Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 22 - Témoignages du 14 juin 2005
ST. JOHN'S, le mardi 14 juin 2005
Le Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 13 h 3 pour examiner les enjeux liés à la santé mentale et à la maladie mentale.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Le comité se réunit cet après-midi, puis encore demain en matinée et en après-midi. Je signale à notre auditoire et à nos témoins que quand nous quitterons Charlottetown jeudi soir, nous aurons visité chaque province et territoire à l'exception, je crois, d'Iqaluit. Nous constatons que ce pays est très vaste quand on décide de tenir des audiences d'un océan à l'autre. Nous avons beaucoup appris et nous avons eu l'occasion de rencontrer un grand nombre de personnes très intéressantes. Je vous remercie tous d'être là.
Nous avons appris un grand nombre de choses intéressantes, tout particulièrement, je tiens à le signaler, dans les plus petites provinces. Je crois que cela tient, en grande partie, au fait que les plus petites provinces ont moins de ressources et sont davantage prêtes à mettre en œuvre des solutions expérimentales dans un esprit communautaire parce qu'elles doivent se serrer les coudes pour obtenir des résultats. Un grand nombre des pratiques exemplaires dont nous ferons état dans notre rapport final seront celles retenues par les plus petites provinces. Cela me rappelle que dans notre précédent rapport sur le système hospitalier et médical, nous avons décrit ce que nous appelons les soins actifs à domicile. Ce programme s'adresse essentiellement à ceux qui ont besoin de soins à domicile après une intervention chirurgicale ou de soins qui peuvent être dispensés à domicile plutôt qu'à l'hôpital puisque ces soins sont beaucoup moins coûteux, soit 400 $ par jour, environ, comparativement à 1 400 $ par jour pour les soins hospitaliers. Pendant que nous faisions les travaux qui nous ont amenés à formuler la recommandation, nous avons appris une chose intéressante, à savoir que ce programme existe au Nouveau-Brunswick depuis 20 ans. D'ailleurs, je pense que le fait qu'il existait au Nouveau-Brunswick explique que personne d'autre ne s'y soit intéressé. Comme nous l'avons appris, il existe des modes de prestation de services réellement novateurs sur le terrain dans certaines enclaves du pays qui ne se propagent pas aux autres régions. En définitive, nous devons faire en sorte que ces pratiques exemplaires soient diffusées à tous.
Voilà pourquoi nous sommes ravis de vous recevoir aujourd'hui. Nous accueillons maintenant Joan Edwards-Karmazyn, gestionnaire de la Consumers Health Awareness Network of Newfoundland and Labrador (CHANNAL). Nous recevons aussi Ian Shortall, chef de division du BRIDGES Program administré par la Health Care Corporation of St. John's. Vous n'utilisez pas encore l'appellation Eastern Regional Health Authority puisque le changement est très récent, n'est-ce pas?
M. Ian Shortall, chef de division, Programme BRIDGES, Health Care Corporation of St. John's : Il se fera dans quelques semaines.
Le président : C'est bien ce que je pensais. Je voulais m'assurer d'utiliser le bon nom. Je vous remercie tous deux d'être venus aujourd'hui.
Je vais inviter Joan, puis Ian, à nous livrer leurs exposés après quoi nous vous poserons des questions à tous les deux.
Mme Joan Edwards-Karmazyn, gestionnaire, Consumers Health Awareness Network Newfoundland and Labrador, CHANNAL : Bienvenue à St. John's. J'espère que votre séjour ici est agréable.
Mon exposé d'aujourd'hui porte sur les psychothérapies soutenues par les pairs et axées sur la prise en charge de soi. Voilà l'expérience dont je parle. J'ai aussi joint une biographie et un dépliant sur CHANNAL. Je suis une consommatrice, survivante de troubles psychiatriques, membre d'une famille et j'exerce une profession libérale. Je travaille dans ce domaine depuis 30 ans et je suis consommatrice et membre d'une famille depuis encore plus longtemps. Je vais d'abord lire mon exposé.
Honorables sénateurs, j'aimerais au nom de CHANNAL vous dire à quel point nous apprécions d'avoir été invités à témoigner devant vous aujourd'hui. Je prendrai le temps qui m'est imparti pour vous parler de l'organisation que je représente et pour commenter les questions d'actualité que nous avons recensées et les options que nous avons retenues pour que chacun au sein du programme et de la collectivité puisse compter sur le soutien de ses pairs.
CHANNAL célèbre maintenant sa seizième année d'existence et a pour mandat d'assurer aux consommateurs-survivants des services de santé mentale à Terre-Neuve-et-Labrador grâce à un réseau de soins psychiatriques axés sur le soutien des pairs et la prise en charge de soi. CHANNAL reçoit du financement du Community Programs and Wellness Branch de Health and Community Services de Terre-Neuve-et-Labrador. CHANNAL est parrainée par son agence intermédiaire, soit l'Association canadienne pour la santé mentale, division de Terre-Neuve-et-Labrador. CHANNAL a une excellente relation de travail avec l'association qui la parraine et a entrepris les démarches pour devenir un organisme indépendant avec l'assentiment et les conseils de l'ACSM. Nous prévoyons achever ce changement de statut d'ici deux ou trois ans. Nous avons entrepris de nous doter d'une solide infrastructure et de notre propre régime de gouvernance.
CHANNAL offre des groupes de prise en charge de soi avec le soutien des pairs dans six régions de Terre-Neuve-et-Labrador. Chaque région bénéficie des services d'un coordonnateur régional qui relève du gestionnaire du retour à l'autonomie de CHANNAL. Les coordonnateurs régionaux sont des chefs d'équipe bénévoles qui reçoivent une petite allocation étant donné la quantité importante de travail qu'ils fournissent. Le seul employé rémunéré de CHANNAL à l'heure actuelle est le gestionnaire du retour à l'autonomie. Je donnerai d'autres détails sur cette situation plus loin dans mon exposé.
CHANNAL a pour but de mettre en œuvre et de renforcer des initiatives de prise en charge de soi chez les personnes qui vivent avec des problèmes liés à la santé mentale; d'accroître la participation des pairs consommateurs-survivants à la réforme de la santé mentale; de sensibiliser le public aux questions pertinentes pour les consommateurs de services de santé mentale; de défendre les intérêts des personnes atteintes de troubles mentaux; d'offrir un soutien social et émotionnel grâce à la prise en charge de soi; d'offrir des possibilités d'acquisition de compétences et d'offrir une tribune aux consommateurs-survivants pour qu'ils puissent exprimer leurs préoccupations. Pourquoi la prise en charge de soi? Les personnes qui interagissent avec leurs pairs au sein de groupes de prise en charge de soi adoptent une approche volontariste à la gestion de leurs problèmes et à la recherche de solutions. L'accent est mis sur le bien-être et non pas sur la maladie, sur les aptitudes et non les capacités, sur l'acceptation de ses limites plutôt que de vivre diminué à l'intérieur du carcan de ses limites, de se concentrer sur le début du processus de rétablissement au lieu de rester stagnant, prisonnier de sa détresse. Le but, c'est de retrouver l'énergie d'exercer de nouveau sa liberté de choix et de redonner au consommateur-survivant le goût d'exercer ses choix et de se sentir à nouveau vivant.
Quand on pose la question : « Que peut faire CHANNAL pour moi? », on obtient des réponses très diverses. CHANNAL offre une voix enracinée dans la collectivité, en commençant par le groupe de prise en charge de soi lui-même; cette voix s'est faite entendre par l'entremise des associations et des partenaires communautaires affiliés à CHANNAL au niveau régional, provincial et national; CHANNAL permet aux uns et aux autres de se soutenir mutuellement tout en accroissant l'autonomie individuelle des membres et en décourageant en bout de ligne la surdépendance envers le système de santé mentale; CHANNAL sert de tribune de communication où peuvent s'échanger des idées; CHANNAL permet de sensibiliser le public aux enjeux liés à la santé mentale; CHANNAL favorise le réseautage des membres qui peut réellement nous aider quand nous en avons besoin et qui permet de les rejoindre rapidement par téléphone ou par courriel.
CHANNAL a adopté les pratiques exemplaires communes aux programmes de prise en charge de soi. L'accent est mis sur le soutien des pairs et l'entraide. Les consommateurs-survivants de services psychiatriques ont le pouvoir d'infléchir la conception, l'évaluation et la mise en œuvre du programme. Ce dernier repose sur un système de valeurs qui attache une grande importance au savoir-faire expérientiel. Le programme est respectueux et inclusif. L'accent est mis sur la communauté d'intérêts plutôt que sur les différences. Il instille un sentiment de propriété, il est axé sur les consommateurs et leurs besoins. Il comporte une formation qui permet d'acquérir des qualités de leadership. Le programme vise à favoriser le retour à la santé mentale, met l'accent sur l'acquisition de capacités et décourage les sentiments d'impuissance. L'information et l'éducation favorisent la capacité de prendre des décisions. Le programme aide les consommateurs à se fixer des objectifs personnels et à les atteindre. Le programme est conçu par les participants et est adapté à leurs besoins changeants. Le programme met l'accent sur les points forts et la santé plutôt que sur la maladie et l'incapacité. Les attentes sont expliquées clairement et comprises. Le programme favorise les sentiments d'appartenance, de maîtrise, d'autonomie et de générosité. Chacun peut participer pleinement et de façon significative. Le programme favorise l'intégration communautaire de façon à éviter la ghettoïsation. Les participants au programme sont débrouillards et pleins d'inventions lorsqu'il s'agit d'optimiser des ressources limitées. Les soins de santé mentale sont novateurs — les idées reçues sont écartées.
La valeur des programmes psychiatriques axés sur le soutien des pairs tient au fait que tous les points de vue sont respectés; qu'ils favorisent des sentiments d'inclusion et d'acceptation, de confiance dans les autres et d'appartenance; qu'ils misent sur la représentation, l'engagement et la collaboration, l'empathie et la compassion, l'espoir, l'éducation, la reconnaissance des traumatismes et de la santé, la spiritualité, les déterminants de la santé, le retour à la santé, la possibilité pour chacun de se rétablir, la personnalisation de la santé mentale : « Nous devons nommer la maladie mentale, l'assumer, la dompter », la reconnaissance de la valeur des connaissances expérientielles, le dépassement de la définition biomédicale et des composantes sociales, l'appréciation des capacités de chacun, de la créativité et des compétences des personnes atteintes de maladie mentale au lieu d'être obnubilés par le diagnostic — il faut apprécier la personne dans son intégralité; ils sont volontaristes, adaptés et autodéterminés.
J'aimerais ajouter à cela une autre qualité issue des délibérations de l'Assemblée mondiale de la santé, si vous voulez la noter : rien pour nous sans nous. Nous devons être partie prenante.
Les questions d'actualité qui intéressent les consommateurs-survivants de soins psychiatriques à Terre-Neuve-et-Labrador — suggestion à prendre en considération dans le contexte du troisième rapport déposé par le Sénat : les questions d'actualité que je présente ici reflètent directement les commentaires faits par la clientèle de CHANNAL. J'ai décidé de les regrouper en trois catégories compte tenu du questionnaire distribué plus tôt par votre comité. Les trois catégories sont les services de santé, les services de soutien et la discrimination. En outre, ces questions sont présentées dans le contexte du travail que font actuellement les divers intervenants en matière de santé mentale de la province en ce qui a trait à la Stratégie provinciale en matière de santé mentale.Les répondants ont fait état de la nécessité d'accroître les soutiens communautaires en santé mentale à Terre-Neuve-et-Labrador et plus particulièrement dans les régions rurales éloignées. Cette stratégie provinciale en santé mentale postule que pour répondre aux besoins des personnes atteintes de troubles mentaux, ce cadre doit tenir compte des besoins des consommateurs-survivants de soins psychiatriques et des membres de leur famille et les associer aux traitements — la famille ne désigne pas nécessairement la famille d'origine mais aussi les amis ou la collectivité, les groupes de prise en charge de soi, les services et les activités communautaires généraux tels ceux offerts par les Églises, les groupes sociaux et récréatifs ainsi que les groupes qui offrent des services de soutien en matière de revenu, de logement, d'éducation et d'emploi. La stratégie fait aussi état de la nécessité d'élaborer et de mettre en œuvre à Terre-Neuve-et-Labrador un plan de promotion de la santé mentale et de lutte contre les toxicomanies. Voilà quelles sont les ambitions de la Stratégie en matière de santé mentale.
Bien que le plan provincial ne reprenne que l'un des aspects du modèle des ressources communautaires, le système de santé mentale, il y a tout lieu de croire que le système devra être intégré et qu'il faudra former des partenariats avec les entités mentionnées puisque cette intégration contribuera à favoriser le rétablissement de personnes atteintes de maladies mentales.
William Anthony du Center for Psychiatric Rehabilitation à l'Université de Boston a défini comme suit le rétablissement en 1993 dans le contexte du modèle de réadaptation psychosociale :
Rétablissement[...] permet d'avoir une vie satisfaisante, remplie d'espoir et productive malgré les limites résultant de la maladie. Le rétablissement implique que l'on trouve un nouveau sens et un nouveau but à notre vie lorsqu'on a réussi à surmonter les effets catastrophiques d'une maladie mentale.
Je vais maintenant commenter les trois éléments — les services de santé, les soutiens et la discrimination.
Services de santé : les membres de CHANNAL ont dit qu'il fallait augmenter le nombre de gestionnaires de cas, de préposés au soutien communautaire y compris des travailleurs formés au soutien des pairs, des médecins, des cliniques de soins de santé, des programmes d'intervention précoce dans le traitement de la psychose, les efforts de sensibilisation et les ateliers sur la prévention pour les jeunes qui se replient sur l'intimidation et le suicide, des unités d'évaluation de courte durée semblables à l'unité de soins de courte durée à St. John's — le ballon d'oxygène dont nous avons besoin ici à Terre-Neuve-et-Labrador; les répondants ont aussi parlé du lien entre la maladie mentale et les toxicomanies et de la nécessité d'intensifier les efforts de promotion de la santé mentale et de lutte contre les toxicomanies et d'accroître les services de santé communautaires accessibles à tous.
Services de soutien : les membres de CHANNAL ont dit qu'il fallait davantage de logements abordables, réduire les obstacles qui limitent l'accès aux services d'éducation et de formation technique et augmenter les subventions salariales pendant la durée de versement de prestations de soutien du revenu. Les membres ont dit qu'ils sont prisonniers du système s'ils veulent recevoir une indemnité pour les médicaments. Ainsi, ils hésitent à renoncer aux indemnités de revenu puisqu'il faudrait du même coup renoncer aux indemnités pour les médicaments. Les gens craignent de renoncer à leurs prestations parce que le revenu qu'ils pourraient gagner sur le marché du travail ne leur permettrait pas de se payer les 1 500 $ par mois que coûtent leurs médicaments.
CHANNAL a exprimé le besoin de renforcer les capacités, c'est-à-dire le renforcement des compétences de CHANNAL au moyen de l'acquisition de compétences au sein de groupes de soutien par les pairs. Il est impératif de prévoir du financement pour se doter de personnel complémentaire au travail effectué par les groupes de soutien par les pairs qui gagneraient un salaire égal pour un travail égal. À cette fin, l'initiative volontaire serait reconnue pour ce qu'elle est, c'est-à-dire le fait pour des bénévoles d'aider des membres payés de groupes de soutien par les pairs au sein du programme. Un tel programme existe actuellement en Ontario, et je sais qu'on peut faire de même ici, mais cela nécessite davantage de fonds et beaucoup de formation. À l'heure actuelle, nos dirigeants en matière de bénévolat, qui comptent parmi eux des coordonnateurs régionaux, sont engagés à contrat pour huit heures par semaine. Cela dit, en réalité, ils travaillent en moyenne 40 heures par semaine. Le cumul des heures se fait en raison de la nature du besoin qui existe, notamment en ce qui a trait à la promotion, au lobbying, à la facilitation et à l'administration. Le gouvernement doit par conséquent admettre qu'il a créé une main-d'œuvre bénévole qui a désormais besoin d'être rémunérée, et la solution passe par le financement au sein des collectivités.
Discrimination : Il est impératif de continuer à concevoir et à mener des campagnes pour réduire la stigmatisation axées sur le grand public mais aussi sur les prestataires de soins de santé, les travailleurs de première ligne, y compris les agents de police, les pompiers et les ambulanciers et, enfin, sur les employés des secteurs public et privé. Il faut en outre reconnaître que le système de justice doit poursuivre le projet-pilote de tribunal de la santé mentale et le projet des services de soutien communautaire que la province a commencé.
Je terminerai par une citation de Ralph Nader qui a trait à l'élimination de la stigmatisation de la maladie mentale :
Passer sa vie en tant que non-citoyen, c'est avoir l'impression qu'on ne peut rien faire, que personne n'écoute et qu'on ne compte pas. Par contre, être citoyen, c'est jouir de la satisfaction profonde de voir la prévention de la douleur, de la misère et de l'injustice.
Bien des gens souffrant d'une maladie mentale sont traitées comme des non-citoyens et sont victimes de la stigmatisation et de la discrimination que la société utilise pour décrire les consommateurs-survivants des services psychiatriques. À ce propos, le consommateur est une personne qui consomme, c'est-à-dire qui utilise le système tel un consommateur ordinaire qui achèterait un sac de chips. Dans notre cas, nous sommes considérés comme des survivants psychiatriques. Le survivant est une personne qui a vécu l'expérience du système de santé mentale, et qui continue peut-être de recevoir des services de santé mentale, mais qui est néanmoins une survivante en voie de guérison. Voilà notre définition.
Le système de soins de santé mentale est passé du contexte institutionnel à un système communautaire où le traitement et le soutien sont fournis près de chez-soi. Ces traitement et soutien consistent notamment à aider la personne concernée à trouver un logement, à trouver un emploi rémunérateur et à avoir accès à des mécanismes de soutien social qui sont importants pour son bien-être. Grâce au soutien de la communauté, les consommateurs-survivants psychiatriques peuvent mener une vie constructive en ayant des emplois, des foyers, des mécanismes de soutien social et la possibilité de contribuer à la communauté. Nous avons un autre dicton, dont voici la teneur : « Nous avons besoin d'un chez-nous, d'un ami, d'un emploi. » C'est la hiérarchie des besoins de tout être humain. Aujourd'hui, je veux vous remercier de m'avoir laissée faire une déposition.
Le président : Joan, merci infiniment pour cet exposé. Il y a bien des choses dont nous aimerions discuter. Nous allons maintenant donner la parole à Ian.
M. Shortall : Merci. Rebonjour, sénateur Kirby. J'aimerais moi aussi vous souhaiter la bienvenue ainsi qu'à vos délégués dans notre province.
Je suis travailleur social auprès des enfants et des jeunes depuis 19 ans. Au cours des six dernières années, j'ai été gestionnaire de division d'un programme qui s'appelle Brief Rapid Intervention Directed at Gaps in Existing Services, BRIDGES, dont je vais vous parler dans un instant.
Au printemps 1998, le Programme de santé mentale a commencé à étudier la question de savoir si les ressources existantes en matière de santé mentale devraient être recensées afin d'améliorer l'éventail de services offerts à l'adolescent d'âge avancé. Par adolescent d'âge avancé, nous entendons les adolescents dont l'âge se situe entre 16 et 20 ans. Une proposition a été faite au ministère de la Santé au nom du Programme de santé mentale, avec l'aval de la Health Care Corporation — notre organisation s'appelait ainsi à l'époque — qui porte désormais le nom de Eastern Health, et avec les soutien des cadres supérieurs. Un accent particulier a été mis sur la nécessité de créer une unité d'hospitalisation distincte pour les adolescents dont l'âge se situe entre 16 et 20 ans. Toutefois, la mise de fonds nécessaire pour construire l'unité de huit à dix lits recommandée à l'époque n'a jamais été assurée.
Un deuxième aspect de cet éventail, tel qu'il a été décrit dans la proposition, était la nécessité, d'une part, d'améliorer les services d'urgence et, d'autre part, de renforcer les liens avec la communauté. On a de plus avancé que si les services d'urgence actuels étaient réorganisés, cela pourrait se traduire, pour les clients du Programme de santé mentale, par des interventions plus efficaces, des admissions plus appropriées et un meilleur suivi au sein de la communauté. Ces services font gravement défaut dans la région et dans d'autres parties de la province depuis de nombreuses années maintenant.
Le Programme de santé mentale a pour mandat de fournir des services psychiatriques et de santé mentale aux adolescents d'âge avancé. Trop souvent, les interventions requises pour soit résoudre une crise ou éviter une hospitalisation étaient rares, sinon inexistantes, quand les jeunes personnes en avaient le plus besoin.
Les listes d'attente pour obtenir des services de santé mentale pour les adolescents dans la région de St. John's ont tendance à varier considérablement. En effet, le délai d'attente peut varier entre 3 et 12 mois, et j'ai vérifié tout récemment en prévision de la discussion d'aujourd'hui, et j'ai appris que la moyenne était d'environ 11 mois. Bien entendu, le délai varie selon la nature du service et de la consultation. J'ai également appris qu'il y avait à peine 4,5 postes équivalents temps plein affectés aux services de santé mentale pour les adolescents, et cela comprend les adolescents dont l'âge se situe entre 13 et 21 ans. D'autre part, il n'existe plus dans la région de programme pour patients externes axé spécifiquement sur les adolescents qui comprend les services psychiatriques. Tous nos services ont tendance à être fragmentés, et je n'ai pas trouvé de modèle de service qui comportait un volet exhaustif axé sur les adolescents.
Le programme BRIDGES a été lancé à titre de projet pilote sous la houlette du Programme de santé mentale. Il a duré de juin 2001 à juin 2002. Le service a été conçu de sorte qu'il réponde bien aux besoins et qu'il soit directement lié au Programme de santé mentale, y compris en ce qui a trait au service d'hospitalisation et au service d'urgence psychiatrique.
On visait à offrir des services externes rapides et adaptés au développement des adolescents d'âge avancé souffrant de crise ou de maladie psychiatrique ou mentale aiguë.
Le deuxième objectif consistait à assurer soutien et suivi aux clients des services d'hospitalisation et externes du Programme de santé mentale. Ces services de soutien et de suivi comprenaient notamment les recommandations de psychiatres et de la division psychiatrique du département d'urgence.
Le troisième objectif était d'aider des jeunes personnes, avec le soutien de leur famille, à surmonter les crises.
Le dernier objectif était d'assurer la gestion de cas pour les jeunes dont le diagnostic avait révélé une maladie mentale aiguë qui nécessitait un soutien et une collaboration multiorganisationnels. Jusqu'alors, les services de gestion de cas dans cette région, ainsi que dans bien d'autres régions, n'étaient offerts que dans le cas des adolescents de 18 ans ou plus.
Les services prévus dans le cadre du programme comprennent un service d'intervention rapide, dans un intervalle de 72 heures à partir de la recommandation initiale d'hospitaliser le patient souffrant de maladie mentale, dans le cas des personnes et des familles dont on estimait qu'il était approprié qu'elles subissent une brève intervention. Les interventions duraient entre une et six sessions, selon le besoin et selon que le client décide de continuer le traitement ou pas. Les progrès sont régulièrement examinés lors des réunions d'équipe. La consultation psychiatrique est possible pour les clients inscrits au programme à la demande des membres de l'équipe. À l'heure actuelle, l'accès à la consultation psychiatrique est limité à trois heures par semaine dans le cadre du programme communautaire, et c'est loin d'être suffisant. Enfin, des services de courtage sont fournis pour aider les clients à trouver des ressources au sein de la communauté.
L'équipe clinique est composée de deux travailleurs sociaux, d'un psychologue, d'une infirmière, qui s'occupent de la coordination des admissions et de la gestion des cas, ainsi que d'un ergothérapeute à temps partiel.
Depuis 2001, le programme a reçu plus de 1 400 patients recommandés pour la plupart de St. John's et des autres régions de la presqu'île Avalon. Il est intéressant de noter qu'environ 50 p. 100 de ces patients nous sont recommandés par des médecins de famille qui ont déjà posé une sorte de diagnostic DSM IV. Ce n'est pas quelque chose que nous avions nécessairement prévu, mais...
Le président : Qu'est-ce qu'un diagnostic DSM IV?
M. Shortall : Il s'agit du diagnostic normalisé pour les maladies mentales. C'est le manuel diagnostic statistique, si je ne m'abuse.
Les problèmes ou les diagnostics courants qui font qu'une jeune personne se retrouve dans notre programme sont typiques de ce qu'on s'attendrait à voir dans n'importe quel contexte de santé mentale, y compris la dépression, les troubles alimentaires, la toxicomanie, les comportements suicidaires et les comportements autodommageables, des problèmes d'anxiété et la psychose.
