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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 3 - Témoignages du 8 juin 2006


OTTAWA, le jeudi 8 juin 2006

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 4 afin d'examiner l'état actuel et les perspectives de l'agriculture et des forêts du Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables collègues, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d'être présents à cette heure matinale.

Avant de vous présenter nos invités, j'aimerais vous rappeler que, mardi dernier, le ministre David Emerson a témoigné devant notre comité et qu'il était soumis à certaines pressions en raison de votes à la Chambre des communes. Il a demandé si nous pouvions déposer, en plus de son témoignage, sa déclaration liminaire afin que nous ayons davantage de temps pour en discuter avec lui. J'aimerais que vous acceptiez d'ajouter cette déclaration liminaire à nos dossiers, si cela vous convient.

Des voix : D'accord.

(Pour consulter les documents, reportez-vous à l'annexe.)

La présidente : Aujourd'hui, nous continuerons d'examiner les difficultés qu'éprouve le milieu agricole de notre pays. Au cours des dernières années, on a fait face aux pires niveaux de revenus agricoles canadiens de l'histoire. Malgré une intervention accrue du gouvernement, l'endettement agricole s'établit à près de 50 milliards de dollars à l'heure actuelle.

Le comité a entendu dire que plusieurs facteurs ont contribué à la situation actuelle, notamment la crise de l'ESB, qui a affecté notre industrie bovine, et la baisse du cours des produits agricoles, surtout en ce qui concerne les céréales et les oléagineux. De même, on fait face à d'autres problèmes, comme la hausse continue des prix des combustibles fossiles et une nouvelle entente de l'Organisation mondiale du commerce en matière d'agriculture, qui pourraient avoir des conséquences sur la façon dont nous produisons et commercialisons les aliments au Canada.

Pour circonscrire la crise actuelle, le gouvernement a récemment fait plusieurs annonces, notamment l'ajout de 1,5 milliard de dollars en soutien agricole dans le dernier budget. Pour discuter de cette situation de façon générale, nous accueillons aujourd'hui des représentants des Producteurs de grains du Canada.

Les Producteurs de grains du Canada, organisme national composé des principaux groupes de producteurs de céréales et d'oléagineux, sont présents partout au pays. Ils représentent les intérêts des producteurs de céréales et d'oléagineux dans le cadre de l'élaboration d'une politique nationale. Par l'entremise de ses organismes membres, cet organisme représente toutes les régions du pays.

Aujourd'hui, Christine Moran, directrice générale, et William Van Tassel, directeur, représentent les Producteurs de grains du Canada. Mme Moran est native d'Ottawa, et M. Van Tassel vient d'Herbertville, au Québec.

Merci beaucoup d'être venus aujourd'hui à cette heure si matinale. Veuillez commencer.

William Van Tassel, directeur, Producteurs de grains du Canada : Bonjour, sénateurs. Je vous remercie de me permettre de parler ce matin d'une question critique pour l'agriculture canadienne et, en particulier, pour les producteurs de céréales et d'oléagineux du Canada. Les Producteurs de grains du Canada sont en fait un organisme- cadre qui agit au nom des producteurs de céréales et d'oléagineux à l'échelle nationale. Cet organisme vise uniquement à faire valoir les intérêts des producteurs de céréales à l'égard d'enjeux stratégiques, notamment le soutien national, les questions relatives à la réglementation, l'accès aux marchés et les politiques commerciales, et à représenter leurs intérêts à l'égard d'enjeux pratiques, comme les investissements dans le secteur et le transport.

Dans chaque région du Canada, nous avons des associations membres qui représentent 90 000 producteurs de céréales et d'oléagineux. Au sein des Producteurs de grains du Canada, j'assume notamment la présidence du groupe de travail sur le soutien national, ce pourquoi je suis présent ici ce matin.

Pour les producteurs de céréales et d'oléagineux, la question du revenu agricole constitue une préoccupation importante à plusieurs égards, et elle représente l'une des priorités stratégiques des Producteurs de grains du Canada depuis la création de notre groupe, c'est-à-dire aux alentours de l'an 2000.

Je vais prendre un moment pour me présenter : je suis un céréaliculteur d'Herbertville (Québec), qui se situe au nord- est de la ville de Québec, dans la région du Lac-Saint-Jean. Je suis agriculteur depuis 1976 et je cultive notamment le blé, l'orge, le soya, le colza canola, le lin et le maïs à ensilage. Je possède également une petite exploitation laitière. Dans ma région, cela représente une ferme type.

Mes collègues des Producteurs de grains du Canada de l'Ouest possèdent peut-être des exploitations dont la taille diffère des nôtres et n'émettent pas toujours les mêmes idées que nous, mais nous faisons tous face aux mêmes problèmes. Nous subissons une baisse des revenus et une hausse importante des coûts des intrants. Bref, les producteurs de céréales et d'oléagineux du Canada font face à une crise du revenu.

Quelques raisons expliquent cette crise, mais avant de décrire le problème, j'aimerais souligner ce que nous considérons comme les répercussions de ce problème sur l'économie canadienne. Le Canada est le quatrième exportateur de produits agricoles en importance. Les exportations de produits agricoles comptent pour 10 p. 100 de l'excédent commercial du Canada et représentent 8 p. 100 du produit national brut.

Ces chiffres montrent l'importance manifeste de l'agriculture à l'égard de l'économie canadienne. La production de céréales et d'oléagineux, particulièrement en tant que secteur, est essentielle. Agriculture et Agroalimentaire Canada a souligné que le blé soutient une importante industrie de transformation à l'échelle nationale et qu'il s'agit du produit agricole unique qui rapporte les recettes d'exportation les plus importantes, soit 3,8 milliards de dollars chaque année.

De plus, Agriculture et Agroalimentaire Canada a conclu que le secteur des oléagineux du Canada contribue de façon importante à l'économie canadienne, puisqu'il s'agit d'un produit à valeur ajoutée qui crée des emplois. Pour l'économie canadienne, l'industrie a eu des retombées économiques directes totalisant 3,2 milliards de dollars en 2003, d'après les données les plus récentes disponibles.

Compte tenu de ces chiffres, le Canada devrait se préoccuper grandement du fait que le secteur des céréales et des oléagineux canadiens fait face à une situation si précaire que l'on ne saurait la qualifier que de crise. Le revenu agricole est à son plus bas, et les producteurs font face à une augmentation importante des coûts des intrants. Comme je le soulignais précédemment, quelques raisons expliquent cette crise. Fondamentalement, ces raisons sont les suivantes : les prix réduits en raison des subventions étrangères et le rôle du producteur dans la chaîne de valeur, de même que les coûts des intrants qui n'ont jamais été aussi élevés, comme vous l'avez déjà dit, madame la présidente. Lorsque le prix de vente diminue, le coût des intrants augmente. Nous n'avons pas le choix.

L'exportation de 80 p. 100 de céréales et des oléagineux canadiens met en relief l'intégration du secteur à l'échelle mondiale. Toutefois, il est tout aussi important de souligner que même les producteurs qui ne s'attachent pas aux achats effectués par les consommateurs internationaux se fient sur les marchés internationaux pour fixer le prix des produits qu'ils vendent.

Dans ma province, nous cultivons beaucoup de maïs, et, même si nous ne l'exportons pas, son prix se fonde sur celui du Chicago Board of Trade. De cette façon, même si vous n'exportez pas un produit, vous le vendez tout de même à un prix concurrentiel sur le marché international.

Partout dans le monde, les prix des céréales et des oléagineux sont réduits et sous-évalués en raison des subventions nationales, qui faussent les échanges, comme celles qu'offrent les États-Unis et l'Union européenne. Ces subventions stimulent beaucoup trop la production et provoquent une baisse des prix des principales cultures, comme le maïs, le soya, le blé et l'orge. Ces subventions, qui nuisent à la production, ont un effet dévastateur sur les producteurs de céréales et d'oléagineux du Canada en raison de la baisse des prix et de la perturbation des échanges commerciaux.

Dans de nombreux cas, les producteurs canadiens sont même incapables de récupérer le coût de production sur le marché. Je suis généreux en disant seulement « dans de nombreux cas ». En raison de la baisse des prix actuelle, vous ne pouvez récupérer le coût de production dans presque tous les cas.

En plus d'être injuste, cette situation représente manifestement une source de frustration. Au bout du compte, on a mis un terme à bon nombre d'exploitations céréalières; toutefois, il est important de souligner que les chiffres réels sont masqués par le fait que près de la moitié des exploitations agricoles reposent sur des revenus d'emploi provenant de l'extérieur.

La situation est particulièrement frustrante si l'on tient compte de la répartition actuelle du soutien offert aux agriculteurs. Le mécanisme actuel, appelé Programme canadien de stabilisation du revenu agricole (PCSRA), est conçu de façon à ne pas nuire à la production et à ne pas fausser les échanges. Il permet aux forces du marché de prévaloir, même s'il ne s'adapte pas à la principale variable qui empêche les producteurs de céréales et d'oléagineux de connaître du succès. Cette variable, c'est le recours des principaux concurrents et partenaires commerciaux du Canada à des subventions faussant les échanges qui stimulent beaucoup trop la production et provoquent une baisse des prix.

