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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 19, Témoignages du 7 juin 2005 - Séance du matin


VANCOUVER, le mardi 7 juin 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 h pour examiner la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Sénateurs, nous avons parmi nous aujourd'hui, pour notre premier panel, Rennie Hoffman, membre du Conseil d'administration et trésorier de la Mood Disorders Association of British Columbia, Mme Sabrina Freeman, directrice administrative de Families for Early Autism Treatment, M. Ian Ross, directeur administratif du Crisis Intervention and Suicide Prevention Centre of British Columbia, le Dr Allan Burgmann, professeur de psychiatrie à UBC, et la Dre Kristin Sivertz, directrice du programme de santé mentale et chef du département de psychiatrie à l'Hôpital St. Paul de Providence Health Care.

Monsieur Hoffman, veuillez, je vous prie, nous faire votre déclaration liminaire.

M. Rennie Hoffman, directeur administratif, Mood Disorders Association of British Columbia : Merci, monsieur le président.

Honorables sénateurs, pour paraphraser une vieille réplique de cinéma, « C'est un étrange destin qui m'amène ici maintenant en ce lieu », car je ne viens pas du monde de la maladie mentale. J'ai, pendant près de 29 ans, travaillé comme agent de police au service de police de Vancouver. Mon monde était simple. Je n'avais à l'époque qu'à protéger le public, maintenir la paix et appliquer quelques centaines de textes de loi pertinents. J'ai passé le gros de mon temps de service dans le quartier Downtown Eastside au cœur de Vancouver, le quartier qui connaît le plus de problèmes de violence, de toxicomanie et de désespoir humain. J'ai patrouillé ce quartier avant, pendant et après la désinstitutionalisation des personnes atteintes de maladies mentales. Aujourd'hui, maintenant que je suis directeur administratif de la Mood Disorders Association of British Columbia, mon monde est plus compliqué.

La Mood Disorders Association of British Columbia est une organisation vieille de 23 ans qui est née et s'est développée dans le but d'offrir des groupes d'auto-assistance et des services d'autothérapie aux consommateurs et à leurs familles et amis. Il s'agit d'une organisation dirigée par et pour les consommateurs. L'an dernier, 15 000 à 20 000 personnes se sont rencontrées dans le cadre de nos groupes. Nous sommes représentés dans toutes les régions de la province et pouvons compter jusqu'à 62 groupes travaillant en même temps. Nous sommes le plus gros fournisseur de soutien d'auto-assistance aux consommateurs dans toute la province. Nous avons un groupe cantonais, un groupe autochtone et nous sommes en train de jeter les bases pour la création de groupes qui fonctionneraient en punjabi et en hindi. Des changements dans notre structure de financement nous ont permis d'élargir notre rayonnement pour englober le marché des jeunes avec un nouveau programme, Moving Beyond. Ces mêmes changements ont presque sonné le glas de l'organisation.

Le comité a reconnu l'importance des groupes de soutien de pairs et ce besoin a souvent été mentionné par les contributeurs. Les ONG comme MDABC sont un important élément du système de soins de santé primaires et doivent être reconnues en tant que tel. Il est essentiel que de tels programmes permanents soient inclus dans le continuum de soins pour les personnes atteintes de maladies mentales et qu'ils ne soient pas dévalorisés ou éliminés du fait de ne pas pouvoir produire des données prouvant que x dollars ont été économisés. Une agence qui aide les gens à éviter l'hospitalisation ou la nécessité de consulter un médecin ou une salle d'urgence offre de la valeur, peut-être plus de valeur que toute mesure réactive, au moins en partie du fait de l'argent économisé au point de départ.

Lorsque je faisais mes rondes dans ce quartier mal famé, il ne m'était jamais venu à l'idée qu'il y avait une excuse commune pour la consommation de drogues incontrôlée que je constatais tous les jours. Cependant, à la fin des années 70 et au début des années 80, personne n'avait jamais entendu parler de co-morbidité. Selon les estimations, 50 p. 100 de la consommation de drogues illicites est directement liée à la maladie mentale. Je pense pour ma part que c'est là une sous-estimation. Quoi qu'il en soit, si le gouvernement fédéral veut maintenir son pouvoir quant au contrôle des drogues illicites, il lui faut également assumer une certaine responsabilité pour les dommages infligés par l'utilisation de ces substances. La poursuite d'infractions au Code criminel ne peut pas être sa seule responsabilité.

Il m'est souvent arrivé dans le cadre de mon ancienne carrière d'arrêter des drogués, et ceux qui s'en occupaient demandaient qu'ils soient obligés par la Cour de suivre un traitement. La maladie mentale et la toxicomanie, bien que nous en parlions en des termes qui indiqueraient qu'une approche coopérative en matière de traitement est possible, résistent aux tentatives de contrôle simultané. Un programme national de désintoxication à administration fédérale permettrait d'établir le lien entre la maladie mentale et l'utilisation et la dépendance de drogues. Un tel programme fédéral coordonné offrirait un mécanisme de renvoi à un programme de rétablissement par les juges de la Cour fédérale ainsi qu'une vision de l'intérieur de la relation causale qui lie ensemble maladie mentale et abus de drogues.

Je vous ai soumis un mémoire comportant des suggestions dans d'autres domaines, dont certains qui se rattachent spécifiquement aux services de police et à la maladie mentale, mais il me faut traiter de la question du stigmate. Pourrait-on, je vous en prie, éliminer l'utilisation de ce terme lorsque nous discutons des problèmes entourant la vie avec la maladie mentale? Les situations découlant des réactions et des comportements envers les personnes atteintes de maladies mentales et les soins qui leur sont accordés et à l'intérieur et à l'extérieur du système de soins de santé sont le fait d'ignorance, d'intolérance et de peur. Ce sont ces mêmes conditions qui ont été identifiées et vécues par la population noire des États-Unis au cours de la dernière génération et par ce même groupe de personnes en Afrique du Sud, et par la population gaie dans notre génération. Dans ces situations, ces conditions étaient appelées préjugés et discrimination. Ce n'est pas différent dans le contexte de ce qui nous occupe ici.

Les maladies mentales sont en avance sur notre capacité de les traiter. Les nouveaux UBC Hospital Mood Disorders Clinic et centre de recherche, ainsi que d'autres organismes de recherche, offrent beaucoup d'espoir, et notre organisation envisage avec plaisir de collaborer avec eux en vue de leur réussite. Cependant, leurs objectifs sont, même chez les plus optimistes, à long terme. En attendant, notre actuel système fragmenté ne fonctionne pas très bien. Je crois en cet adage qui recommande de « réparer le problème, mais ne réparer pas la responsabilité ». Il importe qu'il y ait un mandat fédéral pour traiter d'une situation qui dépasse la capacité provinciale et qu'il y ait leadership et coordination fédéraux. La séparation des pouvoirs, décrite à l'origine dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, n'a pas inclus la responsabilité à l'égard des maladies mentales. À cette époque, l'on ignorait l'envergure du problème.

Vos rapports font état de maladies mentales inconnues ou fantômes chez des parents ou amis de membres du comité ici réuni. Lorsque j'ai commencé à travailler avec la MDABC, je pensais que la maladie mentale n'avait aucune prise sur mon monde. Depuis, j'ai découvert que la moitié de mes frères et sœurs sont touchés par la dépression. Le fils de ma demi-sœur s'est suicidé le mois dernier. J'ai un beau-frère bipolaire et une belle-sœur dépressive. Je ne sais plus quand je me suis pour la dernière fois entretenu avec un ami sans qu'il y soit faite une révélation au sujet d'un proche souffrant de maladie mentale. Ma belle-fille est dépressive et elle attend mon deuxième petit-enfant. Je connais le risque.

En tant que policier, j'ai constaté les effets de la maladie mentale dans nombre des interactions que j'ai eues au cours de mes 29 années de carrière. En tant que membre de la Mood Disorders Association, je vois maintenant que la maladie mentale était peut-être liée à presque tout ce que je faisais. En tant que grand-père en attente, je sais qu'à moins que d'importants changements ne soient apportés face à ces graves situations, mes descendants seront en péril. Je connais les risques et périls. Parfois, l'on ne peut pas les prévoir. Parfois on peut les éliminer ou les surmonter. Il nous faut changer le cours de la maladie mentale dans ce pays. J'y ai un intérêt tout particulier.

La MDABC et moi-même vous remercions de l'intérêt particulier que vous portez à ce dossier et de l'occasion qui m'a été ici donnée de prendre la parole devant vous.

Le président : Merci beaucoup.

Nous allons maintenant entendre Mme Freeman.

Mme Sabrina Freeman, directrice administrative, Families for Early Autism Treatment : Bonjour, honorables sénateurs.

Je suis sociologue de formation et depuis longtemps défenderesse des droits des personnes handicapées,ce par nécessité. Je suis également le parent qui a été le fer de lance de la cause-clé Auton de défense des droits des personnes handicapées contre le gouvernement de la Colombie-Britannique, qui a été gagnée à la Cour supérieure de la Colombie-Britannique ainsi qu'à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, mais qui a été rejetée en novembre dernier par la Cour suprême du Canada, ce qui a eu pour résultat d'évider la Charte des droits et libertés et de faire reculer incommensurablement les droits des personnes handicapées.

D'après ce que j'ai compris, vous avez entendu un exposé sur la négligence en matière de traitement de l'autisme au Canada fait par ma collègue en Ontario, Nora Whitney, qui est directrice administrative des Families for Early Autism Treatment en Ontario. Je ne vais donc pas revenir sur les aspects dont elle a traité. Il importe néanmoins de dire que j'adhère de tout cœur à son évaluation de la situation, de la nature de la crise de traitement et de la voie à suivre en vue de son règlement.

Je ne suis pas ici aujourd'hui pour embellir la situation des enfants atteints d'autisme au Canada. Ceci ne va pas être encore une autre version insipide et politiquement correcte de la situation de l'autisme au Canada, après quoi chacun rentrera à la maison en se sentent bien à l'idée que nous travaillons tous ensemble pour améliorer les choses au Canada et que le Canada est le plus beau pays du monde où vivre et que nous avons tous tellement de chance d'être Canadiens. Non. Je suis ici pour ne vous livrer que la dure réalité, car je suis hors de moi.

Nous vivons dans un pays dans lequel il y a un groupe d'enfants qui sont exclus à 100 p. 100 de notre système de soins de santé. Ce groupe est celui des enfants affligés par ce désordre neurologique débilitant qu'est l'autisme. Il n'y a aucune assurance-maladie pour eux et cela est complètement égal à Ottawa. Le prétendu système de soins de santé universel n'est qu'une imposture. Un médecin dit à la mère catastrophée d'un enfant chez qui l'on vient de diagnostiquer l'autisme que l'assurance-maladie n'a rien à offrir à l'enfant. Il n'y a même pas de catégorie « traitement de l'autisme ». Les provinces s'en lavent les mains. Je suis si indignée que je ne trouve même pas les mots pour exprimer ma rage, car tous les gouvernements provinciaux sont complices pour garder ces enfants à l'écart du système de soins de santé pour leurs besoins de santé impérieux, soit un traitement comportemental intensif fondé sur des décennies de recherche par le Dr Ivar Lovaas et ses collègues dans le domaine de l'analyse appliquée du comportement — il s'agit d'un traitement qui est considéré comme le modèle à suivre dans l'État de New York par le New York State Department of Health et le directeur des services de santé publique des États-Unis.

Je suis hors de moi car lorsque la Cour supérieure et la Cour d'appel de la Colombie-Britannique ont vu la vraie discrimination à l'intérieur du système de soins de santé prétendument universel de la nation et la violation systémique de la Charte des droits et libertés dans le cas des enfants autistiques, il en a été appelé de leur décision auprès de la Cour suprême du Canada. Presque tous les procureurs généraux provinciaux du pays, et même le procureur général fédéral, sont intervenus contre le droit de ces enfants à l'assurance-maladie pour leurs besoins de santé impérieux. Je suis tout particulièrement enragée qu'Irwin Cotler, le pseudo champion des droits de la personne, se soit avéré être un hypocrite de grande volée en intervenant contre les enfants autistiques devant la Cour suprême du Canada pour éteindre leurs droits à l'égalité.

Je suis convaincue que l'intervention fédérale à la Cour a résulté en l'échec de l'affaire Auton, ce qui a évidé les droits des enfants autistiques et des personnes handicapées en général. Ces enfants ont de très puissants ennemis qui sont ligués contre eux.

Le 19 novembre 2004, lorsque le gouvernement a remporté l'affaire Auton contre ces enfants handicapés, la vision de la société juste de Trudeau est morte. Le paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés ne vaut pas le papier sur lequel il est écrit pour les personnes handicapées, et tout particulièrement pour les enfants autistiques et les personnes souffrant de troubles mentaux.

Les technocrates de la politique de santé et les bureaucrates vous diront qu'il n'est pas ici question d'enfants mais plutôt d'empêcher les tribunaux de plonger dans la faillite notre système de soins de santé. Mais je suis ici pour vous dire qu'ils ont tort. La question est tout à fait celle des enfants autistiques et du fait qu'on les compare à des enfants d'un moindre Dieu et qu'ils aient été relégués au ministère de la pauvreté et de la protection de l'enfance dans toutes les provinces.

La discrimination systémique, la façon même dont les décideurs des politiques conçoivent la nature des maladies physiques par opposition aux maladies mentales, est la raison même pour laquelle le travailleur social est illogiquement le point de contact entre le gouvernement et l'enfant affligé d'autisme. C'est à cause de la discrimination systémique que la politique gouvernementale exclut toute cette catégorie d'enfants du système de soins de santé pour leurs besoins essentiels en matière de santé, et ce partout au pays. C'est cette discrimination systémique qui a permis à chaque gouvernement provincial et au gouvernement fédéral d'envoyer leurs meilleurs avocats contrer l'affaire Auton à la Cour suprême du Canada, pour veiller à ce que cette travestie de la justice demeure en place.

La Cour suprême du Canada dit que le gouvernement peut choisir quels traitements couvrir et lesquels ne pas couvrir, ignorant totalement le fait que refuser le seul traitement efficace pour l'autisme revient à exclure complètement l'enfant de l'assurance-maladie. C'est là l'élément essentiel qui a échappé au gouvernement à Ottawa. Il n'est ici pas question d'exhaustivité, mais du principe de l'universalité. En matière de traitement de l'autisme, toute la notion d'universalité dans notre régime de soins de santé est une promesse frauduleuse.

Et aujourd'hui, suite à cet échec devant la Cour suprême du Canada, la chasse est ouverte à l'égard de tous les enfants autistiques. Les gouvernements de partout au pays obligent les parents d'enfants autistiques à financer eux-mêmes le traitement de leur enfant jusqu'à devoir vendre leur maison et à être acculés à la faillite. Oui, l'univers se déroule comme il le devrait pour les décideurs canadiens, où les personnes atteintes de maladies mentales sont exclues des soins de santé, relégués à la pauvreté, leurs familles les y suivant de très près, vouées qu'elles sont au même sort. Quel dommage, que c'est triste, est le message que nous entendons douloureusement haut et fort. Ce n'est pas parce que vous avez un enfant handicapé que nous autres, les pouvoirs publics de tout le pays, avons la moindre obligation de fournir les traitements médicalement nécessaires dont votre enfant a besoin. Il y a cependant 63 psychiatres autorisés dans la seule province de la Colombie-Britannique qui ont dit au gouvernement de quel traitement les enfants autistiques ont besoin pour leur santé de base, tout cela pour être systématiquement ignorés jusqu'à ce qu'intervienne la cour.

Voici l'essentiel : si nous sommes imposés comme dans une nounoucratie, alors il serait temps que la nounou se présente. Si nous allons être imposés à mort à cause de notre beau système de santé dont on se vante tant, alors il nous faudrait un système de soins de santé qui inclue tout le monde, et pas seulement ceux qui souffrent de maladies physiques. Mais, non, dans ce pays, le gouvernement nous impose comme les socialistes mais a la compassion des capitalistes, son élite au pouvoir étant chroniquement infectée par la maladie du canal Rideau alors que l'on distribue croissants et gâteaux, se disant en silence que tout va bien dans ce beau pays dont elle pense qu'il est le meilleur au monde. Il y a un terme pour ce comportement — cela s'appelle de la grossière hypocrisie.

Alors quelles sont les solutions? Il y a des solutions évidentes à ce problème. Il y a le portefeuille — car la chose financièrement responsable à faire est de financer le traitement médicalement nécessaire pour les enfants autistiques. De nombreuses analyses coûts-avantages ont déjà montré que le financement de ce traitement économisera beaucoup d'argent au gouvernement comparativement aux coûts massifs de l'institutionnalisation à long terme. Cependant, nous n'avons pas la volonté, en tant que nation, de nous attaquer sérieusement à cette honteuse violation du contrat social.

En votre qualité de sénateurs, vous avez le pouvoir de la persuasion et la capacité d'inscrire ceci au programme du gouvernement. Il me faut néanmoins dire, en toute candeur, que je ne compte pas que vous serez en mesure de corriger ce problème, ses racines étant tout simplement trop profondes et systémiques. Dès l'instant que vous commencerez à travailler, si vous décidez d'entreprendre ce combat nécessaire pour corriger cet horrible tort, l'on vous résistera à chaque pas le long de votre route. Les technocrates de la politique de santé des Instituts de recherche en santé du Canada et de l'Office canadien de coordination de l'évaluation des technologies de la santé à Ottawa vous serviront leur science-bidon. Les bureaucrates de la santé à Ottawa vous donneront leur opinion professionnelle selon laquelle le traitement pour l'autisme que deux Cours supérieures de la Colombie-Britannique ont jugé médicalement nécessaire est purement expérimental et que les Cours ont eu tort. Ils vous diront que cela ruinera le pays et mettra en faillite le système de soins de santé.

Dans le cadre de ma présentation, je vous ai également fourni un livre que j'ai écrit au sujet de la recherche de politiques discréditées faites sur mesure pour les tribunaux et qui bloquent la voie au traitement universel de l'autisme. Vous devriez y voir une trousse d'inoculation qui expose la science frauduleuse produite par les architectes de politiques de santé dans le but exprès de rejeter la contestation Auton invoquant la Charte pour obtenir le traitement médicalement nécessaire de l'autisme.

Oui, sénateurs, contrairement à ce que diront les auteurs de politiques de santé et les procureurs généraux, le ciel ne va pas nous tomber sur la tête si nous faisons quelque chose d'aussi radical que d'inclure les enfants autistiques dans le système de santé national. L'assurance-maladie survivra. Il ne va pas y avoir une avalanche. La seule chose qui changera ce sera que les enfants autistiques pourront obtenir le traitement nécessaire qui leur est dû en tant que citoyens canadiens, au lieu que cela ne soit réservé qu'aux enfants des riches ou de ceux qui ont une maison qu'ils hypothéqueront et qu'ils finiront par perdre du fait de devoir payer le traitement de leur enfant autistique.

Les gouvernements provinciaux ont gravement manqué à leurs devoirs envers ces enfants. La Cour suprême du Canada a manqué à ses devoirs envers ces enfants. Le gouvernement fédéral a manqué à ses devoirs envers ces enfants qui luttent pour surmonter l'autisme et il les a trahis. À ce stade-ci, à moins de pouvoir déplacer des montagnes de bureaucrates, de technocrates, d'analystes de politiques de santé et de chercheurs à la solde du gouvernement, tous corrompus, les enfants autistiques de ce pays sont condamnés. Ils sont condamnés à vivre leur vie comme pupilles de l'État ou bien, s'ils sont en mesure de fonctionner un tout petit mieux, ils finiront par faire partie du paysage urbain des sans-abri et se joindront aux légions d'autres gens de la rue souffrant de maladies mentales.

Le tableau pour les enfants autistiques au Canada est bien morne en ce moment. À moins que des changements systémiques ne soient apportés afin de les inclure dans le régime d'assurance-maladie pour leurs besoins de santé essentiels, ils continuent d'être les victimes des technocrates de la politique de santé du Canada par la faute d'une tradition enracinée de rationnement, qui se fait toujours par réflexe, aux dépens des personnes atteintes de maladies mentales, des personnes handicapées et de quiconque ne cadre pas avec le profil du « normalement malade », autrement dit « physiquement malade ».

Comme le confirme la récente décision de la Cour suprême dans l'affaire Auton, la discrimination systémique à l'endroit des personnes handicapées est fermement enchâssée dans la politique du Canada. Si un différend organisé touche le moindrement aux soins de santé, concernant, par exemple, qui devrait être couvert et qui ne le devrait pas, nous savons maintenant que la Charte des droits est suspendue, simplement mise de côté par le gouvernement et est rendue nulle.