Le programme BRIDGES a apporté beaucoup de bénéfices à notre communauté, notamment la transition améliorée des soins hospitaliers au suivi en communauté, la consultation rapide et à court terme pendant que le patient est en crise plutôt que d'avoir à attendre des mois jusqu'à ce que le problème soit presque résolu ou qu'il soit devenu plus chronique, ainsi que la possibilité pour les médecins de famille, les parents et les professionnels communautaires de collaborer avec une équipe d'experts spécialisés.
Cela étant, seule une infime proportion de jeunes qui ont besoin d'un service y ont accès. Ceux qui reçoivent de l'aide ne bénéficient pas d'un temps de traitement suffisant pour régler les problèmes plus complexes. La plupart des régions de notre province ont besoin de tout un éventail de programmes inexistants pour le moment pour traiter adéquatement ce genre de troubles. À l'heure actuelle, dans notre région, les services sont tellement surutilisés que les longues listes d'attente sont devenues la norme. Pis encore, il y a des régions de la province où des services accessibles pour les enfants et les jeunes n'existent tout simplement pas. Même dans les régions où ces services existent, par exemple dans la partie centrale de Terre-Neuve et sur la côte Ouest de la province, les listes d'attente sont souvent longues. Nos collectivités rurales sont aussi un défi unique en ceci que l'exode rend encore plus difficile le maintien d'une base centrale de services de santé mentale pour les enfants et les jeunes.
Je vais parler maintenant brièvement de certains points forts que j'ai relevés dans le rapport.
Premièrement, la discussion en table ronde sur les troubles des adolescents fait état des effets sur les parents des adolescents vivant avec des troubles mentaux. À moins que les parents cherchent à obtenir de l'aide auprès des services de protection des enfants, ils ne seront admissibles à aucune forme de soutien à domicile. Le comité signale que dans certaines conditions, les services devront être fournis à domicile et dans les écoles, et ce, à différentes heures de la journée. Nous appuyons sans réserve cette recommandation.
Deuxièmement, on reconnaît le fait que les services pour les enfants et les jeunes manquent lamentablement de moyens, de coordination et d'uniformité à l'échelle du pays. La situation est la même à Terre-Neuve-et-Labrador. Une stratégie interministérielle faisant intervenir tous les ministères serait un excellent premier pas vers la réorganisation et le renforcement des services de santé mentale pour les enfants et les adolescents. Le modèle de coordination offre un exemple parfait d'une approche illustrant les avantages de la collaboration interorganisationnelle pour l'amélioration des services de santé mentale et d'éducation dont bénéficient les enfants.
Troisièmement, la notion qu'il n'existe pas de solution universelle est un principe extrêmement important qu'il faut se rappeler. Les programmes de santé mentale dans notre province, et dans bien d'autres, sont axés principalement sur les populations adultes. La prestation de services de santé mentale pour les enfants, les jeunes et les familles, étant radicalement différente, nécessite une formation spécialisée. Les outils d'évaluation des adultes ne fonctionnent pas, pas plus que les méthodes de traitement adultes. Nous savons aussi que les environnements de traitements adultes ne marchent pas. Pendant longtemps dans notre province, un jeune de 16 ans pouvait être admis à un hôpital psychiatrique, alors que nous savons fort bien que ce n'est pas forcément l'environnement qui convient le mieux. Toutefois, depuis un certain temps maintenant, nous avons des endroits pour traiter ces patients en dehors du système adulte. Les enfants n'évoluent pas au même rythme que les adultes, et c'est pourquoi nous devons faire en sorte de ne plus créer le type de modèles de services qui sont axés sur les adultes et qui ne conviennent pas aux enfants et aux jeunes.
J'aimerais vous faire part de quelques suggestions. Premièrement, la prévention primaire : les programmes d'intervention précoce offrent des interventions importantes aux jeunes à risque. Les déterminants de la santé mentale sont fondés sur des facteurs tels la pauvreté, l'environnement familial et les soutiens de la communauté dans la vie de l'enfant. Bien des enfants et des jeunes qui ont affaire à nous n'auraient pas besoin d'une intervention intensive en santé mentale si ces déterminants étaient différents. Il faudrait donc renforcer l'accent sur la prévention des problèmes de santé mentale. Les populations qui devraient être ciblées par les approches de prévention primaire comprennent les enfants de parents souffrant de maladies mentales et de toxicomanie, les enfants issus de milieux défavorisés, les enfants sous tutelle et les enfants visés par des mesures de protection, ainsi que les familles à risque qui manquent de compétence parentale et les enfants et les jeunes à risque en raison de problèmes d'anxiété ou de comportement.
Le deuxième secteur où nous estimons qu'il y a lieu de faire des améliorations est celui des interventions en cas de crise. Dans diverses parties de la province, cela peut être particulièrement difficile, surtout pour les petites localités, où il y a peu de personnel adéquatement formé et où il n'y a pas d'endroit pour hospitaliser et stabiliser les enfants et les jeunes impossibles à gérer. Il faut créer davantage de services mobiles d'intervention en cas de crise dans chaque région. Le mode d'intervention devra être adaptée à notre géographie et à celle de la région ainsi qu'aux moyens qui y existent.
Il faut fournir des intervenants sur demande affiliés avec le Janeway. C'est notre centre provincial de soins des enfants. Ces intervenants couvriraient la région de St. John's et pourraient être consultés par d'autres régions. Pour les soins actifs, cet été, il n'y aura que trois lits d'hôpitaux pour les jeunes pour toute la province et au moins deux de ceux-là seront occupés par des adolescents atteints de troubles de l'alimentation.
Un système efficace de soins actifs doit englober tous les secteurs de la vie de l'enfant. Des services expressément conçus pour soigner la santé mentale doivent être reliés à une gamme de services capables d'aider l'enfant au moment d'une crise aiguë. Un éventail complet de services doit comprendre des choses comme des programmes de traitement de jour, des programmes scolaires variables qui comportent des éléments de traitement de jour et de classe normale où les enfants atteints de troubles de comportement peuvent être intégrés et obtenir l'aide dont ils ont besoin. Rien de cela n'existe actuellement. Nous n'avons qu'une seule salle de classe distincte qui ne relève pas forcément d'un service de santé mentale; il faut donc s'adresser à l'extérieur pour obtenir des services.
Il nous faut des places réservées aux adolescents plus âgés. C'est quelque chose que nous réclamons depuis longtemps et qui est actuellement au stade de développement.
Il faut recourir davantage à la technologie, à la télépsychiatrie; nous en avons fait l'essai et obtenu de bons résultats il y a quelques années, mais le financement a manqué pour poursuivre l'expérience. Nous espérons que la nouvelle stratégie provinciale pour la santé mentale nous y aidera.
Les services à domicile et les services externes. Les enfants et les jeunes qui ont besoin de services de santé ont souvent besoin d'aide et d'assistance dans beaucoup de domaines de leur vie. Un programme efficace répondrait aux besoins de toute la personne. Il faut pour cela des services à domicile et externes : des programmes de loisirs locaux faciles d'accès pour les enfants démunis; un point d'entrée qui évite le blocage du système — trop souvent, les gens sont pris dans un blocage administratif quand vient le moment de décider qui est approprié pour quel service et il faut mieux coordonner cela comme groupe collectif; des systèmes de communication qui permettent aux fournisseurs de services d'avoir accès à l'information; et des plans mieux coordonnés de soins qui encouragent la communication entre les services spécialisés, les écoles et les familles.
Pour les options de services à domicile, il nous faut du soutien des modes de vie qui inclut la fourniture d'aide à domicile et de services de gestion de cas; des centres de traitement à domicile pour des populations difficiles à desservir; du logement auxiliaire pour les jeunes atteints de maladie mentale — nous n'avons rien qui existe expressément pour les jeunes en crise atteints de maladie mentale, sauf l'hospitalisation, ça se fait de façon ponctuelle, habituellement en situation de crise; et des services de traitement des dépendances conçus expressément pour les jeunes.
Enfin, il nous faut des services plus spécialisés. Demain, on vous parlera davantage d'un programme de lutte contre la psychose précoce, très spécialisé, qui vise d'abord les jeunes mais s'adresse aussi à d'autres catégories d'âge. Il faut mettre sur pied davantage de services régionaux spécialisés pour que chaque région de la province ait mieux accès à des services satellites.
Il faut améliorer les possibilités d'accès aux consultations psychiatriques. Le besoin est particulièrement criant, surtout pour les enfants et les jeunes; ils ne devraient pas avoir à attendre aussi longtemps qu'ils le font pour subir une évaluation psychiatrique. Parfois, il suffit d'une consultation, le travail étant ensuite fait par le psychiatre avec l'aide des membres de la famille; actuellement toutefois, c'est une chose difficile à moins qu'il s'agisse d'une urgence absolue.
L'hospitalisation doit être flexible pour pouvoir recevoir en milieu général des personnes souffrant de troubles mentaux.
Enfin, notre programme repose sur la force. Je veux dire par là que nous essayons de travailler dès le début avec des gens en demandant l'avis des jeunes, pourquoi ils sont là, même si la personne qui nous l'a référé nous a dit pourquoi à son avis le malade a besoin d'aide. Nous disons d'entrée de jeu que nous leur demandons leur avis; nous employons divers moyens : des questionnaires et des échelles d'évaluation de la séance pour qu'après chacune d'elles le jeune puisse faire part de ses réactions, ce qui établit une réciprocité beaucoup plus grande.
Le président : Ian, j'ai été frappé quand vous avez décrit votre équipe de services — deux travailleurs sociaux, un psychologue et ainsi de suite — or l'équipe ne comprend pas de psychiatre, n'est-ce pas?
M. Shortall : Au début, oui, puis le psychiatre a déménagé. Évidemment, il est parfois difficile de remplacer les psychiatres et de les faire venir ici dans la province. Un autre a été recruté, mais il devait aussi travailler en milieu hospitalier. Actuellement, nous pouvons nous prévaloir de ses services pendant trois heures, un après-midi par semaine, pour les clients qui sont vus par d'autres membres de l'équipe. Avant, nous avions un psychiatre.
Le président : Avez-vous accès à un plus grand nombre de psychologues cliniques et de travailleurs sociaux qui font du counseling et ce genre de choses? J'aurais cru qu'ils seraient plus disponibles que les psychiatres.
M. Shortall : Oui, ça dépend. En fonction du programme. Dans notre région, il y a sans doute plus de services pour les enfants et les jeunes qu'ailleurs, mais ils ne sont pas nombreux.
Le président : Par région, vous voulez dire l'Est?
M. Shortall : Oui. Essentiellement, les services sont à St. John's. Par exemple, il y a un programme semblable au mien qui voit des enfants de 2 à 21 ans; en tout, l'effectif est de 13 psychologues et travailleurs sociaux. Comme la région compte à peu près 180 000 habitants, il y a souvent une liste d'attente.
Le président : Pourriez-vous nous définir les catégories et les âges? Vous avez parlé d'enfants, de jeunes, d'adolescents et d'adultes. Si je vous pose la question, c'est que notre rapport devra préciser une catégorie et un âge. Nous avons constaté que dans certains endroits du pays un enfant, c'est quelqu'un de 16 ans et moins, pour les services pour enfants, alors qu'ailleurs ce sont les moins de 19 ans. Ailleurs encore, il y a une catégorie intermédiaire; il y a les enfants, les moins de 12 ou 13 ans, puis il y a le jeune ou l'adolescent — j'aimerais savoir quelle appellation est préférable — puis il y a les adultes. Il y a d'autres provinces encore où un moins de 16 ans est un enfant; celui qui a plus de 18 ou 19 ans est un adulte et celui de 17 ou 18 ans n'est pas couvert parce qu'il n'est ni un enfant ni un adulte.
M. Shortall : Oui.
Le président : C'est difficile à comprendre, mais cette catégorie d'âge n'apparaît nulle part. J'ai deux questions pour vous. Y a-t-il des catégories d'âge à Terre-Neuve qui déterminent à quel programme s'adresser? Deuxièmement, quel âge sert à déterminer la catégorie des enfants et établit-on une distinction entre les jeunes et les adolescents?
M. Shortall : C'est une question beaucoup plus difficile qu'il n'y paraît. Ailleurs au pays, la démarcation des catégories d'âge est beaucoup plus nette. Du point de vue juridique, dans notre province, la Loi sur les services à l'enfance, aux jeunes et à la famille fixe à 18 ans la fin de l'enfance. Entre 17 et 18 ans, évidemment, il n'est pas forcément nécessaire de déclarer les cas de maltraitance mais pour les 16 ans et moins, il le faut. Dans notre système de santé, il y a un mois à peu près, on a annoncé que des programmes de santé pour enfants s'appliqueraient jusqu'à l'âge de 18 ans. Avant, les services pour les plus de 16 ans étaient incorporés au système pour adultes. Quand BRIDGES a été conçu, nous avons vu le fossé entre les services pour enfants et les services pour adultes et c'est pourquoi nous avons créé un programme pour les adolescents de 16 à 20 ans.
Les services psychiatriques vont s'occuper d'enfants jusqu'à l'âge de 16 ans, dans les situations d'urgence en tout cas, et on se prépare actuellement à essayer de retenir les services d'un psychiatre qui les verra jusqu'à l'âge de 18 ans. Pour ce qui est des regroupements d'âge, nos services sont désorganisés. Actuellement, un enfant qui est vu en milieu psychiatrique l'est par un psychiatre pour adultes.
Le président : Préférez-vous parler de jeunes ou d'adolescents? Vous avez employé les deux mots.
M. Shortall : Désolé, je préfère jeunes.
Le président : Dans votre document, vous avez parlé d'une table ronde sur les troubles des adolescents.
M. Shortall : Dans le rapport.
Le président : Oui, j'aimerais beaucoup le voir si vous en avez une copie. Peut-être pas ici, mais peut-être pourriez-vous nous en envoyer une. Nous allons vous donner une carte.
M. Shortall : Bien sûr.
Le président : Joan, vous nous avez donné la meilleure description de soutien par les pairs que nous ayons entendue dans tout le pays.
Mme Edwards-Karmazyn : Merci.
Le président : Cela nous est très utile. La terminologie est importante car dans notre dernier rapport des gens nous ont accusés de ne pas avoir employé les bons termes. Employez-vous indistinctement prise en charge de soi et soutien par les pairs? Les mots veulent-ils dire la même chose?
Mme Edwards-Karmazyn : Dans certains cas. Le modèle de la prise en charge de soi repose sur le rétablissement. Même si nous n'appliquons pas les 12 étapes, c'est un modèle de rétablissement par la prise en charge de soi. Des éléments et des principes du modèle de prise en charge de soi sont incorporés à la prise en charge et au soutien par les pairs : des pairs s'entraident. Ceux qui facilitent et dirigent les groupes de prise en charge de soi dans le cadre de CHANNAL sont d'abord des pairs; ils s'identifient comme des consommateurs-survivants et des pairs. Je dirais que les pairs qui s'entraident reçoivent de l'aide individuellement ou en situation de groupe tandis que la prise en charge de soi, c'est le modèle qui fournit cette entraide.
Le président : Formez-vous le travailleur d'entraide? Autrement dit, si je suis un consommateur et si vous voulez que je participe à un groupe d'entraide, suffit-il pour moi d'être consommateur atteint de telle ou telle maladie mentale ou me faut-il une formation supplémentaire?
Mme Edwards-Karmazyn : Je suis heureuse que vous me posiez la question. Dans le cas de l'entraide, comme cela existe actuellement au sein de CHANNAL, il n'y a pas de formation. Par le passé, j'ai formé des agents d'entraide à l'aide du troisième niveau d'acquisition des capacités sociales, formation sanctionnée par un certificat, ce qui signifie qu'il y a bien une attestation de formation pour les agents d'entraide. Sauf que ce n'est pas possible actuellement. Le bénévole qui veut animer un groupe reçoit peu de formation. Pour être animateur, il faut d'abord être un consommateur mais aussi se présenter comme bénévole et c'est ce qui manque. On a besoin de formation.
Le président : Dans cette veine, c'était à Halifax je crois, on nous a parlé d'un programme intéressant offert aux États-Unis, en Géorgie je crois, précisément là-dessus. Ce consommateur était allé suivre...
Mme Edwards-Karmazyn : Ce doit être Roy Muise.
Le président : Roy Muise.
Mme Edwards-Karmazyn : Oui, c'est un collègue à moi. Je connais le programme.
Le président : Il était super, de la façon dont Roy l'a décrit. Êtes-vous d'accord avec lui?
Mme Edwards-Karmazyn : Tout à fait, mais je pense que nous disposons de ce qu'il faut ici au Canada pour...
Le président : Oui, voici donc ma question. Si vous pensez que c'est un bon programme, estimeriez-vous que nous aurions raison de recommander la création d'un programme de ce genre au Canada?
Mme Edwards-Karmazyn : Tout à fait, haut la main.
Le président : Est-ce que ça aiderait beaucoup les gens dans votre secteur?
Mme Edwards-Karmazyn : Oui. Je siège au conseil d'administration du Réseau national pour la santé mentale et quand nous avons constitué la Canadian Coalition of Alternative Mental Health Resources, Roy a eu l'occasion de faire un exposé sur le programme d'entraide de Géorgie, je crois. Il a reçu des appuis à ce niveau aussi. Il est certain qu'il pourrait être canadianisé et appliqué.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci à vous deux d'être venus.
Vous avez parlé d'une nouvelle stratégie provinciale pour la santé mentale. Je suis arrivée en retard et je vous prie de m'excuser. Si je pose une question à laquelle vous avez déjà répondu, dites-le-moi. Après vous avoir entendu employer l'expression, j'ai regardé pour voir s'il en était question dans le document et je n'ai rien vu. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette nouvelle stratégie provinciale pour la santé mentale?
M. Shortall : Il y a à peu près un an et demi, presque deux ans maintenant, un groupe a été constitué pour tenir des consultations et examiner en profondeur les services de santé mentale dans la province à l'intention des personnes souffrant de troubles mentaux, pas seulement les enfants ou les jeunes. Il y a eu plusieurs journées de réflexion, dont une au sujet des jeunes et des enfants, qui a montré que partout dans la province on manque de moyens. Le rapport qui a été publié comportait un certain nombre de recommandations et j'en ai reprises quelques-unes dans mon document.
Le sénateur Trenholme Counsell : La nouvelle stratégie vous donne-t-elle des espoirs? Permettra-t-elle de corriger bon nombre des lacunes que vous énumérez ici? Qu'en pensez-vous?
M. Shortall : Je suis très content des recommandations que contient le rapport. La stratégie se concentre effectivement sur les besoins dans la province. Certaines idées voient le jour aujourd'hui. Par exemple, il était question d'un programme pour la psychose précoce à l'échelle de la province. Dernièrement, nous avons réussi à mettre sur pied un programme satellite avec nos collègues de la région de l'Ouest — Western Health — qui ont un poste de coordonnateur, et nous avons eu des entretiens avec ce groupe. Nous espérons prendre de l'expansion ailleurs dans la province et donner à notre programme, ici à St. John's, une dimension plus provinciale au lieu de se concentrer sur la région de l'Est. Voilà un exemple d'une recommandation de la stratégie qui a vu le jour.
Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur le président, allons-nous entendre parler de cette stratégie ou allons-nous recevoir un document sur la question?
Le président : Demain, je pense. Quoi qu'il en soit, des copies s'en viennent.
Mme Edwards-Karmazyn : À la page 6 de mon mémoire, je rappelle les faits saillants de la stratégie quand je parle du travail de développement local qui a été recommandé dans mon document. C'est court, toutefois.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il y a sans doute beaucoup de matière dans cette stratégie pour la santé mentale. Il nous serait utile de la consulter.
Mme Edwards-Karmazyn : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci.
Je voulais dire avec fierté, vous dites qu'il faut une unité mobile de crise, et j'ai lu la semaine dernière que le Nouveau-Brunswick est la première province au Canada à avoir une unité mobile de crise depuis cette année. C'est ce qu'elle dit, je crois. Elle s'en vante. Il y aura deux unités dans la province, à intervention très rapide, a-t-on promis. L'idée me semblerait tout à fait applicable dans votre province et je vous exhorte à vous en inspirer.
Je voulais vous poser deux questions à propos des initiatives concernant la petite enfance. À la page 5, vous dites « devrait être ciblé », et cetera. Avez-vous des initiatives pour la petite enfance, des services d'intervention auprès des petits ou de la famille à l'échelle de la province? Chez nous, les cinq points que vous avez mis en relief sont précisément les indicateurs d'une vulnérabilité possible chez les enfants.
M. Shortall : Je ne vais pas essayer d'en parler parce que je n'ai pas travaillé aussi étroitement dans ce secteur ces dernières années, et je ne suis sans doute pas la personne pour vous répondre. Il y a des programmes dans la ville qui répondent aux besoins des jeunes enfants.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je pensais à l'évaluation des nouveau-nés ou des tout-petits à l'échelle de la province...
M. Shortall : Non.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il n'y en a pas à Terre-Neuve?
M. Shortall : Des évaluations à l'échelle de la province : pouvez-vous être plus précise?
Le sénateur Trenholme Counsell : Je parle des vulnérabilités des jeunes enfants. Certaines provinces évaluent tous les enfants peu de temps après leur naissance pour déterminer leur vulnérabilité, si vous me passez l'expression, puis l'on entame un programme d'intervention, lequel programme fait appel, bien entendu, principalement aux familles.
M. Shortall : Le ministère de la Santé publique évalue les enfants aux stades primaires et offre un soutien aux familles à l'occasion et, bien entendu, au besoin, il les aiguille en conséquence.
Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce qu'on évalue tous les enfants ou seulement ceux qui ont été recommandés?
M. Shortall : On évalue tous les enfants durant la période de vaccination et d'évaluation prématernelle. Jusqu'à ce stade-là, quand les enfants sont encore très jeunes, j'ignore s'il existe un mécanisme spécifique en place pour identifier les enfants à risque élevé, hormis le contexte hospitalier, et c'est à ce niveau-là que se fait l'identification.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je voulais vous poser une question sur la technologie et la télépsychiatrie, car j'avais l'impression que Terre-Neuve était un chef de file en matière de télémédecine. Je sais que la télépsychiatrie fonctionne bien dans le cas des jeunes personnes. C'est parfois moins menaçant que d'avoir à s'asseoir devant un médecin qui porte son tablier de laboratoire, un costume et cravate ou peu importe. Vous avez dit qu'on a commencé, mais est-ce qu'on a continué. Est-il vrai que vous ne vous en servez pas énormément?
M. Shortall : Il y a des années, je pense que c'était au début des années 90, un psychiatre oeuvrant dans notre système a entrepris une étude et a cherché à déterminer, si ma mémoire est bonne, l'exactitude du diagnostic d'un enfant au moyen de la télépsychiatrie par opposition au diagnostic en personne. L'étude a examiné de nombreuses variables autour de ces diagnostics et a déterminé qu'au bout du compte les deux types de diagnostic étaient aussi fiables pour ce qui est de déterminer les besoins thérapeutiques de l'enfant. Cette méthode avait gagné de l'appui à l'époque, et bien entendu, maintenant, dans le contexte de cette nouvelle stratégie de santé mentale...
Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce qu'elle en fait partie?
M. Shortall : Elle fait partie de la stratégie. Nous espérons nous en servir aussi dans le programme de détection de la psychose précoce.
Le sénateur Trenholme Counsell : Très bien.
M. Shortall : Nous espérons nous en servir particulièrement dans des régions comme Labrador où, distance oblige, il est difficile de transporter les gens d'une région à l'autre.
Le sénateur Trenholme Counsell : Nous entendons parler de certaines villes du pays et des problèmes qui existent dans les rues. Je suis native d'un très petit village du Nouveau-Brunswick, et je connais très bien les petits villages, leurs problèmes et, trop souvent, leur déclin. À St. John's ou à Corner Brook, chez vous, avez-vous observé un nombre croissant de jeunes personnes éprouvant des problèmes psychiatriques en raison des changements survenus dans la société de Terre-Neuve, en général, et dans le village, en particulier, c'est-à-dire tous ces facteurs qui affectent la vie à Terre-Neuve? J'espère que la réponse est non.
M. Shortall : Dans une étude réalisée il y a quelques années par l'Association canadienne pour la santé mentale, il a été question de l'expérience que nos jeunes vivent dans la province. Un des aspects abordés par l'étude est la santé mentale, en particulier l'incidence des changements survenus dans les régions rurales de notre province. Comme je l'ai indiqué, l'exode est un problème de taille. Des familles ont dû quitter leurs collectivités, parce qu'on a fermé les pêches. L'étude a également évoqué la prévalence accrue de la dépression chez les jeunes, notamment chez ceux qui auraient peut-être souhaité rester dans leurs collectivités natales et qui s'imaginaient y demeurer sans pour autant que cela soit vrai en raison de l'économie défaillante de ces collectivités.
