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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 15 - Témoignages du 10 mai 2005 - Séance du matin


HALIFAX, le mardi 10 mai 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 h 2 pour examiner des questions liées à la santé mentale et à la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, nous recevons ce matin trois personnes pour examiner les aspects juridiques de cette question. Archie Kaiser est professeur à la faculté de droit et au département de psychiatrie de l'Université Dalhousie. Le surintendant Mike Burns est remplacé par le chef adjoint Christopher McNeil de la police régionale d'Halifax. Shirley Heafey est présidente de la Commission des plaintes du public contre la GRC et comme nous, elle est bien contente de se trouver à l'extérieur d'Ottawa dans les circonstances actuelles.

Je dois rencontrer le premier ministre et le ministre de la Santé à 9 h 30, donc le sénateur Cook va assumer la présidence pendant environ une demi-heure.

Je demanderais à chacun d'entre vous de faire un bref exposé pour commencer. Monsieur Kaiser, la parole est à vous.

M. Archibald Kaiser, professeur, faculté de droit et département de psychiatrie, Université Dalhousie : Monsieur le président, c'est avec plaisir que je saisis cette occasion de comparaître devant le comité sénatorial pour vous parler de votre rapport et des questions fondamentales qu'il soulève.

Je tiens d'abord à remercier les membres du comité d'aider notre nation à remédier à ce que je considère comme une tradition de discrimination et d'inéquité à l'endroit des personnes souffrant de maladie mentale.

Je suis avocat depuis 28 ans et professeur depuis 26 ans. J'ai passé l'essentiel de ma carrière d'universitaire et de professionnel à me concentrer sur la représentation des écrits universitaires et de l'enseignement sur les personnes atteintes de problèmes de santé mentale dans notre société. J'en suis venu à connaître ce groupe d'un point de vue théorique et professionnel.

Je ne suis pas seulement ici ce matin pour applaudir votre rapport, bien que je sois bien content que vous jouiez ce rôle, parce que je pense qu'il est très important d'accroître la sensibilité du public à ces questions. Cependant, je ne suis pas seulement ici pour cela. En effet, il serait très surprenant que je sois ici pour cela. Je suis là pour critiquer certains aspects de votre rapport et, j'ose l'espérer, pour vous aider à remédier à certains problèmes d'une façon légèrement différente.

Comme on peut s'y attendre, compte tenu de ma profession et de mon rôle, je m'intéresse surtout à la législation sur la santé mentale. Je sais qu'il s'agit d'une compétence provinciale, mais vous vous exprimez tout de même à ce sujet, et j'ai un point de vue assez différent du vôtre de ce à quoi pourrait ressembler une loi provinciale sur la santé mentale. J'aimerais essayer de vous inspirer une réflexion différente de celle qui se dégage de votre rapport.

Je crains fort de vous inonder de documentation. Je le fais en partie parce que d'après la section de votre rapport concernant la législation sur la santé mentale, vous ne semblez pas bien connaître la littérature existante, qui pourrait modifier votre point de vue sur certains des phénomènes complexes que vous abordez. Je vous ai apporté une copie de la page couverture des quatre lectures que je vous recommande. Le premier document s'intitule « Mental Health Law and Policy : Coming to Grips with the Equality Imperative ». Je vais profiter du temps dont je dispose ce matin pour vous en parler, parce que cet article offre une analyse plus en détail de certaines de ces questions.

Le second document, « Mental Disability Law » est un chapitre que j'ai écrit dans un livre. Il porte sur l'engagement civil, le traitement involontaire et les interventions dans la vie des gens souffrant de déficiences intellectuelles par application de lois sur l'invalidité. Je vous le présente parce qu'il s'agit d'un état de la question rédigé d'un point de vue canadien ainsi que dans une perspective d'égalité et de non-discrimination.

Le troisième article s'intitule « Imagining an Equality Promoting Alternative to the Status Quo of Canadian Mental Health Law ». Il s'agit d'un article que j'ai publié dans le Health Law Journal et qui présente un point de vue différent concernant la législation sur la santé mentale, puisque je reconnais explicitement que les personnes atteintes de maladie mentale ont toujours fait l'objet de discrimination et que j'essaie ici de proposer une ébauche de loi pour remédier directement aux problèmes d'inéquité et de discrimination.

Enfin, comme vous vous exprimez sur la criminalisation, et peut-être le chef adjoint va-t-il se prononcer sur la question aussi, je vous apporte de la documentation que j'ai déjà utilisée dans une allocution en mai dernier devant des organisations de justice et de sécurité publique ainsi que des organisations qui s'occupent de la politique de justice pénale puis des tables rondes universitaires sur la criminalisation. Il s'agit d'un résumé de points de discussion sur la criminalisation, parce qu'encore une fois, je pense que votre rapport tend à simplifier la chose à outrance.

Je vais commencer par vous parler brièvement de mes notes d'allocution intitulées « Mental Health Law and Policy : Coming to Grips with the Equality Imperative ». Je vais débuter par un résumé de ma critique qui se trouve aux pages 4 et 5. Cette critique vise la partie de votre rapport concernant la législation sur la santé mentale, ce qui est évidemment l'une de mes spécialités. Vous estimerez peut-être cette critique injuste, parce que ce sujet n'occupe qu'une petite partie des trois volumes de votre rapport. Je vais faire quelques remarques, puis je vais entrer dans la réflexion sur les solutions de rechange.

La partie de votre rapport intitulé Santé mentale, maladie mentale et toxicomanie qui concerne la législation sur la santé mentale met en relief les aspects coercitifs et interventionnistes des lois sur la santé mentale sans mention des objectifs des lois sur la santé mentale qui me semblent plus révolutionnaires.

La partie concernant la législation sur la santé mentale n'aborde que superficiellement la présomption de la capacité en droit civil, en droit constitutionnel et en common law, parce que tout le monde a le droit d'être présumé avoir la capacité de prendre des décisions concernant ses traitements jusqu'à preuve du contraire de façon juste et légale.

Ensuite, vous tendez dans cette partie à favoriser l'intervention et la coercition, de mon point de vue. Vous n'y parlez pas des raisons que j'estime très compréhensibles pour lesquelles des personnes atteintes de maladie mentale peuvent décider de ne pas accepter certaines formes de traitement. Vous ne reconnaissez pas la valeur des raisons pour lesquelles des personnes peuvent refuser un traitement. Je ne dis pas qu'elles sont toujours rationnelles ou bonnes, mais plutôt que le comité ne reconnaît même pas dans son rapport que certaines personnes peuvent avoir de bonnes raisons de refuser un traitement, et cela du point de vue de la Cour suprême du Canada, entre autres.

Le président : Nous sommes tout à fait conscients que c'est l'une des grandes faiblesses de notre rapport sur les problèmes et les options. Nous n'avons entendu que très peu de témoignages à cet égard, donc ne soyez pas gêné de nous dire ce qui cloche dans cette partie. Ces audiences ont justement pour but de nous permettre de comprendre les problèmes afin de les régler, pour que tout soit pour le mieux.

M. Kaiser : D'un côté, je prêche peut-être à des convertis, mais de l'autre côté, j'ai pris le rapport comme je le voyais et j'y ai constaté de graves problèmes.

Le président : Vous faites exactement ce que nous attendions de vous.

M. Kaiser : Vous ne faites pas non plus état des effets négatifs des traitements obligatoires, bien qu'il existe beaucoup de documentation sur ce sujet, des études universitaires et des témoignages personnels, sur ce qui arrive aux gens qui subissent des traitements obligatoires alors qu'ils n'en veulent pas. Ce n'est pas tout rose non plus : « Je suis guéri et je vais bien. » Les patients parlent de choc émotif, de contraintes à leur liberté, de stigmatisation, de traitements inappropriés ou négligents, inefficaces ou dommageables.

Dans la partie concernant la législation sur la santé mentale, vous ne parlez pas non plus de la façon dont les diverses dispositions de la Charte que vous nommez devraient s'intégrer dans la loi. En toute honnêteté, je dois vous dire que vous vous fondez de toute évidence sur un éventail de sources excessivement étroit, qui appartient à une école de pensée elle aussi est interventionniste et coercitive. Vous simplifiez exagérément certains phénomènes difficiles comme l'itinérance et la criminalisation. De plus, vous présentez une évaluation dénigrante ou erronée des effets des mesures prises pour respecter les droits constitutionnels et juridiques des personnes atteintes de problèmes de santé mentale. Il ne s'agit pas seulement d'un ennui pour les fournisseurs de traitement. Il fait partie de notre philosophie constitutionnelle d'accepter que les personnes souffrant de maladie mentale soient tout de même des citoyens et qu'elles aient droit au respect de leurs droits juridiques et constitutionnels.

Le comité reste muet sur beaucoup d'aspects des prescriptions de traitement communautaire. Ces prescriptions ne sont pas une panacée pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale, ni ne sont une réponse au compromis qui doit être fait entre la liberté et l'intervention.

Enfin, j'ai l'impression qu'on adopte sans aucun regard critique le modèle biomédical dans cette partie, plutôt que d'autres façons d'examiner les personnes souffrant de problèmes de santé mentale et particulièrement le modèle que j'embrasse ici, celui contre la discrimination et l'inégalité sociales.

C'étaient là mes critiques sur cette partie de votre rapport en trois volumes. Je reconnais qu'il y a bien des côtés positifs à ce rapport, donc je ne suis pas ici pour le condamner en bloc. Je me concentre seulement sur cette partie.

Le reste de mes diapositives met en relief d'autres perspectives des lois sur la santé mentale. La première partie s'intitule« Recognizing One's Paradigm ». Elle vous porte à réfléchir sur la façon d'examiner la loi et la politique sur la santé mentale du point de vue de la loi sur le traitement équitable de la santé mentale, la LTESM. Elle vous met au défi de vous élever au-delà de la présentation actuelle, souvent mêlante et microcosmique de la loi et de la politique sur la santé mentale pour plutôt l'envisager d'un point de vue paradigmatique. D'après ce que je peux voir dans votre rapport, vous adoptez sans critique le modèle médical et de réhabilitation. Il y a d'autres façons de voir les difficultés des personnes souffrant de problèmes de santé mentale.

Aux pages 7 et 8, je parle du modèle de la discrimination sociale et des droits civils. Il se fonde sur une conception différente des problèmes de santé mentale, selon laquelle je pense qu'il faut prendre toutes les déficiences dans tout le contexte de la société en général. Il y a des dimensions internes, mais comme je le mentionne au bas de la page 7, il y a aussi des problèmes d'inégalité, de discrimination, de préjudice, d'exclusion et de dévaluation à long terme qui exacerbent l'expérience vécue par les gens souffrant de maladie mentale. Si nous nous attaquions à ces problèmes, les personnes qui souffrent de maladie mentale auraient beaucoup moins de difficulté à s'intégrer dans notre société.

Sur la base des autres écrits que je vous ai fournis et de mon témoignage de ce matin, je préconise vivement ce type de modèle, qui sensibilise les gens aux déficiences et favorise l'égalité.

Votre rapport, comme les rapports de bien d'autres sur ces questions, montre que vous adhérez au modèle médical à l'exclusion de toutes les autres façons de penser sur ces questions. À partir de la page 9, je vous explique les raisons que vous et d'autres personnes qui réfléchissent à ces questions utilisez, selon moi, pour justifier leur adhérence au modèle médical, comme si c'était la seule façon de voir les choses.

Aux pages 9 et 10, je vous parle de deux choses dont il est question aussi dans le chapitre de mon livre. Bien souvent, les gens s'imaginent que les personnes souffrant de problèmes de santé mentale sont dangereuses. Il est vrai que les personnes souffrant de problèmes de santé mentale, comme celles qui n'en souffrent pas, peuvent parfois être dangereuses, mais le grand problème, c'est qu'on tient souvent pour acquis que les personnes souffrant de problèmes de santé mentale sont dangereuses, ce qui est absolument faux dans les faits.

De plus, on croit souvent, comme je le mentionne à lapage 9, que les personnes souffrant de problèmes de santé mentale sont systématiquement incapables de prendre des décisions sur leur propre vie. C'est faux aussi. C'est faux d'un point de vue juridique et constitutionnel que les personnes souffrant de problèmes de santé mentale ne peuvent pas prendre leurs propres décisions. À bien des égards, elles ont le droit de prendre leurs propres décisions, d'un point de vue juridique, et elles en sont capables.

Aux pages 10 et 11, dans ma réflexion sur les raisons qui amènent les gens à adhérer au modèle médical, je parle de la tentation du paternalisme. Par regard paternaliste, j'entends l'attitude des gens lorsque la société décide qu'elle a le droit de prendre des décisions à la place de certaines personnes qui devraient normalement avoir le droit de les prendre eux-mêmes, et ce, sous prétexte que c'est dans leur intérêt. Ce modèle est attirant parce qu'il semble protecteur, mais il viole aussi grossièrement l'autonomie des personnes d'une façon qu'on n'admet pas souvent.

De plus, j'affirme que l'adhésion au modèle médical, à la page 11, se fonde sur la perception réconfortante que si l'on adhère en profondeur au modèle médical, on en vient à croire que c'est tout ce qu'il faut. Cela vous permet, à vous et à d'autres, de jouer le même rôle et d'éviter les questions plus vastes de l'inégalité et de la discrimination.

À la page 11, en plus d'expliquer comment les personnes en viennent à adhérer ainsi au modèle médical, je remarque qu'on reconnaît en partie la présence d'une stigmatisation. Tout le monde en parle, mais dès qu'on discute de la loi et de la politique sur la santé mentale, il y a souvent des paradigmes stigmatisants et des exemples qu'on utilise pour justifier l'interventionnisme et la coercition. Si l'on déplore vraiment la stigmatisation, alors la discrimination et l'inégalité sont au cœur du problème. C'est ce à quoi il faut s'attaquer, et il faut aller au-delà du fait qu'on accole des étiquettes négatives à certaines personnes dans la société parce qu'elles souffrent de problèmes de santé mentale.

À la page 13, je parle de l'influence de ce qu'on appelle dans la littérature le « sanisme ». Comme le professeur Michael Perlin l'explique, le sanisme est une variation d'autres modes de pensée stéréotypés et discriminatoires. Dans ce cas-ci, il touche les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Nous décrions tous le racisme, le sexisme et l'homophobie dans une société qui accorde de l'importance à l'inégalité, mais dans la culture populaire et ailleurs, nous n'hésitons souvent pas à dénigrer la dignité et les droits civils des personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Le regard saniste privilégie une certaine façon d'être dans notre société, ce qui réduit la dignité humaine fondamentale dans la vie de personnes souffrant de problèmes de santé mentale et nous amène à prendre des décisions sans tenir compte des faits.

À la page 14, j'explique pourquoi les gens adhèrent au modèle biomédical à l'exclusion des autres. On peut essayer d'exclure du processus de définition les personnes qui représentent un obstacle au statu quo. La façon habituelle de le faire dans ce contexte et ailleurs, c'est de dire que ces gens sont idéalistes, qu'ils sont motivés par une idéologie, qu'ils sont extrémistes et tout le reste. Personne ne réfléchit aux étiquettes qu'on accole aux personnes qui défendent avec rigidité le statu quo et qui sont par conséquent partenaires dans l'inégalité. On pourrait leur accoler le même type d'étiquette que celle qu'on accole à ceux qui embrassent une vision différente et l'on dirait que c'est injuste, parce que ces personnes sont objectives. Je remets en doute la notion de l'objectivité. Je pense qu'il ne faut pas succomber à la tentation de dire que nous sommes extrémistes ou idéalistes simplement parce que nous avons une vision différente des problèmes de santé mentale et de l'inégalité. Ce n'est pas le cas. Cette vision vise justement à résoudre le problème.

Je vais utiliser les quelques minutes qu'il me reste pour vous parler des messages essentiels qui se dégagent de mon court article ici.

Il y a dorénavant beaucoup de sources judiciaires nationales, dont des arrêts de la Cour suprême du Canada (particulièrement l'affaire Starson c. Swayze, mais il y en a d'autres aussi), dans lesquelles on reconnaît juridiquement que les bénéficiaires en santé mentale souffrent d'inégalité, de discrimination, de marginalisation et d'exclusion. Il y a aussi des sources internationales qui reconnaissent la même réalité centrale. Les Nations Unies, par le comité spécial sur la Convention internationale pour la promotion et la protection des droits de l'homme et de la dignité des personnes handicapées, dont je parle à la page 22, essaient maintenant de faire adopter une convention internationale sur les droits de toutes les personnes handicapées, y compris les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Nous voyons là la cristallisation à l'échelle mondiale d'une vision des personnes handicapées et de leur vécu. Cette vision ne nous dit pas que nous devons intervenir et les déshabiliter, mais plutôt que nous devons reconnaître l'inégalité et la discrimination dont ils font l'objet et y réagir de façon fondamentale. Le milieu judiciaire et la communauté internationale se dégagent graduellement des exemples de coercition et d'intervention.

Enfin, à partir de la page 24, je vous donne plusieurs exemples ou pistes d'exemples de lois qui s'inspirent d'un modèle différent favorisant directement l'égalité.

À la page 26, je me risque à rédiger ma propre loi. Je vous ai également distribué un article que j'ai écrit et publié sur la question. Ma loi vise la promotion de l'équité et minimise les interventions pour les cas où, à mon avis, elles devraient être considérées comme des solutions de dernier recours, plutôt que la première option. Il y a également des articles ou des renvois qui sont inspirés par le Bazelon Centre for Mental Health Law aux États-Unis et l'Association canadienne pour la santé mentale, division de la Nouvelle-Écosse, qui ont un point de vue différent pour ce qui est des lois touchant la santé mentale.

Je regrette de ne pas pouvoir vous entretenir plus à fond de cette loi, mais je vous ai tout de même fait part des critiques les plus souvent entendues relativement aux ordonnances de traitement en milieu communautaire. Comme bien d'autres formes d'intervention, ces ordonnances sont souvent considérées comme la solution à privilégier pour les gens aux prises avec des problèmes de santé mentale qui souhaitent vivre dans la communauté, alors qu'aucune recherche ne vient en étayer l'efficacité. Bien au contraire, des objections d'ordre constitutionnel, juridique et moral devraient nous amener à renoncer à avoir recours à ces ordonnances de traitement en milieu communautaire.

J'aimerais avoir plus de temps pour vous parler de ces questions fort complexes, car vous commencez à peine à aborder les aspects législatifs et juridiques. J'ose espérer que mes commentaires de ce matin ainsi que les documents que je vous ai fournis contribueront à vous donner les moyens de contrer la vision de statu quo actuelle pour les lois et les politiques en matière de santé mentale au Canada.

Le sénateur Joan Cook (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

La présidente suppléante : Monsieur Kaiser, nous déplorons tous le manque de temps. Nous nous efforçons ainsi de comprimer les déclarations de sorte que les sénateurs puissent poser des questions. Nous espérons de cette façon pouvoir aborder tous les aspects de la question.

M. Christopher McNeil, chef adjoint, Police régionale de Halifax : Voilà quelques jours que je prépare mes observations en examinant différents rapports, et je peux vous dire qu'un professionnel de la police de première ligne comme moi ne se sent pas parfaitement apte à discuter de ces questions complexes. Et ce n'est pas la présence à mes côtés du professeur Kaiser qui va calmer mes appréhensions, d'autant plus que je prends la parole juste après lui, malgré qu'il ait fait de son mieux il y a bien des années pour parfaire mon éducation.

Votre comité a entendu de nombreux témoins qui en connaissent bien davantage sur la question et il est bien certain que les services de police de tout le pays sont confrontés à des préoccupations semblables. Je vais donc simplement essayer de vous parler un peu des expériences vécues à Halifax et de vous présenter le point de vue plus pratique d'un policier qui travaille sur le terrain.

