Que pensez-vous de ces activités?

Mme Marrett : Je vais parler brièvement de la question du logement. De nombreux membres de l'Association canadienne pour la santé mentale travaillent activement dans leur communauté pour améliorer le logement des personnes atteintes de maladies mentales graves et persistantes. Nous voyons dans l'ensemble du pays de merveilleux exemples d'organisations qui ont réussi à recueillir les fonds nécessaires à la construction d'immeubles à appartements ou d'autres formes de logement appropriées pour ces personnes et qui leur permettent de vivre de la façon la plus autonome possible. Différents modèles sont possibles afin que certains endroits offrent un plus grand soutien que d'autres.

Le défi qui se présente aux ONG dans ce domaine est celui des coûts récurrents, réguliers et quotidiens de l'entretien, plus particulièrement lors de l'arrivée d'un nouveau gouvernement et des changements apportés aux priorités de dépenses. Que faire? Allons-nous abandonner ces personnes? Nous devons être en mesure de planifier sur une base pluriannuelle, de façon à ce que si des dépenses d'immobilisations sont nécessaires, les ONG soient en mesure d'en faire la planification en sachant que les fonds seront disponibles.

Plusieurs personnes atteintes de maladies mentales graves vivent dans des logements comme certains d'entre-nous n'en ont jamais vu ou ne voudraient vivre. Nous devons faire ce qu'il faut pour que les gens se sentent dignes et fiers de l'endroit où ils habitent.

Malheureusement, en raison du stigmate, les personnes atteintes d'une maladie mentale éprouvent de grandes difficultés à trouver un logement qui convienne à leurs besoins dans de nombreuses communautés. Pourtant, nous avons atteint la limite absolue dans notre capacité à offrir des logements ou des programmes appropriés. Je connais le cas d'une communauté où nous n'offrons pas de logements mais dans laquelle assurons tous les services d'aide à la vie autonome. À Calgary, l'organisation qui s'occupe de la question du logement relevait auparavant de notre organisation, mais elle est devenue un organisme caritatif distinct et incorporé qui s'occupe maintenant de trouver le financement. Il s'agit d'un programme extraordinaire parce que ces deux organisations travaillent en étroite collaboration. Une s'occupe du logement, des briques et du ciment tandis que l'autre s'occupe des services d'aide à la vie autonome.

Le sénateur Cook : Il existe deux cas semblables à Ottawa qui pourraient intéresser le comité. Ils sont issus du partenariat entre une église et les Mennonites. Les Mennonites assurent les services associés au logement et à l'entretien et l'église se charge des autres services.

Le président : Cela vaudrait la peine de s'y intéresser.

M. Arnett : Nous croyons en l'importance du soutien social tel que vous nous l'avez décrit et qui est offert dans les centres de ressources pour personnes âgées. Le soutien social est important pour les problèmes de santé mentale, de toxicomanie et de santé physique. Les centres de ressources pour les personnes âgées et le genre de soutien qu'ils assurent sont un exemple pour les services de santé en général. Votre concept de bourses a éveillé ma curiosité. Ces bourses permettraient à certaines personnes de perfectionner leurs compétences alors qu'elles ne pourraient pas le faire autrement. Cette idée est vraiment très intéressante.

Le sénateur Cook : Le gouvernement fédéral pourrait décider d'offrir un programme de ce genre. Il n'y aurait qu'une seule source de financement et de ressources. La diversité du pays est une source de fractionnement, et il est possible de promouvoir cette idée si vous trouvez qu'elle en vaut la peine.

Mme Davis : Je comprends que l'Association des infirmières et infirmiers du Canada a demandé des bourses de ce genre la dernière fois qu'elle s'est présentée devant le Comité des finances. Je pense qu'il s'agit d'une excellente idée. Beaucoup d'infirmières aimeraient devenir des infirmières praticiennes, mais elles sont incapables de retourner aux études parce qu'elles ont de jeunes familles. C'est très difficile de travailler, d'élever une famille et d'étudier. Certaines personnes y arrivent, mais cela serait plus facile avec une bourse qui témoignerait de l'importance que nous accordons à l'éducation et aux compétences que ces personnes apporteraient à leur travail.

Je voudrais souligner mon soutien aux centres de jour et aux centres de ressources. J'ai travaillé dans le domaine de la santé mentale pendant plusieurs années.

Je vais maintenant me contredire, mais je n'approuve pas l'idée de garder les gens dans des établissements. J'ai travaillé dans des établissements provinciaux et, après leur fermeture, c'était très triste de visiter ces personnes qui vivaient dans un logement d'une pièce à l'arrière des garages. Je me souviens d'avoir visité un homme qui passait toute la journée assis dans une chaise dans un cabanon et pour lequel le moment le plus important de la journée était lorsque je lui apportais deux cigarettes, un dollar et ses médicaments. À mes yeux, il n'y a rien de plus triste que de voir ces gens qui ont été élevés et qui ont vécu toute leur vie dans ces établissements se retrouver dans des communautés où ils sont isolés et sans famille. Les infirmières, le personnel de l'établissement et les autres patients étaient leur famille.

Dernièrement, la Colombie-Britannique a fermé l'hôpital provincial Riverview. Certaines personnes âgées ont été retournées à l'île de Vancouver, là d'où elles étaient venues il y a de nombreuses années. Ils ont mis ces personnes dans des avions. Ces personnes qui n'avaient jamais quitté l'établissement ont été déplacées par avion. Elles ont été terrifiées. Nous entendons toutes sortes d'histoires sur des personnes qui ont été obligées de quitter ce qui était leur foyer pour se retrouver dans des endroits isolés. Ces personnes ont besoin d'endroits où elles peuvent avoir des contacts sociaux.

Le sénateur Cook : Je reviens sur mon idée d'un programme de bourse. Si j'ai bien compris, les infirmières praticiennes du pays sont en train d'établir des normes nationales?

Mme Davis : Oui.

Le sénateur Cook : Il y a présentement une possibilité pour définir la discipline d'infirmière praticienne. Je pense que nous avons un rôle à jouer à cet égard. Si nous pourrions rêver un peu et mettre sur pied un programme de bourse — et qu'il y a le soutien possible auquel vous avez fait référence, monsieur le Président — nous pourrions utiliser ce programme et montrer comment le système a été proactif.

Le sénateur Cochrane : Ma question s'adresse à M. Arnett et porte sur sa présentation. Vous disiez que la plupart des services psychologiques nécessaires sont dispensés par le secteur privé plutôt que par le secteur public. J'aimerais en savoir plus sur le secteur privé, parce que généralement les patients qui ne peuvent pas, disons, obtenir une opération ou certains traitements, s'adressent au secteur privé. Ce secteur privé est souvent à l'extérieur du Canada.

De quel secteur privé parlez-vous par rapport aux maladies mentales?

M. Arnett : Dans notre pays, il y a une énorme lacune dans les services financés avec l'argent des contribuables. Lorsque je parle du financement du secteur public, je veux dire de l'argent consacré aux services psychologiques offerts au niveau communautaire ou dans les établissements. Il y a très peu de ces services. La grande majorité des psychologues du pays travaillent hors des établissements et des centres de santé communautaires et, de fait, leurs salaires proviennent généralement des services qu'ils dispensent.

Cette situation offre un contraste important avec les médecins dont les salaires sont versés à 98 p. 100 par le secteur public. Le secteur public ne consacre que très peu d'argent aux services de psychologie à l'échelle nationale. Ceci signifie que les gens qui ont besoin de ces services n'y ont pas souvent accès et qu'ils doivent eux-mêmes en défrayer les coûts.

