Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 23 - Témoignages - Séance de l'après-midi
MONTRÉAL, le mardi 21 juin 2005
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 13 h 11 pour examiner diverses questions liées à la santé mentale et à la maladie mentale.
Le sénateur Wilbert J. Keon (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Notre premier témoin cet après-midi est la Dre Louise Nasmith.
[Français]
La docteure Louise Nasmith, présidente désignée et présidente du conseil d'administration du Collège des médecins de famille du Canada : Monsieur le vice-président, j'aimerais vous remercier tous au nom du Collège des médecins de famille du Canada, pour votre invitation à faire une présentation cet après-midi. Malheureusement, le docteur Alain Pavilanis, qui est le président du Collège, n'a pu être là aujourd'hui. Il m'a demandé de venir en tant que présidente désignée et présidente du conseil d'administration.
Il faut tout de même que je dise que je suis en plus médecin de famille depuis une vingtaine d'années et que j'ai exercé la plupart de ma profession ici à Montréal. Depuis trois ans, je travaille à Toronto à titre de directrice du Département de médecine familiale et communautaire à l'Université de Toronto.
[Traduction]
Le Collège désire féliciter le comité des rapports qu'il a préparés. Si je ne m'abuse, vous avez reçu les textes, en anglais et en français, je crois, de notre mémoire qui vous ont été envoyés par messagerie hier, et je n'ai donc pas l'intention de passer tout cela en revue avec vous. Je voudrais simplement vous en présenter les faits saillants.
Il est toujours difficile de représenter un organisme alors qu'on a peut-être ses propres préjugés sur la question, et je vais donc vous les déclarer immédiatement. Il est certain que le Collège estime que tous les Canadiens, et notamment ceux et celles qui sont atteints de problèmes de santé mentale et de toxicomanie, devraient avoir accès à un médecin de famille qui peut leur assurer toute la gamme de soins dont ils ont besoin en permanence. On ne peut séparer l'aspect mental de l'aspect physique. Nous savons que bon nombre de nos patients qui sont atteints de maladies mentales souffrent également de graves maladies physiques.
S'agissant des mesures prises dans les différentes régions du pays en vue de réformer ou de renouveler les soins primaires, selon le terme qu'on préfère, il est vrai que bon nombre des modèles qu'on propose actuellement mettent effectivement l'accent sur la santé de la population et sur la nécessité de bien comprendre les besoins de nos patients ou de nos clients et de mettre sur pied des équipes multiprofessionnelles qui soient à même de répondre à leurs besoins. Ainsi un processus de transformation du système est déjà en cours et devrait contribuer à améliorer la situation sur ce plan-là. Si, nous basant sur nos propres patients ou clients, nous arrivons à bien comprendre leurs besoins et à tenir compte des réalités locales, nous devrions être en mesure d'élaborer des modèles intéressants permettant de lier, soit dans un même établissement ou de façon virtuelle, les différents types de soins et de services que requièrent les personnes atteintes de maladies mentales et de toxicomanie.
Dans ce même ordre d'idées, on doit nécessairement parler des modèles de financement de tous les professionnels de la santé, et non seulement les médecins. En ce qui concerne les équipes de santé familiale qui sont progressivement mises sur pied en Ontario à l'heure actuelle, il est intéressant de constater que les gens ne savent toujours pas comment les autres professionnels de la santé qui sont intégrés à ces nouvelles équipes seront rémunérés, qui sera chargé de les rémunérer, la nature des relations entre employeur-employé, etc.; tous ces détails sont encore à régler. Mais on ne peut s'attendre à ce que ce modèle donne satisfaction si l'on ne règle pas tous ces différents éléments.
La question de l'accès et des modèles à retenir est étroitement liée à la question de la planification des ressources humaines dans le domaine de la santé. Jusqu'à présent, les modèles, les cadres et les prévisions n'ont pas encore tenu compte de l'aspect interprofessionnel, et il faudra absolument le faire. Si nous prenons comme point de départ les besoins la population pour élaborer des modèles de prévision, nous pouvons espérer en arriver à quelque chose de vraiment utile et efficace.
Ce qui me préoccupe, c'est qu'en ce moment chaque province fait un peu cavalier seul dans ce domaine, si bien qu'il s'agit maintenant de voir comment on peut aller au-delà du cloisonnement actuel et transmettre toutes les données aux autorités fédérales pour que ces dernières les communiquent ensuite à l'ensemble des régions du pays.
Dans vos documents, vous parlez de populations spéciales ayant des besoins particuliers, qu'il s'agisse d'enfants et d'adolescents, des collectivités autochtones, des aînés ou des soignants qui s'en occupent au jour le jour. En tant que médecin praticienne, je peux vous dire que ces populations spéciales méritent une attention toute particulière. Comment établir des priorités par rapport à chacune d'entre elles? Je ne le sais pas vraiment. Mais si nous voulons mettre l'accent sur la prévention, nous devons axer nos efforts dans un premier temps sur les enfants et les adolescents. Nous savons que les adolescents ne cherchent pas à se faire soigner le plus souvent, et il est donc indispensable de solliciter l'avis des écoles et d'autres organismes communautaires pour leur donner les services dont ils ont besoin.
J'ose espérer que cette initiative aura une incidence positive sur les projets qui seront éventuellement financés grâce aux nouveaux crédits pour les Autochtones annoncés par le gouvernement fédéral. Il s'agit d'une somme assez importante, bien que je ne me rappelle plus du programme particulier en vertu duquel ces crédits sont accordés, mais il me semble clair que votre groupe devrait pouvoir influencer l'utilisation de ces fonds jusqu'à un certain point.
Je voudrais maintenant parler un peu du problème de la stigmatisation et de la discrimination. Je ne sais pas combien de fois, en tant que médecin de famille, j'ai dû dire à mes patients qui sont atteints de maladie mentale : « C'est comme si vous aviez un ulcère; il n'y a pas de différence, » mais le fait est qu'ils n'arrivent pas à en parler. Ils ne peuvent pas s'adresser à leur employeur pour lui révéler leur situation; c'est encore un gros problème. Mais ce n'est pas nouveau : c'est comme l'oncle qu'on attachait à son lit il y a une centaine d'années. Les gens ressentent encore cette honte, alors que cela ne devrait pas être le cas.
Ce serait peut-être l'occasion de collaborer avec les responsables de la santé publique pour sensibiliser le public à cette question et lui transmettre certains messages; cela permettrait sans doute de lancer un dialogue et d'amener les gens à mieux accepter ce genre de choses.
Mon dernier point concerne ce que vous avez dit au sujet de la création de bases de données et du rôle du gouvernement. Plusieurs projets sont actuellement en cours au Canada. Je crois savoir que vous avez reçu le mémoire soumis par les responsables de l'Initiative canadienne de collaboration en santé mentale. Notre collège participe au projet mené en vertu du Fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires, dont les responsables ont fait un excellent travail pour ce qui est d'établir un inventaire de tous les différents modèles de soins utilisés d'un bout à l'autre du pays. On peut espérer que les gens y ont recours actuellement et qu'il sera possible d'en profiter dans le contexte de la création d'une base de données. J'exerce depuis suffisamment longtemps pour avoir été témoin de tous ces projets très valables, mais je constate que ces projets restent autonomes et que nous ne déployons pas les efforts nécessaires pour établir des passerelles entre eux. Nous n'en profitons pas au maximum.
Je suis membre du Comité national d'experts pour la Formation interprofessionnelle pour une pratique en collaboration centrée sur le patient — soit la FIPCCP — qui est une initiative lancée par Santé Canada. Nous commençons à peine à rassembler tous les intervenants clés de sorte qu'ils se parlent entre eux, et c'est une étape qui est absolument fondamentale.
L'AMC, l'APC, la SCP et notre collège ont recommandé la création d'un institut de la santé mentale et de la toxicomanie. Il serait intéressant de voir dans quelle mesure un tel institut pourrait faire partie de l'agence de la santé publique. Serait-ce l'organisme tout indiqué pour abriter un tel institut, de sorte que nous puissions examiner de façon globale les questions liées à l'éducation publique, l'intervention dans les écoles, etc.? C'est une possibilité à explorer.
Mon dernier point concerne le fait que les gouvernements ont chacun leurs structures et leurs cloisons, et ce à l'intérieur des ministères, entre les ministères, et entre les provinces. Comme je travaille actuellement de très près avec le ministère de la Santé en Ontario, je trouve inadmissible qu'un ministère dont les bureaux se trouvent à l'autre bout du couloir ne sache pas du tout ce que fait l'autre ministère à côté. Si nous ne réussissons pas à éliminer ce cloisonnement, comment pouvez-vous vous attendre à ce que nous qui sommes dans les tranchées arrivions à renforcer notre collaboration?
Je précise que ce point ne figurait pas dans notre mémoire; c'est un sentiment personnel que j'exprime-là.
Mais pour transformer la situation, nous avons maintenant l'occasion de profiter de tout ce qui se fait dans ce domaine. Les astres sont bien alignés — je ne suis pas astrologues, mais il me semble bien que les différents éléments qui vont nous permettre de progresser sont maintenant réunis. Il s'agit à présent de rassembler tous les acteurs, car à ce moment-là, nous pourrons à mon avis aller de l'avant. Je vous remercie de m'avoir reçue ce matin.
Le vice-président : Merci beaucoup.
Le docteur Sidney Kennedy, psychiatre en chef, University Health Network : Bonjour et merci de m'avoir donné l'occasion de comparaître aujourd'hui. Je me présente devant vous à titre de psychiatre, car je suis actuellement psychiatre en chef du University Health Network de Toronto; je suis également président-fondateur du Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments, et je suis le président sortant du Collège canadien de la neuropsychopharmacologie.
Même si j'ai demandé conseil à des collègues qui font partie de ces différents groupes, mes remarques aujourd'hui sont surtout le résultat de mon propre examen des documents, et à ce sujet, je me suis surtout intéressé à la question de la dépression, qui est l'un des domaines où je suis le plus actif. La gamme des problèmes liés à la mortalité et à la morbidité, l'incidence économique, les changements structurels qui surviennent dans le cerveau des personnes souffrant de dépression, la nature de la maladie du point de vue des rechutes et des récurrences, sont toutes des questions critiques. Par exemple, les décès liés non seulement au suicide, mais à une mortalité accrue causée par la cardiopathie et les cancers, et les recherches qui laissent croire que la dépression est une maladie systémique, viennent appuyer les arguments avancés par la Dre Nasmith.
Je voulais réagir au document par rapport notamment à la prestation des services. Il va sans dire que nous reconnaissons l'importance de la langue et de la culture dans une ville comme Toronto — nous sommes certainement conscients des besoins des nouvelles populations immigrantes, et il y a justement des programmes qui cherchent à assurer des services de santé mentale dans différentes langues, mais il faut bien comprendre que le contenu des programmes est tout aussi important que la prestation des services dans les langues des populations locales. L'importance des communications, de l'intégration, et des soins de santé coopératifs est maintenant comprise, et les psychiatres et médecins de famille ont pris un certain nombre d'initiatives très prometteuses dans différents domaines, mais nous souhaitons que cela se développe beaucoup plus dans les mois qui viennent.
En ce qui concerne les besoins de populations précises — par exemple, les enfants et les adolescents — la question du dépistage précoce semble particulièrement importante. Cependant, à moins d'avoir les ressources nécessaires pour prévoir les interventions requises — et il y a tout lieu de croire que ces interventions peuvent faire une grande différence à long terme — le problème reste entier.
Le suicide chez les jeunes fait l'objet d'études à l'heure actuelle. Bien que les chiffres indiquent que le taux de suicide a baissé au cours des 10 dernières années, si nous tenons compte des tendances suicidaires ou des dispositions au suicide, qui peuvent faire l'objet de traitement, on peut penser que les taux ont peut-être augmenté. Nous devons donc nous assurer que les services dans ce domaine sont mieux intégrés et distribués de façon plus efficace.
Il y a de nombreux problèmes en ce qui concerne les personnes âgées, tels que le manque d'information sur l'efficacité des traitements en fonction de l'âge, et sur le fait que les extrapolations faites à partir de l'âge mûr ne sont pas toujours valables pour les étapes ultérieures de la vie, et sur des traitements et interventions précis qui n'ont pas nécessairement été mis à l'épreuve dans d'autres populations. Il y a donc un grand besoin d'interventions adaptées aux besoins des populations complexes, c'est-à-dire les personnes souffrant simultanément de toxicomanie, de schizophrénie et de maladies physiques.
Je vous ai déjà parlé du suicide. J'ai aussi été impressionné par le travail que vous avez fait concernant le milieu de travail, et encore une fois, c'est en rapport avec cette question de stigmatisation. Il faut absolument intégrer les programmes d'aide aux employés en milieu de travail, le travail accompli par les compagnies d'assurance et le système de soins proprement dit, c'est-à-dire les différents domaines de spécialisation, etc. Je félicite les responsables des IRSC pour certaines récentes initiatives qui ont justement porté sur cette question, de même que sur les résultats des tables rondes.
S'agissant maintenant de ressources humaines, pour que la psychiatrie puisse contribuer à améliorer la situation, il faut mettre davantage l'accent sur l'intervention conjointe des spécialistes et des premiers intervenants. Je suis également d'accord pour reconnaître que la coordination des efforts du personnel médical et non médical au sein des équipes, de même que leur financement et leur intégration, présentent certaines difficultés. Dans les centres universitaires de sciences de la santé, en tout cas en Ontario, le système de rémunération évolue et non seulement ce dernier mais les formules de financement sont à l'étude en vue de trouver de nouvelles solutions. Mais il est très important de voir à la bonne intégration du personnel médical et non médical.
Pour ce qui est des partenariats pour les fins à la fois de la recherche et de la prestation des services, il serait important d'envisager de créer une enveloppe budgétaire fédérale pour la santé mentale. Malgré l'importance de la santé mentale, nous connaissons actuellement un problème de sous-financement dans le domaine de la recherche, dans la prestation globale des soins et services de santé, et certainement dans bon nombre de nos organismes.
Voilà qui termine mes remarques liminaires.
Le vice-président : Docteur Charbonneau?
[Français]
La docteure Manon Charbonneau, psychiatre, Centre de Services sociaux de Sept-Îles : Monsieur le vice-président, je remercie le comité sénatorial. Je parlerai en français car je suis plus à l'aise dans cette langue. Je remercie le sénateur Keon et tous les autres sénateurs ici présents.
Je vous ai préparé un mémoire en version française et anglaise, qui contient tous les aspects de la pratique en région éloignée. Je suis médecin psychiatre. Je pratique depuis quinze ans sur la Côte-Nord du Québec.
J'occupe des fonctions à l'exécutif de l'Association des médecins psychiatres du Québec et également à l'exécutif de l'Association des psychiatres du Canada. Je suis ici pour vous parler de mon expérience professionnelle de clinicienne, et principalement, sur la pratique en milieu rural qui concerne une des populations, je crois, les plus touchées et les plus défavorisées en ce qui a trait à l'accès à des services de santé mentale et toxicomanie.
Le mémoire qui a été déposé synthétise différentes caractéristiques géographiques, démographiques et cliniques ainsi que les caractéristiques organisationnelles qui sont proposées de façon à optimiser l'accès, les soins et les services en région rurale.
Il n'existe aucun modèle universel applicable à toutes les régions. Mais, nous croyons que nos recommandations peuvent contribuer à répondre à certaines questions du comité sénatorial concernant la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie.
Les particularités du travail en région éloignée représentent une problématique nationale mais aussi une problématique internationale. Plusieurs autres pays qui ont des similarités géographiques ont les mêmes difficultés d'accès à des services spécialisés.
Aux États-Unis, 21 p. 100 des Américains n'ont pas accès à des services psychiatriques spécialisés. Au Québec, la province est aux prises avec une pénurie d'effectifs psychiatriques. Il manque environ 200 psychiatres actuellement dans la province.
Un plan d'action national et interprovincial en santé est, à mon avis, une des interventions les plus salutaires à préconiser et à favoriser pour une meilleure uniformité des services surtout pour les plus démunis; et j'oserais ajouter principalement en pédopsychiatrie, en géronto-psychiatrie et la population autochtone.
Une approche globale intégrative de prestation de soins, avec des ressources très limitées, est nécessaire. La fluidité et la souplesse dans les structures administratives permettent un certain décloisonnement des structures et est, à mon avis, un impératif pour des solutions gagnantes et catalysent la continuité des soins.
En région éloignée, nous avons été dans le constat inévitable d'avoir à centraliser les demandes de services de façon à donner la priorité à l'accessibilité rapide aux soins, au bon endroit, au bon patient, au bon moment et par le bon intervenant.
Non seulement nous sommes d'accord avec le comité sénatorial pour la perspective du patient / client, mais l'ensemble de l'organisation de nos services est basé sur ce principal objectif et nous sert souvent de prémisse ; il nous guide lorsque nous sommes aux prises avec des décisions cliniques ou administratives parfois difficiles.
En ce qui a trait à la notion d'urgence et d'accessibilité, il est clair qu'en région éloignée le concept d'accessibilité et la notion d'urgence en est un qui est plus élargi. On voit toute l'importance que prend la formation du personnel et la rémunération des différents intervenants sur le territoire.
Un exemple d'approche intégrative qui comprend tous les aspects cliniques sociodémographiques et culturels est lorsqu'un patient sur le territoire présente un problème aigu. Il est très important de bien saisir quel est son point d'entrée sur le territoire et où il se situe géographiquement.
Par exemple, dans une petite communauté de deux ou trois mille habitants, un patient souffrant de schizophrénie en crise aiguë et qui présente une crise d'agitation et d'agressivité. Le seul intervenant disponible est soit une religieuse infirmière ou une intervenante sociale. Le point d'entrée est dans le dispensaire, dans le système.
Il n'y a naturellement aucune ressource médicale disponible sur place. Cette personne-ressource est la personne, sur qui la formation et l'éducation seront centrées pour pouvoir faire de la prévention et détecter de façon très rapide des indices de dangerosité ou de tendance suicidaire.
Dans le milieu, l'on identifie également qui est l'aidant naturel pouvant entrer en contact avec cet intervenant. Nous aidons et habilitons cette personne afin qu'elle puisse identifier rapidement les besoins du bénéficiaire, du patient. Cette personne entrera en contact avec le corps médical, soit un médecin de famille ou un médecin psychiatre sur le territoire.