La Police régionale de Halifax est favorable au principe voulant que les personnes atteintes de maladie mentale reçoivent les services et le soutien nécessaires au sein des communautés où elles résident, et adhère à bon nombre des conclusions que vous tirez dans votre rapport. L'objectif d'intégrer le plus possible à la communauté les personnes souffrant de maladie mentale est fort louable. Il va de soi que toutes les personnes vivant dans une communauté devraient développer un sentiment d'appartenance et pouvoir vivre de la manière qui leur convient. Pour les personnes aux prises avec une maladie mentale, cela n'est malheureusement pas possible sans le soutien d'un système communautaire de qualité.

Il est triste de constater, comme vous le faites dans votre rapport, que de tels services n'existent tout simplement pas dans la communauté, du moins pas dans une mesure suffisante. Le manque de soutien mène trop souvent à des situations de crise et crée une relation conflictuelle entre ces personnes et leur communauté. Comme vous le signalez dans votre rapport, c'est souvent la police qui doit intervenir lorsque ces crises éclatent.

Au cours des cinq dernières années, la Police régionale de Halifax a constaté une augmentation constante du nombre de ses interventions d'urgence en santé mentale. En outre, le temps consacré à ces interventions a plus que doublé. L'accroissement de la durée de ces interventions est en grande partie attribuable au temps passé à attendre un examen dans les urgences des hôpitaux. Cette situation en dit long sur l'incapacité du système à répondre aux besoins des personnes atteintes de maladie mentale. Si une institution comme la police est confrontée à de tels obstacles pour avoir accès au système, on peut seulement s'imaginer combien il peut être difficile pour une personne d'obtenir par elle- même ces services. Il en est résulté un cercle vicieux d'internements civils : un individu est en crise; il entre en conflit avec sa communauté; la police intervient; il est détenu conformément à la Loi sur les hôpitaux; puis, après une courte période, retourne dans la communauté. Il est peu probable qu'on parvienne à rompre ce cercle vicieux sans s'intéresser aux motifs fondamentaux qui ont été à l'origine de la crise. Trop souvent, les gens retournent dans la communauté sans qu'on n'ait rien changé aux conditions mêmes qui les ont placés en situation de crise. Comment croyez-vous qu'ils puissent s'en sortir?

Selon nous, la réponse n'est pas compliquée. Nous avons besoin d'un modèle communautaire doté de toutes les ressources nécessaires pour regrouper les services dont les soins de santé mentale, les services pour toxicomanes et les services de soutien comme le logement, l'éducation et l'emploi. Nous sommes conscients que de tels services doivent être offerts à partir d'une perspective client. Nous savons d'expérience que des problèmes se posent lorsqu'on essaie d'aider des gens dont les préoccupations sont variées au moyen d'un système articulé autour des liaisons fonctionnelles. Si nous voulons répondre aux besoins des bénéficiaires en santé mentale, il faut reconnaître que, dans bien des cas, un même individu est aux prises avec des problèmes de santé mentale, de toxicomanie et d'itinérance. Il est impossible de traiter l'un de ces problèmes sans tenir compte des autres.

Il faut aussi admettre le fait que même si le système est optimal, des gens vont se retrouver en situation de crise et nous, des services policiers, devrons intervenir. À notre avis, il ne sert à rien de dire que les policiers ont besoin de formation additionnelle. Cela ne fait aucun doute. Des séances de formation et des cours obligatoires sont dispensés tant aux recrues qu'aux patrouilleurs chevronnés. On considère toutefois trop souvent que la formation est la panacée, alors qu'elle n'est, selon nous, qu'un élément de solution. La formation policière obligatoire ne peut aucunement régler les problèmes chroniques qui affectent le système, pas plus que tenir compte du fait que l'intervention policière n'est qu'une partie de la solution.

La Police régionale de Halifax est favorable à une réponse mieux intégrée qui exige des efforts coordonnés du personnel des urgences et des forces policières afin de limiter les entraves aux libertés individuelles de même que les répercussions négatives sur le bénéficiaire en santé mentale avec, idéalement, un centre d'accueil d'urgence spécialisé en soins de santé mentale.

Il faut prévoir en outre des procédures intégrées d'intervention en cas de crise de concert avec les préposés en santé mentale, que ce soit au moyen d'équipes communes ou d'une liaison améliorée, ou d'officiers spécialement formés pour assister les personnes en crise via une approche multidisciplinaire.

Je vais vous parler en terminant d'une tendance que nous constatons de plus en plus. Elle s'est amorcée il y a près de 20 ans dans le secteur de la santé mentale où l'on est passé de l'institutionnalisation à des modèles davantage communautaires, lesquels manquent malheureusement de ressources, une situation que les policiers doivent trop souvent déplorer.

On peut facilement faire le parallèle avec la transition vers les modèles de justice communautaire. Il suffit de penser au système de justice pour les jeunes. On a promis un système mieux adapté pour les jeunes, mais cela reste pour plusieurs des paroles en l'air. Les jeunes demeurent dans la communauté sans bénéficier du soutien nécessaire pour améliorer les conditions sociales qui les ont amenés à contrevenir aux lois.

Dans le cas de la justice pour les jeunes, il semblerait que le gouvernement du Canada ait présumé que la loi produirait les résultats escomptés sans qu'on ait à consentir de nouveaux investissements au titre des services requis pour éradiquer les causes profondes de la délinquance. Les autorités ne peuvent pas simplement approuver un système amélioré en rejetant la responsabilité d'offrir les services nécessaires pour appuyer un tel système. On pourrait dire la même chose pour les bénéficiaires en santé mentale. Bien loin d'obtenir un système davantage axé sur la compassion, on en vient à abandonner simplement les gens dans la communauté.

En conclusion, je dirais que c'est souvent la police qui doit recueillir les gens qui passent à travers les mailles du filet de sécurité sociale. De plus en plus souvent, il s'agit de personnes vivant une situation de crise en santé mentale. Nous sommes conscients que trop souvent les outils à notre disposition, comme le droit pénal et l'internement civil, sont des instruments plutôt radicaux qui ne conviennent tout simplement pas à la situation. Il en ressort que plutôt que de pouvoir compter sur un système amélioré et mieux adapté, les événements mènent essentiellement, comme le professeur Kaiser l'a noté, à la criminalisation des personnes aux prises avec la maladie mentale, alors que nous les obligeons à se tourner vers un système qui ne convient pas à leur situation. Pour remplir la promesse d'un système de santé mentale amélioré et plus compatissant, nous devons cesser de trop compter sur les interventions en cas de crise pour diriger nos efforts vers un modèle communautaire doté de toutes les ressources nécessaires et axé sur le client.

[Français]

Mme Shirley Heafey, Commission des plaintes du public contre la GRC : Madame la présidente, il me fait plaisir d'être ici aujourd'hui. Je vous remercie de m'avoir invité. C'est un sujet qui est très important et qui m'est très cher.

[Traduction]

J'ai lu les transcriptions de certains témoignages que vous avez entendus et je sais qu'une partie de ce que je vais dire va faire écho aux propos de ces témoins, mais j'ose espérer qu'il vous sera utile de connaître la perspective d'une organisation civile s'intéressant à quelques-uns de ces problèmes, ainsi que le point de vue de quelqu'un qui possède une longue expérience personnelle de ces questions.

J'aimerais d'abord vous parler de mon expérience pertinente au sujet d'aujourd'hui. Je suis présidente de la Commission des plaintes du public (CPP) contre la GRC depuis près de huit ans. Je suis avocate et je suis venue ici en assumant deux rôles. D'abord, à titre de présidente de la CPP, j'ai la responsabilité d'examiner les politiques en matière de maintien de l'ordre, d'en discuter et de recommander des modifications, notamment, dans le cas qui nous intéresse, pour les interventions auprès des personnes atteintes d'une maladie mentale.

Mon deuxième rôle est moins précis et beaucoup plus personnel. Je suis la tutrice principale de mon jeune frèrede 48 ans qui vit avec une schizophrénie paranoïde depuis l'âge de 19 ans. Pendant près de 25 ans, il a été sporadiquement sans abri et a fait des séjours occasionnels dans les prisons de presque toutes les provinces du pays. Il n'est généralement pas violent. Il est brillant lorsque son état est satisfaisant, mais ce n'est bien sûr pas toujours le cas. On l'arrête et on le met en détention pour nuisance publique ou pour avoir troublé la paix. Il refuse souvent de prendre ses médicaments et il abuse de l'alcool afin, m'a-t-il dit, d'échapper à sa solitude. Il a des hallucinations et devient extrêmement nerveux et craintif, surtout pendant ses accès de paranoïa. Lorsqu'il se parle à lui-même ou qu'il s'adresse à ses compagnons imaginaires dans la rue, il rend les gens nerveux autour de lui et on finit par appeler la police pour qu'il soit appréhendé.

Si les policiers ont une approche agressive, il perd le contrôle et la peur l'envahit. Il s'ensuit habituellement une confrontation violente car, souvent, les policiers ne connaissent pas d'autres façons de gérer la situation. Il a séjourné dans d'innombrables prisons et je lui ai rendu visite dans plusieurs d'entre elles où je le trouvais couvert d'ecchymoses au visage et avec des dents et des os cassés. Trop souvent, ses blessures étaient le résultat d'une altercation avec la police.

Depuis que je suis présidente de la CPP voilà bientôt huit ans, il s'agit d'un domaine prioritaire pour moi et tous les gestionnaires et le personnel de la CPP en sont conscients. Chaque matin, je lis d'abord les rapports des médias qui traitent des activités du maintien de l'ordre dans tous les services de police du Canada pour être à l'affût des tendances et des problèmes d'un bout à l'autre du pays. Il est bon que nous suivions la situation de près, surtout compte tenu de la présence de la GRC dans toutes les régions du pays en tant que force de police fédérale. Nous sommes responsables de l'examen de la conduite de la GRC, mais c'est une surveillance générale que nous exerçons automatiquement.Je fais un suivi de tous les incidents qui me sont signalés concernant les problèmes entre la police et une personne atteinte d'une maladie mentale; je suis les faits et les développements. Pour quelques-unes de ces causes, je lis les transcriptions de la cour ainsi que celles des enquêtes du coroner pour savoir ce que les jurés ont dit. Je suis également membre de la Policing and Mental Health Liaison Association dont certains de vos témoins antérieurs font partie. À la CPP, nous connaissons bien les problèmes dans ce domaine en raison des recherches et des suivis que nous effectuons à ce sujet.

Différentes divisions et sections provinciales de l'Association canadienne pour la santé mentale me consultent fréquemment. On veut connaître mes suggestions et mes conseils sur la façon dont on peut aider la police dans ce domaine. Mon objectif premier est de garantir que les chefs de police donnent aux policiers, qui arpentent les rues chaque jour, les outils appropriés pour intervenir efficacement lors de ces situations complexes. Je veux également que le système de soins de santé appuie le travail de la police, car j'ai bien conscience qu'il s'agit d'un lourd fardeau pour les policiers.

Mises à part quelques exceptions, j'ai conclu qu'au Canada, les policiers agissaient de bonne foi et simplement selon la formation obtenue. Nous voilà au cœur du problème car les policiers se retrouvent en première ligne. Ils sont souvent les premiers intervenants auprès des personnes en crise et doivent pouvoir réagir en conséquence.

En 2003, une émission de 60 Minutes au réseau CBS indiquait qu'un appel sur 10 acheminés au service d'urgence 911 concernait une personne atteinte d'une maladie mentale. Il s'agit bien sûr des États-Unis, mais nos voisins du Sud ont effectué énormément de travail et de recherches à ce sujet; beaucoup plus que nous au Canada. On a même affirmé qu'il était étonnamment courant que le policier qui a répondu à l'appel ou la personne ayant des troubles mentaux meure, quand ce ne sont pas les deux à la fois.

La situation est assez semblable au Canada. Les statistiques révèlent qu'une proportion élevée, entre 7 p. 100 et 15 p. 100, des interventions policières sont réalisées auprès de personnes atteintes d'une maladie mentale. La plupart des provinces ont réduit considérablement le nombre de lits disponibles dans les établissements psychiatriques. On surveille moins la prise de médicaments et, comme vous le savez, trop de personnes se retrouvent à la rue. Ce sont les services de police qui soutiennent tout le poids de ce changement sociétal.

[Français]

Par exemple, à Calgary, il y a quelques années, la police provinciale recevait quatre appels par jour concernant des personnes atteintes d'une maladie mentale. Maintenant, elle doit traiter 13 appels par jour, c'est donc un signe du problème.

Comment pouvons-nous améliorer la situation? Les policiers doivent définitivement acquérir une meilleure compréhension des problèmes et des personnes auprès desquelles ils interviennent.

Étant donné qu'ils sont généralement les premiers répondants, ils ont besoin des outils nécessaires et d'une formation adéquate pour intervenir. D'après mon expérience, depuis presque huit ans, les services de police de ce pays n'ont pas fait de la formation dans ce domaine une de leurs priorités malgré le fait que le problème est quotidien pour les policiers qui travaillent sur la voie publique.

Notre commission a reçu un certain nombre de plaintes parmi lesquelles les policiers, de toute évidence, n'avaient pas les ressources pour intervenir auprès d'une personne en état de crise.

[Traduction]

Nous avons reçu récemment un dossier qui démontrait qu'à la suite de tactiques inappropriées utilisées par les policiers lors d'une intervention auprès d'une personne en état de crise, il tenait pratiquement du miracle que les policiers impliqués et la personne appréhendée n'aient pas subi des blessures importantes, voire mortelles. Nous formons les policiers pour qu'ils dégagent une impression d'autorité et, en général, cette démarche est sensée. Nous les formons pour qu'ils parlent fort et qu'ils soient physiquement menaçants mais, lors d'interventions auprès de personnes ayant des troubles mentaux, on obtient souvent le contraire du résultat escompté. Alors qu'on est censé calmer la personne, cette dernière devient davantage affolée, et j'en ai été moi-même témoin. Dans bien des cas, si une personne en état de crise est mise au défi, critiquée, engueulée ou qu'elle est retenue physiquement, il y a un risque important qu'elle devienne davantage agressive afin de se protéger du danger perçu. Lorsque la personne est ainsi sur la défensive, elle a parfois l'impression de posséder un pouvoir surhumain ou elle peut tenter de se blesser ou de blesser les personnes qui l'entourent. Il est bien évident qu'il faut alors déployer une force accrue afin d'assurer la sécurité de toutes les personnes concernées. De toute évidence, les méthodes traditionnelles de maintien de l'ordre n'apportent pas les résultats souhaités lorsqu'il est question d'intervenir auprès d'une personne atteinte d'une maladie mentale.

La CPP a eu à quelques reprises l'occasion d'observer la façon dont la GRC traite les personnes en état de crise. Certains policiers ont déclaré sans équivoque qu'ils ne possédaient pas les ressources pour gérer la situation, qu'ils n'avaient pas reçu la formation adéquate pour intervenir en pareil cas.

Au cours des 10 dernières années, les politiques de la GRC en la matière n'ont pas été modifiées. En 2003, la GRC a fait l'objet d'une enquête judiciaire sur la mort par balles d'une personne en état de crise. Le juge a affirmé que la formation de la GRC en ce qui concerne les maladies mentales est inexistante ou insuffisante et que les trois membres de la GRC visés dans cette affaire accepteraient volontiers de recevoir une formation plus approfondie et adéquate. Mon collègue ici présent a souligné que la formation n'est pas une panacée, mais il faut bien commencer quelque part et il s'agit certes d'un outil que les agents de police doivent avoir à leur disposition lorsque leur vie et celle des clients sont en jeu.

Dans un rapport que nous avons publié récemment, je recommandais à la GRC qu'on donne une formation spécialisée aux policiers qui patrouillent les rues et qui s'engagent dans ce genre de situation. Malheureusement, on a rejeté cette recommandation en affirmant que les lignes directrices et les modèles d'intervention actuellement en place sont suffisants. Ce modèle général n'a toutefois pas été développé pour intervenir auprès des gens qui sont en situation de crise. Il est inadmissible qu'on puisse prétendre qu'il est possible de communiquer avec une personne en état de crise comme on le fait avec toute autre personne.

Au cours d'une enquête judiciaire qui s'est dérouléeen 2003, deux experts en formation de la GRC ont affirmé qu'il existe « de nombreux facteurs particuliers à prendre en compte » lorsqu'on intervient auprès d'une personne qui est en état de crise et que « les connaissances et les compétences que possède le membre qui répond à l'appel ont souvent des répercussions importantes en ce qui concerne le dénouement de la crise ».

Le chef des services de police de Vancouver, ancien membre de la GRC, était l'un des meilleurs experts que je connaisse en matière de négociations entre la police et les personnes en état de crise, et j'ai visité les détachements de la GRC dans l'ensemble du pays. Il occupe maintenant le poste de chef des services de police de Vancouver. En peu de mots, il était le meilleur à ce chapitre. Il a quitté depuis la GRC, et les choses n'ont pas beaucoup évolué à ce chapitre au sein de la GRC. Un collègue et lui ont élaboré un petit outil dont se servent les membres des services de police de Montréal et de plusieurs autres villes canadiennes. C'est une carte que chaque policier peut porter sur lui et qui met l'accent sur les mesures à prendre s'il croit intervenir auprès d'une personne en état de crise. Premièrement, il faut parler lentement et simplement. Deuxièmement, il faut s'abstenir de donner des ordres rapidement, de crier ou de poser un geste menaçant et agressif. Troisièmement, il faut être patient car la personne a peut-être de la difficulté à comprendre les questions ou à formuler des réponses. Il ne faut pas supposer qu'une personne qui ne répond pas n'entend pas. Elle peut se sentir submergée de sensations, de pensées et de croyances effrayantes. Il faut répéter lentement les directives et bouger lentement. Il ne faut pas se masser autour d'elle, ni tenter d'entrer dans sa zone de confort. Il faut être prêt à reculer et à adopter une attitude non agressive, car se presser autour d'une personne qui est déjà paranoïaque ou agitée peut l'amener à réagir violemment.

Ayant à l'esprit ces lignes directrices que je viens de lire, je souhaiterais vous résumer un incident sur lequel s'est fondée notre commission pour rédiger un rapport important l'an dernier, rapport qui est affiché sur notre site Web. Le rapport a nécessité beaucoup de recherche, et Dorothy Cotton qui a comparu devant vous il y a quelques semaines, je pense, a été l'une des participantes à ce projet particulier.

Les policiers ont fait exactement le contraire des mesures proposées dans ces recommandations. Nous avions reçu une plainte de la mère d'un jeune homme de 26 ans qui souffrait d'une schizophrénie paranoïde. Des membres de la GRC ont tenté d'appréhender le fils en vertu d'une ordonnance pour l'examen obligatoire d'une personne par un médecin. Le jeune homme se trouvait dans sa demeure et était connu de la police en raison d'incidents analogues survenus dans le passé. Il s'agit d'une petite localité. Il était évident que le jeune homme délirait et avait peur que la police lui fasse du mal. Puisqu'il était seul chez-lui, il ne constituait pas une menace à ce moment-là. Les policiers sont arrivés et ont commencé à crier pour lui ordonner de sortir de la maison tout en donnant de grands coups dans les portes avant et arrière. Ils donnaient des coups de pied dans la porte arrière pour la défoncer et essayaient d'entrer par les fenêtres donnant sur le côté. Ils ont essayé de pénétrer de force dans sa demeure. Il était déjà agité et paranoïaque. La situation s'est aggravée à un point tel qu'un membre de la GRC a aspergé l'homme de gazpoivré 25 fois en 40 minutes par la fenêtre afin d'essayer de le neutraliser.

Un des membres de la GRC avait apporté son arme sur les lieux, et le jeune homme s'est servi de bâtons pour empêcher la police d'entrer par l'une des fenêtres. Une voisine qui assistait à la scène a appelé la mère du jeune homme. Dès que cette dernière est arrivée sur les lieux, elle a parlé à son fils tout doucement de l'extérieur et l'a rassuré. En quelques minutes, il est sorti sans problème. Dès qu'il a retrouvé son calme, il est sorti et l'incident était clos. Cependant, le comportement des membres de la GRC aurait pu être très dangereux tant pour eux que pour le jeune homme.