Après les dernières négociations commerciales mondiales menées dans le cadre du Cycle d'Uruguay, nous avons attentivement suivi les règles, mais nous sommes à peu près le seul pays à avoir agi ainsi. Nous avons approuvé un soutien qui ne fausse pas les échanges; toutefois, si le prix des céréales et des oléagineux continue sans cesse de baisser, le programme ne fonctionnera pas.

L'endettement des agriculteurs canadiens constitue un exemple alarmant de la nécessité d'agir rapidement et d'uniformiser les règles du jeu. Cet endettement s'élève à près du double de celui des agriculteurs américains. Dans les années 80, les agriculteurs canadiens étaient un peu moins endettés que leurs homologues américains. À l'heure actuelle, la dette américaine a été réduite de moitié, et la nôtre s'est accrue. Notre niveau d'endettement atteint presque celui des Américains lorsque leur pays était en crise au début des années 80.

Les Producteurs de grains du Canada appuient les efforts que l'on déploie à l'heure actuelle pour améliorer la façon dont le PCSRA répond aux besoins des producteurs de céréales et d'oléagineux et ils s'engagent à participer de manière active et constructive à l'élaboration du nouveau programme. Toutefois, nous soulignons le fait que toute promesse visant à régler la question du revenu agricole doit tenir compte, d'une façon ou d'une autre, de la réduction régulière des prix à laquelle ont fait face les producteurs de céréales et d'oléagineux. Nous soulignons également la nécessité de tenir compte de la cause profonde du déclin des marges de référence, c'est-à-dire les subventions étrangères.

De cette façon, les producteurs canadiens de céréales et d'oléagineux pourront planifier leurs activités de façon plus efficace, gérer leur risque opérationnel dans un environnement stable et posséder une capacité concurrentielle de produire des céréales de meilleure qualité que celles de nos concurrents, plutôt que de concurrencer le Trésor d'un autre pays. Toute autre proposition n'équivaut qu'à une solution à court terme.

Nos producteurs préféreraient de loin obtenir un rendement du marché, plutôt que de recevoir un soutien gouvernemental continu. Pour régler ce problème, les Producteurs de grains du Canada ont examiné attentivement les conditions qui, une fois en place, assureraient un rendement équitable aux producteurs de céréales et d'oléagineux. Les conditions élimineraient par conséquent la nécessité d'avoir recours à un soutien gouvernemental continu, tout en reconnaissant le rôle important que jouent la stabilisation du revenu et l'aide aux sinistrés à l'égard de l'agriculture. On devrait considérer les conditions suivantes comme des objectifs à atteindre par les représentants. La première condition concerne la mise en œuvre d'une vaste stratégie visant à améliorer la position des producteurs dans la chaîne de valeur, notamment des investissements dans l'infrastructure requis pour encourager l'utilisation de céréales et d'oléagineux à des fins non alimentaires; la R-D permettant de favoriser l'innovation; et des mesures incitatives à l'intention des producteurs, qui fournissent des avantages sociaux allant bien au-delà de la production alimentaire. La deuxième condition repose sur l'élimination des subventions étrangères ayant des effets négatifs sur les prix canadiens au moyen d'une entente ambitieuse conclue avec l'Organisation mondiale du commerce et sur un important accès aux marchés découlant de l'élimination de tarifs différentiels mis en œuvre par l'OMC.

Jusqu'à ce que ces conditions du marché soient en place, les Producteurs de grains du Canada proposent de verser un financement temporaire en vue de répondre aux besoins du secteur. Le financement temporaire permettrait de contrer les subventions étrangères qui faussent les échanges. Il faudrait maintenir ce financement jusqu'à la mise en œuvre complète d'une entente conclue avec l'OMC qui, négociée et facilitée par le Canada, éliminerait la nécessité d'avoir recours à un tel financement en mettant un terme au versement de subventions étrangères et en uniformisant les règles du jeu. Pour y arriver sans nuire au budget, vous devriez vous attaquer à la racine du problème — les céréales et les oléagineux. Il existe sûrement une façon de régler le problème, car, si on ne fait que verser de l'argent, on ne l'éliminera pas, et les agriculteurs seront de retour sur la Colline du Parlement, comme le 5 avril dernier.

Bref, les producteurs de céréales et d'oléagineux ne croient pas que le gouvernement doit faire vivre les agriculteurs; toutefois, nous croyons que le gouvernement doit à l'industrie d'élaborer des politiques qui permettraient aux agriculteurs de gagner leur vie. Ces politiques sont à portée de main. Jusqu'à ce qu'elles soient en place, nous demandons au gouvernement de réagir à la crise en allouant des fonds au secteur des céréales et des oléagineux en vue de compenser la distorsion des échanges.

J'ai apporté avec moi aujourd'hui des exemplaires de notre document d'orientation sur cette question, rédigé en février dernier. Nous serions heureux d'en discuter davantage.

Le sénateur Segal : Merci d'avoir présenté votre exposé et d'avoir apporté un exemplaire du document d'orientation de février. Avez-vous une impression de déjà vu aujourd'hui? Les nouvelles continuent d'être mauvaises, et la situation ne s'améliore pas à chaque cycle. Vous êtes cultivateur de céréales et d'oléagineux qui fait face aux problèmes de façon quotidienne. Tout d'abord, rien ne prouve que le Canada sera en mesure de mettre un terme aux importantes subventions insoutenables versées aux États-Unis et en Europe, malgré les négociations de bonne foi du Canada dans le cadre de l'OMC. Il semble que le prix de nos céréales et de nos oléagineux demeurera bas. Je réagis de façon rationnelle à ce que nous avons connu jusqu'à maintenant. Ensuite, je crois que vous serez d'accord avec moi pour dire que, dans une certaine mesure au sein de toutes nos exploitations agricoles, il y a un problème d'échelle. Prenez par exemple les pommes de terre. L'agriculteur possédant un terrain de 250 acres éprouve d'énormes difficultés à gagner sa vie. Celui dont le terrain mesure 2 500 acres ou 5 000 acres s'en sort probablement un peu mieux, toutes proportions gardées, en fonction de l'échelle.

Les analystes les plus importants, représentants de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), déclarent que la demande croissante en protéines dans des pays comme la Chine et l'Inde exercera, au fil des ans, une véritable pression à la hausse sur les prix des céréales et des oléagineux, surtout ceux qui sont essentiels à la production d'autres formes de protéines — divers types d'aliments pour animaux.

À l'heure actuelle, il semble que nous ayons vécu une période creuse de cinq à sept ans dont nous ne voyons pas la fin. Vous pouvez être en désaccord avec une partie de ce que je viens de dire, mais, compte tenu de toutes les données, je vais vous proposer deux choix stratégiques. Je suis intéressé à connaître votre réponse.

Je propose d'offrir une aide provisoire à l'égard des produits agricoles, que ce soit en fonction d'un pourcentage de la superficie en acres ou d'un pourcentage du revenu de l'année précédente. Je crois que les Producteurs de grains du Canada ont fait cette proposition plutôt que de favoriser un investissement stratégique qui exigerait au moins une capacité fondamentale d'assurer une certaine croissante au pays, de même que la participation de personnes qui sont prêtes à demeurer dans ce domaine bon an mal an, puisqu'elles savent qu'elles sont traitées de façon équitable. Si, à l'autre extrémité, les prix augmentent, ces personnes en profiteront en conséquence. Essentiellement, il s'agit non pas d'une question de superficie, mais d'une question relative à l'établissement d'un revenu de base raisonnable pour les hommes et les femmes faisant actuellement partie de notre milieu agricole.

On peut voir un exemple de soutien du revenu de base dans l'industrie automobile au moment où les travailleurs sont mis à pied. De façon générale, les travailleurs versent un certain montant dans un riche programme du gouvernement fédéral s'adressant à l'industrie automobile; il s'agit essentiellement d'un programme d'assurance- revenu. Nous ne voulons pas que les employés du secteur de l'automobile travaillent ailleurs, car on aura besoin d'eux lorsque les entreprises redémarreront une fois le cycle repris. Ce programme leur permet de retirer un pourcentage élevé de leur salaire pendant une assez longue période.

Si vous étiez le ministre d'Agriculture et Agroalimentaire et qu'on vous soumettait deux propositions — un soutien du revenu pour la famille agricole, un revenu de base raisonnable qui pourrait l'aider bon an mal an, ou des programmes de soutien à l'égard des produits agricoles qui sont offerts lorsque la situation s'envenime — laquelle choisiriez-vous? Vous connaissez peut-être une meilleure solution, mais laquelle des deux propositions choisiriez-vous?

M. Van Tassel : Je vais répondre à la question, mais j'aimerais revenir sur vos commentaires. Comme je l'ai déjà dit, il faut s'attaquer à la base du problème. De cette façon, le budget fédéral ne sera pas trop affecté. Certains produits sont plus problématiques que d'autres; c'est pourquoi nous abordons ce sujet dans notre document d'orientation de février. Je ne sais pas comment régler la question concernant l'offre d'un soutien du revenu minimal à la famille agricole. Cela pourrait se faire, mais nous devrions examiner les façons d'y arriver.