Le sénateur Cochrane : Serait-il correct d'affirmer que les personnes qui sont atteintes d'une maladie mentale ne reçoivent pas le programme holistique qu'ils devraient recevoir de la part des psychologues, des psychiatres, des médecins, des infirmières, et cetera? Si ces personnes se tournent vers le secteur privé, ont-elles accès à un programme holistique ou à un service de dépannage? Est-ce qu'elles reçoivent une partie des traitements et qu'elles reviennent ensuite au secteur public?

M. Arnett : Généralement, les patients ne reçoivent pas des soins de santé intégrés dans notre système public. Une certaine journée, dans un certain établissement, cela peut arriver, mais il est plus probable que cela ne sera pas le cas. Il est beaucoup plus probable que l'intervention se limite à la prescription de médicaments pour leurs problèmes, que cela leur convienne ou non.

Par exemple, si vous demandez aux gens s'ils préfèrent recevoir un traitement ou n'en recevoir aucun, ils choisiront de recevoir un traitement. Si vous leur demandez s'ils veulent une approche plus intégrée ou une approche médicale, ils choisiront l'approche intégrée. Le problème, c'est qu'ils n'ont pas accès à cette approche.

Le sénateur Cochrane : Vous dites qu'en Ontario, le nombre actuel de postes de stagiaires est sous le seuil nécessaire pour assurer la formation du nombre nécessaire de docteurs en psychologie. Que s'est-il passé? Avons-nous fermé des universités? Avons-nous aboli un certain nombre de postes de stagiaires dans les hôpitaux? Que s'est-il passé en Ontario?

M. Arnett : C'est exactement ce qui s'est passé en Ontario. Ils ont aboli des postes de stagiaires dans les hôpitaux. Les budgets des hôpitaux ont été tellement réduits que le personnel en psychiatrie a été dans l'obligation de choisir entre préserver leurs postes ou abolir des postes de stagiaires. Un choix comme Le choix de Sophie, désagréable sous tous ses aspects. En raison de la compression des budgets des hôpitaux, des postes de stagiaires ont été éliminés et les établissements ne sont plus en mesure de remplacer adéquatement les praticiens qui travaillent actuellement.

Le sénateur Cochrane : Pourriez-vous nous offrir quelques exemples positifs de personnes atteintes de maladie mentale qui ont vu leur état s'améliorer considérablement? Est-ce que l'argent a permis de trouver d'excellentes solutions que nous pourrions mettre en pratique dans nos propres provinces?

M. Arnett : Cette question s'adresse-t-elle à moi?

Le sénateur Cochrane : À tout le monde, je voudrais entendre des histoires positives.

Le président : Ça s'appelle « chercher un rayon de soleil après cinq heures de noirceur ».

M. Arnett : Soyons francs, la vaste majorité des troubles peut être traitée et les patients se sentiront mieux à la suite du traitement. Un faible pourcentage ne s'améliorera pas. Un petit pourcentage des patients ne retrouve pas la santé. Si vous prenez l'exemple des troubles de l'humeur et des troubles anxieux, les plus courants, les personnes qui en sont atteintes peuvent être traitées, pharmacologiquement ou socialement, et elles iront mieux. La bonne nouvelle est que la plupart des gens s'améliorent avec le traitement approprié. C'est la réalité.

Peu importe ce que nous faisons, il y aura toujours un petit pourcentage de personnes qui auront besoin d'un important soutien à long terme. Dans l'ensemble, la situation n'est pas mauvaise.

Mme Marrett : Il y a plusieurs histoires positives. Une de ces histoires positives est en train de se produire en ce moment. Les traitements et services qui étaient offerts il y a 10, 12, 15 et 20 ans sont très différents de ceux qui sont dispensés maintenant.

Cela ne signifie pas pour autant que tout soit parfait. Par contre, les personnes qui ont la capacité de travailler ont beaucoup plus de possibilités de réussir leur vie et de contribuer à la société, en autant qu'elles trouvent un employeur qui accepte la situation et qui respecte le fait que cette personne puisse nécessiter une plus grande souplesse — heures flexibles ou autres arrangements.

Un plus grand nombre de personnes sont capables d'accomplir beaucoup plus grâce aux traitements et aux services qu'ils ont reçus. Je dis cela avec prudence parce que cela se produit à certains endroits.

Cette situation n'est pas généralisée.

Certainement, lorsque vous comparez le secteur public et le secteur privé, même ceux qui travaillent et qui ont droit à des prestations complémentaires sur les soins de santé doivent respecter des limites sur les montants qui sont alloués aux services de psychologie. Pour les personnes qui sont besoin de services réguliers en psychologie, ce montant sera dépensé en quelques mois. D'où vient l'argent après ça? De nombreux psychiatres vous diront que les traitements pour plusieurs personnes atteintes de maladie mentale doivent comporter des consultations psychologiques. Toutefois, si les patients n'y ont pas accès par manque d'argent, ou qu'ils n'y ont accès que pendant une courte période, nous avons un problème. C'est un défi immense pour le pays.

Mme Christine Davis : Il y a une multitude de bonnes histoires qui témoignent de la réussite des gens. Il y en a aussi plusieurs à propos des personnes qui ne réussissent pas aussi bien. Je pense qu'il faut considérer la réussite des gens en fonction de leur propre description. Il faut tenir compte de la façon dont les gens décrivent leur vie. J'ai entendu plusieurs personnes raconter comment leur vie s'était améliorée hors de l'établissement ou de l'organisation où ils avaient vécu pendant longtemps.

L'enseigne les soins infirmiers et je peux vous affirmer que j'amène les étudiants dans les établissements de santé mentale. À la fin de leur période de travail de 12 semaines avec des patients atteints de maladie mentale, tous les 10 étudiants voulaient continuer à travailler dans cette section. Au début, ils avaient peur parce qu'ils n'avaient aucune expérience. J'ai trouvé ça très gratifiant.

Le président : Je vous remercie pour ce rayon de soleil. Je vous remercie tous pour votre participation. Nous l'apprécions vraiment.

Sénateurs, notre dernier témoin est monsieur Ian Potter, sous-ministre adjoint de la Direction de la santé des Premières nations et des Inuits de Santé Canada. Madame Kathryn Langlois est la directrice générale du même programme. En raison de l'heure, j'ai demandé à M. Potter de s'en tenir à une brève déclaration préliminaire. Il avait déposé sa déclaration préliminaire et je lui ai demandé de la raccourcir un peu afin que nous puissions lui poser quelques questions. Monsieur Potter, j'apprécie votre patience. Je sais que vous êtes ici depuis un bon moment et que vous avez suivi la discussion. Somme toute, c'est peut-être bien que vous ne soyez pas venu au moment initialement prévu, parce que l'audience s'est prolongée, même en ayant un témoin de moins. Comme vous pouvez le constater, ce sujet soulève des émotions parmi les membres du comité. Je vous remercie d'être venu. Veuillez nous présenter les points importants de votre déclaration préliminaire.

M. Ian Potter, sous-ministre adjoint, Direction de la santé des Premières nations et des Inuits, Santé Canada : Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de votre invitation. Je vais raccourcir ma déclaration préliminaire et me concentrer sur les points les plus importants. Comme le sénateur Kirby l'a précisé, je suis accompagné de Mme Langlois, directrice générale de la Direction des programmes communautaires, de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, qui est responsable de nos programmes pour la santé mentale et les toxicomanies.

Je vais tout d'abord tenter de préciser ce que nous faisons et ce que les provinces et les territoires font. Cette situation porte souvent à confusion, même pour nous qui travaillons dans ce domaine à tous les jours.

