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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 16 - Témoignages du 31 mai 2005 - Séance de l'après-midi


WINNIPEG, le mardi 31 mai 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 13 h 15 afin d'examiner divers sujets concernant la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Wilbert J. Keon (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénateurs, notre premier témoin cet après-midi est Christina Keeper, de l'Assemblée des chefs du Manitoba.

Mme Christina Keeper, Équipe de la prévention du suicide, Assemblée des chefs du Manitoba : Sénateurs, j'aimerais commencer par préciser que je suis actuellement vice-présidente du Comité de la prévention du suicide de l'Assemblée des chefs du Manitoba. Je suis comédienne de formation et je me suis intéressée à cette question en 1999, lorsque j'ai travaillé à un projet de théâtre pour la prévention du suicide ciblant les jeunes Autochtones du Manitoba. À l'époque, nous avions énormément de problèmes, en raison du manque de ressources.

Je vous présente la partie du rapport que nous avions rédigé dans la région avec le comité de prévention. Le rapport s'intitule « Towards a First Nations Suicide Prevention Strategy in Manitoba ». En cri, on l'appelle Kanatan Pimatisiwin, ce qui signifie plus ou moins « Le caractère sacré de la vie ».

Introduction : Les chefs ont adopté en mai 2003 la Résolution no 6 de l'Assemblée des chefs du Manitoba concernant la prévention du suicide chez les jeunes des Premières nations. Cette résolution appuyait les activités entreprises par le Secrétariat jeunesse de l'Assemblée des chefs du Manitoba relativement à la prévention du suicide, ainsi que la proposition concernant une stratégie de prévention du suicide pour les Premières nations du Manitoba.

Objectif du projet : Le projet de prévention du suicide chez les Premières nations du Manitoba avait pour objectif d'élaborer une stratégie destinées aux Premières nations du Manitoba, ainsi qu'un plan d'action pluriannuel visant à influencer les habitants des Premières nations afin que le suicide ne soit plus une option; à transformer les attitudes, les politiques et les services afin de mobiliser dans cette direction les efforts des gouvernements, des organisations et des particuliers pour élaborer des modèles de prévention, d'intervention et de postvention pour les Premières nations.

Le processus à long terme de la stratégie de prévention du suicide chez les Premières nations du Manitoba s'appuie sur quatre piliers.

1. Une équipe de prospective composée d'anciens, de facilitateurs, de spécialistes, de travailleurs de première ligne et de jeunes chargée de guider le processus.

2. Un cadre d'information et de connaissances approprié, complet, disponible et accessible.

3. Une stratégie visant à garantir et développer la capacité des collectivités, des organisations et des particuliers à utiliser l'information et les connaissances de manière efficace.

4. Une infrastructure qui facilite l'information et la communication.

Le directeur de projet/chercheur a dirigé la recherche, y compris l'examen des documents d'étude, la réalisation des entrevues, des visites sur place et des consultations avec le coordonnateur de la prévention du suicide de l'Assemblée des chefs du Manitoba. Les résultats des recherches ont fait l'objet de discussions qui ont permis de jeter les bases de la stratégie de prévention du suicide et du plan d'action pluriannuel.

Le comité de prospective regroupait des membres des Premières nations du Manitoba et comprenait un psychologue, un coordonnateur du programme Pour des collectivités en bonne santé; un professeur de sciences sociales à l'Université du Manitoba; un travailleur de développement communautaire qui est également un ancien; un survivant, Mite'win, pratiquant de la danse du soleil, gardien du calumet, qui est également un ancien; l'adjoint administratif du directeur des programmes du Centre de ressources éducatives des Premières nations du Manitoba; le coordonnateur de la prévention du suicide chez les jeunes du Manitoba auprès de l'Assemblée des chefs du Manitoba; le directeur général du Secrétariat jeunesse des Premières nations du Manitoba de l'Assemblée des chefs du Manitoba; et un éducateur.

Déclarations du comité de prospective : Les programmes et services destinés aux Premières nations doivent être culturellement adaptés et par conséquent élaborés et dispensés par des gens des Premières nations ayant les connaissances culturelles et les qualifications nécessaires. La stratégie doit prendre en compte les principes de notre vision du monde traditionnel selon laquelle tout est relié dans la vie, doit affirmer que le suicide n'est pas traditionnel dans notre peuple et doit faire connaître la souffrance vécue par les représentants des Premières nations qui ont subi les efforts de colonisation.

Le contexte : La plupart des recherches actuelles révèlent le risque élevé et les facteurs qui contribuent au suicide parmi la population des Premières nations et proposent des recommandations précises; les ressources nécessaires pour examiner cette question soit au niveau régional, soit au niveau local, continuent de faire gravement défaut. Ni le gouvernement fédéral, ni le gouvernement du Manitoba n'ont une politique d'examen de la question du suicide.

Le risque étant particulièrement élevé chez les Premières nations, il est indispensable de consacrer des ressources et des compétences spécialisées à la prévention, à l'intervention et à la postvention.

Les recherches qui ont précédé la rédaction du présent rapport se sont appuyées sur la documentation existante, un examen des modèles et les enseignements des anciens.

La documentation consultée comprend un grand nombre de stratégies, programmes, modèles et rapports concernant la prévention du suicide en provenance du Canada, des États-Unis, d'Australie et de Nouvelle-Zélande.

Le modèle examiné était le programme de santé mentale et des services sociaux de la nation apache Jicarilla. Ce modèle a été retenu étant donné qu'il avait été reconnu et recommandé par deux récents rapports canadiens : Agir selon ce que nous savons : la prévention du suicide chez les jeunes des Premières nations et Prévention du suicide et promotion de la santé mentale chez les Premières nations et les communautés inuites.

Le troisième volet de l'étude concerne les enseignements des anciens des Premières nations en ce qui a trait au suicide. Ces enseignements nous sont transmis par la tradition orale et sont également évoqués dans un extrait d'un discours prononcé en 1989 par Tobasonakut Kinew intitulé « Healing Our Own, Our Traditions Speak to Us Today ».

Les anciens du comité de prospective ont fourni un soutien spirituel, des conseils basés sur leur propre expérience de survivants et les connaissances traditionnelles de leurs cultures. Ils nous ont dit : « Il ne faut ménager aucun effort pour s'attaquer à ce grave problème. Notre mission dans ce monde est de préserver la vie et le suicide est étranger à la tradition de notre peuple. »

Les principales constatations du rapport ont été les suivantes : le cadre de la santé mentale peut peut-être s'avérer efficace pour lutter contre le suicide dans le grand public, mais, dans le cas des Premières nations, il faut tenir compte dans la pratique du risque plus élevé auquel ont été soumises historiquement les Premières nations; renforcer les modèles afin de refléter le contexte culturel des Premières nations et examiner les facteurs de défense au sein de la population, y compris les valeurs, connaissances et pratiques culturelles et spirituelles, ainsi que les connaissances des anciens.

Le rapport note également que le taux de suicide chez les Premières nations ne diminue pas — un effort soutenu avec engagement et financement, est nécessaire. Cela doit se faire nation par nation, y compris pour les étapes de l'élaboration, de la mise en œuvre et de la promotion. La recherche doit être lancée par les Premières nations ou avec leur collaboration. La recherche doit porter sur le parasuicide. Les comportements suicidaires sont des facteurs de risque importants. Le suicide et le parasuicide sont inévitablement liés aux tentatives de colonisation des Premières nations. Il s'agit là d'un traumatisme historique manifeste.

La lutte contre le suicide et les stratégies de prévention du suicide doivent prendre en compte le contexte historique et culturel des Premières nations. Les Premières nations de la région du Manitoba méritent d'être appuyées dans leur démarche de lutte contre le suicide.

La stratégie :

1. Établir un centre de mieux-être des Premières nations, afin d'assurer la prévention du suicide.

2. Sensibiliser la population des Premières nations au contexte du suicide.

3. Présenter la prévention du suicide comme une question importante dans les collectivités des Premières nations.

4. Établir un réseau pour la représentation et la promotion politique à l'échelle nationale et régionale.

5. Mettre au point des mécanismes permettant de recueillir les ressources nécessaires pour l'application d'une stratégie de prévention du suicide.

6. Faciliter l'accès aux ressources en matière de prévention du suicide utiles aux Premières nations.

7. Former le personnel professionnel et de soutien à la prévention du suicide et aux diverses cultures des Premières nations.

8. Promouvoir et appuyer la recherche sur le suicide et la prévention du suicide adaptée au contexte des Premières nations.

Les activités récentes et actuelles du comité de prospective de l'Assemblée des chefs du Manitoba en 2005 sont un atelier sur la prévention du suicide en partenariat avec l'ONSA, l'Organisation nationale de la santé autochtone, et la région visée par le Traité no 3; un partenariat de recherche sur la santé de la population/méthodologie indigène avec Chris Lalonde, de l'Université de Victoria, et le Manitoba First Nations Centre for Aboriginal Health Research à l'Université du Manitoba.

Le sous-ministre adjoint de la DGSPNI s'est engagé à financer les initiatives de prévention du suicide mises en œuvre par l'Assemblée des chefs du Manitoba. Cet engagement englobe le Secrétariat jeunesse de l'ACM et le Manitoba First Nations Education Resource Centre.

Aucune décision ne sera prise sans la participation intégrale de l'Assemblée des chefs du Manitoba sur le projet d'investissement en amont dans la prévention du suicide chez les jeunes.

M. Jason Whitford, coordonnateur du Conseil de la jeunesse, Assemblée des chefs du Manitoba : Bonjour. Merci de m'avoir donné la possibilité de venir présenter mon témoignage au comité. Je suis un Ojibwa membre de la Première nation de Sandy Bay. Je suis né et j'ai grandi ici à Winnipeg. Je suis père de deux enfants.

Je suis membre de l'Assemblée des chefs du Manitoba depuis près de huit ans et demi. Pendant une dizaine d'années, j'ai travaillé avec les jeunes des Premières nations afin de créer des débouchés et de mettre au point des stratégies visant à aborder de nombreux problèmes, notamment le suicide.

J'ai été touché personnellement, puisque j'ai perdu un frère il y a un peu plus de 11 ans. Il aurait eu 26 ans aujourd'hui. Amanda a vécu personnellement la même épreuve et a perdu elle aussi un frère.

Amanda, Kathy et moi sommes formateurs en matière de prévention de suicide. Depuis environ deux ans maintenant, nous faisons de la formation à l'assistance. C'est une des nombreuses interventions que nous faisons auprès des jeunes dans la région du Manitoba. Comme vous le savez, la population des Premières nations connaît une croissance très rapide et la population de jeunes est très diversifiée. Les jeunes sont très nombreux.

Le département jeunesse s'occupe également des emplois d'été. Depuis six ans, nous proposons des stages aux jeunes, nous créons des emplois pour eux, nous présentons des activités traditionnelles, nous transmettons les valeurs et les enseignements traditionnels. Nous avons pris part à des consultations sur le service de police de Winnipeg et la GRC, afin de tenter de combler le fossé entre les jeunes et la police, d'améliorer la sécurité sur les lieux de travail et, encore une fois, de promouvoir la prévention du suicide.

Permettez-moi de revenir un peu en arrière. Il y a environ trois ans, nous avons participé à des consultations sur la Stratégie nationale des jeunes Autochtones et identifié les neuf secteurs prioritaires. Dans un sens, nous avons organisé des auditions semblables. Nous avons parcouru toutes les régions urbaines et rurales du Manitoba et nous avons parlé en tout à 900 jeunes des Premières nations ou des Métis et je pense qu'il y avait même un Inuit. Nous leur avons demandé quelles étaient leurs priorités dans les neuf catégories examinées et dans le domaine de la santé. Le suicide était la plus grande préoccupation et les jeunes considéraient que ce problème méritait une attention immédiate.

Le second domaine le plus souvent signalé était le besoin de loisirs, d'installations et de ressources de loisirs pour la jeunesse dans les réserves.

Il y a deux ans, nous avons également témoigné devant le Comité des affaires urbaines autochtones. Nous avons accueilli le comité permanent dans un de nos bureaux et le rapport nous a cités pour notre pratique exemplaire. Ce fut un honneur pour nous. C'est bon d'être reconnus.

Par ailleurs, parmi les 300 personnes environ que nous avons rencontrées pour parler de prévention du suicide, environ 95 p. 100 avaient été directement touchées dans leur famille ou parmi leurs amis.

Par contre, dans la société en général, c'est le contraire. Le suicide touche probablement 10 p. 100 de la population générale par la perte d'un membre de la famille ou d'un ami proche. Par conséquent, c'est un problème très grave qu'il faut absolument examiner. Cela étant dit, je laisse la parole à Amanda qui va vous parler d'autres types d'interventions.

Mme Amanda Meawasige, Conseil de la jeunesse, Assemblée des chefs du Manitoba : Je suis une Ojibwa membre de la Première nation de Eagle Lake, en Ontario. Je travaille avec l'Assemblée des chefs du Manitoba et le Secrétariat jeunesse comme coordonnatrice de la prévention du suicide, depuis un an maintenant.