Le sénateur Segal : C'est ce que nous faisons pour les personnes âgées du Canada grâce à notre Supplément du revenu garanti. Nous examinons le montant de leur pension, et s'il descend sous un certain niveau, nous leur offrons un SRG pour nous assurer qu'elles peuvent vivre dans une certaine dignité.

M. Van Tassel : Nous pourrions probablement examiner cette façon de faire. Je suis d'accord pour dire que, à court et à moyen termes, nous devons faire en sorte que les agriculteurs poursuivent leurs activités, car, à long terme, nous aurons besoin de ce secteur primaire. Nous ne pouvons l'abandonner.

Lorsque vous analysez la situation économique en tenant compte du secteur céréalier, vous remarquez que les excédents diminuent; toutefois, la population de la Chine, entre autres, aura besoin d'une plus grande quantité de blé. C'est pourquoi nous avons besoin d'un programme de financement temporaire jusqu'à ce moment-là. C'est une question que nous devons examiner. Je ne sais pas si Mme Moran voudrait ajouter quelque chose. Je n'y avais jamais vraiment pensé auparavant, c'est pourquoi vous m'avez un peu pris de court.

Christine Moran, directrice générale, Producteurs de grains du Canada : Nous en avons discuté quelque peu, mais nous n'avons pas examiné de façon approfondie la façon dont le mécanisme fonctionnerait. De façon générale, nos membres considéraient que notre rendement devait provenir du marché.

L'idée est intéressante, et nous reconnaissons qu'il s'agit d'une possibilité, mais notre proposition vise à financer particulièrement ce que nous appelons « le problème » du secteur des céréales et des oléagineux. Ce que vous avez qualifié de paiement par acre en fonction des produits agricoles constituerait probablement une excellente solution permettant de régler ce problème, car nous sommes d'accord avec vous : ce problème doit être réglé immédiatement. Nous devons empêcher la fin prochaine de l'industrie et du secteur.

Vous vous demandez si nous ne sommes pas trop optimistes. Il n'est pas surprenant que quelqu'un me qualifie d'optimiste, puisque c'est ce que tout le monde fait depuis que je suis toute jeune. Toutefois, nous avons examiné la question, et, pour nous, la seule façon de contrer ces subventions consiste à profiter des négociations menées dans le cadre de réunions de l'OMC. Je reconnais la présence d'une certaine forme de pessimisme, puisque nous ne savons pas si nos partenaires commerciaux diminueront leurs subventions — surtout en ce qui concerne les subventions qui faussent les échanges — mais nous vivons dans une ère différente.

Nous examinons actuellement le Cycle de Doha pour le développement. Nous avons obtenu l'engagement des principaux pays qui exercent également des pressions. Dans le cadre du Cycle d'Uruguay, deux acteurs fondamentaux ont établi des règles. À l'heure actuelle, bon nombre d'importants pays industrialisés constituent des forces formidables dans le cadre de négociations de l'OMC, et ces pays exercent également des pressions.

L'approche peut sembler excessivement optimiste pour certains, mais il s'agit de la seule approche réaliste nous permettant de contrer ces subventions qui faussent les échanges et de nous assurer que les règles sont modifiées afin qu'elles ne faussent plus les échanges et qu'elles n'aient plus d'effets dévastateur sur nos producteurs.

Dans le cadre des réunions de l'OMC, on mène des négociations continues en matière d'agriculture, et, même récemment, les principaux négociateurs — surtout ceux provenant des pays que nous avons mentionnés, soit l'UE et les États-Unis — continuent de discuter de cette question. On a donc une raison d'être optimiste.

Le sénateur Segal : Parlez-moi de la pauvreté rurale que l'on connaît dans la région du Québec où vous habitez. Que vivent les agriculteurs dans ce contexte? S'en sortent-ils? Ne font-ils que survivre? Certains d'entre eux vivent-ils sous le seuil de la pauvreté, mais sont trop fiers pour le laisser paraître? D'après vous, que se passe-t-il sur le terrain?

M. Van Tassel : Je vais vous raconter mon histoire personnel. En 2004, j'ai travaillé pendant des milliers d'heures sur la ferme et j'ai perdu 50 000 $. C'était la pire année de toutes. Heureusement, les années précédentes avaient été positives, sinon je n'aurais pas été ici.

Au Québec, il existe un programme provincial s'adressant au secteur des céréales et des oléagineux qui nous aide. Il se fonde quelque peu sur les produits agricoles, mais nous payons des cotisations, qui deviennent très élevées. En Ontario, la situation est pire, et l'on doit procéder à des ventes aux enchères. Récemment, j'ai reçu une lettre concernant l'une de ces ventes tenues par la banque, ce qui signifie que l'agriculteur n'est plus sur les lieux. Ça va vraiment mal.

Le 5 avril, les agriculteurs qui manifestaient sur la Colline du Parlement ne le faisaient pas par pur plaisir. Les agriculteurs québécois y sont peut-être habitués — peut-être sommes-nous plus excitables — mais je n'ai jamais cru que je verrais des agriculteurs ontariens manifester, et ils étaient là-bas. C'est parce que cela va vraiment mal; c'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui.

Il vaut peut-être la peine d'examiner votre idée. Je ne peux pas vraiment réagir à votre proposition concernant un revenu minimal garanti pour les familles, puisque nous n'avons pas mené assez de travaux sur cette question; toutefois, si le ministre de l'Agriculture souhaite en discuter, je suis certain que nous serions prêts à le faire.

Le sénateur Peterson : Je reconnais la situation difficile dans laquelle vous vous trouvez, puisque vous faites face à une augmentation des coûts des intrants et à une baisse des prix, sur lesquelles vous n'avez aucun contrôle. Vous dites que vous souhaitez tirer votre revenu non pas des fonds publics, mais du marché, ce qui est louable. Malheureusement, vous aurez besoin de ce revenu dans un certain délai, et vous parlez d'un financement temporaire. Considérez-vous cela comme une autre dette ou comme une combinaison entre une dette et un remboursement?

Nous savons que vous subissez déjà d'énormes pressions en raison des dettes dont vous devez vous acquitter. Ne s'agit-il pas simplement d'une dette supplémentaire? Selon vous, combien de temps cela prendra-t-il avant que cette tendance du marché s'accentue?

M. Van Tassel : Si nous parlons du financement temporaire, c'est parce que nous aurons besoin de la création d'un programme du gouvernement fédéral. À l'heure actuelle, on parle d'avances printanières ou automnales. Cette mesure ne fera qu'alourdir la dette des agriculteurs, même si elle nous aide de façon temporaire. Nous voulons plus que ça. Nous parlons d'un programme qui éliminerait le problème jusqu'à ce que les facteurs soient en place pour permettre aux agriculteurs de vivre des revenus du marché. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

Le sénateur Peterson : En quelque sorte, oui, mais peut-on utiliser un programme qui existe déjà? Peut-on modifier le PCSRA afin qu'il soit adapté à une telle situation?

Nous avons parlé d'un si grand nombre de programmes ayant chacun un nom différent que nous ne pouvons pas tous nous les rappeler. Y en a-t-il un sur lequel nous devrions nous concentrer? Peut-être devrions-nous simplement en utiliser un qui pourrait fonctionner.

M. Van Tassel : Le PCSRA s'attache davantage à la stabilisation du revenu. Si le prix des céréales diminue d'une façon régulière, il ne servira à rien. Doit-on modifier le PCSRA? Je ne suis pas certain que ce soit la bonne façon de procéder. Nous parlons ici d'un programme complémentaire.

Mme Moran : Il est aussi important de souligner qu'il existe une très bonne raison pour laquelle nous proposons un financement temporaire. Nous voyons la lumière au bout du tunnel et nous constatons qu'il y a plusieurs façons de s'en sortir.

Nous exigeons un investissement dans le secteur en vue d'établir un secteur d'énergie renouvelable, qui créerait manifestement une demande stable, régulière et à long terme de nos produits. Nous voyons cela comme une partie de la solution, car une demande accrue signifie évidemment de meilleurs prix.

Nous examinons une solution temporaire, même si nous ne pouvons pas fixer une date, puisque nous faisons face à un ensemble d'éléments. Selon nous, la solution repose sur l'uniformisation des règles du jeu dans le cadre de négociations de l'OMC. Il faut également améliorer la position des producteurs au sein de la chaîne de valeur en investissant dans le secteur de l'énergie renouvelable.

La solution repose également sur la R-D dans le secteur des céréales et des oléagineux, qui est permanent et qui a été un bon partenaire pour notre secteur. Les producteurs canadiens ont grandement profité des nouvelles technologies qui leur ont permis de réduire leurs coûts, dans une certaine mesure, et d'accroître leur rendement. Nous examinons plusieurs facteurs qui, lorsqu'ils seront en place, signifieront que nous avons apporté beaucoup d'améliorations au secteur.

Je suis d'accord avec M. Van Tassel en ce qui concerne la question des avances. Le programme d'avances offre une aide temporaire, mais, à long terme, il ne fait que vous endetter un peu plus. Nous cherchons une véritable solution, qui comprend la création d'un secteur national de l'énergie renouvelable et également un moyen de contrer ces subventions qui provoquent la baisse des prix.

