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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 18 - Témoignages - Séance du matin


DIEPPE, le vendredi 22 avril 2005

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 8 pour étudier l'état actuel des industries de médias canadiens; les tendances et les développements émergeants au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures pertinentes à ces industries.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : J'aimerais mentionner l'apport extraordinaire de nos témoins de Moncton ainsi que la fidélité des membres du public. On disait hier qu'il y avait plus de membres du public à Vancouver qu'ici, par contre, per capita, c'est beaucoup plus impressionnant à Moncton.

Honorables sénateurs, bienvenue de nouveau à cette audience du Comité sénatorial des transports et des communications, à Dieppe. Nous continuons nos audiences au sujet de notre étude sur l'état des industries de médias canadiens.

[Traduction]

Le comité étudie plus particulièrement le rôle que doit jouer la politique de l'État en ce qui concerne les médias d'information, pour faire en sorte que les médias restent sains, indépendants et diversifiés dans le contexte des changements énormes que l'on a connus ces dernières années, notamment le progrès technologique, la mondialisation, la convergence et une concentration accrue des titres de propriété entre les mêmes mains.

[Français]

Il me fait grand plaisir d'accueillir Mme Marie-Linda Lord, professeure et anciennement directrice du programme en Information-Communications à l'Université de Moncton. Madame Lord fut journaliste à Radio-Canada, et a donc plusieurs points de vue sur le sujet. Madame Lord, bienvenue chez nous.

On vous demande de faire une présentation d'une dizaine de minutes et ensuite on procèdera aux questions. La parole est à vous.

Mme Marie-Linda Lord, professeure, Programme en information-communication, Université de Moncton, à titre personnel : Merci, madame la présidente. Vous avez beaucoup entendu parler de l'empire Irving hier, je vous annonce ce matin que vous allez encore en entendre parler aujourd'hui, parce que tout n'a pas été dit. Tous les témoignages, au cours de ces deux jours à Moncton, ont pour but d'identifier les morceaux de casse-tête que représente ce monopole de presse croissant et inquiétant au Nouveau-Brunswick. J'aimerais d'abord vous entretenir sur les défis des médias acadiens dans ce contexte de monopole de presse, et aussi des défis de la communauté acadienne au niveau de la prise de parole en français dans un contexte qui est minoritaire au Nouveau-Brunswick.

Je veux vous parler de deux réalités médiatiques opposées et différentes, qui se côtoient au Nouveau-Brunswick : la logique capitaliste et la logique communautaire. Cela me fait un grand plaisir d'en parler ce matin parce que plusieurs des présentations d'hier, sauf celle de L'Acadie Nouvelle, parlaient presque exclusivement de la situation des anglophones au Nouveau-Brunswick. Il y a une réalité qu'on ne peut ignorer dans notre province, et c'est celle de la communauté acadienne.

Les deux logiques, capitaliste et logique communautaire, gagnent du terrain et font apparaître un nouveau paysage médiatique, notamment dans l'Acadie du Nouveau-Brunswick. D'une part, il y a la présence accrue du géant entrepreneurial qu'est le Groupe Irving dans la presse écrite acadienne, et d'autre part, le succès populaire sans précédent des radios communautaires de langue française. Les deux caractéristiques apparaissent telle une contradiction.

D'un côté, un empire capitaliste omniprésent contrôle plusieurs secteurs d'activités économiques simultanément. Hier, on l'a entendu à quelques reprises, il existe 300 compagnies qui appartiennent à l'empire Irving au Nouveau- Brunswick, et dans cet empire, on compte la presque totalité de la presse écrite anglophone et une partie non négligeable de la presse écrite francophone, une presse, qui a traditionnellement été engagée pour desservir le tiers de la population qui veut être visible dans l'espace public pour elle-même et par elle- même.

De l'autre côté, on retrouve un réseau de radios communautaires réparti sur le territoire et qui rejoint quotidiennement les trois quarts des francophones de la province et lui donne notamment la parole, ce qui permet à la communauté acadienne de s'entendre pour la toute première fois de son histoire.

Cette situation peut paraître paradoxale pour certains, mais elle s'explique, du moins, en partie. Alors que depuis deux ans l'empire Irving augmente considérablement le nombre de journaux lui appartenant dans la province, le réseau de radios communautaires, pour sa part, grossit lui aussi graduellement. En 1988, on a vu apparaître une première station de radio communautaire, et à la fin de l'année 2005, il y en aura neuf dans toute la province. L'omniprésence d'un empire disposant de moyens financiers inégalés au Nouveau-Brunswick et la grande popularité des radios communautaires disposant de peu de moyens financiers posent donc problème, chacune à leur façon, pour la production journalistique au Nouveau-Brunswick.

L'indépendance de la presse écrite, qui était une source de fierté pour la communauté acadienne, est dorénavant atteinte sérieusement depuis l'augmentation de titres en français dans les journaux appartenant à Irving. On sait que la concentration des médias est un phénomène qui ne cesse de s'étendre partout dans le monde occidental et le Nouveau- Brunswick n'y échappe pas. Je pense que le Nouveau-Brunswick, qui est un territoire géopolitique, connaît l'une des situations les plus prononcée, non seulement de concentration de la presse, mais bien de monopole inégalé sur un territoire géopolitique au Canada. Et quand on parle de monopole, il ne faut jamais oublier tout l'empire entrepreneurial qu'est Irving. Ce n'est pas simplement une question de problème de monopole de presse.

L'empire Irving est maintenant propriétaire de plus des deux tiers des publications existant au Nouveau-Brunswick et la question que l'on peut se poser est la suivante : est-il encore temps pour le Nouveau-Brunswick et l'Acadie de se préoccuper de ce monopole ou la main mise est-elle déjà trop bien assimilée?

Alors que la propriété des journaux semble échapper de plus en plus à la communauté acadienne, cette dernière a agrandi son territoire radiophonique grâce à l'octroi de subventions gouvernementales qui lui permettent de créer un plus grand nombre de radios communautaires. Sur la page d'accueil de son site Internet, l'Association des radios communautaires acadiennes du Nouveau-Brunswick, qu'on appelle l'ARCANB, est fière d'affirmer que les radios communautaires constituent, et je cite « un modèle démocratique de communication », c'est-à-dire que la radio communautaire appartient grâce partiellement au fonds public, à la communauté qui en assure la gestion. Un objectif poursuivi par l'ARCANB est celui d'une revitalisation communautaire qui passe par la légitimation de la langue acadienne dans l'espace public. Or, l'information n'est toutefois pas une priorité pour les radios communautaires.

Entre les deux pôles médiatiques — monopole de presse et radios communautaires au Nouveau-Brunswick — se faufilent bien sûr L'Acadie Nouvelle dont vous avez entendu les représentants hier, ainsi que la radio et la télévision de Radio-Canada Atlantique, qui, dans la livraison de l'information maintiennent le cap sur la cause acadienne.

Un nouveau danger guette toutefois les salles de nouvelles de Radio-Canada Atlantique et de L'Acadie Nouvelle : le manque chronique de relève provenant du milieu. L'empire Irving s'interpose encore une fois. L'Université de Moncton, une institution reconnue comme celle contribuant le plus depuis 40 ans au développement de la communauté acadienne, a accepté en janvier 2005, donc tout récemment, un don d'un million de dollars de l'empire Irving pour la création de la chaire d'études Roméo LeBlanc en journalisme rattachée à son Programme d'information- communication. Donner le nom de Roméo LeBlanc, qui avait été journaliste avant de devenir ministre dans le gouvernement libéral de M. Trudeau et, ensuite, gouverneur général du Canada, honore ainsi une personnalité acadienne respectée mais surtout acadianise la chaire Irving.

Un don similaire a également été versé, vous le savez, on l'a su hier, au programme de journalisme de langue anglaise de l'Université de Saint Thomas de Fredericton, où la chaire porte le nom Irving. Un comité aviseur composé de six personnes, dont un membre de la famille Irving, veillera aux activités financées par les chaires qui disposeront de 45 000 $ chacune par année. On a fait beaucoup la manchette avec le million, mais en fait, il faut vraiment être conscient qu'il s'agit de seulement 45 000 $ par année. Donc, ces 45 000 $ serviront à défrayer les coûts de séjours de professeurs et de journalistes invités dans le but, et je cite « d'améliorer la formation des étudiants ». Qui seront ces invités?

De plus, l'Université de Moncton et l'empire Irving, ainsi que l'Université de Saint-Thomas de son côté, ont également conclu une entente de deux ans, expérimentale, à la suite d'un don de 170 000 $, visant la création de divers stages d'apprentissage et d'internat dans les journaux d'Irving, à l'intention des étudiants et des finissants du programme d'information-communication. De tels protocoles de stage n'existent pas entre l'Université de Moncton et d'autres entreprises médiatiques, que ce soit du milieu ou d'ailleurs. Qu'adviendra-t-il de l'intérêt traditionnel de nos étudiants d'effectuer un stage en milieu professionnel sans rémunération à l'une des salles des nouvelles de Radio- Canada ou de L'Acadie Nouvelle, comme cela a toujours été le cas jusqu'à maintenant, alors qu'ils peuvent dorénavant recevoir un salaire d'au moins 10 $ de l'heure dans l'un des journaux d'Irving.

La compétition est devenue inégale. Grâce à l'argent, Irving est maintenant présent dans les deux programmes universitaires de formation journalistique du Nouveau-Brunswick. Quelle sera la prochaine démarche de l'empire médiatique et entrepreneurial pour étendre davantage sa portée?

L'Acadie devrait se montrer plus vigilante. Elle, qui a une longue expérience dans la lutte contre l'assimilation linguistique, devrait, plus tôt que tard, puiser dans ses réflexes pourtant aguerris afin de lutter contre ce qui semble être une véritable menace d'assimilation journalistique de la presse écrite. Les irréductibles se font de moins en moins nombreux, et vous en avez entendu ceux qui sont tombés au combat hier, et qui sont venus témoigner de cette lutte inégale et insurmontable. La nécessité de surveiller de plus près ce prédateur médiatique est devenue impérative. L'Acadie ne veut sans doute pas être réduite à se lire dans une presse appartenant à l'empire Irving. Ce serait à l'encontre de son projet de société, sans compter tous les effets et dangers qu'un monopole encore plus grand représenterait pour la liberté de la presse, l'autonomie des journalistes, la primauté de l'information, le respect de la notion de service public et la responsabilité sociale en Acadie.