Je pense que le département jeunesse est unique dans son approche pour la mise en place de programmes de prévention du suicide chez les jeunes. Pour aborder le problème du suicide, nous avons tenté de mettre au point une approche holistique qui touchera je l'espère les jeunes qui sont le plus directement concernés par le suicide. Les jeunes sont le public cible de tous nos programmes. Nous voulons toucher les jeunes qui représentent le segment de la population dont la croissance est la plus rapide. Bientôt, ces jeunes atteindront l'âge où ils sont le plus vulnérables et le problème continuera de prendre de l'ampleur.

Voilà essentiellement la base de notre formation. Nous voulons former les jeunes afin qu'ils puissent venir en aide aux autres jeunes. En effet, les recherches indiquent qu'un jeune songeant au suicide s'adressera plus volontiers à un ami qu'à un adulte ou à un enseignant.

Nous avons organisé un programme pilote de cinq jours dans la collectivité. Dans le cadre de cette formation, nous avons répertorié les ressources pour aider les collectivités à définir les rôles et les responsabilités des différents organismes afin qu'ils puissent collaborer et mieux coordonner leurs services ainsi qu'identifier les lacunes dans les services existants.

Connaissez-vous le Programme national de lutte contre l'abus d'alcool et de drogues chez les Autochtones? Ce programme relève de l'initiative Grandir ensemble. Au cas où vous ne seriez pas au courant, les travailleurs de Grandir ensemble et du programme Pour des collectivités en bonne santé assument entièrement la responsabilité du mandat de santé mentale des Premières nations. Ils sont censés appuyer les activités communautaires à l'intérieur d'un cadre de développement communautaire qui encourage le bien-être des enfants, des familles et des collectivités des Premières nations. Ce cadre englobe le secteur de la santé mentale, du développement de l'enfant, du rôle parental, de la santé des bébés et de la prévention des blessures. Ses objectifs consistent à sensibiliser la population et renforcer les connaissances et les aptitudes des travailleurs de première ligne et des membres de la collectivité dans ces domaines; à offrir des possibilités d'améliorer les services de santé et à mettre en place des projets modèles dans la collectivité; à aborder de façon communautaire, holistique et intégrée les problèmes de santé touchant les enfants et les familles; à améliorer la santé des enfants en facilitant la prévention et la détection précoce des problèmes de santé; à appuyer le développement communautaire et à assurer des soins de santé intégrés et coordonnés pour les enfants et la famille dans un secteur des services sociaux.

Actuellement, les travailleurs de Grandir ensemble et du programme Pour des collectivités en bonne santé sont chargés du mandat de la santé mentale. C'est inscrit dans leur description de tâches qui est très vaste. C'est à l'origine d'une grande confusion au niveau communautaire en matière de prestation des services.

D'autre part, tout le travail que nous entreprenons repose sur la conviction que les collectivités disposent du potentiel nécessaire et que nous devons travailler avec les ressources existantes afin d'augmenter les capacités pour aider les collectivités à être autosuffisantes.

Mme Kathleen McKay, Conseil de la jeunesse, Assemblée des chefs du Manitoba : Bonjour. Je suis une Crie et Ojibwa de la nation crie Nisichawayasihk et de Pine Creek. Cela fait près de deux ans que je travaille avec l'Assemblée des chefs du Manitoba, mais j'ai également été pendant quelques années membre du conseil régional pour la jeunesse où je représentais le Manitoba au niveau national à l'Assemblée des Premières nations.

Mon rôle consiste essentiellement à former de jeunes leaders en guise de mécanisme de prévention du suicide. Nous avons pris le suicide pour cible, étant donné que la conséquence ultime du suicide est la plus grave, puisqu'elle équivaut à la perte d'une vie. Dans le domaine de la santé mentale, le suicide est le pire scénario. Nous reconnaissons qu'il existe plusieurs approches en matière de prévention du suicide.

Jason a parlé de l'intervention, mentionnant que nous avons tous reçu la formation nécessaire pour appliquer nos compétences de lutte contre le suicide. C'est là un premier élément, le deuxième étant la formation de jeunes leaders par la revitalisation de la culture et la reconquête de leur identité culturelle par les jeunes.

L'an dernier, nous avons eu l'occasion de collaborer avec le Secrétariat de la santé et le Conseil pour la jeunesse de l'Assemblée des Premières nations afin d'élaborer un programme fondé sur les quatre éléments du bien-être personnel — physique, mental, émotionnel et spirituel. Cette collaboration nous a permis de mettre au point un modèle de formation de 20 jours.

C'était une autre façon d'offrir une stratégie de prévention du suicide en abordant de nombreux aspects de la santé mentale tels que la dépression, la mauvaise estime de soi, les questions d'identité, les drogues et l'alcool que l'on rencontre souvent dans nos collectivités.

La prévention du suicide nous permet aussi d'aborder, lorsque nous présentons nos approches et nos buts, divers autres aspects sociaux tels que la criminalité ou la toxicomanie. Nous faisons la promotion d'un mode de vie sain pour les Premières nations, mais pas seulement pour les Premières nations; notre message s'adresse à tous. C'est tout ce que j'avais à dire. Merci.

Le sénateur Gill : Je viens d'une réserve du Québec. Je suis de la nation innue, proche des Cris du Nord. Je suis né et j'ai grandi dans une réserve et c'est là que je vis encore.

J'ai lu le rapport d'Amnistie internationale au sujet des femmes d'ici. Le rapport est excellent, mais ce n'est pas de bonnes nouvelles pour les femmes. Hier soir, je me suis aussi promené dans la rue. Pour être franc avec vous, je ne pense pas que la situation s'améliore, tout au moins du point de vue d'un observateur de l'extérieur.

Ce matin, par exemple, j'ai demandé à des non-Autochtones quelle était leur perception afin de comprendre ce qui se passe avec les Autochtones et ce qu'ils pensent d'eux-mêmes. Comme vous l'avez mentionné, le problème du suicide est de plus en plus grave et la population augmente. Cependant, je crois aussi que les Autochtones quittent les réserves et s'installent de plus en plus à Winnipeg. J'aimerais savoir comment vous réagissez à cette situation. D'après vous, est-ce positif ou négatif?

Mme Meawasige : J'aimerais apporter une petite précision. Le problème ne fait que s'aggraver lorsque les gens quittent les réserves pour s'installer dans un centre urbain. À l'heure actuelle, le bureau du médecin légiste en chef ne fait pas mention de la race dans les cas de suicide en milieu urbain. Actuellement, c'est le code postal qui permet d'obtenir ces informations. Le code postal nous permet de déterminer si le décès concerne un membre d'une Première nation. Cependant, lorsque les décès surviennent par exemple à Thompson, Brandon et Winnipeg, dans un milieu urbain, il n'y a aucun moyen de savoir combien d'Autochtones sont concernés. La race n'est pas précisée. Voilà un aspect que nous devons régler avant de pouvoir dire que le problème s'aggrave. Nous devons modifier la collecte des données.

Il y a moyen de contourner le problème et d'obtenir un tableau plus précis de la situation en combinant les bases de données avec celles d'AINC concernant les Indiens inscrits. Avant de nous attaquer au problème, je pense que nous devons nous pencher sur la collecte des données pour que nos besoins soient correctement représentés.

Mme Keeper : Comme je l'ai mentionné, nous avons consulté au cours de nos recherches le rapport spécial publié en 1994 par la CRPA qui proposait la mise en place d'une campagne de 10 ans au Canada pour régler la crise du suicide; 10 ans plus tard, la situation est pire qu'en 1994.

Un des obstacles que nous avons rencontrés dans la région est le manque de fonds, le manque de collaboration de la part de la DGSPNI pour s'attaquer à cette question. On nous répond qu'il y a un déficit et qu'il n'y a pas de fonds disponibles. En fait, le Secrétariat jeunesse de l'ACM est une des deux ressources disponibles pour la prévention du suicide dans la région. Je les félicite pour les rôles qu'ils ont joués parce que, en tant qu'adulte, je ne pense pas que les jeunes devraient avoir ce rôle à jouer. C'est un fardeau beaucoup trop lourd pour un secrétariat jeunesse. Et pourtant, ils assument ce rôle parce que la situation leur tient à cœur. Ils savent ce que pensent les jeunes de leur âge et ils sont conscients des épreuves qu'ils traversent. Nous avons tous perdu un être cher à cause de ce problème. Les jeunes sont motivés et prennent une responsabilité qu'ils ne devraient pas assumer et pourtant, la DGSPNI leur supprime le financement.

À ce propos, j'aimerais parler de l'étude Chandler-Lalonde qui, pour ceux qui ne la connaissent pas, est parue en 2002, je crois. L'étude Chandler-Lalonde sur le suicide dans les collectivités autochtones des Premières nations, en particulier en Colombie-Britannique, a conclu notamment qu'il existait un lien direct entre le nombre d'aspects maîtrisés par une collectivité et le déclin des taux de suicide chez les jeunes. En fait, les auteurs de l'étude ont découvert huit facteurs. Lorsqu'une collectivité a la maîtrise de ces huit facteurs, le problème du suicide chez les jeunes n'existe pas. L'étude a été réalisée au cours d'une période de 14 ans.

L'équipe de prospective s'est désormais associée avec Chris Lalonde en vue d'effectuer une étude ici afin d'étudier la possibilité de l'élargir aux comportements suicidaires et autres. Ce partenariat a permis de nombreuses discussions. Cela peut sembler ridicule, mais nous avons découvert que l'assujettissement n'est pas bon pour la santé. C'est mauvais et dans tous les domaines.

Notre population augmente et nos vies changent. Au cours des 50 dernières années, notre mode de vie a été bouleversé et nous devons faire des changements, nous devons nous installer dans les centres urbains. Or, le Canada continue à gérer les fonds d'une main de fer, décidant de leur utilisation et de l'évolution de notre relation. Tant que les choses ne changeront pas, je crois que la situation ne fera qu'empirer. Je crois que les conditions sociales et la santé de notre peuple continueront à décliner.

Nous souhaitons un partenariat véritable. Il faut que les gens des Premières nations puissent décider des changements qu'ils veulent apporter dans leur vie et nous devons également intégrer nos valeurs culturelles. Je crois que le déclin se poursuivra tant que nous n'aurons pas effectué ces changements.

En tant que membre des Premières nations, il me semble aberrant que nous soyons dans une telle situation 10 ans après ce rapport spécial qui nous avait apporté une lueur d'espoir. Nous ne devrions pas être ici à tenter de régler cette situation. Je suis fermement convaincue que les choses ne changeront pas tant qu'il n'y aura pas un véritable partenariat et tant que les Premières nations ne pourront prendre les décisions qui concernent leur propre santé. Merci.

Le sénateur Gill : Vous avez dit que le suicide ne faisait pas partie de notre culture autrefois, alors que maintenant nous sommes confrontés à ce problème. Il y a quelques années, ce phénomène n'existait pas, mais nous avions un mouvement dans toutes les régions du pays qui regroupait beaucoup de jeunes militants. Je ne suggère pas de revenir à cette époque, mais il est possible d'intervenir par l'intermédiaire d'organismes comme ceux qui revendiquent le pouvoir autochtone. Il semble cependant que de nos jours la plupart des jeunes aient décidé de retourner la violence contre eux-mêmes. Autrement dit, il est nécessaire d'exprimer ce que l'on est, les sentiments que l'on ressent, bons ou mauvais. Nous avons besoin de voies de communication. C'est pareil pour tout le monde. Nous devons pouvoir exprimer nos talents.

C'est la même chose pour les non-Autochtones. Chacun a besoin de s'exprimer. Évidemment, je pense que nous avons aussi besoin de points de référence. Je ne sais pas comment cela se passe ici, mais dans ma réserve, il y a beaucoup de jeunes et je leur demande parfois pourquoi, pourquoi? Généralement, ils me disent qu'ils ne sont pas heureux, qu'ils n'ont pas une bonne perception d'eux-mêmes, qu'ils ne sont pas bien dans leur peau. Ils me disent aussi qu'ils n'ont pas d'autres modèles que leur père ou leur mère. Voilà en général les réponses que j'obtiens.

Évidemment, je ne prétends pas que ce soit la seule raison. Ne pensez-vous pas que nous devons mettre l'accent sur les valeurs, les valeurs traditionnelles, les valeurs et les talents que nous devrions cultiver pour l'avenir et que nous devons nous en occuper nous-mêmes? Je pense que vous l'avez mentionné. C'est une chose que l'on doit faire nous-mêmes et pour nous-mêmes.

Pensez-vous que les Premières nations doivent garder la même attitude et croire qu'un plus gros budget permettra de résoudre tous les problèmes? J'aimerais avoir votre point de vue à ce sujet.

M. Whitford : Nous faisons partie du Secrétariat jeunesse, du personnel qui travaille à l'Assemblée des chefs du Manitoba. Nous sommes actuellement cinq. Nous avons également un comité consultatif jeunesse composé de 10 jeunes volontaires en provenance des différentes régions du Manitoba et qui représente les cinq différentes nations.

Nous encourageons la participation et le leadership des jeunes dans les collectivités des Premières nations. Nous essayons de faire comprendre aux jeunes que s'ils ne sont pas satisfaits de leur situation actuelle et qu'ils veulent la modifier, ils doivent prendre l'initiative de se réunir et de créer des conseils de jeunes, des organisations de jeunes dans leurs collectivités.

