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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 17, Témoignages du 2 juin 2005 - Séance de l'après-midi


REGINA, le jeudi 2 juin 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 12 h 55 pour examiner des questions concernant la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Wilbert J. Keon (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier d'être ici aujourd'hui pour nous aider dans notre tâche qui consiste à préparer le rapport final sur la santé mentale, que nous espérons terminer vers la fin de cette année. Nous espérons qu'il contribuera à réaliser certaines des choses que vous demandez.

Nous allons commencer avec M. Robert Allen, directeur exécutif des Registered Psychiatric Nurses of Canada.

M. Robert Allen, directeur administratif, Registered Psychiatric Nurses of Canada : Bonjour. Au nom des Registered Psychiatric Nurses of Canada, j'aimerais vous remercier de me donner l'occasion de parler devant votre comité des questions de santé mentale et de maladie mentale.

Notre association apprécie le fait que les membres de votre comité aient investi temps, intérêt et énergie pour essayer de trouver des solutions en ce qui concerne la santé mentale et la maladie mentale, en rencontrant les Canadiens dans l'ensemble du pays.

Je suppose que votre comité a entendu de nombreux spécialistes en santé mentale et maladie mentale. Je suis ici aujourd'hui prêt à vous offrir un exposé oral concis, partant du point de vue des infirmiers psychiatriques. J'ai également un mémoire qui a été rédigé par notre association et soumis à votre comité.

Tout d'abord, il peut être utile de savoir que la mission de notre association est de se faire le porte-parole, à l'échelle nationale et internationale, des infirmiers psychiatriques autorisés. Puisque je suis ici aujourd'hui pour parler en leur nom, il serait peut-être également utile de vous donner un bref aperçu des membres de la profession que je représente.

Les infirmiers psychiatriques autorisés forment le groupe le plus important de professionnels réglementés au Canada à fournir des services de santé mentale. Notre association est l'un des trois groupes d'infirmiers reconnus au Canada et elle s'occupe essentiellement des gens souffrant de troubles mentaux au Canada.

Nous collaborons avec différents professionnels, des bénévoles communautaires assimilés et des membres de la famille afin de prévenir les troubles mentaux et de promouvoir la santé mentale des Canadiens.

À peu près un quart des membres de la profession possède à l'heure actuelle un baccalauréat, en infirmerie psychiatrique notamment. Un petit nombre de nos membres détient une maîtrise et un groupe encore plus réduit prépare un doctorat.

À l'heure actuelle au Canada, très peu de programmes de premier cycle sont offerts en soins infirmiers psychiatriques et il n'existe aucun programme de second cycle ou de programmes de doctorat conçus tout particulièrement pour les infirmiers psychiatriques autorisés. De plus, aucun programme d'infirmiers praticiens ne prépare au Canada les infirmiers psychiatriques autorisés à dispenser des soins infirmiers psychiatriques avancés, en tant que cliniciens, dans un environnement de soins de première ligne, aux gens souffrant de troubles de santé mentale ou de maladie mentale.

La meilleure façon de décrire les infirmiers psychiatriques autorisés est de les considérer comme des professionnels qui apprennent constamment au contact des gens qu'ils servent.

Ce que les infirmiers psychiatriques autorisés du Canada ont appris peut être décrit à votre comité en répondant à trois questions de base : quoi? et puis après? et, maintenant, que faire? Ces questions permettent de présenter les cinq points que notre association voudrait faire valoir auprès de votre comité.

La première question : existe-t-il un danger clair et présent que les questions de santé mentale et de maladie mentale affecteront les Canadiens au cours de leur vie? La réponse est oui, absolument.

Alors quoi? La santé mentale et la maladie mentale créent un énorme fardeau qui entraîne une incapacité et, parfois, la mort.

La maladie mentale nécessite une intervention précoce. Pour que les gens puissent demander et recevoir une aide appropriée et opportune, il est essentiel de combattre la stigmatisation.

Les enfants et les adolescents, les Autochtones, les immigrants, les personnes souffrant de lésions cérébrales, les personnes âgées, les personnes vivant dans des régions rurales ou éloignées du Canada, les personnes souffrant de troubles du développement, les contrevenants, les lesbiennes, les gais, les bisexuels et les transgenres reçoivent souvent peu de services ou préoccupent peu le secteur de la santé mentale ou de la maladie mentale. Les ressources humaines en ce qui concerne la santé mentale sont souvent oubliées.

Que faire maintenant? Nous avons besoin de façon urgente du leadership du fédéral et de la collaboration des provinces et territoires pour élaborer un plan d'action national en santé mentale afin de combler l'écart entre le fardeau des troubles mentaux et les ressources souvent insuffisantes. Les gens aux prises avec un trouble mental ou avec un problème de santé mentale ont droit à la même qualité de soins et de services que les gens souffrant de maladies physiques.

Les médias peuvent entraver ou favoriser la promotion de la santé mentale des Canadiens.

Des politiques et des pratiques sont nécessaires tant au niveau provincial qu'au niveau national afin de s'assurer que les gens touchés par des questions de santé mentale ou de maladie mentale jouissent des droits fondamentaux définis par la Charte canadienne des droits et libertés. Des fonds et des ressources pour combler les besoins uniques et variés des Canadiens sont essentiels.

Des programmes de sensibilisation devraient être mis en place dans l'ensemble du pays, afin de préparer un nombre suffisant de professionnels de la santé mentale, qui seraient réglementés et recevraient une licence afin d'exercer au Canada.

La seconde question est la suivante : Existe-t-il un lien entre l'abus d'alcool ou de drogues et la maladie mentale? La réponse est : absolument.

Et puis après? Une consommation excessive d'alcool ou de drogues met en péril la santé des familles canadiennes. L'abus d'alcool et de drogues touche le bien-être des générations futures et se traduit par des coûts sociaux, la criminalité, des blessures et de la violence. Des médicaments d'ordonnance, des drogues illégales et des drogues sociales sont consommés par de nombreux Canadiens pour atténuer des symptômes de maladie mentale ou simplement pour composer avec la vie quotidienne.

La maladie mentale et des problèmes de dépendance se retrouvent fréquemment chez les gens en tant que troubles concomitants. Il existe une myriade de drogues illégales qui donnent lieu à des maladies, à des incapacités et parfois à la mort des Canadiens.

Que faire maintenant? Établir et maintenir des partenariats efficaces entre le gouvernement, les professionnels de la santé mentale et les agences communautaires est une priorité.

Le soin, la compassion et le respect du bien-être et de la dignité des personnes que l'on sert, sont des impératifs afin de trouver une solution efficace aux coûts sociaux.

Les barrières historiques et les limites qui, dans le passé, ont empêché l'intégration opérationnelle et systémique entre les services de santé mentale et de toxicomanie doivent être éliminées afin de créer des services unifiés et significatifs.

Une compétence et des connaissances pertinentes sont essentiels pour permettre aux professionnels et au personnel assimilé de répondre aux besoins en services au niveau de l'éventail des soins qui sont prodigués pour les dépendances et la santé mentale, depuis l'intervention précoce jusqu'aux traitements et aux services de réintégration.

Des services d'intervention, de traitement et d'intégration pour les toxicomanes sont importants pour les Canadiens. L'Organisation mondiale de la santé a reconnu depuis 2003, que pour chaque dollar investi dans le traitement des toxicomanes, sept dollars sont économisés en coûts de santé et en coûts sociaux.

La troisième question est la suivante : est-ce mieux de le faire ensemble? Oui, absolument.

Et puis après? Les services de soins de santé de première ligne peuvent être un moyen de partager et d'intégrer les soins de santé mentale pour les Canadiens. Les bonnes intentions ne suffisent pas, les professionnels qui offrent des services aux personnes touchées par des questions de santé mentale ou de maladie mentale ont besoin de compétences techniques et interpersonnelles pertinentes.

Les médecins de famille ne sont pas préparés pour faire face à la quantité de gens confrontés à des questions de santé mentale ou de maladie mentale qui se présentent régulièrement à leur cabinet. La masse critique des psychiatres au Canada est peu importante. Les programmes de deuxième et de troisième cycles, conçus pour les infirmiers psychiatriques autorisés, devraient recevoir un financement fédéral et provincial comparable, ainsi que l'appui généreux d'autres professionnels de la santé.

Il existe un manque en ce qui concerne la recherche sur la prestation de première ligne de services de santé mentale au Canada et un besoin de pratique fondée sur l'expérience clinique.

Que faire maintenant? La prestation de soins de santé mentale est complexe et se base sur une relation et une collaboration entre de nombreuses personnes, travaillant en partenariat et partageant la responsabilité avec les professionnels, les clients, les collectivités ainsi que les organisations municipales et gouvernementales, afin d'intégrer les services et d'améliorer la santé mentale.

Des concepts pertinents de soins de santé de première ligne, par le biais d'une éducation interdisciplinaire donnant lieu à des compétences en matière de promotion de la santé mentale, de sécurité culturelle et de relations interpersonnelles, sont essentiels aux équipes de soins de santé de première ligne efficace.

Nous avons besoin de programmes d'infirmiers praticiens, conçus pour les infirmiers psychiatriques autorisés afin qu'ils puissent soutenir et compléter le travail des médecins de famille et des psychiatres. Les infirmiers psychiatriques autorisés dotés de compétences cliniques avancées peuvent devenir des ressources humaines irremplaçables, particulièrement dans les équipes de soins de santé de première ligne dans les régions rurales et les régions du nord du Canada.

Il existe un besoin de collaboration interprovinciale pour la préparation en soins infirmiers psychiatriques au niveau des deuxième et troisième cycles. La recherche et le financement de la recherche sont des impératifs si l'on veut obtenir de l'expérience clinique pour offrir des soins de santé mentale de qualité.

La quatrième question est celle-ci : une action délibérée est-elle plus efficace qu'une réaction en crise? Bien sûr que oui.

Et puis après? La promotion de la santé mentale et la prévention exigent qu'on y accorde une plus grande priorité. Les politiques et la législation qui soutiennent la santé mentale pour tous les Canadiens doivent être renforcées.

Les enfants et les jeunes, les Premières nations, les immigrants, les personnes victimes de lésions cérébrales, les personnes âgées, les habitants des zones rurales et éloignées du Canada, les personnes ayant des troubles du développement, les contrevenants ainsi que les lesbiennes, les gais, les bisexuels et les transgenres ont tous besoin d'avoir accès à des services de promotion de la santé mentale et de traitements des maladies mentales en temps opportun.

Les déterminants de la promotion de la santé mentale nécessitent la collaboration des gouvernements fédéral et provinciaux pour faire en sorte que la santé mentale des Canadiens soit traitée de manière constructive. En effet, les gouvernements ne peuvent plus faire fi du cycle vicieux de la pauvreté et des troubles mentaux.

Les professionnels de la santé mentale sont en train de vieillir, et les programmes éducatifs sont peu nombreux comparés à d'autres professions.

Il est donc impératif d'assurer un financement, un soutien et une reconnaissance qui mettraient la recherche en matière de santé mentale sur un pied d'égalité avec les autres disciplines.

Que faire maintenant? Les plans d'action provinciaux et nationaux en matière de santé mentale doivent comporter des éléments de promotion de la santé mentale. Il faudrait établir des politiques et une législation en matière de santé mentale qui soient rationnelles et exhaustives et les réviser.

L'intervention précoce, la prévention primaire, secondaire et tertiaire et la promotion de la santé mentale sont des composantes essentielles d'un continuum canadien de soins de santé mentale de qualité.

Mesures de soutien social, relations, statut social, hygiène de vie, services de santé, utilisation de médicaments, santé physique et conditions du milieu sont autant de déterminants de la santé mentale qu'on ne saurait plus ignorer ou minimiser, puisqu'ils influent sur la manière dont les Canadiens composent avec leur milieu professionnel, récréatif et affectif tous les jours.

La collaboration est capitale dans la gestion efficace des déterminants de la santé mentale.

Il faut impérativement assurer la planification de la relève et mettre sur pied des programmes éducatifs adéquats pour faire en sorte que le nombre de cliniciens, d'éducateurs, d'administrateurs et de chercheurs en matière de santé mentale soit suffisant à l'avenir.

Le financement et les chaires de recherche pour le personnel infirmier psychiatrique autorisé et autres professionnels de la santé mentale sont essentiels pour comprendre ce qui fonctionne le mieux pour les Canadiens vivant avec des troubles, une maladie ou un handicap ayant trait à la santé mentale.

La dernière question est celle-ci : La restructuration et la revitalisation des services de santé mentale sont-elles une priorité? Sans conteste, la réponse est oui.

Que faire alors? Des Canadiens sont frappés d'incapacité et d'autres meurent à cause de maladies mentales, et pourtant, la maladie mentale continue d'être invisible et sous-financée.

La sécurité culturelle est indispensable si on veut aider la population canadienne hétéroclite, car elle transcende l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle et l'origine ethnique.

Des services de santé mentale adaptés aux lesbiennes, aux gais, aux bisexuels et aux transgenres ont longtemps été ignorés.

Les services de santé mentale se fient outre mesure aux familles ou aux bénévoles pour ce qui est de la prestation des services. Les groupes d'entraide fournissent un soutien considérable aux personnes souffrant de maladie mentale; ils sont les alliés des professionnels de la santé mentale.

Que faire maintenant? La santé mentale nécessite une injection immédiate de ressources humaines et financières.