J'ai conclu que les policiers ont utilisé un force excessive à l'endroit du jeune homme. Cependant, je ne les ai pas entièrement blâmés, puisqu'ils n'avaient reçu aucune formation à cet égard. Ils ont fait ce qu'ils croyaient être nécessaire. Un des policiers qui se trouvait sur les lieux nous a affirmé ceci : « Je ne comprends pas pourquoi il ne voulait pas obéir à nos ordres. Quel était son motif? » Le jeune homme n'a pas réfléchi et n'avait aucun motif. Il a réagi ainsi simplement parce qu'il avait peur et était dans un grave état de crise. Je ne pouvais pas blâmer les policiers. Ils n'avaient reçu aucune formation. Ils essayaient de procéder à une arrestation comme on le leur avait enseigné.

[Français]

Le 16 février 2005, le chef de police de Moose Jaw, M. Terry Coleman, s'est présenté devant ce comité. Je crois comme lui, que la formation n'est pas un remède universel et il faut vraiment établir d'autres moyens, notamment des lignes directrices et des outils précis à l'intention des policiers.

[Traduction]

Le chef de police Coleman avait raison, tout comme le chef adjoint McNeil. Je mets l'accent sur la formation et je suis consciente qu'elle n'est qu'une partie de la solution, mais qu'elle n'a pas été établie comme une priorité. Au Canada, il y a certains endroits où l'on consacre beaucoup d'efforts à la formation, mais ce n'est certainement pas le cas de la GRC. Ces endroits sont dispersés dans l'ensemble du pays, et il y a d'autres services de police où la formation n'est pas une priorité : « Ce que nous avons mis en œuvre est suffisant et nous continuerons simplement à l'appliquer. » Cependant, la formation incombe aux services de police. Les policiers en ont besoin pour se protéger également.

Nous savons tous que ce problème ne concerne pas seulement les policiers. Le système de soins ne prend pas les mesures pertinentes pour s'attaquer à la situation critique à laquelle les policiers sont confrontés. Ils laissent les malades dans la collectivité où ceux-ci ne reçoivent pas le soutien ni la supervision dont ils ont besoin, et ce sont les policiers qui doivent composer avec le problème, qui fait partie de leur quotidien.

Il y a quelques années, lors d'une conférence portant sur le maintien de l'ordre et la santé mentale, un surintendant — je pense qu'il appartenait au service de police d'Ottawa — a joué une saynète avec deux officiers pour illustrer ce qui peut arriver lorsque la police emmène un personne en état de crise à l'urgence d'un hôpital. C'est consternant. On les fait attendre pendant des heures. Vous en êtes au courant. On les fait attendre des heures pendant qu'ils essaient de calmer la personne en état de crise. C'est ce que je fais avec mon frère, et ce n'est guère facile. Il arrive souvent que vous soyez dans l'impossibilité de calmer la personne d'ici à ce que vous n'obteniez de l'aide. Si l'hôpital ne peut s'en occuper, quelles mesures la police peut-elle prendre? Qui peut blâmer les policiers d'être tentés d'adopter une solution plus facile et de ramener la personne dans une cellule? De nombreux policiers m'ont parlé de la frustration et du désespoir qu'ils éprouvent lorsqu'ils se rendent à l'urgence d'un hôpital.

Que nous croyons ou non que les policiers devraient intervenir dans une telle situation, il n'en demeure pas moins qu'ils doivent effectivement y faire face. Ils n'ont pas le choix et ils ont besoin de formation. Il faut en faire une priorité, et le système de soins de santé doit d'une façon ou d'une autre collaborer pour les aider parce qu'il s'agit d'un problème qui concerne la société. Ce n'est pas uniquement la responsabilité des policiers.

Nous avons un site Web qui contient ce rapport important que nous avons rédigé l'an dernier, au cas où vous souhaiteriez le consulter. Je vous remercie.

Le sénateur Pépin : Madame Heafey, vos propos sur la police sont intéressants. On nous a dit que les gens composentle 9-1-1 lorsqu'il y a une urgence médicale, mais qu'ils téléphonent à la police si la personne souffre d'un trouble mental. Ce sont les policiers qui emmènent la personne à l'urgence où, comme vous venez de le dire, ils attendent pendant des heures avant que le malade ne soit examiné.

Monsieur McNeil et madame Heafey, vous avez évoqué la formation obligatoire. Vous avez indiqué qu'elle est brève. Hier, nous avons examiné comment changer les attitudes des gens pour montrer davantage de respect envers les personnes atteintes de troubles mentaux. Nous avons aussi signalé que la formation devrait peut-être commencer à l'école et qu'il faudrait peut-être former les enseignants. Par la suite, cette formation aiderait les étudiants. Il faut également éduquer les étudiants en médecine. Nous affirmons — et je suis d'accord sur ce point — que les policiers ont besoin d'une formation spéciale.

Qu'est-ce qu'une formation pertinente? Elle doit être obligatoire, j'en conviens. Selon certains, dépêcher un policier sur les lieux permet de répondre à une urgence. Il faut réagir rapidement. Je comprends également qu'il est difficile de savoir si l'appelant est atteint de troubles mentaux. Commentpouvons-nous rendre la formation obligatoire? Nous recommandons vivement que les policiers reçoivent une telle formation, mais comment pouvons-nous nous en assurer? Quelle serait la meilleure façon de former les policiers?

M. McNeil : Vous avez soulevé un point intéressant : le dilemme auquel fait face, à mon avis, le policier. À quoi ressemble cette formation? Je pense qu'elle est simple et qu'il ne fait aucun doute qu'on enseigne comment être compatissant et compréhensif.

Le sénateur Pépin : Je veux m'assurer que les policiers seront formés. Comment pouvons-nous garantir que leur formation portera sur ces aspects?

M. McNeil : Il s'agit d'une formation qui est obligatoire et, de toute évidence...

Le sénateur Pépin : Parfois, elle n'est pas donnée pour bien des raisons.

M. McNeil : Je ne peux parler qu'en fonction de mon expérience en Nouvelle-Écosse, où si vous envisagez d'offrir une formation obligatoire aux policiers, vous devez de toute évidence convaincre de le ministre de la Justice que c'est important. Si vous cherchez un modèle permettant de modifier les attitudes, vous n'avez qu'à vous inspirer de la formation sur la violence conjugale et la conduite avec facultés affaiblies; il faut reconnaître que l'idée de cette dernière formation émane de la collectivité et du responsable des forces de l'ordre dans la province, c'est-à-dire le ministre de la Justice ou le procureur général.

À mon avis, c'est simplement ce en quoi consiste la formation obligatoire. Il n'est tout simplement pas logique que les services de police ne se conforment pas à cette formation obligatoire. Il y a un problème : j'ignore ce que représentent encore aujourd'hui les méthodes policières traditionnelles dans la réalité avec laquelle les forces de l'ordre doivent composer de nos jours. Qu'entend-on par méthodes policières traditionnelles? Que faire face à un citoyen aux prises avec un problème de santé mentale? Nous nous rendons compte de plus en plus que la société est très différente de celle que nous avons connue et que nos mesures doivent être très variées en fonction de la forte diversité dans la population. Il n'y a pas qu'une seule solution universelle. Il n'y a pas un modèle selon lequel je peux traiter avec une personne ayant un vécu culturel donné de la même façon qu'avec quelqu'un dont le vécu culturel est différent. La même chose vaut pour les personnes atteintes de troubles mentaux. La formation des policiers doit porter aujourd'hui sur beaucoup d'aspects. On peut certes établir les grands principes, mais il est difficile, à mon avis d'opter pour un genre de formation en se disant que c'est elle qui convient. Nous sommes aux prises avec une situation et un domaine qui sont en constante évolution.

M. Kaiser : Je suis heureux que mes deux collègues aient abordé la question de la judiciarisation sous l'angle de l'interaction entre les policiers et les personnes atteintes de troubles mentaux. Ce qui est important, ce sont les moyens à la fine pointe qui s'offre au système juridique pour s'occuper des personnes atteintes de troubles mentaux.

Dans la documentation que je vous ai fournie, je vous encourage à examiner les constatations des différents groupes de réflexion sur les politiques d'intérêt public — particulièrement aux États-Unis —, qui ont analysé la judiciarisation des personnes atteintes de troubles mentaux. Les questions liées à l'interaction entre les policiers et les citoyens sont absolument primordiales, mais elles ne constituent qu'une partie de ce que j'ai appelé la judiciarisation systématique des personnes atteintes de troubles mentaux. J'ai précisé que l'insuffisance du traitement et du soutien offerts dans la collectivité ainsi que l'inadéquation ou l'indifférence de l'appareil juridique sont à l'origine du fait que les personnes atteintes de troubles mentaux ont avec la justice des démêlés qui pourraient être évités, qui se prolongent, qui se répètent fréquemment et qui sont préjudiciables.

Les problèmes avec lesquels sont confrontés parfois ces personnes dans leurs relations avec les policiers ne sont qu'un aspect du tableau d'ensemble. Actuellement, le Canada n'est pas doté d'un régime exhaustif de recherches au niveau national permettant de formuler des recommandations d'intérêt public comme c'est le cas aux États-unis, qui comptent notamment sur le Consensus Project et le Sentencing Project sur lesquels je vous donne des précisions dans mon petit document. Vous y remarquerez que les questions liées aux forces de l'ordre ont reçu la priorité mais ne constituent qu'une partie d'un tout. Dans l'ensemble, les intéressés font valoir la nécessité d'améliorer les relations avec les personnes atteintes de troubles mentaux, et de la première intervention des policiers qui reçoivent un appel jusqu'au protocole décrivant les mesures pertinentes à prendre et à la documentation précise qui doit être établie par les forces policières de concert avec les intervenants en santé mentale.

C'est le point de départ; il y a des modèles de formation pertinents dans certains services de police aux États-Unis et dans celui de Londres. Les modèles ne sont pas exhaustifs mais ils sont efficaces, du moins pour former les policiers. Il y a ensuite la phase précédant l'instruction, la décision, la détermination de la peine, l'incarcération ou les autres condamnations restreignant la liberté des gens; dans tout ce processus, il ne faut pas perdre de vue l'idée de compassion et de compréhension, ce qui devrait souvent déboucher sur une solution autre que la judiciarisation, c'est-à-dire qu'il faudrait recourir à un système de soins de santé compatissant et bienveillant, de préférence à un régime coercitif qui impose tout. Si nous mettons l'accent sur les méthodes policières, je crois que nous pouvons trouver des solutions pertinentes pour aider les policiers à comprendre les problèmes des personnes atteintes de troubles mentaux. Je pense souvent que le leadership et la formation à cet égard pourraient émaner de ces malades et des membres de leur famille, comme nous l'avons entendu ce matin. Une telle formation permettrait aux policiers de mieux saisir les difficultés auxquelles ils feront face.

J'aime bien aussi l'idée formulée par le chef adjoint au sujet d'une équipe d'intervention multidisciplinaire en cas de crise. Je crois que nous en sommes à l'étape de la proposition ici à Halifax. D'autres villes ont pris cette orientation. Il faut une équipe qui, composée de policiers et d'intervenants en santé mentale, puisse procéder à une évaluation préliminaire des mesures qui seront les plus efficaces pour aider la personne en détresse et désamorcer la crise. Parfois, il sera possible d'agir de la façon la moins coercitive et simplement confier la personne au système de santé mentale. En d'autres occasions, il faudrait recourir à la famille de ces personnes. En de rares circonstances, il faudrait utiliser l'appareil de justice pénale.

Je crois — et je l'ai indiqué dans mon mémoire — que le système de justice — c'est-à-dire le droit et la procédure en matière pénale que j'enseigne dans mon cours — comporte des doctrines très poussées régissant l'inaptitude à subir un procès et la défense d'une personne déclarée non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux. En outre, nous disposons dorénavant d'un régime détaillé au stade postérieur à la décision.

J'estime que l'appareil juridique a complètement échoué par rapport aux personnes atteintes de troubles mentaux et que les témoignages que nous avons entendus ce matin constituent un exemple éloquent de ce que vivent ces personnes et les membres de leur famille. Dans les affaires où j'ai représenté des personnes atteintes de troubles mentaux, j'ai souvent très constaté que le système de justice n'a pas été efficace et a fréquemment entraîné des conséquences très tragiques. À mon avis, c'est un profond problème d'insensibilité, de manque de respect ou d'absence de solutions de rechange. Les policiers constituent un aspect du problème, mais j'ai souvent vu des avocats de la Couronne, des avocats de la défense, des juges et des responsables des services correctionnels qui ont une compréhension limitée des problèmes auxquels font face les personnes atteintes de troubles mentaux, et qui traitent ces dernières d'une façon indifférente et irrespectueuse.

Ce n'est pas uniquement les services de police qui ont besoin d'une aide et d'une formation supplémentaires. À mon avis, il s'agit d'un échec complet qui est imputable au système juridique qui — et je parle à titre d'avocat — n'a pas bien servi les personnes ayant des démêlés avec la justice alors qu'elles sont en état de crise.

La question que vous avez posée initialement était la suivante : quelle mesure pouvons-nous prendre pour nous assurer que les programmes de formation sont améliorés et bonifiés? Je pense qu'il est tout à fait normal que nous investissions des ressources et que nous les concentrions. Nous devons déterminer qu'il s'agit là d'une priorité, sinon même la formation des policiers disparaîtra tout simplement. Nous avons besoin de ressources qui garantiront que les policiers reçoivent une formation analogue à celle qui leur a été donnée en ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies et la violence conjugale, de sorte qu'ils pourront mieux comprendre et intervenir. Si nous établissons qu'il s'agit d'une priorité d'intérêt public, les investissements seront accordés et les améliorations pourront être apportées. Cependant, les choses ne doivent pas en rester là. À mon avis, la judiciarisation est un phénomène inquiétant sur lequel nous devons nous pencher d'une façon exhaustive dans l'ensemble du système judiciaire.

À 22 heures ce soir, PBS diffuse une émission spéciale dans le cadre de Front Line sur la judiciarisation des personnes atteintes de troubles mentaux. Je sais qu'il y a des différences puisqu'il s'agit du système américain, mais je pense que l'émission pourrait nous aider à comprendre notre situation. Aux États-unis, le système de soins de santé, le système de justice et la société sont très différents des nôtres, ce qui signifie, je pense, qu'il faudrait améliorer notre façon de traiter les personnes atteintes de troubles mentaux.

Le sénateur Pépin : Vous me donnez vraiment de l'espoir compte tenu de ce que nous avons réussi à faire pour des problèmes tels que la violence familiale ou la conduite avec facultés affaiblies. Je pense que nous sommes peut-être sur la bonne voie.

[Français]

Je vois les exemples que vous nous avez donnés et je suis tout à fait d'accord. On nous a définitivement démontré comment les patients souffrant de problèmes mentaux sont traités d'une façon différente et ce, à tous les niveaux, particulièrement quand cela commence à l'hôpital.

[Traduction]

Monsieur Kaiser, à la page 36 de votre exposé, vous dites qu'on passe sous silence le fait que des patients refusent de prendre des médicaments. Puis vous ajoutez que certains clients peuvent avoir de nombreuses raisons valables de le faire. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par là?

M. Kaiser : Pour commencer, je vous renvoie à deux arrêts fondamentaux au Canada qui nous aideront à comprendre au moins ceci d'un point de vue juridique. Dans les affaires Fleming c. Reid, de la Cour d'appel de l'Ontario, et Starson c. Swayze, de la Cour suprême du Canada, les tribunaux ont reconnu — et c'est le genre de cadre dans lequel je travaille, entre autres — que beaucoup d'utilisateurs de services de santé mentale subissent, en premier lieu, des traitements qui briment carrément leur autonomie et leurs droits. Le fait d'être forcé de faire quelque chose qu'on ne veut pas, particulièrement quand c'est aussi envahissant que de devoir prendre des médicaments, perturbe beaucoup de gens. On ne peut pas dire que la coercition et l'intervention en soi constituent de bonnes bases de départ, au contraire. Ainsi, dans l'arrêt Fleming c. Reid, on reconnaît que même si un traitement peut être efficace pour beaucoup de gens, il comporte aussi des effets secondaires importants qui présentent des risques pour la santé. Ces effets secondaires vont, pour citer les pires exemples, de la dyskinésie tardive, des contractions musculaires involontaires et autres symptômes liés à des déficiences cérébrales causées par les médicaments, à des troubles cognitifs, à une diminution des impulsions sexuelles — dans un sens, cela se traduit par une certaine apathie face à la réalité.

Je sais que les médicaments ont aussi des avantages, mais je trouve inquiétante l'adoption exagérément enthousiaste d'approches biomédicales face aux difficultés des gens vivant dans une société qui pense que si on donne des médicaments aux malades et qu'ils les prennent correctement, ça suffit. Lorsque je parle de l'accent exagéré qu'on met sur la consommation de médicaments et du passage sous silence des objections des patients, je veux dire que les consommateurs de médicaments refusent qu'on les traite comme des récepteurs passifs de produits pharmaceutiques. Ce sont des êtres humains que l'on doit écouter lorsqu'ils disent ne pas vouloir prendre de médicaments et expliquent pourquoi. Il doit bien y avoir d'autres façons d'aider beaucoup de gens, même si ce n'est pas tout le monde, à vivre dans la communauté sans nécessairement les forcer à suivre un traitement médical. Pour ceux qui disent : « j'accepte les médicaments, ils me font du bien », c'est évidemment facile. Par contre, je crois que nous devons être à l'écoute des personnes qui résistent, et essayer de les comprendre, plutôt que de les dénigrer lorsqu'elles refusent de prendre des médicaments alors qu'elles ont, selon moi, de bonnes raisons de le faire.

Le sénateur Pépin : Il me semble qu'on en écoute peu. Lorsqu'un médecin prescrit des médicaments et que le patient dit ne pas vouloir les prendre à cause des effets secondaires, le médecin se contente de répondre : « vous devez les prendre », et c'est tout.

M. Kaiser : Selon les recherches relatives aux soi-disant taux de conformité, qui présentent d'entrée de jeu le mauvais modèle, lorsqu'on examine le niveau d'acceptation ou de non-acceptation des gens face aux recommandations concernant les traitements médicaux, on se rend compte que la non-conformité s'applique souvent à la physiatrie et non à la psychiatrie. Beaucoup de bénéficiaires de services de santé mentale refusent de croire qu'ils peuvent réussir à mener une vie meilleure grâce aux médicaments; ils considèrent que ceux-ci ne sont qu'une partie de la solution. On a dit ce matin que bien souvent, les personnes souffrant de troubles mentaux font face à un isolement et à une solitude terribles et éprouvent beaucoup de tristesse. Ce n'est pas en donnant des médicaments à ces gens qu'on arrivera nécessairement à briser leur isolement et leur solitude. Ces gens ont besoin, comme tout le monde, d'un emploi, d'une maison et d'amis pour sentir qu'ils ont une place dans la communauté. Je ne pense pas que le seul fait de leur prescrire des médicaments et de les traiter comme s'ils venaient d'une autre planète soit une solution appropriée ou adéquate. C'est tout ce que je voulais dire. Ne pensons pas que les médicaments sont la seule réponse aux difficultés qu'éprouvent les malades et ne soyons pas méprisants envers ceux qui disent pour quelles raisons ils refusent d'en prendre.

Le sénateur Pépin : Il faut les écouter. Merci beaucoup.