Ailleurs, dans le monde occidental, un cinquième pouvoir est en train de naître : une force civique citoyenne qui se concrétise notamment par la création d'observatoires des médias, regroupant des journalistes professionnels, des universitaires et des citoyens usagers des médias.

En janvier 2003, à Porto Alegre au Brésil, l'Observatoire international des médias mieux connu sous le nom Media Watch Global, a été créé pour s'opposer aux super pouvoirs des grands médias de masse, tels les géants AOL Time Warner, General Electric, Microsoft, Disney, pour ne nommer que ceux-là. Il y a plus d'un an, à Paris, c'est l'Observatoire français des médias qui était fondé pour jouer ce rôle sur la scène nationale en France. Au Canada, la concentration des médias est bien réelle parce que nous avons aussi nos géants : Can West Global, Rogers, Transcontinental, Quebecor, Gesca, Irving et d'autres. C'est devant ces géants médiatiques que les propos controversés du journaliste français Jean-François Kahn prennent un sens certain, et je le cite :

Ce n'était pas si grave quand le propriétaire ne faisait que publier des journaux ou s'il fabrique en plus quelques boîtes de conserve. Mais lorsque les intérêts du propriétaire sont multiples et font corps avec une activité économique complète au plan national et international, c'est un problème à la liberté de presse. Le problème véritable survient quand la concentration de la presse converge avec la concentration économique [...] On ne veut pas freiner l'expansion des groupes médiatiques au nom du libéralisme mais ce libéralisme est en train de mener au même discours unique et à la pensée unique dans les médias appartenant au même groupe. On se trouve à réinventer le communisme sur une base privée!

Voilà certes l'un des paradoxes du néo-libéralisme qui force à réfléchir sur les monopoles de presse. Le paradoxe présent au Nouveau-Brunswick est en pleine croissance et est même tout près de la saturation du marché. La nécessité de surveiller dorénavant la presse dans cette province est devenue impérative. Comment y parvenir? Sans doute qu'un observatoire des médias aurait sa raison d'être au Canada avec des centres dans les provinces, dont le Nouveau- Brunswick. Peut-être l'un de ces centres pourrait-il loger à côté des chaires d'études en journalisme Irving dans les deux universités du Nouveau-Brunswick?

L'important dans vos recommandations, si je peux me permettre, madame la présidente, c'est de ne pas négliger les réalités régionales et provinciales à travers le pays. On se souviendra en 1981 que la Commission Kent avait fait des recommandations pour limiter la concentration de la presse au Canada. Entre autres recommandations, la commission préconisait que le tirage de tout propriétaire de presse ne devait pas dépasser cinq pour cent — on est loin de cette réalité aujourd'hui — dans l'ensemble des quotidiens du Canada.

Or, à l'époque, cette recommandation laissait le champ libre à Irving au Nouveau-Brunswick, qui n'avait alors que deux pour cent des tirages sur la scène nationale. Or, Irving a, en ce moment, 85 p. 100 du tirage des quotidiens du Nouveau-Brunswick, laissant 15 p. 100 du tirage à L'Acadie Nouvelle, d'où mon insistance à ne pas oublier les réalités provinciales dans vos recommandations.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Je vous remercie de votre exposé.

Vous avez parlé du pouvoir de la famille Irving et de sa mainmise sur les médias. Si elle ne détenait pas tous ces autres intérêts, sa mainmise sur tous les journaux de langue anglaise ou sur tous les journaux du Nouveau-Brunswick constituerait-elle toujours à vos yeux une situation monopolistique qui pose problème?

[Français]

Mme Lord : On ne peut presque pas répondre à cette question hypothétique parce que ce n'est pas la réalité. Ils sont propriétaires de plus de 300 compagnies dans la province, et cela accentue énormément le problème du monopole de presse.

Si on veut aller dans l'hypothétique, il faudrait, dans toute situation de monopole de presse, que la compagnie propriétaire de plusieurs journaux ne soit pas propriétaire d'autres compagnies dans d'autres secteurs économiques, le problème serait moins grand, mais le problème au niveau de la diversité, la pluralité des opinions serait là également, sauf qu'ici le problème est accentué parce que la liberté de presse au Nouveau-Brunswick appartient maintenant presque exclusivement à Irving. En France, étant un pays intellectuel comme il l'est, on écrit et on discute beaucoup de cette situation comme nulle part ailleurs dans le monde. Un spécialiste des médias qui s'appelle Serge Alimi dit carrément que la liberté d'expression appartient maintenant à ceux qui la possèdent. Irving possède donc la liberté d'expression à travers ses journaux, et peut contrôler tout ce qui se dit, et surtout ce qui ne se dit pas. C'est aussi une partie du problème. Tous les angles morts, tous les silences sont importants, voire des fois plus importants que ce qui se dit et hier, c'est ce qui ressortait beaucoup dans les présentations. C'est tout ce qu'on ne sait pas et tout ce dont on ne peut pas discuter au Nouveau-Brunswick qui touche une grande partie de l'économie de la province, et on sait que l'économie, c'est quand même une facette non négligeable dans une société.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Les Irving constituent-ils un monopole s'ils ne détiennent pas tous ces autres intérêts? Les éditoriaux de chaque journal sont-ils différents ou sont-ils tous pareils dans l'ensemble des journaux? Y a-t-il des divergences d'opinions entre les journaux? Y a-t-il des preuves qu'ils jouissent de cette liberté-là?

[Français]

Mme Lord : Des évidences qu'ils ont cette liberté? Bien, il y a trois équipes éditoriales différentes pour les trois quotidiens sauf qu'au cours des deux dernières années, depuis qu'Irving s'est mis à acquérir davantage des journaux hebdomadaires, une chose s'est produite et qui se produit ailleurs aussi, c'est le Groupe Irving a uniformisé le contenu éditorial des hebdos. Celui qui était éditorialiste pour l'un des hebdomadaires dans la région de Miramichi est alors devenu l'éditorialiste pour l'ensemble des hebdomadaires qui appartenaient à Irving. On a vu ce phénomène ailleurs au Canada où l'on a essayé d'imposer l'éditorial unique au sein d'une même propriété de journaux et celui qui avait été choisi lors de l'entente d'achat et de vente des journaux n'a pas duré très, très longtemps. Il a démissionné. Au niveau des hebdomadaires, on a donc vu une uniformisation de la position éditoriale. Pour les quotidiens, évidemment, il y a trois équipes éditoriales, il y a trois journalistes à l'assemblée législative mais il reste que dans certains cas, ils vont dire la même chose, et dans d'autres cas, ils vont prendre des positions différentes. Les quotidiens se positionnent par rapport à leur lectorat. Par exemple, le Times & Transcript à Moncton est très Moncton centriste alors que le Telegraph-Journal, qui se veut un journal provincial, aura une vision et un discours un peu plus provincial dans ses prises de position. Le Daily Gleaner est plus près, si on veut, de l'appareil politique de la province, donc il est un peu plus politique, et le Telegraph-Journal ne laisse pas sa place à ce niveau.

Hier, mon homologue, qui est professeur de journalisme à l'Université Saint-Thomas, et ancien journaliste au Telegraph-Journal, disait que l'une des choses qu'il a remarqué en entrant dans la salle des nouvelles à Saint-Jean, a été comment l'autocensure était prononcée. Et il a même dit que l'autocensure était encore plus grande du côté les patrons, soit les « senior editors ». C'était beaucoup plus senti, et même qu'on pourrait aller plus loin. On parle d'autocensure, et l'on peut même parler de censure intégrée, c'est-à-dire qu'on n'en devient même plus conscient, donc, les journalistes peuvent se chercher des « scoops » ailleurs. On sait où l'on ne doit pas regarder et où l'on ne doit pas chercher des histoires. On les cherche donc ailleurs, on se glorifie avec d'autres histoires, et à un moment donné, on n'est même plus conscients qu'on fait de l'autocensure. La censure est intégrée, et je pense que c'est un phénomène universel au niveau du monopole de presse. Ce n'est pas exclusif à Irving et c'est également le cas dans les autres conglomérats de presse.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Je vous pose des questions sur leurs autres intérêts, parce que je viens de la Saskatchewan, province qui connaît une situation semblable, dans la mesure où nous avons toujours été une province où régnait un monopole. Il y a d'abord eu les Sifton, suivi des Thomson, puis de Conrad Black, qui était propriétaire de presque tous les quotidiens de la province. Maintenant, cela appartient à CanWest. Je ne me souviens pas que l'on se soit posé la question de savoir si c'était un monopole ou non, parce que ces propriétaires n'étaient pas propriétaires d'autres entreprises, oeuvrant dans d'autres secteurs.

Ensuite, bien sûr, il y a la télévision : CTV et CanWest. Il y a aussi toute une série d'hebdomadaires et de stations radio qui appartiennent à divers propriétaires.

Je voudrais parler un peu de la radio communautaire. Nous n'avons pas eu de témoignages sur cette question. Comment cela fonctionne-t-il? Est-elle financée par la province ou par le gouvernement fédéral, par l'entremise de Patrimoine Canada? Comment cela est-il organisé? S'agit-il d'une coopérative? Vous pourriez peut-être nous parler un peu de la radio communautaire et de la façon dont ses structures d'entreprise sont organisées

[Français]

Mme Lord : Le démarrage se fait à l'aide de l'octroi d'une subvention du gouvernement fédéral. Ensuite, il y a des réseaux qui en viennent presque à l'autosuffisance car ils peuvent avoir de la publicité, malgré un quota de publicité. Par exemple, ici, tout près de Moncton, à Shediac, il y a la radio CJSE qui est un succès sans précédent au Canada. Proportionnellement parlant, c'est la radio au Canada, toutes langues confondues, qui a les plus grosses cotes d'écoute par rapport à la population qu'elle dessert. Donc, il n'y a pas une radio qui rejoint autant son public que la radio CJSE.

