Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères
Fascicule 2 - Témoignages du 30 mai 2006
OTTAWA, le mardi 30 mai 2006
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 17 h 4 pour examiner les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique; la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent; et la politique étrangère du Canada envers l'Afrique.
Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : À mes collègues ainsi qu'aux téléspectateurs, je souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, notre deuxième rencontre de la présente session dans le cadre de nos travaux permanents sur la question africaine.
[Français]
Nous avons le plaisir de recevoir l'ambassadeur Robert Fowler, représentant personnel du premier ministre du Canada pour l'Afrique, également ambassadeur canadien accrédité en Italie, Albanie, San Marino, Malte et représentant permanent du Canada auprès de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Fonds international pour le Développement agricole (IFAD). Bienvenue au Sénat du Canada, monsieur l'ambassadeur.
[Traduction]
L'ambassadeur Fowler est des nôtres ce soir via satellite à partir de Rome. Au nom du comité, je tiens à le remercier de se joindre à nous à une heure aussi tardive pour lui et son personnel; il est 23 heures là-bas. Je rappelle, au bénéfice des gens qui nous regardent, que l'ambassadeur Fowler est le représentant personnel du premier ministre canadien pour l'Afrique depuis 2001 et a ainsi assumé cette fonction pour le compte des premiers ministres Chrétien, Martin et Harper. Successivement, ambassadeur et représentant permanent aux Nations Unies, conseiller stratégique des premiers ministres Trudeau, Turner et Mulroney etsous-ministre de la Défense nationale, Robert Fowler a consacré les 38 dernières années au service de son pays et s'apprête maintenant à prendre sa retraite, ce qui représentera une perte énorme pour la fonction publique canadienne. Je suis toutefois persuadé que même une fois que l'heure de la retraite aura sonné, ses vastes compétences et son impressionnant bagage d'expertise et de connaissances précises et détaillées seront d'un précieux secours à notre pays dans bien des aspects de la poursuite de ses activités internationales.
Monsieur l'ambassadeur, comme je vous l'ai mentionné quelques instants avant la réunion, le Sénat du Canada a été le théâtre cet après-midi d'un débat animé et éclairé sur le Darfour. Exemptes de toute partisannerie, les discussions ont mis en lumière l'opinion bien arrêtée des sénateurs de toutes allégeances qui sont d'avis que le défi africain demeure pour le Canada un enjeu prioritaire après toutes ces années d'efforts dans cette région. Vous avez bien voulu nous présenter une déclaration d'ouverture d'une vingtaine de minutes, après quoi je suis persuadé que mes collègues voudront profiter du temps qu'il nous restera pour vous poser des questions.
[Français]
Robert Fowler, représentant personnel du premier ministre pour l'Afrique : Monsieur le président, je vous remercie de l'invitation qui m'a été faite de vous parler de la politique du Canada à l'égard de l'Afrique. Permettez-moi de profiter d'abord de cette occasion pour féliciter votre comité de l'intérêt soutenu qu'il manifeste à l'égard de l'Afrique et de sa décision de continuer à accorder une priorité, de façon non partisane, au plus pauvre des continents. J'apprécie que le comité reconnaisse que les défis auxquels l'Afrique est confronté ne peuvent être relevé que si nous travaillons tous ensemble dans un effort pan-gouvernemental. Je vous félicite de reconnaître que même si ces défis sont redoutables, ils ne sont pas insurmontables. Le Canada a été au premier plan des initiatives de développement soutenu et efficace en Afrique et ailleurs depuis un demi-siècle.
J'ai eu la chance de voyager beaucoup en Afrique en tant que représentant personnel du premier ministre pour l'Afrique, depuis les cinq dernières années, une désignation du G8 créée au sommet de 2001, à Gênes, ainsi qu'en ma qualité de représentant permanent du Canada auprès des organismes des Nations Unies responsables des questions d'alimentation établis à Rome. Je n'ai jamais eu d'affectation en Afrique mais j'ai enseigné à l'Université nationale du Rwanda quand j'avais 19 ou 20 ans, sous la tutelle du père Georges-Henri Lévesque. Depuis, je suis retourné brièvement en mai 1994, lors du génocide, pour y visiter votre collègue, le général Dallaire.
En 1999 et 2000, j'ai présidé le comité des sanctions du Conseil de sécurité contre les rebelles en Angola. À ce titre, j'ai effectué de nombreuses visites fructueuses dans le contexte de ces efforts déployés pour mettre fin à la guerre civile qui a tellement dévasté ce pays pendant 25 ans.
Monsieur le président, tout d'abord, je tiens à prévenir toute mauvaise interprétation de ce que certains pourraient conclure de mes prochaines observations. Je suis bien conscient qu'il y a 53 pays très différents en Afrique. Ce continent, ayant plus de trois fois la superficie du Canada a une histoire, une population, une culture, des croyances religieuses, des climats et des ressources disponibles qui changent considérablement de l'un à l'autre de ces pays.
Le continent africain représente une région diversifiée et se divise en petites régions encore plus diversifiées. Et je serai le premier à critiquer quiconque laisserait entendre qu'il existe des solutions universelles pouvant s'adapter à l'ensemble des nombreuses difficultés de l'Afrique.
Cela dit, vous m'avez demandé de m'adresser à vous à titre de représentant personnel du premier ministre pour l'Afrique, un titre dont la portée est forcément globale et qui m'oblige, de même que mes homologues du G8, à envisager ces 53 pays et leurs 850 millions d'habitants d'un point de vue collectif.
Si je parle constamment de l'Afrique, il ne faudrait croire, en aucun cas, que cela est dû à mon ignorance ou pire, à un quelconque manque de respect pour les diversités extraordinaires et les réalités politiques de ce continent.
L'an dernier, j'ai passé beaucoup de temps au Tchad et au Soudan, y compris dans les trois États du Darfour en tant que chef, à l'époque, de l'équipe consultative spéciale du premier ministre pour le Soudan. Comme vous le constatez très aisément, j'ai un gros faible dans mon cœur pour l'Afrique. Mais ce faible n'affecte pas mon cerveau. Je me considère comme un réaliste pragmatique à l'égard de l'Afrique.
Monsieur le président, il y a à peu près cinq ans, les dirigeants africains ont endossé le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, souvent désigné sous l'appellation de NEPAD. Cette initiative représente un programme fait en Afrique et conçu pour mettre fin à la marginalisation du continent par rapport à l'économie mondiale. Elle a été élaborée pour placer l'Afrique sur une voie de développement durable et de la réduction de la pauvreté. Comme son nom l'indique, le NEPAD instaure un nouveau partenariat pour l'Afrique qui s'engage à faire des réformes et à améliorer sa gouvernance dans l'espoir et l'attente que les investissements suivront. Autrement dit, il s'agit de joindre le geste à la parole en matière de réforme et d'aide au développement.
Le NEPAD a créé l'impulsion nécessaire au changement et il représente la meilleure chance, depuis une génération, d'aplanir des obstacles au développement envahissant.
Je peux vous dire que des changements, il y en a. Si vous me le permettez, je citerai quelques tendances positives. Premièrement, depuis le lancement de NEPAD, en 2001, la démocratie a évolué. Elle n'est plus l'exception en Afrique, elle est en passe de devenir la norme. En 2004-2005, 25 pays africains ont tenu des élections, bien que des observateurs internationaux aient jugé que neuf élections seulement étaient libres et équitables.
Ces dernières années, le Ghana et le Sénégal ont vécu des passations de pouvoir pacifiques, d'une partie à l'autre, au terme d'élections démocratiques. Des dirigeants, comme les ex-présidents Konaré, du Mali, Chissano, du Mozambique, et Mpaka, de la Tanzanie, ont cédé leur place à la fin de leur mandat et conformément à leur constitution, rompant avec le scénario par trop familier des dirigeants africains qui s'accrochent au pouvoir aussi longtemps que possible et modifient leurs constitutions nationales à leur convenance.
Ce n'est pas une coïncidence si les progrès que j'ai mentionnés vers la démocratie ont été accompagnés d'une hausse de taux de croissance économique sur le continent. L'Afrique subsaharienne connaît actuellement sa meilleure performance économique depuis de nombreuses années. Le taux de croissance de l'économie de l'Afrique a été près de 5 p. 100 en 2005, et d'après le Fonds monétaire international, il devrait s'établir à 5,9 en 2006.
