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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 30 - Témoignages - Séance du 23 novembre 2005


OTTAWA, le mercredi 23 novembre 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 36, pour étudier l'état des mesures d'urgence que le gouvernement du Canada mettrait en oeuvre en cas de pandémie et, en particulier, des mesures que la population et les entreprises canadiennes peuvent prendre pour se préparer à une pandémie.

Le sénateur Wilbert J. Keon (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénateurs, pouvons-nous commencer, s'il vous plaît? Malheureusement, nous avons un peu de retard. Nous disposons d'une heure et 25 minutes pour tenir la séance. La salle est réservée à compter de 18 heures pour un autre comité.

Je veux remercier les témoins d'être venus aujourd'hui. Je veux surtout remercier également les sénateurs, qui sont venus dans des circonstances exceptionnelles, pour que nous ayons le quorum.

C'est par l'entremise d'une motion présentée au Sénat que nous avons reçu l'instruction de tenir la présente séance. Je vais vous lire le texte de cette motion :

Que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé à examiner et faire rapport de l'état des mesures d'urgence que le gouvernement du Canada mettrait en oeuvre en cas de pandémie et, en particulier, des mesures que la population et les entreprises canadiennes peuvent prendre pour se préparer à une pandémie.

Nous devrons ensuite présenter un rapport.

Nous allons faire rapport au Sénat à un moment donné. Les choses sont un peu incertaines en ce moment. En tant que sénateurs, nous aimons la certitude davantage que certains de nos collègues de l'autre endroit. À un moment donné, nous allons faire rapport au Sénat de cette étude.

Je vous remercie tous d'être venus. Nous entendrons six exposés. Je demanderais que les exposés durent environ huit minutes, ce qui nous laissera à peu près une demi-heure pour discuter. Si certains d'entre vous ont besoin d'un peu plus de temps ou d'un peu moins, cela ne pose aucun problème.

L'ordre des personnes à prendre la parole a été modifié légèrement par rapport à ce qui figure sur l'ordre du jour. C'est Mme Judith Bossé, vice-présidente, Science, qui sera la première, et ensuite, nous suivrons la liste à partir du début.

Dre Judith Bossé, vice-présidente, Sciences, Agence canadienne d'inspection des aliments : Je vous remercie de me donner l'occasion de vous entretenir de l'état de préparation de l'ACIA.

Avant d'aborder les divers aspects de notre plan de préparation, j'aimerais vous donner de l'information au sujet de la maladie dont on parle beaucoup ces jours-ci, c'est-à-dire l'influenza aviaire. Je vais expliquer à quel point cette maladie est complexe, de façon à ce que les gens comprennent qu'il en existe différents types. Il s'agit d'une infection virale contagieuse qui touche principalement les oiseaux. Dans certaines circonstances, le virus peut aussi infecter d'autres espèces.

Il existe de nombreuses souches de l'influenza aviaire. Elles sont identifiées par deux lettres et de nombreux chiffres. La lettre H peut être accompagnée des chiffres 1 à 16 et la lettre M, des chiffres 1 à 9. On trouve les différentes souches dans les diverses combinaisons des H et des M. Jusqu'à maintenant, environ 144 souches, ou sous-types, ont été décelées chez les oiseaux. Il s'agit là du nombre de virus.

Habituellement, ces virus se trouvent chez les oiseaux sauvages. Ils ne nuisent normalement pas à leur santé. Ces oiseaux sont porteurs du virus sous une forme entérique, c'est-à-dire dans leur système digestif. Le virus ne donne généralement aucun signe clinique, à l'exception de la souche asiatique H5N1, qui est celle dont tout le monde entend parler ces jours-ci.

Il existe une façon de classifier la virulence de ces virus chez les oiseaux. Nous les qualifions de faiblement pathogènes ou de hautement pathogènes. Cette classification traduit la gravité des maladies cliniques qu'ils causent chez les oiseaux. Un virus faiblement pathogène donne habituellement des signes légers ou aucun signe du tout, tandis qu'un virus hautement pathogène donne des signes cliniques beaucoup plus graves pouvant mener à la mort. Le passage de la catégorie faiblement pathogène à hautement pathogène est davantage propre à deux sous-types en particulier, c'est-à-dire le H5 et le H7. Par conséquent, l'ACIA et la collectivité vétérinaire internationale accordent beaucoup d'attention à ces deux sous-types.

Nous avons observé que seulement deux sous-types passent de la forme faiblement pathogène à la forme hautement pathogène. Je vous rappelle le cas qui s'est produit en Colombie-Britannique il y a un an. Un virus de la souche H7N3 faiblement pathogène avait été détecté dans une ferme, et les oiseaux atteints ne présentaient pratiquement aucun signe clinique. Le virus s'est transmis à des oiseaux qui se trouvaient dans une autre grange de cette même ferme et il est devenu à ce moment-là virulent, et les oiseaux d'autres fermes ont commencé à être infectés.

Au cours de la dernière année, les médias ont largement parlé de la souche H5N1. Cette souche est très contagieuse et mortelle chez la volaille. Ce que nous ne savions pas par contre, c'est qu'elle est également mortelle chez les canards sauvages; nous n'étions pas au courant que des souches du virus pouvaient être hautement pathogènes chez ce type d'oiseau.

Nous avons aussi observé que le virus peut, dans certaines conditions, se transmettre aux humains par contact direct. Nous ne connaissons pas encore les conditions en question; le milieu de la santé publique peut probablement nous éclairer à ce sujet.

La souche asiatique H5N1 se trouve pour l'instant en Asie principalement, mais elle est en train de se propager pour gagner l'Europe et la partie occidentale de ce continent. À mesure qu'elle se propage dans le monde, elle atteindra le Moyen-Orient et l'Afrique. Selon nous, le risque qu'elle se propage au Canada n'est pas très élevé. À mesure que le virus se propagera dans le monde, il ne fait aucun doute cependant que le risque augmentera.

Le virus est maintenant pandémique dans de nombreux pays asiatiques. Dernièrement, des cas d'infection chez des oiseaux sauvages ont été détectés en Europe et au Moyen-Orient.

Comment cette souche pourrait-elle atteindre le Canada? Il ne fait aucun doute que l'accent semble être mis en ce moment sur les oiseaux migrateurs. La propagation par l'intermédiaire de ces oiseaux est une possibilité. Cependant, cette possibilité n'est pas très grande pour l'instant. On porte également attention aux importations illégales de volaille. On s'inquiète aussi du fait que des personnes qui ont visité des fermes dans les régions touchées puissent avoir été infectées par le virus.

Une épidémie d'influenza aviaire pourrait avoir d'importantes répercussions sur les plans économique et social ainsi qu'au chapitre de la santé publique et du commerce international. Comme dans le cas de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, ou du syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, l'impact pourrait être disproportionné par rapport au nombre réel de cas de maladie chez les animaux ou les humains.

Les pays ne sont pas tous également en mesure de faire face à l'influenza aviaire. Par conséquent, le Canada considère qu'il peut jouer un rôle en aidant d'autres pays à trouver des moyens de limiter le risque d'infection chez les oiseaux. Nous croyons que si nous limitons le risque d'infection chez les oiseaux, nous diminuons le risque d'une transmission potentielle aux humains.

L'Agence canadienne d'inspection des aliments, à la suite des cas survenus en 2004 en Colombie-Britannique, a passé ses plans en revue. De nombreux aspects doivent être améliorés à la lumière des leçons tirées.

Sur le plan de la prévention, nous avons accru le travail que nous effectuons conjointement avec les partenaires des provinces et de l'industrie afin de maintenir et d'améliorer les protocoles de biosécurité dans les fermes. Nous estimons que, si le virus n'atteint pas les fermes et n'infecte pas les oiseaux, les humains risquent beaucoup moins d'y être exposés.

Nous collaborons avec l'Agence des services frontaliers du Canada pour renforcer les mesures de contrôle à la frontière. À l'heure actuelle, on surveille dans les abattoirs de volaille la présence des sous-types H5 et H7, qui pourraient se propager au Canada.

Nous suivons, avec la collaboration des partenaires des provinces, les registres des maladies détectées chez les volailles à la ferme pour y déceler toute tendance anormale. Nous surveillons également, de concert avec les organismes canadiens voués aux oiseaux sauvages, les souches qui touchent les oiseaux sauvages du pays. Nous effectuons cette surveillance afin d'établir une base de référence pour savoir quelles souches de l'influenza aviaire sont présentes chez les oiseaux. Ces renseignements nous permettront de mettre en place les bons processus de limitation des risques en vue d'empêcher que les sous-types H5 et H7 affectent les oiseaux du pays et de détecter de façon précoce la présence éventuelle de la souche asiatique en Amérique du Nord.