Mme Heafey : Pour parler de mon expérience personnelle, sachez que mon frère n'est pas du genre à prendre ses médicaments. Il refuse de le faire, à moins d'être à ce point malade qu'il doive être hospitalisé. Pendant son séjour à l'hôpital, il suit le traitement, mais dès qu'il sort, il refuse de continuer car il dit : « Lorsque je prends ces médicaments, je me sens figé de l'intérieur ». Comme il ne prend pas ses médicaments, il pose souvent des problèmes. Il dit : « Je préfère vivre ainsi et supporter la situation plutôt que de vivre, comme je l'ai fait pendant de nombreux mois, sans rien éprouver, comme si j'étais de glace. Je m'assois et je ressens un vide total ».

Il a pris cette décision, mais ma famille et moi préférerions qu'il prenne ses médicaments parce que c'est plus facile pour nous de le côtoyer lorsqu'il suit son traitement, mais c'est égoïste de ma part de penser ainsi.

C'est compliqué et il n'y a pas de solution facile, mais nous devons respecter son choix. Du coup, nos relations s'en sont ressenties parce que, parfois, c'est tout simplement impossible de s'en approcher. Il a pourtant pris cette décision en toute connaissance de cause.

Le sénateur Cochrane : Vous devez nous pardonner. Parfois nous avons des questions, mais nous sommes tellement absorbés par ce que vous dites que nous finissons par les oublier. C'est épuisant, c'est difficile psychologiquement, et je crois que peu importe qui on est, c'est éprouvant; on connaît tous des gens comme ça dans notre famille, dans la famille élargie ou ailleurs dans l'entourage. Vous n'êtes pas seule et nous sympathisons vraiment avec vous.

Je compatis également avec le policier parce que je sais qu'il fait un travail difficile. Vous avez dit que la possibilité avancée de former les policiers a tout simplement été écartée du revers de la main sans même être examinée. Cela vient- il du ministre de la Justice?

M. McNeil : Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question, sénateur.

Le sénateur Cochrane : Je vais la reformuler. Quelqu'un a dit qu'on avait proposé, je crois, au ministre de la Justice, de former les agents de police. Toutefois, cette idée a été rejetée parce que les policiers ont déjà des directives à suivre et, par conséquent, ils n'ont pas besoin de formation supplémentaire pour s'occuper de gens atteints de troubles mentaux. J'ai du mal à comprendre pourquoi étant donné que je sais de quoi vous parlez. Vous êtes en première ligne et vous ne recevez pas beaucoup de soutien. À qui pouvez-vous vous adresser, sinon? C'est vous qui serez le premier à intervenir au domicile de ces gens ou dans la rue lorsqu'on vous appellera. Vous n'avez aucun appui. Je crois vraiment qu'il est très important que la police reçoive une formation en la matière. N'êtes-vous pas d'accord, monsieur McNeil?

M. McNeil : Je suis pour la formation. Ce qui me préoccupe, c'est que les policiers sont de plus en plus confrontés à un manque d'appui sur plusieurs fronts; c'est vrai dans ce contexte, mais c'est aussi vrai dans beaucoup d'autres. Mme Heafey parle de son expérience en tant que représentante d'un organisme de surveillance de la GRC dont le rôle consiste essentiellement à émettre des recommandations ou des conseils, et pas nécessairement à faire appliquer des mesures contraignantes. Cela ne correspond pas à la réalité particulière des forces policières de Nouvelle-Écosse. Dans cette province, son rôle est joué par quelqu'un qui, essentiellement, assume une responsabilité de surveillance et qui peut demander à ce qu'on donne de la formation dans certaines circonstances, le cas échéant.

Je crois que M. Kaiser a raison de dire que la formation, même dans la police, doit se faire dans le cadre d'une approche globale. Si nous nous concentrons uniquement sur les personnes atteintes de troubles mentaux, nous aborderons les problèmes sous le mauvais angle. À notre avis, la criminalisation des personnes atteintes de déficiences mentales prouve réellement que le système ne réussit pas à répondre adéquatement aux besoins des gens au moyen de vrais services communautaires en santé mentale. Il n'y a tout simplement pas suffisamment de ressources dans la communauté pour faire face à la situation. L'idée existe, et de plus en plus, on voit que cela pourrait non seulement s'appliquer aux problèmes de santé mentale, mais aussi à d'autres domaines, comme la justice pour les jeunes. C'est une promesse vide étant donné qu'il n'y a rien. Je crois que M. Kaiser a raison quand il dit que nous appliquons systématiquement le Code criminel et les procédures civiles d'internement pour régler des problèmes qui sont plus profonds qu'il n'y paraît et exigent une approche fondée sur des bases beaucoup plus larges. En fait, je crois que la police devrait jouer un rôle mineur. Mais ce n'est pas ainsi dans la réalité. J'admets que nous devrons continuer à répondre à des situations de crise et à traiter avec des gens en crise, et je reconnais que nous avons besoin de formation, que la formation serait appropriée dans les circonstances.

Le sénateur Cochrane : En partie.

M. McNeil : C'est exact. Ce serait approprié, mais il faut reconnaître que les agents de police travaillent dans un monde en évolution. Ils n'interviennent pas dans le cadre artificiel d'une salle d'audience. Ils travaillent dans un monde dynamique qui change rapidement. Dans bien des cas, il s'agit tout simplement de voir les choses avec un peu de recul.

Le but de la formation, c'est de comprendre. L'expérience la plus marquante que j'ai vécue concernant le traitement de personnes atteintes de troubles mentaux en état de crise était dans un cours donné par M. Kaiser sur la maladie mentale et la loi. Cela consistait à écouter des clients qui nous faisaient part de ce qu'ils avaient ressenti lorsqu'ils s'étaient retrouvés face à la police; ce qu'ils pensaient. En fin de compte, je crois que pour construire un modèle plus humain, il faut que nous soyons capables de comprendre les gens.

Le sénateur Cochrane : Oui, je pense que vous avez raison. Je voulais parler des stigmates parce que nous savons qu'ils existent. Je ne me souviens pas qui en parlait. Je crois que c'était vous, monsieur McNeil. Il faut des centres d'accueil dans les hôpitaux pour les patients atteints de troubles mentaux. Cela vient-il de vous?

M. McNeil : Oui. J'estime que dans la police, on est confronté à un problème dans un contexte qui, en réalité, n'est pas le nôtre. Nous essayons de pousser pour que les personnes obtiennent des traitements ou des services en santé mentale dans des salles d'urgence qui, bien souvent, sont mal équipées pour s'occuper de ce genre de patients. Il n'y a pas l'expertise nécessaire pour faire exactement ce qui est requis. Nous serions mieux servis, particulièrement pour traiter les gens en crise, s'il y avait un centre d'accueil où travaillent des professionnels et des spécialistes en santé mentale. On pourrait ainsi hospitaliser les personnes qui en ont besoin plutôt que d'essayer de régler le problème dans une salle d'urgence. Le personnel des salles d'urgence n'est pas habitué à faire face à ce genre de problèmes. Il doit réagir à X situations d'urgence, alors que les personnes que nous amenons peuvent sembler être dans un état stable. D'après les urgentologues, ces personnes peuvent attendre, ce qui n'est pas le cas des gens qui arrivent avec des fractures, et cetera. Pour eux, une personne atteinte de troubles mentaux en crise peut attendre. Pour résumer, je pense qu'il est insensé de demander à un système de régler un problème alors qu'il n'est pas conçu pour.

Le sénateur Cochrane : Pour eux, la maladie mentale n'est pas une priorité. Pensez-vous que ce centre devrait faire partie de l'hôpital ou être séparé et avoir ses propres spécialistes?

M. McNeil : Étant le bureaucrate que je suis, comme ce genre de centre devrait fonctionner 24 heures sur 24, sept jours sur sept, il faudrait qu'il soit relié au système de santé. Les hôpitaux, comme les services de police, sont les seuls ouverts 24 heures sur 24, sept jours sur sept, pour faire face à ce genre de problèmes.

Le sénateur Cochrane : Parfois, ça crée aussi des stigmates.

M. McNeil : C'est vrai.

Le sénateur Cochrane : Les gens voient ces patients arriver et se disent : « je ferais mieux de rester à l'écart parce que c'est un problème ».

M. McNeil : Je suis d'accord, mais je partage aussi l'opinion de M. Kaiser dans le sens où nous voudrions et où nous espérons tendre vers un modèle où la police aurait un rôle de moins en moins important à jouer et où elle n'interviendrait qu'en ultime recours. Je pense qu'il serait plus approprié de faire intervenir un professionnel de la santé mentale. Nous avons examiné des modèles dans lesquels, par exemple, des infirmières en psychiatrie pourraient accompagner les agents de police et les aider à prendre des décisions, particulièrement quand on sait que beaucoup des personnes que nous détenons sont tout simplement relâchées par la suite. Cela veut dire que comme profane, on peut priver quelqu'un de liberté en pensant qu'il souffre de maladie mentale et est dangereux. L'évaluation serait ensuite revue par un professionnel qui pourrait en arriver à une conclusion différente. Il vaudrait donc mieux que nous ayons un modèle d'intervention en situation de crise nous permettant de faire certaines évaluations de l'état du patient : c'est une réponse appropriée; ce n'est pas une réponse appropriée; ou encore il vaudrait mieux référer la personne le jour suivant à un professionnel ou lui demander de se faire suivre dans une clinique de santé mentale.

Le sénateur Cochrane : Nous pourrions passer la journée avec vous. Vous êtes tellement au courant de la situation; c'est vraiment bien de vous entendre parler.

J'ai de l'expérience dans l'enseignement. Lorsque vous parlez de l'aspect criminel de la question, je pense aussi aux enseignants étant donné qu'ils font face à de très nombreux problèmes liés à la santé mentale dans les écoles. Il existe tellement de facteurs liés aux troubles mentaux : l'obésité, l'anorexie, l'hyperactivité avec déficit de l'attention, le syndrome d'alcoolisation foetale, la schizophrénie, l'autisme et l'intimidation. Tout cela est associé à des troubles, et les enseignants ne savent pas comment y faire face. Parfois, on s'attend à ce qu'ils fassent quelque chose parce que tous ces enfants se retrouvent dans leur classe. On ne retrouvera pas tous ces problèmes de santé mentale dans une seule et même classe, mais qui sait? Il y en a beaucoup. Comment les enseignants peuvent-ils les évaluer? Comment réagir? Eux non plus, ils ne sont pas formés. Parfois, ils sont confrontés au système de justice et doivent se justifier; prouver que ce n'est pas de leur faute. Je voulais juste vous dire que vous n'êtes pas le seul à vivre ce genre de problèmes. Merci, madame la présidente.

Le sénateur Cordy : Merci beaucoup à vous trois. Vous nous avez donné un autre point de vue pour notre étude relative aux problèmes de santé et de maladie mentale. Notre comité a dit souvent que la désinstitutionalisation des clients du système de santé mentale a conduit à l'institutionnalisation de ces personnes dans le système carcéral.

Monsieur le chef adjoint, vous avez dit que les personnes atteintes de troubles mentaux avaient été abandonnées et que ceux qui se retrouvent en première ligne à s'occuper des gens en situation de crise ne sont pas des travailleurs de la santé, mais des agents de police, que ce soit des membres de la GRC, de la police provinciale ou des services municipaux. J'aimerais que nous revenions sur l'attente dans les hôpitaux et les situations d'urgence. Ce n'est pas toujours facile de traiter avec une personne aux prises avec des problèmes mentaux. C'est souvent dans un moment de crise. Plus tôt, on a entendu les policiers exprimer leur frustration liée à l'attente dans les hôpitaux. Les policiers ont dit que leur rôle n'était pas d'attendre avec quelqu'un souffrant d'une maladie mentale. Cela conduit également à la stigmatisation. Vous avez fait référence précédemment au fait que les agents de police devaient attendre plus qu'il ne fallait parce que les gens qu'ils accompagnaient ne souffraient pas d'une attaque cardiaque ou d'une fracture. Le personnel qui s'occupe du triage dit que ces gens peuvent attendre plus longtemps, et d'autres passent devant eux.

Vous avez aussi parlé de l'équipe d'intervention immédiate. Tout d'abord, lorsque vous recevez un appel, que ce soit par le 911 ou directement au service de police, y a-t-il une indication que la personne au bout du fil souffre peut-être d'une maladie mentale? Deuxièmement, où en sont rendues les discussions avec les représentants du corps médical au sujet, particulièrement, de la situation dans les salles d'urgence? Y a-t-il des discussions sur la façon de mieux servir ces personnes?

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

M. McNeil : Il ne fait aucun doute qu'il y a des discussions avec les représentants des urgentologues pour réduire le temps d'attente, mais je pense que je me tromperais si je disais que c'est dans le but d'offrir un meilleur service aux patients. Les discussions portent davantage sur la diminution du temps d'attente pour les policiers. Je ne peux pas dire que jusqu'à présent ces discussions ont porté essentiellement sur les patients atteints de troubles mentaux.

Au bout du compte, tout ceci nous ramène aux problèmes que vous avez identifiés dans votre rapport et selon lesquels, bien trop souvent, nous ne sommes pas suffisamment axés sur les clients ou les patients.

Un agent de police de première ligne qui reçoit un appel d'urgence n'est pas dans un environnement dynamique dans lequel peut rapidement intervenir un professionnel de la santé. Il faut répondre, et oui, il se peut qu'on nous indique que ces gens sont différents ou souffrent d'une forme de maladie mentale. Le problème, c'est que souvent les appels que nous recevons concernent des gens qui sont en conflit avec leur communauté. Ce ne sont pas nécessairement des gens qui ont enfreint la loi. Toutefois, M. Kaiser a raison. Au bout du compte, ces gens finiront par commettre des infractions et, dans ce cas, on appliquera la loi.

Le problème, c'est qu'en l'absence d'une gamme plus large de services de soutien communautaires, nous continuons de répondre aux mêmes appels au sujet de personnes qui sont en conflit avec leur collectivité, qui se parlent à elles- mêmes et qui nuisent à la propriété des autres. Je suis sûr que vous avez entendu parler de pareils cas. Ce serait mal de donner l'impression qu'à ce stade-là, il y a beaucoup d'interaction avec le réseau de santé mentale ou le réseau de santé tout court. Cela se limite essentiellement à une intervention policière, jusqu'à ce que le policier décide que la personne est atteinte d'une maladie mentale et représente un danger pour elle-même ou pour les autres, ou encore qu'elle a commis une infraction criminelle. Dans ce dernier cas, il est invraisemblable qu'on cherche à savoir si la personne devrait être soumise à une évaluation avant l'interpellation.

J'aimerais que nous passions à la question de l'ordre juridique en général. Nous avons entendu dire que de nombreux jeunes qui souffrent de dépression ou manifestent des signes précoces ou les premiers symptômes d'une maladie mentale tentent souvent de s'auto-administrer des médicaments et acquièrent ainsi une dépendance à l'alcool ou aux drogues. Quand le délinquant juvénile est amené au poste et, très souvent, a des toxicomanies, l'ordre juridique prévoit-il un endroit où serait envisagée la présence possible d'une maladie mentale?

M. McNeil : J'avoue que je me sens beaucoup plus à l'aise de discuter de la loi par rapport aux jeunes. L'expériencedans ce domaine en particulier m'a appris que, bien souvent, le jeune n'est pas vu comme un être entier dans le système. Ainsi, il est très difficile de faire une distinction, de dire par exempleque 20 p. 100 des jeunes ont un problème de santé mentale,20 p. 100, un problème d'éducation et 20 p. 100, des troubles de comportement. En règle générale, il est difficile de voir où commence l'un et où prend fin l'autre. Au sein de notre collectivité, il existe un manque fondamental de réaction adéquate à la santé mentale des jeunes. Trop souvent, c'est là la cause ultime de leur conflit avec la loi. Votre comité parle, dans son rapport, de double diagnostic. D'après notre expérience, qu'il s'agisse d'un jeune ou d'un adulte, souvent, il est toxicomane, et sa toxicomanie est causée par un problème de santé mentale.

Le sénateur Cordy : Le Nova Scotia Youth Facility, à Waterville, offre-t-il des services aux délinquants juvéniles?

M. McNeil : Certainement. Les meilleurs services qui sont offerts en Nouvelle-Écosse se trouvent à Waterville, mais nous avons actuellement en place un système qui empêche de leur donner accès à ces services. Actuellement, nous vivons justement le phénomène dont vous avez parlé, la désinstitutionalisation. Nous sommes confrontés à des jeunes qui — nous serions tous d'accord en principe pour dire que les jeunes sont plus faciles à gérer s'ils continuent de vivre au sein de leur propre collectivité. Quand on les retourne au sein de leur communauté sans modèle communautaire pour s'attaquer à la cause cachée de leur maladie mentale, tout ce qu'on fait, c'est de les placer sur la voie lente de la criminalisation.

Le sénateur Cordy : Monsieur Kaiser, vous avez parlé tout à l'heure des choses que réclament ceux qui sont atteints d'une maladie mentale et, hier, quelqu'un a exprimé très succinctement ce qu'il souhaitait. Vous avez parlé d'isolement, de solitude — et ils ont dit qu'ils voulaient une maison, un chez-soi et un ami. C'est probablement ce que tout le monde souhaite et, en l'absence de ces choses essentielles, il est très difficile de prendre la voie de la guérison.

J'aimerais parler de législation proactive pour ceux qui sont atteints d'une maladie mentale, plutôt que de lois restrictives leur imposant interdit par-dessus interdit. Quand on parle de personnes atteintes de maladie mentale, on ne peut pas en parler en vase clos. Il faut tenir compte entre autres de questions comme le logement, l'éducation et l'emploi. Je n'ai pas eu le temps de lire toute votre documentation. Je la lirai aujourd'hui, à bord de l'avion qui m'emmènera à Fredericton. Comment envisagez-vous une nouvelle loi, puisque nous n'avons pas celle qu'il faut actuellement? La Nouvelle-Écosse est, je crois, la seule province canadienne qui n'a pas de loi distincte.

M. Kaiser : Je suis heureux que vous me posiez la question. Dans le document que je vous ai remis au sujet de lois en matière de santé mentale qui font la promotion de l'égalité et dans mon petit exposé de ce matin, à partir de la page 26, vous constaterez que j'ai tenté de rédiger une ébauche de loi. Elle vise avant tout à faire la promotion de la santé mentale et de la participation à la vie sociale parce que je crois que c'est là la réponse à beaucoup de problèmes dont nous avons entendu parler ce matin, tant en ce qui concerne l'ordre juridique que le reste, du moins en partie. Je conçois un préambule à la loi où il est question du besoin de reconnaître l'égalité de toutes les personnes atteintes d'une maladie mentale et d'accroître leur capacité de vivre au sein de la société et, aux pages 27 et 28, vous verrez que j'ai rédigé l'ébauche d'un préambule un peu compliqué. L'essentiel à retenir, c'est qu'il est possible, dans une loi de santé mentale, d'encourager la participation active de personnes ayant des troubles de santé mentale au sein de leur communauté plutôt que de les soumettre à des mesures coercitives. Il est ensuite question de plusieurs points que j'estime être des droits positifs que devraient avoir les gens pour les aider à vivre au sein de leur communauté. À la page 28, je commence par parler du droit à des services de représentation. Fort souvent, lorsque vous êtes aux prises avec soit le réseau de santé ou l'ordre juridique, s'il n'y a pas quelqu'un pour vous aider à faire connaître vos propres souhaits en tant que consommateur de services de santé mentale, vous êtes systématiquement tenu à l'écart des décisions et stigmatisé à tel point que personne ne vous écoute. Ils vous voient comme une personne ayant un problème de santé mentale plutôt que comme une personne qui mérite d'être entendue. Donc, un des droits fondamentaux devrait être le droit à des services de représentation. Ensuite, à partir de la page 29, je parle de droits exécutoires à des choses comme la décision quant à sa propre guérison et les objectifs de participation à la vie communautaire en tant que consommateur plutôt que de se faire imposer par un autre ce dont vous avez besoin, selon lui. Ces droits sont de recevoir des services suffisants pour vous aider à vivre au sein de la communauté et de pouvoir mettre fin à ces services, volontairement, quand vous ne les voulez plus ou qu'il y a une raison valable d'y mettre fin.