Ainsi, le défi dont vous êtes saisis est de changer la culture politique de ce pays, une culture qui considère les personnes atteintes de troubles mentaux comme étant moins méritantes que le reste d'entre nous, avec des besoins en matière de traitement qui sont moins dignes que ceux du reste d'entre nous. Cela témoigne d'un profond appauvrissement de notre société et il s'agit d'une erreur fondamentale. La question est la suivante : qui parmi nous a le pouvoir, la détermination et la vision morale pour mettre fin à l'injustice et à l'hypocrisie entourant l'autisme?

Les enfants autistiques sont le canari proverbial de la mine de charbon dans ce pays : à moins qu'ils ne soient inclus dans l'assurance-maladie, la promesse de soins de santé universels est un vaste mensonge et la promesse de la Charte des droits est vide. La société juste promise par Trudeau est illusion. Pour les parents qui s'efforcent de sauver leurs enfants autistiques, le genre de médecine à carte de crédit auquel le ministre de la Santé prétend être opposé, c'est déjà leur réalité aujourd'hui.

J'espère sincèrement que vous saurez mettre fin à cette injustice, mais tout ce que je vois, dans mes nombreuses années de lutte, est que les bureaucrates intransigeants et les technocrates et analystes de politique malveillants sont toujours solidement aux commandes et n'ont aucune intention de changer les politiques à l'égard des autistiques. En dépit de cela, j'estime malgré tout qu'il était important que je vienne ici aujourd'hui vous livrer la brute réalité des enfants atteints d'autisme. Je pense qu'il est très important pour vous de savoir que ce que nous appelons dans ce pays des soins de santé universels ne sont en réalité pas du tout universels.

Le président : Merci, Sabrina.

La parole est maintenant à M. Ross.

M. Ian Ross, directeur administratif, Crisis Intervention and Suicide Prevention Centre of British Columbia : Bonjour. Je suis président du Comité d'intervention d'urgence de l'Association canadienne pour la prévention du suicide, ou ACPS. Voici donc la chemise d'information que j'ai apportée avec moi ce matin.

Je suis ici pour vous parler du plan de l'ACPS en vue d'une stratégie nationale de prévention du suicide pour le Canada, devant s'inscrire dans un continuum de services pour les personnes atteintes de maladies mentales.

Chaque année, au Canada, environ 4 000 personnes meurent par suicide. Nombre de ces suicides sont évitables.

J'aimerais vous raconter une histoire qui comporte quatre chapitres. Le premier chapitre concerne le centre de crise à Vancouver, où je travaille comme directeur administratif. Le deuxième chapitre rattache le centre de crise où je travaille à quatre autres centres de crise indépendants en Colombie-Britannique. Le troisième chapitre fait le lien entre le Distress Line Network of British Columbia et le Canadian Distress Line Network, qui est composé de lignes d'écoute téléphonique reliant à l'intérieur d'un seul réseau les six régions du Canada. Le quatrième et dernier chapitre rattache le Canadian Distress Line Network au réseau d'accréditation internationale.

Pour ce qui est du premier chapitre, le centre de crise à Vancouver est un organisme bénévole qui a pour objet d'aider les gens à s'aider eux-mêmes et à aider d'autres en situation de crise. Ce dépliant que vous trouverez dans votre trousse donne un aperçu du centre de crise à Vancouver. Nous sommes un exemple de plus de 100 centres de crise qui existent à l'échelle du pays. Nous avons un budget de 850 000 $. Nous avons deux principaux programmes, dont une ligne de détresse-secours dans la région de Vancouver et qui reçoit 24 000 appels par an. Huit pour cent de ces 24 000 appels sont liés au suicide — ce qui veut dire que 92 p. 100 de nos appels ne sont pas liés au suicide.

Nous avons également un programme visant les écoles secondaires. Nous nous rendons dans les écoles secondaires et parlons aux étudiants de la gestion du stress, des habiletés d'adaptation et de la prévention du suicide. Dans la région vancouveroise, nous avons l'an dernier tenu un tout petit peu plus de 500 ateliers interactifs auxquels ont participé quelque 15 000 étudiants du secondaire.

La clé de notre réussite au centre de crise de Vancouver et dans les centres de crise du reste du pays est le recrutement, la formation et la gestion, dans notre cas à Vancouver, de 260 bénévoles appuyés par une petite équipe de professionnels. Vingt-six pour cent de notre budget correspondent à des fonds fédéraux, et nous devons pour le reste lever des fonds. Notre conseil d'administration, un conseil d'administration non rémunéré, est très clair s'agissant du fait que nous ne souhaitons pas que plus que 30 p. 100 de notre budget proviennent du gouvernement, car nous voulons demeurer indépendants. Soixante-dix pour cent de notre budget sont donc le produit de nos efforts propres.

Nos bénévoles qui prennent les appels et vont dans les écoles secondaires ne sont pas des thérapeutes. Ce sont des personnes hautement formées — et nous formons nos bénévoles pour qu'ils soient de bons écoutants. Le pouvoir d'un bon écoutant est formidable. Des gens nous appellent en plein milieu de la nuit; ce sont des gens qui ne peuvent pas contacter un membre de leur famille ou un être cher. Les gens peuvent contacter notre service, un service gratuit et confidentiel, 24 heures par jour. Alors, comme je le disais, notre réussite, nous la devons à nos 260 bénévoles formés ainsi qu'à notre petite équipe professionnelle. Lorsqu'une personne appelle notre centre, nous l'écoutons puis nous la renvoyons, selon ses besoins, à des thérapeutes ou à d'autres services.

Depuis 1969, notre seul centre de Vancouver a formé plus de 5 000 bénévoles, des personnes qui ont appris à être de bons écoutants et qui ont ensuite pu faire bénéficier à leur collectivité leurs bonnes compétences en matière d'intervention d'urgence. Nous avons des gens qui viennent nous voir et qui payent 110 $ pour être bénévole, car notre documentation, déjà côté matériel seulement, est très exhaustive. Notre formation requiert 75 heures. Certaines personnes ne résistent d'ailleurs pas jusqu'à la fin. Néanmoins, la force que nous donnent ces bénévoles, et pas simplement pour remplir des enveloppes, est évidente; ces personnes sont sur la ligne de front des services de détresse-secours d'un bout à l'autre du pays. Elles offrent un très précieux service. Je voulais simplement, dans le cadre de ce premier chapitre, mettre en relief le cas d'un centre de crise donné.

Passons maintenant au deuxième chapitre — le réseau de lignes de détresse-secours de la Colombie-Britannique. Nous nous sommes rendus compte qu'il nous fallait être les leaders en matière d'intervention en situation de crise, de prévention du suicide, et c'est ainsi que nous avons fait le lien avec quatre autres centres de crise indépendants de la Colombie-Britannique. Grâce à un modèle de développement communautaire, nous avons bâti à l'échelle de la Colombie-Britannique un réseau de lignes d'écoute téléphonique qui sert aujourd'hui de modèle pour le réseau canadien de lignes d'écoute. Comme je viens de le dire, nous avons utilisé un modèle de développement communautaire. Le modèle de développement communautaire est un modèle de haut en bas pour décider de la structure. La deuxième phase suppose élaborer un modèle de consensus quant aux décisions prises à l'intérieur du réseau. La troisième et dernière phase est celle où le pouvoir et l'autorité demeurent en région, mais il y a un jeu commun de normes ou de pratiques exemplaires qui sont utilisées par tous les partenaires. Il s'agit donc d'un modèle qui a déjà fait ses preuves dans de nombreuses organisations.

J'ai pendant 11 ans travaillé pour la Société Alzheimer et nous avons utilisé ce modèle pour bâtir la structure en Colombie-Britannique, au Canada et à l'échelle internationale.

L'une des clés du B.C. Distress Line Network est son système d'acheminement par circonscription. Le système permet de répercuter un appel à un autre centre si le centre original est occupé; si ce centre-là est occupé, l'appel est acheminé au suivant, et ainsi de suite. Nous assurons une couverture 24 heures par jour.

Pour ce qui est du troisième chapitre, ce modèle que nous avons élaboré en Colombie-Britannique est maintenant un modèle pour le Canada. En vue de bâtir le réseau canadien de lignes d'écoute pour personnes en état de crise, au lieu de prendre les dix provinces et les différents territoires, nous avons divisé le pays en six grandes régions, soit la Colombie-Britannique, le Yukon, les Prairies, le Québec et l'Ontario, la région de l'Atlantique et le Nord. Ces six partenaires œuvrent en vue de la réalisation de la troisième phase du modèle de développement communautaire, où le pouvoir et l'autorité demeureront en région mais où les normes de fonctionnement seront les mêmes partout au pays.

La raison pour laquelle je suis ici est que je tiens à vous convaincre de l'importance pour le Canada d'avoir une stratégie nationale de prévention du suicide qui fasse le lien avec les stratégies de santé mentale et d'autres encore. Je sais que vous avez discuté de cela avec des collègues de partout au pays. L'élément de la stratégie dont je viens de vous entretenir concerne la prévention et l'intervention. Cela concerne le quatrième chapitre, soit les bénévoles formés sur les lignes de front, ceux du Canadian Distress Line Network. Il se trouve dans la trousse que je vous ai donnée un résumé sur le Canadian Distress Line Network. C'est juste un élément de cette stratégie canadienne d'ensemble en vue d'une stratégie nationale de prévention du suicide. Cela réussit en fait plutôt bien.

En conclusion, il nous faut une reconnaissance fédérale à l'appui d'une stratégie nationale de prévention du suicide pour les Canadiens.

Le président : Merci beaucoup.

Nous allons maintenant entendre le Dr Allan Burgmann, qui sera suivi de la Dr Kristin Sivertz, qui représentent tous les deux Providence Health Care.

Le docteur Allan Burgmann, professeur adjoint d'enseignement clinique, Psychiatrie, Université de la Colombie-Britannique, Providence Health Care : Je remercie les honorables sénateurs de nous avoir invités, la Dre Sivertz et moi-même, à venir vous entretenir de la question cruciale de la santé mentale et des toxicomanies.

J'aimerais commencer par dire que j'approuve tout ce qui a été dit ici jusqu'à présent, toutes les questions critiques qui ont été soulevées relativement à différents aspects de la santé mentale. Nous allons quant à nous nous concentrer dans notre exposé sur la santé mentale et les toxicomanies et les liens que nous avons constatés entre les deux choses à Providence Health Care et à l'Hôpital St. Paul's.

Notre hôpital se trouve à sept rues d'ici. À sept rues dans l'autre direction se trouve le Downtown Eastside, reconnu comme la plus pauvre zone de code postal au Canada. Le Downtown Eastside a été reconnu à l'échelle internationale ainsi qu'à l'échelle nationale comme affichant la plus forte densité de patients et d'individus souffrant de trois problèmes chroniques. Ces problèmes sont un grave problème d'abus de substances, un grave problème de santé mentale ainsi qu'une grave maladie mentale.

Les troubles psychiatriques les plus prévalents dans le Downtown Eastside sont de nature psychotique. L'on y retrouve, surtout, schizophrénie, troubles schizo-affectifs et troubles psychotiques, généralement amenés par l'abus de substances. Cependant, l'on relève chez les personnes qui habitent le Downtown Eastside une incidence de très graves troubles d'humeur ainsi que de la démence et des troubles de stress post-traumatique. Le problème d'abus de substances dans ce quartier est galopant. Toute substance pouvant être avalée, fumée ou injectée y est utilisée.

L'on pensait autrefois que l'héroïne y était un énorme problème. Or, l'héroïne s'est fait, et de loin, dépassée par des stimulants comme la cocaïne, le crack et cet horrible crystal meth. Le crystal meth va être le dragon qui nous avalera tous si on ne parvient pas à le contenir. Il détruit le cerveau et cause des maladies psychotiques permanentes. Quant aux maladies médicales qui sont présentes dans le Downtown Eastside, il y a les maladies infectieuses que voici — infection à VIH, hépatites A, B et C, ainsi que des super infections résistantes aux antibiotiques comme la cardite, l'ostéomyélite et la cellulite. Vient s'ajouter à tout cela le trauma résultant du fait d'avoir été tabassé, d'avoir été violé ou d'être responsable ou victime de crime violent.

Il y a de nombreuses raisons qui expliquent l'existence du Downtown Eastside. Mais la cause principale a été la rationalisation puis la fermeture de l'Hôpital Riverview, un nombre élevé de patients psychiatriques malades ayant été relâchés sans suivi adéquat et sans logement adéquat. Ces personnes ont été abandonnées pour errer dans la ville. La seule partie de Vancouver où l'on puisse trouver des logements abordables est malheureusement le Downtown Eastside. Ces personnes sont vulnérables à l'exploitation. Elles sont également vulnérables à la tentation de consommer des substances susceptibles de créer l'accoutumance.

Il y a par ailleurs un déséquilibre entre la réduction des préjudices et le traitement pour toxicomanie. La stratégie de notre ville en matière de lutte contre la toxicomanie est axée sur la réduction des préjudices.

Le crystal meth est une drogue très facile à produire et bon marché. Elle génère des produits énormes. N'importe qui peut produire du crystal meth dans son sous-sol. Il suffit de télécharger la recette de l'Internet, d'acheter les ingrédients requis au Canadian Tire, et vous êtes lancé dans le gros trafic de drogue.

La docteure Kristin Sivertz, médecin directeur du Programme de santé mentale et chef du Département de psychiatrie, Providence Health Care : Historiquement, la santé mentale et le traitement des principales maladies mentales et de la toxicomanie se faisaient séparément. On ne soignait pas ces problèmes avec des traitements concomitants. Je dirais que la nouvelle orientation que nous suivons — et ce n'est pas simplement une stratégie provinciale ou vancouveroise, mais une véritable tendance nationale et internationale, est que l'on reconnaît beaucoup plus depuis cinq à dix ans que l'on ne peut pas séparer traitement psychiatrique et traitement de la toxicomanie. L'on sait qu'il importe dans la région d'augmenter la formation et l'acquisition de compétences à tous les niveaux dans la chaîne de prestation de soins de santé afin de pouvoir faire face à cette population de patients particulièrement complexe et difficile.

Comme nous l'avons dit, nous allons dans notre exposé d'aujourd'hui nous concentrer sur Providence Health Care et notre interaction ici et à l'échelle provinciale.

Notre orientation stratégique visant le traitement simultané de toxicomanies et de maladies mentales est née de la nécessité. Elle est née des pressions amenées par le Downtown Eastside, qui nous livrait un énorme flux de patients à la porte d'entrée principale aux soins de santé, soit les services d'urgence. Nous avons compris qu'il nous fallait avoir une approche de traitement unie et qu'il nous fallait bâtir sur les services limités de traitement de toxicomanie disponibles au sein de Providence Health Care. C'est ainsi que nous avons établi des liens beaucoup plus étroits entre la psychiatrie et le service de toxicomanie. Cependant, je tiens à souligner à nouveau que nos services de toxicomanie étaient très limités.

La recherche sur le crystal meth fait maintenant partie de notre programme et nous avons nommé un président de la recherche en toxicomanie et créé une division de toxicomanie en bonne et due forme. Nous avons multiplié nos lits en psychiatrie et notre capacité de traiter ces personnes qui souffrent de graves troubles de comportement. Voilà pour les bonnes nouvelles. Il nous faut cependant encore d'autres solutions.

Je suis du même avis que l'un de mes collègues ici qui a parlé du retard pris par les services de soutien par rapport aux maladies mentales. Il nous faut une augmentation d'ensemble du soutien pour les hôpitaux de façon à prévoir des traitements de plus longue durée. Nous reconnaissons cependant pleinement qu'un traitement en milieu hospitalier n'est qu'un éclair dans le cycle de vie d'une personne, et nous nous efforçons d'aider les gens à rester en dehors des hôpitaux. D'où la nécessité d'un soutien communautaire et de traitements résidentiels accrus à l'écart du Downtown Eastside. Nous reconnaissons également la nécessité d'un nombre accru de lits en soins de désintoxication dans la région, afin que l'on puisse faire le triage des patients en milieu hospitalier mais qu'on puisse ensuite les transférer ailleurs. Il nous faut également des programmes de prévention accrus partout dans la collectivité. J'appuierais la suggestion faite plus tôt visant la création d'un programme fédéral pour cibler des systèmes de soutien pour lutter contre la toxicomanie. J'appuierais également l'établissement de liens avec les groupes d'auto-assistance et je ferais mention non seulement de la MDA mais également de la B.C. Schizophrenia Society, SAFER, qui est un réseau de prévention du suicide, et la ligne téléphonique pour personnes en situation de crise dont nous avons entendu parler.

Il nous faut également augmenter les logements à coût abordable pour les patients souffrant de maladies mentales persistantes. Il nous faut des stratégies qui nous permettent de les libérer du milieu hospitalier pour les verser dans un environnement plus sûr et il nous faut un soutien accru pour le travail des policiers, sous forme de financement et de peines adaptées.

Je vais conclure en soulignant de nouveau l'envergure des défis posés par l'interaction entre toxicomanie et maladie mentale.

Le président : Merci à vous tous de vos exposés.

Pourriez-vous m'expliquer en quelques phrases ce qu'est Providence Health Care?

Dre Sivertz : Providence Health Care est un groupe d'hôpitaux qui ont été fusionnés en une seule et même entité. On y compte St. Paul's Hospital, un important hôpital général du centre-ville, Mount Saint Joseph, un autre hôpital général mais avec une vocation gériatrique, les hôpitaux St. Vincent's, qui sont des maisons de soins infirmiers de longue durée, l'hôpital Holy Family, un hôpital de réadaptation, et Youville Residence, un centre de soins gériatriques de longue durée. Providence Health Care couvre toute la gamme de soins hospitaliers.

Le président : Voilà qui explique pourquoi je n'en avais pas entendu parler. J'ai déjà entendu parler des différents hôpitaux, mais j'ignorais que vous aviez vécu le même genre de fusion que tout le monde.

J'ai été plutôt surpris par une ou deux choses que vous avez dites. Vous avez dit qu'historiquement, si une personne souffrait et d'une maladie psychiatrique et d'un problème de dépendance à l'égard de drogue il ou elle ne pouvait pas bénéficier de traitements simultanés. Pourquoi?

Dre Sivertz : Je pense que la psychiatrie a considéré que les toxicomanies ne relevaient pas de son domaine. Les toxicomanies n'ont pas fait partie de la formation ni des traitements. L'on disait en général aux patients de se sevrer des substances qu'ils consommaient et de revenir à ce moment-là pour qu'on évalue leur état mental. Il y a eu une certaine reconnaissance il y a de cela 20 ans que les substances ont une incidence sur l'état mental et qu'il est difficile de faire un diagnostic psychiatrique sûr lorsque l'intéressé a un grave problème d'abus de substances, mais il y avait cette tendance voulant que le traitement soit tout à fait à part.

D'autre part, du côté problèmes d'accoutumance, il y avait une philosophie voulant que toutes les drogues soient mauvaises. Si vous preniez des médicaments pour la schizophrénie, une grave dépression ou un trouble affectif bipolaire profond, alors ces médicaments n'étaient pas acceptables dans les centres de traitement. La psychiatrie avait énormément de travail à faire.

Le président : Que voulez-vous dire en disant qu'ils n'étaient pas acceptés dans les centres de traitement?

Dre Sivertz : Ils n'étaient pas acceptés parce qu'ils étaient considérés comme des drogues psychodysleptiques. Ils n'étaient pas considérés comme étant des médicaments essentiels nécessaires pour contrôler ces maladies. N'oubliez pas que le modèle biologique de la psychiatrie est en ascendance depuis environ 30 ans — il remonte en fait à il y a 50 ans — mais l'approche côté toxicomanie était que tous les médicaments étaient mauvais. Nous avons eu énormément de travail à abattre pour faire comprendre aux gens que les graves maladies mentales doivent être traitées avec des médicaments spécifiques donnés en permanence. Nous avons fait des pas énormes et les deux systèmes se sont donc rapprochés. Je pense qu'il y a une volonté de travailler ensemble des deux côtés.

Le président : Pourriez-vous expliquer un peu mieux ce que vous entendez par peines adaptées?

Dre Sivertz : L'imposition de peines vise en réalité les gros trafiquants. Encore une fois, il s'agit là d'un problème qui a été relevé en premier par notre ville. Peut-être que mon collègue assis tout à ma gauche est au courant de cela.

Le président : Les gens qui trafiquent se font imposer des peines beaucoup trop légères, c'est cela?

Dre Sivertz : Les gros trafiquants — alors qu'en ce qui concerne les usagers finaux dans la rue, les interventions policières, l'imposition de lourdes amendes et de lourdes peines d'incarcération ne les aident pas.

Le président : Ian, une question au sujet de votre programme de formation à long terme. Soixante-quinze heures, c'est beaucoup de formation. Votre programme est-il unique en ce sens que vous l'avez mis au point ici, ou bien s'agit-il d'un programme qu'utilisent les centres de crise et les centres de prévention du suicide à l'échelle du pays? Je n'avais jamais encore entendu parler d'un programme aussi intensif que celui-là.