En vue d'accroître notre état de préparation, nous avons créé un réseau de laboratoires sur l'influenza aviaire, qui a été élargi grâce à l'accroissement du nombre de partenariats avec des laboratoires provinciaux. Maintenant, nous comptons six partenariats de plus. Nous avons renégocié et renouvelé notre plan d'urgence pour l'éradication des maladies animales exotiques et nous avons négocié une entente avec les provinces. La nouvelle version du plan est beaucoup plus complète.

En outre, un accord international sur les vétérinaires réservistes qui permettra de répondre à une hausse de la demande a été signé. Nous nous sommes aussi dotés d'un réseau canadien de surveillance zoosanitaire qui diffuse en temps réel des renseignements sur les maladies animales. Nous travaillons également en collaboration plus étroite avec nos collègues du secteur de la santé publique de façon à ce que toute maladie animale soit évaluée sur le plan du risque qu'elle pose pour la santé publique.

Si une flambée devait survenir, de nombreux plans sont en place pour faciliter une intervention rapide. Ces plans ont été appliqués vendredi dernier, quand on a découvert en Colombie-Britannique un canard infecté par une souche faiblement pathogène de l'influenza aviaire. Nos plans opérationnels concernent la mise en quarantaine, l'administration de tests de dépistage et le dépeuplement sans cruauté. En plus, un traitement biothermique à la ferme, ou compostage, a été mis au point à l'égard de l'élimination de la volaille afin que le risque ne se propage pas. Par ailleurs, des recherches sont en cours sur divers aspects rattachés à la découverte en 2004 de cas en Colombie-Britannique.

Le dernier volet est le rétablissement, qui est un élément essentiel. Nous avons élaboré une politique concernant le déplacement des animaux aux fins de repeuplement de sorte que les produits des viandes de volaille puissent être acheminés à divers endroits situés à l'extérieur de la zone de mise en quarantaine.

Si nous voulons que les maladies soient signalées tôt, il doit exister un généreux programme d'indemnisation afin d'inciter les agriculteurs à déclarer les cas de maladies. Nous sommes en train d'examiner le programme d'indemnisation qui est actuellement en vigueur.

Dre Arlene King, directrice, Division de l'immunisation et des infections respiratoires, Centre de prévention et de contrôle des maladies infectieuses, Agence de santé publique du Canada : Je vais essayer de ne pas dépasser huit minutes. Premièrement, je ne vais pas en dire plus long au sujet de l'influenza aviaire parce que je crois que Mme Bossé en a suffisamment parlé.

Il est parfois difficile de différencier les diverses souches de l'influenza, car il en existe différents types. Je vais donc définir certains termes.

La grippe saisonnière est ce qui affecte les humains tous les ans. Elle survient durant la saison hivernale. Elle commence déjà à se propager au Canada à l'heure actuelle. Ce virus engendre les souches humaines de l'influenza. Chaque année, le virus se modifie légèrement, et c'est pourquoi nous devons élaborer de nouveaux vaccins pour veiller à protéger les gens contre ces modifications.

La pandémie de grippe est causée par un changement important dans la structure du virus grippal. Il s'agit d'un nouveau virus qui n'a jamais infecté la population. Le taux de contagion est alors élevé, et le virus peut mener au développement de la maladie chez une grande proportion de la population.

Les vaccins sont des substances utilisées pour stimuler le système immunitaire et conférer une immunité contre une ou plusieurs maladies pendant des périodes variables. Les antiviraux, dont vous entendez parler, sont offerts sous forme de comprimés, de sirop ou même parfois sous forme de médicaments à inhaler. Ils peuvent être utilisés comme protection à court terme ou bien comme traitement précoce de la grippe ou de la pandémie de grippe.

Quant à la transmission de l'influenza aviaire aux humains, ce type d'influenza ne s'attrape pas facilement. Il est difficile pour l'humain de contracter le virus de l'influenza aviaire. Il y a en ce moment une propagation accrue de l'influenza aviaire chez les oiseaux, surtout en Asie.

Nous savons, comme l'a déclaré Mme Bossé, que l'influenza aviaire a commencé à se propager vers l'occident. Depuis la fin de 2003, seulement 130 cas causés par la souche H5N1 ont été signalés chez les humains. Cette souche dont a parlé Mme Bossé a entraîné 67 décès. Il s'agit d'une maladie grave chez les humains, et le taux de décès dépasse les 50 p. 100, mais il demeure qu'il s'agit d'un virus difficile à contracter et d'une maladie rare.

Cependant, ce qui est préoccupant, c'est que la propagation accrue de l'influenza aviaire chez la volaille augmente les risques d'infection humaine. Ainsi, le virus de l'influenza aviaire peut se transformer en un virus pouvant se transmettre facilement au sein de la population. Il est également possible que le virus s'amalgame à des virus humains. Cette transformation peut se produire chez les cochons et créer ainsi un nouveau virus. Nous pensons également que la transformation pourrait survenir chez les humains.

Pour le moment, rien n'indique que la souche actuelle H5N1 de l'influenza aviaire se propage efficacement d'une personne à une autre. Les infections humaines sont rares. Ainsi, on peut dire qu'il est peu probable qu'une pandémie de ce type d'influenza survienne.

Quant à l'état de préparation, nous nous sommes dotés d'un plan canadien de lutte contre la pandémie d'influenza. Il s'agit d'un plan national qui décrit les rôles et les responsabilités de tous les paliers de gouvernement. Il a été élaboré sous la gouverne du Comité de la grippe pandémique, que je copréside avec un représentant de l'Alberta.

Il s'agit d'un modèle pour les plans nationaux d'intervention en cas d'urgence sanitaire qui comporte des sections sur la préparation, l'intervention et le rétablissement de la situation ainsi que de nombreuses annexes, qui constituent des lignes directrices visant à aider le secteur de la santé à se préparer à une pandémie.

Ce plan figure dans le site Web de l'Agence de santé publique du Canada depuis février 2004. Nous sommes actuellement en train de le mettre à jour. Nous espérons qu'une nouvelle version pourra être diffusée en décembre ou en janvier.

Le plan est en train d'être révisé pour tenir compte des nouvelles informations publiées par l'Organisation mondiale de la santé, surtout en ce qui concerne les étapes. Je ne vais pas entrer dans les détails. Si vous avez des questions à ce sujet, je vais y répondre. Nous allons également ajouter d'autres éléments au plan, notamment l'intervention à l'aide de vaccins et de médicaments, qui contribuera à limiter les conséquences d'une pandémie.

La plupart des provinces et des territoires ont dressé leurs propres plans également. Les autorités sanitaires locales sont en train elles aussi de préparer des plans. Mme Huston vous expliquera plus tard où en est rendue la ville d'Ottawa à ce sujet. Nous travaillons également avec les Premières nations et les provinces en vue de s'assurer que les plans soient intégrés.

Notre stratégie contre la pandémie est complète et bien équilibrée. Nous avons défini une stratégie de vaccination contre la pandémie de grippe. La vaccination constituera la principale intervention en cas de pandémie. Cependant, nous ne pouvons pas fabriquer le vaccin avant de connaître la souche du virus.

Notre objectif est d'immuniser tous les Canadiens dans l'éventualité d'une pandémie. Le Canada a été le premier pays au monde à négocier un contrat, en 2001, avec un fabricant de vaccins canadien, ID Biomedical, en vue de s'assurer qu'il détiendra suffisamment de vaccins pour vacciner l'ensemble des Canadiens.

Nous sommes actuellement en train d'élaborer un prototype de vaccin antipandémie à l'aide de la souche asiatique H5N1, que nous produirons en quantité suffisante pour être en mesure d'effectuer des études avec ce vaccin dans le but de déterminer la sûreté d'un vaccin et sa capacité de susciter une réponse du système immunitaire humain. Nous procédons à ces travaux pour avoir une longueur d'avance lorsque la souche sera connue.

Les antiviraux sont importants, mais ils constituent une mesure temporaire. C'est une mesure provisoire. Le Comité de la grippe pandémique fournit des conseils sur l'utilisation d'antiviraux, sur leur composition et sur la quantité de doses. À l'heure actuelle, nous disposons de 35 millions de doses au pays, et nous en avons commandé cinq autres millions.

Les groupes prioritaires auxquels seront administrés des antiviraux et des vaccins sont énoncés dans notre plan. Cependant, je tiens à souligner que, si une pandémie survient, nous allons examiner de près l'aspect épidémiologique — qui contracte la maladie et qui en meurt — et nous modifierons la liste des groupes prioritaires en fonction de la façon dont la pandémie apparaît.