Les services de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie de base sont assurés principalement par les provinces qui offrent ces services à tous leurs résidents, y compris les membres des Premières nations, les Inuits et les autres peuples autochtones. Ces services englobent les soins hospitaliers universels, les soins psychiatriques et les soins médicaux. Les provinces offrent également des services communautaires de prévention, des services de traitement ambulatoire et de suivi, des services de désintoxication et des services de traitement de la toxicomanie en résidence.

Santé Canada, par l'entremise de la Direction de la santé des Premières nations et des Inuits, en collaboration avec les provinces et les territoires, fournit des services supplémentaires en matière de santé mentale et de traitement des toxicomanies aux Premières nations et aux Inuits. Plus précisément, des services de counselling en santé mentale sont dispensés dans le cadre du programme Services de santé non assurés qui permet aux membres des Premières nations et aux Inuits de recevoir des services de santé supplémentaires, peu importe leur lieu de résidence.

En 2003-2004, nous avons consacré près de 11,6 millions de dollars aux services de counselling en santé mentale. Ces services sont généralement dispensés par des psychologues lorsqu'il se présente des situations urgentes. Nous offrons aussi des programmes communautaires de prévention et de promotion axés sur la santé mentale et la toxicomanie dans les réserves et les communautés inuites ainsi que des services de traitement de la toxicomanie en résidence aux membres des Premières nations.

Nous consacrons 40 millions de dollars au financement sur une base continue aux programmes communautaires de santé mentale dans le cadre de l'initiative Pour des collectivités en bonne santé et un autre 51 millions annuellement à des activités axées sur la santé mentale et le développement de l'enfant, dans le cadre de l'initiative Grandir ensemble : les enfants c'est important.

[Français]

Pour aider les collectivités à cerner les problèmes liés à la toxicomanie, la DGSPNI finance les activités des organismes des Premières Nations et des Inuits dans le cadre du Programme national de lutte contre l'abus d'alcool et de drogues chez les Autochtones (59 millions de dollars par année), du Programme national de lutte contre l'abus des solvants chez les jeunes (11 millions de dollars par année), de la Stratégie de lutte contre le tabagisme chez les Premières nations et les Inuits (12 millions de dollars par année) et de la Stratégie canadienne antidrogue (1 million de dollars par année).

[Traduction]

La majorité de ces programmes sont gérés et dispensés par les membres des Premières nations et les Inuits. Nous avons apporté de la documentation sur deux programmes communautaires réalisés grâce au financement Santé Canada. Nous les avons remis à la greffière pour votre information, mais je ne vais pas en parler parce que cela serait trop long.

Je vais parler brièvement de nos plans. Nous avons ciblé quatre principaux secteurs où les services doivent être améliorés. Le premier découle d'un important engagement pris par les premiers ministres et les dirigeants autochtones lors de la réunion de septembre 2004 dans lequel le premier ministre, les premiers ministres provinciaux et les dirigeants nationaux ont convenu d'élaborer un plan d'action préliminaire en vue d'améliorer la santé des Autochtones. L'objectif est d'améliorer l'état de santé des Autochtones et d'assurer qu'ils ont accès à des soins de santé de qualité.

Il y a présentement un processus dans lequel les provinces, les territoires, les dirigeants autochtones et le gouvernement fédéral se rencontrent afin de déterminer ce qui devrait être inclus dans ce plan à long terme. Il y a un secteur dans lequel les services de santé mentale pourraient être mis de l'avant. L'objectif visé est d'élaborer conjointement un plan et de le déposer lors de la prochaine réunion des premiers ministres sur les questions autochtones, qui devrait avoir lieu d'ici la fin de l'exercice financier.

Également dans le cadre de la réunion du septembre, le gouvernement fédéral a annoncé de nouveaux investissements, particulièrement pour l'élaboration d'une stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes autochtones, projet pour lequel un budget de 65 M$ réparti sur cinq ans a été prévu. Ce projet sera réalisé avec la participation de l'Assemblée des Premières nations et l'Inuit Tapiriit Kanatami avec la collaboration d'autres organisations autochtones nationales, des provinces, des territoires et de certains ministères fédéraux. Cette stratégie vise à aider les collectivités à empêcher les tendances suicidaires de se développer chez les jeunes, à communiquer avec les jeunes qui sont susceptibles de se suicider et à prévenir les suicides en série après qu'un suicide se soit produit.

[Français]

En deuxième lieu, Santé Canada s'emploie à inciter l'APN, l'ITK, les réseaux fédéraux, provinciaux et territoriaux et les organisations nationales autochtones spécialisées, à travailler ensemble pour améliorer les services de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie offerts aux membres des Premières nations et des Inuits. Ce travail vise en particulier à améliorer la coordination des services afin que les intervenants du secteur de la santé mentale et de la toxicomanie, qui ont recours aux programmes fédéraux, provinciaux et communautaires, n'aient pas à faire face à des lacunes au niveau des services ou à des dédoublements au niveau des processus.

[Traduction]

Troisièmement, Santé Canada demandera à des spécialistes d'examiner les données afin de renforcer les programmes de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie offerts aux membres des Premières nations et aux Inuits.

Quatrièmement, Santé Canada augmente graduellement le nombre de travailleurs de première ligne en santé mentale et en toxicomanie qui ont complété une formation menant à l'accréditation. Nous tentons d'obtenir l'accréditation de tous nos établissements, plus particulièrement ceux qui sont spécialisés dans le traitement de l'alcoolisme et l'abus de solvants. Nous prenons aussi des mesures pour accroître le nombre de professionnels autochtones en santé mentale et en toxicomanie dont le soutien est essentiel aux travailleurs de première ligne et à la prestation de services directs.

J'ai apporté pour consultation le document intitulé « Profil statistique de la santé des Premières nations au Canada » dans lequel le comité trouvera de plus amples détails sur la santé des Premières nations et des Inuits, s'il le désire.

Je remercie le comité de m'avoir donné l'occasion de témoigner. J'espère être en mesure de vous aider dans vos délibérations

Le président : Monsieur Potter, j'aimerais vous poser une ou deux questions. Vous avez commencé par décrire les services que vous offrez et ceux que les provinces offrent. Remboursez-vous les provinces pour les services dispensés aux Autochtones et aux membres des Premières nations?

M. Potter : Non. Lorsque des services d'hospitalisation et médicaux ont été définis dans la Loi sur les soins médicaux et la loi sur les hôpitaux, le gouvernement du Canada voulait que ces services soient offerts à tous les résidents des provinces, à l'exception des membres de la GRC et certains employés de la fonction publique fédérale. Cela incluait les Premières nations et les Inuits.

Le président : Cela incluait ceux qui vivent dans les réserves et hors des réserves?

M. Potter : Oui. Il y a eu des discussions pendant les années 1960 et 1970 concernant l'application de ces dispositions, qui ont amené l'entente de 1979 dans laquelle les rôles des gouvernements fédéral et provinciaux sont définis. Ainsi, le gouvernement fédéral demeurait responsable du financement et des services dans les réserves éloignées et dans les endroits où les provinces n'offrent aucun service. Cela signifiait que le gouvernement fédéral serait responsable des services de santé publics dispensés dans les réserves, y compris les services de prévention. Cela signifiait aussi que le gouvernement fédéral serait responsable des coûts associés aux médicaments non assurés, aux soins dentaires et au transport nécessaire des membres des Premières nations et aux Inuits vivant dans les réserves. Dans le cas des services des médecins, le gouvernement fédéral présente une facture aux provinces selon les taux établis, ce qui couvre généralement une partie des coûts. Par exemple, s'il désire que les services d'un médecin soient dispensés dans une réserve située dans le Nord du Manitoba, le gouvernement fédéral conclura une entente avec l'université, par exemple, afin d'assurer la prestation du service, le transport, et cetera. Le gouvernement réclamera ensuite à la province le remboursement des honoraires des médecins qui sont assujettis à la législation provinciale.