La qualité et l'excellence doivent être la principale priorité pour les Canadiens, et cela doit s'accompagner d'un engagement à apporter des améliorations fondées sur l'expérience clinique et à faire de la recherche sur un éventail complet de services de santé mentale dynamiques et progressistes et de programmes et de services de promotion de la santé mentale.

La sécurité culturelle, la promotion de la santé mentale et la compétence des prestataires professionnels de soins de santé mentale constituent des éléments fondamentaux d'une campagne de sensibilisation.

La sensibilisation et l'élaboration de lignes directrices sont indispensables pour aider les professionnels de la santé mentale à offrir des services de santé mentale adaptés aux besoins des lesbiennes, des gais, des bisexuels et des transgenres et les aider à comprendre la diversité des orientations sexuelles et des identités sexuelles en contexte si on veut s'attaquer efficacement aux problèmes de santé mentale ou de dépendances.

Les personnes souffrant de maladie mentale ne devraient pas avoir à compter sur des actes de générosité aléatoires des réseaux de soutien social. En effet, on ne devrait pas s'attendre à ce que les familles et les bénévoles deviennent des prestataires de services alors même qu'il manque de ressources économiques ou professionnelles. Les groupes d'entraide offrent des services de soutien social aux personnes souffrant de maladie mentale et de dépendances, mais ils ont besoin d'appui financier.

En bref, la santé et la maladie mentales sont des questions complexes, mais il y a de l'espoir. La viabilité de notre système de santé pour les générations futures commande que nous insistions davantage sur la relation entre la santé mentale et la santé d'une manière générale. La santé mentale et les problèmes de santé mentale doivent être perçus comme des éléments cruciaux du système de soins de santé dans son ensemble.

La prévention, la promotion et l'intervention précoce dans les cas de problèmes de santé mentale et de maladie mentale sont des mesures fort susceptibles de limiter le coût de la prestation des services de santé en général.

Il faut du temps pour que les programmes de prévention et de promotion en matière de santé mentale donnent des résultats concrets. Il faut un engagement à long terme et la collaboration des politiciens et des décideurs à tous les paliers.

Même si un plan d'action national en matière de santé mentale permettra de répondre aux besoins à court terme, la mise en oeuvre de programmes visant des objectifs à long terme nécessite un engagement sincère envers le bien-être des Canadiennes et des Canadiens de la part des gouvernements à tous les paliers.

Enfin, notre association réaffirme son soutien à l'Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale dans le cadre des efforts qu'elle déploie pour établir un plan d'action national pour la santé mentale.

Notre association est solidaire de votre comité et des autres témoins qui ont comparu et qui comparaîtront devant vous pour prendre la parole au nom de l'ensemble des Canadiens. Le travail de votre comité est grandement susceptible d'avoir des effets positifs pour l'ensemble des Canadiens et même de sauver des vies.

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Allen. Je voudrais vous poser une question avant de céder la parole au sénateur Callbeck qui en fait a été ministre de la Santé de l'Île-du-Prince-Édouard et premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard. Elle possède donc une vaste expérience dans le domaine de la santé.

Jusqu'à présent au cours de nos audiences, un thème qui est revenu constamment est le besoin de services communautaires : en d'autres mots, prévoir une infrastructure pour assurer des services sociaux et médicaux intégrés, essentiellement des soins primaires. Nous pourrions alors intégrer le système de santé mentale à ces services institutionnels, dont un grand nombre existent déjà même s'ils ne fonctionnent pas bien.

Cela m'amène à m'interroger sur le rôle de la profession infirmière à cet égard, car il me semble que le personnel infirmier contribue de façon fondamentale à l'efficacité des services communautaires. En fait, dans certaines des petites collectivités, les services sont entièrement assurés par une infirmière spécialisée en psychiatrie clinique. Au cours de ma carrière en médecine, j'ai souvent eu l'occasion de travailler avec des infirmières cliniciennes spécialisées qui m'ont vraiment impressionné.

Je tenais à aborder cette question avec vous et connaître votre réaction parce que pour combler ces énormes lacunes en matière de services destinés à traiter les problèmes de santé mentale, de maladie mentale et de toxicomanie, je crois qu'il est absolument nécessaire de faire appel à des infirmières cliniciennes dans les services psychiatriques. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Allen : Je suis d'accord avec vous. Je crois que les infirmières psychiatriques pourraient jouer un rôle très important au niveau communautaire, surtout dans les régions rurales et éloignées. Malheureusement, pour l'instant, il n'existe aucun programme en ce sens.

Cependant, le rôle des infirmières autorisées évolue dans le domaine médical et certains aspects se rattachent à la santé mentale.

Nos membres ont choisi le domaine de la santé mentale parce qu'ils aiment travailler dans ce domaine même si ce travail peut être difficile, éprouvant et exigeant. Il existe des préjugés à l'égard non seulement du domaine de la santé mentale mais de notre profession, ce qui a tendance à faire de nous une profession invisible.

En Saskatchewan, il existe un programme permettant l'obtention d'un deuxième diplôme, c'est-à-dire que les personnes titulaires de diplômes dans divers domaines peuvent obtenir un diplôme en sciences infirmières en deux ans, de sorte qu'elles ont deux diplômes. Nous aimerions bien sûr qu'elles se spécialisent dans le domaine de la santé mentale puisqu'il y a d'énormes besoins à combler à cet égard.

Le vice-président : Il existe aussi au Manitoba un programme de deux ans pour les infirmières dont pourraient se prévaloir les infirmières psychiatriques autorisées.

Je reviendrai aux collectivités. Dans de grands centres métropolitains comme Toronto, les gens disent qu'ils veulent une collectivité à laquelle ils peuvent s'identifier et des services facilement accessibles. Cela leur permettrait de se familiariser avec le système. Ils ne veulent pas être obligés d'aller à l'urgence de l'hôpital de Toronto par exemple.

Lorsque nous parlons de services communautaires, nous songeons fréquemment uniquement aux services en région rurale alors qu'en fait ils sont nécessaires surtout dans les grands centres métropolitains. J'espère que vous êtes d'accord avec cela.

M. Allen : Oui.

Le sénateur Callbeck : Je vous remercie de votre présentation. Vous dites qu'il faudrait établir des programmes de formation partout au pays pour préparer un nombre suffisant de professionnels en santé mentale qui sont réglementés et autorisés à exercer au Canada.

À votre avis, quel devrait être le rôle du gouvernement fédéral à cet égard?

M. Allen : Le rôle du gouvernement fédéral consiste principalement à établir un plan ou un modèle pour le Canada en matière de santé mentale. Je ne suis pas un spécialiste des sphères de compétences fédérales-provinciales et des sphères de responsabilité. Je sais qu'en ce qui concerne les Premières nations, il existe d'énormes lacunes dans la façon dont les services sont répartis. L'accès aux services est inexistant en raison des problèmes qui se posent pour ce qui est de déterminer s'ils relèvent de la compétence du gouvernement fédéral ou du gouvernement provincial. Je crois que le gouvernement fédéral pourrait assumer davantage un rôle de leadership à cet égard.

Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé des obstacles historiques qui, par le passé, ont entravé l'intégration opérationnelle et l'intégration du système de santé mentale et des services de traitement des dépendances, et affirmé qu'il faut éliminer ces obstacles pour créer des services homogènes et efficaces. Pourriez-vous nous donner plus de précisions à ce sujet?

M. Allen : Je pourrais peut-être vous donner un exemple concret. Une ou deux fois par année, nous tenons une conférence en psychiatrie clinique en Saskatchewan pour nos collègues en sciences infirmières. J'ai entendu l'un des professeurs de psychiatrie dire que ses collègues médecins continuaient de parler de lui comme du « psy ».

Les obstacles, les limites, la défense du territoire professionnel, entre autres, sont des aspects très réels et très difficiles à surmonter. C'est en partie ce dont il s'agit.

D'autres obstacles sont des obstacles que nous avons établis traditionnellement en disant que cela relève du domaine médical, que ce n'est pas de ma compétence lorsqu'en fait tous ces domaines sont liés entre eux. Il faut assurer une formation qui soit davantage interdisciplinaire. Si les professionnels de la santé se considèrent comme membres d'une équipe plutôt que comme des professionnels individuels et indépendants, cela offre d'énormes possibilités. Que vous soyez un optométriste qui s'occupe des yeux de quelqu'un ou que vous soyez un dentiste, vous vous occupez de la personne tout entière en ce qui concerne ses problèmes médicaux et mentaux.

Le sénateur Callbeck : Où au Canada les cours dont vous parlez sont-ils offerts aux infirmières psychiatriques autorisées?

M. Allen : À l'heure actuelle, il existe un baccalauréat en sciences infirmières psychiatriques au Manitoba. La Colombie-Britannique a reçu l'approbation de son baccalauréat en sciences de la santé pour ce qui est des soins infirmiers psychiatriques à Douglas College, et Kwantlen University College est en train aussi d'établir un programme qui prépare au diplôme.

La Saskatchewan a été la première province à adopter une loi en ce sens en 1948, et depuis ce temps nous avons formé des infirmières autorisées en soins psychiatriques. Nous sommes en train de négocier avec le programme de formation en sciences infirmières en Saskatchewan afin d'ajouter des compétences en santé mentale au programme.

Le vice-président : Nous allons maintenant passer au Farm Stress Line Advisory Group.

Mme Lil Sabiston, présidente, Farm Stress Line Advisory Group : Bonjour à tous. Je viens de Kelliher en Saskatchewan, une petite ville située à environ 200 milles d'ici. Je n'ai pas pu travailler dans les champs ce matin à cause des fortes pluies. Je suis donc heureuse d'être ici.

Je suis agricultrice d'abord et avant tout. Je siège à titre de présidente du Conseil consultatif de lutte contre l'alcoolisme et la toxicomanie auprès du ministre de la Santé de la Saskatchewan. Je fais également partie du Conseil consultatif de la santé mentale. Aujourd'hui je suis ici à titre de présidente du Saskatchewan Farm Stress Line Advisory Group et je suis heureuse de faire cette présentation au nom de ce groupe. Notre présentation s'intitule, « From Our Experience » (D'après notre expérience).

Tout d'abord, nous tenons à remercier le comité sénatorial de la possibilité qu'il nous offre de présenter notre point de vue ici aujourd'hui. Cette présentation ne vise pas à donner suite à toutes les questions soulevées dans le troisième rapport du comité intitulé Santé mentale, maladie malade et toxicomanie : Problèmes et options pour le Canada. Nous avons plutôt l'intention, conformément au titre de cette présentation, d'aborder des questions qui cadrent avec notre expérience.

Je commencerai par vous présenter le Farm Stress Line Advisory Group, après quoi je vous décrirai les activités et le travail du Farm Stress Unit. J'aborderai ensuite le contexte culturel de la prestation des services aux producteurs agricoles et aux collectivités rurales en général.

Nous considérons qu'il faut attirer l'attention du Comité sénatorial permanent sur notre groupe et sur nos clients.

À l'heure actuelle, le groupe se compose de 11 représentants d'organisations qui s'intéressent aux dimensions humaines de l'agriculture. Ces membres représentent une vaste gamme d'organisations, y compris le Prairie Women's Health Centre of Excellence, Farmers With Disabilities, Saskatchewan Alliance for Agricultural Health and Safety, Saskatchewan Association of Rural Municipalities, Saskatchewan Society for the Prevention of Cruelty to Animals and Agricultural Producers Association of Saskatchewan, pour n'en nommer que quelques-unes.

Nous assurons un soutien consultatif sur l'orientation et les plans de la ligne téléphonique et dans la promotion du service; nous travaillons à titre bénévole.

Le Farm Stress Line a commencé ses activités en février 1992 et reçoit en moyenne 1 000 appels par année provenant de producteurs. Les motifs des appels varient beaucoup et traduisent les pressions auxquelles font face les familles d'agriculteurs, pressions qui provoquent beaucoup de stress et qui se manifestent dans leur santé mentale et physique.

Le service est un programme qui relève de Saskatchewan Agriculture and Food. C'est le seul service d'écoute téléphonique d'aide aux agriculteurs qui fait partie des postes budgétaires du budget du ministère provincial de l'Agriculture.

La mission de ce service est d'offrir des services confidentiels par téléphone aux pairs en matière de counselling, de soutien, d'information et d'aiguillage pour répondre aux besoins des familles rurales. Les conseillers au moment du recrutement sont des agriculteurs dont l'expérience est complétée par un programme de formation poussée.

Les conséquences des pressions créées par des problèmes d'endettement agricole sont souvent l'objet des appels que reçoit la ligne d'écoute téléphonique d'aide aux agriculteurs.

Voici nos recommandations.

Il y aurait peut-être lieu de recommander de modifier le mode de rémunération, de fournir des fonds au client tant que cela n'entraîne pas de changement à notre système actuel financé par l'État.

Pour assurer des services adaptés aux réalités culturelles des agriculteurs, des exploitants de ranchs et de leur famille, les fournisseurs de services doivent être sensibles à leur réalité culturelle et la respecter, et engager du personnel qui comprend intuitivement la vie rurale.

Il est nécessaire d'assurer la coordination du système. Nous considérons qu'il vaudrait la peine de définir clairement les rôles des divers fournisseurs de services de santé mentale et de lutte contre les dépendances. Il faudrait par conséquent que l'on respecte pleinement les fournisseurs de services non gouvernementaux. De plus, il faut assurer le financement de base du secteur bénévole.

