Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères
Fascicule 5 - Témoignages - 26 septembre 2006
OTTAWA, le mardi 26 septembre 2006
Le Comité sénatorial permanent des Affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 17 heures pour examiner les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique; la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent; la politique étrangère du Canada envers l'Afrique.
Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, soyez les bienvenus. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur l'Afrique, notamment en ce qui concerne le rôle des forces militaires canadiennes.
[Français]
À cet effet, nous avons le plaisir d'accueillir le gén Rick Hillier, chef d'état-major de la Défense.
[Traduction]
Nous sommes ravis que le général ait pu, malgré son emploi du temps de plus en plus chargé, prendre le temps de venir dispenser au comité ses conseils judicieux au moment où celui-ci poursuit ses travaux sur l'Afrique.
Comme mes collègues le savent, le chef d'état major de la Défense est le principal conseiller militaire du premier ministre et du gouvernement. C'est toutefois notre gouvernement dûment élu qui décide où doivent s'effectuer les déploiements. Les aspects militaires et tactiques de ces décisions sont déterminés en fonction des conseils du chef d'état major.
Nous avons invité le gén Hillier à discuter d'une question précise, à savoir l'Afrique, qui toutefois comporte de nombreuses dimensions. En particulier, nous l'avons invité à faire un court exposé sur les opérations et les déploiements actuellement en cours en Afrique, les demandes récentes d'aide canadienne tant civile que militaire, auxquels il a été mêlé, la capacité opérationnelle du Canada en matière de déploiement en Afrique, les difficultés propres aux opérations militaires en Afrique et la présence du Canada dans la République démocratique du Congo. Après son exposé, le général a accepté de répondre à nos questions.
Général R. J. (Rick) Hillier, CMM, CSM, CD chef d'état major de la Défense, Défense nationale : Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis heureux de passer quelques brefs instants avec vous pour discuter de la présence des forces canadiennes en Afrique. Je parlerai de notre participation passée, des opérations en cours et de notre programme d'aide à l'instruction militaire, autant de questions que, j'espère, vous trouverez intéressantes. J'espère que vous tirerez également quelque utilité de ma présence devant vous ici aujourd'hui.
[Français]
Je ne m'attarderai pas trop sur notre longue histoire en Afrique. Notre contribution — qui dure depuis longtemps — date de l'expédition du Nil en 1884, alors que des aventuriers canadiens et des membres des Forces armées canadiennes ont aidé des Britanniques assiégés à Khartoum. Ils se sont aussi fait les dents sur ce continent pendant la guerre des Boers au tournant du siècle dernier.
[Traduction]
Quand, jeune officier de l'armée, j'ai rejoint mon premier régiment, le Royal Canadian Dragoons, j'ai dû apprendre par cœur tous les détails d'un événement mémorable survenu dans le sud de l'Afrique : le 7 novembre 1900, les Royal Canadian Dragoons ont livré un combat et trois membres du régiment ont mérité la Croix de Victoria. Voilà qui montre bien que ce régiment est le plus valeureux de tous les régiments des Forces canadiennes et de l'armée canadienne, n'est-ce pas, sénateur Dallaire?
[Français]
Il y a 50 ans, nous avons envoyé nos troupes en Égypte pour aider à mettre fin à la crise du canal de Suez. Cette intervention constitue un moment important dans la longue histoire de maintien de la paix du Canada en Afrique.
Depuis, les soldats canadiens ont participé activement à des opérations un peu partout sur ce continent : en Angola, au Rwanda, au Zaïre, en Somalie, au Mozambique, en Namibie, au Sierra Leone, en Éthiopie, en Érythrée et au Congo. Nos hommes et femmes en mission en Afrique font face à des défis considérables. Ils interviennent dans des environnements opérationnels difficiles, caractérisés non seulement par de la violence extrême mais aussi par de dures conditions géographiques et climatiques. Ils sont aussi confrontés à des différences culturelles marquées. Dans ces conditions stressantes, où ils doivent mettre leur vie en danger, 57 soldats sont morts en Afrique depuis 1956.
Malgré ces sacrifices et ces défis, le bilan du Canada en Afrique est impressionnant. Nos militaires, hommes et femmes, sont, comme nous le savons tous, très respectés et appréciés par la communauté internationale en raison du professionnalisme et de la compassion dont ils font preuve pendant les crises.
Les pays africains apprécient particulièrement les Forces armées canadiennes, non seulement pour leur professionnalisme mais également pour leur bilinguisme et pour l'absence de passé colonialiste.
Aujourd'hui, la plupart de nos ressources militaires à l'étranger sont affectées à notre mission en Afghanistan. Nous combattons le terrorisme de front tout en aidant l'Afghanistan à se construire un meilleur avenir.