M. Ross : Le nôtre est particulièrement rigoureux. Il nous a fallu 36 ans pour le mettre au point. Nous sommes accrédités par l'American Association of Suicidology, et il y a de ce fait un certain nombre d'exigences très spécifiques en vue d'acquérir et de maintenir l'accréditation. L'un des éléments de notre stratégie est d'avoir un processus d'accréditation canadien. En ce moment, nous faisons venir dans notre centre des gens de Washington, ou en profitons lorsqu'ils sont déjà de passage au Canada et ont l'accréditation. C'est donc lié au nombre d'heures qu'il faut pour former les volontaires et pour être accrédité.

Le président : C'est impressionnant. Si je me trouvais à Halifax, aurais-je le même programme de formation?

M. Ross : Si vous êtes accrédité par l'American Association of Suicidology à Halifax, oui, ce serait très semblable. Nous nous efforçons en gros de nous organiser autour des pratiques exemplaires, en fonction de ce qui marche et de ce qui ne marche pas. Nous avons différents professionnels. La Dr Jennifer White a fait un travail considérable en matière de pratiques exemplaires de prévention du suicide; nous avons intégré nombre de ces meilleures pratiques dans notre formation.

En ce qui concerne notre stratégie nationale, nous voulons consacrer des ressources à une discussion sur ce qui fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas. Le Québec a une situation toute différente avec son réseau de lignes d'appel dans la lutte contre le suicide. Le Québec a reçu des montants d'argent conséquents en vue de sa stratégie de prévention du suicide, et il a élaboré un certain nombre de très bon manuels de formation pour ses bénévoles et employés et normes de meilleures pratiques de base. Nous n'en entendons pas beaucoup parler car nous sommes toujours très concentrés sur nos agences et notre province et le Canadian Distress Line Network en vue de réunir ensemble tous les morceaux pour les centres de crise afin de pouvoir discuter et apprendre les uns auprès des autres relativement à ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Le président : Sabrina, merci de votre examen de l'affaire Auton. Nombre d'entre nous ont été aussi étonnés que vous par la décision de la Cour suprême.

J'aimerais bien que vous tiriez au clair une chose pour moi. Dans un de nos rapports antérieurs, nous avons inclus une discussion sur l'autisme. J'ai été quelque peu étonné que mon bureau reçoive plusieurs appels téléphoniques ou courriels de familles ayant un enfant autistique et disant, en gros, qu'elles ne pensaient pas qu'une discussion sur l'autisme devrait figurer dans un rapport traitant de santé mentale, de maladie mentale et de problèmes d'accoutumance. En d'autres termes, elles disaient que cela ne devrait pas être considéré comme une maladie mentale. Franchement, cela m'avait beaucoup étonné. Vous êtes manifestement beaucoup plus en contact avec ce réseau que moi. Quel est le problème à ce sujet-là?

Mme Freeman : L'Organisation mondiale de Santé, le DSM-4, l'ICD-10 et toutes les méthodes diagnostiques acceptées répertorient l'autisme comme étant un désordre neurologique. C'est une maladie mentale. Certaines personnes n'aiment pas que l'on emploie le terme « maladie mentale » relativement à un trouble neurologique — mais c'est une maladie mentale par opposition à une maladie physique.

Cependant, lorsqu'on y pense, il s'agit en effet d'une très étrange distinction. Pour ce qui est de l'IMC, c'est le cerveau qui est atteint, mais cela a des manifestations physiques. Il y a des gens qui ne veulent tout simplement pas parler de maladie mentale; ils ne veulent pas être de « ces » gens-là. Cela est ridicule.

Le président : Cela explique pourquoi. Je n'étais pas fâché, j'étais simplement étonné. Je me n'étais pas attendu à une telle réaction. Merci de ces explications.

Rennie, quel est le programme « Moving Beyond »?

M. Hoffman : « Moving Beyond » est le nom d'un groupe particulier de jeunes que nous parrainons ou appuyons.

Le président : Il ne s'agit pas d'un programme particulier en tant que tel?

M. Hoffman : Pas encore.

Le président : Lorsque vous regardez les problèmes dans le Downtown Eastside, dans le cas de n'importe laquelle des personnes avec lesquelles vous auriez à faire — et je pense que les gens de Providence ont souligné qu'il y a et un problème de toxicomanie et un problème de maladie mentale — y a-t-il quelque preuve pour indiquer ce qui est venu en premier? En d'autres termes, le problème de toxicomanie est-il venu du fait que la personne souffrait d'une maladie mentale et s'est auto-administré des médicaments, ou bien est-ce qu'une personne est d'abord victime d'un problème de toxicomanie dont découle ensuite un problème de santé mentale? Pourriez-vous établir une relation de cause à effet dans un sens ou dans l'autre?

M. Hoffman : Je ne pense pas que l'on puisse pour le moment établir de relation cause-effet. C'est pourquoi j'ai demandé une intervention fédérale pour que l'on tente d'établir définitivement ce lien. Lorsque j'ai commencé dans ce domaine, l'héroïne était la drogue à craindre et il y avait plusieurs héroïnomanes. Depuis la désinstitutionalisation, et je n'offre pas cela en tant que corollaire, mais depuis, dis-je, la désinstitutionalisation, le monde de la drogue dans le Downtown Eastside a explosé. J'ignore quel est le lien.

Le président : L'un ou l'autre d'entre vous aimerait-il réagir à cette question?

Dr Burgmann : Je ne pense pas que l'on puisse démêler les choses. Je crois que certaines personnes s'auto-administrent des médicaments à cause de dépression ou de quantité de maladies. Malheureusement, les gens commencent en général à expérimenter avec des drogues au moment où commencent à se révéler nombre des grandes maladies mentales. Il peut alors y avoir ce phénomène de démasquage.

Par exemple, dans le cas d'une personne qui commence à prendre un peu de cocaïne puis manifeste la schizophrénie, ce n'est pas que la cocaïne a provoqué la schizophrénie, mais plutôt que la maladie est apparue un an ou deux plus tôt que ce n'aurait été le cas sans consommation de cocaïne.

Je ne pense pas que l'on puisse en vérité dire que A a causé B ou que B a causé A. C'est juste un mélange.

Le président : Le chiffre de 50 p. 100 que l'un d'entre vous a utilisé est-il à peu près juste, en ce sens qu'environ 50 p. 100 des toxicomanes souffrent également de maladies mentales, et a-t-on une idée du pourcentage de co-morbidité?

Dre Sivertz : Cela fait l'objet de débats d'un bout à l'autre du pays. Dans le Downtown Eastside, le pourcentage est extrêmement élevé. Les niveaux de co-morbidité que l'on constate à la salle d'urgence à l'hôpital St. Paul's doivent tourner au moins autour de 65 à 70 p. 100. Mon collègue a dit que jusqu'à 80 p. 100 des gens du Downtown Eastside présentent peut-être une co-morbidité. Mais il est difficile de tirer au clair ces chiffres. Nous déployons un effort réel pour cerner cela dans le cadre de toutes nos admissions ou évaluations à l'hôpital St. Paul's.

À l'échelle du pays, les niveaux de co-morbidité ne sont pas nécessairement aussi élevés que cela — même dans des centres importants comme Toronto ou Montréal. Mais nos niveaux ici sont très élevés.

Le président : En quoi le quartier Downtown Eastside est-il si unique?

Dre Sivertz : Je pense que c'est l'ajout du crystal meth, qui semble être un agent à effets psychogènes suffisamment puissants que même des personnes au cerveau relativement stable, qui pourraient fluctuer avec la cocaïne entre état d'intoxication et état normal, pourraient basculer pour tomber dans une psychose et aboutir à l'hôpital étant donné qu'il faut des semaines pour que leur cerveau se vide. Il s'agit donc d'un puissant moteur de psychose.

Le sénateur Cordy : Madame Freeman, nous avons tous suivi attentivement l'affaire Auton. J'étais autrefois institutrice et j'ai surveillé les choses de très très près. Vous avez fait une présentation excellente et très claire quant à ce qui devrait être fait et ce qui ne devrait pas être fait. Vous avez expliqué que les enfants autistiques sont exclus à 100 p. 100 du système de soins de santé.

Ce que nous sommes en train de constater en tant que comité c'est que les personnes souffrant de maladies mentales se font en fait exclure du système de soins de santé du fait que les services dont elles ont besoin ne soient pas couverts par l'assurance-maladie. Je ne vais pas aller dans le détail.

J'ai parlé en Nouvelle-Écosse à des parents d'enfants autistiques, et ils avaient découvert qu'il y avait un manque de counselling pour eux en tant que familles. Un père de deux enfants autistiques m'a parlé — il m'a dit que son premier enfant avait été diagnostiqué comme étant atteint d'autisme peu après la naissance de son deuxième enfant. Il éprouvait énormément de difficultés à composer avec la situation. Il a été déprimé, et sa femme était donc prise avec un nouveau bébé, un enfant autistique et un mari déprimé. Il n'avait aucun soutien pour cela. Est-ce courant, ou bien y a-t-il un soutien pour les familles?

Mme Freeman : Je ne pense pas que ce soit là le problème majeur. Je pense que ce qui se passe c'est que les gens deviennent très déprimés — et je ne parle pas de dépression clinique. Les gens sont très malheureux lorsqu'ils ont un enfant autistique ou deux enfants autistiques, car ils savent qu'il y a quelque chose qui pourrait fonctionner, mais ils n'y ont pas accès. C'est comme se trouver dans une animalerie, le nez collé contre la vitre, sans pouvoir avoir le petit chiot de l'autre côté.

Le problème est que dans la plupart des situations ils savent que le choix, s'ils en ont un, est de perdre leur maison ou encore de faire faillite. Nombre de Canadiens n'ont même pas ce choix là à faire, car ils ne sont pas propriétaire de leur maison. Si vous avez la chance d'avoir une hypothèque, vous pouvez emprunter contre votre maison.

Premièrement, c'est un choc d'apprendre que vous avez un enfant autistique — il vous faut surmonter cela, y faire face, bien que le déni soit une chose très saine lorsque vous essayez d'obtenir un traitement pour votre enfant car ce qui se passe c'est que cela vous permet d'être motivé pour mettre en place les morceaux afin d'obtenir pour l'enfant ce dont il a besoin. Cela amène cependant un fardeau financier énorme, surtout pour les pères, car ils ont le sentiment d'échouer s'ils ne parviennent pas à trouver 60 000 $ par an. Clairement, le Canadien moyen ne peut pas trouver 60 000 $ par an, étant donné surtout nos taux d'imposition. C'est injuste. C'est parfaitement injuste. Cela doit être changé.

Ce qui crée le rationnement — et cela est vrai non seulement pour l'autisme mais pour tous les problèmes de santé mentale — ce sont des technologues de santé non élus qui se font payer des fortunes par le gouvernement. J'ignore si vous le savez, mais l'Office canadien de coordination de l'évaluation des technologies de la santé, qui est très doué pour le rationnement des soins de santé en matière de médicaments — par exemple, pour qu'un médicament pour la schizophrénie soit approuvé au Canada, il faut qu'il soit jugé non expérimental. Dès qu'un médicament est plus coûteux, la tendance veut qu'on lui appose l'étiquette expérimentale. Eh bien, l'OCCETS touche chaque année 42 millions de dollars versés par tous les ministères de la Santé du pays, y compris le ministère fédéral, pour faire de la recherche objective. Or, ce n'est pas ce qu'il fait. Son rôle est de rationner les soins de santé. En Colombie-Britannique, ils obtiennent 10 millions de dollars par an directement du ministère de la Santé pour rationner les soins de santé. Alors vous n'obtenez pas de la vraie recherche objective. Voilà l'une des façons dont le gouvernement peut rationner les soins de santé mentale. Il recourt à ces technologues en santé, dont certains sont des professeurs permanents d'universités d'un peu partout au pays.

Le sénateur Cordy : Comment faire pour maintenir l'autisme à l'avant-scène? Pendant toute l'affaire devant les tribunaux, la plupart des gens étaient très au courant de ce qui se passait. Vous êtes certainement une championne de la cause — et il y a de nombreux champions. Jo-Lynn Fenton, de la Nouvelle-Écosse, est venue sur la colline du Parlement et a fait une présentation, malheureusement à un petit nombre de députés.

Cependant, plus cette affaire recule dans le passé, comment nous y prendre pour expliquer aux Canadiens que le financement à court terme — parce que malheureusement l'argent est le nerf de la guerre — de programmes pour les enfants souffrant d'autisme a des effets à très long terme?

Mme Freeman : En fait, un sondage Ipsos-Reid a révélé que 89 p. 100 des électeurs canadiens estiment que cette thérapie devrait être couverte par l'assurance-maladie. Le problème est que les politiciens et les bureaucrates non élus sont intrinsèquement discriminatoires à l'égard des maladies mentales. Nous avons été les premiers à contester le fait d'être totalement exclus.

J'entrevois un avenir dans lequel l'on rationnera de plus en plus, toujours sur le dos des personnes souffrant de handicaps mentaux et de maladies mentales.

Ce pays a besoin de lois. Il nous faut une loi fédérale de parité pour la santé mentale, à la manière de la U.S. Mental Health Parity Act de 1996. En vertu de cette loi il est illégal pour une compagnie d'assurances de faire de la discrimination contre les personnes souffrant de handicaps ou de maladies mentales pour ce qui est de traitements. Voilà donc la première chose — il nous faut notre propre loi faite au Canada. Cependant, malheureusement, les gouvernements provinciaux ne seront sans doute pas d'accord — étant donné qu'ils financent les soins de santé. Il faudra donc que le gouvernement fédéral fasse le nécessaire, en dépit des cris et des hurlements qui viendront des gouvernements provinciaux, en adoptant une loi en matière de parité pour la santé mentale qui soit musclée et qui permette de retenir les paiements de transfert en cas de discrimination. Voilà donc la première chose.

Deuxièmement, il nous faut une loi pour les Canadiens handicapés. Il importe que ce soit une loi fédérale qui, encore une fois, rende illégal pour les gouvernements de tout le pays, pas juste les individus, mais les gouvernements, qu'ils soient municipaux ou provinciaux, de faire de la discrimination sur la base de handicaps de tous genres, qu'ils soient mentaux ou physiques.

La troisième chose qu'il nous faut c'est une loi en matière d'éducation, afin que les enfants handicapés ne soient pas à la merci des districts scolaires du pays et des bureaucraties non élues qui ont beaucoup trop de pouvoir. Nous faisons trop confiance aux autres. Nous avons ce concept dont nous avons hérité des Britanniques et selon lequel le gouvernement est bon, les gens sont bons et nous sommes tous de bonnes personnes. Cela ne fonctionne pas lorsqu'il est question d'une minorité vulnérable. Cette minorité vulnérable a besoin de lois musclées pour la protéger de la tyrannie de la bureaucratie.

Je suis sociologue. Ce que je vois au Canada aujourd'hui avait été prédit par Max Faber, qui a fait le gros de son travail dans les années 1800 : la tyrannie de la bureaucratie. Il nous faut stopper cela et il nous faut des lois pour protéger les gens, les citoyens.

Le sénateur Cordy : Le nombre de personnes souffrant d'autisme augmente rapidement.

Mme Freeman : C'est la supertempête. On est à 1 :166 maintenant, l'épidémie. Les technocrates de la politique de santé vont finir par se rendre compte qu'ils dépensent énormément d'argent pour institutionnaliser les gens — ceux que l'on ne peut pas mettre dehors et laisser vivre dans le Downtown Eastside — et pour leur donner des soins de courte durée, ce qui coûte aussi beaucoup d'argent au gouvernement. Chaque fois qu'un patient est admis dans une unité de soins psychiatriques, cela coûte beaucoup d'argent.

Il leur faudra bien finir par examiner les pratiques exemplaires. Ils finiront par faire le nécessaire, une fois que l'on aura abandonné des générations d'enfants autistiques, car ce sera trop cher. Tout ce qui intéresse ces technocrates de la politique de santé c'est le rationnement des soins de santé. Cela les préoccupe également de ne pas dépenser trop d'argent du gouvernement.

Cela va finir par fonctionner, mais pourquoi attendre 20 ou 30 ans, pourquoi ne pas faire tout de suite la bonne chose, moralement parlant?

Le sénateur Cordy : Monsieur Hoffman, j'ai été intéressée par vos commentaires lorsque vous demandiez que l'on ne parle pas d'un stigmate, mais plutôt de discrimination ou de préjugés. Vous avez dans votre exposé donné de très bons exemples de questions de discrimination ou de préjugés. Vous avez également parlé de façon intéressante de votre situation familiale et du nombre de personnes avec lesquelles vous avez parlé et qui ont elles-mêmes souffert de maladies mentales ou ont des parents dont cela a été le cas. Le comité a constaté la même chose lorsqu'il nous a fallu décider de notre sujet d'étude suivant. En faisant le tour de la table, nous avons découvert que chacun d'entre nous avait un parent ou un ami souffrant d'une maladie mentale.

En dépit de cela, l'on aurait pensé que le nombre de personnes proches de gens souffrant de maladie mentale est tel que cela aurait amené une diminution des préjugés ou de la discrimination, mais ce n'est pas ce que l'on constate. Que faire?

M. Hoffman : Je pense que Mme Freeman a fait le coup d'envoi initial. Je suis présentement à la recherche d'un cas d'école de discrimination ou de préjugé à soumettre aux tribunaux. Ces personnes qui ont des parents ou des amis souffrant de maladies mentales sont ces mêmes personnes qui travaillent dans une société dont elles savent qu'elle est défavorable envers les maladies mentales. Je pense que nos dirigeants, et dans ce cas particulier, nos dirigeants en matière de soins de santé, doivent aussi monter au bâton. La discrimination cessera dans l'arène publique lorsqu'elle cessera dans l'arène médicale. Si les personnes qui se rendent à l'hôpital pour des maladies mentales sont traitées de façon appropriée et avec la même dignité que les personnes atteintes de maladies physiques, alors cela enverra un message retentissant au reste de la société.

Le sénateur Cordy : Monsieur Ross, je suis intéressée par vos programmes de prévention du suicide. Votre programme de formation semble utiliser les pratiques exemplaires, ce qui sensibilise les gens à la situation. Avez-vous des programmes de prévention du suicide dans les écoles secondaires ou dans les écoles secondaires de premier cycle?

M. Ross : De la 8e à la 12e années. Cependant, nous ne pouvons en offrir que là où nous avons suffisamment de bénévoles; nous organisons 500 ateliers interactifs par an. Nous pourrions en tenir 800 par an. Pour ce qui est des plus jeunes, il y a beaucoup d'enseignants du niveau élémentaire qui aimeraient que nous intervenions auprès des enfants des 5e, 6e et 7e années. Il n'y a tout simplement pas suffisamment de bénévoles pour tout couvrir.

Une fois que nos bénévoles des premières lignes atteignent 100 heures de réponse aux appels de détresse, ils peuvent aller dans les salles de classe et s'entretenir avec les élèves de gestion du stress, d'habiletés d'adaptation et de prévention du suicide. Nous nous efforçons de parler ouvertement du « suicide ». Le stigmate entourant la santé mentale englobe également le suicide. Les gens parlent de contagion du suicide, alors on ne peut pas vraiment en parler, mais 4 000 morts par an, c'est beaucoup trop, et nombre de ces suicides sont évitables. Comment faire pour obtenir des médias qu'ils soient responsables s'agissant de ne pas montrer les moyens qui peuvent être utilisés et ainsi de suite?

Nous nous efforçons de parler aux plus jeunes enfants d'habiletés d'adaptation, de gestion du stress et du mot tabou « suicide ». Comme vous le savez, les étudiants de niveau secondaire sont nombreux à envisager le suicide, mais un sur dix fera une tentative. C'est donc un chiffre très élevé.

Le sénateur Cordy : Restez-vous en contact avec les provinces pour être au courant de ce qu'elles font?

M. Ross : Oui. En ce qui concerne le Canadian Distress Line Network, c'est là l'une des principales raisons pour lesquelles nous voulons créer ce lien, car il existe de bons programmes dans diverses provinces et nous ne mettons pas suffisamment en commun nos ressources. À moins de nous en occuper nous-mêmes, il n'y a pas de centre de distribution. La stratégie nationale de prévention du suicide se réalisera grâce à la sensibilisation et à la compréhension, à la prévention et à l'intervention, puis à l'acquisition de connaissances.

Le sénateur Callbeck : Pour ce qui est du centre de crise, vous avez mentionné la formation des bénévoles. Je pense vous avoir entendu dire que vous aviez une petite équipe professionnelle, n'est-ce pas?

M. Ross : Oui.

Le sénateur Callbeck : Et ce serait une équipe de combien?