Nous disons aux jeunes que s'ils n'aiment pas la tournure des choses et s'ils sont suffisamment nombreux, ils peuvent prendre le contrôle de leurs collectivités et les remodeler à leur manière. Les organismes bénévoles, les conseils de jeunes, les organisations de jeunes leur donnent les moyens de s'attaquer au problème et d'offrir des possibilités aux autres jeunes de leur entourage. Ils veulent changer la situation dans leurs collectivités, mais il y a beaucoup de jeunes qui n'ont pas les moyens de s'exprimer eux-mêmes de façon positive.

Il ne faut pas toujours nécessairement de l'argent pour faire changer les choses dans les collectivités. Les anciens sont là, les jeunes sont là. Cependant, c'est parfois plus facile pour les jeunes de se cotiser pour acheter de l'alcool ou des drogues, c'est parfois plus facile de poser un geste négatif qu'un geste positif. C'est dommage et nous avons un grand besoin de modèles et d'options positives. Dans un certain sens, nous essayons de donner l'exemple, mais il y a beaucoup à faire.

Mme McKay : J'aimerais simplement ajouter que lorsque nous travaillons dans nos collectivités, nous nous efforçons de faire comprendre le plus possible que rien ne se passera si nous restons assis à attendre de l'argent de l'extérieur. Voilà l'approche que nous avons adoptée au cours des trois dernières années dans notre initiative de prévention du suicide. Ce qui est important, ce n'est pas l'argent, mais la qualité des services qui sont offerts. Même sans argent, nous essayons de fournir un service de la meilleure qualité possible et je pense que nous avons fait un assez bon travail. Cependant, nous devons collaborer avec d'autres ministères, d'autres fournisseurs de services et faire en sorte qu'ils adoptent la même attitude, quels que soient le financement ou les ressources dont ils disposent. Nous devons tous être au diapason.

Mme Keeper : J'aimerais ajouter quelque chose. Une stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes Autochtones est en cours d'élaboration et un avant-projet a été publié sans consultation avec les jeunes. Le rapport intitulé Agir selon ce que nous savons : La prévention du suicide chez les jeunes des Premières nations, résultat de la collaboration entre l'APN et Santé Canada, a été publié en 2003 et conçu également sans consulter les jeunes.

Cette nouvelle stratégie de prévention du suicide chez les jeunes Autochtones qui a été élaborée sans les jeunes, recommande le financement d'un poste de coordonnateur dans la région. Voilà ce qui m'intéresse — comment les choses sont mises en œuvre, comment elles sont planifiées et où devrait aller l'argent. Les jeunes se débrouillent sans financement. Voilà ce qui se passe actuellement. Le Canada affirme que les choses progressent, mais aucun progrès n'a été constaté au cours des 10 dernières années. Entre les collectivités, le gouvernement et la recherche médicale, il y a un véritable gouffre et les choses vont en empirant.

C'est là où je veux en venir lorsque je parle de partenariat véritable. C'est l'exemple même de cette stratégie au niveau régional dont les auteurs n'ont même pas tenu compte des jeunes et du travail qu'ils effectuent. Ils travaillent depuis de nombreuses années et leur projet est une des initiatives prioritaires dans notre région.

Voilà ce que je voulais dire.

Le sénateur Johnson : Tina, puis-je vous demander comment fonctionne la stratégie pour votre comité de prospective? Où en êtes-vous actuellement?

Mme Keeper : Nous avons terminé le rapport en 2004. Nous n'avions reçu aucun engagement de financement de la part de la DGSPNI. Comme je l'ai mentionné, la DGSPNI a supprimé tout le financement dans le domaine de la prévention du suicide au cours des deux dernières années. Les jeunes ont perdu leur financement pendant l'exercice en cours et pendant l'exercice précédent. En revanche, nous avions un engagement de la part d'AINC. Par conséquent, le gouvernement fédéral n'est pas toujours cohérent.

Cependant, nous avons continué à nous rencontrer. Nous avons déposé une demande de subvention de recherche en matière de santé afin de nous permettre de continuer à nous rencontrer et à explorer le partenariat avec Chris Lalonde. Cela nous plaît beaucoup.

Nous avons également continué à travailler avec l'ONSA, l'Organisation nationale de la santé autochtone. Cette organisation met en œuvre les recherches et met au point de nouveaux outils communautaires. Aussi, nous avons organisé une réunion. Nous attendions environ 25 personnes et ce sont 110 participants qui se sont présentés. Ce sont les gens dont Amanda nous a parlé, des gens qui travaillent à la base. Ce sont les coordonnateurs de Grandir ensemble et de Pour des collectivités en bonne santé. Nous avons obtenu beaucoup de soutien de la part de la collectivité et nous mettons en place un bon partenariat avec l'ONSA.

Par ailleurs, nous continuons à étendre le réseau dans la région avec notre groupe de travail sur le mieux-être dans la collectivité et les responsables de la santé au conseil tribal.

Même si nous n'avons pas de financement, nous continuons à nous rencontrer. Nous essayons de poursuivre nos activités et nous venons tout juste d'obtenir du financement de la région afin de mettre au point une meilleure façon de travailler stratégiquement et d'élaborer une page Web, une page de ressources. Nous sommes tout excités, parce c'est une des premières ressources tangibles dont bénéficient nos collectivités.

Le sénateur Johnson : Quel est le taux de suicide en milieu urbain, comparé aux réserves?

Mme Keeper : Comme Amanda l'a expliqué, il y a un problème avec les statistiques.

Le sénateur Johnson : Est-ce qu'il n'y a pas moins d'aide dans les réserves que dans les centres urbains?

Mme Keeper : Il y a moins d'aide dans les réserves, même si le taux de suicide est à peu près le même dans la population autochtone, qu'elle soit urbaine ou rurale.

Le sénateur Johnson : Quel pourcentage représente la population en transition, c'est-à-dire celle qui se déplace des réserves aux centres urbains?

Les risques sont-ils plus grands pour cette population? J'ai siégé au Comité sénatorial des peuples autochtones pendant 11 ans et nous avions fait une étude sur la jeunesse autochtone en milieu urbain. Nous avions noté un problème au sujet des services offerts aux personnes qui arrivaient en ville pour la première fois.

Mme Keeper : Il y a une pénurie de services dans les collectivités éloignées. On vient tout juste de réaliser une étude dans la région. Le Centre for Aboriginal Health Research vient de publier, en collaboration avec l'Assemblée des chefs du Manitoba, un rapport consacré à plusieurs études de la santé. Une d'entre elles porte sur l'emplacement géographique et la santé. Il semble que la santé soit meilleure dans les collectivités plus éloignées. Bien que les statistiques semblent indiquer que, dans le cas du suicide, les collectivités éloignées soient les plus atteintes, il apparaît en fait que la situation est très semblable. Cependant, de manière générale, la santé semble être meilleure dans les régions plus isolées, surtout pour les hommes.

Le sénateur Johnson : Pensez-vous que le Manitoba est assez représentatif de l'ensemble du pays sur le plan de la santé mentale et des taux de suicide?

Mme Keeper : C'est là la question. C'est un des domaines que nous avons l'intention d'explorer avec Lalonde. L'étude réalisée en Colombie-Britannique au cours d'une période de 14 ans a révélé qu'il n'y avait aucun suicide de jeunes dans 50 p. 100 des collectivités. Les auteurs de l'étude estiment donc que l'interprétation du nombre de suicides chez les Autochtones est erronée et que le suicide ne pose aucun problème dans environ la moitié de collectivités.

Nous estimons que les recherches consacrées au comportement suicidaire ne sont pas suffisantes. Un nouveau rapport du Centre pour la prévention du suicide fait la liste de plusieurs collectivités manitobaines qui utilisent des pratiques exemplaires et des stratégies prometteuses. Il s'agit de collectivités qui ont traversé une crise, qui ont vécu un cycle et qui sont parvenues à endiguer le taux de suicide. Cependant, le taux de tentatives de suicide est aussi élevé qu'auparavant et nous considérons que ces collectivités traversent une situation très tendue.

C'est ce que nous voulons examiner avec Chris Lalonde dans la recherche que nous faisons ici. Nous pensons entre autres que ces collectivités sont à risque, même si le taux de suicide des jeunes est nul, tout simplement parce que l'on note des comportements suicidaires chez les hommes. Voilà la dimension que nous voulons explorer.

Le sénateur Johnson : La réponse se trouve-t-elle dans la possibilité de prendre soi-même les décisions concernant sa propre santé, comme vous l'avez expliqué plus tôt?

Mme Keeper : L'examen d'un grand nombre de rapports m'a montré que les gens ont leurs propres conceptions. C'est difficile pour eux de comprendre les questions qui se posent au niveau communautaire. Par exemple, j'ai parlé du modèle Jicarilla Apache que le rapport Agir selon ce que nous savons et l'autre rapport ont cité comme le programme recommandé par excellence. Lorsque nous les avons rencontrés, nous avons découvert que les habitants de cette réserve bénéficient de la souveraineté et comptent parmi les cinq collectivités autochtones les plus riches des États-Unis.

Ils disposent d'une solide infrastructure économique et d'un service de santé mentale de 50 personnes. Ils ont leur propre centre de désintoxication. Leur code tribal précise qu'il est possible de mettre sous surveillance une personne qui présente un risque pour elle-même et que si cette dernière décide de ne pas respecter cette règle, elle doit quitter la collectivité.

C'est le programme le plus recommandé et j'ai donc pensé que le sujet n'avait pas été assez exploré ou étudié. Donnez-nous la souveraineté, donnez-nous une infrastructure économique solide, donnez-nous une équipe de 40 intervenants dans chaque collectivité et donnez-nous la possibilité de mettre en place des protocoles précisant que les personnes perdent leur droit à la confidentialité dès le moment où elles prennent part à un programme de santé comportementale.

Tout cela n'est pas possible au Canada. Voilà par exemple le type de problème auquel, selon moi, les chercheurs non autochtones se heurtent lorsqu'ils se penchent sur nos problèmes de santé.

Le sénateur Johnson : J'aimerais parler aux jeunes, parce que je les connais et j'ai travaillé avec eux. Ils nous ont beaucoup aidés pour l'étude sur les jeunes Autochtones en milieu urbain que nous avons réalisée dans les villes du Canada. C'était la première étude sur le sujet.

Comment va votre programme depuis les deux dernières années et, vous en avez déjà un peu parlé, mais quelle est la situation sur le plan de la santé mentale et du suicide chez les jeunes?

M. Whitford : Je crois que nous avons parcouru beaucoup de chemin depuis la création du Secrétariat jeunesse, il y a cinq ans. Cependant, chaque année est un véritable défi sur le plan financier.

Le sénateur Johnson : Est-ce que les jeunes sont plus nombreux?

M. Whitford : Le programme Keewatin Winnipeg Youth Initiative est reconnu comme un programme exemplaire et est financé par l'Initiative des centres urbains polyvalents pour jeunes Autochtones, de Patrimoine canadien. Nous nous attendons cette année encore à recevoir du financement. Nous perdrons probablement cinq mois de l'année. Cependant, d'après notre expérience, nous avons l'intention de continuer à dispenser les programmes et services aux jeunes Autochtones en milieu urbain et de convaincre la direction de l'ACM de nous appuyer dans la mise en œuvre du projet.

À l'origine, il s'agissait d'un projet ponctuel. Cependant, ce programme étant très utile dans le secteur nord de Winnipeg où se trouvent de nombreux jeunes Autochtones qui ont quitté l'école et sont sans emploi, nous souhaitons pouvoir continuer à offrir ce programme pour les jeunes.

Le sénateur Johnson : Comment fonctionne le programme de Brian McKinnon au Y? Je veux parler du programme de conditionnement physique. Est-ce que vous avez des nouvelles?

M. Whitford : Non.

Le sénateur Johnson : À R.B. Russell.

M. Whitford : Je crois que ça fonctionne assez bien. Il bénéficie de l'appui de certains commanditaires pour inscrire certains étudiants au YM/YWCA du centre-ville, un centre où les installations sont superbes.

Le sénateur Johnson : D'après vous, quel est l'état de santé mentale actuel de vos amis et des jeunes d'origine autochtone au Manitoba?

M. Whitford : Je pense que dans certains cas, ils hésitent à obtenir l'aide dont ils ont besoin. Ils ont plutôt tendance à chercher de l'aide auprès de leurs pairs lorsqu'ils ont des problèmes. Nous devons renforcer les capacités des personnes que les jeunes côtoient dans leur vie quotidienne.

En plus d'exercer des rôles de coordinateurs, nous sommes presque des thérapeutes ou des conseillers pour les jeunes qui viennent nous voir afin de nous demander des conseils au sujet de diverses toxicomanies. Nous tâchons de les orienter pour obtenir de l'aide. Cependant, pour une raison qui nous échappe, ils hésitent à demander l'aide dont ils ont besoin auprès des services professionnels.

Le sénateur Johnson : Est-ce que certains d'entre eux profitent de ces services?

