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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 12 - Témoignages du 6 décembre 2006


OTTAWA, le mercredi 6 décembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 20, dans le but d'étudier, afin d'en faire rapport, la participation des peuples et entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir. Je suis le sénateur St. Germain de la Colombie-Britannique et j'ai l'honneur de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Nous sommes autorisés, par un ordre de renvoi du Sénat, à étudier, afin d'en faire rapport, la participation des peuples et entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada.

Le vice-président du comité, le sénateur Sibbeston des Territoires du Nord-Ouest, le sénateur Hubley de l'Île-du- Prince-Édouard et le sénateur Watt du nord du Québec sont parmi nous ce soir.

J'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Andrew Popko, vice-président des relations avec les Autochtones de la société EnCana. La bonne réputation d'une importante société dirigée par un grand homme nommé Gwyn Morgan, un bon ami à moi, vous précède. Je suis reconnaissant que vous soyez des nôtres.

Je tiens également à souhaiter la bienvenue à M. Avrim Lazar, président-directeur général de l'Association des produits forestiers du Canada, et à l'un de ses administrateurs, M. Andrew DeVries.

Andrew Popko, vice-président, Relations avec les Autochtones, Société EnCana : Bonsoir. Avant de commencer, permettez-moi de vous expliquer pourquoi je suis ici. Il y a quelques années, j'ai eu la chance d'être détaché pendant 15 mois auprès du Bureau du Conseil privé dans le cadre du programme d'établissement de liens, idée d'Alex Himelfarb, greffier de l'époque. Le programme permettait aux cadres du secteur privé d'apprivoiser le secteur public et de mieux comprendre le fonctionnement du gouvernement.

J'ai eu la chance d'être affecté au Secrétariat des affaires autochtones du BCP, qui travaillait sur l'accord de Kelowna. Le greffier de l'époque m'a jumelé à des sous-ministres et à des sous-ministres adjoints du Conseil du Trésor, d'Industrie Canada, du Service correctionnel du Canada, de Pêches et Océans Canada et de l'Agence des services frontaliers du Canada. Du même coup, un fonctionnaire a pu travailler chez EnCana pendant un certain temps. Grâce à ce programme, j'ai pu faire valoir le point de vue des entreprises auprès des fonctionnaires fédéraux et établir des liens avec des personnes qui sont aujourd'hui des amis. Le programme d'établissement de liens se poursuivra dans le cadre du programme de stages, et je l'appuie entièrement, car il s'agit d'une excellente occasion pour les Canadiens d'apprendre à mieux connaître le secteur public.

J'aimerais remercier l'attachée de recherche de ce comité, une amie rencontrée ici. Elle a entendu parler d'EnCana et du programme autochtone. C'est en partie grâce à elle que je me trouve ici ce soir. Merci beaucoup.

Je discuterai de trois points principaux. D'abord, il est primordial d'accorder une plus grande importance au développement économique autochtone et de le reconnaître à titre d'outil tout aussi essentiel à l'avenir du Canada et des Autochtones que les paiements de transferts et les fonds fédéraux présentement alloués aux programmes sociaux. Ensuite, il est impérieux de préciser les rôles et les responsabilités du secteur privé et du gouvernement fédéral afin de réduire les conflits et les problèmes coûteux et inutiles qui nuisent au développement économique des Autochtones. Enfin, nous devons simplifier la façon dont les ministères et les programmes fédéraux qui s'occupent des Autochtones communiquent, réalisent des évaluations et collaborent avec le secteur privé.

Pour ce qui est du premier enjeu, le statisme et l'isolement économiques qui caractérisent la vie des Autochtones des réserves de notre pays sont tout à fait inacceptables. Le régime actuel, créé il y a plus de 100 ans, n'a fait que très peu, voire rien du tout, pour améliorer leur qualité de vie ou leur offrir des possibilités économiques. Certains affirment même qu'il a fait le contraire.

Les Autochtones qui demeurent longtemps dans les réserves sont plus enclins à avoir recours à l'aide sociale. Une proportion de 41,5 p. 100 des Autochtones des réserves y a recours comparativement à seulement 22 p. 100 des Autochtones vivant hors des réserves. Un curieux écart en matière de financement confirme cet état de fait. Trente pour cent de tous les Autochtones canadiens vivant dans les réserves bénéficient de 88 p. 100 des programmes fédéraux. La proportion de 50 p. 100 des Autochtones qui vivent en dehors des villes ne bénéficie que de 3,5 p. 100 de ces programmes.

Selon les chiffres et les sources examinés, le gouvernement fédéral dépense environ 9 milliards de dollars annuellement pour les programmes autochtones. La partie allouée au développement économique oscille entre 35 et 60 millions de dollars.