Le sénateur Trenholme Counsell : Avez-vous des problèmes de délinquance juvénile dans les rues de St. John's?
M. Shortall : Nous avons un secteur bénévole, notamment un programme qui s'appelle « Choices for Youth ». C'est un programme qui est axé sur le centre-ville. On s'est doté d'un nouvel immeuble, où l'on a aménagé un abri pour jeunes hommes dont l'âge se situe entre 16 et 29 ans et qui ont besoin d'un abri ou d'un logement d'urgence. Il y a de nombreux bénévoles qui travaillent pour les Health and Community Services ou le programme Choices for Youth qui aident les jeunes à trouver un logement.
Ils ont en outre formé un groupe de bénévoles composé surtout de travailleurs sociaux et de quiconque a déjà travaillé dans le domaine de la santé mentale ou qui ont une formation en counseling et qui vont un soir par semaine faire le travail d'un travailleur sur le terrain. Ils peuvent notamment donner de l'information aux jeunes qui passent leur temps dans les rues. Ils peuvent essayer d'engager un dialogue avec un jeune qui se tient dans une zone où il pourrait être à risque puis l'encourager ou lui donner de l'information pour qu'il puisse demander de l'aide ou visiter le bureau qui se trouve au centre-ville pour se renseigner sur les ressources disponibles ou encore sur les options qui s'offrent à lui. Le programme n'en est qu'à ses balbutiements. Il n'existe que depuis deux mois seulement.
Le sénateur Tremholme Counsell : Joan, j'aimerais que vous me parliez de la rémunération des bénévoles. Ce que j'ai entendu m'inquiète, mais il me semble qu'il y a eu peu de dialogue ou d'échange sur cette question. Vouliez-vous dire qu'il faudrait rémunérer ceux qui deviennent des travailleurs d'entraide ou qu'entendez-vous au juste? Je crois que nous tous autour de la table croyons au bénévolat et nous devons être de farouches défenseurs de cette cause puisque le nombre de bénévoles est en baisse alors que les besoins augmentent. Que voulez-vous dire au juste quand vous parlez de la rémunération des bénévoles.
Mme Edwards-Karmazyn : À CHANNAL, nos bénévoles, nos animateurs bénévoles et nos coordonnateurs régionaux reçoivent une indemnité parce qu'ils font du travail d'action sociale. Ils seraient indemnisés pour leurs frais de déplacement. Ils recevraient une somme supplémentaire. Beaucoup de nos bénévoles touchent une pension d'invalidité.
Le sénateur Trenholme Counsell : D'accord, il s'agit donc de gens...
Mme Edwards-Karmazyn : Ils reçoivent une somme modeste à l'intérieur du plafond au-delà duquel chaque dollar additionnel de revenu entraînerait une récupération fiscale équivalente. Il s'agit de verser à nos bénévoles des honoraires ou une indemnité pour le travail qu'ils font.
Le sénateur Tremholme Counsell : Vous ne voulez pas parler de gens qui sont en parfaite santé et qui décident de travailler comme bénévoles pour des groupes d'intervention en santé mentale. Vous voulez parler de gens qui se sont rétablis après une maladie mentale et qui veulent aider les autres?
Mme Edwards-Karmazyn : Oui, des animateurs bénévoles qui sont des consommateurs-survivants de soins psychiatriques et qui jouent maintenant un rôle de leadership en faisant don de leur talent et de leur temps. Certains ont des talents innés de leadership et une vaste expérience. Par ailleurs, les coordonnateurs régionaux qui appuient ces animateurs bénévoles peuvent aussi compter sur des facilitateurs qui font partie de leur groupe. En plus des six chefs d'équipe bénévoles que nous avons dans chacune des régions, nous pouvons avoir de quatre à cinq douzaines de bénévoles qui aident le coordonnateur régional à administrer le programme.
Le sénateur Cordy : Merci. Vous nous avez donné des renseignements très utiles.
Joan, j'ai bien aimé vos adages. « Nous devons nommer la maladie, l'assumer et la dompter » et « Rien pour nous sans nous ». Je crois que ces deux expressions à elles seules résument tout votre exposé.
Vous avez parlé de gens qui se portent bénévoles pour faire de la médiation ou du soutien par les pairs et nous parlons là de gens qui n'ont pas les ressources voulues pour acheter une passe d'autobus ou autre chose du genre. Est-ce qu'il est difficile d'obtenir du financement pour ce genre de chose, de l'argent pour acheter une passe d'autobus ou faire le plein d'essence? Si vous embauchez une personne dans le cadre d'un programme, vous pouvez alors dire : « Le salaire est de tant par semaine » mais vous ne payez pas le bénévole pour qu'il puisse couvrir ses autres dépenses. Vous donnez au bénévole les ressources voulues pour qu'il puisse se rendre du point A au point B.
Mme Edwards-Karmazyn : Lorsque nous versons des honoraires ou une indemnité à nos bénévoles, c'est à eux de décider ce qu'ils en feront. Nous ne leur disons pas, par exemple, cette somme doit couvrir vos frais de déplacement. Ils peuvent se servir de l'argent pour acheter un paquet de cigarettes, nous le savons. Toutefois, ils sont libres de choisir mais nous avons constaté que cela leur permet souvent d'acheter une passe d'autobus ou de se payer un autre mode de transport. Nous veillons, dans le cadre du programme, à répartir équitablement dans chaque région le budget consacré aux frais de déplacement. Ce n'est pas une répartition égale. Par exemple, à St. John's, l'indemnité de déplacement servirait à payer le transport en autobus ou en taxi lorsqu'un bénévole fait des travaux d'action sociale, de lobbying ou d'intervention. Nous faisons une distinction entre l'intervention avec un grand I et l'intervention avec un petit I. L'intervention avec un grand I consiste à intervenir au profit d'un groupe dans le cadre d'un programme d'action sociale; l'intervention avec un petit I consiste à aider quelqu'un à se rendre à l'hôpital pour obtenir des soins.
Nous avons constaté que nos bénévoles dans les régions éloignées ont énormément de mal à se déplacer en raison des grandes distances. La population est répartie dans plusieurs petits hameaux dans le sud-ouest du Labrador, à Labrador City, par exemple, et 15 personnes peuvent faire appel au même groupe. Nous cherchons maintenant des façons d'utiliser les téléconférences une fois toutes les trois semaines environ pour que les gens n'aient pas à se déplacer pendant l'hiver pour profiter des services d'entraide personnalisés. C'est une solution créatrice que nous envisageons. Nous songeons aussi à faire du covoiturage, mais cela suscite des problèmes pour ce qui est de l'assurance. Nous devons bien examiner la question du covoiturage, vérifier les exigences en matière d'assurance et la contribution que nous pouvons apporter. Il ne suffit pas de dire : « Vous devez faire du covoiturage et si vous le faites voici de quoi couvrir vos frais de déplacement ou encore vous pouvez demander le remboursement dans le cadre du programme ». Une part importante de notre budget est réservée aux frais de déplacement étant donné la géographie de notre province.
Le sénateur Cordy : Quand vous parliez de pratiques exemplaires, vous avez aussi parlé de défis liés au rétablissement, au sentiment d'impuissance. Avons-nous modifié notre façon de former les professionnels en santé pour qu'ils comprennent que les programmes d'entraide sont extrêmement importants, que les programmes communautaires sont extrêmement importants et que les consommateurs du système de santé mentale peuvent non seulement retrouver leur autonomie mais peuvent réintégrer la population active et redevenir contribuables?
Mme Edwards-Karmazyn : Oui. À Terre-Neuve-et-Labrador, on a mis sur pied un programme étonnant de formation des cliniciens et des travailleurs de la santé qui s'appelle « Changing Minds Project ». L'Association canadienne pour la santé mentale, de concert avec d'autres partenaires de la collectivité, a élaboré cet étonnant programme mis sur pied à la fin de l'enquête sur Fred Powell et Norman Reid. Nous avons eu deux décès résultant d'une intervention policière qui ont mené à la tenue de l'enquête. Le projet « Changing Minds » a été mis sur pied pour former les intervenants de première ligne, y compris les travailleurs en santé mentale, les ambulanciers, les policiers, les pompiers, les prestataires de service dont les directeurs d'écoles secondaires. Le programme entre maintenant dans sa phase opérationnelle. Je crois que l'Association canadienne pour la santé mentale discutera du lancement du projet « Changing Minds » lors de l'assemblée générale annuelle qui se tiendra cette année à Edmonton en septembre.
Pour ce qui est de la formation des divers intervenants, oui, nous leur faisons comprendre l'importance de l'entraide. Le rétablissement débute dès que nous avons l'occasion de nous rencontrer à chaque étape de notre retour à la santé. Aujourd'hui, je suis une personne en santé mais dans le passé j'ai été très malade. Se raconter aide à guérir. Cela nous aide.
Le sénateur Cordy : C'est aussi une bonne façon de réduire la stigmatisation aux yeux de la population quand nous pouvons donner un visage humain à ceux qui ont été des consommateurs du système.
Ian, je suis curieuse. Vous avez dit que le temps d'attente peut varier entre trois mois et un an et qu'il est à l'heure actuelle d'environ 11 mois. Qu'advient-il des enfants qui doivent attendre 11 mois?
M. Shortall : Divers programmes visent à établir les listes d'attente selon certaines priorités. Bien entendu, à l'heure actuelle, notre propre organisation se penche sur les questions liées aux listes d'attente en mettant l'accent sur la santé mentale. Dans le cadre du programme BRIDGES, nous n'avons pas de liste d'attente et nous avons réussi à fonctionner sans qu'il y ait de listes d'attente depuis quatre ans, soit depuis notre création. Cela tient au fait que nous avons une clientèle très ciblée. Nous voyons des jeunes âgés de 16 à 20 ans. Nous nous occupons de ceux qui ont une crise de santé mentale ou un trouble mental qui les empêche de fonctionner normalement. Nous recevons de 30 à 40 nouveaux cas par mois que nous traitons rapidement sur une courte période sans quoi il y aurait engorgement.
Nous n'avons que trois cliniciens en équivalents temps plein et une personne qui occupe le poste de gestionnaire de cas. Ce qui nous a aidés, c'est que nous avons eu la chance de pouvoir faire appel à un ergothérapeute qui peut travailler de concert avec les autres membres de l'équipe, avec ces jeunes que nous recevons et qui ont des difficultés à fonctionner dans leurs collectivités ou à l'école. Nous avons obtenu d'excellents résultats avec des jeunes qui avaient des besoins très complexes. Toutefois, s'ils ne répondent pas aux critères de notre programme, ils pourraient être dirigés ailleurs et il n'y a dans notre région que deux ou trois autres services spécialisés capables d'aider des jeunes ayant des troubles de santé mentale.
Quand je parle à mes collègues des autres régions, ils se plaignent surtout du fait qu'ils n'ont pas le même accès aux services psychiatriques qu'un programme comme le mien. Ils me disent à quel point il est difficile d'avoir accès à ce système et de le convaincre d'accepter un jeune en difficulté avant de se résigner à l'amener à l'urgence ou à faire venir la police parce que la situation est urgente et que le risque est grand.
Le sénateur Cordy : Vous recevez environ 30 cas par mois et vous offrez une intervention rapide en santé mentale sans hospitalisation. Comment est-ce que cela fonctionne? Qui dirige le patient vers vous en premier lieu, est-ce l'école? Ensuite, grâce à votre intervention rapide sans hospitalisation, le patient participe à une séance de counseling dans les 72 heures? Pouvez-vous nous expliquer comment cela fonctionne?
M. Shortall : Au départ, nous pensions que cela se ferait dans les 72 heures. Nous avons constaté que lorsqu'un patient nous est référé, nous recevons les documents par télécopieur.
Le sénateur Cordy : Qui vous réfère le cas?
M. Shortall : Parfois c'est le conseiller pédagogique de l'école. Environ 50 p. 100 des cas qui nous sont référés le sont par le médecin de famille. Les médecins de famille connaissent bien l'existence du programme. Il y a quelque temps, nous avons lancé une stratégie de communication qui nous a fait connaître et les médecins de famille sont donc la principale source des cas référés. Certains cas nous sont aussi référés par les travailleurs sociaux des services de protection de la jeunesse ou par d'autres professionnels en santé mentale de la collectivité, mais nous avons dit que nous préférons que le jeune soit d'abord vu par une personne en mesure de déterminer s'il a besoin de nos services.
Nous avons fait le choix délibéré de ne pas dire dans notre publicité que nous acceptons les patients qui viennent nous voir de leur propre initiative parce que nous savons que nous ne serions pas en mesure d'absorber ce volume. Dès qu'un cas nous est référé, l'équipe de la clinique en discute lors de la réunion qui se tient tous les jours de la semaine. L'équipe se réunit pendant 15 minutes et examine les cas référés, les attribue à un intervenant ou demande de plus amples renseignements. Nous avons voulu que le cas puisse être traité très rapidement. Lorsque nous devons refuser des patients, nous essayons de trouver quelqu'un d'autre qui puisse les prendre en charge. Sur cette liste de 30 ou 40, il nous arrive, faute de ressources, d'en faire attendre cinq ou sept qui sont en mesure d'attendre.
À nos débuts, quand nous n'étions pas bien connus, nous acceptions tous ceux qui se présentaient à notre porte. Petit à petit, nous avons dû faire un tri plus rigoureux. Nous sommes réticents à faire cela parce qu'il faut poser un jugement de valeur et qu'on espère toujours qu'une fois la décision prise, la personne à qui l'on a demandé d'attendre ou que l'on a dirigée vers un autre programme n'avait pas besoin de plus d'aide qu'une autre personne. C'est un problème systémique. Nous avons aussi besoin des autres personnes qui offrent le service.
Le sénateur Cordy : Vous avez aussi dit que vous jouez un rôle d'aiguillage et que vous pouvez diriger certains patients vers d'autres intervenants. Par exemple, si vous les dirigez vers un psychologue qui n'est pas assuré par le régime d'assurance-maladie, qui paie les honoraires du psychologue? Est-ce le particulier qui doit payer?
M. Shortall : Certains services sont assurés en vertu du Programme d'aide aux employés (PAE) des parents, par exemple, et c'est donc une option. La majorité des gens ici travaillent dans la fonction publique et ses organismes. Un faible nombre de personnes travaillent dans le secteur privé, qu'ils soient travailleurs sociaux ou psychologues. C'est dans ces deux disciplines que l'on trouve des praticiens en pratique privée dans cette province. Au total, cela représente environ 40 personnes, si ma mémoire est fidèle. Il est possible d'obtenir rapidement accès aux services offerts dans le privé pour les enfants et les jeunes. C'est là la véritable différence : si quelqu'un a les moyens de payer, il peut probablement obtenir le service. Ce service ne sera pas nécessairement offert par une équipe spécialisée comme ce serait le cas dans un organisme comme le mien qui peut faire appel à d'autres spécialistes au besoin.
Le sénateur Cordy : Si vous référez quelqu'un à des services, est-ce que vous les référez à des services qui sont couverts par l'assurance-maladie?
M. Shortall : Parfois, et parfois nous les référons aux autres organismes, tout particulièrement si nous pensons que cette personne peut attendre. En général, même si notre programme dure entre une et six séances, nous allouons un peu plus de temps au-delà de ces six séances, parce que les jeunes n'aiment pas être transférés d'un thérapeute à l'autre. Ce fait est très documenté et c'est le cas pour la plupart des gens. Lorsque vous vous engagez dans une relation avec quelqu'un en qui vous avez confiance, vous hésitez à continuer avec une autre personne.
Le sénateur Cordy : Joan a fait référence à la nécessité d'une approche holistique des questions de santé mentale et elle a fait référence à la famille, qu'il s'agisse de votre famille biologique ou de votre famille communautaire. Lorsqu'il s'agit d'un enfant, il faut tenir compte de toute la situation de son environnement, et je me demande ce qu'il en est des enfants qui sont pris dans le système judiciaire. En Nouvelle-Écosse, le gouvernement fédéral a lancé un projet pilote il y a quelques années, dans le cadre duquel ils ont embauché deux personnes pour s'occuper des jeunes contrevenants. Leur travail était de prendre en considération les familles des jeunes contrevenants, parce que souvent la famille a des problèmes, que ce soit en termes du rôle parental, que ce soit du côté de l'enfant qui souffre de dépendance ou que ce soit autre chose. Est-ce que vous vous occupez de jeunes qui ont affaire au système judiciaire?
M. Shortall : Oui. Au départ, notre mandat concerne les jeunes souffrant de maladies mentales, mais parfois, manifestement, nous avons des jeunes qui souffrent de maladies mentales et qui ont aussi eu affaire au système judiciaire. Il existe d'autres programmes également. Un programme que nous avons depuis un certain temps, dont je ne me rappelle plus le titre, fonctionne au sein du système de justice pour les jeunes. Il s'agit d'un programme intensif : un travailleur social doit avoir un faible volume de travail, soit à peu près dix cas, et ses efforts se concentrent sur le jeune et sa famille. Il s'agit de faire la gestion des cas, du counselling et du soutien, et malheureusement, il y a souvent beaucoup trop de clients recommandés. Il est difficile d'accéder à ce service et ce sont les cas les pires qui ont la priorité. Cependant, je dirais qu'un petit pourcentage des gens qui nous sont référés, probablement 20 p. 100, ont eu affaire au système judiciaire d'une façon ou d'une autre.
Dans le cadre du programme Choices for Youth, ils disposent d'intervenants correctionnels auprès des jeunes, ce qui nous a permis de faire plus de travail l'an dernier et de collaborer sur des cas individuels où nous avons pu nous entraider. Cependant, nous reconnaissons que nous devons faire plus que cela.
Le sénateur Cordy : Joan, vous avez parlé de l'hésitation des gens à cesser l'allocation ou les versements provenant des services communautaires ou autres, parce que cela a une répercussion immédiate sur le programme de soins. Est-ce que nous arrivons à mieux coordonner les choses au sein des gouvernements provinciaux? Je ne parle même pas de la coordination entre les gouvernements municipaux et fédéral, mais de la coordination entre les gouvernements provinciaux, de sorte que vous puissiez travailler au salaire minimum, mais continuer d'obtenir de l'aide pour ce qui est des médicaments. Et si ne recevez pas d'assistance sociale, alors êtes-vous complètement coupé de toute aide pour les médicaments?
Mme Edwards-Karmazyn : Je ne connais pas très bien le processus d'obtention des services sociaux ici à Terre-Neuve et Labrador. Je ne peux parler que de l'Ontario, où les programmes permettent ce genre de choses. Ils permettent à une personne d'avoir un revenu combiné, ainsi qu'un revenu de soutien pour invalidité. Sauf votre respect, je crois que Terre-Neuve et Labrador a vingt ans de retard dans bien des services offerts. J'ai le point de vue de l'Ontario, où j'ai travaillé pendant un certain nombre d'années dans le domaine de la santé mentale. Il existe de vastes lacunes et de vastes différences d'une province à l'autre, comme nous le savons tous. À l'heure actuelle, à Terre-Neuve et Labrador, quand je demande à des personnes si elles peuvent recevoir un petit peu plus d'argent pour faire ce qu'elles font au sein de CHANNAL, et qu'elles reçoivent un soutien du revenu, toutes me disent qu'elles peuvent recevoir un montant, mais celui-ci diffère selon la personne. Leur travailleur social leur dit : « Vous pouvez faire 100 dollars de plus par mois », puis quelqu'un d'autre leur dit « je fais 200 dollars de plus par mois ». Je pense que c'est au cas par cas. Je ne pense pas qu'il existe une échelle mobile ou quelque chose du genre. Je n'en ai jamais entendu parler. J'ai l'impression que cela dépend du fait que le revenu est combiné ou non avec une prestation de la Commission canadienne des pensions ou une prestation d'invalidité. Tout dépend de ce que reçoit l'individu, ainsi il n'existe pas de montant précis pour tous. Les gens sont terrorisés de perdre leur aide au revenu, parce que s'ils retournaient sur le marché du travail, ils devraient gagner plus de 50 000 dollars par année pour pouvoir continuer de payer leurs médicaments. Je connais quelqu'un qui doit payer 1 500 dollars par mois pour ses médicaments, ce qui est choquant, ce n'est pas que la personne prenne des médicaments aussi chers, mais plutôt le fait que les personnes sont prises dans ce genre de dilemme. Elles souhaitent travailler, mais savent pertinemment que leur compétence ne leur permet pas de faire suffisamment d'argent pour payer leurs médicaments.
Mme Deborah Jackman, à titre personnel : Je voudrais ajouter quelque chose par rapport à ce qu'a dit Joan. Je crois qu'à Terre-Neuve, il y a eu récemment des changements, c'est-à-dire que si vous obtenez un emploi à salaire minimum, vous avez le droit d'obtenir six mois.
Le président : Qu'arrive-t-il après ces six mois?
Mme Jackman : Vous ne recevez plus rien. C'est pour cela que les gens ont tendance à rester sur l'assistance sociale.
Le sénateur Cochrane : Je vais peut-être commencer avec vous, Joan. À la page 1 de votre mémoire, vous dites que CHANNAL a établi une bonne relation de travail avec son commanditaire, mais qu'en même temps, elle est sur le point de devenir une organisation indépendante. Que feriez-vous en tant qu'organisation importante que vous ne faites pas à l'heure actuelle?
Mme Edwards-Karmazyn : Je vais mettre ce que je dis en contexte. Avant que je ne fasse partie cette organisation, en tant que directrice du développement de l'indépendance, CHANNAL a organisé une conférence et une session de planification, et en est arrivé au point où elle voulait considérer l'indépendance, après 15 ans de commandites. Je crois que CHANNAL a été créé il y a 15 ans avec l'intention de se départir de ses programmes dans une période de deux à trois ans. Cependant, cela ne s'est pas produit. La croissance, l'infrastructure et la gouvernance n'ont pas eu lieu. Avec la participation et le soutien de l'ACSM, il y a suffisamment d'encouragement à l'heure actuelle pour évoluer vers l'indépendance afin de mettre sur pied des programmes ciblant les personnes ayant un vécu psychiatrique qui soient similaires aux autres de l'ensemble du Canada qui sont financés directement par le gouvernement et qui possèdent leur propre numéro d'exploitation du gouvernement. Ils veulent pouvoir le faire. Ils on reçu la bénédiction de l'ACSM pour obtenir l'indépendance, ainsi nous avons une bonne relation de travail et un endossement pour tenter de l'obtenir. Le message est clair, c'est possible. Nous avons vu d'autres modèles réussir et fonctionner. Un programme dont je m'occupais en Ontario dans la région de Muskoka et Parry Sound pendant un certain nombre d'années est actuellement indépendant de l'organisation qui l'a mis sur pied. C'est encore sur le même parcours de rétablissement, mais il ne s'agit pas simplement du rétablissement de la personne. Le message, c'est que oui, vous êtes des adultes et vous pouvez le faire, allez-y, faites-le!
Le sénateur Cochrane : Dans votre domaine, est-ce que d'autres groupes font cela?
Mme Edwards-Karmazyn : Je ne pense pas qu'il existe un autre groupe d'entraide géré par des pairs tel que CHANNAL. Encore une fois, CHANNAL fonctionne depuis 16 ans. À ma connaissance, il n'existe aucun autre groupe ou organisation de ce type. L'Association canadienne pour la santé mentale a commandité CHANNAL pendant toute la période où elle y a participé. À ma connaissance, je ne crois pas qu'il y en ait d'autres. Il peut y avoir d'autres groupes, dans des hôpitaux ou des centres de traitement de jour, ou autres, qui finissent par référer les clients à CHANNAL à un moment ou à un autre, mais non, je ne vois pas d'autre groupe à l'heure actuelle.
Le sénateur Cochrane : Je vais passer à Ian. Je viens aussi du système de l'éducation. Comme le sénateur Cordy, je suis intéressée par le système scolaire. Qu'est-ce qui peut être fait au sein du système scolaire maintenant qui permettrait d'identifier certains de ces enfants et peut-être de leur offrir de l'aide avant que le problème ne devienne trop sérieux? Les enseignants sont-ils formés pour trouver les problèmes — trouver n'est peut-être pas le mot, je dirais plutôt identifier — chez les enfants? Et avant que les problèmes n'empirent, l'enseignant peut-il consulter un médecin ou quelqu'un d'autre, même à la commission scolaire, afin d'obtenir de l'aide le plus tôt possible?