Il est important de souligner que le PCSRA vise à permettre le jeu des forces du marché, ce qui comprend également l'établissement des prix, mais la surproduction qui a lieu aux États-Unis en raison de leur programme de subventions fausse de façon importante et dévastatrice nos prix.

Il est difficile pour nous de stabiliser nos prix en fonction de prix qui ne sont pas établis par des facteurs du marché.

Le sénateur Oliver : J'ai trois questions brèves à poser. Premièrement, combien d'acres cultivez-vous au Québec?

M. Van Tassel : Je possède environ 1 000 acres.

Le sénateur Oliver : Deuxièmement, vous avez dit que le prix du maïs est contrôlé par le Chicago Board of Trade. Quelles recommandations pouvez-vous formuler à l'intention de notre comité afin que nous puissions trouver une solution équitable pour les producteurs de maïs du Canada? De cette façon, ils ne seraient plus tenus de se fier au Chicago Board of Trade pour établir les prix?

Ma troisième question est la plus importante. J'ai été un peu surpris de lire, dans la conclusion de votre rapport, que vous souhaitiez vraiment la mise en place d'une infrastructure permettant d'encourager l'utilisation de céréales et d'oléagineux à des fins non alimentaires. Notre comité de l'agriculture a analysé, pendant bon nombre d'années, la crise que vivent les agriculteurs et a produit de nombreux rapports à ce sujet. Dans l'un des rapports, intitulé Les agriculteurs canadiens en danger, on examinait la valeur ajoutée des produits agricoles. Cette valeur ajoutée vous permet d'augmenter vos marges et de réaliser des profits.

Je sais que ça fonctionne de cette façon dans l'industrie de la pêche. Plutôt que de vendre du poisson cru, on fabrique et vend des croquettes de poisson, et c'est là que l'on fait de l'argent. Je suis surpris que vous ayez utilisé l'expression « à des fins non alimentaires ». J'aurais pensé que vous auriez voulu ajouter de la valeur à vos produits agricoles afin que vous puissiez réaliser davantage de profits et ne pas perdre 50 000 $, comme en 2004.

C'est ma principale question. Pourquoi ne pas ajouter de la valeur à de tels produits en vue d'accroître le revenu des agriculteurs?

M. Van Tassel : Quand nous disons « à des fins non alimentaires », nous parlons de l'éthanol et du biodiésel renouvelables ». Aux États-Unis, les agriculteurs sont propriétaires d'une partie des usines et ajoutent de la valeur de cette façon.

En ce qui concerne la façon d'éviter d'avoir à passer par le Chicago Board of Trade, il faut retenir que les frontières ne sont pas fermées aux grains. Les acheteurs de grains les achètent là où ils sont les moins chers. Parfois, on importe des grains au Québec, ce qui crée un excédent et fait baisser les prix. Aussi longtemps que les frontières demeureront ouvertes, nous n'avons aucune option. Je n'ai pas de solution à proposer.

Le sénateur Oliver : En ce qui concerne la valeur ajoutée, il y a plusieurs années, quelques agriculteurs de la Saskatchewan ont commencé à cultiver des légumineuses pour diversifier leurs cultures. Puis, ils ont examiné la possibilité d'ajouter de la valeur au moyen de différents types de produits à base de colza canola. Pourquoi n'est-ce plus une option viable?

Mme Moran : Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il ne s'agit pas d'une option viable. Actuellement, on s'intéresse beaucoup au secteur de l'énergie renouvelable. Cet intérêt concerne non seulement le secteur agricole, mais également les avantages pour l'environnement. Même la société manifeste un intérêt accru envers les différentes formes d'énergie renouvelable. Nous considérons cela comme une solution réaliste. Cette question a été intégrée à chaque programme de chaque parti ayant participé aux dernières élections, alors on s'engage certainement à régler le problème de façon créative.

Partout au Canada, on s'attend à ce que, compte tenu de notre rôle en tant que principal producteur agricole et de l'intérêt manifesté à l'échelle environnementale, sociale et agricole, nous puissions respecter cet engagement. Nous avons produit plusieurs types de céréales qui sont bien adaptées à ce secteur, et il s'agit certainement d'un domaine qui nous intéresse de plus en plus. Nous ne rejetons pas nécessairement la valeur ajoutée; l'énergie renouvelable représente simplement un autre excellent secteur.

Il existe d'autres secteurs où l'on pourrait utiliser les céréales et les oléagineux à des fins non alimentaires. On a l'occasion de cibler de façon sélective des produits n'étant pas destinés au marché de l'alimentation, mais pouvant être utilisés dans plusieurs autres secteurs, comme l'agriculture moléculaire. Ce secteur nous intéresse également, puisque ces marchés à créneaux pourraient permettre à nos producteurs de toucher un revenu élevé. Nous reconnaissons qu'il existe des problèmes et que nous devons certainement régler bon nombre d'entre eux avant que cette solution ne soit accessible, mais c'est quelque chose que nous ne voulons pas écarter. Nous n'éliminons pas le secteur de la valeur ajoutée de la solution; nous examinons simplement de nouveaux secteurs.

Le sénateur Oliver : Vous n'excluez pas le fait que le Canada est un grenier et que nous voulons produire le plus d'aliments possible au Canada sans être obligé de se fier aux importations?

Mme Moran : Certainement pas. En tant que principal producteur agricole, c'est ce à quoi on s'attend.

Le sénateur Mitchell : La question de la valeur ajoutée des produits à des fins non alimentaires, particulièrement les biocarburants — éthanol, biodiésel et ainsi de suite — m'intéresse.

Les représentants du Syndicat national des agriculteurs étaient ici la semaine dernière. Ils ont soulevé un point qui m'a dérangé. Ils ont déclaré qu'il n'y avait peut-être pas de relation entre le prix et l'offre. À l'heure actuelle, on dispose d'un approvisionnement en blé de 69 jours dans le monde, ce qui, je crois comprendre, est peu. Par conséquent, on s'attendrait à ce que la demande soit élevée et l'offre, basse. Cela devrait constituer un indicateur. Toutefois, le prix des céréales n'a pas vraiment changé. Il y a donc un écart entre l'offre et la demande en ce qui concerne le prix des céréales.

Même si je crois que les biocarburants pourraient très bien agrandir le marché des produits agricoles, et par conséquent accroître la demande, il n'est pas certain qu'une demande accrue entraîne l'augmentation des prix et contribue à régler la crise.

Pouvez-vous commenter?

Mme Moran : Même si l'on pouvait créer des occasions à partir du blé, le secteur de l'énergie renouvelable repose en grande partie sur d'autres céréales, dont la demande est liée aux prix. Nous pourrions certainement voir une hausse des prix du colza canola, par exemple.

Je n'ai pas entendu les témoins du SNA, alors je ne peux pas formuler de commentaires précis sur ce qu'ils ont déclaré, mais je ne vois pas comment une augmentation de la demande entraînerait une hausse des prix. Des économistes du monde entier pourraient également contester ces propos, même si je crois que, parfois, l'économie agricole est particulièrement indéchiffrable. Notre analyse révèle que nous connaîtrions une augmentation de la demande, ce qui entraînerait une hausse des prix.

La solution consiste en partie à susciter une demande stable, continue et à long terme. Il est également important de souligner que la demande devrait être nationale. Nous examinons la possibilité de susciter une demande nationale pour un produit qui, à long terme, permettrait d'éliminer certains des problèmes auxquels nous faisons face de temps à autre en ce qui concerne l'accès aux marchés, les obstacles non tarifaires et ce genre de choses.

M. Van Tassel : En ce qui concerne les carburants renouvelables, si un agriculteur de l'Ouest produit de l'éthanol, il économisera beaucoup d'argent simplement en raison du transport, ce qui est important.

Dans l'Est, l'avantage est un peu moindre, puisque notre maïs concurrencera toujours le maïs américain à la frontière. La situation est très différente; c'est pourquoi, si nous construisons des usines dans l'Est, nous devons nous assurer d'utiliser le maïs canadien.

Heureusement, le prix du blé a récemment augmenté puisque les approvisionnements avaient diminué, mais les prix ne varient pas de la même façon que dans les années 80. Même si je ne suis pas économiste, je crois comprendre que cette absence de fluctuation est causée par le jeu des fonds monétaires sur le marché, qui peut masquer le véritable fonctionnement du marché. Ce dernier est difficile à comprendre ces temps-ci, en raison des fonds monétaires que l'on transige.

Le sénateur Mitchell : Vous ne devriez pas dénigrer votre expertise en tant qu'économiste. Certains des plus grands économistes que j'ai rencontrés sont des agriculteurs, puisqu'ils doivent vivre en se fondant sur leurs analyses et leurs prévisions économiques.

Je me préoccupe de l'utilisation du maïs dans la création de biocarburants, qui représente particulièrement un problème dans l'Est, et, si nous produisons de l'éthanol de cette façon, de la façon dont les subventions américaines entraveront la capacité de nos producteurs d'utiliser le maïs canadien et d'être concurrentiels. Le problème est non pas que le Chicago Board of Trade établit le prix, mais que le gouvernement américain subventionne le maïs.