Notre plan comporte de nombreux autres éléments. Je vais terminer en formulant deux commentaires. Nous avons besoin d'une stratégie équilibrée. Nous devons veiller à ce qu'elle porte sur tous les éléments d'une préparation en prévision d'une pandémie. Tous les paliers de gouvernement doivent voir à cela dans tous les secteurs. Il faut une capacité de surveillance et d'intervention appropriée, une stratégie en matière de recherche et une stratégie de communication efficace pour que le public sache ce qu'il devrait faire à diverses étapes d'une alerte pandémique et d'une période de pandémie.

Il nous faut aussi une stratégie en matière de collaboration internationale. Une stratégie bien équilibrée et un bon état de préparation à tous les paliers de gouvernement et dans tous les secteurs de la santé sont extrêmement importants pour faire en sorte que nous soyons bien préparés.

Nous faisons de bons progrès dans ce sens. Sommes-nous prêts? Chaque jour, nous sommes mieux préparés. Nous continuons d'y travailler, et demain, nous serons mieux préparés qu'aujourd'hui. Je tiens à vous donner l'assurance que nous nous efforçons tous, à tous les niveaux de gouvernement, de concert avec nos collègues de la santé animale, d'être prêts.

Dre Patricia Huston, médecin adjoint en santé publique, Ville d'Ottawa : Je vous remercie de m'offrir l'occasion de prendre la parole ici aujourd'hui.

Je suis le médecin adjoint en santé publique de Santé publique Ottawa et la présidente du Comité directeur de lutte contre les pandémies d'Ottawa. Le principal message que je suis venue vous livrer aujourd'hui est le suivant : bien que le Canada se soit imposé comme un leader international dans la planification en cas de pandémie, il reste des trous importants à combler au niveau local. En dépit de progrès marqués, si une pandémie survenait demain, Ottawa serait prise de court.

En septembre dernier, nous avons rendu public notre Plan d'intervention interorganismes en cas de pandémie qui est conforme au plan canadien, considéré comme la bible en la matière. C'est là une réalisation de taille qui fournit une bonne assise sur laquelle prendre appui.

Le plan de la Ville a été élaboré par le Comité directeur de lutte contre les pandémies d'Ottawa de Santé publique Ottawa, le Bureau de gestion des mesures d'urgence de la Ville d'Ottawa, les hôpitaux, les services paramédicaux, les médecins, les fournisseurs de soins de longue durée et des représentants du laboratoire de santé publique provincial situé à Ottawa.

Nous avons élaboré le plan interagences contre la pandémie influenza, qui détermine qui fait quoi. Ensuite, nous avons demandé à chaque agence d'élaborer leurs propres stratégies opérationnelles en liaison avec ce qu'elles étaient engagées à faire pour le plan interagences.

En dépit des progrès réalisés sur le plan local, il existe trois grandes lacunes dont j'aimerais vous parler aujourd'hui. La première est le manque de capacité de dépistage rapide, essentielle à une intervention rapide et efficace.

Le système de surveillance actuel de l'Ontario repose sur une évaluation clinique, plutôt que sur des données de laboratoire. Nous avons identifié, un peu partout dans la province, des médecins sentinelles qui participent au programme canadien Surveillance de l'influenza. Toutefois, ces médecins ne signalent que les cas cliniques d'affections pseudo-grippales. Contrairement à d'autres provinces, ils ne prélèvent pas d'échantillons viraux. Ils ne font que transmettre les données cliniques.

Certains échantillons viraux sont envoyés pour analyse en laboratoire, habituellement dans le cadre d'enquêtes sur des flambées d'influenza dans des établissements de soins de longue durée. Or, il faut de trois à quatre semaines pour identifier le sous-type exact du virus parce que nous ne disposons pas d'une capacité de diagnostic rapide.

À cause de cette lenteur, si une pandémie se déclarait à Ottawa aujourd'hui, nous serions incapables de confirmer qu'elle est causée par un virus de l'influenza avant le milieu de la première vague.

La deuxième et plus importante lacune est l'ignorance de la façon dont nous allons nous y prendre pour soigner tous les malades.

Avant d'en parler plus abondamment, j'aimerais avec votre permission vous brosser un tableau de ce que pourrait signifier concrètement une pandémie d'influenza à Ottawa. Notre population est d'environ 850 000 personnes. D'après des modèles de projection conçus par les Centres for Disease Control des États-Unis et adoptés dans leur plan par les autorités tant canadiennes qu'ontariennes, nous pourrions nous attendre que 30 000 personnes contractent l'influenza chaque semaine.

Plus de la moitié de ces 30 000 personnes se présenteraient pour une évaluation médicale. On peut prévoir 350 hospitalisations et 80 décès. Jusqu'à dix pour cent de la population pourraient être malades en même temps et, sur une période de deux mois, plus du tiers de la population tomberait malade.

Voici donc les défis cliniques auxquels nous faisons face. Les hôpitaux n'ont pas la capacité de pointe voulue pour faire face à une demande accrue. Bien qu'un total de 350 hospitalisations peut ne pas sembler énorme à première vue, n'oubliez pas que les hôpitaux fonctionnent déjà presque à pleine capacité. On ne parle pas de répondre à une demande ponctuelle de 350 hospitalisations, mais bien de l'hospitalisation de 350 personnes chaque semaine, pendant des semaines.

Ottawa dispose en tout de moins de cinquante lits de soins intensifs. Si une pandémie d'influenza éclatait, d'après les prévisions, pendant la première semaine seulement, la demande serait de 185 p. 100.

Les défis posés par l'état de préparation à une pandémie dans la collectivité ont reçu moins d'attention, mais sont de plus en plus préoccupants. Si 350 personnes étaient hospitalisées, cela signifie qu'il reste chaque semaine dans la collectivité 29 650 personnes infectées.

Qui va s'en occuper? C'est là que nous avons un problème. Le plan ontarien prévoit que les personnes atteintes d'influenza durant la pandémie seront évaluées par des fournisseurs de soins primaires. Cependant, la plupart des médecins de premier recours ne sont pas convaincus qu'ils devraient soigner ces patients dans leur cabinet.

Ils préféreraient les diriger vers des centres d'évaluation de manière à pouvoir répondre aux besoins des autres membres de leur clientèle. Le plan ontarien dit que l'information sur les centres d'évaluation est à venir. À l'échelle locale, il n'est pas clair qui établira et dirigera ces centres d'évaluation.

Les hôpitaux se sentent déjà débordés par la demande de pointe de soins hospitaliers. Les médecins de famille ne veulent pas en assumer la responsabilité. Même si les autorités de la santé publique fournissaient les locaux des centres d'évaluation, qui prodiguerait les soins? La réponse est loin d'être évidente.

Les médecins ont précisé que, s'ils devaient prendre soin de patients atteints de l'influenza pendant une pandémie, ils auraient besoin d'une prophylaxie au Tamiflu, de matériel de prévention des infections comme des masques, des gants, des visières et des produits d'hygiène, d'une protection du revenu, d'assurance-vie et invalidité, de services de sécurité et d'instructions claires quant aux soins de santé qui peuvent être retardés ou reportés.

Actuellement, la province n'a promis de fournir que la prophylaxie au Tamiflu, un médicament antiviral.

Les planificateurs en cas de pandémie estiment que les médecins de premier recours sont parfaitement capables de soigner des personnes atteintes de l'influenza et, à ce stade-ci, ne croient pas qu'il y a lieu de subventionner la prestation de ces soins par les médecins.

Par contre, les médecins de famille se demandent pourquoi ils s'exposeraient, eux et leur personnel, à un risque accru de maladie et de mort, à un surcroît de dépenses, à une éventuelle perte de revenu et à un accroissement de leurs responsabilités sans rien obtenir en retour.

Peu ont oublié que le premier professionnel de la santé victime du SRAS était un médecin de famille exposé au virus par un patient qui s'est présenté à son cabinet. Ils n'ont pas oublié, non plus, que la famille dont le père est mort dans l'exercice de ses fonctions n'a rien reçu comme compensation.

Les planificateurs en cas de pandémie semblent tenir pour acquis que les fournisseurs de soins primaires s'occuperont des victimes de la pandémie au sein de la collectivité. Rien ne prouve que ce serait le cas. Les médecins affirment qu'ils ne sont pas disposés à prendre soin de ces patients sans appui. Voilà donc une faiblessse criitique de nos plans actuels.

La troisième et dernière lacune se situe au niveau de l'énorme variation de la capacité locale des autorités de santé publique à se préparer. À l'échelle locale, les médecins nous ont dit plusieurs fois qu'ils comptent sur l'appui de Santé publique Ottawa. Après tout, ce sont les autorités locales de santé publique qui sont désignées comme étant responsables de la planification et de la coordination dans les plans tant national que provincial.