Le président : Vous assumez l'autre partie des coûts.

M. Potter : Oui, nous défrayons ce qui reste. D'habitude, les provinces nous remboursent le quart ou le tiers des coûts des services dispensés.

Le président : Votre budget s'élève à environ 1,4 milliards. C'est bien ça?

M. Potter : Cette année, il atteint presque 2 milliards.

Le président : Cela diminue encore mon chiffre. Si j'additionne vos dépenses dans le domaine de la santé mentale et des toxicomanies, sur un budget de 2 milliards, cela représente environ 5 p. 100. Cela me semble bien peu étant donné l'ampleur du problème. Je dirais que vous n'avez peut-être pas remarqué que nous n'avons pas été très élogieux envers votre Direction dans notre rapport Questions et options. Ne croyez pas que vous êtes personnellement visé. Nous comprenons que ce problème systémique existe depuis toujours au sein du gouvernement fédéral. Ce problème n'est pas uniquement le vôtre. Je trouve aussi très intéressant qu'en examinant l'index de votre publication Profil statistique de la santé des Premières nations au Canada, à l'exception d'un quart de page sur la question du suicide, on n'y retrouve aucune mention de la santé mentale — il n'en est pas question.

Une partie de moi-même se demande pourquoi nous faisons cela. Pourquoi ne pas tout simplement conclure les ententes nécessaires avec les provinces afin qu'elles s'occupent de tout? Lorsque je constate le montant relatif d'argent qui est dépensé, et sachant que nous sommes ici à Ottawa en train d'essayer d'offrir des services dans l'ensemble du pays, je me demande pourquoi nous faisons cela. Pourquoi ne pas tout simplement engager les provinces ou quelqu'un d'autre?

M. Potter : Si vous me permettez de répondre, quelques questions sont comprises dans vos remarques.

Le président : J'ai tendance à m'emporter sur ce sujet.

M. Potter : Je pourrais essayer de déterminer la proportion totale. Nous éprouvons quelques difficultés à recueillir toutes les données relatives aux services en santé mentale; et nous ne sommes pas le seul fournisseur de ces services de santé. Cela se reflète dans nos rapports sur les données ministérielles. En ce qui concerne les dépenses, les produits pharmaceutiques pour lesquels nous payons ne sont pas inclus. Je sais que les produits pharmaceutiques les plus courants, sans être les plus chers, sont ceux requis pour le traitement des maladies mentales.

Le président : Ces médicaments seraient surtout des anti-dépressifs.

M. Potter : Oui, absolument. Ces médicaments sont les plus prescrits et représentent des dépenses de 10 millions de dollars par année.

Nous sommes intéressés par l'intégration et nous voulons assurer qu'il y a un programme bien défini disponible. Une partie du processus d'élaboration du plan d'action préliminaire sur lequel les premiers ministres et les dirigeants autochtones se sont entendus repose sur l'intégration et l'adaptation du système de santé. L'intégration des services fédéraux et des services provinciaux permettrait de réduire les services redondants ou l'incidence des services qui ne sont pas compatibles. Les services pourraient mieux répondre aux besoins des patients et le système ne serait plus fragmenté par les différences entre les juridictions. C'est notre priorité. La plupart des services que nous offrons sont dispensés par les Premières nations et les Inuits. Une partie du processus leur assure le soutien dont ils ont besoin pour jouer un rôle essentiel dans le système de soins de santé au Canada, qui est provincial ou territorial.

Nous n'essayons pas de réduire le financement. Au contraire, nous essayons d'encourager les cliniques médicales gérées par les Premières nations, dont certaines se trouvent dans la région de le sénateur Fairbairn. J'y ai effectué quelques visites avec le sénateur Fairbairn.

Le sénateur Fairbairn : Dans la Réserve des Gens-du-Sang.

M. Potter : La Réserve des Gens-du-Sang peut compter sur une excellente clinique et d'excellents services. Nous essayons d'aider les Premières nations à travailler en collaboration avec les gouvernements provinciaux, par l'entremise d'un soutien financier du gouvernement fédéral, de façon à fournir un bon service. Nous ne nous contentons pas d'acheter des services des provinces, nous nous assurons que les services sont en grande partie gérés et dispensés par les membres des Premières nations et les Inuits. C'est une composante essentielle du système de soins de santé provincial.

Le président : Je comprends ce que vous faites. Par contre, lorsque je regarde les résultats, je ne peux pas m'empêcher de me demander pourquoi est-ce que nous ne fonctionnons pas avec des ententes provinciales. Je ne peux pas croire que la situation serait vraiment pire, et peut-être serait-elle meilleure.

[Français]

Le sénateur Gill : Je dois d'abord vous dire que je suis originaire d'une réserve indienne au Lac-Saint-Jean, que j'y habite toujours, et que je suis à l'occasion un des patients de la santé nationale et des services hospitaliers locaux. Je vous remercie et je vous félicite pour les efforts déployés depuis plusieurs années par la santé nationale.

Ce n'est que depuis très récemment que les services ont été transférés aux Autochtones afin qu'ils soient gérés par ceux-ci. Les secteurs que je connais sont relativement bien, mais évidemment, tout n'est pas parfait. Les résultats, comme le sénateur Kirby vient de le dire, ne sont peut-être pas proportionnels aux efforts et aux investissements accomplis.

J'ai ici un tableau qui provient du service de la recherche, mais je ne sais pas jusqu'à quel point il est juste. Je regarde les dépenses du gouvernement fédéral relatives aux Forces canadiennes, aux détenus et à la Gendarmerie royale du Canada. Je vois qu'il y a environ 2000 $ pour les Autochtones, par individu, et pour les autres c'est 4 000 $ et 5000 $ par individu. Je ne pense pas que cette information soit scientifique mais c'est quand même une référence qu'il faut prendre en considération.

Vous disiez tantôt que les provinces offraient beaucoup de services. Les centres hospitaliers offrent des services de santé aux Autochtones, c'est juste, mais ils sont facturés au gouvernement fédéral. Vous me perdez quand vous dites que ce n'est pas facturé.

À ma connaissance, il y a une entente selon laquelle, règle générale, la plupart des services sont dispensés par la province. À part les centres d'accueil locaux, c'est le ministère de la Santé qui assume directement les coûts. Toutefois, pour les soins prodigués à l'extérieur des réserves dans les hôpitaux ou dans les cliniques, j'ai toujours cru que les soins étaient facturés au gouvernement fédéral et payés par le ministère de la Santé provincial.

C'est comme pour l'éducation offerte dans les écoles de la province. Sous toute réserve, je dirais que c'est souvent le gouvernement fédéral qui paye les factures. Depuis que la prise en charge se fait aussi par les communautés, je ne dis pas que les factures sont payées en double mais qu'elles sont payées par les communautés elles-mêmes. J'aimerais que vous me disiez si je suis dans l'erreur ou pas.

[Traduction]

M. Potter : Dans le cas des services que nous assurons aux Premières nations et aux Inuits; la situation est différente dans le cas de la GRC et du MDN. Dans ces cas, je crois que le gouvernement fédéral rembourse les provinces pour les services dispensés.

L'entente conclue en 1979 prévoit que les provinces fourniront les soins hospitaliers et les soins médicaux de base, soit les mêmes services qui sont offerts à l'ensemble de la population, aux Premières nations et aux Inuits. Si nous offrons des soins hospitaliers — et nous possédons encore quelques hôpitaux — et si nous fournissons les services d'un médecin, nous demandons le remboursement de ces services aux provinces.