[Traduction]
L'Afrique est toujours instable, affligée par des conflits, la misère et le désespoir. En tumulte constant, elle s'est tournée vers la communauté internationale en quête d'une aide dont elle a cruellement besoin. Vous n'êtes pas sans savoir, mesdames et messieurs les sénateurs, qu'en 2002 au sommet du G8 à Kananaskis, les participants ont adopté le plan du G8 pour l'Afrique avec pour but de développer les capacités des pays africains et d'entreprendre des opérations de soutien de la paix.
Tel a été l'essentiel de notre rôle. Les Forces canadiennes continuent d'être un protagoniste de ce plan d'action et nous reconnaissons que les forces armées des pays des États d'Afrique ont besoin de notre aide pour remplir leur rôle et en particulier pour se doter des moyens de réaliser des opérations de paix efficaces.
Nous avons fourni et continuons de fournir du matériel, du soutien logistique et de l'aide à l'instruction militaire à l'appui de ces efforts, mais vu nos moyens limités, nous ne pouvons pas nous offrir le luxe d'être partout et de tout faire.
L'action du Canada en Afrique ne se limite pas à l'action militaire. Nous coordonnons de près nos efforts avec ceux du ministère des Affaires étrangères et du commerce international, de l'Agence canadienne de développement international — l'ACDI — et, évidemment, de la Gendarmerie royale du Canada dans le but de rentabiliser au mieux les investissements de chaque ministère et organisme.
Soixante-cinq soldats canadiens servent actuellement dans des opérations en Afrique, dont plus de la moitié, 41, dans des missions de l'ONU. La majorité des forces avec lesquelles ils travaillent et qu'ils appuient dans ces missions de soutien de la paix en Afrique proviennent de pays en développement. Notre contribution est précieuse parce que nous sommes là pour combler les lacunes stratégiques et que nous occupons des postes habituellement critiques.
S'agissant des missions en cours, depuis le premier jour nous participons à la mission d'observation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC). Son but est d'appliquer l'Accord de Lusaka de 1999, qui prévoit l'application de l'accord de cessez-le-feu entre le gouvernement de la République démocratique du Congo, les groupes rebelles congolais et les États régionaux. Notre contribution à la MONUC est constituée de neuf officiers d'état-major au quartier général à Kinshasa et à Kinsagani. Nos officiers font partie d'un cadre central qui assure l'intégrité de ces quartiers généraux grâce à leur capacité, leur travail d'état-major, leur bilinguisme et, attribut non des moindres, leur confiance en eux-mêmes. Ils appliquent directement et de manière ciblée leurs capacités militaires précisément où elles sont nécessaires au succès de cette mission de l'ONU.
En ce qui concerne la Sierra Leone, certains d'entre vous se souviennent peut-être qu'à compter de 1999, nous avons dépêché des soldats dans ce pays dans le cadre de la MINUSIL, la mission des Nations Unies en Sierra Leone. Notre rôle était de contribuer au plan de désarmement, de démobilisation et de réintégration de ce pays. La mission a pris fin en 2005 après des élections couronnées de succès.
Pour réussir le passage de l'état de guerre à l'état de paix, ce pays a besoin de se doter d'une force militaire professionnelle sous autorité civile. C'est pourquoi nous sommes toujours présents dans ce pays au sein d'une équipe militaire internationale consultative en matière d'instruction, l'IMATT créée en 2000. Sous la direction des britanniques, l'équipe a pour vocation d'instruire et d'équiper les forces armées reconstituées de la Sierra Leone. À l'heure actuelle, 11 de nos soldats sont déployés comme officiers d'état-major et instructeurs auprès de l'équipe. Ils sont très prisés en raison de leur expertise. Cette assistance à l'instruction, bien circonscrite et d'une durée de six ans, est une contribution modeste mais rentable. Nous estimons que l'armée de la Sierra Leone évolue dans le sens des valeurs démocratiques qui s'enracinent dans le pays et assure à la population une stabilité qu'elle ne pouvait offrir auparavant.
Au Soudan, nous participons à deux missions distinctes. La première, la MINUS (Mission des Nations Unies au Soudan) s'occupe du conflit nord-sud auquel l'Accord de paix global, signé en janvier 2005, a mis fin. Dès les touts débuts, nous avons fourni à la MINUS le commandant adjoint de la force et une partie de l'état-major au quartier général. De fait, ce commandant adjoint s'est rendu au Soudan avec l'équipe avancée du QG et s'est assuré que la mission était montée de la manière la plus efficace et la plus précise possible. Aujourd'hui, sept officiers de l'état-major et 25 observateurs militaires travaillent pour la MINUS.
L'autre mission au Soudan, c'est évidemment la MUAS, la mission de l'Union africaine au Soudan. Celle-ci a pour tâche d'améliorer la situation sécuritaire au Darfour. Ses efforts ont été contrariés par des factions belligérantes, un mandat que d'aucuns jugent faible, le manque de matériel et les immenses difficultés que posent un théâtre d'opérations accidenté et dépourvu d'infrastructures, de la taille de la France et aux conditions climatiques extrêmes.