Cependant, on confie cette énorme responsabilité aux autorités locales de santé publique sans accroître leurs budgets, au moment même où tous reconnaissent que Santé publique est sous-financée. Dans mon rapport, une comparaison des budgets en 2002 des hôpitaux (800 millions de dollars), des médecins (400 millions de dollars) et de Santé publique (20 millions de dollars) montre que tout ne tourne pas rond.

Les fonds affectés aux services locaux de santé publique pour la préparation d'interventions en cas de pandémie varient énormément. Quelle en est la raison? Actuellement, le financement des services locaux de santé publique relève des commissions d'hygiène locales, c'est-à-dire, à Ottawa, par le conseil municipal.

Certaines commissions d'hygiène sont beaucoup plus sensibilisées au besoin de se préparer en cas de pandémie que d'autres. Santé publique Ottawa a demandé une affectation ponctuelle de fonds pour le faire. En raison des caprices de notre processus budgétaire, cette demande ne figure même pas dans les documents budgétaires de 2006 soumis aux conseillers municipaux. Par conséquent, nous ignorons actuellement si nous aurons même des fonds pour assumer cette tâche à partir de juin prochain. Pour l'instant, contrairement à ce que nous avons conseillé au comité directeur, Santé publique Ottawa n'a pas de plan opérationnel en cas de pandémie. Nous nous retrouvons un peu comme le cordonnier mal chaussé.

Santé publique Ottawa n'absorbe que 2 p. 100 du budget municipal. Donc, comme de nombreux autres services de santé, elle peut facilement être écartée par des besoins municipaux plus importants comme la police, le transport en commun et l'entretien des routes. Résultat, elle est le plus faible maillon de la chaîne de la protection civile au niveau local, là où la protection dépend entièrement des caprices de la bureaucratie et de la politique municipales.

En guise de conclusion, ces lacunes locales ne sont pas bien connues, mais elles ne sont pas non plus secrètes. Ceux qui travaillent à la planification en cas de pandémie en sont conscients et s'efforcent de trouver des solutions. Avec un brin d'ingéniosité, de temps et de financement accru, ils y arriveront. La première lacune, le manque de capacité de dépistage rapide, et la dernière, le sous-financement, pourraient facilement être comblées. Toutefois, la deuxième, à savoir comment prendre soin de dizaines de milliers de nouveaux malades chaque semaine, exigera plus d'efforts, parce qu'elle résulte d'une divergence de vues entre les autorités de la santé publique et les fournisseurs de soins primaires.

En résumé, sommes-nous prêts à faire face à une pandémie d'influenza? Nous avons une bonne fondation, nous avons même une ébauche de plan, mais la construction n'est pas achevée. Il reste beaucoup de points importants à régler et, en fin de compte, il s'agit d'une course contre la montre.

Le vice-président : Je vous remercie beaucoup. Je vous avoue franchement que cette déclaration est loin d'être rassurante.

Dr Roy West, épidémiologiste, Université Memorial, témoignage à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole ici aujourd'hui. Je suis un professionnel de la santé publique au Canada depuis 1969. De plus, je faisais partie de l'équipe de Santé Canada en 1976, durant l'épisode de la grippe porcine. C'est moi qui étais en charge du programme national de surveillance de l'influenza cette année-là.

J'ai rédigé un mémoire que vous avez reçu, je crois, et dans lequel je discute d'importantes questions de préparation, d'activités qui peuvent nuire à la santé publique et, ensuite, des leçons tirées du passé.

En ce qui concerne les importantes questions de préparation, nous avons entendu la Dre King affirmer que le Canada dispose d'un plan de lutte plutôt bien conçu, mais je suis d'accord avec la Dre Huston pour dire que le défi se poserait au moment d'intervenir, s'il y avait une pandémie, surtout sur le terrain où, dans bien des régions du pays, le système de santé publique n'a pas la capacité voulue.

Comme je suis un scientifique, j'aimerais aborder avec vous des questions scientifiques. Les principales sont l'efficacité et la rentabilité des stratégies élaborées pour faire face à une pandémie. Les sujets les plus discutés sont la prévention de la contagion grâce à la vaccination et la modification de l'évolution de la maladie à l'aide d'un agent pharmaceutique ou d'un antibiotique.

Dans le cas de la grippe de type A, la preuve de l'efficacité et de la rentabilité de ces stratégies n'est pas établie, surtout dans le contexte d'une pandémie. La plupart des preuves scientifiques viennent d'études effectuées durant des années d'activité grippale endémique, de sorte qu'une pandémie pourrait créer des conditions qui en affecteraient l'efficacité. Je vous avoue franchement que, dans le monde réel, nous disposons de très peu pour en évaluer l'efficacité.

Je vous ai fourni des notes sur la production de vaccins. Vous avez aussi entendu la Dre King à ce sujet. Le gouvernement du Canada mérite des félicitations pour avoir investi dans un modèle de production de vaccin qui va au-delà du simple investissement visant à améliorer la production. Le modèle inclut toutes les étapes du processus jusqu'à l'homologation par Santé Canada du vaccin et sa distribution d'un bout à l'autre du pays.

Pour ce qui est du stockage d'agents thérapeutiques, je répète que l'efficacité réelle du Tamiflu n'a pas été établie dans un cadre pandémique. En fait, certaines stratégies dont nous discutons pour modifier l'impact de la maladie pourraient bien s'avérer insuffisantes lors d'une véritable pandémie.

La surveillance est vitale, et nous avons en place des programmes permanents de surveillance. J'ai en quelque sorte un parti pris à cet égard. J'estime que nous devons continuer de rendre notre programme de surveillance plus sensible et ciblé. La Dre Huston vous a parlé des deux aspects. À mon avis, au début, il faudra peut-être appliquer des stratégies qui ne sont pas adaptées à un virus particulier. Elles repéreront les cas de maladie respiratoire fébrile aiguë, mais il faudra les confirmer au moyen d'analyses en laboratoire et ainsi de suite, ce qui prend du temps.

Donc, des activités de surveillance permanentes sont en cours, et l'Agence de la santé publique du Canada en représente un noyau important.

Quant à l'exécution de programmes, le rapport Naylor a parlé du manque de capacité en santé publique au Canada. C'est le principal enjeu selon moi, plutôt que de mettre en place plus de personnel pour faire face à une pandémie qui pourrait ne jamais se matérialiser. Nous sommes tous convaincus que pandémie il y aura, mais, si nous n'y prenons garde, les gouvernements investiront des ressources pour faire face à une éventualité précise quand il vaudrait bien mieux renforcer la capacité du système de santé publique sur le terrain, d'un bout à l'autre du pays. Ce renforcement fait appel aux gouvernements provinciaux et territoriaux, ce dont vous parlera vraisemblablement le Dr Kettner. Nous risquons de déséquilibrer le système de santé publique si nous consacrons trop d'efforts à la préparation en cas de pandémie, au détriment d'autres problèmes de santé publique.

Mon mémoire inclut une section consacrée aux activités qui nuisent à la santé publique. J'ai la conviction personnelle qu'une partie des préoccupations suscitées au sein de la population actuellement nuit à la santé publique. Sont comprises dans ces activités les prédictions de pandémie imminente, de la souche virale en cause et du nombre de décès. Il est impossible de le savoir d'avance. Les expressions alarmantes utilisées n'aident pas, non plus. Nous entendons rarement parler de la grippe aviaire sans qu'on y ajoute le qualificatif « mortelle ». Il existe bien d'autres risques en matière de santé publique qui sont beaucoup plus mortels que la grippe aviaire. Donc, le langage utilisé n'aide pas.

Nous avons tiré des leçons du passé. Le Canada a vécu deux grands épisodes pandémiques, soit celui de la grippe asiatique de 1957 et un autre en 1968-1969. Toutefois, la pandémie de grippe asiatique fut la dernière fois que l'antigène H et l'antigène N du virus grippal ont muté en même temps. Certains croient que, si une pareille mutation se reproduisait, elle pourrait accroître la virulence de l'organisme.

J'ai travaillé à McGill aux côtés de Corbett McDonald, qui a dans les années 1960 cherché à mesurer l'impact de l'influenza. Vous trouverez dans le mémoire certaines données de la pandémie de 1957 qu'il a étudiées en rétrospective. D'après ces données, le nombre de décès supplémentaires recule quelque peu quand on tient compte des endémies qui sévissent constamment. Quand on dit que tant de personnes pourraient être hospitalisées et mourir, on a tendance à citer le nombre total, sans tenir compte du fait qu'il y aura quand même des morts et des hospitalisations en l'absence d'une pandémie.

La seule éclosion de grippe asiatique a eu lieu en 1957 et elle a commencé au début de septembre. Nous avons toujours prévu nos programmes de vaccination contre l'influenza en octobre. Si le virus commence à se propager en Asie au printemps, ce qu'il a tendance à faire, nous ne disposons pas forcément d'autant de temps que nous le croyons pour produire le vaccin si l'on se fie au phénomène de 1957, en ce sens qu'une pandémie peut se déclarer au Canada dès le début de septembre.