Non, la connaissance ne se limite pas aux pays riches en pétrole. Des pays comme le Mali, Madagascar, le Mozambique et la Tanzanie constatent que leurs engagements à améliorer leur gouvernance créent un environnement propice à la croissance et ils affichent des taux de croissance de l'ordre de 6 à 7 p. 100.
En deuxième lieu, l'initiative de NEPAD reconnaît que l'atteinte de la paix et de la stabilité sur le continent est une condition préalable fondamentale au développement. Les dirigeants de l'Afrique ne ménagent pas leurs efforts pour régler les conflits et obtenir des résultats, ce qui est tout à leur honneur.
L'Union africaine établit un conseil de la paix et de la sécurité dynamique et elle a déployé des forces de maintien de la paix au Burundi et au Darfour. Elle travaille à la mise sur pied d'une force permanente africaine et au renforcement de sa capacité d'alerte rapide.
[Traduction]
Le Canada a contribué grandement à appuyer l'Afrique dans ses efforts pour concrétiser la vision établie par le NEPAD. Ainsi, l'engagement du Canada envers l'Afrique à ce chapitre est hautement considéré sur ce continent, beaucoup plus dans les faits que nos efforts de développement, lesquels sont relativement modestes comparativement à ceux de bien d'autres pays donateurs.
Nos partenaires africains estiment que nous sommes justes, raisonnables et francs. On ne considère pas que nous avons des plans subsidiaires ou cachés et on admire notre approche logique des problèmes à régler. Le partenariat que nous avons établi au fil des cinq dernières années est fondé sur l'amitié, la confiance et un discours très honnête; je dirais qu'il constitue un outil remarquablement précieux au sein de notre arsenal de politiques étrangères.
Nos amis africains sont conscients du rôle de premier plan joué par le Canada en 2001-2002 pour l'élaboration du Plan d'action pour l'Afrique, qui comporte plus d'une centaine d'engagements très précis, en guise de réponse du G8 au NEPAD. À Kananaskis, le premier ministre du Canada a annoncé la création du Fonds canadien pour l'Afrique, un fonds de 500 millions de dollars visant à donner suite rapidement aux engagements pris dans le plan d'action pour l'Afrique, parmi toute la gamme des priorités établies par le NEPAD.
Le Canada continue d'honorer l'engagement qu'il a pris à Monterrey, en 2002, de doubler l'aide internationaled'ici 2010, avec au moins 50 p. 100 d'augmentation de l'aide à l'Afrique. En fait, selon les projections actuelles, il semble que nous pourrons aussi doubler l'aide à l'Afrique entre 2003 et2008. Le Canada, et la communauté internationale dans son ensemble, ont aussi considérablement accru leur soutien au maintien et à la consolidation de la paix en Afrique. Collectivement, les pays donateurs ont ainsi fait preuve d'une agilité et d'une souplesse considérables dans leurs réactions.
Le plus important investissement récent du Canada visait le Darfour. Le Canada est le troisième plus important donateur à appuyer la mission de maintien de la paix de l'Union africaine au Soudan. Depuis septembre 2004, nous avons versé un total de 190 millions de dollars aux fins de cette mission, ce qui inclut l'investissement additionnel très apprécié de 20 millions de dollars dévoilé par le premier ministre Harper. Celui-ci a annoncé du même souffle une contribution supplémentaire de 20 millions de dollars pour le soutien humanitaire au Darfour.
Le Canada a aussi joué un rôle clé en encourageant la conclusion récente de l'accord de paix sur le Darfour à Abuja. Nous collaborons de près avec nos partenaires internationaux et avec le gouvernement du Soudan afin de favoriser une transition rapide du MUAS vers les forces de maintien de la paix des Nations Unies en vue d'assurer la mise en œuvre de l'accord de paix sur le Darfour. Pour qu'une paix durable soit possible au Soudan, il faut absolument que les gens du Darfour puissent constater rapidement des résultats tangibles.
L'Afrique et ses partenaires devraient voir une source d'encouragement dans les progrès en cours sur le continent ainsi que dans l'engagement soutenu de la communauté internationale dans son ensemble en faveur du développement de l'Afrique. Par ailleurs, il nous faut toutefois demeurer bien conscients du fait que les besoins de la population demeurent énormes au sein des 53 nations disparates qui constituent ce continent.
Dans certains secteurs clés, nous n'obtenons pas les résultats voulus et nous devrions en fait redoubler d'efforts. L'Afrique subsaharienne se distingue parmi toutes les régions du globe du fait qu'elle ne semble pas collectivement en voie de réaliser aucun, et je dis bien aucun, des objectifs de développement du millénaire. Un nombre beaucoup trop considérable de pays africains verront leur situation stagner.
L'impact du VIH/sida sur la population de l'Afrique atteint une ampleur que ni les gouvernements africains ni la communauté internationale ne semblent en mesure de saisir pleinement. Le continent compte à peine le septième de la population mondiale, mais les Africains représentent les deux tiers des personnes qui vivent avec le sida ou qui en meurent.
On estime maintenant à 26 millions le nombre de personnes séropositives en Afrique subsaharienne, mais seulement 500 000 d'entre elles ont accès à des médicaments antirétroviraux.
La maladie a déjà tué 17 millions de personnes, dont 2,4 millions l'an dernier seulement. Chaque jour en Afrique,6 600 personnes meurent du sida, soit plus du double du nombre de victimes de l'attentat contre le World Trade Center il y a presque cinq ans; chaque jour également, 8 500 Africains de plus sont infectés par cette maladie pernicieuse. Comme Stephen Lewis le souligne de façon fort probante, le sida est aussi en train de devenir rapidement une maladie de femme : les femmes et les filles comptent en effet pour 75 p. 100 de toutes les personnes infectées de 15 à 24 ans.
On ne dira jamais assez à quel point le sida cause des ravages dans certaines régions de l'Afrique. Bien que les chiffres eneux-mêmes témoignent de l'ampleur de cette tragédie humaine, même les statistiques prévoyant 19 millions d'orphelins du sida d'ici 2010 ne permettent pas de saisir tout l'impact de cette pandémie sur les gens, leurs proches et leurs sociétés. Certains des pays les plus touchés courent le risque d'un effondrement social et économique complet en raison de la disparition d'une si grande partie de leur population.
La communauté internationale n'a pas accordé à cette crise toute l'attention qu'elle mérite. Alors que les pays donateurs ont consenti des contributions importantes au Fonds mondial pour la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, en incluant dans le cas du Canada les 250 millions de dollars supplémentaires affectés dans le cadre du budget printanier, la coordination des programmes bilatéraux dans les efforts de lutte contre le sida a été plutôt faible dans bon nombre des pays bénéficiaires. En outre, monsieur le président, les professionnels de la santé dont les pays ravagés par le sida ont si urgemment besoin, continuent de se faire offrir des postes dans les pays développés, dont le Canada, ce qui vient miner encore davantage des systèmes de santé déjà soumis à rude épreuve.
Les efforts déployés dans la lutte contre le paludisme sont également insuffisants. Bien que relégué dans l'ombre par le sida et ses ravages, le paludisme tue encore un million d'enfants par année en Afrique. Cette maladie peut pourtant être prévenue par l'utilisation de moustiquaires imprégnées d'insecticide qui coûtent 7 $ chacun. Dans la plupart des cas, le paludisme peut en outre être traité une fois qu'il est contracté. Il est tout simplement honteux de constater le nombre effroyable d'enfants qui sont encore victimes du paludisme en Afrique.
Bien que j'aie noté tout à l'heure une tendance positive générale en faveur de la résolution des conflits en Afrique, il ne faut absolument pas nous reposer sur nos lauriers. Il faut ainsi constater avec tristesse qu'un plus grand nombre de personnes sont tuées dans le cadre de conflits armés en Afrique que dans tout le reste de la planète. En plus des affrontements au Darfour, la violence incessante en Côte d'Ivoire et dans l'est de la RDC continue de faire de nombreuses victimes.