Il existe des obstacles à l'accès aux services de santé mentale et de lutte contre les dépendances. Pour surmonter les obstacles, nous devons définir et décrire la prestation de services d'une manière acceptable au secteur agricole et rural. Cette définition et cette description devraient faire l'objet d'une promotion et d'une sensibilisation importantes.

Les organismes doivent être prêts à répondre aux besoins des enfants et des adolescents dans le cadre du mandat de chaque agence donnée. Nous sommes conscients du fait que les conseillers scolaires des régions rurales de la Saskatchewan font face aux difficultés de la vie rurale dans un climat agricole qui n'est pas positif depuis de nombreuses années.

Nous sommes prêts à aider les Premières nations si elles nous invitent. Nous considérons que le leadership doit demeurer au sein des collectivités autochtones.

Nous appuyons la notion de fournisseurs de soins de santé, spécialisés dans les soins aux aînés. Dans le secteur agricole, la retraite commence par la décision parfois traumatisante de quitter la vie agricole. Les agriculteurs peuvent être appelés à louer leur exploitation agricole, et cela peut susciter des préoccupations chez une personne âgée vulnérable qui n'est peut-être pas certaine des détails du contrat de location. Les fournisseurs de tels services devraient comprendre cette réalité lorsqu'ils traitent avec des agriculteurs.

Des recommandations concernant l'indemnisation des travailleurs et des programmes fédéraux de sécurité du revenu présenteraient des avantages restreints aux familles agricoles puisque ces familles travaillent à leur compte et en ce qui concerne les travaux non reliés à l'exploitation agricole, leur revenu et leurs avantages peuvent être limités.

Pour combattre la stigmatisation, il faut adapter la prestation des services en fonction de la perspective de la collectivité. Pour que le service soit efficace, l'organisme de prestation des services devrait peut-être adopter une orientation non traditionnelle.

De plus, pour réussir, il faut un engagement important afin de sensibiliser le public et faire connaître les services. Le fait qu'un service soit bien connu ne se traduit pas forcément par une augmentation du nombre de clients.

Le Saskatchewan Farm Stress Line Advisory Group encourage le comité sénatorial à consulter le centre de Calgary pour la prévention du suicide, puisque le centre est le chef de file dans ce domaine.

La ligne d'écoute téléphonique d'aide aux agriculteurs appuierait le modèle néo-zélandais de travailleurs de soutien pour la santé mentale s'ils comprennent les réalités de la vie rurale et si l'organisme chargé de fournir les services est compatible avec les personnes qui vivent en milieu rural.

Le groupe consultatif appui le financement d'une base de données nationale de recherche et de technologie. Il faut toutefois prévoir également un financement suffisant pour les organisations communautaires qui à l'heure actuelle ne reçoivent pas un financement de base de la part du gouvernement.

Le Saskatchewan Farm Stress Line Advisory Group est tout à fait conscient des conséquences d'une insuffisance de fonds pour les personnes qui vivent en milieu rural, et qui sont en train de devenir des collectivités éloignées. Le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle pour ce qui est d'en atténuer les conséquences.

À titre d'information, la Saskatchewan détient plus de 40 p. 100 des terres arables au Canada. La Saskatchewan possède également le deuxième troupeau en importance de vaches d'élevage de boucherie au Canada. L'agriculture est un important moteur économique dans cette province. La santé mentale des agriculteurs est d'une importance primordiale puisqu'elle influe sur la viabilité à long terme du secteur agricole, sur les familles d'agriculteurs et sur leur gagne-pain.

J'aimerais également vous lire un rapport que nous a communiqué le Service d'assistance téléphonique de l'Ontario.

Le service d'assistance téléphonique est la première source d'information, de soutien et d'aiguillage pour les familles d'agriculteurs qui connaissent des symptômes liés au stress.

Les familles d'agriculteurs sont aiguillées vers les services professionnels et publics appropriés et disponibles en Ontario lorsque l'information et le soutien sont considérés insuffisants pour répondre aux besoins émotionnels et psychologique des membres des familles d'agriculteurs.

Ce service offre aux familles d'agriculteurs un moyen d'obtenir du soutien grâce au service d'assistance téléphonique et à des ressources documentaires, ainsi qu'aux ressources offertes en direct et au moyen du service d'assistance téléphonique. Cela permet aux familles d'agriculteurs de trouver plus efficacement les services de soutien et l'aide professionnelle dont elles ont besoin pour gérer leur situation. Le service d'assistance téléphonique peut donc être considéré comme un service d'accueil et d'aiguillage pour les populations agricoles et rurales de l'Ontario en ce qui concerne les questions interpersonnelles, psychologiques et financières.

Je pense que cela vaut pour la plupart des lignes d'assistance téléphonique au Canada.

Le vice-président : Merci beaucoup, madame Sabiston.

Monsieur Imhoff, auriez-vous quelque chose à ajouter à la présentation?

M. Ken Imhoff, gérant, Farm Stress Line Advisory Group : Pas du tout. S'il y a des questions auxquelles je peux répondre pour aider Lil, alors je le ferai.

Le vice-président : Nous avons entendu le témoignage du Manitoba hier qui m'a impressionné. Je pense qu'il s'agit d'une initiative vraiment remarquable. Je ne sais pas dans quelle mesure l'Ontario et l'Alberta sont bien organisées, pouvez-vous me renseigner à ce sujet?

Mme Sabiston : Je suis plus ou moins au courant, mais je crois que Ken sera probablement mieux en mesure que moi de répondre à cette question.

M. Ken Imhoff : La plupart des services d'assistance téléphonique à l'intention des agriculteurs sont calqués sur le service offert en Saskatchewan, à l'exception de la Nouvelle-Écosse. C'est principalement parce que le service d'assistance téléphonique de la Saskatchewan a été le premier à être mis sur pied.

En Ontario, il s'agit d'une organisation à but non lucratif qui doit se battre chaque jour pour garder les lignes téléphoniques ouvertes.

Ceux qui s'occupent de l'octroi de fonds, qu'ils soient privés ou publics, préfèrent rester en terrain connu. Comme les services d'assistance téléphonique sont un domaine qu'ils connaissent peu, il est difficile de les convaincre que le financement de ce type d'organismes est justifié. C'est la raison pour laquelle vous constaterez des allusions dans la partie plus volumineuse du document à la nécessité d'examiner sérieusement le financement de base des organisations à but non lucratif. Je soupçonne qu'il y aurait plus d'initiatives à l'intention des lignes directes d'assistance téléphonique à l'intention des agriculteurs et des personnes qui s'intéressent à ce milieu, si l'on comprenait les conséquences désastreuses pour un grand nombre d'organisations à but non lucratif de la diminution du financement de base des organismes.

L'Alberta n'a pas de service d'assistance téléphonique à l'intention des agriculteurs. Elle a un service gratuit d'assistance téléphonique en matière de santé mentale, et je soupçonne que ce service reçoit aussi un certain nombre d'appels provenant d'agriculteurs.

La stigmatisation mentionnée par notre collègue, M. Allen, rend la situation particulièrement difficile dans le milieu des agriculteurs et des exploitants de ranch. Ces personnes ne considèrent pas qu'elles ont un problème de santé mentale même si elles peuvent éprouver des difficultés et des problèmes qui s'y apparentent.

Le vice-président : Hier, au Manitoba, on nous a indiqué que dans les régions rurales où les gens sont proches et se connaissent bien, ils sont mal à l'aise à l'idée que l'on sache qu'ils ont fait appel à un service provincial de counselling. Ils préfèrent faire appel à un service d'assistance téléphonique à l'intention des agriculteurs, lequel à leurs yeux ne suscite pas le même type de préjugés.

Au fur et à mesure que les programmes évoluent et que les services de conseil et d'assistance téléphonique deviennent de plus en plus nombreux, je soupçonne que l'on fera valoir qu'il y aurait lieu de les intégrer à d'autres programmes. Je crois que vous devrez préparer votre riposte à cette proposition.

Mme Sabiston : Le service d'assistance téléphonique à l'intention des agriculteurs est facilement accessible à ceux qui ont besoin de parler à quelqu'un et qui ne peuvent pas attendre six à huit semaines. Parfois des problèmes surgissent et le service d'assistance téléphonique ici en Saskatchewan offre facilement accès à des personnes qui sont nos pairs. Elles savent ce dont nous parlons lorsque nous parlons du prix élevé de l'engrais ou du prix élevé du carburant parce qu'elles ont vécu cette situation. En tant qu'agriculteurs, elles se sentent en harmonie avec la personne à qui elles parlent, et souvent c'est ce dont elles ont besoin.

Le vice-président : Au Manitoba, le service d'assistance téléphonique à l'intention des agriculteurs fonctionne de 8 heures à 20 heures. Il ne s'agit pas d'un service offert 24 heures par jour sept jours par semaine. Votre service est-il offert 24 heures par jour sept jours par semaine?

M. Imhoff : Notre service est offert de 8 heures à 21 heures, du lundi au samedi, à l'exception de Noël et du Nouvel An, tous les congés fériés. Il serait sans doute préférable d'assurer ce service 24 heures par jour. Toutefois je ne crois pas que le financement serait suffisant pour nous permettre de le faire. Il est difficile de concevoir un système qui est efficace sur le plan financier et qui répond en même temps aux besoins des gens.

Nous ne recevons pas beaucoup d'appels en soirée; c'est surtout très tôt le matin que nous recevons le plus grand nombre d'appels. Les appels ont tendance à être saisonniers, mais pas comme on s'y attendrait au moment des semis et de la récolte, mais avant les semis et après la récolte. C'est à ces moments-là que les problèmes financiers surgissent. Les agriculteurs ont besoin de fonds de fonctionnement au printemps et doivent payer leurs factures à l'automne.

Le vice-président : Savez-vous si quelqu'un a éprouvé des difficultés parce qu'il n'avait pas accès à votre service le dimanche?

M. Imhoff : Nous avons eu quelques appels de ce genre au début. Nous avons continué à faire des vérifications en utilisant le système de gestion des messages, et nous avons constaté que les appels plus tard en soirée sont rares. À l'occasion de la réunion de planification annuelle du groupe consultatif, tous les deux ans nous discutons avec notre groupe consultatif de l'opportunité de prolonger les heures de service et des incidences d'une telle mesure. Jusqu'à présent, on considère que l'horaire actuel semble fonctionner.

Le vice-président : Avez-vous un service de réponse téléphonique ayant comme message « Nous sommes désolés de ne pouvoir prendre votre appel maintenant; nous vous rappellerons en matinée? »

M. Imhoff : Nous utilisons un système de gestion des messages. Il y a des problèmes de confidentialité et les agriculteurs n'aiment pas les services de réponse téléphonique. Les gens ont tendance à être étonnés lorsqu'ils tombent directement sur nous. En tant que gestionnaire du service, je n'ai pas de service de réponse téléphonique pour cette raison. Ce sont des gens occupés qui ne sont pas impressionnés lorsqu'ils tombent sur un service de réponse téléphonique — surtout s'il est dans les deux langues.

C'est très simple; nous sommes là ou ne sommes pas là. Même notre système de mise en file d'attente des appels est réglé à zéro parce que les gens ne veulent pas être mis en attente. C'est la nature des gens avec qui nous traitons.

Le sénateur Callbeck : J'ai été impressionnée par ce qu'on a dit à propos de la ligne d'aide téléphonique pour les agriculteurs. Je suis de l'Île-du-Prince-Édouard où l'agriculture est la principale industrie. J'en comprends l'importance, et je vois pourquoi c'est absolument nécessaire.

Vous recevez en moyenne 1 000 appels par année, est-ce que ce sont souvent les mêmes personnes qui appellent?

M. Imhoff : Nous encourageons le counselling d'entraide à court terme. J'estime qu'environ 20 p. 100 des appels proviennent des mêmes personnes. Je pourrais probablement compter sur les doigts d'une seule main ceux qui rappellent. Notre but est de maîtriser les problèmes à court terme et de diriger les gens vers les services, et nous les encourageons à y avoir recours lorsqu'ils sont prêts.

Le sénateur Callbeck : Autrement dit, s'ils téléphonent parce qu'ils ont besoin d'information pour vendre leur ferme, vous les dirigez vers quelqu'un?

M. Imhoff : Je ne crois pas que nous ayons reçu d'appels de personnes qui comptaient vendre leur ferme.

Le sénateur Callbeck : Cela me surprend beaucoup étant donné l'état de l'agriculture.

M. Imhoff : Selon les années, environ 30 p. 100 des appels proviennent de gens qui connaissent des difficultés financières ou qui sont insolvables. Ils appellent et demandent ce qu'ils peuvent faire; le banquier frappe à leur porte, on leur a coupé l'électricité, et cetera. Ils veulent savoir comment se sortir de ces situations complexes. Notre personnel connaît bien la Loi sur l'examen de l'endettement agricole. La loi de la Saskatchewan est quelque peu plus compliquée parce que nous avons non seulement la Loi fédérale sur l'examen de l'endettement agricole, nous avons aussi la Saskatchewan Farm Security Act, qui est provinciale.