Je parle également, à la page 30, du lien avec le placement et le traitement sans consentement. Le premier recours de notre communauté devrait être de promouvoir le droit de chacun de vivre au sein de sa communauté. Ce n'est qu'en dernier recours, après avoir tout tenté, qu'on devrait se tourner vers la coercition et l'intervention.

Je mentionne, comme vous l'avez fait, le genre de déterminants de la santé qui sont de nature beaucoup plus générale que de simplement avoir droit à des médicaments et l'ignominie de se voir administrer des médicaments contre sa volonté. À la page 31, il est question du droit, fondé sur des normes nationales, à des services comme des programmes d'approche et de traitement actifs, des programmes d'intervention en cas de crise comme ce dont nous avons entendu parler aujourd'hui, des solutions de rechange au logement, des initiatives d'auto-assistance dirigées par les bénéficiaires, de l'aide à l'intégration dans la communauté grâce à des programmes d'emploi, d'éducation et d'activités récréatives, des programmes de soutien du revenu et un programme de déjudiciarisation de manière à éviter les interventions coercitives à l'égard des consommateurs.

En termes plus explicites, j'ai proposé une loi qui gravite autour de la promotion de la vie au sein de la communauté comme premier recours et qui impose aux assemblées législatives l'obligation de fournir ce genre de soutien. Il existe relativement peu d'exemples où notre société est disposée à conférer des droits exécutables dans la loi. On en voit parfois dans des lois qui confèrent à l'enfant qui a besoin de protection le droit à certains services. La raison pour laquelle nous ne garantissons pas des droits exécutables aux personnes ayant des troubles de santé mentale est que ce serait très exigeant pour la société. Cependant, le fait de ne pas leur offrir des possibilités comme l'éducation, le logement, l'amitié et le soutien signifie qu'elles sont marginalisées. C'est alors que les mécanismes de stigmatisation entrent en jeu, et elles se retrouvent isolées, ridiculisées et écartées des décisions, de sorte que la loi canadienne en matière de santé mentale s'est concentrée jusqu'ici, comme je l'écris dans mon article, sur les mesures qui peuvent être prises à des fins de coercition et d'intervention. Bien que ces mesures aient leur place dans la loi, on ne reconnaît pas suffisamment, puisqu'il s'agit d'unoutil-massue, qu'elles devraient être un dernier recours plutôt que le premier. J'aimerais que la loi confère des pouvoirs aux gens et j'aimerais également qu'elle dise qu'avant d'avoir recours à des mesures coercitives, la société doit d'abord avoir conféré le genre de droits exécutables dont il est question. Avant d'être soumis à des mesures coercitives, il faudrait qu'on ait droit à quelque chose qui nous permette de continuer à vivre au sein de la collectivité.

Si nous adoptons en règle générale une autre approche à l'égard de la loi sur la santé mentale, nous pouvons nous éloigner du modèle de cœrcition et d'intervention.

Enfin, en réponse à votre question, j'ai toujours jugé tragique, depuis la promulgation de la Charte des droits et libertés, puis de la garantie à l'égalité en 1985, la tendance de notre loi de santé mentale à être plus coercitive et plus interventionniste, plutôt que de soutenir davantage le droit à l'égalité. Il est regrettable que la Charte n'ait pas, dans une large mesure, garanti comme elle l'aurait dû le faire aux personnes atteintes de troubles de santé mentale le droit de vivre dans un contexte d'égalité. Elle a plutôt toléré le caractère intrusif de la loi de la santé mentale, en s'appuyant habituellement sur des approches paternalistes et interventionnistes. À nouveau, on semble privilégier ces moyens trop facilement.

Le sénateur Cordy : Quand vous parlez de compromis entre la liberté et l'intervention, à quel moment au juste aurait-on recours à l'intervention? Le ferait-on quand ceux qui sont atteints de maladie mentale représentent un danger pour eux-mêmes?

M. Kaiser : Les mesures imposées sont justifiées jusqu'à un certain point quand, de toute évidence, la personne est un danger pour elle-même ou pour d'autres et que la cause est une maladie mentale. Même alors, il ne devrait y avoir intervention qu'après avoir offert autre chose à la personne qui n'exige pas une hospitalisation et la prise de médicaments contre sa volonté. Même dans ces cas-là, il faudrait prendre bien garde, avant d'essayer d'obliger les personnes à se faire hospitaliser et à prendre des médicaments, d'avoir épuisé tous les autres recours. Cependant, je reconnais le droit limité d'utiliser ce moyen en dernier recours plutôt que comme premier recours menant à des mesures coercitives.

Le sénateur Cook : Ce serait fantastique si vous pouviez m'aider à comprendre certains points qui ressortent de votre exposé de ce matin. Nous cherchons à créer une stratégie nationale de la santé mentale qui est inclusive.

Monsieur McNeil, je vous ai entendu dire que les modèles classiques ne sont pas efficaces. D'après ce que j'ai compris après avoir parcouru les mémoires, nous avons besoin de formation convenable, mais nous hésitons quant au niveau et au lieu où cela devrait se faire. Je suis le genre de personne qui cherche des solutions à tout; je suis simple. À quel point est-il réaliste de mettre sur pied un programme de formation complète à l'échelle de l'ordre juridique, un programme qui mise sur la collaboration et qui s'imbrique avec le réseau de santé mentale? À un moment donné, je croyais, en ce qui concerne les services 24 heuressur 24, sept jours par semaine et nos hôpitaux, que vous êtes formé comme infirmier, puis que si vous travaillez dans une unité psychiatrique ou cardiologique, vous devez suivre une formation plus poussée. À quel point est-il réaliste, étant donné les contraintes au niveau des ressources, le besoin de renforcement des capacités et les pénuries d'argent, de faire le transfert d'apprentissage d'une équipe qui, 24 heures sur 24, sept jours par semaine, accomplirait le travail avec efficacité grâce au nombre d'éléments que comprend la formation? Par ailleurs, j'aimerais savoir de combien de personnes il est question? Dans votre circonscription hospitalière, combien de personnes se trouvent mêlées à ces crises?

M. Kaiser : Je ne connais pas les nombres au niveau de la municipalité locale. Le chef adjoint pourra peut-être vous le préciser d'un point de vue national, du point de vue de la GRC.Il est réaliste d'avoir une équipe d'intervention en situation de crise. Je répète qu'il faut bien comprendre qu'en engageant des ressources à cette fin, on évite un problème beaucoup plus coûteux. Si, dans une situation de crise, à cause de l'absenced'une équipe d'intervention sensible et respectueuse qui comprend des éléments de maintien de l'ordre, de santé mentale et de services sociaux, vous augmentez les risques de confrontation avec la police ou de souffrance comme ce qui vous a été décrit ce matin, alors les coûts seront beaucoup plus grands pour la société,sur le plan économique comme sur le plan humain. Nous ne semblons pas chiches quand vient le temps d'offrir des services d'urgence 24 heures sur 24 à ceux qui font un arrêt cardiaque ou qui ont subi une fracture, mais on ne semble pas accorder le même niveau d'urgence à ceux qui ont le coeur et l'esprit brisés. Selon moi, il va sans dire que nous pourrions offrir, en y investissant les montants pertinents, exactement le genre d'intervention améliorée dont il a été question ce matin.

À nouveau, en ce qui concerne la question de la criminalisation, je tiens à souligner que, bien que je sois entièrement favorable à l'idée de formation, il s'agit d'avoir en place des programmes convenables qui offrent du soutien aux personnes et les déjudiciarisent à tous les niveaux du système de justice. Cela signifie également qu'il faut offrir la formation à tous, non seulement aux policiers, mais également aux juges, aux avocats et aux employés des services correctionnels.

À bien des égards, nos policiers n'ont pas une formation adéquate et ne bénéficient pas du soutien voulu des autres composantes des services sociaux. Ils ne devraient pas avoir à s'occuper seuls de ces cas. On ne devrait pas entendre des histoires d'horreur — que j'ai déjà entendues — décrivant des interventions mal adaptées à la situation, souvent militaires, pour faire face aux difficultés qu'éprouvent certains à vivre au sein de la collectivité quand ils sont plus probablement une nuisance publique qu'un véritable danger, qu'ils nuisent vraisemblablement plutôt qu'ils ne font vraiment du tort. Nous pouvons former les policiers de manière à ce qu'ils fassent de meilleures interventions, mais il faudrait remonter jusqu'au premier intervenant — à la personne qui prend les appels 9-1-1 — pour lui montrer comment détecter les problèmes de santé mentale, puis de trouver les ressources policières susceptibles, parce qu'elles font partie par exemple d'une équipe d'intervention en situation de crise, d'être conscientes des problèmes et respectueuses. Je crois que tout cela est possible. On peut réagir à fond à la question de la criminalisation si l'on commence par examiner les modèles qui existent et si l'on est disposé à prendre les problèmes au sérieux.

Le sénateur Cook : Monsieur le président, je vais mettre fin à cette déclaration parce qu'il existe aussi des cas de réussite. Dans ma province, Terre Neuve-et-Labrador, si vous appréhendez une personne qui est en crise, vous ne la menez plus à la salle d'urgence d'un hôpital de soins tertiaires. Vous allez directement à un établissement de santé mentale, à l'hôpital Waterford, qui est bien équipé pour traiter ces cas. Il s'agit d'un établissement de court séjour d'une semaine où l'on s'occupe de toute la paperasse pour négocier avec les tribunaux et je ne sais trop quoi encore. C'est une bonne nouvelle. Le budget provincial prévoyait des fonds pour le faire cette année.

Le président : Je tiens à remercier nos trois témoins d'avoir répondu à notre invitation ce matin. Manifestement, nous lirons la transcription des témoignages et nous attarderons aux documents présentés.

Chers collègues, je sais que les témoins suivants étaient présents dans la salle durant les témoignages que nous venons d'entendre. Ils connaissent donc bien le processus.

De plus, vendredi dernier, nous avons eu une séance d'une journée à Ottawa au sujet de la santé mentale des enfants, et M. Andy Cox était présent. Je lui ai donc proposé qu'il ne fasse pas de déclaration liminaire parce que nous pouvons nous reporter à celle de la semaine dernière, mais qu'il nous parle plutôt, quand ce sera son tour, de ses acquis. Il pourra ensuite répondre à vos questions. Il est inutile de reprendre ce que nous avons déjà fait la semaine dernière.

M. Dwight Bishop, Bureau de l'ombudsman de la Nouvelle-Écosse : Monsieur le président, c'est pour moi un réel plaisir et un privilège de me trouver ici aujourd'hui. Quand j'ai reçu l'invitation, je n'étais pas sûr de la raison pour laquelle on m'invitait, mais je me suis mis à réfléchir et j'espère que mes observations d'aujourd'hui vous seront utiles.

J'ai été impressionné par le fait que vous avez entrepris ces travaux. Depuis quelque temps déjà, je crois que la santé mentale n'a probablement pas reçu l'attention qu'elle méritait. Il existe au sein de la collectivité un problème d'attitude à cet égard.

Je suis accompagné aujourd'hui de Christine Brennan qui, au bureau de l'ombudsman, s'occupe de notre unité de services aux jeunes et aux personnes âgées, un programme proactif unique mis sur pied à l'intention des jeunes. Nous sommes en train d'essayer d'y intégrer les personnes âgées, et j'y reviendrai tout à l'heure.

Quand j'ai examiné votre cahier de travail, je me suis fait la réflexion qu'il couvrait beaucoup de questions. On peut y lire notamment qu'une personne sur cinq a peut-être ou a peut-être déjà eu une maladie mentale. En réalité, je trouvais le ratio peut-être bas. Quand on examine les services correctionnels, particulièrement ceux qui accueillent les jeunes, on peut inverser le ratio et dire que quatre personnes sur cinq — et c'est probablement un chiffre bas — pourraient profiter d'une aide sur le plan de la santé mentale.

J'ai également eu l'occasion de me rendre dans les établissements pénitentiaires pour adultes et c'est l'établissement fédéral pour les femmes, à Truro, qui m'a véritablement surpris.À mon avis, un pourcentage élevé de ces gens-là en tirerait profit. J'en arrive presque à me poser la question suivante : « Se trouvent-ils dans le bon environnement? » Il faut se demander :« Devraient-ils être ici ou ailleurs et devraient-ils être traités autrement? » On en arrive alors à se demander si les gens se servent du système de justice pénale pour obtenir des traitements en santé mentale. Ce sont certains de mes points de vue qui découlent de ce que j'ai vu et du temps que j'y ai consacré, sans pour autant qu'ils ne soient liés à mon rôle d'ombudsman, poste que j'occupe depuis un an et demi seulement; on acquiert des connaissances au fil du temps. Je pense aussi que la toxicomanie découle probablement, dans une vaste mesure, d'une question ou d'un problème de santé mentale.

Ce qui m'a surpris aujourd'hui, c'est que cette audience se déroule au casino. Je ne dis pas que ce n'est pas bien, c'est juste que je voulais le souligner.

Le président : J'ai été aussi surpris que n'importe qui, non parce que le casino lui-même me gêne. Il aurait mieux valu tenir cette séance mardi ou mercredi, mais cela n'a pas été possible à cause d'un congrès quelconque. Nous avons eu du mal à trouver une salle, mais je suis d'accord avec vous, tenir une audience sur la santé mentale dans un casino est quelque peu ironique.

M. Bishop : Cela prouve que j'ai bien changé. Il y a quelques années, j'avais l'habitude d'aller au casino, chose que je ne fais plus. Je crois que j'ai bien vu où pouvait mener ce genre d'activité.

Lorsque j'ai examiné le cahier, et cetera, j'ai pensé adopter une approche différente et j'espère trouver quelques réponses. À mon avis, la mise au point d'un modèle d'exécution équilibré, d'une stratégie équilibrée, représente le plus grand défi qui soit. Les gens reconnaissent qu'il faut en faire plus dans le domaine de la maladie et de la santé mentales. La question qui se pose est la suivante : Comment? Une stratégie équilibrée permet d'englober de nombreux domaines et j'ai été ravi d'entendre les propos du témoin précédent. Il faut faire participer les gouvernements fédéral, provincial et municipal au processus, d'une façon ou d'une autre. Il faut travailler en équipe. Il faut faire participer la police, par exemple, les gens qui se trouvent en première ligne. Il faut faire participer les médecins et également la collectivité. Il faut une approche d'équipe intégrée.

Bien des aspects de la question relèvent maintenant de la province et plus particulièrement du ministère des Services communautaires, du ministère de la Justice et du ministère de la Santé. On peut s'y attendre, dans un certain sens, puisque ces ministères ont une responsabilité générale à cet égard. Toutefois, il est toujours possible d'améliorer les communications et les services entre eux.

Le gouvernement fédéral a lancé cette initiative et veut en faire plus dans ce domaine. Il doit y donner suite d'une façon qui donne des résultats dans la collectivité qui relève de ces divers ordres de gouvernement. Il suffit de prendre en compte tous ces éléments et de mettre au point une stratégie pour probablement obtenir un succès à plus long terme.

Je me suis toujours rendu compte que plus on s'éloigne des premières lignes, moins les propositions deviennent réalistes. Souvent, ce sont ceux qui se trouvent en première ligne qui arrivent à résoudre la plupart des problèmes pour vous. Ils disposent des réponses si on leur donne la possibilité de les trouver.

Nous avons découvert, et je prends nos services destinés aux enfants à titre d'exemple, que la prévention et la proactivité portent fruit. Les employés de nos services destinés aux enfants, par exemple, se rendent dans les établissement pénitenciers pour jeunes une fois par mois, et dans l'établissement à haut facteur de risque de Truro, probablement deux fois par mois. Nous allons nous rendre dans tous les foyers d'accueil à partir du mois prochain. Vous pouvez demander pourquoi? Nous voulons avoir une présence, gagner la confiance de ces jeunes pour que, au cas où il leur arriverait quoi que ce soit, ils peuvent venir nous voir. Nous pouvons alors les rencontrer, leur parler et peut- être les aider. Nous n'agissons pas uniquement à titre de défenseurs de leur cause, mais nous nous introduisons dans leur milieu. Nous éteignons beaucoup de feux de cette manière également et il ne s'agit pas non plus d'une approche conflictuelle vis-à-vis l'organisation. Une grande partie de ces mesures découlent des problèmes d'agression sexuelle et autres choses du genre au Centre des jeunes de Shelburne.

Nous voulons également faire la même chose pour les personnes âgées, car on en retrouve 9 000 en Nouvelle-Écosse qui vivent dans des établissements agréés. Si je parle des jeunes, c'est parce que l'on peut faire beaucoup de prévention, être proactifs, travailler en équipe et ne pas jouer au Big Brother. On peut ainsi gagner leur confiance et éviter les problèmes avant qu'ils ne se manifestent.

J'ai dit à mon fils l'autre jour que j'allais comparaître devant votre comité et je lui ai posé la question suivante : « Si tu avais quelque chose à dire, que dirais-tu? » Il a répondu : « Il faut aller vers les gens qui en ont besoin. » Beaucoup de gens ne vont pas venir; nous devons aller vers eux. C'est à mon avis l'un de nos défis, comment aller vers les gens? Comment aller vers ceux qui en ont besoin? Pour ce faire, il faut instaurer un climat de confiance, et cetera.

Il n'y a pas très longtemps, j'ai assisté à une conférence du Barreau intitulée « Uncommon Law » où se trouvaient beaucoup de jeunes. L'un d'eux s'est levé et a dit : « Quinze personnes différentes m'ont suivi pendant tellement d'années, elles ne font qu'aller et venir. » Il a continué : « Elles se préoccupent davantage des processus que des gens. » Il faut mettre l'accent sur les gens et le reste suivra.

Là encore, il s'agit d'une prestation de services comme l'a indiqué le témoin précédent, mais il faut prévoir un guichet unique. Si vous avez des ennuis avec les jeunes, par exemple, ou si les jeunes ont des problèmes, ils devraient pouvoir se rendre dans un seul endroit, qu'il s'agisse des services de police, de la santé mentale, des problèmes sociaux, et cetera.

Dans une autre vie, j'ai posé à des commandants la question suivante : « Si vous pouviez prédire l'avenir, comment vous occuperiez-vous des jeunes? » Ils m'ont répondu en premier lieu qu'il fallait prévoir un guichet unique, le regroupement de toutes les agences. J'ai demandé : « Où? » Ils m'ont répondu : « Dans les écoles. » J'ai dit : « Pourquoi les écoles? » Et ils m'ont répondu :« C'est là que se trouvent la plupart des jeunes. » Le concept de guichet unique est ce qui m'est resté à l'esprit. C'est pour moi fondamental; j'espère simplement que je suis sur la bonne voie, un point c'est tout.

Les gens qui souffrent de maladie mentale ou qui sont toxicomanes sont vraiment, dans une grande mesure, victimes des circonstances et de leur milieu. Il faut travailler avec la collectivité pour pouvoir régler leurs problèmes. Nous devons également nous rappeler qu'il existe une grande industrie de la santé mentale et d'autres questions de santé, et qu'il ne devrait pas lui appartenir de décider de la façon dont on procède dans ce domaine. On dispose d'énormément de bénévoles qui doivent également participer au processus.

J'ai indiqué un peu plus tôt que l'attitude envers les personnes atteintes de maladie mentale et de toxicomanie avait changé. C'est habituellement par l'entremise du système judiciaire qu'on s'occupe de leur traitement ainsi que de celui des jeunes; les chiffres semblent l'indiquer. Il faudrait lancer une campagne de relations publiques afin de changer les attitudes et la perception des gens face aux personnes atteintes de maladie mentale; cela va prendre du temps, j'imagine. C'est quelque chose qui va évoluer au fil du temps, mais il faut bien commencer quelque part.