Parmi les conflits que l'on semble trop souvent oublier, il y a la situation du nord de l'Ouganda. Après 20 ans, la campagne de l'Armée de résistance du Seigneur continue de ruiner la vie d'une génération entière du peuple acholi. L'armée a enlevé quelque 30 000 enfants, tué la plupart d'entre eux et réduit les survivants à l'état de psychopathes brutalisés ou d'esclaves sexuels. Ce conflit a déplacé environ 1,7 million de personnes — soit 90 p. 100 de la population du nord de l'Ouganda — les obligeant à chercher refuge dans de sordides et ignobles camps pour personnes déplacées. Dans ces camps, le taux d'infection au VIH est trois fois supérieur à la moyenne nationale et les rations alimentaires sont insuffisantes parce que nous, les pays donateurs, n'avons pas répondu comme il se doit aux appels du Programme alimentaire mondial.
Je me dois toutefois de louer les efforts diplomatiques de plus en plus soutenus et imaginatifs du Canada pour trouver des moyens de mettre fin à cette catastrophe humanitaire. Si les pays africains veulent être à la hauteur des défis qui les attendent, ils devront pouvoir compter d'abord sur les efforts incessants de leurs gouvernements et de leurs sociétés, mais également sur le soutien de la communauté internationale et ce, pour bien des années encore. Il n'y a pas de solution miracle au problème africain. J'espère que, dans les années qui viennent, le Canada continuera d'inciter nos collègues du G8 et nos autres partenaires en matière de développement à participer généreusement et stratégiquement à l'épanouissement de nos relations avec l'Afrique.
Nous devons garder notre attention tournée vers l'Afrique, et maintenir notre engagement à l'égard de l'affectation d'une aide proportionnelle à nos capacités financières et à l'ampleur des besoins urgents de l'Afrique, à très long terme.
Bien sûr, ce sera un défi d'éviter que les priorités immédiates ne détournent notre attention des besoins vitaux et souvent pressant des Africains. Il est toutefois difficile de trouver une région du monde où les besoins sont plus grands qu'en Afrique, où les capacités, les compétences et les talents canadiens pourraient changer sensiblement le cours des choses.
Mais nous devons nous montrer réalistes. Les investissements que nous avons consentis jusqu'à maintenant pour le développement de l'Afrique, éparpillés comme ils le sont sur tout le continent, ont eu des répercussions limitées. Mais si on demeure réalistes, ces investissements n'ont pas, et n'auraient pas pu de toute façon, vraiment contribuer à améliorer le sort de près d'un milliard d'Africains.
En guise d'illustration, permettez-moi de vous demander ce qu'a fait l'Allemagne pour porter le niveau de vie de quelque 17 millions d'anciens Allemands de l'Est, lesquels sont 14,5 millions aujourd'hui, à la hauteur de celui de leurs 65 millions de voisins de l'Allemagne de l'Ouest? Eh bien, le Trésor allemand a dépensé en moyenne 100 milliards d'euros — un euro valant aujourd'hui 1,40 $ — par an au cours des 16 dernières années, soit depuis la chute du mur en 1989, pour un total d'environ 1,6 billion d'euros ou 2,25 billions de dollars canadiens. Et ces sommes visaient à hausser le niveau de vie du peuple voisin, celui de la population est-allemande auquel la plupart des Africains ne peuvent que rêver.
Ces investissements annuels dépassent considérablement le montant total affecté officiellement à l'aide au développement, 85 milliards d'euros selon le FMI, par l'entière communauté des pays donateurs sur toute la planète l'an passé. Les Allemands ont récemment laissé entendre que, contrairement aux projections initiales, ils devraient consentir des investissements de cet ordre pendant une dizaine d'années encore, soit jusqu'en 2016, pour en arriver à leurs fins.
À mon avis, notre aide au développement doit être ciblée de façon très rigoureuse vers les endroits où elle sera le plus profitable. Nous devrions la concentrer sur un plus petit nombre de pays dont les gouvernements ont effectivement donné suite au NEPAD. C'est en témoignant ainsi de notre engagement soutenu comme partenaire au développement que nous avons les meilleures chances de faire changer vraiment les choses à long terme. Ce serait une façon de démontrer qu'il est bénéfique de prendre les mesures qui s'imposent et qu'il l'est beaucoup moins de ne pas respecter les plans établis. Nous serions ainsi mieux aptes à faire valoir ces réussites absolument vitales qui serviront de phares ou d'exemples pour inciter les autres pays à adopter de saines pratiques de gouvernance.
Je suis bien conscient que certaines instances de l'ACDI et des Affaires étrangères ne seront pas d'accord, mais je suis convaincu que nous devons nous montrer plus intransigeants quant aux pays et aux gouvernements qui méritent notre aide et déterminer avec plus de rigueur dans quelle mesure l'aide que nous déployons est efficiente et flexible.
Au moment où on se parle, le Canada saupoudre son aide au développement dans tout le continent africain en soutenant différents programmes dans 46 des 53 pays de l'Afrique, et ce, même si 75 p. 100 de nos versements bilatéraux vont directement à 25 de ces pays. Cette tendance à éparpiller ainsi notre aide sur tout le continent m'apparaît peu logique, tant du point de vue du respect des modalités du NEPAD que de la volonté d'optimiser nos investissements.
Par exemple, même au Ghana, l'un de nos plus importants partenaires pour le développement de l'Afrique, où le président Kufuor met effectivement en œuvre le plan d'action, le Canada n'est que septième parmi les principaux donateurs.
À la suite de l'adoption du plan d'action pour l'Afrique par le G8 en 2002, le Canada a annoncé qu'il allait concentrer son aide au développement dans neuf pays, dont six en Afrique. À peine deux ans plus tard, soit en 2005, cette concentration ciblée, encore loin d'être pleinement mise en œuvre, a été mise de côté à la suite d'un plaidoyer spécial en faveur d'une nouvelle liste de 25 partenaires privilégiés pour le développement, dont 16 en Afrique. À ce rythme, nous devrions être de retour à un programme d'aide uniquement symbolique dans toutes les régions d'ici trois ans à peine.
Les Canadiens doivent comprendre que si nous souhaitons vraiment améliorer l'efficacité de notre aide, nous devons l'affranchir des objectifs connexes dont nous l'avons assortie au fil des ans. Une aide efficace ne peut pas être fondée sur les impératifs du développement régional au Canada ni sur ceux de nos politiques ethniques. Elle ne peut pas non plus, si ce n'est de façon tout à fait superficielle, être reliée au développement des activités commerciales intérieures. Elle ne doit pas non plus viser à répondre aux demandes sans cesse croissantes pour qu'une portion plus substantielle encore de notre soutien soit répartie entre un groupe toujours plus imposant d'ONG toujours plus petites et davantage spécialisées. Nos fonds d'aide devraient être versés dans le cadre de programmes bilatéraux cohérents, d'institutions multilatérales bien établies ayant fait leurs preuves ou sous forme de soutien budgétaire direct à des partenaires en développement auxquels nous faisons confiance et dont nous surveillons les activités de près.
Alors qu'un grand nombre d'ONG nationales et internationales accomplissent un travail tout simplement extraordinaire, d'autres sont trop souvent de simples groupes régionaux ou représentant des intérêts bien précis qui demandent des ressources et l'attention bien rare de pays bénéficiaires qui ne disposent ni du temps ni des experts pour gérer et permettre des interventions à aussi petite échelle. Une attitude efficace en matière d'aide ne doit pas non plus consister à faire de nos ambassadeurs ou de nos hauts commissionnaires des gens qui se sentent importants dans quelques-unes des régions les plus obscures d'Afrique, ni à alimenter le désir des dignitaires en visite de laisser en souvenir des programmes de développement. Il s'agit plutôt de garder l'œil sur la cible, comme diraient mes amis militaires. Il faut avoir recours aux outils de gestion modernes et aux pratiques les plus efficaces, y compris les instruments d'évaluation des risques et de vérification, pour faire en sorte que notre aide financière atteigne les objectifs visés, c'est-à-dire contribuer à préparer les nations africaines à devenir autonomes, améliorer le sort de leurs populations en pleine croissance et aider à la gouvernance d'un monde de plus en plus interdépendant.
En préconisant une aide au développement plus ciblée, je dois bien préciser que je ne confonds pas aide au développement et assistance humanitaire. Je m'attends à ce que les Canadiens continuent de contribuer de façon importante aux efforts pour alléger les souffrances qui font suite aux guerres, aux famines ou aux catastrophes naturelles, sans tenir compte de la qualité de la gouvernance et du comportement des autorités en place.
