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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 19, Témoignages du 7 juin 2005 - Séance de l'après-midi


VANCOUVER, le mardi 7 juin 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 13 heures pour examiner des questions touchant la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues sénateurs, nos témoins cet après-midi sont M. Svend Robinson, qui sera suivi de M. Rafe Mair et de M. Bill McPhee.

M. Svend Robinson, ancien député, à titre personnel : Monsieur le président, je suis honoré d'être en présence de mes collègues ce matin, et de personnes que je respecte au plus haut point. Rafe Mair et moi nous nous connaissons depuis très longtemps, et je me sens privilégié d'avoir l'occasion aujourd'hui de vous faire part de mes réflexions sur la question que vous examinez et de voir de vieux amis et d'anciens collègues parlementaires autour de cette table.

J'avoue que je suis un peu angoissé de me présenter devant vous aujourd'hui, parce que parler de ma situation en public, si vous voulez, est quelque chose de très nouveau pour moi. La décision d'en parler publiquement a été déchirante pour moi, pour des raisons que vous allez certainement comprendre, étant donné que j'ai été député pendant de nombreuses années, et non seulement j'adorais mon travail, mais je me sentais honoré de pouvoir accomplir ce travail. J'était très conscient et je le suis encore de la déconsidération qui continue à accompagner la santé mentale et la maladie mentale.

Avant de vous faire quelques brèves observations, je voudrais tout d'abord vous remercier, sénateurs et membres du comité, du leadership dont vous faites preuve en menant cette étude. En ce qui me concerne, c'est très important. J'ai lu chaque ligne de ce que vous avez écrit à ce sujet le mois dernier. Au début du mois, comme certains d'entre vous le savent déjà, j'étais en Nouvelle-Écosse à titre de conférencier principal pour l'inauguration de la Semaine de la santé mentale dans cette province. C'était merveilleux. Il s'agissait d'un déjeuner auquel on avait donné le thème « Inspiring Lives » qui avait été organisé pour rendre hommage à un certain nombre de personnes qui avaient réussi à contourner d'immenses obstacles liés à la maladie mentale et qui avaient accepté de raconter leur histoire au public. J'étais là pour leur rendre hommage et aussi pour parler un peu de ma propre lutte et de mes propres difficultés, dans la mesure du possible, et ce en leur communiquant un message axé sur la positivisme et l'espoir et la réaction des gens m'a vraiment sidéré.

J'étais là la semaine qui a précédé celle où le comité a tenu des audiences à Halifax, et j'ai justement saisi l'occasion, dans le contexte de mon allocution, de parler du travail que vous faites, de vous en féliciter et d'encourager les gens à assister à vos audiences et à se présenter devant vous pour faire part de leurs vues sur la question. De plus, je crois savoir que vous avez une capacité Internet, ce qui est tout à fait unique et extraordinaire, et je vantais aussi les vertus de ce système. Donc, je fais l'impossible pour encourager les gens à participer au travail de ce comité. Pour moi, vous avez la possibilité de vraiment faire évoluer la situation.

Je vous disais il y a quelques instants qu'il m'avait été difficile d'accepter de parler publiquement, et j'ai justement été frappé par le parallèle entre mon parcours en tant qu'homme gai qui a été le premier, il y a bien des années, à se déclarer ouvertement homosexuel, et les luttes auxquelles font face les personnes atteintes d'une maladie mentale. Je constate que je suis aujourd'hui confronté aux mêmes difficultés qu'à cette époque. La crainte de faire un saut dans l'inconnu sans savoir comment les gens réagiraient et en étant conscient de la déconsidération et du discrédit qui touchent la vie de gens dans ma situation, et que vous connaissez mieux que moi au fond pas seulement la déconsidération, mais la discrimination, les stéréotypes et Dieu sait que les stéréotypes sont tellement fréquents de nos jours; nous en avons été témoins justement dans le contexte du débat sur l'égalité pour les gais et les lesbiennes. Quand j'étais un jeune homme gai, pour moi les seules images de personnes gaies que je voyais autour de moi leur attribuaient des tendances soit meurtrières soit suicidaires, il n'y avait absolument rien de positif ou d'affirmatif.

En ce qui concerne la santé mentale et la maladie mentale, trop souvent c'est la même chose, même si nous savons qu'il n'y a absolument aucun lien entre la violence criminelle, par exemple, et la maladie mentale. Mais aux yeux de bien des citoyens, il y a cette tendance à établir un lien automatique entre les deux. Et pour vous dire la vérité, si j'hésitais à en parler publiquement et à parler de ce que j'ai connu en tant qu'individu atteint de maladie mentale, c'est en partie parce que je ne voulais pas renforcer le lien entre les deux dans l'esprit des gens. Ce qui m'a forcé à confronter mes propres difficultés était un acte criminel, et c'était quelque chose de terrible et de dévastateur. Certains d'entre vous me connaissaient à titre personnel; vous savez à quel point cela m'a accablé, anéanti, et je me suis demandé : comment cela a-t-il pu se produire? Je ne comprenais pas. C'était un acte tellement irrationnel, mais un acte qui dans un sens m'a maintenu en vie, puisqu'il m'a forcé à m'adresser à un psychologue très compétent, qui a pu travailler avec moi et m'aider à reconnaître que j'étais atteint, sans doute depuis bien des années, de troubles de l'humeur. De cette façon j'ai été obligé de confronter mon problème; je n'avais pas le choix. Si je ne l'avais pas fait, les conséquences auraient pu être encore plus néfastes encore.

Ce que j'espère faire, avec modestie et humilité, c'est parler aux gens de ce problème. Rafe Maie et d'autres ont fait un travail remarquable à cet égard. J'ai lu ses livres, et je sais qu'ils ont fait une grande différence pour bien des gens. Le fait de savoir que Rafe a pu parler de sa situation, sans que cela mette un terme ni à sa vie ni à sa carrière, m'a redonné espoir et m'a résolu à continuer. Si, de mon côté, je peux faire de même pour certaines personnes et les encourager en leur disant qu'il est possible de vivre et même de vivre une vie bien remplie en étant atteint d'une maladie mentale, mais ils devront le faire tout en étant sensibles à certains petits signaux. Pour ma part, je n'ai pas été sensible à ces signaux, alors que mon partenaire Max me suppliait de ralentir et de me faire soigner. J'étais Svend Robinson; j'étais invulnérable. Cette crainte qui m'envahissait et le fait de ne pas savoir ce qui m'arriverait si j'avouais avoir besoin d'aide était quelque chose de terrible, mais je n'avais pas le choix. Il fallait que je le fasse, et je l'ai fait.

Je voudrais donc rendre hommage à tous les professionnels qui soignent les maladies mentales qui font ce travail malgré tous les obstacles auxquels ils sont confrontés et malgré l'insuffisance des ressources dont ils disposent, alors qu'il y a tant à faire.

J'ai un ou deux autres petites remarques à vous faire, car je sais que nous aurons l'occasion tout à l'heure d'avoir un échange de vues. J'ai eu le privilège de contribuer à rédiger la Constitution du Canada. J'étais membre du comité spécial mis sur pied en 1980-1981. Le sénateur Lucie Pépin et d'autres s'en souviendront, mais bien des gens l'ignorent encore, à savoir que nous sommes sinon le seul pays du monde, l'un des rares pays du monde à interdire la discrimination pour raison d'incapacité. Cela inclut l'incapacité mentale, et malgré tout, cet énoncé et cette absence de discrimination sont malheureusement loin d'être une réalité. J'ai reçu des lettres tout à fait étonnantes de la part de certaines personnes et je suis sûr qu'il en va de même pour Rafe depuis que j'ai annoncé publiquement que je suis atteint de troubles mentaux. Plus j'étudie la question et plus j'en parle avec les gens, plus je me rends compte de l'ampleur du travail qu'il y a à accomplir dans ce domaine.

Comme c'était le cas quand j'ai déclaré mon homosexualité, je me rendais compte que la chose la plus importante que j'aurais à faire pour lutter contre la stigmatisation et les stéréotypes était de sensibiliser les citoyens de la situation de gens comme moi. Si vous connaissez quelqu'un qui a des troubles mentaux, si vous connaissez quelqu'un qui est gai ou lesbienne, vous vous rendez compte que vous avez affaire à un être humain en chair et en os; nos enfants, nos amis, les membres de notre famille, les gens avec qui nous travaillons, nos représentants élus et des gens que nous respectons dans les médias et dans tous les milieux. J'espère que l'une des réalisations du comité sera de montrer le côté humain de cette problématique. J'étais si heureux de voir que vos premiers témoins étaient des gens qui eux-mêmes sont atteints de maladie mentale. Je ferai ce que je pourrai, par tous les moyens, pour vous aider à mener à bien ce travail, et j'espère pouvoir en parler en public chaque fois que j'en aurai l'occasion. J'ai déjà eu des contacts avec les responsables de l'Association canadienne pour la santé mentale, et je vais maintenir ces contacts. Au Canada, nous avons l'occasion d'être chefs de file, et vous, sénateurs et membres du comité, vous avez l'occasion de changer les choses. Je vous remercie pour ce que vous faites et je suis très heureux d'avoir l'occasion de travailler avec vous.

Le président : Premièrement, je tiens à dire que nous sommes résolus à changer les choses. Deuxièmement quelqu'un vous l'a peut-être déjà dit l'une des raisons pour lesquelles nous avons entrepris cette étude est qu'après avoir terminé nos autres études liées à la santé mentale, nous nous sommes rendu compte que la grande majorité des membres du comité ont, parmi les membres de leur propre famille, de leur famille relativement immédiate, une personne atteinte d'une maladie mentale grave. Par conséquent, nous comprenons très bien la notion selon laquelle on peut vivre en étant atteint de ce genre de maladie.

Nous accueillons maintenant M. Rafe Mair, journaliste, auteur, ancien ministre provincial de la Santé, et consommateur de services de santé mentale.

M. Rafe Mair, journaliste, à titre personnel : Merci beaucoup, sénateur; comme Svend, je suis, moi aussi, avocat; autant admettre tout ce qui a de négatif tout de suite.

Le président : Je voulais insister uniquement sur les aspects les plus positifs, et c'est pour cette raison que je n'ai pas parlé de votre diplôme de droit.

M. Mair : Comme cela fait un bon moment que je ne suis plus homme politique, contrairement à tous les autres dans cette salle, je vais essayer de m'en tenir à mes notes. Je précise, monsieur le président et j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur que si je veux me servir de mes notes, c'est parce que je ne voudrais pas négliger certains éléments importants de mon message du fait de n'avoir pas une bonne mémoire.

Je suis ce qu'on appelle un consommateur de services de santé mentale puisque je souffre depuis 1988 de dépression et d'anxiété. Avec certains éléments d'humour, voilà ce qui est arrivé : je ressentais une douleur du côté droit. Après avoir consulté l'Encyclopédie médiale Columbia, j'ai pensé être atteint du cancer du foie. L'anxiété s'est emparé de moi. Devenu incapable d'accomplir correctement mon travail, j'ai appelé le cabinet de mon médecin, le Dr Mel Bruchet, à North Vancouver, et j'ai exigé de le voir immédiatement. Lorsque la réceptionniste m'a demandé pourquoi, je lui ai répondu que j'étais atteint du cancer du foie. Après une pause discernable, elle m'a indiqué que le médecin me recevrait le lendemain après-midi. Je n'étais pas satisfait de ce qu'elle me proposait; par conséquent, je me suis rendu à son cabinet et j'ai attendu qu'il se libère. Il m'a alors examiné et m'a dit : « Espère de fou nous sommes de bons amis, et il pouvait donc se permettre de me dire ça tu n'as pas le cancer du foie; tu as un calcul biliaire ». Je lui ai répondu qu'il se trompait, et lui ai demandé pourquoi il me mentait. Il m'a donné un rendez-vous pour une échographie le lendemain. Lorsque le médecin qui manipulait l'instrument l'a placé sur mon foie, il a levé les sourcils. J'ai donc lancé : « C'est un cancer, n'est-ce pas? Dites-moi la vérité, je peux supporter » alors que c'était tout le contraire, évidemment. Le médecin m'a demandé de me mettre sur le côté. Il a pétri la zone en question, a consulté l'écran, et m'a dit : « Voilà, c'est un calcul biliaire situé à l'entrée de la vésicule biliaire. » Alors j'ai répondu : « Vous me dites qu'après tout ça, je n'ai besoin que des services d'un fichu chiropraticien? »

En tout cas, je suis retourné voir le Dr Bruchet quelques jours plus tard pour qu'il me présente les résultats de l'échographie. Là il me parlait du traitement du calcul biliaire, et cetera, et cetera Alors je l'ai traité de menteur, et l'ai accusé de me cacher la vérité. J'espère que je ne vais pas me laisser gagner par mes émotions, et je vais essayer de ne pas le faire; tout d'un coup, il m'a donc demandé combien de temps s'était écoulé depuis le décès de ma fille. Je lui ai répondu en lui demandant quel était le rapport entre cet événement et le cancer du foie. Il m'a alors demandé de répondre à quelques questions. À la troisième, je n'ai pas pu retenir mes sanglots. Il m'a consolé, puis m'a déclaré qu'il croyait que je faisais une dépression qui se manifestait par des épisodes anxieux extrêmes. Il m'a parlé de la sérotonine, et je suis sûr que vous en avez beaucoup entendu parler ou que vous en entendrez parler, si ce n'est déjà fait et m'a dit que je ne devais pas du tout avoir honte. Heureusement nous avons rapidement trouvé le médicament approprié, en règle générale, il est efficace. Je peux vous dire, mesdames et messieurs, que je dois ma vie à Mel Bruchet, parce que je sais que je n'aurais jamais été capable de continuer si je n'avais pas eu la chance d'avoir un médecin qui savait ce qu'est la dépression.