Nous sommes intervenus et avons fourni à la MUAS de l'instruction et du matériel. Le Canada compte 17 officiers d'état-major et autres spécialistes au service de la MUAS au Soudan, dont huit en Éthiopie, trois au Darfour et deux à Khartoum. Nous collaborons également avec l'ACDI pour faciliter le recours aux 25 hélicoptères et deux avions cargo affectés par l'ACDI à l'intention de la Force de l'Union africaine.
Nous prêtons également 105 véhicules de transport du personnel, des véhicules blindés polyvalents — les Grizzly — aux pays de l'Union africaine, et leur offrons la formation nécessaire pour qu'ils puissent s'en servir et en assurer l'entretien. Nous fournissons également des casques et des gilets pare-éclats aux soldats de la mission de l'Union africaine au Soudan proprement dit.
Notre présence n'est pas sans effet. Les soldats de l'Union africaine sont mieux à même d'accomplir leurs tâches grâce à ce que nous avons fait et ils manifestent une plus grande confiance. Ils ont pour les aider des blindés qui pourront durer. D'une certaine façon, ils peuvent aujourd'hui compter sur un matériel personnel de meilleure qualité, mieux capable d'assurer leur survie, grâce à notre apport.
Nous allons continuer de faire notre part pour aider l'Union africaine à améliorer son efficacité, et le Canada s'emploie vigoureusement à l'ONU à tâcher de transformer la MUAS en mission de l'ONU le plus tôt possible.
Pour terminer, je parlerai un peu du Programme d'aide à l'instruction militaire, le PAIM. Il s'agit d'un des principaux outils de la diplomatie de défense dont se servent les Forces canadiennes depuis les années 60. En Afrique, grâce à ce programme, nous instruisons les soldats dans leur propre pays. Nous faisons aussi venir des officiers africains pour les former et les mettre au contact de notre société et de nos valeurs.
Les activités du PAIM en Afrique se sont multipliées ces dernières années, le budget ayant presque doublé en 2004- 2005. L'an dernier, nous avons formé quelque 190 officiers africains. Cette année, le chiffre devrait passer à 300. Il y aura des cours de langue, des cours d'état major, des cours pour officiers tactiques, et cetera. Il s'agit pour nous d'une augmentation notable dont nous nous réjouissons.
On nous a accordé cette année pour le PAIM près de deux millions de dollars de fonds de formation pour 2006- 2007. Cela est expressément destiné aux pays de l'Union africaine qui contribuent des soldats au Darfour.
Je terminerai en rappelant que les hommes et les femmes des forces armées apportent une contribution de taille modeste mais aux effets majeurs en Afrique. Que ce soit dans les jungles de la République démocratique du Congo ou dans les déserts du Soudan, ils ont à cœur de bien faire leur travail et le font bien. Ils aident non seulement les pays africains à se remettre des ravages de la guerre, mais ils s'emploient aussi à protéger nos intérêts et nos valeurs.
Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de l'occasion que vous m'avez donnée de prendre la parole devant vous. Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Stollery : Soyez le bienvenu, général Hillier. Oui, votre déclaration était intéressante mais elle ne répond pas vraiment aux questions que je me pose ni peut-être à celles d'autres membres du comité, qui, comme vous le savez sans doute, connaissent bien la République démocratique du Congo, où nous sommes allés l'an dernier. J'étais au Congo à l'époque coloniale. Je connais plutôt bien l'Afrique.
Dans la région du Kivu, un territoire à peine plus grand que l'est de l'Ontario, entre 1 000 et 1 200 personnes meurent chaque jour. Ce n'est pas Peter Stollery qui invente des chiffres exagérés. L'information vient de la revue médicale britannique The Lancet. Le chiffre est bien connu; c'est une tragédie. Je suis allé dans quelques endroits difficiles mais jamais je n'ai vu de drame aussi grand que ce que le comité a vu dans la région du Kivu, dans l'est du Congo.
Quand nous nous sommes rendus à Kinshasa, l'ancienne Léopoldville, nous avons rencontré les ambassadeurs, je crois, du Canada, de la France, du Royaume-Uni, de la Belgique ainsi que le chef de la MONUC, un ambassadeur américain à la retraite. Tous nous ont demandé si le Canada pourrait aider la MONUC, la plus grande mission de l'histoire de l'ONU. Nos forces armées comptent 62 000 soldats environ. Comment peut-on défendre le fait qu'il n'y a que 65 officiers dans toute l'Afrique et dans l'est du Congo.