Souvent il n'y a que moi sur la Côte-Nord, et via les médecins de famille, ils peuvent me contacter.
Dans chaque institution ou organisme que ce soit le dispensaire ou le centre de santé, il est favorable d'avoir une personne qui est désignée dans le système comme étant le coordonnateur clinique de soins ; et que toutes les demandes et tous les messages passent par cette voie d'entrée simple, unique et facile d'accès.
Le territoire de la Côte-Nord s'étend jusqu'à Blanc-Sablon, environ 1 000 kilomètres de littoral de côte. La Côte- Nord se caractérise principalement par des centaines de kilomètres et une population desservie d'environ 120 000 personnes.
En général, il n'y a qu'un ou deux psychiatres permanents pour toute la région. La plupart de ces villages sont accessibles par bateau ou par voie aérienne, et parfois par motoneiges en hiver.
Sur le territoire, il y a trois centres hospitaliers dont le Centre hospitalier régional de Sept-Îles qui est le pôle régional. Il est également le centre de référence en soins spécialisés.
En psychiatrie au Centre hospitalier, il y a 21 lits de psychiatrie, une clinique externe, un centre de jour et le suivi intensif dans la communauté.
L'organisation favorise grandement notre façon d'envisager et de gérer les urgences et les traitements psychiatriques. Les transferts entre dispensaires et le Centre hospitalier ne se font pas de façon usuelle et hiérarchique entre les médecins.
Nous devons pratiquer autrement, c'est-à-dire accepter des transferts provenant parfois d'un intervenant social et accepter le transfert dans une urgence médicale.
Certaines interventions sont faites également par voie téléphonique ou par visioconférence appelée aussi la télépsychiatrie. C'est d'une grande aide surtout en situation d'urgence lorsque les patients ne peuvent pas être transportés.
En ce qui concerne la population rurale, voici quelques caractéristiques : elle dissocie moins les concepts de santé physique et de santé mentale. La population utilise beaucoup plus la médecine physique de première ligne comme voie privilégiée de consultation pour leurs problèmes de santé mentale.
Le clinicien débutant en région éloignée a rarement les qualifications préalables pour assumer les différents rôles qui l'attendent en région. L'absence de qualifications préalables suffisantes s'applique également chez les intervenants paramédicaux. Différentes causes sont responsables : l'absence de modèle théorique, l'absence de modèle clinique, l'absence de préparation à la charge de travail et à cette spécificité du travail, absence de formation et d'exposition pré et postdoctorale.
L'intervenant et le clinicien font également partie de la communauté. Ils ont un rôle social à jouer, qu'il soit désiré ou non. Ceci cause parfois des problèmes au niveau de la confidentialité.
Un exemple de la flexibilité nécessaire : Le plan de soin titré selon le besoin du patient est rendu possible grâce à la désignation de son intervenant principal ou un intervenant pivot. Je pense qu'en anglais on peut dire « case manager ». Il est responsable de la coordination et des liens entre les différents services médicaux et communautaires.
La désignation de cet intervenant pivot est déterminée par une équipe interdisciplinaire impliquée dans les soins du patient et selon les besoins majeurs et dominants de ce dernier. Cet intervenant est responsable du patient, il y a donc ici la notion d'imputabilité dans la prise en charge. Il peut être à la fois un éducateur, un intervenant social ou il peut être aussi un médecin. Par contre, il y a toujours un médecin répondant à cet intervenant.
L'importance capitale de la formation générale des intervenants principaux est une prérogative à l'excellence des soins de santé mentale. Des cadres légaux plus uniformisés seraient également très aidants dans l'application clinique de certaines mesures.
Il y a deux fausses prémisses lorsqu'on parle des régions éloignées ou des ressources limitées en région. La première prémisse : De développer les régions pour qu'elles deviennent complètement autosuffisantes. La deuxième fausse prémisse : Transporter toute la population vers les centres urbains pour les traitements.
L'autosuffisance est utopique compte tenu des ressources limitées dans tous les domaines; et ceci ne risque guère de changer. Nous sommes actuellement à partager équitablement la pénurie des effectifs.
L'autre aspect est celui du transport de tous les habitants vers des régions urbaines, ce qui ne correspond nullement à leurs besoins, et cela dépasse leurs besoins cliniques.
Cinq aspects importants dans l'organisation des services : la flexibilité, tous les moyens de télécommunication, la formation, l'intégration et l'affiliation. Je termine avec un mot sur l'affiliation.
L'affiliation universitaire de notre centre hospitalier avec les régions urbaines a aidé à favoriser et accélérer l'accessibilité à des services surspécialisés, a contribué à la formation du personnel médical et paramédical, et a maintenu le perfectionnement professionnel continu.
L'affiliation a aidé à augmenter virtuellement les effectifs et à offrir un milieu de stage de formation en région sous la gouverne universitaire et ainsi favoriser le recrutement éventuel. L'affiliation universitaire a diminué le sentiment d'isolement des professionnels et a aidé à partager universellement les données scientifiques via l'utilisation de la visioconférence. Elle a diminué virtuellement la distance géographique et ainsi favoriser réellement l'accès aux soins.
En conclusion, l'importance du travail d'équipe est de saisir la dynamique et la structure de la communauté régionale, d'organiser les services de façon la plus efficiente possible pour le patient, le besoin en éducation professionnelle et en éducation de la population. C'est aussi de collaborer avec les aidants naturels et de miser sur la nécessité de recherche — évaluation afin d'aider à l'élaboration de modèles théoriques.
Le travail en région offre une opportunité inégalée pour optimiser notre champ de compétence et ce pour le plus grand bénéfice de nos patients et de la génération future.
Le vice-président : Merci, docteure Charbonneau.
[Traduction]
Le vice-président : Comment avez-vous été recrutée pour votre poste, vous qui êtes la seule psychiatre et la grande responsable dans la région de la Côte-Nord?
[Français]
La Dre Charbonneau : En 1982, le gouvernement du Québec coupait les postes de position en spécialités pour les entrées en résidence. Alors, au premier tour, j'étais admise au programme de spécialités, mais très soudainement, juste avant le début de la spécialisation, on m'a annoncé que j'étais maintenant première sur la liste d'attente. Il y avait cinq postes de moins.
Alors, on m'a offert la possibilité d'effectuer ma résidence en psychiatrie en échange de quatre années en région éloignée. J'allais pouvoir faire quatre ans de résidence en psychiatrique. Mon conjoint, qui est anesthésiste, a décidé de partir avec moi pour cette expérience, et nous ne sommes jamais revenus. Nous sommes libres.
[Traduction]
Le vice-président : Louise, par rapport à ce que vous avez dit dans votre exposé sur la nécessité de créer des ressources communautaires en psychiatrie, nous comptons aborder ce point dans notre rapport. C'est quelque chose que nous avons déjà entendu à maintes reprises, à savoir que les patients supplient les autorités de créer davantage d'établissements communautaires qui puissent assurer des soins primaires de concert avec des services sociaux, afin qu'ils soient en mesure de s'adresser à un guichet unique pour obtenir tout ce dont ils ont besoin — un foyer, des contacts et l'aide de leurs pairs, et tout ce qui s'y rattache.
Je sais qu'il y en a un ou deux qui ont été mis sur pied à Toronto, parce que le ministre, M. Smitherman, m'a dit qu'il voudrait que le sénateur Kirby et moi-même allions les visiter. Combien y a-t-il actuellement de cliniques et d'établissements communautaires à Toronto?
La Dre Nasmith : Il n'y en a certainement pas assez. Il y a toujours un équilibre important à établir entre les nouvelles structures qui sont créées et une meilleure intégration et utilisation de celles qui existent déjà. Il faut éviter de créer d'autres structures indépendantes, parce que le fait est que la gamme des problèmes de santé mentale est très vaste et englobe ceux qui sont gravement malades, étant atteints de schizophrénie, par exemple, et d'autres qui souffrent parfois de dépression.
Le fait est qu'à un moment donné, la plupart de ces personnes s'adresseront sans doute à un centre de médecine familiale ou au cabinet d'un médecin de famille, et tant que cela continuera d'être le cas — et cela me semble bien probable, en l'absence d'autres possibilités — il ne sera pas possible de créer le genre de structures que vous décrivez. Il faut que nous puissions être intégrés à ces structures et travailler de concert avec elles.
Il y a énormément d'organismes communautaires qui font un excellent travail en collaboration avec le University Health Network, où j'accomplis mon travail clinique. J'entends constamment parler de toutes sortes de choses très intéressantes, mais nous ne sommes pas au courant et par conséquent, nous n'avons pas la possibilité d'offrir la possibilité de soins partagés à nos patients.
Il y a ces unités distinctes qui peuvent potentiellement prendre en charge les patients les plus gravement malades, mais nous devons également envisager d'établir des passerelles avec d'autres services et de faciliter l'accès à d'autres patients qui n'y auraient pas nécessairement recours en temps normal. Alors je vous encourage certainement à visiter ces établissements, mais ce qui est encore plus important, c'est que nous tirions les bonnes leçons des résultats de ce modèle et que nous arrivions à englober les autres services.
À mon avis, ce genre de modèle marche mieux en milieu rural, parce qu'il le faut bien. Ce système n'est pas parfait et il y a toujours le problème du manque de ressources, mais on peut quand même mieux travailler. Dès lors qu'on se trouve dans une grande ville, il devient tout simplement impossible de coordonner la prestation des soins.
C'est tout ce que je peux vous dire.
Le vice-président : Nous avons appris quelque chose de très intéressant ce matin à l'Université McGill, à savoir que les étudiants qui fréquentent l'Université McGill reçoivent de biens meilleurs soins psychiatriques que la population en général. S'il en est ainsi, c'est parce que l'Université McGill dispose d'un système privé de prestation de soins et de services en psychiatrie, notamment et pour l'ensemble des services assurés aux étudiants.
Le témoin a également parlé du fait que la situation est semblable à Toronto, mais sans donner d'autres précisions. J'aimerais donc savoir ce que vous en pensez, parce qu'il parlait de l'équipe médicale-sociale-psychiatrique qui existe pour les étudiants comme étant idéale, alors que ce genre de modèle n'est évidemment pas en place pour la population générale au Québec.
Parlez-moi donc de la différence entre l'University Health Network et l'établissement de l'avenue Spadina.
Le Dr Kennedy : Je suppose que vous me parlez des services de santé universitaires auxquels pourraient accéder les étudiants qui viennent de l'extérieur de la province. Il existe effectivement une équipe de soins intégrés qui comprend des psychiatres, des médecins de famille, et du personnel non médical, y compris un assez grand nombre de psychothérapeutes, de psychologues titulaires d'une maîtrise, ou de psychologues titulaires d'un doctorat. Les listes d'attente sont relativement courtes, et la majorité des étudiants qui ont recours à ce service sont en crise, pour ainsi dire, de sorte qu'ils bénéficient d'interventions psychothérapeutiques de courte durée.
Plusieurs personnes qui travaillaient en milieu hospitalier ont quitté ce milieu pour travailler avec les membres de ce groupe, et je pense qu'ils trouvent très intéressant de pouvoir régler rapidement des problèmes ou crises mettant en cause la santé mentale.
Je ne peux pas vous dire grand-chose à propos de son financement, si ce n'est que les étudiants paient un montant modeste tous les mois, si je ne m'abuse, ce qui leur donne l'équivalent du Régime d'assurance-maladie de l'Ontario, ce qu'on appelle, je pense, le Régime d'assurance-maladie universitaire.
La Dre Nasmith : Oui, c'est le RAMU plutôt que le RAMO. Ce qui est vraiment intéressant, c'est la rapidité avec laquelle un étudiant en crise peut recevoir de l'aide — et je sais que l'Université McGill dispose du même système. Pierre Tellier, qui est chargé d'administrer les services aux étudiants, était un de mes collègues, et je sais qu'ils ont un excellent système. Mais ce système est limité à une population précise et payé par les assurances.
Le vice-président : Nous avons tous tendance à nous crisper dès lors qu'il est question d'assurance privée, mais voilà un exemple classique de ce genre d'assurance dans nos deux plus grandes villes. Il en va de même pour les régimes d'indemnisation des accidentés du travail, bien entendu.
Le Dr Kennedy : Oui.
[Français]
Le sénateur Pépin : Docteur Nasmith, vous parlez beaucoup dans votre présentation de l'éducation, et de ce qui devrait être fait avec la faculté de médecine. Je dois dire qu'on a entendu plusieurs présentations selon lesquelles les médecins généralistes n'étaient pas suffisamment formés.
Je lis en page 4, vos suggestions quant aux facultés de médecine, et qu'elles devraient modifier les critères d'admission ainsi que plusieurs autres points. Nous allons sûrement le prendre en considération car, selon le rapport de M. Couillard qui a été déposé hier, les médecins deviendront la porte d'accès aux patients qui ont des problèmes mentaux.
Il y matière à améliorations. D'après ce que je lis dans vos recommandations, c'est certainement très important.
Vous avez parlé aussi des silos et de ce qui arrivait d'une région à une autre. Si je vous ai bien compris, des silos existent entre les différentes provinces, ce qui se fait dans une province ne se fait pas nécessairement dans une autre.
Avez-vous des suggestions à nous faire pour nous guider afin de minimiser ces petits silos ?
La Dre Nasmith : Non, je n'ai pas de suggestion parce que je ne connaissais pas vraiment le terme FPT, avant que je fasse du travail avec Santé Canada. Maintenant, je comprends que c'est très compliqué et très politique, malheureusement.
Souvent, nous arrivons avec des projets très concrets et peut-être que la santé mentale en est un, et nous parvenons à défoncer les barrières qui existent. Nous visons une clientèle vulnérable, qui nous tient à coeur et les gens sont prêts à y travailler.
Peut-être avez-vous la chance, en tant que commission, de pouvoir donner des suggestions afin que nous allions plus loin. Parce qu'en réalité, ce n'est pas facile, si je comprends bien. Je ne veux pas être trop naïve en pensant que cela puisse se faire facilement.
Le sénateur Pépin : Si nous étions capables d'enlever le honte qui existe autour de tout cela et faire une bonne campagne de sensibilisation, cela aiderait sûrement. Nous avons constaté que d'une province à l'autre, il y a des silos. Peut-être qu'à ce moment-là, on sera capable de naviguer.
Lorsqu'on regarde dans les villes, il y a beaucoup de professionnels comparativement aux régions. C'est aussi un autre problème. Avec de nouveaux critères d'admission, ce serait plus facile de trouver des généralistes mieux formés un peu partout.
[Traduction]
Docteur Kennedy, vous avez parlé du milieu de travail et des assurances. Peut-être pourriez-vous nous expliquer un peu plus votre réflexion à ce sujet.
Le Dr Kennedy : Dans mon exposé, il était question d'un modèle qui mettait vraiment en relief les problèmes des gens au travail — on y parlait de « présentéisme », c'est-à-dire des gens qui sont physiquement présents au travail mais qui souvent n'ont pas une bonne prestation, ne remplissent correctement leurs fonctions et du retard qui est accusé avant qu'il y ait dépistage du problème et aiguillage vers le spécialiste approprié. Bien souvent, les gens sont partiellement traités pour leurs problèmes et retournent donc au travail en devant subir les mêmes conditions professionnelles négatives, si bien que le problème se perpétue. Encore une fois, on peut parler de l'importance de l'intégration des intervenants publics et privés, puisque beaucoup de gens qui travaillent bénéficient des programmes d'aide aux employés, qui leur suffisent dans bien des cas — comme les étudiants universitaires en crise, par exemple — mais cela ne convient pas aux personnes atteintes de maladies mentales graves. Pour le moment, il n'y a pas de bonne passerelle entre le système de soins au travail et d'autres soins ou services de santé, et c'est justement là que je vous disais qu'un certain développement s'impose.
Le sénateur Pépin : Nous savons aussi que certaines compagnies d'assurances refusent d'assurer les personnes qui ont fait une dépression nerveuse ou quelque chose du genre, et à ce moment-là, il leur est difficile d'accéder au système de soins parce qu'ils ne peuvent se permettre de payer les services d'un psychiatre.
[Français]
Docteure Charbonneau, vous nous avez dit que l'autosuffisance était utopique. Je me réfère à certains projets qui ont été déposés la semaine dernière voulant qu'il y ait des équipes de premières lignes qui soient composées de médecins praticiens, de travailleurs sociaux, d'infirmières et de psychologues.
En régions, votre équipe réussit à communiquer avec vous et vous êtes alors en mesure de leur dire quel service aller chercher et à quel endroit.
L'équipe idéale que vous aimeriez voir formée se composerait de combien de personnes ? Est-ce qu'elle se composerait de ces mêmes professionnels ? Qu'est-ce qui serait essentiel d'après vous?
La Dre Charbonneau : Vous faites référence au plan du projet clinique déposé au Québec ?
Le sénateur Pépin : Oui, qui vient d'être déposé.
La Dre Charbonneau : Avec les centres de santé divisés en territoires ?
Le sénateur Pépin : Oui.
La Dre Charbonneau : Je suis d'accord avec la majorité du projet. Je trouve que c'est une excellente initiative. Ce que je ne voudrais pas qu'on oublie et que je ne vois pas non plus dans le rapport, c'est l'articulation avec les centres urbains et les universités.
Je vois une première organisation en centre de santé mais chapeautée par des liens entre les pôles régionaux et les universités pour tous les aspects, que ce soit les aspects cliniques, de formation, de supervision, de décentralisation de la formation spécialisée.
Le sénateur Pépin : Lorsque vous avez un patient qui est gravement malade psychologiquement, êtes-vous en mesure de le faire transporter dans un centre universitaire pour être traité et hospitalisé ?
La Dre Charbonneau : Oui, par nos affiliations universitaires. Il existe des engagements interétablissements pris par les directeurs généraux. Quand survient le besoin d'un transfert clinique pour des soins surspécialisés, c'est très facilitant. Parce que les centres savent qu'ils sont déjà en lien administratif et cela aide énormément. Nous n'avons pas de difficulté. Comme à Pinel, pour les patients avec dangerosité importante ou encore en pédopsychiatrie, parfois, car n'avons pas d'unité de soins internes pour cette spécialité. Donc, nous devons transférer le patient pour une hospitalisation plus longue, soit de plus de sept jours.