Si l'on se reporte à l'épisode de grippe porcine, un important facteur est la réaction politique. Le principe d'une vaccination universelle est noble, mais il me rend un peu nerveux. En effet, je ne crois pas que nous serons capables de produire suffisamment de vaccins à cette fin durant la première année d'éclosion. Pour la deuxième et la troisième, oui, ce serait possible. Si le public a des attentes trop élevées en ce qui concerne la vaccination et que nous devons nous en remettre à une stratégie du risque élevé, comme c'est le cas dans le plan en cas de pandémie — l'ordre dans lequel le vaccin serait offert —, nous aurons peut-être créé des problèmes pour nos travailleurs de première ligne. J'ai affirmé que les équipes de soins primaires n'ont pas la capacité voulue, mais si on tente d'organiser des cliniques de vaccination pour des groupes précis de personnes, alors que le public estime que tous devraient y avoir droit, ce sera au travailleur de première ligne d'annoncer aux exclus qu'ils ne peuvent être vaccinés parce qu'ils ne font pas partie d'un groupe à risque élevé. J'aimerais donc qu'on parle un peu moins de vaccination universelle.

J'aimerais également dire que quelles que soient les stratégies que nous évoquons, il faut savoir que ces agents, qu'il s'agisse d'un vaccin ou du médicament Tamiflu, présentent des inconvénients. Nous n'entendons pas beaucoup parler des inconvénients; or, lors de l'épidémie de grippe porcine en 1976, un rapport très clair a été établi entre le vaccin et le syndrome Guillain-Barré, trouble neurologique que l'on a retrouvé chez des habitants des États-Unis. Le risque est faible puisqu'il vise une dose de vaccin sur 100 000 environ, mais il existe bel et bien.

Par ailleurs, dans le cas d'un médicament utilisé à grande échelle, nous décelons dans les essais cliniques les réactions fréquentes, peut-être moins graves, mais nous ne décelons pas les réactions graves. Des questions ont surgi au Japon — qui ont peut-être été réglées — au sujet du Tamiflu et d'éventuels effets secondaires défavorables, mais il faut se rappeler que tout ce que nous utilisons peut présenter des inconvénients. Je ne dis pas que c'est une raison suffisante pour mettre de côté les vaccins, mais nous devons pouvoir régler tout problème s'y rapportant.

Lorsque le syndrome Guillain-Barré est apparu dans le programme de vaccination des États-Unis en 1976, ce pays a dû mettre un terme au programme jusqu'à ce que le problème soit réglé.

C'est ainsi que se terminent mes observations et j'espère qu'elles sont un peu plus claires dans mon mémoire. À la fin de mon mémoire, j'ai essayé de donner des conclusions pour la gouverne de votre comité.

Dr Joel Kettner, directeur de la santé publique, Santé Manitoba : Merci de me donner la possibilité de parler à cette séance. Comme je suis le dernier intervenant, j'ai l'avantage d'avoir entendu le point de vue de chacun, mais au lieu de réagir à ce qu'ont dit les autres, je vais essayer de m'en tenir à ce que j'ai préparé et vous faire l'exposé que j'ai prévu, même si je vais l'abréger pour des raisons de temps. Peut-être pourrons-nous lancer un débat sur les questions importantes qui ont été soulevées.

J'aimerais commencer par vous dire ce que je fais au Manitoba. Je suis l'administrateur en chef de la santé publique dans cette province. Je tiens également à dire clairement que je ne représente pas ici mon gouvernement provincial, ni non plus les autres administrateurs en chef de la santé publique d'autres provinces. Je donne mes propres points de vue et ma propre perspective sur notre état de préparation en cas de pandémie de grippe.

Si je voulais que vous reteniez un point de mon exposé, je vous le dirais tout de suite au cas où il n'apparaîtrait pas dans la version résumée que vous allez recevoir. J'aimerais que l'on ait une vision équilibrée de ce problème et qu'on considère toutes les questions le plus objectivement possible.

Je ne suis pas spécialiste des maladies infectieuses et mon travail dans le domaine de la santé publique est très général. J'ai pour mission de mettre en contexte tous les problèmes de santé publique, de les pondérer et d'essayer d'influencer notre système de santé et notre système social afin de régler toutes les questions sous un angle qui, nous l'espérons, améliore la santé de tous les habitants de ma province tout en effaçant les inégalités qui les séparent.

Une pandémie de grippe est un problème de taille dont l'analyse la plus complète et la plus complexe possible met en évidence toutes les questions sur lesquelles il faut nous pencher en matière de prévention des maladies et de promotion de la santé. À cet égard, je suis heureux de voir que vous vous en occupez et que nous avons la possibilité ici d'en discuter.

Il faudrait se demander comment idéalement se préparer le mieux possible à une pandémie de grippe et considérer cette question à part de tout ce que nous faisons dans le domaine de la santé publique; il ne fait aucun doute que l'on n'arriverait pas à une solution parfaite. Nous n'aurons pas de médicament antiviral pour tout le monde, que ce soit pour un traitement ou pour faire de la prévention. Nous n'aurons pas un vaccin qui sera parfaitement efficace pour tout le monde, suffisamment tôt avant une pandémie de grippe au Canada. Nous n'aurons pas un système de soins primaires ou un système hospitalier susceptible d'assurer le traitement complet et parfait de tout un chacun.

Bien sûr, dans l'analyse complexe de tous les facteurs, il faut véritablement s'assurer que l'on continue à progresser non pas uniquement vers la planification et la préparation en cas de pandémie de grippe en particulier, mais aussi de manière à réagir à toutes les menaces auxquelles nous sommes confrontés dans le domaine de la santé publique et de la santé humaine. La plupart d'entre elles se manifestent déjà aujourd'hui. Nous savons de quoi il s'agit et nous en connaissons la morbidité et la mortalité. Dans de nombreux cas, nous savons comment les prévenir ou comment les traiter, qu'il s'agisse du cancer, des maladies cardiaques ou d'autres maladies infectieuses comme la tuberculose, le sida, les accidents, etc. Il ne faut absolument pas oublier que notre système doit être solide pour réagir à tous ces problèmes.

Par ailleurs, contrairement à la plupart des urgences auxquelles nous sommes confrontés, comme les inondations et les incendies de forêt, ou d'autres conditions climatiques extrêmes qui sont locales et brèves, une pandémie de grippe a l'impact potentiel de nous toucher à l'échelle du pays et pour plus longtemps. Ce qui est différent, c'est que même si nous voulons diminuer le nombre de blessures et de décès qui découlent de toutes les urgences, dans le cas qui nous intéresse, la maladie et la mort ne sont pas seulement la cause du problème, mais son résultat. C'est la raison pour laquelle, lorsque nous parlons de notre plan de lutte contre une telle pandémie, nous parlons non seulement de diminuer la morbidité et la mortalité, mais aussi de minimiser les répercussions sociales. Bien sûr, tout cela est relié. Si nous semons la panique à propos de la pandémie de grippe qui nous empêcherait de fournir des services essentiels et de répondre aux besoins fondamentaux de la société, que ce soit au niveau de la santé ou de l'alimentation, du chauffage et de tous les autres services essentiels, nous risquons alors de finir par — et le Dr West a parlé du préjudice potentiel — créer encore plus de perturbations que nécessaire.

Je vais résumer en disant que nous devrions envisager notre état de préparation sous quatre angles. Il y a l'état de préparation de la population elle-même et c'est ce dont nous nous occupons constamment au chapitre de l'amélioration de la santé de notre population; notre résilience, mais aussi les connaissances et l'attitude de tous à propos de la santé optimale. Le deuxième niveau consiste à préparer tous les secteurs qui se trouvent à l'extérieur du système de santé et qui ont un effet sur la santé, soit tous les secteurs du gouvernement et les organisations non gouvernementales, ainsi que le système général de préparation en cas d'urgence.

Il faut aussi penser à la préparation et au renforcement des capacités de notre système de santé que nous pourrions alors appliquer au niveau du système de santé publique. On a déjà dit que le renforcement des capacités de notre système de santé publique est la fonction générale la plus importante à laquelle nous devons prêter attention si nous voulons nous préparer à une pandémie.

Il reste encore beaucoup de progrès à faire dans le système de soins de santé au niveau des soins primaires et à tous les niveaux afin de pouvoir répondre aux genres de problèmes que créerait une pandémie, en plus des problèmes de tous les jours.

De grandes réalisations ont été faites dans tous ces domaines, mais les besoins et les occasions de renforcement sont constants.

