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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 25 - Témoignages - 13 juin 2007


OTTAWA, le mercredi 13 juin 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 17 pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé, ainsi qu'à examiner, pour en faire rapport, les questions d'actualité des grandes villes canadiennes.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Aujourd'hui, nous nous pencherons sur les questions de la pauvreté, de l'itinérance et du logement.

[Traduction]

Avant de poursuivre notre étude sur ces questions, je tiens à signaler que le travail est réalisé par l'ensemble du comité puisqu'il intéresse nos deux sous-comités. Notre premier sous-comité se penche sur la santé des populations. Ce sous-comité dont le vice-président est le sénateur Keon examine les principaux déterminants sociaux de la santé. Le deuxième sous-comité, que je préside, s'intéresse aux défis auxquels les grandes villes du Canada sont confrontées. La pauvreté, le logement, l'itinérance sont des problèmes communs aux travaux des deux sous-comités.

Nous utilisons aussi certains travaux antérieurs du Sénat dans le domaine de la pauvreté, notamment le rapport de 1971 rédigé sous la direction du sénateur Croll. Il s'agissait d'un rapport particulièrement important. Il y a aussi le travail d'un autre sénateur, le sénateur Cohen, qui a publié en 1997 un ouvrage intitulé La pauvreté au Canada : Le point critique. Je sais que le sénateur Cohen est présidente d'honneur de l'organisation du Nouveau-Brunswick qui témoigne ici aujourd'hui.

Nous nous appuyons aussi sur les travaux réalisés par le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, présidé par le sénateur Fairbairn, qui sera bientôt ici. Ce comité traite de la pauvreté rurale, et son étude a été lancée à l'initiative du sénateur Segal. Le projet est très avancé, l'activité est intense et nous pouvons compter sur de nombreuses données pour examiner les graves questions auxquelles fait face la population du Canada.

Aujourd'hui, nous sommes heureux d'accueillir les témoins de deux organisations. Nous rencontrons Tom Gribbons, président, et Kurt Peacock, recherchiste, qui représentent Vibrant Communities Saint John.

Vibrant Communities est un effort commun déployé par des collectivités de tout le Canada pour mettre à l'essai les moyens les plus efficaces de réduire la pauvreté au niveau communautaire. Vibrant Communities Saint John a l'appui de trois commanditaires : la J.W. McConnell Family Foundation, le Caledon Institute of Social Policy et Tamarack — An Institute for Community Engagement. Vibrant Communities Saint John est devenu partenaire de l'organisation nationale Vibrant Communities en 2001, pour donner suite à l'effort conjugué de la Business Community Anti-Poverty Initiative, du Urban Core Support Network, du Conseil de développement humain et de la municipalité de Saint John.

Nous entendrons également des représentants de la Downtown Eastside Residents Association, à Vancouver, sur l'autre côte. Kim Kerr, directeur, et Anna Hunter, représentante, parleront au nom de la Downtown Eastside Residents Association. Cette association est une organisation caritative communautaire qui a été formée en 1973 par les habitants du quartier est du centre-ville de Vancouver. Ancrée dans le quartier le plus pauvre du pays, l'Association s'efforce d'attirer l'attention du gouvernement, de l'industrie et de la population sur les principaux aspects de la pauvreté et de l'itinérance. L'Association se mobilise autour de questions intéressant la collectivité et elle offre des programmes et services dans les domaines du logement, de la sensibilisation et de soutien communautaire. Ses services sont offerts en anglais et en cantonais, pour répondre aux besoins de la population du secteur.

Tom Gribbons, président, Vibrant Communities Saint John (VCSJ) : Merci beaucoup. Nous sommes heureux de représenter ici nos collègues de Saint John et d'autres collectivités du Canada qui font partie du groupe Vibrant Communities. Vous avez mentionné Erminie Cohen, le sénateur à la retraite qui a publié La pauvreté au Canada. Comme vous l'avez dit, monsieur le président, elle est notre présidente d'honneur et nous sommes fiers de pouvoir dire qu'elle continue à œuvrer à Saint John. Elle fait encore énormément de bénévolat pour soutenir des groupes comme le nôtre à Saint John, afin de réduire la pauvreté dans le quartier même où elle a grandi.

Avant de présenter des recommandations, j'aimerais mettre en lumière quelques-uns des défis que Saint John doit relever et quelques-unes des initiatives menées par le réseau de Vibrant Communities Saint John.

Saint John est la ville non seulement la plus ancienne mais aussi la plus grande du Nouveau-Brunswick. Elle a un cachet historique sans pareil. Nombre de ses habitants profitent d'une merveilleuse qualité de vie. Ils peuvent manger du saumon au vieux marché pour le déjeuner, ils habitent des maisons à prix abordable à cinq ou dix minutes de leur travail. Ils peuvent faire des randonnées sur les sentiers urbains et dans les parcs de la ville. Malheureusement, pour près d'un résident sur quatre à Saint John, la qualité de vie est loin d'être aussi agréable. Selon le recensement de 2001, 24,5 p. 100 des résidents vivent au-dessous du seuil de faible revenu, le SFR, que Statistique Canada reconnaît généralement comme la mesure de la pauvreté. Cette statistique est alarmante, mais il en existe d'autres encore plus troublantes, liées au visage que revêt la pauvreté à Saint John et aux endroits où les pauvres de Saint John vivent.

Parmi les régions métropolitaines de recensement au Canada, Saint John a l'honneur douteux d'occuper la première position au pays pour ce qui est du taux de pauvreté des parents seuls. Selon les dernières données, près de six de nos familles monoparentales sur 10 vivent en dessous du SFR, et parce que ces familles sont généralement composées d'une jeune mère monoparentale et de ses enfants, Saint John affiche également l'un des taux de pauvreté infantile les plus élevés au Canada, une position horrible que nous partageons avec Winnipeg et Montréal.

Il est inacceptable que tant de nos jeunes vivent dans la pauvreté, mais la méthode que nous utilisons pour les loger est aussi répugnante. Le parc de logements de notre ville, comme dans un grand nombre de collectivités de l'est du Canada, est très vieux, et près de la moitié de nos logements locatifs ont été construits il y a plus de 80 ans. Nos familles les plus pauvres sont locataires dans les vieux quartiers du centre-ville, où les options de logement consistent à payer un loyer à un locateur absent pour un vieil appartement mal isolé, ou à habiter une ancienne construction sociale du gouvernement dans le voisinage de laquelle les débouchés économiques sont limités. En fait, quand on examine la concentration de la pauvreté urbaine, on constate que Saint John semble présenter l'un des taux de ghettoïsation les plus élevés au pays. Si notre collectivité affiche un taux de pauvreté qui ne diverge pas trop de celui des autres grandes villes canadiennes, notre situation est bien plus grave en raison de la simple réalité que beaucoup de nos jeunes enfants habitent des quartiers extrêmement vulnérables.

La situation difficile de ces quartiers vulnérables constituait la base de notre document de recherche initial, Poverty in Plenty. Nous avons également consacré la plus grande partie de notre travail communautaire à ces quartiers, en aidant activement les résidents à réaménager les rues dans lesquelles ils vivent. À ce niveau de notre travail, des initiatives d'envergure plutôt réduites, inspirées par les citoyens, par exemple l'aménagement d'intersections plus sûres ou l'ouverture d'un nouveau centre de quartier, offrent de l'espoir aux ménages à faible revenu trop souvent oubliés par le gouvernement.

Nous sommes également concentrés sur les nombreux adultes en âge de travailler qui n'ont pas les compétences voulues ni la possibilité de se joindre à la main-d'œuvre de Saint John. Le taux de participation à la main-d'œuvre est tout simplement très au-dessous de ce qu'il devrait être, compte tenu du dynamisme de notre économie urbaine. Notre travail à ce chapitre est complexe. La ville a un taux de chômage inférieur à la moyenne canadienne, mais il se trouve quand même des milliers d'adultes susceptibles d'être exclus, en partie parce qu'ils vivent dans un secteur de la ville très éloigné des services de formation ou d'emploi.

Nous vous avons déjà présenté un document de travail que nous avons élaboré en réaction au programme d'autosuffisance du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Nous n'avons pas encore élaboré de document semblable pour le gouvernement fédéral, mais nous aimerions profiter de l'occasion que nous avons aujourd'hui pour expliquer un peu comment Ottawa peut aider Saint John à réduire la pauvreté.

Premièrement, nous croyons que Saint John et les autres villes du Canada atlantique ont la possibilité de participer à des accords de développement urbain, comme les villes de l'Ouest du Canada. Lorsqu'elle était sénateur, Erminie Cohen a souvent rappelé à la Chambre qu'Ottawa devait s'attaquer au fléau de la pauvreté partout au pays. Le gouvernement d'Ottawa offre souvent un soutien dont la forme varie selon les régions du pays. Nous sommes d'avis que si cette stratégie reconnaît les disparités régionales, elle fait souvent peu pour les corriger.

Les divers organismes fédéraux de financement du développement régional illustrent cette disparité régionale. Dans l'Ouest canadien, Diversification de l'économie de l'Ouest a conclu des ententes innovatrices de développement urbain à trois niveaux, en partie pour promouvoir la revitalisation des quartiers centraux de grandes villes comme Saskatoon, Winnipeg et Vancouver. Ces ententes sont particulières aux grands centres urbains de l'Ouest du Canada et engagent les fonds publics dans des projets de revitalisation étalés sur plusieurs années.

Vibrant Communities Saint John pense depuis longtemps que notre collectivité, avec ses quartiers vulnérables du noyau central de la ville, bénéficierait grandement de ce type d'entente. Pourtant, en réponse aux suppliques que nous avons adressées de vive voix à l'Agence de promotion économique du Canada atlantique, l'APECA, qui est l'organisme de financement fédéral dans la région, on nous a dit essentiellement que les ententes de développement urbain ne faisaient pas partie du mandat rural de l'Agence. Évidemment, nous jugeons cela inacceptable. Si Ottawa doit conclure des ententes pluriannuelles afin de redonner vie aux quartiers les plus pauvres de Winnipeg, de Saskatoon ou de Vancouver, il devrait certainement être prêt à faire de même pour Saint John ou Halifax.

Deuxièmement, le gouvernement fédéral doit élaborer une stratégie nationale de réduction de la pauvreté. À l'instar de plusieurs autres organismes sans but lucratif du pays, nous croyons qu'il est temps que le gouvernement du Canada établisse une stratégie de réduction de la pauvreté qui fixe des cibles et des mesures du progrès, avec la participation de tous les ministères pertinents. Les pays de l'Union européenne ont adopté des cibles de réduction de la pauvreté et certaines provinces canadiennes ont élaboré des stratégies à cette fin. Pourquoi ne pas s'engager à réduire la pauvreté dans tout le Canada?

En cette époque où le Canada manque de plus en plus de travailleurs, nos gouvernements devraient transformer les politiques sociales et économiques de façon à hausser le taux de participation à la main-d'œuvre. Beaucoup trop de familles sont abandonnées, malgré l'immense prospérité économique de notre pays. Une stratégie de réduction de la pauvreté améliorerait également notre productivité nationale et notre PIB en produisant d'importantes économies sociales et en matière de santé dans les secteurs où les dépenses courantes n'arrivent qu'à maintenir un statu quo qui laisse pour compte trop de citoyens.

Troisièmement — et vraiment, personne ne peut s'y opposer —, il faut reconnaître que des affectations budgétaires relativement réduites du Parlement peuvent avoir une incidence considérable sur les collectivités périphériques. Les sommes qu'Ottawa dépense au titre de programmes financés par l'entremise de Condition féminine Canada et du Centre national de prévention du crime ou des programmes d'emplois d'été de Service Canada sont relativement modestes par rapport au budget annuel du gouvernement fédéral. Pourtant, les critères de financement de tous ces programmes viennent de changer, et l'incertitude engendrée par ces changements a placé plus d'un organisme sans but lucratif de Saint John dans une situation financière précaire. Quand les députés et sénateurs prennent ce genre de décisions sur la colline du Parlement, ils devraient se demander comment elles pourraient se matérialiser dans le quartier nord de Saint John ou dans n'importe un autre quartier de gagne-petit ou encore dans d'autres collectivités canadiennes qui ont un accès limité aux détenteurs du pouvoir.

À l'inverse, Saint John a eu la chance de collaborer avec un cadre dévoué de la SCHL. Il y a 15 ans, nous avions un bureau régional de la SCHL qui a depuis été réinstallé à Halifax. Vu la priorité que nous accordons aux questions de logement, nous avons demandé un représentant. Cette personne a été assignée à Saint John il y a deux ans et a beaucoup fait pour nous aider à commencer à corriger les problèmes de logement; cet investissement si modeste a été très rentable et très utile. Il a fait une énorme différence. Il y a bien d'autres choses que nous pouvons faire; évidemment, nous sommes limités par le temps.