Le sénateur Pépin : On nous a dit également ce matin qu'il y avait une relation entre le parrainage, le leadership que les parents donnaient aux enfants, les parents et les grands-parents, en soulignant l'importance du soutien. Soutien qu'on retrouve de moins en moins, parce qu'on a beaucoup d'adolescents qui souffrent de troubles psychiatriques.
On nous mentionnait l'importance d'avoir d'excellentes relations parentales, ce qui est plus rare maintenant à cause du nombre de familles éclatées. En région, que faites-vous face à ce problème ?
La Dre Charbonneau : Nous savons qu'en région, règle général, les enfants demeurent plus longtemps chez leurs parents. Nous travaillons beaucoup avec les familles qui sont les aidants naturels. Comme on l'expliquait tantôt, nous avons un modèle qui est défini par les besoins. On peut vous dire que c'est un modèle qui fonctionne bien.
Le sénateur Pépin : En région ?
La Dre Charbonneau : Oui. Et, les patients sont satisfaits. La notion de confidentialité, de travailler un à un, concerne davantage certains utilisateurs ou même des administrations qui ont une certaine pudeur par rapport à la confidentialité.
Les patients eux-mêmes sont, en général, très satisfaits que d'autres membres de leur famille soient impliqués ou qu'on parle à d'autres partenaires du réseau. Cette difficulté ne vient pas des patients principalement.
[Traduction]
Le sénateur Trenholme Counsell : Ce matin, j'ai ressenti le besoin de défendre la formation que reçoivent les médecins dans le domaine de la santé mentale. J'ai dit qu'à mon avis, les écoles de médecine sont critiquées injustement, parce que le temps prévu pour cette première formation médicale, celle qui permet aux jeunes étudiants de devenir médecins, est tout de même limité. Après avoir obtenu leur premier diplôme, il y a 60 orientations différentes qui peuvent éventuellement les intéresser; c'est évidemment un chiffre que je vous lance comme ça. Mais j'ai insisté sur le fait qu'à mon avis, la formation en médecine familiale, qui dure deux ans, prépare beaucoup mieux les médecins pour ce qui est de leur capacité de traiter les maladies mentales et d'être sensibles à la santé mentale de leurs patients. Docteure Nasmith, qu'en pensez-vous? Est-ce que je me trompe à votre avis? Nous aimerions bien connaître les vues du Collège sur la qualité de cette préparation.
La Dre Nasmith : Pour être accrédités, il va sans doute que tous les médecins dits « résidents » en médecine familiale reçoivent une solide formation en tout ce qui concerne la santé mentale. Je dirais que de façon générale, les connaissances qu'ils acquièrent dans le domaine de la santé mentale, notamment en matière de dépression et d'anxiété, est bonne — mais elle l'est peut-être moins pour ce qui est du traitement de la schizophrénie. Nous avons beaucoup de patients chez nous qui ont besoin d'être traités pour ces problèmes, et je sais que les médecins résidents, même quand ils font leurs tournées dans les services psychiatriques, qui sont parfaitement à l'aise quand il s'agit de faire des diagnostics et de traiter les patients. Je suis donc très impressionnée par la facilité avec laquelle nos médecins résidents peuvent traiter les patients qui souffrent de problèmes de santé mentale.
C'est une toute autre histoire pour les toxicomanies, toutefois. Je regardais les données de l'Enquête nationale sur les médecins de 2004 qui viennent d'être publiées, et dans le cadre de laquelle on a sondé des étudiants en médecine et des médecins résidents de deuxième année dans toutes les régions du Canada pour savoir, entre autres, si certains éléments de leur formation leur semblaient importants. On leu a donc demandé s'ils reçoivent certains types de formation et dans quelle mesure cela devrait être obligatoire. L'une des questions portaient sur les toxicomanies, et seulement un petit nombre de médecins résidents estimaient que ce genre de formation était importante — statistique qui m'a vraiment choquée, étant donné l'étendue du problème des toxicomanies. Un nombre tout aussi minime de répondants estimaient qu'une formation en santé autochtone était importante.
Pour moi, cela veut dire que nous devons non seulement incorporer ces éléments de façon plus significative dans nos programmes d'études, mais aussi faire comprendre à nos jeunes qu'il s'agira à l'avenir de segments importants de leur pratique à l'avenir.
Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question.
Le sénateur Trenholme Counsell : Oui, tout à fait.
J'ai commencé à m'intéresser à la question du développement des jeunes enfants en raison de mes expériences à titre de médecin de famille, et je me demande par conséquent si vous estimez que nos médecins de famille débutants sont bien préparés et bien sensibilisés à l'importance du dépistage précoce, des diagnostics, des soupçons qu'ils peuvent avoir et les interventions qui s'imposent dans le cas des enfants, qu'ils soient atteints d'hyperactivité avec déficit de l'attention ou d'autres troubles — il y en a tellement. Je n'aime pas employer le terme « adéquat » en cherchant à décrire la formation, parce que au fond, on n'a jamais fini de se former, mais à votre avis, accorde-t-on suffisamment d'importance à cette question-là? Les médecins de famille travaillent sur le terrain, pour ainsi dire, et ce sont eux et les infirmières de la santé publique qui ont une grande responsabilité en ce qui concerne le dépistage précoce, par opposition au diagnostic, de faiblesse de ce genre. Qu'en pensez-vous?
La Dre Nasmith : Je suis d'accord pour dire qu'il faut le faire. Je dirais que nous n'en faisons sans doute pas assez sur ce plan-là. Il s'agit, en grande partie, de leur permettre d'obtenir de bonnes bases. Il y a énormément de matières à enseigner dans deux ans. Dans nos centres de médecine familiale, nous traitons un certain nombre d'enfants, mais comme le pourcentage n'est pas très élevé, la probabilité que les médecins débutants traitent beaucoup d'enfants atteints de problèmes de développement ou d'autres troubles, comme ceux que vous avez évoqués, est tout de même limitée. Il est possible qu'ils obtiennent une certaine expérience pendant leur rotation pédiatrique et encore une fois dans un service de soins ambulatoires, mais cela est peu probable en milieu hospitalier. Je dois dire que selon moi, nous ne leur offrons pas une formation suffisante dans ce domaine, et je pense que les jeunes médecins qui sortent des écoles ne se sentent pas à l'aise quand ils ont à traiter ce genre de problèmes.
Ils peuvent avoir une idée des signes qui devraient leur sembler suspects, mais ils ne savent pas quoi faire quand ils sont confrontés à un cas de ce genre. Et si vous ne savez pas quoi faire, comme le disait quelqu'un tout à l'heure, vous avez tendance à ne pas en tenir compte. Donc, il y a du travail à faire à cet égard.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je sais que notre rôle n'est pas de vous dire des choses, mais plutôt de vous écouter, mais j'espère que, étant donné l'accent qui est mis dans tout le Canada et à l'échelle internationale, bien entendu, sur le développement des jeunes enfants, le Collège s'efforcera de voir ce qu'il peut faire pour mieux préparer les médecins à jouer ce rôle. L'époque des programmes destinés aux mères et à leurs enfants est maintenant révolue, et même si nous avons pu nous appuyer sur les conseils du Dr Spock par la suite, de nos jours, je ne crois pas que l'on distribue le livre du Dr Spock en disant aux jeunes mères de le lire; cela ne veut pas dire, évidemment, que ce livre ne constitue pas une bonne source d'information. Tous ces éléments sont importants, parce que dès le départ, et avant la naissance, bien entendu, nous avons la possibilité d'aider les mères et leurs enfants.
Nous entrons dans une nouvelle ère en ce qui concerne le développement des jeunes enfants, et j'espère par conséquent que le Collège réexaminera l'importance qui est accordée à cette question dans les programmes d'études et la façon de présenter cette information aux étudiants. En avez-vous déjà discuté au Collège?
La Dre Nasmith : Alain Pavilanis est le président actuel. Chaque année, le président choisit un thème, et le sien est la santé des enfants et des adolescents. Je vais certainement en discuter avec l'exécutif du Collège. De plus, je suis membre du comité d'accréditation et je compte soulever la question auprès de ce dernier également.
Le sénateur Trenholme Counsell : Docteur Kennedy, nous avons discuté un peu ce matin — d'ailleurs, c'est presque toujours le cas — des médicaments, et le fait est qu'on nous dit constamment que les médecins ne sont pas bien informés des médicaments qui existent ni dans quelles conditions il convient de les prescrire; on nous dit que s'agissant des médicaments utilisés pour traiter les maladies mentales — voilà ce qu'on nous a dit; et je vais donc essayer de vous répéter exactement leurs propos — les médecins sont indûment influencés par ce que leur disent les compagnies pharmaceutiques. Je crois qu'il existe une sorte de fiche d'évaluation ou de contrôle. La personne est-elle déprimée ou non? Il y a peut-être toutes sortes d'autres fiches de contrôle qu'utilisent les médecins de famille. Ma question soulève plusieurs éléments différents, et je vous invite à répondre dans la mesure du possible.
Le Dr Kennedy : Votre première question porte sur le dépistage et l'utilisation d'outils d'autodéclaration, et bien sûr ce ne sont pas des outils de diagnostic même si on peut les employer à des fins de dépistage. Évidemment, quand on utilise des instruments de dépistage, on espère toujours qu'il y ait plus de faux positifs que de faux négatifs, et dans ce sens, le dépistage d'un plus grand nombre de cas est effectivement quelque chose de positif.
Deuxièmement, que faut-il faire quand on découvre un problème? Je peux vous parler de ce qui se fait à l'Université de Toronto et ailleurs, et si je ne m'abuse, dans l'industrie pharmaceutique également. Une série de lignes directrices et de normes de pratique ont été créées qui définissent clairement l'interaction de façon positive. Les gens sont au courant des préoccupations exprimées à cet égard. La vraie question est de savoir comment informer les médecins résidents en psychiatrie? Quand nous demandons aux médecins résidents dans quelle mesure ils sont satisfaits de différents aspects de leur formation, souvent ils nous répondent que l'enseignement de la pharmacothérapie n'est pas suffisant. Comme vous le savez, nous avons recours à des antidépresseurs tricycliques qui existent depuis une cinquantaine d'années, et nous avons aussi accès à une série d'agents plus récents. Si je demande au médecin résident moyen, après quatre ans, dans quelle mesure il a eu l'occasion d'utiliser certains des agents plus anciens, je peux vous dire qu'un grand nombre d'entre eux n'auront eu aucune expérience de ces autres produits.
Le sénateur Trenholme Counsell : Parce qu'ils ont recours aux nouveaux médicaments?
Le Dr Kennedy : Oui, parce qu'ils ne se servent que des médicaments plus récents. Donc, il y aurait effectivement lieu de renforcer cet élément de leur formation. Et pour vous dire la vérité, comme la profession n'a pas pris le temps de mettre sur pied ses propres programmes d'enseignement dans ce domaine, l'industrie pharmaceutique a elle-même décidé de combler cette lacune. Pour moi, la prochaine étape sera bien meilleure — on pourrait parler dans ce contexte de « partenariats contrôlés », c'est-à-dire où l'information est présentée de façon parfaitement impartiale et objective. Malheureusement, nous ne pouvons nous permettre, financièrement, d'assurer cette formation à moins d'établir des partenariats avec l'industrie, et c'est pour cette raison que l'information est souvent transmise aux médecins par cette dernière.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai fait mon internat au Toronto General, ce vieil hôpital, et j'ai l'impression d'avoir eu l'occasion d'obtenir de bonnes bases en ce qui concerne le traitement des maladies mentales en raison des personnes qui venaient s'y faire soigner. S'agissant de l'University Health Network, pourriez-vous me dire si ce service de consultations externes traite toujours les personnes atteintes de maladies mentales, de troubles mentaux, ou d'aliénation mentale au centre-ville de Toronto? Vous n'y avez plus de médecins généralistes résidents, n'est-ce pas?
Le Dr Kennedy : Si, nous en avons.
Le sénateur Trenholme Counsell : Ah, bon?
Le Dr Kennedy : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Vous avez toujours une unité de médecine générale?
Le Dr Kennedy : Notre groupe de trois hôpitaux se compose de l'Hôpital Toronto General, de l'Hôpital Toronto Western, et de l'Hôpital Princess Margaret.
Le sénateur Trenholme Counsell : L'Hôpital Toronto General est-il toujours situé au même endroit?
Le Dr Kennedy : Oui, tout à fait.
Le sénateur Trenholme Counsell : C'est bon à savoir.
Le Dr Kennedy : Enrichi de quelques nouveaux bâtiments.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il ne ressemble plus à ce qu'il était autrefois.
Cela doit vous donner une bonne indication de la situation à Toronto en ce qui concerne le nombre de personnes atteintes de maladies mentales qui viennent spontanément se faire soigner. Ce nombre augmente-t-il, est-il inchangé et la situation s'est-elle aggravée ou plutôt l'inverse?
Le Dr Kennedy : Nous sommes actuellement en pourparlers avec les responsables de l'Hôpital Mount Sinai, de l'University Health Network, de l'Hôpital St. Michael's, de l'Hôpital St. Joseph's et du Centre de toxicomanie et de santé mentale en vue d'établir une alliance qui va nous permettre de mieux servir notre population de patients ambulatoires ayant besoin de soins psychiatriques d'urgence. Par exemple, en établissant ce qu'on pourrait appeler des centres de soins complets, et aussi des centres de services de soutien, ainsi qu'une meilleure intégration des évaluations et de l'utilisation des lits, nous pourrions sans doute améliorer les services.
Dans certains hôpitaux, nous avons également mis sur pied des programmes et des équipes qui travaillent de concert avec la police, c'est-à-dire que le personnel psychiatrique sort avec les agents de police dans leurs voitures pour voir des personnes qu'on estime être...
Le sénateur Trenholme Counsell : Des équipes d'intervention mobiles.
Le Dr Kennedy : Oui, des équipes mobiles d'intervention d'urgence. Nous essayons d'améliorer l'efficacité de ces équipes.
Le nombre de personnes traitées fluctue. Par exemple, les volumes n'ont pas augmenté au cours de la dernière année, mais tout dépend de l'établissement où les ambulanciers amènent les patients.
S'agissant d'investissement dans les collectivités, je dois dire à ce sujet que je serais extrêmement inquiet si nous décidions de faire aux personnes atteintes de maladies mentales ce qu'on leur a fait il y a une centaine d'années, c'est-à- dire de les traiter en vase clos, sans tenir compte d'autres aspects de la médecine, notamment à une époque où nous comprenons de mieux en mieux que beaucoup de maladies mentales ont une origine physique. Il est évidemment très important d'avoir de bons programmes communautaires, mais en ce qui me concerne, nous servirions mal cette population si nos innovations avaient pour résultat de faire en sorte qu'une personne atteinte de schizophrénie ou de troubles bipolaires ne puisse être traitée en fonction d'un modèle médical. Nous devons retenir les meilleurs éléments de ces deux modèles.
Le vice-président : Je me permets de faire une petite intervention, parce que ce point est extrêmement important.
C'est justement ce sur quoi insistait la population de patients, et ce de façon universelle.
Le Dr Kennedy : Très bien.
Le vice-président : Les patients veulent pouvoir bénéficier de toute la gamme des soins. Ils ne veulent pas avoir à s'adresser à un établissement portant un nom comme « l'Institut bipolaire de Toronto ». L'autre point sur lequel les patients ont beaucoup insisté correspond en réalité à l'inverse de ce que vous visez actuellement à Toronto. Ils nous ont dit qu'ils ne veulent pas être obligés de s'adresser à de grands centres médicaux. Ils préfèrent être soignés dans les centres communautaires et que ces centres puissent assurer les soins primaires. Ils veulent bien aller à l'Hôpital de Toronto ou ailleurs quand ils ont besoin de l'expertise d'un psychiatre, mais ils nous ont dit à juste titre : « Nous n'avons pas souvent besoin d'un psychiatre, et nous ne voulons pas nous faire soigner dans ce genre d'établissement à moins d'avoir besoin d'un psychiatre. Nous préférons aller dans des centres communautaires pour voir notre médecin de famille, notre conseiller, la dame qui nous fait un chèque pour payer le loyer, celle qui nous fait un chèque pour acheter à manger, et ce dans un même centre ». Pour moi, c'est important.
[Français]
Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai écouté en français, c'est toujours un défi pour moi, mais je pense que vous avez mentionné la télémédecine ?
La Dre Charbonneau : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'aimerais connaître votre opinion sur cette nouvelle technologie et les possibilités qu'elle offre pour votre région et pour toutes les régions rurales.
La Dre Charbonneau : Cela me fait plaisir de vous parler de la télépsychiatrie. Je suis mandatée pour l'Association des psychiatres du Québec pour l'implantation de la télépsychiatrie au Québec, donc c'est quelque chose que j'ai très à coeur.
Je fais de la télépsychiatrie depuis sept ans et cela a été très utile, sans toutefois remplacer les effectifs en région. Il est certain que cela ne remplace pas les psychiatres eux-mêmes. Par contre, télépsychiatrie peut améliorer les soins et l'accessibilité rapide à ceux-ci.
Je m'explique. La télépsychiatrie peut être utile au niveau clinique lorsqu'on a besoin d'une deuxième opinion. Nous évitons ainsi de transporter le patient à l'extérieur, et nous pouvons être avec lui. Nous obtenons alors la deuxième opinion. La télépsychiatrie est très rapide, efficace et peu coûteuse.
Il y a aussi l'aspect des traitements pour les patients en région rurale. Depuis deux ans, nous pouvons même faire des thérapies de groupe en télémédecine. C'est-à-dire que les patients qui habitent à Blanc-Sablon viennent pour une première séance d'une thérapie de groupe de dix séances. Pour les séances subséquentes, ils vont assister en visioconférence avec les autres patients locaux. Ils vont ensuite terminer leur thérapie de groupe avec la dernière séance et les psychologues.
Cela permet d'élargir de plus en plus les horizons. L'autre aspect très important pour l'implication des régions, tant au niveau clinique qu'au niveau administratif, c'est la participation des médecins de partout à différents niveaux d'administration ou à des niveaux politiques via la visioconférence. La télémédecine permet de faciliter l'implication des gens.
Dernier point super important : la formation du personnel et des différentes personnes. Nous avons la chance plusieurs fois par semaine d'avoir des conférences universitaires qui nous sont envoyées en direct en visioconférence et nous sommes en interaction avec l'Université de Montréal, toutes les semaines. Nous ne sommes pas isolés. Nous sommes à jour et participons à la vie universitaire. Nous collaborons aussi en faisant de l'enseignement sur place aux étudiants en résidence.