Apparemment aussi, beaucoup de fonds sont constamment affectés à la santé, mais pas vraiment à la santé mentale. On entend beaucoup d'histoires d'opérations cardiaques, et cetera. C'est une question de santé qui doit être traitée en tant que telle ainsi qu'en tant que question touchant la collectivité dans son ensemble. Je crois qu'on peut modifier les attitudes. Beaucoup d'entre nous étions des fumeurs, mais nous avons réussi à arrêter. Conduire en état d'ébriété était pratiquement acceptable à un moment donné, ce qui ne l'est plus aujourd'hui. Il est donc toujours possible de changer les choses.

J'ai l'impression que notre façon d'aborder la santé mentale ne donne pas une bonne image de notre société ou de moi-même. Je crois que nous pouvons en faire plus. Le bureau de l'ombudsman n'est pas un intervenant d'importance, mais je pense que nous avons un programme très actif. Nous examinons nos programmes et nos rôles — je suis très fier de ce que nous faisons pour les jeunes, et de ce que nous commençons à faire auprès des personnes âgées. Je suis également fier du fait que nous changeons et que nous envisageons davantage d'améliorer les processus administratifs au sein du gouvernement.

Lorsque je dis que nous n'avons pas un rôle important, ce n'est probablement pas tout à fait exact. Nous n'avons pas beaucoup de ressources, mais je crois que nous pouvons miser sur le rôle qui nous a été conféré, parce que, par exemple, je vais rencontrer sous peu le sous-ministre des Services communautaires pour parler des interrelations au sein de ce ministère et d'autres, et cetera.

Je dirais qu'il est très positif d'entreprendre de tels projets et je souligne encore une fois l'importance de l'approche d'équipe avec les divers ordres de gouvernement et la collectivité.

Le président : Merci, vous soulevez plusieurs questions sur lesquelles nous allons revenir un peu plus tard.

Mme Linda Bayers, directrice exécutive, The Self-Help Connection : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs, et bienvenue en Nouvelle-Écosse. Bienvenue en particulier aux sénateurs Cordy et Kirby qui sont originaires de notre province et bienvenue à ceux qui viennent d'autres régions du pays. C'est un plaisir que de vous accueillir dans la belle province de la Nouvelle-Écosse, paradis maritime du Canada. Vous êtes aussi bienvenus que les fleurs de mai, qui ne sont pas très nombreuses. Meilleures voeux également de la part de notre conseil d'administration.

Avant de passer au rôle de l'initiative personnelle, de l'aide mutuelle, du soutien par les pairs, j'aimerais consacrer quelques minutes à ce que fait The Self-Help Connection pour offrir un élément de solution aux gens qui sont atteints de maladie mentale ou qui en sont guéris.

J'aimerais que vous m'avertissiez une minute à l'avance que mon temps de parole est écoulé pour que je n'empiète pas sur le temps de M. Cox. The Self-Help Connection est un centre de ressources d'initiative personnelle créé en 1987 à l'échelle de la province à partir de l'infrastructure de soutien de Jake Epp, ancien ministre fédéral de la santé, qui reconnaît que l'aide mutuelle et l'autonomie jouent un rôle important dans la promotion de la santé. Nous sommes heureux que le gouvernement fédéral nous ait financé pendant cinq ans. Notre propre direction des services de santé mentale du ministère provincial de la santé continue à nous financer, et le ministère des Services communautaires finance notre centre d'initiative personnelle. Vous avez entendu hier le témoignage de mon collègue de ce centre, Roy Muise.

Nous donnons des renseignements et fournissons un soutien.Il existe plus de 500 groupes d'initiative personnelle enNouvelle-Écosse, alors qu'il n'y en avait que 38 en 1987. Ces groupes sont importants puisqu'ils donnent des renseignements, des compétences et des ressources aux particuliers et aux collectivités. The Self-Help Connection s'occupe également du renforcement des capacités et donne des cours de leadership à ceux qui prennent des mesures individuelles et collectives pour leur propre santé. Nous avons également un secteur important de recherche et d'évaluation.

L'initiative personnelle apporte un soutien psychologique et de l'aide pratique. C'est le genre d'aide que l'on ne peut pas retrouver chez un médecin. Pour une personne qui souffre de maladie mentale ou qui en est sortie, rien ne vaut mieux que de se faire dire : « Je comprends ce que vous ressentez, je vous accompagne sur le chemin de la guérison. »

En plus d'être éducatrice et chercheure, je me présente également devant vous ce matin comme alliée convaincue des bénéficiaires en santé mentale. Je crois que les gens ont la capacité d'assurer leur propre guérison et de comprendre qu'ils peuvent se sortir de la maladie mentale. Je sais qu'il y a des gens de la vielle école — vieille école, dans le sens de sagesse — et une infirmière présents ce matin, qui sont des alliés clés du mouvement de l'initiative personnelle.

Nous ciblons des populations particulières depuis 17 ansque nous oeuvrons dans ce domaine. Nous avons ciblé lesfemmes des régions rurales; les Canadiens d'origine africaine dans nos six collectivités noires de la région urbaine; les jeunes;les ex-délinquants; les bénéficiaires en santé mentale qui veulent apprendre comment participer à la recherche; plus récemment, les Acadiens et les francophones, grâce à notre affiliation au Réseau santé de Nouvelle-Écosse, proposant de traduire gratuitement nos documents pour les membres de ces collectivités particulières. Nous avons également ciblé les hommes qui ont subi des abus sexuels au cours de leur enfance. Mes collègues hommes ne cessaient de me dire : « Nous faisons tout ce travail pour tout le monde, quand allons-nous faire quelque chose pour que les hommes puissent s'aider eux-mêmes? » Nous admettons qu'il y a une lacune dans ce domaine, dans celui des services offerts aux hommes, si bien que nous pensons donner sous peu une conférence à ce sujet.

Nous avons lancé des programmes très novateurs comme« Consumers as Educator », « Consumers as Coach », et « Peer Specialist ». L'un de mes collègues, Roy Muise, est le premier Canadien certifié spécialiste du soutien par les pairs. Il me semble, sénateur Kirby, que vous êtes intéressé par ce programme et que nous voulons l'amener ici, le canadianiser, l'offrir à la modenéo-écossaise.

L'initiative personnelle est une ressource merveilleuse qui facilite la guérison. Ce n'est pas quelque chose qui convient à tout le monde et c'est la raison pour laquelle nous envisageons un soutien individuel par les pairs. Toutefois, c'est une méthode qui a été critiquée sous prétexte qu'elle désapprouve les systèmes de spécialistes et je dirais que les professionnels craignent que les groupes d'initiative personnelle ne « dénigrent les médecins ». Je préfère dire que ces groupes protègent vos intérêts en ce qui concerne vos interventions dans le domaine de la santé mentale et les négocient.

Les groupes d'initiative personnelle donnent essentiellement de l'espoir en disant au patient : « Vous seul pouvez le faire, mais vous ne pouvez pas le faire seul ». Ces groupes reconnaissent ainsi le pouvoir de la personne et le pouvoir de la collectivité d'apprendre à vivre avec les problèmes de santé mentale et au-delà. Le fait d'utiliser l'expression « au-delà » sous-entend qu'il est possible de guérir et de mener une vie productive. Comme l'a dit le sénateur Cordy : « Que veulent les bénéficiaires en santé mentale? » Ils veulent ce que le reste d'entre nous voulons : un emploi, des amis, un foyer, des collègues, et cetera.

La documentation relative à l'initiative personnelle reconnaît que les groupes d'initiative personnelle sont des mouvements sociaux importants qui donnent des gens bien informés et avertis au plan politique, capables d'exercer leur pouvoir et de mener leur propre vie. Toutefois, dans le cadre de ma propre recherche, je suis arrivée à la conclusion qu'il faut trouver des façons de reconnaître officiellement les groupes d'initiative personnelle et les utiliser comme centres de ressources en vue de la guérison. Il est maintenant accepté qu'une personne se tourne vers un groupe d'initiative personnelle. Certains médecins sont au courant et nous envoient des patients. D'autres ressentent une crainte non fondée par rapport aux groupes d'initiative personnelle; ils pensent que l'on y fait du dénigrement des médecins, que l'on y donne de l'information erronée, et cetera.

Le président : Lorsque vous parlez d'initiative personnelle, cela équivaut-il à ce que j'appellerais le soutien par les pairs? Ces expressions sont-elles interchangeables?

La Dre Bayers : Je dirais que oui, tout en faisant une distinction. Si M. Cox et moi-même nous nous aidons mutuellement au sujet de quelque chose, il s'agit d'aide mutuelle. Si on invitaitM. Bishop dans notre groupe, il s'agirait d'un groupe d'initiative personnelle. Dans le contexte d'aide mutuelle, le fait que je vous aide m'aide. On donne et on reçoit de l'aide. Le soutien par les pairs peut se faire dans un groupe parce que, idéalement, chaque membre du groupe a le même problème, qu'il s'agisse de dépression ou d'autres choses. Le soutien par les pairs est un soutien permettant à vos pairs qui ont le même problème que vous de vous aider. À toutes fins pratiques, je dirais que ces expressions sont interchangeables.

La documentation relative à l'initiative personnelle fait des distinctions entre les groupes d'initiative personnelle et de soutien, si le groupe est dirigé par un professionnel, et cetera, mais il reste que c'est essentiellement la même chose.

Les groupes évitent souvent de parler de victimes, et un groupe d'initiative personnelle vous apprend comment survivre et prospérer, comment continuer à vivre et comment guérir.

Pour résumer, les groupes d'initiative personnelle vous sensibilisent davantage; mettent en garde contre les relations de pouvoirs, notamment par rapport à des systèmes de spécialistes comme la médecine; aident les gens à s'exprimer pour eux-mêmes et incitent les particuliers à prendre des mesures personnelles et collectives en ce qui concerne leur santé.

À notre avis, les groupes d'initiative personnelle complètent fortement l'aide professionnelle. Ce qui me préoccupe, c'est que les professionnels n'ont pas recours au modèle d'initiative personnelle dans certains domaines essentiels, lorsque les gens tombent malades ou sont sur la voie de la guérison. Je prendrai le jeu comme exemple, puisque nous sommes au casino. Il arrive que des gens tombent au plus bas, deviennent suicidaires, après avoir hypothéqué leur maison, et cetera, tout cela à cause du jeu. Ces gens-là pourraient se tourner vers un groupe d'initiative personnelle pour essayer d'éviter de très graves problèmes et pourraient également être dans le groupe au moment de leur guérison. Nous ne tirons pas parti de tout ce que représente le groupe comme outil de prévention et de promotion.

Les gens se tournent vers un groupe d'entraide quand ils sont en difficulté. Ces groupes servent parfois d'exutoire pour dénoncer les failles du système. À mon avis, le modèle du groupe d'entraide, du groupe de soutien par les pairs, devrait être utilisé plus souvent. Par exemple, Roy Muise est revenu de Georgie avec une nouvelle trousse d'outils. J'ai assisté, avec quelques collègues, à l'exposé qu'il a donné sur le Wellness Recovery Action Plan, le WRAP, qui est un programme de guérison et de bien-être. Ceux qui travaillent dans le domaine de la santé mentale ont souvent tendance à se laisser envahir par le travail et le stress, à négliger leur propre santé mentale. J'ai découvert des moyens de préserver ma santé mentale, car je ne veux pas me retrouver dans une situation où je devrai avoir recours au système formel.

Encore une fois, les groupes d'entraide peuvent nous aider à rester en santé. Sénateurs, comme je me plais à le dire à mes amis et collègues, si vous avez un problème de santé, adressez-vous à un groupe d'entraide. Vous allez être bien renseigné, car les membres de ces groupes sont des accros de l'information. Ils passent leur temps à naviguer sur le Net en vue de trouver des renseignements sur la façon de se soigner et de guérir. Les groupes d'entraide fournissent un soutien psychologique et des conseils pratiques. Ce sont des motivateurs. Ils disent, « Si je l'ai fait, vous pouvez le faire aussi. » Que peut-on faire d'autre quand on est désespéré? Ce genre d'aide ne se trouve nulle part ailleurs.

Les groupes d'entraide peuvent contribuer à établir de meilleures relations de travail avec les professionnels de la santé. J'ai des collègues qui me disent, « Mon Dieu, mon rôle est d'aider le patient. Il a besoin de moi, mais je n'ai pas le temps de rester-là à lui tenir la main. » Je leur réponds, « Eh bien, dirigez-le vers un groupe d'entraide. Ces gens-là savent comment s'y prendre. »

Les professionnels doivent apprendre à diriger les gens vers les services de soutien appropriés. Si une personne ne trouve pas le soutien dont elle a besoin auprès du groupe d'entraide, elle va tout simplement cesser de le fréquenter. Encore une fois, c'est une ressource très importante. Comment pouvons-nous conjuguer jour et nuit avec une maladie mentale? N'est-il pas normal de parler à des personnes qui vivent la même situation? Je trouve que ça l'est.

J'estime qu'il existe de sérieuses lacunes au chapitre de la formation professionnelle. J'aimerais que les écoles de médecine, de sciences infirmières, d'ergothérapie offrent des cours sur les groupes d'entraide. Ces écoles nous invitent à donner des conférences sur le sujet, mais habituellement, elles le font lorsque les étudiants en sont à leur troisième année d'études, parce qu'ils vont, dès demain, commencer à travailler au sein de la communauté. « Venez nous parler des groupes d'entraide. Vous avez une demi-heure pour le faire. »

Il serait bien que les médecins entendent parler plus tôt,c'est-à-dire avant qu'ils ne commencent à pratiquer leur métier, de l'existence de cette ressource précieuse. Mon rôle consiste, entre autres, à rencontrer les universitaires pour discuter avec eux des avantages que présentent les groupes d'entraide, des réserves et des craintes qu'ont les professionnels à leur égard, car c'est-là un volet important de leur apprentissage.

Le président : Merci. Nous aurons plusieurs questions à vous poser, plus tard.

Nous allons maintenant entendre Andy Cox, que nous avons déjà rencontré vendredi, lors de la réunion spéciale d'un jour que nous avons tenue à Ottawa, sur la santé mentale des enfants. Il a accepté volontiers de revenir. Il y avait, à cette réunion, des représentants de toutes les régions. En ce qui nous concerne, nous étions trois : le sénateur Cook, le sénateur Cochrane et moi. J'ai dit à M. Cox qu'il n'avait pas à nous présenter un exposé, puisqu'il l'avait déjà fait vendredi dernier. Je lui ai toutefois demandé de nous parler de ses antécédents et de ce qu'il fait actuellement pour que nos deux collègues qui n'étaient pas là sachent quelles questions lui poser.

M. Andy Cox, utilisateur et partisan des soins de santé mentale, Centre de santé IWK : Sénateurs, je m'occupe des programmes de santé mentale au Centre de santé IWK, qui est un hôpital pour enfants. Mon rôle consiste à promouvoir les soins de santé mentale. Il comporte trois volets : premièrement, renseigner les jeunes sur leurs droits et défendre leurs intérêts. Deuxièmement, aider les jeunes à se familiariser avec les ressources qu'offre la communauté. Troisièmement — j'avais abordé plusieurs points, vendredi, mais le principal, et Mme Bayers en a parlé, est le suivant — encourager le soutien par les pairs. Comme je suis un utilisateur des soins de santé mentale, je n'hésite pas à dire aux jeunes qui souffrent d'une maladie mentale, qui ont peur et qui ne pensent pas pouvoir en guérir, que je suis moi-même atteint d'une maladie affective bipolaire. Souvent, la personne ou la famille se sent soulagée. Elle a l'impression qu'elle va pouvoir guérir et mener une vie normale.

Le président : Madame Bayers, à combien s'élève votre budget annuel, grosso modo?

La Dre Bayers : Depuis 1987, le budget annuel — tenez-vous bien, sénateur Kirby — du groupe Self-Health Connection est de 120 000 $.

Le président : Pour l'ensemble de la province?

La Dre Bayers : Oui.

Le président : Combien d'employés à temps partiel ou à temps plein comptez-vous?

La Dre Bayers : Nous avons deux employés à temps plein,moi-même et le responsable des programmes, SotiriaTsirigotis. Le Consumer Initiative Centre dispose d'un budget de 193 000 $ pour l'ensemble de la province. Il compte quatre employés : un éducateur en matière de santé, un spécialiste du développement personnel, un coordonnateur des activités entrepreneuriales et un spécialiste du soutien par les pairs, Roy Muise.

Le président : Bon nombre des personnes qui fournissent des services d'entraide sont des bénévoles, n'est-ce pas?

La Dre Bayers : Les groupes d'entraide sont composés de bénévoles qui ont recours à l'entraide pour se soutenir mutuellement. Il est facile pour nous de leur fournir des ressources en nature. Par exemple, hier soir, j'ai organisé un atelier de trois heures à l'intention de personnes qui ont des tendances autodestructrices. Certains de mes collègues y étaient. Nous nous déplaçons, dans les limites de notre budget, dans le but d'offrir une formation et des services de soutien, le tout gratuitement, aux groupes d'entraide. Comme nos ressources sont modestes, nous ne pouvons être proactifs. Les groupes d'entraide constituent donc une « ressource gratuite ». Souvent, ils recueillent des fonds ou communiquent avec nous quand ils ont besoin d'aide pour produire une brochure ou obtenir du matériel.

Le président : J'ai l'impression que l'aide que vous contribuez à générer est fournie, dans une large mesure, par les personnes qui donnent de leur temps pour aider leurs confrères.

La Dre Bayers : C'est exact.

Le président : Autrement, vous ne pourriez pas faire ce que vous faites avec un budget pareil, n'est-ce pas?

La Dre Bayers : C'est vrai.

Le président : J'ai toujours voulu savoir ce qu'un organisme comme le vôtre coûte. Quand on compare vos coûts à ceux du régime de soins de santé ou du système de justice pénale, on constate qu'ils sont, franchement, très peu élevés.

La Dre Bayers : C'est vrai. Cela a un effet multiplicateur, et il suffit d'un simple calcul pour s'en rendre compte. Par exemple, si nous avons 500 groupes d'entraide et que chacun d'entre eux aide deux personnes à éviter l'hospitalisation pendant deux ou trois jours, nous arrivons très vite à des économies d'environ 3 millions de dollars, puisqu'il en coûte 1 500 $ par jour pour garder une personne à l'hôpital. Je suis convaincue que ces groupes nous permettent de réaliser des économies. L'Association canadienne pour la santé mentale, la division de l'Ontario de l'Association et l'American Health Association jugent que les groupes d'entraide sont efficaces et qu'ils aident les gens atteints d'une maladie mentale à guérir.

Concernant M. Cox, je tiens à dire, comme il n'a pas utilisé tout son temps de parole, qu'il a d'abord commencé à travailler pour le Self-Help Connection comme intervenant auprès des jeunes, dans le cadre d'un projet important appelé YouthNet. Nous essayons de maintenir les projets innovateurs que nous mettons en place. Andy est un homme merveilleux, un défenseur formidable et passionné des droits des jeunes. Nous sommes fiers du fait qu'il a débuté sa carrière chez nous.

Le président : Monsieur Bishop, vous avez parlé d'un document qu'a préparé le service de recherche en mai 2001, et qui passait en revue un certain nombre d'études. Je présume que ce n'est pas un document public. Pourrions-nous toutefois en avoir une copie? Je pense qu'il nous serait utile. L'auteur est d'accord.

Par ailleurs, vous faites allusion, dans votre exposé, à un document dans lequel on affirme que, d'après un sondage et un rapport du ministère de la Justice, toutes les personnes incarcérées en Nouvelle-Écosse affichent un niveau de détresse qui exige un traitement spécialisé.

Nous n'avons pas besoin du rapport, mais j'aimerais bien voir ce document. Encore une fois, l'auteur est d'accord.