Avant de passer aux recommandations que je souhaite faire, j'aimerais dire que, quelques années plus tard, contre l'avis du Dr Bruchet, j'ai insisté pour essayer un nouveau médicament. Bien entendu, il m'a dit : « Pourquoi voulez-vous faire ça? Comme on dit le mieux est parfois l'ennemi du bien. » Mais j'ai insisté pour essayer ce nouveau médicament dont m'avait parlé un psychiatre, ce qui voulait dire que je devais arrêter de prendre mon médicament habituel pendant deux semaines. J'ai passé ces deux semaines en vacances avec ma femme, c'est-à-dire que c'était censé être des vacances, alors que j'ai passé tout mon temps à pleurer de façon incontrôlable dans les bras de ma femme.

Quelques années plus tard, lorsque j'interviewais un médecin incroyable, Dre Teresa Hogarth, qui était omnipraticienne spécialisée dans le traitement des problèmes de santé mentale qui, soit dit en passant, a dû changer de domaine parce qu'elle n'arrivait pas à gagner sa vie, j'ai écouté pendant qu'un auditeur décrivait comment il se sentait, parce que sa femme lui disait de retrousser ses manches et d'agir comme un homme, il disait qu'il ne savait pas quoi faire. Alors je lui ai mentionné, ainsi qu'à quelques 100 000 autres personnes qui nous écoutaient, que je souffrais moi aussi de dépression et que la bonne nouvelle, c'est qu'il existait de l'aide, souvent extraordinaire. J'ai gagné la bataille à moitié. Svend a déjà eu à deux reprises à faire des aveux difficiles en public, mais dans mon cas, je ne l'ai fait qu'une fois, et je peux vous dire que cela m'a bien suffi. Le problème, c'est que je ne disais pas toute la vérité; c'est vrai que l'aide existe, mais uniquement si vous avez la chance d'avoir un médecin qui sait un peu ce qu'est la dépression.

J'en parlais avec le sénateur Kirby avant le début de la réunion : au fil des ans, j'ai été l'hôte d'une journée annuelle de dépistage de la dépression qui est organisée de concert avec la section de la Colombie-Britannique de l'Association canadienne pour la santé mentale. Nous avons une douzaine de conseillers en santé mentale qui répondent aux appels des auditeurs en dehors des ondes, pendant que je présente une émission sur le sujet. Ils répondent à des centaines d'appels, et pourraient répondre à plusieurs centaines d'appels de plus s'ils avaient le temps. Tous ces auditeurs ont enfin trouvé le courage d'avouer qu'ils souffrent d'une maladie mentale et qu'ils ont besoin d'aide. Que peuvent leur dire ces bénévoles? Ce qu'ils peuvent leur dire, essentiellement, c'est appeler leur médecin et de prier pour qu'il ait les connaissances voulues en santé mentale. Le problème, c'est que la grande majorité des médecins ne possèdent pas ces connaissances, même aujourd'hui.

Monsieur le président et mesdames et messieurs honorables sénateurs, je voudrais vous faire quelques recommandations en me fondant non seulement sur mes propres troubles mentaux, mais sur ce que j'ai observé au cours des 15 dernières années.

À mon avis, pour obtenir leur permis d'exercer la médecine, tous les médecins devraient être tenus de réussir un cours sur les maladies mentales, notamment leur diagnostic et leur traitement. Pouvez-vous imaginer qu'une femme consulte un médecin à propos d'une bosse au sein, et que ce médecin lui réponde qu'il ne traite pas ce type de problème, mais qu'il peut donner un rendez-vous dans six à 12 mois avec un spécialiste? Pourtant cette situation est fréquente pour les personnes qui surmontent la gêne liée aux problèmes de santé mentale et décident de consulter leur médecin. Ce n'est pas si compliqué. C'est une question que les écoles de médecine et les collèges des médecins et chirurgiens peuvent immédiatement aborder en vue de trouver une solution. Même si tous les suicides sont tragiques, il est inadmissible que des jeunes se donnent la mort parce que des médecins n'ont pas pu reconnaître et traiter de façon appropriée leurs symptômes. Les médecins doivent reconnaître les signes de la dépression chez les adolescents, et être capables de conseiller autant les parents que les enfants.

Deuxièmement, les omnipraticiens doivent être rémunérés de façon adéquate pour le temps qu'ils consacrent au traitement de personnes atteintes d'une maladie mentale. Malheureusement, les maladies mentales ne sont pas comme d'autres maladies; ce n'est pas en faisant faire des radios et en ayant recours à ce genre d'outil diagnostique qu'on peut aider le malade. Le médecin ne peut pas découvrir les signes à l'aide d'outils de diagnostic. Il lui faut être sensible, poser des questions bien précises, et en analyser les réponses, et tout cela prend du temps. Les médecins ne sont pas suffisamment rémunérés pour ce genre de travail, si bien qu'ils ne sont pas motivés à en savoir plus sur les maladies mentales, de peur justement d'avoir à passer beaucoup de temps à les traiter sans être rémunérés.

Troisièmement, il faut encourager toutes les associations de médecins au Canada à conserver une liste des omnipraticiens qui sont prêts à traiter des personnes atteintes de maladie mentale. C'est ridicule, et même très dangereux, d'ignorer les symptômes d'une personne atteinte d'une maladie mentale, en lui disant qu'il s'agit d'être fort et de supporter tout simplement, ou en lui donnant un rendez-vous avec un psychiatre plusieurs mois plus tard. Voilà ce qui me semble critique, mesdames et messieurs. Les gens, et surtout les hommes, ont peur de parler de leur problème. Ils sont convaincus que personne ne peut les aider de toute façon et ils évitent donc d'en parler à leur médecin et tentent de se soigner avec l'alcool ou d'autres drogues. Je suis certain que l'alcoolisme est pour une large part de l'automédication. Dans ma propre famille, je pourrais vous parler de mon père qui s'est tué à force de boire de l'alcool, et il n'y a pas de doute dans mon esprit que si son problème avait été correctement diagnostiqué évidemment, les services n'étaient pas du tout disponibles à l'époque il aurait vécu très vieux, au lieu de mourir à 59 ans. Tous les experts du domaine de la santé mentale auxquels j'ai parlé sont du même avis.

Mon quatrième point concerne plutôt la situation dans la province, mais je voudrais tout de même attirer votre attention là-dessus. Même s'il repose sur de bonnes intentions, le concept d'une ministère de la Santé mentale qui serait tout à fait distinct n'est pas recommandé. Ce ministère deviendrait une voie de garage ou encore servirait de tremplin pour accéder à des postes plus intéressants. Les personnes atteintes de maladie mentale doivent avoir le même accès au pouvoir que tous les autres malades.

Cinquièmement, il faut nommer un porte-parole indépendant de la santé mentale, comme ce qu'on avait ici autrefois. Malheureusement, le gouvernement actuel s'en est débarrassé. Cette personne devrait être choisie comme d'autres fonctionnaires ou mandataires du Parlement. De par leur nature, des porte-parole sur des questions de santé mentale sont peu populaires auprès de leur gouvernement, parce qu'ils cherchent et trouvent des gens ayant besoin d'aide, ce qui fait augmenter les dépenses.

Voilà qui me permet de passer directement à ma sixième recommandation. Il faut absolument effectuer une bonne analyse des coûts liés à la maladie mentale. Cette analyse se fait attendre depuis longtemps. Elle est nécessaire pour permettre aux ministres responsables des Finances et du Conseil du Trésor de comprendre que les dépenses engagées au titre des services de diagnostic et de traitement permettent de réduire de façon significative les coûts ultérieurs des ministères des Services sociaux.

Et voilà ma dernière recommandation : j'estime que tous ceux qui s'occupent des jeunes, et tout particulièrement les conseillers scolaires, doivent recevoir une formation adéquate en maladie mentale.

Monsieur le président, ce ne sont que quelques recommandations. Je n'ai pas abordé la question des besoins de financement adéquat pour des organismes comme l'Association canadienne pour la santé mentale qui, comme bien d'autres organismes qui sont financés par le gouvernement, doivent toujours se surveiller pour éviter de faire ou de dire quelque chose qui pourrait déplaire à ceux qui financent leurs activités. Je présume qu'ils voudront aussi parler aux responsables des nombreux centres de jour communautaires, qui soulagent tellement le système public. Je ne suis qu'un consommateur qui, en raison de son travail, voit la santé mentale telle qu'elle est, contrairement aux responsables politiques et aux fonctionnaires bien intentionnés qui la voient ou veulent la voir autrement.

Je désire terminer avec cette observation dure mais exacte. Dans la mesure où les gouvernements n'accordent pas la même attention à la maladie mentale qu'à la maladie physique, ils financent d'autres programmes gouvernementaux sur le dos des personnes atteintes de maladie mentale. Vous n'êtes pas obligés d'aller bien loin pour voir que c'est vrai. Vous n'avez qu'à vous rendre à la rue Granville où vous verrez certains des 1 500 sans-abri de Vancouver, dont un grand nombre sont atteints d'une maladie mentale. En raison de la Safe Streets Act adoptée par le gouvernement de la Colombie-Britannique, toutes ces personnes pourraient maintenant être arrêtées pour délit de mendicité. Je ne pensais pas vivre assez longtemps pour être témoin d'une telle chose dans ma province. D'un bout à l'autre du Canada, nous désinstitutionalisons les personnes atteintes d'une maladie mentale, et les cyniques diraient que c'est pour éviter d'avoir à les garder dans des établissements qui coûtent cher; ils pourront désormais vivre sous les ponts et dans les entrées de portes et se contenter de mendier.

Je sais que c'est un point de vue extrême, mais on ne peut blâmer des gens comme moi, des gens qui vivent dans la rue et les travailleurs qui sont de cet avis. Si vous ne dépensez pas ce que vous devriez dépenser pour traiter les maladies mentales, vous dépenserez cet argent pour autre chose pour quelque chose qui vous semble plus prioritaire. Mais je dois vous dire à ce sujet, monsieur le président et membres du comité, qu'à mon avis, il ne peut y avoir quelque chose de plus prioritaire pour aucun gouvernement au Canada de nos jours que les soins à donner aux personnes atteintes d'une maladie mentale.

Le président : Les membres du comité ont un peu pris l'habitude de dire dans leurs discours que, selon nous, les rues et les prisons de ce pays sont devenues les asiles du XXIe siècle.

M. Mair : C'est affreux.

Le président : Nous accueillons maintenant M. Bill McPhee, fondateur et éditeur du Schizophrenia Digest.

M. William McPhee, fondateur et éditeur, Schizophrenia Digest : Sénateurs, moi, aussi, je voudrais vous féliciter d'avoir entrepris cette étude et de préparer le rapport qui est prévu. Beaucoup de gens ont de grandes attentes vis-à-vis de ce rapport, et comme j'en fais partie, j'espère, et je sais que vous prenez votre travail au sérieux.

Pour ma part, j'ai été hospitalisé à six reprises, j'ai vécu dans trois foyers de groupe différents, et j'ai essayé de me suicider. J'étais très malade. On m'a fait un diagnostic de schizophrénie en 1987. Aujourd'hui je suis éditeur du Schizophrenia Digest, une revue canadienne nationale. De plus, avec mon partenaire commercial, nous éditons une version américaine du Schizophrenia Digest. Nous avons lancé bp Magazine aux États-Unis concernant la maladie affective bipolaire, et nous lançons bp Canada en octobre de cette année. De plus, je suis un porte-parole professionnel pour la Société de schizophrénie de l'Ontario. Ainsi je participe à des conférences et prononce des discours dans tous les coins de l'Amérique du Nord en vue de renseigner les gens sur la schizophrénie.

Je suis marié. Ma femme et moi allons célébrer notre septième anniversaire au mois d'août. J'ai un enfant de 18 ans d'une autre relation antérieure, et un fils de trois ans, Dwight, ainsi qu'un bébé de sept mois, Hanna Faith, avec ma femme, Aileen.

Je voudrais vous présenter quelques statistiques au sujet de la schizophrénie. Je suis sûr que vous avez déjà entendu tout cela, mais le fait est qu'une personne sur 100 est atteinte de schizophrénie. De plus, une personne sur cinq au Canada souffre d'une maladie mentale. Je suis vraiment convaincu que les gouvernements et les citoyens en général commencent à comprendre cette réalité, et commencent surtout à comprendre que cela pose problème. Non seulement cette situation pose-t-elle problème aujourd'hui, mais elle le sera beaucoup plus à l'avenir si nous ne cherchons pas à réduire la fréquence des maladies mentales au sein de la population. Voilà pourquoi le rapport du comité et le travail qu'il accomplit sont si importants.

La schizophrénie est connue la maladie invalidante des jeunes, parce qu'elle se déclare habituellement entre l'âge de 16 et 26 ans, même s'il y a toujours des exceptions. Dans mon cas, elle s'est déclarée en 1987, quand j'avais 24 ans. Beaucoup de gens atteints de schizophrénie soit 50 p. 100 essaient de se suicider, et 10 p. 100 d'entre eux réussissent à le faire, si on peut appeler ça une réussite.