Il ne nous est pas loisible d'examiner leur comptabilité, et nous ne voulons pas le faire non plus. Nous les aidons à définir leurs buts et les mesures qu'ils doivent prendre pour les atteindre, et nous les aidons à identifier les ressources qui s'offrent à eux, ce qui peut signifier qu'on les dirige vers les responsables de l'endettement agricole, les responsables de la sécurité du revenu agricole ou d'autres.

Il s'agit habituellement de gens qui se trouvent dans une situation qui leur échappe, et il leur faut reprendre le contrôle de leur vie. Nous identifions les choses qu'ils peuvent contrôler, celles qu'ils ne peuvent pas contrôler, les ressources qu'ils ont, et nous les aidons à partir de là. Il y a toujours des liens entre l'endettement agricole et les problèmes personnels qui pèsent sur les relations familiales, par exemple, le suicide et la dépression.

Le sénateur Callbeck : Je suis surprise de vous entendre dire que vous n'avez pas plus de nouveaux appels des gens qui ont recours à vous, que vous avez dirigés vers d'autres services et qui vous reviennent parce qu'ils n'ont pas obtenu l'aide dont ils avaient besoin.

M. Imhoff : Il arrive que nous recevions un appel de quelqu'un qui dit qu'il a essayé de faire ce que nous avons proposé mais que ça n'a pas marché. Donc que faut-il faire. Nos chiffres ne sont pas élevés; 1 000 appels par année. C'est parce que nous n'avons pas perdu de vue notre but qui consiste à aider à court terme, et à mettre les gens en contact avec les ressources sur le terrain.

Nous constatons souvent que les groupes d'entraide et les organisations à but non lucratif sont très utiles à cause de la stigmatisation qui, malheureusement, est associée aux services de santé mentale. Ils sont peut-être efficaces, mais il est difficile de diriger les gens vers ces services.

Le sénateur Callbeck : Avez-vous des informations qui vous permettent de déterminer si les gens s'adressent bel et bien aux groupes d'entraide vers lesquels vous les dirigez?

M. Imhoff : Les agriculteurs n'aiment tout simplement pas le suivi. Nous sommes un service confidentiel de counselling par les pairs; nous n'avons pas d'afficheur et nous ne savons pas à qui nous parlons. L'anonymat est important pour nos appelants. Il nous est arrivé de rappeler certaines personnes dont le comportement nous inquiétait; nous avons eu l'impression qu'ils n'aimaient pas recevoir notre appel même s'ils nous avaient donné la permission d'assurer le suivi. Il nous est pratiquement impossible de procéder à des évaluations étant donné la confidentialité qui est si importante pour les agriculteurs.

Le sénateur Callbeck : Mais de toute évidence, ça doit marcher, autrement, ils vous rappelleraient sans cesse.

Mme Sabiston : On apprend souvent des choses par le bouche à oreille. J'ai dirigé des gens vers la ligne d'aide téléphonique pour les agriculteurs, étant donné que je ne suis pas infirmière psychiatrique ou rien du genre, mais je me suis rendu compte que ces gens avaient besoin d'aide, je leur ai donc donné le numéro. J'ai été plus tard remerciée par ces personnes qui m'ont dit qu'elles avaient trouvé ce service très utile. C'est le genre de commentaires qu'on entend et qui nous permet de croire que ce service est vraiment utile.

Le sénateur Callbeck : Je remarque que c'est un poste dans le budget provincial. Combien recevez-vous?

M. Imhoff : Un peu plus de 400 000 $.

Le sénateur Callbeck : Les conseillers travaillent-ils à plein temps?

M. Imhoff : Ils sont à temps partiel et ils sont rémunérés. Je dis toujours, ce qui amuse les agriculteurs, que l'emploi hors ferme est le troisième pilier de l'agriculture. C'est l'emploi hors ferme de nos conseillers.

Le vice-président : C'est une analogie intéressante parce que ce que les témoins ne cessent de nous dire, c'est, essentiellement, donnez-nous une chance de nous aider nous-mêmes. Donnez-nous l'infrastructure qui nous permettra de refaire notre vie, et nous nous chargerons du reste. Il est extrêmement intéressant de voir à quel point les gens sont désireux de s'entraider bénévolement et de partager leurs difficultés, si on leur en donne la chance.

M. David Nelson, directeur administratif, Association canadienne pour la santé mentale, section de la Saskatchewan : Merci beaucoup, je suis heureux d'être des vôtres aujourd'hui.

Notre association est implantée en Saskatchewan depuis plus de 50 ans, et elle existe au niveau national depuis plus de 80 ans. Nous avons des succursales dans tout le pays, dont 13 ici en Saskatchewan. Notre bureau divisionnaire s'efforce de recueillir des données dans de nombreux domaines.

Le mandat de l'Association canadienne pour la santé mentale, l'ACSM, consiste à promouvoir la santé mentale pour tout le monde et à aider les personnes atteintes de maladie mentale à recouvrer la santé et à devenir résilientes.

L'ACSM s'est engagée résolument à valoriser le rôle des intervenants communautaires dans l'élaboration des politiques publiques en ce qui concerne la santé mentale et le milieu soignant. En particulier, nous aidons à cet égard les usagers, qu'on appelle parfois les consommateurs, des services de santé mentale.

Je vais parler de certains problèmes fondamentaux et des solutions d'avenir que notre association entrevoit.

Le problème le plus important qui reflète peut-être le mieux la stigmatisation de ces personnes et l'absence de volonté politique lorsqu'il s'agit de donner suite aux nombreuses études et recommandations qui ont été faites au cours des dernières décennies dans le domaine de la santé mentale, c'est l'absence, tant à l'échelle nationale et provinciale, d'un plan pour la santé mentale, ce qu'on appelle parfois une stratégie nationale ou provinciale. Ce plan nous permettrait d'évaluer la situation, de nous organiser, de financer et d'évaluer les services existants et nouveaux dont nous avons grandement besoin en santé mentale.

Voici quelques principes fondateurs de cette stratégie. En tout premier lieu, nous devons porter notre attention sur les ressources préventives en amont ainsi que sur les éléments déterminants pour la santé qui nous dispenseront d'assurer des services en aval.

Il est nécessaire d'assurer la souplesse dans la prestation des services, l'individualisation des services, les approches axées sur le client, un plus grand choix de services pour le consommateur et des milieux et des services qui soient moins restrictifs là où c'est possible. L'utilisation continue et homogène des services est vraiment essentielle, et c'est une chose qui n'existe pas en ce moment.

Nous préférons les services communautaires partout où c'est possible, et un continuum de services qui tient compte du caractère cyclique et épisodique de bon nombre de ces maladies. Il est essentiel pour ces services que l'on réinvestisse les économies provenant des programmes institutionnels dans l'édification d'une infrastructure communautaire. Ce réinvestissement ne se fait pas assez en Saskatchewan, et je ne crois pas non plus qu'on en fasse assez dans ce sens dans toutes les autres provinces qui sont passées à la désinstitutionnalisation.

La diversité culturelle et l'adéquation sont également très importantes.

Autre problème fondamental, les soins de santé primaires et les services spécialisés. La plupart des personnes qui ont des problèmes de santé mentale moins aigus ont droit aux services de leur médecin de famille ou d'autres services de counselling. Cependant, bon nombre de médecins et d'autres professionnels ne connaissent pas assez bien les effets qu'a la santé mentale sur la santé physique générale, entre autres pour ces personnes chez qui la maladie mentale apparaît.

Pour ceux qui ont besoin de services spécialisés, le manque de psychiatres dans notre province peut avoir pour effet que l'attente pour ce service est trop longue, que les psychiatres changent trop souvent et que les psychiatres qui restent sont surchargés.

Nous allons maintenant vous proposer quelques solutions.

Les infirmières et infirmiers praticiens des équipes de santé primaire pourraient assumer de nombreuses fonctions qui sont en ce moment assurées par les psychiatres, particulièrement dans les régions rurales et isolées. Cette utilisation des infirmières praticiennes nous permettrait de mieux utiliser les psychiatres disponibles.

L'utilisation de la télépsychiatrie dans des cas particuliers, particulièrement dans les régions nordiques et isolées de la province, serait très utile particulièrement si on combine cela avec le recours aux infirmières praticiennes. Nous croyons que l'utilisation de la télépsychiatrie et des infirmières praticiennes pourrait élargir considérablement l'accès aux services.

Il est essentiel d'atténuer la stigmatisation. La stigmatisation et les attitudes stigmatisantes peuvent entraver l'intégration sociale, susciter la culpabilité et la honte, entraver l'accès opportun au traitement et nuire à la qualité de la vie. La stigmatisation peut avoir des conséquences négatives, par exemple le chômage, l'accès au logement, l'affaiblissement de l'estime de soi et du soutien social.

La conséquence la plus dommageable de la stigmatisation tient peut-être au fait que nos attentes à l'égard des personnes atteintes de santé mentale sont presque nulles, et nous acceptons aisément pour elles une qualité de vie que nous n'accepterions jamais pour nous-mêmes. (Jones 2001)

Je crois que cette citation en dit long sur l'absence de services de santé mentale au Canada. Dans de nombreux cas, nos services ressemblent davantage à des services d'un pays du tiers monde dans un pays du premier monde.

Nous croyons que la stigmatisation est alimentée par un manque de compréhension et d'éducation, et qu'elle est perpétuée par des médias sensationnalistes et d'autres industries, par exemple, le cinéma et la télévision. Toute stratégie nationale ou provinciale doit comprendre un plan d'atténuation de la stigmatisation qui met en lumière les cas de rétablissement qui sont de plus en plus fréquents. Cette stratégie doit s'attaquer directement au mythe et aux conceptions erronés concernant la santé mentale. Elle doit s'appuyer sur des principes de santé de la population et de promotion de la santé, en assurant un financement adéquat, principes qui sont entre autre la réduction des obstacles à une bonne santé mentale et des politiques d'action positive qui assurent la participation pleine et entière à la société des personnes ayant des problèmes de santé mentale ou atteintes d'une maladie mentale.

Nous devons établir des partenariats intersectoriels et intergouvernementaux qui s'emploieront de concert à identifier et à éliminer les stéréotypes qui produisent et perpétuent la stigmatisation. Nous devons faire usage des stratégies multiples qui ont des effets sur toutes les couches de la société et qui s'attaquent au problème en maints endroits et à divers moments, et qui vont beaucoup plus loin que l'éducation de base en santé.

Nous devons nous attaquer aux problèmes en amont, par exemple, la pauvreté, les logements et les milieux de travail insalubres; et nous devons mettre en œuvre les moyens qui nous permettront d'améliorer les conditions et les milieux où les gens vivent, travaillent et s'amusent.

Nous devons aussi évaluer et disséminer des informations exactes fondées sur la recherche. Nous devons faire plus de recherche en santé mentale dans notre pays.

Un logement inadéquat est un élément déterminant pour la santé. De nombreux citoyens de notre province ayant des problèmes de santé mentale ou atteints d'une maladie mentale vivent dans des logements inadéquats ou qui ne conviennent pas à leur condition. Cet élément déterminant de la santé ou de la santé mentale peut faire toute la différence entre un résultat positif ou négatif ou entre la maladie et le rétablissement.

Il faut injecter beaucoup de ressources dans l'Entente-cadre fédérale sur le logement abordable, et il est essentiel de créer un nouveau fonds de réhabilitation des logements.

J'aimerais parler d'une initiative nouvelle et positive de notre province qui est à mon avis promise à un grand avenir. Il s'agit du Saskatchewan Rental Housing Supplement. Mais cette initiative vient juste de commencer; on y met la dernière main en ce moment. Il s'agit d'aider les personnes qui ont un handicap quelconque à améliorer leur logement, et cela dépasse de loin l'installation de rampes qu'on voit partout et les réaménagements des salles de bains dont ont besoin les handicapés physiques. Il s'agit de fournir des ressources sur une base continue à ceux qui ont des problèmes de santé mentale et qui veulent procéder à des rénovations, par exemple, faire élargir les fenêtres, améliorer leur sécurité, contrôler le bruit et avoir accès à un logement plus près des services.

Nous félicitons le gouvernement de la Saskatchewan d'avoir eu l'audace de proposer ce nouveau programme, et nous croyons que le financement fédéral pour ce programme et d'autres semblables partout au pays nous permettra de faire beaucoup pour aider les personnes atteintes de maladie mentale à régler leurs problèmes de logement.

La sécurité du revenu est un autre problème important. C'est un élément déterminant de la santé et de la santé mentale. Le niveau actuel de l'aide sociale n'a connu que des augmentations minuscules au cours des 15 dernières années. Étant donné le caractère cyclique et épisodique de nombreuses maladies mentales, le système actuel de soutien du revenu qui est fait pour une utilisation à court terme est loin d'assurer le soutien voulu de ces personnes qui ont des problèmes de santé mentale ou qui sont atteintes de maladie mentale.

Il faut prendre des mesures immédiatement pour s'assurer que les taux d'aide sociale soient augmentés en fonction de l'inflation des 15 dernières années; ils sont en ce moment à un niveau qui est beaucoup trop bas. Il faut bien former ceux qui travaillent avec des personnes ayant des problèmes de santé mentale dans le domaine des services sociaux afin qu'ils puissent assurer le soutien et la communication voulus et prendre en compte le caractère cyclique de ces maladies.

Nous devons assurer l'intégration homogène des programmes de soutien à l'emploi et des programmes d'aide sociale afin de reconnaître la progression non linéaire vers l'emploi de la plupart des consommateurs de services de santé mentale.