Il s'agit évidemment d'une radio à but non-lucratif, on ne fait donc pas d'argent avec ce genre de radio, mais c'est une radio qui fait ses frais et son succès est tellement grand, que le CRTC a dû accepter de déroger à sa politique et d'accorder une deuxième licence à CJSE pour créer une radio communautaire plus urbaine dans la région de Moncton, à Dieppe tout près d'ici. Le succès est à ce point grand, parce que c'est la première fois que la communauté acadienne à une programmation dans sa langue, dans ce réseau de radios communautaires ici au Nouveau-Brunswick, mais aussi en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve.

Il existe encore des radios privées de langue française au Nouveau-Brunswick. Il y a évidemment Radio-Canada, sauf que les standards de langue et le contenu ne sont pas les mêmes. Les radios communautaires ont pour but de donner un service adapté à la communauté. Il y a des études qui ont été faites, entre autres, sur CJSE puis CKRO, qui est la radio communautaire de la Péninsule Acadienne, et qui est aussi un véritable succès dans cette région. Les Acadiens souffrent de ce qu'on appelle une insécurité linguistique, et souvent, ils considèrent qu'ils ne parlent pas assez bien leur langue. Ce n'est pas nécessairement la réalité, mais ce sont des gens qui ont été exposés pendant très longtemps à la seule radio de Radio-Canada où il y a des standards de langue qui sont complètement autres que ceux de la région. Évidemment, cela accentue le complexe d'un individu qui vit en milieu minoritaire par rapport à sa propre langue, et CJSE, dans l'espace de dix ans, a presque corrigé cette situation. Les gens participent maintenant aux tribunes téléphoniques, au marché aux puces dans leur langue et ils sont tellement heureux de s'entendre. Auparavant ils étaient invisibles, maintenant ils se reconnaissent et les radios communautaires ont permis d'accroître la visibilité des communautés.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Les stations de radio sont-elles dirigées par un conseil communautaire? Y a-t-il une réunion annuelle?

Mme Lord : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Ce serait donc exploité comme une entreprise à but non lucratif, mais cette entreprise doit réaliser des profits, faute de quoi la station radio pourrait être remplacée, n'est-ce pas?

Mme Lord : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Merci.

Le sénateur Trenholme Counsell : En premier lieu, je réagis avec tristesse. J'étais présente lors de l'annonce de dons aux deux écoles de journalisme. J'étais là en qualité d'amie de l'honorable Roméo LeBlanc et de sa famille, non de la famille Irving. J'ai trouvé que c'était une mesure très positive. J'ai pensé que c'était une bonne nouvelle. Je n'aurais jamais pensé qu'il pourrait y avoir ces craintes. Vous êtes professeur ici, et je ne me souviens pas si vous étiez là ce jour- là.

[Français]

Mme Lord : Non, je n'ai pas été invitée à l'annonce.

Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce la raison qui a suscité votre réaction? Je le regrette, mais ce n'était pas ma responsabilité de faire la liste. « I do not want to appear to be defending anyone, but I had a sense that day that the money was going equally », également à nos deux universités avec des études en média, dans le domaine du journalisme.

Aujourd'hui, nous avons quelque chose de très différent, je considère cela très approprié et très touchant que les fonds d'ici soient dédiés à un ancien journaliste acadien et gouverneur général. Mais peut-être que c'est mon opinion, « but I listened with sadness. I want to ask a couple of things, and they are related to the media. » Premièrement, ce n'est pas la première fois que la famille Irving, les capitalistes, est impliquée à l'Université de Moncton. Il me semble que monsieur J.K. Irving est un co-président avec M. Losier dans la campagne en ce moment?

Mme Lord : C'est exact.

Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce une bonne chose ou non?

Mme Lord : C'est problématique pour la communauté acadienne. Non pas que la communauté acadienne veuille se fermer, mais il importe de voir le problème dans un contexte universitaire. Il s'agit d'un phénomène répandu sur la scène nationale. En raison du manque d'appui de la part du gouvernement fédéral dans le financement des universités, celles-ci doivent de plus en plus s'ouvrir à l'investissement de capitaux privés, donc de plus en plus d'entreprises s'intéressent à acheter des chaires, et on le voit maintenant à l'Université de Moncton.

Je lisais un article dans le Globe and Mail il n'y a pas longtemps, où l'on met à l'enchère par exemple, les écoles, les MBA des écoles d'administration et cetera, pour savoir qui va miser le plus afin d'acheter le nom de l'école. Il existe donc une marchandisation des universités, et cela est très problématique parce que les universités devraient demeurer des lieux neutres où la critique et la liberté d'expression restent possibles. Pour vous donner un exemple, un membre de la famille Irving fera partie du comité aviseur qui gérera la chaire de journalisme. Qui seront les autres membres? Le recteur de l'université qui a accepté le don, le vice-recteur, l'un de mes vice-recteurs à l'université, deux personnes nommées par le recteur — on est rendus à cinq — il reste le directeur de département, qui est un contractuel. Alors, qu'est-ce que cela veut dire? Irving a le droit au chapitre pour dire qui va être invité et qui ne sera pas invité comme personne pour améliorer la formation des étudiants.

C'est à ce niveau qu'existe une problématique et cela ne se passe pas seulement en journalisme, mais aussi, dans d'autres départements. À l'Université Laval, il y a une chaire d'études qui s'appelle Bell Globe, et Floriant Sauvageau est le titulaire de cette chaire. Lorsque Bell Globe a approché l'université pour faire un don et créer cette chaire, l'université a dit : « oui, d'accord, mais vous ne serez pas présent au comité aviseur. » Bell Globe a accepté de ne pas être présent, parce que l'université a plaidé que « nous sommes les professionnels, nous savons comment gérer des chaires d'études universitaires, et l'on ne pourra pas le faire en toute intégrité si vous êtes présent. » Ce qui est intéressant dans la chaire à l'Université Laval, c'est qu'il s'agit d'une chaire en journalisme scientifique, ce qui n'est pas vraiment le créneau de Bell Globe. Mais c'est à travers des reportages, des textes scientifiques qu'on pourra mieux comprendre les enjeux, entre autres, des défis environnementaux. Bell Globe a donc jugé que c'était nécessaire de former des étudiants de langue française pour développer des compétences en journalisme scientifique. Et c'est là la différence. Il y a donc différentes façons de faire. L'Université Laval a su se protéger et les intérêts de Bell Globe étaient quand même moins évidents au niveau du don. Le don était, si l'on veut, un peu plus désintéressé.

Le sénateur Trenholme Counsell : Madame, est-ce que vous avez la même crainte avec les dons de Bill Gates et avec ceux de la famille McCain? Récemment, Bill Gates a donné un million de dollars à chaque université partout dans la province, et la famille McCain, de l'avis de M. Harrison McCain, était très impliquée dans la vie de l'Université de Moncton. Je veux aussi mentionner, comme anglophone, que la famille Imbeault contribue à l'Université de Mount Allison et, bien sûr, à l'Université de Moncton. Il existe deux choses ici : c'est l'argent, mais aussi pour moi, étant Néo- Brunswickoise, et pour le bénéfice des autres provinces, je pense que nous avons partout dans la société d'aujourd'hui moins de crainte et un plus grand sens de partage.

[Traduction]

Sans le moindre doute, il existe au Nouveau-Brunswick des préoccupations concernant les médias, mais, par ailleurs, L'Acadie Nouvelle accueille des annonces publicitaires importantes et accepte celles qui lui proviennent de Kent. Je lis L'Acadie. Je tâche de songer à d'autres journaux.

Nous ne sommes pas deux solitudes. Je crois que vous partagez les préoccupations de nombreux habitants du Nouveau-Brunswick au sujet des médias. Vos craintes se cristallisent autour de la chaire de journalisme, et cela a peut- être une signification considérable.

[Français]

Mme Lord : Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous, sénateur Trenholme Counsell. Ce n'est pas la première fois que je me prononce sur le monopole de la presse, et cela bien avant la création des chaires de journalisme, et c'est la raison pour laquelle je n'ai pas été invitée à l'annonce. Ce n'est donc pas une réaction face à la chaire. Pour moi, la chaire de journalisme Irving dans mon programme c'est un cadeau empoisonné, mais je ne vous dis pas qu'on ne pourra rien faire avec le 45 000 $. Je souhaite qu'on puisse faire des choses intéressantes, sauf que le problème au niveau de l'éthique et de l'intégrité du corps professoral est vraiment bouleversant, parce que nous, dans nos cours, où l'on enseigne la pratique du journalisme, on dit parfois à la blague qu'on forme les étudiants pour qu'ensuite ils soient déformés sur le marché du travail. On donne aussi des cours dans lesquels on fait des analyses de contenu, des analyses de discours dans les journaux, on analyse les couvertures médiatiques et aussi, tout le phénomène de concentration de presse. On sensibilise nos étudiants à cette situation qui sera la leur quand ils iront sur le marché du travail. Donc, d'une main, on prend l'argent d'un des plus grands monopoles de presse sur un territoire géopolitique au Canada, et de l'autre main, on leur dit « ah, c'est très mauvais les monopoles de presse pour la liberté d'expression. » Une main fait une chose, l'autre main dit autre chose. C'est très difficile. Est-ce que cela vaut 45 000 $ par année?

[Traduction]

Le sénateur Munson : Il semble exister au Nouveau-Brunswick une grande ligne de démarcation. Compte tenu de toutes les plaintes que nous entendons au sujet des Irving, leur a-t-on jamais dit, ou à leurs journaux, qu'il devrait peut- être y avoir une voix française dans les journaux de langue anglaise?

Mme Lord : Mais cela se fait déjà.

Le sénateur Munson : Cela se fait-il pour les chroniques et les éditoriaux?

Mme Lord : Oui.

Le sénateur Munson : Il y a d'autres journaux, et notamment le Times de Moncton. Je parle de chroniques, d'éditoriaux, de reportages, bref d'une façon nouvelle de faire du journalisme dans ces journaux de langue anglaise. Je suis sûr qu'on y a songé, mais y a-t-il des journaux qui souscrivent activement à cette idée?