Je suis donc pour le partenariat. Je ne suis pas d'accord avec un fonctionnement en silos, mais pour la promotion de partenariats à tous les niveaux, entre les régions et les grands centres urbains.
Le sénateur Trenholme Counsell : La télémédecine ou la télépsychiatrie peut-elle être utilisé pour tous les groupes d'âges, et même les personnes plus âgées, ou est-ce particulièrement pour les jeunes ?
La Dre Charbonneau : Il a deux aspects par rapport à l'utilisation clinique. Pour la clientèle adulte, en général, cela cause très peu de problèmes, sauf certaines particularités comme les très grands paranoïdes. Parfois, il faut éviter d'utiliser cette technique avec ces patients.
Chez les enfants, cela peut être très utile parce que vous savez, en région éloignée, les enfants n'ont pas de services en pédopsychiatrie. C'est incroyable et ce manque est déplorable. Nous faisons notre possible, car il n'y a pas d'équipe de pédopsychiatres en région.
La télépsychiatrie est donc très utile en pédopsychiatrie, car elle nous permet de recevoir des évaluations par des pédopsychiatres des grands centres. Une des difficultés rencontrées se situe chez les petits enfants de deux ou trois ans, parce qu'ils ne comprennent pas qu'ils ne peuvent pas être trop près de la télévision. S'ils sont trop près de l'écran, le pédopsychiatre ne les voit plus par la caméra.
Chez les personnes âgées, c'est aussi très utile. Nous songeons même à développer des modèles « homebase » pour faire des évaluations et éviter les déplacements chez les personnes âgées. Il y a certains modèles qui existent, et je pense qu'au Canada ils ont commencé à utiliser ce modèle particulier.
Chez les personnes âgées, il y a parfois certaines limitations au niveau de l'audition. D'après mes lectures, les problèmes auditifs et sensoriels rendent parfois les choses un peu plus difficiles, mais généralement c'est très utile.
Le sénateur Trenholme Counsell : Êtes-vous confortable avec cette pratique? Et l'utilisez-vous souvent ?
La Dre Charbonneau : Oui, toutes les semaines, nous utilisons la visioconférence.
Le sénateur Gill : Docteur Charbonneau, je trouve que vous êtes une athlète physique et sans doute psychologique aussi, parce que ceux qui connaissent la Basse Côte-Nord, savent qu'elle est une région très vaste. Vous disiez tantôt, 1 000 kilomètres de côte, 600 kilomètres pour Schefferville et la ligne du Labrador, et à 1 000 kilomètres de Montréal, et à 800 kilomètres de Québec.
Je sais que vous avez des contacts avec les gens d'un peu partout. Vous travaillez avec les anglophones, en plus des francophones. Vous avez les Montagnais, les Innus. Vous avez les Naskapis. Comment faites-vous pour transiger avec tout cela ?
Le sénateur Pépin : Elle ne veut pas déménager. Elle veut rester là.
Le sénateur Gill : En plus ! Et, comme vous le disiez tantôt : beaucoup d'endroits n'ont pas de route, alors vous devez prendre l'avion et le bateau, et dans certains cas l'avion et le train, pour Schefferville. Comment faites-vous ?
La Dre Charbonneau : Je fais mon possible. Mais, c'est un coin de pays que j'adore. Je dois dire que j'ai appris beaucoup par mon travail en région. Après cinq ans de pratique en région, je suis allée à une des universités à Montréal pour parler de mon expérience et du fait que nous n'étions pas formés pour travailler en région.
Nous avons rencontré plusieurs situations cliniques et nous n'avions aucune expérience. Donc, il nous fallait être très créatif. On m'a alors dit d'oublier la possibilité de formation en région.
Par contre, je suis très heureuse parce que depuis sept ans, maintenant, nous faisons de la formation aux résidents et aux médecins de famille. Nous avons une unité d'enseignement sur place.
Le sénateur Gill : À Sept-Îles même ?
La Dre Charbonneau : À Sept-Îles même, au Centre régional, en médecine familiale, à l'unité de médecine familiale et au département de psychiatrie. Cela permet de démystifier les régions et d'apprendre aux gens à quel point c'est différent. Nous ne reproduisons pas un modèle universitaire, c'est clair, et nous ne sommes pas là pour témoigner des mêmes choses, faire le même apprentissage. Ce sont des pratiques différentes.
Je pense que c'est mon côté vocation qui me procure le très grand plaisir de pouvoir transmettre à d'autres un peu de cette expérience qui me motive.
Le sénateur Gill : Avez-vous des contacts avec les autres régions du Québec ?
La Dre Charbonneau : Oui.
Le sénateur Gill : Mais, vous êtes la seule, quand même, sans routes, la plupart du temps.
La Dre Charbonneau : Oui.
Le sénateur Gill : Il y a la Baie-James aussi.
La Dre Charbonneau : Oui. Nous avons fait des expériences très intéressantes de formation dans tout l'est du Québec, avec le Saguenay/Lac Saint-Jean, la Côte-Nord, et la Gaspésie. Tous les deux ans, nous avons un congrès régional de psychiatrie qui est fait à partir d'évaluations des besoins des médecins de famille et des intervenants.
Nous bâtissons le congrès selon des besoins de formation très spécifiques aux régions, parce que les besoins de formation sont très différents d'une région à l'autre. Parfois, c'est l'aspect légal, d'autres fois c'est en pédopsychiatrie. Et, nous rassemblons tout le monde.
Il y a même des administrateurs, pharmaciens, travailleurs sociaux, mais il n'y a presque pas de psychiatres parce qu'il n'y en a pas dans la région. Par contre, il y a des médecins de famille. Nous rassemblons ces personnes et c'est une façon de tisser des liens ; ce qui favorise ultérieurement le contact et la prise en charge des patients.
Les gens apprennent à se connaître. C'est finalement tout le principe de la communication. Quand on a cela, ça facilite beaucoup.
Le sénateur Gill : Quelles recommandations feriez-vous concernant les régions, si vous étiez à notre place ? Parce que du côté des villes, il y a déjà des organisations relativement bonnes comparativement à celles des campagnes. Que diriez-vous ? Quelles seraient vos priorités pour améliorer vos conditions de travail en santé mentale, en toxicomanie ou en prévention du suicide ?
La Dre Charbonneau : Je vous dirais qu'un des impératifs majeurs est le financement pour les équipes multidisciplinaires sur place, les intervenants dits de première ligne ; 80 p. 100 des patients vont consulter un intervenant ou le médecin de famille pour des problèmes de santé mentale. Et, ce sont eux qui doivent dépister le problème de santé mentale ou intervenir en toxicomanie.
En ce qui concerne la clientèle autochtone, ce que je constate, c'est d'abord un taux très élevé de suicides, et les intervenants autochtones n'ont pas la formation pour y faire face et intervenir.
Je pense donc qu'une augmentation du financement aiderait.
Le sénateur Gill : Monsieur le vice-président, j'ai encore un petit peu de temps, deux minutes ? Au sujet des Autochtones, probablement que vous n'avez pas le temps d'aller sur la Basse Côte-Nord tous les jours.
La Dre Charbonneau : Non.
Le sénateur Gill : En ce qui concerne les patients qui vous sont référés pour maladies mentales ou qui ont des problèmes de désordres psychologiques, voyez-vous une différence importante entre les communautés autochtones éloignées, par exemple, Saint-Augustin ou La Romaine et celles qui sont plus urbaines, par exemple, à Maliotenam ?
La Dre Charbonneau : Comme à Sept-Îles directement ?
Le sénateur Gill : Oui, comme à Sept-Îles, Washat ?
La Dre Charbonneau : Oui. Au niveau de l'accès aux soins, c'est important qu'il y ait, dans le milieu, des intervenants bien formés, afin qu'ils puissent intervenir à temps. Quand les patients arrivent à nos soins, il est souvent trop tard, le suicide a déjà eu lieu. Ils n'ont pas demandé de l'aide.
On sait qu'à plus de 60 milles de distance, les gens n'ont pas tendance à se déplacer et consulter. Donc, raison de plus pour vraiment bien former les intervenants dans le milieu pour qu'ils puissent nous contacter et être le point de référence.
Le sénateur Gill : Oui, mais est-ce que la communauté est en mesure de prendre soin des personnes qui sont atteintes d'un déséquilibre mental ? Est-ce que les populations éloignées ont plus de possibilités à l'intérieur de leur propre communauté, ce qui ferait en sorte que vous voyez moins de patients, comparativement aux grands centres ?
La Dre Charbonneau : C'est très difficile. Moi, ce que je vois, c'est très délicat. Quand ils ont reçu des soins en psychiatrie, ils reviennent dans leur milieu et ils vivent un ostracisme assez important. La réintégration est difficile. Donc, il faut faire bien attention quand on intervient.
Le sénateur Gill : D'accord. Il y a des médecins autochtones, vous savez. Il y a le Dr Stanley Vollant qui est à Chicoutimi maintenant, mais qui vient de Betsiamites.
La Dre Charbonneau : Oui.
Le sénateur Gill : Il y a Johanne Philippe qui vient de ma communauté, soit Mashteviatsh. Est-ce que vous avez des contacts avec ces médecins autochtones, même s'ils ne sont pas psychiatres ?
La Dre Charbonneau : Oui.
Le sénateur Gill : Est-ce que vous avez des contacts à l'occasion?
La Dre Charbonneau : J'ai eu des contacts mais pas des contacts professionnels. Je connais bien ces personnes.
Le sénateur Gill : Oui, d'accord. Mais pas professionnellement?
La Dre Charbonneau : Non.
Le sénateur Gill : Je mentionne cela relativement à la collaboration pour les soins à donner aux communautés.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Je viens d'une petite province et d'un milieu rural.
Le vice-président : Permettez-moi d'intervenir pour vous signaler que le sénateur Callbeck vient peut-être d'une petite province, mais c'est elle qui la dirigeait. Elle a été premier ministre de la province et ministre de la Santé.
Le sénateur Callbeck : Merci, monsieur le président.
Je voulais vous parler de télépsychiatrie. En signalant les avantages d'un tel service, vous nous avez mentionné que cela ne coûte pas cher. La dernière fois que j'en ai parlé dans une autre province, on m'a dit tout à fait le contraire : que ce service coûte très cher. Mais vous n'êtes pas de cet avis?
[Français]
La Dre Charbonneau : Je pense que l'investissement initial est insuffisant, surtout quand on parle, par exemple, de l'implantation de certaines bandes passantes à certains endroits, ce qui peut demander plusieurs millions d'investissement.
Par contre, les études démontrent que si on partage les frais entre différentes spécialités, cela diminuerait beaucoup les frais initiaux. Pour les régions éloignées, nous avions fait le calcul de ce que coûte le transfert des patients en avion avec une escorte, les patients dangereux, d'attendre le patient, de revenir le lendemain, et c'est beaucoup moins dispendieux, lorsque l'équipement est en place, soit d'utiliser la télépsychiatrie.
Initialement cela peut coûter très cher, les deux, trois premières années. Mais, nous pouvons commencer à voir une certaine rentabilité après trois ans d'utilisation. Il y a plusieurs auteurs qui ont fait des études de coûts à ce sujet.
Le sénateur Gill : Juste une question si vous me le permettez.
Le sénateur Callbeck : D'accord.
Le sénateur Gill : Docteurs Nasmith et Kennedy, et ce matin, nous avons entendu le Dr Hoffman de l'Université McGill qui nous disait qu'il y avait une dizaine de psychiatres à l'Université McGill pour donner des soins aux étudiants et autres.
Étant donné la rareté des psychiatres en région et dans d'autres institutions, comment est-ce, chez vous ? Est-ce que vous êtes aussi gâtés que le Dr Hoffman ? Si oui, alors comment faire pour partager les services avec les autres ? Nous en avons entendu de toutes sortes, à St. John's, Terre-Neuve, et partout, il y a vraiment un grave problème imputable au manque de psychiatres.
[Traduction]
Le Dr Kennedy : À mon avis, vous parlez surtout du problème de la distribution inégale des psychiatres, et la télémédecine est l'un des éléments, je suppose. À Toronto, nous avons créé de nombreuses passerelles dans le cadre de nos programmes de relations externes, et bien sûr, avec la nouvelle école de médecine dans le nord de l'Ontario, plus d'étudiants locaux sont formés. Donc, les services sont tout de même bien distribués. De nombreux psychiatres travaillant à mon hôpital passent entre une et deux semaines tous les deux mois dans le nord de l'Ontario. Ils adorent ça, ils amènent avec eux des médecins résidents, ils enseignent, et bon nombre d'entre eux vous diraient que c'est la possibilité de varier leurs occupations au cours de l'année qui leur permet de continuer à accomplir le travail un peu plus routinier en milieu hospitalier. Pour moi, c'est quelque chose de positif.
J'ai appris des choses grâce à notre discussion; j'ai été impressionné par les observations faites au sujet de la télépsychothérapie, et je pense que nous pourrions effectivement nous servir davantage des technologies Internet pour assurer les services à l'aide de ces moyens de communications.
Le vice-président : Je voudrais vous remercier tous les trois pour votre présence. Cette séance a été extrêmement enrichissante.
Sénateurs, nous accueillons maintenant Valérie Gideon de l'Assemblée des Premières nations.
Mme Valérie Gideon, directrice des Services de santé et du développement social, Assemblée des Premières nations : Bonjour et merci de l'occasion qui m'est donnée cet après-midi de vous adresser la parole. Je suis la Dre Valérie Gideon et je suis directrice des Services de santé et du développement social à l'Assemblée des Premières nations à Ottawa.
Aujourd'hui marque la première fois que l'Assemblée des Premières nations a l'occasion de se présenter devant le comité pour parler de la santé mentale et de votre rapport d'étape, et je voudrais donc vous en remercier. Comme nous avons reçu très peu de préavis, je vais devoir m'appuyer sur mes notes, même si je préfère par moments être plus spontanée.
Par simple coïncidence, aujourd'hui est la Journée nationale des Autochtones, et je voudrais donc souhaiter bonne fête à tous mes collègues ici dans la salle qui sont d'origine autochtone. Même si nous devrions tous être ailleurs en train de faire la fête, si nous sommes ici c'est parce que nous sommes des gens dévoués qui ont vraiment à coeur les intérêts de notre peuple.
À Ottawa hier, un groupe de Marcheurs pour la prévention du suicide chez les jeunes comptant des membres de Premières nations, des Métis, et des Inuits, est arrivé dans la capitale, marquant la fin de leur marche annuelle. Leur marche a débuté à Duncan, en Colombie-Britannique, et ils sont venus à Ottawa pour rencontrer le ministre de la Santé hier afin de lui raconter leur histoire personnelle et lui parler de leur périple courageux en vue d'attirer l'attention des citoyens du pays sur le taux de suicide tout à fait alarmant chez les membres des Premières nations et parmi les peuples autochtones en général car, comme vous le savez, ce taux est six fois plus élevé que la moyenne nationale.
Cette année, toutefois, ils ont été très heureux d'apprendre que de l'argent frais, soit la somme de 65 millions de dollars, sera investie en vue d'élaborer une stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes Autochtones, même s'ils sont bien conscients du fait que cet investissement ne sera pas suffisant pour répondre aux besoins de tous les membres des Premières nations et de tous les peuples autochtones.
Par exemple, en mars dernier, un garçon de huit ans de la Première nation du lac Gods au Manitoba s'est pendu, et son frère de 11 ans s'était suicidé trois années auparavant. Je suis sûr que vous conviendrez avec moi que des enfants de cet âge-là ne devraient même pas savoir ce qu'est le suicide, et encore moins envisager de se suicider.
Certains spécialistes de la santé mentale ont déterminé que les membres des Premières nations souffrent, à un degré moindre, du syndrome de stress post-traumatique du fait de vivre dans la pauvreté et d'être réduits au désespoir. Il ne fait aucun doute que les membres des Premières nations sont, à notre avis, parmi ceux qui profiteraient le plus d'un plan d'action national sur la santé mentale.
Vous parlez à plusieurs reprises dans votre rapport d'étape du fait — et là je vous cite :
[...]qu'un plan d'action national en matière de santé mentale doit être le fruit d'une collaboration faisant intervenir le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces et des territoires, les ONG et les autres organisations concernées, de même que les malades eux-mêmes.
À cet égard, l'APN voudrait attirer votre attention sur le fait que les Premières nations correspondent à un niveau de juridiction autre qui est tout à fait unique et qu'il faut reconnaître, vu nos relations historiques avec la Couronne, comme en témoigne l'accord politique récemment signé par le gouvernement du Canada et notre chef national à la retraite du Cabinet le 31 mai.
L'APN trouve inquiétant l'idée selon laquelle l'harmonisation des programmes fédéraux de santé mentale et les crédits qui permettent de les financer et des régimes provinciaux et territoriaux constituent la meilleure solution. Dans votre rapport, vous dites ceci :
Quatrièmement, certaines provinces ont établi leur stratégie universelle pour la santé mentale en tenant compte des besoins des Autochtones. Dans les provinces où tel est le cas, les programmes fédéraux de santé mentale destinés aux Autochtones vivant dans les réserves ou en dehors devraient être harmonisés avec les régimes provinciaux pour la santé mentale et leurs stratégies d'application.
À notre avis, cela pourrait être interprété comme une tentative de déchargement des responsabilités fédérales sur d'autres administrations, quelque chose contre laquelle nous avons souvent été mis en garde par les membres vivant dans les différentes régions et les différentes collectivités. Cette possibilité est d'autant plus alarmante vu l'absence d'un programme fédéral complet pour le bien-être mental des membres des Premières nations.
Nous sommes certainement d'accord avec vos conclusions relativement au fait que les restrictions découlant du nombre de services et de soins non assurés et à la fragmentation des programmes ne contribuent guère à garantir que les besoins des membres des Premières nations sont satisfaits.
Nous avons récemment élaboré des plans d'action sur les services et soins de santé non assurés, les soins de longue durée et l'information sur les recherches en santé, dont je vous ai fourni des copies cet après-midi. Il s'agit de plans d'action que nous préparons en prévision de la réunion des premiers ministres de novembre 2005.