[Français]

Lorsque vous comparez les dépenses du gouvernement fédéral pour les Autochtones et pour la défense nationale, la différence réside dans le degré de responsabilité des provinces par rapport à celui du gouvernement fédéral.

Le sénateur Gill : Prenons l'exemple de la carte d'assurance maladie au Québec. Tout le monde en a une, y compris les Autochtones, les membres de la GRC et les membres des Forces canadiennes. J'imagine qu'avec l'utilisation de cette carte, les services sont facturés à la province.

[Traduction]

M. Potter : Je ne peux parler avec certitude de ce qui se passe au MDN ou à la GRC. Je peux vous parler de ce qui se fait dans le cas des Premières nations. Dans ces cas, les services qui sont assurés par la Loi canadienne sur la santé, ce que nous appelons les services assurés, sont fournis par la province. Si le gouvernement fédéral s'occupe de la prestation de services médicaux ou hospitaliers, nous demandons le remboursement de ces services à la province.

Nous ne demandons par le remboursement des services communautaire. Nous employons plusieurs infirmières praticiennes qui dispensent des services dans des collectivités isolées. Ces infirmières sont payées par le gouvernement fédéral. Les services cliniques de base — les services de prévention, les cliniques d'enfants bien portants, les services communautaires de base en santé mentale, ce genre de services, sont financés par le gouvernement fédéral dans les communautés.

[Français]

Le sénateur Gill : Avez-vous fait des démarches pour promouvoir la médecine traditionnelle chez les Autochtones? Est-ce que les gens qui travaillent localement dans le domaine de la santé font des efforts pour adopter la médecine traditionnelle?

Les médicaments coûtent une fortune et je sais qu'il y en a beaucoup dans le monde autochtone. Je sais aussi que l'industrie pharmaceutique commercialise certains de ces médicaments. Est-ce que le ministère de la Santé s'efforce de développer la médecine traditionnelle?

[Traduction]

M. Potter : Oui, bien sûr. Je vais demander à Mme Langlois de répondre de façon générale. Dans de nombreux établissements financés par Santé Canada, il y a des endroits pour pratiquer la médecine traditionnelle. Plusieurs Premières nations en font une condition sine qua non à leurs cliniques médicales.

Nous avons certaines limites à l'égard du financement de la médecine traditionnelle parce qu'aucun système ne définit qui sont les spécialistes en médecine traditionnelle. Dans d'autres pays — et c'est que nous avons essayé d'encourager les Premières nations et les Inuits du Canada à envisager — les personnes qui pratiquent la médecine traditionnelle se sont regroupées afin de reconnaître les fournisseurs officiels de ces services. Jusqu'à présent, nous n'y sommes pas arrivés. Cela soulève des problèmes en matière de responsabilité; si nous payons pour quelque chose, nous devons savoir de quoi il s'agit. Nous tentons d'établir un certain système de normalisation. Je vais demander à Mme Langlois de répondre.

[Français]

Mme Kathryn Langlois, directrice générale, Direction des programmes communautaires, Direction générale de la santé des Première Nations, Santé Canada :

Suite au questionnement de M. Potter, j'aimerais ajouter ce qui suit. Nous essayons d'intégrer la médecine traditionnelle autochtone via le programme PNLAADA pour la toxicomanie et beaucoup de médecins pratiquent ce genre de médecine.

Peut-être connaissez-vous The Aboriginal Healing Foundation qui a intégré les pratiques traditionnelles autochtones. De notre côté, nous cherchons à voir comment nous allons nous orienter dans le futur par rapport à ces projets. Quant à votre question concernant la médecine traditionnelle et l'utilisation des médicaments, nous ne sommes pas vraiment avancés sur ce point.

Le sénateur Gill : Avez-vous un programme qui pourrait éventuellement encourager la médecine traditionnelle? Je comprends que la pratique n'est pas reconnue par les médecins en général, mais est-ce qu'on l'encourage? Ce type de médecine est aussi utilisé par les non autochtones. Avez-vous au moins quelque chose de prévu pour encourager la médecine traditionnelle?

Mme Langlois : Pas pour le moment, mais je dois dire qu'en Colombie-Britannique, où il y a beaucoup d'Autochtones, il existe des thérapies alternatives traditionnelles. Il faut examiner l'évolution et l'efficacité de ces thérapies dans le futur.

Le sénateur Gill : On commence à voir des médecins, des chirurgiens et des psychiatres qui vont étudier dans les universités. Y a-t-il des programmes qui encouragent ces gens à poursuivre des études dans le domaine médical?

[Traduction]

M. Potter : Je ne pense pas que nous faisons ça, bien que je croie que dans certaines conditions, dans des écoles de médecine, cela se fait.

[Français]

Mme Langlois : Ce serait la responsabilité des universités. Nous devons travailler ensemble.

[Traduction]

Le sénateur Fairbairn : Je dois avouer que j'ai un léger parti pris à l'égard de notre témoin avec qui j'ai effectué plusieurs visites dans ma province de l'Alberta. Si le gouvernement fédéral avait un programme de sainteté, M. Potter en ferait partie. C'est un travail très difficile, et en même temps très stimulant de visiter des centres médicaux dans des réserves et de voir des gens être soignés par leurs propres médecins et leurs propres praticiens, ce qui se produit de plus en plus souvent. Le démarrage a sans doute été lent, mais nous avançons quand même.

Lorsque j'examine la table des matières, je me pose une question à laquelle je devrais connaître la réponse, mais cela n'est pas le cas. Un des problèmes les plus importants et qui touche particulièrement les jeunes dans de nombreuses communautés autochtones est lié à l'abus de drogues et d'alcool et de ses conséquences, les enfants atteints du SAF, le syndrome d'alcoolisme foetal. Avez-vous élaboré des programmes avec les Autochtones en tant que partenaires essentiels, afin qu'ils travaillent avec les membres de leurs communautés des régions où le SAF est le plus fréquent, comme dans certaines régions de ma province?

M. Potter : Présentement, ce problème est traité avec une grande importance et beaucoup d'attention dans nos programmes. Nous avons la chance de recevoir un financement supplémentaire du gouvernement fédéral de 15 millions de dollars par année pour les ressources dédiées au SAF. Nous en avons fait une priorité, autant pour trouver des solutions et que pour échanger les meilleures pratiques. Nous avons conclu une entente de collaboration avec les Indian Health Services des États-Unis pour travailler ensemble à l'élaboration de programmes d'intervention pour traiter le syndrome d'alcoolisme fœtal. De fait, la Société canadienne de pédiatrie, l'American Pediatric Society, Santé Canada et les Indian Health Services des États-Unis parrainent une importante conférence sur SAF qui aura lieu à Seattle dans environ une semaine.

Je vais demander à Mme Langlois d'élaborer un peu sur les particularités de ce programme.

Mme Langlois : Dans le cadre du travail que nous accomplissons avec les Indian Health Services des États-Unis, nous tentons de déterminer quelles sont les meilleures pratiques pour prévenir les naissances avec SAF. Nous avons appris que le meilleur prédicteur qu'une femme donnera naissance à un enfant atteint du SAF est le fait qu'elle en ait déjà un. Nous devons travailler avec les femmes qui présentent des risques afin de modifier leur consommation d'alcool et leurs toxicomanies. Une des meilleures pratiques issue de Seattle — qui existe depuis plusieurs années et que nous sommes en train d'adopter — est le programme de jumelage, dans lequel une femme à risque est jumelée avec une femme de la communauté dont les expériences de vie sont peut-être semblables. Cette femme travaillera avec l'autre pour tenter de briser les cycles et les habitudes, utiliser les services et de chercher des moyens pour modifier le comportement.