Comment pouvez-vous régler ce problème? Peut-être pouvez-vous étoffer votre idée selon laquelle nous pourrions exiger l'utilisation de produits canadiens.

M. Van Tassel : C'est au gouvernement canadien de s'en occuper. Je vais parler non plus en tant que représentant des Producteurs de grains du Canada, mais en tant que cultivateur de maïs canadien. Les cultivateurs de maïs canadiens ont présenté au gouvernement fédéral une contestation de l'OMC à l'égard du maïs américain. Cela ressemblerait au dossier du coton brésilien. Comme je l'ai mentionné un peu plus tôt, à la suite du cycle d'Uruguay, les Américains ne se sont pas conformés à ce qui avait été négocié, mais le gouvernement canadien n'en a jamais tenu compte. Nous avons présenté une demande en vue de recevoir des droits compensatoires, mais elle a été rejetée. Elle a été approuvée par l'Agence des services frontaliers du Canada, mais l'Institut canadien du trafic et du transport l'a rejetée. Nous avons fait tout ce que nous avons pu en tant qu'agriculteurs. C'est maintenant au tour du gouvernement canadien de trouver une solution.

Le sénateur Mitchell : Lorsque nous commencerons à créer des biocarburants et à établir des limites concernant la quantité d'éthanol que l'on doit mettre dans l'essence et la quantité de diesel que l'on doit mettre dans le carburant diesel, nous devrons nous assurer que les agriculteurs en tirent parti. Cela soulève la question de la production, et nous nous demandons comment nous assurer que les agriculteurs jouent un rôle important dans cette production. Cela soulève également la question des mesures incitatives et du soutien de l'infrastructure. Pouvez-vous nous donner une idée de ce que vous pensez à ce sujet?

Mme Moran : Nous avons examiné plusieurs facteurs en vue d'améliorer les revenus des agriculteurs, et l'un d'eux consiste à améliorer notre position au sein de la chaîne de valeur. Comme M. Van Tassel l'a souligné, il est important de faire participer les producteurs à la production de biocarburants et d'énergies renouvelables et de s'assurer que les agriculteurs prennent part à la production, plutôt que de simplement fabriquer le produit primaire.

Nous n'avons pas vraiment examiné la question en ce qui concerne la façon dont ces mesures incitatives seraient appliquées et le moment exact où on doit faire participer les cultivateurs, mais nous encourageons fortement les producteurs à participer à l'établissement et à la croissance de l'industrie non seulement en tant que vendeurs du produit primaire, mais également en tant que coopérateurs ou propriétaires partiels d'usines fonctionnant à l'énergie renouvelable.

Comme M. Van Tassel l'a souligné, ces usines procurent plusieurs avantages. Il ne s'agit pas simplement d'une question relative à la demande du marché. Il y a également la question pratique qui consiste à s'occuper du transport des produits sans être obligé de les expédier vers un port, ce qui fait que vous pouvez conserver ces produits dans votre province ou votre pays.

Le sénateur Campbell : Merci beaucoup d'être présents aujourd'hui.

Même si je viens du Manitoba, je prends ma retraite en Saskatchewan. Au cours des 20 dernières années, j'ai travaillé comme camionneur pour mon beau-frère pendant les récoltes. Selon moi, il ne s'agit pas d'une baisse des prix qui a duré sept ans. Je considère que le prix du blé est exactement le même qu'en 1982. Nous cultivons deux sections de terrain. Nous n'avons pas de bétail. Nous avons cultivé du colza canola, de la moutarde, des graines à canaris et du blé.

La demande et le prix sont liés, mais l'offre se trouve entre les deux. Nous produisons davantage qu'avant et nous obtenons un moins bon rendement; c'est pourquoi nous éprouvons des difficultés.

Comment pouvons-nous régler le problème? Nous possédons cinq moissonneuses-batteuses d'un modèle VRC 8900. Chacune nous a coûté 6 000 $, et nous les avons achetées il y a de 20 à 25 ans. Une nouvelle moissonneuse-batteuse coûte un quart de million de dollars. Nous n'en achetons que des vieilles. Lorsque l'une d'entre elles ne fonctionne plus, nous en utilisons une autre et nous passons tout l'hiver à les réparer.

Les grandes exploitations agricoles n'y arrivent pas, pas plus que les petites. Tout le milieu est à risque. Comment pouvons-nous encourager les gens à devenir agriculteurs? Mon beau-frère a quatre enfants, qui ont tous étudié à l'université. Ils sont tous bien instruits, et aucun d'entre eux ne prendra la relève.

Comment encouragerons-nous nos citoyens à continuer de s'occuper des exploitations agricoles si nous ne trouvons pas une façon de les rendre productives et que nous ne voulons pas qu'ils aient l'impression d'être sur le bien-être social?

M. Van Tassel : Je comprends très bien ce que vous dites. J'ai un fils qui travaille à la ferme.

Nous avons parlé de l'uniformisation des règles du jeu, mais c'est un objectif difficile à atteindre. Un peu plus tôt, j'ai parlé de la dette des agriculteurs canadiens. Nos exploitations sont rationalisées, mais nous devrons acheter des nouvelles moissonneuses-batteuses tôt ou tard. Je suis une personne optimiste. Si j'étais pessimiste, je ne serais pas agriculteur.

J'ai l'impression qu'un jour ou l'autre le prix des céréales sera tel que nous pourrons bien gagner notre vie. Nous avons besoin d'un financement temporaire pour nous aider jusqu'à ce moment-là, puisque l'industrie primaire du Canada doit demeurer forte.

Nous avons présenté au gouvernement trois propositions concernant la façon d'y arriver.

Le sénateur Campbell : En ce qui concerne les biocarburants, nous ne cultivons pas d'aliments en soi; nous ne cultivons pas de maïs. Comme le sénateur Oliver l'a mentionné, notre valeur ajoutée consiste à enlever la faux de la moissonneuse-batteuse, à souffler le foin en andain puis à le ramasser. Des entreprises, comme Iogen Corporation peuvent transformer cette cellulose en carburant. Toutefois, nous devons récupérer nos intrants; alors, il faut tenir compte du coût du carburant et de l'usure de la machinerie. Comment pouvons-nous garantir que les agriculteurs canadiens participent à toute la ligne de production? Comment pouvons-nous garantir que les agriculteurs récupèrent la cellulose, ou la balle, dans les champs et l'expédient à une entreprise qui la transforme en carburant? Comment pouvons-nous nous assurer que les agriculteurs reçoivent une part importante de cette affaire? Plutôt que de mettre en place les programmes de stabilisation du revenu sans intérêt, examinons la possibilité d'offrir un prêt sans intérêt à la collectivité afin qu'elle puisse mettre sur pied une usine d'éthanol.

M. Van Tassel : Les agriculteurs pourraient en être propriétaires en partie.

Le sénateur Campbell : Les producteurs seraient propriétaires non pas d'une partie, mais de l'ensemble des installations et fourniraient la matière première, c'est-à-dire la cellulose, à une entreprise, comme Iogen Corporation. S'agirait-il d'une option viable?

M. Van Tassel : Aux États-Unis, il existe bon nombre de coopératives agricoles, que le gouvernement aide au moyen de certains programmes.

Mme Moran : Il y a bon nombre de façons de régler ce problème, et l'idée d'offrir des prêts sans intérêt aux entreprises de la collectivité ne représente que l'une des nombreuses questions qu'examinent les Producteurs de grains du Canada en vue de déterminer la solution qui permettra à nos producteurs de toucher les meilleurs revenus possibles. Il est important que nous reconnaissions l'importance de la participation du milieu agricole. Les PGC ne s'attachent pas uniquement à un seul modèle à l'heure actuelle, puisque nous savons qu'il est essentiel de bien établir l'industrie et que la participation des producteurs est critique, mais cela ne devrait pas porter atteinte à l'établissement de l'industrie. Nous reconnaissons que nous avons besoin de partenaires dans le secteur de l'énergie et de la distribution. Nous cherchons une certaine créativité et une bonne occasion et nous ne nous attachons pas à un seul modèle.

Le sénateur Campbell : À quel moment arrêtons-nous d'être des boy-scouts et de respecter les règles alors que le reste du monde ne le fait pas? Pouvons-nous même penser à agir de la sorte dans le contexte général? Vous avez parlé de droits compensatoires. Les États-Unis n'hésiteraient pas un instant à le faire contre nous, et ils l'ont déjà fait.

M. Van Tassel : Nous, nous ne le faisons pas.

Le sénateur Campbell : Peut-être est-il temps pour nous de le faire. Je suis fatigué que l'on plante les graines et que l'on prie ensuite pour l'arrivée de la moissonneuse-batteuse blanche. Pour ceux d'entre vous qui ne le savez pas, la moissonneuse-batteuse blanche, c'est la grêle. Nous prions pour qu'il grêle afin que nous puissions recevoir l'argent de l'assurance et ainsi récupérer les intrants. Nous devons abandonner une telle attitude.