La schizophrénie comporte trois éléments. Le premier est l'élément génétique; c'est une maladie qui touche les familles même si elle peut sauter une génération, mais disons qu'il y a une composante génétique. Le deuxième élément est l'élément biochimique; autrement dit, des substances chimiques sont présentes dans le cerveau, telles que la dopamine, la sérotonine, entre autres, qui influencent les neurotransmetteurs lorsque ces derniers émettent des messages, et c'est pour cette raison qu'il en résulte un déséquilibre chimique. Dans quelques minutes, je vais vous donner quelques exemples de ce déséquilibre chimique et vous expliquer comment ils influent sur la vie de celui ou celle atteint de schizophrénie. Le troisième élément est le stress; c'est une maladie liée au stress. Vous avez donc l'élément génétique, l'élément biochimique et le stresseur; il s'agit des trois éléments qui donnent lieu à la schizophrénie.

Qu'est-ce que la schizophrénie? Il s'agit essentiellement d'un trouble cérébral. Le terme « schizophrénie » dénote une psychose qui est caractérisé par la perte du contact avec la réalité. Avec la schizophrénie, il peut y avoir des symptômes à la fois positifs et négatifs.

Les symptômes positifs sont essentiellement ceux qui viennent se greffer à la personnalité du malade et qui ne devraient pas y être. Par exemple, si vous souffrez de paranoïa, vous allez peut-être entendre des voix, croire que les couleurs et les lumières blanches que vous voyez sont plus fortes; tous les sens deviennent plus vifs. Ainsi l'ouïe, l'odorat, le goût et tous les sens sont plus vifs et vous ressentez tout de façon plus intense à cause de ce déséquilibre chimique qui influe sur la maladie et les symptômes positifs.

Les symptômes négatifs sont également appelés les symptômes déficitaires, parce qu'il s'agit d'aspects qui manquent à notre personnalité alors qu'ils devraient y être. Par exemple, il peut s'agir de l'absence d'émotivité, de l'absence de joie, de dépression, d'un manque de motivation et d'un manque d'énergie.

Pourrais-je vous donner un exemple de symptômes à la fois positifs et négatifs? Par exemple, dans le film intitulé A Beautiful Mind, que beaucoup de gens ont sans doute vu, Russell Crowe croyait qu'on lui avait planté un transistor dans le poignet et dans sa cellule, il essayait de le faire sortir de son bras; c'était très réaliste. Voilà un symptôme positif; il souffrait d'hallucinations et de délire. Quand aux symptômes dits « déficitaires », par exemple, dans ce même film, lorsque la femme de Russell Crowe lui a passé le bébé, il l'avait dans ses bras mais il ne ressentait absolument aucune émotion; il était incapable de lui parler ou de le serrer dans ses bras. Voilà ce qu'on entend par l'absence d'émotivité.

Il est très important de reconnaître que les personnes atteintes de cette maladie manquent de discernement et de perspicacité; telle est la nature de cette maladie. Par exemple, lorsque j'étais à l'hôpital, on m'a donné des médicaments, et après avoir essayé différents types de médicaments, j'ai fini par reprendre contact avec la réalité. J'ai cessé de prendre mes médicaments, et six mois plus tard, je me suis installé dans une autre ville en vue d'essayer de trouver un emploi. Mais voilà que j'ai retourné tous les meubles chez la propriétaire de la maison où j'habitais, j'errais dans les rues, je marchais sur les voitures, et je me faisais battre dans les rues. Ma maladie était revenue, et on m'a donc emmené à l'hôpital avant de me renvoyer dans ma ville natale où j'ai réintégré l'unité de psychiatrie à l'hôpital.

Ce que j'essaie de vous dire, c'est que même si je vais bien maintenant et que je sais beaucoup de choses au sujet de cette maladie, si je cessais de prendre mes médicaments, cette maladie reviendrait, et mon cerveau recommencerait à me jouer des tours sans que je m'en rende compte.

Il est donc très important de prendre des médicaments. Dans le cas de cette maladie, et les maladies mentales en général, il est très important de prendre des médicaments pour reprendre contact avec la réalité. Cependant, ce n'est qu'un élément de la solution. Il faut aussi faire disparaître les symptômes positifs, c'est-à-dire la télépathie, les voix, les illusions, le délire et il n'y a que les médicaments qui permettent de contrôler les symptômes positifs. Mais encore une fois, ce n'est qu'un élément de la solution.

Il faut aussi se rendre compte que, dans mon cas, quand j'ai repris contact avec la réalité, les gens me disaient : « Bill, c'est formidable que tu aies repris contact avec la réalité. » Seulement ma réalité était celle-ci : j'avais perdu mon emploi, j'avais perdu ma maison, j'avais perdu ma sécurité financière, j'avais perdu mes amis, et j'avais compris que je n'étais qu'une personne sur 100 qui sont atteintes de cette maladie.

J'ai donc passé cinq ans de soins psychiatriques cinq ans de vie perdue. Mais grâce à des interventions psychosociales et à l'aide de mes amis, et cetera, j'ai pu reprendre une vie normale en prenant des médicaments appropriés.

Au cours des quelques minutes qui me restent, je voudrais soulever un ou deux points importants. Premièrement, les médicaments sont essentiels, et à mon avis, tous les médicaments doivent être librement accessibles grâce à une lettre type qui serait donnée par les autorités provinciales; de plus, il faut qu'on puisse avoir accès à des médicaments très importants qui existent dans d'autres pays mais pas au Canada. Il faut se rendre compte que la schizophrénie est la même maladie où qu'on vive, et les données scientifiques sont les mêmes, quelle que soit la province où l'on habite; par conséquent, l'homologation des médicaments doit s'appuyer sur les bonnes données scientifiques.

Nous parlons beaucoup des sans-abri qui sont atteints de maladie mentale, et c'est vrai, mais je voudrais faire une petite analogie. Nous avons tous vu des sans-abri dans la rue, mais j'aimerais vous poser une question : vous est-il déjà arrivé de voir un sans-abri trisomique? Eh bien, vous n'en voyez jamais, parce que les parents d'enfants trisomiques étaient au courant des problèmes dès le départ et savaient qu'ils auraient besoin d'aide pour s'occuper de leurs enfants; par conséquent, ils ont maintenant accès à des logements grâce à un organisme regroupant des centres de vie autonome.

Je voudrais vous donner un exemple de la façon dont les personnes atteintes de maladie mentale sont stigmatisées. Nous voulons tous entretenir des relations avec autrui. J'écrivais des lettres à une fille parce que je voulais être son correspondant. Je lui ai dit que j'étais atteint de cette maladie. Elle m'a répondu : « Je ne pourrais jamais épouser quelqu'un qui est atteint de cette maladie parce que ma mère était schizophrène et je ne pourrais jamais revivre ce genre de choses. » Mais ma femme est philippine et sa soeur est infirmière. J'avais dit à ma femme que j'étais schizophrène. Avant qu'on se marie, elle a appelé sa soeur qui est infirmière et vit dans un pays du Tiers monde; sa soeur lui a dit « Oui, je connais cette maladie. Je vois des gens qui en sont atteints. On peut la traiter, on peut traiter les symptômes, et les gens qui en sont atteints peuvent vivre une vie normale. » C'est en fonction de cela que j'ai eu tous mes enfants.

Le président : Rafe, vous avez parlé de la sérotonine dans votre exposé liminaire. Les gens trouvent normal qu'une personne atteinte du diabète prenne de l'insuline, alors pourquoi ont-ils une autre attitude envers ceux qui prennent des pilules pour réguler le niveau de sérotonine dans le cerveau? Comment éliminer cette différence d'attitude?

M. Mair : À mon avis, c'est très difficile. Dès l'enfance on nous apprend que ce sont des fous qu'il faut enfermer, et cetera; on nous dit que ces personnes et il y a toutes sortes d'expressions qui sont employées pour les décrire sont cinglées, qu'ils ont une case en moins, qu'ils ont perdu la boule, et cetera Les gens ont donc du mal à se dire tout d'un coup : « Ah, non; ce n'est pas ça la maladie mentale » lorsqu'ils sont confrontés à quelqu'un de malade et ils sont obligés de faire quelque chose. Cela va prendre beaucoup de temps pour changer les attitudes. Je suis sûr que Svend serait d'accord avec moi pour dire que ça va mieux depuis 10 ou 15 ans, mais nous sommes encore très loin de pouvoir dire que ça va bien. Je ne peux pas parler pour Svend, mais je sais que je trouve encore difficile d'accepter que des gens que je rencontre me disent : « On voit, Rafe, que vous ne maîtrisez pas votre colère quand vous êtes en ondes; vous devriez peut-être prendre des pilules » ou encore « Si vous partez en vacances, n'oubliez pas d'emporter vos petites pilules »; voilà le genre de choses qu'on se fait dire. Je sais que ces gens-là trouvent ça drôle. Moi, aussi, j'écoute les animateurs à la radio. Je me souviens d'une fois où il y a un qui disait : « À mon école, l'équipe de débat était toute petite; elle n'avait qu'un seul membre un schizophrène », et tout le monde est censé rire en entendant ce genre de choses. Ça va de soi. Les journalistes qui écrivent pour le Globe and Mail de Toronto je l'appelle toujours le Globe and Mail de Toronto, soit dit en passant sont pareils. Quand je constate ce genre d'attitude, on me répond : « Vous êtes trop susceptible ». Mais quand vous avez vécu ce que, moi, j'ai vécu, et ce que Bill a vécu et continue de vivre, et ce que Svend a vécu, eh bien, ce genre de remarques vous blessent. Elles vous blessent profondément, et je suis donc convaincu que cela va prendre très longtemps pour changer les attitudes.

Le président : À mon avis, il y aurait lieu de créer un programme national et permanent de communication dans ce domaine. Nous avons réussi à changer l'attitude des gens envers les personnes en fauteuil roulant, par exemple. Rappelez-vous à quel point les attitudes ont changé au cours des 25 dernières années.

M. Mair : Oui, mais personne ne se sentait menacé par ces gens-là; c'est ça le problème. Au fond, nous croyons tous, en notre for intérieur, que nous sommes menacés, que ces personnes vont faire du mal à nos enfants, battre notre chien, et ainsi de suite.

M. Robinson : Je suis tout à fait d'accord avec Rafe. En fait, dans mes petites notes de suivi, j'ai inscrit en premier lieu « Les médicaments », parce que c'est quelque chose de très problématique. Moi-même j'ai eu du mal à accepter cette idée, parce que quand mon psychiatre m'en a parlé, ma première réaction était de lui dire : « Prendre des médicaments? Non, non. » J'avais encore une image de la psychiatrie telle qu'elle a été pratiquée à l'établissement du film One Flew Over the Cuckoo's Nest, et je ne voyais pas me transformer en zombi.

M. Mair : D'ailleurs, il faudrait toujours parler en anglais de « medicine », et non pas de « drugs ».

M. Robinson : Oui, tout à fait. C'est ça que je craignais : être transformé en zombi. J'ai des amis qui ont dû prendre des médicaments pour se soigner, et dans bien des cas, ils étaient souvent un peu en état second. Comme Rafe vient de vous le dire, c'est surtout une question d'éducation et de sensibilisation du public. Ce qui m'a vraiment persuadé, comme j'opposais une certaine résistance à cette idée-là, étant donné que j'avais des problèmes de santé mentale et que certains membres de ma propre famille avaient été atteints de maladie mentale... et pour ma part, j'avais été témoin de l'effet que peut avoir un médicament comme le lithium, par exemple. Le lithium peut vous maintenir en vie, mais comme médicament, il peut aussi avoir un effet très puissant. J'expliquais tout cela au psychiatre qui m'a répondu : « Svend, si vous alliez chez le médecin et qu'après vous avoir examiné, le médecin vous disait : écoutez, vous avez un déséquilibre chimique dans le foie, la rate, ou le rein, et il existe un médicament qui permettra de rectifier ce déséquilibre... »

M. Mair : Je suis diabétique, par exemple. Votre exemple est parfait.

M. Robinson : Oui, vous n'y penseriez pas deux fois avant d'accepter. Bien sûr, j'accepterais de prendre un médicament, parce qu'il permettra de corriger le déséquilibre. Mais si vous avez en vous un déséquilibre chimique qui contribue à causer des maladies mentales, pourquoi ne feriez-vous pas la même chose? C'est là que j'ai justement compris pourquoi je devais le faire, et je me suis dit, il a parfaitement raison, et j'ai accepté d'en prendre. Il se trouve que je ne prends pas ce médicament pour le moment, mais je dois dire que je n'hésiterais pas à le reprendre si on estimait que j'en avais besoin. »Mais ce qui compte par-dessus tout, à mon avis, c'est la sensibilisation et l'éducation du public, et c'est là que vous aussi pouvez aider à faire évoluer les attitudes.

J'ai été député pendant un peu plus de 25 ans pendant très longtemps. Au cours de cette période, j'ai constaté qu'un grand nombre d'excellents rapports déposés par des comités sénatoriaux étaient souvent relégués aux oubliettes, et vous le savez tous aussi bien que moi. Par conséquent, j'espère que le gouvernement fera preuve de leadership, et que Carolyn Bennett à titre de ministre d'État à la Santé publique, qui a une attitude très coopérative et positive à cet égard, et que Ujjal Dosanjh, le ministre de la Santé, accepteront de prendre des mesures concrètes, et qu'il ne s'agira donc pas d'un autre rapport sénatorial qui fait le tour de la question écoutant l'avis des uns et des autres, présentent d'excellentes recommandations et ne donnent absolument rien par la suite. Il faut que nous passions à l'étape suivante en ce qui concerne la sensibilisation et la responsabilisation des dirigeants politiques et que les décideurs se disent : « Oui, il est temps de prendre des mesures. »

M. Mair : Pouvez-vous imaginer que les gens souffrant de maladie physique soient traités par la société comme les personnes atteintes de maladie mentale? Imaginez. Il y aurait des émeutes. Les citoyens prendront d'assaut les assemblées législatives, je vous l'assure. Ce n'est pas normal; en plus de tout le reste, ce n'est pas juste, mais malheureusement c'est vrai.