Pourquoi le gouvernement fédéral dépense-t-il autant d'argent pour maintenir un vaste programme d'aide sociale permanent et si peu pour lancer des initiatives de développement économique qui créent une richesse durable et des possibilités économiques permanentes et redonnent aux gens confiance en eux et en leurs capacités?

Selon le point de vue et l'expérience de l'industrie, les initiatives de développement économique représentent la clé de la participation des Autochtones à la vie économique du Canada. Le développement économique mérite davantage d'attention, de financement et d'aide.

Le deuxième enjeu porte sur la clarification des rôles. Le secteur de l'énergie est l'une des principales sources de création d'emplois et de possibilités d'affaires au pays pour les collectivités autochtones. EnCana dépense environ 140 millions de dollars uniquement en biens et services auprès de 129 différentes entreprises qui appartiennent aux Autochtones ou qui sont exploitées par ces derniers. Notre industrie reconnaît la valeur du bon voisinage et de la recherche de façons novatrices de collaborer pour changer le cours des choses de façon valable et à long terme.

Cependant, l'industrie est trop souvent mêlée à des questions politiques liées aux revendications territoriales, au partage des recettes et à des questions de droits, qui relèvent du gouvernement fédéral à part entière. Les questions politiques et constitutionnelles devraient concerner seulement les parties directement touchées. L'industrie devrait discuter de la façon dont nous réduirons l'impact de nos activités sur l'environnement et dont nous maximiserons les possibilités économiques et la participation des collectivités où nous détenons un droit d'exploitation.

EnCana soutient qu'une résolution efficace et durable des questions autochtones passe invariablement par un dialogue ouvert et proactif. Notre société est résolue à collaborer aux processus approuvés par le gouvernement qui visent à déterminer et à étudier les intérêts de tiers sur des terres de la Couronne.

Nous affirmons également que, pour être progressif au Canada, le développement gazier et pétrolier doit être entouré de plus de certitude tout comme la question des droits ancestraux.

Voici un cube Rubik. Supposons qu'il représente 282 programmes différents administrés par environ 16 ministères fédéraux. Chaque ministère croit probablement qu'il peut faire quelque chose de positif pour les collectivités autochtones. Il croit qu'il fait ce qu'il faut au sein du gouvernement et qu'il peut livrer la marchandise.

Malheureusement, le monde des affaires canadien perçoit les collectivités autochtones comme un cube Rubik non résolu, un véritable méli-mélo.

Je ne sais pas si vous avez déjà tenté de résoudre un cube Rubik. Hier soir, j'ai pratiquement fait une crise cardiaque en voyant mon fils et ma fille jouer avec mon cube Rubik parce que je voulais qu'il soit tout beau alors je leur ai dit de jouer avec l'autre. Ils l'ont mélangé et je leur ai alors demandé de le résoudre. Ils ont trouvé l'expérience frustrante et ont fini par laisser tomber.

Il se produit la même chose dans le monde des affaires canadien. Comment faire une demande pour certains des 282 différents programmes de subventions fédéraux? Comme pour le cube Rubik, nous laissons tomber et ce sont les Autochtones qui écopent. Les entreprises poursuivent leurs activités, le gouvernement fédéral continue d'offrir de bons programmes, et les Autochtones pour qui les programmes ont été conçus se retrouvent coincés et n'en profitent malheureusement pas autant qu'ils le devraient.

EnCana a eu la chance de travailler avec de nombreuses collectivités autochtones qui ont réalisé d'incroyables progrès économiques. Nous avons conclu environ 12 partenariats d'exploitation d'installations de forage avec les Premières nations qui détiennent une part des installations de forage, en plus d'occuper des emplois et de bénéficier d'avantages grâce à leurs nouvelles connaissances et à la formation qu'ils ont reçue. Des partenariats d'exploitation d'installations de forage ont été établis grâce à un programme fédéral qui a permis aux Premières nations d'acquérir jusqu'à 25 p. 100 de l'appareil de forage. Malheureusement, nous avons dû embaucher quelqu'un pour savoir comment obtenir des fonds en temps utile et auprès de quel ministère afin que les Premières nations profitent de ce programme gouvernemental.

En conclusion, j'aimerais partager quelques mots des responsables avec lesquels EnCana a étroitement collaboré, soit Howard Cardinal, un aîné de Saddle Lake, en Alberta, et Joyce Metchewais, ancienne chef de la Première nation de Cold Lake. Selon M. Cardinal, tout comme EnCana, la collectivité s'efforce de créer un cercle de richesses, ce qui ne signifie pas que ses membres demeurent dans un tipi, mais qui symbolise ce qu'ils font. Ils forment un cercle et les entreprises qu'ils dirigent, comme les partenariats de forage, les camps, les restaurants et les camions d'eau, sont indépendantes, comme les piquets d'un tipi. Ils feront tout ce qu'ils peuvent pour leur peuple.