Mme Moran : Comme je l'ai souligné, il est important que le Canada participe aux négociations de l'OMC. On parle souvent du fait que le Canada est le boy-scout, et cette situation est problématique. Nous menons certainement la charge dans plusieurs secteurs, et le Canada a voulu s'assurer que nos programmes agricoles ne faussent pas les échanges. Toutefois, nous vivons dans une ère nouvelle et nous subissons des pressions de la part d'un bon nombre de pays. Le Canada ne fait pas cavalier seul puisque de nombreux autres pays cherchent à éliminer les subventions injustes qui faussent les échanges. Nous ne sommes pas seuls à mener la charge, puisque le Brésil, la Chine et l'Inde, qui ont tous un rôle important à jouer au chapitre de l'agriculture, exercent également des pressions.

Nous devons être résolus à mettre en œuvre cette solution. Nous espérons qu'un jour nous pourrons tirer notre revenu du marché et ne plus être obligés de nous fier presque uniquement sur la stabilisation du revenu ou l'aide aux sinistrés; nous espérons pouvoir toucher un revenu du marché indépendant grâce à divers moyens nationaux et internationaux. Comme nous l'avons souligné, on exporte 80 p. 100 des céréales et des oléagineux canadiens. M. Van Tassel a expliqué que même le prix des produits qui ne sont pas destinés à l'exportation dépend des marchés internationaux.

Ces négociations sont absolument essentielles, car les subventions nuisent grandement à l'établissement des prix. Jusqu'à ce que nous parvenions à régler de front les questions relatives à ces subventions dans le cadre des négociations de l'OMC et au moyen d'une entente ambitieuse, la situation demeurera incertaine.

Le sénateur Campbell : Merci.

La présidente : Je viens d'un endroit magnifique situé près des montagnes dans le Sud-Ouest de l'Alberta. La moissonneuse-batteuse blanche frappe notre province aussi souvent que la Saskatchewan. Normalement, lorsque nous devons récolter les meilleures cultures que nous ayons réussi à faire pousser depuis quelques années, la grêle sévit. Au cours des dernières années, nous avons connu quelques inondations spectaculaires, des infestations de sauterelles et ensuite, pour couronner le tout, l'ESB. Cela m'étonne que les membres de la collectivité demeurent à cet endroit et continuent à exercer leurs activités.

Vous avez dit que vous avez un fils qui est prêt à le faire. Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Mitchell et vous poser des questions concernant les gens oeuvrant au sein des PGC. Dans quelle mesure est-il stressant et difficile pour eux à l'heure actuelle d'apprendre que leurs enfants ne souhaitent pas prendre la relève? Je suis étonnée quand cela se produit, car ils doivent parfois penser que la vie n'est pas que catastrophe par-dessus catastrophe. Peut- être y a-t-il quelque chose concernant l'agriculture qui fonctionne bien, sans tenir compte des dollars et des cents. J'aimerais que vous me disiez, compte tenu de votre vaste perspective, comment la prochaine génération s'en sort.

M. Van Tassel : Les agriculteurs sont d'éternels optimistes, autrement ils ne cultiveraient pas la terre. Votre rendement moyen n'est pas de 15 p. 100; il n'est même pas près de cela. Lorsque nous obtenons un rendement moyen, nous sommes heureux. Nous sommes cultivateurs puisque nous sommes passionnés par le travail de la terre. Dans l'Ouest canadien, les agriculteurs sont âgés en moyenne de 60 ans. C'est alarmant. Le Québec compte les agriculteurs les plus jeunes en moyenne, peut-être parce que la province offre des programmes visant à venir en aide aux agriculteurs. Oui, mon fils prend la relève, mais je ne lui vends pas la ferme, je la lui donne. Nous travaillerons ensemble, c'est comme ça. Nous allons être ensemble pour tenter de conserver une exploitation d'une certaine taille. En raison de la situation économique actuelle, je ne veux même pas penser à vendre la ferme. Les temps changent. C'est probablement parce que, comme je l'ai dit, nous sommes des gens passionnés qui aimons notre travail; nous sommes peut-être un peu fous.

La présidente : Vous êtes vraiment admirable, et tous les gens présents autour de cette table veulent que les choses demeurent comme elles sont.

Mme Moran : M. Van Tassel a raison de dire qu'il y a un bon vent d'optimisme au sein du secteur agricole. Cet optimisme découle du fait que nous voyons une occasion dont nous pourrons profiter. Comme je l'ai souligné, 80 p. 100 de nos céréales et oléagineux sont exportés, nous continuons de conquérir d'autres marchés internationaux. De même, nous voyons des occasions au sein de notre industrie nationale en ce qui concerne l'énergie renouvelable et l'utilisation des produits à des fins non alimentaires, comme les matériaux de construction, les textiles et l'agriculture moléculaire. Ces domaines intéressent grandement notre secteur.

Quand je rends visite à nos associations membres, cela m'encourage de voir continuellement de nouveaux agriculteurs. Cet optimisme demeure parce que l'agriculture constitue toujours une option viable pour de nombreux jeunes. Comme M. Van Tassel l'a souligné, au moins l'un de ses enfants prend la relève. Je vois encore des jeunes de partout au Canada prendre leur place dans l'industrie, même si je crois que l'on pourrait apporter des améliorations au moyen de diverses méthodes en vue de faciliter la transition.

Par exemple, dans notre proposition, nous avons souligné quelques améliorations générales que l'on pourrait apporter aux questions de politique fiscale, et cetera, qui pourraient permettre aux jeunes agriculteurs de commencer à pratiquer leur métier. À l'heure actuelle, nous reconnaissons enfin que certains programmes que nous avons utilisés par le passé ne tenaient peut-être pas compte des jeunes agriculteurs qui ne possédaient pas les deux, les trois ou les cinq années d'expérience nécessaires pour avoir un coussin de sécurité ou même des données qu'ils pouvaient intégrer à leur demande à l'intention du gouvernement fédéral.

Au moins, on reconnaît ce fait. Pour moi, cela signifie qu'il y a encore quelques jeunes agriculteurs qui commencent à exercer leur métier, même si je suis d'accord avec M. Van Tassel pour dire que l'âge moyen augmente sans cesse.

La présidente : Si notre comité doit s'intéresser à un élément fondamental ou s'attacher à une telle question, cela devrait certainement permettre au milieu agricole de poursuivre ses activités et de prendre sans cesse de l'expansion. Merci de ce que vous faites.

Le sénateur Mitchell : Un autre domaine que l'on pourrait probablement améliorer en ce qui concerne le marché ou la demande est celui des permis échangeables qui, encore une fois, a des répercussions sur l'environnement. Je sais que des organismes, comme BIOCAP Canada, qui a établi un réseau de recherche partout au Canada, ont collaboré avec d'importantes entreprises notamment à Calgary — TransAlta, Shell et Lafarge — qui tentent de trouver, dans le cadre du protocole de Kyoto, des endroits où investir en vue de disposer de permis échangeables. Elles effectuent leur recherche à l'échelle tant nationale qu'internationale. Grâce à la recherche, elles visent à trouver des façons d'améliorer des produits agricoles existants, ou d'autres produits agricoles, afin de créer de meilleurs puits biologiques. Est-ce une question que votre organisme a examinée?

Compte tenu du fait que le ministre de l'Environnement parle maintenant d'une politique environnementale élaborée au Canada — et qui découle vraiment de l'idée selon laquelle on considère les permis échangeables comme un enjeu international — le ministre vous a-t-il consultés? Allez-vous le rencontrer pour examiner la question de l'élaboration de permis échangeables au moyen de l'industrie agricole du Canada?

Mme Moran : Pour répondre à votre question de façon brève et succincte, non, nous n'avons pas rencontré le ministre pour discuter particulièrement de cette question. Toutefois, Agriculture et Agroalimentaire Canada commence à examiner la question des droits échangeables et des biens et services liés à l'environnement et à demander aux producteurs primaires de participer aux discussions à cet égard.

Je crois qu'il est important d'élaborer une politique, et nous sommes intéressés à examiner un tel domaine. Nous reconnaissons depuis longtemps les avantages que les agriculteurs apportent à la société au chapitre de l'environnement. Dans notre proposition, nous reconnaissons qu'il s'agit d'un domaine sur lequel nous aimerions continuer de travailler. Je crois que l'on s'intéresse beaucoup au fait que les exploitations agricoles procurent un avantage au chapitre de l'environnement et qu'on le reconnaît. Nous sommes intéressés à examiner des occasions qui permettront de compenser en partie les agriculteurs.

En ce qui concerne la question des droits échangeables, plusieurs facteurs doivent être examinés, et nous sommes intéressés à mener une telle analyse. Nous les avons brièvement examinés. Nous avons observé ce que les autres pays du monde faisaient et nous sommes intéressés par leurs réalisations, qui représentent également une occasion.

Le sénateur Mitchelll : Un peu plus tôt, vous avez mentionné l'idée du ciblage sélectif, particulièrement en ce qui concerne l'agriculture moléculaire. Pouvez-vous décrire de quoi il s'agit?

Mme Moran : Je ne suis pas une chimiste moléculaire, mais je vais l'expliquer du mieux que je le peux. On utilise des plantes pour produire les éléments constitutifs de divers autres produits — par exemple des éléments constitutifs pharmaceutiques, ou du plastique, et cetera.