Kim Kerr, directeur, Downtown Eastside Residents Association : Je tiens à remercier le Sénat de nous offrir cette occasion de nous adresser à vous. Je suis le directeur administrative de la Downtown Eastside Residents Association. Notre Association offre des logements et des services à la population du Downtown Eastside de Vancouver depuis 34 ans. Nous administrons au-delà de 350 logements sociaux destinés aux familles, aux personnes âgées et aux personnes handicapées.

Notre Association offre aussi un service de représentation pour défendre les citoyens les plus marginalisés dans des dossiers touchant les droits des locataires et les droits à l'aide sociale. Anna Hunter examinera ces questions plus en détail dans ses commentaires.

En plus d'offrir des services quotidiens, l'Association agit à titre de porte-parole politique dans les dossiers de plus en plus brûlants du logement, de l'itinérance et du déplacement d'une des collectivités hors réserve les plus démunie de tout le Canada.

En 2005, on dénombrait 2 000 sans-abri à Vancouver. Ces personnes étaient considérées comme absolument sans-abri; elles vivaient dans la rue, souvent dans les entrées d'édifices à bureaux et d'autres bâtiments dans la rue où nous travaillons. On prévoit que ce chiffre doublera d'ici 2010. Comme vous le savez, les Olympiques se tiendront à Vancouver en 2010. J'y reviendrai plus tard dans mes commentaires.

Nous croyons que les trois ordres de gouvernement ont contribué à l'aggravation de la crise à Vancouver et dans tout le pays. Depuis que le gouvernement fédéral s'est retiré du dossier du logement, en 1993, le fardeau repose entièrement sur les épaules des gouvernements provinciaux et municipaux.

En 2001, les libéraux ont été portés au pouvoir en Colombie-Britannique, sous la direction du premier ministre Gordon Campbell — qui a des accointances avec le milieu des grands promoteurs immobiliers. Les libéraux ont consenti des réductions d'impôt massives au mieux nantis et à leurs amis du monde des affaires et ils ont sabré aveuglément dans les budgets du logement et de l'aide sociale. C'est donc sur le dos des populations défavorisées de la province que la province et les entreprises ont réalisé des économies. Bien que la responsabilité du logement lui incombe au premier chef, le gouvernement provincial s'est montré impuissant à protéger un droit humain fondamental de ses citoyens les plus vulnérables, et le gouvernement municipal a lui aussi manqué à ses engagements et à ses responsabilités en matière de logement.

Le dossier le plus urgent concerne le déplacement de l'une des populations les plus marginalisées de Vancouver. À moins de trois ans de l'ouverture des Jeux Olympiques d'hiver de 2010, tout indique déjà que plutôt que de prendre des mesures pour transformer Vancouver en une ville d'envergure internationale, véritablement affranchie des problèmes d'itinérance et de pauvreté, le gouvernement municipal met en œuvre des mesures pour débarrasser les rues des indésirables en les emprisonnant, en les chassant, en les évinçant et en adoptant des lois qui remettent en question les libertés civiles les plus fondamentales. Le principal souci des organisateurs des Jeux Olympiques est strictement d'ordre immobilier, c'est-à-dire qu'ils sont uniquement à l'écoute des besoins des promoteurs, qui seront les premiers à profiter des retombées des Jeux, sans aucun égard pour les coûts humains.

Jack Poole, président du Comité des Jeux de Vancouver est un bon ami du maire de Vancouver et du premier ministre de la Colombie-Britannique. Il a déclaré dans un numéro du Georgia Straight, notre journal local à Vancouver, il y a deux numéros de cela, que le véritable but de la candidature de Vancouver pour les Jeux Olympiques de 2010 était d'amener les gouvernements provincial et fédéral, de même que des contribuables déjà bien mal servis, à accepter d'acquitter une facture d'un milliard de dollars afin de paver la voie à de futures transactions immobilières.

C'est bel et bien cette réalité qui se cache derrière les innombrables chantiers de démolition et le déplacement de centaines de personnes en prévision des Jeux Olympiques. Depuis que Vancouver a obtenu les Jeux, la ville a perdu plus de 800 chambres à loyer modique. Aucun logement de remplacement n'a été construit ou offert et, à seulement deux ans et demi de l'ouverture des Jeux, il est clair que les différents ordres de gouvernement et le Comité olympique des Jeux de Vancouver n'arriveront pas à donner suite à leurs promesses concernant le soi-disant héritage des Jeux Olympiques au titre du logement. En effet, plus de 2 500 nouveaux logements à loyer modique devaient être construits sans qu'il soit nécessaire de déplacer qui que ce soit — cette promesse a été totalement mise de côté.

Les Jeux Olympiques laissent au contraire un désastreux héritage, puisque plus de deux millions de personnes ont été déplacées au cours des 20 dernières années. Déjà, un an avant les Jeux de Beijing, plus de 1,25 million de personnes avaient été déplacées. Il est clair que la situation ne sera pas différente dans le cas des Jeux de 2010 à Vancouver. Les pauvres sont expulsés de force de leurs logements, parfois sous la menace d'une arme, comme ce fut le cas lorsque les locataires de l'hôtel Del Mar ont été expulsés ou lorsque ceux de l'édifice Burns ont été sommés de quitter les lieux à 30 minutes d'avis, sans égard au fait que certains habitaient au même endroit depuis parfois plus de 20 ans. La liste continue de s'allonger. Les hôtels American, Pender, Asia et Piccadilly ont tous été fermés pour être remplacés par de petits hôtels élégants, par des appartements en copropriété haut de gamme ou par des logements pour les Jeux Olympiques.

Le gouvernement municipal a déjà mis en œuvre la Civil City Initiative, un projet qui a pour effet de criminaliser l'itinérance et la pauvreté et vise à faire en sorte que les rues soient propres d'ici 2010. Aux yeux de la population pauvre du Downtown Eastside, le gouvernement municipal est l'ennemi des défavorisés, puisqu'il est clair qu'il ne cherche aucunement à atténuer les causes profondes de l'itinérance et de la pauvreté. La crise politique à Vancouver a atteint un point culminant et ne pourra qu'être désastreuse pour la ville, la province et le Comité des Jeux de Vancouver.

Il est donc très difficile pour moi de vous brosser aujourd'hui un tableau idyllique de la situation en ce qui concerne le travail de collaboration avec le gouvernement dans le centre de la ville, puisqu'à mon sens, le gouvernement municipal vient au premier rang de la longue file de personnalités politiques et de pantins qui multiplient les coups bas contre les populations défavorisées.

Pour qu'il y ait une collaboration entre les gouvernements à quelque palier que ce soit, et les groupes communautaires, il faut que les groupes communautaires aient la liberté d'exprimer leur point de vue politique sans craindre de se faire couper les vivres ou de subir des compressions de programmes. Les gouvernements municipaux doivent écouter ce que les « spécialistes » qui œuvrent en milieu communautaire ont à dire, plutôt que de prêter l'oreille à des experts-conseils rémunérés qui n'ont aucune expérience véritable de la situation. La Downtown Eastside Residents Association estime que cette menace est très réelle depuis les six derniers mois. À mesure que le désespoir gagnait du terrain dans le quartier Downtown Eastside, l'Association a poursuivi sa lutte au nom des organismes offrant des services en exerçant des pressions auprès de notre gouvernement municipal pour qu'il intervienne en faveur des populations pauvres. Le gouvernement municipal s'est toutefois gardé d'intervenir concrètement pour mettre un frein à la dévastation grandissante dans le quartier Downtown Eastside et a plutôt coupé les vivres à notre organisme.

Ces compressions touchent directement les 100 personnes âgées démunies d'origine chinoise auxquelles le personnel de l'Association vient directement en aide et celles-ci sont maintenant privées du soutien dont elles ont besoin. Nous devons nous demander si c'est là la nouvelle façon de collaborer avec le gouvernement. Est-il implicite que nous devons nous plier à la volonté gouvernementale pour être en mesure d'offrir les services qui sont tellement essentiels à notre clientèle? L'ordre de gouvernement le plus accessible — à savoir le gouvernement municipal — ne devrait-il pas être le gouvernement le plus malléable auquel la population a accès? Ce qui est clairement sous-entendu ici c'est qu'il ne faut pas remettre en question les décisions du gouvernement, mais plutôt lui obéir. Même si le prix à payer est une multiplication des personnes déplacées, une augmentation du nombre de sans-abri et une aggravation de la pauvreté.

Malgré les efforts de l'administration municipale pour faire taire l'Association, nous demeurons une pierre angulaire de la communauté, un organisme qui dispense des services de logement et de promotion et un allié dans la lutte contre un système qui maintient et légalise la pauvreté.

Pour terminer, j'aimerais mettre au défi votre comité sénatorial et tous les ordres de gouvernement pour qu'ils cessent d'étudier la pauvreté, qu'ils cessent de publier des rapports chaque année pour prouver que la pauvreté et l'itinérance sont des indicateurs de la santé. Il nous faut cesser de gaspiller l'argent pour informer les classes aisées et supérieures au sujet de l'itinérance et investir plutôt cet argent dans des solutions véritables. Il nous faut cesser de réglementer la pauvreté et chercher plutôt à y mettre un terme.

Comprenez bien que dans le quartier d'où je viens et où je travaille, dans le quartier où Mme Hunter travaille, des gens meurent dans la rue. Environ 16 000 personnes habitent le Downtown Eastside, dont de 5 000 à 10 000 utilisateurs de drogues à injecter. En sortant d'ici, je retournerai à Vancouver pour fermer un immeuble qui contient 76 studios. Tous ceux qui y habitent se meurent. Tous ceux qui habitent dans cet immeuble sont des utilisateurs de drogues injectables et des travailleurs qui survivent grâce à l'industrie du sexe. Ils se meurent tous d'hépatite C et du sida. Ils seront tous réinstallés dans des chambres d'hôtel et, sans doute, évincés dans les 30 jours suivant leur réinstallation.

Anna Hunter, représentante, Downtown Eastside Residents Association : Je suis représentante juridique communautaire pour la Downtown Eastside Residents Association. Je veux vous faire part de certains des cas que je vois chaque jour.

Nous offrons des conseils juridiques et des services de représentation à la population du Downtown Eastside dans le domaine des loyers résidentiels et des droits à l'aide sociale. Surtout, nous travaillons pour promouvoir la dignité et le respect à l'égard des personnes les plus marginalisées de notre communauté.

Dans une ville où les toxicomanes sont obligés d'utiliser les ruelles, où les propriétaires de taudis peuvent se permettre de changer les serrures et de jeter les effets personnels des locataires à la rue, où la police agit avec violence et brutalité, où les grands promoteurs s'emparent de tous les lopins de terre et où les femmes, les Autochtones et les minorités sont le plus vulnérables aux réalités de notre système capitaliste, la plupart des gens qui viennent dans nos bureaux ne savent plus ce qu'est la dignité et le respect.

Nous défendons les droits des citoyens les plus pauvres de Vancouver avec dignité et respect. Je vais vous faire part de quelques cas. Je veux commencer par vous citer les commentaires d'un homme qui vit dans les rues de Vancouver depuis dix ans.

[...] tout ce que je veux, c'est un endroit où loger, un toit au-dessus de ma tête, une porte avec une serrure, un endroit sûr pour mes affaires. Est-ce trop demander [...] Certains ont cela toute leur vie, moi je n'ai jamais connu cela [...] Je ne me suis jamais senti en sécurité. L'endroit le plus sûr que je connaisse, c'est la rue [...] Comment puis-je vivre dans un endroit normal après cela?

Le jeune homme qui a fait ces commentaires a 27 ans. Il vit dans la rue depuis 15 ans, depuis qu'il a été violenté et mis à la porte de chez lui, au Manitoba. Il vit sous le pont de la rue Burrard, à Vancouver, et tous les soirs depuis six semaines il est réveillé par des agents de police qui le harcèlent, le menacent et lui imposent des amendes de 2 000 $. Quel est son crime? La pauvreté, l'itinérance ou le fait d'être maintenant indésirable, aux termes de la Civil City Initiative, dernier règlement municipal visant à nettoyer les rues de Vancouver en vue des Jeux Olympiques d'hiver de 2010.

Où ira-t-il, quelles sont ses options? En vertu de la Civil City Initiative, il a déjà été chassé d'autres quartiers du centre-ville. Il n'aura sans doute jamais la sécurité à laquelle il aspire si désespérément et il continuera de glisser entre les mailles de notre filet de sécurité sociale qui se détériore rapidement.

Mon plus grand défi professionnel consiste à obtenir des résultats d'un système défaillant qui déshumanise les personnes à chaque étape. Vous nous avez invités à venir témoigner des difficultés que nous rencontrons dans notre travail auprès des administrations locales, parce que vous voulez terminer un rapport qui proposera des stratégies de collaboration entre tous les ordres de gouvernement et ceux qui travaillent aux premières lignes de ce combat. Honnêtement, le concept de partenariat ou de collaboration avec un ordre quelconque de gouvernement ne peut absolument pas se concrétiser pour l'instant. Le système actuel profite à quelques-uns aux dépens de la majorité. Les personnes aux échelons les plus bas, celles à qui nous parlons et avec qui nous travaillons chaque jour, doivent de plus en plus se débattre chaque jour pour simplement manger ou dormir.