Au premier niveau d'état de préparation de la population, nous comprenons maintenant l'importance d'une stratégie de vie saine. Il ne s'agit pas uniquement d'apprendre aux gens comment manger plus sainement ou être plus actifs physiquement, mais il s'agit aussi de s'intéresser aux déterminants sous-jacents de la santé et de l'environnement. Par ailleurs, les gens ont conscience de l'importance de leur santé mentale et de la motivation qu'ils doivent avoir pour s'occuper d'eux-mêmes et de leur famille.

Au deuxième niveau, d'autres secteurs doivent travailler de concert avec le système de santé. Le fait que nous en comprenons davantage l'importance, vu que nos stratégies en matière de santé de la population et la compréhension des déterminants de la santé dépassent le système de santé lui-même et la capacité de dispenser des médicaments ou des soins à l'hôpital.

On a déjà beaucoup parlé de l'état de préparation d'urgence et de la nécessité de planifier la continuité des opérations, si bien que je ne vais pas en dire davantage. Par ailleurs, il est important de renforcer le système de santé publique et l'état de préparation de ce système. Peut-être pourrons-nous nous pencher sur ces détails au cours de la période de discussion.

J'aimerais insister sur la nécessité de faire davantage de recherches en matière de santé publique, sur la nécessité aussi d'un système de surveillance plus solide, de meilleures ressources humaines dans le domaine de la santé publique, du renforcement de nos moyens de communication avec le public et avec nos partenaires afin que ce travail se fasse en collaboration et à tous les niveaux. Il faut faire en sorte que ce qui se passe au niveau local cadre avec ce qui se passe aux niveaux provincial, fédéral et international. Le Canada doit et peut jouer un rôle en tant que membre d'un système international visant à protéger la santé de tous, malgré les différences de capacités dans le monde.

Pour gagner du temps, je vais résumer en disant que nous devons parvenir à un équilibre en ce qui concerne l'état de préparation à une pandémie de grippe. D'une part, nous ne voulons pas être trop satisfaits de nous-mêmes. D'autre part, nous ne voulons pas faire peur ni exagérer un problème prévu en faisant des prédictions et en perdant de vue les problèmes réels que nous vivons chaque jour.

Nous devons parvenir à un équilibre, par conséquent, planifier pour l'avenir tout en réglant les questions qui se posent aujourd'hui. Nous devons parvenir à un équilibre entre nos priorités en matière de santé publique au sein du système public tout en faisant ce qu'il faut pour nous occuper de notre travail au sein du système et tout en favorisant la collaboration avec les autres. Je vais revenir sur ce point si vous souhaitez une réponse plus claire par la suite.

Le vice-président : Il est extrêmement intéressant à mon âge fort avancé de jeter un coup d'œil sur l'évolution de la situation. Je me souviens du moment où le sida est apparu pour la première fois. Ce n'était pas vraiment un problème. C'était simplement un fait.

À l'audience tenue avec le Conseil de recherches médicales et la société royale dont je faisais partie à ce moment-là, plusieurs intervenants pensaient que le sida ne serait pas un problème. Ils pensaient que le virus n'était pas virulent et qu'il faudrait vraiment faire de gros efforts pour devenir infecté. Regardez où nous en sommes aujourd'hui. On ne sait jamais à quoi s'en tenir.

La Dre King a dit quelque chose de semblable et c'est la raison pour laquelle j'y reviens. Je ne veux absolument pas dire que ce que vous dites n'est pas scientifiquement exact, car je sais que c'est le cas. Il est intéressant que cette analogie me soit venue à l'esprit.

Deuxièmement, je crois que nous reconnaissons tous que la création de l'Agence de santé publique Canada est l'une des meilleures décisions prises dans notre pays. Nous pouvons nous attendre à d'énormes progrès grâce à cette agence.

Toutefois, au cours de toutes les audiences que nous tenons depuis cinq ans à propos de nos deux rapports, le rapport général de 2002 et le rapport sur la santé mentale aujourd'hui, un thème continue d'apparaître constamment : le manque de ressources sur le terrain. Je veux parler de l'écart entre les soins primaires et la santé publique, l'écart entre les soins primaires et le secteur public, ainsi que le manque d'établissements de soins primaires chargés de s'occuper de presque n'importe quel problème de santé. Pourtant, nous ne donnons pas aux médecins, infirmières et autres travailleurs de la santé des soins primaires l'attention qu'ils méritent.

Ayant travaillé comme spécialiste, il était facile de susciter l'attention. Toutefois, les médecins de soins primaires ont beaucoup de mal à susciter l'attention, tout comme les agents de la santé publique.

Avant d'aller plus loin, j'aimerais que vous confirmiez où infirmiez qu'il s'agit, d'après ce que je vois et ce que j'entends, du principal problème que nous aurons si nous sommes confrontés à une véritable crise en matière de santé. Nous allons entendre les intervenants dans l'ordre. Pouvez-vous prendre la parole en premier lieu, docteure Bossé? Nous entendrons ensuite la Dre King et les autres.

Dre Bossé : Je vais céder la parole à mon collègue de la santé publique, car je suis spécialisée en santé animale. J'ai le privilège de travailler en étroite collaboration avec la santé publique, mais je ne peux pas répondre à cette question sous l'angle de la santé publique.

Dre King : Oui, je crois que le problème se rapporte aux capacités en matière de santé publique. Il s'agit des capacités en matière de santé publique à l'échelle du système — aux plans local, provincial et fédéral — qui permettraient de prendre les mesures qui s'imposent. Nous reconnaissons qu'il s'agit également d'une priorité pour l'Agence de santé publique du Canada.

Je n'ai pas parlé des priorités, de notre point de vue, dans la perspective de l'Agence de santé publique du Canada. La surveillance et le développement des capacités arriveraient en tête de notre liste.

Il nous faut un système de santé publique solide pour régler les problèmes quotidiens et faire face à toutes les urgences qui peuvent survenir, comme une pandémie de grippe.

Un système de santé solide nous permettra d'assurer la surveillance, dont nous aurons besoin au cours d'une pandémie. La Dre Huston l'a souligné. Cela nous permettrait de faire l'enquête requise dès le début d'une pandémie afin d'en définir les caractéristiques ainsi que le comportement du virus au départ. Nous aurons besoin de ces capacités de santé publique pour dispenser les vaccins antiviraux et surveiller l'utilisation de ces médicaments, comme le Dr West l'a si bien fait remarquer.

Nous avons besoin de ces compétences chaque jour et nous en aurons besoin davantage en cas de pandémie. Nous reconnaissons que c'est un défi pour tout le système et pour nous; construire et renforcer le système de soins de santé est la priorité numéro un.

Le vice-président : Puis-je vous demander d'aller un peu plus loin? Par exemple, je sais qu'à Ottawa, où je vis depuis presque toujours, la santé publique relève de la municipalité. Les ressources dont on a besoin se retrouvent dans les milieux des soins primaires et il n'y a pas de lien entre la municipalité et ces milieux-là. Je ne sais pas quel mécanisme pourrait être mis en place pour que l'agent de santé publique soit plus en mesure d'établir ce lien.

Avez-vous des idées à ce sujet?

Dre King : Il est important de favoriser les occasions de communication et de collaboration au niveau local. La collaboration se produit en général dans les systèmes de santé publique non régionaux au niveau des comités de prévention des infections, où les milieux de la santé publique et des soins primaires essayent de se réunir régulièrement localement.

Dans les systèmes de santé régionaux, tous les secteurs du service de santé relèvent d'un secteur régional — d'une administration régionale dans certains territoires et provinces. Il existe divers modèles qui permettent la collaboration, dont certains peuvent être plus naturels que d'autres. Dans les systèmes de santé où les secteurs sont distincts, il faut susciter de telles possibilités.

Nous envisageons de le faire afin que les gens puissent se réunir plus facilement. Nous savons qu'une meilleure communication dans les milieux des soins primaires ainsi que l'établissement de ces genres de liens sont importants; nous avons tiré ces leçons de la crise du SRAS.

Dre Huston : Je suis d'accord avec tout ce qu'a dit la Dre King et je dirais que l'on souhaite de plus en plus davantage de collaboration entre les milieux de la santé publique et ceux des soins primaires.

Je sais que le Collège des médecins de famille du Canada et l'Association canadienne de santé publique, par exemple, se sont rencontrés pour déterminer comment faciliter le leadership dans ce sens.

Les mécanismes n'existent pas à l'heure actuelle. C'est une lacune énorme et difficile à combler.

Dr West : De nouveau, je me mets à la place de ceux qui se trouvent à la base. Je conviens avec la présidence que l'agence de santé publique est un grand pas en avant, mais il y a un risque. Plus on fait de planification à un niveau élevé, plus les travailleurs à la base paniquent devant toutes les directives qui leur tombent dessus.