M. Ross : Dans le centre de crise de Vancouver, nous avons dix employés à temps plein et sept à temps partiel. La ligne d'écoute compte sans doute six ou sept employés — ce seraient des personnes possédant au moins une maîtrise en counselling. Elles seraient là pour les bénévoles 24 heures par jour. Cela ressemble un peu au modèle de santé communautaire, où se sont des infirmières en santé communautaire qui offrent les services ordinaires de pouponnière et autres, et l'on ne fait appel au médecin qu'en cas de besoin. Voilà le genre de modèle que nous tentons d'utiliser avec nos 260 bénévoles sur la ligne de front. Lorsqu'une intervention est nécessaire, le personnel rémunéré intervient et résout le problème.

Le sénateur Callbeck : Vous avez dit, je pense, que 26 p. 100 de votre financement provient du gouvernement.

M. Ross : C'est exact.

Le sénateur Callbeck : Et comment obtenez-vous le reste de l'argent?

M. Ross : Nous sommes membres de Centraide. J'ignore si cela est sophistiqué, mais nous avons un modèle bien pensé de levée de fonds. Nous nous efforçons d'obtenir un financement sur trois à cinq ans, alors c'est du financement à long terme. Il y a des fondations, et il y a des milliers de gens qui nous écrivent un chèque de 30 $ chaque mois. Les 5 000 anciens bénévoles qui sont passés à autre chose depuis sont très reconnaissants de ce qu'ils ont appris; ils ont appris à être de bons écoutants et ils expriment leur reconnaissance en contribuant. Nous avons toute une variété de sources de financement, ce qui est absolument essentiel.

Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé de particuliers et de fondations. Et qu'en est-il de sociétés?

M. Ross : Telus et B.C. nous donnent régulièrement de l'argent. Lorsque nous avons voulu bâtir le réseau de prévention du suicide 1-800, les employés de B.C. Hydro nous ont versé 125 000 $ et ils continuent de contribuer au maintien du réseau. Nous sommes réceptifs chaque fois que l'on nous fait une offre de financement. Bien sûr, nous ne prendrions pas d'argent de la main de n'importe qui. Nous ne prendrions pas d'argent en provenance de l'industrie des vins et spiritueux ou de l'industrie du tabac, par exemple, pour nos programmes d'école secondaire. Il nous faut donc être prudents de ce côté-là.

Il nous est très utile d'avoir un financement pluriannuel; nous ne voulons pas que notre financement en provenance des pouvoirs publics, qu'ils soient locaux, provinciaux ou fédéraux, dépasse les 30 p. 100. Nous tenons à maintenir cette indépendance. C'est une philosophie que nous nous efforçons d'encourager à l'échelle du pays.

Le sénateur Callbeck : Vous avez mentionné le fait que vous allez dans les écoles — vous visez les années 8 à 12. Vous avez également dit quelque chose au sujet d'intervention auprès d'enfants plus jeunes. Aimeriez-vous intervenir plus tôt?

M. Ross : J'ai trois enfants et il aurait été bon qu'ils aient eu quelque chose lorsqu'ils étaient à l'école élémentaire. Ce dont nous parlons ici c'est de permettre à quelqu'un de composer avec ce qui se présente à lui, de comprendre et d'apprendre. Il y a un groupe de counselling par les pairs pour faire le lien entre les 7e et 11e années. En Colombie-Britannique, l'école élémentaire s'arrête à la 7e année; l'école secondaire va de la 8e à la 12e années. Ainsi, lorsque cet élève de 7e entre en 8e, il ou elle a un copain de la 11e pour l'année scolaire. Ces jumelages avec des pairs sont intégrés à nos stratégies d'acquisition d'habiletés d'adaptation et à nos ateliers de gestion du stress. Nous travaillons ensemble.

Nous organisons également des ateliers pour les parents — et cela a bien réussi — pour leur parler de questions comme le suicide ou la gestion de la détresse chez leurs enfants. Nous avons trouvé qu'en mettant l'accent sur les seuls étudiants, nous ne faisions que la moitié du travail. C'est ainsi que nous avons ajouté au tableau enseignants et parents, et cela améliore vraiment les choses.

Le sénateur Callbeck : Vos étudiants reçoivent-ils votre programme seulement en 8e année, ou bien chaque année?

M. Ross : Les écoles qui apprécient notre service gratuit nous demandent de venir régulièrement. Nous nous efforçons d'avoir un contact avec les étudiants au moins trois fois pendant la durée des études secondaires.

Le sénateur Callbeck : Docteur Burgmann, vous avez parlé d'un déséquilibre entre la réduction des préjudices et le traitement. Qu'avez-vous voulu dire par cela?

Dr Burgmann : Cela fait trois ou quatre ans que la ville adopte des politiques de réduction des préjudices — la réduction des préjudices est la nouvelle expression à la mode en matière de toxicomanie. La réduction des préjudices englobe les programmes d'échange de seringues, pour prévenir la transmission du VIH, les programmes d'entretien à la méthadone, pour aider les gens à se sevrer de l'héroïne et de la méthadone, afin qu'il y ait un peu plus de stabilité dans leur vie.

Le problème est que les personnes qui obtiennent des seringues propres et qui prennent de la méthadone ne bénéficient pas de programmes de traitement à long terme pour les aider à se sevrer de la méthadone, à se couper du milieu de la drogue et à fonctionner et à travailler à l'extérieur du Downtown Eastside. C'est là le pilier négligé de l'approche à quatre piliers qu'a adoptée la ville de Vancouver.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Hoffman, vous avez dit avoir travaillé pendant 29 ans dans la police. Selon vous, les policiers devraient-ils être formés en vue de pouvoir mieux traiter avec les personnes atteintes de maladies mentales?

M. Hoffman : Sénateur, j'ai parlé de cela dans mon mémoire. La réponse est que oui, il leur faut davantage de formation, mais seulement dans le contexte voulant que le public en général et les médecins et le personnel soignant de première ligne aient plus de formation relativement aux maladies mentales. Je souligne dans mon mémoire qu'il a été constaté que les policiers sont la première ligne de psychiatres lorsqu'ils poussent la porte — ce qui tout à fait juste. Ils préféreraient cependant ne pas être cela. Je pense que s'il y avait une autre agence qui était disponible à 2 h du matin sur le pont de la rue Granville, ce serait celle-là qu'il faudrait appeler.

Je sais qu'il est en ce moment de rigueur de cibler la police dans sa façon d'aborder la maladie mentale. Je siège à trois comités qui se penchent précisément sur cette question. D'après mon expérience, et elle est considérable, le système échoue après que le policier ait eu ce contact mais pas pendant le contact avec la police.

Le sénateur Callbeck : Vous dites que le système échoue après le contact?

M. Hoffman : Oui, sénateur. De très nombreuses fois, et je ne vise ici personne en particulier, j'ai pu observer, dans le cadre des pouvoirs limités qui me reviennent en vertu de la loi sur la santé mentale, qu'un individu était un danger pour lui-même ou pour quelqu'un d'autre. En vertu des lignes directrices, j'avais le pouvoir de faire une arrestation, je l'ai faite, et j'ai fait transporter la personne à un hôpital pour y faire faire une évaluation psychiatrique. Dans de nombreux cas, le patient était ressorti de l'hôpital avant même que mon rapport n'arrive au comptoir de l'hôpital. Il y a une certaine résistance, en matière d'évaluation de maladies mentales, à se fier à la parole d'un policier non formé ou mal perçu.

Non seulement cela, mais étant donné ces lignes directrices qui vous limitent à seulement arrêter ou renvoyer une personne qui est un danger pour elle-même ou pour d'autres, cela laisse un trou béant dans notre capacité de traiter avec le reste de la population souffrant de maladie mentale. Il y a eu des cas où une personne qui menaçait de se suicider a été renvoyée d'une évaluation psychiatrique parce que lorsqu'elle s'est présentée au médecin il ou elle n'a pas vu les mêmes signes.

Les policiers ont besoin de plus de formation, mais ils ont besoin de plus de formation dans tout. Le reste de notre société a elle aussi besoin de plus de formation en matière de maladies mentales.

Le sénateur Callbeck : Madame Freeman, vous nous avez certainement fait un exposé convaincant et je suis d'accord avec vous pour dire qu'il nous faut faire plus pour les enfants autistiques.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je vais laisser l'autisme de côté, car je pense qu'il s'agit d'un profond trouble neurologique, auquel il nous faut beaucoup réfléchir et au sujet duquel il nous faut faire un bien meilleur travail. Je suis médecin et j'ai soigné des enfants autistiques et ai essayé de trouver des traitements pour eux.

Cela me bouleverse lorsque j'entends quelqu'un dire que la maladie mentale est maintenue à l'écart du système de soins de santé au Canada. Ce n'est pas vrai. Il y a au sein du système beaucoup de soins et d'aide. Cela est payé par le public par le biais du transfert en matière de santé et de services sociaux. Que l'on parle de psychiatres, de soins aux hospitalisés ou de cliniques de santé mentale, tout cela est payé à même nos impôts.

Il nous faut mieux soigner les malades, que la maladie soit une toxicomanie, une maladie génétique ou un désordre biochimique du cerveau. Devrait-on mettre un accent à long terme — étant donné les fonds limités dont on dispose — sur une augmentation des efforts en matière de développement de la petite enfance, d'art parental, de détection précoce, d'intervention et de diagnostic, ce dès le tout premier signe de désordre chimique, ou de famille dysfonctionnelle ou d'enfant en difficulté?

Dre Sivertz : C'est une bonne question. Ceux d'entre nous qui œuvrons dans le domaine de la santé mentale appuyons les activités de prévention, ou de ce côté-là du spectre, et l'aide aux familles lorsqu'on relève des signes précoces. Je soulignerais également que même les meilleurs programmes de prévention et de détection précoce n'empêchent pas nécessairement l'évolution de maladies graves. Je comparerais cela à tout autre maladie grave. Par exemple, si la polyarthrite rhumatoïde se présente tôt, elle va souvent finir par être très aiguë. Si un trouble dépressif apparaît chez un enfant âgé de moins de dix ans, alors le problème sera souvent difficile et complexe. Soutien et identification sont importants, mais cela n'empêchera pas forcément la maladie de suivre son cours pendant la vie de l'intéressé.

Côté toxicomanie, peut-être qu'une intervention et qu'une éducation précoces — nous aimerions bien croire que plus de prévention serait peut-être possible de ce côté-là que dans le cas des maladies mentales génétiques. Je suis donc en faveur de la prévention et de l'identification précoce, mais cela ne va pas forcément régler tous les problèmes.

M. Hoffman : Nous avons en Colombie-Britannique certains programmes d'identification de troubles de l'humeur. Il y a une journée annuelle de dépistage de la dépression. L'an dernier l'on a décelé parmi les 5 000 participants 1 500 cas de dépression. Le problème n'est pas celui de l'identification de la maladie; le problème est de savoir quoi y faire.

Vos commentaires au sujet des deniers publics investis dans le système sont justes; cependant, cet argent des contribuables ne semble pas parvenir aux personnes qui en ont vraiment besoin.

Je ne pense pas que l'on mette suffisamment l'accent sur le traitement après diagnostic. Bien souvent la seule personne que nos clients consultent c'est leur médecin de famille. Il y a dans cette province moins de psychiatres par tête d'habitant qu'il n'y en avait en 1975. C'est ainsi que, bien qu'il y ait de nombreux programmes visant à dépister très tôt les maladies, il y a peu que l'on puisse y faire après coup.

Le sénateur Trenholme Counsell : Souvent, l'enseignant va savoir qu'il y a un problème, mais il ou elle hésitera peut-être à aborder le sujet ou bien, ce qui est souvent le cas, n'a même pas le temps d'y réfléchir. Les enseignants sont beaucoup trop stressés. N'empêche que les signes apparaissent en règle générale très tôt, et si les parents ne sont pas prêts à y faire face, les enseignants, eux, voient ce qui se passe, cinq jours par semaine. J'ignore cependant ce que nous pourrions faire pour aider les enseignants à communiquer cela à quelqu'un qui pourrait y faire quelque chose. Je discute avec tellement d'enseignants, dont bon nombre vont sentir qu'il y a un problème. Bien sûr, ils ne pourront peut-être pas le diagnostiquer — mais je crois beaucoup dans la prévention. Un diagnostic précoce est si important.

Pour ce qui est de ce que vous constatez dans la rue — le crystal meth et ses conséquences — si nous pouvions former des jeunes solides, qui ont la volonté et la force de leur ego, qui ont de l'espoir et ainsi de suite, ils seraient de moins en moins nombreux à expérimenter avec des drogues comme celle-là. Mais c'est là un travail à plus long terme.

Le sénateur Cook : Le comité espère faire une série de recommandations sur la base de ce que nous avons entendu ainsi que recommander une stratégie nationale pour la santé mentale. Je suis optimiste et compte qu'ensemble nous pourrons faire quelque chose de valable pour les plus vulnérables parmi nous, ceux et celles qui souffrent de maladie mentale et de dépression.

Monsieur Hoffman, j'aimerais vous poser une question au sujet du programme Moving Beyond. Vous avez indiqué que les changements qui vous avaient permis de faire cela avaient presque amené la mort de cette organisation. Était-ce purement financier, ou bien était-ce un problème de ressources en général? Qu'est-ce qui vous a poussé à dire cela?

M. Hoffman : C'était pour la plupart d'ordre financier. Pendant de nombreuses années, la Mood Disorders Association of British Columbia avait été financée par le ministère de la Santé de la province. Il y a environ trois ans, il y a eu un changement de structure et l'on a dit à l'Association qu'il lui fallait aborder les cinq régions aux fins de services de santé pour obtenir l'argent qu'elle recevait auparavant auprès d'une seule source. Les cinq régions ne sont pas unies dans leur approche aux questions de santé. On me dit qu'elles n'ont même pas un système informatique commun leur permettant d'échanger des données.

Cela a créé d'énormes défis pour une organisation gérée par des consommateurs. L'avantage de l'ancien système était que Ed Rogers et Vicky Rogers, eux-mêmes consommateurs, le conseil d'administration de la MDA, tous consommateurs, n'étaient pas confrontés à la question de prendre des décisions défendables s'agissant de la façon de dépenser l'argent ou d'assurer la bonne tenue des livres, si vous voulez, en ce qui concerne leurs services. Ils se concentraient uniquement sur la gestion des groupes d'auto-assistance, que l'on a appelés « groupes des pairs » jusqu'à ce que les districts de santé nous disent que ce terme devait servir à désigner autre chose et que nous ne pourrions pas obtenir d'argent pour des groupes de pairs.

Notre produit a toujours été les groupes d'auto-assistance, l'interaction entre groupes de pairs, et cela fonctionne très bien. Les districts de santé ne voient pas l'utilité d'une défense financière des groupes d'auto-assistance et c'est ainsi que la MDA a été obligée de trouver d'autres programmes qu'elle puisse administrer à ce stade-ci, ce afin d'appuyer l'unique chose qu'elle fait bien et qui fonctionne bien pour elle.

Le sénateur Cook : Alors où en êtes-vous maintenant avec votre programme Moving Beyond pour les jeunes? Est-il opérationnel?

M. Hoffman : Il est opérationnel depuis environ un an maintenant. Nous sommes en train de faire de la publicité en vue d'élargir ce programme. Lorsque la MDABC a été fondée par le groupe provincial, son mandat était la protection des consommateurs et le soutien familial pour les adultes.

Le sénateur Cook : Dans votre échange avec la sénateur Trenholme Counsell, vous avez souligné la pénurie de professionnels formés — c'est-à-dire de psychiatres. Envisagez-vous ici un rôle pour les infirmières praticiennes? Dans ma province, Terre-Neuve, nous avons des infirmières praticiennes qui s'occupent de soins de première ligne en santé mentale. Entrevoyez-vous un rôle pour les infirmières praticiennes dans ce domaine, pour alléger l'effet de certaines des pénuries professionnelles que nous constatons?

M. Hoffman : J'entrevois un rôle pour tout professionnel formé pouvant intervenir auprès de personnes souffrant de maladies mentales. Absolument. Si les infirmières praticiennes approchent du statut du médecin de famille s'agissant de diagnostic et si elles peuvent prescrire des traitements, alors absolument.

Le sénateur Cook : Des partenariats nous aideront donc à arriver là où nous voulons aller?

M. Hoffman : Tout à fait.

Le sénateur Cook : Madame Freeman, je viens de la deuxième plus petite province du pays, Terre-Neuve. J'aimerais partager une histoire avec vous. L'Autism Society of Newfoundland and Labrador est sur le point de lever la première pelletée de terre en vue de la construction d'un centre de traitement de l'autisme, tout cela grâce aux efforts d'une femme avec un fils autistique adulte. Le centre va être construit sur le périmètre de notre université. Le site est une ancienne ferme irlandaise vieille de plusieurs centaines d'années. J'ai demandé à mon amie il y a quelques semaines où nous en étions avec cela et elle m'a dit que les fonds du gouvernement avaient été versés par le biais de l'APECA, une agence fédérale qui s'occupe des besoins du Canada atlantique. Le centre va s'appeler Shamrock Farm Centre for Autism. Je ne connais pas tous les détails, mais je sais que cela va coûter 1 million de dollars. Tout cela est le fait de la mère d'un enfant autistique, d'une consommatrice en un sens.

C'est une belle histoire, le fait qu'on ait reconnu le besoin et qu'on ait fait quelque chose dans un petit coin du pays. J'ignore si vous êtes ou non au courant.

Mme Freeman : Chose ironique, ce sont les provinces les moins riches qui semblent s'occuper le mieux de leurs membres les plus vulnérables. L'Île-du-Prince-Édouard, qui n'a bien sûr pas une grosse population, a été la première province à offrir un traitement pour ses enfants autistiques — elle n'a pas contribué tout le montant nécessaire, mais la moitié, sans que les tribunaux n'aient eu à s'en mêler. Puis nous avons Terre-Neuve, la suivante sur la liste, qui a offert un traitement; encore une fois, pas tout ce qui était nécessaire, mais l'on parle ici de tous petits pas, et c'était la deuxième province à bouger sans intervention des tribunaux. Il me semble que ce sont les plus grosses provinces qui résistent. À mon avis, l'attitude revient un petit peu à dire pour qui vous prenez-vous, rentrez dans le rang, vous n'êtes qu'un consommateur, vous n'êtes que le parent d'un consommateur, vous ne faites que du bruit. En fait, non seulement ces grosses provinces semblent avoir cette attitude mais elles ont également des légions de bureaucrates, alors même lorsqu'il y a un politicien qui veut faire ce qu'il faut, qui a le meilleur accès, le consommateur ou le bureaucrate travaillant pour le politicien — presque toutes les initiatives prises dans les grosses provinces se font défaire par la bureaucratie. Je vais vous donner un exemple parfait.

Pendant l'affaire Auton, lorsque nous avions remporté deux victoires spectaculaires à la Cour inférieure, il leur a fallu faire quelque chose parce qu'il n'y a eu aucune suspension de leur décision. C'est ainsi que par le biais de beaucoup de marchandage en coulisse, dans le but de contourner la bureaucratie, ils ont réussi à obtenir un mécanisme de financement conjoint devant payer le tiers du traitement — les parents n'ont ainsi pas à verser 20 000 $ sur les 50 000 $ ou 60 000 $. Eh bien, avant que l'encre ne soit sèche, avec la défaite du 19 novembre, la bureaucratie était prête à défaire cela pour éliminer le financement et revenir à un modèle d'entrepreneur afin d'arracher le pouvoir au consommateur.

Au bout du compte, c'est le modèle sous contrat qui nous amène les problèmes. Le système est un système de soins de santé publique, mais les médecins relèvent du privé. Ils ont des numéros de facturation. En l'absence de ce mécanisme, il n'y a pas de normes. Ce qui se passe c'est qu'en l'absence de concurrence, le traitement devient du babysitting. Nous avons déjà vu cela par le passé, et c'est ce que je constate à nouveau.

Alors que nous sommes assis ici, cela recommence en Colombie-Britannique car à nouveau les grosses provinces ont cette infrastructure et la bureaucratie ne veut pas céder le pouvoir. Voilà de quoi il retourne. Dans les plus petites provinces, vous n'avez pas une bureaucratie enracinée — c'est un tout petit nombre de personnes. Il est plus facile pour les gens d'intervenir directement auprès des politiciens. Il est beaucoup plus facile de joindre votre premier ministre à Terre-Neuve ou à l'Île-du-Prince-Édouard qu'en Colombie-Britannique ou en Ontario. Voilà où réside le problème.

Le président : Il me faut vous dire que vous avez tout à fait raison. Vous mettez dans le mille. Nous devrions vous dire que la sénateur Callbeck est et ancienne ministre de la Santé et ancien premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard. Comme vous pouvez le constater, elle est tout à fait accessible.