M. Shortall : Dans cette province, nous avons ce que nous appelons maintenant le processus de planification pour le maintien de l'individu, ISSP. C'est un programme qui a été élaboré par divers ministère, soit le ministère de la Justice, le ministère de la Santé et le ministère de l'Éducation. Le but était d'identifier les enfants qui avaient des problèmes de résultats scolaires en relation avec un certain nombre de variables et de facteurs. Certains de ces enfants pouvaient être identifiés par l'école et le principe était que toute personne pouvait demander que cet enfant fasse l'objet d'une évaluation, que ce soit un parent, un travailleur social qui travaille dans la collectivité avec la famille, ou n'importe qui. Tout le monde pouvait le faire. En général, c'est l'école qui demandait l'évaluation, parce que souvent, l'enfant causait des problèmes en milieu scolaire. J'ai travaillé en Ontario pendant cinq ans dans un programme et nous avons eu un programme de traitement d'un jour extrascolaire; de plus, il y avait un système scolaire distinct pour les jeunes identifiés comme ayant des difficultés. Notre système scolaire ne pouvait gérer le cas de ces enfants.
Outre l'identification des enfants, des enfants à problèmes, il y a également l'effet qu'un enfant à problèmes peut avoir sur les élèves de sa classe qui sont témoins de son comportement. Ces enfants eux-mêmes peuvent être traumatisés par les interventions visant à contrôler l'enfant à problèmes. J'ai entendu des histoires d'enfants qui devaient quitter la classe parce qu'un enfant perdait sa maîtrise de soi dans une classe de seconde année, par exemple, où il n'existe aucune ressource dans la salle de classe pour calmer l'enfant comme un aide éducateur ou une consultation avec la personne appropriée. Les conseillers d'orientation dans nos écoles sont souvent affiliés à plus d'une école. Ils ne doivent pas seulement connaître les 500 enfants d'une école; ils peuvent être affectés à deux écoles.
Je préconiserais, et nous avons vu quelques réussites dans ce domaine, la présence de travailleurs sociaux dans les écoles. Nous avons un travailleur social dans quelques écoles de cette région, dans deux ou trois écoles, et ils sont employés par les services de santé et d'action communautaire. Dans certains cas, le travailleur social travaille une partie de son temps dans le système scolaire, mais pas à temps plein. Il peut faire le suivi des enfants dans les familles à haut risque. Je pense que nous avons besoin de plus de ce genre de choses. Je pense que nous avons besoin de plus d'interventions à l'école. Les enfants, tout particulièrement les jeunes enfants, passent la majeure partie de leur temps à l'école. Les enseignants sont débordés et n'ont pas les ressources suffisantes pour corriger certains des comportements des enfants. La taille des classes est souvent trop importante pour les enfants en bas âge. En moyenne, dans une école primaire de la ville, il y a un minimum de 28 à 30 enfants par classe, et il s'agit d'enfants avec des besoins différents : certains peuvent venir à l'école le ventre vide parce qu'ils n'ont pas eu à manger, et cetera.
Le sénateur Cochrane : C'est exact, je sais de quoi vous parlez, parce qu'il existe ici aussi des classes trop nombreuses et c'est très difficile, mais nous avons également dans nos écoles des classes spécialisées pour certains enfants qui ont ce genre d'incapacités.
J'ai également une question sur ce que vous dites à la page 5, que des jeunes sont traités en tant qu'adultes.
M. Shortall : Oui.
Le sénateur Cochrane : Vous mentionnez : « La prestation de services de santé mentale à des enfants, à des jeunes et à des familles est radicalement différente et nécessite une formation spécialisées ». Ça, je le sais. « Les outils d'évaluation des adultes ne fonctionnent pas. » Est-ce que vous dites que parfois, quand il n'y a pas de place pour ces enfants, ils sont mis dans des établissements pour adultes?
M. Shortall : Oui, parfois, si une jeune personne est considérée à risque à cause d'une maladie mentale et qu'il faut l'hospitaliser, si cette personne a plus de 16 ans, dans notre système, elle est placée dans un environnement adulte, dans un hôpital où il peut y avoir d'autres adultes. Nous avons peu de choix dans notre ville et c'est encore pire dans les autres parties de la province. Dans notre programme, nous augmenterons la limite d'âge à 18 ans, et ainsi, il y aura un certain nombre de lits réservés pour les jeunes ayant besoin de soins de santé mentale. C'est quelque chose qui vient d'évoluer. Cependant, pendant de nombreuses années, on retrouvait des jeunes de 16 ans et plus à l'hôpital général, recevant des services pour adultes. Si la personne n'a plus la maîtrise de soi ou si elle considérée comme étant difficile, on peut l'envoyer dans un système pour adultes, dans un hôpital psychiatrique provincial, parce que c'est peut-être le seul endroit où elle peut être traitée en toute sécurité, dans un endroit sûr et une unité sûre. Cependant, c'est considéré comme un dernier recours. Dans certains cas, les patients s'améliorent, mais les intervenants ont la possibilité de décider ce qui serait le mieux. Nous essayons de disposer de plus de choix, de faire en sorte que le service corresponde aux besoins du jeune, plutôt que d'essayer que la personne se conforme au programme.
Le sénateur Cochrane : Vous avez dit qu'il n'y avait que trois lits de disponibles l'été pour les soins en santé mentale?
M. Shortall : Dans la région de l'Est, oui.
Le sénateur Cochrane : Dans la région de l'Est?
M. Shortall : Oui. Il existe un programme à Corner Brook où ils ont, je crois, un certain nombre de lits pour les adolescents et les jeunes dans un hôpital.
Le sénateur Cochrane : Et d'après vous, de combien de lits aurions-nous besoin pour l'été?
M. Shortall : Dans le rapport dont j'ai parlé tout à l'heure, qui date de quelques années, le besoin était de huit à dix lits à tout moment. Récemment, en étudiant les statistiques, nous avons pu réduire ce chiffre à environ quatre lits en tout temps, mais j'aurais besoin de vérifier pour en être sûr.
Le sénateur Cochrane : Dites-vous alors que le système s'améliore?
M. Shortall : Je pense que le système s'améliore, mais nous ne sommes pas là où nous voulons être.
Le sénateur Cochrane : D'accord.
M. Shortall : Si vous prenez deux jeunes qui souffrent de troubles de l'alimentation, qui est une maladie complexe, la durée de leur séjour à l'hôpital peut être plus longue, à cause de complications médicales, et c'est peut être le ou les lits disponibles pour l'été dans la province. Et parfois, ce n'est pas uniquement dans cette région. C'est l'hôpital tertiaire, l'hôpital provincial. C'est mieux que ce que nous avions auparavant, parce que maintenant, au moins, nous pouvons aller jusqu'à l'âge de 18 ans dans un hôpital plus approprié.
Le sénateur Cochrane : Quand cette limite de 18 ans entrera-t-elle en vigueur?
M. Shortall : Pardon?
Le sénateur Cochrane : Vous parliez de l'âge de 16 ans pour les traitements, et vous dites que maintenant, la limite sera de 18 ans.
M. Shortall : Ce centre n'est pas terminé. La structure physique doit être modifiée. La majorité des enfants qui se trouvaient dans ce centre faisaient partie des moins de 16 ans, alors ils étaient encore plus jeunes; c'est pourquoi il faut rénover et construire le centre de telle sorte qu'il y ait une zone distincte pour les plus vieux et qu'il n'y ait pas autant de mélange avec les plus jeunes.
Le sénateur Cochrane : Êtes-vous intégrés ou avez-vous des liens avec d'autres organismes de santé mentale avec qui vous pouvez comparer les progrès, les idées et autres choses? Peut-être que Joan peut répondre également à cette question. Est-ce que vous intégrez vos services à d'autres services de même nature?
M. Shortall : Oui, absolument. Même si nous sommes la plus grande ville de la province, il s'agit toujours d'une petite collectivité très fermée, particulièrement quand on parle d'enfants ou de jeunes, parce qu'il y a si peu de ressources.
Dans le rapport, on fait référence à la fréquentation des services. Ils sont fragmentés, mais parfois, avec les jeunes et les enfants, il faut voir ce qui se passe dans d'autres ministères et dans d'autres programmes, parce que si l'on veut avoir recours à une approche holistique, il faut que d'autres y participent. Nous avons fait beaucoup de progrès et des structures sont en place afin de nous permettre de nous réunir et de parler de certains obstacles à nos services.
Le sénateur Cochrane : Et des points forts.
M. Shortall : Absolument.
Le sénateur Cochrane : Des solutions, n'est-ce pas?
Mme Edwards-Karmazyn : Est-ce que je dois répondre à cette question?
Le président : Allez-y.
Mme Edwards-Karmazyn : La réponse est à la fois oui et non. Nous avons une intégration des services. Nous avons CHANNAL, des bénévoles et des membres qui participent avec des partenaires de la collectivité, et pas uniquement dans le domaine de la santé mentale. C'est dans l'ensemble des soins de santé. Oui, il y a une intégration, mais il pourrait y en avoir beaucoup plus.
Le sénateur Gill : J'ai moi aussi travaillé dans le secteur de l'éducation, j'ai enseigné et j'ai été responsable d'écoles dans les réserves indiennes et hors des réserves indiennes. Quand j'avais un soi-disant problème avec un jeune, j'essayais de tenir compte du comportement de la famille, et cetera.
Je suis préoccupé au sujet des adolescents. J'ai vécu l'adolescence de mes enfants et celle de mes petits-enfants. En passant, j'ai 13 petits-enfants et ils ont tous passé au travers de l'adolescence. Nous savons que ce n'est pas facile pour ces enfants, pour qu'ils arrivent à trouver leur voie dans la vie et à travailler sur leur personnalité. C'est difficile de savoir si un enfant est normal ou non. La société a des normes et quand vous ne vous comportez pas conformément à ces normes, les gens trouvent cela difficile. C'est ce qui me préoccupe. Comment savoir si un adolescent a des problèmes psychiatriques ou s'il vit simplement une crise d'adolescence normale? Je parle de jeunes qui vivent dans des coins isolés de notre pays, par rapport à ceux des grandes villes comme Montréal, Toronto, et cetera. Est-ce que vous pouvez m'expliquer cela?
M. Shortall : Je suis père d'enfants qui n'ont pas encore atteint l'adolescence, et lorsque ce sera le cas, je viendrai peut-être vous voir. Si vous avez 13 petits-enfants qui arrivent à l'adolescence, peut-être que j'ai besoin d'aller vous voir. C'est une bonne question.
Vous avez mentionné la participation des familles et bien sûr les familles participent à notre programme. En tant qu'équipe, nous rencontrons les membres de la famille pour avoir leur point de vue, ainsi que celui de l'enfant ou de l'adolescent sur ce qu'il remarque par rapport à la préoccupation qu'ils ont exprimés. Cela se fait dans une salle, où nous observons ce qui a lieu. Ce n'est pas une salle avec un miroir sans teint. C'est une salle ouverte, dont nous avons fait l'expérience lorsque nous avons commencé notre programme. Les membres de la famille viennent parler pendant une heure de ce qui les préoccupe puis ils ont la possibilité d'écouter les intervenants de l'équipe dire ce qu'ils pensent de la préoccupation ou de ce qui est exprimé. L'équipe a essayé de normaliser certains des comportements dans le contexte de ce qui est normal pour tout adolescent, ainsi il y a une partie éducative que la famille entendra, et il peut y avoir un membre de l'équipe qui a eu de la difficulté avec ça, avec son propre enfant. Nous ne sommes pas différents, aucun d'entre nous. Puis l'équipe explique à la famille ce qui a été observé, ce qu'ils font bien et ce qu'ils devraient continuer de faire. Parfois, nous parlons du problème du jeune comme si c'est un problème extérieur à la personne : il ne s'agit pas de la personne, il s'agit d'un problème qui préoccupe la famille, particulièrement dans les cas où il existe beaucoup de préoccupations sur les comportements. Nous écrivons une lettre à la famille de ce jeune avec nos commentaires sur ce que nous avons fait. Le tout vise à responsabiliser la famille et le jeune, parce que lorsqu'ils viennent consulter, ils peuvent avoir le sentiment de ne rien savoir, comme s'ils demandent de l'aide. En fait, nous partons du principe que les familles elles-mêmes connaissent beaucoup plus leur enfant que nous. C'est le principe à partir duquel nous fonctionnons.
Certaines choses dépassent les limites de, je ne vais pas dire de la normalité, mais cela nous pousse à être plus préoccupés du bien-être de cette personne. Il y a des moyens de poser des questions pour déterminer ce genre de choses. Cependant, faut toujours éviter d'être obnubilé par le diagnostique d'une personne. Les gens sont plus qu'un diagnostique, qu'il s'agisse d'un enfant, d'un jeune ou d'un adulte. Nous essayons de nous concentrer sur les points forts qui les aident à passer au travers de ces problèmes et nous aidons la famille à voir également au-delà du problème présenté. Nous avons intentionnellement formé notre personnel à penser de cette façon-là et nous l'avons fait de différentes façons. Nous avons conçu une boucle de rétroaction continue, à la fois écrite et orale, allant des parents et des familles à l'équipe. Nous sommes ouverts, c'est-à-dire que parfois nous disons que nous ne connaissons pas la réponse. Nous disons : « Nous ne savons pas, il faut que vous nous aidiez pour cela ». Je pense que ce type d'engagement est une façon de normaliser certaines choses. Cependant, nous allons attirer l'attention sur certaines choses ou bien les souligner, si nous pensons qu'elles sont matière à préoccupation.
Le sénateur Gill : Joan, j'aime bien votre approche, vous parlez du soutien des pairs. J'ai grandi dans une réserve. Je suis allé à l'école dans le système scolaire non-autocthone, mais parfois j'avais besoin de revenir à la famille, de revenir voir mon grand-père. Je suis même très ému d'en parler. J'avais besoin d'une référence dans ma vie et c'est la façon dont je l'ai obtenue. Les gens ont besoin d'une explication sur ce qui se passe et de la raison pour laquelle il y a des changements importants. Parfois, j'ai l'impression que nous ne faisons pas suffisamment cela avec les enfants et les adolescents et même parfois avec quelques adultes qui ont des problèmes. Cela ne veut pas dire que nous n'ajoutons pas d'autres valeurs, en vivant dans ce monde d'aujourd'hui. Il nous faut faire cela, mais nous devons garder le contrôle, et pour garder le contrôle, il faut savoir d'où nous venons et qui nous sommes. J'aime votre programme de soutien par les pairs, mais je me demande comment il fonctionne, en particulier lorsqu'il s'agit d'immigrants ou d'Autochtones.
Mme Edwards-Karmazyn : En ce qui concerne le domaine interculturel, les nouveaux immigrants et les Autochtones, au sein de CHANNAL, je suppose que le soutien aux pairs reconnaîtrait très certainement cela comme une barrière initiale possible. Cependant, d'après moi, les individus, les personnes qui travaillent à CHANNAL, les chefs bénévoles sont suffisamment astucieux et conscients, à travers nos discussions et notre quasi-formation actuelle, pour comprendre que nous pouvons transcender la culture, que nous pouvons vaincre et que de toute façon il s'agit de communications au niveau du cœur. J'aime bien en parler comme d'une médecine alternative que les gens peuvent recevoir. De nouveau, je parle de ce que j'ai appris, des histoires que j'ai entendues. Les êtres humains sont des êtres humains. Bien sûr, la culture fait une différence, elle a une influence par rapport à certains domaines de la vie et par rapport à la façon dont la vie s'est développée pour chacun. Cependant, quand vous arrivez à CHANNAL, je suis tout à fait honnêtement capable de vous dire que j'ai confiance en le fait que les gens qui travaillent chez CHANNAL sont capables de transcender la culture. C'est la meilleure description que je peux vous donner.
Le président : Merci à vous deux d'être venus aujourd'hui. Nous avons apprécié vos témoignages.
Le président : Le sénateurs, nos trois prochains intervenants sont Kim Baldwin, directrice de la santé mentale et de la toxicomanie pour la région de Saint-Jean-de-Terre-Neuve, Ron Fitzpatrick, qui est là à titre personnel, et Geri Dalton, qui est une infirmière praticienne à l'unité de séjour de courte durée de l'Hôpital Waterford. Nous allons commencer avec Mme Dalton.
Mme Geri Dalton, infirmière praticienne, Unité de séjour de courte durée, Hôpital Waterford : Bonjour. Je suis heureuse d'avoir été invitée et de pouvoir parler de l'unité d'évaluation de l'Unité de séjour de courte durée et de mon rôle en tant qu'infirmière praticienne dans ce domaine. Je vais vous donner mon point de vue sur la réforme du système de santé mentale.
Je travaille dans le domaine de la santé mentale depuis 24 ans et j'ai occupé plusieurs postes : infirmière de soins généraux, infirmière administratrice, infirmière enseignante et, plus récemment, infirmière praticienne. Je suis infirmière praticienne de soins de santé primaires. J'ai reçu mon diplôme en 1999 du Centre d'études infirmières et j'ai obtenu un emploi dans le programme de santé mentale de ce qui était anciennement la Health Care Corporation de Saint-Jean dans le service d'admission aiguë en tant que l'une des trois infirmières praticiennes embauchées depuis 1999 pour travailler dans ce domaine. À l'heure actuelle, je suis l'infirmière praticienne qui travaille à l'unité d'évaluation psychiatrique de l'Unité de séjour de courte durée de l'Hôpital Waterford. Il s'agit d'un nouveau service qui a ouvert en février 2002. Il s'agit en fait de deux services distincts, mais le personnel fait partie de la même équipe interdisciplinaire qui travaille dans les deux domaines.
L'unité de séjour de courte durée a été créée pour mieux servir les patients ayant besoin d'une brève période de stabilisation en plus d'une évaluation des besoins afin d'assurer une réintégration rapide dans la communauté. C'est une unité d'hospitalisation de sept lits, et l'hospitalisation est d'une durée de 72 heures ou de trois jours ouvrables. Selon les critères d'admission, le patient admis doit avoir un diagnostic psychiatrique et ne doit pas pouvoir être traité de façon sûre dans un environnement moins restrictif. Cependant, les critères d'admissibilité se basent sur le principe que les lits peuvent être libérés dans les 72 heures.
L'unité d'évaluation psychiatrique fournit des soins psychiatriques de 24 heures à la population, y compris les patients emmenés par des policiers et qui sont détenus en vertu de la Loi sur la santé mentale de la province. Ce service est désigné comme un endroit sûr pour les personnes arrêtées en vertu de la Loi sur la santé mentale et qui sont détenues jusqu'à ce qu'une évaluation psychiatrique puisse être effectuée. Auparavant, ce travail était fait en prison. Des personnes appréhendées en vertu de la Loi sur la santé mentale allaient autrefois au lieu de détention de Saint-Jean et y demeuraient jusqu'à leur évaluation. Nous avons essentiellement tiré ces gens de leur lieu de détention et les avons amenés dans notre centre de traitement.
La caractéristique unique de ce service particulier est que nous disposons de trois lits tampons ou trois lits d'intervention d'urgence associée au service, ce qui nous permet d'évaluer une personne sans qu'elle soit admise, mais que nous ne pouvons pas renvoyer chez elle immédiatement. Il est possible que nous ayons à garder cette personne jusqu'au lendemain, que nous vérifions si les antécédents fournis par les proches sont nécessaires ou que nous l'envoyons à d'autres services le lendemain matin. Ils n'ont pas besoin d'être admis à l'hôpital. Auparavant, la seule option dont nous disposions était de faire admettre la personne à une unité psychiatrique d'hospitalisation, alors que maintenant, la personne peut rester jusqu'au lendemain matin dans un lit tampon. Les patients sont surveillés par le personnel et reçoivent une nouvelle évaluation le lendemain matin pour savoir quels sont leurs besoins. Et ils pourraient très bien rentrer chez eux. C'est une nouvelle caractéristique, ces trois lits réservés à ce type de patients dans ce service.
J'ai fait là un survol des services d'évaluation psychiatrique et de l'unité d'évaluation psychiatrique, et je suis sûre que vous voudrez me poser des questions.
Pour ce qui est de mon rôle d'infirmière praticienne dans le réseau de la santé mentale, que je sache, la province compte trois infirmières praticiennes de soins de santé primaires oeuvrant en santé mentale. Je ne crois pas qu'il y en ait d'autres. Même si je suis une praticienne oeuvrant dans les soins primaires, je travaille dans un encadrement de santé mentale. Cela ne veut pas dire que les infirmières praticiennes communautaires ne fournissent pas de services en santé mentale, mais je crois que nous ne sommes que trois dans ce secteur spécialisé. Deux d'entre nous ont été embauchées pour travailler dans les unités des soins intensifs pour malades hospitalisés à l'Institut provincial de psychiatrie de Waterford, et l'une a été envoyée à l'unité des malades hospitalisés du Centre des sciences de la santé. Nous travaillons en collaboration avec le psychiatre, le généraliste et les autres membres de l'équipe interdisciplinaire en vue d'élaborer un plan de traitement, de faciliter l'accès des patients aux services et en vue de déterminer et de mettre en œuvre des stratégies appropriées de promotion de la santé et de prévention des maladies. Nous suivons l'état du patient en cours d'hospitalisation, nous nous demandons quels besoins il faut combler auprès de notre client ou de sa famille et nous fournissons des services d'information ou de counselling sur les questions de santé en vue de faire en sorte que le patient participe de façon éclairée à son traitement et comprenne bien quels traitements lui sont prescrits.
À titre d'infirmière praticienne, j'effectue quotidiennement des évaluations exhaustives de la santé ainsi que des examens physiques, j'approuve des traitements appropriés, j'interprète des diagnostics, je donne des cotes médicales, je fais des diagnostics, je prescris des médicaments et je traite les patients qui relèvent de mon domaine de pratique. Lorsque je rencontre des clients dont l'état de santé déborde de mon domaine de pratique, je travaille en consultation avec d'autres fournisseurs de soins, ou je renvoie le patient à un spécialiste plus approprié. Je gère également des clients dont la condition chronique est stable.
Jusqu'à maintenant, j'ai toujours pratiqué dans des institutions, et j'ai mis surtout l'accent sur le diagnostic et le traitement de maladies mentales aiguës. Puisque ceux que je rencontre sont en crise et se retrouvent hospitalisés à l'unité psychiatrique, cet environnement ne leur est donc pas naturel et, par conséquent, ce n'est pas nécessairement le meilleur moment pour intervenir et faire de la promotion de la santé, de la prévention de la maladie, ou d'imposer une stratégie de réadaptation ou de convalescence. Ce type de services pourrait être beaucoup mieux utilisé dans des organisations communautaires. C'est un défi à relever.
Je demande au comité son appui en vue de l'intégration du rôle de l'infirmière praticienne dans la prestation des services communautaires, que ce soit dans des cliniques de soins de santé primaires ou dans des organisations de prestation des services de santé mentale primaires dans la province. Notre présence ne peut que renforcer l'équipe de fournisseurs de soins qui œuvre auprès des individus, des familles et des collectivités pour améliorer la santé de tous.
En ce qui concerne la réforme des soins de santé mentale à Terre-Neuve, je serai brève. Le gouvernement terre-neuvien a entrepris d'élaborer un plan des services en santé mentale qui s'appliquerait à ses citoyens. Il a donc entrepris beaucoup de consultations dans la veine de ce que proposait le comité, dans ses rapports. Outre les consultations, l'élaboration du plan a donné lieu à des débats, à une recension de la littérature spécialisée, des rapports et des enquêtes, en vue de le rendre exhaustif et applicable à la province. Je m'en réjouis beaucoup, car cela fait déjà 24 ans que je travaille dans ce domaine et que j'attends depuis longtemps la réforme. J'espère que beaucoup d'autres choses surviendront également dans ce secteur, mais le plan existe maintenant, et ce que j'espère, c'est qu'il sera mis en œuvre pleinement et qu'il sera suffisamment financé pour répondre aux besoins de nos concitoyens.
Ce plan parle de l'influence du revenu, du logement, des familles et du système officiel. Ce plan tente de brosser un tableau d'ensemble et de trouver comment répondre aux préoccupations des zones rurales, tout particulièrement, par opposition aux zones urbaines. Il tente de cerner également les services requis.