[Français]

Mme Lord : On pourrait voir ce qui se passe à l'Université de Moncton comme un dialogue qui s'établit. Je pense que c'en est un entre la famille Irving et la communauté acadienne, notamment à travers l'université. C'est une autre façon de le faire. Ce n'est pas que la communauté acadienne veuille se fermer, et je ne pense pas que les Irving veuillent se fermer à la communauté acadienne. Au contraire. Depuis deux ans et demi, ils achètent les journaux acadiens. On voit qu'ils veulent de plus en plus prendre la parole dans l'espace public acadien, et ils posent des gestes concrets dans ce sens. Mais pourquoi veulent-ils prendre autant de place? C'est là qu'il faut se poser la question. C'est pour devenir encore plus gros.

Ce matin, je parlais avec mon ancien patron, Claude Bourque, de Radio-Canada, et je lui ai dit que j'aillais le citer. Il m'a alors dit, « ce sont des requins dans un aquarium. » Cela dit tout. C'est comme cela qu'il faut comprendre ce qui se passe. C'est exactement ça. Vous en avez vu hier, des poissons qui ont été bouffés par les requins.

Les inquiétudes reposent donc là-dessus. On les voit de plus en plus grossir. Si par exemple, M. Irving, qui est le co- président de la campagne financière de l'Université de Moncton, faisait un don au département de musique, on pourrait parler de philanthropie ou de mécénat. Mais il existe aussi une chaire Irving à l'Université de Moncton en environnement, en plus de la chaire au programme de journalisme. La musique, les beaux-arts, le théâtre existent aussi à l'Université de Moncton. On sait que McCain s'intéresse beaucoup aux arts au Nouveau-Brunswick. C'est louable. Les gens le reconnaissent, ils apprécient et ils trouvent que c'est généreux. On voit le désintéressement. Mais d'avoir des chaires en environnement et une chaire en journalisme, on ne peut plus parler de désintéressement. Il faudrait être naïf pour le croire. Ce ne sont pas des dons gratuits.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Vous semblez avoir un problème au sein de la collectivité acadienne. Vous dites de L'Acadie Nouvelle que c'est un journal du nord-est du Nouveau-Brunswick et que les gens de cette région s'identifient mieux à ce journal; pourtant, ici, à Moncton, on ne semble pas être autant épris de ce journal. On a constitué un fonds de fiducie pour que ce journal soit viable. Serait-il possible de constituer un autre fonds de fiducie pour créer un journal de langue française dans un milieu principalement francophone tel que celui de Moncton-Dieppe, pour livrer concurrence à L'Acadie Nouvelle, ou cela reviendrait-il à s'autodétruire?

[Français]

Mme Lord : Disons que l'exercice a déjà eu lieu. Il y a déjà eu une tentative d'avoir un journal francophone à Moncton, qui s'appelait le Matin, et c'est pour ce journal que le fonds de fiducie avait été mis sur pied par le gouvernement à l'époque. Lorsque le Matin a rendu son dernier soupir, le fonds de fiducie est resté là, en suspens, et évidemment, des négociations ont eu lieu avec L'Acadie Nouvelle qui était à l'époque strictement régionale et qui couvrait le nord-est de la province. C'était avant qu'il ne devienne provincial et que le fonds de fiducie, comme les gens de L'Acadie Nouvelle l'ont expliqué hier, aide à distribuer le journal à la grandeur de la province.

Lorsqu'on compare les tirages de L'Acadie Nouvelle et du Times & Transcript, dans le meilleur des scénarios, il y a 3 000 exemplaires de L'Acadie Nouvelle qui se vendent par jour dans le sud-est, mais lorsqu'on regarde le nombre d'Acadiens abonnés au Times & Transcript, on parle d'au-dessus de 15 000. Cela frise même les 17 000 ou 18 000, alors, L'Acadie Nouvelle se fait beaucoup reprocher d'être un journal du sud-est. Évidemment, elle est située à Caraquet et elle se sent très près de son lectorat de la Péninsule Acadienne. Hier, ils l'ont dit, 80 p. 100 de leur lectorat est rural alors que Moncton est vraiment une région urbaine. Le lectorat acadien de Moncton ne se reconnaît pas beaucoup dans L'Acadie Nouvelle, donc il ira vers le Times & Transcript qui est très Moncton centriste.

Il reste une question : serait-ce viable en Acadie d'avoir deux journaux? Je ne suis pas une experte en administration et en marketing et je ne pourrais pas vous répondre.

[Traduction]

Vous avez cité le journaliste français Jean-François Kahn. Je n'aurais jamais cru que j'entendrais le mot « communisme » ce matin, mais il a bien prononcé ce mot et vous avez dit que cela prenait un sens clair au Nouveau- Brunswick, c'est-à-dire avec l'empire Irving, nous réinventions le communisme, mais sur une base privée, cette fois-ci. Pour contrer cette tendance relativement à ce qui, dans ce cas-ci, constitue un monopole, vous avez proposé qu'il y ait un observatoire des médias. De quels pouvoirs un observatoire des médias disposerait-il pour exercer sa surveillance? Vous avez dit qu'il devrait être situé à côté des chaires Irving d'études en journalisme. Vous faisiez preuve de sarcasme, si j'ai bien compris?

[Français]

Mme Lord : Oui, c'est pour permettre d'avoir l'équilibre, parce qu'on est quand même dans un pays de liberté, donc on aurait les deux.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Quels seraient ses pouvoirs et comment fonctionnerait-il?

[Français]

Mme Lord : Les Observatoires des médias sont des créations récentes, et celui qui est un peu plus développé, c'est celui de la France. Pour le moment, celui qui est en France, diffuse une lettre circulaire à tous les mois sur Internet, mais aussi aux abonnés qui désirent en savoir plus. Par exemple, si on juge qu'un reportage a fait preuve de désinformation, ou qu'il y a un angle qui n'a vraiment pas été traité ou il y a telle personne dans un tel domaine qui aurait dû être interviewée, les gens peuvent communiquer avec l'Observatoire des médias, et eux vont faire la recherche pour voir si cette plainte est fondée.

L'Observatoire des médias aurait quelle sorte de dent? Tout dépend évidemment des moyens dont l'Observatoire disposerait pour avoir une très bonne diffusion ainsi qu'une force morale, soit de devenir une autorité morale au pays pour que cela devienne gênant, pour forcer les acteurs dans les organes de presse à s'autoréguler, c'est-à-dire de respecter davantage une rigueur, qui laisse à désirer plus souvent qu'autrement, l'intégrité et la responsabilité sociale. Ce sont des instances qui sont encore toutes jeunes et qui sont en développement. C'est un nouveau pouvoir citoyen. C'est cela qu'il faut comprendre. C'est un pouvoir citoyen. C'est la raison pour laquelle je voulais parler un peu des radios communautaires, qui, avec l'aide gouvernementale, permettent d'avoir une portée sans que le gouvernement s'ingère. On donne donc des fonds et finalement, la communauté gère ces octrois pour pouvoir s'entendre.

L'Observatoire des médias, pourrait s'organiser d'une manière similaire. Ils pourraient disposer d'aide gouvernementale, mais je voyais qu'en France aussi, on fait appel aux dons d'institutions, d'associations, qui peuvent être des associations de citoyens, des associations de journalistes, des individus, donc il peut y avoir plusieurs sources de financement, mais il faut absolument que cette instance reste indépendante et autonome. Je pense qu'au niveau de la production journalistique au Canada, on est à un point où, pour toutes sortes de raison, la concentration de la presse en est une, où les médias doivent être « surveillés ».

On a toujours cru que les médias étaient là pour s'assurer que les droits et libertés des citoyens soient respectés, mais on constate de plus en plus un manque de déontologie. On n'a qu'à se référer à la décision du CRTC pour la radio CHOI à Québec. Le jugement contre l'animateur de CHOI, il y a deux semaines, fait partie des phénomènes nouveaux au Canada. Ils sont bouleversants et ils sont mal reçus dans le milieu journalistique parce qu'on n'est pas habitués à se faire taper sur les doigts de cette façon. Sauf qu'il y a des dérapages au niveau de la déontologie, et c'est là qu'un Observatoire des médias pourrait veiller à recevoir les plaintes et les examiner pour ensuite dire « oui, ceci c'était manquant, ici, il y a eu un angle mort. Il aurait fallu le traiter autrement, et cetera. » On simplifierait donc énormément le travail. Il faudrait lui donner les moyens d'être une autorité morale. Ce qu'il ne faudrait pas oublier, c'est que l'Observatoire des médias pourrait être à deux niveaux, soit un niveau national, parce qu'il y a des organes de presse qui fonctionnent sur le plan national, et un niveau provincial car il y a des situations provinciales qui mériteraient qu'il y ait une division à l'intérieur de l'Observatoire des médias. Le Nouveau-Brunswick en est une, le Québec en est une autre.

La présidente : Je reviens à ma première question au sujet du mécénat, et il me semble que l'expression « they are damned if they do, and they are damned if they don't. » soit pertinente. Je me souviens, il y a 20 ou 30 ans, d'avoir entendu des critiques sur la famille Irving parce qu'ils ne faisaient pas de dons et qu'ils ne faisaient pas assez pour avancer la qualité du journalisme dans la province. Voilà qu'ils font des dons et qu'on les attaque, mais quand même, est-ce que ce n'est pas mieux de recevoir un peu d'argent des gens qui profitent, justement, de l'entreprise journalistique au Nouveau-Brunswick?

Mme Lord : Il faudra voir comment tout cela va fonctionner, parce que, ce n'est pas enclenché encore. Il faudra voir les choix que le comité aviseur fera en ce qui concerne les gens qui viendront parler aux journalistes et aux futurs journalistes.

Évidemment, il y a deux écoles, et vous le constatez ce matin, que Philip Lee et moi ne partageons pas la même opinion, ce qui est très sain. Les étudiants entendent deux discours, c'est très bien comme cela, mais de quel côté la balance va pencher au comité aviseur? Est-ce qu'on va choisir des gens qui pensent comme Philip Lee et les Irving, ou est-ce qu'on invitera aussi, des gens comme Jean-François Kahn, à venir parler à mes étudiants? Voilà la question. Est- ce que Irving permettra que Jean-François Kahn ou à Ignacio Ramonez de venir?

La présidente : On verra.

Mme Lord : C'est cela. Il faudra voir.

La présidente : Je suis certaine que vous allez suivre cela de très près, n'est-ce pas?

Mme Lord : Oui.

La présidente : Tenez-nous au courant.