Mme Freeman : Eh bien, je dis la vérité.

Le sénateur Cook : Mon histoire à moi est une bonne nouvelle. Je souhaiterais que tout le monde puisse voir le centre. C'est une ferme sise devant des collines derrière le nouveau complexe de centre de santé. Nous avons également un hôpital de soins tertiaires. Le Shamrock Farm Centre for Autism sera une ferme active. Il y aura des chevaux; il y a un étang. C'est un rêve qui se réalise et notre province le nourrit.

Mme Freeman : Sauf que nous ne pouvons pas faire de distinction entre logements et soins résidentiels pour le traitement. Il s'agit de deux choses différentes. En fait, ce qu'il vous faut dans votre province, pour les enfants âgés de 18 mois à deux ans, c'est une intervention précoce de pratiques exemplaires axées sur la science et centrées sur le foyer familial, afin que la grande majorité des enfants n'aboutissent jamais au Shamrock Farm Centre. L'idée est de produire des enfants qui deviendront des contribuables plutôt que des pupilles de l'État. Les données sont très claires : un nombre élevé de ces enfants vont devenir indépendants. Ceux qui ne le seront pas ne coûteront pas aussi cher à l'État parce qu'ils seront néanmoins plus capables.

Il se raconte en Colombie-Britannique une blague un peu macabre relativement à certains de ces enfants qui se préparent à être rayés de la liste — nous les appelons les hommes à 300 000 $. Nous savons que d'ici un an ou deux, ils vont coûter aux contribuables 300 000 $ par an, car le gouvernement est trop têtu pour verser peut-être 60 000 $ ou 70 000 $ pour traiter ces personnes. Alors nous avons 60 000 $ ou 70 000 $ d'un côté et 300 000 $ de l'autre. Dans l'esprit de la plupart des bureaucrates, 300 000 $, c'est plus logique, parce que c'était leur idée.

Le sénateur Cook : Je comprends votre frustration en ce qui concerne l'assurance-maladie. Monsieur le président, c'est là tout un défi à relever par nous tous. Les formulaires en matière de soins de santé ne sont pas uniformes à l'échelle du pays.

Mme Freeman : Nous n'avons pas cela — le traitement de l'autisme n'est pas couvert par l'assurance-maladie.

Le sénateur Cook : Alors il nous faut trouver un moyen d'y arriver.

Mme Freeman : Il nous faut faire en sorte que les personnes atteintes d'autisme y soient incluses. Nous avons parlé de modifier la Loi canadienne sur la santé, mais tous les politiciens nous disent que ce serait suicidaire, sur le plan politique, de le faire. Notre réponse est qu'il faut qu'il y ait une loi de parité pour la santé mentale.

En fait, ce qu'il nous faut c'est créer une loi pour changer cela. Nous ne pouvons pas compter sur la bonté des hommes et des femmes. Si vous remplaciez le mot « autistique » par « noir » ou « autochtone », vous comprendrez ce que je veux dire. Nous ne pouvons pas compter là-dessus.

Le sénateur Cook : Vous revendiquez une loi fédérale et vous l'avez clairement expliqué à ma collègue, le sénateur Cordy. Cela découle d'une position non-n'importe où. S'il n'est pas possible de faire en sorte qu'une loi fédérale en la matière devienne réalité, y a-t-il une place dans la stratégie qui règlerait les besoins, en tout ou en partie, si nous prenions de petits pas, ou bien résisteriez-vous pour obtenir une loi fédérale ou rien du tout?

Mme Freeman : Malheureusement, nous nous débattons à l'intérieur du cadre provincial — car l'assurance-maladie est administrée par les provinces.

Le sénateur Cook : C'est notre problème.

Mme Freeman : Oui. Nous luttons depuis dix ans, province par province. Cela n'aboutit à rien. Tout comme le premier ministre a pris position sur le mariage gai — il a dit que l'on ne peut pas être sélectif s'agissant de la Charte — il nous faut être justes et égalitaires dans ce pays. Si vous pouvez adopter une position morale sur le mariage gai, alors vous devez pouvoir adopter une position morale sur les droits des personnes handicapées ou souffrant de maladie mentale. Vous n'avez pas le choix. Pourquoi les gais et les lesbiennes auraient-ils des droits qui sont plus légitimes que ceux des plus vulnérables dans notre société? M. Martin ne peut pas être sélectif s'agissant de la Charte.

Le sénateur Trenholme Counsell : Au titre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, le gouvernement fédéral transfère des fonds aux provinces — et ce n'est jamais suffisant; je comprends cela. Cependant, si votre enfant est d'abord vu par un médecin de famille, puis par un pédiatre, et peut-être alors par un neurologue, tout cela est couvert. Pour ce qui est des services d'intervention précoce dont bénéficie tout enfant ayant un problème — je sais qu'il n'y a pas suffisamment de choses qui sont financées au titre du transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Cela est important. Cet argent ne relève pas de la Loi canadienne sur la santé; cela relève du paiement de transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux qui est versé par le fédéral à chaque province. Il y a donc une couverture.

Mme Freeman : Je ne suis pas venue ici pour dire qu'il nous faut plus d'argent. Là n'est pas la question. L'argent doit être utilisé de façon efficiente et doit être ciblé. Dans le cas des enfants autistiques, s'agissant de l'intervention précoce, vous ne pouvez pas avoir une intervention précoce générique; c'est inefficace et ne donne pas de résultats.

Le sénateur Trenholme Counsell : Non, mais je dis simplement, et la sénateur Callbeck comprendra cela, qu'il y a beaucoup d'argent versé dans toutes ces choses, mais pas assez pour couvrir les services d'intervention comportementale.

Mme Freeman : Je ne suis pas d'accord. Je pense qu'il y a en fait à l'heure actuelle dans le système suffisamment d'argent pour couvrir cela complètement. C'est simplement que l'argent est mal géré à droite et à gauche. Je vais vous donner un exemple.

Le sénateur Trenholme Counsell : Que se passe-t-il en Europe?

Mme Freeman : En Europe, tout dépend du pays. La France est à l'âge des ténèbres, parce qu'elle s'inscrit dans une philosophie psychoanalytique différente. En Angleterre, si vous avez un enfant autistique, vous êtes beaucoup mieux placé qu'au Canada. Il n'y a absolument aucun doute là-dessus. D'autres pays abondent lentement dans le même sens. La situation est meilleure en Norvège et en Suède. J'ignore quelle est la situation en Allemagne. Clairement, l'on parle d'une situation complètement différente dans le tiers-monde.

Voici quelle est la situation. Aux États-Unis, par exemple, dès l'âge de trois ans, l'enfant est tout d'un coup la responsabilité du district scolaire. Les districts scolaires ne savaient pas quoi faire de la situation, car tout d'un coup un enfant avait besoin d'une analyse, alors les parents lançaient des poursuites. Soixante-quinze pour cent des poursuites ont abouti. Tout d'un coup, dès l'âge de trois ans, chaque enfant recevait du système scolaire 60 000 $, 70 000 $, parfois 80 000 $ pour un traitement. Ce n'est pas qu'il s'agit d'une question d'éducation, mais du fait qu'il n'y avait pas de système de soins de santé, c'est ainsi que les parents s'y sont pris.

Des parents d'enfants âgés de 18 mois, ne sachant pas comment ils allaient faire, ont intenté une action contre les prestataires de soins de santé. À New York, ils ont en fait gagné dans le cas d'un recours collectif. Le New York State Department of Health a établi des lignes directrices en matière de pratiques cliniques — de pratiques exemplaires — et les enfants en bénéficient.

Ils ont également aux États-Unis des exemptions de Medicaid. Ce qu'ils font, c'est qu'ils redéfinissent un enfant comme étant pauvre et dépendant, l'enfant n'ayant pas de revenu, et ils obtiennent ainsi une exemption de Medicaid qui paye pour le traitement.

Nous avons un système de soins de santé. Nous n'avons pas besoin de ces acrobaties. Il nous faut simplement veiller à ce que le système de soins de santé — à ce que l'argent soit affecté au bon endroit, car il y a à l'heure actuelle dans le cadre du système énormément d'inefficience. Ce que je veux dire par là c'est que les districts scolaires disposent d'énormément d'argent.

Le sénateur Cook : Monsieur Ross, vous avez dit être engagé dans un projet pilote pour le Canada visant l'élaboration d'une stratégie nationale de prévention du suicide et la création d'un réseau canadien de lignes d'écoute-secours et d'un processus d'accréditation pour les bénévoles travaillant avec vous. Y a-t-il place pour cela à l'intérieur d'une stratégie nationale en matière de santé mentale?

M. Ross : Oui. Nous avons pensé qu'en tant que leaders en intervention en situation de crise et en prévention du suicide il nous fallait nous lever et établir le continuum pouvant être raccordé à une stratégie nationale de santé mentale/maladie mentale. Notre objet est de nous concentrer sur un continuum avec tous les services intéressés, et nombre de ces services sont des services de santé mentale. Nous nous concentrons sur notre stratégie car nous avons un mandat national de prévention du suicide. Nous voyons notre continuum comme étant malléable et flexible, pouvant cadrer dans d'autres structures.

En attendant que la stratégie de la santé mentale devienne une réalité, nous avons pensé que nous ne pouvions pas nous permettre d'attendre quant au reste de notre travail. En novembre, lors de la conférence nationale tenue à Edmonton, nous avons approuvé notre document. Nous nous sommes réunis la semaine dernière à Ottawa et avons œuvré à l'aspect mise en œuvre et au financement nécessaire pour réaliser une telle stratégie. Voilà où nous en sommes en ce qui concerne cette stratégie.

Le sénateur Cook : Nous devons donc travailler en vue d'une prestation de services sans coupure?

M. Ross : C'est cela.

Le sénateur Cook : Les problèmes de toxicomanie et les problèmes de santé mentale étant imbriqués les uns dans les autres, comment voyez-vous cette prestation sans coupure se faire? Comment envisagez-vous la chose? Importe-t-il ici de bâtir une capacité? Quels sont les écarts à combler? Que devons-nous faire afin que ces deux aspects fusionnent?

M. Hoffman : C'est là une question très difficile. Je me suis débattu avec cela lorsque je faisais mon rapport. Je me débats avec depuis le jour où j'ai poussé la porte. Il y a définitivement un décalage entre les approches aux deux questions. J'ignore même s'il existe en ce moment une réponse, car les experts en matière de toxicomanie ont une compréhension limitée des problèmes en matière de maladie mentale, et inversement. Je conviens que nous en parlons depuis quelque temps déjà. Cependant, il ne s'est pas fait grand-chose s'agissant de mesures concrètes, de formation polyvalente ou autre de façon à ce qu'un organe puisse aborder les deux problèmes et en traiter. Je pense qu'il importe en effet que soit élaborée en la matière une stratégie de curriculum. Il importe par ailleurs qu'il se fasse une évaluation plus poussée de la corrélation entre les deux choses.

J'ai sur mon bureau un rapport que j'ai obtenu sur l'Internet, et dont le titre est : « La marijuana cause la maladie mentale ». Cela résulte d'une étude faite aux États-Unis à la demande de certains qui ont manifestement en tête un programme bien particulier. L'étude dit qu'il y a une corrélation entre la consommation de marijuana et la maladie mentale. Elle dit que la marijuana provoque la maladie mentale. Le rapport ne dit pas ce qui est venu en premier, la fameuse histoire de l'œuf et de la poule.

Le sénateur Cook : Je conclurai simplement en disant qu'il a fallu dix ans pour établir dans notre province un programme concerté de soins infirmiers, et ceux et celles qui en font aujourd'hui partie pensent que ce programme a toujours été là.

[Français]

Le sénateur Pépin : Dans les documents que vous nous avez remis, vous faites la promotion de la prévention du suicide à l'échelle nationale. Plusieurs pays se sont dotés d'une telle stratégie. Le Canada se rallie dans cette direction.

À la page 14 de ce document, vous insistez sur l'importance d'un programme de prévention du suicide ainsi que sur les différences locales, régionales et provinciales. Vous faites aussi mention de différentes stratégies dépendant de quel groupe on applique cette stratégie, que ce soit les Inuits, les Métis, les personnes qui souffrent de maladie mentale ou les gais et lesbiennes. Vous insistez sur les groupes qui seraient les plus à risque.

La question qui me vient à l'esprit est la suivante : serait-il préférable que l'on ait une stratégie nationale pancanadienne, c'est-à-dire que le gouvernement fédéral élabore un plan standard, ou des standards nationaux et que, par la suite, les provinces établiraient leur propre programme.

Quelle serait la meilleure méthode pour que l'on ait une stratégie semblable, partout ? Est-ce que vous pensez que ce serait la façon de faire ou une autre méthode serait-elle plus efficace ?

[Traduction]

M. Ross : Je pense que nous avons élaboré une stratégie qui a inclus les gens du Nord, d'Iqaluit, du Québec, du Nouveau-Brunswick. L'équipe du réseau canadien de lignes d'écoute-détresse qui est un conseil qui a en vérité élaboré tout ce projet, a un plan stratégique qui tient compte des différentes populations pouvant afficher des taux de suicide supérieurs ou inférieurs.

Nous nous efforçons d'établir une structure qui englobera tout le monde. Chaque province et chaque région aura accès à un mode de fonctionnement commun, ce qui est un défi énorme car je sais qu'il y a plusieurs provinces qui sont en avance par rapport à d'autres sur le plan, mettons, programmes scolaires, comparativement aux services de ligne d'écoute. Nous sommes en ce moment en train d'essayer de définir la détresse et de définir les situations de crise et toute l'idée du modèle — selon que ce soit un professionnel ou un bénévole qui prend l'appel. C'est une question au sujet de laquelle nous nous sommes débattus et nous en sommes arrivés à la conclusion qu'il est vraiment précieux de pouvoir compter sur des bénévoles qui soient appuyés par des professionnels. Nous nous sommes penchés sur la question et l'avons longuement décortiquée.

En Colombie-Britannique, il y a un service de conseils d'infirmière. Différentes provinces ont des lignes du genre. Des professionnels répondent au téléphone 24 heures par jour. Je pense qu'en Colombie-Britannique c'est un service qui coûte 10 millions de dollars. C'est un bon service. Nous pensons néanmoins qu'il y a de la place pour une ligne de réponse offerte par des bénévoles appuyés par des professionnels. C'est différent de la ligne Jeunesse j'écoute, par exemple, qui est un bon service offert à l'échelle du pays à partir de Toronto. Il a un budget de 10 millions de dollars et il offre ce service aux enfants qui veulent avoir un service professionnel.

Dans l'élaboration de notre plan, nous avons visé une stratégie d'ensemble et essayé de voir où s'insérerait notre réseau de lignes d'écoute-secours. La façon dont le service est offert variera d'une province à l'autre. Nous voulons avoir des normes communes, des pratiques exemplaires communes auxquelles nous adhérons tous.

Dans le cadre du modèle de développement communautaire, où vous commencez depuis le haut à bâtir un réseau, au deuxième niveau, vous cherchez à déterminer comment fonctionner dans le cadre du groupe très diversifié que nous avons au Canada. Dans la troisième et dernière phase, le pouvoir et l'autorité demeurent en région. Dans cette phase, cependant, il y a une stratégie nationale commune et des normes nationales communes qui seront alors rattachées à notre processus d'accréditation dont nous espérons qu'il deviendra proprement canadien. Notre objectif en ce qui concerne le processus d'accréditation est qu'il devienne international, par opposition à américain ou canadien. Le quatrième chapitre de mon exposé portait sur le réseau canadien de lignes d'écoute-détresse et son raccordement au système d'accréditation internationale. Il nous faut réfléchir à notre place au sein d'un système international.

J'ignore si cela répond à votre question.

Le sénateur Gill : J'aimerais vous poser des questions au sujet des Autochtones. Il y a des Autochtones dans la rue ici à Vancouver — et il y en a sans doute bon nombre en prison, également, si la situation ressemble à ce qu'elle est en Saskatchewan et au Manitoba.

M. Ross : Oui, les Autochtones sont surreprésentés dans les prisons.

Le sénateur Gill : Votre organisation offre-t-elle des services aux Autochtones?

M. Hoffman : Sénateur nous avons, et ce depuis quelque temps, un groupe autochtone d'auto-assistance. Il est administré par un membre de notre conseil d'administration, qui est lui aussi autochtone.

M. Ross : En ce qui nous concerne, nous mettons bien sûr l'accent sur les Autochtones au sein du conseil d'administration de l'Association canadienne pour la prévention du suicide. Du fait des taux de suicide élevés chez les populations autochtones, les populations des Premières nations et d'autres populations comme les gais/lesbiennes, il nous faut vraiment nous concentrer sur ces services car nous voulons offrir un accès à nos services qui soit commun. En ce qui concerne les Premières nations en Colombie-Britannique, nous avons aidé la Nation Squamish de la rive nord, qui est juste en face de Vancouver Nord, et nous y avons monté leur propre ligne de crise en utilisant notre matériel. Le centre de crise à Vancouver est leur service de secours lorsqu'ils n'ont pas suffisamment de bénévoles et de personnel pour répondre aux appels qui leur viennent.

Je ne suis pas spécialiste des Premières nations. Beaucoup de membres des Premières nations, de Punjabis, d'Asiatiques, et cetera, vivent en Colombie-Britannique et il y a donc différentes lignes auxquelles nous sommes raccordés et pour lesquelles nous sommes le service de secours.

Nous comptons des membres des Premières nations parmi notre conseil d'administration. C'est notre conseil, bien sûr, qui décide de la politique générale et de l'orientation de l'organisation. Il est essentiel que nous ne passions pas à côté d'un quelconque groupe.

Nous pouvons apprendre beaucoup des Premières nations et de leur façon de fonctionner. Lors de notre conférence nationale tenue il y a deux ans, à Iqaluit, au Nunavut, nous avons beaucoup appris sur ce qu'ils font face au suicide. Nous pouvons en fait utiliser certaines de leurs pratiques exemplaires. Cela est très important.

Le sénateur Gill : Vous avez l'impression que cela a été divisé province par province, selon un axe nord-sud, et ainsi de suite.

M. Ross : En Colombie-Britannique, j'ai travaillé pour le Vancouver Crisis Centre. Nous sommes un partenaire parmi les cinq que compte le B.C. Distress Line Network. Au niveau national, nous divisons le Canada en six régions et chacune d'entre elles est maintenant à la table et nous nous efforçons de travailler ensemble. Dans les grandes villes, nous avons suffisamment d'activités, mais s'agissant des autres parties de la province, en dehors de Vancouver, d'autres villes, il est très important que nous ayons une stratégie pancanadienne régissant la façon dont nous communiquons entre nous, dont nous établissons nos pratiques exemplaires.

Le président : Je tiens à vous remercier tous d'être venus nous rencontrer. Nous avons pris plus de votre temps que prévu, mais il semble que ce soit toujours le cas.

J'invite maintenant à venir s'asseoir à la table nos témoins suivants : M. Howard Sapers, enquêteur correctionnel du Canada, qui est en définitive l'ombudsman des détenus, et Mme Natalie Neault, directrice des enquêtes au Bureau de l'Enquêteur correctionnel du Canada.

Nos témoins nous ont remis leur rapport annuel ainsi qu'un texte à distribuer. Je viens de jeter un coup d'œil sur certaines de vos statistiques, et j'en suis abasourdi.

Allez-y, je vous prie, Howard.

M. Howard Sapers, enquêteur correctionnel du Canada, Bureau de l'enquêteur correctionnel Canada : Monsieur le président, j'ai été nommé enquêteur correctionnel du Canada en avril dernier. Je suis accompagné de l'un de nos deux directeurs d'enquête, Nathalie Neault. Je vais faire la présentation et Nathalie sera là pour répondre aux questions difficiles. Je n'irais nulle part sans elle.

Je veux vous remercier tout d'abord de cette entreprise que vous avez engagée et de votre invitation. La santé mentale dans le milieu correctionnel est un sujet qui m'intéresse particulièrement et constitue l'un des centres d'intérêt de mon Bureau depuis de nombreuses années. C'est une occasion que nous n'aurions voulu manquer pour rien au monde et nous remercions donc de nous avoir invités.

Je vais très rapidement passer en revue le rôle du Bureau de l'Enquêteur correctionnel, créé en vertu du paragraphe 167(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la LSCMLC. Le Bureau joue le rôle de médiateur, monsieur le président, comme vous l'avez dit, pour les contrevenants fédéraux. Mon bureau fait enquête sur les plaintes des détenus, individuelles ou collectives, et tente de trouver un règlement. Nous avons pour mandat non seulement de répondre aux plaintes mais aussi de faire enquête de notre propre initiative. La décision d'ouvrir une enquête appartient exclusivement à mon Bureau, de même que la détermination de ses modalités. Il nous incombe de formuler des recommandations au Service correctionnel sur ses politiques et procédures, ses actes ou ses omissions.