Il y a présentement un projet de mentorat en cours dans le Nord de la Saskatchewan, dans la Northern Inter-Tribal Health Authority. La communauté pense que les résultats seront positifs. Le programme n'en est encore qu'à ses débuts. Grâce au nouveau financement, le programme est en vigueur depuis une année et demie. Nous espérons que nous en tirerons les données de base nécessaires qui nous permettrons d'élargir ce genre de programme. C'est un exemple de ce que nous faisons.

Le sénateur Fairbairn : C'est un programme fédéral et non un programme fédéral-provincial?

Mme Langlois : C'est un programme fédéral.

M. Potter : C'est un programme fédéral qui a des applications au niveau des provinces. Santé Canada y travaille avec les provinces en vue d'échanger les meilleures pratiques et d'encourager la mobilisation à cet égard.

Mme Langlois décrivait un programme distinct dans notre Direction, utilisé pour répondre à notre obligation d'assurer des services aux Premières nations et aux Inuits dans les réserves, mais ce même programme peut être appliqué hors des réserves.

Le sénateur Fairbairn : Ce programme est accepté par les membres des collectivités autochtones?

Mme Langlois : En fait, pour établir le lien avec les provinces et les territoires, lorsque nous avons étudié la façon d'adapter le programme dans les réserves, nous rencontré des représentants du programme STOP FAS du Manitoba afin qu'ils nous parlent de leur expérience. Ce programme, instauré en grande partie, je crois, à Winnipeg, est axé sur les femmes autochtones vivant à l'extérieur des réserves et nous voulions l'adapter aux femmes vivant dans les réserves. C'est pourquoi il doit être adapté, et la communauté du Nord de la Saskatchewan y travaille pour s'assurer qu'il peut être mis en œuvre et être efficace à cet endroit.

Le président : Vous ne financez pas de programmes hors réserve, n'est ce pas?

Mme Langlois : Non, nous n'en finançons pas. Ils sont financés par les provinces.

Le président : Cela me ramène à ma question précédente. Je ne comprends pas pourquoi, si des provinces ont mis en place des programmes qui fonctionne dans certaines parties des collectivités autochtones, nous ne les laisserions pas mettre en œuvre ces programmes dans l'ensemble des collectivités autochtones et simplement les rembourser.

Le sénateur Cordy : Je me demande, à des fins informatives, ce que font les bureaux régionaux de la Direction de la santé des Premières nations et des Inuits — il y en a un au Canada atlantique. Font-ils uniquement du travail administratif? Travaillent-ils en collaboration avec les provinces? Travaillez-vous en collaboration avec les Autochtones qui vivent dans des régions spécifiques? Que font exactement ces bureaux régionaux?

M. Potter : Le bureau région de la région de l'Atlantique se trouve à Halifax. Certains employés travaillent dans différentes provinces et selon différentes ententes souples. Nous avons un bureau au Labrador en raison des problèmes particuliers que l'on y retrouve.

Les Premières nations et les Inuits eux-mêmes gèrent une grande partie des programmes, spécialement dans la région de l'Atlantique. Une partie du travail du bureau repose sur la gestion des ententes de financement qui permettent aux bandes, aux Premières nations, d'assurer la prestation des services. Il y a des gestionnaires pour faire ce travail. Il y a également dans ce bureau des spécialistes pour les programmes. Par exemple, notre agent de soins de santé s'y trouve. Nous avons aussi des infirmières praticiennes principales. Ces dernières sont des infirmières hautement spécialisées en psychiatrie, dans les soins aux enfants, et cetera, qui offrent des services de consultation spécialisés aux infirmières qui travaillent dans les cliniques médicales situées dans les réserves.

Il y aurait aussi des employés pour assurer la gestion et le soutien des programmes de santé mentale ou de lutte aux toxicomanies, des programmes destinés aux enfants, des programmes sur le diabète. Une grande partie du reste du travail accompli dans ces bureaux porte sur le travail fait avec les provinces afin d'assurer la coordination et l'intégration des programmes.

Le sénateur Kirby a demandé pourquoi les provinces ne seraient pas responsables d'assurer les services dans les réserves. Nous ne nous y objecterions pas si elles voulaient le faire, mais en général, la plupart des provinces n'offrent pas ces services ou ne voudraient pas s'en charger.

Le président : Pour que l'on se comprenne bien, je proposais que vous soyez responsable de ces coûts, pas pour la différence. Je ne proposais pas que vous refiliez les coûts aux provinces. Au début, je croyais que c'était vous qui assumiez les coûts des services dispensés aux Autochtones dans les réserves, même dans le cas des services médicaux réguliers, et ce soir vous m'avez éclairé. J'ai découvert que cela n'est pas le cas. À vous entendre, vous avez des employés qui travaillent à coordonner vos activités avec celles des provinces, ce que vous n'auriez probablement pas besoin de faire si les provinces s'occupaient de tout. Vous mettez en oeuvre des programmes à petite échelle qui exigent moins d'investissement, comme ce programme cité en exemple à Winnipeg. Ce qui devient moins avantageux si vous devez former des employés pour s'en occuper. Il y a clairement des coûts administratifs associés au fait que les bandes s'occupent de la gestion, et ces coûts disparaîtraient s'il n'y avait qu'un seul gestionnaire. Cela me frappe comme étant une perte d'argent absolument inutile et, point plus important, qui n'apporte que des résultats mitigés. Si les résultats étaient bons, la situation serait différente, mais ils sont terribles. Je veux seulement exprimer mon opinion à ce sujet.

Le sénateur Cordy : C'est vraiment honteux que tant d'argent soit monopolisé par la bureaucratie.

Pour changer le sujet un peu, vous avez mentionné que vous preniez des mesures pour améliorer le nombre de travailleurs de première ligne et de professionnels de la santé autochtones. Quelles sont ces mesures et quels sont les résultats? Le sénateur Fairbairn a parlé d'une augmentation des chiffres dans sa province.

M. Potter : Nous avons quelques mesures. Nous offrons des bourses d'étude et des bourses de perfectionnement aux Autochtones qui veulent s'inscrire à des programmes de formation médicale professionnelle — infirmières, médecins, pharmaciens, dentistes, et cetera. La plus grande partie de notre soutien est consacrée aux personnes qui étudient les soins infirmiers. Nous avons récemment travaillé avec les provinces pour essayer d'augmenter le nombre d'Autochtones dans ces professions, car ce nombre est très faible. Il y a de 100 à 200 médecins autochtones sur un total de 50 000 médecins.

Le président : Il y a deux psychiatres.

M. Potter : Correct.

Le président : Je crois que c'est le nombre exact; c'est celui que nous avons obtenu, et nous avons rencontré 50 p. 100 d'entre eux.

M. Potter : Il y en a très peu. Il y a seulement de 1 000 à 2 000 infirmières autochtones sur un total de 250 000.

Il faut intervenir dans tout le système, en commençant à l'école primaire, afin que cela devienne une possibilité réelle pour les Autochtones. Nous avons récemment accordé des fonds à l'Aboriginal Achievement Foundation. Cette organisation a élaboré un programme dans les écoles en s'inspirant d'un autre programme, l'Aboriginal Railways, qui était financé par VIA Rail. Il s'agit de fournir des documents promotionnels aux écoles autochtones sur les moyens à prendre pour devenir médecins, infirmières ou dentistes, tout en décrivant de quel genre de travail il s'agit. Il faut vraiment s'assurer que les jeunes s'intéressent aux sciences à l'école secondaire.