Mme Lord : J'ai un autre point pour répondre à votre question, et c'est au sujet des stages. C'est sûr que c'est un projet expérimental de deux ans, mais nos étudiants doivent faire un stage obligatoire dans leur formation, qui leur donne des crédits universitaires, et j'espère donc que cela va forcer les autres instances médiatiques du milieu. Par exemple, cette année, je n'ai pas de stagiaire à Radio-Canada. Pourquoi? J'en ai un qui va à l'Étoile qui appartient à Irving, j'en ai une autre qui va à l'Hebdo Chaleur, qui appartient à Irving parce qu'ils ont 10 $ de l'heure. Radio- Canada étant Radio-Canada, une boîte très syndicalisée, nos jeunes ne peuvent évidemment pas être salariés, donc, il faudra peut-être revoir cela et peut-être négocier avec les syndicats pour qu'on puisse avoir un stagiaire qui serait payé.

La présidente : Justement. J'ai déjà eu à travailler avec un syndicat qui refusait qu'on fasse entrer des stagiaires non payés, parce qu'ils disaient « vous allez profiter d'un travail gratuit, ce qui va nuire à nos membres, prenez donc des étudiants si vous voulez, mais payez. »

Mme Lord : Oui. Sauf que souvent, à Radio-Canada, ce qui se produit au niveau du stage, c'est que l'étudiant va faire le même travail qu'un journaliste qu'il va suivre dans une journée, mais son produit ne sera pas diffusé.

La présidente : Ah voilà, oui.

Mme Lord : Il fait tout de même le travail. Son travail est évalué par les gens de la boîte, par contre, si on prend le travail du stagiaire et on le diffuse, il sera payé, et les syndicats le voient aussi. C'est des deux côtés.

La présidente : C'est une précision qui peut être importante. En ce qui a trait à la radio communautaire, c'est une belle réussite, n'est-ce pas?

Mme Lord : Oui.

La présidente : Parce qu'il faut que les gens puissent se parler entre eux. Mais si on pense purement aux nouvelles, à l'information dans ce sens-là, est-ce que ces radios communautaires engagent des journalistes?

Mme Lord : Oui. Certains ont plus de moyens que d'autres. À CJSE, ils ont deux journalistes, ce qui est quand même pas si mal pour une radio avec peu de moyens. Ils ont aussi à l'échelle nationale, l'Alliance des radios communautaires et ils ont une agence de presse, si on veut, d'où sont produits à Ottawa des bulletins de nouvelles, qu'ils diffuseront ensuite. Ce qui se passe à l'Association de presse francophone, c'est qu'ils ont une réaction face à Radio-Canada ou à « Radio-Canada Montréal » qu'ils appellent. S'il y a une nouvelle, par exemple, du CRTC pour CHOI, — il y a un an et demi — on avait décidé que c'était une nouvelle Québécoise et qu'on ne la diffusait pas au sein des radios communautaires à l'échelle du pays, en réaction à la Montréalisation des ondes de Radio-Canada. Les gens d'ici ont quand même le droit de savoir ce qui passe parce que le CRTC est un organe national, qui prenait une décision qui pouvait avoir des répercussions nationales. C'est un peu boiteux, mais quand même, il reste qu'ils ont réussi à mettre sur pied cette salle des nouvelles à Ottawa, puis ils alimentent, avec les journalistes ici sur place, de nouvelles locales, régionales et provinciales pour compléter les bulletins de nouvelles.

La présidente : Est-ce qu'ils se donnent comme mission d'informer leur public, surtout des choses qui touchent directement la communauté acadienne ou est-ce qu'ils ont comme mission de fournir une information complète?

Mme Lord : C'est très axé sur la communauté acadienne.

La présidente : Donc, pour les sources d'information dans le sens traditionnel, si quelque chose se passe en Irak, ce n'est pas les radios communautaires, vers qui l'on se tourne.

Mme Lord : La salle de presse nationale à Ottawa va s'occuper des nouvelles internationales.

La présidente : Aussi.

Mme Lord : Oui, on aura les grosses nouvelles dans les bulletins. Le rôle ici, c'est davantage de donner l'information régionale. Parce les gens qui écoutent la radio ne l'auraient pas autrement.

La présidente : C'est normal d'ailleurs. N'importe quel média local doit servir le public local.

Mme Lord : Oui.

La présidente : Votre présentation était très axée sur la cause acadienne — et étant moi-même membre d'une minorité, je comprends très bien — mais notre mandat, c'est aussi de penser en termes d'information tout court. Alors, ils essaient de remplir, je ne dirais pas un vide, avec cette part du marché?

Mme Lord : Oui, puis de toute façon, c'est un trait caractéristique de la presse acadienne en général qui est aussi son défaut, c'est-à-dire que si on veut vraiment savoir ce qui se passe dans la province, il faut aller s'informer du côté anglophone. Pour donner un exemple, hier, la couverture des audiences du comité à CBC, on avait la professeure de Mount Allison, mais à Radio-Canada, on avait L'Acadie Nouvelle. Donc, c'est typique. Le journaliste de Radio- Canada nous a bien dit qu'il y avait eu sept ou huit présentations, mais les seuls qu'on a vus en clip au bulletin de nouvelles, ce sont les gens de L'Acadie Nouvelle, parce qu'évidemment, cela correspond à l'auditoire.

La présidente : Qui parle français.

Mme Lord : Oui, exactement, sauf qu'à force de s'arrêter toujours à la question de la langue, on se prive d'informations, et c'est un pli qui est pris par les deux communautés linguistiques. Hier, lors des présentations, on a vu l'ignorance de certains anglophones sur ce qui se passe du côté francophone dans la province. Il y en a même un qui affirmait qu'Irving ne créait pas de nouveaux journaux. C'est faux, parce que l'Étoile et La République, sont des journaux créés par Irving. Il parlait évidemment de ce qu'il connaissait, de son monde anglophone, mais c'est comme cela des deux côtés également.

La présidente : C'est ce qu'on appelle les deux solitudes.

Mme Lord : Oui.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Combien de journalistes y a-t-il dans cette salle aujourd'hui? Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept.

La présidente : Superbe.

Le sénateur Tkachuk : Je trouve ironique qu'à Vancouver, Regina et Moncton, où, d'après certains renseignements, les monopoles sont censés régner, nous avons vu le plus grand nombre de journalistes et, selon moi, nous avons eu une couverture bien plus importante que dans les autres endroits où nous nous sommes rendus.

La présidente : Cela est vrai pour Moncton.

Le sénateur Tkachuk : Pour Regina également. À Vancouver aussi, c'était plutôt bien, compte tenu du fait que c'est une grande ville, comparativement à Toronto ou Montréal, par exemple, où il nous aurait fallu faire détonner des explosifs pour attirer l'attention. Je sais qu'ici nous parlons d'une situation monopolistique, mais on a beaucoup parlé de nous à Moncton.

Je ne sais pas comment concilier le fait que nous avons entendu toutes ces plaintes hier à l'endroit des journaux des Irving, et que pourtant on parle d'abondance de nos audiences dans tous les journaux de la chaîne Irving ce matin. Là où, prétendument, il existe de la concurrence, on ne parlait pas de nous dans les journaux.

La présidente : On n'a pas beaucoup parlé de nous à Vancouver.

Le sénateur Tkachuk : Eh bien, je n'en suis pas si sûr. J'ai passé à la radio; vous aussi. Il y a eu quelques articles à notre sujet dans les journaux et une station de télévision s'est intéressée à nous. Pour une grande ville, je trouve que nous ne nous sommes pas mal débrouillés.

À Regina, où une seule personne est propriétaire de tous les quotidiens, toutes les stations de télé et deux ou trois stations de radio ont parlé de notre comité. On a parlé de nous à la radio anglaise de Radio-Canada ainsi que dans le Leader-Post. Ici, à Moncton et Dieppe, nous avons sept journalistes. Je ne sais pas s'il nous est déjà arrivé d'avoir tant de journalistes lors de nos audiences dans une autre ville. Comment expliquez-vous cela?

[Français]

Mme Lord : Cela s'explique facilement.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Est-ce qu'ils s'intéressent au monopole?

[Français]

Mme Lord : Oui, exactement.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : D'où viennent-ils tous, s'ils ...

[Français]

Mme Lord : Parce que c'est une situation très problématique, cela attire davantage l'attention. Nous sommes tellement heureux de vous accueillir à Moncton, car cela nous donne une tribune pour en parler, et cela n'arrive pas souvent.

Et puis, quand vous dites qu'il y a beaucoup de couvertures, je vais faire de la déformation professionnelle. Il faudrait voir comment c'est couvert dans les journaux d'Irving. Je peux vous donner un exemple. Il y a deux ans, lorsque Irving a acheté le Madawaska, j'ai été interviewée par plusieurs médias pour discuter des enjeux. C'était la première intrusion sérieuse et préoccupante d'Irving dans le monde des médias acadiens, et il s'agissait d'une institution qui avait presque 100 ans, et qui avait au niveau éditorial un très gros poids pour la communauté acadienne. Le Madawaska était une référence éditoriale. À ma sixième entrevue de la journée, j'étais à la télévision de Radio-Canada en direct et j'ai dit que je n'avais toujours pas reçu d'appels des journalistes de journaux d'Irving. Je suis donc rentrée au bureau et le premier appel que j'ai reçu fut de la part d'un journaliste du Telegraph-Journal. Mais, il fallait voir comment ensuite cela a été traité dans le Telegraph-Journal. J'ai eu droit au premier paragraphe de l'article sans problème, mais j'étais dans la section « Business ». Je n'étais pas dans la section des nouvelles ou des affaires publiques. Il y avait les commentaires de l'éditeur en chef du Telegraph-Journal qui disait que lui, cela le faisait sourire et que cela le laissait complètement interloqué de savoir qu'on pouvait croire qu'Irving avait une influence sur la salle des nouvelles, puisque jamais un Irving se présente physiquement dans la salle des nouvelles. C'est certain que c'est vrai, mais il peut avoir une présence mentale. Ensuite, J.D. Irving fut interviewé. J'ai donc eu le droit de parole, mais le texte fut construit pour tout démolir. C'est bien, car c'est cela la liberté d'expression, et c'est cela le débat dans une société. Néanmoins, c'était du deux contre un dans un journal qui appartenait à Irving. Le journaliste m'a très bien cité, sans problème, mais après il faut voir comment tout était construit.