Le Canada devrait continuer à dispenser de façon généreuse et efficace son aide humanitaire, mais celle-ci ne devrait être assimilée d'aucune façon à une stratégie de développement ciblée et durable à long terme visant à aider les différents gouvernements à améliorer le sort de leurs administrés.
Nous devons envisager l'avenir sans faire montre de complaisance. Nous ne pouvons pas présumer que les intérêts du Canada en Afrique sont nécessairement immuables. En sa qualité d'intervenant de premier plan sans bagage de racines historiques profondes ou d'ambitions planétaires, notre pays a déjà joué un rôle important en Afrique où nous jouissons d'une excellente réputation et où nous exerçons une influence considérable dans tout le continent. Cette réputation ne saurait toutefois tolérer quelque relâchement que ce soit. Malgré les écueils — et ils seront nombreux — nous devons continuer d'encourager nos amis africains à maintenir le cap dans leurs tentatives pour relever les énormes défis qui menacent constamment d'anéantir les efforts qu'ils déploient pour apporter la prospérité et instaurer la stabilité dans leur région. Nous devons soutenir fermement les dirigeants progressistes et réformistes de l'Afrique pour les aider à montrer, par exemple, que la voie tracée par le NEPAD est une voie viable et gratifiante, qui a servi et servira les intérêts de tous les Africains.
Je suis certain que le Canada continuera de protéger et d'intensifier son partenariat avec les véritables dirigeants, politiques et civils, de l'Afrique, tandis qu'ils cherchent à faire de la vision du NEPAD d'une Afrique pacifique, prospère et dynamique, une réalité. L'intérêt et l'engagement des parlementaires comme les membres de ce comité peuvent contribuer de façon inestimable au maintien du partenariat du Canada avec l'Afrique.
Monsieur le président, je vous remercie de votre patience et je serai maintenant heureux d'entendre vos commentaires et vos questions.
Le sénateur St. Germain : Monsieur l'ambassadeur, le génocide, les viols et le pillage au Darfour nous sont décrits par les reporters de la télévision et par les sénateurs qui ont joué un rôle là-bas, y compris le sénateur Dallaire et le sénateur Jaffer. Vous avez fait partie de l'Organisation des Nations Unies et travaillé dans de nombreux secteurs. Votre feuille de route est fort impressionnante.
Pourquoi le monde se contenterait-il encore une fois d'être le témoin passif d'un tel traitement infligé à des êtres humains? Lorsque Milosevic a fait des siennes, l'OTAN est intervenue. Pourquoi alors lorsqu'il se produit des situations aussi horribles que celle-ci n'y a-t-il pas une organisation au sein du monde libre qui pourrait protéger tout au moins les plus démunis des sociétés touchées?
En toute franchise, je crois que si de telles choses survenaient dans un pays peuplé par des Blancs, nous ferions le nécessaire comme nous l'avons fait en Serbie. Pourquoi demeurons-nous toujours en retrait pour observer de tels événements?
Comme vous devez composer sans cesse avec de telles situations, pourriez-vous nous expliquer les mesures qui pourraient être prises et ce que nous pourrions faire pour apporter notre aide?
M. Fowler : Sénateur St. Germain, je ne peux pas vraiment vous donner d'explications à ce sujet. Je représentais le Canada au sein du Conseil de sécurité au moment de l'intervention au Kosovo. J'ai discuté en profondeur des questions que vous soulevez avec mes collègues du Conseil de sécurité ainsi qu'avec mes amis d'Ottawa; j'ai alors formulé la même observation, à savoir que si les gens du Kosovo avaient été Noirs, on peut se demander si notre réaction aurait été la même. On m'a répondu que l'on ne devait pas s'empêcher de mener une action justifiée, simplement parce que nous ne sommes pas en mesure de toujours tout faire correctement.
Je ne crois pas que vous devriez utiliser le terme « génocide ». Je pense qu'on devrait s'en servir avec parcimonie. Il se passe des choses horribles au Darfour, mais je ne crois pas qu'il s'agisse d'un génocide et je veux m'assurer qu'on n'abuse pas de ce terme. Dans tous les cas, il s'agit certes de crimes contre l'humanité et il faut assurément y mettre fin, et je conviens avec vous que nous n'avons pas fait le nécessaire.
Quoi qu'il en soit, la moitié de la population de sept millions de personnes du Darfour auparavant éparpillée sur un territoire de la superficie de la France se retrouve maintenant dans des camps — des camps que nous refusons d'approvisionner adéquatement en denrées alimentaires. La facture de l'aide humanitaire au Soudan atteint deux milliards de dollars américains par année et nous, les pays donateurs, n'arrivons tout simplement pas à suivre le rythme. Il y a encore beaucoup à faire pour répondre à la demande, d'autant plus que le programme alimentaire mondial vient tout juste de réduire à un niveau bien en deçà du strict minimum pour survivre l'apport calorique fourni à près de trois millions de personnes au Darfour.
Les États-Unis sont intervenus à la dernière minute pour réinstaurer la plus grande partie de l'aide requise à court terme, mais ce pays est déjà responsable de 82 p. 100 de l'assistance fournie au Darfour à l'heure actuelle.
Je dois donc vous répondre simplement que tout le monde sait ce qui se passe et que nous choisissons de ne pas réagir.
Le sénateur St. Germain : À votre point de vue, monsieur l'ambassadeur, y a-t-il quelque chose que nous puissions faire pour soulever l'opinion populaire de manière à créer une situation qui deviendrait inacceptable pour que l'on règle tout au moins la question de l'aide humanitaire?
J'accepte votre rectification quant à l'utilisation du terme génocide, mais je demeure convaincu qu'un scénario d'horreur se déroule dans ce pays, tout comme au nord de l'Ouganda.
Que pensez-vous que nous pourrions faire pour aider ceux d'entre vous qui travaillez sur le terrain dans ces régions pour essayer de rectifier le tir?
M. Fowler : Il est bien évident que nous pourrions dépenser davantage, mais ce ne sont bien sûr pas des décisions qui relèvent de moi. Certaines régions d'Afrique connaissent des situations pires que celle du Darfour, l'exemple le plus connu étant celui de la République démocratique du Congo. Dans les provinces de Ituri et Kivu, par exemple, il se produit des choses beaucoup plus graves, mais il se trouve que CNN n'a pas de reporter dans ces régions. J'ai parlé du nord de l'Ouganda parce que je crois que le moment est bien choisi pour intervenir là-bas. Les étoiles sont bien alignées pour régler ce problème-là, comme c'était le cas en Angola au moment propice. C'est le temps d'agir. La communauté internationale n'a aucune tolérance pour des agissements comme ceux de l'Armée de résistance du Seigneur. Je pense donc qu'il serait temps d'exercer d'importantes pressions sur les gouvernements de Khartoum et Kampala, ainsi que sur un certain nombre de gouvernements donateurs qui travaillent depuis longtemps à établir la paix au nord de l'Ouganda; nous pourrions vraiment contribuer à faire changer les choses. Je suis beaucoup moins optimiste quant aux possibilités d'un changement favorable dans l'est du Congo et j'ai bien peur que le Darfour aura besoin d'une quantité phénoménale de ressources pendant encore très longtemps.
L'un des problèmes dont on parle très peu concernant le Darfour est la pression démographique qui est telle que la terre très pauvre de cette région n'est tout simplement pas en mesure de subvenir aux besoins des sept millions de personnes qui y vivent.
Le sénateur Stollery : Ambassadeur Fowler, je tiens à vous féliciter pour votre exposé fort intéressant. Vous y avez traité de bon nombre des sujets que notre comité a étudiés.
Monsieur le président, je serai bref parce que nous avons déjà parlé de ces questions, et je pense que M. Fowler a bien résumé une bonne partie des points de vue partagés par certains membres de notre comité. J'ai notamment apprécié qu'il fasse valoir que le terme « génocide » — et ce n'est certes pas là une critique, sénateur St. Germain — est un peu trop souvent utilisé. Si on l'emploie à toutes les sauces, il en vient à perdre de sa signification.
Vous avez travaillé aux Nations Unies. Le comité a mis la main sur le rapport final du groupe d'experts sur l'exploitation illégale des ressources naturelles et des autres formes de richesse de la République démocratique du Congo. Quelle a été la réponse du Canada à ce rapport plutôt dévastateur qui dénonce le pillage des ressources de l'est du Congo?