Le Bureau compte environ deux douzaines d'employés. Cet effectif a traité, l'an dernier, environ 8 000 plaintes. Nous visitons les établissements correctionnels en moyenne une fois tous les trois mois — et je parle là de chaque établissement correctionnel du pays. Au cours du dernier exercice, notre personnel a passé environ 425 jours à l'intérieur de ces établissements à rencontrer des gardiens et des détenus. Il a eu environ 2 500 entretiens personnels avec des détenus de ces établissements. C'est donc une charge de travail énorme. Le Bureau accumule une masse d'expérience énorme.

Notre mandat consiste principalement à être un enquêteur objectif et neutre afin de déterminer si telle décision ou action du service correctionnel est conforme à la loi et si les politiques et procédures appliquées sont justes et raisonnables et conformes à la loi.

La LSCMLC exécute nombre des accords internationaux signés par le Canada en matière de soins de santé essentiels. La loi spécifie qu'un détenu a droit à un accès raisonnable à des services de santé mentale qui puissent contribuer à sa bonne réinsertion dans la société. De fait, l'article 86 de la loi stipule que le Service doit « veiller à ce que chaque détenu reçoive les soins de santé essentiels et qu'il ait accès, dans la mesure du possible, aux soins qui peuvent faciliter sa réadaptation et sa réinsertion sociale ».

Il n'existe pas beaucoup de données historiques précises et uniformes sur la santé mentale en milieu correctionnel. Nous avons quelques statistiques à vous communiquer et nous avons une certaine expérience, mais je peux vous dire que l'une des difficultés c'est de trouver des données comparables qui soient analysées de manière neutre.

Nous savons un certain nombre de choses. Les contrevenants incarcérés connaissent une prévalence de troubles mentaux sensiblement plus élevée que la population générale. Non seulement la prévalence est-elle plus forte chez les détenus, mais le taux de troubles mentaux va également croissant. Une comparaison entre les admissions dans les établissements fédéraux en 1967 et en mars 2004 fait apparaître une augmentation de 60 p. 100 du nombre de détenus atteints de troubles mentaux. La ventilation par sexe est la suivante : 57 p. 100 pour les hommes et 65 p. 100 pour les femmes. La prévalence passe à presque 84 p. 100 si l'on englobe dans ces chiffres l'abus de substances.

Permettez-moi de placer ces chiffres en contexte. Nous parlons là d'une population carcérale fédérale de 12 500 personnes dont environ 400 sont des femmes. En général, au Canada, la population carcérale est d'environ 30 000 personnes. Cela englobe les prisons provinciales, les centres de détention provisoire et, bien sûr, les pénitenciers fédéraux. Je ne sais pas quel est le volume des cas des services correctionnels communautaires provinciaux, mais il y a environ 7 500 à 8 000 délinquants fédéraux sous supervision dans la collectivité à tout moment. Aussi, lorsque je parle de pourcentages, voici la population de référence applicable.

Depuis 1997, il y a eu une augmentation de près de 80 p. 100 du nombre de délinquants prenant des médicaments sur ordonnance à leur arrivée au centre correctionnel.

Le président : Par « médicament sur ordonnance », entendez-vous des médicaments pour maladie mentale ou bien des médicaments pour d'autres troubles, tels que cholestérol élevé, ce genre de chose?

M. Sapers : Pour tous les types de maladie. L'une des difficultés que nous avons, c'est justement d'obtenir ce genre de ventilation du Service.

Dans l'ensemble, 14 p. 100 des détenus, juste avant leur incarcération, ont suivi un traitement psychiatrique ou psychologique — 14 p. 100. Ces délinquants sont typiquement atteints de plus d'un trouble, souvent psychiatrique, doublé d'abus de substances, et ils ont besoin d'un large éventail de services. Je regrette de ne pas avoir une estimation fiable de la co-morbidité.

Dans le cadre de l'évaluation à l'arrivée, les éléments suivants sont examinés chez les détenus fédéraux : aptitude et fonctionnement mental, diagnostic de troubles mentaux, médicaments prescrits, hospitalisation psychiatrique. Ces facteurs sont déterminés au moyen de questions posées directement au détenu après examen du dossier. Cela laisse place à beaucoup d'erreurs et de lacunes.

Les évaluations de santé mentale actuelles posent les questions suivantes : Y a-t-il un risque immédiat pour le contrevenant ou d'autres? Y a-t-il nécessité d'un médicament psychotrope? Ces évaluations de santé mentale actuelles sont effectuées sur renvoi et ces trois critères détermineront si le détenu peut bénéficier de services de santé mentale dans un centre de traitement.

Le Service correctionnel du Canada — SCC — possède des centres de traitement dans chacune de ses cinq régions. Ces centres assurent les évaluations de risque une fois que le délinquant est dépisté comme présentant un risque immédiat selon ces critères. Ils admettent le délinquant uniquement pour une courte durée, afin de changer ou ajuster ses médicaments, et assure un traitement hospitalier pour un délinquant diagnostiqué comme souffrant d'un trouble psychiatrique.

Le SCC a actuellement des lits disponibles dans ses centres de traitement pour répondre aux besoins de moins de 6 p. 100 de la population carcérale. Or, selon les estimations du Service lui-même, le besoin est pour environ 12 p. 100. Ainsi, la capacité actuelle est inférieure à 50 p. 100 du besoin identifié. Encore une fois, n'oubliez pas que ce besoin est largement identifié par l'auto-déclaration et donc, selon notre expérience, est considérablement sous-estimé.

Le SCC a reconnu également que deux de ses centres de traitement, le Centre de traitement régional de Kingston et le Centre de traitement Shepody à Dorchester, au Nouveau-Brunswick, ont une capacité réduite de traiter adéquatement les détenus du fait de leur configuration physique. Il convient de les remplacer par des installations appropriées et accréditées.

Lors de nos visites dans les établissements, nous voyons un nombre croissant de délinquants dans des établissements fédéraux qui ont échappé à la couverture radar et ont été admis dans leur établissement d'origine sans que leur santé mentale ait été pleinement évaluée. Nous voyons ces délinquants principalement dans les unités d'isolement des pénitenciers à sécurité maximale. Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas les pénitenciers fédéraux, cette population, celle en isolement dans les établissements à sécurité maximale, a l'accès le plus restreint aux programmes, aux visites, à l'exercice. Ils sont enfermés 23 heures par jour. C'est un environnement hautement restrictif.

Ces détenus tendent à avoir une déficience intellectuelle ou à présenter des problèmes de comportement, des difficultés d'apprentissage et(ou) des symptômes d'hyperactivité avec déficit de l'attention, HADA, ou de troubles d'alcoolisation fœtale (TSAF). Ces catégories ne sont évidemment pas mutuellement exclusives. Des chiffres obtenus auprès des établissements pour jeunes à travers le Canada estiment qu'environ 22 p. 100 des délinquants adultes seraient atteints de TSAF — 22 p. 100.

Ces contrevenants sont incapables de suivre des programmes ordinaires, ils sont la proie d'autres détenus, ils aboutissent en isolement, ils ont une capacité limitée à faire face et ils sont habituellement classés comme à sécurité maximale. Ils n'ont pas la capacité ou les aptitudes pour se concentrer et suivre les programmes réguliers. Ils sont vulnérables et leur ségrégation est généralement plus longue que celle des autres détenus en isolement. On les envoie habituellement voir le psychiatre, qui typiquement ne trouve pas d'indice de troubles psychiatriques en soi et les caractérise comme présentant un problème de comportement. Ces délinquants ne remplissent donc pas les critères qui leur permettraient de bénéficier des services d'un centre de traitement, et ils restent confinés dans des établissements généraux. Ils ont des facultés d'adaptation limitées, ce qui peut les amener à se couper d'autrui, se mutiler, mettre le feu, se suicider ou le tenter et, dans quelques situations extrêmes, agresser d'autres ou des gardiens.

Lorsque les besoins de santé mentale sont négligés, les contrevenants tendent à passer davantage de temps en isolement. Ils sont habituellement surclassifiés. Cela a clairement des répercussions financières, ainsi que des répercussions sur les programmes et la libération. La réalité est que les établissements à sécurité maximale ne disposent pas des ressources nécessaires pour répondre à ces besoins extrêmes en matière de santé mentale.

Étant donné la prévalence des troubles mentaux chez les délinquants et le grand nombre des renonciateurs — lorsque je dis « renonciateurs », j'entends des détenus qui seraient autrement admissibles à une audience de libération conditionnelle, la semi-liberté ou la liberté sous condition totale — ce qui se passe, c'est que nombre de ces détenus atteints de troubles mentaux vont renoncer à leur droit à une audience, ce qui signifie qu'ils ne seront pas retenus pour la liberté conditionnelle, ce qui signifie qu'ils resteront enfermés jusqu'à la date de libération statutaire, ce qui signifie qu'ils seront typiquement relâchés dans la société avec moins de supervision qu'ils n'auraient reçue autrement, et moins d'assistance.

Il n'est pas nécessairement vrai que plus un délinquant reste en prison et plus il ou elle a accès à des programmes. Au contraire, tout le but de la libération conditionnelle est de faciliter la réinsertion rapide des délinquants, au moment le plus opportun.

Quoi qu'il en soit, vu la prévalence des troubles mentaux et le nombre de renonciations signées par les délinquants, mon Bureau se demande dans quelle mesure certains délinquants donnent effectivement un consentement volontaire et éclairé à la renonciation de leur droit légal à une audience de libération conditionnelle. Il y a eu plus de 2 700 renonciations l'an dernier. Nous voyons de plus en plus de détenus enfermés jusqu'à la date de leur libération d'office, et c'est particulièrement vrai dans le cas des Autochtones.

Au cours du dernier exercice, un certain nombre d'incidents de sécurité se sont produits dans les prisons. Nous sommes mal renseignés sur le nombre de ces incidents mettant en jeu des détenus atteints de troubles mentaux. Nous n'avons pas non plus de bonnes données historiques. Cependant, l'an dernier. Il y a eu 280 automutilations, neuf tentatives de suicide et 10 suicides dans les pénitenciers fédéraux. Le désespoir que vivent certains détenus est reflété dans une certaine mesure par le nombre des automutilations et des suicides. Service correctionnel Canada reconnaît que les femmes des établissements fédéraux connaissent un taux d'automutilation et de tentative de suicide supérieur à celui de leurs homologues masculins. La direction de la recherche de SCC a conclu que plus des deux tiers des détenus en sécurité maximale avaient fait une tentative de suicide antérieure, comparé à 21 p. 100 des hommes en sécurité maximale. Le taux est donc trois fois supérieur.

La prévalence des maladies infectieuses, croyons-nous, est également liée aux problèmes de santé mentale et à la toxicomanie. Le taux d'infection au VIH à l'intérieur des prisons est jusqu'à 10 fois supérieur à celui de la population en général. Le SCC reconnaît lui-même que le taux d'infection à l'hépatite C est 30 fois supérieur. Dans certains établissements, il dénombre jusqu'à 30 p. 100 de détenus infectés; cependant, des professionnels de la santé travaillant dans les prisons m'ont dit que le taux d'infection à l'hépatite C dans un établissement peut atteindre 60 ou 70 p. 100.

Il ne faut pas minimiser l'importance du dépistage de la toxicomanie dans le cadre d'une évaluation complète des besoins médicaux des détenus. Notre responsabilité légale de réduire les méfaits et de minimiser les risques pour la santé publique existe également à l'intérieur des murs des pénitenciers. Nous ne pouvons perdre de vue que la majorité des délinquants réintègreront la société à un moment donné. Il est essentiel de contrôler efficacement les maladies infectieuses dans les établissements correctionnels, afin de protéger non seulement la santé des détenus, mais aussi celle du personnel et de la société dans son ensemble.

Un projet pilote a été mené il y a 18 mois dans la région Pacifique. Il visait à effectuer une évaluation de santé mentale de chaque détenu et à identifier dès le début de leur peine leurs besoins thérapeutiques. Sur les 17 mois du projet, 259 délinquants ont été admis au centre de réception régional. Soixante-huit d'entre eux, ou 29 p. 100 des détenus évalués, avaient des besoins de santé mentale immédiats exigeant une intervention urgente, dont l'impératif d'une évaluation plus poussée. Les troubles en rapport avec la toxicomanie n'ont pas été pris en compte. Donc, là encore, nous pensons que si l'on englobait la toxicomanie, les chiffres seraient sensiblement plus élevés. Le projet pilote a confirmé la nécessité d'une évaluation initiale des besoins de santé mentale des délinquants.

Pour résumer, les taux de troubles mentaux chez les détenus sont de plusieurs fois supérieurs à ceux de la population canadienne. Il n'y a pas d'évaluation systématique standardisée des besoins de santé mentale des délinquants. Il faut une stratégie globale pour la détection et la gestion des besoins de santé mentale des détenus fédéraux.

Un rapport récemment publié, en avril dernier, par la Revue canadienne de santé publique, intitulé A Health Care Needs Assessment for Federal Inmates in Canada, confirme que la prévalence des troubles mentaux dans les prisons canadiennes est de deux à trois fois celle de la population générale. Le rapport confirme également la nécessité d'évaluations systématiques des besoins de santé mentale des délinquants et l'impératif d'une stratégie globale pour détecter et gérer les troubles mentaux chez les détenus.

La bonne nouvelle, c'est que le SCC a élaboré une stratégie de santé mentale qui promeut l'adoption d'un continuum de soins depuis la prise en charge initiale jusqu'à la libération des détenus. Cette stratégie prévoit un apport conséquent de fonds et de ressources dans quatre domaines principaux : évaluation à l'admission; centres de traitement; unités de santé mentale ou unités de soins provisoires dans certains établissements; et soutien communautaire de santé mentale pour la réinsertion sociale des délinquants.

Nous avons été heureux d'apprendre que le SCC a reçu un financement pour le volet communautaire de cette stratégie. Mais on nous informe aussi qu'aucun financement n'a été attribué aux trois autres volets, essentiels, de la stratégie de santé mentale.

On se retrouve donc avec des engagements de fonds pour le dernier maillon de la chaîne. Lorsque des détenus sont libérés, il y a une assistance au niveau communautaire. Malheureusement, cette assistance ne peut être qu'aveugle du fait que l'on n'attribue pas de ressources nouvelles aux volets évaluation et traitement. Donc, on libère les détenus avec un soutien, mais on ne sait pas de quel soutien ils auront besoin.

Mon Bureau soutient tout à fait les initiatives de santé mentale communautaire visant à faciliter la bonne réinsertion des délinquants aux prises avec des difficultés mentales, tout en soulignant l'importance d'un financement des processus en amont. Sans une évaluation clinique exhaustive au moment de la prise en charge des délinquants fédéraux, le SCC n'aura pas d'information fiable quant aux besoins de santé mentale des détenus à sa charge. Cela, en soi, amène à se demander comment le Service pourrait élaborer des programmes de santé mentale communautaires pour aider les détenus libérés sans savoir quels sont leurs besoins spécifiques.

Tout en étant favorable à la création d'unités de santé mentale intermédiaires dans les établissements existants, nous voulons aussi mettre en garde contre le risque que ces unités se muent en quartiers d'isolement sous la guise d'un traitement de santé mentale. Il importe de clairement définir le rôle et le mandat de ces unités et d'allouer des ressources professionnelles et programmes aux besoins de santé mentale des détenus, tout en appliquant les garde-fous législatifs qui visent à assurer l'équité administrative et les mesures les moins restrictives conformes à la sécurité publique.

Pour ce qui est de la gestion de la population carcérale, le Service correctionnel du Canada la subdivise de plus en plus en petites sous-populations. Malheureusement, il n'existe pas toujours de garde-fous administratifs et législatifs autorisant une révision du placement des détenus dans ces environnements plus isolés et souvent à plus haute sécurité. Nous craignons que cela n'arrive avec ces centres de soins intermédiaires sous la guise de soins de santé mentale.

J'aimerais clore cette présentation en citant la Commission canadienne des droits de la personne suite à son examen récent des abus systémiques des droits de la personne commis sur les détenues fédérales. Alors que cette citation s'applique spécifiquement à cette étude intéressant les détenues fédérales, on peut l'extrapoler à l'ensemble de la population carcérale. La Commission canadienne des droits de la personne a écrit ceci : « Aussi bonne que puisse sembler sur papier une stratégie visant à satisfaire aux besoins des détenues fédérales, il est peu probable que le Service correctionnel puisse protéger les droits humains sans ressources suffisantes, judicieusement appliquées, pour exécuter cette stratégie ».

L'accès aux soins de santé, et en particulier aux soins de santé mentale, représente un droit humain fondamental. Il est garanti par la loi mais n'est pas assuré dans les conditions actuelles.

Le président : Merci — je suppose que je dois vous remercier pour ce tableau incroyablement déprimant. Lorsque les choses vont aussi mal que vos remarques d'aujourd'hui le donnent à penser, on est enclin à dire qu'il faut repartir entièrement de zéro, alors permettez-moi de vous poser une question.

Quels seraient les avantages et inconvénients si le SCC disait tout simplement qu'il va cesser de fournir ce service, qu'il va le sous-traiter aux provinces qui, après tout, assurent la plus grande part des autres services de santé, certainement des soins de santé fournis aux détenus ailleurs que dans un pénitencier? Pourquoi est-ce que les autorités fédérales ne sous-traitent pas simplement ce travail, puisqu'elles sont clairement incapables de l'accomplir?

M. Sapers : Je vais essayer de vous répondre brièvement, mais je vous avais bien indiqué que Nathalie répondrait aux questions difficiles.

Il est difficile de savoir par où commencer pour répondre à cette question. Il existe un partage des responsabilités selon qu'un détenu est condamné à moins de deux ans ou à plus de deux ans. Bien sûr, la province a la compétence première pour la fourniture des services de sa santé. Le problème est que le système est confronté à toutes sortes de divisions et dichotomies arbitraires. Les délinquants ne sont pas perçus comme des individus, des gens éprouvant une diversité de besoins. Donc, au lieu d'assurer le continuum des soins adapté aux besoins particuliers des individus, on assure les services et les traitements et l'incarcération sur la base de tout un ensemble de distinctions et de partages historiques et arbitraires.

Mais sur le côté face de la médaille, il y a aussi des partenariats et certains d'entre eux sont efficaces. Des traitements sont fournis par les systèmes de santé provinciaux qui sont efficaces, sous contrat pour le Service correctionnel. SCC sous-traite divers services de santé, notamment psychiatriques, dentaires, différentes choses. Donc, cela existe.

La difficulté, c'est que le Service n'est pas en mesure, souvent, de décider quoi sous-traiter, parce qu'il n'effectue souvent pas les évaluations au moment de l'admission. Lorsque des psychologues sont amenés à intervenir, c'est typiquement pour les évaluations de risque, pour gérer le comportement du délinquant à l'intérieur de la prison ou son comportement potentiel après libération.

Le président : Ils font donc surtout de l'évaluation comportementale?

M. Sapers : Au lieu d'une intervention thérapeutique, c'est juste.

Mme Natalie Neault, directrice des enquêtes, Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada : À ce stade, nous serions heureux de toute intervention du Service pour offrir des soins de santé mentale à ces délinquants qui ne sont pas dépistés au stade initial, particulièrement ceux qui ont des difficultés d'apprentissage et qui ont du mal à suivre les ordres des agents et gardiens et qui se retrouvent inculpés, placés en isolement et sujets à des sanctions disciplinaires. Ils ne reçoivent aucun traitement en isolement, et ensuite on va les relâcher dans la société.

Le président : Et alors, surprise, surprise, ils récidivent; n'est-ce pas?

Mme Neault : Exactement.

Le président : Il est difficile d'imaginer une meilleure description d'une porte tournante que celle que vous venez de donner.

[Français]

Le sénateur Pépin : Je dois avouer que je ne suis pas étonnée. Le peu que je sache du Service correctionnel, lorsque je vous entends décrire tous les problèmes et le nombre de prisonniers qui ont des problèmes psychologiques, il est vrai que la population est ignorante de cette réalité. Les gens ne savent pas que la majorité des prisonniers ont des problèmes mentaux, mais il y a d'autres personnes, dans le Service correctionnel, qui sont au courant.

Je comprends, actuellement, que vous n'avez pas les moyens et le personnel nécessaires. Y a-t-il une volonté du service de faire quelque chose, d'aller chercher les fonds pour amener des changements. Je sais qu'ils sont débordés parce qu'ils doivent s'occuper de la sécurité. Mais on sait que la base du problème, c'est que ce sont des patients qui ont des problèmes psychologiques ou mentaux.

Mme Neault : Je pense que, définitivement, il y a une volonté de la part du Service correctionnel d'offrir des services à ce segment de population, mais comme vous l'avez bien dit, la priorité est la sécurité en établissement.