La présidente : Nous sommes à la une du Telegraph-Journal ce matin.

[Traduction]

Le sénateur Munson : C'est la première fois que nous nous retrouvons à la une.

[Français]

La présidente : Et nous ne sommes pas à la une de L'Acadie Nouvelle, mais il y a un assez grand reportage. Moncton Times & Transcript, et je n'ai pas vu le Gleaner. Je ne sais pas si le Gleaner nous a couvert ou pas, mais en tout cas, faites-nous part de vos réflexions.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Je crois qu'il y a un monopole dans ce cas-ci, mais je ne sais pas s'il y a monopole des médias. Y a-t-il monopole des médias ici? Autrement dit, à Moncton même, il y a peut-être bien un journal qui appartient aux Irving. Mais qui est propriétaire des stations radio? Il y a les chaînes de Radio-Canada. Qui en est propriétaire? S'agit-il d'une station de radio privée? Combien y en a-t-il?

[Français]

Mme Lord : Je sais qu'Irving est propriétaire de trois stations de radio au Nouveau-Brunswick, mais il y a aussi d'autres stations de radio. Les stations de radios privées ne sont pas des sources d'information de référence, donc si on parle de qualité d'information pour les citoyens du Nouveau-Brunswick, je pense que l'enjeu est à ce niveau. Qu'on veuille rentrer les radios, je veux bien, mais ma préoccupation comme professeur de journalisme, c'est la qualité d'informations auxquelles ont droit les citoyens du Nouveau-Brunswick. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que si on prend, par exemple, les médias publics, radio et télévision, nous n'avons pas accès, avec ces médias, à ce qu'on appelle le journalisme d'opinion. Ce que les journaux offrent, c'est de la matière à réflexion et une certaine nourriture intellectuelle sur les enjeux d'une société. Quand je rentre au travail, je lis plusieurs journaux, et ce qui m'intéresse davantage, ce ne sont pas les reportages, ce sont les textes d'opinion, soit de lire la réaction face à ce qui s'est passé hier soir, par exemple, au Canada. Et je retrouve cela dans les éditoriaux et dans les chroniques. Ce sont les journaux qui offrent, à quelques exceptions près, cette source qui peut alimenter notre propre réflexion en tant que citoyen, donc c'est dans ce sens, si on veut parler d'information, de source d'information, qu'il y a un monopole au Nouveau- Brunswick, sans l'ombre d'un doute.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Les Irving sont bien sûr des entrepreneurs et ils vont donc acheter des entreprises rentables. Je ne les défend pas; je ne les connais même pas.

[Français]

Mme Lord : Moi, non plus.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Le Bureau de la concurrence, qui a été créé pour empêcher la présence de monopole, pourrait avoir un rôle à jouer dans ce cas-ci. Le Bureau de la concurrence est-il jamais intervenu lors de la vente d'un journal au Nouveau-Brunswick? Il me semble que ce serait une situation évidente pour que le Bureau de la concurrence intervienne.

[Français]

Mme Lord : Je ne peux pas vous répondre avec certitude, on n'en a pas entendu parler, mais cela ne veut pas dire qu'ils ne se sont pas intéressés à la question. Si, au niveau de la presse, on compartimente des secteurs d'activité d'Irving et que l'on prend la presse et ses journaux, complètement à part du reste, alors on manque le bateau.

Il faut comprendre qu'Irving est propriétaire de 300 compagnies au Nouveau-Brunswick et sur le plan économique, c'est une force majeure dans cette province. De plus, dans les journaux d'Irving, on voit beaucoup de publicité des autres compagnies d'Irving et on va en plus imprimer le journal sur le papier Irving. C'est tout un rouage. Elles sont toutes reliées et elles s'entraident les unes les autres. C'est la beauté d'une entreprise familiale, sauf que cela pose aussi des problèmes pour les gens qui ne font pas partie de la grosse équipe Irving, et c'est important d'en être conscient. Il y a des gens qui sont à l'extérieur et qui ne profitent pas de la liberté d'expression de la même façon au Nouveau- Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Il en est toujours ainsi. Il y a toujours des gens qui sont à l'extérieur.

Mme Lord : Oui, tout à fait.

Le sénateur Tkachuk : Même s'il y avait deux propriétaires, quelle différence cela ferait-il?

[Français]

Mme Lord : C'est certain que ce n'est pas exclusif à Irving et ce n'est pas une question non plus de diaboliser Irving eux-mêmes, mais c'est de voir la personne morale que représente l'empire Irving, et vous l'avez dit, ce sont des gens d'affaire, et ils vont veiller aux intérêts d'Irving.

[Traduction]

Le sénateur Trenholme Counsell : Madame la professeure, au cours de nos audiences, qui nous ont fait parcourir tout le pays, nous avons beaucoup entendu parler du fait que quelques entreprises sont propriétaires d'un vaste nombre de journaux et de médias. La situation au Nouveau-Brunswick est un petit peu différente, mais on nous a beaucoup parlé de CanWest global et d'autres entreprises. Je ne devrais pas mentionner de nom en particulier, mais c'est un phénomène que nous avons retrouvé sur tout le territoire canadien. Je ne voudrais pas que l'on dise ici, aujourd'hui, que cette situation est particulière au Nouveau-Brunswick ou particulière à la famille Irving.

[Français]

Il me semble qu'à Moncton, Dieppe et Riverview, nous ayons un exemple parfait de notre société au Nouveau- Brunswick. Est-ce que vous avez des exemples récents où la citoyenneté acadienne a été mal servie par le Times & Transcript ?

[Traduction]

Je ne parle pas du passé, parce que nous avons tous un passé.

[Français]

Est-ce qu'il est arrivé, par exemple, que la ville de Shédiac, la ville de Dieppe, la ville de Bouctouche, le village de Memramcook, où le Times & Transcript n'a pas bien représenté la culture, les valeurs, les activités ou les nouvelles?

Mme Lord : Le Times & Transcript s'est beaucoup amélioré dans sa couverture des affaires acadiennes et les tirages parlent par eux-mêmes. Je pense que le Times & Transcript est beaucoup plus près physiquement de la communauté acadienne de Moncton que ne l'est L'Acadie Nouvelle. On a fait un effort depuis une dizaine d'années, depuis le Congrès mondial acadien qui a eu lieu en 1994 dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Le Times & Transcript a alors effectué un virage. J'ai consulté dernièrement un cahier spécial dans le Times & Transcript, et l'un des articles dans ce cahier, décrivait comment le bilinguisme était une bonne chose pour Moncton. Donc, c'est sûr que c'est un virage marquant pour le Times & Transcript.

Il faut comprendre aussi que le Times & Transcript avait pris une décision éditoriale lors de la fermeture des ateliers du CN à Moncton. On craignait la fin de Moncton quand les ateliers du CN ont fermé, parce que c'était des milliers de gens qui travaillaient à ces ateliers, et que des milliers d'emplois indirects y étaient reliés, et le Times & Transcript s'est positionné. Étant Moncton centriste, le Times & Transcript a participé à rétablir un équilibre à Moncton et a cru à la force de Moncton dans cette épreuve, et le pari a été gagné. Il y a eu un boom économique sans précédent à Moncton. Donc, le Moncton Times & Transcript a davantage été un acteur qu'un témoin. Et cela, c'est le droit d'un journal. Pour ce qui est de la télévision publique, on peut le questionner autrement. Un journal qui est de propriété privée a le droit de décider s'il veut être un acteur dans le ressaisissement d'une communauté, et c'est dans ce sens-là que le Times & Transcript a compris l'apport important de la communauté acadienne et c'est pour cela qu'il y a des gens qui préfèrent être abonné au Times & Transcript plutôt que d'êtres abonnés à L'Acadie Nouvelle. Ce n'est pas la seule raison, mais c'en est une.

[Traduction]

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous donnez donc une bonne note au Times & Transcript pour sa couverture des deux cultures, des deux collectivités. Ici, à Moncton, Dieppe, Riverview et dans le reste de la région, nous nous considérons comme deux collectivités.

Le sénateur Munson : Je voudrais faire une observation. Je suis partisan de nouer des relations. Nous voyons les membres de l'Association canadienne des journalistes se réunir lors de colloques et travailler ensemble, quelle que soit leur langue. Peut-être que je ne fais que rêver, mais j'imagine des journalistes de la salle de presse du Telegraph, à Saint John se rendant dans les locaux de l'Acadie Nouvelle ou vice versa. Imaginons ce que ce serait, que les membres des comités de rédaction se comprennent les uns des autres. Au bout du compte, c'est la province et les habitants du Nouveau-Brunswick qui en sortiront gagnants.

Je suis du Nouveau-Brunswick, et mon épouse, Ginette, également. Je ne veux pas donner l'impression qu'au Nouveau-Brunswick les gens ne s'entendent pas tous, mais il y a là l'occasion de tenir des colloques tant dans votre université que dans celles de M. Lee, afin que les journalistes de la nouvelle génération puissent se rencontrer et apprendre à mieux se connaître.

[Français]

Mme Lord : Tout le monde est pour le dialogue, sauf que lorsqu'il y a un géant et qu'on est un nain à côté, et si le géant est un ogre, est-ce que le dialogue est possible? Voilà ma question. Il ne faut pas oublier que c'est un prédateur. Les témoignages d'hier sont venus corroborer cette réalité. Monsieur Hanley qui a vendu ses quatre hebdos et a décrit comment il a été la proie du prédateur. L'Acadie Nouvelle, la même chose. Il y a eu plusieurs témoignages en ce sens hier.

La présidente : Une dernière question, madame Lord. On n'a pas parlé des postes de radio d'Irving. Est-ce qu'ils couvrent les nouvelles ou est-ce que c'est juste des postes de musique?

Mme Lord : Ils possèdent trois stations privées dans le sud-ouest de la province, dans la région de Saint-Jean, Saint- Stephen, je ne les entends pour ainsi dire jamais, mais ce sont des stations privées, et ils ont donc peu de portée au niveau de l'information. Ce ne sont pas des sources de référence pour l'information.

La présidente : Plusieurs des témoins qui sont venus devant nous hier ont parlé de l'importance de Radio-Canada, CBC et Radio-Canada. Vous ne les avez pas mentionnés. Est-ce que c'est un élément important dans l'univers médiatique ici?