M. Whitford : Je connais quelques jeunes qui obtiennent des services de santé mentale, mais il y en a très peu.

Le sénateur Johnson : C'est pourquoi vous préféreriez avoir vos propres services?

M. Whitford : Oui. Un de nos projets à long terme consiste à mettre sur pied notre propre centre de ressources.

Le sénateur Johnson : Est-ce que ce centre de ressources serait relié au centre de mieux-être dont a parlé Tina?

M. Whitford : Oui. Nous voulons que ce centre soit animé par des jeunes et qu'il soit équipé de sa propre bibliothèque, d'un centre de ressources et d'un service de formation.

Le sénateur Johnson : À ma connaissance, il n'y a ici au Manitoba aucun centre de ressources de mieux-être. Nous avons nos centres. Vous avez Thunderbird House.

M. Whitford : Oui, mais il n'en existes aucun qui soit consacré expressément aux jeunes des Premières nations ou autochtones.

Le sénateur Pépin : Certains affirment qu'il y a un lien entre la toxicomanie et la santé mentale ou les troubles mentaux; êtes-vous d'accord?

Mme Meawasige : J'essaie de comprendre pourquoi les Premières nations sont plus touchées que les autres par la maladie mentale. Je crois qu'il faut chercher la cause du côté de la politique gouvernementale d'assimilation des Premières nations. Cette politique a coupé les gens des Premières nations des valeurs qui donnaient un sens à leur vie. Ils ont perdu contact avec leurs familles, leurs communautés et leurs cultures. Ils ne savent pas comment retrouver leurs valeurs traditionnelles et le fait de se sentir incapables de renouer avec la tradition est une source d'angoisse. Je crois que l'angoisse mène souvent à l'abus d'intoxicants et que l'usage continu de telles substances mène à la maladie mentale.

En conséquence, nous devons nous pencher sur l'histoire des Premières nations. Nous devons consulter les jeunes. Nous devons leur demander d'indiquer quelles sont les choses qui comptent dans leur vie. Ils mentionnent souvent la culture, la langue. Nous devons comprendre que les politiques d'assimilation ont coupé les jeunes de ces choses qui donnaient un sens à leur vie.

Je pense également que beaucoup de jeunes ne profitent pas des ressources actuellement parce qu'on leur propose une thérapie occidentale qui est censée être universelle. On croit que cette approche peut s'appliquer à n'importe qui et dans n'importe quelle culture. Il n'en est rien, car ces approches sont adaptées à la culture dans laquelle elles ont été mises au point et ne s'adaptent pas bien aux autres cultures. Le taux de rotation est très élevé parmi les jeunes qui se prévalent des services. Ils rencontrent un conseiller une fois, n'obtiennent pas de résultats et ne vont pas plus loin.

Par exemple, la nature et la spiritualité jouent un rôle de premier plan dans les pratiques de guérison des Premières nations, alors qu'elles sont inexistantes dans les thérapies générales. La thérapie courante est axée sur l'individu alors que les traitements de guérison des Premières nations resituent l'individu dans le contexte de la famille ou de la collectivité. Les Autochtones se sentent reliés les uns aux autres.

Le sénateur Pépin : C'est pourquoi vous affirmez que la revitalisation de votre culture est si importante.

Mme Meawasige : Absolument.

Le sénateur Pépin : Vous avez également parlé d'un programme modèle de 20 jours. De quoi s'agit-il?

Mme McKay : Je parlais du programme de formation de jeunes leaders que nous avons mis en place au Conseil national pour la jeunesse. C'est un programme que nous venons tout juste de lancer et beaucoup de nos recommandations s'en inspirent. Le programme consacre cinq jours à chacun des quatre éléments. Il est conçu pour être présenté en quatre séances distinctes de cinq jours. Cependant, nous l'avons présenté en un seul bloc pour obtenir des commentaires, cerner les lacunes et vérifier s'il fonctionnait bien.

Le sénateur Pépin : Jason, vous avez noté un besoin en matière de loisirs. Pourriez-vous donner plus de précisions à ce sujet?

M. Whitford : Je ne sais pas si beaucoup d'entre vous ont visité des collectivités des Premières nations, mais, personnellement, j'ai grandi à Winnipeg. Ma famille vit au même endroit depuis 32 ans, dans le secteur sud de la ville. À partir de la maison, quelle que soit la direction que l'on prenne, on trouve obligatoirement un centre communautaire à moins de six quadrilatères de distance.

Par contre, je sais que dans la Première nation de Sandy Bay, par exemple, les jeunes sont pratiquement livrés à eux-mêmes une fois que l'école est finie. Une chose entraîne une autre et c'est ainsi qu'apparaissent les nombreux problèmes dont nous avons parlé. C'est sans doute la même chose dans toutes les Premières nations du Canada. Nous avons présenté des résolutions à la direction de l'Assemblée des chefs du Manitoba afin d'obtenir son appui.

Mais, dans les collectivités, le budget d'équipement dépend du financement des Affaires indiennes et les loisirs ne sont pas un secteur prioritaire. La priorité va aux routes, aux écoles, aux bureaux de bande et au logement, et les besoins sont énormes.

Nous aimerions mettre en place un projet pilote de ce type au Manitoba afin d'en étudier les conséquences. Quelques collectivités qui bénéficient d'un financement fondé sur les droits territoriaux issus des traités sont sensibles aux besoins des jeunes et entreprennent des actions d'elles-mêmes. Malheureusement, cela manque un peu de cohérence.

Le sénateur Pépin : Savez-vous si les jeunes femmes ou les jeunes hommes sont plus nombreux à se suicider?

M. Whitford : D'après le rapport qui date de quelques années, les taux de suicide étaient plus élevés chez les jeunes hommes. Les moyens qu'ils mettent en œuvre pour se suicider sont plus violents et plus radicaux.

Le vice-président : J'aimerais faire un commentaire général auquel je demanderai nos témoins de répondre afin de voir ce que nous pourrions faire pour vous aider dans notre rapport.

Les représentants de tous les secteurs que nous avons interrogés dans toutes les régions du pays ont signalé un énorme besoin en ressources communautaires, ainsi que pour l'intégration des services sociaux, des soins primaires, des services de santé mentale, et cetera, mais au niveau communautaire, pour pouvoir toucher les personnes qui ont besoin des ressources. Il me semble que vous avez soulevé le même problème; cependant, vous avez révélé un degré de complexité que les autres témoins n'avaient pas noté. Dans les autres régions du pays, les gens doivent composer avec les paliers fédéral et provincial dans le secteur de la santé alors que vous devez tenir compte d'un palier supplémentaire. Il y a le palier fédéral/provincial, le palier des services sociaux et celui de l'infrastructure sociale. En outre, les Premières nations sont traitées différemment par le gouvernement fédéral.

En réfléchissant à la question, je me suis demandé si vous devez faire appel à des services contractuels pour obtenir des soins de santé et des services de santé mentale. Ce sont les ressources provinciales qui possèdent l'expertise en matière de prestation. Je comprends tout à fait que vous ne vouliez pas sacrifier votre autonomie.

Par conséquent, si l'on veut que le système fonctionne, il faudrait que le financement soit dirigé vers vos centres communautaires, vers vos organisations communautaires qui regroupent tous les services du gouvernement fédéral. Vous pourriez ainsi vous procurer auprès du ministère de la Santé du Manitoba les ressources dont vous avez besoin pour assurer le fonctionnement de votre système.

Je ne sais absolument pas si cette idée est sensée ou tout à fait farfelue. J'essaie tout simplement de comprendre la situation et de trouver un moyen de vous sortir de cette impasse terrible où vous vous trouvez actuellement, ballottés entre les ressources fédérales, autochtones ou provinciales, sans parler du manque d'autonomie de vos organisations communautaires.

Je vous demande donc d'y réfléchir et de tenter d'apporter une réponse. Que feriez-vous si vous disposiez de tous les moyens nécessaires pour mettre en place le meilleur service de santé du monde?

Mme Keeper : La meilleure réponse que je puisse vous donner est sans doute que le financement serait dirigé vers l'ACM et serait sous le contrôle des Premières nations. Je comprends ce que vous dites au sujet des services relevant de la province que nous devrions utiliser ou auxquels nous devrions avoir accès. Cela pourrait nous aider en effet. Cependant, ces services n'existent pas au Manitoba pour la prévention du suicide. La province ne consacre aucune ressource à la prévention du suicide, même pour la population générale. Notre région souffre d'un grave manque de ressources.

En fait, le comité de prospective fait sans doute œuvre de pionnier. Nous avons reçu des appels de pratiquement tous les services régionaux de santé, y compris de l'Office régional de la santé de Winnipeg. Nous avons collaboré avec le ministère provincial de la Santé à la mise au point de stratégies de prévention du suicide. Même au niveau de la province, les ressources ne sont pas suffisantes.

En outre, nous pensons qu'il faut réaménager les ressources que nous estimons nécessaires pour venir en aide aux personnes de notre population qui ont des problèmes de santé mentale. Nous estimons que les services de santé mentale offerts aux Canadiens en général ne fonctionnent bien ni pour eux ni pour nous. Nous avons un contexte qui nous situe dans la tradition. Notre peuple est proche de la terre, a le sens de la communauté et de la famille élargie et nous avons conservé ces valeurs jusqu'à aujourd'hui. Souvent, les services de santé mentale amènent les gens à se soigner individuellement, mais ils reviennent à la famille. Ils reviennent à la collectivité.

Nous avons des communautés de personnes. Notre peuple a perdu la capacité de faire des choix existentiels et en est resté traumatisé. Le démembrement de nos familles a eu des conséquences énormes.

Je ne pense pas que nous puissions utiliser comme modèle le système de santé mentale destiné au grand public. Nous devons commencer à réunir les ressources nécessaires pour élaborer nos propres modèles ou collaborer dans un partenariat véritable qui nous permette de nous dire parfois : « Ce service ne fonctionne pas bien pour nous; essayons de voir comment nous pouvons le modifier et l'améliorer. »

Le vice-président : Selon moi, vous devez avoir le pouvoir de décision. Vous devez avoir les ressources nécessaires à votre collectivité et pouvoir les contrôler. Cependant, l'ensemble du pays est aux prises avec un problème énorme en matière de santé mentale, de toxicomanie, de suicide, etc. Vous avez tout à fait raison de faire remarquer que ce problème n'est bien géré nulle part, si bien que vous n'avez aucun modèle à imiter.

En revanche, pour ce qui est de l'application pratique d'un système, je ne pense pas que vous ayez les ressources suffisantes au sein de votre collectivité et que vous serez contraints de faire appel à des ressources de l'extérieur. À mon avis, l'essentiel, c'est de vous donner les moyens de définir ce dont vous avez besoin et d'obtenir ces services plutôt que d'attendre qu'Ottawa vous dise comment procéder.

Le sénateur Pépin : Tout doit être central.

Le vice-président : Si l'on veut des résultats, il faut que le pouvoir de décision soit entre les mains des gens qui savent ce qu'ils font.

Le sénateur Gill : Nous décrivons la situation actuelle, mais il ne faut pas oublier que les choses ont bien changé. Par exemple, il y a des nations. La nation autochtone a été pratiquement détruite. Aujourd'hui, les gens vivent dans des bandes. Les bandes ont été créées par la Loi sur les Indiens. Il ne faut pas l'oublier. Si l'on décide d'offrir des services à l'échelle nationale, la situation devient différente, parce qu'une nation est un ensemble de collectivités. Elle regroupe parfois beaucoup de collectivités, comme la nation crie, par exemple. Cela fait beaucoup de monde. La perspective est différente d'une situation où l'on aborde la question bande par bande. Vous disposez de plus de ressources, de talents et autres qu'auparavant.

Ce n'est pas une question, c'est un commentaire. Nous nous y prenons de cette manière aujourd'hui, mais il y a beaucoup de choses à restaurer dans les Premières nations.

Mme Gwen Wasicuna, travailleuse spécialisée dans le mieux-être communautaire, Assemblée des chefs du Manitoba : Permettez-moi de me présenter. Je suis de la nation dakota de Sioux Valley. On m'a demandé de venir parler du programme de santé mentale et de mieux-être pour lequel je travaille. Je vous ai fait parvenir une description du programme. Vous pouvez peut-être la consulter et me poser des questions, à moins que vous préféreriez que je vous la lise?

Le vice-président : Je préférerais vous demander de résumer brièvement le document. Dites-nous ce que vous voulez faire et quels sont les obstacles auxquels vous vous heurtez.

Mme Wasicuna : Dans notre collectivité de Sioux Valley, une de nos principales réalisations a été la mise en place d'une ligne téléphonique d'aide que peuvent appeler les membres de notre collectivité qui ont des tendances suicidaires, afin que nous puissions les orienter vers d'autres ressources. Souvent, nous faisons appel aux ressources disponibles dans notre collectivité même, plutôt que de faire appel à des spécialistes de l'extérieur, étant donné que beaucoup de membres de notre collectivité ont l'habitude de parler leur propre langue et préfèrent communiquer avec un homme ou une femme, selon le cas. Il y a des différences culturelles dont il faut tenir compte quand on s'adresse à quelqu'un d'autre, que ce soit un homme ou une femme. Les personnes qui appellent notre ligne téléphonique ont de la difficulté, lorsqu'elles ne connaissent pas le protocole et ne savent pas si elles s'adressent à un homme ou une femme, à communiquer avec les spécialistes, qu'ils soient thérapeutes ou travailleurs chargés des interventions d'urgence. Par conséquent, nous avons souvent recours aux ressources de la collectivité, que ce soit les anciens ou la famille élargie. C'est une aide pour les personnes qui ont des idées suicidaires.