Enfin, vous nous avez fourni une description du rôle du ministère des Services communautaires, du ministère des Services aux enfants et à la famille et du ministère de la Santé. Je nage en pleine confusion, pas à cause de ce que vous avez écrit, mais à cause du système qui est lui-même confus. Lorsqu'un enfant — supposons qu'il a moins de 16 ans — souffre d'un problème de santé mentale, qui se charge de faire quoi? Ensuite, est-ce que le dossier est transféré au ministère de la Santé — Andy, vous avez peut-être quelque chose à dire à ce sujet —, qui, lui, décide que l'enfant est uniquement atteint d'un trouble du comportement et qu'il n'a pas besoin d'être pris en charge par le système de soins santé? Pouvez-vous me dire comment vous arrivez à faire la part des choses? Il existe manifestement des lacunes, si je me fie à ce qui est écrit ici. Où se trouvent les lacunes?

M. Bishop : Pour être franc avec vous, la dame qui est assise derrière moi est probablement mieux placée que moi pour répondre à la question.

Mme Christine Brennan, superviseur, Services aux enfants et aux aînés, Bureau de l'ombudsman de la Nouvelle-Écosse : Sénateurs, ce que nous constatons dans notre service, c'est que bon nombre des jeunes que nous rencontrons ont vécu en milieu carcéral; mentionnons, par exemple, Waterville. Ils affichent un comportement déviant et c'est pour cette raison qu'ils ont des démêlés avec la justice. Toutefois, dans l'ensemble, les jeunes que nous voyons sont pris en charge par le ministère des Services communautaires de la province. Quand nous essayons de déterminer qui, au bout du compte, est chargé de leur fournir des soins et des services, nous nous adressons au travailleur social, c'est-à-dire au ministère des Services communautaires qui, lui, nous dit, « En fait, comme il s'agit d'un cas de santé mentale, nous allons le transférer au ministère de la Santé mentale. » Ce dernier répond, « Non, il s'agit plutôt d'un cas de trouble de comportement. Le dossier devrait être confié aux Services communautaires. »

Tous les deux reconnaissent l'existence du problème, mais ils continuent de renvoyer le jeune d'un ministère à l'autre. Le ministère de la Justice semble se débrouiller du mieux qu'il peut avec les services qui existent, mais tous se renvoient la balle. Les jeunes ne savent pas vraiment où aller. Il revient aux fournisseurs de services de décider qui est le mieux placé pour les prendre en charge.

Le président : Est-il juste alors de dire que le ministère de la Justice ou l'établissement d'incarcération constitue une sorte de fourre-tout, parce que c'est le seul endroit qui ne peut refuser les jeunes?

Mme Brennan : Oui. C'est ce que nous constatons.

Le président : C'est aberrant, mais c'est là la réalité.

Mme Brennan : Comme nous l'indiquons dans notre document de travail — et je trouve cela ironique, car j'étais une des étudiantes du professeur Kaiser à la faculté de droit —, de nombreux jeunes, en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, étaient gardés en détention aux fins d'évaluation en raison de la piètre qualité des services offerts au public. Les files et les listes d'attente étaient trop longues et nous ne pouvions compter sur les services existants pour procéder à des évaluations, proposer des options de traitement. C'était un problème, car on transférait au ministère de la Justice les cas de santé mentale qui relevaient de la responsabilité du ministère de la Santé. En vertu de la nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, vous devez être accusé d'avoir commis une infraction présomptive pour pouvoir recevoir une aide du fédéral et avoir accès à des services de santé mentale. C'est un virage à 180 degrés. Même si nous n'aimions pas le fait qu'on se servait du ministère de la Justice pour administrer les services de santé mentale, le ministère de la Santé et le ministère de la Justice ne fournissent plus de services complémentaires aux jeunes qui ne sont plus gardés en détention ou envoyés dans des établissements correctionnels.

Le président : En vertu de la nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, si vous n'êtes pas condamné à la prison, si vous n'êtes pas incarcéré dans un établissement, vous n'avez personne pour vous aider? Vous tombez entre les mailles du filet, vous vous retrouvez seul, prêt à récidiver?

Mme Brennan : Oui.

Le président : J'ai bien résumé la situation?

Mme Brennan : Si je me fie aux jeunes que nous rencontrons dans notre bureau, je dirais que oui, vous avez bien résumé la situation.

Le président : J'ai ici une citation que je vais vous faire parvenir parce qu'elle peut vous être utile. Il existe, en Ontario, un tribunal de la santé mentale qui relève de la Cour suprême. Il fait partie de la Section de première instance et compte trois juges — c'est le seul tribunal de ce genre dans le monde occidental. Lorsqu'une personne est considérée comme étant atteinte d'un problème de santé mentale, son cas est renvoyé à ce groupe particulier de juges qui, eux, sont épaulés par des psychiatres. Le juge en chef du groupe a déclaré que la seule façon qu'une personne peut obtenir des soins de santé mentale au Canada, c'est en commettant un crime, en se faisant dire qu'elle n'est pas mentalement apte à subir un procès. C'est dans cette seule et unique circonstance qu'elle pourra obtenir les meilleurs soins possibles.

Cette déclaration vient d'un juge qui ne s'occupe que des cas de santé mentale et qui est donc bien informé. Vous dites exactement la même chose, mais en adoptant un angle différent.

Mme Brennan : Oui, parce que nous n'aimions pas le fait que les jeunes, dans le passé, devaient se rendre à Waterville pour obtenir une évaluation adéquate, recevoir des soins appropriés ou être diagnostiqués comme souffrant d'une maladie mentale ou d'un problème de dépendance. Bien que l'objectif de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents soit louable, il ne semble pas y avoir d'établissements ou de centres communautaires qui sont en mesure d'accueillir les jeunes qui, normalement, auraient dû être pris en charge par les institutions pour jeunes délinquants.

Le président : Si nous trouvons cette situation aberrante, c'est parce que, franchement, personne d'entre nous n'en connaissait l'existence avant qu'on ne soit saisi du dossier, il y a deux ou trois ans de cela. M. Cox en a d'ailleurs parlé.

L'autre problème — et encore une fois, je m'adresse à tous les témoins —, c'est que les lois qui s'appliquent aux enfants visent les personnes âgées de moins de 16 ans. C'est peut-être différent en Nouvelle-Écosse. Les lois qui s'appliquent aux adultes visent les personnes âgées de 19 ans et plus. Nous savons que dans certaines provinces, à tout le moins, parce que nous en avons des preuves — l'Ontario et l'Alberta par exemple —, vous ne pouvez obtenir de l'aide si vous avez 17 ou 18 ans. Le système pour enfants ne peut vous prendre en charge parce que vous n'êtes pas un enfant, et le système pour adultes ne peut vous prendre en charge parce que vous n'êtes pas un adulte.

Il n'est pas difficile, en tant que législateur, de comprendre le pourquoi de cette situation. Dans le passé, un enfant s'entendait de toute personne âgée de moins de 18 ans. Quand on a décidé d'abaisser de 18 à 16 ans l'âge auquel un jeune peut obtenir un permis de conduire, on a oublié de tenir compte des répercussions que ce changement pourrait entraîner ailleurs dans le système. C'est moins ridicule qu'il n'y paraît, mais il aurait fallu s'attaquer à cette question. D'abord, s'agit-il d'un problème bien réel? Ensuite, où devons-nous tirer la ligne dans nos recommandations? À quel moment — nous voulons avoir votre avis — devons-nous dire que tel cas est un problème de santé mentale qui affecte un enfant, et que tel autre cas est un problème qui affecte un adulte? Comment venir à bout de ce problème?

M. Cox : D'abord, permettez-moi de vous donner un exemple. Nous avons un jeune de 18 ans dans notre unité des malades hospitalisés. Il s'y trouve depuis octobre. Il n'est atteint d'aucune maladie et ne souffre d'aucun problème mental. Les services communautaires ne pouvaient l'accueillir. Il s'est présenté à l'urgence de l'IWK et a été admis à l'hôpital. Nous essayons, depuis, de lui trouver un endroit où vivre. Nous avons trois ou quatre cas de ce genre sur notre liste.

Le président : Pourquoi a-t-il été admis s'il n'avait rien?

M. Cox : Les Services communautaires ne pouvaient pas l'aider. Il est aveugle.

Le président : Vous lui avez donné un lit dans un hôpital parce que le ministère des Services communautaires, pour reprendre vos mots, ne pouvait l'aider?

M. Cox : Oui, et nous essayons, depuis, de nous battre, de porter l'affaire en appel.

Le président : Il occupe un lit d'hôpital parce qu'il n'a pas d'autre endroit où aller? Il n'est pas malade?

M. Cox : Non, il ne l'est pas.

Le président : Il n'a pas commis de crime?

M. Cox : Non.

Le président : Vous comprenez pourquoi cela ressemble, pour le simple citoyen, à...

M. Cox : Les cas de ce genre ne sont pas rares.

Le président : Ce n'est pas un cas unique?

M. Cox : Non.

Mme Brennan : Ce qu'il faut comprendre, c'est que la Loi sur les services à l'enfant et à la famille dispose que le ministre doit offrir des services aux enfants âgés de 15 abs et moins. Dans le cas des jeunes âgés entre 16 et 18 ans, il peut leur en offrir, mais à sa discrétion. Le mot « doit » est considéré comme une obligation. Il existe des lacunes au niveau des services offerts aux jeunes âgés de 16 et 17 ans, parce que la loi dit que le ministre peut, à sa discrétion, leur en offrir. En règle générale, les nombreux jeunes qui ont besoin de services de ce genre ne respectent pas les plans d'intervention qui sont établis à leur intention et deviennent des jeunes à problème. Il est plus facile de mettre fin à une entente de soins ou de ne pas fournir de services, ce qui complique les choses, car les jeunes qui ont besoin de ces services ne peuvent y avoir accès parce qu'ils ont un problème de comportement.

Le président : En général, finissent-ils en prison? C'est ce qui arrive, n'est-ce pas?

Mme Brennan : Malheureusement, c'est là que nous les retrouvons parce qu'ils ont un comportement criminel, ou même pas. Ils ont été accusés pour pouvoir avoir accès aux services. Il y a aussi des enfants plus jeunes qui ont besoin de soins en raison de problèmes de toxicomanie ou de santé mentale, de l'aveu même de leurs parents; toutefois, comme ils viennent de milieux défavorisés, ils cèdent leurs droits parentaux au ministère des Services communautaires pour que leurs enfants puissent obtenir les services qu'il leur faut.

Le président : Si vous confiez votre enfant de 13 ans aux soins du gouvernement, en signant les bons papiers, celui-ci est obligé de fournir les services que vous n'auriez pas vous-mêmes les moyens de lui offrir?

Mme Brennan : C'est exact.

Le président : Dans ces circonstances, les enfants continuent-ils de vivre à la maison?

Mme Brennan : Oui, ils peuvent être renvoyés chez eux, selon la nature des problèmes de comportement.

Si un parent admet que son enfant souffre d'une dépression sévère, mais qu'il n'a pas un comportement nuisible ou violent, c'est plutôt une question de formalités. Vous cédez vos droits parentaux et l'enfant peut revenir vivre avec vous. Vous pouvez avoir accès à ces services, court-circuiter les longues listes d'attente et obtenir un lit à l'hôpital IWK.

Le président : Désolé, monsieur Cox, nous nous sommes éloignés du sujet. Je comprends mieux le problème. Voulez- vous revenir à mon autre question? Comment régler la question de la différence entre les adultes et les enfants, et où devrait-on tirer la ligne?

M. Cox : Il y a eu un léger changement il y a quelques années qui n'a pas amélioré les choses. L'hôpital IWK accepte des enfants jusqu'à l'âge de 16 ans, sauf dans le cas du programme de santé mentale. Dans ce cas, on les accepte jusqu'à l'âge de 19 ans en raison de la transition, mais le problème se pose toujours. Quand moi j'avais 19 ans, le psychiatre voulait que je sois hospitalisé mais, comme je ne pouvais pas être admis à l'hôpital IWK, il ne m'a pas envoyé à l'hôpital jugeant que ce serait néfaste pour ma santé de me retrouver dans le système des adultes, comme vous dites. On voudrait que le système pour adultes offre un peu de marge de manœuvre. Quand on veut qu'un jeune qui est sur le point d'avoir 19 ans soit traité comme un adulte, on attend quelques mois s'il a besoin d'être hospitalisé. Autrement, je ne sais trop quoi faire avec les jeunes de cet âge, à moins de crée un nouveau groupe d'âge. Le programme de soutien à Halifax est offert par la Laing House, qui reçoit des jeunes de 16 à 25 ans, ce qui est une tranche d'âge intéressante.

Le président : Dans une province, on nous a dit qu'il n'y avait pas d'adolescents, seulement des enfants, des jeunes et des adultes, et les jeunes ont entre 16 et 24 ans. C'est vraiment un grave problème, non?

La Dre Bayers : Pour revenir à votre question sur les lacunes dans les services, sénateur Kirby, je me demande même si j'ai besoin de signaler que c'est de l'âgisme que de refuser des services à des gens qui appartiennent à un certain groupe d'âge. J'aimerais cependant signaler que toute la « médicalisation » de la croissance et de la vie des jeunes est un phénomène qui m'inquiète. Par exemple, les troubles de l'alimentation sont un fléau pour les jeunes et les adultes. Le directeur administratif du Eating Disorders Action Group est ici dans la salle, et M. Cox est membre de son conseil d'administration. Le groupe essaie d'offrir des programmes d'entraide sur Internet ou dans le cadre de rencontres personnelles. On accueille surtout des femmes dans ces groupes, mais il y a de plus en plus d'hommes en raison des préjugés véhiculés dans la société notamment sur l'image corporelle. Voilà un domaine où nous pourrions faire de la prévention. J'ai une collègue dans le groupe sur les troubles de l'alimentation qui est allée parler de purge à des élèvesde 4e année. Une élève est venue lui dire qu'elle était au régime et qu'elle se purgeait sans le savoir et sans savoir que c'était nocif. C'est triste.

Toute la perception que les jeunes ont d'eux-mêmes, l'aide dont ils ont besoin et les services d'entraide dont il est question durant la Semaine de sensibilisation aux troubles de l'alimentation font d'après moi l'objet de lacunes. C'est difficile pour nous d'essayer d'inscrire un jeune de 14 ans à un groupe d'entraide sans la permission de ses parents. C'est très délicat.

Je suis inquiète de la « médicalisation » de ce que est associé aux problèmes de croissance des jeunes qui cherchent leur place dans le monde. Je suis préoccupée par la criminalisation des problèmes de santé mentale. J'ai les mêmes inquiétudes que mes collègues à ce sujet. Il y a des ONG locales qui offrent des programmes pour répondre à des problèmes précis.

Je félicite mes collègues qui donnent des cours de développement personnel.

Monsieur Cox, je ne sais pas si vous avez été invité à le faire, mais M. Muise et d'autres sont allés dans les écoles s'adresser aux enfants. On a demandé aux élèves s'ils voulaient entendre parler des troubles de l'alimentation par un psychiatre, un travailleur social ou une personne qui a connu ce problème. Plus de90 p. 100 d'entre eux préféraient en entendre parler par quelqu'un qui souffrait de troubles de l'alimentation.

Le président : Évidemment, ce n'est pas surprenant.

La Dre Bayers : Nous avons essayé de combler les lacunes. Nous avons mis en œuvre le programme Réseau ado, que le gouvernement fédéral a financé. Notre organisme communautaire comptait quatre jeunes travailleurs qui se rendaient dans les écoles pour faire connaître le service; quand l'aide fédérale a été épuisée, le ministère provincial de la santé nous a donné des fonds d'urgence pendant que nous tentions de trouver des ressources. Andy, si je ne m'abuse, le programme avait ses faiblesses. Il n'était pas parfait et nous voulions l'améliorer, mais il offrait aux jeunes une occasion extraordinaire de se réunir pour discuter de leur vie d'adolescent et des problèmes qu'ils éprouvent. Les jeunes cherchent vraiment leur place. Pour ce qui est des 17 et 18 ans, on a ouvert une clinique de santé mentale tout juste à côté d'une école secondaire, mais les jeunes devaient attendrent d'avoir 19 ans pour en utiliser les services. Allez comprendre! Nous devons faire beaucoup mieux pour aider ceux qui sont dans ce groupe d'âge.

M. Bishop : Dans l'intervalle, on pourrait d'abord faire en sorte que la loi rende la prestation des services obligatoire, quoique cela ne règle pas le problème. J'ai pu être associé à des incidents de ce genre et ce qui me dérangeait — comme je l'ai dit dans ma lettre — c'est que nous avons affaire à des gens et non à des processus. Il ne s'agit pas de chercher où caser les gens, mais de trouver des moyens de les aider. Je crois que la société a l'obligation de leur venir en aide parce que c'est une question de santé. Les administrations doivent assouplir leurs règles et envisager les choses dans une perspective plus large. Je crois qu'on parvient souvent à trouver des solutions quand on se demande comment on peut aider les gens et non où les caser.

Le sénateur Cochrane : Madame Bayers, j'ai une formation en enseignement et, comme vous le savez, c'est un domaine où il est beaucoup question d'équilibre et de compressions budgétaires. On a réduit les ressources en éducation physique et dans tout ce qui touche à la santé des enfants. La question des troubles de l'alimentation dont vous avez parlé me tient à cœur parce que j'en ai été témoin dans les salles de classe. On y retrouve des cas d'obésité, d'anorexie, d'hyperactivité avec déficit de l'attention, de syndrome d'alcoolisme fœtal, de schizophrénie et d'intimidation. Je me demande si les habitudes alimentaires liées à ces troubles pourraient être corrigées si on faisait jouer un rôle aux diététistes dans les programmes de santé mentale et dans les écoles.Pensez-vous que ce serait utile?

La Dre Bayers : L'école peut jouer un rôle de premier plan pour ce qui est de la bonne alimentation, de l'image corporelle et le reste. C'est pourquoi il est important que les organisations non gouvernementales, comme le Eating Disorders Action Group, et les nutritionnistes, aillent dans les écoles. Certaines écoles accueillent favorablement des initiatives de ce genre parce que les enseignants ne peuvent pas tout faire. Je suis d'accord avec ceux qui disent qu'un dollar dépensé à la maternelle permet d'en épargner sept plus tard.

Le système d'enseignement peut s'associer aux services de santé mentale pour fournir connaissances, compétences et ressources afin d'aider les gens à mieux manger. Je félicite le ministère de la Santé de la province d'avoir retiré les distributrices de boissons gazeuses et de chips des écoles pour offrir des aliments sains. Il est certain que les diététistes et d'autres ont un rôle à jouer. Les enseignants peuvent jouer un rôle parce que, qu'ils le veuillent ou non, ils sont appelés à intervenir quand il y a des problèmes de cette nature. Un élève qui a faim ou qui souffre physiquement ou mentalement aura des problèmes d'apprentissage. L'enseignant voudra tout faire pour lui venir en aide.

Le sénateur Cochrane : Comment les gens entendent parler des services offerts?

M. Bishop : Vous demandez comment ils peuvent en entendre parler?

Le sénateur Cochrane : Oui, comment les informe-t-on? Comment les mettons-nous au courant des services auprès desquels ils peuvent demander de l'aide? Il y a tellement de gens qu'on n'arrive pas à joindre. Comment leur indique-t- on où aller chercher de l'aide?

M. Bishop : Il faut les amener à faire confiance à ceux qui peuvent leur apporter de l'aide. Il y a tellement de gens et c'est pourquoi j'ai fait allusion à la proportion de un sur cinq tout à l'heure. Beaucoup de gens ne sont jamais traités et ne se manifestent jamais. Comment peut-on les atteindre s'ils n'ont pas confiance ou si on ne leur inspire pas confiance? Il faut aller rencontrer les gens et établir le contact avec eux. Les groupes bénévoles le font de façon formidable. Leur contribution est remarquable à cet égard et ils savent communiquer avec les gens. Il n'y a pas de réponse magique. Il faut, premièrement, changer les attitudes, deuxièmement, aller à la rencontre des gens et, troisièmement, faire beaucoup de prévention. Ensuite, les choses vont se mettre en place.