Le gouvernement fédéral a véritablement abandonné les sans-abri. L'itinérance ne constitue pas du tout une priorité pour le gouvernement fédéral; des programmes comme l'Initiative nationale pour les sans-abri obligent simplement les organismes de services à mendier pour obtenir une part des modestes sommes qui sont distribuées chaque année et ils doivent respecter des règles strictes qui entravent toute forme utile d'action revendicatrice.

En outre, le gouvernement conservateur s'apprête à fermer un projet couronné de succès, un projet reconnu dans le monde entier, qui aide les toxicomanes et qui a prouvé à maintes reprises son efficacité lorsqu'il s'agit de freiner la communication des maladies et de sauver des vies : je veux parler du site d'injection supervisée. Est-ce cela, la collaboration? La fermeture de programmes qui donnent de bons résultats et l'appui à des projets qui ne sont que des solutions temporaires et qui ne s'attaquent pas aux racines du mal?

Le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique a abandonné les pauvres, et il l'a fait dans l'intérêt des grandes entreprises et des allégements fiscaux accordés aux entreprises. Nous avons un surplus de deux milliards de dollars, cette année, un surplus amassé aux dépens des pauvres, créé grâce à des taux d'aide sociale ridiculement bas, à des compressions massives des services sociaux et à l'appauvrissement marqué de ceux qui vivent en marge de la société.

Jorma a 59 ans. Il vit au Carl Rooms, une maison de chambres du Downtown Eastside. Il habite le Downtown Eastside depuis 23 ans. Il travaille à temps plein dans l'industrie du bâtiment. Il est venu à mon bureau il y a environ deux mois avec un avis d'expulsion illégale de la direction des Carl Rooms.

J'ai travaillé avec Jorma pour combattre cette expulsion illégale par l'entremise du bureau des locations résidentielles. J'ai découvert que la direction de cette maison de chambre essayait d'expulser tous ses locataires et de vendre l'édifice à un promoteur de logements en copropriété. La communauté s'est mobilisée au sujet des Carl Rooms et, avec l'aide de Jorma, nous avons réussi à mettre un terme aux expulsions illégales.

Trois semaines plus tard, les libéraux de la Colombie-Britannique ont annoncé qu'ils consacraient 80 millions de dollars au logement à Vancouver. Ils ont acheté neuf hôtels, dont le Carl Rooms. Aujourd'hui, quatre mois plus tard, la province réinstalle tous les locataires. Son mandat prévoit qu'elle ne louera aucune chambre pendant au moins six mois. Jorma vient à nouveau de perdre toute sécurité en matière de logement.

La province a justifié les compressions des programmes sociaux et de l'aide sociale en achetant neuf hôtels qu'elle n'utilise pas pour loger des personnes. Elle vide ces hôtels et elle les garde vides. Est-ce cela, le partenariat, la collaboration? Est-ce cela, la solution du gouvernement provincial à la crise du logement en Colombie-Britannique?

Finalement, et cela intéresse spécifiquement le comité, nous discutons des difficultés que présente le travail auprès du gouvernement local. En tant que représentante, je peux dire que c'est l'ordre de gouvernement le plus frustrant.

James McQueen louait une chambre à l'hôtel Piccadilly depuis 12 ans. Il payait son loyer tous les mois. Il travaille : il récupère des boîtes métalliques, des bouteilles, et cetera. et il parvient à survivre avec l'aide sociale qu'il reçoit chaque mois. Le 14 février, James a reçu un avis d'expulsion. Lui et tous les autres locataires de l'hôtel Piccadilly avaient deux semaines pour se trouver un autre logement. Il ne s'agissait pas d'une expulsion légale : c'est la ville qui fermait le bâtiment en invoquant des violations du code. Bien sûr, James et les autres locataires n'auraient pas dû habiter un bâtiment en mauvais état, mais James ne devrait pas non plus se retrouver à la rue parce que le bâtiment a besoin de quelques réparations mineures.

Le règlement sur les normes d'entretien est un règlement municipal qui permet à la ville de visiter les hôtels et les maisons de chambre — les hôtels dont nous avons parlé —, de faire les réparations qui s'imposent si le propriétaire refuse de les faire, puis d'imputer les coûts au propriétaire. Ce règlement vise à protéger le parc de logements à prix modique que nous avons actuellement et il garantit aux locataires qu'ils vivent dans des immeubles sûrs. Toutefois, dans le cas de l'hôtel Piccadilly et de nombreux autres bâtiments où le loyer est modique, la municipalité de Vancouver a négligé ses responsabilités, elle a fait fi de son règlement et elle a autorisé la fermeture de ces immeubles alors qu'ils auraient pu être réparés et entretenus.

Le 28 février, James a perdu son logement, tout comme 15 autres locataires de l'hôtel Piccadilly. On leur a donné deux heures pour ramasser leurs effets, puis un représentant agent du propriétaire leur a ordonné de partir. Il avait un bâton de baseball à la main lorsqu'il leur a demandé de partir. Cinq agents de la police de Vancouver se trouvaient à proximité et ils ont laissé cela se produire à l'extérieur de l'hôtel Piccadilly.

Est-ce vraiment de la justice, quand la police ne fait rien et permet que les pauvres soient expulsés illégalement, jetés à la rue sous la menace d'un bâton de baseball? L'hôtel Piccadilly est vide aujourd'hui, ses locataires dorment dans les rues et les propriétaires conspirent pour convertir ce précieux immeuble en petit hôtel élégant pour les touristes qui viendront aux Jeux Olympiques.

Non seulement la ville ne protège pas les logements que nous avons, mais en outre elle ne respecte pas ses engagements. Elle avait promis d'investir pour créer de nouveaux logements. Le conseil municipal a adopté un plan d'action pour éliminer l'itinérance en 2004; la ville s'était alors engagée à acheter un hôtel par année et à le convertir en logements décents et abordables. Jusqu'à maintenant, la ville n'a pas acheté un seul immeuble et elle continue de se soustraire à sa responsabilité et à son engagement. Elle n'a toujours pas pris cette modeste mesure pour atténuer la crise du logement à Vancouver.

Est-ce vraiment cela, la collaboration avec le palier municipal? Est-ce la façon dont la ville répond aux demandes constantes des organismes de service et des pauvres qui veulent que l'on combatte l'itinérance? Comment pouvons-nous, de bonne foi, conclure un partenariat quelconque avec les gouvernements municipaux alors qu'ils refusent toujours de reconnaître les besoins concrets des pauvres de Vancouver?

D'ici deux ans et demi, nous, les fournisseurs de services et les activistes de la communauté, craignons les effets des Jeux Olympiques d'hiver de 2010 — non pas l'inclusion et la prospérité, mais une augmentation de l'itinérance, de la brutalité policière et du nettoyage social. Des personnes travaillent sans compter pour tenter d'arrêter cette machine pratiquement monstrueuse qui écrase les droits des pauvres et ouvre la voie à la mise en valeur.

Comment pouvons-nous travailler avec les administrations municipales pour faire de nos collectivités des milieux sains et dynamiques? Je ne crois pas vraiment qu'on puisse y arriver. Tant que les gouvernements, à tous les niveaux, ne reconnaîtront pas le pouvoir collectif et la résilience de cette communauté, la confrontation se poursuivra. La solution viendra d'un processus de résolution de problèmes axé sur la communauté et non pas des rapports ou des études réalisés par les gouvernements.

Ceux qui vivent et travaillent dans le Downtown Eastside savent bien quelle est la solution à l'itinérance : des logements abordables. Tant que ce besoin fondamental, ce droit humain, ne sera pas satisfait, nous continuerons d'assister non seulement à une aggravation de la crise, mais à une résistance croissante. Tant que le logement ne constituera pas une priorité pour tous les ordres de gouvernement, il y aura de plus en plus de résistance de la part de ceux qui sont les plus touchés par l'itinérance et la pauvreté. Cette résistance restera pacifique pendant un certain temps seulement.

Les Jeux Olympiques d'hiver de 2010 se rapprochent, et de plus en plus de nos frères et sœurs sont expulsés de leurs domiciles et jetés à la rue — nous le voyons tous les jours. Je crois que le gouvernement n'aura que deux chois : il devra répondre à la demande de logements abordables ou supprimer la colère légitime de personnes qui ne permettront pas plus longtemps que leurs droits soient ainsi violés. Il est temps que l'administration municipale cesse de légiférer la pauvreté et l'itinérance et commence à respecter ses engagements en vue d'atténuer ces problèmes.

Le président : Voilà deux exposés bien différents. Le premier montre qu'il est possible pour la communauté, le gouvernement et le monde des affaires de collaborer, dans le cas de Saint John, pour régler les problèmes. Au contraire, les représentants du Downtown Eastside parlent d'un manque de coopération, en particulier avec le gouvernement municipal. J'ai visité le Downtown Eastside il y a à peu près un an.

Je vais commencer par poser deux ou trois questions, puis je laisserai la place à mes collègues. Je m'adresse d'abord à Vibrant Communities Saint John. Vous avez mentionné que vous aviez la plus forte proportion de familles monoparentales vivant dans la pauvreté au Canada et qu'il y avait eu très peu de changement au cours des 20 dernières années. Pourquoi pensez-vous qu'il y a eu si peu de changement? Pourquoi avez-vous cet honneur douteux dans votre ville? Dites-nous comment la coopération que vous avez établie entre les différents segments de la collectivité vous aide à atténuer ce problème. Est-ce que vous êtes en mesure de le régler ou s'agit-il plutôt de gérer les problèmes plutôt que de les régler ou de les atténuer?

Kurt Peacock, recherchiste, Vibrant Communities Saint John (VCSJ) : Je répondrai d'abord à vos questions statistiques, puis M. Gribbons traitera des questions de coopération.

Les données relatives à Saint John révèlent l'existence d'un certain nombre de problèmes, dont le fait que Saint John est l'une des régions métropolitaines de recensement (RMR) les plus petites au pays, avec environ 120 000 habitants. En termes de pourcentage, ce qui correspond à 20 000 familles à Winnipeg ou à 40 000 familles à Montréal ou à Toronto représente peut-être seulement 4 000 ou 5 000 familles à Saint John. En pourcentage, les chiffres peuvent être très inquiétants. Nous pensons toutefois qu'il est beaucoup plus facile de tirer quelques centaines de familles de la pauvreté que d'en tirer 10 000 ou 20 000.

Pour ce qui est du défi particulier auquel se heurtent les familles à faible revenu de Saint John, il faut bien admettre que nous avons un certain nombre de problèmes. Premièrement, comme la famille a évolué depuis les années 1950 et 1960, chaque recensement révèle un accroissement du nombre de familles monoparentales dirigées par des femmes à Saint John. En conséquence, comme la majorité de ces familles monoparentales ne peuvent pas échapper à la pauvreté, le taux d'enfants de Saint John qui vivent dans la pauvreté continue d'augmenter. Comment se fait-il qu'en 20 ans de données de recensement la situation ne semble pas s'être améliorée? C'est une excellente question.

Au niveau stratégique, l'un des défis de Saint John vient de sa réputation de ville de cols bleus. Nous avons une solide base industrielle. Nous comptions un certain nombre d'emplois dans le secteur manufacturier dans les années 1980 et 1990, en raison du programme des frégates, et l'on parle maintenant d'un centre de l'énergie. Le défi, pour la collectivité, c'est que la plupart de ces emplois bien rémunérés sont occupés surtout par des hommes et rarement par des femmes. En conséquence, les emplois que les mères chefs de famille monoparentale peuvent trouver dans une économie urbaine traditionnelle sont absents à Saint John.

Parallèlement à ce défi, nous vivons une sérieuse dans le secteur des garderies. Nous avons demandé les données provinciales pour déterminer le nombre de places de garderie réglementées à Saint John. Nous en avons environ 1 000 de moins que Moncton. Moncton est une ville de taille comparable à Saint John : les deux RMR comptent environ 120 000 habitants. Lorsqu'une collectivité compte plus de 1 000 places en garderie de plus qu'une autre, cela influe sur le taux de pauvreté des familles monoparentales. Nous avons toujours cru qu'il était difficile pour les mères chefs de famille monoparentale de gagner suffisamment pour réussir si elles n'ont pas d'endroit où faire garder leurs enfants.