Joyce Metchewais croit qu'en occupant un emploi, les membres de la collectivité peuvent développer leur estime de soi, et c'est ce qu'elle souhaite pour son peuple. Grâce aux partenariats conclus avec des entreprises telles qu'EnCana, les Autochtones peuvent créer des sociétés qui offrent des emplois à la collectivité. Leurs dirigeants estiment qu'il faut encourager les membres des collectivités à acquérir des connaissances et à recevoir l'éducation nécessaire pour obtenir des emplois stables. Ces partenariats leur ont permis de négocier des bourses d'études, des emplois, de la formation en cours d'emploi, des fonds et d'autres avantages.

En moins de cinq ans, la dépendance de cette Première nation de Calgary envers les programmes sociaux est passée de 80 à 20 p. 100 grâce au développement économique et cela lui a permis de développer son estime de soi, son autonomie et son indépendance. Il s'agit là des principes fondamentaux de la véritable liberté des peuples autochtones du Canada.

Avrim Lazar, président-directeur général, l'Association des produits forestiers du Canada : Pour résoudre le cube Rubik, ma fille l'a apporté à la cuisine, l'a maintenu au-dessus d'un chaudron d'eau bouillante, a enlevé les autocollants, les a remis correctement et m'a demandé ce qu'il y avait de si difficile. On peut tirer une leçon de cette expérience. Vous pouvez jouer avec les programmes fédéraux pendant toute votre vie, comme je l'ai fait au cours de mes 25 années de service au sein de l'administration fédérale mais, au bout du compte, je ne crois pas que vous trouverez de solution. À mon avis, la solution réside dans le sujet d'étude du comité, soit le monde des affaires.

Selon la documentation sur la détresse sociale, familiale et sanitaire, les personnes sans emploi ou sans moyens de subsistance souffrent beaucoup. Les gens qui ont accès à des ressources, un revenu ou de bonnes conditions de vie sont nettement plus heureux.

Je témoigne devant le comité aujourd'hui en tant que représentant du milieu des affaires. C'est la solution que nous proposons. L'industrie forestière emploie directement et indirectement 900 000 personnes dans l'ensemble du pays. Elle représente le seul moteur économique de 320 collectivités rurales. Ses exportations sont évaluées à 40 milliards de dollars. Il s'agit d'une grande industrie et il n'est pas nécessaire de déménager à Toronto, à Winnipeg ou à Vancouver pour y travailler. Nous sommes dans le bois.

Si vous voulez rester dans le bois et que vous cherchez un bon emploi, c'est dans le secteur forestier que vous le trouverez. Si vous cherchez un emploi dans le secteur de la haute technologie, dirigez-vous dans la foresterie. Nous ne sommes pas de vieux bûcherons. Notre utilisons des ordinateurs et de l'équipement hautement sophistiqué. L'une de nos usines compte plus d'ordinateurs qu'un Boeing 747. Donc, si vous cherchez un bon emploi de haute technologie et que vous ne voulez pas vivre à Toronto, à Winnipeg ou à Vancouver, vous vous adressez à l'industrie forestière. C'est ce qu'ont fait 17 000 Autochtones canadiens.

L'industrie forestière est le plus important employeur d'Autochtones canadiens. L'association des sociétés minières dit la même chose et, honnêtement, je suis fier de lui faire concurrence. Voyons voir qui en emploie le plus. Je crois que nous utilisons simplement des chiffres différents, mais il demeure que nous sommes le plus important employeur. Mais surtout, nous entretenons également des relations avec 1 400 entreprises autochtones, des petites et des moyennes entreprises de 10 à 50 employés, dont un grand nombre sont établies depuis 10, 20 et même 35 ans.

Nous cherchons à améliorer de façon simple et directe la qualité de vie des Autochtones canadiens en faisant des affaires avec eux, non pas par l'intermédiaire de programmes sociaux ou gouvernementaux ou de litiges, mais simplement en créant des possibilités économiques.

Notre main-d'œuvre vieillit, ce qui est une bonne nouvelle, car cela est synonyme de recrutement. La main-d'œuvre autochtone est jeune, et de bons emplois de haute technologie bien rémunérés s'offriront à elle dans les zones rurales et forestières partout au Canada — et c'est sans parler des occasions d'affaires, de coentreprises, des contrats de fournisseurs et des possibilités de faire équipe avec nous dans le monde des affaires.