De façon plus immédiate, il faut réviser notre loi provinciale sur la santé mentale qui remonte à 35 ans et qui est considérablement désuète. Elle a été adoptée à une époque où on se préoccupait peu des droits des patients et des clients, et où les possibilités de traitement étaient extrêmement limitées. Ce qui m'inquiète particulièrement, c'est que, mis à part le Code criminel, cette Loi sur la santé mentale est la seule qui permette la détention d'une personne contre son gré. Notre loi permet également que l'on traite des patients contre leur gré, si l'on estime qu'ils souffrent de maladies mentales et qu'ils sont incapables de décider par eux-mêmes. Cette loi à grande portée est gravement désuète et doit être modernisée. À Terre-Neuve, 500 personnes par année sont admises aux services psychiatriques en vertu de la Loi sur la santé mentale, tandis que 500 patients de plus sont détenus et évalués, et par conséquent non hospitalisés. Cette loi sert souvent à gérer les problèmes de santé mentale de la province, alors qu'elle devrait être de son temps. Jusqu'à récemment, on enfermait surtout les gens pour les détenir. Mais comme je l'ai expliqué, l'unité de court séjour à St. John's a réussi à faire changer cette pratique. Toutefois, on continue à enfermer les gens très souvent dans les zones rurales, puisqu'on n'y trouve pas de lieux sûrs ou de chambres sûres pour garder les patients dans les hôpitaux régionaux.
Tout récemment, dans certains de nos régions éloignées, l'obligation pour un médecin de signer en vue d'autoriser le transport d'un patient vers une unité psychiatrique, lorsque aucun médecin n'est immédiatement disponible, s'est traduite par des délais dans le traitement adéquat et dans une détresse inutile pour ces patients et leurs familles. En incluant dans l'équipe d'autres soignants, comme les infirmières praticiennes, qui peuvent évaluer les individus et les déclarer atteints d'aliénation mentale alors qu'ils sont détenus en vertu de la Loi sur la santé mentale, cela pourrait certes atténuer les problèmes et les préoccupations.
En outre, le processus d'appel afférent à la Loi sur la santé mentale est extrêmement lacunaire. Il n'existe qu'un conseil d'examen dans la province, et il faut attendre longtemps une réponse à sa demande. Je dirais que dans 90 p. 100 des cas, voire plus, lorsqu'il y a demande de révision, on refuse de déclarer les individus atteints de troubles mentaux et on les renvoie chez eux avant même que leur demande ait pu être étudiée. Ça ne va vraiment pas!
Il faut concevoir une nouvelle loi qui respecte l'autonomie et la capacité de décision des individus, et qui se fonde sur des preuves actuelles et les normes de pratique clinique courantes. Peut-être devrions-nous songer à une loi nationale sur la santé mentale plutôt que de charger les provinces de mettre à jour une loi d'une aussi grande portée!
Enfin, une note personnelle qui se fonde sur mes propres observations : l'application récente dans notre province de politiques restrictives sur l'accès aux médicaments atypiques à action anti-psychotique me préoccupe. L'intervention pharmacologique est souvent la clé de voûte du traitement dans bien des maladies mentales et l'accès aux médicaments est crucial. Il ne faut surtout pas mettre en péril le rétablissement de ceux qui souffrent de maladie mentale. On ne peut mesurer en dollars et en sous leur qualité de vie. Il faut leur donner accès à de nouveaux médicaments ayant un meilleur profil en ce qui a trait aux effets secondaires. En leur donnant cet accès, on favorisera une intervention précoce et on empêchera ce déclin de fonctionnement souvent associé à un traitement moins optimal; ainsi, on réduira leur isolement, leur stigmatisation et la discrimination à laquelle ils font souvent face.
En guise de conclusion, notre système de santé mentale au Canada attend depuis longtemps son champion qui prônera une réforme. Je remercie votre comité d'avoir assumé ce rôle. Vos travaux sont plus qu'encourageants.
Mme Kim Baldwin, directrice de la santé mentale et des toxicomanies, Services de santé et services communautaires — région de St. John's : Bon après-midi. D'entrée de jeu, je vous remercie de nous avoir permis de prendre la parole cet après-midi. Lorsqu'on m'a pressentie la première fois, on m'a demandé de vous parler des développements les plus récents dans le secteur de la toxicomanie, et particulièrement du traitement continu à la méthadone. Toutefois, à titre de directrice du programme communautaire de santé mentale et de lutte contre les toxicomanies, je m'en voudrais de ne pas vous signaler certaines des forces de notre province, et certaines faiblesses auxquelles nous nous heurtons.
Cela fait environ 20 ans que je travaille dans le domaine des toxicomanies, et j'ai assumé plus récemment la direction des Services communautaires de santé mentale. Depuis déjà cinq ou six ans, notre organisation songe à intégrer en une seule structure le programme de la santé mentale et de lutte contre les toxicomanies, dans le but de répondre de façon plus appropriée aux problèmes que pose souvent la présence simultanée de maladies mentales et de toxicomanies. Toutefois, nous reconnaissons qu'il faut maintenir et respecter les différences bien précises qui existent entre les deux, et c'est pourquoi nous avons pu garder distinct nos deux programmes qui, par ailleurs, peuvent se recouper.
Tous les programmes que nous dispensons s'inscrivent dans une chaîne de traitements. Nos services de santé mentale vont de l'intervention au moment de la crise au counselling communautaire en santé mentale, en passant par le counselling professionnel et le logement de transition. Du côté de la lutte contre les toxicomanies, nous offrons des services de formation en matière de toxicomanies et de prévention, de désintoxication, de counselling et de soutien. De plus, nous sommes en train de mettre au point des programmes de traitement de jour indispensables, associés à un programme de traitement continu à la méthadone.
Au cours des dernières années, nous avons déployé de nombreux efforts pour assurer un meilleur lien entre nos programmes de santé mentale et de lutte contre les toxicomanies et nous avons réussi quelques percées à l'interne. Toutefois, il faut reconnaître que les soins offerts en communauté et les soins offerts dans les établissements ont traditionnellement été dissociés. Cela a malheureusement donné lieu à des services lacunaires. Au cours des deux dernières années, nous avons reconnu ces lacunes, et nous avons opté pour une planification conjointe : les conseils communautaires et les conseils des établissements ont œuvré en collaboration pour planifier de façon collective les services dans la région. Cette collaboration ne pourra être accrue que par une restructuration des soins de santé telle que celle que nous entreprenons actuellement dans la province et par la création d'autorités sanitaires intégrées qui abriteront sous une même gouverne tous les services de santé mentale et de lutte contre les toxicomanies.
Geri Dalton a fait allusion à la stratégie provinciale relative à la santé mentale et aux toxicomanies qui s'intitule Working Together for Mental Health, ou Travailler ensemble pour la santé mentale. Comme l'a indiqué Geri, cette stratégie est le résultat d'une série de consultations menées dans toute la province et d'un examen exhaustif de la littérature spécialisée et des services qui sont actuellement disponibles. Cette stratégie a pour objet de s'intéresser à tout le cycle des mesures de santé mentale qui va de la prévention à la promotion et à la guérison.
Au cours des dernières années, on a accordé beaucoup d'attention aux questions de santé mentale et de toxicomanie dans notre province. Il me semble pour ma part qu'on aurait dû s'y intéresser depuis beaucoup plus longtemps. En effet, si l'on considère l'ensemble des questions de santé, les toxicomanies et la santé mentale n'ont pas suscité énormément d'intérêt. Je travaille surtout dans le domaine de la toxicomanie, et le financement accordé aux programmes est demeuré inchangé pendant un certain nombre d'années bien que les services aient été de plus en plus en demande et qu'on ait conféré de nouvelles responsabilités aux prestataires de ces services.
Au cours de l'année qui vient de s'écouler, la santé mentale et les toxicomanies se sont davantage hissées au rang des priorités. Ce changement se reflète dans certaines des annonces récentes au sujet du budget provincial et dans l'élaboration d'un plan provincial sur les services relatifs à la santé mentale et aux toxicomanies. En outre, le rapport du Groupe de travail sur l'OxyContin a récemment été rendu public.
Le gouvernement a créé le Groupe de travail sur l'OxyContin pour répondre à certaines revendications et à des préoccupations émanant de la société civile telles que l'ont fait valoir des groupes communautaires des défenses des droits, ainsi que les autorités policières et les professionnels de la santé. Ce groupe de travail est le fruit d'une collaboration entre le ministère de la Justice, le ministère de l'Éducation et le ministère de la Santé. Nous avons voulu élaborer une stratégie exhaustive de lutte contre les toxicomanies, et nous nous sommes intéressés particulièrement à l'OxyContin et à d'autres narcotiques semblables qui constituaient une source d'inquiétude à l'époque. Le rapport final du groupe de travail a été rendu en août 2004 et il est très encourageant de constater que jusqu'à maintenant, près de 80 p. 100 des 50 recommandations contenues dans le rapport ont commencé à être mises en oeuvre ou le sont entièrement. C'est un bon point de départ.
Le rapport du groupe de travail recommandait notamment d'adopter une approche multidimensionnelle pour aborder les questions de toxicomanie qui sont très complexes. Toujours selon le rapport, la sensibilisation, le traitement, l'atténuation des dommages et les stratégies d'application de la loi sont tous des éléments auxquels il faut s'attarder. Comme l'approche préconisée regroupe toute une série de domaines d'activité, divers intervenants doivent participer à la conception d'une solution collective.
Les services communautaires relatifs à la santé mentale et aux toxicomanies sont asses restreints dans notre province. J'ai quatre collègues qui font le même travail que moi dans toute la province et nous avons dû tisser des liens solides et efficaces afin de mettre en commun des renseignements, de cerner les nouvelles tendances et de travailler en collaboration pour élaborer des politiques et des programmes au sujet des services communautaires.
Bien que nous ayons su nous doter de certains atouts, nous sommes confrontés à des défis particuliers à notre province. Nous avons des ressources limitées et, malheureusement, cela nous a forcé à réagir aux circonstances plutôt que d'être dynamiques. Par conséquent, nous avons tendance à remédier au problème qui se présente au lieu de nous pencher sur la prévention, la sensibilisation et la promotion.
De façon générale, nous percevons la santé mentale et les toxicomanies comme faisant partie d'un cycle au cours duquel chacune des étapes exige une intervention différente. À titre d'exemple, pour ce qui est des toxicomanies, nous devons nous occuper à la fois de la consommation pour expérimenter et de la dépendance. De même, il est désormais reconnu que le bien-être mental est une composante majeure de la santé optimale et de la qualité de vie des gens. Nous avons tenté d'insister davantage sur le mieux-être et de faire la promotion de la meilleure santé mentale qui soit. Nous devons être réceptifs; c'est l'un des défis auxquels nous sommes confrontés. En outre, nous devons reconnaître qu'il faut mettre davantage l'accent sur la promotion, la prévention et l'intervention précoce et nous devons agir en conséquence.
Autre défi : les pratiques fondées sur les données scientifiques. En effet, dans le passé, nous avons tenté d'élaborer des programmes et des politiques fondées sur la recherche et l'évaluation. Cela peut être particulièrement difficile lorsqu'il y a un problème urgent à résoudre dans la collectivité et parce que la population exerce beaucoup de pression pour que nous réagissions rapidement et efficacement. Nous devons nous donner comme objectif d'atteindre un équilibre entre la réceptivité aux besoins immédiats et la prestation de soins fondés sur des pratiques efficaces.
Notre province doit également composer avec des ressources limitées pour ce qui est de la santé mentale et des toxicomanies. Bien que nous soyons très satisfaits du nouveau financement prévu par le budget provincial pour la santé mentale et la toxicomanie, il ne s'agit pour nous que d'un premier pas dans la bonne direction. Notre province est peu populeuse mais son territoire est très vaste. Par conséquent, il est difficile pour nous de dispenser des services adéquats dans certaines des régions les plus isolées. En outre, l'un des plus importants défis auxquels nous sommes confrontés demeure le recrutement et la rétention de personnel spécialisé et qualifié. Nous reconnaissons qu'il faut que nous nous dotions d'un plan de ressources humaines qui recense les compétences, qui se penche sur la formation et les mesures à prendre pour conserver notre personnel. De plus, nous avons dû concevoir des modes novateurs de prestation des services dans les collectivités éloignées afin d'éviter de perdre nos effectifs dans le domaine de la santé.
Nous sommes également préoccupés par les listes d'attente. En effet, à cause, encore une fois, des ressources limitées dont nous disposons, les patients doivent attendre avant de pouvoir bénéficier de nos services. Les délais sont variables. Selon la région ou le quartier urbain qu'habitent les patients, le temps d'attente peut être de quelques semaines, voire de quelques mois. Ainsi, l'attente peut être très longue. Or, nous savons que lorsque les patients ne peuvent obtenir les services qu'ils désirent rapidement, ils ont tendance à laisser tomber et à ne pas se prévaloir du service une fois qu'on le leur offre. Cette tendance s'est particulièrement manifestée chez nos clients qui souffrent de toxicomanie.
En outre, nous devons composer avec les perceptions négatives qui sont associées à nos domaines d'activités. En effet, ces perceptions persistent bien que presque tous les habitants de notre province aient été affectés par des questions de santé mentale ou de toxicomanie, directement ou indirectement. De plus, à cause de la façon dont elles sont perçues, les personnes souffrant de troubles mentaux ou de toxicomanie sont moins susceptibles de demander de l'aide ou de chercher à être traitées. Nous craignons également l'incidence des perceptions négatives sur les diffusions en matière de politique publique et d'affectation des ressources. En effet, il est difficile de convaincre les responsables de l'importance d'un programme de méthadone alors que les besoins en oncologie et en cardiologie sont criants.
Je tenais également à vous parler d'un certain nombre de questions sur lesquelles nous nous penchons pour ce qui est de la toxicomanie. Je le répète, le terme « toxicomanie » ne reflète pas tout à fait la réalité, car il ne désigne qu'un aspect de la consommation alors que nos services s'adressent à ceux qui sont aux prises avec toutes les formes de consommation.
Au cours des dernières années, le médicament OxyContin a suscité énormément d'intérêt et d'attention dans notre province. Bien que toutes ces préoccupations soient justifiées, parce qu'on se concentre sur une substance en particulier pendant une certaine période de temps, on relègue à l'arrière-plan d'autres questions de toxicomanie auxquelles notre province est confrontée. Par exemple, nous avons constaté une nouvelle tendance à Terre-Neuve : les jeunes consomment de plus en plus de cannabis. Nous venons d'obtenir les résultats d'une enquête sur la consommation de drogues parmi les étudiants, et le cannabis est l'une des substances dont la consommation a considérablement augmenté. En outre, on nous demande de plus en plus de fournir des services de thérapie pour les joueurs compulsifs. En outre, il y a un autre élément dont nous devons tenir compte à la lumière des enquêtes récentes : Terre-Neuve-et-Labrador a l'un des taux les plus élevés de consommation massive d'alcool au Canada. Il est toujours intéressant de constater que tout ce qui concerne le taux de consommation abusive d'alcool dans notre province fasse les manchettes. C'est une question qui préoccupe les gens.
Nous avons déployé des efforts pour mieux intégrer les services de santé mentale et de toxicomanie dans notre province. Nous avons choisi d'intégrer les systèmes plutôt que de viser une intégration complète des programmes. De façon générale, les volets toxicomanie et santé mentale sont perçus comme des partenaires égaux et interactifs. Or, il est vrai que ces deux domaines se recoupent en partie, mais ils comprennent également des composantes tout à fait distinctes. Nous sommes impatients de recourir aux dispositions du plan sur les services de santé mentale et de toxicomanie afin de mieux intégrer certains de ces services.
Pour conclure, je vous dirai que les services de santé mentale et de toxicomanie traversent une époque enthousiasmante mais difficile dans notre province voire même dans tout le pays. Geri l'a souligné et je le répète : le plan sur la santé mentale se faisait attendre depuis longtemps, et nous avons bien hâte de le mettre en vigueur. Je l'ai indiqué, des progrès ont été marqués avec le rapport du groupe de travail sur l'OxyContin et grâce à certaines des recommandations sur les besoins en matière de lutte contre la toxicomanie dans notre province. Le travail de votre comité a fait en sorte qu'un plan en vue d'élaborer un cadre national sur la toxicomanie soit mis en chantier. En outre, l'intérêt qu'ont suscité dans les médias des médicaments comme l'OxyContin et la consommation de méthaphétamines dans les provinces de l'Ouest a contribué à cette initiative. Je crois que tous ces facteurs font de la santé mentale et des toxicomanies des questions qui revêtent une importance accrue dans notre province et dans tout le pays.
Ainsi, pour l'avenir, nous devons poursuivre sur notre lancée. Nous devons être novateurs. Il est certain qu'il faut des partenariats solides dans les systèmes et au sein de la collectivité. Notre processus décisionnel doit se fonder sur des preuves, et nous devons nous en tenir autant que possible à une approche d'amont si nous voulons opérer des changements importants.
M. Ron Fitzpatrick, à titre personnel : Honorables sénateurs, lorsque vous m'avez invité à prendre la parole aujourd'hui, l'invitation était probablement adressée à la Metro Community Chaplaincy, mais la semaine dernière, notre organisation a pris un nouveau tournant et s'appelle désormais Turnings. Nous allons organiser bientôt un blitz médiatique.
Je travaille avec des délinquants et d'anciens délinquants depuis plusieurs années. Mon travail consiste essentiellement à rencontrer les délinquants en prison et à déterminer leurs besoins pour le jour où ils réintégreront la société, et à faire tout ce que notre organisation peut faire pour les aider à se sortir de leur vie de criminels; pour qu'il n'y ait plus de victimes, ni de récidives, et c'est la sécurité des gens qui est au cœur de notre action. Je siège au conseil de la Addictions Treatment and Services Association, l'ATSA. Je suis également membre du conseil d'administration du comité AIDS, je suis membre de la Coalition régionale contre la violence, du comité directeur pour la justice réparatrice et du comité consultatif pour le traitement à la méthadone qui va assurer ce traitement dans une nouvelle clinique qui va ouvrir bientôt. Je suis également le directeur exécutif de cette nouvelle organisation qui s'appelle Turnings, qui était jusqu'à il y a quelques jours le Metro Community Chaplaincy.
Je suis très heureux d'être ici. C'est un honneur pour moi. J'ai lu vos rapports intérimaires et les deux autres rapports, et j'estime que presque 99,9 p. 100 des éléments fondamentaux ont été couverts. Ce n'est en fait que ce matin que j'ai eu la chance de rédiger quelques notes, que j'aimerais vous lire, avec votre permission. Je n'en ai que pour six minutes. J'ai une perspective différente sur la maladie mentale et les addictions, donc si vous voulez bien être patients, vous m'en verrez reconnaissant.
De nombreuses personnes atteintes d'une maladie mentale peuvent devenir des citoyens productifs s'ils reçoivent les soins de santé et le soutien dont elles ont besoin. Trop souvent, les personnes ayant une maladie mentale ont été simplement abandonnées par la société, elles sont souvent réduites à la mendicité ou obligées de vivre de la charité des autres. En conséquence de cet abandon, elles tombent à travers les mailles du système de santé et se retrouvent dans le système de justice pénale dont nous savons tous qu'il est mal équipé et nullement préparé pour prendre soin d'elles.
Je m'inspire ici des rapports que vous avez rédigés, mais je tenais à dire ces choses parce qu'elles situent très bien ce que j'ai à dire.
On a trop souvent recours aux cellules de police, aux prisons locales et aux pénitenciers pour contrôler ces personnes, alors qu'en réalité le système de santé n'a pas su s'occuper d'elles.
Lorsqu'il s'agit de soigner les personnes ayant une maladie mentale, notre gouvernement ne sait pas gérer ses ressources. Notre gouvernement ne cesse d'opérer des coupes dans la santé et les services sociaux, et il considère que ces mesures sont positives et responsables. Cependant, à mon humble avis, je considère que ces coupes sont inacceptables. Leurs effets sont visibles dans le budget de fonctionnement du système de justice pénale où tout le monde souffre, dont les contribuables canadiens.
Il est clair qu'ici, à Terre-Neuve, il y a trop de personnes atteintes de maladies mentales qui se retrouvent piégées dans le récidivisme. J'ai vu trop souvent des personnes atteintes de maladies mentales comparaître devant un juge de nos cours provinciales et être condamnées à une peine de prison, alors qu'à mon avis, ces personnes devraient être placées en milieu psychiatrique. Je me suis souvent retrouvé comme spectateur dans les tribunaux où je voyais le procureur de la Couronne informer le juge des activités criminelles de ces personnes, et le procureur agissait comme si les délinquants avaient simplement fait fi de toute prudence et enfreint la loi de manière flagrante et sans remords.
J'ai vu des personnes atteintes d'une maladie mentale à qui on refusait de l'aide dans nos hôpitaux locaux. L'infirmière psychiatrique et le médecin traitant semblaient d'abord s'inquiéter de l'état physique et mental de la personne. Cependant, dès que la personne disait qu'elle était une toxicomane invétérée et qu'elle se piquait, l'attitude du personnel médical changeait.
À quelques reprises, j'ai dû aider des personnes qui s'étaient fait battre et qui s'était fait voler l'argent de l'aide sociale et certains de leurs biens ménagers, mais parce qu'elles avaient peur, elles refusaient de porter accusation ou de donner suite à cette agression. C'était trop stressant pour elles. Certaines personnes ayant une maladie mentale sont une proie facile pour ceux qui veulent profiter d'elles.
J'ai vu des familles s'effondrer et des aidants familiaux tomber malades et d'autres développer une dépendance aux médicaments d'ordonnance à cause du comportement destructif d'un être cher qui avait une maladie mentale aggravée par une toxicomanie aiguë.
Si j'en crois mon expérience, certaines personnes atteintes de maladie mentale sont très influençables et extrêmement vulnérables. J'ai remarqué dans certains cas qu'elles ne disent pas la vérité à leur médecin lorsque celui-ci les interroge, et c'est la raison pour laquelle elles ne reçoivent pas les soins qui leur permettraient de se rétablir complètement.
Au cours des dernières années, j'ai visité de nombreux patients, et la plupart de ces personnes avaient une forme quelconque de maladie mentale et se retrouvaient placées ou bien dans une unité de soins actifs ou alors dans une unité médico-légale. La majorité de ces personnes avaient eu des ennuis avec la justice et étaient déprimées, suicidaires ou atteintes d'une maladie bipolaire ou d'un autre désordre psychiatrique quelconque. Peu importe la cause, ces personnes étaient malheureuses, probablement parce qu'elles avaient pris trop de médicaments ou parce qu'elles avaient cessé de prendre leurs médicaments.
Je n'en reviens pas que certaines de ces personnes puissent se présenter à l'hôpital psychiatrique, soient assignées à un psychiatre désigné, soient traitées à l'hôpital pendant quelques mois et ensuite libérées. Elles s'en vont, ordonnance à la main, pour rechuter quelques mois plus tard. Elles reviennent au même hôpital, sont soignées par le même médecin, pour le même problème, et quelques mois plus tard, elles reçoivent leur congé de nouveau et le cycle se poursuite. La seule fois où j'ai vu une rupture dans ce cycle, c'est lorsqu'une d'entre elles mourait ou était arrêtée et envoyée en prison.
Plus d'une fois, je me suis posé des questions : par exemple, comment un psychiatre peut-il affirmer qu'une telle personne est maintenant apte à plaider non coupable ou coupable devant une cour de justice et peut-être certifiée comme étant apte à subir son procès? Comment le juge peut-il condamner cette personne lorsqu'il est évident pour toute personne normale assise dans la cour que l'accusé est une personne qui fonctionne lentement, qu'elle est probablement atteinte d'une maladie mentale quelconque et qu'elle devrait être placée en milieu psychiatrique pour y être soignée comme il faut? À mon avis, on accorde toujours trop d'attention au crime, et l'on ne s'arrête pas suffisamment, ou pas du tout, à l'état mental de la personne qui a enfreint la loi.
Nous savons tous que les personnes atteintes de maladie mentale souffrent de discrimination et, très souvent, ne sont pas traitées de la même façon que les personnes qui n'ont pas de maladie mentale. Cependant, j'ai constaté dans plusieurs affaires criminelles qui ces personnes sont traitées comme des individus ayant toutes leurs facultés. Ce qui est ironique, c'est que ces personnes sont traitées comme les autres justement au moment où elles ne devraient pas être considérées comme les autres, et croyez-moi, ce n'est pas de leur faute.
Il est évident pour moi à certains moments que les travailleurs de santé de première ligne et leurs homologues du système de justice pénale ont peu de compassion, ou alors pas du tout, pour ceux qui souffrent de maladie mentale, et c'est encore plus évident lorsque la maladie est aggravée par une addiction.