La formation est un autre problème. Les médecins sont-ils formés pour traiter ce problème comme une maladie? Je pense que nous pouvons tous profiter d'une plus grande formation. Dans le cas des policiers, je me rappelle qu'une dame était venue me voir plusieurs fois quand j'occupais mes anciennes fonctions pour faire des exposés sur la schizophrénie que les policiers ont du mal à comprendre. On a besoin de beaucoup plus d'information. Les intervenants de première ligne qui sont aux prises avec ces problèmes, que ce soit les policiers, les pompiers, les médecins, les travailleurs sociaux ou les bénévoles communautaires, ont besoin d'en apprendre davantage. Les enseignants à la retraite peuvent beaucoup aider. Je crois qu'il y a des bénévoles prêts à collaborer. Il est surprenant que le bénévolat diminue dans le Canada Atlantique, parce qu'il augmente dans certaines organisations.

J'ai déjà manqué d'argent et j'ai recruté 25 psychologues bénévoles qui ont travaillé avec vous, d'anciens aumôniers triés sur le volet. Ils ont apporté leur contribution au moment de la tragédie de Swiss Air et ils ont rendu toutes sortes d'autres services. Beaucoup avaient une formation et étaient efficaces. Pourquoi? Parce que les gens leur faisaient confiance, toutcomme les organisations. Les gens allaient les voir et ils se sont joints à 70 autres bénévoles. Tout à coup, vous pouvez offrir des services d'intervention d'urgence dans les casernes de pompiers et ailleurs. C'est beaucoup mieux.

Je pense que le bénévolat dont parle Mme Bayers est énormément sous-estimé. On n'a pas à donner trop d'argent; le bénévolat a son rôle à jouer.

M. Cox : C'est une autre grande lacune, à mon avis. Le système ne fait pas confiance à toutes les précieuses ressources sans but lucratif et bénévoles. Il ne les prend pas au sérieux et ne fait pas appel à elles. L'hôpital IWK, quand je suis arrivé, ne connaissait aucune de ces organisations. Il ne faisait pas confiance à ces organisations dont beaucoup offraient des services de santé mentale aux jeunes. Ces organismes sans but lucratif n'avaient pas assez de financement et ne voulaient rien savoir du système. C'est compréhensible, mais ce n'est pas un partenariat. Le partenariat est mon objectif.

Le président : Dans quelle mesure les professionnels, dans tous les domaines, n'ont-ils pas le réflexe de ne pas faire confiance aux amateurs, ou de penser que les amateurs ne sont pas compétents? Est-ce que cela entre en ligne de compte?

M. Cox : Je dirais que oui à 90 p. 100.

Le président : Oui, malgré tous les faits reconnus et d'après les questionnaires que nous avons reçus, ce que M. Muise nous a dit hier et ce que Mme Bayers vous a dit ce matin, les groupes d'entraide sont une des principales ressources que vous pouvez offrir. Pourtant, les professionnels hésitent à reconnaître leur utilité, simplement parce que ces groupes ne sont pas professionnels.

M. Cox : Oui, cependant, vous savez probablement que nous sommes la première province à fixer des normes en matière de santé mentale, et une des normes établies par notre ministère de la santé consiste à améliorer les relations entre les ONG et le réseau. Je trouve que c'est encourageant.

Le président : Que faites-vous en ce sens?

M. Cox : Des représentants du réseau et des représentants des organismes communautaires sans but lucratif se réunissent pour établir une norme. Maintenant, nous devons répondre à cette norme.

Le sénateur Cochrane : Madame Bayers, où se trouve votre groupe d'entraide? Est-il en milieu urbain ou rural? Je m'inquiète des services dans les régions rurales. Ces régions ne semblent pas avoir assez de services parce qu'il y a moins de professionnels et que la population est moins grande. Votre organisme offre-t-il des services dans les secteurs ruraux?

La Dre Bayers : Sénateur Cochrane, offrir des ressources dans les secteurs ruraux est un problème. Nous sommes établis dans le district central. Il y a neuf districts de la santé en Nouvelle-Écosse et une population de 400 000 habitants. Environ 80 p. 100 de nos activités ont lieu ici parce que nos bureaux s'y trouvent, mais nous nous déplaçons pendant l'année. Nous sommes allés dans chacun des districts pour offrir des ateliers de développement des capacités de leadership. Nous répondons aux invitations quand nous avons les moyens de le faire. Quand nous manquons d'argent, nous demandons si les gens peuvent faire une petite contribution.

C'est un défi d'offrir des services dans les secteurs ruraux. Nous avons une liste des services disponibles pour répondre au sénateur Kirby qui a posé une question à ce sujet. M. Muise produit un guide appelé « Navigating the Mental Health System and Beyond » de sorte que nous essayons de repérer les gens qui peuvent aider, peu importe où ils se trouvent en Nouvelle-Écosse. Il est vrai que des gens dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse n'ont même pas de médecin. C'est un défi d'aller dans ces secteurs, comme je l'ai dit. L'accès est un problème, mais les groupes d'entraide permettent aux citoyens de se réunir; les gens peuvent former un groupe d'entraide dans une petite localité comme Country Harbour où je suis allée parler de l'entraide. Les gens des régions rurales ont toujours été débrouillards, et nous pouvons miser là-dessus pour les aider quand nous le pouvons et quand on nous invite à former des groupes. Cependant, c'est assurément un problème. Plus on s'éloigne de Halifax, plus les services diminuent.

Le sénateur Cochrane : Allez-vous vers les gens ou viennent-ils à vous?

La Dre Bayers : Nous allons vers eux; nous nous déplaçons. Nos six employés, si on inclut notre Consumer Initiatives Centre, vont un peu partout dans la province. Nous avons visité chaque recoin. Dans nos bureaux, il y a une carte qui indique où nous sommes allés; si jamais vous voulez la voir, venez faire un tour. Le défi a toujours été de déterminer si nous devions aller où on nous le demande, ou bien aller où il y a des besoins. Notre philosophie est de collaborer, pas de nous imposer. Nous ne décidons pas d'établir un groupe d'entraide pour les personnes en deuil à Amherst, à moins que les gens de la place ou les professionnels de la santé veuillent travailler avec nous. Nous devons choisir entre être réactif ou proactif, et c'est difficile de donner de l'aide en milieu rural.

J'aimerais aussi souligner le fait qu'il y a des professionnels dévoués qui travaillent avec acharnement dans le domaine de la santé mentale et je tiens à les féliciter. Mes collègues des ONG et ceux qui travaillent dans le système font tout ce qu'ils peuvent avec les ressources à leur disposition, mais il y a des manques.En milieu rural, nous faisons ce que nous pouvons. Notre budget est grandement mis à l'épreuve. Par exemple, nous avionsenvoyé deux employés à cap Breton pour tenir un atelier sur le leadership et la vie saine. Ils n'ont pas pu quitter l'endroit en raison d'une tempête qui a sévi pendant trois jours; nous avons dû dépenser 1 500 $, soit la moitié du budget consacré aux déplacements. Je dois faire preuve de beaucoup d'ingéniosité pour trouver des moyens de me déplacer dans la province; même si les régions rurales posent toujours un défi, nous irons partout, en tout temps.

Le sénateur Cook : Le fait bénévole m'intrigue. Avez-vous déjà effectué une analyse des coûts que représente le bénévolat lorsque vous préparez un budget qui sera soumis aux gouvernements? Je pense que ce serait utile. Vous parlez d'environ 500 groupes; combien y a-t-il de personnes dans votre groupe?

La Dre Bayers : Sénateur Cook, il s'agit de groupes d'entraide individuels. Nous estimons que notre réseau d'entraide se compose d'environ 15 000 à 20 000 personnes. Certains groupes sont très ingénieux. Lorsque je demande une augmentation de mon budget, je souligne non seulement ce qu'il en coûte au chapitre des ressources, mais aussi les énormes retombées de chaque dollar dépensé. Évidemment, les coûts associés aux déplacements continuent d'augmenter. Nous essayons de présenter un plan d'affaires et une analyse des coûts, mais je crois que nous devrons nous tourner vers des économistes de la santé pour démontrer les coûts au chapitre de la prestation de services ainsi que le rendement du capital investi. Je crois qu'on peut parler d'un bon rendement.

Le sénateur Cook : Je travaille dans un environnement semblable. Lorsque j'ai accepté de relever le présent défi, j'ai dû abandonner certaines activités, mais j'en ai gardé une.Lorsque nous avons vidé les hôpitaux psychiatriques dans les années 1970 et 1980, du moins dans ma province, ces gens n'avaient pas accès à un soutien adéquat. On les retrouvait sur les coins de rue et dans les restaurants où ils ne pouvaient s'offrir qu'une tasse de thé ou de café. C'est devenu un problème pour tout le monde, y compris pour le client. Il a fallu leur trouver un abri vu notre climat. Nous avons constitué un groupe et avons pu obtenir, en collaboration avec l'Association canadienne pour la santé mentale, un bâtiment qui appartenait à la SCHL. Nous avons pu ainsi leur offrir ce que nous pouvions, c'est-à-dire un endroit à l'abri du froid et de la noirceur. Nous avons eu une petite subvention du gouvernement, ce qui nous a permis d'embaucher un travailleur; vous comprendrez sûrement que c'est une survie au jour le jour.

Ce mois-ci, ça va faire 25 ans que nous existons, et rien n'a vraiment changé. Nous avons dû déménager sept ou huit fois parce que les gens du voisinage ne voulaient pas ce genre de personnes dans leur quartier. Je n'ai pas encore saisi ce qui les inquiétait, mais nous avons déménagé. Actuellement, nous sommes dans un endroit merveilleux.

Nous avons un programme amélioré, et je crois que sa réussite est attribuable au fait que nous devons nous battre puisque nous sommes sous-financés et que nous n'avons presque rien. On ne peut pas laisser ces gens devant la télévision toute la journée. Nous avons aménagé un fumoir doté d'un grand ventilateur pour souffler la fumée à l'extérieur, mais ce n'est pas assez. Les gens ont faim; ils achètent un repas une journée, et le lendemain on leur en donne un gratuitement. Ça coûte 50 cents, mais ça marche. Nous accueillons parfois quelque 90 personnes. Puisque nous n'avons pas d'autres ressources, un groupe va au supermarché, un autre prépare le repas, un autre le sert et un autre fait le nettoyage. On appelle ça des connaissances élémentaires.

Nous avons aussi examiné nos ressources humaines pour trouver une personne qui pourrait interagir avec les gens qui ont besoin d'aide. Nous avons communiqué avec l'école des sciences infirmières et l'école des travailleurs sociaux, et nous sommes allés dans des parcs de récréation provinciaux pour que les gens puissent marcher et faire d'autres activités car nous n'avions pas d'argent pour faire quoi que ce soit d'autre. Selon moi, c'est une histoire de réussite.

L'équipe-école des Maple Leafs, à Terre-Neuve, nous a donné de l'argent, mais puisque l'équipe quitte l'endroit, nous avons perdu notre subvention à mi-chemin.

Aussi incroyable que ça puisse paraître, nous offronsun programme d'alphabétisation. Nous avons quelques ordinateurs dont personne ne veut ou qui sont trop lents. Nous avons subi une baisse de financement et nous nous sommes retrouvés avec un manque à gagner de 2 000 $ alors qu'il y avait de 10 à 12 personnes inscrites dans le programme d'alphabétisation. Nous étions dévastés. Je suis revenu à la maison, une fin de semaine, en me disant que nous devions faire quelque chose. Mais quoi? Nous nous sommes procurés un arbre de Noël, l'avons installé dans un hôtel de l'endroit, vendu des billets à 1 $ et avons fini par recueillir assez d'argent pour maintenir le programme d'alphabétisation. Dans le cadre de cette démarche, nous nous sommes ouverts à la collectivité. Nous avons demandé qu'on nous prête un endroit pour faire un tirage conformément aux règles du programme de loterie de la province. Nous avons invité tous nos amis et d'autres personnes, ce qui a permis à la population d'en apprendre davantage sur la santé mentale et les problèmes qui y sont associés. Malheureusement, nous ne pouvions pas inviter nos clients parce que nous servions du vin et que nous n'encourageons pas la consommation d'alcool.

Ce que je veux dire, c'est qu'il se passe de bonnes chosesdans le secteur bénévole, mais elles demeurent inconnues. D'après mon expérience, c'est attribuable en majeure partie ausous-financement. Je vais parfois demander à mon église si elle peut faire un don de quelques centaines de dollars au Pottle Centre. Comme vous le dites, madame Bayers, nous vivons au crochet des autres, mais je crois que ça fait partie de nos forces. Nous devrions raconter notre histoire aux gens qui financent les mégaprojets et les programmes nationaux. Ces programmes sont merveilleux, mais si personne ne prend la relève, la société s'en trouve privée.

La Dre Bayers : Je vous félicite, madame. On dirait que vous êtes une amie des utilisateurs et un défenseur. Nous sommes fiers d'avoir survécu dans un environnement financièrement strict. Nous sommes des guerriers spirituels et ne cesserons de nous battre pour survivre car notre travail est important; je vous félicite donc pour ces 25 ans d'existence.

Le président : Il faut faire des pieds et des mains.

Le sénateur Cook : Pour ce qui est de la banque alimentaire, nous ne savions pas quoi donner, et il ne faut pas se raconter des histoires : les gens donnent ce dont ils n'ont pas besoin. Nous avons communiqué avec l'école de nutrition de l'Université Memorial et lui avons demandé qu'elle nous donne un panier à provisions. J'espère qu'un jour on se penchera sur la valeur des bénévoles dans notre société, particulièrement dans le domaine de la santé mentale, et dans la sous-culture où nous travaillons.

Mme Brennan : J'aimerais qu'on fasse attention à une chose; je ne veux pas que les gens pensent que pour régler un problème de financement, il suffit d'injecter plus d'argent. Il faut que le financement soit mieux alloué. Si tout l'argent pouvant être versé était alloué correctement, on pourrait venir en aide à des organisations comme la vôtre. Ce que l'on constate, c'est qu'il n'y a d'approche ministérielle interdisciplinaire. On dirait que tout le monde a des services à offrir, mais, malheureusement, bon nombre se chevauchent, ce qui peut entraîner un gaspillage d'argent. Je ne veux pas parler de gaspillage, mais...

Le président : Non, mais vous avez raison.

Mme Brennan : Je ne crois pas que les ressources soient l'unique...

Le président : Non. Une des choses intéressantes que nous avons faite pendant notre étude du réseau des soins de courte durée et du système hospitalier et médical — contrairement à ce qu'on voit dans les débats fédéral-provinciaux typiques où l'argent est l'élément central —, c'est que nous avons adopté une position selon laquelle l'argent n'était qu'un moyen d'obtenir quelque chose. C'était le dernier chapitre de notre rapport. Nous avons formulé une série de recommandations, dont bon nombre sont mises en œuvre différemment dans diverses provinces. Nous avons fait des recommandations et avons déterminé ce qu'il en coûterait pour les mettre en œuvre au lieu de faire comme d'habitude, c'est-à-dire d'injecter encore plus d'argent pour régler le problème. Croyez-moi, nous allons procéder de la même façon ici, c'est-à-dire que nous allons commencer par chercher à savoir comment il faut procéder pour changer le système. Ensuite, nous déterminerons ce qu'il en coûtera. Nous préférons agir ainsi au lieu de chialer contre le fait qu'il n'y a pas assez d'argent.

Le sénateur Cordy : J'aimerais m'adresser à M. Cox au sujet de la stigmatisation et de la discrimination. Nous avons entendu à maintes reprises qu'on veut atténuer ce problème, mais il perdure même si nous essayons d'enrayer la stigmatisation et la discrimination dont sont victimes les utilisateurs du système de santé mentale.

Pour ce qui est des adolescents qui souffrent de maladie mentale, c'est un double, sinon un triple, coup dur. Pour avoir enseigné au primaire — j'étais professeur à la maternelle, et je suis d'accord avec tout ce qu'a dit Mme Bayers —, je sais que les enfants jusqu'à l'âge de huit ou neuf ans, par exemple, iront voir en gambadant l'enseignant-ressource. Mais j'ai enseigné en sixième année à des enfants de 11 et 12 ans; à cet âge, ce n'est pas aussi agréable d'aller voir l'enseignant-ressource, c'est comme si on les pointait du doigt. C'est pire si l'élève ou l'adolescent est traité pour une maladie mentale. Comment aider un adolescent à passer à travers les épreuves de la vie en plus de sa maladie mentale? Comment réglez-vous ça en tant que défenseur des adolescents?

M. Cox : Il faut aborder ça dans un contexte systémique ou indirectement par l'éducation. Je crois que la santé mentale devrait figurer dans le programme scolaire. J'ai mentionné vendredi que l'éducation sexuelle se fait tôt dans le programme, mais pourquoi ne pas parler de la prévention des maladies mentales et de la stigmatisation qui y est associée?

La seule discrimination tolérée par la société est celle contre les gens atteints de maladie mentale. Si je suis à l'école et que je fais une remarque raciste, je vais être, à juste titre, réprimandé. Si je vous dis que vous êtes fou, je n'aurai aucun problème; voilà un exemple de stigmatisation.

Je pense qu'on peut aborder cet enjeu par l'éducation et des groupes comme Réseau Ado, qui a été fondé par Ian Manion et Simon Davidson, dont bon nombre d'entre vous connaissez, à Ottawa. Il y a aussi Laing House, qui est un groupe de personnes souffrant de troubles mentaux qui invite d'autres jeunes à venir les rencontrer et qui va vers des jeunes atteints de maladie mentale pour montrer aux jeunes qu'on peut quand même être cool même si on a une maladie mentale. Il y a tant à faire pour sensibiliser les enseignants, évidemment, et les parents. Je pense que ce rôle devrait en grande partie revenir aux clients eux-mêmes. Je donnais des conférences dans des écoles. Que mon auditoire ait été composé de 10 élèves ou d'une salle complète — je partageais souvent la tribune avec des cliniciens ou des enseignants — j'étais l'intervenant auquel on posait le plus de questions et celui qui intéressait le plus les jeunes parce que, comme je l'ai mentionné plus tôt, je suis un client. Il revient d'abord aux clients de sensibiliser les autres.

Le sénateur Cordy : J'ai dit hier que si la population pouvait entendre tout ce que nous ont dit les clients pendant nos délibérations un peu partout au pays, il n'y aurait plus de discrimination. Mais il existe actuellement un stéréotype entourant les personnes souffrant de maladie mentale.

M. Cox : Il y a une autre chose que je voulais mentionner vendredi, c'est que j'aimerais qu'une personnalité canadienne s'avance non seulement pour dévoiler sa maladie mais aussi comme porte-parole d'une fondation. On entend parler de fondations comme celle de Lance Armstrong pour le cancer. Je suis allé à une partie des Red Sox, à Boston, et ils ont parlé de fondations pour la maladie de Lou Gehrig, l'alphabétisation, le cancer et la sclérose en plaques. On n'entend jamais parler des maladies mentales et on n'entend jamais des personnalités dire qu'elles en souffrent. Et quand ça arrive, ces gens ne font rien ensuite, et je ne comprends pas ça.

La Dre Bayers : Brooke Shields a parlé de sa dépressionpost-partum; certaines personnalités se sont avancées ici.

Le sénateur Pépin : Je me trompe peut-être, mais il me semble que quelqu'un en a parlé ce week-end. Svend Robinson a parlé de sa maladie tout comme l'ancien ministre des Finances, Michael Wilson.

Le président : C'était son fils, mais vous avez raison.

Le sénateur Pépin : Il en faut davantage.

M. Cox : Je parle des gens qui plaisent aux jeunes, comme les vedettes du rock.

Le président : Vous avez besoin de modèles pour les jeunes.

J'aimerais vous remercier tous d'être venus aujourd'hui. Ce fut une séance matinale très intéressante et instructive.

La séance est levée.


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