M. Gribbons : Je fais partie d'une organisation appelée la Business Community Anti-Poverty Initiative, créée en 1998. C'est le principal commanditaire de Vibrant Communities Saint John. C'est ainsi que je me suis engagé. Essentiellement, en 1998, un certain nombre de nos chefs d'entreprise en ont eu assez. Comme 25 p. 100 cent de notre population vit sous le seuil de la pauvreté, nous ne pouvons pas nous espérer que notre ville prenne de l'expansion. Les dirigeants de nos grandes familles industrielles, de nos organisations professionnelles, de nos principaux cabinets d'avocats et de comptables et de nos syndicats se sont engagés. Il s'agit véritablement d'un effort collectif.

L'engagement du monde des affaires a donné lieu à beaucoup de scepticisme, non seulement dans le secteur sans but lucratif mais aussi au gouvernement. Qu'est-ce qui se passait? Pourquoi les gens d'affaires venaient-ils? Sincèrement, tous croyaient que pour réussir nous devions agir de concert. J'ai mentionné dans mon exposé que parce que Saint John est une ville industrielle qui avait connu un certain nombre de cycles d'expansion et de récession depuis la Seconde Guerre mondiale, les commerces peuvent prospérer pendant les périodes d'expansion. Les commerces survivent aux périodes de dépression, mais nos quartiers les plus vulnérables et nos pauvres ne font aucun progrès. Nous avons décidé que cela devait changer.

En 1999, avec l'aide généreuse de J.K. Irving, nous avons commandé à Deloitte une étude sur les principales causes de la pauvreté à Saint John. C'est alors que nous avons constaté que notre plus grand problème était la famille monoparentale. Malheureusement, la personne pauvre à Saint John est jeune, c'est une femme et elle a deux enfants.

Nos efforts portent principalement sur l'allégement du problème. Il existe un extraordinaire programme appelé First Steps, qui a été lancé par les milieux d'affaires et auquel de nombreux organismes bénévoles ont contribué. Nous recevons maintenant un soutien fédéral et provincial limité, surtout du côté provincial.

First Steps est une résidence où les jeunes femmes enceintes peuvent se réfugier et trouver la sécurité. Elles peuvent y mener leur grossesse à terme; après la naissance de leur bébé, elles peuvent continuer de vivre à First Steps pendant un an.

Nous avons aussi établi un programme scolaire de niveau secondaire qui se déroule à la résidence même. Nous avons en effet découvert que, malheureusement, ces jeunes filles quittaient l'école parce que le système scolaire n'est pas adapté aux besoins d'une jeune mère célibataire. Nous avons ouvert une petite école. Je suis heureux d'annoncer que le 28 juin nous remettrons des diplômes d'études secondaires à six jeunes femmes. L'an dernier, nous avons eu nos deux premières diplômées.

Depuis que First Steps a ouvert ses portes, 58 enfants y sont nés, tous de poids normal. Si ces jeunes femmes vivaient dans la rue ou s'hébergeaient provisoirement chez divers amis, ces 58 bébés n'auraient pas eu un poids normal.

Nous commençons aussi à documenter les économies que réalise le système. Combien d'argent le programme permet-il d'épargner à la province? Lorsque vous traitez avec les gouvernements et les bailleurs de fonds des organisations, vous devez présenter des chiffres et des arguments économiques. Nous pouvons considérer qu'il est moral, correct et éthique de réduire la pauvreté, mais tous ne sont pas de cet avis dans la société, il faut donc avoir d'autres arguments à présenter, y compris des arguments économiques. C'est pourquoi nous parlons d'accroître le PIB et les taux de participation à la main-d'œuvre. Ces arguments sont efficaces auprès de certains interlocuteurs, mais nous voulons aussi réduire la pauvreté et faire en sorte que tous nos citoyens profitent pleinement des avantages qu'offre notre pays.

Les organisations d'affaires de Saint John que je représente sont d'accord. Notre administration municipale participe à nos efforts et les appuie. Le gouvernement provincial en est lui aussi. Malheureusement, le Nouveau-Brunswick est une province pauvre. L'argent y est rare. La province n'a pas un surplus de deux milliards. Le gouvernement fédéral nous a bien aidées, mais des changements ont récemment été apportés aux programmes fédéraux et il est maintenant plus difficile d'obtenir des services du gouvernement fédéral. C'est ce dont nous sommes venus parler.

Le président : J'aimerais demander aux représentantes du Downtown Eastside Residents Association ce qu'il en est des accords de développement urbain. Les représentants de Saint John affirment qu'ils aimeraient en conclure un. Il semble en exister dans plusieurs villes de l'Ouest, mais j'entends souvent parler de l'accord concernant le Downtown Eastside, aux termes duquel les trois ordres de gouvernement se sont alliés aux milieux communautaires pour définir ce qu'il faut faire pour contribuer à améliorer la vie dans ce quartier. Des objectifs avaient été fixés, et chaque ordre de gouvernement savait ce qu'il avait à faire.

Pouvez-vous m'en parler? Est-ce que cela a donné des résultats? Vous ne ménagez pas vos critiques à l'endroit de tous les ordres de gouvernement. Y a-t-il quelque chose qui fonctionnerait? Que proposez-vous comme mode de collaboration de rechange entre les divers ordres de gouvernement et la communauté? Quel mécanisme proposez-vous?

M. Kerr : Vous mentionnez l'Accord de Vancouver. Je travaille dans un quartier où les problèmes sont nombreux et extrêmement graves, mais je ne veux pas pour autant manquer de respect au Sénat. Je ne veux pas vous manquer de respect, mais je dois être honnête et vous faire part de ce que nous voyons chaque jour.

En toute honnêteté, nombre de résidents de Vancouver, nombre de pauvres, en particulier dans le Downtown Eastside, considèrent l'Accord de Vancouver comme un simple outil pour embourgeoiser le quartier.

L'Association administre le programme Children Need Care Now, financé par l'Agence de santé publique du Canada. Ce programme aide les mères et leurs enfants, pendant la grossesse et jusqu'à ce que l'enfant ait six ans. L'Association reçoit ce financement depuis de nombreuses années déjà. Si vous consultez le site Web de l'Accord de Vancouver, vous verrez que cet Accord prévoit l'octroi de fonds. Toutefois, nous recevions déjà ces fonds avant l'entrée en vigueur de l'Accord de Vancouver.

Le logement est l'un des très graves problèmes de Vancouver. Si les divers ordres de gouvernement unissaient leurs efforts, s'ils cessaient de fermer les hôtels et s'ils commençaient à construire des immeubles, cela réglerait bien des problèmes. Mon expérience quotidienne dans la rue et ma collaboration avec d'autres groupes du quartier ne me permettent pas de vous affirmer que l'Accord de Vancouver a des effets sensibles. Il ne change pas le fait que les hôtels sont fermés, que les appartements disparaissent et que nous ne construisons pas de nouveaux logements.

La ville de Vancouver est très différente de la ville dont il est question dans le témoignage de mes amis de la côte est. Des pressions géographiques s'exercent sur le Downtown Eastside parce que ces terrains se trouvent face à la mer. Les logements en copropriété vont s'y multiplier. Ces terrains sont, en fait, les derniers terrains disponibles à Vancouver. Les promoteurs exercent d'énormes pressions économiques pour construire des logements en copropriété. Même Woodwards offre des condos entre 500 et 800 000 $. J'habite North Burnaby, en banlieue de Vancouver. Je ne pourrais pas vire à Vancouver aujourd'hui, et j'ai acheté mon apparemment il y a trois ans.

À ma connaissance, l'Accord de Vancouver n'a pas de véritables répercussions sur le terrain. Je rentre à Vancouver pour jeter 76 personnes à la rue. J'ai parlé à la B.C. Housing. La B.C. Housing n'a pas d'argent. Les neuf hôtels dont Mme Hunter parlait et que la province vient d'acheter avec des fonds anciens seront un jour rouverts. On y aménagera des logements adaptés, ce qui signifie qu'aucune des personnes qui y vivaient n'aura de droits aux termes de la Residential Tenancy Act. J'imagine qu'environ 800 personnes actuellement inscrites sur les listes de la Vancouver Coastal Health Authority seront installées dans ces chambres.

Nous avions 17 000 chambres avant l'Expo 86. Franchement, l'Association ne considère pas ces hôtels comme des logements adéquats. Ils comptent parmi les logements les plus coûteux de la ville. Ce sont des chambres de 100 pieds carrés, souvent infestés de rats. J'ignore quelle est la situation à Ottawa, mais à Vancouver nous avons une épidémie de punaises, et les locataires de chambres dans ces hôtels sont couverts de plaies. Nous ne tenons pas à ce que ces hôtels restent ouverts, mais la seule autre solution serait la rue.

J'aimerais vous dire que je sais que l'Accord de Vancouver produit toutes sortes de résultats intéressants et que la situation s'améliore, ne serait-ce que lentement. Tel n'est pas le cas. La situation s'aggrave. Il nous faut des logements. Je sais que nous vivons dans un système capitaliste. Il convient d'encourager les gens à faire quelque chose, ne serait-ce que par humanité, mais si vous voulez parler d'argent, disons qu'il en coûte 48 000 $ par année pour laisser quelqu'un à la rue alors qu'il en coûterait 28 000 $ pour loger cette personne. Cet argument n'est pas nouveau, mais il ne semble convaincre personne. Il nous faut des logements. Pouvez-vous vous imaginer que vous êtes dans la trentaine et que vous allez mourir dans les rues de Vancouver, des suites du sida, de l'hépatite C ou d'une terrible toxicomanie? On s'apprête à fermer le site d'injection supervisée, et il n'y a pas d'autres endroits où aller. Les choses en sont là.

L'Accord de Vancouver n'a pas d'effets sensibles. Je ne vois pas ses effets lorsque s'ouvre la porte de la Downtown Eastside Residents' Association, et cette porte s'ouvre des centaines de milliers de fois chaque année.

Le sénateur Keon : J'ai eu le privilège de me trouver à Vancouver au cours du week-end avec l'Organisation mondiale de la santé. J'ai siégé de leur commission dont les membres ont pu parcourir la rue Hastings dans un autobus qui lui, n'était pas très fameux. La bonne nouvelle est que la randonnée s'est terminée au Vancouver Aboriginal Friendship Centre. Les programmes qui ont été décrits à ce centre sont vraiment impressionnants. Il y a des services de garde d'enfants pour les gens pauvres. Ce centre dispose d'installations récréatives importantes pour que les gens puissent retrouver la forme, s'entraîner et ainsi de suite. On y tient des assemblées éducatives. Le centre a des ramifications jusque dans les réserves pour ceux et celles qui aimeraient y retourner. Quand les gens ne veulent pas retourner sur les réserves, le centre leur trouve de l'emploi, même dans les champs pétrolifères, s'ils le désirent afin qu'ils puissent gagner un peu d'argent. Ils peuvent retourner dans les réserves ou à Vancouver et au moins ils ont un peu d'argent en poche.

Tous les deux, vous êtes vraiment braves d'avoir marché sur Hastings Street. Je n'aurais jamais le courage de le faire.

M. Kerr : Je m'y sens très à l'aise.

Le sénateur Keon : Je ne sais pas comment vous faites pour vous déplacer et pour rencontrer ces gens, mais je vous félicite de le faire.

Cette scène n'a rien de nouveau pour moi. J'ai vu pire à Calcutta, en Amérique du Sud et ailleurs. Il me semble qu'il faut beaucoup plus que des logements. Il faut des programmes axés sur la collectivité et offrant des services de santé publique de base et des services sociaux. Il n'y a pas de panacée. Il y a des logements, mais il faut également de la nourriture, de l'argent, du counselling et ainsi de suite.

Je ne sais pas quel est le degré de succès de ce centre de l'amitié et j'ai l'impression que les responsables se sont vantés un peu en commission.

M. Kerr : Le centre fait du bon travail.

Le sénateur Keon : On y a donné des exemples de jeunes gens de la rue qui ont commencé à se rendre au centre de l'amitié et auxquels on a permis de raconter leur histoire, comment ils se sont pris en main, comment ils ont obtenu un emploi, comment ils ont délaissé la drogue et ainsi de suite.

Outre le logement, il y a des besoins considérables en matière de services communautaires, auxquels le gouvernement fédéral pourrait probablement donner suite même dans le cadre de l'Agence de santé publique du Canada, qui dispose de fonds considérables pour le moment, et qui pourrait offrir une panacée à ces gens.

Je vous écoute et j'ai presque du mal à vous dire ce qui suit. On m'a déjà parlé d'une ville d'Afrique, Kinshasa si mes souvenirs sont bons, qui devait accueillait un événement sportif majeur il y a une vingtaine d'années. La ville voulait éliminer les traînards du centre-ville afin de se présenter sous son meilleur jour face aux gens qui viendraient et qui paieraient des prix élevés pour leurs billets. La stratégie consistait à recueillir jusqu'à 100 personnes chaque soir, à les amener au poste de police et à en fusiller 50. Les 50 autres personnes étaient ensuite libérées et on leur demandait de retourner dans leur milieu pour dire à leurs amis que l'on recueillerait 100 autres personnes la nuit suivante. Les autorités ont continué ce manège jusqu'à ce qu'il n'y ait plus personne sur la rue. Cela me semble être l'histoire la plus horrible que j'ai jamais entendue de ma vie. Nous sommes au Canada et les choses sont presque aussi mauvaises sur la rue Hastings.