À mon humble avis, notre gouvernement doit mieux contrôler la qualité des soins que ces employés assurent dans le système de santé et le système de justice pénal. Ces employés, dont les médecins et les juges, doivent rendre compte de la manière dont ils s'acquittent de leurs fonctions. En cas de déficience, ils devraient rendre compte de leurs actes et être relevés de leurs fonctions, et non pas seulement tolérés. Si j'en crois mon expérience, certains médecins et juges considèrent que le fait de contester le moindre aspect de leur travail relève d'une arrogance achevée. Au cours des dernières années, j'ai vu des médecins qui prescrivaient des médicaments, alors que des personnes atteintes de divers désordres mentaux souffraient inutilement parce que le médecin traitant refusait de prescrire des médicaments.
Notre gouvernement doit prendre les mesures qu'il faut pour que tout citoyen canadien reçoive les meilleurs soins qui soient. Nos gouvernants doivent s'assurer que personne n'ait à souffrir aux mains d'un médecin, d'un juge ou de tout employé du système de santé et de justice pénale. Il faut mettre en place des règles qui nous permettrons de soigner les personnes atteintes de maladies mentales ou de problèmes d'addiction, et s'assurer qu'aucune personne oeuvrant dans le système ne soit autorisée à fonctionner comme si elle n'avait jamais à rendre compte de ses actes.
Le sénateur Trenholme Counsell : Ces exposés étaient très intéressants. Je crois que c'est la première fois que j'entends deux témoins employer le mot « enthousiasme » au cours de nos audiences, cela signifie donc à mon avis qu'il y a de l'espoir à Terre-Neuve et au Labrador, ce qui ne nous surprend pas. En dépit de tous les problèmes que vous avez, l'espoir ne faiblit pas.
Ron, avant de discuter des bonnes choses, je tiens à vous dire ceci, étant donné que vous avez de toute évidence observé certains comportements préoccupants chez les médecins. J'imagine que c'est la même chose ici que dans les autres provinces, où l'on peut porter plainte auprès du Collège des médecins et chirurgiens, qui fait ensuite une enquête minutieuse. Je crois que c'est la chose raisonnable à vous proposer, et si vous estimez qu'un médecin agit de manière irresponsable, vous avez alors le droit de vous plaindre auprès du collège.
M. Fitzpatrick : Oui, je sais cela, et je l'ai fait par le passé parce que l'organisation pour laquelle je travaille se considère comme étant la voix de ceux qui ne peuvent pas parler en leur propre nom. Je peux vous assurer que j'ai également signalé des cas au Conseil médical de Terre-Neuve-et-Labrador, comme je l'ai dit, et il n'est pas rare de recevoir une lettre d'un avocat de l'un de ces médecins qui nous dit :
Nous avons été contactés par le Conseil médical de Terre-Neuve et du Labrador. Vous vous plaignez à propos de ce médecin. Sa réputation est impeccable. Vous entachez sa réputation, et il a parfaitement le droit de s'adresser à la Cour suprême pour préserver sa réputation. Vous pouvez retirer votre plainte, faute de quoi, nous nous retrouverons devant les tribunaux.
La plupart d'entre nous, espérons-le, qui travaillent avec des personnes atteintes de maladie mentale ou d'addiction tiennent beaucoup à ce que ces personnes soient bien soignées, mais, soyons logiques, je n'ai pas un sou. Je ne peux pas me retrouver devant le tribunal tous les jours à lutter contre des médecins qui gagnent beaucoup plus que moi.
Le sénateur Trenholme Counsell : Non, non.
M. Fitzpatrick : On espère que ce nouveau conseil, dont vous connaissez probablement l'existence, que l'on met sur pied en ce moment à Terre-Neuve et au Labrador, où au moins trois ou quatre membres ne sont pas de la profession médicale, verra à ce que cela ne se reproduise plus. L'une des choses que j'ai demandées et je vais continuer de l'exiger à la première occasion que j'aurai de rencontrer le ministre de la Justice, c'est le droit pour des gens comme moi, qui sommes la voix de ces personnes, de pouvoir se battre pour elles sans crainte d'être traînés devant les tribunaux. Quand ils ont créé leur système, ils se sont assurés qu'aucun médecin qui porterait plainte se retrouverait devant les tribunaux. C'est la pratique à Terre-Neuve, où la plupart des médecins, comme les membres de toute organisation puissante, même s'ils ne sont pas d'accord avec leurs collègues, particulièrement lorsqu'il s'agit de prescrire des médicaments, sont gouvernés par le droit oral du non-risque. C'est pourquoi j'ai employé les mots aujourd'hui « ne devrait pas être toléré », parce que, personnellement, j'en ai marre de voir ça tous les jours. Je suis responsable de tous mes actes, et si mes actes ne plaisent pas à mon employeur, je suis congédié. Cependant, certains de ces médecins et juges se croient au-dessus de la loi, et j'espère que lorsque vous allez délibérer et prendre vos décisions, vous allez remettre certaines de ces personnes à leur place et leur donner une petite taloche.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'imagine que l'une des choses les plus difficiles à faire, c'est de décider que la personne est apte à subir son procès.
M. Fitzpatrick : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : On met en balance l'intérêt public et l'intérêt de la personne, et c'est très difficile.
M. Fitzpatrick : Oui, je sais.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai une question pour chacun d'entre vous. Kim, vous avez parlé avec éloquence et abondance de l'intégration de la santé mentale et des addictions. Je voulais vous demander si vous pensez aussi que l'intégration est faite dans tout le ministère de la Santé et du Mieux-être, ou peu importe comment s'appelle votre ministère aujourd'hui à Terre-Neuve. Croyez-vous que vous travaillez tous mieux ensemble, et que vous avez quitté vos silos pour former une famille de professionnels de la santé?
Mme Baldwin : Je crois qu'à la santé et aux services communautaires, nous avons adopté de manière générale une perspective axée sur la santé de la population où nous concentrons notre attention sur les éléments déterminants de la santé. De toute évidence, notre programme doit englober toute la série de services qu'on offre en santé mentale aussi bien que pour les addictions, mais il faut voir aussi comment cela s'insère dans le continuum général de services de santé et de services communautaires. Nous avons intégré il y a une dizaine d'années de cela nos services de santé communautaires, et nous sommes maintenant en mesure de les intégrer au secteur institutionnel et au secteur à long terme, pour disposer dorénavant d'une gamme complète de services.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je voulais vous demander combien de centres de santé communautaires il y a à Terre-Neuve, et si vos services de santé mentale sont intégrés dans ces centres de santé communautaires.
Mme Baldwin : Vous parlez des centres de santé mentale?
Le sénateur Trenholme Counsell : Je me demandais comment les centres de santé communautaires adhéraient à cette nouvelle notion où l'on met sous le même toit divers professionnels de la santé, et je voulais savoir si la santé mentale était comprise là-dedans.
Mme Baldwin : Ça change maintenant, mais nous avons cinq régions dans la province qui ont des services de santé communautaires, et dans certaines d'entre elles, il y a aussi des bureaux satellites.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je sais que votre spécialité, Kim, c'est bien sûr la santé mentale et les addictions, mais au niveau de la province, peut-être que vous savez, Geri, si ces services sont offerts dans des centres de santé communautaires étant donné que certaines de vos infirmières praticiennes y travaillent sûrement.
Mme Dalton : Oui, pour autant que je sache, il n'existe pas en ce moment de centres de santé primaires, structurés en tant que tels. On procède en ce moment à une réforme des soins de santé primaires dans la province, et l'on est en train de créer un centre pour la région de St. John's. C'est une œuvre en cours. La plupart de mes collègues travaillent dans des cliniques dans des régions éloignées, avec ou sans médecins sur place, et elles assurent la liaison avec les autres professionnels de la santé des Services de santé communautaires pour avoir accès aux services, mais ce qu'on veut faire, c'est ouvrir des centres de santé primaires et assurer les services de santé primaires à partir de ces centres dotés de personnel multidisciplinaire. Le plan de santé mentale pour la province intègre la prestation de services de santé mentale primaires dans ces centres.
Le sénateur Trenholme Counsell : Oui, c'est une bonne nouvelle.
Mme Baldwin : J'ajoute à ce que Geri a dit, dans chacune des cinq régions des Services de santé communautaires, il y a un projet-pilote pour un site de santé primaire.
Mme Dalton : Oui, c'est exact.
Mme Baldwin : Nous avons eu quelques projets pilotes dans la région de St. John's, un à Shea Heights et un à Ferryland, qui est sur la rive sud, où un travailleur en santé mentale et en addiction fait partie de l'équipe, et ces projets se sont avérés très efficaces dans la mesure où ils ont créé certains de ces liens.
En outre, Geri a mentionné que la province s'apprête également à réformer ses soins de santé primaires, et au moment où nous articulons notre stratégie pour la santé mentale et les addictions, nous mettons également au point une stratégie de mieux-être provinciale où l'on insiste beaucoup plus sur le mieux-être que sur la maladie.
Mme Dalton : C'est exact.
Le sénateur Trenholme Counsell : Geri, j'aimerais vous poser une question à propos des infirmières praticiennes. Je peux vous assurer que je ferai entendre ma voix dans tous les cas où je pourrai venir en aide aux infirmières praticiennes parce qu'en 1969, j'ai envoyé l'infirmière de mon bureau médical à Toronto suivre le cours d'infirmière praticienne à l'Université McMaster, et je me suis faite la championne de cette profession, même si j'en connais les difficultés. Je veux vous demander deux choses. Tout d'abord, PHC, cela veut dire « infirmière praticienne en santé primaire »?
Mme Dalton : Infirmière praticienne en santé primaire.
Le sénateur Trenholme Counsell : C'est merveilleux. Il faudra que je m'en souvienne. Il existe l'Initiative canadienne sur les infirmières et infirmiers praticiens.
Mme Dalton : Oui, les infirmières praticiennes de notre province prennent part à cette initiative, et nous avons un groupe d'intérêt spécial qui représente les infirmières praticiennes. Chose certaine, nous avons pris part aux activités émanant des initiatives qui sont en cours ici.
Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce que cette initiative se déroule bien?
Mme Dalton : Oui, elle se déroule très bien.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je voulais vous poser cette question parce qu'elle va au cœur de ce dont nous parlons aujourd'hui. Dans votre cas à vous, vous aviez travaillé pendant environ 18 ans en santé mentale avant de devenir infirmière praticienne, j'imagine donc que la transition a été facile, et que vous étiez bien avisée de suivre ce programme pour devenir infirmière en santé primaire spécialisée en santé mentale. L'autre jour, le sénateur Cook et moi-même, discutions de la différence qu'il y a entre une maîtrise en sciences infirmières, avec spécialisation en santé mentale, et le cours d'infirmière praticienne. J'ai une très bonne idée de ce que vous apprenez comme infirmière praticienne, mais disons que vous venez de terminer votre baccalauréat en sciences infirmières ou que vous avez peut-être travaillé pendant quelques années dans un milieu clinique quelconque et que vous avez suivi le programme d'infirmière praticienne. Seriez-vous en mesure de vous spécialiser en santé mentale dans le cadre de ce programme d'infirmière praticienne, ou devriez-vous faire d'autres études après cela?
Mme Dalton : Lorsque j'ai obtenu mon diplôme, je faisais partie de la deuxième promotion d'infirmières praticiennes de la province, donc le seul cours qu'on offrait ici à Terre-Neuve à l'époque, c'était le cours d'infirmière praticienne en santé primaire. L'Université Memorial a créé depuis des spécialisations, et l'une d'elles est la santé mentale, vous pouvez donc devenir infirmière praticienne spécialisée en santé mentale.
Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur le président, je pense que vous allez dire comme moi que notre comité devrait s'intéresser particulièrement à cette question, et devrait peut-être se faire le champion de cette pratique parce que je crois qu'elle est très importante pour notre pays, et nous pourrions peut-être donner l'exemple au monde.
Le président : Absolument.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci beaucoup et bonne chance à tous. Vos exposés étaient excellents, et vous jouez tous un rôle spécial. Ne perdez pas votre « enthousiasme ».
Le sénateur Cochrane : Quelle est votre profession, monsieur Fitzpatrick?
M. Fitzpatrick : Je travaille pour le compte d'une organisation de bienfaisance qui s'appelle maintenant Turnings. Comme je l'ai dit, elle s'appelait jusqu'à récemment le St. John's Metro Community Chaplaincy. Cette organisation a le statut d'organisme de bienfaisance. Elle est financée par le ministère de la Justice à Ottawa, dans le cadre du programme d'aumônerie. Notre travail, comme je l'ai dit, consiste à travailler avec les délinquants et les anciens délinquants pour les faire renoncer à la criminalité, les réintégrer dans la société et mieux assurer la sécurité de nos collectivités. Je travaille surtout avec des délinquants sexuels notoires, des violeurs, des pédophiles, des personnes qui ont commis des crimes avec violence et des pyromanes. Il y a une chose dont je voulais vous parler aujourd'hui avant que vous ne nous donniez congé, si vous le permettez, et il s'agit des pyromanes, parce que vous cherchiez certaines choses qui ne faisaient pas partie de votre mandat, et les pyromanes posent un grave problème. Environ 70 p. 100 de mes clients en ce moment sont des toxicomanes, qui consomment surtout des opiacées.
Le sénateur Cochrane : Voulez-vous parler des pyromanes maintenant?
M. Fitzpatrick : Oui, j'aimerais dire certaines choses.
Lorsque j'ai lu votre rapport intérimaire, j'ai trouvé que cela ressemblait au rapport du groupe de travail que nous avions créé ici pour contrer l'épidémie d'OxyContin, et bien sûr, c'est un groupe fantastique qui a rédigé le rapport, des gens formidables. Ils ont adressé des recommandations à notre gouvernement à l'époque, et si l'on avait mis en œuvre toutes les recommandations, aujourd'hui le problème serait sûrement réglé. Évidemment, vous savez ce qu'il y a dans votre rapport intérimaire, donc si l'on mettait en œuvre toutes vos recommandations, on maîtriserait sûrement la situation.
Cependant, avec les pyromanes, le gouvernement va devoir intervenir dès maintenant parce que lorsqu'un pyromane sort de prison, je ne sais pas si vous le savez, mais normalement, ils font l'objet d'une ordonnance de surveillance de longue durée (OSLD) parce qu'ils constituent une menace pour la société. Normalement, on les met dans un établissement correctionnel, que nous appelons une maison de transition, où ils sont surveillés. Cependant, tôt ou tard, la minute où l'ordonnance de surveillance de longue durée prend fin, ils doivent réintégrer la société. Quand ils réintègrent la société, il n'y a personne qui veut les accueillir parce qu'aucune compagnie d'assurance à Terre-Neuve ne va assurer une personne qui accueille un pyromane chez elle. Si vous prenez un tel pensionnaire, vous allez perdre votre assurance, donc personne ne va le faire. Ce qui fait que le pyromane n'a d'autre recours que de commettre un autre crime pour retourner au pénitencier étant donné qu'il ne peut pas vivre dans la rue. Chose certaine, à Terre-Neuve, il mourrait de froid. Ceux que je connais, les trois ou quatre avec qui j'ai travaillé, par exemple, sont des débiles légers qui ont diverses formes de maladie mentale.
C'est un problème que vous devrez régler parce que ces gars-là sont des bombes à retardement. Et pas seulement à Terre-Neuve. Si nous en avons ici chez nous, vous en avez partout jusqu'à Vancouver.
Donc, pour ne pas vous poser de problème sans vous offrir de solution, il y a une chose que vous devriez peut-être faire, et c'est apporter des changements à l'industrie des assurances de manière à créer une compagnie qui acceptera d'assurer les personnes qui accueillent ces pyromanes chez elles.
Le président : Question supplémentaire, parce que je ne sais rien du risque de récidive des pyromanes. Est-ce qu'il est fort probable qu'ils récidivent? Autrement dit, est-ce qu'il y a une caractéristique chez le pyromane qui le rend susceptible de recommencer?
M. Fitzpatrick : Ah oui, c'est garanti. Ces personnes, comme la plupart des personnes atteintes de maladie mentale ou qui sont toxicomanes, ont constamment besoin de soutien. Le seul pouvoir que le gouvernement fédéral peut exercer à leur égard, c'est d'émettre ce qu'on appelle une ordonnance de surveillance de longue durée. Mais même là, ces personnes ont des droits, et lorsque l'ordonnance expire, ces gens se retrouvent dans la rue et vous leur dites : « Monsieur Untel, nous devons vous libérer. Nous ne voulons pas vous libérer, mais nous sommes obligés de le faire , et il n'y a pas un chrétien à Terre-Neuve qui va vous accueillir chez lui. » Qu'est-ce que cette personne va faire, selon vous? Nous avons des gens ici à Terre-Neuve, comme il y en a partout ailleurs au Canada, qui, l'hiver, vont briser la vitrine d'un magasin avec une pierre rien que pour passer l'hiver en prison. S'il s'agit d'un débile léger qui a trois ou quatre formes de maladie mentale, personne ne va le prendre. Ce n'est pas parce que personne ne veut s'en charger. Je suis sûr que le ministère des Ressources humaines, du Travail et de l'Emploi serait prêt à payer 5 000 $ par mois à la personne qui va l'accueillir chez elle afin de sortir cet incendiaire de la rue, mais si vous le prenez chez vous, vous allez perdre votre assurance et il pourrait mettre le feu à votre maison.
Je vous préviens. C'est un problème auquel vous allez devoir faire face. Le fait est que vous ne pouvez pas remettre cela à plus tard. Il faut qu'on règle cette question, qui me cause bien du souci.
Le sénateur Cochrane : Merci de nous le dire. Il est important de le savoir. Voilà pourquoi nous voyageons dans tout le pays : pour qu'on se concentre sur les questions les plus importantes. Croyez-moi, que nous sommes heureux de vous recevoir.
Mme Baldwin : Une initiative qu'il vaut la peine de vous mentionner c'est le projet d'un groupe local qui s'appelle les services communautaires Stella Burry. Ce groupe travaille avec le ministère de la Santé et des Services communautaires et l'ancienne Société de soins de santé de St Jean, qui s'occupait du côté institutionnel, et Services correctionnels Canada afin de mieux répondre à des cas comme celui de la personne dont Ron a parlé. Nous avons constaté qu'en assurant un certain soutien à domicile et un service intense de gestion de cas, nous avons pu garder les gens dans la collectivité plus longtemps.
Le président : Nous avons visité leurs installations ce matin.
Mme Baldwin : Très bien.
Le sénateur Cochrane : Oui, nous y sommes allés. Nous avons également visité Mill Lane Enterprises et le Centre Powell, donc c'est déjà fait, Kim. Nous faisons nos recherches. En tout cas, je suis ravie que vous soyez le porte-parole de la population.
M. Fitzpatrick : Mon Dieu, ne le dites pas trop fort. Nous nous considérons comme des représentants de ceux qui ont des capacités réduites ou qui sont atteints d'une maladie et ils ne sont pas prêts à parler pour eux-mêmes.
Le sénateur Cochrane : Nous avons besoin de vous. Les gens ont besoin de vous. Vous êtes membres de ce conseil, ce qui sera formidable également.
M. Fitzpatrick : Oui.
Le sénateur Cochrane : Le conseil compte combien de membres?
M. Fitzpatrick : Le conseil d'administration est composé de 12 membres de tous les milieux. Il y a des directeurs d'école à la retraite, un avocat, des travailleurs sociaux et un agent de libération conditionnelle : cela vous donne une idée de la composition du conseil. Nous avons 23 bénévoles bien formés qui travaillent également avec ces gens.
Le sénateur Cochrane : Bravo, les choses changent vraiment.
Je voulais poser une question à Gerry. Vous avez dit que le PAU fournit des services d'évaluation psychiatrique à la population, y compris les clients amenés par la police en vertu de la Loi sur la santé mentale.
Mme Dalton : Oui.
Le sénateur Cochrane : J'ai eu certaines expériences de ce genre moi-même. Les agents de la GRC m'ont dit qu'ils font cela car ils ne savent pas où mettre ces gens, donc ils doivent les envoyer dans divers établissements. Qui d'autre vous envoie des clients?
Mme Dalton : Le PAU se trouve à St. John's, et à l'heure actuelle, il y a deux points d'entrée pour les services psychiatriques d'urgence. Il y a le PAU à l'hôpital Waterford où les gens peuvent venir demander de l'aide en cas de crise ou de crainte. Les Services d'urgence des sciences de la santé est le service de soins d'urgence pour les hôpitaux généraux où une infirmière psychiatrique est de service 24 heures sur 24, en plus des résidents du programme. De plus, il y a un psychiatre en disponibilité tous les jours pour toute la ville. Il s'occupe de ces deux sortes de problèmes.
Le sénateur Cochrane : Est-ce qu'il y a un numéro sans frais ou quelque chose du genre?
Mme Dalton : Non, nous avons notre propre numéro tant pour les soins d'urgence que pour le Centre des sciences de la santé. Cependant, il y a une ligne d'écoute téléphonique et les responsables de cette ligne communiquent souvent avec nous et nous renvoient des clients. Cela passe par le département de Kim. C'est pour nous tous maintenant, n'est-ce pas?
Le sénateur Cochrane : Parlez-nous en. C'est simplement pour toute la ville de St. John's?
Mme Baldwin : Comme vous avez pu le constater, nous traversons une sorte de crise d'identité. Pas vraiment car on a une ligne d'écoute téléphonique pour les problèmes de santé mentale. Il s'agit d'un service provincial. C'est un numéro sans frais et on reçoit souvent des appels de toutes les régions de la province. C'est un service qui fonctionne 24 heures sur 24. Nous songeons à modifier ce service pour essayer de mieux l'intégrer avec le programme de Geri et créer un service de crise centralisé.
Le sénateur Cochrane : Si j'étais suicidaire et voulais appeler ce numéro sans frais pour avoir de l'aide, qui répondrait à l'appel?
Mme Baldwin : Un professionnel — soit une infirmière de santé mentale, soit un travailleur social — vous répondrait. Cette personne va essayer de déterminer le niveau de risque que vous posez à ce moment-là. Dans certains cas il sera peut-être nécessaire de recourir à la Loi sur la santé mentale pour des raisons de sécurité, et il faudra peut-être aussi communiquer avec la GRC ou le Royal Newfoundland Constabulary, selon la région. Avant d'en arriver là, il y a beaucoup de négociations avec la personne qui appelle. Une fois que la personne est stabilisée et s'est entendue avec le personnel, on essaye de mettre la personne en contact avec les services de santé mentale de sa région.
Le sénateur Cochrane : Est-ce qu'il y a un suivi?
Mme Baldwin : Cela dépend de la personne. Si c'est ce qu'elle choisit de faire, oui.
Le sénateur Cochrane : Comment définissez-vous le terme « récupération »?
Mme Baldwin : Il s'agit d'un terme que l'on utilise dans le domaine des toxicomanies depuis longtemps. On commence à l'utiliser dans le domaine de la santé mentale aussi. On insiste sur le mieux-être, plutôt que sur la maladie.
Le sénateur Cochrane : Avez-vous des recommandations concrètes à nous faire? Par exemple, pouvez-vous nous recommander des mesures de prévention qui ont donné de bons résultats?
Mme Baldwin : Nous avons eu des problèmes du côté de la prévention. La demande de traitement et d'intervention a été si forte qu'il nous restait peu de ressources pour faire de la prévention. Il y a du personnel, surtout du côté de la toxicomanie, qui travaille principalement avec les jeunes. Suite au rapport du groupe de travail sur l'OxyContin, nous avons créé un comité provincial composé de représentants du ministère de l'Éducation, du ministère de la Santé, du ministère de la Justice, des agences de services pour les jeunes et des jeunes eux-mêmes, pour essayer de mettre au point une stratégie pour empêcher les abus d'alcool ou d'autres drogues par les jeunes. Le comité vient de commencer ses travaux, mais c'est la première fois qu'on a la participation de tous ces partenaires. Les services de police y participent également. Nous savons que chaque secteur a une approche différente en matière de prévention, donc il faut mieux coordonner ces services. De plus, dans la stratégie de santé mentale, on reconnaît qu'il faut faire davantage du côté de la prévention et de la promotion de la santé mentale.
Le sénateur Cochrane : Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Fitzpatrick?
M. Fitzpatrick : Oui. Je vous disais que 70 p. 100 de nos clients ont des problèmes de toxicomanie. Depuis un an et demi, au moins 35 des personnes avec qui on travaillait volaient de l'argent tous les jours pour pouvoir s'acheter de la drogue. On les a inscrits dans des programmes et on les a renvoyés au service de toxicomanie. On les a fait admettre à l'hôpital et nous sommes allés leur rendre visite à l'hôpital tous les jours. On les a inscrits dans des programmes scolaires, par exemple, on les a stabilisés, on leur a donné quelque chose à faire, et dans certains cas, on leur a trouvé des emplois. Vous me comprenez?