Nous avons remarqué cependant que nous devons offrir une formation continue aux bénévoles de notre équipe de mieux-être, mois après mois, année après année, afin qu'ils puissent travailler dans la collectivité, connaître un peu la langue et certains problèmes de santé mentale pour pouvoir renseigner les thérapeutes lorsqu'ils font appel à des ressources de l'extérieur. Il faut continuellement se tenir au courant. Nous manquons toujours de fonds pour la formation des bénévoles qui nous aident parfois 24 heures sur 24 et sept jours sur sept.

Nous devons offrir aux membres de notre collectivité une formation continue afin qu'ils puissent aider et nous servir de ressources, plutôt que de faire appel aux ressources professionnelles en santé mentale, aux conseillers qui nous sont proposés. Les gens n'ont droit qu'à six ou huit séances pour régler leurs problèmes. Or, il arrive souvent que cela suffise à peine pour établir un contact avec la personne. L'intervention prend fin lorsque toutes les séances ont été utilisées.

Nous espérons être en mesure d'offrir un plus grand nombre de séances, étant donné que les toxicomanies et le comportement suicidaire vont de pair. Nous devons être en mesure d'offrir les ressources professionnelles quand elles sont nécessaires, ainsi que les ressources communautaires de manière continue.

Notre programme est tout nouveau. Je pense qu'il était en préparation depuis environ cinq ans. La ligne téléphonique d'aide est offerte aux membres de notre collectivité depuis neuf ans. C'est un service entièrement bénévole offert aux membres de notre collectivité, un service de soutien après les heures de travail.

De temps à autre, nous faisons face à une crise de croissance, mais nous devons continuer. Nous espérons pouvoir étendre le service aux collectivités environnantes dans un rayon de 50 milles, soit les collectivités de Birdtail Sioux et Canupawakpa de la nation dakota, afin de les aider à se greffer à cette ressource, mais nous n'avons pas les fonds nécessaires pour le faire.

Voilà ce que nous avons fait jusqu'à présent et ce que nous aimerions réaliser.

Le sénateur Johnson : J'aimerais revenir à vos commentaires précédents et vous demander d'où viennent les fonds dont vos membres ont besoin pour mettre au point les programmes qu'ils jugent nécessaires dans leurs collectivités? Nous devons savoir, pour les besoins de notre étude, et la collectivité doit également savoir exactement où va l'argent destiné à la santé. Il y a beaucoup d'argent consacré à ce secteur, plus de 13 milliards de dollars, uniquement pour les programmes autochtones des cinq ministères du gouvernement fédéral par l'intermédiaire des provinces. Ce chiffre ne tient pas compte des montants consacrés aux victimes des pensionnats, aux revendications territoriales ou à d'autres questions analogues.

Je pense que ce serait une bonne idée de nous pencher là-dessus pour savoir où se trouve l'argent, afin de le consacrer à ces actions plus pratiques, parce que j'ignore où il s'en va. Je n'arrive pas à comprendre, après toutes ces années au Comité des affaires autochtones et au Sénat. Où va l'argent, qu'est-ce qui se passe, où disparaît-il?

Mme Meawasige : J'aimerais dire un mot sur l'utilisation de l'argent. Comme je l'ai dit, ce sont les coordonnateurs de Grandir ensemble et de Pour des collectivités en bonne santé qui sont chargés des dossiers de santé mentale des Premières nations et relèvent de la DGSPNI. Je pense qu'il faudrait comparer les salaires des travailleurs qui font la promotion de la santé mentale dans les réserves par rapport à ce qu'offre la DGSPNI pour le même type de programme en matière de service de santé mentale. Je pense que la comparaison révélerait une disparité salariale. Il faudrait savoir ce qui arrive à l'argent injecté dans le système.

Le sénateur Johnson : Vous avez tout à fait raison et j'aimerais également entendre les commentaires des autres témoins, car c'est là que le bât blesse.

Mme Keeper : Je suis persuadée que nous aurons la réponse à cette question dans les autres exposés présentés par l'Assemblée des chefs du Manitoba. Le grand chef par intérim et Irene Linklater vont présenter des exposés.

Par ailleurs, les 65 millions de dollars de la Stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes Autochtones sont censés arriver au cours de l'été et de l'automne. Par exemple, on pourrait croire que l'argent est destiné aux jeunes et pourtant, on nous a dit que l'on ne recevrait au départ aucune ressource financière de ce fonds et qu'il ne fallait pas s'attendre à en recevoir. En fait, nous avons rencontré le sous-ministre adjoint de la DGSPNI et nous lui avons posé la question. Nous avons dû nous adresser à l'extérieur de la région qui n'avait pas l'intention de faire parvenir cet argent aux Premières nations ni aux jeunes.

C'est une relation difficile à laquelle nous devons travailler.

Il ne s'agit pas de demander des ressources supplémentaires pour nos collectivités, mais tout simplement d'avoir accès aux ressources de qualité qui sont disponibles pour la société dominante mais auxquelles les Premières nations n'ont pas accès en ce moment.

Le vice-président : Merci beaucoup.

J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue au chef Norman Bone et au chef Ron Evans. Nous souhaitons que vous présentiez chacun un bref exposé, après quoi, nous vous poserons des questions. Comme vous le savez, nous essayons de trouver un moyen d'améliorer les services de santé mentale offerts aux Premières nations et nous examinons les mesures à prendre pour réduire les taux de suicide et traiter les maladies mentales lorsqu'elles se présentent.

M. Ron Evans, chef de la nation crie de Norway House, Assemblée des chefs du Manitoba : J'ai le plaisir d'être accompagné du chef Norman Bone qui est mon collègue dans le dossier de la santé.

Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue sur le territoire des Anishinabegs du Traité no 1 signé en 1871. Dans les langues anishinabe et ininiw, le mot Manitoba signifie « là où le Créateur est assis ». C'est la patrie des Ininiws — des Cris — des Assiniboines et des Dakotas, des Anishinabegs et des Dénés. Nous nous joignons aux Ojicris de Island Lakes et aux Dénés du Grand Nord pour vous souhaiter la bienvenue sur notre territoire.

L'Assemblée des chefs du Manitoba a été fondée en 1989 pour succéder aux diverses entités politiques que les chefs des Premières nations avaient créées au fil des années afin de protéger nos peuples et de promouvoir et défendre nos droits inhérents et issus de traité.

Le 26 mai 2005, les chefs et le gouvernement du Canada ont annoncé la création de la toute première commission des relations fondées sur les traités au Manitoba, organisme qui sera chargé d'effectuer des recherches, de sensibiliser le public et de promouvoir une meilleure connaissance des traités et d'arbitrer les différends en s'appuyant sur nos traités et notre droit inhérent à gouverner notre peuple et gérer nos terres et nos ressources. Nous sommes fiers d'annoncer que Dennis White Bird qui était notre grand chef jusqu'à cette semaine, a été nommé commissaire aux relations fondées sur les traités dans notre province du Manitoba.

Aujourd'hui, nous donnons la priorité à nos traités, parce que nous estimons que c'est d'eux que viendra le changement qui nous permettra d'améliorer la santé de nos peuples. La reconnaissance et l'affirmation de nos droits inhérents et issus de traité mentionnés dans la Constitution doivent mener à la mise en œuvre de nos droits issus des traités et au respect de notre droit inhérent à l'autodétermination.

Il est indispensable de rappeler dans tout débat concernant les Premières nations du Manitoba et portant sur les questions de santé mentale, de maladie mentale et de toxicomanie, que nos peuples ont tous leur personnalité. Nous sommes des Cris, des Dakotas, des Dénés, des Ojibwas, Ojicris et nous avons des langues, des traditions culturelles, des coutumes et des cérémonies qui nous différencient des autres. Notre peuple vit dans ce pays que l'on appelle désormais le Canada depuis bien longtemps, avant même que l'on commence à écrire l'histoire. Les traditions orales de nos différents peuples témoignent de notre histoire et de notre lien permanent avec notre environnement terrestre et aquatique.

On vous l'a sans doute déjà dit et répété, mais aujourd'hui, nous vous demandons de vous pencher sur le lien qui existe entre la maladie mentale et la toxicomanie qui frappent nos peuples et le bouleversement dramatique dans nos existences à la suite de l'imposition de nouvelles lois et façons de faire par les nouveaux arrivants, y compris l'assujettissement à la Couronne. Cet effet dévastateur s'est fait sentir le plus directement depuis la fin du XIXe siècle par l'imposition des lois sur les Indiens successives qui contrôlent tous les aspects de notre existence, du berceau à la tombe, et par l'obligation de fréquenter les pensionnats. Ces deux armes ont détruit nos familles, nous empêchant d'être élevés par nos parents et de bénéficier de leur affection, et ont contrecarré nos modes de vie traditionnels et les initiatives que pouvaient prendre nos entrepreneurs dans les nouvelles économies.

Au XXe siècle, nous avons été dépossédés de nos familles, de nos terres et de nos eaux, et aussi de notre mode de vie. Les autorités se sont livrées à une campagne concertée pour détruire toute trace d'indianité chez les enfants placés dans les pensionnats et pour expulser les Indiens de leurs terres par l'application des lois fédérales et provinciales.

Nous ne voulons pas faire la liste de tous les malheurs qu'ont connus nos peuples. Nous voulons que vous sachiez que nos peuples continuent à souffrir de ce mal que nos anciens et nos guérisseurs imputent à des traumatismes non résolus et transmis de génération en génération. Certains voient dans cette situation une sorte de traumatisme historique ou de deuil collectif qui se manifeste par la fréquence disproportionnée de cas d'alcoolisme, de toxicomanie, de dépendance au jeu et d'autres formes d'accoutumance, ainsi que dans des taux élevés de suicide, en particulier chez les jeunes.

Ce deuil collectif et la nécessité dans laquelle nous nous trouvons de nous libérer de ce traumatisme historique sont à l'origine d'une situation complexe aux strates multiples que doivent analyser et comprendre les personnes concernées ainsi que celles qui cherchent à les aider, que ce soit des professionnels de la santé, des décideurs ou des investisseurs.

Nous comprenons que certains de nos semblables souffrent de maladie mentale d'origines diverses et d'autres maladies que nous partageons avec le reste de la population canadienne. Par exemple, l'Aboriginal autism society of Turtle Island a tenu un congrès de deux jours à Winnipeg pendant la dernière fin de semaine.

Cependant, les niveaux inouïs qu'atteignent les taux de dépendance et de suicide et les conditions de stress préparant le terrain à des maladies chroniques qui se manifestent par la suite par des crises aiguës, sont, pour la plupart, directement imputables à notre histoire collective. On ne peut éliminer ces causes sous-jacentes de la maladie mentale qu'en mettant en application nos droits issus de traité et droits inhérents à l'autodétermination et en bâtissant une relation nouvelle avec l'État. Cette relation et ce partenariat doivent être propre aux Premières nations et reconnaître notre place comme peuple fondateur et la diversité de nos cultures. C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui pour vous dire que, pour être efficaces, les lois, politiques, programmes et services se rapportant à la santé des Premières nations doivent être inspirés par nos peuples et nos dirigeants.

En janvier 2005, les chefs assemblés au Manitoba ont adopté un plan d'action décennal intitulé Stratégie pour la santé et le mieux-être des Premières nations du Manitoba. Nous nous sommes inspirés de la vision formulée par l'Assemblée des chefs du Manitoba en 1998 dans le domaine de la santé, sur le principe selon lequel toute vie vient de notre Créateur. La vie est donc sacrée et doit être préservée, protégée et respectée. La santé est essentielle à la vie. Ainsi, nous reconnaissons et nous affirmons que la santé est le bien-être total et l'équilibre de nos différentes dimensions physiques, mentales, émotionnelles et spirituelles. Notre vision consiste à restaurer et maintenir la santé intégrale chez tous les gens des Premières nations du Manitoba, dans un esprit collectif de coopération et de respect de l'autonomie de chaque Première nation.

Le plan d'action décennal que nous avons adopté en 2005 a été examiné plus en détail par diverses tribunes la semaine dernière, afin de faire plus participer les représentants des Premières nations et les travailleurs de la santé. Voilà notre plan et nous avons l'intention de présenter notre vision dans le cadre du processus de planification du premier ministre. Toutefois, il ne faut pas s'y tromper, les Premières nations du Manitoba ont bien l'intention de poursuivre la mise en application de ce plan. Nous continuerons à exercer des pressions, à créer des réseaux et des partenariats et à recueillir le soutien et le financement nécessaires pour mener à bien nos stratégies et atteindre notre but qui consiste à permettre à nos semblables de recouvrer la santé dans tous les domaines.