Le système de justice est important aussi. La recherche démontre qu'un pourcentage élevé des personnes incarcérées ont un problème de santé mentale ou sont atteintes d'une maladie mentale. Il y a aussi des problèmes d'intégration bien connus pour les personnes ayant une maladie mentale qui sont en difficulté parce qu'elles ont enfreint la loi.

Il existe au Canada plusieurs modèles de tribunaux qui se spécialisent en santé mentale, et il faut encourager ces modèles et faire plus de recherche sur ceux-ci afin de bien comprendre les dynamiques, les avantages et les applications de telles innovations dans le système judiciaire.

Il faut débloquer des fonds pour la recherche, et ainsi mieux comprendre et soigner les personnes qui souffrent d'une maladie mentale et qui sont incarcérées.

Les soins ou soutiens psychiatriques à domicile sont également importants. Le système actuel de soins à domicile dans la province, et dans tout le pays de manière générale, n'assure que les soins physiques. Le système ne peut pas assurer de bons soins de santé mentale.

En effet, étant donné que les soins à domicile actuels sont tellement confinés aux soins physiques, il faudra peut-être faire des soins de santé mentale à domicile un système distinct des soins à domicile généraux. Les animateurs de ce système distinct devront avoir une attitude et une formation différentes pour venir en aide à ces milliers de personnes qui ne sont pas associées au système de santé mentale officiel, mais qui ont besoin de soutien sur une base cyclique et peuvent ainsi rester chez elles au lieu d'entrer dans un milieu hospitalier coûteux et perturbateur.

En terminant, je dirai qu'il y a de nombreux bons programmes ainsi que des modèles de pratiques exemplaires dans cette province et ailleurs au pays. Par le passé, la Saskatchewan a donné l'exemple de la désinstitutionnalisation, et de nombreux bons programmes ont été créés depuis. Le problème qui subsiste, cependant, c'est que nous n'avons pas la volonté politique qu'il nous faut pour faire des efforts sérieux et constants qui nous permettront d'instaurer ces bons modèles partout dans la province.

L'absence de normes provinciales ainsi que d'un plan général, et le manque de ressources pour la santé mentale qui en résulte, fait que nous nous retrouvons aujourd'hui dans la province, et par extension, dans tout le pays, devant une mosaïque de services.

Ceux qui vivent dans les régions rurales et nordiques souffrent beaucoup du fait qu'ils sont très éloignés des services, ces services qui assurent l'intégrité des soutiens communautaires et familiaux, et ils n'ont pas chez eux des services de santé mentale bien pourvus.

Le rapport Kirby a haussé le profil de la santé mentale, et il nous est maintenant permis de faire entendre notre voix au comité du Sénat, chose que nous apprécions beaucoup. Nous espérons sincèrement que le travail de ces deux groupes ouvrira la voie à ces changements dont nous avons grandement besoin dans le système de santé mentale de notre province, et de notre pays.

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Nelson. Vous avez dit des choses que nous avons entendues partout ailleurs au pays. Nous avons eu hier le privilège d'entendre un groupe de Brandon qui nous a parlé de l'infrastructure des services communautaires, où l'on combine les soins de santé primaires et les services sociaux d'une manière ingénieuse pour les gens de Brandon. C'est, à ce jour, le meilleur modèle que nous ayons vu depuis que nos audiences ont commencé.

Ils sont en mesure de traiter de presque tous les aspects des problèmes que vous avez mentionnés. Étant donné que vous êtes si près d'eux, je pense qu'il vaudrait la peine d'aller voir à quoi ressemble ce modèle.

Chose certaine, le Dr Howard Chodos, qui est essentiellement celui qui rédige notre rapport — le sénateur Kirby et moi-même et les autres nous contentons de nous en attribuer le mérite — fera état dans son rapport, j'en suis sûr, d'une structure édifiée autour de ce modèle, lorsque le temps sera venu de faire nos recommandations.

Le sénateur Callbeck : J'ai une question sur le nouveau programme provincial de logement. Cet argent sera-t-il réservé aux personnes qui possèdent leur propre maison ou aux propriétaires également?

M. Nelson : Seuls ceux qui louent leur logement ont droit à ce supplément, pas les propriétaires. Le locataire continue à y avoir droit quand il change de logement.

À l'origine, ce supplément avait été conçu pour ceux qui avaient des besoins physiques particuliers, tels que des rampes d'accès et des salles de bain adaptées, puisqu'il faut généralement payer davantage pour ce genre d'aménagement. Depuis longtemps, nous réclamons un programme semblable pour ceux dont le handicap est moins visible, tels que ceux souffrant de troubles mentaux, les sourds et les malentendants et ceux qui ont des difficultés d'apprentissage.

Quand nous avons passé en revue le rapport d'étude pour tenter de trouver ce qui avait été fait sur ce sujet, nous en avons très peu trouvé. On comprend qu'une minorité relativement petite de handicapés ayant des besoins profonds a besoin de logement avec services de soutien. Toutefois, il y a des milliers de personnes ayant des problèmes de santé mentale ou des troubles mentaux qui vivent seules dans un logement loué ou avec un soutien minimal.

Ce nouveau programme se fonde sur une approche différente. Ainsi, si vous souffrez de dépression et que vous recevez seulement 320 $ par mois, le taux d'aide sociale de base ici, vous pouvez tenter de trouver une maison où la fenestration est meilleure afin de jouir davantage de la lumière du soleil en hiver et ainsi prévenir les troubles affectifs saisonniers. Puisque vous pouvez établir un lien avec un besoin réel, vous pourrez recevoir une somme supplémentaire qui compensera le loyer plus élevé que vous devrez payer pour cette maison.

Ce supplément pourrait aussi être offert à ceux qui ont des déficiences multiples et qui doivent vivre dans un quartier calme.

Le sénateur Callbeck : Avez-vous pris pour modèle un programme existant déjà dans une autre province?

M. Nelson : Non, je crois savoir que nous faisons œuvre de pionnier. Le programme n'est pas encore en place, nous travaillons encore à sa conception. Ce matin, j'ai assisté à une réunion avec des intervenants et des représentants du ministère; le programme sera probablement en place cet automne et il sera évalué par le gouvernement et la collectivité.

J'estime que ce programme a énormément de potentiel et pourrait grandement aider toutes les personnes ayant un handicap, pas seulement physique, à quitter le logement ou le quartier qui nuit à leur qualité de vie.

Le sénateur Callbeck : Qui aurait droit à ce supplément?

M. Nelson : Quiconque reçoit de l'aide sociale et est locataire aura droit au supplément. Nous avons conçu un nouveau système, un centre d'appel pour l'aide sociale à la fine pointe de la technologie. Toutefois, il ne répond pas à tous les besoins des personnes handicapées, surtout en ce qui a trait à ce genre de programme.

Chacun pourra donc présenter lui-même sa demande; toutefois, quelqu'un qui connaît bien le demandeur, pas nécessairement un professionnel de la santé, devra confirmer qu'il a des besoins spéciaux en raison de sa déficience.

On pourra présenter sa demande de diverses façons, en ligne, par le biais du centre d'appel, en personne ou par courrier, selon ce qui convient le mieux à chacun.

Le sénateur Callbeck : Vous recommandez que les consommateurs de services de santé mentale puissent choisir parmi différents services. Le gouvernement devrait-il décider quels services seront financés?

M. Nelson : Les consommateurs de services de santé mentale, comme tout autre consommateur, devraient avoir un certain choix. Malheureusement, le financement des soins de santé mentale est minime ou nul, ce qui laisse très peu de choix à ceux qui en ont besoin. Nous ne préconisons pas le dédoublement de tous les programmes, mais il faudrait relever la norme qui prévaut afin de donner plus qu'un choix aux consommateurs.

Je sais que cela semble aller à l'encontre du point d'entrée unique, mais je crois qu'on comprend qu'il est bon qu'il y ait un point d'accès unique aux services aux handicapés et en santé mentale pour des raisons de commodité et de coordination, mais qu'il faut aussi prévoir d'autres portes d'entrée. Bon nombre de consommateurs de services de santé mentale refuseront d'aller à l'hôpital ou même à la clinique, même si leurs besoins sont grands et urgents. Ils sont beaucoup plus susceptibles de s'adresser à une association de santé mentale ou à une autre organisation communautaire, à se prévaloir graduellement de l'aide de ces organisations avant d'entrer dans le système comme tel. Nous estimons que tout système fondé sur l'égalité doit prévoir des choix.

Le vice-président : Merci beaucoup d'avoir pris le temps de venir nous voir.

Nos derniers témoins représentent l'Association psychiatrique de la Saskatchewan. Je cède la parole au Dr Thakur.

Le docteur Annu Thakur, membre, Association psychiatrique de la Saskatchewan : Je vous remercie sincèrement, au nom de l'Association psychiatrique de la Saskatchewan, d'avoir entrepris cette tâche monumentale que représente cette étude nationale de toutes les questions liées à la maladie et à la santé mentales. Cette étude se fait à un moment opportun et sera utile non seulement au niveau national mais, je crois, au niveau provincial aussi. Nous pourrons ainsi informer plus directement le gouvernement de ce qui se fait dans notre province.

Nous avons rédigé un exposé d'une dizaine de pages et j'ai apporté avec moi les annexes A et B pour votre gouverne. J'ai aussi apporté un petit livret que vous pourrez consulter.

J'aimerais d'abord vous brosser un tableau démographique de notre province. La Saskatchewan diffère de la plupart des autres provinces, en ce sens que sa population est disséminée un peu partout sur son territoire et qu'environ un tiers des habitants vivent sur une ferme ou dans une localité de moins de 500 personnes.

La population est surtout d'origine européenne, bien que les membres des Premières nations soient de plus en plus nombreux. La plupart des Saskatchewanais parlent anglais, mais il y a aussi des habitants qui parlent le cri, le français, l'ukrainien et l'allemand dans certaines localités. Il y a des minorités visibles, de l'Asie et de l'Amérique du Sud, qui vivent surtout dans les centres urbains.

La Saskatchewan est devenue une province en 1905. Le premier hôpital psychiatrique de la province a été celui de North Battleford qui a ouvert ses portes en 1914. On a commencé à offrir des services externes pour la première fois en 1946, année où la Saskatchewan est devenue la première province du pays à adopter l'assurance-hospitalisation universelle.

Au début des années 50, le nombre de patients dans les deux établissements psychiatriques de la province était de plus de 4 000. En outre, 900 retardés mentaux étaient hébergés dans un établissement associé.

Les soins infirmiers psychiatriques sont devenus une profession en 1948. Le Plan Saskatchewan, une philosophie de soins mettant l'accent sur le recours aux services communautaires plutôt qu'à l'institutionnalisation, a été conçu en 1955.

En 1962, la Saskatchewan est devenue la première province canadienne à adopter l'assurance-maladie universelle.

Pendant les années 60, on a élaboré les services communautaires de santé mentale, ainsi qu'une structure régionalisée de prestation des services. Le nombre de malades hospitalisés a baissé et, en 1971, l'hôpital Saskatchewan de Weyburn a été le premier hôpital psychiatrique du Canada à fermer ses portes.

En 1972, le ministère provincial de la Santé a cédé au ministère des Services sociaux la responsabilité principale en matière de services pour les retardés mentaux. Une nouvelle loi sur la santé mentale qui conférait d'importants nouveaux droits aux patients a été promulguée en 1986.

Comme j'ai peu de temps, je ne lirai pas tout notre mémoire.

La province se divise en régions pour fins des services de santé. Prenons l'exemple de la région de Saskatoon : c'est la plus grande région de la province; on y trouve 375 000 habitants dans plus de 100 villes, villages et municipalités rurales des environs de Saskatoon.

On y compte l'une des agences de services de santé intégrés les plus complexes au Canada. La région de Saskatoon compte 10 hôpitaux dont trois hôpitaux provinciaux dispensant des soins tertiaires, huit centres de soins primaires, quatre centres urbains de santé publique employant 11 000 personnes. Son budget annuel totalise 536 millions de dollars, soit 1,47 million de dollars par jour. Soixante-dix-neuf pour cent de cette somme sert aux salaires et avantages sociaux et 64 p. 100, à la prestation des services hospitaliers. Nous ignorons quelle part du budget sert aux soins de santé mentale.

Dans le cadre des services de santé mentale, on offre une vaste gamme de programmes institutionnels et communautaires aux résidents de la Saskatchewan et du district, ainsi qu'en guise d'appui à la région sanitaire de Saskatoon.

Voici quelques-uns des services de santé mentale offerts dans la région sanitaire de Saskatoon : Service d'admission, service aux enfants, aux adolescents et aux adultes, programme de réadaptation et soins intensifs de courte durée. Parmi les organisations communautaires, on compte l'Association canadienne pour la santé mentale, Crisis Management Service, Crocus Co-op, Saskatoon Housing Coalition et Autism Treatment Services of Saskatchewan Inc. Toutes ces agences travaillent de concert.

En Saskatchewan, il y a environ 200 000 enfants de la maternelle à la 12e année. En moyenne, 10 à 15 p. 100 des enfants ont des problèmes importants de santé mentale accompagnés d'une déficience plus ou moins grande. Cela signifie que de 20 000 à 30 000 enfants et adolescents en Saskatchewan ont des problèmes de santé mentale.