Il ne faudrait pas consacrer une si forte proportion de nos ressources au traitement. L'éventail des soins de santé est vaste et va de la prévention jusqu'aux soins palliatifs; au fil des ans, les ressources ont fait défaut à cet égard. Nous parlons de la prévention et de la santé publique aujourd'hui, mais il faudrait parvenir à un équilibre général entre tous les facteurs en cause.

Le vice-président : Docteur Kettner, vous pourriez peut-être faire des observations utiles à ce sujet, puisque vous l'envisagez dans la perspective d'une province organisée.

Dr Kettner : Je suis sûr que les perspectives de collaboration dont nous discutons varient d'une région à l'autre du pays.

Au Manitoba, où le système de santé est régionalisé, les régies régionales de santé s'occupent de santé publique en plus d'assurer évidemment les autres services de soins de santé prévus dans le système. Dans ce sens, les perspectives de collaboration et d'intégration sont peut-être un peu plus facile.

Cela dit, il y a encore des problèmes. Par exemple, au Manitoba, la plupart des médecins de première ligne sont payés à l'acte directement par le gouvernement provincial; ce ne sont pas des employés des régies régionales de santé et ils ne relèvent pas d'elles. Il n'en est pas ainsi pour tous les médecins, mais la plupart d'entre eux.

Sauf dans le cas des centres de santé communautaire où les médecins de première ligne sont salariés et font partie d'une équipe de fournisseurs de soins, nous fonctionnons encore, à bien des égards, selon les anciens modèles de prestation de soins de santé qui sont remis en question depuis des décennies maintenant.

En plus de confirmer ce qu'on a dit sur le fait qu'on reconnaît de plus en plus qu'il faut intégrer la santé publique et les soins de première ligne et mettre plus l'accent sur la prévention que le traitement, sans pour autant minimiser l'importance des traitements, je crois que les planètes s'alignent pour que les choses s'améliorent. Nous commençons à le remarquer et je suis plus optimiste maintenant.

Si nous sommes sages, nous allons profiter de la planification des mesures en cas de pandémie pour accélérer cette intégration, ce qui sera avantageux pour nous sur tous les plans, même s'il n'y pas de pandémie avant longtemps ou s'il y en a une qui s'avère beaucoup moins grave que ce que certains craignaient. C'est un aspect crucial de notre travail de planification à ce sujet.

Le vice-président : À la suite de l'épidémie de SRAS, trois comités importants ont été créés, si je ne m'abuse, et j'ai fait partie de deux entre eux. J'ai alors été frappé de constater que seules les ressources médicales hospitalières avaient été mobilisées alors que, comme Mme Huston vient de le faire remarquer, il n'y aura probablement pas un patient sur cent qui aura besoin de ressources hospitalières. Les patients auront besoin des ressources de proximité, et nous n'en tenons pas compte dans nos plans.

Dr Kettner : Selon la pyramide des soins de santé qui est encore la même, si on retrouve les traitements au sommet, ce sont la majorité des activités courantes liées à la prévention et aux soins de première ligne qui se retrouvent à la base. Ces activités mobilisent les médecins et les praticiens en santé publique, mais aussi les services de proximité et toutes sortes d'autres éléments, comme l'éducation ainsi que la santé et la sécurité au travail, qui ont une incidence sur notre santé tous les jours.

Je ne veux surtout pas laisser croire que les médecins de première ligne empêchent une meilleure intégration. Je dirais qu'ils ne sont pas les seuls à ne pas avoir créé les liens nécessaires. La responsabilité est partagée à ce sujet, et renforcer les services de proximité, pas seulement pour les soins de santé mais aussi pour l'ensemble des services sociaux, reste pour moi, sur le plan de la santé publique, notre priorité absolue.

Le vice-président : Il n'y a pas de doute à ce sujet, d'après les témoignages que nous avons entendus. Les médecins de première ligne font de l'excellent travail, mais ils ne reçoivent pas l'aide qu'il faudrait.

Le sénateur Callbeck : Toujours à propos de la capacité des services de santé publique, à Ottawa, docteure Huston, vous avez dit que beaucoup de mesures étaient en veilleuse parce que vous ne saviez pas où se trouve l'argent. Est-ce qu'on travaille toujours à ces mesures ou si on peut dire que vous attendez de savoir qui va vous financer avant d'y donner suite?

Dre Huston : Il y a plusieurs projets en cours qui s'échelonnent sur trois phases. Nous en sommes à la phase un. Nous préparons la phase deux et la phase trois est en attente. Nous y allons étape par étape.

Le sénateur Callbeck : Je sais que le temps est compté, mais j'ai plusieurs questions à poser à la Dre King. Pour ce qui est des antiviraux, vous avez indiqué que nous en avons 35 millions de doses actuellement. Avez-vous dit que nous en avions commandé 35 millions ou 5 millions?

Dre King : Il y a 35 millions de doses dans l'ensemble du pays et 5 millions ont été commandées par les provinces et les territoires.

Le sénateur Callbeck : Qui détermine la quantité que nous devrions avoir?

Dre King : C'est une importante question. Le Comité de la grippe pandémique fournit des conseils concernant la réserve d'antiviraux à constituer, la composition des antiviraux et la façon de les utiliser — c'est-à-dire à quels groupes cibles les administrer.

En mars 2004, on s'était fixé comme objectif de stocker 16 millions de doses, dont les coûts ont été partagés entre le gouvernement fédéral et les provinces et les territoires à raison de 60 et 40 p. 100. Depuis, les provinces et les territoires ont acheté des doses supplémentaires. Le Comité de la grippe pandémique discute actuellement de la quantité optimale qu'on devrait avoir en réserve — il ne s'est pas encore prononcé là-dessus — et de la composition des antiviraux. Par exemple, comme l'utilisation de comprimés pour tout le monde suscite des craintes, nous songeons à nous procurer l'antiviral Oseltamivir qui se présente sous forme liquide ainsi que le Zanamivir qui est un inhalateur. Il y aurait différentes possibilités.

Il reste qu'on n'a pas encore déterminé de façon définitive quelle serait la réserve optimale, et il y a encore des discussion à ce sujet à tous les ordres de gouvernement.

Le sénateur Callbeck : Le délai d'attente est-il long une fois que la commande est faite?

Dre King : Tout dépend de la quantité. Actuellement, les listes d'attente sont d'environ un an pour la plupart des antiviraux si la quantité commandée est importante. Il y a une pénurie d'antiviraux dans le moment. Tout le monde en veut et les pays font la file actuellement pour les acheter. Nous savons qu'à Hong Kong en 1997, au moment de la première flambée de grippe aviaire, toutes les doses avaient été achetées et utilisées. Voilà pourquoi il est important de se constituer une réserve et d'établir une stratégie.

Je tiens à souligner que les antiviraux, pour toutes sortes de raisons qui n'ont pas été indiquées, ne sont pas une panacée. Ils constituent un des éléments de solution dans le cadre d'une intervention globale et bien organisée en cas de pandémie. Nous devons déterminer quelles sont nos priorités en matière d'investissement en cas de pandémie. Les antiviraux permettent de répondre de façon spécifique à une pandémie, mais ils ne contribuent pas à accroître notre capacité sur le plan de la santé publique. Nous devons déterminer stratégiquement combien nous voulons dépenser pour l'achat d'antiviraux et combien nous voulons investir dans les autres éléments du système.

Le sénateur Callbeck : Pendant combien de temps peuvent-ils servir? Y a-t-il un délai de conservation?

Dre King : Oui. Ils ont une durée de conservation. L'Oseltamivir, aussi connu sous le nom de Tamiflu et qui est un médicament populaire actuellement, a une durée de conservation d'environ cinq ans, mais nous songeons à étendre sa durée de validité pour qu'il serve le plus longtemps possible. Cependant, sa durée de conservation convenue est de cinq ans.

Le sénateur Cordy : Je veux revenir sur le sujet de la communication et de la transmission d'informations aux intervenants sur le terrain. J'ai fait partie du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense quand il a examiné notre état de préparation et le Bureau de la protection des infrastructures essentielles et de la protection civile.

Les responsables à Ottawa nous disaient que tout allait bien. Pourtant, quand nous avons demandé aux provinces si elles savaient où les réserves se trouvaient, la plupart nous ont dit qu'elles l'ignoraient. Les membres du comité sont allés visiter un entrepôt et ils ont constaté que les fournitures étaient périmées et détériorées. Parfois, au niveau national, nous pensons que tout va bien, mais ce n'est pas nécessairement le cas au niveau local. Est-ce que les informations, les plans sont transmis aux régies de santé dans les provinces?