M. McPhee : Il est important d'examiner ces questions qui sont liées aux droits de la personne dans une optique différente. On parle de l'opportunité de faire interner les gens et ce genre de choses, mais pour moi, il faut surtout tenir compte de leur vulnérabilité; il faut établir des mécanismes qui permettront aux personnes vulnérables de se faire soigner correctement. Beaucoup de gens parlent d'antitraitement, et cetera, mais qu'en est-il du droit d'être bien ou d'être soigné; à mon avis, c'est souvent cet aspect-là qui est négligé.

Le sénateur Pépin : Je suis contente de revoir mon ancien collègue, M. Robinson. Vous avez toujours défendu les bonnes causes et vous avez toujours été prêt à vous battre, et si vous avez décidé de vous battre pour cette cause-là, je suis sûre qu'encore une fois, vous allez réussir.

Vous avez parlé de peur et de stigmatisation. Nous avons justement beaucoup entendu parler de la déconsidération et du discrédit qui touche les personnes atteintes de maladie mentale, et même si le sénateur Kirby a déjà posé ma question, j'estime que les témoins essayaient de nous faire comprendre qu'il faut lancer une campagne de sensibilisation du public. J'ai toujours pensé qu'il faut faire exactement ce qu'on a fait pour certaines maladies physiques, pour la conduite en état d'ébriété, et cetera Si nous commençons à sensibiliser les enfants à l'école... certains témoins nous ont dit qu'ils vont dans les écoles avec des marionnettes et que l'enseignant et les enfants réagissent de façon positive à leurs explications. Peut-être devrions-nous donc commencer cette sensibilisation quand les enfants sont encore jeunes, de sorte que la prochaine génération ne voit pas de différence entre les deux. Serait-ce une possibilité à explorer, ou quel serait le meilleur moyen, à votre avis? C'est tellement terrible pour quelqu'un atteint d'une maladie mentale d'être stigmatisé. Avez-vous pensé à ce qu'on pourrait faire pour enrayer ce problème?

M. Robinson : Vous faites une excellente suggestion, car bien entendu, les attitudes se créent lorsqu'on est encore enfants. Mais rappelez-vous qu'on peut très bien agir auprès des enfants lorsqu'ils sont à l'école, mais lorsqu'ils retournent chez eux et qu'ils voient les images à la télévision, cela les influence et c'est justement ça l'un des plus gros obstacles auxquels nous faisons face en cherchant à éliminer cette stigmatisation.

Dans l'allocution que j'ai prononcée en Nouvelle-Écosse et encore une fois, vous êtes certainement au courant de cette information j'ai mentionné qu'on avait fait une analyse du contenu des émissions de télévision américaines qui a permis de constater que plus de 70 p. 100 des principaux personnages atteints d'une maladie mentale des émissions de télévision diffusées aux heures de grande écoute sont présentés comme étant des gens violents, alors que plus d'un cinquième d'entre eux sont présentés comme étant des assassins aliénés. Il n'est guère étonnant que les gens, qu'il s'agisse d'enfants ou d'adultes, déconsidèrent les personnes atteintes de maladie mentale, parce que ce sont ces images-là qu'on leur présente. C'est très destructeur, premièrement, parce que cela influe sur leur façon de traiter d'autres personnes qui peuvent être atteintes de maladie mentale, et deuxièmement, parce que cela les affecte. Je sais que cela m'a affecté, parce que je ne voulais pas qu'on me traite comme si j'étais un tueur aliéné. Je ne pouvais accepter que c'était une maladie comme une autre. Si je devais vous dire quel élément me semble vraiment très important, ce serait d'essayer d'agir sur la perception publique des maladies mentales, et de faire ce qu'on peut pour aider les gens à comprendre ce que c'est que d'être atteint d'une maladie mentale. Vous en avez parlé dans votre rapport, mais je trouve honteux que notre gouvernement national ne fasse pas preuve de leadership dans ce domaine. Nous sommes à mon avis le seul pays membre du G-8 qui n'ait pas de stratégie nationale dans ce domaine. Comme vous le disait Rafe, c'est tout à fait inadmissible que nous ayons des stratégies nationales sur tant d'autres choses. Encore une fois, si je voulais établir un parallèle, je vous parlerais du combat que j'ai dû mener dans les années 1980 pour faire accepter par le gouvernement de l'époque qu'il élabore une stratégie nationale sur le VIH et le SIDA. Certains d'entre vous étiez là à l'époque, et vous savez que la réponse était de nous dire : « Non, il n'en est pas question ». C'est justement cette peur et cette déconsidération qui caractérisaient leur attitude. C'est la même chose. Nous avons été l'un des derniers pays à élaborer une stratégie nationale sur le SIDA. C'est embarrassant et même honteux que nous soyons l'un des derniers pays du monde à élaborer une stratégie nationale sur la santé mentale, et j'espère donc que le comité insistera beaucoup auprès du gouvernement pour qu'il élabore une stratégie nationale et qu'il prévoie les ressources nécessaires d'ailleurs, Roy Romanow a fait des recommandations importantes au sujet de la santé mentale et les problèmes dans ce domaine pour prendre en charge cet enfant orphelin.

Si vous me permettez de faire une dernière recommandation, d'ordre pratique, parce qu'elle est très semblable, je dois préciser que je suis d'accord avec Rafe au sujet de la création d'un ministère spécial. Je n'aime pas cette idée-là, mais par contre, si le gouvernement crée une équipe à qui il confie la tâche de donner suite à ces recommandations, voilà justement une mesure concrète que vous pourriez recommander.

M. McPhee : Vous parlez de la possibilité d'un plan stratégique national, et ce à quoi je travaille à titre personnel en ce moment, c'est la création d'un plan de soins. Par exemple, il existe un plan d'intervention pour le cancer du sein. Une personne qui découvre une grosseur au sein va voir son médecin, et son médecin aura un plan en bonne et due forme pour la soigner. Elle devra faire faire des radios et une mammographie. Il y a tout un régime ou toute une série d'interventions qui sont prévues pour les personnes atteintes d'un cancer, par exemple, et on continue de les suivre jusqu'au moment où elles succombent à leur maladie ou pendant les 25 ou 30 ans qu'elles vont continuer à vivre; on les revoit chaque année. Mais dans le domaine de la santé mentale, il n'y a pas de plan de soins qui permettrait aux gens de savoir quel régime doit être suivi. Mais si vous créez un plan d'activité ou un plan de soins, vous saurez dans quel secteur précis vous devrez insister auprès des autorités pour qu'il comble les besoins. Par exemple, à l'heure actuelle, les personnes atteintes d'une maladie mentale ne font pas l'objet d'un suivi annuel ni même régulier.

Le sénateur Pépin : Monsieur Mair, en ce qui concerne les médicaments, vous dites que vous avez pris des médicaments et que cela vous a beaucoup aidé, et nous vous croyons, bien entendu, mais d'autres personnes nous ont dit qu'elles devraient avoir le droit de dire : « Non, je ne veux pas prendre de médicaments ». Selon elles, les médecins ont tendance à prescrire trop de médicaments. Elles veulent avoir le droit de dire : « Je ne veux pas prendre de médicaments et je ne veux pas suivre vos conseils ». Qu'en pensez-vous?

M. Mair : C'est cette question-là qui est vraiment la plus épineuse dans ce contexte. Nous avons tenu justement ce débat au sein du gouvernement provincial il y a quelques années : peut-on forcer quelqu'un à prendre ces médicaments? C'est une question très difficile qui relève des libertés civiles des citoyens. Je suppose que ma réponse serait de dire que, ou alors il faut mettre les gens en quarantaine et les gens n'ont pas envie d'être en quarantaine alors je suppose qu'il s'agit de les persuader. Je ne voudrais pas qu'on décide tout d'un coup que les gens seront désormais forcés de prendre leurs médicaments. Par contre, sénateur, vous-même l'avez dit, et c'est un point très important : les responsables des services de santé et les gens qui travaillent dans ce domaine doivent avoir la possibilité de dire aux gens qu'il leur faut prendre leurs médicaments, sinon il y aura des conséquences. Je suis convaincu que les gens n'aimeront pas du tout ça, mais peut-être faut-il leur dire : « Écoutez, monsieur Smith et madame Jones, il va peut-être falloir vous interner pour garantir non seulement votre sécurité, mais celle du public, si vous refusez de prendre vos médicaments ». Le problème, bien entendu, c'est que quand on est atteint d'une maladie mentale, on a un comportement irrationnel, et ça peut signifier qu'on n'a pas envie de prendre des médicaments. Évidemment, les maladies mentales n'ont rien de rationnel, et c'est justement ça le problème. C'est le chien qui essaie d'attraper sa queue. Je n'ai pas de réponse à vous faire, si ce n'est que nous devrions à mon avis nous assurer qu'il y aura au moins certaines conséquences si on ne le fait pas, ou inversement, qu'il y aura des récompenses si on le fait.

Le sénateur Pépin : S'agissant des médecins, vous dites qu'ils ne sont pas bien rémunérés. À votre avis, ont-ils reçu la bonne formation?

M. Mair : Non, c'est justement ce que je vous dis, sénateur; ils ne sont pas formés. Des fois ils vont vous dire qu'ils le sont, mais ce n'est pas vrai. Ils ne reçoivent pas la bonne formation dans les écoles de médecine. Je sais que c'est le cas pour en avoir parlé avec le directeur de l'Association médicale de la Colombie-Britannique et d'autres. Les collèges de médecins et de chirurgiens, comme tous les organismes cloîtrés chargés d'administrer l'exercice du droit, de la médecine, et des autres professions, ne sont évidemment pas prêts à en faire une condition d'exercice, alors que c'est ce qu'il faut faire. Pouvez-vous imaginer qu'un omnipraticien soit incapable de diagnostiquer une jambe cassée, un cancer ou une autre affection du même genre? Vous allez vous dire que ce n'est pas un médecin entier. Ce serait tout à fait par hasard que ce médecin soit suffisamment bien renseigné sur les maladies mentales pour vous aider à vous en sortir. Le problème, c'est que les médecins essaient de voir un patient toutes les 12 minutes en moyenne. C'est à ce rythme qu'ils soignent leurs patients, du moins en ce qui concerne la plupart des problèmes de santé qu'ils peuvent avoir. Or il faut passer entre 45 minutes à une heure avec un patient atteint d'une maladie mentale avant même de pouvoir commencer à le soigner, et il faut prévoir des séances de cette durée, ou un peu moins, à répétition pendant longtemps peut-être un an ou deux. Là je vous cite le cas du Dr Teresa Hogarth, qui a dû cesser d'exercer la médecine parce que la grande majorité de ses patients étaient des personnes atteintes d'une maladie mentale qu'on avait aiguillées vers elle, alors qu'elle n'était pas en mesure de vivre avec ce qu'elle touchait pour ces consultations. Elle a fini par accepter un travail dans une compagnie pharmaceutique. C'est très grave, vous ne trouvez pas? C'est justement là le problème, et c'est un problème particulièrement épineux. Il ne s'agit pas de se dire : « Voici la solution magique », mais plutôt de commencer à prendre des mesures. Il faut faire pression sur les écoles de médecine, sur les collèges, sur les associations médicales, et sur les ministres de la Santé et les premiers ministres provinciaux pour que cela se fasse. Cela ne sert à rien de changer les attitudes et de faire en sorte que les gens ne soient plus stigmatisés s'ils ne sont pas du tout en mesure de trouver quelqu'un pour les soigner. Cela ne sert à rien que vous fassiez votre travail, que je vous parle des problèmes, ou que quiconque en parle.

M. Robinson : Je suis entièrement d'accord en ce qui concerne la profession médicale et la formation des médecins, mais j'estime qu'il y a une autre profession qui doit être sur la première ligne dans cette lutte, et il s'agit de la profession enseignante. Cette dernière est l'une des professions à la fois la plus importante et la moins valorisée. À cet égard, je vous recommande de lire un rapport sénatorial, si vous ne l'avez pas encore vu, préparé il y a bien des années. Je me souviens d'avoir montré ce rapport à différents citoyens lors de ma première campagne en 1979 : il était intitulé Un enfant à risque. Je vois que quelques personnes font oui de la tête; peut-être le connaissez-vous. En fait, c'est l'un des rapports les plus importants que j'aie jamais lu. Dans ce rapport, on parle justement de la nécessité de détecter les problèmes chez les enfants très tôt, d'investir dans des services destinés aux enfants et de laisser de côté l'aspect moral et déontologique; on y conclut que ce genre de stratégie ferait une énorme différence. Je parle à des enseignants qui me disent : « Je sais que les enfants dans ma classe ont des problèmes et ont vraiment du mal à s'en sortir », mais que doivent-ils faire? Premièrement, il faut bien former les enseignants pour que chaque enseignant soit à même de déterminer quels enfants sont à risque. Deuxièmement, il faut s'assurer que lorsque les enseignants auront déterminé quels enfants sont à risque, on pourra faire quelque chose; c'est-à-dire que des professionnels compétents pourront soigner ces enfants. À l'heure actuelle, il arrive trop souvent que ce ne soit pas le cas. Troisièmement, il faut consulter les gens qui travaillent dans le secteur correctionnel, parce qu'ils vous diront exactement la même chose, comme ils l'ont sans doute déjà fait.

Le président : Ça va vraiment mal.