Si la solution se trouve dans le monde des affaires, pourquoi sommes-nous venus vous rencontrer? Pourquoi ne pas simplement continuer à faire des affaires? Parce que nous sommes à la recherche de compétences. Comme nous n'embauchons plus de bûcherons ou de manœuvres, savoir lire et écrire est nécessaire pour recevoir la formation requise pour les nouveaux emplois. Il faut aussi savoir compter. Nous ne pouvons pas employer dans nos usines des personnes qui n'ont pas ces connaissances. Nous recherchons des mécaniciens de chantier, mais les candidats ne satisfont pas aux conditions d'admission pour la formation. L'équipement que nous utilisons aujourd'hui pour travailler dans les forêts est tellement sophistiqué que les travailleurs doivent savoir lire et comprendre le manuel d'utilisation. Environ seulement 20 forestiers qualifiés au Canada sont des Autochtones.

Si on mettait davantage l'accent sur les mathématiques, les sciences et les compétences fondamentales dans les collectivités autochtones, les possibilités économiques seraient énormes, non seulement pour les emplois, mais également pour les entreprises.

Nous nous sommes également demandé ce qui freine certaines entreprises autochtones pour découvrir que c'est la difficulté d'amasser du capital, ce qui est nécessaire pour faire des affaires. Je sais qu'il s'agit d'une question politique plus générale alors je laisserai les sénateurs et les parlementaires qui sont plus informés que les gens d'affaires traiter du sujet, mais nous savons qu'il est impossible de bâtir une entreprise sans capital, et c'est ce qui empêche de nombreuses collectivités autochtones de se lancer en affaires, d'être indépendantes et d'assurer leur bien-être économique.

Les quelques programmes gouvernementaux qui pourraient nous toucher ont tendance à nous négliger. Pour des raisons presque inexplicables, Entreprise autochtone Canada et FedNor ne mettent pas l'accent sur la foresterie. C'est dans ce secteur que se trouvent les emplois, et les programmes devraient insister sur ce point. Si vous voulez changer les programmes gouvernementaux, nous recommandons fortement que ces programmes soient examinés et réorientés pour aider les Autochtones à intégrer une industrie qui ne les oblige pas à aller vivre en ville et qui leur permet de garder le contact avec leur culture et leur famille.

Honorables sénateurs, voilà mon message. Nous sommes ici parce que nous voulons faire des affaires. Il existe des possibilités, et nous savons tous que, lorsqu'il est possible de gagner sa vie, les autres problèmes sont beaucoup plus faciles à régler.

Le président : Merci, monsieur Lazar. Le sénateur Corbin du Nouveau-Brunswick vient de se joindre à nous.

Monsieur Popko, vous avez travaillé avec les Premières nations et les Métis, et vous avez connu beaucoup de succès en Colombie-Britannique. Quel est le principal élément qui permet aux Premières nations de collaborer avec vous? Pouvez-vous nous en parler?

M. Popko : La formation. La Nation des Métis de la Colombie-Britannique a proposé un programme de formation. Elle avait besoin de 1 million de dollars pour un programme de formation et elle nous a demandé si nous pouvions trouver des emplois pour ses membres. Nous avons fourni 250 000 $ sur une période de trois ans pour le programme. Jusqu'à présent, 37 personnes l'ont suivi, avec un taux de réussite de 97 p. 100, et elles ont toutes trouvé des emplois. Une fois qu'elles ont reçu une formation dans le secteur pétrolier, elles se trouvent facilement un emploi, et c'est formidable. Ces gens ne viennent pas travailler pour EnCana. Nous les aidons dans un esprit de bon voisinage. Les Métis nous ont proposé d'offrir de la formation, ce que nous ne pouvions pas refuser puisque c'était une très bonne idée. Il y a pénurie de main-d'œuvre qualifiée, alors nous sommes prêts à faire tout ce que nous pouvons pour aider l'industrie. Il suffit d'un investissement minimal de 250 000 $ pour former plus de personnes dans notre industrie.

Le président : Monsieur Lazar, vous avez parlé du développement professionnel. Nous entendons souvent dire dans nos déplacements que les Premières nations sont incapables d'acquérir les connaissances dont elles ont besoin pour travailler dans un secteur comme le vôtre. Un de mes bons amis disait, comme vous, que le travail constitue le meilleur programme social qui soit. Où trouvez-vous les personnes ayant les aptitudes nécessaires? Dans les réserves ou en dehors de celles-ci?

M. Lazar : Cela dépend de l'emplacement de l'usine et du lieu d'exploitation. Nous trouvons de bons employés chez les Métis et les Premières nations dans les réserves et en dehors de celles-ci. Nous employons 17 000 personnes et nous n'offrons aucun emploi de type gouvernemental. Nos emplois sont exigeants et les employés doivent être productifs, et cette façon de faire nous convient.