Il n'est pas facile de prodiguer des services à ces enfants. Il n'y a que dix psychiatres pour enfants et adolescents dans la province, ce qui est bien inférieur à la moyenne nationale. Par exemple, il y a plus de 20 pédopsychiatres à Winnipeg. L'hôpital de Saskatoon est un hôpital universitaire et d'enseignement, mais il n'a pas d'unité de malades hospitalisés pouvant répondre aux besoins des enfants souffrant de troubles psychiatriques. Nous avons du mal à les admettre à l'aile psychiatrique et, parfois, nous devons accueillir des enfants de 11 ans à l'aile psychiatrique pour adultes parce que nous n'avons pas d'autre endroit pour eux.

Au sein de la collectivité, nous avons aussi du mal à offrir des soins aux nombreux enfants ayant des problèmes chroniques de santé mentale, tels que l'autisme, les troubles liés à l'autisme et les autres maladies psychiatriques.

Les enfants et les adolescents doivent attendre en moyenne de 12 à 18 mois pour obtenir des soins. Dans les cas urgents, ils doivent se présenter à l'urgence et accaparer des ressources et du temps précieux.

Ce sont surtout les médecins de premier recours qui assument le fardeau des soins et ils ont énormément de difficulté à obtenir l'appui des thérapeutes et conseillers pour la famille et des autres thérapeutes en santé mentale. Les programmes centralisés d'admission comptent des employés qui ne comprennent pas nécessairement les besoins des familles et des patients, ce qui peut entraîner des retards dans la prestation des services.

De plus, il n'y a pas d'infrastructure pour les pédopsychiatres qui travaillent dans la province.

Par ailleurs, les autorités provinciales n'arrivent pas à répondre aux besoins en santé mentale des jeunes contrevenants incarcérés. L'un de nos établissements de détention pour jeunes contrevenants, Kilburn Hall, à Saskatoon, accueille chaque année plus de 4 000 adolescents mais n'emploie qu'une seule infirmière.

Par conséquent, il est évident que la province n'arrive pas à satisfaire aux besoins des enfants souffrant de troubles mentaux. Les listes d'attentes sont longues, on manque d'établissements pour les malades hospitalisés et il est difficile d'avoir accès aux services communautaires.

Le département de psychiatrie de l'Université de la Saskatchewan a un programme de recherche très bien organisé. On y mène des études en neurosciences, en épidémiologie et en santé mentale de la population, des études cliniques sur divers troubles neuropsychiatriques et des recherches sur le traitement le plus efficace de divers troubles neuropsychiatriques. Ce département contribue aussi à la formation de la prochaine génération de scientifiques et cliniciens. Avec l'ouverture du synchrotron, nous espérons pouvoir élargir notre champ d'activité de recherche.

Nous nous préoccupons aussi de l'état de la main-d'oeuvre en santé mentale dans la province. La pénurie de professionnels de la santé mentale en Saskatchewan est un problème chronique. Je vous ai remis l'annexe A, un mémoire qui a été rédigé par John Conway pour le ministère de la Santé de la Saskatchewan. Il a été rédigé en 2002 et est disponible sur Internet.

C'est tout un défi que de garder des psychiatres en Saskatchewan. On y connaît une pénurie chronique de psychiatres depuis plus de 20 ans.

À cet égard, nous avons fait de nombreuses représentations auprès du gouvernement; nous avons présenté un mémoire intitulé « Forgotten Constituents » en 1983; nous avons comparu devant la commission Murray en 1990, et le Dr Keegan vous en dira plus long à ce sujet; nous avons présenté le document « Physician Resource Plan » en 1994, « Crisis in Psychiatry Services » en 1996, « Psychiatry Human Resource Plan Province of Saskatchewan » en 2001 et « Saskatchewan Mental Health Sector Study » en 2002.

Pendant longtemps, la province a compté sur les psychiatres formés à l'étranger pour la prestation de ses services psychiatriques. Ces psychiatres formés à l'étranger ont souvent quitté la province après avoir obtenu leurs titres de compétence. Regina, l'un de nos bastions des soins psychiatriques, a particulièrement souffert de ce phénomène.

D'autres psychiatres formés à l'étranger qui choisissent de rester en Saskatchewan ne veulent pas ou ne peuvent pas faire reconnaître leurs titres de compétence par la Saskatchewan même s'ils ont pratiqué pendant bien des années dans leur pays d'origine. Cette situation donne lieu à un système artificiel et inégal d'autorisation d'exercer et d'attestation qui suscite du ressentiment chez les psychiatres qui n'ont pas le droit de facturer leurs services. Le droit de facturer ses services confère au psychiatre le droit au respect dans sa pratique de la psychiatrie.

De 30 à 40 p. 100 des diplômés qui restent en Saskatchewan choisissent de s'installer à Saskatoon ou à Regina, et les collectivités rurales en sont désavantagées.

Le ministère de la Santé de la Saskatchewan hésite à envisager d'autres méthodes de financement, croyant que les psychiatres préfèrent la rémunération à l'acte. Or, cette croyance est erronée et devrait être revue. Regina a reçu des fonds en vertu d'autres modes de financement pour les raisons d'ordre historique que je viens de mentionner et pour recruter des psychiatres étrangers.

Le Collège des médecins et chirurgiens de la Saskatchewan m'a fait savoir hier qu'il y a actuellement 68 psychiatres dans notre province. Ce nombre est bien inférieur à la moyenne nationale d'un psychiatre pour 10 000 personnes. Malheureusement, 34 de ces 68 psychiatres pratiquent à Saskatoon. Toutefois, cela s'explique en partie parle fait que la région sanitaire de Saskatoon compte 340 000 personnes. De plus, la région sanitaire et l'université assument des responsabilités particulières liées à l'enseignement, à l'administration, à la sous-spécialisation et à la recherche qui rendent nécessaires des ressources additionnelles et des méthodes différentes de prestation des services cliniques.

Compte tenu de l'importance des responsabilités liées à la santé mentale dans cette région et de ses responsabilités supplémentaires, une crise est imminente puisque 26 p. 100 de psychiatres pratiquant dans cette région ont plus de 55 ans et que 11 d'entre eux ont plus de 65 ans.

On manque aussi de spécialistes dans les domaines de la psychiatrie pour enfants et adolescents, de la géronto-psychiatrie et de la psychiatrie légale. L'Association des psychiatres du Canada a récemment annoncé l'arrivée d'un nouveau sujet d'étude, la médecine psychosomatique. Toutefois, à l'université, nous n'avons pas encore d'unité de consultation-liaison.

En outre, les praticiens de la région de Saskatoon ne sont pas tous désireux ou en mesure de pratiquer la psychiatrie clinique à temps plein. Le groupe à temps plein, en milieu universitaire, ne pratique généralement pas plus de 50 p. 100 du temps en raison de son mandat qui prévoit aussi des fonctions d'enseignement et de recherche.

Le recrutement des femmes en psychiatrie a eu une incidence. Sur les 34 psychiatres pratiquant à Saskatoon, 13 sont des femmes. Cependant, un nombre important de femmes psychiatres ne pratiquent pas à temps plein parce qu'elles élèvent des enfants et ont d'autres obligations familiales. Probablement en raison de l'âge moyen des psychiatres dans cette région sanitaire, 30 p. 100 d'entre eux ont dit souhaiter travailler moins dans les cinq prochaines années.

Même si nous comptons 34 psychiatres, la plupart ne pratiquent pas la psychiatrie clinique à temps plein pour toutes sortes de raisons.

Comme vous l'avez demandé dans votre rapport 3, nous avons formulé des recommandations. Nous recommandons une approche patient-client centrée sur trois éléments : la dysfonction, la déficience et la mort.

Il faut répondre aux besoins des enfants et adolescents en matière de santé mentale. Cela permettrait de réduire la chronicité et peut-être même certaines conséquences de la maladie mentale dans ce groupe d'âge. À cet égard, il faut un plan d'action national.

La détection et l'intervention précoces dans les cas de psychose sont importantes. Il est bien connu que si les symptômes de la schizophrénie, des troubles bipolaires ou des symptômes psychotiques chroniques sont décelés tôt, on peut réduire la fréquence et la gravité des dépressions nerveuses, les malades peuvent recevoir une formation et, dans certains cas, peuvent même travailler par la suite.

Pour les patients atteints de maladie mentale, la médication est importante. En septembre 2004, les premiers ministres ont annoncé un plan décennal pour améliorer les soins de santé qui comprenaient un volet pour les médicaments sur ordonnance. Cela signifie-t-il que les malades mentaux et les toxicomanes auront les médicaments sur ordonnance qu'il leur faut?

À l'heure actuelle, en Saskatchewan, les malades mentaux qui reçoivent de l'aide sociale n'ont souvent pas les moyens de payer 2 $ pour chacun des quatre ou cinq médicaments sur ordonnance qu'ils doivent prendre.

Par ailleurs, il faudrait établir un programme de soins pour les malades mentaux dans la collectivité. Cela permettrait de prévenir la détérioration des fonctions cognitives et de faciliter la réinsertion sociale.

La Saskatchewan est une mosaïque d'immigrants, et elle compte d'importantes minorités, telles que les francophones, les Métis et les Premières nations, dont il faut tenir compte. Moi, je travaille surtout auprès des Premières nations. Eu égard à la santé mentale et aux troubles psychiatriques, il faut absolument tenir compte des différences culturelles.

La population autochtone de la Saskatchewan croit rapidement. Je vais donc vous exposer maintenant certains des problèmes qui touchent les Premières nations.

Il existe une comorbidité importante chez les jeunes Autochtones ainsi que chez les adultes autochtones en ce qui concerne les problèmes de santé mentale et les problèmes de toxicomanie, et je pense particulièrement à l'alcoolisme et aux jeux. Ce phénomène illustre l'importance de répondre, ce qui n'a pas encore été fait, aux besoins de fournir un traitement approprié du point de vue culturel.

Un grand nombre des membres des Premières nations sont soit itinérants, soit incarcérés soit victimes de traumatisme physique ou sexuel. Il faut donc faire des recherches pour mieux comprendre comment il se fait qu'on en soit arrivé là dans la population autochtone et pour trouver les méthodes appropriées d'évaluation et de gestion de leur santé mentale.

Les Autochtones acculturés ont aussi des problèmes particuliers, car ils sont rejetés par les membres de leurs propres nations et présentent plusieurs problèmes de santé mentale et d'ordre psychosomatique.

Plusieurs patients issus des Premières nations témoignent de récits douloureux et uniques en leur genre d'années passées dans des pensionnats, ce qui fait d'eux des êtres vulnérables à la dépression et aux tentatives de suicide. Ils montrent une probabilité accrue de soins de santé mentale par rapport aux Canadiens non autochtones.

Il nous faut donc adopter une méthode coordonnée qui traite les problèmes de santé mentale pour tous les Canadiens. N'oublions pas que le Canada est un pays véritablement multiculturel et qu'il lui faut donc traiter des besoins spécifiques à ces minorités, visibles ou pas, et particulièrement les minorités qui ne parlent pas anglais.

La dépression est souvent une cause d'incapacité, et les employeurs peuvent jouer un rôle important en ouvrant le milieu de travail à ceux qui ont déjà été atteints de maladie mentale mais qui sont en voie de rétablissement. Le gouvernement fédéral devrait financer des programmes en vue de sensibiliser la population et les divers milieux de travail à ce phénomène, ce qui permettrait de réduire l'appréhension et l'ignorance qui entourent les maladies mentales Je sais que votre comité en a tenu compte dans son troisième rapport.

L'incidence du suicide augmente au Canada. Par conséquent, une stratégie nationale de prévention du suicide devrait incorporer des programmes qui sensibilisent les Canadiens à ce problème, et qui permettent une certaine intervention.

Je vais donc terminer ici et permettre au Dr Keegan de vous sensibiliser à la question de la régionalisation, et des succès et défis que posent la santé mentale et les toxicomanies.

Le docteur David Keegan, membre, Association psychiatrique de la Saskatchewan : J'ai deux objectifs à remplir aujourd'hui. D'abord, je veux vous décrire les succès que nous avons remportés dans notre province depuis la régionalisation dans les années 90, lorsque nous sommes devenus d'abord des districts, et ensuite des régions. Cette régionalisation a donné lieu de façon positive à l'intégration.

En deuxième lieu, je voudrais vous donner un aperçu des défis émanant de la vision de la commission Murray, de 1990, qui présentait un plan de la santé pour la province. Ce plan intégrait des énoncés très musclés sur la santé mentale et sur les toxicomanies qui sont restés lettre morte, malheureusement.

Je commencerais par mon deuxième objectif qui porte sur la nécessité d'avoir une politique nationale vigoureuse. J'ai d'ailleurs senti, à la lecture de vos documents, que c'était la voie que voulait suivre votre comité. C'est la recommandation que nous formons pour la santé mentale et les toxicomanies, dans la mesure où celle-ci s'appuie solidement sur un engagement clairement défini de financer à un niveau donné les programmes de lutte contre les toxicomanies et les programmes de santé mentale. Cet engagement devrait être entériné par un document, qui pourrait être un mandat ou un énoncé de mission, qui devrait viser les cinq à 10 prochaines années.