M. McPhee : S'agissant du problème de la stigmatisation des personnes atteintes de maladie mentale, je pense que l'éducation des enseignants est importante, comme vous le dites, Svend, mais l'éducation des médias est également bien importante. Si vous avez la possibilité d'aller dans les écoles de journalisme d'un bout à l'autre du Canada, vous allez changer les attitudes de toute une génération de journalistes, qui s'assureront de présenter les faits à la population.

Le président : C'est intéressant ce que vous dites, parce qu'au Royaume-Uni et en Australie, c'est justement ce qu'ils ont réussi à faire grâce au travail d'un journaliste.

Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai eu le plaisir d'écouter M. McPhee à deux reprises maintenant, ici et au petit déjeuner organisé par l'Association de schizophrénie, et c'était magnifique à chaque fois. Il a prononcé un discours formidable qui nous a profondément touchés. Je suis très contente de le revoir. Je ne m'y attendais pas.

Messieurs, je dois vous dire que j'ai trouvé vos interventions très positives, et cela m'a vraiment touchée. Monsieur Mair, je suis d'accord avec vous en ce qui concerne les médecins. Je suis moi-même médecin, et je pense qu'il faut exercer des pressions sur les décideurs. Dans ma province, nous avons le droit de faire du counseling pendant des périodes de 30 minutes pour lesquelles on est mieux rémunéré, mais il va sans dire qu'on touche moins que si l'on traitait un patient toutes les cinq ou 10 minutes. Les médecins sont très réticents à consacrer leur temps à ce genre de counseling, et c'est souvent en raison du nombre de patients dans les salles d'attente; en tout cas, merci pour vos observations au sujet des médecins. À mon avis, votre apport est important, comme l'est ceux de bien d'autres personnes, et ce que vous dites est tout à fait vrai.

Monsieur Robinson, vous serez peut-être intéressé de savoir que j'ai inscrit un point d'interrogation sur ma feuille quand vous avez parlé au départ d'intervention précoce. Ensuite vous en avez reparlé un peu, mais je pense que vous en fait, chacun d'entre vous pouvez peut-être nous donner d'autres conseils à ce sujet cet après-midi, car en ce qui me concerne, ce sont les interventions précoces qui vont permettre de faire progresser la situation. Je vous invite donc à nous faire part de vos conseils pratiques à ce sujet. J'aimerais vous demander aussi vous croyez que la situation s'améliore en ce qui concerne l'attitude du public, les médicaments et les thérapies actuelles? Si on élimine les médicaments, car comme vous le savez, bien des médicaments posent problème à l'heure actuelle, et je vous invite donc à nous dire où nous en sommes actuellement au Canada, comparativement à la situation il y a 25 ans, et à nous parler aussi des interventions précoces.

M. Mair : Pour ce qui est de savoir si la situation s'améliore, je vous dirais que oui, mais c'est un oui qualifié. Si mon oui est « qualifié », c'est parce que nous sommes si loin d'avoir progressé autant que nous aurions dû le faire que nous ne devrions même pas essayer d'évaluer notre succès pour le moment. Si je peux revenir sur ce que disait Svend tout à l'heure, les conseils scolaires, entre autres, doivent être sensibilisés à cette problématique pour pouvoir en détecter les signes. Le fils de mon cousin et un de mes neveux se sont suicidés quand ils étaient encore adolescents. Dans ces deux cas, nous savons maintenant, rétrospectivement, qu'il y avait certains indices. Peut-être verrons-nous plus facilement ces indices maintenant que ce n'était le cas il y a une vingtaine d'années quand ils sont suicidés, mais j'insiste sur la question de l'éducation. Je sais que je me répète et je vais continuer à le faire : tout cela ne sert à rien si 25 ou 30 p. 100 des médecins ne sauront déceler la présence d'une maladie mentale chez les personnes qu'ils soignent. Cela ne sert à strictement rien.

Le sénateur Trenholme Counsell : Cette connaissance devrait être jugée aussi fondamentale que celle de connaître le nom des os.

M. Robinson : Il y a un autre groupe de personnes qui doivent participer au débat, et ce sont les membres des familles touchées par cette problématique. Bien souvent, les gens n'ont pas suffisamment d'information pour savoir déceler les indices précurseurs, et il en va de même pour les médecins dans bien des cas. Si 30 p. 100 des médecins ne sont pas en mesure de reconnaître les indices, imaginez ce que c'est dans les familles. Encore une fois, je me fonde sur mon expérience personnelle pour vous faire cette affirmation. Dans mon cas, certains comportements étaient des indices bien clairs : le fait de dormir très peu pendant de longues périodes, et ce genre de choses. Mais je ne les comprenais pas vraiment. Je ne les reconnaissais pas moi-même, mais si mon partenaire, Max, ou d'autres avaient su de quoi il peut s'agir, et quels sont les indices importants chez des gens que vous aimez, au moins quand cela se produit, on peut passer à l'étape suivante. On peut lui dire : vous devriez vous faire soigner, et espérer ensuite que vous trouverez un médecin qui puisse soigner cette personne; mais au moins à cette première étape dans les foyers, essayons au moins de donner aux familles les outils qui vont leur permettre de faire ce dépistage initial. En tant que société, nous ne faisons pas cela, alors que cela me paraît très important.

M. Mair : Environ 50 p. 100 ou plus des gens qui appellent pour parler de leur dépression sont des hommes, et environ la moitié me disent : « Vous savez, ma femme me dit qu'elle, aussi, tombe malade, mais qu'elle ne passe pas tout son temps chez les médecins; quand elle est déprimée, elle ne consulte pas un médecin » et cetera, et cetera Il pourrait s'agir du mari, plutôt que de la femme. Je ne cherche pas à faire une distinction, mais le fait est qu'il arrive bien souvent que le conjoint ou le partenaire de la personne qui souffre ne l'appuie pas, et qui plus est, rend la situation bien plus grave encore. Ce que dit Svend est tout à fait vrai. La société ne va pas se transformer du jour au lendemain, mais il faut commencer à sensibiliser tout le monde à cette situation, et surtout à éduquer les familles pour qu'elles soient en mesure de détecter les indices chez les enfants, chez les conjoints, et cetera, parce que le conjoint fait souvent partie du problème.

M. McPhee : Les familles sont très importantes aussi. Les personnes atteintes d'une maladie mentale qui s'en sortent sont celles qui bénéficient de l'appui de leur famille, à mon avis, et leur famille influence beaucoup leur façon de voir les choses. Ce qui arrive souvent, c'est que les personnes atteintes d'une maladie mentale arrivent à stabiliser leur situation, mais là tout d'un coup elles n'avancent plus. Devant une situation où il ne semble pas y avoir de possibilités pour eux, les gens se disent, après avoir fait quelques tentatives qui ne débouchent sur rien : « C'est fini; je ne vais plus rien essayer. Je vais continuer à me faire soigner par un psychiatre pour le restant de mes jours et à toucher les allocations qui me sont versées en vertu du programme ontarien de soutien aux personnes handicapées. »

Si vous me permettez une analogie, ma femme est philippine; et quand elle est venue au Canada, elle est retournée aux études pour apprendre à se servir d'un ordinateur, elle a obtenu son permis de conduire, elle a suivi un cours sur la tenue de la comptabilité, et maintenant elle tient les livres de quatre compagnies différentes. Elle m'a fait remarquer qu'il arrive très souvent que les gens qui s'installent dans un autre pays réussissent bien, parce qu'ils n'ont pas trouvé de débouchés dans leur pays d'origine, mais là où ils vivent il y a partout des possibilités. Je ne voudrais pas manquer de respect envers quiconque en disant cela, mais peut-être faut-il considérer les personnes atteintes de maladie mentale un peu comme la population d'un pays du Tiers monde, c'est-à-dire un peu comme un pays en développement, si je peux me permettre cette analogie.

M. Mair : L'un des aspects des maladies mentales qui n'est pas bien compris et je crois que mes collègues seront d'accord avec moi c'est l'irrationnel. Je savais que je n'avais pas un cancer du foie. La partie de moi qui réfléchissait encore me disait : « Tu n'as pas un cancer du foie », mais l'autre partie du moi qui me disait : « Oui, tu as un cancer » l'emportait sur l'autre. Cela ne sert strictement à rien de dire aux gens : « Votre comportement est irrationnel et vos pensées sont irrationnelles. » C'est justement ça le problème. On est irrationnel, et parfois c'est en raison d'un manque de sérotonine ou d'autres choses; il reste que je trouve tellement frustrant que les gens me disent : « Pourquoi faites-vous cela, Rafe? Pourquoi ressentez-vous cette grande anxiété? Vous avez les meilleures cotes d'écoute, vous gagnez plein d'argent, et vous n'avez aucune raison de vous inquiéter. » Une partie de moi le sait, mais l'autre partie me dit : « Non, non, ce n'est pas du tout vrai. »

Le sénateur Trenholme Counsell : Le gouvernement fédéral est évidemment limité au point de vue de ce qu'il peut faire, puisque la prestation des soins de santé est du ressort des provinces. Mais pensez-vous qu'un programme massif de sensibilisation du public serait utile? Je n'aime pas cette notion d'autodéclaration, si je puis dire, mais êtes-vous vraiment d'avis que c'est aussi grave d'avoir à déclarer qu'on est atteint d'une maladie mentale que d'avoir à déclarer son homosexualité? Un témoin nous a dit hier que les femmes sont six fois plus susceptibles d'avoir des crises d'anxiété. Mais je ne suis pas du tout d'accord. Je pense au contraire que les hommes ont tendance à tout garder pour eux et que certains n'admettent peut-être jamais qu'ils ont un problème.

M. Mair : Les femmes ont davantage l'habitude d'aller voir le médecin.

Le sénateur Trenholme Counsell : À votre avis, pouvons nous vraiment faire ce genre de choses?

M. Mair : Quand il s'agit de déterminer ce qu'on peut faire parce qu'il y a évidemment des choses que vous pouvez faire et d'autres que vous ne pouvez pas faire il faut évidemment se concentrer sur ce qui est possible. Avons-nous besoin d'une campagne d'éducation publique? Oui, bien sûr; il n'y a aucune doute à ce sujet. Mais il ne faut pas se contenter d'envoyer de la documentation aux citoyens. Il faut trouver le moyen de faire l'éducation du public en permanence.

Le président : Si nous avons pu mener à bien la campagne Participaction dans les années 1970 et faire de la publicité antitabac, nous pouvons certainement faire cela.

Le sénateur Cordy : J'ai été vraiment fascinée par les discussions cet après-midi.

Je voudrais vous parler des familles et du suivi à assurer.

Le président : Je me permets de vous signaler que le sénateur Cordy a été institutrice dans les écoles primaires pendant une trentaine d'années.

Le sénateur Cordy : C'est exact.

Svend, merci pour vos observations, et je dois vous dire à ce sujet, si je peux me permettre de présenter le point de vue de l'enseignant, qu'il est vrai que les enseignants sont très souvent exclus du système d'intervention. Quand on a déjà eu des centaines et des milliers d'élèves dans sa classe, on a une assez bonne idée des comportements qui correspondent... j'hésite à dire « à la norme », mais disons qui correspondent à des comportements courants chez les enfants. Ce sont des comportements qui vont plus loin que le simple fait de perturber l'activité en classe ou d'être timide et ne pas vouloir avoir des rapports avec d'autres enfants. Mais le fait est que le plus souvent, on ne donne pas d'information aux enseignants et on ne leur demande pas non plus conseil.

Je voudrais revenir sur la question des familles, et vous avez tous dit que les familles sont importantes. Comme vous l'a fait remarquer le sénateur Kirby au début de la séance, nous avons tous des parents ou des amis chez qui on a diagnostiqué une maladie mentale, mais pour les familles, c'est souvent très frustrant. Il y a des lois sur la protection des renseignements personnels, si bien que les familles se font souvent dire : « Désolés, nous ne pouvons pas vous fournir ce renseignement, parce que le patient ne veut pas que vous sachiez certaines choses. » Ce n'est pas que les familles doivent connaître tous les détails, mais si l'on souhaite qu'elles participent à la guérison de la personne atteinte d'une maladie mentale, convient-il de les exclure et de refuser de leur donner quelque information que ce soit?

M. Mair : Me demandez-vous s'il faut exclure les enseignants?

Le sénateur Cordy : Non. Excusez-moi; cela fait partie de mon préambule. Je vous parle plutôt des familles et des membres de la famille.

M. Mair : Encore une fois, cela soulève la question épineuse des droits des uns et des autres. J'estime, personnellement, que les parents devraient être au courant. Si vous vous demandez ce qui devrait être prioritaire, je dirais qu'il est plus important de divulguer la formation pertinente aux parents que d'être le conseiller confidentiel de l'enfant. Je sais que c'est une situation difficile. Les jeunes ne vont pas aller voir leur professeur s'ils savent que celui-ci parlera à leurs parents, si bien qu'il faut toujours faire preuve de discrétion et de beaucoup de bons sens. Mais s'il faut envisager des sanctions, à mon avis, il ne faudrait certainement pas pénaliser les parents pour avoir voulu se renseigner, ni la personne qui fournit les renseignements. Il s'agit de faire preuve de jugement.

M. Robinson : C'est vrai, mais je craindrais un éventuel effet d'ordre thérapeutique si un enfant ou un jeune qui s'adresse à un psychiatre ou à un autre professionnel pour se faire soigner apprenait que ce qu'il lui dit pourrait être divulgué à ses parents. Il me semble qu'à peu près la seule exception qu'il faut faire à la confidentialité absolue qui doit exister entre les deux serait une situation où la vie du jeune ou de l'enfant serait menacée, par exemple. Dans une telle situation, il est clair que la nécessité de protéger la vie du jeune l'emporte sur celle d'assurer la confidentialité de l'information. Cependant, je trouverais troublant qu'un psychothérapeute ou un psychiatre estime être obligé de presque tout dire aux parents. Dans certains cas, les parents peuvent mal comprendre ce qui risque de poser des problèmes quand l'enfant rentre chez lui. De plus, l'enfant ne fera plus confiance à son psychothérapeute, qui ne pourra plus du tout l'aider. Alors je comprends pourquoi vous posez cette question.