Selon moi, vous avez aussi un autre problème. Pour nous qui passons d'Ottawa à Vancouver, nous trouvons le temps est si doux que nous pourrions presque rester sur la rue. Cela doit constituer un attrait considérable pour les gens de la rue. Je suis désolé d'aborder cette question.

Je voudrais vous ramener au principe. Ce que vous devez viser, outre le logement, ce sont des services communautaires, un lieu où les gens puissent se rendre, un peu comme les centres de l'amitié, mais qui soient beaucoup plus que les centres de l'amitié. C'est la seule façon dont vous arriverez à convaincre les gens de quitter la rue. Toute la rue est horrible à regarder et cela échappe à toute description.

M. Kerr : Le Vancouver Aboriginal Friendship Centre auquel vous faites référence fait du bon travail. Il y a dans le quartier Est du centre-ville plusieurs organisations qui travaillent beaucoup depuis longtemps et qui sont très engagées. La Vancouver Native Health Society est très active dans le quartier Est du centre-ville. Ce n'est pas la seule organisation dans ce quartier. Il y en a plusieurs autres mais c'est une des plus vieilles organisations du quartier.

Je ne dis pas qu'il ne faut rien d'autres. Le logement est très important. Nous sommes suffisamment chanceux de disposer de terrains, parce que j'exploite aussi deux sociétés de logement. Même si je dois fermer un immeuble faute de financement, mon organisation exploite également B.C. Housing, qui offre des logements en fonction du revenu des gens. Par exemple, les gens paient 30 p. 100 de leur revenu ou, s'ils vivent d'assistance sociale, 218 $ par mois pour un logement. Nous offrons des garçonnières et aussi des appartements de trois chambres à coucher. Malheureusement, nous n'en avons pas suffisamment. Nous ne sommes pas les seuls à offrir des logements dans la ville, mais nous n'en avons pas suffisamment. Dans ce quartier, il y a quelque 8 000 personnes sur une liste d'attente pour 350 appartements. Je ne doute pas qu'il y ait d'autres listes d'attente ailleurs.

Quand j'ai la possibilité de dire à une personne qu'elle aura un des appartements, je suis à même de constater que cela fait une différence considérable. Le bien-être psychologique qui découle d'avoir une place à soi fait toute la différence. Par contre, ce n'est pas que nous n'évinçons pas des gens. Nous gérons les logements comme ils doivent l'être, mais il est rare que nous ayons à évincer quiconque. Cela crée aussi une différence considérable.

Je suis allé à Vancouver en 1980 après avoir bu tout ce que j'avais à boire à Toronto. Aujourd'hui, j'ai 52 ans. Cela s'est passé quand j'avais 25 ou 26 ans. J'avais vécu dans la rue et j'avais eu à faire face à des habitudes de toxicomanie grave, mais je compensais en me rendant dans un centre de désintoxication. À l'époque, en 1983, il y avait moyen de se rendre dans un centre de désintoxication comme je l'ai fait à plusieurs reprises, bien souvent pour y trouver quelque chose à manger, pour regarder la télé et pour obtenir un peu de tabac.

La possibilité existait aussi d'y aller pour un traitement en résidence à long terme. En bout de ligne, j'ai profité de cette occasion et j'ai pu participer à un programme de traitement en résidence à l'extérieur de la ville de Mission pendant neuf mois. Au cours des trois premiers mois, j'aurais eu beaucoup de difficulté à chercher un numéro de téléphone dans un annuaire parce que j'étais à l'époque ce que l'on considérait comme un ivrogne. Je ne crois pas que l'on utilise encore ce mot.

J'en suis sorti et j'ai obtenu un emploi. À cette époque, il était possible de s'adresser à une agence de logement et de louer un appartement parce que cela ne coûtait pas cher comme aujourd'hui. Mais j'ai été très chanceux. J'ai été élevé par une famille relativement aisée et j'ai toujours eu une certaine facilité à m'exprimer. J'avais une vingtaine d'années de moins qu'aujourd'hui. Et je profitais de nombreux avantages. J'étais aussi un homosexuel qui pouvait se rabattre sur une collectivité homosexuelle importante dans le quartier Est de Vancouver et y trouver un accueil chaleureux, ce qui a fait une grande différence.

Si aujourd'hui j'appelle le Vancouver Coastal Health concernant un traitement pour des gens — et je ne cherche pas à dénigrer quiconque ici, c'est simplement la réalité — on me parle de Daytox. Daytox signifie que vous demeurez avec une famille ou avec des amis qui vous aident à vous replacer. Les personnes avec lesquelles je transige dorment sur le plancher de mon bureau, tandis que ceux qui souffrent d'une maladie mentale sont sur la rue, où les gens meurent. Quand j'avais 24 ou 25 ans et quand j'ai arrêté de boire, je ne me mourais pas d'hépatite C, ni du sida, ni de quoi que ce soit d'autre. Dans ce voisinage, plusieurs personnes le sont. Je suis d'accord avec vous qu'il faut beaucoup plus que des logements. Chose certaine, nous avons besoin d'un plus grand nombre de logements.

Des gens et des membres de ma famille me parlent de sécurité. Je me sens tout à fait en sécurité dans le quartier Est du centre-ville de Vancouver. Peut-être est-ce parce que je connais un grand nombre de personnes et qu'un très grand nombre de gens qui vivent dans ce quartier savent qui je suis. Je me suis toujours senti en sécurité dans ce quartier.

J'avoue qu'il s'agit d'un quartier redoutable. Il y a des éléments de la société qui partent du fait qu'il s'agit d'un quartier redoutable pour imposer des solutions plutôt pénibles. En ce qui a trait à vos observations concernant l'Afrique et aux solutions aux problèmes que vous avez énoncées, je ne crois pas que rien de ce genre puisse se produire à Vancouver. Pourtant, j'ai l'impression que les policiers se présentent à un hôtel, qu'ils enfoncent la porte, qu'ils dégainent leur pistolet et qu'ils disent aux gens de sortir. Les policiers ont été informés que le propriétaire a un bâton de baseball et qu'il est prêt à fracasser la tête des gens. Les policiers ne veulent pas nous laisser entrer alors que nous avons un droit légal d'entrer dans l'immeuble et d'aider les gens.

C'est ainsi que la direction du American Hotel a illégalement évincé ses locataires. Quand ceux-ci ont été évincés, nous nous sommes adressés à la Residential Tenancy Branch et nous avons eu gain de cause en arbitrage. En vertu de la Loi sur les infractions provinciales, la police a la possibilité d'entrer dans un hôtel et d'empêcher la direction d'évincer les locataires, surtout des femmes, qui ont été évincés à 23 heures et à minuit, mais elle a refusé de le faire.

Un avocat qui travaille dans le quartier m'a raconté que c'est là l'équivalent pour la police de me dire qu'il y a un vol de sac à main en cours dans le quartier, qu'un policier viendra et qu'il s'assurera que la vieille dame ne tombera pas et ne se fera pas aux genoux en tombant. Pourtant, le policier ne pourra empêcher le vol de du sac à main. Cela se produit à tous les jours. Il y a une guerre contre les pauvres dans le quartier Est du centre-ville. On y criminalise la pauvreté.

Un couple a vécu pendant deux ans dans l'entrée de mon bureau. Il s'agit de deux personnes qui souffrent de problèmes mentaux, des toxicomanes et des sans-abri. Elles habitent là parce que nous avons des caméras numériques à l'extérieur et elles savent qu'elles sont en sécurité, à l'abri des policiers. Voilà la réalité du quartier Est du centre-ville.

Le sénateur Cochrane : Je tiens à vous féliciter tous les deux. Vous êtes jeunes et vous faites un travail que peu de personnes songeraient faire. Vous travaillez avec ces gens, vous vous préoccupez d'eux, vous avez des sentiments humains à leur égard. Je crois que cela est merveilleux.

Je veux vous parler du logement. Je me souviens d'une situation où plusieurs personnes étaient intoxiquées. C'étaient des alcooliques. Ces personnes ne prenaient guère soin de leurs enfants. C'étaient des personnes à tendance suicidaire et ainsi de suite. On leur a offert un nouveau logement, mais cela n'a pas réglé le problème. Ils sont toujours condamnés à la médiocrité. Je le sais.

Il doit donc y avoir quelque chose d'autre en plus du logement. Comme l'a dit le sénateur Keon, nous devons établir des programmes. Nous devons trouver des leaders. Je puis vous assurer que parmi tous ces gens, il y a des leaders. Il faut trouver ces gens pour amorcer quelque chose. Tout comme vous l'avez fait, ces gens peuvent aider. Ce sont des personnes auxquelles on fait confiance. Ces gens font confiance aux leurs. Si moi-même ou un agent de la GRC y allait, la situation serait complètement différente.

Voyons si nous pouvons trouver des leaders. Vous avez travaillé avec eux. Vous connaissez les leaders. Certains d'entre eux sont des personnes fabuleuses dans ce qu'elles peuvent faire. Ce sont des maîtres, mêmes pour organiser des événements et proposer des solutions. Faisons quelque chose comme cela. Je vous félicite.

Mme Hunter : Nous croyons qu'il y a un continuum chez les gens qui offrent des logements à Vancouver. La construction d'appartements autonomes entièrement neufs n'est pas ce dont tout le monde a besoin. Certaines personnes ont besoin d'arrangements de logement assortis du soutien de travailleurs pour réapprendre à s'occuper de leurs enfants ou d'eux-mêmes.

Le logement représente un continuum. Nous avons besoin d'un plus grand nombre de centres de traitement comme l'a suggéré M. Kerr, mais nous avons également besoin d'un plus grand nombre d'appartements complets. Ce n'est pas ce qui se produit, et c'est là une partie du problème. Il y a de nombreuses personnes qui ont besoin d'un plus grand soutien et de services plus importants, mais il y en a beaucoup d'autres qui ont tout simplement besoin d'avoir accès à un logement abordable. Chaque fois que nous en parlons, nous cherchons à promouvoir l'idée de soutien et de services continus.

Ce qui manque bien souvent, c'est la reconnaissance de la capacité et du leadership au sein des collectivités, particulièrement dans les collectivités pauvres comme celles du quartier Est du centre-ville. Quant à savoir comment nous pourrions collaborer, je crois que cela représente un lien manquant important, et que ces collectivités ont déjà tout ce qu'il faut et qu'elles sont capables d'intervenir.

Parfois, on entend dire que les résidents du quartier Est du centre-ville devraient déménager vers Coquitlam ou Surrey. Toutefois, il s'agit d'une collectivité, l'une des plus vieilles de Vancouver. On y trouve des liens sociaux et culturels très forts et les gens se sont constitués des réseaux au fil des ans. Ces réseaux sont puissants et solides. Si nous commencions à bâtir sur ce qui existe et si les gouvernements se retiraient un peu, s'ils accordaient leur soutien, tout en restant à distance et qu'ils laissaient cette énergie et cette capacité se développer, nous constaterions qu'il y a des collectivités saines qui se préoccupent les unes des autres et qui auraient l'air bien différentes de ce qu'elles ont l'air maintenant. À l'heure actuelle, les gens sont tellement occupés à survivre et à faire face à la dure réalité de la vie au jour le jour que cette initiative ne décolle pas.

M. Peacock : En ce qui a trait à la question du leadership, un collègue de notre bureau, Mme Gail Taylor, a consacré une bonne partie des deux dernières années à organiser le quartier de plus pauvre de Saint John, Crescent Valley, qui est dominé par des unités de logement du Nouveau-Brunswick. Elle a convaincu un groupe de 10 à 12 femmes, plusieurs d'entre elles étant des mères célibataires, de frapper à chacune des portes du voisinage et à solliciter les résidents pour trouver ce dont la communauté a besoin pour aider à changer les choses. Le sondage s'est avéré fantastique. Nous cherchons toujours à l'utiliser de manière plus localisée.

Face à ce leadership des résidents, face à ce leadership des gens à faible revenu, il faudrait que le gouvernement se manifeste. Lorsque les résidents ont répondu au sondage, tous s'attendaient à ce que ce genre de démarche aide à changer les choses. Parce que notre gouvernement municipal a peu de moyens financiers, que notre gouvernement provincial a peu de moyens financiers et parce que nous ne sommes pas tout à fait dans la mire du gouvernement fédéral, toutes les attentes de ces ménages à faible revenu pourraient être ignorées, malgré le leadership dont on fait preuve dans le milieu.

Il est absolument essentiel de développer un leadership chez les gens à faible revenu. Un certain nombre d'organisations sans but lucratif partout au Canada le font, mais il faudrait que le gouvernement reconnaisse ces efforts à tous les niveaux et qu'il propose des solutions réalistes.