Dans le cadre de ses nouveaux engagements, le gouvernement a alloué 100 millions de dollars à l'initiative pour les ressources humaines en santé autochtone. Le financement n'a pas été finalisé par le Conseil du trésor, mais servira sans doute à accorder une aide financière aux étudiants et aux établissements. J'ai parlé avec la plupart des collèges de médecine au Canada sur les moyens qui pourraient être utilisés pour encourager les Autochtones en offrant les services auxiliaires nécessaires à leur succès. Souvent, cela signifie les aider à s'inscrire au programme. Cela signifie leur assurer un soutien social, éducatif et tutorial pendant leurs études et un environnement dans lequel ils sentiront qu'ils peuvent obtenir le soutien dont ils ont besoin. Ce sont des mesures de ce genre que nous prenons.

Le sénateur Cordy : Les universités qui offrent des programmes de soins infirmiers et les collèges de médecine participent-ils? Essaient-ils de faire partie de la solution?

M. Potter : Oui. Nous travaillons avec les collèges de médecine et de soins infirmiers. À la fin du mois, nous tiendrons une importante réunion, je crois que la date prévue est le 30 avril, qui regroupera des représentants de toutes ces organisations afin d'aider les gouvernements fédéral et provinciaux — les gouvernements provinciaux ont un intérêt majeur dans cette question puisqu'ils assurent le financement des collèges, des écoles et des organismes de réglementation professionnelle — à déterminer comment utiliser les 100 millions qui ont été annoncés pour améliorer le système à l'égard de la formation de professionnelles autochtones dans le domaine de la santé.

Le sénateur Cordy : Une partie de l'impasse est que lorsque les chiffres sont bas, il n'y a pas de modèles pour inspirer les jeunes.

Ma dernière question porte sur un point que vous avez abordé dans votre déclaration préliminaire, c'est-à-dire le taux de suicide. Il y a quelques années, le chef national Matthew Coon Come et l'ancien ministre Allan Rock ont mis sur pied un groupe consultatif sur la prévention du suicide. Je n'ai pas vu leurs recommandations, mais je suppose que vous en avez pris connaissance. Travaillez-vous sur ces recommandations, et si c'est le cas, à quelle étape en êtes-vous?

M. Potter : Je vais demander à Mme Langlois de vous répondre de manière précise. Oui, nous avons pris connaissance des recommandations et nous avons entrepris d'y répondre. Une de ces recommandations, qui touche votre question précédente, est d'encourager un programme de personnages modèles autochtones. Nous accordons un financement à l'Organisation nationale de la santé autochtone pour lui permettre de parrainer de jeunes autochtones comme modèles. Leur premier choix s'est porté sur Jordin Tootoo, un excellent joueur de hockey et le premier joueur inuit à être recruté dans la Ligue nationale. Son frère, comme plusieurs le savent, s'est suicidé. Il est dédié à aider les Autochtones avec son expérience personnelle et ses connaissances et à servir d'exemple pour montrer ce qui est possible. Il est aussi très sensibilisé et très touché par les questions entourant le suicide.

Mme Langlois : Les recommandations du groupe consultatif sur la prévention du suicide créé par le chef national Matthew Coon Come et le ministre Rock, qui était alors le ministre de la Santé, portaient sur quatre thèmes. Ces quatre thèmes en étaient d'approfondir nos connaissances sur la prévention du suicide, d'élaborer des services plus efficaces et mieux intégrés, de soutenir les approches communautaires et d'améliorer la force morale, de renforcer l'identité et d'appuyer la culture des jeunes.

Avant l'annonce du financement de 65 millions de dollars accordée à l'initiative de prévention du suicide, nous avions travaillé avec l'Assemblée des Premières nations et la Inuit Tapiirit Kanatami dans le but de répondre à ces recommandations. Je vais décrire le travail que nous avons accompli avant de recevoir ce nouveau financement, grâce auquel, je crois, nous avons obtenu le soutien nécessaire à cette nouvelle stratégie.

Je veux témoigner des stratégies prometteuses qui existent dans les communautés autochtones sur la prévention du suicide chez les jeunes. De fait, nous constatons que la GRC se préoccupe beaucoup pour cette question. Le Centre for Suicide Prevention, qui relève de l'Association canadienne pour la santé mentale, a produit un document intitulé Promising Strategies. J'en recommande vivement la lecture à votre comité et je le mettrai à votre disposition. On y retrouve 27 exemples et une description des conséquences possibles. Une grande partie de nos principes et de notre travail repose sur ce document.

Nous avons aussi travaillé avec l'Institut de recherche en santé du Canada et l'Institut de la santé des Autochtones, pour trouver des sources de financement pour la recherche sur le suicide. Nous leur avons fourni le financement requis pour demander aux nouvelles équipes de recherche de travailler sur le suicide, et c'est ce qu'elles ont fait. Nous travaillons aussi avec l'Initiative sur la santé de la population canadienne pour adapter le travail de Chandler et Lalonde, des chercheurs de la Colombie-Britannique qui ont réalisé des recherches innovatrices sur le suicide.

Comme l'a précisé M. Potter, nous avons aussi travaillé avec les Indian Health Services des États-Unis à l'élaboration d'un programme de prévention du suicide commun, car il s'agit d'une question importante pour eux aussi.

C'est ce que nous faisons pour approfondir nos connaissances.

En ce qui a trait à la mise sur pied de services plus efficaces et mieux intégrés, nous avons décidé que la meilleure façon de commencer était de réunir tous les intervenants, les provinces, les territoires, le fédéral, l'APN, l'ITK et les spécialistes en santé mentale. Mme Marrett, qui était ici tout à l'heure, fait partie d'un groupe que nous appelons notre comité consultatif sur le mieux-être mental. Ce groupe utilisera le travail que nous avons fait en collaboration avec l'AFN et l'ITK, et qui a servi à la rédaction du rapport « The Mental Wellness Framework » publié en 2002, pour établir un plan stratégique sur les moyens à prendre pour améliorer la coordination des services avec les provinces et les territoires et l'harmonisation des services. Nous sommes en train de mettre tout cela en place.

Nous sommes également en train d'inventorier les diverses collaborations entre les gouvernements fédéral, provinciaux, des territoires et autochtones en matière de santé mentale et de lutte aux toxicomanies, y compris la prévention du suicide, afin d'avoir une idée précise de ce qui est déjà en place.

En ce qui a trait au soutien aux approches communautaires, nous avons conçu une trousse de prévention communautaire du suicide avec l'Organisation nationale de la santé autochtone, et nous effectuons des essais auprès de groupes cibles dans ces communautés. Grâce au nouveau financement, nous pensons être en mesure d'effectuer plus travail avec cette trousse et de commencer à les distribuer dans les communautés.

Nous avons soutenu des formateurs autochtones pour enseigner le programme de formation appliquée en techniques d'intervention face au suicide. Nous en avons adapté le curriculum aux communautés autochtones, puisque cela n'avait jamais été fait. Nous avons organisé des formations dans 40 communautés l'année dernière.

L'amélioration de la force morale, le renforcement de l'identité et l'appui à la culture des jeunes est un élément important. Nous avons travaillé avec le Conseil national des jeunes de l'Assemblée des Premières nations à l'élaboration et à l'essai d'un curriculum sur le développement en leadership. Nous sommes conscients que l'engagement des jeunes envers les questions qui touchent leurs communautés est un facteur de protection clé dans la prévention du suicide. Nous avons aussi travaillé avec le Conseil national de la jeunesse inuite pour l'aider à concevoir son propre cadre national en matière de prévention, qui a récemment été publié. Comme M. Potter l'a mentionné, l'autre élément est notre Programme national des personnages modèles autochtones. Voilà le travail que nous faisions avant de recevoir le nouvel investissement de 65 millions. C'est ainsi que nous avons répondu au rapport du groupe consultatif sur la prévention du suicide.