Les fonds n'iront pas à la réintégration des détenus; ceci a quasi disparu. Si l'on regarde le nombre d'absences temporaires, le nombre d'heures de travail assignées aux délinquants, en établissement medium, cela n'existe quasiment plus.

La priorité est de s'assurer que les détenus ne posent pas un danger à la sécurité publique, ce qui est entendu et normal. À quel détriment ? On semble oublier que ces personnes font partie de notre communauté et vont retourner en communauté.

Ce n'est peut-être pas le segment favorable de la communauté, mais on ne peut pas oublier le fait que c'est une question de temps avant que ces personnes fassent un retour à la communauté.

Le bureau de l'ombudsman reçoit des demandes des employés qui s'occupent des détenus en isolement dans un établissement maximum, ils nous disent qu'ils essaient depuis des mois et des mois de faire entrer ces détenus au Centre de traitement, et le Centre de traitement leur dit qu'ils n'ont pas de structure pour recevoir des détenus qui ont une cote de sécurité maximum.

Le sénateur Pépin : La base du problème de la sécurité est le fait que ces prisonniers sont malades. Je pense que si l'on était capable d'approcher le problème de sécurité de risque, peut-être que ce serait un peu plus facile à ce moment. Il doit y avoir absolument une façon de procéder qui soit différente.

Mme Neault : Absolument. —-ais faisant partie de l'évaluation de risque, il y a un besoin d'évaluer les besoins du détenu pour qu'il puisse avoir l'habileté de suivre les programmes.

On sait, par exemple, que les détenus qui souffrent de ADHT — que l'on nomme en anglais — ne sont pas habilité à procéder l'information tel que tout autre détenu.

On a besoin d'adapter des programmes pour qu'ils puissent y participer. À partir de là, ils peuvent sortir de l'isolement et ils peuvent être déclassifiés au niveau de sécurité medium, et éventuellement ils se sentiraient plus sécurisés et plus réceptifs à intégrer la communauté et devenir des membres qui vont éventuellement, on l'espère, contribuer à la communauté.

Le sénateur Pépin : J'ai rencontré des personnes du Service correctionnel et l'on nous a dit qu'ils sont placés en isolement lorsqu'ils font des crises. Ils peuvent être placés en isolement pendant des jours parce qu'il n'y a pas d'autre façon de les contrôler. Même les parlementaires ne sont pas au courant de ce qui se passe.

Des changements ont eu lieu à la prison des femmes quand il y a eu une histoire, un scandale qui a été rendu public et les personnes se sont tous réorganisés et la situation s'est améliorée. J'espère qu'on ne sera pas rendu à attendre une catastrophe de ce genre.

Je suis très contente que vous soyez venue, parce que dans notre rapport on pourrait sûrement entrouvrir la porte pour faciliter certains changements.

[Traduction]

M. Sapers : Pour répondre directement à votre question concernant la volonté d'agir, le comité exécutif du Service correctionnel du Canada a approuvé la stratégie en quatre points dont j'ai fait état. Mais ils n'ont reçu de financement que pour le dernier volet. La volonté est donc clairement là, car ils ont adopté la stratégie d'ensemble.

Ils ont besoin de faire trois choses : premièrement, ils doivent aller chercher le financement et les ressources nouvelles pour mettre en œuvre les trois autres volets — c'est là en partie un débat politique; deuxièmement, le SCC doit revoir sa structure administrative relative à la santé mentale, sa gestion de la santé mentale à l'intérieur du système, et pour cela mettre en place une structure qui lui reconnaisse la même priorité, franchement, qu'a la sécurité sur le plan de la gestion du SCC; et troisièmement, il doit s'engager sérieusement à former le personnel à tous les niveaux de façon à le sensibiliser aux besoins de santé mentale des détenus, afin que le personnel puisse faire la différence entre une crise de santé mentale et une crise sécuritaire face à un détenu qui perd les pédales.

[Français]

Le sénateur Gill : D'abord, j'aimerais connaître votre profession. Quel est votre niveau de responsabilité? Est-ce que vous faites des enquêtes chez les contrevenants, chez les prisonniers ou des enquêtes sur le comportement du personnel face aux prisonniers ? Quels sont les résultats de vos enquêtes ? À la suite à ces enquêtes j'imagine que certaines choses sont à corriger ?

Mme Neault : Comme ombudsman on fait enquête sur les plaintes qu'on reçoit des détenus. Toutefois, si on décide de notre propre initiative de mener une enquête, il doit y avoir soit une violation de la loi ou de la politique établie par le Service correctionnel en termes des interventions que le Service correctionnel fait avec les détenus de façon journalière.

Il y a trois critères qui nous guident avant de prendre la décision de mener une enquête ou non. Premièrement, y a-t-il violation de la Loi sur le Service correctionnel et la mise en liberté ? Deuxièmement, est-ce qu'il y a une violation en vertu de la politique du Service correctionnel ? Troisièmement, il y a parfois une plainte qui n'est pas contenue ni dans la loi, ni dans leur politique, mais en bout de ligne on se demande si la décision qui a été prise est équitable en vertu de l'équité administrative, puis sur cette base, pouvons-nous décider de mener une enquête ?

Lorsqu'il y a violation de la loi, nous avons un pouvoir de recommandation, comme ombudsman, de faire une recommandation au directeur de l'établissement.

Avant de quitter chaque établissement, nous rencontrons les directeurs et le personnel pour essayer de régler autant de problèmes à la base. Lors de notre rencontre avec les directeurs, nous faisons nos recommandations, et quand cela concerne un aspect de loi, automatiquement, nous recommandons à la direction de faire un changement de leur pratique. Pour faire suite à cette rencontre, on fait un suivi par écrit en ce qui a trait à notre conversation et à nos recommandations. On réitère nos recommandations et l'on attend la réponse du directeur de l'établissement à savoir s'il a l'intention de remédier à la situation ou quelle est la position partagée.

Le sénateur Gill : Dans la réalité, pouvez-vous vérifier, si la correction est faite ou si la démarche a été faite auprès du prisonnier ?

Mme Neault : Absolument, sénateur. Nous visitons les établissements tous les trois mois. Si l'on a fait une recommandation, vous pouvez vous assurer que, dans notre prochaine visite à l'établissement, nous allons faire une vérification face à la recommandation et l'action qui devrait être mise en oeuvre pour vérifier si cela a été fait. Dans le cas où une action n'aurait pas été prise, nous approchons le directeur, et par la suite, c'est là que l'on a un processus graduel où l'on remet la plainte.

Par exemple, si l'enquêteur n'arrive pas à régler le problème avec le directeur de l'établissement, ils référeront la problématique en tant que directeur d'enquêtes. Je rencontre alors les sous-commissaires régionaux tous les six mois où l'on soulève la question de notre recommandation. Le directeur exécutif rencontre alors les sous-commissaires, c'est-à-dire l'assistant-commissaire et M. Sapers qui rencontre la commissaire du Service correctionnel de façon régulière.

Le sénateur Gill : Est-ce que le service d'enquêtes que vous gérez existe dans toutes les provinces canadiennes ? Vous n'êtes attitrés qu'en Colombie-Britannique, j'imagine ?

Mme Neault : Non, nous sommes un ombudsman canadien et l'on couvre tous les établissements du pays, soit 54 établissements fédéraux.

Le sénateur Gill : À partir d'ici ?

Mme Neault : À partir d'Ottawa. Notre bureau est à Ottawa et nous voyageons dans tous les pénitenciers et les régions du pays.

Le sénateur Gill : Est-ce facile pour les détenus de vous rejoindre ? J'imagine qu'il y a des punitions qui se donnent à l'intérieur des prisons, êtes-vous accessibles ? Est-ce que tous les prisonniers sont informés, en rentrant, de leurs droits, de leurs possibilités ?

Mme Neault : Il y a deux questions à ce sujet. Nous sommes très accessibles. Un numéro 1-800 est disponible et les détenus peuvent accéder à notre service. Si notre ligne est occupée, nous avons un répondeur et l'on vérifie nos messages de façon journalière. Nous retournons l'appel et souvent nous prévoyons une entrevue pour le détenu, lors de notre prochaine visite à l'établissement.

Nous visitons les établissements tous les trois mois, comme je l'ai indiqué. Nous avons, ce qu'on appelle des visites ouvertes. L'annonce de notre visite est affichée à l'établissement. Chaque détenu désirant nous rencontrer pour une raison ou pour une autre, a l'occasion de nous rencontrer et à partir de là, nous déciderons si l'on fait enquête ou non.

Le sénateur Gill : Avez-vous des statistiques sur les détenus autochtones en prison ? Je sais qu'il y en a beaucoup, en fait, au Manitoba, en Saskatchewan — en Colombie-Britannique, je ne sais trop — mais est-ce que vous avez une grosse clientèle? J'imagine que oui.

[Traduction]

M. Sapers : La meilleure estimation que nous possédions actuellement, c'est que la population autochtone est d'environ 3 p. cent de la population canadienne, alors qu'elle constitue de 18 à 20 p. cent de la population carcérale, en moyenne. Dans certains pénitenciers, particulièrement de la région des Prairies, c'est beaucoup plus que cela. Dans certains centres, le taux va jusqu'à 70 p. 100. Nous avons reçu plus de 8 000 plaintes l'an dernier. Nous avons fait un calcul très approximatif et je crois qu'environ 20 p. 100 des plaintes viennent de détenus autochtones auto-identifiés. Donc, cette proportion semble à peu près juste — la relation entre la population délinquante et la population plaignante. Cependant, le fait que nous ayons reçu 8 000 plaintes provenant d'une population carcérale d'environ 12 500 montre qu'il y a une meilleure connaissance de l'existence de notre Bureau et que l'on s'en sert.

Cependant, l'une des réalités regrettables, c'est que mes enquêteurs règlent souvent le même problème, fois après fois après fois. Nous réglons les mêmes problèmes des milliers de fois par an, s'agissant des problèmes de classification des détenus ou de problèmes d'accès ou simplement d'équité administrative fondamentale. Face à ces problèmes persistants, nous avons la faculté d'intervenir non seulement au niveau administratif mais nous pouvons également rédiger un rapport annuel déposé dans les deux Chambres du Parlement. Ce rapport contient des recommandations. Ces recommandations portent souvent sur ces problèmes très persistants. De fait, l'an dernier, pour la première fois, quatre recommandations étaient adressées directement au ministre, et non au SCC, car ce dernier est soit réticent soit incapable de régler ces problèmes depuis plusieurs années.

Je peux vous dire que je viens de signer l'ébauche finale de ce rapport. Une fois que la ministre l'aura en main, elle sera obligée de le déposer dans les 30 jours de séance. Ce rapport est imminent.

Encore une fois, vous verrez que nous y faisons état de problèmes persistants qui n'ont été réglés ni au niveau institutionnel ni au niveau régional.

Notre Bureau a également la possibilité de présenter un rapport spécial, ce que nous n'avons pas fait jusqu'à présent.

[Français]

Le sénateur Gill : Vous savez, on nous dit souvent et je pense, selon votre expérience, que vous pouvez nous le confirmer, il n'y a quand même pas beaucoup de crimes qui sont commis, en fait, dans les communautés ou par des personnes des Premières nations. Par contre, il y a beaucoup de personnes — et les proportions ne sont pas équivalentes — en prison, qui ne sont pas des criminels, et qui sont tout simplement là parce qu'ils qui ont commis des fautes condamnables par la société, mais pas d'une façon criminelle. Ce ne sont pas des criminels.

D'après votre expérience et suite à vos enquêtes, quelles sont les causes de leur internement ?

Mme Neault : Les détenus incarcérés ont commis une infraction selon le Code criminel et ont été sujets à une sentence de la part d'un système judiciaire. C'est difficile pour moi de savoir s'ils ont vraiment commis cet acte.

Le système correctionnel nous rappelle de façon régulière pour nous informer qu'ils sont là, parce qu'ils ont commis une faute. Si l'on regarde, par exemple, le cas des détenus autochtones ou même celui des femmes, il y a toute une difficulté à l'échelle de la classification qui a été utilisée. C'est une échelle qui a été divisée ou qui a été validée en vertu des détenus masculins. Elle ne s'applique pas pour les femmes en tant que telles. Ce fait a été soulevé par de la recherche de façon répétitive. Cette échelle ne prend pas en considération les différences culturelles des détenus autochtones.

Selon l'échelle, qui existe présentement, les détenus autochtones et les femmes ont tendance à être classifiés, à une proportion plus que la norme, et incarcérés dans une prison à sécurité maximum, dans laquelle leurs mouvements et l'accès au programme est beaucoup plus limité. Nous voyons de façon répétitive que les détenus autochtones et les femmes n'ont pas le même accès aux programmes dans les établissements, et ne peuvent pas bénéficier d'absence temporaire. Ils ont tendance à être incarcérés dans une prison à sécurité maximum, alors que la majorité des bons programmes pour les Autochtones sont dans des établissements à sécurité minimum.

Ils ne peuvent pas s'y rendre, d'une part, à cause du fait qu'ils n'ont pas ces programmes. Pour eux, l'accès à un retour en communauté est réduit comparativement à ceux qui ne sont pas Autochtones.

Le sénateur Gill : Monsieur le président, par exemple, dans ma région — cela arrive moins souvent maintenant, mais ça arrive encore — il y a des personnes qui sont internées et qui vont en prison, parce qu'elles n'ont pas respecté un article ou un règlement ayant trait à la chasse ou à la pêche, alors qu'en droit autochtone c'est permis. Et dans le droit en général il n'est pas permis de pêcher en certaines saisons, afin de protéger les oiseaux migrateurs, par exemple et les personnes vont en prison pour une infraction, c'est ce que je veux dire. Souvent, ces cas-là, pouvez-vous les détecter ?

Mme Neault : Je dois vous dire que non. Je ne pourrais vraiment pas passer de commentaires là-dessus. Comme ombudsman, on essaie d'être aussi objectifs que possible dans nos enquêtes, à moins que les détenus se plaignent spécifiquement de leur sentence ou de leur dossier, nous n'allons pas de façon active voir pourquoi il est incarcéré ?

Nous sommes intéressés à savoir s'il est traité de façon équitable, s'il a accès à ce que la loi lui permet ainsi que les politiques du Service correctionnel. Ce n'est pas le cas, en ce qui concerne la santé mentale.

[Traduction]

M. Sapers : Sénateur Gill, je reconnais que vous avez tout à fait raison. Premièrement, je dirais que nombre des infractions dont vous parlez donnent lieu à des périodes d'emprisonnement courtes, si bien que nous ne voyons pas ces gens-là pendant leur détention. Tous les systèmes correctionnels provinciaux n'ont pas un recours similaire, un ombudsman, auquel les prisonniers puissent s'adresser. Souvent, ils sont enfermés pendant très peu de temps.

Cela dit, je suis de ceux qui croient que la criminalité est répartie de façon relativement égale à travers la société canadienne, ce qui signifie qu'il n'y a pas juste une sorte de Canadiens qui commet des délits — toutes sortes de Canadiens commettent des délits. Cependant, si vous regardez notre population carcérale, vous pourriez croire que le crime est le domaine exclusif des sous-éduqués, des pauvres, des malades mentaux, des Autochtones et autres groupes minoritaires. Ainsi, la population carcérale ne reflète pas réellement la population générale, ni non plus la population délinquante. Des mécanismes sont à l'œuvre qui sélectionnent ceux qui vont se retrouver derrière les barreaux.

Le sénateur Cordy : J'aimerais parler de votre stratégie à quatre volets. Le seul volet à obtenir un financement a été le soutien communautaire à la santé mentale pour la réinsertion sûre des délinquants — et j'y viendrai dans un instant.

Cependant, pour ce qui est de l'évaluation clinique à la prise en charge, comment peut-on être efficace en bout de parcours sans diagnostic initial et sans savoir qui va exiger des soins de santé mentale?

Ai-je raison de penser que, pour faire cette évaluation, il faut poser des questions, ce qui revient pratiquement à une auto-identification? Y a-t-il une inclination de la part du délinquant à minimiser les troubles mentaux qu'il pourrait avoir? Ou encore, peut-être n'a-t-il pas conscience d'une maladie. Rencontrez-vous souvent cela?

Mme Neault : Absolument. Une forte proportion de la population délinquante est toujours sans instruction. Il y a toujours des détenus qui ne savent ni lire ni écrire. En outre, vu la fréquence des difficultés d'apprentissage, leur difficulté à traiter l'information, il se peut que les délinquants ne puissent pas facilement répondre aux questions telles qu'elles sont posées.

Lors d'une réunion récente avec la Commission nationale des libérations conditionnelles, on nous a dit qu'ils doutent de plus en plus que les délinquants qui comparaissent comprennent ce qui se passe. Ce n'est pas vrai seulement des audiences de libération conditionnelle; je crois que les détenus ont cette difficulté à tous les niveaux du processus.

Une certaine proportion de délinquants aujourd'hui n'a pas la faculté de traiter l'information; ils n'ont pas les connaissances ou l'instruction requise pour reconnaître leur propre maladie mentale et donc tendent à sous-déclarer. Ce processus d'identification à la prise en charge est très subjectif. Tout dépend de ce que l'agent de libération conditionnelle voit devant ses yeux et de l'évaluation subjective qu'il fait selon l'un des trois critères identifiés par M. Sapers.

Le sénateur Cordy : Donc de la façon dont les questions sont posées.

Existe-t-il une forte prévalence de difficultés d'apprentissage dans la population carcérale? Je pense avoir lu des indications anecdotiques montrant que cette prévalence est forte.

Mme Neault : Nous voyons une proportion croissante de délinquants ayant une faible aptitude fonctionnelle et présentant des difficultés d'apprentissage. Malheureusement, nous ne pouvons donner de précisions car le SCC ne recueille pas ces renseignements. Ce n'est pas l'une des mesures d'évaluation à la prise en charge; par conséquent, il n'existe pas d'information à ce sujet, hormis le projet pilote qui s'est penché sur le THADA et le TSAF.

Le sénateur Cordy : Relève-t-on les niveaux de scolarité?

Mme Neault : Le Service a pour politique d'amener les détenus jusqu'au niveau de la 10e année. C'est l'un des objectifs que doit atteindre un détenu et il fait habituellement partie du plan correctionnel du sujet. C'est habituellement un objectif obligatoire.

Mais bien sûr, les méthodes pédagogiques dans le système sont pas mal standard, ce qui est problématique dans le cas des détenus ayant des difficultés d'apprentissage. Cette population n'est pas forcément en mesure de suivre le programme scolaire régulier disponible. De fait, nous constatons qu'ils sont incapables de suivre aucun programme régulier.

Le sénateur Cordy : Donc, les programmes scolaires des pénitenciers sont à peu près uniformes pour tous?

Mme Neault : Oui — tout comme les programmes de formation professionnelle et les possibilités de travail. Tout est conçu pour l'homme à faculté d'apprentissage moyenne.

Le sénateur Cordy : Si nous avions davantage d'informations, de statistiques et de recherches montrant l'existence d'un taux élevé de difficultés d'apprentissage dans la population carcérale, un taux élevé d'analphabétisme dans le système carcéral, est-ce que cela contribuerait à une meilleure adéquation des programmes? Le système scolaire a opéré de grands changements ces dernières années afin de devenir plus inclusif, de répondre aux besoins de tous les élèves. Cela ne signifie pas que le système scolaire parvienne nécessairement à les intégrer tous, mais il fait certainement des efforts en ce sens?

Mme Neault : Oui, vous avez raison, cela se fait dans la collectivité pour les enfants souffrant de difficultés d'apprentissage; cependant, la même chose n'est pas vraie dans le système correctionnel.

Le sénateur Cordy : En ce qui concerne le nombre élevé de personnes qui renoncent à leurs droits aux audiences de libération conditionnelle, il n'y a aucun soutien communautaire du tout qui les attend à la sortie de la prison. Il n'y a pas de supervision, n'est-ce pas?

Mme Neault : Un agent de libération conditionnelle détermine le niveau de surveillance dont un contrevenant a besoin. Même pour un contrevenant qui a purgé intégralement sa peine, l'agent de libération conditionnelle constitue la seule supervision.

À la date d'expiration du mandat, a fait savoir le SCC, sa responsabilité légale à l'égard des détenus prend fin.

M. Sapers : Je voudrais juste ajouter qu'il y a là une réelle ironie. La libération conditionnelle, comme le j'ai dit, sert à faciliter la réinsertion rapide et sûre des délinquants dans la société. Les délinquants qui reçoivent une libération conditionnelle rapide sont manifestement ceux qui présentent le moins de risque de récidive. Cela signifie que ceux les plus susceptibles de récidiver sont gardés plus longtemps en détention; on peut même les incarcérer au-delà de la date d'expiration de leur mandat en vertu d'une ordonnance de détention, ce qui signifie qu'ils auront moins de soutien dans la collectivité. Vous avez donc ce paradoxe qui fait que les délinquants ayant les plus grands besoins de soutien sont ceux qui en reçoivent le moins.