Nous nous rendons bien compte que le défi sera grand pour vous d'obtenir un financement spécialement affecté. Mais la proposition pourrait reconnaître que dans certains secteurs de la population il se pose de graves problèmes épidémiologiques, et je pense ici à la santé mentale et aux toxicomanies. Étant donné, toutefois, la concurrence que se livrent aujourd'hui tous les secteurs des soins de santé, je sais qu'il sera très difficile de faire avancer ces deux services.

Nous recommandons également au gouvernement fédéral de s'engager vigoureusement à protéger le financement de la santé mentale et de la lutte contre les toxicomanies dans les provinces, soit de façon globale ou de façon ciblée.

J'aimerais maintenant revenir aux deux objectifs que j'ai mentionnés plus tôt. D'abord, pour avoir travaillé avec un modèle intégré des soins de santé, il m'apparaît clairement qu'un modèle comme celui-là peut fournir des options, contrairement à un système non intégré ou non régionalisé.

Les secteurs des soins primaires profiteraient le plus d'un financement particulier. Les deux grandes notions qui, à mes yeux, offrent des avantages en matière de soins de santé, sont l'intervention précoce auprès des enfants, des adolescents et des jeunes adultes, ainsi que ceux qu'on appelle les programmes de gestion des maladies chroniques, dont votre comité a sans aucun doute déjà entendu parler.

Les deux pourraient avoir une approche d'équipe et s'inscrire au coeur même de la pratique primaire — soit la pratique familiale, soit les soins infirmiers en soins primaires auprès des travailleurs sociaux, des psychologues, des psychiatres et d'autres ressources qui viendraient soutenir ce point d'entrée et, espérons-le, intervenir de bonne heure.

La gestion des maladies chroniques fait présentement l'objet d'études dans notre province et s'intéresse au diabète, aux maladies pulmonaires et à d'autres états pathologiques. Ce type de gestion conviendrait parfaitement à la dépression, comme on l'a vu en Australie, étant donné l'ampleur du problème.

L'un des grands défis que posent les nombreux troubles de santé mentale et les toxicomanies, c'est que l'on ne peut pas véritablement parler de guérison rapide et ponctuelle, puisqu'il s'agit généralement de problèmes chroniques.

Voici ce que je vous recommande : demandez-vous s'il ne serait pas possible de consacrer un financement particulier à ces secteurs et d'encourager nos méthodes par équipe, et d'obtenir ce qui est le plus rentable.

Il est trop tôt pour dire si l'intervention précoce et la gestion des maladies chroniques rempliront leurs promesses. Je sais bien que les besoins technologiques sont divers, mais ce que je vous propose, c'est la voie des ressources humaines qui pourrait donner des résultats. Je n'ai pas beaucoup de preuves en main, mais il vaudrait la peine que la politique nationale mette l'accent là-dessus, tout en lui réservant un financement.

Deuxièmement, j'aimerais aborder les inconvénients de la régionalisation, et c'est la raison pour laquelle j'ai mentionné le document de 1990 de la Commission Murray. Nous avons d'ailleurs annexé le chapitre qui portait sur la santé mentale, la toxicomanie et la politique sociale tiré de ce document, bien que le document au complet soit du domaine public.

Si je vous en parle, c'est que la régionalisation pourrait être proposée d'une façon qui permettrait à tous les systèmes de se conjuguer et pourrait utiliser l'épidémiologie et la santé des populations comme formule en vue de distribuer le financement. C'est d'ailleurs l'argument qu'a invoqué le gouvernement de la Saskatchewan, et qui va en sens inverse de la commission Murray.

La commission Murray a entendu beaucoup de gens oeuvrant dans le secteur de la santé mentale et de la toxicomanie qui disaient craindre la régionalisation. En effet, ils craignaient qu'en perdant une autorité centrale d'envergure et en s'éloignant du gouvernement ou du pouvoir, les régions pourraient impunément ne pas combler les besoins.

Le gouvernement prétendait que la régionalisation lui permettait de se rapprocher des conseils locaux de la santé lesquels pouvaient reconnaître les grands défis que posaient les troubles mentaux et la toxicomanie.

Malheureusement, cela ne s'est pas avéré : la concurrence a été féroce au niveau régional, et la santé mentale et les toxicomanies en ont pâti.

La commission Murray n'a pas défini un montant de financement précis pour la santé mentale, mais a toutefois énoncé un plan précis encourageant le gouvernement à mettre l'accent sur la santé mentale et à y injecter plus de fonds.

Elle a également envisagé la création d'une commission qui ressemblerait à la commission sur les toxicomanies de l'époque, appelée à l'époque la SADAC, ou la Saskatchewan Alcohol and Drug Abuse Commission. Tout comme l'a fait la Commission Murray, la Commission Kirby ou la Commission Keon, peu importe le nom choisi, pourrait aborder le gouvernement pour lui dire ce qu'il faut faire.

Le revers de la médaille, c'est qu'il vous faut être bien conscient que les arguments présentés comme étant valables pourraient ne pas être suivis.

La commission Murray avait une bonne idée pour s'assurer qu'une organisation lutterait éventuellement bec et ongles d'une façon acceptable pour les gouvernements. Malheureusement, il n'y a pas eu de commission sur la santé mentale et la SADAC a été démantelée. Tout a été envoyé aux régions, loin du gouvernement.

La régionalisation de la santé mentale et des toxicomanies ne s'est pas concrétisée comme l'avait recommandé la commission Murray en Saskatchewan. Elle s'est faite de façon non protégée, non ciblée ou non encouragée. Par conséquent, même si la régionalisation présente tout de même un énorme potentiel en matière de santé mentale et de toxicomanie, il lui faut tout de même le soutien d'une autorité centrale qui ait des liens avec le gouvernement. Cette autorité devra faire en sorte qu'il continue à y avoir des soins en matière de santé mentale, en dépit des compressions budgétaires, des lacunes en technologie, des longues listes d'attente en chirurgie et en médecine, des stigmates et des autres raisons qui empêchent les soins accordés aux toxicomanes et aux personnes atteintes en santé mentale de se développer.

Voilà ce que je voulais vous dire. Je crois que la Saskatchewan a eu raison de régionaliser ses services. La province a pris plusieurs mesures d'avant-garde mais malheureusement, à cause de contraintes budgétaires découlant de la désinstitutionalisation ou de la régionalisation en Saskatchewan, les services de santé mentale et de traitement de la toxicomanie sont laissés pour compte.

Le vice-président : J'ai trouvé votre exposé captivant et je vous en reparlerai tout à l'heure.

Le docteur Dhanpal Natarajan, ancien président, Saskatchewan Psychiatric Association : Merci de m'avoir invité à cette réunion. Pour respecter le temps qui m'est imparti, j'aborderai uniquement les aspects de la technologie, de la télépsychiatrie et de la télésanté qui à mon avis sont extrêmement importants dans n'importe quel système de prestations de soins de santé.

À la lumière de propos tenus par les représentants de toutes les provinces au conseil des provinces de l'Association des psychiatres du Canada, il est évident que les psychiatres sont concentrés dans les grandes villes et qu'il est toujours difficile de recruter et de garder des psychiatres dans les petites régions.

En tant que chef de service, je recrute activement des candidats à Regina. D'après mon expérience, tous les candidats nouvellement recrutés s'attendent à ce que notre centre offre des activités d'enseignement et de recherche. Quand ils découvrent que la réalité n'est pas à la hauteur de leurs attentes, ils ne viennent tout simplement pas ici.

Le même problème se pose dans les petites régions qui connaissent une pénurie chronique de psychiatres et où les postes ne sont pas comblés; si l'on n'arrive pas à combler ces postes, c'est en raison de l'absence d'activités d'enseignement et de recherche.

Pour pallier ce problème, j'ai eu l'idée d'organiser des séances scientifiques télévisées en psychiatrie. Elles ont commencé en mars et depuis, nous avons branché plusieurs petites régions que nous avons incluses dans ces séances scientifiques qui sont importantes pour permettre aux psychiatres d'entretenir leurs connaissances. Le Collège royal des médecins et des chirurgiens demande à tous les médecins d'accumuler des crédits chaque année. Les psychiatres doivent acquérir 400 crédits au cours d'une période de cinq ans. Les séances scientifiques télévisées leur permettent d'accumuler des crédits même s'ils travaillent dans de petites régions.

C'est la seule question sur laquelle je voulais insister : la nécessité d'outils technologiques. En Saskatchewan, nous essayons de répondre à ce besoin. Il y a un article à ce sujet dans le numéro de cette semaine du Medical Post, dont vous avez un exemplaire.

Le Dr Thakur : Voilà qui termine nos déclarations.

Le vice-président : Vous ignorez peut-être que madame le sénateur Callbeck a déjà été ministre de la Santé et première ministre de l'Île-du-Prince-Édouard. Elle a donc une vue d'ensemble de ces questions et, naturellement, elle enrichit énormément notre comité.

Ma première question s'adresse au Dr Natarajan; je reviendrai ensuite au Dr Thakur et au Dr Keegan, avant de céder la parole au sénateur Callbeck.

Malgré les progrès réalisés, votre principal problème ici, comme partout ailleurs dans le pays, se situe au niveau de l'organisation de l'infrastructure. Vous manquez de psychiatres, cela ne fait aucun doute. S'il y avait une infrastructure organisée permettant aux petites collectivités de profiter de l'expertise d'un psychiatre, je crois que cela atténuerait les problèmes, du moins temporairement, sans toutefois les éliminer. Si vous avez un enfant qui doit voir un pédopsychiatre alors qu'aucun n'est disponible, vous avez un véritable problème. Cela ne fait aucun doute. La population pourrait profiter des connaissances des psychiatres si on arrivait à répartir leurs services de la façon dont on l'avait prévu il y a dix ans.

Les patients n'aiment pas qu'on les appelle des clients, mais je préfère quant à moi utiliser le mot clients parce qu'il indique bien que ce sont eux qui façonnent le système et qui finiront par obtenir ce qu'ils souhaitent. Par le passé, les clients ont généralement amené les entreprises à leur fournir ce qu'ils souhaitaient.

La plupart des clients nous disent que les principales lacunes du système sont le manque d'accès aux services communautaires, le manque d'occasions pour les clients de s'organiser et de s'entraider, et les difficultés d'avoir accès aux services sociaux lorsqu'ils n'ont pas un logement ou un revenu décent, services qui les aideraient à régler les problèmes de leur vie courante s'ils se trouvent dans une période particulièrement difficile et sont incapables de le faire eux-mêmes. Ils voudraient que ces services communautaires puissent les diriger vers des gens comme vous, lorsqu'ils en ont besoin. À certain moment, cependant, ils n'auront pas besoin de vous et les intervenants de première ligne suffiront pour répondre à leurs besoins.

Docteur Natarajan, avez-vous en Saskatchewan l'infrastructure nécessaire pour communiquer comme vous souhaiteriez le faire?

Le Dr Natarajan : L'infrastructure actuelle à Regina nous permet d'offrir des activités éducatives mais par de les incorporer dans nos services cliniques. Nous avons formé un comité qui tâche de trouver des moyens d'étendre les installations de télé santé. Par rapport à celles d'autres provinces, nos services sont encore au stade embryonnaire. Il faut installer plus d'unités dans les petites régions afin d'amener un plus grand nombre à participer.

Étant donné la pénurie de psychiatres, nous pourrions offrir des services cliniques également afin que les patients n'aient pas à venir à Regina, s'il y avait des installations de télé santé dans toutes les petites régions de la province. Nous n'en avons pas beaucoup à l'heure actuelle comparativement à l'Alberta.

Le vice-président : Avez-vous assez d'infirmières spécialisées en soins psychiatriques, par exemple des infirmières praticiennes en psychiatrie, pour vous aider?

Le Dr Natarajan : Nous manquons d'infirmières.

Le vice-président : Vous avez donc de graves pénuries de main-d'œuvre dans tous les secteurs?

Le Dr Natarajan : Oui.

Le vice-président : Et sur le plan des effectifs féminins, des ressources humaines — excusez-moi, docteur Thadur, je suis peu vieux jeu.

Le Dr Keegan : L'annexe 1 du rapport Conway vous sera peut-être utile parce qu'il s'agit d'un document récent, paru en 2002, rédigé à la demande du gouvernement pour décrire l'état des ressources humaines dans le secteur de la santé mentale et du traitement des toxicomanies. Ce document vous donnera une idée de l'ensemble de la situation.

Même si nous sommes membres de la Saskatchewan Psychiatric Association, nous pourrions tout aussi bien vous présenter le point de vue des infirmières en soins psychiatriques, des psychologues ou des travailleurs sociaux.

Le vice-président : Je vous assure que je vais le lire, mais pourriez-vous me résumer brièvement ce que ce document contient.

Le Dr Thakur : Il fait état d'une grave pénurie de professionnels de la santé dans tous les domaines spécialisés. On peut y lire également qu'une personne sur cinq en Saskatchewan aura besoin de soins psychiatriques, mais que ces services ne sont pas disponibles. Les programmes de réinsertion sociale n'ont pas, eux non plus les ressources nécessaires pour offrir ces services. La situation est encore plus grave dans le cas des personnes atteintes de maladies mentales chroniques ou graves.

Les travailleurs sociaux préfèrent offrir les services sociaux plutôt que les services inspirés du modèle psychiatrique.

Les psychologues sont très peu nombreux et ils préfèrent exercer leur profession en cabinet privé parce que les services de santé n'ont pas de programme qui leur permettrait de faire partie d'une équipe de soins.