Le sénateur Cochrane : Je suis totalement en accord avec vous. Si je ne l'ai pas dit, sachez que c'est ce que je voulais dire.

Madame Hunter, avez-vous dit que l'on ferme graduellement les centres de désintoxication où les gens se rendent pour avoir les doses dont ils ont besoin?

Mme Hunter : Les lieux d'injection sécuritaire sont un endroit où les gens peuvent obtenir des aiguilles propres, échanger de vieilles aiguilles et utiliser des drogues intraveineuses.

Le sénateur Cochrane : Ce sont ceux que l'on cherche à éliminer, n'est-ce pas?

Mme Hunter : Oui. C'est ce que l'on propose de fermer d'ici décembre 2007.

Le sénateur Cochrane : Est-ce une décision fédérale?

Mme Hunter : Oui.

Le sénateur Cochrane : Avez-vous fait des interventions auprès de divers responsables?

Mme Hunter : La fermeture était prévue pour décembre 2006 mais la collectivité de même que divers niveaux de gouvernement s'y sont opposés; l'opposition est venue surtout du gouvernement municipal de Vancouver. On a donc décidé de reporter d'un an la fermeture afin qu'il y ait davantage de rapports, ce qui constitue une partie de la frustration dans ce dossier. Plusieurs rapports ont été publiés concernant Insite, le site d'injection sécuritaire, qui démontre que cette installation a permis de réduire le nombre de surdoses, l'utilisation d'aiguilles contaminées et la transmission de maladies.

Le sénateur Cochrane : Voilà ce que nous devons mettre dans le dossier d'information que nous présenterons au ministre. L'avez-vous fait?

Mme Hunter : Il y a tellement de renseignements concernant le succès de l'Insite.

Le sénateur Cochrane : Vous devez continuer d'y travailler.

Le président : Voilà une question qui est souvent rapportée à la une des journaux, et qui suscite beaucoup de controverse. Je crois que le ministre de la Santé a indiqué qu'il n'y aurait plus de financement pour ce projet.

Le sénateur Cochrane : N'abandonnez pas. C'est tout ce que je puis vous dire.

Le sénateur Callbeck : Merci d'être venu témoigner aujourd'hui. Merci pour le travail que vous accomplissez.

J'ai vécu à Saint John pendant quatre ou cinq ans, à l'époque où j'enseignais au collège communautaire. J'ai deux ou trois questions concernant votre mémoire.

Vous faites état du faible taux de chômage, mais vous dites qu'il y a des milliers d'adultes en périphérie qui regardent dans le système, surtout parce que ces gens vivent dans une partie de la ville qui est éloignée des centres de services de formation ou d'emploi. Quelles sont ces parties dont vous parlez?

M. Gribbons : Notre taux d'activité est très faible, c'est même le plus faible de toutes les villes de la région atlantique du Canada. Il y a beaucoup d'emplois disponibles pour ceux qui cherchent du travail. Toutefois, ceux qui ne cherchent pas activement un emploi, qui vivent d'aide sociale et qui sont sous le seuil de pauvreté sont passés au travers des mailles du filet de sécurité sociale ou n'ont pas le niveau d'instruction requis pour trouver un travail. Ces gens ne font même pas l'objet du décompte à l'heure actuelle. C'est la raison pour laquelle notre taux d'activité est si faible. Il y a 17 000 personnes dans cette catégorie qui vivent dans les limites de la ville. Le taux de non-emploi est très faible, mais le taux de chômage ne mesure que les personnes qui cherchent du travail et qui ne peuvent en trouver. Il ne mesure pas les gens qui ne cherchent pas du travail.

Le sénateur Callbeck : Parlez-vous de la ville?

M. Gribbons : Dans la ville elle-même, le pourcentage de la population qui vit sous le seuil de la pauvreté était de 24,5 p. 100 lors du dernier recensement. Dans la région métropolitaine de Saint John, je crois qu'il est d'environ 18 p. 100. Au Nouveau-Brunswick, ce taux est d'environ 15,9 p. 100, si je ne me trompe pas. Pour l'ensemble du Canada, il est d'environ 14 p. 100.

Nous nous concentrons sur le milieu urbain. Les trois collectivités les plus riches au Nouveau-Brunswick sont les trois banlieues de Saint John. Le centre urbain le plus pauvre est la ville de Saint John. Il y a eu migration vers les banlieues, un peu comme ce que l'on observe ailleurs au pays. Ce n'est rien à comparer à Winnipeg ou peut-être même à Ottawa. Les gens vivent en banlieue s'ils en ont la possibilité. Cela est plus concentré et plus important dans nos villes.

M. Peacock : L'aspect géographique de la ville complique davantage la situation. Dans les années 1960, la construction d'une artère majeure a isolé le quartier sud du quartier nord de la ville. De fait, un grand nombre des résidents les plus pauvres de Saint John vivent dans le secteur nord, soit dans la vieille partie nord, soit dans Crescent Valley.

Quand j'étais adolescent et que je visitais mes grands-parents dans la partie nord, j'arrivais presque toujours à trouver un emploi d'été en me rendant simplement au bureau local d'emploi, c'est-à-dire le bureau d'assurance-emploi, à l'époque où il était situé dans la section nord. Le bureau a maintenant été déplacé et rapproché de la haute-ville de Saint John, et n'est plus situé le long d'un circuit d'autobus approprié. Il y a littéralement des milliers de sans-emplois ou de sous-employés à Saint John qui ne vivent pas près d'un centre d'emploi du gouvernement fédéral. Il y a 10 ou 15 ans, ils pouvaient s'y rendre à pied.

Il s'agit d'une décision administrative relativement modeste en ce qui a trait aux bureaux à louer et à ce genre de choses. Ces petites décisions gouvernementales peuvent avoir des effets négatifs considérables sur des centaines de familles à faible revenu.

Le sénateur Callbeck : Je suis d'accord avec vous. Vous avez dit que vous avez la possibilité d'offrir des idées à Ottawa pour aider la ville de Saint John et vous avez parlé de petites décisions. Vous dites que vous connaissez un fonctionnaire de la SCHL et que les choses ont commencé à bouger chez vous. Qu'est-ce que cette personne est parvenue à faire en deux ans?

M. Gribbons : Nous avons d'abord tenu une réunion dans la vieille partie nord de la collectivité, que l'on appelle communément Indiantown, pour engager la collectivité, pour l'inciter à participer et pour découvrir ce que les gens qui vivent dans la collectivité voulaient faire. Ces gens voulaient que les rues redeviennent sécuritaires et que l'endroit soit vivable et que l'on améliore les parcs, les trottoirs et l'éclairage des rues. Les policiers se sont avérés de bons partenaires dans cette aventure. Ils ont mis sur pied un bureau de police communautaire dans ce voisinage. Il a été très utile de relier les services et les gens.

Des adolescents du quartier ont obtenu des fonds du service d'électricité local pour visiter les maisons et pour les hivériser. Plusieurs de nos citoyens vivent dans des logements de 80 à 100 ans munis de fenêtre à vitrage unique. Ceux qui louent doivent payer le chauffage. Les adolescents ont parcouru le quartier et ont aidé à isoler les maisons. Ce sont de petites choses comme celles-là qui ont pu faire participer les jeunes et qui leur ont permis de reprendre possession du quartier.

Nous commençons maintenant à construire de nouveaux ensembles domiciliaires qui deviendront des habitations à loyer modéré. L'aspect génial de tout cela est que quand vous entrez dans un immeuble d'appartements, vous ne pouvez dire lequel est visé par un supplément au loyer et lequel ne l'est pas.

Il faut se détacher de l'ancien concept des années 60 où l'on construisait des immeubles qui étaient utilisés pour les logements subventionnés. Cela a été un échec lamentable pour notre collectivité et peut-être aussi pour d'autres collectivités. Nous devons recréer des quartiers habités par des familles à revenus variés, où les jeunes enfants peuvent grandir, peu importe qu'ils viennent de ménages à l'aise ou pauvres, qu'il y ait des mentors dans le voisinage et des gens qui se rendent au travail à tous les jours. Ainsi, il y a quelqu'un à suivre comme modèle. Quand il y a des quartiers extrêmement pauvres à forte concentration de population où 70 p. 100 des gens vivent sous le seuil de la pauvreté et où le revenu moyen par ménage est inférieur à 13 000 $ par année, comme c'est le cas dans un des quartiers, il n'y a rien à espérer, et il n'y a pas de modèle à suivre.

Un des participants au sondage auquel a fait allusion M. Peacock a dit « Nous n'entendons pas les voitures démarrer à huit heures le matin, parce que les gens ne vont pas travailler ». Voilà ce que nous cherchons à changer et voilà en quoi cet homme nous aide.

Le sénateur Callbeck : Il a pris un rôle de leadership fort.

M. Gribbons : Oui, tout à fait. Je le répète, il s'agit d'un petit investissement, mais d'un investissement important. C'est ce que nous avons demandé. Le ministre du jour, M. Fontana, était d'accord. Nous avons maintenu notre intervention et elle s'est avérée très utile.

Le sénateur Callbeck : Le troisième élément est que le gouvernement fédéral élabore une stratégie nationale pour réduire la pauvreté. J'aimerais en entendre parler davantage. Vous êtes sans doute au courant du programme de Terre-Neuve-et-Labrador et du Québec. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

M. Gribbons : Nous avons étudié les deux programmes, celui du Québec et celui de Terre-Neuve-et-Labrador. Nous avons confronté le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Shawn Graham, à ce sujet, lors de nos premières rencontres avec lui. Dans un pays aussi riche que le Canada, nous ne pouvons nous permettre d'avoir 14,5 p. 100 de la population qui vivent dans la pauvreté. C'est à la fois une tragédie et un gaspillage.

Si vous voulez faire quelque chose, il vous faut un plan. Si vous exploitez une entreprise, vous avez un plan d'entreprise. Si vous prenez soin de personnes dans un hôpital, il vous faut un plan pour faire fonctionner l'hôpital. S'il vous faut soulager la pauvreté au pays, vous ne pouvez le faire à la pièce, un ministère faisant une chose et un autre faisant une autre chose. Il faut un plan. C'est ce que nous avons mis la province du Nouveau-Brunswick au défi de faire. C'est aussi ce que je vous encourage à faire, vous les sénateurs, pour inciter le gouvernement du Canada à agir. Il faut une stratégie coordonnée et il faut que le Parlement et le Sénat en débattent.

Qu'est-ce qui est utile pour réduire la pauvreté? Je ne sais pas exactement ce qu'il faut. Nous avons beaucoup d'idées, mais s'il n'y a pas de plans, vous ne pourrez jamais rien faire. C'est comme si vous n'aviez pas de carte routière. On accuse les hommes de se perdre parce qu'ils ne suivent pas les indications routières. C'est ce qui se produit. Si vous n'avez pas de carte routière, vous ne vous rendrez nulle part.

Le président : Des plans avec des échéanciers, et cetera?

M. Gribbons : Oui.

M. Peacock : Du point de vue de la ville de Saint John, il y a quelques indicateurs statistiques clés sur lesquels il serait utile d'intervenir. Nous voulons un taux d'activité plus élevé. S'il faut que le gouvernement offre des suppléments de travail ciblés pour certaines familles, qu'il en soit ainsi. Tous y gagnent lorsque les familles sont capables d'avoir un revenu et de faire progresser le revenu du ménage.

Grâce à Statistique Canada, nous suivons assez régulièrement l'écart de revenu entre les familles de Saint John et celles du pays. Dans le cas d'une famille biparentale, celle de Saint John gagne environ 96 p. 100 de ce que gagne la famille canadienne moyenne. Quand on considère notre coût de vie très abordable, 96¢ par dollar représente un objectif assez intéressant. De fait, le niveau est assez bon dans le cas d'une famille biparentale vivant à Saint John. Dans le cas d'une famille monoparentale vivant à Saint John, le revenu n'est que de 85 p. 100 de la norme canadienne.

Alors que certains autres centres urbains du pays, y compris un certain nombre de centres urbains du Québec, semblent avoir connu une progression importante du revenu médian dans le cas des familles monoparentales sur le marché du travail, à Saint John il ne semble pas y avoir d'augmentation du revenu. Manifestement, nous devrions signifier à tous les niveaux de gouvernement qu'il s'agit d'un indicateur clé. Il faut qu'il y ait une augmentation importante du revenu dans le cas des familles monoparentales si nous voulons une fois pour toute combattre la pauvreté générationnelle qui existe à Saint John.

Mme Hunter : Notre association, la DERA, fait la promotion d'une stratégie nationale en matière de logement. C'est très regrettable que le gouvernement fédéral se soit retiré de l'habitation en 1993, de même qu'il est regrettable qu'il ait apporté des changements au Régime d'assistance publique du Canada pour en faire le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Nous sommes tout à fait en faveur de l'idée que le gouvernement fédéral réinvestisse dans le logement abordable. Selon nous, ce devrait être une première étape clé.