Le sénateur Cochrane : Oui.
M. Fitzpatrick : Ces gens auraient coûté aux contribuables canadiens, surtout à Terre-Neuve, au moins 100 000 $ depuis le moment de leur arrestation jusqu'à ce qu'ils purgent une peine d'un an de prison. Grâce à nos efforts, 35 d'entre eux n'étaient plus dans la rue. Cela représente 3,5 millions de dollars. Je suis allé voir M. Tom Marshall, le ministre de la Justice et procureur général. J'ai dans mes dossiers une lettre qu'il m'a envoyée. Je lui ai expliqué que le gouvernement devrait nous donner le financement voulu pour nous permettre de former des bénévoles. Nos bénévoles sont formés par Services correctionnels Canada à Ottawa et dans nos bureaux régionaux, où John Tonks est le directeur régional. Cependant, le ministre m'a dit que le gouvernement n'accorde auncun financement à l'avance. On parle ici de mesures de prévention.
Avec aussi peu que 100 000 $, nous aurions probablement pu former 30 ou 40 bénévoles, et nous aurions peut-être pu retirer 50 personnes de la rue, mais le gouvernement n'est pas disposé à le faire. Voilà pourquoi j'ai dit dans ma déclaration que le gouvernement fait des économies de bout de chandelle. Il préfère dépenser des millions de dollars par an plutôt que de donner 100,000 ou 200,000 $ à un organisme et faire des économies de cette façon. Voilà ce que je voulais dire. Il faut donner aux gens une raison de se lever le matin.
Le sénateur Cochrane : Votre argument est très valable.
Le sénateur Cook : Je tiens à vous saluer tous. Il est bon d'être chez moi et de savoir qu'on se débrouille assez bien dans cette petite province. Tout l'après-midi je vous entendais décrire comment vous vous prenez soin d'autrui — les consommateurs des soins de la santé mentale — et la question qui me vient à l'esprit est la suivante : qui s'occupe de vous? Dans le mémoire de Geri je vois qu'elle a travaillé dans le système pendant 24 ans et comme infirmière praticienne en soins primaires pendant cinq ans. Je vous laisse réfléchir à la question, pourquoi avez-vous fait cela, quels ont été les coûts — et pas seulement sur le plan pécuniaire.
Vous êtes tous des professionnels dans vos domaines respectifs. La complexité en matière de toxicomanie — par exemple OxyContin, crystal meth et la méthadone, qui font partie du traitement — est telle que l'éducation permanente est cruciale. De quelles ressources disposez-vous pour l'éducation permanente dans vos secteurs respectifs? S'il n'y en a pas, comment faites-vous face aux inconnus auxquels vous êtes constamment exposés? Vous avez dit, Geri, qu'un jour vous avez décidé de faire autre chose afin de relever un défi. Pour ce faire, il fallait entreprendre tout un processus. J'aimerais que vous nous en parliez car si nous voulons augmenter le nombre de professionnels dans ce domaine, je pense que les gouvernements doivent offrir quelque chose — qu'il s'agisse de places dans les universités ou dans les écoles d'infirmières ou dans tout autre établissement d'éducation permanente. Comment renforce-t-on les capacités, surtout ici dans ma province, où il est beaucoup plus difficile qu'ailleurs au Canada de garder des professionnels? Ce n'est pas tout le monde qui veut vivre ici à cause du climat, entre autres, même si c'est un endroit formidable. Qu'en pensez-vous? Parlez-nous de vous-même un peu.
Mme Dalton : Tout au long de ma carrière, j'ai toujours participé à des initiatives de développement professionnel pour m'assurer que mes services soient appropriés et tiennent compte des pratiques exemplaires de ma profession. Cependant, quand j'ai décidé de suivre le programme d'infirmière praticienne, le programme de santé mentale était nouveau ici à Terre-Neuve et ses responsables ont décidé qu'il y avait de la place dans ce programme pour les gens ayant cet ensemble de compétences. Ils ont obtenu quatre places, mais pas quatre places rémunérées. Ils ont obtenu quatre places pour que des infirmières praticiennes participent à ce programme de santé mentale. Au moment où j'ai fait ma demande, je m'intéressais beaucoup au programme. Je faisais de l'administration depuis un certain temps et j'ai décidé que je voulais retourner à la pratique clinique. Je peux vous dire que cela m'a coûté cher et que ce n'a pas été facile. Je dirais que ça m'a coûté 100 000 $, car j'ai dû renoncer à une année de salaire. Grâce à un arrangement de salaire différé, j'ai emprunté environ deux tiers de mon salaire, que je suis toujours en train de rembourser. Quand je suis retournée travailler, j'ai accepté un poste qui payait moins bien que mon poste antérieur. Je peux vous garantir que ce n'est pas pour l'argent que je fais ce métier.
Le sénateur Cook : Non.
Mme Dalton : Pour attirer ceux qui ont la motivation, l'intérêt et le dévouement, il faut, comme vous l'avez dit, de l'aide pour qu'ils puissent poursuivre leurs études.
Mme Baldwin : Je suis d'accord. La formation est essentielle pour ceux qui travaillent sur le terrain et le perfectionnement lui aussi est important. Dans le passé, nous n'avons pas su aider les gens à obtenir la formation dont ils ont besoin pour rester à la fine pointe de leur domaine. Il a fallu trouver un juste milieu entre fournir le service et obtenir l'aide nécessaire pour offrir ce service. Nous avons participé à certaines initiatives, travailler avec des centres locaux de toxicomanie et chercher à créer de la main-d'œuvre dans ce domaine. C'est assez prometteur car cela met en lumière ce qu'il faut pour conserver les travailleurs dans le domaine. Pour ma part, je sais qu'il faut avoir la vocation. Ce métier a son lot de frustrations, surtout en matière de toxicomanie où les rechutes sont fréquentes. J'ai aussi travaillé dans tout un éventail de programmes, mais le plus difficile a été de travailler dans les centres de désintoxication où des gens n'arrivent pas à s'en sortir. Un certain nombre de gens n'ont pas pu rester. Émotivement, ça épuise.
Comment prend-on soin de soi? Il faut appliquer à soi-même les principes de santé mentale que l'on essaie d'inculquer. Nous avons de bons systèmes de soutien. J'ai parlé d'un système que nous avons mis sur pied à l'échelle de la province. Récemment, nous l'avons étendu à d'autres parties du Canada atlantique, si bien qu'il y a désormais un groupe de directeurs de centres de toxicomanie qui sont en contact constant et qui peuvent apprendre les uns des autres. Nous pouvons aussi compter sur de bonnes structures locales. Ces choses-là sont essentielles; il faut savoir quelles sont ses limites et trouver son équilibre.
M. Fitzpatrick : Nous faisons tous les mêmes choses, j'imagine, mais différemment. Moi, j'ai commencé il y a sept ans à peu près. Je travaillais à la société hydroélectrique Newfoundland Power. J'étais contrôleur en chef d'une équipe qui alimentait la province en électricité. Je faisais des quarts de 12 heures. J'avais quatre jours de travail suivis de quatre jours de congé. Pendant mes congés, j'ai commencé à faire du bénévolat à l'aumônerie locale auprès de délinquants. J'ai accepté un forfait de cessation d'emploi de la Newfoundland Power il y a cinq ans et j'ai commencé à faire 40 heures par semaine de bénévolat à l'aumônerie; cela a duré deux ans et demi. J'ai aussi suivi plusieurs cours sur la prévention du suicide et d'autres questions. Il y a un an et demi, elle avait besoin d'un aumônier, et je me suis présenté. J'avais l'expérience pratique et c'est moi qui ai obtenu le poste.
C'est effectivement stressant, mais deux fois par an nous nous retrouvons à notre siège à Ottawa avec d'autres aumôniers, comme Kim vient de le dire, et en prenant le café, par exemple, nous parlons de ce que nous faisons. Nous essayons de nous aider mutuellement. L'an dernier, neuf aumôniers, je crois, ont été victimes de surmenage. Chaque année, il y a huit ou neuf cas de ce genre. C'est stressant.
J'ai de la chance. Mon emploi est stressant mais je l'adore et cela fait une énorme différence. Je suis catholique. Je peux aller voir le curé de ma paroisse et c'est lui que je rends dingue quand je suis tendu. Il y a aussi un agent de libération conditionnelle à qui je peux me confier. Je trouve qu'il faut se détendre et je suis comme un Italien : mes mains s'agitent dans tous les sens, je crie et je hurle. Si quelque chose me tracasse, il faut que ça sorte. Je vais voir le curé et je me défoule. Il me laisse faire et cela me fait du bien. J'ai aussi appris à me ménager. Je sais quand j'en fais trop.
Nous avons si peu de fonds et si peu de personnel que notre charge de travail s'accroît de jour en jour. Nous savons que nous ne pouvons pas tout faire et que nous devrions ralentir un peu, mais nous y mettons tous les efforts, jusqu'à la limite. Nous ne nous plaignons pas parce que nous aimons ce que nous faisons. Si on me disait que je ne pouvais pas faire ce travail demain, je deviendrais insupportable. Mon travail, c'est ma vie.
Le sénateur Cook : D'après ce que je comprends aujourd'hui, tout le monde semble très passionné par la nouvelle stratégie provinciale en santé mentale.
M. Fitzpatrick : C'est exact.
Le sénateur Cook : Si je comprends bien, vous n'avez pas obtenu de nouveaux fonds. On a simplement réaffecté le budget actuel. Est-ce que c'est bien cela? Avez-vous reçu un nouveau budget, ou est-ce qu'on a réaffecté les montants actuels pour faire les choses différemment?
Mme Baldwin : Soyons clairs. Vous parlez bien de la stratégie provinciale en santé mentale?
Le sénateur Cook : Oui.
Mme Baldwin : Je pense que c'est les deux. Dans le budget, on a annoncé un million de dollars pour la mise en œuvre d'une partie du plan. C'est un plan à long terme.
Le sénateur Cook : Bon, il y aura un million de dollars pour la mise en œuvre. Après la mise en œuvre, pensez-vous qu'il va falloir financer le plan? En d'autres mots, parlons-nous d'un montant ponctuel d'un million de dollars?
Mme Baldwin : Non, il va falloir financer le plan de façon continue.
Le sénateur Cook : Il faudra donc un fonds durable?
Mme Baldwin : C'est exact.
M. Fitzpatrick : Nous parlions de la méthadone. Je fais partie du comité et je suis certainement en faveur du traitement à la méthadone, mais il importe de, au cas où vous l'ignoreriez que, lorsque le gouvernement lance un programme de traitement d'entretien à la méthadone, quand les gens commencent à prendre de la méthadone, le problème d'un usage excessif est tout aussi grave ou même plus grave que dans le cas de l'OxyContin, de l'héroïne ou d'autres substances. Si le gouvernement établit et approvisionne une clinique, et offre un traitement d'entretien à la méthadone pour les toxicomanes d'opiacées, tous ceux qui reçoivent le traitement auront une dépendance à l'égard de la méthadone au bout de quelques mois. Donc, le gouvernement doit s'engager. Vous ne pouvez pas offrir un programme de traitement d'entretien à la méthadone à 100 ou 200 personnes, leur donner de la méthadone chaque jour et puis dire que vous n'allez plus financer le programme. Là, vous aurez 200 ou 300 personnes qui dépendent de la méthadone dans les rues. Et vous aurez créé une nouvelle épidémie de drogue. Une fois que vous commencez le programme, vous vous engagez à le continuer.
Le président : Savez-vous si ce phénomène s'est déjà produit quelque part?
M. Fitzpatrick : Non, parce que les programmes fonctionnent très bien, et le gouvernement fédéral s'en est rendu compte. Le programme a été documenté et surveillé dans toutes les prisons fédérales du Canada, et dans toutes les prisons provinciales de la Colombie-Britannique. Il engendre des économies, et les avantages sont innombrables.
J'aimerais ajouter quelque chose sur le même sujet. Nous avons désespérément besoin de programmes de traitement d'entretien à la méthadone dans nos prisons provinciales. Si nous n'établissons pas de tels programmes, à Terre-Neuve, chaque fois qu'un de mes clients ou quelqu'un d'autre qui dépend des opiacées finit dans nos prisons, ils sont forcés de subir un sevrage brutal. Ils cherchent sans cesse à introduire des drogues dans la prison illégalement parce que les détenus cherchent toujours un fixe. J'ai déjà été chercher des détenus à leur sortie de prison, et quand je les amène à une certaine adresse, tout près d'ici, je n'ai même pas le temps d'arrêter ma voiture. Ils ont déjà sauté de la voiture pour se chercher un fixe. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de ces détenus redeviennent toxicomanes à peine sortis de prison.
Quand ils se trouvent dans les prisons provinciales pour avoir volé de la drogue, surtout des opiacées, ils doivent absolument suivre un programme de traitement d'entretien à la méthadone. Il leur faut un programme d'intervention en toxicomanie, qui est offert à la prison, ainsi que d'autres formes d'appui pour comprendre pourquoi ils prennent de la drogue. Ensuite, une fois qu'ils sortent de prison, ils peuvent suivre notre programme provincial de traitement d'entretien à la méthadone et redevenir des citoyens productifs sans jamais retomber dans leurs activités criminelles.
Le président : Il n'y a pas de programmes dans les prisons provinciales?
M. Fitzpatrick : C'est un des problèmes que nous avons à l'heure actuelle. Il n'y a pas de continuité. Quand un détenu sort du pénitencier, mettons au bout de cinq ans, il est aussi libre que vous et moi. Si il recevait un traitement d'entretien à la méthadone en prison, il doit continuer à le recevoir à l'extérieur parce qu'il l'a reçu en prison pendant cinq ans. S'il n'est pas intégré dans un programme immédiatement à cause des listes d'attente, sa seule option c'est de trouver de la drogue dans les rues, et là il finit par retourner en prison. Et s'il est envoyé à une prison provinciale pour avoir volé des drogues, il n'y a aucune garantie qu'il soit intégré dans un programme de traitement d'entretien à la méthadone. Il n'y a aucune règle stipulant que si vous faisiez partie d'un tel programme dans le pénitencier fédéral, vous recevrez de la méthadone dans la prison provinciale. Il n'y a pas de tels règlements. Le traitement dépend entièrement du médecin à la prison provinciale. C'est lui qui décide s'il veut vous traiter, et lui seul peut vous traiter, comme vous le savez, s'il détient un permis de Santé Canada.
Mme Baldwin : J'aimerais dire autre chose là-dessus. Il y a eu une recommandation découlant du rapport du groupe de travail sur l'OxyContin.
M. Fitzpatrick : Oui.
Mme Baldwin : À l'époque, on a reconnu qu'il y avait des lacunes dans les services de traitement offerts par la province. Il n'y avait aucun programme d'entretien à la méthadone offert par la collectivité, il était donc difficile d'établir un programme dans la prison en sachant que les détenus, une fois libérés, intégraient la communauté. On a recommandé l'élaboration de lignes directrices provinciales, qui devaient comprendre des programmes de traitement d'entretien à la méthadone dans les institutions provinciales. On a aussi recommandé le développement d'un programme offert par la communauté, qui sera offert de façon limitée dès la semaine suivante. Le groupe de travail a aussi recommandé qu'on élargisse et qu'on offre un service de méthadone dans les institutions provinciales. La stratégie consisterait à mettre le service sur pied par étapes.
Le sénateur Trenholme Counsell : Deux ou trois fois cet après-midi, j'ai entendu l'expression « lock-up ». En tant que groupe de travail sénatorial représentant le Parlement du Canada, nous estimons pouvoir atténuer la stigmatisation négative qui y est rattachée dans tout le pays. Il faudrait commencer par exiger que nos policiers, nos intervenants communautaires, nos intervenants en soins de santé et tous les autres utilisent l'expression « detention centre » en anglais, qui veut dire « centre de détention » en français, parce que l'expression « lock-up » entraîne une perception tellement négative. Je ne vous accuse de rien. Je sais qu'on utilise cette expression, mais si on commence petit à petit à s'en débarrasser, cela va aider tous les gens qui se trouvent en détention pendant une nuit, ou pendant une plus longue période.
Le sénateur Cordy : Kim, faisons-nous assez de recherche au Canada dans le domaine de la santé mentale et de la toxicomanie? Comment pouvons-nous développer des meilleures pratiques sans les recherches qui les étayent?
Mme Baldwin : Pour ce qui est de la toxicomanie, Santé Canada a publié toute une série de documents sur les meilleures pratiques, et nous les suivons de très près quand nous élaborons ou planifions des services. Nous nous référons à ces documents, nous consultons d'autres compétences, et nous utilisons ces informations dans nos démarches. Pour ce qui est de la recherche, on s'est concentré sur le besoin d'intensifier la recherche spécialisée sur la santé mentale et sur la toxicomanie. Tout à l'heure, j'ai parlé du mouvement vers l'élaboration d'un cadre national sur la toxicomanie. En même temps, on parle d'élaborer un programme de recherche national sur l'utilisation et l'abus de l'alcool et d'autres drogues. D'après moi, de tels processus sont nécessaires pour traiter une gamme plus vaste de problèmes de santé mentale.
Le président : Kim, merci de nous avoir expliqué la différence entre l'intégration des programmes et l'intégration des systèmes. Nous avions essayé de trouver un moyen de la décrire — l'intégration des systèmes, pas l'intégration des programmes, — et cette définition était vraiment bonne.
Ron, j'ai l'impression que vous tenez à avoir le dernier mot.
M. Fitzpatrick : Non, je n'essaie pas d'avoir le dernier mot. Je suis comme Columbo. Il y a toujours quelque chose dont je me souviens au dernier moment. Je voulais mentionner quelque chose.
C'est quelque chose que je vois tout le temps. Je sais que vous en avez parlé dans votre rapport intérimaire. Je parle des prescriptions excessives. Dans le rapport Morineau, on appelle cela une camisole de force chimique, ou quelque chose de semblable.
Le président : C'est exact.
M. Fitzpatrick : Je me retrouve régulièrement au tribunal avec des clients qui sont accusés de vol, d'avoir volé des médicaments. Il y a à peu près un mois, j'étais avec quelqu'un qui était tellement parti que le gardien a presque dû le porter de la chambre avec les entraves aux chevilles, et l'asseoir, puis le soulever à nouveau pour le ramener. Il était en train d'être sentencé, et il était complètement parti. Il ne savait pas où il était. Comprenez-vous ce que je vous dis? Il était complètement parti. On donne beaucoup trop de médicaments.
Mme Jackman : Ce n'est pas drôle. « Complètement parti ». Ce n'est pas drôle.
Le président : Bon.
M. Fitzpatrick : Oui.
Le président : Merci pour ce commentaire. J'aimerais remercier les trois témoins d'être venus.
Honorables sénateurs, nous allons maintenant entendre quelques consommateurs.
Je vous remercie tous d'être venus. Je pense qu'au moment de l'inscription, on vous a dit que vous auriez à peu près cinq minutes pour faire une déclaration, et que nous n'allions pas poser trop de questions. En tout cas, je sais que certains d'entre vous sont ici depuis ce matin, donc je vous remercie d'être venus.
Mme Helen Forristall, à titre personnel : J'avais hâte de dire quelque chose, parce que j'estime qu'il est important pour que vous voyez le visage de la maladie mentale. Je n'aime pas admettre que je suis malade. J'ai honte et je suis humiliée, et je dois travailler sur cet aspect-là. Je suis une consommatrice à cause de la maladie mentale, et je suis très offensée par la perception négative. C'est incroyable comment les gens vous traitent. Même aujourd'hui, quand je suis venue ici, on me demandait si j'étais ici pour faire un exposé. Personne ne connaît vraiment le visage de la santé mentale. On sous-entendait : « Si vous n'êtes pas ici pour faire un exposé, qui êtes-vous, êtes-vous une observatrice, ou quoi? » On a parlé du fait que les travailleurs en santé mentale s'occupent d'eux-mêmes, et c'est quelque chose que j'admire. Mais moi, je n'ai pas choisi cette maladie. Ce n'est pas quelque chose que j'ai choisi, il est important qu'on rappelle cela aux gens, à la société, à la famille, et d'autres.
J'ai deux choses à dire. Quand on admet qu'on a une maladie mentale, les conséquences sont graves. C'est une chose. Deuxièmement, une fois qu'on a admis qu'on a une maladie mentale, il y a de longues listes d'attente et il faut y faire face tout seul.
Mon médecin m'a dit que j'avais un cerveau malade, comme quelqu'un d'autre peut avoir un coeur malade. Ça, c'est bien au bureau du médecin, mais ça ne marche pas dans la société. Les gens me disent de m'en sortir, et de penser à des choses positives. Ils recommandent des livres, et puis me font sentir coupable. Ils disent des choses comme : « Tu es trop jeune pour faire une dépression. » Ou encore : « Tu n'as aucune raison d'être déprimée, regarde toutes les choses que tu as. Tu vies à Terre-Neuve; tu as une vie magnifique. » Je le répète, je n'ai pas choisi cette maladie. Si j'avais le cancer du sein, personne ne me dirait des choses pareilles.
Quand j'ai dit à mon employeur que je souffrais d'une dépression, il a dit que je devais le prouver. J'ai dit que j'avais bien l'intention de le prouver. J'avais une lettre de mon psychiatre indiquant que je faisais une dépression. J'ai demandé s'il voulait voir dans mon sac, voir toutes les pilules que je dois prendre et dont j'ai à subir les effets.
Je dois aussi souffrir l'humiliation d'être regardée de haut et ça m'ennuie beaucoup; il est donc difficile pour moi d'être ici. Je me cache derrière mes cheveux quand une photo est prise parce que chaque jour, j'ai encore honte.
Je voulais dire que l'an dernier j'ai quitté mon travail en pleurs. Je suis commis au gouvernement mais dans mon travail, les êtres les plus vulnérables de la société me racontent les événements les plus traumatisants de leur vie, comme la perte de leur conjoint, le fait qu'ils sont invalides à vie ou n'ont pas les moyens d'acheter des médicaments. Je suis la seule personne qui les ait jamais écoutés. Je n'ai pas de formation. Je suis bilingue et j'ai un baccalauréat en arts, mais je ne suis pas travailleuse sociale et je ne savais pas comment faire face à cela. J'ai travaillé au gouvernement fédéral.
J'ai quitté mon emploi le 9 juillet. Je n'y suis pas retournée. Je suis en congé sans traitement pour une durée indéterminée. Chaque mois, je dois remplir un questionnaire pour prouver que je suis toujours malade mentale. J'ai dû implorer mon médecin traitant de me donner un rendez-vous avec un psychiatre. Je l'ai imploré, je l'ai supplié et voici ce qu'il m'a répondu : « Oui, eh bien, il traite 600 malades. Il se fait vieux et tu n'en as pas vraiment besoin. Contente-toi de prendre tes médicaments. » Je me suis levée et je lui ai dit : « Non, je veux voir un psychiatre. » Il a dit : « Très bien. » Je ne suis pas retournée le voir.
Je consulte un psychiatre une fois toutes les trois semaines. Avant, je vivais à Ottawa. Je consultais le psychiatre deux fois par semaine; c'est un peu différent ici, à Terre-Neuve, mais je viens d'ici.
Je suis inscrite à un programme à Merchant House; j'ai dû attendre six mois pour avoir une entrevue et être admise. Je suis heureuse de dire que je participe au programme, mais ma conseillère a recommandé que je fasse une thérapie de groupe; pour cela, je suis inscrite sur deux listes d'attente. Je suis la seizième sur une des listes et elle n'a pas voulu me dire quel était mon rang sur l'autre parce qu'elle est trop longue. Elle m'a dit que le programme était censé durer six mois, mais c'est en fait deux ans à cause de la longueur des listes d'attente.
Ce soir, je vais à ma première réunion de CHANNAL. Ça été très difficile. J'ai perdu des amis et des membres de ma famille parce qu'ils ont peur. Cette peur vient de leur ignorance et chaque jour, je dois faire face à la réalité des pensées suicidaires, des médicaments, de ma thérapie et des consultations psychiatriques. Ce n'est pas facile. À ceux qui ont choisi cette profession, je dis « Dieu vous bénisse », mais je le répète, je préférerais de loin avoir le cancer du sein plutôt qu'une maladie mentale. Je préférerais cela parce que je n'aurais pas à subir les préjugés. Merci.
Le président : Merci. Je dois vous dire à vous et aux autres personnes qui sont ici que la quasi-totalité, en tout cas la très grande majorité des membres du comité ont quelqu'un dans leur famille qui a ou a eu une maladie mentale importante.