J'aimerais appuyer le commentaire de M. Popko voulant que les compétences fondamentales soient la clé du succès. Nous devrions nous demander si le système d'éducation offrant une formation de base aux Autochtones est suffisamment adapté à leur situation. Je ne connais pas les chiffres, mais nous dépensons un montant impressionnant en éducation. Si votre entreprise n'est pas productive, vous changez votre façon de faire ou vous fermez vos portes. Dans l'administration publique, on continue de faire ce qui ne marche pas pendant des générations. L'approche actuelle en matière d'éducation ne fonctionne pas, alors changeons-la.

Le président : Nous dépensons environ 1 milliard de dollars.

M. Lazar : Il serait ridicule d'ajouter des programmes. Pourquoi y a-t-il des pénuries de main-d'œuvre spécialisée alors que nous dépensons 1 milliard de dollars? Parce que nous ne dépensons pas cet argent intelligemment.

Le sénateur Sibbeston : C'est la première occasion que nous avons de rencontrer l'industrie à ce sujet. Je félicite M. Popko de la société EnCana et M. Lazar de l'Association des produits forestiers du Canada de recruter et d'embaucher des Autochtones et de conclure des contrats avec eux. J'espère que de nombreux chefs d'entreprise du Canada vous regardent et qu'ils seront inspirés et encouragés à faire de même. C'est digne de mention.

Ma question s'adresse aux deux témoins. Pour quelle raison recrutez-vous des Autochtones? Qu'en retirez-vous?

M. Lazar : Merci de dire que c'est digne de mention, mais, avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas de cet avis. Ce n'est pas digne de mention, c'est strictement une question d'affaires. Les personnes que nous embauchons sont de bons travailleurs, de bons collègues et de bonnes personnes avec lesquelles travailler dans notre industrie. Nous ne le faisons pas par obligation sociale, mais bien parce que ce sont de bons travailleurs et que nous voulons qu'ils travaillent dans l'industrie. En ayant une perspective d'affaires et en vous disant que de bonnes personnes obtiennent de bons emplois et en cernant les obstacles, vous progressez beaucoup plus vite que si vous entretenez des motivations complexes. Nous embauchons des Autochtones parce que ce sont de très bons travailleurs.

M. Popko : La main-d'œuvre autochtone a pris les devants au Canada au cours des huit ou neuf dernières années. Lorsque j'ai commencé à travailler en relations autochtones, nous avions des réunions à l'Association canadienne des producteurs pétroliers. Nous étions huit autour d'une table à partager des histoires en buvant du café. Au fil du temps, nous avons pris conscience de l'existence de la main-d'œuvre autochtone et du fait qu'elle pouvait contribuer à l'économie canadienne. Ce groupe de l'Association compte maintenant 40 membres et des comités ont été formés. Nous parlions plus tôt du nombre de conférences qui ont lieu au Canada sur la création d'emplois et d'occasions pour les Autochtones. La société EnCana prend de l'expansion et creuse de 4 000 à 5 000 puits par année. Beaucoup de collectivités métisses et autochtones sont établies tout près de nos installations. Il s'agit d'être une bonne entreprise citoyenne et de travailler avec les collectivités les plus proches, de recruter leurs habitants et de leur demander de quelle façon ils veulent participer, que ce soit en était propriétaire d'installations de forage, en fournissant des services de restauration de camp ou en construisant des routes. C'est formidable de les entendre parler de ce qu'ils veulent faire et de la façon dont ils veulent contribuer. Nous serons leur voisin encore longtemps.

Le sénateur Sibbeston : Même si vous dites que c'est une question de saine gestion, je vous félicite. Je sais qu'il faut de la détermination, de la bonne volonté et de l'inspiration pour recruter des Autochtones puisque c'est parfois difficile. Au cours des 10 ou 15 dernières années, on a observé un changement remarquable dans les Territoires du Nord-Ouest, d'où je viens. Au début, les Autochtones n'étaient pas du tout mis à contribution. Dans un sens, ils commençaient à quitter la terre. Diriger des entreprises était nouveau pour eux. Il faut beaucoup de connaissances, d'organisation et de détermination pour le faire. Dans le Nord, de nombreuses entreprises autochtones ont été établies, en partie en raison du niveau d'instruction des habitants et des nouvelles possibilités qui se sont présentées et en partie en raison des sociétés, comme les mines de diamants, qui se sont développées. Assurément, les Autochtones veulent participer puisqu'ils sont sur leur territoire. C'est tout à leur avantage de coopérer. Plutôt que de contester le développement des entreprises, ils ont décidé de collaborer pour voir les avantages possibles. Un processus mutuellement avantageux est entré en jeu. De nombreux Autochtones travaillent maintenant et un grand nombre d'entre eux dirigent les entreprises associées aux sociétés minières.