C'est une belle occasion, même si l'on doit atténuer certains risques. Nous nous engageons fermement à examiner cette occasion et à nous assurer que nous continuons d'examiner ces questions en fonction de notre système de réglementation à vocation scientifique afin que nous puissions atténuer et gérer ces risques, tout en faisant profiter les agriculteurs et en leur permettant d'analyser cette occasion.

Le sénateur Peterson : On entend souvent les gens se demander, ce qui m'étonne chaque fois, pourquoi les producteurs ne sèment pas quelque chose qu'ils peuvent vendre. En raison de sa capacité de production, la Saskatchewan peut pratiquement fausser les échanges, et nous avons tout cultivé — des graines à canaris et des grains de tournesol, et cetera. Un grand nombre de producteurs analysent maintenant le marché à terme pendant tout l'hiver avant de semer leurs graines au printemps.

Quel type d'aide recevez-vous, ou reçoivent-ils, d'Agriculture et Agroalimentaire Canada? Les biocarburants représentent un autre problème. Même s'ils nous aideront, si nous ne les utilisons pas de façon adéquate, ils constitueront un désavantage — les 5 p. 100 obligatoires d'ici 2010. Si la capacité de production n'est pas assez importante, tout le maïs sera importé.

Je crois qu'il est important pour les producteurs d'être des partenaires dans cette affaire afin qu'ils puissent vendre leurs produits en vertu d'un contrat à terme et ne pas se préoccuper de la distorsion des prix. Si vous ne procédez pas de la sorte, je ne crois pas que cela va fonctionner. C'est ce qu'ils ont fait aux États-Unis; dans 20 ou 22 États, les producteurs doivent être propriétaires des usines d'éthanol à au moins 50 p. 100.

À la Commission canadienne du blé, je ne sais pas de quelle façon cela vous affecte, mais nous avons entendu dire que la Commission était trop restrictive. Si vous étiez un producteur et que vous faisiez partie d'un groupe qui, par exemple, souhaitait construire une usine de pâtes, vous seriez obligé de vendre votre orge à la Commission canadienne du blé, puis de le racheter pour faire vos pâtes dans votre usine. Selon vous, s'agit-il d'un problème?

M. Van Tassel : Je suis surtout ici par souci de sécurité. Je ne veux pas parler de la Commission canadienne du blé. Je viens de l'est du Canada, du Québec, où nous avons mis sur pied une commission du blé. Certains organismes au sein des Producteurs de grains de Canada émettent des idées différentes.

La présidente : Vous êtes un homme sage.

M. Van Tassel : Je ne viens pas de l'Ouest canadien. Je ne vis pas à l'intérieur de la sphère d'influence de la Commission canadienne du blé. Certaines personnes y voient de nombreux points positifs, d'autres, des points négatifs, mais ce n'est pas un sujet que j'aimerais commenter. Comme je l'ai dit, mon organisme a créé une commission du blé, peut-être pour des raisons différentes.

Le sénateur Peterson : La question des produits entreposés sur les fermes a-t-elle constitué un facteur dans l'est du Canada? Vous avez finalement obtenu une bonne culture, les prix ont baissé, et vous ne souhaitez pas le vendre immédiatement sur le marché, vous voulez attendre. Est-ce une approche que vous avez tenté d'adopter?

M. Van Tassel : Nous avons des entrepôts dans l'est du Canada, ce qui permet aux prix de demeurer stables, mais vous parlez de contrats à terme. Je me demande à quel moment je devrai signer des contrats à terme pour ma culture de soya. Si vous attendez trop longtemps, ça ne vaut pas la peine — même les contrats à terme ne rapportent pas beaucoup. Nous avons des entrepôts pour conserver nos récoltes, mais tôt ou tard, nous devons les vendre pour pouvoir entreposer la culture de l'année suivante. Toutefois, nous ne sommes pas obligés de les vendre immédiatement après la récolte.

Mme Moran : Si je peux me permettre, les producteurs primaires, surtout les agriculteurs vivent en fonction de leurs décisions économiques. Ces questions affectent manifestement nos producteurs partout au Canada. Nous constatons que la commercialisation des céréales, de même que le moment choisi pour les commercialiser sont importants sur le plan opérationnel.

Quant à votre question concernant particulièrement la Commission canadienne du blé, je dirais que la Commission cause certains problèmes à nos membres. En tant qu'organisme, les Producteurs de grains du Canada soutiennent un choix accru en ce qui concerne la commercialisation des céréales. Je crois que cela contribuerait à améliorer la position des producteurs au sein de la chaîne de valeur. Comme vous l'avez souligné, l'un des problèmes auxquels on fait vraiment face concerne la transformation à valeur ajoutée, pour n'en nommer qu'un seul. Nous supporterions sans aucun doute un choix accru à cet égard.

Le sénateur Oliver : Je vais poser quelques questions concernant l'OMC et la gestion de l'offre. Je suis très heureux que nous accueillions un agriculteur du Québec aujourd'hui. Vous nous avez dit que vous récoltez du blé, de l'orge, du colza canola, du lin et que, je crois, vous éleviez du bétail, mais je ne sais pas si vous avez des produits laitiers ou de la volaille. L'OMC vise à accroître l'accès aux marchés en vue de permettre, par exemple, aux planteurs de coton d'Afrique de vendre leur coton dans quelques-uns des marchés les plus importants du monde. À cette fin, l'OMC examine la possibilité de réduire les tarifs. Chaque fois que le Canada participe aux négociations de l'OMC, des gens demandent si la gestion de l'offre ne fausse pas la force du marché. J'aimerais qu'un agriculteur du Québec ayant un pied dans l'industrie laitière me dise ce qui se produira si la prochaine ronde de négociations constitue un échec. Quelles répercussions cela aura-t-il sur les agriculteurs du Québec?

M. Van Tassel : Oui, je possède un petit troupeau de vaches laitières, mais aujourd'hui je représente les Producteurs de grains du Canada. Nous avons une agriculture diversifiée au Canada, et les besoins et les façons de l'améliorer ne sont pas toujours les mêmes. Les producteurs de grains disposent d'un marché international pour vendre leurs grains. Je ne suis pas ici aujourd'hui pour parler de mon exploitation laitière, mais, en tant que producteur de grains, je cherche des façons d'obtenir le meilleur prix possible.

Le sénateur Oliver : Vous avez tous les deux parlé de l'OMC et de quelques-uns de ses problèmes. La gestion de l'offre est une préoccupation qui revient souvent dans les négociations de l'OMC, alors je croyais que c'était pertinent.

Mme Moran : L'un des principaux problèmes auxquels font face les producteurs de grains est attribuable aux subventions qui faussent les échanges. Selon nous, c'est la seule façon dont nous pouvons les contrer. Nous voulons accroître notre accès aux marchés en ce qui concerne la majeure partie de nos céréales, qui sont exportées, et nous assurer que ces subventions faussant les échanges ne sont pas utilisées contre nous pour annihiler notre revenu agricole. De même, le recours à des subventions aux exportations est très problématique pour nous. Nous voyons des changements dans ce domaine et nous continuons de faire valoir notre position.

Le sénateur Segal : J'aimerais avoir certaines précisions sur la proposition présentée en avril dernier par les Producteurs de grains du Canada à l'égard de la consolidation de la dette à long terme à des taux d'intérêt plus bas que ceux du marché. Dans un monde idéal, espéreriez-vous qu'un organisme, comme la Société du crédit agricole, lance un nouveau produit de consolidation de la dette que les cultivateurs de grains pourraient utiliser pour consolider leur dette en un paiement à long terme à des taux d'intérêt plus bas que ceux du marché, ce qui leur permettrait de réduire leurs frais mensuels de service de la dette?

Mme Moran : Ces idées découlaient d'une longue séance de remue-méninges ou, comme M. Van Tassel pourrait le dire, « une séance pénible ». Nous avons examiné le plus grand nombre d'idées possible, notamment le montant de la dette agricole que doivent rembourser nos agriculteurs. Nous ne nous attacherons pas à un seul modèle à l'heure actuelle, mais nous examinons cette question. La situation idéale consisterait à s'assurer que les agriculteurs peuvent consolider leurs prêts à des taux d'intérêt plus bas que ceux du marché pour ainsi alléger une partie de leur fardeau.

Le sénateur Segal : L'idée a beaucoup de mérite. Prévoyez-vous faire participer un groupe d'agriculteurs à ce processus et réunir tous leurs actifs, qui serviront de garantie pour la dette totale, ce qui permettrait d'établir un taux d'intérêt si bas en raison de l'élément de sécurité mutuelle, ou pensez-vous plutôt mettre en place un système au sein duquel chaque agriculteur aura accès à certains produits en fonction de sa capacité de le faire?

Mme Moran : Nous n'avons pas à examiner cette question de façon approfondie, mais votre proposition d'une dette collective fournirait probablement un certain coussin à toute personne prête à prendre ce risque.