Le sénateur Cordy : Il ne s'agirait pas de raconter tout ce qu'une personne aurait dit à son psychothérapeute. Je dis simplement qu'on informerait le parent, le frère, la soeur, le conjoint ou un membre de la famille. « Voici le diagnostic et voici ce que nous devons faire. »

M. Mair : J'estime que c'est une question de jugement parce que supposons qu'un médecin diagnostique un cancer en phase terminale et estime que son patient vivra plus longtemps et sera mieux servi s'il ignore que son cancer est en phase terminale, puisqu'il aura toujours de l'espoir. Par contre, ce médecin peut décider de dire à sa femme ou à son mari : « Cette information est confidentielle, mais pour l'aider à s'en sortir » et cetera, et cetera, et cetera. « j'estime qu'il est préférable de vous dire que votre conjoint est atteint d'un cancer en phase terminale. » Encore une fois, c'est une question de jugement, et voilà justement ce dont je parle; il faut soi-même porter un jugement sur la situation. Si vous prévoyez noir sur blanc qu'il ne faut absolument rien dire, pour moi, le plus souvent vous allez faire plus de mal que de bien.

Le sénateur Cordy : Vous dites que c'est une simple question de bon sens.

M. Mair : Oui, tout à fait. Il s'agit de faire preuve de bon sens. C'est justement ça le problème de notre société à l'heure actuelle. Il faut tout codifier. Le bon sens ne semble plus du tout compter.

Le sénateur Cordy : Moi, aussi, je voudrais revenir sur la question de la stigmatisation et de la déconsidération des personnes atteintes de maladie mentale. Svend, vous avez très bien expliqué la situation en disant que lorsqu'on fait primer l'aspect humain, cela fait moins peur aux gens. Vous trois vous vous présentez en public aujourd'hui pour raconter votre histoire et nous aider à comprendre l'aspect humain des maladies mentales. En fait, vous êtes les champions de la cause des maladies mentales, et c'est la même chose pour ce déjeuner organisé à Halifax dont nous parlait Svend; des personnalités publiques acceptent de venir raconter leurs histoires. Nous avons aussi entendu dire qu'au sein du système de soins proprement dit, les personnes atteintes d'une maladie mentale sont stigmatisées aussi, puisqu'elles ne sont pas traitées avec la même dignité qu'une personne atteinte d'une maladie physique. On nous a parlé à maintes reprises de cas où des personnes se sont présentées à l'urgence et ont dû attendre 10 ou 12 heures avant d'être soignées. Nous savons tous qu'il faut attendre à l'urgence, mais ceux qui ont des maladies mentales semblent toujours passer en dernier. On a donc un peu l'impression que même au sein du système de soins lui-même, ces personnes sont déconsidérées.

M. Mair : À mon avis, cette déconsidération est présente à tous les niveaux de la société, y compris aux niveaux supérieurs.

J'espère que Svend et Bill seront d'accord avec moi pour dire que c'est auprès des premiers ministres provinciaux et du premier ministre fédéral qu'il faut faire accepter cette idée, pour qu'elle puisse filtrer dans tout le système. C'est là qu'il y a souvent une rupture. Les ministres de la Santé ne sont pas au courant, parce que les ministres de la Santé ne cherchent pas à savoir. Pourquoi ne cherchent-ils pas à savoir? Eh bien, parce que les premiers ministres provinciaux ne les forcent pas à le faire. Pourquoi les premiers ministres provinciaux ne cherchent-ils pas à savoir? C'est parce que les premiers ministres ne leur disent pas, lors des conférences de premiers ministres : « Écoutez, voilà ce que nous devons faire. » Je sais que cela peut vous sembler farfelu, mais vous pouvez me croire : c'est vrai. J'ai été ministre de la Santé dans cette province, et je sais de quoi je parle. La tendance, à cause des conseils du Trésor, et cetera, consiste toujours à éviter les problèmes s'il est possible de les éviter. Tant que cette motivation continuera d'être présente le ministre de la Santé doit toujours respecter le budget fixé pour l'exercice en cours, et non pour les exercices futurs il y aura toujours un certain nombre de personnes qui passent entre les mailles du filet parce que le ministre de la Santé n'a tout simplement pas les crédits nécessaires pour leur donner ce qu'il leur faut. Je sais que je donne l'impression de faire des corrélations un peu tirées par les cheveux, mais au fond cela nous ramène toujours à la même chose. Quand les vrais dirigeants du Canada auront compris de quoi on parle, il faudra trouver le moyen de faire comprendre à ceux qui travaillent à l'urgence qu'il est temps qu'ils prennent conscience de cette problématique.

M. Robinson : C'est comme pour tout. Il faut savoir ce qui peut avoir un impact politique. À mon avis, c'est justement ça le vrai problème et la vraie lutte des personnes atteintes de maladie mentale et de leurs familles; c'est ça leur crise. Le fait est que dans bien des cas, ces dernières n'ont pas suffisamment de ressources, d'énergie ou de temps pour devenir des porte-parole ou les champions d'une cause. Ils ont déjà du mal à assurer leur propre survie. Voilà donc le défi collectif auquel nous somme confrontés. Il importe que leurs opinions soient entendues, mais il est également très important de reconnaître que nous avons la responsabilité collective de parler publiquement de cette problématique. Voilà pourquoi je suis si content que vous soyez là.

Le président : C'est justement pour ça que nous sommes là.

Le sénateur Cook : Je suis d'une plus petite province, à savoir Terre-Neuve, où nous n'avons pas beaucoup de ressources, mais nous arrivons à nous en sortir d'une façon ou d'une autre. J'avoue en avoir un peu assez d'entendre parler de « stigmatisation ». Que faut-il faire pour enrayer ce problème? Faut-il cesser de prononcer ce mot en espérant que le problème se réglera lui-même; ou allons-nous prendre des mesures pour faire évoluer la situation? Que devons-nous faire? Nous sommes coincés et nous avons cessé d'avancer. Nous pouvons toujours parler de l'apport des médecins de famille et des psychothérapeutes. Nous pouvons lancer une campagne permanente de sensibilisation du public. Nous pouvons faire toutes sortes de choses. Mais l'argent seul ne permettra pas de régler le problème. Il y a suffisamment de crédits qui circulent déjà dans le système de soins pour permettre de réaffecter certaines ressources. À mon avis, il faut faire les choses différemment. Dans l'autobus, à Ottawa l'autre jour, je lisais cette phrase « La maladie mentale est un parcours difficile ». Mais c'est notre parcours à nous tous. Nous avons parlé du travail du comité et de la nécessité de défendre les personnes atteintes de maladie mentale. Tout cela est bien beau, mais si vous deviez construire une maison, commenceriez-vous par faire le toit, ou plutôt les fondations? Je pense que nous devons, d'une façon ou d'une autre, réussir à mobiliser la population; il faut trouver une stratégie qui va nous permettre de nous en sortir. Nous espérons que notre stratégie nationale nous permettra de le faire jusqu'à un certain point, mais il faut trouver le moyen que cela passe ou non par un programme de communications national de sensibiliser le public en racontant toute l'histoire. À ce moment-là, nous pourrons soigner les gens chez eux. Et nous aurons rempli notre mandat. J'aimerais que vous sortiez un petit peu des sentiers battus et que vous voyiez la problématique dans mon optique, car plus le dialogue se poursuit, plus nous entendons ce terme « stigmatisation ». Ou alors nous cessons d'en parler, ou alors nous trouvons le moyen de l'éliminer. Mais comment?

M. Mair : Je voudrais insister sur une chose : cette stigmatisation est très réelle. Vous n'allez pas l'éliminer en vous contentant de ne plus en parler. Cela remonte loin... à l'époque de nos arrière-grands-pères qui allaient à Bedlam pour voir les fous le week-end. Ça nous ramène aux histoires qu'on nous racontait, quand on était enfants, à propos des croque-mitaines, et tout ça. C'est si profondément enraciné dans notre psyché que cela empêche effectivement les personnes atteintes d'une maladie mentale de chercher à se faire soigner. Avant d'être malade moi-même, je n'aurais jamais cru que je puisse être atteint d'une maladie mentale. Comment une personne comme moi individualiste farouche qui ne mâche pas ses mots, qui adore boire, courir après les femmes et tout le reste comment pourrais-je souffrir d'une tare de ce genre? Eh bien, laissez-moi vous dire que c'est quelque chose de très réel. Il est certain qu'on va vous critiquer, que les gens vont vous regarder et voudront vous faire interner, qu'ils ne voudront pas vous engager, et n'auront pas non plus envie d'être avec vous dans des soirées, et cetera Vous serez convaincu, si vous êtes Rafe Mair, qu'une fois que les gens savent que vous souffrez de dépression, qu'ils se diront que Rafe Mair est fou. Vous serez surpris de voir combien de gens parlent de vous à voix basse. Mes amis se diront : « Rafe est un peu cinglé » ce genre de choses. Même après tout ce que j'ai fait, tout ce que Svend a fait et que Bill a fait, cette attitude persiste encore. C'est un gros problème.

M. McPhee : La maladie mentale est essentiellement une maladie des jeunes, si l'on se fonde sur son historique. Nous avons encore une génération de personnes plus âgées qui se souviennent encore d'avoir emmené leurs enfants chez le médecin et d'avoir entendu un psychiatre leur dire : « C'est à cause de la façon dont vous avez élevé votre fils ou votre fille. » Si on vous dit cela, aurez-vous envie de dire à d'autres que votre enfant est atteint de telle maladie à cause de vous? Aujourd'hui nous savons que c'est causé par un déséquilibre chimique et tout le reste. Nous sommes mieux informés, mais il faut un certain temps avant que la queue ne rattrape le chien, en quelque sorte. C'est pour cette raison que dans l'esprit des personnes plus âgées, il y a encore tous ces sentiments négatifs.

M. Mair : Permettez-moi de vous en citer un petit exemple. Depuis longtemps, je n'accepte pas les conditions d'élevage du saumon de l'Atlantique en Colombie-Britannique. Je suis toujours après le gouvernement; je fais constamment pression sur lui et je lui rends la vie difficile, et cetera. Il y a quatre ou cinq ans et je vous assure que je ne suis pas paranoïaque il y a eu une campagne de murmures chez les membres de l'Assemblée législative et leurs partisans, si bien que les gens se disaient entre eux « Ne tenez pas compte de ce que dit Rafe, parce qu'il est un peu fou, vous savez. En ce moment, il se fait soigner par un psychiatre pour des problèmes de santé mentale. »

Voilà donc un exemple pratique de la déconsidération qui touche des personnes comme moi. Même quand vous pensez avoir convaincu les gens que tout va bien, et que vous êtes comme tous les autres, avant longtemps quelqu'un y verra une faiblesse et s'en servira contre vous.

M. Robinson : Je pense que vous avez posé une question importante. Je suis d'accord avec Rafe. On peut espérer que ces attitudes disparaissent, mais il y a une réalité à laquelle on ne peut échapper. En ce qui concerne les fondations, vous avez parfaitement raison. Quand vous avez parlé de ce que vous avez vu dans l'autobus à Ottawa, cela m'a rappelé un incident dont on a récemment parlé dans les journaux. Quand j'étais en route pour Halifax le mois dernier, j'ai fait une escale à Ottawa et j'en ai profité pour acheter l'Ottawa Citizen. Là j'ai lu un article je ne sais pas combien d'entre vous l'avez vu au sujet d'un immeuble d'habitation qui avait brûlé à Ottawa. C'était un immeuble qui abritait des personnes atteintes de maladie mentale. Ce qui m'a vraiment frappé, c'est que l'immeuble d'habitation en question aurait dû être condamné; les normes de construction étaient totalement inacceptables. Mais étant donné que les personnes qui y habitaient étaient atteintes de maladie mentale, on estimait que ce n'était pas si important... Donc, quand vous parlez de fondations, qu'est-ce que cela veut dire au juste? Construire les fondations, cela veut dire qu'on permet aux gens d'avoir un logement décent, d'avoir accès à de bons soins de santé lorsqu'on en a besoin, et si vous êtes adolescents, de n'avoir pas à attendre six mois pour voir un psychiatre ça, c'est criminel. Cela signifie aussi qu'on peut obtenir un emploi et démontrer qu'il est possible de vivre tout en étant atteint d'une maladie mentale, et d'être même l'un des radiodiffuseurs les plus respectés du pays, ou encore un élu politique qui a la capacité de défendre une cause; cela veut dire aussi qu'on s'assure de faire comprendre aux employeurs qu'ils ont l'obligation de prendre des mesures d'adaptation. Autrement dit, s'il faut apporter quelques petits changements au milieu de travail pour qu'il soit accueillant et que des personnes atteintes d'une maladie mentale s'y sentent bien, eh bien, vous avez la responsabilité de le faire.

Le président : Nous avons fait cela pour les personnes atteintes d'une incapacité physique.

M. Robinson : L'obligation est la même pour celles atteintes de maladie mentale, mais combien d'employeurs le savent, et combien prendront les mesures nécessaires pour respecter cette obligation? Sénateur, vous avez raison de parler des fondations, et pour le comité, le défi consiste à s'assurer que nos responsables politiques à tous les niveaux se montrent résolus à en garantir la réalisation.