Bien que l'intégration et l'harmonisation soient importantes, elles ne peuvent se réaliser en l'absence d'un programme complet de mieux-être mental pour les membres des Premières nations vivant dans les réserves et en dehors. Les administrations provinciales et territoriales sont déjà chargées d'assurer les services de santé mentale aux membres des Premières nations vivant en dehors de la réserve, comme vous l'avez signalé à juste titre.
Si nous prenons l'exemple de la plus grande administration, soit l'Ontario, il convient de souligner que le Centre de santé mentale et de toxicomanie qui reçoit la plus grosse partie des crédits provinciaux, ne s'efforce guère d'adapter ses services aux besoins des membres des Premières nations ni de desservir cette population.
La Commission royale sur les peuples autochtones et la Commission Romanow ont toutes deux insisté sur le besoin de financement consolidé et mieux ciblé pour les programmes de santé destinés aux membres des Premières nations, et la Commission royale a d'ailleurs proposé que l'on crée un réseau de centres et de pavillons de ressourcement relevant de la responsabilité des Premières nations afin d'établir des passerelles entre les différentes administrations et les ministères individuels, de sorte que les ressources consacrées aux programmes de santé et sociaux puissent être regroupées — c'était l'idée du financement global. Cependant, l'APN maintient que de tels efforts ne seront acceptables et efficaces que s'ils sont déployés sous l'égide des Premières nations.
La majorité des gouvernements autochtones assurent actuellement des services de santé à leurs membres vivant dans la réserve et en dehors, fait qui a été souligné dans un communiqué signé conjointement en septembre 2004 par tous les chefs autochtones et tous les premiers ministres du Canada. Ce communiqué fait également ressortir l'importance d'une définition claire des rôles et responsabilités de tous les paliers de gouvernement. Ainsi des transferts accrus aux collectivités autochtones pour leur permettre d'élaborer leurs propres services de santé mentale, avec des liaisons stratégiques avec les programmes provinciaux et territoriaux, reconnaîtraient de façon plus explicite la relation de nation à nation et le pouvoir qui revient aux Premières nations d'administrer leurs services de santé.
De plus, les études ont démontré un lien très clair entre l'autodétermination, la continuité culturelle et l'amélioration des résultats en matière de santé, et vous en avez aussi noté ce lien en évoquant le travail fait par Chandler et Lalonde.
À moins que les Premières nations n'aient l'impression de diriger et de contrôler un programme complet de mieux- être mental, tout nouvel investissement ou toute nouvelle initiative dans ce domaine serait nécessairement contre- productif.
Nous recommandons également que vous notiez dans votre rapport le cadre coopératif pour la santé mentale élaboré par l'APN, l'Inuit Tapiriit Kanatami et la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits de Santé Canada en 2002, cadre dans lequel nous définissons le mieux-être mental comme étant;
le parcours de toute une vie en vue d'atteindre un état de mieux-être et d'équilibre du corps et de l'esprit. Le mieux-être mental comprend l'estime de soi, la dignité personnelle, l'identité culturelle, et un sentiment d'appartenance, et ce en présence d'un état d'harmonie et de mieux-être physique, affectif, mental et spirituel. Le mieux-être mental doit être défini en fonction des valeurs et des croyances des Inuits et des membres des Premières nations.
Je vous ai également remis des copies du document qui présente ce cadre.
Nous sommes d'avis que l'élaboration de toute nouvelle stratégie nationale sur la santé mentale ou le mieux-être mental doit refléter l'intégrité de ce travail, qui constituait une initiative très importante pour les dirigeants des Premières nations et que ces derniers ont cautionné en adoptant une résolution en ce sens à l'assemblée de 2001.
Une autre préoccupation découlant de notre analyse de votre rapport que je souhaite vous communiquer concerne la nécessité de tenir compte des conclusions pertinentes de l'enquête longitudinale régionale sur la santé des Premières nations, dont la première phase a pris fin en 1999, et la deuxième, tout récemment. Des rapports nationaux seront publiés à l'automne. Cette enquête a permis de recueillir des informations très intéressantes et pertinentes au sujet des adultes, des enfants et des jeunes vivant dans les réserves autochtones.
Il conviendrait également d'évoquer le travail très précieux accompli par l'Organisation nationale des représentants indiens et inuits en santé communautaire, la Fondation autochtone nationale de partenariat pour la lutte contre les dépendances et, bien entendu, la Fondation autochtone de guérison — dont les représentants sont parmi nous aujourd'hui — notamment en ce qui concerne leurs efforts dans le domaine de la formation, du renforcement des capacités, et des pratiques exemplaires.
Pour ce qui est des sections du rapport qui touchent la recherche et les considérations déontologiques, il serait également important de tenir compte du travail très valable réalisé par le Comité d'information sur la gouvernance des Premières nations de l'Organisation nationale de la santé autochtone relativement aux principes PCAP, soit propriété, contrôle, accès et possession — qui doivent s'appliquer aux données et aux informations sur les Premières nations.
Comme je vous l'ai déjà indiqué, nous avons également élaboré un plan d'action sur la recherche et l'information sur la santé des Premières nations qui vous donne une idée de notre position relativement à la recherche coopérative, la surveillance de la santé publique et d'autres types d'activités de gestion de l'information. Nous y soulignons également l'intérêt que nous portons à diverses questions telles que la télésanté et le dossier de santé électronique, et notamment l'élaboration d'un registre de clients, et à la possibilité d'un service de télésanté mentale, étant donné l'important projet mené par Keewaytinook Okimakanak qui a permis de créer ce qu'on appelle le K-Net dans la zone de Sioux Lookout. Je ne sais pas si vous avez déjà reçu les témoignages des représentants de ce service.
Je voulais également vous dire que nous avons été exclus de plusieurs initiatives pancanadiennes ces derniers temps, y compris la Stratégie pancanadienne intégrée en matière de modes de vie sains, l'initiative « Écoles en santé » et le projet de couverture des médicaments onéreux, soit les initiatives que vous avez mentionnées dans votre rapport.
Je pense que Gail vous parlera tout à l'heure du nombre de Premières nations qui ont été touchées par le syndrome d'alcoolisation foétale ou chez qui ce problème a été diagnostiqué, et du manque de ressources et de crédits qui permettraient aux collectivités autochtones de répondre aux besoins spécialisés d'enfants atteints de ce syndrome.
Les soins de longue durée sont également critiques, et je vous ai déjà communiqué notre plan d'action dans ce domaine, plan d'action qui part du principe que, selon nos estimations, un investissement additionnel de 264 millions de dollars par an est nécessaire pour combler les lacunes actuelles. Bien sûr, certains des besoins non satisfaits concernent la nécessité d'assurer des soins en établissement et de prévoir des établissements qui puissent traiter les membres des Premières nations atteints de troubles mentaux, et je suis sûre que Jules voudra vous parler des expériences du Québec à cet égard.
S'agissant des observations du rapport sur l'incidence de la stigmatisation et de la discrimination sur les personnes atteintes de maladies mentales et souffrant de toxicomanie, je pense qu'il est important que votre rapport fasse état des effets aggravants de la colonisation, tels que les pensionnats indiens et le racisme, sur les membres des Premières nations. Encore une fois, je suis très contente que Gail soit parmi nous, parce que je suis sûre qu'elle voudra vous parler de l'excellent travail réalisé dans ce domaine par la Fondation autochtone de guérison.
Les plus faibles niveaux de financement de la recherche, notamment pour soutenir les recherches menées dans les collectivités autochtones, réduisent les possibilités d'application des connaissances relativement à la santé mentale des Premières nations, ce qui signifie que le milieu médical et les administrateurs de programmes ne disposent pas d'information sur la pertinence culturelle et l'efficacité des études qui sont menées ni des programmes qui en découlent.
S'agissant de responsabilisation et de fragmentation des crédits et des programmes fédéraux, je voudrais vous signaler l'existence du Comité consultatif sur le mieux-être mental des membres des Premières nations et des Inuits nouvellement formé, qui présente l'occasion d'élaborer une stratégie complète sur le mieux-être des Premières nations et des Inuits grâce à une collaboration entre Santé Canada, l'APN et l'Inuit Tapiriit Kanatami.
Je regarde encore une fois mes notes, et je me permets d'insister une fois de plus sur la nécessité de nous inclure dès le départ quand il est question d'élaborer une stratégie pancanadienne ou nationale dans ce domaine, étant donné que, comme je vous l'expliquais tout à l'heure, nous avons été exclus — comme il n'y a pas de composante visant directement les peuples autochtones — de la Stratégie intégrée en matière de modes de vie sains, de l'initiative « Écoles en santé » et du Régime de couverture des médicaments onéreux. Cela représente une grave lacune, et les efforts que nous avons déployés auprès de l'Agence de santé publique du Canada pour être inclus dans ces initiatives n'ont rien donné, malgré l'appui de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits de Santé Canada.
Par conséquent, nous sollicitons votre appui pour reconnaître la nécessité pour les dirigeants fédéraux et autochtones d'élaborer un plan d'action et stratégie de mieux-être conjoint qui permettrait de prévoir des mesures d'intervention immédiate qui soient coopératives, complètes et culturellement pertinentes. Pour assurer le succès d'une telle stratégie, il sera critique, à notre avis, de renouveler le mandat de la Fondation autochtone de guérison, dont le travail de grande envergure réalisé au cours des dernières années pourra être mis à contribution en vue d'élargir et de maintenir les projets de ressourcement communautaires.
Le vice-président : Merci beaucoup, Valérie. Je vais revenir tout à l'heure sur la question des stratégies nationales, parce que je me rends bien compte qu'elles posent problème, même si nous ne savons pas très bien pour le moment quels mécanismes sont nécessaires pour les adapter à vos besoins. D'abord, nous entendrons les exposés des autres témoins.
La docteure Gail Valaskakis, directrice de la Recherche, Fondation autochtone de guérison : Bonjour. Je suis ex- professeure et ex-doyenne de l'Université Concordia. Cela vous intéressera peut-être de savoir que je suis également codirectrice du Réseau national de recherche en santé mentale chez les Autochtones et membre du Conseil consultatif de l'Institut de la santé des Autochtones. Je suis directrice de la Recherche à la Fondation autochtone de guérison. je vous suis reconnaissante de l'occasion que vous me donnez cet après-midi de vous parler brièvement du travail de la Fondation et de ce que nous avons appris grâce à ce travail.
Vous vous souviendrez certainement que la Fondation autochtone de guérison a été créée en 1998 par suite des recommandations de la CRPA et de la Déclaration de réconciliation faite par Jane Stewart qui était alors ministre des Affaires indiennes. Au moment de sa création, on a conféré à la Fondation un mandat de 10 ans, soit un an pour créer sa structure, quatre ans pour affecter, sur une base pluriannuelle, les 350 millions de dollars, plus intérêt, qu'on lui avait affectés, et cinq ans pour évaluer l'efficacité du projet qui doit normalement prendre fin à ce moment-là.
Nous sommes maintenant dans notre septième année d'existence. Notre financement prendra fin en 2007 et, aux termes de notre mandat actuel, la Fondation cessera d'exister en 2008.
La Fondation autochtone de guérison a été mise sur pied pour s'attaquer aux problèmes découlant de la violence physique et sexuelle qu'ont subie ceux et celles qui ont vécu dans les pensionnats. Comme vous le savez, les problèmes en question sont liés en grande partie aux traumatismes qu'ils ont subis et à la santé mentale des Autochtones. Ils concernent les pertes subies par ceux qui ont fréquenté les pensionnats en ce qui concerne leur langue, leur culture, leur famille, leur nation autochtone, et l'incidence que cela a pu avoir sur les collectivités autochtones à cause de ce cycle de sévices qui a duré très longtemps; cela concerne également le fait qu'ils n'avaient pas de bonnes compétences parentales à cause de leur expérience des pensionnats, du traumatisme historique qu'ils ont connu — et nous avons beaucoup appris à ce sujet dernièrement — et de la douleur et du chagrin qu'ont ressentis les peuples autochtones au cours de nombreuses années de déplacement, de perte de culture et de langue, et de mortalité dans leurs propres collectivités.
Au moment de sa création, elle devenait la première organisation autochtone nationale ayant 17 administrateurs représentant les cinq organismes nationaux, de même que les Inuits, les Métis et les membres des Premières nations; la Fondation comprend également le groupe national représentant les femmes autochtones, inscrites et non, deux organismes gouvernementaux, soit le MAINC et Santé Canada, dont les deux sont représentés par des administrateurs autochtones. Il s'agit de la première organisation à mettre en oeuvre un projet national de guérison holistique sur une base communautaire, surtout qu'il s'agit d'un projet lancé et mis en oeuvre par les Autochtones et qui influe sur la santé mentale des peuples autochtones.
Jusqu'ici, la Fondation autochtone de guérison a investi 437 millions de dollars dans des projets communautaires de tous types : il peut s'agir de projets de sensibilisation et de prévention, de véritables services de guérison et de ressourcement, et de services de guérison de longue durée dans des centres de traitement des traumatismes ou en vertu de programmes de traitement des dépendances.
Ainsi nous avons accordé quelque 1 339 subventions aux Premières nations, aux Inuits et aux Métis. Pour ce qui est de la première vague de projets que nous avons financés, il s'est surtout agi de projets proposés par les Premières nations, notamment de l'Ouest, en commençant par la Colombie-Britannique et la Saskatchewan, et par la suite, les autres provinces de l'Ouest.
Dans la deuxième vague, les Premières nations des autres régions du pays ont obtenu des subventions, bien que le nombre de projets au Québec demeure faible par rapport aux autres provinces.
Dans la troisième vague, davantage de groupes inuits se sont prévalus de la possibilité d'obtenir une subvention.
À notre avis, la quatrième vague, si la Fondation autochtone de guérison continue d'exister après la fin de son mandat, serait celle des Métis qui sont également sous-représentés. Dans les régions du Nord, les volumes ont été beaucoup plus petits.
Nous avons mené trois enquêtes nationales au cours des dernières années : nous avons mené une enquête sur les pratiques exemplaires, nous avons fait 13 études de cas relativement à différents types de projets, et nous avons préparé six études de cas complètes par l'entremise du Réseau national de recherche en santé mentale chez les Autochtones. Nous avons également procédé à une vaste consultation de dossiers et organisé six groupes de réflexion. Un rapport final sera publié en janvier 2006, dont le premier volume sera rédigé par Marlene Brandt Castellano, codirectrice de la recherche pour la Commission royale. Le deuxième volume sera rédigé par l'évaluateur, soit Kim Scott; et le troisième volume sera rédigé par quelqu'un qui se spécialise dans les pratiques exemplaires depuis de nombreuses années et qui a collaboré avec nous dans ce domaine, soit Linda Archibald.
Par extrapolation, nous avons constaté grâce à ces enquêtes nationales que 204 564 personnes participent à des projets de guérison depuis que nous existons; 49 095 personnes ont participé à des projets de formation au cours de cette période; et 27 855 personnes ont des besoins spéciaux. Ces besoins spéciaux sont liés à des traumatismes graves, des tendances suicidaires et des dépendances éventuellement mortelles. Il s'agit bien souvent de personnes dont on ne s'est pas occupé jusqu'à présent. Nous avons constaté grâce à notre enquête que moins de 10 p. 100 de ceux qui ont pu répondre à leurs besoins de ressourcement grâce à nos projets avaient essayé précédemment de s'attaquer à leurs problèmes; ils n'ont donc jamais reçu de services. On peut donc conclure que 90 p. 100 des participants sont des personnes que nous rejoignons pour la première fois.
Nous constatons également que 94 p. 100 de ceux qui ont participé à un projet de guérison nous disent qu'ils se sentent à présent plus sûrs et sécurisés grâce à ces projets; 72 p. 100 d'entre eux nous ont dit qu'ils sont mieux préparés à s'attaquer à d'autres problèmes; 71 p. 100 sont d'avis qu'ils réussissent grâce à ces projets à régler les problèmes causés par les traumatismes du passé; et 69 p. 100 d'entre eux nous disent qu'ils bénéficient maintenant du soutien qu'ils requièrent et qu'ils ont l'impression d'être plus à même de régler des problèmes futurs en tirant les enseignements de ce qu'ils ont vécu jusqu'à présent.
Qu'est-ce qui a aidé ces personnes? C'est très intéressant. Vous verrez dans le document que je vous ai remis que ce qui les a aidés entre autres était la possibilité d'en savoir plus long sur les pensionnats, en partie parce que ceux qui les ont fréquentés ont été très réticents à parler de leurs expériences avec leurs enfants ou leurs petits-enfants. Les membres de nos collectivités dont l'expérience des pensionnats a touché plusieurs générations de leur famille peuvent ne pas savoir ou comprendre ce que leurs parents ont pu vivre, et par conséquent, cet apprentissage a été extrêmement important.
La célébration culturelle, les questions d'identité, et la possibilité de travailler et de nouer des liens avec d'autres personnes ont tous aidé. Si vous regardez les graphiques du document, vous verrez qu'en ce qui concerne les services de guérison, l'accès et la participation ce sont les activités traditionnelles qui ont reçu la cote la plus élevée chez le plus grand nombre de personnes. Les activités traditionnelles comprennent les discussions avec les aînés, les cercles de guérison, la célébration culturelle, la participation à des projets culturels avec d'autres personnes, les activités traditionnelles sur les terres autochtones; ce sont ces activités-là qui ont la cote la plus élevée, alors qu'au bas de l'échelle, nous trouvons les thérapies occidentales.
Cela soulève deux éléments importants : premièrement, l'accès aux services, et deuxièmement, l'évaluation de l'efficacité des services par ceux qui y ont recours. Les deux graphiques présentant ces informations sont très importants en raison de ce que ces projets communautaires de guérison holistique lancés et mis en oeuvre par les Autochtones nous apprennent sur la guérison proprement dite, notamment par rapport à la santé et aux traumatismes mentaux.
Nous avons également donné des emplois à plus de 5 000 personnes vivant dans les collectivités autochtones, dont la majorité sont des survivants ou membres d'une famille où des effets intergénérationnels sont présents; il y a effectivement peu d'exceptions. Nous avons établi un grand nombre de partenariats, nos plus importants partenaires étant les gouvernements autochtones eux-mêmes. En ce qui vous concerne, ce n'est peut-être pas une surprise, mais pour nous, cela l'a été parce que nous ne nous y attendions pas. Nous avons constaté, grâce à notre enquête sur les pratiques exemplaires, que plus de deux tiers des thérapies employées dans le cadre des projets reposaient sur les activités traditionnelles — encore une fois, les Aînés, les cercles de guérison, et les activités culturelles.