Le sénateur Cordy : Tout à fait — et aucune supervision du tout.

J'aimerais maintenant parler du soutien communautaire à la santé mentale dont bénéficient les détenus à leur libération. Comment est-ce que cela va fonctionner, car c'est là l'un des volets de la stratégie à quatre volets qui va être financé? Sera-ce fait à titre volontaire ou bien le sujet devra-t-il se présenter chaque semaine? Comment est-ce que cela va fonctionner?

Mme Neault : Nous en sommes encore à un stade préliminaire. Le SCC a reçu ses crédits la semaine dernière. Ils ont été confirmés il y a deux semaines seulement. Pour ce qui est de la forme concrète de ces services dans la collectivité, cela reste encore à déterminer, mais il ne fait aucun doute qu'ils souhaitent établir un lien entre la supervision de libération conditionnelle et les divers services de santé mentale disponibles.

Le sénateur Cordy : Avec qui vont-ils communiquer pour déterminer la qualité des résultats?

M. Sapers : Nous avons demandé au SCC une stratégie de mise en œuvre et un plan d'action détaillé mais ne l'avons pas encore reçu. Il nous ont fait part de leur approche générale. Nous ne pouvons parler au nom du SCC à ce sujet. Si nous avions les renseignements, nous vous en ferions part. Nous n'avons pas les renseignements.

Le sénateur Cordy : Aurez-vous votre mot à dire? Va-t-on vous consulter?

M. Sapers : Permettez-moi de répondre à la question de deux façons. Nous n'avons peut-être pas demandé notre opinion, mais nous la donnerons quand même. J'espère que nous aurons notre mot à dire.

Le sénateur Trenholme Counsell : Quel pourcentage des troubles mentaux est lié à la drogue? Quel pourcentage reflète un meilleur dépistage? À mes yeux, cela n'est pas une indication d'une plus grande prévalence de la maladie mentale. Avons-nous une ventilation indiquant la proportion des psychoses dues à la drogue?

Mme Neault : Pour ce qui est de la prévalence, les statistiques indiquent que 84 p. 100 des délinquants ont un trouble mental, si l'on y englobe l'abus de substances. Si vous retranchez l'abus de substance, le chiffre est de 43 p. 100. Cependant, comme l'ont indiqué même les témoins de ce matin, une proportion considérable des délinquants souffrent et de troubles psychiatriques et d'abus de substances.

Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce que les 43 p. 100 comprennent les cas de dépression réactive dû au fait d'être incarcéré? Peut-on demander s'ils étaient déprimés auparavant? Il me semble que l'incarcération est susceptible de produire la dépression.

Mme Neault : Je dirais que non, sénateur.

Le sénateur Trenholme Counsell : Dites-vous que c'est un trouble dont ils souffraient au moment de leur délit?

Mme Neault : Ces renseignements sont disponibles auprès du SCC. L'évaluation à la prise en charge identifie les troubles mentaux sur la base des critères que nous avons identifiés à la page 6.

Le sénateur Trenholme Counsell : En existe-t-il d'autres?

M. Sapers : La page 6 indique les facteurs utilisés pour l'évaluation.

Passant en revue ces chiffres, nous considérons que, à leur arrivée, sur la base des statistiques du Service correctionnel du Canada lui-même, 15 p. 100 ont fait l'objet d'une intervention psychologique ou psychiatrique récente. Nous pensons également qu'il y a une augmentation de 60 p. 100 des délinquants qui ont pu souffrir d'un trouble mental à un moment ou un autre. Ce trouble mental peut avoir été diagnostiqué à un moment donné, sans qu'ils soient sous traitement actif au moment de leur admission.

Nous savons également que la dépression peut être un facteur conduisant à l'automutilation, à la tentative de suicide et au suicide réussi. Cependant, malheureusement, nos n'avons pas beaucoup de données historiques sur l'automutilation et les suicides qui autoriseraient une comparaison et nous permettraient de rattacher ces chiffres à ceux des statistiques à l'admission.

Un autre énorme facteur lié au fait que la population carcérale a quelque peu évolué au cours des dix dernières années réside dans la désinstitutionalisation croissante de la part des gouvernements provinciaux. Nombre de ces personnes déshospitalisées entrent en conflit avec la loi et aboutissent en prison.

Je ne pense pas que la cause réside dans un seul facteur; cependant, nous savons que l'augmentation du nombre de délinquants souffrant de troubles mentaux est très réelle et très marquée.

Le sénateur Trenholme Counsell : Quel pourcentage de la population carcérale fait une tentative de suicide?

Le président : Il y en a eu 19 l'an dernier.

Le sénateur Trenholme Counsell : Mais quel pourcentage de la population cela représente-t-il?

Mme Neault : Deux tiers des femmes, 71 p. 100 des femmes, ont fait une tentative de suicide dans un établissement à sécurité maximale, comparé à 21 p. 100 des hommes. Mais ces chiffres concernent exclusivement le milieu à sécurité maximale.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous n'avez pas de chiffre pour l'ensemble de la population?

Mme Neault : Non.

Le sénateur Trenholme Counsell : Si vous remontez en arrière, mettons de 25 ans, un quart de siècle, y a-t-il eu un changement notable pour le mieux sur le plan de l'approche de réadaptation dans le milieu carcéral?

M. Sapers : Je considère que le Canada a l'un des meilleurs systèmes correctionnels du monde. Il est plus objectif, plus humain et plus professionnel que presque partout ailleurs dans le monde. Cela dit, c'est un système énorme comportant beaucoup de recoins sombres et nous avons encore beaucoup à apprendre. Malheureusement, nous n'appliquons pas ce que nous savons et avons appris. Toutes sortes de choses se mettent en travers de l'application de ces connaissances à la programmation correctionnelle.

Donc, oui, je pense que les choses se sont améliorées, mais tout cela, bien entendu, reste relatif. Nous avons toujours un très fort taux d'incarcération. Nous continuons à incarcérer à l'excès les Canadiens autochtones. Nous continuons à enfreindre des droits très fondamentaux s'agissant des classifications sécuritaires et de l'accès au traitement. Le Service continue d'agir, à mon avis, contrairement à la loi lorsqu'il s'agit d'appliquer les mesures les moins restrictives, du fait de toute une série de politiques, dont la moindre n'est pas un placement arbitraire en sécurité maximale pendant deux ans de certaines catégories de détenus.

Ainsi, s'il y a des améliorations, il reste encore un long chemin à parcourir. Malheureusement, nous ne réagissons pas toujours bien aux résultats de recherche et nous voyons que le service reste toujours très défensif et réticent à modifier les politiques lorsque des éléments de preuve apparaissent qui condamnent ces modes de fonctionnement.

Le sénateur Trenholme Counsell : J'espérais entendre quelque chose de plus optimiste, mais tant pis.

J'aimerais parler de la stratégie en quatre points, plus particulièrement du besoin national de centres de traitement. Au Nouveau-Brunswick, d'où je viens, nous avons le Centre de traitement Shepody au pénitencier de Dorchester. Est-ce que le centre de traitement est un établissement à sécurité maximale?

Mme Neault : Il est à sécurité moyenne.

Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce que l'on commence à mettre en place de tels centres de traitement à travers le pays?

Mme Neault : Il existe cinq centres de traitement, un dans chaque région du SCC. Ils sont conçus pour fournir des services de santé mentale à ceux diagnostiqués comme souffrant d'un trouble psychiatrique. Nous aimerions croire qu'il en existe partout, sachant qu'il n'y en a qu'un seul par région pour servir tous les niveaux de sécurité. Cependant, ce n'est pas nécessairement le cas. Celui des Prairies, celui du Pacifique, celui de l'Ontario, tous fournissent des services aux détenus à sécurité maximale. Or, ce n'est pas le cas du Centre Shepody.

Au pénitencier de l'Atlantique, 12 détenus sont toujours placés en isolement de longue durée et présentent, selon les psychologues, des symptômes avérés de maladie mentale. Le personnel a essayé de façon répétée de faire admettre ces détenus au Centre de traitement Shepody, mais celui-ci dit ne pas savoir la structure requise pour recevoir des détenus à sécurité maximale. Étant donné qu'il existe un seul centre de traitement dans cette région, que fait-on de ces détenus? Les envoyer dans une autre région, loin de leurs proches — qui sont souvent leur seul soutien et qui lui-même est très souvent réduit — est contraire à tout l'objectif de la réinsertion de ces personnes. Ils restent donc dans ces unités d'isolement, voyant un psychologue une fois par mois pour vérifier qu'ils ne sont pas suicidaires.

La politique requiert qu'un détenu en isolement voie un psychologue une fois par mois. Les psychologues préféreraient voir ces personnes individuellement, car souvent ils ne peuvent suivre des programmes de groupe, particulièrement pas lorsqu'ils sont en isolement. Cependant, il y a une liste d'attente longue comme mon bras de détenus en attente de services psychologiques et les ressources sont très limitées. Il y a seulement deux psychologues pour une population de presque 300 détenus.

Le sénateur Trenholme Counsell : Peut-on dire que ce n'est pas une question de volonté, mais de budget?

Mme Neault : C'est un problème de budget, mais aussi de structure. Dans le cas de Shepody, il y a plusieurs difficultés. Le Service correctionnel du Canada reconnaît qu'il faut modifier la structure de cet établissement. Il faudrait de nouveaux locaux. Cela fait plusieurs années que l'on nous dit qu'un projet de construction a été approuvé, mais les travaux n'ont toujours pas démarré.

Le sénateur Trenholme Counsell : C'est dû en partie au caractère historique du vieux bâtiment — un sujet très chaud en ce moment.

Est-ce que les programmes d'alphabétisation — et j'y ai travaillé — sont limités aux établissements à sécurité minimale ou moyenne?

Mme Neault : Les détenus à sécurité maximale et ceux en isolement peuvent suivre ce que l'on appelle des études en cellule — le professeur donne des devoirs à faire par le détenu dans sa cellule. Cependant, là encore, ces programmes d'alphabétisation sont conçus pour le délinquant moyen qui a la faculté d'apprendre.

Le Service a constaté, et nous aussi, que les sujets atteints de THADA et de TSAF ne sont pas en mesure d'absorber l'information; aussi, ils ont besoin de programmes spécifiquement conçus pour eux. Or il n'en existe pas — ce qui n'est pas surprenant, vu que le Service ne dépiste pas ces incapacités au moment de la prise en charge. Il ne sait réellement pas combien de détenus sont atteints de ces deux troubles.

Le sénateur Callbeck : Il faut faire davantage pour sensibiliser le personnel aux maladies mentales. Quelle est la formation dispensée actuellement? Par exemple, quelle formation reçoit un nouveau gardien avant d'être envoyé, mettons, à Springhill?

Mme Neault : Nous n'avons pas fait de recensement global de la formation offerte aux gardiens. Toutefois, il y a le programme de formation de base des agents correctionnels, qui dure deux semaines, dispensé dans l'un des centres de formation existant dans chaque région; ce programme est principalement axé sur la sécurité. Ce programme enseigne des choses telles que quand mettre des menottes, comment escorter un détenu, comment effectuer une fouille à corps, et cetera Nous ne disons pas que cette formation n'est pas nécessaire, car elle l'est.

Cependant, pour intégrer la dimension santé mentale, si le détenu est atteint de difficultés d'apprentissage et ne peut réagir adéquatement à un ordre, il va être mis en accusation — c'est la réalité — et sera sujet à des sanctions disciplinaires.

Le sénateur Callbeck : Autrement dit, les gardiens ne reçoivent pratiquement aucune formation concernant le traitement des malades mentaux?

Mme Neault : S'ils reçoivent une formation, je n'ai pas connaissance qu'elle comporte une dimension de santé mentale.

Le sénateur Callbeck : Vous avez fait état de 8 000 plaintes. Combien d'entre elles ont fait l'objet d'une enquête, approximativement?

M. Sapers : Chaque plainte que nous recevons est traitée comme légitime. Comme vous l'imaginez, nombre d'entre elles restent sans suite, pour diverses raisons : elles peuvent échapper à notre juridiction, elles peuvent être frivoles ou bien émaner d'un sujet qui se plaint chroniquement — en soi un signe de maladie mentale.

Le nombre d'enquêtes est probablement de la moitié des plaintes reçues. En outre, comme je l'ai dit, l'an dernier nous avons eu juste un peu moins de 2 500 entretiens avec des détenus à travers le pays, ces rencontres s'inscrivant dans le processus d'enquête. Le personnel enquêteur rencontre chaque plaignant individuel et prend ensuite contact avec la direction du centre correctionnel.

La philosophie opérationnelle de notre Bureau est d'essayer de résoudre le problème au niveau le plus bas et le plus rapide possible. Une plainte peut être aussi simple que : « On m'a transféré dans cet établissement, mais mes effets personnels n'ont pas encore suivi ». L'enquête consistera à confirmer les dires du détenu, à déterminer pourquoi les effets personnels n'ont pas suivi, puis à rencontrer les responsables du pénitencier pour régler le problème. Ou bien une plainte peut porter sur un problème beaucoup plus complexe mettant en jeu une violation plutôt conséquente d'un droit légal ou humain.

En outre, le Bureau se penche sur tous les incidents comportant l'usage de la force. Il y a environ 1 000 incidents mettant en jeu ce que l'on appelle le recours délibéré à la force, ou, pour une raison de sécurité, le personnel doit effectuer une extraction de cellule ou quelque chose du genre. Les incidents de recours à la force sont filmés sur bande vidéo, notamment l'application de menottes ou l'emploi de gaz pour calmer une agitation. Mon Bureau visionne la bande vidéo pour déterminer si l'usage de la force était conforme à la loi et à la politique.

Mme Neault : Entre 30 et 40 p. 100 des plaintes que nous recevons sont prématurées. J'entends par là que le détenu n'a fait aucune tentative pour régler le problème dans l'établissement. Le SCC possède son propre mécanisme interne de règlement des griefs. Nous conseillons souvent au détenu de suivre ce processus.

Cependant, en réalité, nous faisons beaucoup plus d'enquêtes que nous ne devrions. À l'heure actuelle, le mécanisme de grief interne du SCC a un arriéré de griefs à l'échelle nationale de six à huit mois et donc nous tendons à être amenés à intervenir plus que nous ne devrions. Leur propre mécanisme interne ne répond pas à leur mandat légal — qui est de donner une réponse objective et appropriée pour tenter de régler les problèmes avant qu'ils ne s'enveniment. Par conséquent, nous faisons des enquêtes sur des plaintes que nous aurions plutôt tendance à renvoyer au Service, à cause de l'inefficacité de son mécanisme des griefs.

Le plus triste, c'est que les détenus qui ont des troubles mentaux tendent à ne pas se plaindre, à ne pas nous appeler. Comment connaissons-nous leur existence? Notre politique consiste, chaque fois que nous visitons un établissement, à nous rendre dans l'unité d'isolement et à parler à tous les détenus qui s'y trouvent, pour examiner leur cas — car c'est une population qui est souvent oubliée. Mais cela est entièrement volontaire de la part du détenu.

J'ai connu un cas qui m'a fortement touché. Alors que je traversais un établissement à sécurité maximale, j'ai vu un homme escorté à l'infirmerie. Il était couvert de sang car il s'était mutilé. Lorsque je lui ai parlé, il m'a dit qu'il voulait voir sa famille. Il a dit aussi : « Je n'ai pas vu le psychologue car il n'a pas le temps de me voir. Je suis en isolement depuis quatre mois. Je n'arrête pas de leur dire que je veux m'améliorer. Je veux suivre des programmes, mais il n'y en a pas pour moi ».

C'est pourquoi nous allons dans les unités d'isolement. C'est ainsi que nous découvrons ces cas.

Le sénateur Callbeck : Vous avez dit qu'il est obligatoire de terminer la 10e année. Dans le cas du détenu qui a de la difficulté à lire et ne peut simplement pas suivre les cours, est-ce qu'ils restent simplement dans leur cellule?

Mme Neault : À ma connaissance, il n'existe aucun programme qui soit conçu pour ces personnes. Si elles doivent écrire quoi que ce soit, habituellement elles vont demander à un autre détenu d'écrire la lettre ou de remplir un formulaire.

Lorsque je dis que c'est obligatoire, cela signifie que le service l'exige, mais si le détenu ne veut réellement pas suivre le programme disponible — certains vont dire « Je suis trop vieux pour aller à l'école »— l'établissement ne va pas l'imposer physiquement. Cependant, les conséquences sont que la paie du détenu sera ramenée à ce que l'on appelle « la solde de chômage », c'est-à-dire 2,50 $ par jour.

Une proportion croissante de la population carcérale — dans les mêmes proportions que dans la population générale — est âgée, et présente des besoins spéciaux. Je connais un détenu qui voulait s'acheter une pommade de type A535 pour son dos. Il m'a dit qu'il lui faut deux jours de salaire rien que pour acheter un tube de pommade. Il souhaitait gagner plus. Tous les détenus ne refusent pas de travailler, tous ne manquent pas de motivation. Certains veulent envoyer de l'argent à leur famille. Le plus qu'un détenu peut gagner par jour, c'est 6,90 $, mais il y a des restrictions. Seul un certain nombre de détenus par établissement ont droit à ce niveau de salaire, car autrement l'établissement dépassera son budget.

Il y a de nombreuses variables. Cependant, ce sont les détenus qui souffrent de maladie mentale et qui sont incapables de suivre les programmes qui gagnent 2,50 $ par jour.

Le sénateur Callbeck : Vous avez dit que votre dernier rapport formulait quatre recommandations. Quelles étaient-elles et qu'elles ont été les suites?

M. Sapers : Les quatre recommandations sont les suivantes : Premièrement, qu'il y ait une pleine reddition de comptes sur l'exécution des recommandations formulées par la juge Arbour suite aux audiences sur la prison des femmes de Kingston il y a une dizaine d'années. Nous ne croyons pas que le Service ait pleinement mis en œuvre les recommandations, quoi qu'il en dise. Il y a des lacunes considérables. Elles ont été documentées par d'autres observateurs, pas seulement notre Bureau, et le plus récemment encore par la Commission canadienne des droits de la personne.

Le SCC, suite à la recommandation que nous avons adressée au ministre, s'est engagé à rendre pleinement compte des suites données à ces recommandations. À notre avis, dix années est un délai beaucoup trop long pour exécuter ces recommandations, sachant que nous parlons là de violation des droits de la personne concernant des aspects tels que la classification sécuritaire, et de discrimination à l'endroit de certaines catégories, en particulier les femmes autochtones.

Nous avons recommandé également que le Service mette en place immédiatement un programme d'échange de seringues en milieu carcéral pour contrer les risques pour la santé publique associés au taux croissant d'infection à l'hépatite C et au VIH. Plusieurs pays européens ont déjà mis en place de tels programmes d'échange de seringues. Ils sont efficaces, en ce sens que les taux d'infection y sont en baisse et que le taux des détenus en bonne santé à la libération est en hausse. On ne signale aucune augmentation des cas d'abus de drogue dans les prisons ou de l'emploi de seringues pour des agressions, un danger invoqué particulièrement par le syndicat.

Nous avons recommandé aussi que le Service correctionnel du Canada nomme immédiatement un sous-commissaire responsable des Autochtones. L'organigramme du Service correctionnel du Canada, c'est à peine croyable, ne comporte pas de cadre supérieur responsable des détenus autochtones. C'est là une recommandation ancienne de notre Bureau que le Service continue de rejeter.

Il y a plusieurs années, suite à un incident tragique, le SCC a modifié sa politique de la manière suivante. Au lieu d'une classification sécuritaire fondée sur des éléments objectifs, au lieu d'utiliser l'échelle d'évaluation du risque soigneusement conçue pour déterminer le niveau sécuritaire d'un détenu — et n'oubliez pas que cette échelle avait été élaborée conformément à la loi qui exige d'appliquer l'option la moins restrictive — le Service a arbitrairement décidé que quiconque est condamné à une peine de durée indéterminée, à une peine à vie, serait automatiquement placé en sécurité maximale pendant deux ans. Cela signifie que la personne a un accès restreint aux programmes, voit ses mouvements restreints, tout ce qu'implique une classification de sécurité maximale. C'est contraire et à la loi et à la politique — et, pensons-nous, cela représente une violation considérable.

Le Service persiste et signe et le ministre lui a demandé de justifier cette décision. L'application de cette politique a été quelque peu adaptée, mais la politique elle-même subsiste. Nous persistons à croire que le Service ignore la loi sur ce plan.

Le président : Merci à vous deux d'être venus pour brosser un tableau aussi réaliste, aussi déprimant soit-il.

La séance est levée.


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