Nous nous donnons pour buts d'obtenir une espérance de vie comparable à celle des habitants du Manitoba qui n'appartiennent pas aux Premières nations; de réduire la fréquence des maladies et différents troubles dont nous souffrons à divers âges; d'améliorer la santé afin d'atteindre un niveau comparable ou supérieur au niveau provincial et national; de renforcer l'infrastructure de services essentiels pour donner aux membres des Premières nations accès aux services de santé, en particulier à ceux qui vivent à l'extérieur des réserves.

Nos priorités consistent à élaborer et mettre en œuvre une structure pour la prestation de soins de santé aux Premières nations, à renforcer la prestation de soins de santé primaires complets, à encourager le mieux-être émotionnel et social, à s'attaquer aux déterminants sociaux de la santé et à poursuivre l'information et la recherche en matière de santé.

Nous avons déterminé les cibles visées dans chacune de ces priorités ainsi que les plans d'action que nous avons l'intention d'appliquer pour les atteindre.

Nous reconnaissons qu'il est indispensable de collaborer avec les gouvernements fédéral et provincial, ainsi qu'avec des partenaires tels que les autorités régionales de la santé. Toutefois, nous avons l'intention d'être des partenaires véritables. C'est notre droit inhérent à l'autodétermination et nous devons exercer notre droit issu des traités pour obtenir des soins de santé.

Vous êtes peut-être au courant des importantes conclusions d'une recherche réalisée par l'Université Harvard sur le développement socioéconomique et d'une autre recherche réalisée sur une période de 14 ans en Colombie-Britannique et consacrée à la prévention du suicide dans les Premières nations. La recherche de Harvard sur les tribus autochtones américaines a révélé, après plusieurs années de travail sur place dans les Premières nations des États-Unis et du Canada, que le succès des entreprises dans les Premières nations au Canada et dans des tribus aux États-Unis dépendait de quelques facteurs tels que la stabilité du gouvernement et de la réglementation, d'un financement approprié et, surtout, d'une adaptation culturelle de l'entreprise à la collectivité. De même, l'étude que Chandler et Lalonde ont consacrée sur une période de 14 ans à la continuité culturelle en tant qu'agent protecteur contre le suicide a constaté que les Premières nations qui exercent un contrôle sur des fonctions essentiellement gouvernementales telles que l'éducation, la santé, les services communautaires, qui ont œuvré pour résoudre les revendications territoriales et qui pratiquent activement leurs traditions culturelles, connaissent un taux de suicide nul ou très bas. Par conséquent, la culture est un facteur contributif important pour le bien-être de notre peuple et pour le succès et la stabilité des initiatives communautaires qui permettent d'ouvrir des perspectives et de donner espoir.

Je vous prie de noter que les Premières nations du Manitoba collaboreront avec M. Lalonde pour examiner la santé de la population et les méthodologies indigènes dans le cadre d'une étude de la continuité culturelle à partir des perspectives des Premières nations du Manitoba — Cris, Dakotas, Dénés, Ojibwas et Ojicris.

Nos cultures prennent appui sur la relation que nous entretenons avec le Créateur. Nous croyons que la guérison et la bonne santé reposent sur une dimension spirituelle. C'est pourquoi nous honorons et respectons les guérisseurs traditionnels, les médecines traditionnelles de la terre et les cérémonies de guérison que pratiquent nos peuples. Nous prendrons les moyens nécessaires pour réserver une place de choix à nos médecins, nos guérisseurs et nos coutumes dans un système de santé efficace pour notre peuple. À l'heure actuelle, cependant, les services de soins de santé offerts aux Premières nations ne s'appuient pas sur une perspective holistique et spirituelle. Si l'esprit n'est pas sain, notre peuple ne peut pas être en bonne santé. Nos langues autochtones décrivent la santé comme un état d'équilibre. C'est pourquoi, nous devons instaurer de nouveaux services de santé qui font place à la dimension spirituelle.

Dans la vie, tout est lié et il faut qu'il en soit de même pour les services et programmes de santé, qu'il s'agisse de prévention, d'éducation et de traitement, de guérison ou de soins palliatifs. Nous sommes convaincus que l'intégration des services consiste à établir des liens solides qui permettent la prestation continue et efficace de ces services. Nous sommes ravis que le comité ait mentionné les déterminants sociaux de la santé, étant donné que nos collectivités des Premières nations ont besoin de bonnes conditions de logement, d'une éducation de haute qualité et d'un accès aux possibilités d'emploi et de formation.

Au Manitoba et en Saskatchewan, l'évolution démographique est telle que dans une décennie, plus d'un tiers de la population active sera composée essentiellement de membres des Premières nations ainsi que d'autres peuples autochtones. L'avenir économique des Prairies repose en grande partie sur la possibilité pour nos peuples d'avoir accès à l'éducation et à l'emploi afin de pouvoir bâtir un avenir pour nous tous.

Enfin, nos langues sont des trésors millénaires de connaissances sur nos milieux terrestres et aquatiques. Nos valeurs et enseignements sont basés sur la connaissance intime des terres par notre peuple. Les anciens nous disent que nous pouvons trouver dans notre territoire tout ce dont nous avons besoin pour retrouver le bien-être. Il est essentiel de prendre soin de l'environnement afin de continuer à nourrir et guérir les terres et les eaux et de faire respecter nos droits inhérents et issus des traités pour que nous puissions continuer à avoir accès à nos terres, nos médecines et nos centres cérémoniels.

En tant que chefs, nous avons des rôles multiples à jouer. Nous collaborons avec notre conseil, avec les anciens et avec l'ensemble de notre peuple pour faire en sorte que nos Premières nations puissent accueillir les particuliers et les familles et leur permettre de vivre et de croître dans des collectivités saines et viables. En outre, nous avons également pour rôle de protéger et de renforcer nos droits inhérents et issus de traités afin que les Anishinabés, les Ininiws, les Dakotas, les Dénés et les Ojicris demeurent des peuples distincts pour les générations à venir.

En conclusion, nous aimerions répondre aux questions précises que vous avez soulevées. Quelles devraient être les grandes priorités du gouvernement fédéral au moment où il se lance dans un processus visant à modifier la façon dont il offre les services de santé mentale et de traitement des toxicomanies aux Premières nations? — il devrait prendre en compte l'impact intergénérationnel de la Loi sur les Indiens et des pensionnats, en l'occurrence la colonisation et l'assimilation, ainsi que la non-application des traités et le refus de reconnaître notre droit inhérent à l'autodétermination. Quels seraient les structures et les processus les plus appropriés pour permettre aux Premières nations de participer pleinement à la conception des services dont elles ont besoin? Selon nous, la réponse se trouve dans des ententes bilatérales entre les Premières nations et le gouvernement fédéral. Comment le gouvernement fédéral doit-il s'y prendre pour fournir ces services de la manière la plus efficiente et la plus efficace possible? Il peut financer la planification et la prestation des services de santé aux Premières nations en s'inspirant de nos efforts combinés pour mettre en place la stratégie de la santé et du mieux-être des Premières nations du Manitoba, un plan d'action décennal couvrant la période de 2005 à 2015. Qui devrait se charger d'effectuer une analyse du contexte afin de déterminer quels sont les programmes existants, de repérer le double emploi entre les ministères et organismes gouvernementaux, les lacunes importantes dans la programmation et comment maximiser l'utilisation efficace des ressources disponibles? L'Assemblée des chefs du Manitoba et les Premières nations du Manitoba, de concert avec leurs partenaires du gouvernement et de l'université ont pris les devants en dressant un portrait de la santé des Premières nations, de l'accès aux services de santé et de l'usage qu'elles en font, ainsi que des obstacles particuliers que les Premières nations rencontrent dans les différents multipartites dans le domaine des soins de santé. C'est avec plaisir que nous nous proposons de vous faire parvenir une liste de ces ressources.

Honorables sénateurs, nous vous souhaitons d'excellentes délibérations. Nous espérons que nous avons contribué à vous faire mieux comprendre les enjeux et nous attendons vos recommandations et vos questions. Cela étant dit, je conclus en disant ekosi, miigwech, mahsi cho, wopida, merci et thank you. Je vais maintenant céder la parole à mon collègue, le chef Norman Bone.

M. Norman Bone, chef de la Première nation Keeseekoowenin, Assemblée des chefs du Manitoba : Merci beaucoup. J'approuve sans réserve les propos du chef Ron Evans et je voudrais, en quelques points, demander plus d'argent de qualité pour le travail que nous avons à faire.

Je me fais l'écho des déclarations du chef Evans et j'appuie ce qu'il nous a présenté. J'espère que le message que nous vous laisserons — et que vous pourrez transmettre aux gens avec qui vous travaillez —, c'est que notre mode de vie a changé du jour au lendemain. Quand les réserves ont été créées, il n'a pas fallu longtemps avant que les choses changent. Il en a résulté ce qui a été qualifié de traumatisme historique; l'expérience a certainement été traumatisante pour beaucoup de nos gens.

À une certaine époque, les Premières nations de la région parcouraient et exploitaient tout le territoire pour maintenir leur mode de vie. Tout a changé à peu près du jour au lendemain puisque nous avons dû aller vivre, dans notre cas, dans une réserve de 5 000 acres. Cela a changé notre situation du tout au tout.

Quant à savoir comment cela nous a touchés sur le plan de la santé mentale, vous n'avez qu'à regarder les statistiques; les chiffres racontent l'histoire pour nous. En 100 ans, il nous est arrivé toutes sortes de choses, sans parler de la stratégie appliquée ici — les pensionnats, les sociétés d'aide à l'enfance —, qui ne nous ont pas beaucoup aidés pendant la première partie du siècle dernier.

Je pourrais vous donner une foule d'autres exemples, mais j'ai essayé de me limiter à trois points environ. Il faudrait d'abord nous aider à analyser et à comprendre notre situation, et le travail que nous avons à faire en conséquence. Nous avons besoin de ressources pour nos communautés, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des réserves, afin de travailler à des programmes de sensibilisation, de prévention et de traitement. Nous devons avoir le contrôle de ces ressources pour pouvoir élaborer et mettre en oeuvre des programmes permanents.

Ce qui nous arrive depuis 100 ans ne changera malheureusement pas du jour au lendemain, et nous espérons que notre présentation d'aujourd'hui vous aidera à transmettre ce message à qui de droit pour que nous puissions envisager de limiter les dommages nous-mêmes, en travaillant avec nos anciens, nos jeunes, nos femmes, nos hommes et nos enfants pour corriger les torts causés depuis une centaine d'années.

Il y a 30 ans, dans ma communauté, par exemple, nous n'avions pas d'argent pour des conseillers ou des professionnels de la santé mentale. Nous avions un bénévole qui travaillait avec les alcooliques ou qui s'occupait des Alcooliques Anonymes, et qui pouvait voir de une à neuf personnes au cours de l'année pour essayer de les aider à atteindre la stabilité et la sobriété.

Aujourd'hui, 30 ans plus tard, nous avons pu avoir accès — ce qui est bien, mais toujours pas suffisant — à un intervenant en santé mentale et à quelqu'un du PNLAADA dans le cadre des programmes de transfert de responsabilités. Avec une communauté de notre taille — entre 400 et 500 personnes — sur 5 000 acres, ces intervenants peuvent voir jusqu'à 120 personnes. Il nous en faudrait plus pour aider les gens qui viennent chercher de l'aide au centre de santé afin d'atteindre une certaine stabilité. Nous n'avons pas de conseiller professionnel parmi le personnel, mais un des intervenants qui vient dans notre communauté voit de 60 à 120 personnes, avec l'aide des professionnels des services de santé mentale, et des gens de Grandir ensemble et du PNLAADA. Il y a donc beaucoup de travail à faire là.

Et c'est seulement dans la réserve. Nous avons encore bien des gens à aider dans les régions comme celles de Winnipeg ou de Brandon, où vivent beaucoup de membres de notre communauté.

Je voulais ajouter cela pour vous donner une idée de ce qui se passe dans notre communauté. Les témoins précédents ont présenté une partie du tableau. Il y en a même un qui a fait une blague — il nous faut plus d'argent de qualité. Il nous faut suffisamment d'argent pour pouvoir payer les intervenants correctement afin qu'ils puissent faire le travail qu'il y a à faire au sujet des services de santé mentale. Merci beaucoup.

Le sénateur Kirby : J'aimerais poser une question générale. Quand nous avons fait notre dernière étude, nous avons été atterrés par les statistiques sur la santé dans les réserves autochtones. Ces communautés vivent vraiment dans des conditions dignes du tiers monde, et c'est inacceptable. Oublions un instant la santé mentale. Je vais y revenir dans une seconde, mais comment pouvons-nous nous attaquer à ce problème? Je pense que c'est le chef Evans qui a évoqué un partenariat avec les autorités régionales de la santé, la province, le gouvernement fédéral, et ainsi de suite. Le gouvernement fédéral ne fournit pas de services sur le terrain de toute manière, à part le transport par avion. Par conséquent, seriez-vous en meilleure posture si le gouvernement fédéral signait un contrat selon lequel il s'engagerait essentiellement à payer pour tous les services avec le gouvernement provincial, qui possède les ressources sur le terrain? Le gouvernement fédéral ne s'occuperait plus de ce dossier au jour le jour parce que, d'après ce que je peux voir dans tout le pays, cela n'aide personne. Grâce aux fonds fédéraux, vous pourriez négocier directement avec le gouvernement provincial et les services communautaires sur le terrain. Je comprends que c'est le gouvernement fédéral qui doit payer pour cela. Ce n'est pas une tentative pour économiser; c'est une tentative pour faire sortir du paysage quelqu'un qui ne semble pas contribuer à régler vos problèmes.