Le sénateur Fairbairn : Je vous remercie d'être venus. Je vous prie de m'excuser d'avoir eu du retard, ce qui m'a fait manquer quelques-unes des premières observations. J'ai consulté les documents et ce qui me trouble est de constater qu'au cours des dernières années il y a eu des efforts pour pénétrer dans les collectivités, particulièrement dans les grandes villes, pour chercher à aborder et à corriger certains des besoins criants. Vous avez fait référence à certains de ces efforts.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles un pays doit élaborer des programmes pour obtenir la présentation des Jeux olympiques, pour que les Jeux olympiques aient lien dans le pays. Tous les efforts et toutes les activités qui précèdent la tenue des Jeux profitent éventuellement aux collectivités. Cela se produit périodiquement avec les Jeux du Canada. Au Canada, cette approche semble fonctionner.

À la lecture de certains de vos mémoires, je suis troublé par le fait que ce qui se produit — probablement de manière très vigoureuse à Vancouver actuellement. Il me semble qu'il est question de se débarrasser de structures qui représentent au moins un toit pour plusieurs personnes, de les échanger contre quelque chose de différent pour inciter les gens à venir à Vancouver pour le grand événement qui doit avoir lieu à Whistler.

Quand tout sera terminé, y aura-t-il quelque chose à Vancouver pour s'assurer que ces structures et tout ce qui aura été aménagé pour inciter les gens à venir aux Jeux olympiques seront conservés et plutôt utilisés pour aider les gens qui n'ont pas de place où vivre? Il me semble qu'autrefois une des raisons qui poussaient les gens à demander la tenue des Jeux olympiques ou des Jeux panaméricains ou d'autres jeux était ce qui devait rester à la fin des événements. Toutefois, cela ne semble pas être une réalité absolue une fois que les événements sont terminés, et il ne semble pas non plus que ces structures aillent automatiquement aux gens dans le besoin. Ai-je raison d'avoir cette impression?

Mme Hunter : Oui. Une des raisons pour lesquelles la ville de Vancouver a obtenu les Jeux d'hiver de 2010 est son engagement en matière de viabilité, son engagement en matière de durabilité de l'environnement, de ses infrastructures sociales, et de son engagement en matière d'inclusivité.

Il y a environ un mois, la Impact on Community Coalition, qui est financée par le COVAN, le Comité organisateur des Jeux olympiques de Vancouver, a publié un rapport concernant le suivi des engagements pris dans le cadre de la candidature du COVAN en vue des Jeux d'hiver de 2010. L'organisation a obtenu la note D moins. Elle a presque échoué parce qu'elle n'a pas pu respecter les engagements qui avaient été pris par le COVAN.

Un des engagements pris lors du processus de mise en candidature était que les logements seraient maintenus après l'événement. Les logements qui devaient être cédés incluaient plusieurs éléments. Le premier était qu'il n'y aurait pas de déplacement, et déjà les déplacements se produisent. Deuxièmement, on avait dit que l'on construirait 2 500 nouvelles unités de logement social avant 2010. À ce jour, aucune unité n'a été construite, aucun chantier de construction n'a été ouvert.

Le troisième engagement était que les 250 unités de logement du village des athlètes, que l'on s'affaire à construire dans le secteur Southeast False Creek, à Vancouver, seraient convertis en logements pour les gens à faible revenu à la fin des Jeux. Aujourd'hui ces 250 unités sont devenues 25 unités et elles ne seront plus offertes à des personnes à faible revenu. Elles sont maintenant destinées à des gens à revenu moyen. Les logements déplacés seront une conséquence de la tenue des Jeux, il y aura eu un nettoyage social et il restera quelques patinoires.

Le sénateur Fairbairn : C'est décourageant. Je sais qu'à Torino, quelques immeubles attrayant ont été construits et que, ce faisant, plusieurs unités de logement pour des gens à faible revenu ont été démolies. Toutefois, il y avait un engagement très fort à l'effet que cet édifice particulier destiné aux Jeux servirait par la suite de logement pour les personnes âgées. Cela devait être signé, convenu et exécuté, et j'estime que tel sera le cas.

Dans le cas de Vancouver, tout semble exactement à l'opposé de ce que l'on aurait pu attendre de la tenue des Jeux.

M. Kerr : Mme Hunter a mentionné le rapport financé par le COVAN. J'ai fait partie d'une table de consultation sur le logement pour le COVAN. Nous avons produit un rapport imposant et détaillé contenant 25 recommandations dont 23 ont été acceptées. Manifestement, je fais partie d'une organisation à but non lucratif, mais le comité était aussi composé de personnes représentant le milieu des affaires et des propriétaires d'appartements. Ce groupe diversifié s'est réuni et a formulé les 25 recommandations. Comme je l'ai dit, 23 de ces recommandations ont été adoptées à l'unanimité. Je n'ai pas le rapport avec moi, mais je pourrai vous en fournir un exemplaire dès mon retour.

Il est disponible sur Internet, mais il faut fouiller. Le COVAN ne veut rien savoir de ce rapport, bien qu'il ait payé pour le produire. Il ne veut même pas en discuter. J'ai rencontré M. John Furlong, et il ne veut pas voir le rapport. Le rapport est enfoui sur le site Web de la ville. Autrement, vous ne pourrez y avoir accès. C'est le COVAN qui a payé. Il s'agissait d'un comité du COVAN, mais le COVAN ne veut rien entendre de ce rapport.

Des gens sont déplacés. Vous avez raison. La ville de Vancouver a obtenu la tenue des Jeux olympiques parce qu'elle s'est engagée à ne pas déplacer des gens, mais il y a eu des centaines de personnes qui ont été déplacées. C'est très frustrant parce que comme l'a dit Mme Hunter dans son commentaire, la ville de Vancouver dispose d'un règlement sur les normes d'entretien. Ce règlement est tiré presque textuellement de la Charte de la ville de Vancouver. La DERA avait forcé la ville à produire un tel document il y a 20 ans. Le document permet à la ville d'aller dans les hôtels et d'effectuer les réparations nécessaires. Si le propriétaire ne veut pas faire les réparations nécessaires, la ville les fait et elle facture le propriétaire.

Année après année, elle a refusé de le faire. La ville nous a dit avoir perdu une cause devant un tribunal il y a 16 ans. Nous avons démontré récemment qu'elle n'a pas perdu la cause. Nous avons plutôt découvert qu'elle avait gagné des causes, mais la ville refuse d'agir.

C'est la raison pour laquelle la ville peut entrer dans les hôtels aujourd'hui et dire que le système de protection-incendie n'est pas approprié. L'association a beaucoup travaillé pendant des années pour que l'on installe des gicleurs dans les hôtels parce que dans les années 1970 des gens périssaient régulièrement dans des incendies qui survenaient dans le quartier Est du centre-ville. On a résisté à l'installation de gicleurs mais, en bout de ligne, les hôtels ont dû s'y plier. Nous sommes tout à fait conscients de la nécessité d'avoir le matériel approprié de lutte contre les incendies dans les immeubles.

Le problème qui se pose aujourd'hui est que, maintenant que la tenue des Jeux olympique a été annoncée, ces aspects préoccupent la ville. La ville ferme des hôtels et le COVAN dit qu'il ne s'agit pas de déplacements attribuables à la tenue des Jeux olympiques. Les gens qui habitent le quartier Est du centre-ville en sont réduits à penser qu'à moins que vous n'apportiez le drapeau des Jeux olympiques volé, que vous descendiez dans la rue et que vous fassiez le tour de l'immeuble avant de jeter les gens à la rue, il ne s'agit pas d'évictions attribuables aux Jeux olympiques.

Un simple retour en arrière suffit. Avant la tenue d'Expo 86, des gens ont été évincés des hôtels pour des raisons similaires et on a dit qu'il ne s'agissait pas de mesures attribuables à l'Expo. Puis il y a eu un long hiatus et maintenant que les Jeux olympiques sont annoncés, le même manège se répète.

L'autre sénateur a parlé de la sécurité dans le quartier. Quand je dis que je me sens en sécurité dans ce voisinage, je ne dis pas qu'il s'agit d'un quartier entièrement sûr. Vous êtes tous au courant du procès Picton qui a lieu à l'heure actuelle en Colombie-Britannique. Les femmes ne sont pas plus en sécurité dans le quartier qu'elles ne l'étaient avant l'arrestation dans cette affaire. Il s'agit d'un quartier très dur pour les femmes qui doivent dormir sur la rue et c'est aussi un quartier très dur pour les hommes et les femmes qui sont jetés à la porte des hôtels, à une heure d'avis.

Je me suis déjà trouvé devant des hôtels au moment où des personnes âgées en sont sorties, des personnes qui souffraient manifestement de démence, qui avaient en leur possession un sac contenant toutes leurs possessions et qui s'en allaient à la rue. Je sais que cela peut paraître bizarre, mais cela se produit fréquemment à Vancouver.

Je suis en accord avec vous. Nous avons compris que les Jeux olympiques arrivaient et que personne qui serait déplacé. Le comité avait garanti qu'il n'y aurait pas de déplacements de personnes. Je ne sais pas de quels déplacements il voulait parler, parce qu'à moins que le comité olympique ne vous jette à la porte de votre domicile, vous ne semblez pas avoir été évincé en raison des Jeux olympiques.

Le fait qu'ils transforment votre hôtel en condominium ne semble pas non plus être considéré comme une partie du problème. Pourtant, cela en fait partie, et tout le monde sait que cela en fait partie. Personne au gouvernement municipal et au gouvernement provincial ne peut nous regarder droit dans les yeux et nous dire que cela ne fait pas partie du programme. Cela en fait partie.

Le comité du logement auquel j'ai siégé faisait partie du COVAN. Le rapport auquel Mme Hunter fait référence fait partie du COVAN. Nous y avons consacré beaucoup d'efforts. B.C. Housing a beaucoup contribué à ce rapport sur le logement, en compagnie d'un grand nombre d'entre nous. En bout de ligne, le rapport a été enterré. La seule raison pour laquelle il en a été question dans les journaux de Vancouver est qu'il y a eu une fuite en faveur du Vancouver Sun, et que l'espace d'un jour, le rapport a fait l'objet de la première page. Autrement, il n'existe plus. Personne ne veut en entendre parler et personne ne croit en être responsable.

On a offert de former des gens pour construire les structures nécessaires pour la tenue de Jeux olympiques. En toute déférence, je crois que les gens ont besoin d'un emploi et ont besoin d'avenir. Je suis fort impressionné par l'idée d'avoir des quartiers mixtes, mais il faudrait ajouter que le gouvernement municipal de Vancouver a réduit de 900 unités le nombre de logements sociaux qui devaient être aménagés à Southeast False Creek lorsqu'il a pris charge du voisinage. Quand les Jeux auront pris fin, il ne restera que 25 appartements du village olympique. Il est très déprimant de travailler dans ce domaine et de voir que cela se produit continuellement. Des choses de ce genre surviennent constamment.

Le sénateur Cordy : Je crois que nous devrions consacrer beaucoup de temps à discuter de ce qui me paraît être une question majeure. Si les gens n'ont pas droit à la dignité, il ne leur reste pas grand-chose dans la vie, n'est-ce pas?

J'aimerais revenir à M. Gribbons et à Vibrant Communities Saint John. Vous semblez avoir un modèle qui pourrait fonctionner dans presque n'importe quelle collectivité, peu importe sa taille. Peut-être que s'il y avait ce genre d'organisme bénévole qui fasse intervenir le milieu des affaires à Vancouver, vous pourriez avoir une intervention publique beaucoup plus musclée concernant ce qui se produit.

Comment l'organisation de Vibrant Communities a-t-elle démarrée? Qui étaient les personnalités en cause? Y avait-il un besoin au sein de la collectivité qui faisait en sorte qu'il fallait un organisme pour aborder la question du logement? Comment le milieu des affaires s'est-il mobilisé plutôt que de dire, comme on l'entend souvent dans ce milieu, « Je ne veux pas de sans-abri devant mon commerce ». Comment les chefs d'entreprise de Saint John se sont-ils regroupés en disant « Nous devons faire quelque chose de positif »?

M. Gribbons : En 1997, je crois, un banquier à la retraite nommé Bill Gale avait entrepris une deuxième carrière comme agent immobilier. C'est un Terre-neuvien grégaire. Alors qu'il marchait sur la rue principale, la rue King, il a rencontré un mendiant. Au lieu de tout simplement mettre de l'argent dans la main de ce mendiant, il lui a demandé de lui raconter son histoire, parce qu'il voulait savoir. Bill, qui est très amical de nature, a été choqué et même troublé par l'histoire de ce mendiant.