Le sénateur Cook : Hier, je disais à l'un des témoins que ma fille avait été anorexique. Dans son cas, cela s'était produit après le décès de son père, mais jamais je n'ai jamais entendu parler d'un problème de stigmatisation de personnes souffrant de troubles d'alimentation comme Jane. La personne à qui je parlais m'a répondu : « Non, parce que sa maladie était à la fois mentale et physique. » Quand elle était guérie, son apparence physique était normale, alors je me dis que le problème réside en partie dans notre crainte de ce que nous ne voyons pas. Nous devons absolument trouver le moyen d'éliminer cette stigmatisation. Nous vous posons la question, mais nous n'avons pas les réponses. Ensemble, nous devons trouver le moyen de le faire.

M. Mair : Sénateur, votre fille ne constituait une menace pour personne. Voilà la distinction importante qu'il convient de faire. Les gens la regardaient, et quoi qu'ils aient pensé de sa maladie, ils ne se sentaient pas menacés. Par contre, quand les gens voient une personne atteinte d'une maladie mentale, ils se disent que quelque chose de grave risque de se produire très vite, qu'il faut éloigner les enfants. C'est ça le gros problème et c'est ça la différence entre les deux situations.

Le sénateur Cook : Ensuite ils ont instauré un programme de sensibilisation qui commence à l'école, et ce programme existera en permanence, mais c'est nous qui sommes directement confrontés à cette problématique. Ceux d'entre nous qui ressentent et comprennent les effets de cette stigmatisation qui se produit doivent faire l'impossible pour l'éliminer. Il faut trouver un moyen, et nous allons y arriver dans ce rapport.

Le président : Je désire remercier tous nos témoins pour leur présence.

Sénateurs, nous avons deux témoins impromptus. Je leur demande à chacun de faire un bref exposé, et ensuite nous aurons quelques questions à leur poser.

M. John Russell, journaliste, à titre personnel : Je voudrais tout d'abord vous remercier de l'occasion qui m'est donnée de vous adresser la parole. Je suis président de la B.C. Alliance for Accountable Mental Health and Addictions Services. Cette alliance regroupe les 13 principaux organismes de la Colombie-Britannique qui sont actifs dans le domaine de la santé mentale et de la toxicomanie. Elle comprend des groupes aussi disparates que la section de psychiatrie de la Colombie-Britannique, le Service de police de Vancouver, la Société John Howard, et l'Association canadienne de la santé mentale. Je ne vais pas vous lire la liste de tous nos membres. Nous avons une trousse d'information à vous remettre et vous y retrouverez tous les noms.

Notre organisme a été mis sur pied il y a un peu plus d'un an. Notre objectif est simple : nous souhaitons que les tous habitants de la Colombie-Britannique qui sont atteints de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie puissent accéder aux services et aux programmes d'appui qui vont leur assurer les meilleures chances de guérison.

Je voudrais mettre en relief quelques éléments de notre mémoire; j'espère que vous le lirez par la suite. Vous avez sans doute reçu les témoignages d'un grand nombre de consommateurs de services de santé mentale, comme nous les appelons dans notre domaine, depuis deux jours, et vous avez peut-être le sentiment qu'il s'agit d'informations anecdotiques. Je vous fais remarquer, toutefois, que même s'il s'agit d'informations anecdotiques, les recherches faites sur l'expérience des consommateurs de services de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie font état de statistiques assez étonnantes. Vous les connaissez peut-être déjà. Il en est peut-être déjà question dans votre rapport d'étape, mais l'élément qui ressort clairement et qui est courant dans ce secteur, c'est que les gens passent de longues périodes à essayer de trouver des services qui répondent à leurs besoins. Bien souvent, les gens cherchent pendant de nombreuses années, parfois même une dizaine d'années, avant de trouver des services qui correspondent à leurs besoins.

Des études récemment menées en Colombie-Britannique ont permis de constater que 30 p. 100 des citoyens souffrant de problèmes de santé mentale ont accédé pour la première fois à des services de santé mentale par l'entremise du système de justice pénale. Je ne crois pas que ce soit le cas pour quelque autre affection que ce soit. S'agissant des personnes qui ont eu accès à des services ou ont eu du mal à en obtenir, 76 p. 100 d'entre eux ont signalé que leurs difficultés d'accès aux services découlaient du fait que les services offerts n'étaient pas acceptables. C'est un chiffre très révélateur. Si j'en parle, c'est parce que l'une des choses sur lesquelles nous insistons dans notre organisme, c'est la nécessité d'établir de meilleurs mécanismes qui permettront de tenir compte des besoins des personnes souffrant de problèmes de santé mentale et de toxicomanie, et ce au niveau de la planification et de l'orientation des services. Leur expérience est très importante, et c'est à nos risques et périls que nous n'en tenons pas compte, parce que les meilleures études cliniques du monde ne donneront pas les résultats qu'elles pourraient donner si nous ne trouvons pas le moyen d'assurer des services que ceux qui en ont besoin jugent acceptables de manière efficace. Notre groupe estime qu'il est tout à fait critique d'établir des structures permettant de faire participer les personnes ayant connu de tels problèmes à la planification et à l'orientation des services, afin que nous profitions de la richesse de leurs expériences.

Notre organisme revendique, entre autres, la création d'un service de planification en bonne et due forme. Nous avons étudié les problèmes entourant les services de santé mentale en Colombie-Britannique. Nous craignons que la situation ne s'aggrave, au lieu de s'améliorer. Nous trouvons tout aussi inquiétant de ne pouvoir obtenir quelque renseignement que ce soit sur ce qui se passe actuellement dans la province dans le domaine de la santé mentale. On s'est dit : que pouvons-nous faire avec cette information? Le comité a préparé de nombreux rapports. À certains égards, la situation s'améliore, mais en même temps, nous constatons qu'il y a davantage de pauvres, davantage de sans-abri, et qu'il devient plus difficile d'accéder aux services qui sont requis.

Nous avons examiné les études et les mesures prises par d'autres administrations qui semblent avoir connu plus de succès pour ce qui est de traiter les problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Ce que nous avons compris, c'est que ces administrations possèdent de bons mécanismes de planification. Elles bénéficient d'une bonne structure centrale d'un type ou d'un autre. Il peut s'agir d'une commission ou d'un ministère. On ne relève aucun modèle en particulier, mais ce qui ressort très clairement de nos recherches, c'est qu'il existe un service en bonne et due forme qui est chargé de faire la planification, d'exécuter les plans, de former le personnel, d'obtenir des résultats et de les évaluer par la suite. De plus, le travail se fait en fonction d'un cycle pluriannuel, étant donné qu'on reconnaît qu'il n'est pas possible de régler tous les cinq ans. Nous n'allons sans doute même pas réussir à les régler en 20 ans, mais si nous souhaitons progresser et trouver de vraies solutions, il nous faut élaborer des plans, nous assurer que les plans sont mis en oeuvre, faire des évaluations, tirer les leçons de ces évaluations et rajuster nos plans en conséquence, et faire participer à la planification et à l'évaluation les personnes qui ont recours à nos services. Sinon, nous perdons l'occasion de profiter des opinions fort utiles des consommateurs.

Avec les derniers témoins, vous avez parlé de cette question de stigmatisation. C'est un terme qui m'intéresse. Nous désignons ce phénomène en parlant de « stigmatisation ». Ainsi il s'agirait d'une caractéristique de la maladie elle-même, et je pense que face à ce phénomène, nous nous interrogeons tous en nous demandant ce qu'on peut faire pour l'éliminer? À certains égards, c'est aussi mystérieux que les maladies mentales, pour certains d'entre nous. Pour ma part, je pense qu'il faut appeler les choses par leur nom, car à ce moment-là, on trouve plus facilement des solutions. N'ayons pas peur de parler de discrimination tout simplement, car c'est de la discrimination. Je pense que l'un des sénateurs ou des témoins l'a même dit : elle est présente à tous les niveaux de la société, et malheureusement, dans toutes nos institutions. Jusqu'à un certain point, je dirais même que ce phénomène est présent dans nos systèmes de soins de santé et de services sociaux. Il faut donc l'appeler par son nom et nous y attaquer directement. Je vais m'arrêter là. Je sais que votre temps est limité.

Le président : Par rapport à ce que vous venez de dire, je crois que c'est dans notre rapport intitulé « Problèmes et questions pour le Canada » que nous avons déclaré que le terme « stigmatisation » est une façon politiquement correcte de dire « discrimination ». Nous aurons peut-être des questions à vous poser dans quelques minutes. Je vais d'abord donner la parole au Dr Robert Miller, chef de psychiatrie à la Régie de la santé de l'île de Vancouver c'est bien ça?

Le docteur Robert Miller, chef du service de psychiatrie, directeur des programmes médicaux, Vancouver Island Health Authority : C'est la Régie de santé de l'île de Vancouver qui est responsable du sud de l'île c'est-à-dire Victoria, essentiellement.

Le président : Oui, d'accord. Quand nous avons fait notre étude précédente, il y avait à l'époque deux régies régionales de santé sur l'île de Vancouver; celle couvrant la région de Victoria, et l'autre pour la partie supérieure de l'île, alors qu'il n'y en a plus qu'une. C'est bien ça?

Dr Miller : Oui, c'est-à-dire qu'il y en avait trois autrefois, alors qu'il n'y en a plus qu'une; comme nous sommes en pleine réorganisation, je devrais reposer ma candidature au poste que j'occupe actuellement pour voir si je vais pouvoir rester chef de psychiatrie pour l'ensemble de l'île.

Merci infiniment de l'occasion qui m'est donnée cet après-midi d'adresser la parole aux membres du comité. Mon exposé va durer environ cinq minutes. Déjà j'ai trouvé très stimulant d'écouter votre discussion sur la stigmatisation, car j'aurais quelques commentaires à faire à ce sujet tout à l'heure. Nous constatons que, quand nous nous adressons au public pour réunir des fonds, les citoyens sont généralement tout à fait prêts à soutenir les services destinés aux personnes atteintes de maladie mentale et à financer des projets dans ce domaine. J'y reviendrai dans quelques minutes.

Je vous parle aujourd'hui à titre de psychiatre chargé des aspects médicaux du programme de santé mentale de Victoria, et je soigne également des personnes visées par un mandat en vertu du Code criminel, étant donné que je travaille aussi pour la Commission des services de psychiatrie judiciaire ici en Colombie-Britannique. De plus, je prépare des évaluations psychiatriques liées au travail, car j'ai été à une époque chef de psychiatrie au sein des Forces armées canadiennes. Bon nombre de nos activités étaient liées à la psychiatrie du travail.

J'ai lu les rapports que vous avez préparés. Les fournisseurs avec lesquels je travaille seraient tous d'accord pour reconnaître que leur travail doit être axé sur les patients, et bon nombre d'entre eux accepteraient également l'idée que les services soient assurés aux patients sur une base surtout communautaire. Cela va peut-être vous surprendre, mais tous ceux qui travaillent dans le domaine de la psychiatrie à Victoria vous diraient la même chose. Par contre, ils vous diraient également que le système de rémunération des psychiatres favorise plutôt le paiement à l'acte, et que ce travail est plus facile à accomplir dans le contexte hospitalier. Si les patients vivent dans la collectivité et décident de ne pas se présenter, ils se trouvent alors distanciés du système. Mais le financement actuellement prévu en vue de permettre aux psychiatres d'assurer des soins indirects et à mon avis, c'est ce genre de services que les psychiatres devraient assurer aux patients est moins utilisé, étant moins intéressant, et par conséquent, les crédits ont été substantiellement réduits en Colombie-Britannique au cours des deux dernières années.

Je suis particulièrement favorable à vos propositions concernant l'établissement de plans de soins personnalisés, et de l'octroi de crédits qui suivraient les patients ayant des besoins plus complexes. Comme vous le savez sans doute, les services de santé mentale et de toxicomanie ont été fusionnés ici en Colombie-Britannique, si bien que presque tout ce qui relève de la catégorie des services de santé mentale et de toxicomanie est à présent du ressort de la Régie régionale de santé. Cela nous donne donc la possibilité possibilité que nous commençons à peine à explorer d'adopter une approche uniforme en vertu de laquelle les patients peuvent être suivis pour toute la durée de leur maladie. Ce que je vois le plus souvent, c'est qu'on soigne les patients tant qu'ils sont à l'hôpital ou dans un établissement de soins spéciaux pour bénéficiaires internes. Mais il faut se rappeler que ce sont des maladies qui durent toute la vie et, par conséquent, le plan de soins ou d'intervention doit englober toute la vie du patient, depuis le moment où la maladie se déclare jusqu'à sa mort.

Nous n'avons pas encore réussi à traduire ces réformes en avantages pour les patients, et à la Régie de santé, nous sommes conscients de la nécessité de le faire. L'une des approches que je recommanderais au comité et je lisais ce que vous dites à ce sujet au volume 2 de votre série de rapports consisterait à exiger, comme c'est le cas au Royaume-Uni, que tous ceux visés par la gestion des cas soient tenus d'avoir un plan de soins ou d'intervention basé sur une évaluation des besoins, comme le modèle Campbell d'évaluation des besoins.

La fusion des services de santé mentale et de toxicomanie a été avantageuse pour les personnes atteintes de troubles concurrents, mais elle a pour résultat de réduire l'accès. L'accès est limité, et ce regroupement des services a donc pour conséquence de forcer les patients ayant des besoins moins complexes de se contenter de services secondaires. Par conséquent, nous nous attendons de plus en plus à ce que les médecins de premier recours répondent aux besoins de la grande majorité des patients atteints de troubles mentaux moins complexes et de personnes souffrant de toxicomanie mais non encore atteintes d'une maladie mentale grave. Pourtant, il y a tellement d'études qui indiquent clairement que les journées de travail perdues sont attribuables en premier lieu aux troubles mentaux.