Les médecins de famille étant déjà débordés par un trop grand nombre de patients n'ont pas beaucoup de temps à consacrer aux patients atteints de maladie mentale.

J'ai évoqué tout à l'heure les listes d'attente en psychiatrie. Le Dr Conway avait recommandé de se pencher sur ce problème et de débloquer les fonds nécessaires pour améliorer le processus. Malheureusement, son rapport est resté lettre morte.

Le vice-président : La situation semble désespérée.

Le Dr Thakur : En effet.

Le vice-président : J'étais chirurgien cardiaque avant de prendre ma retraite. J'ai peine à imaginer qu'une personne doive attendre 18 mois pour le remplacement d'une valvule aortique.

Le Dr Thakur : J'exerce en cabinet privé auprès d'une clientèle essentiellement autochtone. Mes patients sont chômeurs et la plupart d'entre eux vivent de l'aide sociale. J'ai aussi parmi mes patients des personnes âgées et des membres de minorités ethniques dont la famille est arrivée au Canada il y a deux ou trois générations et qui ne parlent pas bien l'anglais. Ces gens ont exercé les emplois les plus pénibles maintenant ils vieillissent. Voilà le type de services que je fournis.

Je vois en moyenne quatre nouveaux patients chaque jour. Ils n'ont pas accès à des services auxiliaires parce que ces services sont situés dans d'autres villes et qu'ils n'ont pas les moyens de s'y rendre. Ils consultent un psychiatre et ne peuvent voir personne d'autre.

Certains problèmes démographiques se posent relativement à l'emplacement des cliniques et des programmes de réinsertion sociale. Par ailleurs, les patients admissibles à ces programmes sont inscrits sur une longue liste d'attente. Il faut attendre six mois pour avoir accès à des services de psychothérapie.

J'ai interviewé une patiente, une jeune femme de 25 ans qui était très suicidaire. Elle est restée inconsciente pendant sept jours. Je l'ai gardée à l'hôpital parce que je croyais qu'elle avait besoin de counselling et de soutien, et l'attente pour le counselling est de six mois. Des patients comme elle n'ont nulle part où aller.

Tels sont les problèmes critiques auxquels nous, les praticiens de la province, faisons face. Même en Saskatchewan où nous avons les installations voulues, nous ne pouvons pas utiliser les services.

Il y a ensuite le problème qu'a mentionné le Dr Natarajan. Les milieux ruraux n'ont pas de services psychiatriques, ce qui cause donc un effet domino sur les principaux centres comme Saskatoon et Regina.

À Saskatoon, les psychiatres doivent enseigner, faire de la recherche et de l'administration. En plus, on leur impose une lourde charge clinique; pas seulement une charge clinique, ils doivent aussi s'occuper des sous-spécialisations. Ça devient pratiquement infaisable puis on s'épuise. On dit alors : « J'en ai assez, je ne veux plus rester ici; j'irai ailleurs. »

Nous avions récemment quatre résidents qui venaient d'être reçus, et de concert avec le Dr Raymond Tempier, je me suis donné du mal pour les garder. J'ai soumis plusieurs documents aux Services de santé mentale et au bureau du ministre de la Santé, et ils n'ont pas pu trouver de nouveaux fonds. Nous avons fait valoir que c'est l'orientation que prend tout le pays pour les psychiatres, ils ont besoin de créneaux de financement à eux, le paiement à l'acte par exemple. Cela étant dit, si l'on veut que les services indirects rejoignent les clients, ils ont besoin d'autres sortes de financement, ce que notre système n'assure pas. Nos résidents, à qui l'on offre ces options, en plus de la recherche et des obligations d'enseignement, vont ailleurs.

Le vice-président : Pour les professionnels de la santé comme les psychologues, les travailleurs sociaux et autres, si vous avez le monde qu'il vous faut dans une certaine région, pouvez-vous obtenir le financement voulu pour les rémunérer, ou est-ce que cela fait problème aussi?

Le Dr Thakur : Le problème, c'est qu'ils n'ont pas accès au Medical Care Insurance Branch, le MCIB. Ils doivent être salariés, et il n'y a pas suffisamment de postes. Je crois qu'ils négocient en ce moment pour pouvoir adresser leurs factures au MCIB, mais nous ne savons pas où ils en sont.

Le vice-président : Le financement est-il difficile même si vous pouvez trouver quelqu'un pour travailler dans ce domaine?

Le Dr Keegan : Je crois que la majorité des psychologues, autres que ceux qui sont dans les programmes de formation et les enseignants universitaires, ont tendance à aller en pratique privée où ils se font payer directement par le patient ou par un programme d'aide aux employés. Il y a de longues listes d'attente pour le programme de santé mentale, et donc s'il y a d'autres options, c'est encourageant.

Un certain nombre de psychologues cliniques ou de travailleurs sociaux fraîchement diplômés ouvrent leurs bureaux à eux. C'est la raison pour laquelle j'ai souligné l'enthousiasme qu'on pourrait créer avec un modèle de soins à partager dans la pratique primaire. Si l'on trouvait du financement en bloc, qui permettrait aux psychologues ou aux travailleurs sociaux de travailler en équipe, cela pourrait avoir pour avantage de les rapprocher de nouveau des médecins de famille. Je ne dis pas qu'ils ne font pas du bon travail, parce qu'on a grand besoin de counselling, mais ce n'est pas une activité intégrée, c'est une pratique privée. Le gros du counselling qui se fait dans la province, c'est dans le secteur du paiement à l'acte, avec des psychologues, des travailleurs sociaux et d'autres professionnels.

Le vice-président : Nous avons entendu parler hier d'un service communautaire à Brandon. Ils ont réussi à créer une équipe multidisciplinaire à laquelle se joignent des psychiatres de Winnipeg deux ou trois fois par semaine. Ils ont l'infrastructure voulue qui leur permet de soigner les patients d'un point de vue médical et social. J'étais impressionné.

Le Dr Keegan : Cela semble intéressant.

Le vice-président : J'aimerais bien aller me promener là-bas, et si je peux me libérer une journée, je vais y retourner pour voir si c'est vrai, parce que cela semble fascinant. On dirait qu'ils sont les seuls dans le pays à pouvoir le faire. Tous les autres se heurtent à tous ces obstacles et à ces exposés de fonction. Untel est payé à l'acte et l'autre est dans le privé, et ils ne sont pas capables d'unir leurs efforts pour créer une équipe multidisciplinaire et fonctionnelle.

Permettez-moi de revenir à vous, docteur Keegan. Le sénateur Kirby et moi-même n'avons pas soumis cette idée au véritable cerveau de notre comité, mais le fait est que nous avons discuté de l'idée de créer une commission nationale d'une durée déterminée. Autrement dit, qu'on lui donne 10 ans, qu'on lui donne un paquet d'argent, qu'on la laisse faire son travail et qu'elle s'autodétruise ensuite.

Vous avez vécu cette expérience à l'échelle provinciale. Que pensez-vous de cette idée à l'échelle nationale?

Le Dr Keegan : Je pense que l'idée que se faisait la commission Murray de la santé mentale et des toxicomanies était avant-gardiste. La commission était très favorable à la régionalisation. Elle a créé toute une carte de la régionalisation mais a dit que celle-ci présentait des lacunes. Il fallait une autorité forte, par exemple une commission indépendante du gouvernement, comme la SADAC. La SADAC était la commission sur l'alcoolisme, qui était indépendante. Cela nous aurait permis d'accroître le financement, ou du moins, de cibler le financement de manière à dire au gouvernement, voici ce qu'il faut faire.

Il faudrait créer un groupe qui dirait, nous nous occupons de la santé mentale et du financement des toxicomanies.

Avec l'enthousiasme qu'avait la commission Murray et ce qui en est advenu, avec une autorité centrale faible, peu d'autonomie et peu de financement ciblé, j'ai constaté que la santé mentale et les toxicomanies ont été perdues de vue, d'une certaine manière.

Je crois que le financement de la santé mentale pourrait être augmenté un peu, du 2,3 p. 100 du budget en 1989 à peut-être 3 p. 100. À Saskatoon, c'est environ 3 p. 100 du budget. Nous avons amalgamé la santé mentale et les toxicomanies parce que nous croyons dans l'intégration; nous pensons que la santé mentale et les toxicomanies doivent être groupées. J'ai vérifié hier, et ces services combinés reçoivent 4,1 p. 100 du budget de l'autorité régionale de la santé de Saskatoon, qui est de 580 millions de dollars. Ce chiffre regroupe tous les services de santé mentale et de toxicomanie, avec 3 p. 100 pour la santé mentale et 1 p. 100 pour les toxicomanies.

De toute évidence, la commission Murray s'attendait à ce que le financement augmente, mais il est plutôt resté statique. Je ne crois pas que nous ayons perdu de terrain, mais le financement est resté faible. C'est donc ce que je recommanderais, si l'on vous écoute et si votre comité est influent.

La seule disposition de caducité lorsqu'on a instauré la régionalisation, c'est lorsque le ministre a dit que pendant deux ans, on ne pouvait pas toucher au financement de la santé mentale et des toxicomanies, ou le réduire. On n'a pas dit qu'il fallait l'augmenter. On a dit aux régions et aux districts qu'ils pouvaient réserver ce financement à cette fin uniquement mais seulement pour deux ans. Depuis, il faut se battre pour le financement. Comme vous savez, la santé mentale et les toxicomanies ne tirent pas très bien leur épingle du jeu lorsqu'elles doivent concurrencer directement les services médicaux axés sur les soins actifs qui sont criants. Vous qui êtes chirurgien cardiovasculaire, vous savez où nous en sommes, en comparaison de cela.

Le Dr Thakur : Permettez-moi de vous donner un exemple. Récemment, à Saskatoon, nous avions un centre de traitement des enfants au niveau local. On l'appelait le Community Adolescent Treatment Unit, le CATU, et c'était géré comme une ONG avec un financement de 300 000 $ par an. L'autorité régionale de la santé de Saskatoon était en situation déficitaire, elle a donc fermé le CATU et gardé l'argent. C'est comme ça que procède l'autorité régionale. Quand il y a un déficit, les services de santé mentale pâtissent. Nous n'avons pas pu la persuader de conserver ce centre. Lorsque nous nous sommes adressés à notre député provincial, j'ai reçu un gros dossier de son bureau me disant que le centre ne fonctionnait pas au maximum, et que c'était la raison pour laquelle on l'avait fermé et qu'on avait redonné l'argent à l'autorité régionale de la santé de Saskatoon. On n'a pas fait mention de la nécessité d'assurer ces services. La psychiatrie pour enfants et le personnel sont tellement limités, et nous avons en plus perdu le CATU. C'est un exemple du genre de choses qui arrivent au niveau de l'autorité de santé régionale.

Le Dr Keegan : Je tiens à assurer aux sénateurs qu'on ne s'en prend pas particulièrement à la santé mentale; on a coupé partout dans la région parce qu'elle était déficitaire, mais la santé mentale n'était pas protégée. Ce n'est pas qu'on s'en ait pris nécessairement à nous, mais nous n'étions pas protégés.

Le Dr Thakur : Un financement ciblé pourrait vous aider à cet égard.

Le vice-président : On vous fera grâce d'un difficile contre-interrogatoire de la part de l'ancien premier ministre et ministre de la Santé car nous sommes à court de temps. Le sénateur Callbeck a eu la bonté de bien vouloir m'écouter, et m'a donc permis de prendre la parole.

Nous vous sommes fort reconnaissants de votre comparution et vous remercions infiniment d'être venus et de nous avons fait part de votre point de vue. Nous avons beaucoup appris du Manitoba et de la Saskatchewan.

Le sénateur Callbeck et moi disions justement à l'instant que nous apprenons beaucoup plus des petites provinces que des grandes. Ces dernières sont en très mauvaise posture; alors que les plus petites se sont ressaisies ce qui en dit long sur le besoin de services communautaires.

Le Dr Keegan : Je ne cherche pas vraiment à avoir le dernier mot et je n'en ai pas forcément besoin d'ailleurs, mais je pense que la Saskatchewan a été très avant-gardiste. Si nous avons tenu le coup dans le domaine de la santé mentale et des toxicomanies, c'est parce qu'il y avait suffisamment de structures en place. Pendant les années 60, le domaine de la santé mentale a été divisé en huit régions. Je pense que le plan de la Saskatchewan nous a permis de tenir le coup, sans quoi nous ne nous en serions pas sortis.

Le gouvernement de la Saskatchewan a mis en place, au fil des ans, des infrastructures qui me rendent fier d'être originaire de la Saskatchewan, et d'y être resté.

D'un autre côté, nous nous sommes toujours rendu compte que pendant les périodes difficiles où il n'y a pas de financement, il y a toujours des compressions dans le domaine de la santé mentale et des toxicomanies. C'est précisément à ces moments-là alors qu'on avait l'impression d'aller de l'avant, qu'en réalité on fait marche arrière. Nous sommes très optimistes par rapport à ce que fait votre comité, je peux vous le dire.

Le vice-président : Paradoxalement, il faut avouer que quiconque oeuvre dans le domaine de la santé a de quoi être fier d'être originaire de la Saskatchewan.

Le Dr Thakur : Je vous remercie beaucoup de nous avoir permis de présenter notre point de vue.

La séance est levée.


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