Voilà le processus. À un certain moment, les gestionnaires décident de recruter des Autochtones. Comme vous le dites, ce sont de bons travailleurs, mais au départ, ils n'ont peut-être pas les connaissances, les moyens, l'organisation ou le capital pour participer. Cependant, avec l'aide des entreprises, cela devient possible et c'est ce qui s'est produit. C'est très positif et cela aide grandement les Autochtones de notre pays à se prendre en main sur le plan économique et à réussir.

Même si vous dites que c'est une question de saine gestion, je vous félicite. Manifestement, vous avez décidé à un certain moment de recruter des Autochtones et je vous en suis très reconnaissant. Je souhaiterais que davantage de sociétés canadiennes adoptent cette attitude.

Le sénateur Hubley : J'aimerais revenir sur la relation entre l'industrie et les Autochtones. Monsieur Popko, vous avez parlé de la façon dont votre entreprise a investi dans l'éducation. Quel type de relation entretenez-vous avec les établissements de formation et les établissements d'enseignement lorsqu'il s'agit d'établir les besoins de votre entreprise et de créer des possibilités pour les Autochtones? Est-ce que cela a eu un impact sur le processus de formation dans cet établissement? J'aimerais également que M. Lazar réponde à cette question.

M. Popko : J'ai neuf ou dix exemples de ce qu'EnCana fait à cet égard. Le doyen de l'Institut de technologie du nord de l'Alberta, à Edmonton, M. Sam Shaw, s'est adressé à EnCana au sujet d'une unité de formation mobile. Il s'agit d'un camion de 18 roues qui se rend dans les collectivités. Plutôt que de faire venir les Autochtones à Edmonton pour suivre un programme, nous allons dans les collectivités. C'est une école mobile.

Il faut collaborer avec la collectivité. De 12 à 20 personnes s'inscrivent selon le programme, notamment en plomberie, en électricité ou en travail du bois. Des unités mobiles s'accrochent au camion et se postent dans les réserves pendant six à huit semaines pour offrir le programme.

Le chef et le conseil doivent appuyer le programme. Ils doivent s'assurer que les participants termineront le programme, lequel a connu beaucoup de succès. Nous y avons participé avec trois autres entreprises. Ces remorques coûtent quelques millions de dollars, mais elles sont déjà réservées pour toute l'année 2007 par les collectivités de l'Alberta. Même les Territoires du Nord-Ouest, Hay River et Fort Smith, en ont fait la demande. Ces unités sont incroyables et relativement peu coûteuses et aident vraiment à mettre en œuvre le programme de formation.

J'étais récemment en Australie pour la Conférence mondiale des peuples autochtones où j'ai montré cette photo de la remorque afin de parler de ce que nous faisions pour aider les Autochtones des collectivités éloignées. Un groupe de l'Australie s'est même rendu à Edmonton pour rencontrer M. Shaw et jeter un coup d'œil à cette remorque unique en son genre. Il a été très impressionné et veut reprendre le concept auprès des Autochtones en Australie.

J'invite tous les sénateurs de passage dans la région d'Edmonton à venir voir l'unité mobile de formation qui, à mon avis, est très peu coûteuse et permet aux Autochtones non qualifiés de suivre une formation. Le programme leur présente notamment les métiers de soudeur et de plombier. Il aiguise leur appétit. Ce qui est formidable, c'est que les participants rentrent chez eux tous les soirs et ont des liens avec leurs camarades de classe. Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres de ce que nous faisons.

Le sénateur Hubley : Le programme de formation de six à huit semaines les prépare seulement à aller ailleurs suivre un cours de plombier ou d'électricien, par exemple?

M. Popko : Oui. Le programme les encourage à devenir électriciens ou soudeurs. Ensuite, un groupe de quelques personnes pourra se rendre à Edmonton pour suivre le cours en entier à l'Institut de technologie. L'unité mobile leur permet d'avoir un avant-goût des programmes et leur montre qu'ils peuvent réussir. Le chef et le conseil de la collectivité appuient cette formation. Le fait que 16 ou 18 membres d'une même collectivité suivent le programme ensemble leur permet de croire en leur capacité d'exercer ces métiers.

Le fait que le programme soit donné dans la collectivité a un effet d'entraînement par les pairs. Certains voient leurs amis suivre le cours et s'y inscrivent ensuite. Certaines personnes en influencent d'autres dans la collectivité. Lorsqu'elles terminent le cours, tout le monde veut y participer.

Je crois qu'il y a maintenant deux unités, qui sont présentement réservées. M. Shaw me disait l'autre jour qu'il aimerait en avoir une troisième.

La Direction générale des affaires autochtones de la Colombie-Britannique, comme l'a indiqué hier une représentante, va construire une unité mobile. Ce sont de bonnes nouvelles. Au lieu d'inventer une nouvelle formule, il vaut mieux copier ce qui fonctionne.