J'ai reçu copie d'un télégramme — concernant la formation — disant qu'après une réévaluation récente de la situation locale pour notre cellule J2, le ministère de la Défense a décidé de suspendre le déploiement des quatre instructeurs canadiens qui devaient participer à l'initiative belge d'instruction des militaires congolais.
Je serai de retour à Kinshasa dimanche. Je suis certain qu'on me posera les mêmes questions : que peut faire sérieusement le Canada pour mettre un terme à l'une des grandes tragédies qui se déroule en Afrique? Que peuvent faire les Forces armées canadiennes? La réponse sera-t-elle la même que celle de l'an dernier? Nous avons affecté huit personnes. Nous avons moins d'observateurs militaires que la Bolivie, un pays pauvre; moins que beaucoup d'autres pays, vous les connaissez sûrement aussi bien que moi. Quelle réponse pourrais-je donner à ces gens-là dimanche au nom des Forces armées canadiennes? Est-ce le mieux que nous pouvons faire?
Gén Hillier : Je ne pense pas que c'est vous qui donnez une réponse au nom des Forces armées canadiennes. C'est mon travail à moi.
Je vais essayer de vous faire mes commentaires sans donner de justification ou de défense.
Je suis allé dans bien des endroits misérables mais jamais en république démocratique du Congo. Je suis allé dans d'autres pays où des soldats, des officiers et des sous-officiers canadiens, des forces aériennes, terrestres et navales sont déployés en nombre important pour essayer de garder des populations en vie et empêcher que d'autres ne soient tuées.
Il y a beaucoup d'endroits pauvres dans le monde qui ont désespérément besoin d'aide d'un ensemble de pays et il est clair que le Canada n'est pas la seule source de cette aide.
À l'heure actuelle, près de 4 000 hommes et femmes en uniforme des Forces canadiennes sont déployés dans le monde dans diverses opérations et divers pays, dont évidemment un pourcentage important en Afghanistan. En outre, chaque jour, ici au pays, entre 6 000 et 8 000 hommes et femmes sont de service pour les Canadiens ici au pays, où ils habitent et travaillent pour assurer leur stabilité et leur sécurité. Que ce soit dans les opérations de recherche et de sauvetage, de patrouille maritime, de contrôle du ciel au-dessus de l'Amérique du Nord, de lutte contre le terrorisme ou d'intervention rapide dans diverses régions du pays, si un incident survient, nous pouvons réagir avec efficacité.
Quand vous prenez ces chiffres et prenez les unités relativement sous-équipées qui constituent la partie de projection des forces de l'effectif et que vous le multipliez par le nombre de rotations que nous avons pour accomplir ces missions, nous sommes à nos limites, sénateur. Nous n'avons pas les ressources pour donner à chaque endroit du monde qui a besoin de notre aide désespérément ou, plus justement, a besoin désespérément d'aide. Peut-être que des pays autres que le Canada doivent prendre le relais dans certains de ces endroits.
Je ne parle que pour les Forces canadiennes. Nous sommes actuellement à l'extrême limite de ce que nous pouvons contribuer. De fait, nous traversons une période de transformation révolutionnaire au moment où je vous parle pour veiller à ce que nos missions actuelles soient couronnées de succès — en particulier en Afghanistan — que nous puissions maintenir la paix sur le territoire national et même changer la façon dont nous produisons les hommes et les femmes dans les unités pour le faire.
Nous faisons notre petite part délimitée, mais nous sommes au niveau maximum des opérations que nous pouvons soutenir.
Le sénateur Stollery : J'ai dit que je ne parlerai pas de l'Afghanistan et j'ai l'intention de tenir parole.
Général, je ne veux pas ennuyer mes collègues. J'ai fait la guerre d'Algérie. Je sais comment cela se passe. Si le mieux que nous puissions faire c'est de fournir 65 personnes à un continent qui, le monde entier le sait, traverse une période terrible, alors c'est une honte. Je ne me prononcerai pas sur l'aventure afghane. Pour moi, c'est une réponse déshonorante.
Le président : Général, vous pouvez répondre.
Gén Hillier : Il n'y avait pas de question, je crois, monsieur le président, je n'ai donc pas de réponse à donner.
Le sénateur Andreychuk : Merci, général, d'être venu et d'avoir exposé votre position avec vigueur.
Je discerne trois mouvements dans l'activité du Canada. Traditionnellement, l'un était de former et d'essayer de renforcer les militaires locaux pour qu'ils puissent accomplir les tâches qui reviennent normalement à un état souverain. Quand tous ces pays ont accédé à l'indépendance, la question était de savoir comment ils pouvaient prendre leur distance des Français, des Britanniques et des Belges et se doter d'une force authentiquement nationale. Le Canada a joué un rôle admirable dans l'instruction des officiers.