Helen, nous sommes au courant de ce que vous décrivez comme le visage du survivant et nous compatissons à ce que vous avez traversé. Merci d'avoir pris le temps de venir et de nous parler. Cela nous aide beaucoup.
M. Harold Dunne, à titre personnel : Oui, sénateur, je sais de quoi elle parle parce que moi-même je suis bipolaire et maniaco-dépressif. J'ai travaillé en Ontario pendant 29 ans et j'y ai perdu ma santé, tout mon argent et tout le reste à cause de la maladie mentale. J'avais un fils de cinq ans qui est mort du cancer et, il y a neuf ans, mon père, mon oncle et ma tante sont morts. Je n'ai pas travaillé depuis. J'ai passé plus d'un an à l'hôpital Waterford : hospitalisé trois fois. Une fois, pendant neuf mois. J'ai reçu des électrochocs et essayé de me suicider deux fois, mais c'était un appel à l'aide. Je savais ce que je faisais et j'ai obtenu l'aide dont j'avais besoin. Je n'arrivais pas à l'obtenir en Ontario. Il a fallu que je vienne à Terre-Neuve pour la recevoir. L'hôpital de Waterford est un endroit merveilleux. Je n'ai pas honte de ma maladie, parce que j'avais besoin de cette aide et je l'ai eue.
Comme l'a dit la dame, si Danny Williams donnait à la province un million de dollars pour la santé mentale, vous pourriez peut-être alors demander à Ottawa de verser aussi un million ou quelques millions de dollars.
Personne n'a parlé de suicide aujourd'hui. Dans le seul Labrador, comme l'a dit le témoin de la réserve, il y a eu énormément de suicides chez les jeunes. Ce n'est pas un phénomène qui frappe seulement le Labrador : cela se produit aussi à St. John's et dans toute la province, à cause de la dépression. Il y a aussi dans cette province énormément de suicides liés à l'utilisation des appareils de loterie vidéo et, comme l'a dit M. Fitzpatrick, des surdoses de stupéfiants, entre autres.
Il y a quatre ans, les policiers m'ont sorti de mon appartement, m'ont amené à l'hôpital puis m'ont ensuite enfermé dans une cellule de la prison après m'avoir tout enlevé sauf mes sous-vêtements, et ils m'ont laissé là à attendre l'arrivée d'un psychiatre. Quand il est arrivé, il a constaté que j'étais mal en point. Il m'a évalué et m'a envoyé à l'hôpital Waterford. Je suis ravi qu'il y ait maintenant cette unité de soins de courte durée. Je crois que cela sera bien mieux pour ceux qui doivent vivre ce que j'ai vécu.
Mme Deborah Jackman, à titre personnel : Je m'appelle Deborah Jackman, survivante de troubles psychiatriques, consommatrice de services de santé mentale et l'une des membres fondatrices de CHANNAL.
Je veux aujourd'hui vous parler de bénévolat. Parfois, quand nous nous remettons de problèmes de santé mentale et si notre rétablissement est assez avancé, nous décidons de réintégrer le marché du travail et le bénévolat est une bonne façon de le faire. Ce que je crains, c'est que le bénévolat soit une façon d'accentuer la dévalorisation des consommateurs de services de santé mentale. J'entends par là que certains semblent dire en parlant des personnes atteintes de troubles mentaux : « donnez-leur une pension d'invalidité », mais ce ne sont pas toutes les personnes atteintes de troubles de santé mentale ou d'une maladie mentale qui obtiennent une pension d'invalidité. C'est pour moi une lutte de tous les jours. Cela m'inquiète de penser que les gens nous définissent selon notre maladie : « donnez-leur quelque chose à faire et cela leur fera le plus grand bien », une petite tape dans le dos, ce genre de chose. Mais, je suis une personne qui fonctionne normalement et j'aimerais que mon travail soit rémunéré. Il ne suffit pas de dire entre-temps « nous tentons de faire le nécessaire ». Si je ne peux pas être rémunérée, donnez-moi au moins un petit coup de pouce. J'essaie de me remettre de mon agoraphobie. Déjà, je ne pouvais pas du tout quitter la maison. Je souffre toujours de phobies, d'anxiété, de troubles paniques, du syndrome de stress post-traumatique et de dépression, mais je veux travailler. Je crains, et je ne saurais trop insister là-dessus, qu'en mettant l'accent sur le bénévolat, le gouvernement s'en serve comme prétexte pour ne pas payer les gens. Voilà ce que je pense.
Je voulais aussi parler de la participation des consommateurs et de leur contribution à des consultations comme celle-ci. Je suis heureuse que Joan ait pu être là aujourd'hui pour parler à titre de professionnelle et de consommatrice, mais je trouve que vous n'entendez pas suffisamment le point de vue des consommateurs même si vous entendez suffisamment les professionnels qui travaillent dans ces domaines. Nous ne sommes pas consultés. Nous sommes toujours les derniers à qui l'on pense. Je n'aime pas l'idée d'arriver en dernier. Nous sommes toujours les derniers. Nous sommes là depuis le début de la journée et je veux prendre place à cette table. Je ne veux pas rester assise là à ronger mon frein et à attendre mon tour.
En 1991, j'ai assisté à la première conférence Femmes-en-dialogue sur la maladie mentale. C'était la première fois que les consommateurs étaient invités à la table et j'étais parmi eux. Malheureusement, nous jouions le rôle de figurants. J'aimerais que notre rôle soit élargi et que nous ne fassions plus que de la figuration. C'est vraiment très bien d'écouter les professionnels. Ces gens dirigent les organisations et les programmes, dont l'unité de soins de courte durée. C'est une bonne chose, mais cela m'inquiète de penser que vous ne voulez pas nous entendre à cause de nos larmes et de notre détresse. Nous avons vécu ces choses. Manifestement, vous voulez nous écouter et je suis heureuse que vous soyez là, mais cela m'inquiète de voir que nous sommes rarement invités à participer à des consultations comme celle-ci.
L'autre commentaire que je tiens à faire concerne l'unité des soins de courte durée. Il faut que les praticiens et les usagers — ou les consommateurs — du nouveau système qui est maintenant en place en discutent. J'ai fait l'expérience de ce système et, bien que je puisse confirmer qu'il a du bon, j'ai aussi fait l'expérience de ses aspects négatifs. J'ai du mal à rester assise et à écouter quelqu'un dire que ce programme fonctionne bien quand je sais, comme d'autres consommateurs, que nous avons vécu des expériences très négatives dont une en particulier avec un infirmier praticien. Pendant mon séjour, j'ai été témoin de violence verbale et de mauvais traitements à l'égard d'une autre patiente : j'ai dû quitter ma chambre, m'interposer et dire à cet infirmier qu'il ne pouvait pas traiter une patiente de cette façon. Il m'a répondu de me mêler de mes affaires. Je lui ai rétorqué que c'était mon affaire parce que cela me touchait et touchait à ma sécurité. Heureusement, l'incident a été pris au sérieux. Je l'ai dénoncé et j'ai été prise au sérieux. Je ne sais pas ce que cela a donné mais il en a été informé. Je remercie le personnel qui m'a crue et qui m'a écoutée parce que quand j'entends parler de « santé mentale », de « compassion » et de « soins », je me dis que tout cela forme un tout, n'est-ce pas? Ceux qui travaillent dans le système de santé mentale doivent être compatissants. Ils doivent traiter les gens avec respect et dignité. Je constate que c'est toujours une lacune.
Le président : Merci, Deborah. Permettez-moi de faire quelques observations.
Vous avez raison. Aujourd'hui nous n'avons pas entendu les consommateurs avant la fin de la journée. Mais, dans de nombreuses autres localités du pays que nous avons visitées, nous avons souvent réservé les premières heures de séance aux consommateurs et aux membres de la familles des consommateurs. D'ailleurs, nous avons entendu davantage de consommateurs que tout autre témoin représentant un organisme fédéral et comme je l'ai dit, beaucoup d'entre nous comptent un consommateur dans leur famille plus ou moins immédiate.
Je tenais à vous signaler que vous et les gens comme vous avez fait une contribution très utile à nos travaux en répondant au court questionnaire que nous avons affiché sur notre site Web en novembre dernier. Nous nous attendions à recevoir entre 75 et 100 réponses. Nous en avons reçu près de 600 avant de retirer le questionnaire. Dans notre rapport, nous donnerons très certainement un visage humain à toute cette question. Étant donné le temps que les gens ont mis à répondre à notre questionnaire, nous serons en mesure d'associer des récits très personnels à chacun des enjeux que nous examinons. Ainsi, les consommateurs, leur famille et leurs soignants ont été pour nous d'extraordinaires sources d'information. Après avoir lu les réponses d'un grand nombre de questionnaires, j'ai toujours du mal à croire que les gens ont mis tant de temps pour nous raconter leur histoire. Je crois bien franchement que notre rapport ne peut qu'en être meilleur.
Mme Jackman : J'ai oublié de parler de l'indemnité. Je tenais à préciser, comme Joan l'a dit, que quand nous recevons une indemnité, ce que nous en faisons ne regarde que nous.
Le président : Bien sûr.
Mme Jackman : Les gens croient que les prestataires de l'aide sociale doivent justifier l'usage qu'ils font de l'argent, mais ce n'est l'affaire de personne. Je tenais à ajouter que quand je reçois une indemnité, je m'en sers pour acheter de la nourriture parce que je reçois de l'aide sociale et que cela ne me permet pas de vivre décemment. Il faut aussi corriger cette situation qui fait que de nombreux consommateurs de services de santé mentale vivent dans la pauvreté, n'est-ce pas?
Le président : Tout à fait.
M. Robert Ryan, à titre personnel : Je vous remercie du privilège que vous m'accordez de comparaître devant vous malgré le bref préavis que j'ai donné. Je suis à la retraite depuis environ dix ans. Je reçois une pension d'invalidité. J'ai un handicap physique.
J'ai consacré énormément de temps à faire des recherches sur une jonction extraordinaire, une jonction à laquelle vous vous intéressez vous-mêmes depuis quelque temps déjà. Je veux parler de la jonction entre la psychiatrie, la psychopharmacologie et le droit, plus particulièrement le droit constitutionnel et le droit du travail. Je veux aujourd'hui vous parler plus particulièrement du droit. Je vais vous présenter un historique et je fais appel à votre patience.
Il y a de cela quelque 300 ans, avant le procès des sorcières à Salem, lord Coke a écrit : « La pire forme d'injustice, la pire forme d'oppression, est celle à laquelle on donne une apparence de justice. » C'était il y a 300 ans. En 1910, la Cour d'appel britannique a rendu une décision dans l'affaire Young c. Toynbee. Une ancienne professeure de droit, qui sourirait sans doute si elle m'entendait prononcer ces mots, a examiné l'affaire Young c. Toynbee. La citation de l'arrêt est « 1 KB, 1910, English Court of Appeal ». Je n'ai pas le numéro de la page. Ma mémoire est quelque peu défaillante. Selon cette professeure de droit canadien, qui est rendu ailleurs, cet arrêt de 1910 appuie la thèse selon laquelle un avocat qui défend la cause d'un client atteint d'une sérieuse incapacité psychiatrique le fait à ses risques et périls. Depuis près de 100 ans maintenant, cet arrêt refroidit sérieusement les ardeurs des membres du Barreau.
Un examen de la jurisprudence des 100 dernières années dans ce pays permet de constater qu'il y a très peu de causes civiles soumises aux plus hautes instances des tribunaux provinciaux et encore moins à la Cour suprême du Canada pour lesquelles les demandeurs ou les plaignants sont des personnes atteintes de troubles mentaux graves. Je fais une distinction entre les troubles mentaux graves et les toxicomanies. Je veux parler de personnes atteintes de trouble bipolaire, soit environ 1,2 p. 100 de la population, malgré ce qu'en disent les compagnies pharmaceutiques. Elles ont réussi à en dénicher 4 p. 100 de plus dans la population récemment quand elles ont fait leurs propres sondages biaisés. Je veux parler des personnes atteintes de schizophrénie, qui représentent 1 p. 100 de la population, et des personnes atteintes de trouble unipolaire, c'est-à-dire de dépression, qui comptent pour près de 5 p. 100 de la population.
Nous parlons des gens les plus vulnérables de notre société. Chez les personnes atteintes de trouble bipolaire, aussi appelé psychose maniaco-dépressive, le taux de suicide oscille entre 15 et 20 p. 100 et les tentatives de suicide, entre 20 et 50 p. 100. J'ai été ravi de voir avant hier soir sur CNN qu'on interviewait la Dre Kay Jamieson. Elle a écrit un livre intitulé An Unquiet Mind dans lequel elle traite de la prévalence du suicide chez les gens atteints de trouble bipolaire. La prévalence du suicide chez les gens atteints de schizophrénie dépasse les 10 p. 100 et nous savons que le taux de suicide chez les gens atteints de trouble unipolaire dépasse de beaucoup le pourcentage jugé normal. S'il s'agissait de toute autre catégorie de citoyens de ce pays, nous dirions : « C'est une épidémie. Que faudrait-il faire de plus? Qu'est-ce qui ne va pas? » Or, il s'agit plutôt de personnes atteintes de troubles mentaux graves.
Qu'a-t-on fait sinon ce que Michael Perlin appelle le « droit horaire », du mot latin hora, à l'heure. Cette heure remonte à 1982, quand le Parlement a adopté la Charte canadienne des droits et libertés et a garanti au paragraphe 15(1) une protection spéciale aux personnes atteintes de troubles mentaux graves. Pendant cette heure-là, on a fait mine de se préoccuper de cette classe de citoyens vulnérables, de ces membres d'une société discrète et insulaire, et on a reconnu qu'elle devait bénéficier d'une protection spéciale. Ce souci a duré une heure. En 1985, l'article 15 de la Charte a été proclamé parce que, bien entendu, il fallait donner aux employeurs trois ans pour prendre les dispositions nécessaires. Entre 1985 et aujourd'hui, combien de personnes, représentées par un avocat, ont comparu devant la Cour suprême du Canada ou devant la cour d'appel des diverses administrations de ce pays, ou même devant un tribunal des droits de la personne, alléguant avoir fait l'objet de discrimination en raison de leur incapacité mentale? Il vous faudra peut-être un microscope pour trouver la réponse. Le nombre sera infime. Pourquoi ces personnes ne sont-elles pas représentées? Où sont les avocats?
Il y a quelques années, j'ai fait une demande à Michael Perlin, professeur de droit à l'Université de New York, et auteur de 13 ouvrages juridiques sur les déficiences mentales et de 175 articles sur le même sujet. Je lui ai demandé de faire de la recherche pour moi dans quelques domaines. Je ne pouvais pas comprendre ce qui se passait. Le professeur Perlin a écrit ce livre. Il s'intitule The Hidden Prejudice : Mental Disability on Trial. C'est un excellent livre qui a été écrit en 2000. Hollow Promises, écrit par Susan Stefan, est un autre excellent livre qui porte sur les conséquences des troubles mentaux pour les gens, dans la perspective des États-Unis.
Nous ne sommes pas 20 ans en arrière dans cette province. Nous sommes 100 ans en arrière. Ce qui se passe dans cette province avec les personnes souffrant de troubles mentaux est épouvantable. Ce n'est pas simplement une question d'isolement et d'abandon.
Je vous suis reconnaissant d'être venus ici aujourd'hui. Nous avons reçu des commissions d'enquête ici depuis au moins... et je fais référence, Le sénateur Cook, à votre livre là-bas. Ouvrez le livre que vous avez devant vous à la page 249, je vais lire un extrait, si vous me le permettez. Le livre s'intitule Out of Mind, Out of Sight : A History of the Waterford Hospital.
En octobre 1948, à la demande de la Commission de gouvernement, le Comité national d'hygiène mentale du Canada, sous la direction de Clarence M. Hincks aidé de la secrétaire Marjorie Keyes, a effectué une enquête de trois semaines sur l'hôpital dans le domaine des maladies mentales et des troubles nerveux ainsi que sur les services de santé mentale de la colonie [Traduction].
Ensuite, à la page 251, vous avez les recommandations faites par le comité après avoir passé trois semaines de la colonie : « Il faudrait mettre fin à l'utilisation des prisons. »
Eh bien, on a arrêté de se servir des prisons. Nous ne nous servons plus de l'isolement cellulaire. Cela n'a pris que 55 ans. Le 7 décembre 2003, un dimanche, un reporter du Evening Telegram a écrit que nous avions finalement réussi à mettre en place quelque chose pour remplacer l'isolement cellulaire. Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre encore 55 ans. Trop de vies sont en jeu. Trop de familles sont en train d'être détruites. Il y a trop de gens qui veulent contribuer à la société et qui ne peuvent pas le faire, mais ce n'est pas parce qu'ils en sont incapables. Les personnes atteintes de troubles mentaux sont des personnes à part entière. Elles jouissent d'une identité individuelle. Elles ont le droit à l'égalité. Elles ont le droit à l'intégrité psychologique, le droit à la dignité et le droit d'être incluses. Elles bénéficient des mêmes droits constitutionnels que nous tous.
Pour vous dire jusqu'à quel point la situation est effrayante lorsqu'on la met en perspective, je me suis déjà fait dire par un fonctionnaire haut placé dans l'administration du système de santé de la province, en présence de quelqu'un que j'avais amené à l'hôpital pour se faire traiter, que « tant que les problèmes juridiques de cette personne n'auront pas été réglés, il est peu probable qu'un psychiatre d'ici l'accepte comme patient. »
Je veux vous parler de certaines choses que nous pouvons faire, peut-être, pour ralentir et changer les choses. Nous devons le faire dans tous les segments de la société, dans toutes les couches. Il faut commencer avec les enfants, qui sont le plus influençables à l'âge de 4, 5, 6 et 7 ans. En plus d'apprendre à lire, à écrire et à compter, les enfants doivent également apprendre l'importance du respect. Le plus tôt possible, il faut commencer à enseigner aux enfants l'importance des questions d'éthique, de moralité et de dignité humaine. Les enfants sont capables d'apprendre ces choses. Ils sont capables d'apprendre l'importance de l'inclusion et du respect. Ils savent de façon instinctive, mieux que les sots que nous sommes.
Il n'y a qu'une seule université au pays, l'Université St. Thomas à Fredericton, qui offre un baccalauréat dans le domaine des droits humains. L'université de notre province, l'Université Memorial, n'offre pas un seul cours qui porte exclusivement sur les droits humains au pays.
Eh oui, vous avez plein les bras. Et c'est sans parler de l'influence qu'exercent les multinationales pharmaceutiques dans le choix des médicaments qui seront utilisés comme camisole de force et masse chimique sur ces gens. Il n'y a pas beaucoup de différence entre cela et les perforateurs que l'on a mis dans l'orbite des gens pour séparer les lobes frontaux, un problème pour lequel personne à Terre-Neuve n'a jamais reçu un sou en guise de compensation. Je pourrais vous montrer quelqu'un et vous verriez la cicatrice sur la tête. On a détruit des vies au nom de la médecine. Oh oui, Lord Coke avait raison.
Mme Jackman : J'ai oublié de mentionner quelque chose. Personne aujourd'hui n'a parlé des maladies mentales et le lien avec les traumatismes subis pendant l'enfance, la pauvreté, la négligence, et ainsi de suite. Ces questions n'ont pas été soulevées autour de la table, et je crois qu'elles sont très importantes aussi. Tous les troubles mentaux ne sont pas seulement des maladies. Ils peuvent être déclenchés par des causes environnementales, comme dans mon cas.
Le président : En fait, nous avons consacré énormément de temps à cette question. Nous avons consacré huit heures à discuter précisément de cette question et de l'importance de l'intervention précoce, du développement des enfants, et de bien d'autres choses.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci à tout le monde d'être venu. C'est très important et très courageux. Vous faites la bonne chose. Je crois que ce comité a fait un grand effort, et je suis désolée, moi aussi, que vous passiez en dernier aujourd'hui.
Helen et Deborah, vous avez toutes les deux employé le mot « consommateur ». Mes collègues savent que je n'aime pas ce mot.
Mme Jackman : Je ne l'aime pas non plus.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je serai peut-être obligée de l'accepter. Je voulais vous parler de ce mot. Je voulais vous dire, Helen, que quelqu'un qui a un cancer du sein n'utiliserait jamais le mot « consommateur ». Cette personne dirait, ou un jour je serai moi-même obligée de dire : « Je suis atteinte d'un cancer du sein ».
M. Dunne : J'ai vaincu le cancer.
Le sénateur Trenholme Counsell : Ou j'ai vaincu le cancer.
Mme Jackman : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je me pose des questions à propos de ce mot. Vous l'avez toutes les deux utilisé spontanément. Deborah l'a utilisé à plusieurs reprises, et Helen l'a utilisé au moins une fois. Acceptez-vous ce mot? L'aimez-vous? Croyez-vous que c'est le bon mot?
Mme Jackman : À mon avis, ce n'est pas le bon mot. Je ne l'aime pas. Lorsque nous avons commencé en 1989, nous employions le mot « utilisateur » et on avait l'impression que quelqu'un utilisait un système. Ensuite nous avons adopté le mot « consommateur ». Nous avons beaucoup hésité, et nous sommes restés avec le mot « consommateur ».
Mme Jackman : Je n'aime pas le mot « consommateur ».
Le sénateur Trenholme Counsell : Qui a choisi ce mot?
Mme Jackman : D'après ce que je comprends, un groupe en Alberta a lancé son propre projet pour les consommateurs et tout a commencé là. Et lorsque nous avons commencé, c'était au sein de CHANNAL que nous avons décidé d'utiliser le mot « consommateur ». Nous n'avons pas réussi à trouver autre chose. Comment nous identifier? J'aimerais aussi qu'on emploie un autre mot.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je suis médecin de famille, et je crois que nous parlons de santé et de bien-être, ou de ne pas être en santé aujourd'hui, ou pour toute une vie, ou peu importe. Peut-être que vous n'êtes pas bien pendant une journée, ou peut-être que vous avez un problème sur lequel vous devrez travailler toute votre vie. Mais quel est le problème avec le mot « patient »? Y a-t-il un problème avec ce mot-là?
Mme Forristall : « Patient en santé mentale »? Ce n'est pas facile pour moi de dire ça.
Le sénateur Trenholme Counsell : Aimez-vous le mot « consommateur », Helen?
Mme Forristall : Je préfère le mot « consommateur », parce que ça sonne mieux. Un patient en santé mentale évoque d'horribles images pour moi, et je n'aime pas ça.
Mme Jackman : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Nous sommes divisés ici.
Mme Jackman : Non, je suis d'accord avec vous à propos du mot « patient ».
Le sénateur Trenholme Counsell : Eh bien, si vous deviez trouver un mot, et j'imagine que vous avez beaucoup réfléchi à cela, quel mot proposeriez-vous?
Mme Jackman : Lorsque je pense à moi-même, je me considère comme une cliente.
Mme Forristall : Une cliente?
Mme Jackman : Comment peut-on résumer la situation d'une personne qui cherche à se faire aider par le système de santé mentale? Nous cherchons un mot pour cette réalité, n'est ce pas?
Le président : Nous voulons toujours entendre des opinions à ce sujet, parce que c'est une question qui a déjà été soulevée.
Mme Forristall : J'aimerais qu'on me considère comme un être humain.
Mme Jackman : Oui.
M. Dunne : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Pour moi, le mot « consommateur » évoque la revue Consumer Magazine, qui est très connue, n'est-ce pas?
Mme Jackman : Je le sais, oui.
Mme Forristall : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : On parle de consommation tout le temps, lorsqu'on pense à Wal-Mart ou à d'autres grandes chaînes de magasins.
Mme Forristall : J'aimerais savoir ce que mes anciens collègues disent, car quand ils me voient à l'épicerie, ils changent de direction; de toute évidence, « un patient en santé mentale » est vraiment méprisé.
Mme Jackman : Oui, oui.
Mme Forristall : J'aimerais qu'on m'appelle Helen, et j'aimerais que l'on me considère comme un être humain; voilà tout.
Le sénateur Trenholme Counsell : Pensez-vous que nous pourrions faire des progrès tels au sein de la société qu'un patient en santé mentale serait traité de la même façon que quelqu'un qui est diabétique ou qui a eu un cancer du sein?
Mme Forristall : J'espère que oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Vous ne le pensez pas?
Mme Forristall : Non, pas de mon vivant.
Mme Jackman : La mentalité doit changer. L'étiquette ou la terminologie en soi n'est pas le problème, c'est la mentalité qui doit changer.
Le président : Oui, exactement. Il faut faire quelque chose.
Merci à tout le monde d'être venu. Nous vous en sommes reconnaissants.
La séance est levée.