Le sénateur Cordy : C'est un rapport très utile.

Le sénateur Keon : Monsieur le président, mes questions ont été en grande partie abordées. J'ai vécu une brève expérience à l'hôpital d'Iqaluit et avec les patients qui viennent du Nord pour y recevoir des traitements. Les problèmes linguistiques sont horribles. Puisque le sénateur Cordy a posé les questions auxquelles j'avais pensé, je vais les approfondir. Existe-t-il un programme spécial pour la gestion des personnes atteintes de maladie mentale? Les problèmes de communication peuvent être assez importants dans le cas de maladie somatique ou physique, mais dans le cas des maladies mentales, ils peuvent devenir désespérants. Lorsque les patients arrivent à l'hôpital d'Iqaluit, il n'y a pas beaucoup de conversation. Bien qu'il y ait des traducteurs sur place, les professionnels de la santé sont généralement incapables de communiquer en inuktitut.

Vous avez répondu à ma question sur la prévention du suicide et je vous en remercie. Par contre, en ce qui concerne l'aspect plus large des services psychiatriques, avez-vous cherché une solution spécifique pour assurer la communication entre les patients en psychiatrie et les professionnels de la santé?

M. Potter : Je vais tenter de répondre à cette question. La capacité de communiquer efficacement en inuktitut a toujours été considérée comme une tradition dans notre programme. Nous employons des « agents de santé communautaire » qui ont en général commencé à travailler en tant que traducteurs. Leur travail a évolué au cours des années, mais la traduction demeurée une fonction essentielle. Dans les services de santé mentale, c'est un grand défi. Nous obtenons présentement de bons résultats dans un aspect prometteur auquel nous consacrons plus d'efforts et de ressources. Il s'agit des services de télésanté mentale, qui permettent aux patients de demeurer dans la communauté où ils peuvent communiquer avec d'autres. Ainsi, grâce à un système de vidéoconférence, nous pouvons leur offrir les services psychiatriques d'établissements lointains pendant qu'ils demeurent près de leur famille. Il s'agit d'une intervention thérapeutique extrêmement efficace. Nous encourageons l'élargissement de ce genre de service dans l'ensemble du pays.

Le sénateur Keon : C'est vraiment intéressant. J'ai passé une semaine dans le Nord il y a environ deux ans avec notre équipe technique afin de les aider à mettre en place la télémédecine. Je connais bien ce système qui est un atout important.

Le sénateur Cook : Monsieur Potter, comment les membres des Premières nations et les Inuits ont-ils accès aux consultations en santé mentale à long terme?

Mme Langlois : C'est là où nos services s'arrêtent. Nous assurons les consultations d'urgence en santé mentale et ensuite, un aiguillage est fait au système provincial. L'accès est le même que pour les personnes qui ne vivent pas dans les réserves, par l'urgence ou le médecin de famille.

Le sénateur Cook : Dans ce cas, qui paie pour les services?

Mme Langlois : C'est la province.

Le sénateur Cook : Quel serait le point d'entrée?

Mme Langlois : Les provinces sont responsables d'offrir les services hospitaliers et médicaux à tous leurs résidents.

Le sénateur Cook : Conformément à la Loi canadienne sur la santé.

Mme Langlois : Oui, à tous leurs résidents, peu importe leur lieu de résidence.

Le sénateur Cook : La Loi canadienne sur la santé s'applique aux membres des Premières nations qui ne vivent pas dans les réserves.

Mme Langlois : Ceux qui vivent dans les réserves sont aussi assurés pour les services hospitaliers et médicaux.

Le sénateur Cook : J'oublie toujours que vous exploitez des hôpitaux dans les réserves.

Le sénateur Gill : Je ne crois pas que vous avez fait beaucoup en matière de santé mentale pour Premières nations. Je vais vous faire une recommandation. Si vous voulez faire quelque chose, faite-le dans les communautés, parce que la majorité de la population locale connaît les solutions — ils savent quoi faire — plutôt que de déplacer les gens dans les hôpitaux du Sud. Je vous recommanderais d'instaurer un programme avec les membres des communautés et ils trouveront une solution.

M. Potter : Si je peux me permettre, sénateur, je suis totalement d'accord. Toutes les données dont nous disposons, autant les données scientifiques que les conseils que nous recevons des Premières nations et des Inuits, indiquent que l'amélioration des services de santé et des résultats, au niveau mental ou physique, se produisent lorsque nous travaillons avec les communautés et que nous encourageons les efforts qu'elles déploient pour soutenir leurs membres. C'est un point absolument essentiel.

Monsieur le président, si cela est possible, j'aimerais avoir la possibilité de m'adresser par écrit au comité afin de décrire la prestation des services et si nous devrions ou non payer les provinces pour s'en charger.

Le président : Oui, bien sûr.

M. Potter : Les communautés veulent être habilitées. Elles ont besoin de sentir qu'elles exercent une influence sur le système de santé. Je suis absolument convaincu que des meilleurs résultats en santé ne seront pas obtenus tant que nous n'encouragerons pas les communautés à participer plus activement. Notre stratégie est de travailler avec les provinces et les communautés, en utilisant les ressources du gouvernement fédéral, afin de déterminer si nous pouvons établir un système de santé dans lequel les communautés pourront jouer un rôle actif. Malgré nos compétences techniques, je ne pense pas que nous obtiendrons des bons résultats si nous ne réussissons pas à créer un système de santé qui serait perçu comme relevant de la communauté, soutenu par la communauté, et souvent mis en oeuvre par les membres de la communauté.

Le président : Je suis totalement d'accord avec vous. Je voudrais simplement faire remarquer, en référence aux commentaires faits par le sénateur Keon un peu plus tôt, que cette affirmation s'applique à la prestation des services de santé dans n'importe quelle communauté. Cela n'a rien à voir avec le fait qu'il soit question d'une communauté autochtone. Je ne suis pas en désaccord avec vous au sujet du besoin d'offrir les services au niveau de la communautaire, pour toutes les raisons que vous avez mentionnées. Je veux souligner que tout ce que vous avez dit s'applique à l'ensemble des communautés du pays, pas seulement à celles établies dans les réserves. Si vous le voulez bien, j'aimerais que vous me donniez une réponse détaillée.

Vous avez dit que le coût des ordonnances s'élevait à 10 millions par année pour environ 750 000 personnes. Est-ce que vous payez aussi pour les ordonnances des personnes qui ne vivent pas dans les réserves?

M. Potter : Il y a environ 750 000 personnes.

Le président : Cela équivaut à 12,5 ordonnances par année pour chaque homme, femme et enfant sous votre juridiction. Je voudrais savoir si ce chiffre est exact. Je vais essayer d'obtenir la moyenne canadienne pour le nombre d'ordonnances et les comparer. La vôtre doit être trois à quatre fois plus élevée que la moyenne canadienne considérant qu'il est question de tous les hommes, toutes les femmes et tous les enfants. Je suis peut-être complètement dans l'erreur.

M. Potter : J'ai toutes ces données et je pourrais remettre au comité un rapport détaillé sur les dépenses en produits pharmaceutiques selon le type.

Le président : Ce serait excellent. Si le nombre d'ordonnances est deux ou trois fois supérieurs à la moyenne canadienne, cela nous indiquera à quel point l'état de santé est mauvais. Ces chiffres parleront. Je vous remercie.

La séance est levée.


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