M. Bone : C'est une possibilité. Nous avons exploré cette avenue-là pour essayer d'avoir accès à certains services de cette façon. Je ne suis pas sûr que ce soit un succès. J'aimerais vous parler d'un cas, dans notre communauté.

Le sénateur Kirby : Où se trouve votre communauté?

M. Bone : La ville s'appelle Elphinstone, et la réserve est celle de la Première nation keeseekoowenin. C'est juste au nord de Brandon. Nous avons appuyé les municipalités de la région et deux autres Premières nations dans leurs efforts pour sauver l'hôpital local et y garder les médecins. Nous n'avons pas réussi.

Même quand nous joignons nos efforts à ceux des gens des municipalités pour fournir ou maintenir des services dans notre région, nous ne réussissons pas. Alors, ce que vous suggérez ne fonctionnerait pas nécessairement.

Le sénateur Kirby : Soyons clairs : il y a bien des problèmes, dans le nord de l'Ontario et ailleurs, qui n'ont rien à voir avec la situation dans les réserves. Il y a eu dans les journaux, récemment, un article sur le fait que cinq des six médecins d'une ville du nord de l'Ontario sont partis. Cela n'avait rien à voir avec les Premières nations.

M. Bone : C'est ce que je voulais dire. Vous recommandez que le fédéral nous donne de l'argent pour des services. C'est déjà ce qui se fait, mais ce n'est pas un succès, surtout pas quand on ferme des hôpitaux, par exemple, juste à côté de chez nous. Dans ce sens-là, cela ne fonctionne pas.

Le sénateur Kirby : Qui a fermé cet hôpital? Est-ce que c'était une décision provinciale ou fédérale?

M. Bone : C'était une décision provinciale. Si vous transférez de l'argent de cette façon-là, il y aura certainement des problèmes dans la manière d'organiser tout cela. L'option qui m'intéresserait — je ne m'opposerais pas à ce que vous présentiez une recommandation dans ce sens-là —, ce serait que vous signiez un contrat directement avec les Premières nations du Manitoba pour que nous puissions créer et administrer ces services nous-mêmes.

Le sénateur Kirby : Donc, si on peut dire, le gouvernement fédéral signerait un contrat avec les chefs?

M. Bone : Selon un mécanisme de ce genre. C'est une possibilité.

Le sénateur Kirby : D'accord. Puis-je poser une autre question? Je n'en revenais pas d'entendre vos chiffres. Vous dites qu'un conseiller ou un intervenant du PNLAADA est responsable de 120 personnes?

M. Bone : Jusqu'à 120. J'ai demandé au directeur des services de santé de notre communauté combien de gens voyaient le seul conseiller qui vient chez nous. Il m'a répondu que c'était au moins 60 personnes. Cet intervenant fait uniquement de la sensibilisation et de la prévention, et aussi un peu de traitement. Nous nous le partageons entre quelques réserves de la région. Nous avons aussi une travailleuse en santé mentale.

Le sénateur Kirby : À plein temps?

M. Bone : Oui, à plein temps, mais encore une fois, nous devons former cette personne pour qu'elle devienne une conseillère qualifiée et, si elle revenait travailler pour nous, nous ne pourrions pas nous la payer selon l'entente. Cela pose un problème.

Le sénateur Kirby : De combien de personnes un seul intervenant peut-il s'occuper, raisonnablement? Je n'en ai pas la moindre idée. Mais mon instinct me dit que 120, c'est vraiment beaucoup.

M. Bone : Oui, c'est beaucoup.

Le sénateur Kirby : Nous pouvons nous informer. Puis-je vous demander une dernière chose? Dans le tout dernier paragraphe de la présentation du chef Evans, vous dites que vous pourriez nous fournir de l'information. Vous parlez plus particulièrement des obstacles que doivent surmonter les Premières nations à cause des conflits entre gouvernements au sujet des soins de santé, et nous serions ravis d'avoir cette information, de voir vos sources ou ce que vous avez. Si vous pouviez nous envoyer cela — je veux parler du dernier point à la page 7. J'aimerais comprendre un peu mieux. Vous dites aussi que vous vous feriez un plaisir de nous envoyer une liste. Ce serait vraiment très utile.

Le sénateur Gill : Merci beaucoup de vos présentations. C'était intéressant. J'ai bien aimé cela. Dans vos notes d'information, vous mentionnez les Anishinabes, les Assiniboines, les Dakotas, les Ojicris et les Dénés. Ce sont toutes des nations, pas des bandes.

M. Evans : Ce sont des nations différentes.

Le sénateur Gill : Il y a une différence entre les bandes et les nations. J'aime bien votre façon de le préciser parce que les gens confondaient autrefois les bandes et les Premières nations. Les bandes font partie des Premières nations. Je pense qu'il est très important de le souligner. Juste avant vous, nous avons reçu des jeunes, et il y a eu une question à ce sujet-là. Les gens trouvent que les Premières nations ont beaucoup de difficulté à avoir des services parce qu'il n'y a pas assez de ressources humaines. Mais, quand on parle de l'ensemble de la nation, le tableau est très différent. C'est pourquoi il m'apparaît très important de faire cette distinction; c'est une bonne chose que le comité lise cela parce que nous allons montrer la voie à d'autres, dans la capitale nationale, à ce sujet-là. On parle habituellement d'environ 600 nations d'un bout à l'autre du pays, ou plus, mais ce n'est pas vrai. Il y a une cinquantaine de nations avec lesquelles le gouvernement devrait traiter. Je pense que c'est très important.

Le sénateur Kirby : Sénateur Gill, vous venez d'une réserve ojibwa? Je vous pose la question parce que je pense que cela pourra intéresser les témoins.

Le sénateur Gill : Non, d'une réserve innue. J'en étais le chef.

J'aimerais que vous me disiez une chose parce que je sais qu'à l'époque où Phil Fontaine était votre grand chef ici au Manitoba, vous aviez entrepris des démarches pour assumer certaines des responsabilités des Affaires indiennes. Avez-vous réussi?

M. Evans : Non. Nous avions entrepris des démarches au sujet de l'Initiative sur l'Entente-cadre du Manitoba. Nous n'avons pas respecté les délais prévus. C'est beaucoup plus long que nous le pensions.

Le sénateur Gill : Mais vous y travaillez toujours?

M. Evans : Nous travaillons toujours dans ce sens-là, en effet.

Le sénateur Gill : Et votre objectif est resté le même ou si vous avez changé d'idée?

M. Evans : Non. L'objectif est toujours le même, à savoir l'autodétermination et l'autonomie gouvernementale; c'était le but ultime de cette initiative, que nous puissions gérer nos propres affaires. Il y a une entente qui a été signée ce matin à l'Assemblée législative du Manitoba et qui nous permettra de nous occuper de nos propres services de probation. Et nous nous occupons maintenant de nos services à l'enfance et à la famille. C'est exactement la même chose quand nous cherchons à prendre la responsabilité de nos propres services de santé pour pouvoir les gérer. Une fois que nous en assumerons la gestion, nos gens pourront commencer à acquérir les compétences nécessaires et nous pourrons prendre nos destinées en main. De plus, quand nous aurons acquis les compétences nécessaires pour prendre nos responsabilités, nous pourrons les transmettre à nos enfants et à nos petits-enfants. Voilà comment nous essayons d'aborder nos problèmes actuels.

Le sénateur Gill : Pour en revenir à la question des ressources financières, depuis que vous avez commencé à vous organiser et à gérer des services pour votre population, vous voulez que les ressources mises de côté par Ottawa à l'intention des Premières nations autochtones vous soient versées à vous plutôt qu'au gouvernement provincial?

M. Evans : Elles devraient être remises à notre organisation parce que, quand il y a une autre entité qui intervient, nous ne sommes pas entièrement responsables et on ne nous fait pas entièrement confiance pour assurer la gestion. Nous avons aujourd'hui des gens qui possèdent l'instruction et l'expérience nécessaires pour contribuer à cette organisation, pour aider les communautés à progresser. C'est simplement que nous n'avons pas le véhicule nécessaire; nous n'avons pas les ressources voulues pour montrer de quoi nous sommes capables.

Le sénateur Johnson : De quelles ressources disposez-vous?

M. Bone : Nous n'en avons pas beaucoup, à part celles que nous obtenons du gouvernement, parce qu'il y en a une partie qui passe par la province. Les sommes ne nous arrivent pas au complet directement. Ce n'est jamais suffisant pour nous permettre d'assurer avec succès certains des services dont nous assumons la responsabilité.

Prenons l'exemple des transports, et en particulier du transport des malades. Nous semblons toujours en déficit parce que personne ne peut déterminer quelles seront les dépenses à cet égard; donc, dès le départ, la majorité d'entre nous ne sont pas jugés compétents pour gérer ce service. En même temps, ce n'est pas une chose que nous contrôlons entièrement. Il y a d'autres intervenants autour de la table, mais c'est nous qui devons nous débrouiller au niveau communautaire.

J'aimerais répondre à votre question de tout à l'heure au sujet des nations. Notre nation, la nation ojibwa, compte neuf réserves, ou neuf bandes, dans la région du parc national du Mont-Riding. Nous formons la nation ojibwa, répartie dans neuf réserves différentes.

Je voudrais aussi faire quelques autres commentaires sur les initiatives lancées ici il y a quelques années. Bien sûr, nous n'approuvons pas tous certaines des approches choisies, mais ce qui compte, c'est que nous prenions en main le plus de ressources possible pour pouvoir corriger les problèmes nous-mêmes. Si nous continuons à permettre à d'autres gouvernements d'essayer de nous aider ou de corriger nos problèmes pour nous, cela ne fonctionnera pas. Toutes les démarches pour nous approprier certaines responsabilités des Affaires indiennes sont fondées sur ce genre de raisonnement. Remettez-nous tous les fonds de ce ministère, de cette organisation, et laissez-nous les gérer pour que nous puissions voir comment faire le travail nécessaire.

Le sénateur Gill : Vous y travaillez depuis dix ans, je pense.

M. Bone : Plutôt une trentaine d'années, en fait.

Le sénateur Gill : Ce n'est pas long quand on pense à l'histoire du pays et aux rapports avec les gouvernements provinciaux. Parfois, quand les Indiens cherchent à faire quelque chose, on a l'impression que cela prend beaucoup de temps, mais ce n'est pas le cas puisque les gouvernements fédéral et provinciaux se battent toujours au sujet de la Constitution, par exemple; en fait, ce n'est pas long.

Il y a toujours eu des gens pour dire que les Autochtones n'ont pas les compétences ou la capacité de gérer leurs propres affaires, que l'argent est généralement jeté par les fenêtres, et ainsi de suite. Que répondriez-vous à ces gens-là? J'ai entendu ce genre de chose très souvent, et vous aussi probablement. Que leur diriez-vous?

M. Bone : Je leur dirais : « Soyez patients parce qu'avec le temps, nous pouvons créer notre propre stabilité. » Les délais qui nous sont imposés sont parfois trop courts. Par exemple, il n'est pas nécessairement possible de régler en deux ans les problèmes d'une communauté gérée par une tierce partie ou en cogestion. Il faut regarder les systèmes en place et voir depuis combien de temps les leaders sont là pour pouvoir remédier aux problèmes de ce genre. Il pourrait falloir quatre ans pour corriger un système de cogestion avec une tierce partie.

Le sénateur Gill : Et qu'en est-il de la confiance?

M. Bone : À mon avis, une fois qu'une communauté voit qu'on lui laisse le temps de corriger ses propres problèmes, elle développe la confiance nécessaire. C'est certainement ce que je constate dans la région d'où je viens.

Le sénateur Johnson : J'aimerais avoir plus de précisions sur la façon dont le gouvernement provincial devrait vous céder des responsabilités. C'est ce que vous voulez. Que se passerait-il en ville?

M. Bone : Nous ne sommes pas toujours d'accord non plus de notre côté de la table, mais je ne suis pas certain que nous voulions que la province fasse ce que vous suggérez.

Le sénateur Johnson : C'est ce que j'avais compris, que vous vouliez un contrôle direct.

M. Bone : Nous essayons de voir comment nous pourrions fonctionner si nous avions un système autonome selon lequel nous recevrions les ressources nécessaires pour corriger nos problèmes, en combinaison avec le système provincial, qui intervient déjà et qui pourrait nous aider. Il y a des domaines où il faudrait peut-être faire les choses conjointement, par exemple pour les hôpitaux. Je sais que ma communauté ne pourrait pas construire ou administrer un hôpital; nous n'en aurions pas les moyens. Mais si je travaillais en collaboration avec les municipalités de notre région, peut-être qu'il finirait par y avoir un hôpital pour tout le sud-ouest du Manitoba.