Ensuite, nous avons prêté main-forte aux Nations Unies, et je ne pense pas qu'il soit nécessaire que je parle de l'histoire de la Somalie, puisque nous nous en sommes retirés. Vous avez parlé de Kananaskis, mais je pense que cela a commencé bien avant, lorsqu'on a commencé à dire que les Africains s'occuperaient de l'Afrique. Je me souviens également de l'époque où l'Europe devait s'occuper de l'Europe et de la Bosnie.
Comment former et renforcer les troupes de l'Union africaine? Il semble qu'on veuille faire intervenir de nouveau les Nations Unies sur place, pour certaines raisons valables, notamment parce que les Africains ne sont pas prêts. À long terme, si l'on veut jouer notre rôle malgré nos ressources limitées, faudrait-il se concentrer sur la formation bilatérale, la formation des Africains, ou encore sur une intervention dans le cadre d'une mission onusienne?
Gén Hillier : Nous préférons toujours mettre sur pied nos propres régimes de formation, parce que nous pensons que nous sommes plus efficaces si nos troupes sont formées au sein d'une institution comme les Nations Unies, par exemple. Nous préférerions nettement intervenir sous l'égide des Nations Unies ou de l'OTAN. Ce serait beaucoup plus efficace, parce que nous pouvons nous fonder sur des années de préparation et d'interopérabilité. Nous pouvons travailler avec nos alliés et amis dans ce contexte et, par conséquent, en faire plus avec des ressources limitées.
En réalité, lorsque nous formons des troupes, nous fournissons parfois également de l'équipement, comme nous l'avons fait au Darfour. Cela fait partie de la formation et du développement des capacités des forces de l'Union africaine. Ensuite, compte tenu des ententes internationales relatives à certains types d'équipement technique et leurs données, nous sommes tenus de travailler avec chaque nation individuelle, c'est-à-dire de façon bilatérale. Rien ne nous empêche de combiner certaines approches ou encore de toutes les appliquer.
Nous préférons travailler sous l'égide des Nations Unies ou de l'OTAN, avec qui nous avons de très bonnes relations et pouvons travailler avec les Britanniques, ou toute autre nation qui en fait partie, et être plus efficaces en coordonnant nos activités avec les leurs. S'ils se concentrent sur un élément, nous évitons le double emploi en nous concentrant sur d'autres choses. L'inverse est aussi vrai. Nous préférons nettement intervenir dans le cadre des Nations Unies pour ces raisons.
Le sénateur Andreychuk : La situation en Somalie a changé notre façon d'intervenir en Afrique. Je crois que nous sommes toujours en difficulté, parce que nous n'avons toujours pas compris ce qu'il en est. L'armée intervient, mais les besoins sont tout aussi criants en sécurité et encore plus en ce qui concerne l'aide médicale et humanitaire. Les Nations Unies ont tenté d'acheminer de l'aide humanitaire. Récemment, certains font valoir que ce n'est pas réellement le rôle de l'armée d'essayer d'encourager le développement. L'armée est sur place pour garantir la paix. Très souvent, nous mélangeons les deux. Qu'en pensez-vous?
Gén Hillier : À mon avis, c'est très simple, mais c'est peut-être plus facile à dire qu'à faire. Nous voudrions ne rien faire d'autre que des opérations purement militaires. Cependant, nous avons appris depuis longtemps qu'on ne peut résoudre une crise dans un État en déroute, un État défaillant ou un État fragile seulement par une action militaire. Nous avons également appris que les efforts de la communauté internationale — ces centaines d'organismes non gouvernementaux et d'organisations internationales — sont, au mieux mal organisés et au pire, incapables d'organiser ne serait-ce qu'une sortie aux toilettes.
Nous nous sommes rendu compte que sans nos efforts, parfois, sans les efforts de la communauté militaire générale et sans une planification coordonnée, le développement serait tellement long que les gens continueraient à souffrir et à mourir. Ceux qui ont cherché à déstabiliser ces pays ont alors encore plus de temps pour nuire. Par conséquent, il fallait intervenir d'une façon ou d'une autre.
La question est de savoir jusqu'à quel point. Quelle que soit la dynamique de notre tâche, nous préférerions un effort efficace et coordonné de la communauté internationale qui soit axé sur le développement dès que la sécurité le permet, mais ce n'est que le point de départ. On ne peut construire des écoles ou des cliniques, ni même des routes pour acheminer l'aide humanitaire ou évacuer certaines régions tant qu'une sécurité élémentaire n'existe pas. Une clinique médicale peut être construite un jour et détruite le lendemain faute de sécurité.
Nous savons que nous participons déjà à l'aide humanitaire. Nous préférons faciliter cette aide en assurant la sécurité. Nous savons que nous sommes engagés, dans certains cas, à fournir des soins de santé, parfois simplement parce que ces organisations internationales ne peuvent se rendre dans certaines régions. Nous voudrions faciliter l'acheminement de cette aide le plus tôt possible en assurant cette sécurité et cette protection, si vous voulez. Nous avons été conçus pour cela; nous avons les ressources qu'il faut. Nous n'avons pas la capacité d'assurer la sécurité et de garder les gens en vie et chez-eux tout en faisant du travail humanitaire et en leur offrant l'espoir d'un avenir meilleur.