Dr West : J'ai justement discuté de cela avec un médecin hygiéniste de la région de St. John's avant de partir. L'information doit être transmise non seulement à la régie régionale, mais aussi aux travailleurs de première ligne. Pour lui, c'était là le principal enjeu. Les responsables des régies régionales commencent à obtenir les informations, mais ils doivent aussi les communiquer aux travailleurs de première ligne.

Le sénateur Cordy : C'est le plus important.

Savons-nous qui va diriger les opérations? C'est formidable d'avoir un plan, mais savons-nous qui tient la barre et qui va être responsable? Est-ce au niveau local, au niveau provincial, ou est-ce que cela dépend de la situation? A-t-on pris une décision à ce sujet?

Dre King : Dans l'éventualité d'une urgence nationale comme une pandémie, l'intervention gouvernementale dans son ensemble sera coordonnée par Sécurité publique et Protection civile Canada ainsi que par la vice-première ministre. Voilà pour ce qui est de la coordination. Les questions de santé seront prises en main par le ministre de la Santé et l'administrateur en chef de la santé publique. L'administrateur et son personnel, dont je fais partie, vont fournir des conseils techniques au ministre de la Santé et à l'ensemble de l'administration publique sur les questions de santé.

Dr Kettner : Il y a un principe qui demeure important dans notre planification au Manitoba, et je dirais probablement dans l'ensemble du pays, et c'est celui qui veut qu'un bon plan d'urgence doit tenir compte, dans toute la mesure du possible, de la façon dont on fonctionne habituellement, parce qu'on ne veut surtout pas tout chambarder en cas de pandémie et se retrouver tout à coup avec des responsables différents. C'est une question d'équilibre, à mon avis, entre toutes les tâches et les responsabilités habituelles du système de santé, qui est déjà complexe aujourd'hui sans pandémie. Quelle est la responsabilité au niveau régional? Quelle est la responsabilité du médecin? Quelle est la responsabilité de la province? Comment travaillons-nous ensemble, verticalement et horizontalement? Nous devons, d'une part, continuer de faire fonctionner le système du mieux possible et, d'autre part, prévoir la coordination nécessaire pour assurer la cohérence et l'efficacité du travail.

Quand je dis que les planètes semblent s'aligner pour que les choses s'améliorent, il y en a de bons exemples qui ont déjà été signalés par le sénateur Keon à propos de l'Agence de santé publique du Canada. Nous avons aussi un Réseau de santé publique pancanadien aujourd'hui, dont le conseil est composé de représentants fédéraux, provinciaux et territoriaux qui sont chargés de surveiller beaucoup mesures de santé publique au niveau national. Par conséquent, nous avons les moyens d'être plus cohérents et plus efficaces, de sorte que quelqu'un dans une province n'aura pas besoin de réinventer la roue si les choses existent ailleurs au pays. C'est mon rôle, au niveau provincial, d'assurer l'intégration au niveau régional et local. Nous avons un rôle à jouer là-dedans. Avec une bonne planification et une bonne intervention, nous allons mettre à profit les systèmes que nous avons sans les changer plus qu'il ne le faut.

Le vice-président : Je vous préviens que le sénateur Trenholme Counsell est médecin de famille. Méfiez-vous parce qu'elle s'y connaît.

Le sénateur Trenholme Counsell : La discussion a été à la fois intéressante et importante.

J'aimerais d'abord savoir comment la maladie est transmise. Est-ce par les voies respiratoires?

Dre Bossé : Elle se transmet par gouttelettes.

Le sénateur Trenholme Counsell : Par gouttelettes.

Ensuite, étant donné que quelques décès ont été signalés en Extrême-Orient, faites-vous des prévisions, réalistes ou non, sur le rythme avec lequel la maladie va se propager? On sait qu'elle va progresser d'est en ouest. Y a-t-il des prévisions faites en connaissance de cause? S'il y en a, ce sont des gens comme vous qui vont les faire.

Dre Bossé : Si on parle de la situation pour les animaux parce que, pour l'instant, c'est surtout une maladie qui touche les animaux, même s'il y a eu quelques cas mortels d'humains infectés, le virus progresse vers l'ouest à travers l'Europe. Il pourrait gagner le sud et les pays d'Afrique, si on peut se prononcer sur ses déplacements, et on considère que la faune est un important facteur de propagation du virus. On exagère cependant le rôle des animaux sauvages. Je ne dis pas qu'ils ne jouent pas un rôle mais, à notre connaissance pour l'instant, aucun oiseau sauvage n'a survécu au virus. Il y en a peut-être quelques-uns. Un oiseau migrateur doit être infecté et, tout en étant porteur, rester en santé pour atteindre l'Amérique du Nord, ou traverser l'Amérique du Sud ou l'Amérique du Nord, selon les voies migratoires qu'il emprunte. À ce stade-ci, on ne sait pas combien de temps un oiseau peut survivre à ce virus mortel et continuer sa migration. Il est certain qu'il y a toujours un risque de transmission involontaire du virus par importation illégale de volailles ou transport de personnes qui ont visité une région touchée. C'est un risque possible pour la santé des animaux. Pour ce qui est de la santé publique, je pourrais laisser mes collègues vous répondre mais, pour qu'il y ait pandémie, tout dépendra du lieu d'origine de la maladie.

Le sénateur Trenholme Counsell : Sans parler de pandémie, il y a eu trois décès en Extrême-Orient causés par la grippe aviaire.

Dre King : Il y a eu plus de 60 décès.

Le sénateur Trenholme Counsell : Récemment, il y en a eu 60?

Dre King : Oui, depuis deux ans maintenant.

Le sénateur Trenholme Counsell : La maladie s'est-elle transmise d'un humain à un autre?

Dre King : Non.

Le sénateur Trenholme Counsell : Il n'y a encore aucune preuve de transmission d'un humain à un autre. En ce qui vous concerne, ce sont des cas isolés?

Dre King : Oui. Je veux insister sur le fait qu'il est difficile de contracter la grippe aviaire. Les cas de transmission chez l'humain sont le résultat de contacts étroits et soutenus avec des volailles ou le milieu où elles vivent. Dans certains cas, la maladie s'est transmise à la suite de la consommation de produits de volaille crus comme du sang de canard ou de contacts étroits avec la salive des coqs de combat — donc, il faut vraiment un contact intime. Voilà pourquoi, pour prévenir la grippe aviaire chez l'homme, chez les Canadiens, nous donnons des avis aux voyageurs dans notre site Web et nous recommandons aux gens d'éviter d'entrer en contact, si possible, avec des volailles domestiques et d'aller dans des marchés d'animaux vivants, où le risque d'attraper la grippe aviaire est accru.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous avez parlé de produits crus du canard?

Dre King : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce que la maladie peut se transmettre à l'homme de cette façon? Voilà pourquoi j'ai posé la question au départ.

Dre King : C'est effectivement une importante question. La grippe se transmet habituellement par les voies respiratoires, par gouttelettes. Il y a peut-être un élément d'inhalation. On ne croit pas que ceux qui ont bu du sang de canard l'aient attrapé par voie gastrique. C'est probablement encore à la suite d'une inhalation que la maladie s'est transmise.

J'ai donné ces exemples pour bien montrer que la transmission de la grippe aviaire nécessite un contact intime et soutenu avec les oiseaux infectés.

Le sénateur Trenholme Counsell : Les experts ne parlent pas d'une année ou même de cinq ans. Ce n'est indiqué par aucun expert.

Dre King : Nous ne le savons pas. Non seulement nous ne savons pas quand un souche pandémique va surgir, mais nous ne savons pas non plus laquelle ce sera. Nous ne savons pas si ce sera la souche H5N1 ou une autre complètement différente.

Le vice-président : Malheureusement, nous devons quitter la salle. L'autre comité frappe à la porte. Nous avons dépassé de cinq minutes le temps qui nous est accordé. Je veux remercier tout le monde. Je signale aux témoins qu'ils sont chanceux, d'une certaine façon, parce que les sénateurs Cochrane et Cook qui n'ont pas eu l'occasion de poser des questions viennent toutes les deux de Terre-Neuve.

Le sénateur Cook : J'ai une brève question à poser. Y a-t-il une solution raisonnable à ce que nous voyons aux nouvelles nationales tous les soirs alors que des dizaines de poulets et de canards sont mis dans des sacs, ce qui fait peur au grand public? Y a-t-il quelque chose que nous pouvons faire pour que les gens ne meurent pas de peur avant de mourir de la grippe?

Dre Bossé : À chaque occasion, le gouvernement fédéral ou les experts doivent indiquer aux médias que ce n'est pas un problème de santé humaine. Nous essayons bien de le faire, mais vous connaissez les médias.

Le sénateur Cochrane : Ce n'est pas ce que l'on voit, cependant; on voit seulement des poulets se faire mettre dans des sacs. Merci.

La séance est levée.


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