Le sénateur Hubley : Les instructeurs proviennent-ils du programme de l'Institut?

M. Popko : Oui.

Le sénateur Hubley : Ils sont sur la route.

Les Autochtones des réserves qui sont sans emploi ou qui touchent des prestations d'AE ont-ils aussi l'occasion de participer à ces programmes? Je crois qu'il y en a 41 p. 100.

M. Popko : Oui. Il suffit que les bandes choisissent les participants selon les critères sélectionnés. Les bandes travaillent avec l'Institut et les collectivités pour s'assurer que le nombre requis de participants, soit 12 ou 18, est atteint.

Le sénateur Hubley : Monsieur Lazar, avez-vous des renseignements sur les programmes d'éducation qui préparent les jeunes Autochtones à travailler dans le secteur forestier?

M. Lazar : M. DeVries pourrait répondre à cette question.

Andrew DeVries, directeur, Biologie de la conservation et Affaires autochtones, Association des produits forestiers du Canada : Merci de me donner l'occasion de m'adresser à vous. L'industrie forestière peut profiter de l'exemple donné par M. Popko. Certaines personnes, après avoir suivi ce programme, vont poursuivre des études en mécanique de chantier dans un des collèges de la région.

Au Manitoba et en Ontario, des jeunes de 10e, 11e et 12e année peuvent suivre pendant l'été le très populaire programme des jeunes gardes forestiers. Le cours est davantage axé sur la foresterie, mais peut s'appliquer à d'autres disciplines, dans les secteurs minier ou pétrolier et gazier.

Ces programmes obtiennent beaucoup de succès. Les jeunes reviennent souvent après la première, la deuxième et la troisième année et fréquentent ensuite les universités et les collèges locaux. Ces derniers ont fait leur part en matière d'éducation des Autochtones. La First Nations House of Learning de l'Université de la Colombie-Britannique et l'Université Lakehead à Thunder Bay en sont deux excellents exemples.

Je crois que l'exemple de l'école mobile et le programme des jeunes gardes forestiers aident à répondre aux besoins des jeunes qui ont tendance à décrocher vers la 10e année. L'accès au collège et à l'université pose des défis. Trop peu de jeunes font des études postsecondaires. Ces programmes aident les jeunes de 10e année à poursuivre leurs études et à terminer leur 12e année.

Si nous pouvons encourager les jeunes à terminer leurs études secondaires et à acquérir des connaissances de base en mathématiques et en sciences, nous pourrons alors travailler avec les collectivités autochtones pour recruter plus de professionnels dans nos industries.

Le président : Le dynamisme dont vous faites preuve est un hommage au monde des affaires canadien.

Le sénateur Corbin : Je suis arrivé en retard alors le sujet a peut-être déjà été abordé. Qu'est-ce que le programme FedNor? L'a-t-on déjà été expliqué?

M. DeVries : Le sujet ne m'est pas familier. Il s'agit d'un programme fédéral destiné aux Autochtones qui travaillent et habitent dans le nord de l'Ontario. Je pourrais obtenir plus de détails si vous le voulez.

Le sénateur Corbin : J'ai une question qui me ramène à ce que nous avons fait au Nouveau-Brunswick. Existe-t-il une école, un institut ou un collège de foresterie pour les Autochtones?

M. DeVries : Précisément pour les Autochtones?

Le sénateur Corbin : N'importe où au Canada?

M. DeVries : Oui. Il y a le Nicola Valley Institute of Technology en Colombie-Britannique. Je n'en connais pas au Nouveau-Brunswick, mais il pourrait y en avoir un. De nombreux collèges et universités ont également adapté des programmes pour faciliter l'apprentissage des Autochtones.

Le sénateur Corbin : J'ai donné l'exemple du Nouveau-Brunswick, mais il n'est pas vraiment bien choisi. Lorsque le gouvernement du Nouveau-Brunswick a décidé de construire un important centre de foresterie à Fredericton, la population francophone n'a pas aimé l'idée. Elle a demandé à l'Université du Nouveau-Brunswick d'établir une faculté de foresterie dans ma région. J'y ai collaboré et nous avons connu beaucoup de succès. Nous parlons ici de formation professionnelle, mais cela a permis aux francophones de la province de cesser d'être des coupeurs de bois et des porteurs d'eau. Cet établissement a formé des gens qui dirigent maintenant des usines de pâte à papier et d'importantes scieries. Il y a mêmes des Québécois francophones qui l'ont fréquenté.