M. Fowler : Sénateur Stollery, ce rapport a été produit quelques semaines à peine après que j'aie quitté mon poste au sein du Conseil de sécurité pour aller travailler à Rome, ce qui fait que je n'ai pas été mêlé directement à la réaction d'Ottawa.
À titre de président du comité pour l'Angola, j'ai moi-même produit deux rapports où on citait les noms des autorités gouvernementales en place pour leur complicité dans le contournement des sanctions à l'égard des armes fournies à Savimbi. Nous avons établi des règles de preuve très rigoureuses avant d'inscrire des noms sur ces listes. Sans une telle rigueur, les listes auraient pu être beaucoup plus volumineuses.
Je ne crois pas que le comité dont vous citez le rapport, sénateur, ait fait montre d'une rigueur aussi grande. Je ne veux pas laisser entendre que le rapport est erroné, mais quelques-unes de ces conclusions ont été contestées avec un certain succès. Je ne pense pas que l'on puisse en dire autant des rapports sur l'Angola.
Sans pouvoir vraiment vous dire quelle a été la réaction du Canada, je peux vous préciser que nous sommes tout à fait convaincus que, pour reprendre votre expression, le pillage des ressources est un phénomène qui doit être suivi de près. Pour ma part, j'estime que l'on pourrait exercer une surveillance beaucoup plus étroite à cet égard, surtout dans des régions très riches en ressources comme le sud-est du Congo et l'Angola. Comme vous le savez, il y a des codes de conduite à respecter, tant au niveau national qu'international, mais certains secteurs n'ont pas reçu l'attention nécessaire.
Le sénateur Andreychuk : Monsieur Fowler, je veux vous souhaiter la bienvenue à notre comité et vous remercier de nous avoir éclairés sur toutes ces questions.
J'aimerais aborder la situation sous un autre angle en vous parlant d'assistance humanitaire et d'aide au développement. Il semble que lorsqu'un gouvernement canadien s'efforce d'assurer une présence constante en Afrique, il y a souvent confusion entre aide au développement et assistance humanitaire. Pourriez-vous nous donner des suggestions quant à l'approche à adopter pour ces deux types d'aide? Lorsqu'il se produit une catastrophe, les Canadiens sont d'accord pour que leur gouvernement offre une aide financière et sont même disposés à contribuer eux- mêmes aux secours aux sinistrés, mais le développement est une intervention à plus long terme et les gens semblent perdre patience à l'égard de cette forme d'aide. Devrait-on garder ces deux entités entièrement distinctes, peut-être même à partir du même secteur?
M. Fowler : Merci pour votre question, sénateur Andreychuk. Je peux difficilement y répondre parce que, comme vous le savez, je suis tout à fait d'accord avec vous. Je pourrais peut-être aller dans le même sens en soulignant que notre confusion a, selon moi, mené très directement à l'éparpillement de notre aide sur tout le continent, à un point tel que nous ne pouvons plus jouer un rôle important nulle part.
Le défi du développement est si grand que des projets visant à se donner bonne conscience comme la construction d'une école ou l'établissement d'un orphelinat local nous amènent à croire à tort qu'il s'agit là de développement, alors même que ce n'en est pas.
Si nous voulons vraiment changer la situation en Afrique, compte tenu de l'énormité du défi et des sommes presque inconcevables que cela exigera, je pense qu'il nous faut simplement entourer l'aide humanitaire d'une barrière étanche. Le NEPAD reconnaît que les fonds pour le développement n'arriveront jamais en quantité suffisante et qu'il faut trouver des investissements pour compléter le tout. C'est une chose d'aider les victimes de la famine, des inondations et de la guerre, mais c'est toute autre chose de rebâtir leurs sociétés.
Une des choses qu'il faut absolument prendre en compte au Darfour c'est que, quelque soit le moment ou la région, la vie est extrêmement difficile. Dans les camps où la moitié de la population vit maintenant, les gens ont accès à des soins de santé, à de la nourriture et à des écoles, ce qui n'aurait jamais été possible dans leurs villages d'origine. Il y a donc effectivement confusion au Darfour entre aide humanitaire et assistance au développement, mais il faut bien dire que nous n'avons pas vraiment le choix. Les gens qui vivent dans ces camps voudront désormais avoir une école tout près pour le reste de leur vie.Ils voudront aussi, hommes, femmes et enfants, que nous payions pour cela et que nous leur fournissions à jamais leurs2 200 calories par jour. En toute franchise, nous sommes incapables de le faire.
Nous intervenons au Darfour en raison de la crise humanitaire causée par la guerre. Il sera difficile de trouver une solution à long terme pour le Darfour parce que la terre ne peut tout simplement pas subvenir aux besoins d'une population aussi grande. Soit dit en passant, comme il n'y a pas grand-chose à faire dans ces camps, la population va augmenter encore.
Le sénateur Andreychuk : Lorsque l'on se rend en Afrique, c'est toujours un choc de voir le trafic des armes qui s'y fait, surtout pour les armes légères et de petits calibres. La plupart ne sont pas fabriquées là-bas, mais y sont introduites à partir de pays qui se targuent de jouer un certain rôle au sein du monde civilisé; et je devrais plutôt dire du monde plus développé. Croyez-vous que le Projet de convention sur les armes légères et de petits calibres pourrait être renforcé de manière à s'appliquer effectivement en Afrique? Le cas échéant, que pouvons-nous faire à ce titre?
Je fais ici appel à votre expérience du commerce des diamants : il y a eu un impact lorsque nous avons pris la situation au sérieux et commencé à demander des comptes quant à ce type de transfert de biens; je pense également à la Cour pénale internationale et aux accusations portées contre Joseph Kony et d'autres personnes au nord de l'Ouganda.
M. Fowler : J'estime que nous faisons tous sans cesse, dans notre vie personnelle, un genre de tri dans nos dossiers à traiter et nos choses à faire. J'ai mis les bouchées doubles au sein des Nations Unies et du Conseil de sécurité en particulier pour codifier et établir des règles de discipline concernant la protection des civils en cas de conflit armé, et surtout la protection des enfants en pareille situation. Je ne me suis pas vraiment attardé aux sanctions à imposer pour le trafic d'armes de petits calibres. Pour répondre à votre question, je dirais que les efforts en ce sens ne seraient pas particulièrement efficaces. Nous devrions y consacrer beaucoup de temps pour en arriver à de belles paroles, mais je ne crois pas que la situation évoluerait beaucoup parce qu'il s'agit-là d'un commerce très rentable. C'est une autre façon d'influencer les choses sur la planète; les grandes nations aiment bien se prêter à ce genre de manœuvres et je ne crois pas qu'elles y renonceront.
En Angola, nous avons été chanceux d'une certaine façon, parce que M. Savimbi a décidé de livrer une guerre plutôt conventionnelle au moyen de systèmes d'armes comme les chars, l'artillerie lourde et les lance-roquettes multiples. Tous ces systèmes qui exigent de grandes quantités de munitions et de carburant sont plus faciles à contrôler que les petits projectiles ou les fusils. À une certaine époque, les Nations Unies ont lancé un programme de rachat au Burundi dans le cadre duquel des armes inutilisables rapportaient 10 $ chacune, ce qui a donné lieu à l'introduction dans cette région d'un plus grand nombre d'armes encore.
L'Afrique croule sous les armes. Dans la plupart des pays d'Afrique centrale, vous pouvez acheter un AK47 pour moins de 10 $. Alors, je ne sais pas vraiment comment nous pourrions instaurer une discipline quelconque à ce chapitre.
Vous avez parlé de la Cour pénale internationale et de l'émission de mandats au Darfour et au nord de l'Ouganda. Contrairement, à d'autres personnes, je soutiens de tout cœur la CPI dans cette démarche. C'est exactement la raison pour laquelle cette cour a été créée. Les diplomates comme moi trouveront toujours des façons de convaincre un procureur de ne pas aller de l'avant, mais cela demeure la raison d'être de cette cour. Je suis heureux qu'on ait décidé d'agir. Cela contribue à orienter les projecteurs vers M. Kony et ses amis.