À la suite de ce contact personnel, il a décidé qu'il voulait intervenir. Il a donc convoqué une réunion. Comme il avait été vice-président régional d'une grande banque dans sa carrière antérieure, il connaissait des gens. Il a fait quelques appels téléphoniques et il a organisé une réunion une ou deux semaines plus tard, dans les locaux de la banque alimentaire de notre collectivité. Il a tordu des bras et il a cajolé. Je ne dirais pas qu'il a fait du chantage, mais il a pu réunir beaucoup de gens, y compris les grands leaders de notre milieu des affaires. Il leur a raconté l'histoire de ce mendiant. Il avait convié des gens qui travaillaient d'organisation sans but lucratif oeuvrant dans ce domaine, des gens qui s'occupaient de la soupe populaire, de banques alimentaires, et cetera. Il leur a parlé de l'existence des gens qui vivent dans la pauvreté.

Tous ceux qui étaient dans la salle en avaient déjà vaguement entendu parler. Il s'agissait d'une histoire personnelle provenant d'un contact personnel, et Bill a décidé que c'en était assez. Il voulait essayer de faire quelque chose. Le milieu des affaires s'est rallié, et il continue de le faire aujourd'hui. Cet automne, l'organisation célébrera son 10e anniversaire.

La municipalité de Saint John est un partenaire majeur de Vibrant Communities, mais il y a aussi une organisation, le Conseil de développement humain, qui existe depuis plus de 25 ans. Il s'agit presque d'un entrepôt de données statistiques concernant les endroits où les gens peuvent s'adresser pour avoir de l'aide. Il y a une autre organisation, le Urban Core Support Network, qui s'occupe surtout du cas des femmes de la collectivité qui vivent dans la pauvreté. Ces organismes ont répondu à l'invitation de Vibrant Communities Saint John pour tenter de mettre sur pied un site à Saint John.

J'ai assisté à quelques réunions de Vibrant Communities et, jusqu'à maintenant, nous sommes la seule collectivité que je connaisse qui peut compter sur un groupe d'affaires semblable. On m'a demandé si je pouvais prendre la parole et en parler aux gens. Pas véritablement. Il ne s'agit pas de quelque chose dont on pourrait convaincre une autre collectivité. L'organisation fonctionne pour nous et semble porter fruit maintenant.

L'une de nos plus grandes entreprises, l'organisation J.D. Irving, a adopté une école primaire qui se trouve tout juste à la porte de leur immeuble à bureaux. L'école affichait le plus haut taux de roulement de professeurs de la ville et aussi les résultats les plus faibles aux examens. Personne ne voulait que ses enfants fréquentent cette école. La plupart des enfants arrivaient à l'école sans avoir pris un petit déjeuner et n'avaient même pas de goûter. Il ne s'agissait pas d'investir de l'argent dans l'école, mais plutôt d'organiser des mentors qui travailleraient avec les enfants. Nous sommes parvenus à effectuer un changement majeur concernant cette école. Aujourd'hui, on y trouve le plus faible taux de roulement d'enseignants de la ville et les élèves obtiennent des résultats aux examens qui sont parmi les plus élevés de la ville. Aujourd'hui, les parents cherchent activement à faire entrer leurs enfants à cette école. C'est l'attention que les élèves peuvent avoir dans ces écoles du centre-ville qui intéresse les parents.

Nous avons appris que les choses bougent dans les écoles de banlieue et dans les écoles élémentaires de classe moyenne du premier rang parce que les parents sont actifs. S'il faut des ordinateurs, les parents trouveront des ordinateurs pour les enfants. Dans les écoles du centre-ville, cela ne se produit pas. Par conséquent, nous devons fournir davantage de ressources à ces écoles.

Nous avons appris et nous avons mesuré les résultats obtenus. L'organisation Irving les a également évalués et a préparé un ouvrage important qu'elle a distribué à d'autres écoles. Aujourd'hui, quatre écoles de Saint John ont été adoptées par des entreprises, et trois autres écoles seront ajoutées à la liste l'an prochain.

Le truc pour casser la pauvreté multigénérationnelle est de se rendre jusqu'aux enfants. Nous faisons tout ce qu'il est possible de faire pour y parvenir. S'il s'agit d'un modèle, tant mieux; il semble fonctionner pour nous. Il s'agit d'un objectif à long terme. L'organisation nationale Vibrant Communities précise que nous avons certains objectifs à court terme et nous essayons de nous y tenir, mais l'objectif sur dix ans de Saint John est de ramener le taux de pauvreté au niveau national, soit de 24 p. 100 à 14 p. 100 environ. Nous ne sommes pas naïfs au point de penser que nous pouvons réduire la pauvreté. C'est impossible. Nous voudrions tout simplement que le niveau soit ramené au niveau national. Il s'agit d'un objectif sur dix ans. Il y a déjà deux ans que le mandat est en cours. Espérons que la publication des données de Statistique Canada l'an prochain permettra d'observer un certain progrès.

Nous célébrons les succès obtenus. Mais il y a aussi autre chose qui nous avantage, du moins le milieu des affaires : quand nous avons besoin de rencontrer quelqu'un, nous pouvons généralement y parvenir. Le Nouveau-Brunswick est une petite province. Si nous devons rencontrer le premier ministre, quelqu'un peut prendre le téléphone et nous obtenir un rendez-vous. Cela peut prendre une semaine ou deux, ou même un mois, mais nous pouvons rencontrer le premier ministre. C'est là un autre avantage que le milieu des affaires peut apporter à la table de concertation là où les organismes sans but lucratif n'ont pas pu réussir par le passé.

Le président : Si vous pouvez vous rapprocher de la moyenne nationale, j'espère que vous poursuivrez vos efforts. Ne vous arrêtez pas en chemin. Vous semblez avoir concocté une formule qui donne des résultats. Trois membres de notre comité ont assisté à la réunion de la Fédération canadienne des municipalités qui s'est tenue à Calgary. Notre recherchiste y était également. Il y a eu un exposé par le directeur exécutif du United States Interagency Council on Homelessness. Ce conseil aide à réunir divers éléments de la collectivité. Quelque 30 villes se sont engagées non pas à gérer les sans-abri, mais à réduire leur nombre et à les éliminer. Certaines villes ont déjà obtenu du succès en fournissant des services de soutien et de logement comme base pour la formule d'action. Elles réunissent tous les intervenants de la collectivité, y compris les dirigeants d'entreprise, et elles ont constaté que cette approche donne des résultats.

J'espère que nous pourrons les accueillir à notre retour à l'automne. Selon moi, il pourrait être intéressant d'entendre leur exposé.

Comme nous manquons de temps, le sénateur Cochrane et le sénateur Fairbairn pourront poser leurs questions, puis notre témoin pourra répondre aux deux questions en même temps.

Le sénateur Cochrane : Monsieur Gribbons, vous avez fait état de changements aux critères fédéraux en matière de financement qui ont fait en sorte que vous avez plus de difficulté à obtenir un soutien financier. Nous aimerions que vous élaboriez sur ce sujet. De quels programmes parlez-vous et quels ont été les effets? Quels ont été les effets à la suite de l'adoption de nouveaux critères?

Le sénateur Fairbairn : En ce qui a trait à vos dernières observations concernant les écoles, la ville de Saint John a longtemps eu une solide réputation en matière d'alphabétisation. Je me demande si cette réputation est toujours valide et si l'alphabétisation est une question centrale dans plusieurs des problèmes que vous avez, non seulement à Saint John mais ailleurs au Nouveau-Brunswick.

M. Gribbons : Un exemple est le programme national de prévention du crime qui a été une source de financement importante pour nombre de projets au Nouveau-Brunswick. L'administration précédente avait accordé un soutien financier, mais cet hiver, à la fin mars, un certain nombre d'organisations, y compris la nôtre, ont perdu leur source de financement. Nous sommes parvenus à la remplacer par d'autres sources de financement, mais les mandats pour le programme national de prévention du crime ont été modifiés. Nous avons découvert le dernier jour de l'exercice financier qu'il n'y avait plus de financement disponible. Je crois qu'il y avait environ 750 000 $ de disponibles pour le Nouveau-Brunswick. Nous avons entendu dire qu'à l'échelle nationale il y avait de 18 à 24 millions de dollars qui étaient toujours disponibles et qui n'ont pas été dépensés et qui ont été retournés au Trésor.

Les partenariats ont été excellents pendant deux ans. Nous soutenions que la prévention du crime ne consiste pas uniquement à construire des prisons et à punir des gens; c'est aussi offrir des possibilités aux jeunes gens pour qu'ils ne soient pas tentés de recourir au crime. C'est ce que nous espérons faire.

Un des groupes communautaires dans le vieux quartier nord de la ville porte le nom de ONE Change. ONE fait référence au vieux quartier nord. Je l'ai mentionné au sénateur Callbeck quand elle est venue. Le secteur que nous appelons Indiantown a reçu des fonds du Centre national de prévention du crime. Le versement des montants a été retardé et l'organisme a dû licencier du personnel. Ce programme avait connu beaucoup de succès. Voilà un des exemples que j'ai à vous donner.

L'autre exemple est celui du programme d'emplois d'été pour les étudiants qui a fait les manchettes il y a trois ou quatre semaines. Notre Club garçons et filles a bénéficié d'un financement du gouvernement fédéral pour les emplois d'été pendant 20 ans. Chaque jour, ce Club s'occupe de 200 jeunes enfants qui, autrement, se retrouveraient sur la rue durant l'été. Tous ces jeunes sont privés de financement. Par la suite, on a rectifié le tir.

Le sénateur Cochrane : Il s'agit du programme Emplois d'été pour étudiants.

M. Gribbons : Oui.

Le sénateur Cochrane : Est-ce que le problème a été corrigé?

M. Gribbons : Dans ce cas particulier, oui.

Je ne sais pas si nous sommes à l'avant-garde au pays en matière de lutte contre l'analphabétisme. Manifestement, il s'agit d'un indicateur prédominant pour déterminer le succès d'un enfant. Tout ce que nous avons appris et étudié montre que si les enfants ne savent pas lire avec passion dès la troisième année, ils auront du mal à lire et à poursuivre leurs études. C'est là où nous concentrons nos efforts. Il y a des gens qui lisent pour ces enfants. Dans plusieurs de nos ménages de classe moyenne vivant en banlieue, les parents lisent pour les enfants. Dans les quartiers du centre-ville, les parents ne lisent pas d'histoires à leurs enfants le soir.

Le sénateur Fairbairn : Peut-être qu'ils ne peuvent pas lire.

M. Peacock : Nous avons consulté les données de recensement concernant la division qui existe entre la richesse et la pauvreté à Saint John. Dans un quartier à faible revenu, il est beaucoup plus fréquent que les adultes en âge de travailler n'aient pas terminé leurs études secondaires par rapport à ceux qui ont fait des études postsecondaires. Dans les quartiers riches, dans les banlieues, l'inverse est vrai. En raison de cette disparité profonde, nous sommes heureux de constater que les organisations qui bénéficient d'un soutien de base ou modeste de la part du gouvernement parviennent à faire une différence considérable. Nous avons mentionné le quartier de Crescent Valley, qui est caractérisé par le nombre de logements publics appartenant à la province du Nouveau-Brunswick. Une activiste communautaire s'est rendue dans ce quartier chaque été pendant cinq ou six ans et elle a installée une tente d'alphabétisation, où elle fait la lecture aux enfants. Chose fascinante, le quartier est caractérisé par de jeunes mères célibataires et il est le plus jeune de toute la ville de Saint John. Nous trouvons très satisfaisant qu'un si grand nombre de citoyens de Saint John veuillent se rendre dans ces quartiers pour apporter les changements nécessaires, bien avant que le gouvernement s'y attaque.

Le président : Malheureusement, notre temps et écoulé. Je tiens à vous remercier tous d'être venus de Saint John et de Vancouver, de nous avoir parlé de vos travaux, des gens que vous servez, des défis auxquels vous faites face et des circonstances difficiles dans lesquelles plusieurs des gens avec qui vous travaillez se retrouvent. Nous vous remercions de faire le travail que vous faites et nous espérons que nous pourrons vous aider, vous appuyez dans votre démarche. Il pourrait s'agir d'une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté assortie d'objectifs et d'échéanciers. Nous examinons plusieurs modèles différents. Le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador ont été mentionnés. D'autres pays sont parvenus à des réductions sensibles du niveau de pauvreté. Nous sommes plutôt préoccupés par la déclaration faite à la Chambre des communes il y a plusieurs années à l'effet que la pauvreté chez les enfants serait éliminée dès l'an 2000. Non seulement la pauvreté des enfants n'a-t-elle pas été éliminée, mais elle est aussi prévalente que jamais. Voilà un bel exemple d'une déclaration qui n'a pas été suivie de programmes, qui n'est assortie d'aucun objectif ni d'aucun engagement réel. Idéalement, nous pourrons faire des suggestions au gouvernement qui vous aideront à poursuivre votre œuvre.

La séance est levée.


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