Nous avons fait énormément de recherche, non seulement pour des fins d'évaluation, mais aussi sur des problèmes qui sont présents dans les collectivités autochtones que nous comprenons mal, notamment lorsque ces derniers sont liés à la fréquentation des pensionnats.
La Dre Gideon a mentionné l'étude que nous avons menée sur le syndrome de l'alcoolisation foétale. Je vous laisse cette copie et je serais très heureuse d'en fournir une à tous les membres du comité, si vous le souhaitez. C'est une excellente étude sur le syndrome de l'alcoolisation foétale, et elle indique que ce problème est sous-diagnostiqué dans les collectivités autochtones. Qui plus est, elle démontre qu'il arrive souvent que ce syndrome ne soit pas du tout diagnostiqué. Dans la plupart des collectivités autochtones, il n'est tout simplement pas possible de diagnostiquer ce genre d'affection, et par conséquent, nous présumons beaucoup de choses au sujet de l'incidence réelle du syndrome de l'alcoolisation foétale.
Je vous ai également amenés une étude menée par deux professeurs de l'Université Simon Fraser en Colombie- Britannique sur la santé mentale des survivants autochtones des pensionnats. Il s'agit des seules recherches empiriques qui existent.
J'ai également amené l'étude du Dr Cynthia Wesley-Esquimaux sur le traumatisme historique et la guérison autochtone. Le traumatisme historique est une question très importante qu'il y aurait lieu de comprendre beaucoup mieux que ce n'est le cas actuellement.
Et enfin, j'ai amené avec moi une copie du document intitulé Reclaiming Connections. Ce document a été produit par l'un des groupes que nous avons financés, soit le Centre Wabano pour la santé autochtone, et c'est un manuel visant à faire mieux comprendre l'incidence des traumatismes sur la santé mentale. J'ai également une copie du troisième rapport d'évaluation intérimaire.
Nous avons beaucoup d'autres documents que nous avons publiés au sujet de différents projets de recherche et beaucoup d'autres sont en cours, et tous sont importants pour le travail que nous réalisons à la Fondation.
Permettez-moi de terminer en vous disant que nous entamons la dernière période pour laquelle notre financement est garanti. Tous les crédits font l'objet d'engagements fermes. Nous cesserons de bénéficier de financement de projets dès le 31 mars 2007, et comme je vous l'ai dit tout à l'heure, le mandat de la Fondation autochtone de guérison prendra fin en 2008. Sa disparition aura un impact majeur sur les services gouvernementaux, étant donné le grand nombre de personnes qui participent aux projets de guérison dans les collectivités autochtones de toutes les régions du Canada. Santé Canada en ressentira certainement les effets, de même que le Service correctionnel du Canada et bon nombre d'autres organismes gouvernementaux.
La décision que nous prendrons en ce qui concerne le démantèlement du projet de guérison autochtone aura un impact considérable sur la santé mentale des peuples autochtones de tout le Canada, étant donné les données empiriques que nous avons rassemblées au sujet des projets qui se révèlent efficaces pour s'attaquer aux problèmes de santé mentale des peuples autochtones.
Encore une fois, je désire vous remercier de m'avoir invitée à comparaître et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Le vice-président : Merci beaucoup.
Je cède maintenant la parole à Jules Picard.
[Français]
M. Jules Picard, coordonnateur des services sociaux, Commission de la santé et des services sociaux des Premières nations du Québec et du Labrador : Merci, monsieur le vice-président. Je voudrais, ainsi que des personnes qui m'accompagnent, souhaiter une bonne fête des Autochtones au sénateur Gill.
Je travaille pour la Commission de la santé et des services sociaux du Québec et du Labrador. C'est une organisation qui a été créée par l'Assemblée des chefs du Québec, leur donnant des mandats au niveau des services sociaux et de la santé.
C'est sûr qu'au cours de mon mandat avec la commission, pour nous comme pour le gouvernement, la santé mentale n'a pas été une priorité. Par contre, nous considérons que les rapports du comité sénatorial sont de bons rapports. C'est évident que la commission ne tassera pas du revers de la main ce que vous amenez comme réflexion à l'intérieur de votre rapport.
Nous reconnaissons qu'il y a des lacunes importantes au niveau de l'accessibilité, de la prestation et de la qualité des services en santé mentale à travers le pays. Nous savons aussi que les Premières nations autochtones vivent des problématiques spécifiques et complexes.
Le sénateur Gill faisait référence aux communautés de Paquashipé et de La Romaine qui sont des communautés en région éloignée. Il y a aussi la communauté de Schefferville qui traverse des crises très difficiles tant au plan économique que social. Bien sûr, cette situation affecte les familles, les individus et les jeunes au plan de la santé mentale. J'y reviendrai un petit peu plus loin dans ma présentation.
De façon générale, on ne semble pas reconnaître que les instances politiques et décisionnelles des Premières nations autochtones puissent être des partenaires au même titre que les décideurs des gouvernements tant provincial que territorial en termes de santé mentale et de toxicomanie.
C'est sûr que depuis trois ans, les Premières nations et la commission ont donné priorité à la santé mentale, aux situations de crise et les situations de suicide dans les communautés. Mais, l'appareil gouvernemental ne semble pas suivre cette tangente.
Évidemment, il y a des commissions comme la vôtre aujourd'hui. Des ententes ont été signées en septembre dernier pour l'ensemble du système de santé. Au Québec, je pense qu'au cours des six derniers mois, il y a deux communautés qui ont vécu des crises assez difficiles : Schefferville entre autres, ainsi que Manouane et Weymontachie.
En mars dernier, il y a eu trois suicides dans ces deux communautés. Et, il y a eu plusieurs tentatives de suicide. On a fait appel à nos services pour intervenir à l'intérieur de ces deux communautés. Quand survient un décès, quel qu'il soit, la communauté est en deuil.
Lorsque survient un décès suite à un suicide, la communauté est plus qu'en deuil, elle est en crise. Madame Wood a été obligée d'intervenir auprès des intervenants, auprès de ces instances politiques, des conseillers, et évidemment, des familles.
Le rapport recommande que l'individu vivant des problématiques de santé mentale et de toxicomanie soit au coeur du système de santé plutôt qu'au niveau des services. Nous recommandons de donner priorité à l'individu qui vit ce type de problème.
Et ce, dans une vision holistique propre aux Premières nations. Les familles et les communautés doivent être aussi au centre de nos préoccupations, pas juste au niveau des Premières nations, mais aussi au niveau des gouvernements tant fédéral que provincial.
Nous pourrions énumérer des inquiétudes et des constats qui ont été faits par la commission. Les conditions sociales à l'intérieur de ces communautés se détériorent de façon très inquiétante.
Les problématiques de crises de santé mentale sont très concentrées et affectent ces populations. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, plusieurs communautés connaissent des crises sociales importantes et ont beaucoup de difficulté à les stabiliser.
Actuellement, il y a très peu de moyens pour que les Premières nations prennent en charge elles-mêmes leur santé mentale, leur mieux-être et leur développement social et global. Évidemment, il y a la volonté.
Sans trop rentrer dans les détails, je suis sûr qu'il y a des problèmes importants au niveau de la juridiction tant fédérale que provinciale qui ont des répercussions directes sur les individus, les familles, et évidemment au niveau de leur communauté.
Je vais me référer à une situation. Je pense qu'il y a plusieurs situations de ce genre à travers le pays. Dans notre communauté à Pointe-Bleue, il y a des personnes qui ont des problèmes de santé mentale. Quand on parle de juridiction fédérale/provinciale, il y a présentement un jeune schizophrénique qui est aux prises avec la justice. Et, on doit le stabiliser avec de la médication.
Actuellement, ce qu'on semble nous dire, c'est que Santé Canada ne peut pas payer la médication pour ce jeune parce qu'il fait partie du réseau carcéral provincial. Ce serait au réseau carcéral provincial d'assumer ces frais.
Afin de protéger ce jeune, mais aussi la société, sa médication est nécessaire. Ce jeune homme est au début de la vingtaine, je l'ai connu quand j'ai oeuvré au niveau social là-bas. C'est un jeune qui a besoin de beaucoup de soins et de services spécialisés.
Lorsqu'on parle de juridiction, il ne faut pas jouer au tennis comme on le fait à Wimbledon présentement, se lancer la balle.
Il y a une grande inquiétude par rapport au nombre grandissant d'enfants. En fin de semaine, on a eu une session de travail avec le Centre de traitement Walgwan. C'est un centre de traitement qui accueille des jeunes de douze à dix-huit ans. La mission du Centre Walgwan est de traiter des jeunes qui sont aux prises avec la toxicomanie.
Au cours des deux ou trois dernières années, la directrice du centre nous faisait part qu'actuellement une grosse partie des jeunes de 12 à 18 ans qui fréquentent ce centre n'a pas des problèmes de toxicomanie, mais est aux prises avec des problèmes de santé mentale.
Le centre de traitement qui était habilité à traiter des toxicomanes n'est pas habilité à traiter des cas de santé mentale. Ce n'est pas juste à ce centre de traitement, c'est au niveau du réseau de protection de l'enfance, au niveau des Premières nations.
Les jeunes qui sont aux prises avec des troubles de comportement, on les protège tel que le spécifie la Loi de la protection de la jeunesse. Je parle des communautés, mais je pourrais parler aussi du réseau québécois où l'on fait le même constat.
Un jeune qui a des troubles de comportement est signalé et il est protégé. Aujourd'hui, moins de 50 p. 100 des jeunes qui sont signalés pour troubles de comportement sont aux prises avec des problèmes de santé mentale.
Cette loi qui dit qu'il faut protéger ces jeunes qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale a une partie manquante. Ces jeunes ne doivent plus être protégés, ils doivent être soignés.
C'est le constat qui est fait à l'intérieur de ces ressources. Je pense que le problème devient de plus en plus inquiétant. Cela fait deux ans que je siège sur le conseil d'administration du Centre de traitement Walgwan. Au début, on faisait référence à des problèmes de toxicomanie. Depuis maintenant deux ans, c'est plus spécifique à la santé mentale.
Comment ferons-nous pour supporter de façon immédiate et concrète ces communautés qui traversent présentement des périodes de situation de crise ?
C'est sûr que le dommage qui est fait est très important et pertinent pour les Canadiennes et Canadiens. C'est sûr que les recommandations qui seront faites par votre comité sénatorial sur la santé mentale ne seront pas immédiatement suivies d'un plan d'action ; cela prendra un certain temps.
Avant que tout l'appareil gouvernemental puisse digérer tout cela et que tout l'appareil ministériel puisse élaborer des plans d'action, cela prendra au moins dix-huit à vingt-quatre mois.
Le sénateur Gill : Trois, quatre ans.
M. Picard : Non, mais je pense que cela prendra un certain laps de temps avant qu'on puisse mettre en oeuvre ces recommandations et développer des plans d'action. Mais, entre-temps, qu'est-ce qu'on fait ?
Je pense qu'on doit recommander des mesures provisoires, tant aux gouvernements provinciaux qu'aux organisations des Premières nations. Au moins en ce qui a trait aux jeunes et aux enfants.
Je pense qu'il faudra examiner très sérieusement ces mesures provisoires parce qu'il y a des dommages, il y a des choses qui se passent dans les communautés.
Comme je le disais tout à l'heure, il faudra éviter toutes les dualités administratives et financières entre les différents gouvernements et ministères. La dualité constante : Qui paye la facture ? Est-ce que cela concerne les Affaires indiennes, Santé Canada ou la province ?
C'est ce qu'on doit éviter. Parce que pendant ce temps, le jeune attend sa médication et les conséquences sont graves.
Assurer le même niveau de services en santé mentale, en toxicomanie aux gens des Premières nations qu'au reste du Canada. Je pense qu'il ne faut pas se leurrer, il y a un déséquilibre des services qui sont donnés à l'intérieur des communautés.
Tout développement de programmes et politiques, et plans d'action organisationnels des services devraient inclure la participation des Premières nations autochtones, tant au Québec que dans les autres provinces. Ils devraient être considérés comme des partenaires égaux. Nous n'avons peut-être pas l'argent, par contre, nous pouvons mettre en oeuvre certains éléments des programmes avec la collaboration des gouvernements.
Évidemment, ce partenariat devra être fondé sur le respect et la reconnaissance mutuelle. Reconnaître que l'amélioration de la santé mentale et du mieux-être des Premières nations passe par un développement communautaire intégré et durable. Je pense qu'on ne peut pas faire que des initiatives qui vont durer le temps des lilas.
Il faudra penser à des initiatives et à des programmes durables. Trop souvent la DJSPI développe des initiatives, mais après trois ans ces initiatives tombent puis il n'y a plus rien. Cela arrive très souvent à la DJSPI.
Il importe de fournir aux Premières nations les leviers nécessaires pour qu'ils puissent se prendre en charge par la définition des priorités. On dit que la santé mentale devrait être au même niveau que la santé physique. Je pense que vous y faites référence aussi dans votre 3e rapport : élaborer des mesures correspondantes à leurs besoins; assurer la mise en oeuvre des actions déterminées, et cela pas seulement pour les Premières nations mais aussi avec les gouvernements.
On fait souvent des campagnes de sensibilisation à travers le Canada pour de la santé mentale, on voit souvent des affiches. Mais, à l'intérieur même des gouvernements, pourrait-il se faire une sensibilisation afin d'avoir une meilleure connaissance de cette problématique ?
J'ai appelé au bureau régional ce matin et j'ai demandé à une personne de me donner des chiffres sur la santé mentale. Je doute que notre bureau régional traite de la santé mentale. Par contre, je pense qu'un certain pourcentage des argents est versé directement à l'intérieur des ententes entre les Conseils de bandes. Un pourcentage qui reste minime, soit de l'ordre de 1 p. 100 ou 2 p. 100 du montant de l'entente.
Il faudra sensibiliser les gens des ministères face à cette problématique, qu'il y ait une meilleure connaissance du problème, pas seulement pour ce qui se passe dans les communautés.
Le sénateur Gill : Quand vous parlez du bureau régional, vous voulez dire le bureau régional des Affaires indiennes ?
M. Picard : Non.
Le sénateur Gill : De la Santé nationale.
M. Picard : De la Santé nationale.
Le sénateur Gill : Le National Help.
M. Picard : Auprès des professionnels aussi, afin qu'ils puissent recevoir une formation spécifique sur les réalités des Premières nations. Une meilleure compréhension aiderait certainement à réduire la discrimination et la stigmatisation dont sont victimes trop souvent les personnes des Premières nations et surtout ceux qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale.
La Dre Charbonneau qui était ici avant nous, disait que lorsque les gens retournent chez eux, ils sont identifiés. Je pense qu'il faudra développer ces aspects du problème. Débloquer du financement spécifique pour que les Premières nations puissent élaborer et implanter des services préventifs auprès des enfants et de leur famille.
Finalement, c'est sûr que votre comité ira de l'avant avec diverses recommandations. Ce serait peut-être intéressant de regrouper des gens tant Canadiens que des Premières nations et de d'autres allégeances, afin qu'ils puissent travailler à la formulation des recommandations, et au niveau des priorités pour qu'un jour on ait un poids décisionnel.
Il importe de donner la possibilité aux Premières nations de faire part de leurs priorités et de leurs recommandations. Trouver une manière de travailler ensemble et de mettre en œuvre ces recommandations.
Mme Isabelle Wood, Commission de la santé et des services sociaux des Premières nations du Québec et du Labrador Commission des services sociaux et de santé : Monsieur le vice-président, je suis coordonnatrice technique des problématiques des crises sociales à la Commission de la santé et services sociaux des Premières nations.
Jules est mon superviseur, mon patron. J'ai travaillé trois ans en communauté, soit dans la communauté de Weymontachie, qui a été frappée très durement par les problématiques de crises sociales et de suicides, notamment. En trois ans, il y a eu près de dix suicides dans la communauté. C'est énorme, pour une communauté d'à peine 1 200 habitants.
Dans les rapports, entre autres, le troisième rapport sur les problèmes et solutions apportés, on parle beaucoup de l'individu, de la famille, et cetera. En ce qui concerne les communautés des Premières nations, il faudra soulever la problématique spécifique aux intervenants et aux travailleurs de premières lignes qui travaillent chaque jour, et qui, plusieurs fois par jour, sont confrontés à des crises individuelles ou familiales. Ces intervenants doivent répondre à ces crises et se retrouvent complètement épuisés, débordés, et ne savent plus comment prendre le problème ou le solutionner.
Les personnes créent des liens de confiance très significatifs avec ces intervenants. Elles vont souvent voir le même intervenant pour recevoir de l'aide. Cet intervenant se retrouve alors épuisé, sans moyen de sortir de la communauté.
Vous parliez tout à l'heure de la communauté de Schefferville, on ne peut pas sortir de là comme on veut, il faut attendre l'avion ou le train et aussi avoir les moyens financiers pour le faire.
Il est important de se préoccuper de la santé des intervenants et des travailleurs de premières lignes qui travaillent dans les communautés des Premières nations.
Le sénateur Gill : Docteure Valaskakis, d'abord, j'aimerais vous remercier pour votre présentation, elle est très pertinente et elle touche toute la gamme de situations qu'on peut retrouver au pays. Comme je le disais auparavant, nous avons eu des témoins au Manitoba. Je pense que les idées principales surgissent de tous les coins du pays.
Il y a certainement une pensée commune concernant les Autochtones face aux programmes de santé mentale. J'aimerais vous remercier sincèrement de votre présentation. J'aimerais également souligner, que l'on se connaît depuis longtemps, Gail. On a travaillé sur le Collège Manitou, tu te souviens sans doute, alors la bataille continue. Et j'aimerais vous féliciter.
Justement, Valérie, j'ai bien connu ton père, il y a plusieurs années. J'ai vu grandir Jules. Puis, Isabelle, on se connaît maintenant.
Alors, je vous remercie et je vous félicite parce que c'est un travail difficile. Mon mandat concerne les Autochtones et je peux vous dire que j'y travaille tous les jours, depuis plusieurs d'années.
Le sénateur Pépin : On peut en témoigner.
Le sénateur Gill : Je voudrais aussi souligner l'ouverture de mes collègues. Dans les années passées, nous avons eu beaucoup de problèmes d'ouverture, de compréhension et d'écoute. Aujourd'hui, je peux vous assurer que la plupart de mes collègues du Sénat veulent agir et aider le groupe des Premières nations et les autres à progresser et à avoir les services qui leur conviennent.