Le sénateur Di Nino : Bienvenue à notre comité. J'ai deux questions bien distinctes. Vous avez parlé de la RDC. Lorsque notre comité s'est rendu au Sud-Kivu, nous avons rencontré le général responsable de cette région qui nous a fait une déclaration très catégorique. Il nous a dit qu'il pourrait régler le problème s'il avait le mandat voulu. Il semblait laisser entendre que les Nations Unies ne lui avaient pas accordé les pouvoirs nécessaires pour s'attaquer vraiment au problème. Pouvez-nous dire ce que vous en pensez?
M. Fowler : C'est un grand plaisir de revoir le sénateur Di Nino.
Votre question me rappelle ce dilemme si bien articulé par le sénateur Dallaire qui a dit qu'il aurait pu stopper le génocide s'il avait pu compter sur une brigade de 5 000 soldats bien entraînés. Je crois qu'il avait tout à fait raison. Par contre, je ne sais pas exactement quelle réaction nous aurions eue en voyant cette brigade faire ce qu'elle avait à faire pour mettre fin au génocide. Il y aurait eu un certain nombre de rafales de mitraillette tirées dans des foules de fanatiques brandissant leurs machettes pour mener à bien leur mission. Comment aurions-nous réagi en voyant ces casques bleus mitrailler des groupes aussi faiblement armés?
Je pense que c'est un peu une proposition bidon que je viens de vous faire. Permettez-moi d'être très claire. J'estime que c'est ce qui aurait dû se produire; 10 000 ou 15 000 personnes auraient pu être tuées dans de telles opérations qui auraient permis de sauver la vie de 800 000 autres.
Au Congo, la situation n'est pas, selon moi, si différente malgré la vastitude de la région en cause. Je ne connais pas exactement le point de vue du général auquel vous avez parlé concernant son mandat; j'estime que les forces de maintien de la paix devraient avoir des mandats stricts et, plus important encore, des règles d'engagement. Je pense qu'elles devraient pouvoir s'occuper directement des fauteurs de troubles. Les gens qui sèment la terreur au sein de la population devraient savoir qu'il s'agit d'un comportement tout à fait inacceptable. Il est impossible de contrôler ces territoires avec des forces de 10 000 personnes au Kivu ou de 20 000 personnes dans la RDC. C'est tout simplement insuffisant. Il serait bon de pouvoir compter sur une plus grande mobilité; un plus grand nombre d'hélicoptères de combat serait également une bonne chose. Cependant, nous vivons au sein d'un monde plutôt capricieux et des images vidéo d'attaques en hélicoptère peuvent susciter de fortes réactions.
Le sénateur Di Nino : Merci pour cette opinion. Je change de sujet, monsieur l'ambassadeur, pour vous dire qu'au cours de notre voyage, j'en suis venu à la conclusion que l'aide à long terme allait créer de la dépendance. J'ai même dit qu'elle allait réduire les gens en esclavage et pouvait même s'inscrire dans la droite ligne du processus de colonisation. Nous avons entendu parler de certains programmes et initiatives formidables qui ont fonctionné davantage comme un partenariat avec certaines organisations non gouvernementales et le secteur privé. Je me demandais si vous pouviez nous en dire plus et nous guider un peu quant à la façon de mieux moduler l'aide canadienne. Je suis d'accord avec vous pour dire que notre aide devrait être plus ciblée. Comment pouvons-nous la façonner pour favoriser davantage certaines perspectives économiques, particulièrement au sein des communautés agricoles, et peut-être créer des emplois afin de commencer à changer les choses en Afrique?
M. Fowler : Eh bien, sénateur, je suis encore une fois tout à fait d'accord avec vous quant aux objectifs visés. Je crois que nous devrions concentrer notre aide sur un nombre restreint de pays qui donnent suite à leurs engagement d'améliorer la gouvernance, d'améliorer leur système judiciaire, de créer des régimes pénaux transparents et des systèmes bancaires efficaces. Nous devrions octroyer notre aide aux pays qui créent des conditions propices à des investissements par des personnes raisonnables.
À l'heure actuelle, les Africains n'investissent pas en Afrique. Les chiffres officiels indiquent que 40 p. 100 des économies africaines quittent le continent, mais la proportion réelle est beaucoup plus élevée. Nous voulons créer les conditions qui permettront aux nations développées de faire pour l'Afrique ce que l'Europe a fait pour le Canada il y a 150 ans. Nous devons notre développement aux investissements européens. Nous sommes ce que nous sommes aujourd'hui grâce à ces investissements et c'est exactement ce dont l'Afrique a désespérément besoin. Et je conviens avec vous, sénateur, que c'est notamment le cas du secteur agricole.
Soixante-dix pour cent des Africains vivent de la terre et sont confinés à la pauvreté. Alors que seulement quatre pour cent du territoire africain est irrigué, c'est le cas pour 40 p. 100 du continent asiatique. Pourquoi donc? Parce que nous ne faisons pas d'investissements à grande échelle.
Pour ce qui est de vos commentaires concernant la dépendance à l'égard de l'aide, c'est un vrai dilemme et c'est la raison pour laquelle je tiens absolument à faire la distinction entre aide humanitaire et soutien au développement. Au Darfour, c'est de l'aide humanitaire que nous faisons, pas du développement, et nous ne devons pas confondre ces deux activités bien que des pressions s'exercent quotidiennement en ce sens, y compris d'importantes pressions de la part des organisations non gouvernementales.
Est-ce que nous créons une dépendance à l'égard de l'aide au Darfour? Vous pouvez en être sûr. Comme je le disais au sénateur Andreychuk, je ne sais pas vraiment comment régler la situation, mais je sais très bien que nous ne pouvons pas interrompre notre aide actuelle sans créer une famine généralisée dans l'ouest du Soudan.
Il faut établir très clairement que nos interventions au Darfour sont financées à même l'enveloppe humanitaire et ne doivent pas faire obstacle à nos efforts pour intégrer les filles à l'école au Mali, pour changer le système de santé et améliorer la gouvernance au Mozambique, et pour aider peut-être aussi le Botswana. Le Botswana est l'un des pays les mieux gouvernés en Afrique et je tiens à souligner, soit dit en passant, que son revenu per capita de quelques milliers de dollars par année ne devrait pas le rendre inadmissible à l'aide au développement.
L'Afrique a besoin de quelques réussites. Nous devons contribuer à ces réussites et nous employer en priorité à aider les Africains à créer un environnement propice aux investissements.
[Français]
Le sénateur Corbin : Bonsoir, Excellence. Monsieur l'ambassadeur, je parlerai en anglais car je veux citer un extrait du discours que vous avez prononcé à Vancouver, à l'Institut canadien des affaires internationales.
[Traduction]
Dans cette allocution, vous dites notamment :
Les architectes du NEPAD ont eu le grand mérite d'incorporer le Mécanisme africain d'examen par les pairs dans l'initiative du NEPAD. En fait, on se demande si les dirigeants du G8 auraient accordé autant d'attention au NEPAD en l'absence de ce surprenant engagement. Le processus d'examen par les pairs est hardi et novateur. Il fournit aux pays africains, y compris à la société civile, au secteur privé et aux gouvernements, un mécanisme pour faire un examen critique de leurs pratiques mutuelles en matière de gouvernance politique, économique et de gestion des sociétés d'État et des autres entreprises publiques.
Plus tôt dans vos remarques, vous avez insisté sur l'importance de parler franchement avec nos partenaires africains.
J'aimerais aussi que vous nous disiez si ce mécanisme africain d'examen par les pairs fonctionne vraiment.
À la fin de vos commentaires à ce sujet, vous ajoutez :
[...] il est décevant que les gouvernements africains restent réticents à critiquer des exemples de gouvernance effarante dans des endroits comme le Zimbabwe.
Pourriez-vous faire pour nous le point sur la situation ou nous dire dans quelle mesure elle pourrait être améliorée?
M. Fowler : Certainement, sénateur. Je vous suis reconnaissant de poser cette question, surtout que j'avais retranché cette partie de ma présentation et je me réjouis que vous en parliez.