Compte tenu de la population autochtone du Canada, je me demande pourquoi une entreprise de cette nature ne pourrait pas réussir. Il nous faudrait évidemment le soutien non seulement des gouvernements fédéral et provinciaux, mais également de l'industrie forestière. L'industrie a toujours été intéressée par ce type d'initiatives, et il semble y avoir de la place pour cela.

M. Lazar : C'est une idée très intéressante.

Je ne peux pas parler pour le secteur de l'eau mais, pour ce qui est de celui du bois, nous sommes fiers de nos réalisations. Nous travaillons avec les moyens les plus perfectionnés au monde. Notre productivité dépasse celle du reste du secteur manufacturier canadien et représente le double de celle des États-Unis. La haute technologie que nous utilisons est étonnante. Le reste du monde nous regarde avec beaucoup d'admiration. Les Canadiens devraient continuer de couper du aussi brillamment.

Le sénateur Corbin : Je ne le disais pas de façon péjorative. À l'automne, j'ai passé deux jours sur les terres de la société Irving et de la société Fraser à observer les employés couper et gérer les forêts. J'ai été très impressionné.

Le sénateur Watt : Dans votre exposé, vous avez mentionné le capital et le projet de forage. Vous avez également parlé d'un engagement à long terme de 50 millions de dollars avec la société de forage originale. Pourriez-vous nous en dire plus?

M. Popko : C'est mon sujet préféré. Je dispose de combien de temps, monsieur le président?

Le président : Le temps est notre plus grand ennemi, monsieur Popko. Allez-y.

M. Popko : Je serai le plus bref possible. Disons qu'une installation de forage coûte 10 millions de dollars. EnCana pourrait proposer un contrat de quatre ans, de 800 jours, aux Premières nations. Elles peuvent s'adresser à la banque, mais elles doivent avoir des capitaux; donc, il y a 5 millions de dollars qui viendraient des Premières nations et 5 millions de dollars de la société de forage. C'est ainsi que nous avons procédé avec AKITA Drilling Ltd., Ensign Energy Services, Precision Drilling et Western Lakota Energy Services Inc., ainsi qu'avec l'association des Métis de l'Alberta, qui possède une installation de forage.

Les Premières nations doivent alors demander une aide gouvernementale de 25 p. 100. Elles pourraient recevoir jusqu'à 1 million de dollars pour l'achat de leur installation de forage. Elles s'adressent ensuite à la banque pour emprunter le reste du montant, soit entre 3 et 3,75 millions de dollars. Elles travaillent pour EnCana pendant les 600 ou 800 jours suivants, selon le contrat, et l'installation est rentable au bout de 600 ou 700 jours. Après environ 3 ans, l'investissement de 5 millions est remboursé et 20 personnes travaillent à l'installation. Il y a eu des moments où l'installation de forage des Métis de l'Alberta a été exploitée entièrement par ces derniers.

La société Western Lakota emploie environ 38 p. 100 d'Autochtones. C'est une histoire incroyable. Je ne taris pas d'éloges au sujet du programme de subventions parce que c'est grâce lui que le projet a été lancé, il y a quatre ans et demi, lorsque j'ai appris que des fonds étaient disponibles. Nous avons suivi le processus, mais cela a été long. Le premier processus de demande a pris huit mois. Nous l'avons réduit à trois mois. Nous sommes retournés en Colombie-Britannique, huit mois, même programme. Nous avons eu des problèmes. Ce programme n'existe malheureusement plus. Nous n'avons conclu aucun contrat de forage récemment, le dernier remontant à deux ans.

Cela permet d'obtenir de bons capitaux. Tant qu'une société garantissait la durabilité à long terme du contrat, aucun des projets d'installations de forage pour lesquels nous avons obtenu une subvention fédérale n'a échoué. Ils ont tous connu un succès intégral. Un contrat à long terme avait été conclu, un bon partenaire y prenait part et les Premières nations ont pu travailler et en profiter pour recevoir de la formation. J'aimerais remercier le gouvernement fédéral dont le programme de subventions nous a permis de payer l'installation, puisque c'est ce qui nous a réellement aidés à démarrer le projet. Nous n'aurions pas pu y parvenir sans ce programme. On venait nous dire que nous avions beaucoup d'argent et que nous pourrions en prêter.

Merci pour la question. C'est une belle histoire.

Le président : Merci, messieurs. Vous êtes tous très dynamiques. Vous nous inspirez. Nous aurions dû passer plus de temps en affaires qu'en politique. Cela étant dit, c'est bien de voir que vous avez une conscience corporative et que vous vous employez à aider nos Premières nations. Plusieurs études et travaux ont été réalisés dans ce domaine. Nous sommes reconnaissants de votre conscience corporative et de votre bon travail. Et surtout, gardez votre enthousiasme, messieurs Popko, Lazar et DeVries.

La séance se poursuit à huis clos.


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