C'est une question complexe; rien de tout cela n'est simple. En Afghanistan, il y avait plus de 1 500 ONG et organisations internationales différentes. Nous avons simplement essayé de synchroniser nos efforts avec les leurs de façon indirecte. Certains ont accepté d'y participer, d'autres n'ont rien voulu savoir et d'autres encore faisaient ce qu'ils avaient à faire sans se préoccuper de la coordination ou de la synchronisation. Nous avons observé la même situation dans les Balkans dans les années 1990. Parfois, l'armée a dû intervenir. Autrement, cela complique beaucoup notre mission d'assurer la sécurité; elle l'a rend parfois plus longue, voire parfois impossible.
Le sénateur Andreychuk : J'aimerais poser une autre question au gén Hillier au sujet du dilemme de l'approvisionnement militaire, surtout en Afrique, mais je crois que je devrais plutôt la poser à un ministre.
Le sénateur Dallaire : Bienvenue et félicitations, si je peux me le permettre, pour le leadership démontré par les Forces canadiennes grâce à vous. Tout le monde le dit. Bravo.
Gén Hillier : Merci, sénateur.
Le sénateur Dallaire : J'essaierais d'être bref. La brièveté doit être une de nos qualités, mais ce n'est pas tout le temps le cas.
La stratégie 20-20 est-elle encore un document de référence? Ces dernières années — du moins depuis que je suis parti, en 2000 — est-ce qu'on s'est davantage concentré sur les régions et sur le potentiel de nos forces armées dans les régions? Prenons l'Afrique, par exemple. Est-ce que l'Afrique y est mentionnée? L'Afrique est-elle une zone cible — et je ne le dis pas de façon péjorative — j'entends par là une région où nous pourrions intervenir et coordonner nos capacités, non seulement dans le domaine du renseignement, mais également en ce qui concerne nos connaissances linguistiques et culturelles, dans l'éventualité où nous participerions à des opérations qui ne correspondent pas exactement au maintien de la paix selon le chapitre 6?
Gén Hillier : D'abord, la stratégie 20-20 est toujours d'actualité.
Le sénateur Stollery : Nous ne sommes pas au comité de la défense. Personne ne sait ce dont il s'agit.
Le président : Sénateur, la stratégie 20-20 est un document stratégique approuvé par le gouvernement de l'époque et le ministère de la Défense nationale qui porte sur les orientations et les priorités à venir. Il est connu depuis presque quatre ou cinq ans.
Le sénateur Prud'homme : Ce document sera-t-il distribué?
Le président : Je serais heureux de le distribuer aux membres du comité.
Le sénateur Stollery : J'aime mieux que nous parlions tous la même langue.
Gén Hillier : Oui, il est toujours d'actualité, sénateur Dallaire, mais je dirais qu'il est de plus en plus dépassé par les événements des dernières années. Il serait peut-être utile de nous réaligner sur 20-20, de revoir nos interventions, guidées par la vision des Forces canadiennes sur la façon dont on peut au mieux produire des résultats et de définir ces résultats.
Il ne fait aucun doute que l'Afrique reste une priorité. Au sujet de votre première question, nous ne pouvons intervenir dans une région et nous concentrer sur notre travail là-bas lorsque nos ressources sont utilisées à l'extrême ailleurs, particulièrement les hommes et les femmes en uniforme de notre pays.
L'Afrique est toujours très importante à tous les points de vue, notamment dans le cadre de stratégie 20-20. Notre capacité d'en faire davantage es le défi que j'affronte quotidiennement car je dois m'assurer d'équilibrer le fardeau assumé par ces hommes et ces femmes en uniforme et le fardeau que le pays souhaite que nous assumions. Certains jours, c'est difficile.
Le sénateur Dallaire : Tout ceci m'amène à l'idée que l'Afrique, qui n'est pas nécessairement une priorité ou un des objectifs prioritaires, n'est pas nécessairement aussi représentative de nos priorités que d'autres régions. Pourtant, on y trouve un grand nombre des pays en conflit, notamment des pays frappés par des catastrophes humanitaires.
L'idée d'une force permanente en Afrique remonte à cinq ans. Il s'agissait pour les cinq sous-régions de l'Afrique de se doter d'une capacité, mais pour que cet objectif se concrétise, elles avaient besoin de l'aide de pays étrangers. Les Français, les Britanniques et les Américains y participent. Nous avons le programme d'aide à l'instruction militaire, le MTAP, qui n'est pas quelque chose de très important. Il est utile, mais à mon avis c'est un apport très modeste à la construction de structures militaires démocratiques et au renforcement des structures civiles.