Des incapacités graves représentent environ 40 p. 100 du fardeau économique, mais malgré cette réalité, la plupart des personnes concernées n'ont jamais l'occasion de consulter un psychiatre ou un professionnel se spécialisant dans les services de santé mentale. La plupart d'entre elles sont soignées par des spécialistes en soins primaires. Comme je m'occupe aussi de santé au travail, je constate que les compagnies d'assurance sont obligées de commander une évaluation médicale indépendante pour faire faire une évaluation psychiatrique. On s'attend de plus en plus à ce que les omnipraticiens soignent les travailleurs souffrant de troubles mentaux, alors que nous avons une pénurie de médecins de premier recours. À mon avis, il faut procéder à une réforme fondamentale du système de soins primaires, et ce afin de créer des équipes multidisciplinaires dans le secteur des soins primaires.

L'une des différences que j'ai remarquées par rapport à l'Angleterre, mon pays d'origine, est que les médecins de premier recours travaillent ici presque entièrement en vase clos, alors que dans le secteur des soins primaires, le travail se fait de façon beaucoup plus efficace si l'omnipraticien peut travailler de concert avec une infirmière psychiatrique communautaire, un travailleur social et peut-être un psychologue, tous assurant des soins primaires.

Oui, nous participons à des initiatives de soins partagés à Victoria, et oui, nous avons l'intention de former nos omnipraticiens. Mais à mon humble avis, c'est un mythe de croire que les omnipraticiens, surtout les jeunes omnipraticiens, ne sont pas bien formés ou ne sont pas capables d'assurer ces services. À mon avis, ils sont capables de soigner des personnes atteintes de maladie mentale moins grave, mais ce qui leur manque, c'est une bonne structure de soutien. Ce sur quoi j'insiste dans ce contexte est la nécessité de procéder à une réforme fondamentale des soins primaires pour être à même de créer un bon système de services de santé mentale. Pour moi, ce sont les fondations dont parlait quelqu'un un peu plus tôt.

Les ressources sont insuffisantes. Des fois j'ai l'impression d'essayer de faire un lit avec un drap qui est la moitié moins grand que le lit, et j'ai beau le tourner dans tous les sens, quelqu'un me dit sans arrêt qu'il a froid. Malheureusement, il y en a beaucoup qui ont été complètement expulsés du lit, et qui se trouvent maintenant par terre, ayant été pris en charge par le système de justice pénale. Dans la section de votre rapport qui touche le système de justice pénale, vous parlez surtout des pénitenciers fédéraux et, si j'ai bien compris, c'est parce que le gouvernement fédéral est responsable des pénitenciers fédéraux. Mais je vous invite également à regarder de près la situation dans les établissements correctionnels provinciaux parce que c'est dans les établissements correctionnels provinciaux, qui abritent les détenus condamnés à une peine d'emprisonnement d'un maximum de deux ans, et surtout dans les établissements de détention provisoire qu'il y a le plus grand nombre de personnes souffrant de troubles mentaux. Le nombre de détenus atteints de troubles mentaux dans les établissements de détention provisoire est plus élevé que parmi les détenus condamnés à l'emprisonnement, mais malgré tout, c'est dans les établissements correctionnels provinciaux que les services et soins de santé mentale sont les plus primitifs. Pour moi, la qualité des soins dans ces établissements est pire que ce qu'on trouve dans les pays du Tiers monde. Dans les établissements correctionnels provinciaux, on a tout simplement tiré le rideau sur le problème et les gens ne savent même pas ce qui se passe, alors que je pourrais vous raconter des histoires qui vous feraient dresser les cheveux sur la tête.

Je demande donc au comité de recommander que le gouvernement fédéral prévoie, comme c'est le cas au Royaume-Uni, que les personnes ayant besoin d'être soignées à l'hôpital soient hospitalisées, au lieu d'être soignées en prison. De plus, dans les établissements correctionnels où des soins sont assurés, il n'est pas nécessaire d'hospitaliser tout le monde. Il est tout à fait possible d'assurer des services de santé mentale en consultation externe en milieu carcéral, mais les soins et les traitements qu'on y dispense devraient être de la même qualité que ceux disponibles dans la collectivité locale.

S'agissant des résolutions adoptées par l'ONU sur le traitement des prisonniers et c'est une question qui m'intéresse, étant donné que je connais bien la Convention de Genève et des instruments de ce genre, ayant travaillé dans les Forces armées il existe une résolution des Nations Unies que le Canada a ratifiée qui prévoit que les détenus reçoivent des soins de la même qualité que ceux qui sont assurés dans la collectivité locale. Or je peux vous garantir que ce n'est pas du tout le cas, alors que le gouvernement fédéral ne fait absolument rien pour s'assurer de respecter les obligations qu'il a contractées.

J'estime que le gouvernement fédéral doit faire davantage preuve de leadership sur la question de la santé mentale et je suis donc favorable à une approche consistant à élaborer des normes dans ce domaine en facilitant l'établissement d'un cadre national qui serait le fondement d'une politique sur la santé mentale prévoyant le recours aux pratiques exemplaires et l'affectation de ressources adéquates. Je recommande donc qu'on encourage les provinces à collaborer avec le gouvernement fédéral et ce, en leur donnant une incitation financière. C'est là qu'il faudrait peut-être prévoir une voie de financement distincte ou des transferts aux provinces pour des services de santé mentale. Je me rends bien compte que cette approche a aussi ses inconvénients. J'en discutais hier avec quelqu'un qui m'a dit : « Ce n'est pas comme le ministère des Affaires indiennes et du Nord. Tout dépend du budget disponible, et il faut que le budget soit suffisamment important. » Je suis donc encouragé par ce que j'ai lu dans le rapport d'étape du comité et je suis très heureux de pouvoir partager mes idées avec vous.

Ce que je voulais vous dire à propos de la stigmatisation, c'est qu'à Victoria, comme il en était question tout à l'heure, les gens qui se présentent à l'urgence doivent attendre 10 heures pour être soignés. Les services d'urgence n'ont pas été conçus en tenant compte des besoins des personnes atteintes de maladie mentale. Malgré tout, grâce au leadership des gens de la collectivité, et notamment les frères Courtnall si vous êtes amateurs de hockey, vous devez savoir qu'ils ont lancé une campagne communautaire, y compris la fourniture de téléphones et l'organisation de tournois de golf, qui a permis, en un an, de réunir 2 millions de dollars pour construire une nouvelle salle d'urgence psychiatrique, qui est tout à fait fantastique. J'y travaillais hier soir, et c'est pour cela que je ne suis pas en pleine forme ce matin, mais je peux vous garantir que si vous créez les installations, ils viendront se faire soigner. C'est ça qui est malheureux, il y a des besoins très importants. Voilà donc ce que je voulais vous dire.

Le président : John, vous nous disiez tout à l'heure que vous avez examiné la situation dans beaucoup d'autres pays, et c'est ça qui vous a conduit à nous parler de la nécessité d'un plan. Docteur Miller, puisque vous travaillez pour la Régie régionale de santé, j'imagine que vous avez dû examiner la façon dont les services sont assurés dans d'autres régions du pays. Y a-t-il à votre avis des exemples à suivre ou des pratiques exemplaires qu'il conviendrait de reprendre ou qui correspondraient au modèle que vous aimeriez utiliser en Colombie-Britannique, à Vancouver ou ailleurs, si vous en aviez la possibilité?

M. Russell : Je ne sais pas s'il y a vraiment des exemples à suivre nécessairement. Nous avons examiné assez rapidement les études, et il en est ressorti que l'Australie, qui a un bon système, a d'ailleurs été félicitée par un comité d'étude externe et indépendant pour les mesures qu'elle a prises dans ce domaine.

Le président : Oui, et nous avons parlé longuement de l'exemple de l'Australie.

M. Russell : Il y a aussi la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. Mais nous n'avons pas examiné la situation dans les pays scandinaves.

Le président : Avez-vous examiné les systèmes dans d'autres régions du Canada?

M. Russell : Non. Nous avons mis de côté le Canada. Nous avons examiné la situation en Alberta. Nous nous sommes aussi demandé s'il faut une commission. Nous avons déterminé que la création d'une commission n'était pas forcément la solution, mais qu'il faut un service de planification en bonne et due forme. Comme je vous l'expliquais tout à l'heure, il pourrait s'agir du ministère de la Santé, mais il faut absolument un plan axé sur des objectifs bien précis. À l'heure actuelle, nous sommes d'avis qu'il n'existe pas en Colombie-Britannique pour le moment un plan pour la prestation des services de santé mentale dans l'ensemble de la province. Nous en avions un il y a quelques années, mais il semble être arrivé à terme. Nous élaborons une succession de plans, mais sans jamais prendre un engagement ferme vis-à-vis d'une série de mesures qui vont nous permettre de régler le problème. Nous ne nous disons pas : cela va nous prendre 20 ans, et même là le programme ne sera pas tout à fait réglé, mais nous allons nous y attaquer par blocs de cinq ans, en nous fixant des objectifs et en nous assurant de les atteindre, et quand nous serons à la fin de la première période de cinq ans, nous allons recommencer. C'est de cette façon qu'on établit des passerelles et qu'on peut entreprendre toutes sortes d'autres projets importants. Cela semble être l'approche à privilégier dans ce domaine, et je dois dire à ce sujet que j'ai été très impressionné par votre rapport d'étape; c'était un document fantastique, à mon avis. Il serait bon que vous en prépariez une version vulgarisée que tout le monde serait tenu de lire.

Le président : Nous allons voir ce que donnera le rapport final. Docteur Miller, vous dites oui de la tête?

Dr Miller : Oui, j'allais dire que je suis d'accord. À mon avis, votre rapport est beaucoup mieux écrit et plus facile à lire que bon nombre d'autres rapports que j'ai eu à lire.

Le président : Merci. Nous y avons consacré beaucoup de temps.

M. Russell : Bien que votre rapport soit fantastique, je me dis aussi qu'il y a tant de rapports de ce genre. À une réunion récente, j'ai dit pour rire que j'aimerais arriver un jour avec une brouette remplie de rapports. Nous savons déjà quoi faire. À mon avis, la véritable tragédie dans le domaine de la santé mentale n'est pas le fait qu'il y ait des maladies mentales. La véritable tragédie, c'est que nous ne prenons pas les mesures qu'il faut prendre et dont l'efficacité est déjà connue. C'est ça la véritable tragédie.

Le président : À ce sujet, je précise que nous savons très bien que le fait de faire un rapport n'est pas la solution mais, d'abord, c'est la première étude nationale à être faite, par opposition à une étude purement provinciale; et deuxièmement, nous savons qu'il nous faudra recommander un mécanisme quelconque pour qu'on continue à s'intéresser à cette problématique qui occupe à présent une place centrale, on pourrait dire, dans le débat. Nous ferons évidemment l'impossible pour faire créer un tel mécanisme, mais il appartiendra évidemment aux différents groupes d'intérêt de faire pression sur leurs gouvernements respectifs pour qu'ils prennent les mesures qui s'imposent. Je pense que tous les membres du comité ont l'impression que les différents groupes qui travaillent dans ce domaine s'intéressent suffisamment à la question pour exercer de fortes pressions sur leurs gouvernements afin que ces derniers donnent suite aux recommandations, y compris ce qui pourrait à bien des égards être considéré comme la recommandation la plus importante, c'est-à-dire d'établir un mécanisme qui permettra de continuer d'examiner cette problématique. Plusieurs d'entre nous en avons discuté hier soir pendant le dîner. C'est quelque chose de tout à fait critique; sinon on cessera d'en parler à un moment donné.

Dr Miller : Dans le milieu, on parle beaucoup du problème de la dénégation. Les gens ne veulent pas accepter l'idée d'être atteint d'une maladie mentale, mais si nous nous fondons sur notre propre expérience, notamment dans le contexte des efforts de collecte de fonds pour la construction du Centre Courtnall, il semble clair que cette attitude de dénégation est plutôt superficielle. Dès lors qu'on organise un téléthon et que des gens comme les frères Courtnall commencent à raconter leurs propres histoires, tout le monde commence à téléphoner, et des pressions sont de plus en plus exercées par la collectivité pour améliorer les services de santé mentale. Nous savons pertinemment que 25 p. 100 de la population ont connu des troubles mentaux à une certaine époque de leur vie, mais nous savons aussi que les maladies mentales affectent presque toutes les familles au Canada. On nous avait dit : « Non, vous ne réussirez pas à réunir des fonds. » Les responsables des fondations des hôpitaux du coin nous disaient que les gens seraient plus réticents à faire des dons d'argent pour financer des projets dans le domaine de la santé mentale. Mais à mon avis, c'est tout à fait le contraire. À mon avis, un mouvement se crée à l'heure actuelle au sein de la population et les gens sont très désireux de parler de leur situation et de travailler avec d'autres pour améliorer la situation, et ce qu'il leur faut, c'est une manifestation de leadership dans ce domaine.

Le président : Nous allons certainement essayer de profiter de ce mouvement pour faire poursuivre le débat sur la question.

M. Russell : Récemment, j'ai aussi eu l'impression que l'attitude du public semble évoluer. Je crois que les citoyens comprennent de mieux en mieux cette problématique, et cherchent des solutions. Ils ne se contentent plus de solutions simplistes. Ils veulent que des mesures concrètes soient prises.

Le président : Je voudrais vous remercier tous les deux de votre présence aujourd'hui et de votre contribution. Merci de bien vouloir nous laisser vos documents.

La séance est levée.


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