Le sénateur Johnson : Que se passerait-il pour les Autochtones des centres urbains, de Winnipeg, par exemple?

M. Evans : Ma communauté compte 500 personnes. Mais nous avons 6 000 membres et, seulement dans cette ville, il y a 500 de nos citoyens qui habitent ici. Nous avons un bureau ici. Les gens viennent pour obtenir différents types d'aide. Nous ne les renvoyons pas chez eux, nous en prenons la responsabilité. C'est ce que nous disons aux dirigeants de la province : nous voulons pouvoir soutenir tous nos citoyens, qu'ils vivent dans les réserves ou à l'extérieur des réserves. Comme communauté, nous sommes aujourd'hui en mesure de le faire.

Je suis convaincu que, si on nous fournissait des ressources, nous pourrions le faire pour tous les gens des Premières nations qui vivent en ville. C'est seulement qu'à l'heure actuelle, nous n'avons pas les ressources voulues pour mettre en place les services et les programmes nécessaires parce que nous nous concentrons sur la lutte contre la pauvreté et le désespoir, qui minent de nombreuses communautés des Premières nations. Mais nous devons parfois prendre certaines de nos ressources pour essayer d'aider les gens des régions urbaines.

Le sénateur Johnson : Eh bien, comme nous en avons discuté avec les témoins précédents — nous avons eu une discussion très intéressante là-dessus aussi —, où va l'argent? Où vont les 13 milliards de dollars consacrés aux questions autochtones ou aux programmes qui s'y rattachent, par l'intermédiaire de cinq ministères et des gouvernements provinciaux? Est-ce que c'est toujours une question d'argent, ou si le problème vient plutôt de la façon dont cet argent est envoyé par l'intermédiaire des provinces, et réparti entre les réserves et les régions urbaines, par exemple?

Nous avons de très bons programmes au Manitoba, comme vous le savez, et ici en ville, surtout pour aider les gens à guérir — il y a la Thunderbird House, les programmes du centre autochtone et différentes choses qui se passent sur un certain nombre de fronts. Je voudrais seulement savoir où va l'argent, parce que vous voulez de l'argent de qualité.

M. Evans : Dans le secteur de la santé, je pense que nous sommes en mesure de fournir des chiffres; l'argent n'aide pas nos communautés, surtout dans le nord de la province. Il faut examiner les coûts de traitement et nous demander comment nous pourrions les réduire. Il y a beaucoup d'argent dépensé dans ce but-là.

Vous demandez où va l'argent. La majeure partie va aux fournisseurs de services. Les communautés des Premières nations sont seulement des intermédiaires, en quelque sorte, et l'argent n'aide pas vraiment comme il le devrait. Il ne permet pas d'offrir le genre de services et de traitements qui seraient nécessaires; il faut donc examiner cela.

Le sénateur Gill : Vous devez travailler à partir du principe selon lequel vous pourrez régler le problème en donnant de l'argent à ces organisations. Mais il y a quelqu'un d'autre qui le fait, et c'est le conseil de bande.

M. Evans : Ce n'est pas seulement dans un domaine; c'est un cercle vicieux. On dépense de l'argent pour traiter les gens ici... Prenons par exemple le cas de quelqu'un qui vient d'une maison surpeuplée. Il vient se faire traiter, puis il retourne dans cette maison surpeuplée. La situation ne change pas. Il n'y a rien qui change vraiment parce que les gens qui vivent dans cette maison-là gardent leurs habitudes. À moins que les conditions changent dans les communautés mêmes et dans leur environnement, nous ne pourrons pas faire ce que nous avons à faire, c'est-à-dire aider nos gens à guérir et à rester en santé. Si nous ne trouvons pas de façons nouvelles ou innovatrices de dépenser l'argent prévu pour le traitement, nous n'arriverons jamais à rien.

En même temps, c'est là qu'il faut nous faire confiance et nous permettre de voir ce qui ne va pas, parce qu'on ne nous donne pas l'occasion de changer les choses nous-mêmes. Nous avons besoin de ressources pour le faire.

Le vice-président : Nous avons discuté de cette question tout à l'heure, comme vient de le mentionner le sénateur Johnson. Une des raisons de l'échec du système de santé mentale, dans l'ensemble du Canada, c'est le manque d'organisation au niveau des communautés. Mais il me semble, d'après ce que j'ai entendu jusqu'ici et d'après le peu que je sais — comparativement à vous — sur votre situation très difficile, il y a des niveaux de services qui pourraient très bien être assurés au niveau communautaire. Si on mettait l'accent sur les soins dans la communauté pour la santé mentale, le traitement de la toxicomanie et la prévention du suicide, par exemple, il y a bien des communautés où cela pourrait très bien s'organiser, à mon avis, au niveau des cliniques communautaires, des services de soins primaires et des services sociaux.

Bien sûr, je pense que ce serait une erreur colossale d'essayer d'organiser des services hospitaliers, ou des services de santé mentale de troisième ou de quatrième niveau; vous pourriez les acheter. Ils existent, et pour les quelques personnes qui en ont besoin, vous pourriez les acheter. Cependant, les masses seraient traitées dans votre centre communautaire.

Il s'agit d'élaborer un modèle réaliste. Vous nous dites très clairement — tant vous-mêmes que les gens de vos communautés — que vous voulez garder le contrôle de vos ressources au niveau de vos communautés, et il serait encore possible de le faire.

M. Bone : Je voudrais faire deux commentaires. Premièrement, quelqu'un a demandé où allait l'argent. Il est versé en fonction de la population ou du nombre de membres. Supposons que nous avons 900 membres, mais que la population de notre réserve est de 600 personnes. Ce qui se passe, c'est qu'en vertu de tous les accords et en fonction de toutes les statistiques que nous fournissons aux divers ministères, notre financement est calculé seulement à partir du nombre de personnes qui vivent dans la réserve.

Nous n'avons jamais reçu — en tout cas, je ne l'ai jamais vu — l'argent pour les 300 personnes qui vivent, par exemple, à Winnipeg ou à Brandon. Et nous ne le recevrons jamais. Quel que soit le programme, quelle que soit l'annonce, ou ce que vous voudrez, nous n'obtiendrons jamais la portion concernant les gens qui vivent en ville.

Une des approches que certains d'entre nous envisagent, ce serait d'avoir accès à tous les fonds pour que nous puissions fournir directement les services. Ce ne sera peut-être pas suffisant, ce qui fait que nous devrons en revenir à un système de partenariat et travailler avec une municipalité ou un gouvernement provincial pour assurer certains services. C'est une possibilité.

Ce que je dis toujours, c'est que quand les chefs comme nous se regroupent et réussissent à sensibiliser des gens à un de nos problèmes, nous allons à Ottawa et nous obtenons, disons, 100 $. Mais, sur le chemin du retour, je dois en donner à l'APN, à la province, à la municipalité, à la ville et à certaines des organisations indiennes qui travaillent en milieu urbain. Quand j'arrive chez moi, il me restera peut-être 50 $, sur les 100 $ que nous avons réussi à obtenir en nous regroupant.

Le sénateur Kirby : Pourquoi devez-vous donner cet argent à d'autres?

M. Bone : Il y a des systèmes en place. Tout est une question de systèmes. Les fonds nous sont accordés en fonction d'ententes de contribution fondées sur ce principe, sur la population des réserves ou de l'extérieur des réserves, et c'est là que nous nous faisons avoir.

Le sénateur Kirby : Je ne comprends toujours pas pourquoi vous devez donner cet argent-là. Je comprends comment le financement est organisé, mais vous dites que vous devez donner de l'argent à l'APN, par exemple.

M. Bone : J'ai peut-être mal choisi mes mots en disant que nous « devons » le donner. Nous le partageons en gros avec toutes les organisations qui nous en demandent, par exemple pour défendre nos intérêts ou pour fournir un service à notre Première nation et aux membres de notre communauté.

Le sénateur Johnson : Je viens de Gimli, au Manitoba, et je suis la situation depuis des années. Je suis allée dans des réserves. Je suis allée à Norway House. Je ne suis pas allée chez vous. Je suis plus curieuse qu'avant, après 15 ans au Sénat et 11 ans au Comité des peuples autochtones. Je pose toujours la même question. L'argent ne semble jamais se retrouver directement entre les mains de la population, au niveau des communautés.

M. Bone : Il n'est jamais directement entre nos mains, en effet.

Le sénateur Gill : Je pense qu'il est important que ce soit très clair. Je suis d'accord avec vous. L'argent est versé seulement pour les gens qui vivent dans les réserves. Même si une tribu, une nation ou une bande compte 5 000 personnes, s'il y en a seulement 600 qui vivent dans la réserve, l'argent est accordé uniquement pour ces gens-là.

Quand vous parlez des services offerts ici, en ville, vous voulez parler de services destinés aux gens qui vivent dans les réserves, parce que vous ne recevez pas d'argent pour ceux qui habitent ici à Winnipeg. Vous en recevez pour vos gens qui vivent dans la réserve, mais qui obtiennent des services ici. Et vous devez payer parce que les gens retournent dans vos réserves.

M. Evans : Oui.

Le sénateur Gill : Ce n'était peut-être pas très clair. L'argent est versé pour les gens qui vivent dans les réserves. Je pense qu'il est très important que cela se sache.

Je voudrais simplement mentionner que j'incite parfois les gens de ma bande, de ma réserve, à mieux dépenser leur argent. Ils me répondent qu'ils aimeraient bien que cet argent-là soit dépensé le mieux possible parce qu'il n'y en a pas beaucoup. Ils disent toujours qu'ils ont tellement de rapports à faire pour le gouvernement et tellement de conditions à respecter que l'argent ne veut plus dire grand-chose en définitive. Norman parlait du fait que, quand on a par exemple 100 000 $ pour faire certaines choses, il n'en reste plus beaucoup quand on arrive chez soi. C'est vrai.

Je pense que nous devons nous pencher là-dessus, et examiner quel genre de rapports les conseils de bande doivent produire et combien il leur faut d'employés pour les produire. Il faut respecter les structures du gouvernement fédéral. Dans ma région, c'est ce qui se passe. Les gens disent : « Nous devons répondre. Nous devons respecter les conditions. Nous devons dépenser beaucoup d'argent pour employer des gens à cette fin. »

Le sénateur Kirby : Bien franchement, j'essaie de trouver un moyen de régler ce problème, parce que je pense que c'est un gaspillage d'argent dans une large mesure, du moins du point de vue des soins de santé. Débarrassons-nous de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits; faisons-la sauter et remplaçons-la par autre chose. Je ne veux pas dire qu'il faudrait y mettre une bombe, mais il faudrait la démanteler et obliger le gouvernement fédéral à reconnaître qu'il y a 5 000 personnes en cause, ou quelque chose du genre.

S'il est utile de conclure des ententes avec la province, c'est qu'il y a une foule de services qu'elle fournit déjà, par exemple dans les hôpitaux. Dans ce sens-là, c'est la même chose pour toutes les communautés isolées, que ce soient des réserves ou non. Il faudrait que la province s'entende avec les conseils de bande, les chefs du Manitoba ou les autres responsables pour fournir les services.

À part le fait qu'il fournit de l'argent, j'ai l'impression que le gouvernement fédéral n'est qu'un obstacle, bien franchement. Sauf peut-être avec son argent, je n'ai jamais entendu dire qu'il contribuait positivement à la santé des gens des Premières nations; il n'a donc rien à faire là. Demandez-lui de vous donner de l'argent, mais rien d'autre. Je sais que cela semble plutôt brutal, mais c'est vraiment ce que je pense. Est-ce qu'un d'entre vous voudrait commenter?

M. Bone : Eh bien, je ne peux qu'être d'accord avec vous, que ce soit brutal ou pas. Si nous procédions à un exercice de ce genre, si les Premières nations pouvaient avoir accès à l'argent directement, je serais tout à fait d'accord. Que ce soit brutal ou pas, il faut éliminer toutes les tracasseries administratives. Vous avez tout à fait raison.

Le sénateur Gill : Je pense avoir bien compris ce que vous avez dit. Corrigez-moi si je me trompe, mais il me semble que la plupart des Premières nations voudraient avoir l'argent du gouvernement fédéral. Ce serait ensuite à elles de traiter avec le gouvernement provincial ou une autre organisation pour obtenir les services qu'elles veulent et qu'elles ne peuvent pas assurer elles-mêmes. Vous voyez, c'est inversé, sénateur Kirby.

Le sénateur Kirby : Je vois.

Le vice-président : C'est ce qui est ressorti très clairement de la séance de tout à l'heure, quand vos jeunes vous ont précédés comme témoins. Ils nous ont dit : « Laissez-nous organiser les services au niveau communautaire et acheter ceux que nous ne pouvons pas fournir. Donnez-nous l'argent pour que nous puissions avoir ce qu'il nous faut. »

M. Bone : Exactement.

Le vice-président : Mesdames et messieurs, nous avons eu un après-midi très productif. Je vous remercie tous les deux d'être venus nous faire profiter de votre expérience et nous aider à préparer notre rapport, et nous espérons pouvoir faire quelque chose d'utile pour vous.

M. Bone : Merci beaucoup.

M. Evans : Merci de votre invitation. C'est un honneur.

La séance est levée.


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