Ne pourrait-on pas développer considérablement les capacités des instructeurs du MTAP pour qu'ils viennent directement renforcer la capacité permanente en Afrique et s'occuper finalement de choses comme la MUAS par exemple?
Gén Hillier : Oui, on peut certainement envisager toutes ces solutions. Le principal défi pour moi, c'est de faire tout cela à court terme.
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec la façon dont il me semble que vous voyez le MTAP. Je crois qu'il donne de bons résultats, que j'essaie de ne pas exagérer. Il y a un défi énorme d'un côté, et de l'autre un petit effort face à ce défi massif, mais c'est néanmoins un programme qui donne de bons résultats. Comme je l'ai déjà dit, nous allons former 300 militaires en dehors de l'Afrique cette année. Nous allons nous concentrer sur les pays de l'Union africaine qui jouent un rôle de chef de file et nous servir de cela pour obtenir de meilleurs résultats peut-être que d'autres nations.
Vous voulez savoir si nous pourrions examiner les questions dont vous avez discuté à propos de la force permanente en Afrique et commencer à déployer plus de notre personnel du MTAP dans le cadre du programme que nous avons lancé avec le Kenya, par exemple? La réponse est oui. Le grand défi, encore une fois, c'est de pouvoir le faire à court terme de manière significative.
Le sénateur Dallaire : En ce qui concerne le Darfour, il est absolument indispensable de pouvoir y déployer une équipe de combat des Forces canadiennes solide en cette période de crise.
J'aimerais poser une question particulière au sujet des Forces canadiennes et du maintien de la paix. À New York et ailleurs, on a eu l'impression que le Canada se retirait de ce domaine, comme en témoignait le fait que nous n'occupons pas de poste de haut niveau dans la hiérarchie et le commandement des forces de maintien de la paix. La mission au Congo avait réclamé un général trois étoiles et des forces armées, et nous avons refusé cette demande. On nous a aussi proposé d'envoyer des colonels au QG de l'ONU, mais nous ne le faisons pas nécessairement.
Est-ce que la raison pour laquelle vous ne pouvez pas apporter plus de connaissances, de compétences et d'expérience à des officiers supérieurs, des généraux ou des colonels occupant des postes élevés dans les organismes multilatéraux qui s'occupent de maintien de la paix et de règlement de conflits dans des régions comme l'Afrique c'est que vous n'avez pas suffisamment de généraux en particulier que vous pourriez former et employer dans ce genre de contexte?
Gén Hillier : Non, ce n'est pas une question de pénurie, car peu m'importe qu'il s'agisse d'un colonel ou d'un général si le travail se fait. C'est peut-être quelque chose à quoi l'ONU accorde plus d'importance si elle demande quelque chose de précis. De nombreuses autres institutions, organisations ou pays accordent plus d'importance au rang que nous.
Néanmoins, j'ai beaucoup de difficulté à l'heure actuelle à trouver des gens pour faire ce genre de travail. Permettez- moi de vous donner le contexte. J'expliquais ce matin à un groupe d'interlocuteurs que nous autres, dans les Forces canadiennes — et vous le savez mieux que bien d'autres, sénateur — sommes actuellement en train de transformer complètement tout ce que nous faisons. Nous repensons la façon dont nous organisons nos activités du maintien de la paix à l'imposition de la paix, la façon dont nous formons nos effectifs pour ce genre d'interventions; la façon dont nous organisons notre commandement et notre contrôle au niveau stratégique en faisant commander les opérations internationales par une personne qui détermine stratégiquement l'environnement au lieu de nous concentrer sur le Canada comme théâtre opérationnel; la façon dont nous attirons des recrues — de manière tout à fait révolutionnaire — nous recrutons de jeunes canadiens et nous les formons; et la façon dont nous gérons notre infrastructure. Le sénateur Andreychuk y a fait allusion. Nous sommes aussi en train de modifier nos procédures d'achat et la façon dont nous équipons nos hommes et nos femmes pour leurs activités.
Cela représente une demande colossale puisqu'en même temps nous menons des activités intenses dans diverses régions — notamment en Afghanistan — sur le plan international et que nous faisons des efforts pour nous préparer à toutes sortes d'activités au Canada. Citons par exemple des activités imprévisibles comme celles entraînées par les catastrophes naturelles ou les catastrophes causées par l'homme ou les activités prévisibles comme la préparation pour les jeux olympiques de 2010, à très courte échéance.
Depuis que je porte l'uniforme, jamais les dirigeants des Forces canadiennes n'ont été soumis à un tel stress et à une telle demande. Nous nous appuyons sur tout le monde, des jeunes officiers aux généraux les plus hauts gradés pour accomplir tout cela. Nous sommes actuellement à la limite.