Mme Lord : Oui, très important. Je comprends que les anglophones aient davantage insisté là-dessus parce qu'ils ont Irving d'un côté et ils ont CBC de l'autre, donc CBC est indispensable. Nous, évidemment, comme je l'ai dit, on a Radio-Canada, mais on a aussi L'Acadie Nouvelle, alors, oui, c'est un service indispensable dans le milieu et l'on ne pourrait pas s'en passer, parce qu'ils disposent de moyens. Un des sénateurs tantôt faisait remarquer le nombre de journalistes, et hier, j'en ai compté quatre de Radio-Canada.

La présidente : Radio anglaise et française, télé anglaise et française?

Mme Lord : Juste en français, il y en avait quatre de Radio-Canada, mais ils représentent différents services. C'est cela parfois que les gens ne comprennent pas. Il y a la radio, il y a RDI, il y a la télé, donc on peut dire quatre parce qu'ils sont sous le titre Radio-Canada, mais ils ont chacun leur service. Il faut comprendre, qu'un journaliste ne pourrait pas servir adéquatement tous les différents services d'information à Radio-Canada.

Mais, on ne pourra jamais assez dire combien est importante la présence de Radio-Canada dans le milieu, parce que justement, c'est une instance de presse qui dispose de moyens, qui peut faire des choses que d'autres instances de presse ne peuvent faire. Si on prend, par exemple, à la télévision, on a droit à des reportages un peu plus étoffés, des affaires publiques qui durent dix ou douze minutes, donc qui dépassent la minute trente classique avec le clip de dix. S'il y avait un Observatoire des médias, c'est certain qu'il y aurait des plaintes au niveau de la couverture de Radio-Canada, et cela est sain pour une société. Mais si on veut parler du rôle indispensable, de Radio-Canada, si je m'arrête principalement à ce que notre équipe fait sur place, il faut quand même dire que nous sommes mal desservis par le réseau national en tant que communauté acadienne. L'Association de presse francophone qui est à Ottawa, parle de Radio-Canada Montréal, alors au niveau de la programmation nationale, nous sommes très absents, que ce soit à la radio ou à la télévision. C'est une télévision que je qualifie de Montréalaise, donc, on en souffre autant que les gens de la Gaspésie ou de l'Abitibi et peut-être même encore plus. Il y a donc deux niveaux, à CBC, Toronto n'est pas omniprésent sur les ondes alors que Montréal l'est à Radio-Canada. C'est très différent. On sent et l'on entend le pays à CBC, ce qui n'est pas le cas à Radio-Canada. Cela est un problème majeur pour une communauté comme la nôtre. C'est pour cette raison que les radios communautaires sont si populaires, et quand je dis que c'est la première fois que la communauté acadienne s'entend à travers les radios communautaires, c'est parce qu'elle ne s'entendait pas à Radio-Canada. On entendait le français, oui, mais on n'entendait pas la communauté acadienne.

La présidente : Merci beaucoup, madame Lord.

Mme Lord : Merci beaucoup de m'avoir reçu.

La présidente : Votre présentation a été très intéressante, et votre franchise, je dois dire, est inoubliable.

Notre prochain témoin, Mme Marcia Enman, directrice générale de La Voix Acadienne, le journal de langue française à l'Île-du-Prince-Édouard.

Mme Marcia Enman, directrice générale, La Voix Acadienne, à titre personnel : Madame la présidente, je vous présente aujourd'hui, au nom du seul journal francophone de l'Île-du-Prince-Édouard, quelques perspectives sur le domaine des médias d'information. Je tenterai de répondre aux questions-clés et probablement que je dépasserai ces questions pour arriver à adresser des sujets d'actualité qui font que la survivance des petits journaux comme le nôtre soit toujours un grand défi.

C'est primordial que chaque Canadien ait accès à une quantité et une qualité de moyens d'information, mais pour nous, le journal La Voix Acadienne étant le seul moyen écrit pour les Acadiens et les francophones de l'Île-du-Prince- Édouard, il nous semble injuste qu'on ait à se plaindre pour de l'information qui est transmise seulement dans la langue anglaise utilisant seulement les médias anglophones. La Voix Acadienne doit s'assurer quotidiennement que les publicités dans les journaux anglophones seront aussi publiées dans le seul journal français pour que les lecteurs et les lectrices reçoivent les mêmes informations. On doit continuellement faire des plaintes au Commissariat aux langues officielles, qui d'après nous ne constitue pas un système de récupération des publicités, car il prend souvent beaucoup trop de temps à décider si la publicité a droit à une plainte ou pas. Alors, à cause de cela, le lecteur ou la lectrice faillit de recevoir son message en français. Il y avait aussi une catégorie dans vos questions au sujet de la jeunesse.

Au journal La Voix Acadienne, on essaie d'intégrer les jeunes puisqu'on réalise qu'ils sont nos futurs lecteurs et lectrices. On visite régulièrement nos écoles francophones pour s'assurer de couvrir les activités de nos étudiants. On donne l'opportunité aux jeunes d'écrire dans le journal, et l'on doit tous s'assurer de donner une grande place à nos jeunes.

À La Voix Acadienne, on fait la couverture de plusieurs sports, ce qui intéresse beaucoup les jeunes. On présente des reportages sur nos jeunes athlètes qui se démarquent dans leur discipline, on présente aussi du hockey, que ce soit le Rocket de la ligue Junior ou les Bantams de la région Évangéline, chaque sujet reçoit le même traitement.

C'est certainement un défi que de couvrir des événements pour toute une province. Pour une petite équipe, de quatre employés à temps plein et d'un employé à temps partiel, la couverture dans les régions éloignées ne se fait pas rapidement. Dans des provinces telles que le Nouveau-Brunswick, où il y a plusieurs journaux, on ne vit pas les mêmes situations puisqu'ils sont plus nombreux. Je ne dis absolument pas qu'il y a de la place pour un deuxième journal à l'Île-du-Prince-Édouard. On a de la difficulté à en faire survivre un.

Plusieurs des questions-clé que vous nous avez soumises en guise d'orientation ne sont pas pertinentes à notre journal, La Voix Acadienne. C'est certain que dans des régions où il y a plusieurs journaux, l'augmentation de la propriété peut réduire la diversité des médias. Je peux même prendre l'exemple du Nouveau-Brunswick où un propriétaire possède plusieurs journaux dont on vient de couvrir.

J'aurais voulu toucher le secteur technologie puisque les innovations technologiques jouent un grand rôle dans les médias. Je prends l'exemple de La Voix Acadienne pour ce qui est de son imprimeur. Le fait de pouvoir faire parvenir le journal par Internet a ouvert les portes au magasinage de maisons d'imprimerie. Pendant 27 ans, nous n'avions pas d'autre choix pour l'impression que d'aller au seul imprimeur de la province. Aujourd'hui, le choix est ouvert et nous sommes maintenant imprimés à Caraquet pour garder nos dollars parmi nos acadiens.

Plusieurs autres possibilités sont offertes par l'innovation technologique; les publicités qui sont préparées par de grandes agences à Montréal et Toronto ne prennent que quelques minutes à se rendre à l'Île-du-Prince-Édouard. En tant qu'hebdomadaire, cela nous facilite les choses car souvent les grandes campagnes se planifient en dernière heure.

Pour parler du cadre politique du gouvernement du Canada, j'aimerais mentionner que le journal La Voix Acadienne est un organisme à but non lucratif qui appartient à la communauté. Il représente un outil dont la communauté s'est dotée pour se faire voir, et surtout pour s'informer sur des sujets d'actualité, et cela, depuis 29 ans.

Le journal joue un rôle important et a une grande responsabilité quant au développement de cette communauté minoritaire. Tout cela pour dire que souvent, par l'entremise de ses programmes de développement, le gouvernement du Canada refuse de participer financièrement aux projets du journal, ayant comme raison de ne pas pouvoir appuyer les journaux étant en conflit d'intérêt. Je ne suis pas d'accord puisqu'un journal tel que La Voix Acadienne devrait être traité comme un organisme à but non lucratif et non comme une compagnie privée.

Une réglementation pour traiter de ces situations pourrait assurer que ce raisonnement ne joue pas un rôle de ralentissement à l'avancement de nos communautés qui autrement doivent vivre des situations qui nuisent à l'avancement des droits des citoyens et citoyennes du Canada. Par exemple, on peut observer les situations dans les écoles. On se bat jusqu'en Cour Suprême pour y obtenir nos droits et pour des infrastructures acceptables auxquelles nos étudiants ont droit.

Nous devons obtenir du gouvernement du Canada une plus grande ouverture face au développement des communautés minoritaires. En enlevant les opportunités aux médias, spécialement ceux qui oeuvrent en tant qu'organisme, c'est enlever l'opportunité à toute la communauté.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Nous avons entendu les représentants de bien des journaux ethniques, de langue française et des hebdomadaires d'un peu partout au pays. Tous ont des difficultés financières, surtout les journaux de langue minoritaire. Vous pouvez vous constituer en organisme à but non lucratif, mais pas, bien sûr, en organisme de charité. Aux États-unis, bien des grands magazines, tels que National Review et, je crois, Harper's, sont en fait des œuvres de charité qui reçoivent des dons. Si cela vous était possible, cela vous serait-il utile? Il me semble que plus vous êtes indépendant, mieux c'est. Cela vous permettrait à vous et aux autres magazines d'information d'avoir une autre source d'argent. Avez-vous déjà envisagé cette solution?

[Français]

Mme Enman : En mai 1990, La Voix Acadienne a décidé de créer un fonds de fiducie. Au départ, il n'y avait que 300 000 $ dans le fonds, ce qui générait au moins 20 000 $ qu'on pouvait mettre directement dans les opérations, et depuis ce temps, cela a aidé beaucoup. Pour un petit budget de 230 000 $, la somme de 20 000 $ représentait une grosse valeur. On aimerait faire grandir notre fonds de fiducie, afin d'atteindre un objectif de 1 000 000 $, alors on va continuer à travailler en ce sens. Le fonds a été fondé pour aider aux opérations, pour s'assurer de ne pas faire des déficits, parce que dans le passé on faisait des déficits d'environ 20 000 $ par année. Le fonds nous aide à y arriver.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Y a-t-il eu une retenue ou un crédit d'impôt pour l'argent qui s'accumulait dans le fonds de fiducie, ou s'agissait-il d'un fonds public? Comment avez-vous obtenu ce million de dollars?