Par contre, je dirais qu'un manque d'information persiste. Le fait de ne pas donner suffisamment d'informations relève peut-être de nous, du côté autochtone. Ce sont souvent des informations qui nous semblent très élémentaires, mais qui sont importantes.
Valérie mentionnait tantôt que les Premières nations se réunissaient et qu'à l'intérieur des Premières nations, il y a des structures. Je pense que les gens ne sont pas au courant que, l'Assemblée des Premières nations regroupe tous les chefs de toutes les provinces.
Ce qui porte à confusion, et je pense que c'est important de le mentionner, c'est qu'au niveau gouvernemental, on parle des Premières nations en parlant des communautés elles-mêmes. Les communautés représentent une partie des Premières nations, ce ne sont pas des Premières nations comme telles.
N'ayant pas la bonne information, les gens s'inquiètent et en général ils disent : qu'est-ce qu'on va faire pour s'adapter aux besoins de 630 Premières nations au pays ? Mais, en réalité, il n'y a pas 630 nations. Du côté des Innus, notre nation regroupe la Basse Côte-Nord et Mashteviatsh. La nation comprend environ 12 000 ou 15 000 personnes. Il n'y a pas neuf ou dix Premières nations.
Alors, c'est important de communiquer aux gens, la différence entre les nations et les communautés. Au niveau des nations, nous pouvons donner des services. C'est très difficile de donner tous les services à la communauté. Par contre, nous pouvons se regrouper.
La même chose au niveau de la province. Les nations au Québec, par exemple l'Association des indiens Québec/ Labrador peut certainement offrir des services que les autres ne peuvent offrir sur le plan communautaire. Je pense que c'est important de le mentionner.
J'aimerais aussi vous demander, comme Jules le mentionnait plus tôt, de participer aux recommandations et aux conclusions. En fait, le président Kirby, et je pense qu'il en a parlé avec le sénateur Keon aussi, m'a demandé de participer aux recommandations et aux conclusions du rapport.
Je voudrais réunir des gens pour m'aider à la formulation du rapport, et ensuite en discuter avec les sénateurs. J'ai l'intention de le faire avec des personnes responsables à l'échelle nationale, soit Valérie Gideon et la Dre Gail Valaskakis. En ce qui a trait au Québec, j'ai l'intention de procéder de la même façon, si possible, pour mieux énoncer nos idées.
C'était mon intention, monsieur le président, de mettre sur pied un regroupement afin de pouvoir formuler des recommandations et des conclusions. Je pourrais discuter ensuite avec les sénateurs du comité qui voudront bien partager avec nous ces recommandations.
Au point de vue recommandations, j'imagine que c'est la répétition du même programme IRE. Les recommandations aux Premières nations, aux Inuits, aux Métis, et les autres, étaient d'avoir un financement et le contrôle. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet, si vous le jugez approprié.
La Dre Gideon : Merci beaucoup. Oui, certainement, l'Assemblée des Premières nations a une structure fortement établie au niveau de la santé et du développement social et nous pourrions certainement participer d'une manière qui serait très efficace et inclure toutes les régions des Premières nations.
Comme vous l'avez mentionné, la Commission de la santé et des services sociaux des Premières nations et des Inuits du Québec et du Labrador est un de nos organismes régionaux.
Nous avons dix chefs régionaux qui siègent sur notre comité exécutif. Le président de notre comité, Phil Fontaine, est le chef national, vous le connaissez sûrement.
Au niveau de la santé et des services sociaux, nous travaillons avec un réseau de techniciens qui sont des employés de tous ces organismes régionaux et c'est avec eux que nous formulons nos recommandations. Ils établissent mon mandat en tant que directrice ainsi qu'à mon équipe à Ottawa. Ce n'est donc pas comme on dit « top down », c'est vraiment « buttoms up ». Tout cela provient des communautés, des régions et par la suite nous faisons la mise en oeuvre au niveau national.
Nous pouvons alors travailler avec le réseau de techniciens. Nous avons également un comité des chefs en matière de santé et un comité des chefs en matière de développement social qui est le même genre de groupe, le même réseau, sauf que c'est au niveau des chefs plutôt que celui des techniciens.
Nous avons ces deux structures qui sont très bien établies. On se rencontre plusieurs fois par année et communiquons par téléconférences régulièrement. Notre structure nous permet donc de rester au fait de ce qui se passe au pays. Ce n'est pas si compliqué que cela.
Santé Canada, la direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits travaillent régulièrement avec nous et à l'intérieur de notre structure des réseaux des techniciens et du Comité des chefs. Nous avons donc une très bonne relation de ce côté-là.
Comme je l'ai mentionné au cours de ma présentation, nous avons récemment établi un comité avec Santé Canada, le leadership Inuit et l'Assemblée des Premières nations, afin de faire le suivi sur le cadre conceptuel de la santé mentale que j'ai partagée avec vous. Mais, on n'a jamais eu vraiment le suivi et la mise en oeuvre de ces idées préliminaires. Nous avons donc également ces structures-là.
Nous serions bien sûr très ouverts à travailler avec la Fondation de guérison. C'est un organisme que nous considérons comme fondamental dans notre avenir en termes de l'amélioration de la santé mentale pour les Première nations.
Le sénateur Gill : C'était pour avoir une meilleure idée de l'organisation. Souvent, dans notre milieu, à Ottawa, on ne perçoit pas les Autochtones comme étant organisés. On s'imagine que c'est comme avant, mais cela a bien changé.
[Traduction]
Le vice-président : C'est un aspect très important, parce que vous nous disiez tout à l'heure, Mme Gideon, que certains des programmes nationaux qui devraient viser les membres des Premières nations ne les incluent pas pour le moment. Si j'ai bien compris ce que vous dites, il y a une multitude de filières par lesquelles les crédits fédéraux peuvent financer les services et programmes de santé destinés aux Premières nations; dans certains cas, vous touchez l'argent directement, mais dans d'autres, vous recevez des services qui sont assurés par les provinces grâce aux paiements de transfert. Mais le fait est que dans bien des domaines, le gouvernement fédéral n'est tout simplement pas capable d'assurer des services adéquats parce qu'il n'a pas la masse critique de professionnels de la santé qui lui permettrait de le faire.
Il me semble, par conséquent, que c'est aux Premières nations directement qu'on devrait transférer les fonds pour la santé, de sorte que ces dernières puissent obtenir les services qu'elles souhaitent, selon la qualité et le prix qui lui conviennent. Dans la plupart des cas, il s'agirait d'acheter ces services aux provinces, puisque ce sont les provinces qui ont les experts qui peuvent assurer les services requis. Dans d'autres cas, il faudrait que les services soient assurés par le gouvernement fédéral, vu la nature de notre système d'assurance-santé, etc. Même dans le contexte du système de soins national, au niveau de la prestation des services, si nous voulons vacciner un grand nombre d'enfants, par exemple, nous avons besoin de recourir aux ressources de santé publique des provinces pour faire faire ce travail. Ce serait intéressant d'essayer de voir clair dans cette grande confusion et de proposer un cadre structurel qui pourrait donner satisfaction.
Le sénateur Kirby et moi-même avons discuté des formules qui seraient les plus susceptibles d'être acceptées par les ministres provinciaux. Je n'ai pas besoin de vous dire ce qu'ils voudraient faire. Ils voudraient que le gouvernement fédéral leur donne l'argent et qu'ils puissent ensuite le distribuer...
Le sénateur Gill : Dans ce cas, nous devons nous y opposer.
Le vice-président : Oui. C'est tout à fait inacceptable; c'est voué à l'échec.
Ceci dit, le moment est venu à mon avis d'essayer d'élaborer un cadre structurel qui pourrait marcher. Quand nous allons rédiger notre rapport — et nous, sénateurs, allons nous attribuer tout le crédit — nous devrons proposer une éventuelle structure pour la prestation des services de santé mentale aux Premières nations.
Il n'est pas possible de régler ce problème aujourd'hui; il faut plus de dialogue à ce sujet.
Le sénateur Gill : Il est arrivé par le passé qu'on donne des crédits aux gouvernements provinciaux. Je peux même vous nommer les gouvernements concernés. Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador en est un. On leur a donné l'argent, qu'ils devaient utiliser pour assurer des services aux peuples autochtones. Nous avons fait une étude par la suite, et nous avons constaté que moins de la moitié des crédits ont été utilisés pour les fins prévues au départ. Voilà pourquoi j'estime qu'il est essentiel que l'argent soit remis aux personnes qui sont responsables et que ce soit ces dernières qui prennent les décisions au sujet des services et des fournisseurs auprès de qui il convient d'obtenir des services. À mon avis, nous devons faire une recommandation à ce sujet.
[Français]
M. Picard : En complément à ce qu'a dit le sénateur Gill, il y a déjà des expériences au Québec, surtout dans le domaine des services sociaux, où l'on donne des argents aux Conseils de bandes et ceux-ci signent des ententes directement avec les Centres Jeunesses pour l'achat de services, soit au niveau de la Protection de la Jeunesse, au niveau des institutions et au niveau des familles d'accueil.
Ils s'entendent sur les services qui doivent être donnés à la communauté, et ce par voie de partage de responsabilités. Il y a, actuellement, une expérience qui se fait non seulement au Québec, mais dans d'autres provinces aussi.
Mme Wood : Afin de compléter, au-delà du transfert d'argent directement aux nations ou aux communautés pour l'achat de services dans les réseaux des provinces, c'est de permettre aussi aux nations et aux communautés de développer leurs propres services de santé mentale. Parce qu'on parle d'expertise à l'intérieur des réseaux.
Je vous garantis que l'expertise se trouve aussi à l'intérieur des communautés. Soit par les intervenants, par les autorités politiques décisionnelles au niveau de la santé et services sociaux qui, pour plusieurs, travaillent depuis de nombreuses années dans ce domaine et qui ont développé une réelle expertise au niveau holistique, au niveau de la distribution de différents services et des thérapies en milieu naturel.
Il faudrait permettre aux communautés et aux nations de développer leurs propres services de santé mentale.
[Traduction]
La Dre Gideon : Sénateur, je voulais simplement vous dire, moi aussi, qu'il existe déjà des modèles qui pourraient être le point de départ des recommandations que vous aurez à formuler. En ce moment, nous effectuons un projet massif dont vous avez certainement entendu parler, soit le plan pour la santé autochtone qui doit être présenté aux premiers ministres en novembre. Nous espérons que ce sera un succès, mais je n'ai pas de boule de cristal. Je suis responsable de la coordination de cet effort au niveau national pour l'ensemble des Premières nations. C'est un défi de taille. Mais à mon avis, cet exercice débouchera certainement sur des recommandations concrètes concernant un nouveau modèle interjuridictionnel et une nouvelle façon d'octroyer les fonds aux collectivités autochtones qui tiendra compte de ce que nous avons appris ces dernières années au sujet des limites du Transfert canadien en matière de santé. Les collectivités bénéficient de financement global, mais il s'agit toujours d'une enveloppe budgétaire fixe. Il existe encore certains cadres de programmes cloisonnés au niveau national auxquels les collectivités doivent essayer de s'adapter, et il y a aussi de nouveaux programmes qui ne peuvent être transférés à d'autres autorités, si bien que nous avons à présent des mécanismes administratifs fragmentés.
Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles le potentiel des recommandations de la CRPA et de la Commission Romanow n'a pas été réalisé en ce qui concerne l'objectif d'un financement consolidé et mieux ciblé. Je serais heureuse de vous faire parvenir les recommandations de notre rapport sur le Transfert canadien en matière de santé, pour vous permettre de les examiner.
Si nous avions des formules de financement plus souples pour les initiatives de mieux-être, par exemple, en vertu desquelles les collectivités pourraient investir dans des interventions touchant les déterminants de la santé qui contribuent à créer des problèmes de santé mentale, le résultat serait très positif, à mon avis. Je suis également d'accord pour dire que même si certaines collectivités voudraient passer par la province, ou même un modèle de type universitaire, pour obtenir les services qu'elles requièrent, les recherches menées dans le domaine de la surveillance permettent de conclure qu'elles seraient susceptibles d'établir leurs propres centres d'expertise, notamment dans le domaine de la guérison traditionnelle, de façon à renforcer les capacités créées grâce à la Fondation autochtone de guérison.
Il y a donc toutes sortes de possibilités, et ce plan nous permettra de mieux orienter les priorités futures en matière de services de santé dans les collectivités des Premières nations.
La Dre Valaskakis : Je voudrais simplement ajouter qu'à mon avis, les collectivités autochtones ont maintenant une vaste expérience de l'élaboration des services et du renforcement des capacités grâce à la Fondation autochtone de guérison, et elles se ressentiront de la perte de ces projets. Bon nombre d'entre eux vont prendre fin, bon nombre d'entre eux ont déjà pris fin, et beaucoup d'autres encore prendront fin dans les prochaines mois et années, si bien que tout sera terminé en 2007. Ce sera une grave perte pour les collectivités.
Le vice-président : Est-ce inévitable?
La Dre Valaskakis : C'est inévitable à moins que la Fondation autochtone de guérison ne reçoive de nouveaux crédits avec un nouveau mandat, comme l'Assemblée des Premières nations l'a revendiqué par l'entremise de son chef, Phil Fontaine. Cela ne s'est pas produit jusqu'à maintenant, et donc quand son mandat actuel prendra fin, la Fondation autochtone de guérison cessera de mener ses activités.
Un certain financement temporaire, soit 40 millions de dollars, a été accordé dans le cadre du dernier budget; mais cette somme n'est même pas suffisante pour financer les projets qui sont actuellement en cours et qui devront prendre fin. Par conséquent, nous n'avons pas l'intention de faire un nouvel appel de demandes, et nous prolongeons d'un an les projets qui ont fait leurs preuves par le passé et devaient prendre fin avant 2007.
Cela ne comprend pas tous les projets actuellement financés parce que nous avons évidemment été nous-mêmes dans les collectivités, accompagnés d'intervenants communautaires, et nous avons organisé des rencontres d'un bout à l'autre du pays et donné des subventions qui permettraient aux gens de préparer des propositions, si bien que les gens ont vraiment participé étroitement à ces activités. Tout cela prend du temps, et nous allons perdre ce que nous avons créé jusqu'à présent sur ce plan-là quand notre mandat prendra fin. Nous avons maintenant atteint notre maximum en ce qui concerne la participation à nos activités, et le niveau d'activités va nécessairement aller en diminuant petit à petit jusqu'au moment où notre mandat prendra fin en 2007.
Comme la participation a maintenant atteint un maximum, il n'a pas été possible de financer tous les projets avec les 40 millions de dollars qui nous ont été octroyés, et les crédits disponibles disparaissent très rapidement.
Le vice-président : Est-ce qu'il a jamais été question de financement provisoire en vue de convertir ce qu'on pourrait appeler des projets pilotes en projets opérationnels?
La Dre Valaskakis : Pas en ce qui concerne la Fondation autochtone de guérison, dont le mandat est d'une durée de 10 ans, y compris un an pour créer sa structure, et le fait est que tout l'argent devait être engagé dans une période de quatre ans. Après l'engagement des crédits disponibles, on nous a permis de faire une évaluation avant de mettre un terme à nos activités. Voilà ce que nous sommes en train de faire maintenant. Il n'a jamais été question d'un mandat à long terme.
Le vice-président : Mais il y a quelque chose qui cloche dans tout cela. Les projets pilotes ont justement pour raison d'être de créer quelque chose.
La Dre Valaskakis : Je ne suis pas sûre que la Fondation ait été considérée au départ comme un projet pilote; il s'agissait davantage de réagir aux recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones et à la prise de conscience dont Phil Fontaine et d'autres ont été les instigateurs en ce qui concerne les pensionnats. C'était un élément de la réponse du gouvernement, et c'était un élément de réponse de courte durée.
Le sénateur Gill : Je pense que Jules a mentionné tout à l'heure qu'aucune évaluation de suivi n'est effectuée en vue d'examiner les résultats de projets pilotes visant les peuples autochtones. Certains projets débouchent sur des résultats positifs, mais il n'y a pas de suivi et tout s'effondre. Voilà pourquoi il faut vraiment insister.
La Dre Valaskakis : Nous avons énormément de recherche qui démontre les résultats positifs de ces projets.
Le vice-président : Oui, je sais.
La Dre Valaskakis : Nous avons tellement de projets de recherche à examiner, de même que les évaluations nationales que nous avons préparées; c'est donc vraiment important.
Le vice-président : Honorables sénateurs, je pense que nous devrions sérieusement envisager de faire une recommandation à ce sujet, mais nous avons besoin d'aide. Essayer d'y voir clair, c'est s'engager sur un véritable champ de mines. En tant que chirurgien, j'ai tendance à simplifier la chose à outrance — pour moi il s'agirait de donner l'argent directement à ceux qui reçoivent les crédits au nom des peuples autochtones et leur permettre d'obtenir les services qui leur faut auprès des fournisseurs qui leur semblent appropriés.
[Français]
Mme Wood : La problématique qui est soulevée par le Docteur Valaskakis est très importante dans le sens où ce manque de récurrence au niveau du financement de projets va souvent entretenir le niveau aigu de crises sociales à l'intérieur des communautés. Parce qu'on est toujours en réponse aux crises.
Le sénateur Pépin : Exact.
Mme Wood : Constamment. Si on développe un projet, on a le financement pour quelques mois, un an tout au plus. Par la suite c'est bien difficile d'établir des programmes de prévention et de promotion efficaces permettant de travailler à long terme et éventuellement, permettre à la communauté de reprendre son souffle, et permettre aussi le dépistage et des interventions précoces auprès des enfants puis des jeunes.
Le manque de financement récurrent pour les projets qui sont développés par et pour les gens des Premières nations et les Autochtones, c'est vraiment multiproblématique et très complexe
Le sénateur Pépin : Il n'y a pas de continuité du tout?
Mme Wood : Il n'y a pas de continuité. C'est très difficile.
[Traduction]
Le sénateur Gill : Docteure Gideon, je tiens à vous faire savoir que le président du comité voudrait faire des recommandations énergiques au sujet de la santé des Autochtones. Ce rapport est encore à rédiger. Je ne sais pas si nous aurons le temps à notre retour en septembre de nous réunir avec les personnes concernées, mais nous pouvons certainement préparer de bonnes recommandations qui sont dans leur intérêt.