Je crois effectivement que le processus d'examen par les pairs est hardi et novateur. Ainsi, je ne pense pas que les gouvernements occidentaux auraient accepté d'aucune façon de se livrer à un tel exercice. C'est un processus plutôt lourd, bureaucratique et lent. Un gouvernement a réussi à le mener à terme, c'est celui du Ghana. Le Rwanda est en bonne voie d'y parvenir. Il y a 23 autres gouvernements qui ont accepté de participer. Trois d'entre eux prévoient le faire cette année, trois de plus. Je crois que les Ghanéens ont jugé l'expérience extrêmement profitable. Ils ne savent pas trop quoi faire avec la facture de trois ou quatre milliards de dollars qui vient avec les différents points à régler que l'examen par les pairs a mis au jour. Il s'agit bien sûr d'un autre problème dont nous devrons nous charger. Cet examen par les pairs va inévitablement mener à une demande accrue en matière d'assistance et, bien franchement, je préfère vous laisser le soin d'estimer dans quelle mesure nous pouvons en faire davantage.
Quoi qu'il en soit, nous avons toujours insisté pour que le NEPAD soit respecté à la lettre et pour que l'examen par les pairs soit réalisé quoi que nous en pensions, mais je dois effectivement avouer que nous n'aurions probablement pas accepté dans d'autres circonstances. Le NEPAD précise que l'examen par les pairs est nécessaire pour l'Afrique de telle sorte qu'elle puisse faire ce qui convient afin d'attirer les investisseurs. Autrement dit, le mécanisme d'examen par les pairs est conçu par les Africains pour les Africains et fonctionne en grande partie sur ce modèle, bien qu'un certain nombre de gouvernements donateurs investissent dans le processus.
Pour ce qui est du franc-parler, je dois effectivement dire que l'on va davantage droit au but, surtout en groupes restreints. Nous avons ainsi eu des discussions très directes au sujet de choses comme l'évolution démocratique de la gouvernance et notamment concernant le Zimbabwe.
Je ne pense pas que le dossier du Zimbabwe se prête vraiment à un examen par les pairs. C'est davantage un problème historique qui est extrêmement difficile à régler. Que nous soyons d'accord ou non, et vous connaissez mon point de vue, M. Mugabe est un héros pour la plupart de ses voisins. Pendant que d'autres se tenaient beaucoup plus loin lors de la lutte contre l'apartheid, il était au cœur même des combats et bon nombre de ses voisins ne l'oublieront jamais.
Il est simplement au-dessus de tout reproche parce que, lorsque le moment crucial est venu, il a fait ce qu'il devait faire. Je vous donne ici un point de vue extrêmement bien ancré au sein de la population locale. C'est la principale raison pour laquelle il semble à l'abri des critiques; ce n'est pas parce que les gens admirent ce qu'il a fait pour son pays.
Je crois que l'examen par les pairs nous aidera à déterminer la démarche à privilégier pour cibler davantage notre aide au développement, parce qu'il montre très clairement ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas en Afrique. Le processus pourrait être un peu plus rapide, mais l'important c'est que les choses avancent et, comme je l'ai déjà mentionné, la moitié des pays africains ont déjà accepté d'y participer.
Le président : Monsieur l'ambassadeur, pourriez-vous revenir un moment sur vos observations de tout à l'heure quant au ciblage de l'aide? J'aimerais vous mettre à l'épreuve pour voir dans quelle mesure vous êtes disposé à appuyer les décisions du genre de celles que pourraient entraîner une telle prise de position du Canada par rapport à l'Afrique.
Si, à votre retour de Rome, vous preniez une tasse de café dans un Tim Horton's ou au Transport City Diner à l'extérieur de Swift Current (Saskatchewan), vous pourriez constater que personne n'est insensible à la situation africaine, ni peu désireux de venir en aide aux Africains. On pourrait vous demander : « S'il y a une chose que nous pourrions faire au Canada pour vraiment changer les choses d'une manière ou d'une autre, et si nous faisons vraiment fausse route en éparpillant ainsi notre aide, quelle serait cette chose? » On voudrait connaître votre avis d'expert à ce sujet. On pourrait aussi vous demander : « Pourquoi ne concentrerions-nous pas nos efforts sur le paludisme et ses répercussions importantes sur les jeunes? »
Si nous devions concentrer nos efforts sur un point particulier et y investir d'importantes sommes d'argent, en mettant de côté toute considération concernant les emplois ici au pays et toutes les questions connexes, que vous avez pris bien soin de dissocier de la mission humanitaire, quel devrait être ce point prioritaire?
Je suis conscient du fait qu'en votre qualité de membre du corps diplomatique au service du gouvernement en poste, vous devez respecter les politiques de ce gouvernement, mais quel est votre point de vue personnel sur la décision que notre pays devrait prendre à cet égard? En quoi consisterait votre liste de priorités?
M. Fowler : Monsieur le président, j'ai commencé à être très inquiet dès que vous avez dit que vous vouliez me mettre à l'épreuve. Je crois que les gens dans ce café me diraient d'abord : « Cinquante millions de dollars plus tard, pourquoi la question de l'Afrique n'est-elle toujours pas réglée? Nous sommes prêts à nous montrer plus généreux parce qu'il est évident que les gens là-bas en ont besoin, mais pourriez-vous nous assurer d'abord que cela va fonctionner? »
Je vous ai cité ce long exemple sur l'Allemagne qui m'a profondément ébranlé parce qu'il nous montre tout ce qu'il a fallu faire pour apporter un changement relativement modeste dans des circonstances beaucoup plus faciles.
Ceci étant dit, je ciblerais notre aide au développement dans moins d'une dizaine de pays parmi ceux qui ont démontré qu'ils donnaient suite au NEPAD, en s'assurant de mettre fin à la relation d'aide, si le pays cesse de respecter ses engagements, même si des gens vont soutenir qu'on traverse seulement une période difficile et qu'il faut, compte tenu des sommes importantes déjà investies, aller jusqu'au bout de l'initiative.
Je serais beaucoup plus intransigeant en leur disant : « Désolé, vous respectez le plan d'action ou vous ne faites plus partie de nos partenaires privilégiés. » Je pense que nous en arriverionsainsi à 7, 8 ou 9 partenaires privilégiés, qui seraient les gouvernements les plus performants en Afrique. Nous pourrions alors creuser encore pour trouver des fonds supplémentaires; nous les aiderions à rebâtir leur système de santé et d'éducation et nous nous emploierions à encourager les investissements dans ces pays.
Quant à l'aide humanitaire, j'achèterais tout un lot de ces moustiquaires à 7 $. Si vous pouvez sauver un enfantpour 7 $, c'est de l'argent bien investi.
Nous devons nous montrer extrêmement sélectifs. Nous devons faire preuve d'une grande rigueur quant aux critères à respecter pour qu'un pays apparaisse sur la liste et pour qu'il en soit rayé au besoin, mais nous devons absolument nous limiter à seulement quelques-uns.
Non seulement les moustiquaires protègent-elles les personnes qui les utilisent, mais elles tuent également les moustiques. J'accorderais beaucoup plus d'importance au nombre de moustiques tués qu'aux dommages environnementaux pouvant découler des efforts déployés en ce sens. J'investirais également beaucoup plus dans l'aide humanitaire, comme vous avez pu le constater dans mes observations, mais je n'essaierais pas de tout faire.
Le sénateur Corbin : Monsieur l'ambassadeur, notre comité a déjà discuté de l'efficacité du FMI et de la Banque mondiale et de leurs différents programmes. Il est bien évident que ces instances ont commis certaines erreurs dans le passé. Une partie d'entre elles ont été reconnues et le tir a été rectifié, dans une certaine mesure.
Tout bien considéré, le FMI et la Banque mondiale ont-ils apporté une contribution bénéfique pour l'Afrique? Quels changements devraient être apportés aux politiques de ces institutions financières internationales pour améliorer leurs interactions avec les pays en développement? Il est arrivé dans le passé que les choses se passent de façon plutôt désastreuse.
M. Fowler : Je voudrais signaler au départ que ces institutions n'ont pas été les seules à commettre des impairs. Le chemin des politiques publiques est souvent jalonné d'erreurs. Je ne suis pas certain que le Canada ait toujours agi correctement dans les efforts qu'il consent depuis de nombreuses années afin d'améliorer le sort des Autochtones, ou dans nos tentatives pour essayer de favoriser le développement des régions éloignées de notre pays. De même, notre propre dossier de développement n'est pas exempt d'accrocs. Nous avons appris de nos bourdes; c'est la même chose pour ces institutions, sauf peut-être qu'elles apprennent un peu plus lentement.