Mme Enman : Ce fonds de fiducie a été créé grâce à la collaboration de la collectivité et des gouvernements provincial et fédéral.

Le sénateur Tkachuk : Il ne s'agit donc pas d'une somme déductible d'impôt.

Est-ce que vous publiez de la publicité du gouvernement fédéral et, dans l'affirmative, à votre avis, obtenez-vous votre juste part?

[Français]

Mme Enman : Monsieur Claude Haché était dans la salle, et il pourrait probablement vous répondre. Moi, je suis une personne qui fait le chien de garde, si vous voulez, dans les journaux anglophones, pour comparer, ce que les francophones reçoivent en information de la part du gouvernement fédéral, et je peux vous dire que je suis encore obligée de faire beaucoup de plaintes au Commissariat aux langues officielles sur divers ministères puisqu'il y a encore des ministères qui ont besoin de sensibilisation.

La présidente : Lesquels?

Mme Enman : Vous voulez que je les nomme? L'APECA. Ils vont faire des excuses, soit en rapport à la date de tombée ou sur la campagne qui était préparée à la dernière minute.

La présidente : Mais je parie qu'ils ne font jamais des erreurs dans l'autre sens, qu'ils oublient les médias anglophones?

Mme Enman : Je ne pense pas qu'ils les oublient souvent. Je peux dire que je fais probablement plus d'une cinquantaine de plaintes par année.

La présidente : C'est ce que nous avons déjà entendu de la part du Courrier de la Nouvelle-Écosse.

Mme Enman : On se compare beaucoup au Courrier de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : C'est extraordinaire.

Le sénateur Trenholme Counsell : Bienvenue au Nouveau-Brunswick.

Mme Enman : Merci de nous avoir invités.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je suis toujours très intéressée du niveau de coopération entre nos trois provinces maritimes, concernant la communauté acadienne, et « you use the printing press of L'Acadie Nouvelle for your paper, » mais est-ce que vous avez eu des discussions sur la possibilité d'avoir plus de coopération avec L'Acadie Nouvelle pour toute la population acadienne aux Maritimes.

Mme Enman : À La Voix Acadienne, on est membres fondateurs de l'Association de la presse francophone, alors on a l'occasion de rencontrer tous les hebdos à travers le Canada hors-Québec, et on travaille souvent en partenariat. Que ce soit les journaux Atlantiques ou les journaux au niveau Canadien, on fait beaucoup de formation ensemble et puis, on a eu des discussions pour faire des cahiers ensemble. Je pense qu'on a déjà fait des cahiers maritimes ensemble, mais nous sommes différents. L'Acadie Nouvelle est un quotidien, alors que nous sommes des hebdos. On va se consacrer davantage sur ce qui est important pour la communauté. Le quotidien est plus dans l'actualité tandis que l'hebdo s'interesse plus à ce que j'appelle des ``features'', des chroniques sur les gens. C'est ce que nos lecteurs veulent, mais on couvre encore l'actualité, et ce n'est jamais l'actualité du jour, c'est l'actualité de la semaine.

Lorsque j'ai besoin de conseils, je fais appel à L'Acadie Nouvelle, au Moniteur Acadien à Shédiac, ou au Courrier de la Nouvelle-Écosse. On s'entraide beaucoup. On prépare des projets, on se parle beaucoup, on se connaît bien.

Le sénateur Trenholme Counsell : Mais, il me semble que l'édition du samedi de L'Acadie Nouvelle soit différente. Dans cette édition, on retrouve plus de culture, plus de sports, plus de religion, etcetera, et il me semble que ce serait une bonne chose d'avoir cette édition partout dans les maritimes.

Mme Enman : C'est une bonne suggestion, mais c'est sûr qu'à l'Île-du-Prince-Édouard, ce ne sera pas accepté à bras ouverts, si on ne voit pas les Acadiens de l'Île dans cette édition, alors il faut absolument avoir la contribution de chacun des journaux pour pouvoir faire le weekender des maritimes.

Le sénateur Trenholme Counsell : Mais, en même temps, j'apprécie la nécessité et la valeur d'avoir votre propre hebdomadaire à l'Île-du-Prince-Édouard.

Mme Enman : Pour le moment, c'est là qu'il faut mettre nos énergies parce que notre journal est vulnérable. Alors, il faut donc se concentrer sur sa survie.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Combien d'Acadiens habitent à l'Île-du-Prince-Édouard?

[Français]

Mme Enman : On dit qu'il y a 5 000 acadiens sur une population de 145 000 à 150 000 personnes.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Combien d'abonnés comptez-vous?

[Français]

Mme Enman : Mille copies.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Votre survie dépend-elle de la publicité du gouvernement?

Mme Enman : Oui.

Le sénateur Munson : Dans quelle mesure, en pourcentage?

[Français]

Mme Enman : Si je prends les chiffres de la dernière année fiscale, 40 p. 100 de nos revenus de publicité provenaient du fédéral, 30 p. 100 du provincial et puis 30 p. 100 du marché local.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Vous avez entendu le témoignage que nous a présenté ce matin une professeure de l'Université de Moncton et vous avez probablement lu les articles sur la survie des journaux face à ce monopole. Parce que vous êtes à l'Île-du-Prince-Édouard, est-il plus difficile pour vous de faire passer le message de la minorité de façon claire et démocratique?

[Français]

Mme Enman : L'achat par Transcontinental des journaux anglophones et l'emprise des Irving portent à réfléchir, mais je ne pense pas que la communauté décidera de vendre le journal. Ils pourraient par contre s'infiltrer à l'Île-du- Prince-Édouard et lancer un journal bilingue. Il n'y a rien qui dit qu'ils ne le feraient pas, mais on n'a pas encore vécu cela.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Craignez-vous de devoir un jour fermer vos portes ou d'être rachetés?

[Français]

Mme Enman : Comme je l'ai déjà dit, je ne pense pas que la communauté vendrait son seul outil de communication écrite, mais c'est sûr qu'on s'est battu pour nos écoles et on a survécu, on va donc continuer de survivre avec le journal.

La présidente : Vous êtes un hebdomadaire?

Mme Enman : Oui.

La présidente : Cinquante-deux semaines par an?

Mme Enman : Oui, cinquante et un.

La présidente : Cinquante et un?

Mme Enman : On ferme une semaine à Noël.

La présidente : Moins Noël. Et en moyenne, combien de pages?

Mme Enman : En moyenne, 16 à 20 pages.

La présidente : Et vous avez combien de journalistes ou d'employés?

Mme Enman : Une.

La présidente : Une seule. Elle travaille donc très fort.

Mme Enman : Une journaliste qui pond de 20 à 25 textes par semaine. Une journaliste, un graphiste, une direction puis je suis assujettie aux ventes, et puis une personne qui s'occupe de la comptabilité, des abonnés et tout ce qui reste.

La présidente : Et la journaliste, est-ce qu'elle est aussi photographe?

Mme Enman : Oui. Et puis, elle doit se déplacer de Souris à Tignish.

La présidente : J'espère qu'elle est très bien payée.

Mme Enman : On n'est pas très bien payé parce qu'on n'a pas les moyens.

La présidente : Bon, chapeau à madame.

Mme Enman : Je lui transmettrai le message.

La présidente : Transcontinental, c'est une entreprise qui a été établie au Québec et qui a beaucoup de ressources en langue française. Est-ce qu'elle vous a déjà offert une coopération?

Mme Enman : Une offre d'aide? Non, aucune. C'est comme dans l'Association de la presse francophone, il y a beaucoup de journaux qui appartiennent à Transcontinental, alors, peut-être au niveau de la formation, on a bénéficié des services des employés de Transcontinental.

La présidente : Par le biais de l'association?

Mme Enman : Oui, et par des formations au niveau de la publicité et du marketing.

La présidente : Oui, cela peut être précieux. Et le journal existe depuis quand?

Mme Enman : Le journal a débuté en 1975. Il a commencé comme un bulletin mais est devenu hebdomadaire au mois de juin 1976. Je suis au journal depuis 1978.

La présidente : Ah mon Dieu! C'est vraiment votre journal.

Mme Enman : Cela entre dans le sang après un bout de temps.

La présidente : Et le tirage, est-il stable?

Mme Enman : Le tirage est stable, oui. On a 1 000 copies. On ne dit pas que le tirage est saturé.

La présidente : Mille copies sur une population de 5 000, c'est pas mal.

Mme Enman : Oui. C'est quand même bien, mais un marché qu'on veut vraiment entreprendre, c'est le marché des écoles d'immersion, alors dans la prochaine année, on veut essayer d'ouvrir les portes plus grandes à ce niveau.

La présidente : C'est parfait. J'ai oublié de vous poser une question. C'est combien pour un abonnement?

Mme Enman : Il y a différents tarifs. À l'Île, c'est 32 $ et puis 40 $ pour les provinces Canadiennes en dehors de l'Île, et en outre-mer, c'est 125 $.

La présidente : Est-ce que vous en avez, en outre-mer?

Mme Enman : En outre-mer, oui, j'en ai cinq.

La présidente : Très bien. Pourriez-vous nous laisser un ou plusieurs exemplaires?

Mme Enman : Je vous laisse des exemplaires en plus d'une copie d'un cahier qu'on a produit sur toutes les activités qui ont eu lieu à l'Île-du-Prince-Édouard lors du 400e anniversaire l'année dernière.

La présidente : Merci beaucoup, madame Enman. J'avais demandé au Courrier de la Nouvelle-Écosse de nous envoyer quelques exemplaires des plaintes qui avaient été formulées au sujet justement de la publicité. Je vous demande la même chose.

Mme Enman : Vous montez un dossier?

La présidente : Oui, c'est cela, parce qu'évidemment, le but de notre enquête, c'est de revoir à la politique publique, et surtout la politique fédérale. Ce dossier fait partie de la politique fédérale.

Mme Enman : Certainement. Je me ferai un plaisir.

La présidente : Merci beaucoup.

La séance est levée.


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