Le vice-président : Le sénateur Kirby et moi-même avons longuement discuté de ce dilemme. Le gros problème auquel nous sommes confrontés à mon avis est de savoir comment définir une formule simple d'octroi direct des crédits aux responsables autochtones. Je peux vous garantir que les ministres provinciaux de la santé ne veulent rien savoir de tout cela, mais en même temps, je suis convaincu que nous ne réussirons jamais à régler les problèmes dont il est question aujourd'hui tant que cela n'aura pas été fait.
Par contre, vous dépendez beaucoup des provinces à l'heure actuelle pour les services qu'ils vous assurent et pour lesquels vous êtes ensuite remboursés un peu n'importe comment.
Le sénateur Gill : Il n'y a pas de solution simple; ce genre de choses est toujours assez compliqué. Le gouvernement fédéral peut facilement octroyer les crédits aux administrations provinciales, mais ce qui compte, c'est de s'assurer que les gens reçoivent les services dont ils ont besoin. Je peux vous garantir que ce n'est pas toujours le cas. Il ne faut pas croire que je ne fais pas confiance aux gouvernements provinciaux, mais le fait est que la situation est si différente d'un endroit à l'autre qu'il leur est difficile de garantir que tout l'argent et tous les services arrivent bien chez ceux qui en ont besoin.
Les gouvernements provinciaux reçoivent déjà certaines sommes par le biais de ce système pour assurer des services aux peuples autochtones, mais il suffit de regarder la situation actuelle. Il faut absolument changer les choses, ce qui veut dire que les ministres provinciaux devront peut-être exercer des pressions, même si ce n'est pas nécessairement la solution à retenir.
Le vice-président : Non. Ils sont tout à fait convaincus de pouvoir fournir tous les services requis aux peuples autochtones si le gouvernement fédéral leur donne l'argent dont ils ont besoin.
Le sénateur Trenholme Counsell : Cela varie d'une province à l'autre, je crois.
Le sénateur Gill : Oui, cela varie d'une province à l'autre, mais il faudrait tout de même demander à ceux qui reçoivent des services dans d'autres provinces s'ils sont satisfaits de la situation actuelle.
Le vice-président : Eh bien, les exposés qu'on nous a faits en Saskatchewan et au Manitoba étaient très bons.
Le sénateur Gill : À Winnipeg, oui.
La Dre Gideon : À mon avis, ce n'est pas tout ou rien. Nous avons noté une grande ouverture dans le contexte de l'élaboration du plan, à l'exploration des différents problèmes relatifs à la définition des rôles et responsabilités des uns et des autres dans différents domaines. Je suis tout à fait consciente des tensions qui sont présentes. Le nouveau comité organisé par la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits comprend des représentants des comités consultatifs F-P-T, de l'Association canadienne pour la santé mentale et d'autres intervenants et tous semblent favorables à l'idée d'explorer d'autres possibilités qui ont plus de sens et donneraient de meilleurs résultats.
En 2003, les premiers ministres ont convenu de faire rapport sur leur prestation en ce qui concerne la santé des Autochtones par le biais du Cadre visant la préparation de rapports comparables sur l'état de santé des Autochtones, et voilà donc un autre mécanisme qui peut servir à leur avis à rehausser la responsabilisation vis-à-vis des crédits qu'ils reçoivent déjà. L'idée d'établir des liens stratégiques entre les organisations et collectivités des Premières nations qui seraient chargées d'administrer les fonds émane évidemment de l'APN. À mon avis, ce serait tout à fait possible et toutes les administrations en bénéficieraient, sans parler de l'amélioration de la qualité globale des services et de l'état de santé des membres des Premières nations qui en résulterait.
Si les services de prévention ne sont pas efficaces au niveau communautaire, les provinces devront engager d'autres dépenses par la suite pour soigner les personnes atteintes de problèmes graves ou aigus qui peuvent avoir besoin d'être hospitalisées, et cetera.
À mon sens, c'est dans l'intérêt de tout le monde d'améliorer la qualité des soins. Il est possible selon moi de trouver un terrain d'entente et d'arriver à une solution dans ce domaine.
Pendant la préparation du plan, il a été déterminé qu'il fallait trois volet distinct — Premières nations, Inuits et Métis. Les dirigeants des trois groupes concernés sont tous d'accord pour dire que c'est indispensable en raison de l'unicité des différents peuples, des différences entre leurs milieux, et de questions de compétence.
Par exemple, même si je ne prétends pas parler pour les Métis, je sais qu'à l'heure actuelle, ces derniers ne reçoivent des services que des gouvernements provinciaux. Par conséquent, les problèmes qu'ils pourraient soulever seraient différents de ceux que je vous présenterai. Si vous voulez organiser une réunion pour formuler des recommandations, nous serions très intéressés à vous aider ou à fournir l'aide dont vous pourriez avoir besoin, et bien sûr, à participer à cet effort. Les recommandations seraient plus efficaces et plus pratiques si elles visaient chacun des trois groupes, soit les Premières nations, les Inuits, et les Métis, individuellement.
Le vice-président : Au Manitoba et en Saskatchewan, les populations autochtones hors réserve deviennent rapidement plus important es que la population non autochtone, ce qui correspond à une autre situation. Leurs soins de santé sont payés à partir du budget provincial s'ils sont hors réserve, n'est-ce pas?
La Dre Gideon : La Federation of Saskatchewan Indian Nations, par exemple, assure des services à ses membres vivant en dehors de la réserve. Les gouvernements autochtones sont chargés d'assurer des services à leurs membres vivant dans la réserve et en dehors. Le problème, c'est que ces derniers n'ont pas les ressources nécessaires pour le faire dans la plupart des cas, si bien qu'ils sont obligés de faire des choix difficiles.
Par exemple, s'agissant du financement de l'éducation postsecondaire, il y a une liste de priorité et les conseils de bandes doivent prendre leurs décisions en fonction de cette liste. Les gouvernements autochtones ne possèdent pas les ressources nécessaires pour s'occuper de toute leur population, notamment dans le domaine de la santé.
Les gouvernements autochtones sont tout à fait disposés à fournir les services à leurs membres vivant en dehors de la réserve, et certains d'entre eux le font. Certaines collectivités et organisations sont déjà en mesure de le faire.
Le sénateur Gill : À mon avis, il faut tenir compte du fait que les anciennes politiques ont conduit à une sorte d'intégration ou d'assimilation, de sorte que plus de gens quittent la réserve à présent. Le gouvernement insistait beaucoup là-dessus; il faut bien l'admettre. Le gouvernement voulait réduire la population autochtone dans les réserves, mais il est certain que cela crée toutes sortes de problèmes.
Le vice-président : À l'heure actuelle, à Saskatoon ou à Winnipeg, d'après ce que j'ai pu comprendre, un Autochtone qui a besoin de se faire soigner n'a qu'à s'adresser à un centre médical et les services ou soins qu'il reçoit sont payés par la province, un point c'est tout. Est-ce que je me trompe?
La Dre Gideon : Cela dépend, parce que les conseils tribaux assurent également des services de santé et sociaux à Saskatoon. Encore une fois, si vous êtes Métis, c'est différent, et il est possible que des Inuits vivent à Saskatoon — je ne sais pas. Cependant, si vous êtes membre d'une Première nation, vous allez sans doute vous adresser à la section des services de santé et sociaux du Conseil tribal de Saskatoon.
Le vice-président : Si les Premières nations pouvaient choisir, préféreraient-elles être en mesure de répondre à tous les besoins en matière de santé de leurs membres en Saskatchewan et au Manitoba, au lieu de maintenir le système hybride qui existe actuellement?
La Dre Gideon : À mon avis, ce serait effectivement la préférence de la grande majorité des Premières nations. Certaines d'entre elles ne sont pas aussi prêtes que d'autres à fournir une aussi vaste gamme de services. Comme le disait Jules, il faut prévoir des arrangements intérimaires pour les collectivités et organisations qui n'ont jamais encore joué ce genre de rôle. Je dirais que plus de la moitié des nations seraient prêtes à le faire dès demain, mais il leur faudrait une certaine marge de manoeuvre pour être à même de distribuer les fonds là où les besoins sont les plus importants, et pour prévoir l'infrastructure aux niveaux des capitaux, de l'information et de la technologie. Il leur faudrait le genre d'infrastructure technologique permettant d'établir les systèmes appropriés de suivi et de contrôle, etc. Et il faudrait que les autorités provinciales soient disposées à négocier la création de liens de ce genre.
Il y a beaucoup de choses que les collectivités ne possèdent pas actuellement et qu'il leur faudrait posséder pour travailler efficacement. Par exemple, il faudrait cesser d'exiger qu'elles remettent mille rapports par an sur l'administration et les finances.
Le sénateur Gill : La plupart du temps, les bandes sont financées en fonction du nombre de personnes qui vivent dans la réserve. Celles qui vivent hors réserve en permanence gardent leur statut d'Indienne inscrite, continuent de faire partie de la bande et gardent leur numéro. Mais le gouvernement ne leur assure pas des services. Ça, c'est un autre problème. Il faut faire une distinction entre les Métis et les Indiens inscrits vivant en dehors de la réserve. C'est compliqué.
Le vice-président : Nous avons vraiment beaucoup réfléchi à cette question, mais c'est parce que nous avons du mal à y voir clair — du moins le sénateur Kirby et moi. Cette discussion a été fort utile.
Le sénateur Callbeck : Je voudrais revenir sur la Fondation autochtone de guérison. Si je ne m'abuse, vous avez dit qu'avant la création de la Fondation, moins de 10 p. 100 des participants avaient bénéficié de services de guérison. Il est clair que vos activités ont eu un impact très positif sur les collectivités, et je constate aussi qu'il est question ici d'une liste d'attente correspondant à 36 p. 100. S'agit-il de 36 p. 100 des projets? C'est 36 p. 100 de quoi au juste?
La Dre Valaskakis : Il s'agit de 36 p. 100 de plus par rapport à ceux qui sont actuellement desservis. Cette information émane d'une enquête nationale, et les premiers éléments d'information sont tirés des réponses aux questionnaires remplis par les participants individuels, dont nous en avons environ 1 500; on leur a demandé s'ils avaient déjà pu bénéficier de services de guérison.
Votre deuxième question concerne les enquêtes nationales. Nous avons demandé dans quelle mesure il existe des listes d'attente pour participer aux projets que nous finançons, et dans quelle mesure il serait possible d'accroître la participation si les responsables de ces projets disposaient des crédits nécessaires. Vous devez vous rendre compte que vu notre financement et les besoins dans ce domaine, nous n'avons pas pris la décision de financer un projet en fonction des besoins, mais plutôt en fonction de l'argent que nous avions à notre disposition. Pour bon nombre de ces projets, il aurait été possible d'inclure beaucoup plus de participants si les fonds disponibles avaient été suffisants, et c'est à cela que correspond ce chiffre.
Le sénateur Callbeck : Vous dites que les fonds sont pleinement engagés à l'heure actuelle?
La Dre Valaskakis : En effet.
Le sénateur Callbeck : Et que beaucoup de gens ont été exclus?
La Dre Valaskakis : Beaucoup de gens ont été exclus — des gens très tristes qui nous appelaient souvent. Je vous rappelle que cette question est bien comprise par notre conseil et par notre président. Le président du conseil d'administration et notre PDG est George Erasmus, coprésident de la Commission royale sur les peuples autochtones; notre directeur général est le Dr Mike Desgagné, qui a travaillé à Santé Canada et est actif dans le domaine du traitement des toxicomanies depuis bien des années. Ils sont très bien informés et si l'un ou l'autre d'entre eux pourrait vous aider en ce qui concerne votre mandat, je suis sûre qu'il serait ravi de le faire.
Le sénateur Callbeck : Valerie, vous avez parlé de télésanté, et vous disiez que vous avez trois projets en cours. Pourriez-vous nous les décrire un peu, et nous dire si vous obtenez de bons résultats?
La Dre Gideon : Pour que ce soit bien clair, le seul projet de télésanté mentale actuellement en cours dans les collectivités autochtones est celui qui se déroule en ce moment à Keewaytinook Okimakanak, soit le projet d'élaboration du K-Net, un projet pilote financé par Santé Canada qui a également reçu des crédits par l'entremise du NORTH Network créé en Ontario. Ils ont fait une évaluation préliminaire, qui figure actuellement sur leur site Web, et je pourrais vous la faire parvenir. Il s'agissait surtout d'une évaluation qualitative, puisque ce réseau existe depuis un ou deux ans seulement, et comme il n'y a pas de bons modèles d'évaluation des services de télésanté de toute façon, c'est un peu difficile.
Il y a très peu de projets de télésanté dans les collectivités autochtones parce qu'il n'y a pas de programme permettant de financer les réseaux de télésanté au niveau fédéral, si bien qu'elles doivent convaincre la province de les inclure dans leurs réseaux; pour le moment, c'est le cas seulement au Manitoba, qui a accepté d'élargir son service, et en Alberta aussi, et je crois savoir que le Nouveau-Brunswick a adopté un plan stratégique en vue de faire la même chose.
Encore une fois, tout dépend du réseau provincial qui existe, et de toute façon, ce réseau peut ne pas répondre aux besoins des collectivités autochtones. Ces dernières n'ont pas la possibilité d'indiquer quelle gamme de services elles voudraient recevoir, et aucun financement permanent n'est disponible non plus dans ces cas-là.
Il existe un grand réseau de sites autochtones de télésanté en Alberta, mais encore une fois, il s'agit d'un projet pilote qui pourrait prendre fin à n'importe quel moment. L'expérience en matière de services de télésanté mentale est très limitée, selon ce que je sais de ce genre d'expérience. En ce moment, nous essayons d'établir une collaboration avec Inforoute Santé du Canada. Mais je sais pas si vous êtes au courant du fait que nous avons également été exclus du réseau d'Inforoute Santé du Canada. Aucun financement n'a été accordé par Inforoute Santé du Canada au gouvernement fédéral, et ce n'est pas non plus possible, si bien que les Premières nations ne pourront non plus en bénéficier. On cherche actuellement à établir un mécanisme qui permettrait de financer directement les Premières nations, mais même si nous faisons beaucoup de lobbying, comme tous les autres, depuis quelques années, c'est-à-dire depuis la création de cet organisme, nos efforts n'ont pas encore porté des fruits.
Leur plan de télésanté indique que les services aux Premières nations sont une priorité, mais nous avons vraiment dû insister pour obtenir quelque chose, et nous aurons demain notre première rencontre avec les responsables pour discuter de ce que cela pourrait signifier pour nous. Quand notre droit de participer à une initiative nationale comme celle-là n'est pas reconnu dès le départ, il nous est très difficile d'accroître notre visibilité et d'obtenir du financement.
Le sénateur Callbeck : Jules, vous avez parlé du centre de la jeunesse destiné aux enfants âgés de 12 à 18 ans qui a été mis sur pied pour aider les jeunes qui ont des problèmes de toxicomanie; vous disiez qu'ils constatent à présent que les problèmes de santé mentale sont très fréquents.
Est-ce que vous nous dites que les problèmes de santé mentale sont en hausse, ou si l'on en observe davantage actuellement, serait-ce parce qu'on ne les avait pas dépistés auparavant?
[Français]
M. Picard : Au centre de traitement, au cours des deux dernières années, la clientèle en santé mentale a augmenté. Ils sont obligés de donner priorité à ces cas-là. Ils ne sont pas habilités à les traiter, mais il y a quand même un travail de référence qui se fait avec les jeunes au Centre pour intervenir en santé mentale.
Pour le maintien de ce Centre de traitement, le financement provient de Santé Canada. C'est un Centre de traitement pour les Premières nations, et la hausse des cas en santé mentale est très inquiétante pour nous.
Le sénateur Pépin : Le sénateur Callbeck demandait la question suivante : est-ce que ces cas existaient auparavant et n'auraient pas été détectés ? Serait-ce une erreur de dépistage, croyant que c'était plutôt des cas reliés avec la consommation de drogue ?
M. Picard : C'est sûr qu'au niveau du dépistage, que c'est lors des études de cas qu'ils s'aperçoivent qu'un jeune est aux prises avec un problème de santé mentale, qui est évidemment relié à la toxicomanie et vice-versa.
C'est non seulement, comme je l'ai dit, au niveau des Centres de traitement, mais dans le réseau de protection de l'enfance et au niveau des communautés. On me faisait part qu'il y avait un haut taux de jeunes qui sont signalés pour des troubles de comportement et qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale.
Ils s'en aperçoivent quand ils font l'évaluation de ces signalements. Ces jeunes sont évidemment référés. Mais il y a une dualité dans la juridiction. Le ministère paye au niveau des services sociaux. Lorsqu'un jeune est aux prises avec des problèmes de santé mentale et qu'on prescrit un traitement, le ministère recule étant donné qu'il paye seulement pour les problèmes sociaux.
Il faut alors courir après des autorisations de Santé Canada pour dire que le jeune doit être traité. Encore là, c'est un cas de médication.
Mme Wood : Le problème reste au niveau du dépistage précoce qui est à peu près impossible à faire. Comme je le mentionnais, les jeunes et même les adultes vont recevoir de l'aide en urgence, pas au moment où la problématique apparaît mais alors qu'elle est à son niveau le plus élevé.
Se produit alors un débordement des services à l'intérieur des communautés. Et cela affecte éventuellement, le système de la santé et des services sociaux. Cela devient très difficile à contrôler et à gérer.
J'ai eu affaire à un jeune qui présentait une problématique de schizophrénie. Il était sur le point d'avoir 18 ans, quelques mois plus tard. Personne ne voulait payer pour qu'il ait un service de réadaptation, et ça lui prenait du long terme.
Un mois de thérapie était insuffisant pour que ce jeune puisse passer au travers de sa problématique de toxicomanie et de maladie mentale. Personne ne voulait payer pour ce jeune. Nous nous sommes battus avec Santé Canada et avec les assurances. Le ministère provincial ne voulait rien savoir, alors, c'était très difficile.
On parle de problèmes de juridiction pour les systèmes, pour les organisations. Et cela a des répercussions sur les individus et sur les familles qui ont de la difficulté à prendre soin de leurs jeunes ou de leurs proches qui vivent avec de telles problématiques.
La séance est levée.