Le sénateur Segal : M. Van Tassel a dit que son exploitation avait perdu 50 000 $. Il y a deux façons de considérer cette situation : premièrement, il a géré l'exploitation, il y a mis le nombre d'heures de travail requis, il a engagé les coûts des intrants et a terminé l'année avec une dette de 50 000 $. Deuxièmement, il subventionne maintenant les consommateurs de blé au moyen des 50 000 $ que l'on répartit entre le nombre de boisseaux que son exploitation a produits. Cela nous mène à ce que j'appelle la diligence raisonnable préalable à l'expédition des produits agricoles. Bref, a-t-on fourni une compensation adéquate aux agriculteurs pour la diligence raisonnable dont ils ont fait preuve avant que le produit ne quitte l'exploitation agricole de la même façon que nous voulons que les autres soient indemnisés pour la diligence raisonnable dont ils ont fait preuve à l'égard de leurs produits? Selon moi, une partie de notre problème structurel provient du fait que nous n'avons pas indemnisé depuis longtemps les agriculteurs pour la diligence raisonnable dont ils ont fait preuve avant l'expédition de leurs produits agricoles. Nous avions espéré que les cycles des produits agricoles auraient permis de surmonter cet obstacle. Lorsque les prix sont élevés, c'est le cas, mais lorsqu'ils sont bas, l'important problème lié à l'escalade de l'endettement agricole refait surface, ce qui, comme notre présidente l'a mentionné au début de la réunion, constitue un enjeu grave qui coûte plusieurs milliards de dollars. J'essaie de trouver un type d'instrument qui nous permettrait d'offrir aux agriculteurs l'indemnisation qui leur est due en raison de la diligence raisonnable de façon à ne pas augmenter leur dette nette. C'est pourquoi j'ai soulevé ce point.

M. Van Tassel : Nous avons parlé d'un financement temporaire offert par l'entremise de produits et de certains programmes qui peuvent aider. Nous avons parlé de l'endettement croissant des agriculteurs, et, personnellement, je ne souhaite pas connaître une autre mauvaise année. Vous pouvez réduire vos intrants, mais seulement dans une certaine mesure. Je suis d'accord avec vous et je peux simplement dire amen à vos propositions.

Le sénateur Segal : Qu'aviez-vous en tête en ce qui concerne l'infrastructure de l'agro-tourisme? Qu'est-ce que cela signifie? Le terme fait-il allusion aux programmes de tourisme provinciaux et fédéraux, qui intègrent les visites à la ferme au processus? Serions-nous obligés d'investir d'importants montants dans les routes et l'infrastructure pour que cela soit possible?

Mme Moran : L'industrie de l'agro-tourisme est en pleine croissance partout dans le monde. Nos producteurs examinent actuellement de nouvelles idées et sortent des sentiers battus pour régler les problèmes. Nous avons examiné la possibilité d'aider les agriculteurs à commercialiser leur exploitation en tant que destination touristique et à les préparer à recevoir des visiteurs dans le cadre d'une telle promotion. À long terme, cette idée pourrait se transformer en projet d'envergure que l'on pourrait commercialiser. Pour l'instant, il ne s'agit que d'une idée parmi tant d'autres à laquelle nous sommes arrivés lorsque nous avons tenté de sortir des sentiers battus pour trouver des solutions non traditionnelles que nous pourrions examiner. Il est probable que nous examinions cette idée de façon plus approfondie.

Le sénateur Mitchell : Le gouvernement et les agriculteurs ont tenté de conclure une entente afin que ces derniers soient propriétaires de wagons, mais cette entente n'a pas tenu. Pouvez-vous formuler des commentaires à cet égard? Les agriculteurs devraient-ils être propriétaires des wagons?

M. Van Tassel : Les PGC n'ont pas pris de position officielle en ce qui concerne la coalition et l'achat et la vente de wagons, alors je ne peux pas faire de commentaire à ce sujet.

Le sénateur Mitchell : Est-ce que cela touche les producteurs de grains?

Mme Moran : Oui, la question nous touche, et nous avons créé un groupe de travail qui l'examine actuellement, quoique je ne sois pas bien placée pour commenter. Je serais heureuse de vous donner de plus amples renseignements. Il y a tellement d'autres questions à examiner à l'heure actuelle, mais nos priorités stratégiques sont le financement temporaire, l'OMC et l'énergie renouvelable. Pour être honnête, je n'ai peut-être pas prêté assez attention à cette question. Je ne suis pas placée pour faire des commentaires à ce sujet.

Le sénateur Mitchell : Enfin, l'un des arguments soulevés par le Syndicat national des agriculteurs à l'égard du problème de l'offre, de la demande et de l'établissement des prix concernait le fait que l'on se préoccupait des multinationales de l'industrie agricole et de la question de la concurrence. Est-ce quelque chose que vous avez examiné? Considérez-vous l'absence de concurrence comme un problème, puisqu'il s'agit d'un oligopole?

M. Van Tassel : On se préoccupe un peu du nombre de fournisseurs de l'agriculture qui exercent toujours leurs activités. Prenons les pesticides en exemple; à l'heure actuelle, il n'existe plus que trois ou quatre fournisseurs, alors qu'il y en avait un grand nombre auparavant. C'est une question qui nous préoccupe, mais je ne peux pas commenter davantage.

Le sénateur Mitchell : Ils ont soulevé un point intéressant : si les prix augmentent, il serait préférable pour vous d'investir dans des entreprises de produits chimiques, car le prix des engrains représente l'un des éléments qui suivent directement le prix des céréales. Soyez assurés qu'il augmentera, mais les agriculteurs ne réaliseront probablement pas de profits, car les coûts des intrants augmenteront également.

De façon rhétorique, je demande ce que nous pouvons faire à cet égard.

Le sénateur Peterson : Si la ronde de négociations actuelle de l'OMC échoue, quelles en seront les conséquences, et quelle sera la prochaine étape à suivre?

Mme Moran : Il est très difficile de répondre à cette question. Si les négociations actuelles échouent, notre secteur devra procéder à un important examen rétrospectif. Comme je l'ai souligné, 80 p. 100 de nos céréales sont exportées, alors, si nous n'avons pas un accès accru aux marchés en ce qui concerne certaines des questions relatives aux marchés sensibles aux fluctuations des prix, nous devrons faire face à des tarifs prohibitifs. Cette situation entraînerait sans aucun doute la perte de plusieurs marchés, ce qui serait inacceptable.

Nous devons également procéder à un certain examen introspectif concernant la question des subventions nationales et des subventions aux exportations, puisqu'il s'agit du facteur le plus important auquel on peut attribuer la baisse régulière des prix des céréales et des oléagineux.

Au bout du compte, plusieurs pays participent aux négociations de l'OMC, et nous examinons actuellement le Cycle de Doha pour le développement. Comme nous sommes intéressés à parvenir à un certain résultat, nous conclurons probablement une entente. Il reste à déterminer si cette entente sera assez ambitieuse pour le secteur des céréales et des oléagineux, mais je crois que le déclin se poursuivra si nous n'abordons pas le problème de ces subventions et que nous continuerons de faire face à bon nombre d'obstacles tarifaires dans des marchés clés. Cela entraînerait un grave déclin de notre industrie.

Le sénateur Peterson : Y a-t-il un échéancier à respecter à cet égard? Je remarque que l'on a déjà raté une échéance. Continuez-vous jusqu'à ce que vous ne puissiez plus conclure d'ententes? Y a-t-il une date de non-retour? De quelle façon le processus fonctionne-t-il?

Mme Moran : Peut-être devriez-vous poser ces questions à certains spécialistes du commerce, mais je peux vous dire que les gens font tout leur possible pour respecter plusieurs échéances. Nous prévoyons conclure une entente cet été. Il y a manifestement des pressions exercées à l'extérieur de l'OMC, et cela comprend la négociation des mandats de certains intervenants. Si vous souhaitez examiner le processus de l'OMC, il serait préférable pour vous de discuter avec des représentants du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire ou peut-être ceux du ministère du Commerce international. Toutefois, nous tentons actuellement de conclure une entente et nous avons hâte de participer à la prochaine réunion ministérielle de l'OMC, au cours de laquelle, nous l'espérons, nous réaliserons des progrès.

Le sénateur Oliver : Il y a quelques jours, j'ai demandé à M. Emerson de fixer une date de non-retour, et sa réponse figure dans notre dossier.

Mme Moran : Merci.

La présidente : Nous avons eu une très bonne discussion aujourd'hui. Nous sommes vraiment heureux que vous ayez pris le temps d'être ici. Vous avez commencé par nous rappeler que le secteur des céréales et des oléagineux constitue le fondement de l'industrie. Il est important que non seulement l'industrie, mais également les Canadiens, le comprennent. Votre exposé et vos réponses nous ont été utiles, et nous vous en remercions.

Nous vous souhaitons la meilleure des chances au cours des négociations de l'OMC. Nous vous appuierons.

M. Van Tassel : C'est la première fois que je présentais un exposé devant le Sénat, et j'ai trouvé l'expérience intéressante. Vos questions étaient également intéressantes. Je suis désolé de ne pas avoir été en mesure de répondre à toutes, mais je vous remercie beaucoup de l'occasion que vous m'avez offerte.

La présidente : Vous avez fait un excellent travail. Nous vous inviterons de nouveau.

Sénateurs, nous devons aborder notre budget législatif, qui est devant vous.

Le sénateur Segal : Je propose l'adoption du budget.

La présidente : Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

La présidente : Merci.

La séance est levée.


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