J'estime que la Banque mondiale a effectivement compris que son application stricte et ferme d'une définition très étroite de la conditionnalité exigeait un certain assouplissement. Son élaboration de documents stratégiques sur la réduction de la pauvreté et le concept global d'un partenariat entre donateurs et bénéficiaires dans le cadre duquel ces derniers en viennent essentiellement à articuler leurs propres priorités, lesquelles deviennent les nôtres, pour autant qu'elles soient sensées, constitue un pas dans la bonne direction.
J'aimerais qu'il y ait une bien meilleure coordination entre les propositions auxquelles nous pouvons en arriver aux réunions du G8 et des grands pays donateurs et les actions que nous menons par l'intermédiaire de la Banque mondiale et du FMI, de manière à ce que tous soient sur la même longueur d'onde dans la quête de notre objectif commun. La Banque mondiale a compris avec le NEPAD qu'elle devait accorder beaucoup plus d'importance au développement des infrastructures et c'est exactement ce qu'elle a fait. C'est ainsi un budget d'un milliard de dollars US qui sera accessible précisément à cette fin en réponse au NEPAD à la fin de la présente année.
Il faut beaucoup de temps aux grands navires pour effectuer un virage. Les grandes organisations internationales ne sont pas très souples, mais elles sont capables de tirer des enseignements de leurs expériences.
Le sénateur Corbin : Vous avez parlé du fait que CNN pouvait suivre ou non certains événements. Vous serez heureux d'apprendre que la semaine dernière, CNN a présenté, tout au moins ici en Amérique du Nord, un reportage sur l'hôpital Panzi pour les femmes maltraitées et mutilées à Goma.
J'estime que c'était un excellent reportage. Je ne suis pas ici pour défendre ou critiquer CNN, mais l'important c'est que le message passe pour montrer toute l'horreur des événements qui se déroulent dans cette région de la RDC.
M. Fowler : Je n'ai pas vu ce reportage, mais je suis heureux d'en apprendre l'existence.
Le sénateur St. Germain : Monsieur l'ambassadeur, est-il utopique de penser que nous puissions éventuellement compter sur une force de police mondiale travaillant sous les auspices de l'OTAN, des Nations Unies ou d'une autre organisation planétaire? Est-ce qu'une force de police mondiale pourrait être fin prête pour ce genre de situations que nous connaissons en Afrique où des vies sont en danger et où des personnes sont abusées? Est-il irréaliste de croire qu'une telle force policière pourrait être instituée et donner de bons résultats?
M. Fowler : Oui, sénateur.
Le sénateur St. Germain : C'est un projet irréaliste?
M. Fowler : J'ai passé beaucoup de temps aux Nations Unies à réfléchir à ce genre de possibilités pour en arriver à déterminer qu'il y aurait probablement une poignée, littéralement, de pays, peut-être six sur 191, qui pourraient être d'accord et, soit dit en passant, ce ne serait pas les grandes puissances. Je suppose ici que nous parlons de la même chose, c'est-à-dire d'une force d'intervention qui pourrait simplement se rendre sur place et faire ce qu'il y a à faire sans nécessairement encourir les risques associés à l'approbation à obtenir de l'Assemblée générale et aux veto du Conseil de sécurité.
Nous avons eu des discussions très approfondies à ce sujet relativement à la responsabilité de protéger. Nous avons réussi à enchâsser cette responsabilité parmi les objectifs établis dans la déclaration du Sommet « Millénaire plus cinq », mais il y a encore beaucoup de chemin à faire pour passer de la parole aux actes. Il y a effectivement beaucoup à faire pour que tous conviennent de la nécessité de pouvoir compter sur des mesures de protection se mettant en œuvre automatiquement lorsque la situation l'exige.
J'ai bien peur qu'à peu près personne ne serait favorable à une proposition qui permettrait à une force d'intervention quelconque de passer à l'action simplement parce que des personnes sont en danger.
Le sénateur St. Germain : Merci à nouveau, monsieur l'ambassadeur, pour votre excellente présentation.
Le président : Pour ce qui est de vos commentaires concernant la réussite de la démocratisation, les différentes régions de l'Afrique et le lien qui existe entre cette réussite et le progrès économique, vous savez mieux que quiconque que la documentation à ce sujet ne permet pas d'établir clairement si le développement économique contribue à propulser les forces de la démocratisation ou vice versa.
Je suis intéressé à connaître votre point de vue à ce sujet, car notre comité pourrait décider de formuler des recommandations concernant les investissements en Afrique. Devrions-nous alors recommander des investissements dans le processus de démocratisation ou ces fonds seraient-ils plus utiles pour l'achat de moustiquaires ou d'autres dépenses plus pratiques et moins théoriques?
M. Fowler : Maintenant, vous allez vraiment me mettre dans l'embarras.
Le président : C'est ce que nous voulions, monsieur l'ambassadeur.
M. Fowler : Monsieur le président, je crois que ce serait vraiment une bonne idée d'investir dans les moustiquaires. J'ai fait bien attention de ne pas définir la démocratie dont je parlais. Je pense également m'être bien assuré de préciser qu'il est important que les dirigeants acceptent le fait que leur leadership est assujetti à la volonté de la population et qu'ils auront peut-être éventuellement à céder la place à quelqu'un d'autre. Je ne voulais pas prescrire la façon dont la volonté de la population doit s'exprimer, à quelle fréquence cela doit se faire, ou même le type de gouvernance qui doit en découler.
Je pense personnellement qu'il faut se montrer très prudent quand vient le temps de vanter les mérites d'un modèle quelconque de démocratie. Comme vous le savez très bien, notre modèle canadien est assez particulier et ne fonctionnerait pas nécessairement ailleurs. Il est difficile de préconiser des mandats de durée fixe auprès des organisations internationales et des chefs de gouvernement africains lorsqu'on vient d'un pays qui a été dirigé pendant 21 ans par Mackenzie King. Je comprends bien que la situation n'est pas tout à fait la même, mais il y a néanmoins une certaine complexité qui s'en dégage.
Je dirais que nous pouvons contribuer à l'établissement des institutions. Par exemple, nous pouvons offrir nos points de vue sur une procédure pour laquelle nous sommes passés maîtres, à savoir la réforme réglementaire. Comment pouvons-nous aider l'Afrique à exporter une fois qu'on se sera débarrassé de ces subsides à l'exportation, de ces quotas et de ces obstacles phytosanitaires au commerce africain? Comment pouvons-nous contribuer à la mise en place des institutions de gouvernance, par exemple les régimes réglementaires, qui aideront les Africains à surmonter ces embûches que les pays développés sèment sur la voie de leurs exportations? On pourrait notamment aussi se demander de quelle manière nous pouvons nous assurer que les Canadiens n'aient rien à craindre lorsqu'ils achètent des denrées africaines. Je crois qu'il s'agit là d'investissements valables. En investissant dans l'établissement d'une garde côtière et en appuyant l'administration civile, on ne se trompe pas. Il devient beaucoup plus périlleux de s'attaquer à l'ensemble du processus démocratique.
Le président : Merci, monsieur l'ambassadeur. À moins que mes collègues n'aient d'autres questions, nous allons terminer ici notre réunion de ce soir. Au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous exprimer notre appréciation pour votre franchise et notre gratitude pour la clarté de vos réponses aux questions très pointues que nous vous avons posées. Je me permets également de parler au nom de tous les Canadiens pour vous souhaiter tout le succès possible dans la poursuite de vos efforts pour le compte de Sa Majesté, du gouvernement et des citoyens du Canada, et surtout au bénéfice de la population africaine. Nous sommes très déterminés à continuer de suivre de près la situation en Afrique, car nos semblables méritent pleinement que nous mettions tout en œuvre pour améliorer leur sort dans ces moments difficiles.
Le sénateur Stollery : J'ajouterais, monsieur le président, que nous sommes également conscients qu'il est minuit trente à Rome et qu'il est possible que l'ambassadeur souhaite aller dormir.
Le président : En effet. Votre excellence, nous vous souhaitons la meilleure des chances dans la poursuite de votre travail ainsi qu'une très bonne nuit de sommeil. Merci pour le temps que vous nous avez consacré ce soir.
La séance est levée.