À court terme, je vous répondrai donc que non, je ne peux pas. Je ne suis pas limité par la structure hiérarchique. Je suis simplement limité par le nombre de personnes que nous pouvons trouver au sein de ces forces et qui ont passé du temps à l'étranger, et je ne veux pas les briser parce que nous avons besoin de ces gens-là à moyen et à long terme pour assurer une saine direction des Forces canadiennes. Nous revoyons presque quotidiennement la question. Nous exigeons déjà beaucoup de nos dirigeants actuellement. Je pense que vous savez bien qu'on leur demande de faire beaucoup plus de choses qu'on ne l'a fait depuis bien longtemps.
Le sénateur Di Nino : Bienvenue, général Hillier. Nous devons vous adresser ainsi qu'aux hommes et aux femmes des Forces canadiennes notre profonde reconnaissance et nos remerciements pour le travail qu'ils accomplissent partout dans le monde, et notamment en Afghanistan.
Pour revenir un instant sur la RDC, j'étais avec le comité lorsque nous sommes allés au Congo. Ce qui se passe là- bas est bouleversant. Je comprends la frustration de mon collègue compte tenu de l'impact d'une telle visite sur nous en tant qu'êtres humains, du fait de parler à des gens, de les voir et de comprendre vraiment leur situation.
Il y a eu une chose en particulier qui m'a frappé quand nous faisions nos recherches. Nous avons rencontré le général pakistanais responsable du sud, Kivu, qui nous a dit sans ambages : « Je peux régler le problème; mais je n'ai ni le mandat ni les règles d'engagement pour le faire. »
Est-ce que c'est un problème qu'on rencontre quand on déploie des forces dans le cadre de l'ONU au sein de pays en conflit?
Gén Hillier : C'est une question importante. Premièrement, j'ai entendu le point de vue de nombreuses personnes à l'occasion de diverses missions. Dès que quelqu'un me dit : « Je peux régler le problème », et en général c'est : « Je peux le régler rapidement », mes antennes se dressent. Je n'ai jamais vu un problème qui pouvait se régler rapidement et facilement lorsqu'il s'agissait d'un état en déroute, d'un état non viable ou d'un état fragile où des millions de personnes étaient menacées de mort.
Nous avons régulièrement vu cela — quand j'étais en mission — chez les gens qui venaient voir la situation sur place. Au bout de 24 heures sur le terrain, ils avaient la réponse absolue et immédiate pour régler le problème, et invariablement ils se trompaient. Voilà ce que nous pensions. C'était ma première remarque.
Deuxièmement, il y a effectivement souvent un problème avec les mandats. Je n'ai jamais eu l'occasion de faire une mission où il y avait une parfaite concordance du mandat avec les contacts et la situation sur le terrain durant toute la durée de la mission. En général, il est difficile de modifier le mandat. Nous sommes souvent intervenus avec seulement le mandat du chapitre 6, par exemple, celui de l'autodéfense, et nous étions dans l'incapacité de faire d'autres interventions. Nous avons souffert de cette situation dans les Balkans au milieu et à la fin des années 1990, parce que notre mandat n'était pas adapté aux conditions et au contexte sur le terrain.
Nous constatons aussi que les frustrations sont exacerbées par des réserves formulées au niveau national. Certains pays acceptent la présence d'une mission de l'ONU, d'une coalition ou d'une mission de l'OTAN, mais en disant « À condition que ». Ils disent : « Vous n'avez pas le droit de sortir de telle région; vous ne pouvez pas tirer à balle réelle pour protéger des gens; vous ne pouvez pas faire de patrouille la nuit; vous ne pouvez pas faire toutes sortes de choses. » J'ai connu des cas d'unités dans le cadre d'opérations internationales qui pouvaient exécuter n'importe quelle mission qu'on leur confiait à condition de se cantonner au cadre sûr de leur camp de base et de ne pas en sortir. Malheureusement, c'est une réalité.
Je comprends assez bien la frustration et l'émotion de ce commandant lorsqu'il vous a dit cela, car il m'est probablement arrivé de dire le même genre de choses, même si j'aurais dû savoir qu'il valait mieux m'abstenir de dire des choses comme : « Je peux régler ce problème si j'ai le mandat et si j'ai la structure d'intervention voulue. »
Le sénateur Di Nino : À sa défense, général Hillier, il n'a pas dit qu'il pouvait le faire « rapidement » et il était là depuis longtemps; il était vraiment frustré. Merci de cette réponse.
Quand nous intervenons dans une région en conflit, vaut-il mieux le faire dans le cadre d'une force multinationale? L'intervention est-elle plus efficace s'il s'agit d'une force multinationale, ou vaudrait-il mieux faire intervenir des forces nationales plutôt que de mélanger des forces de cultures et de langues diverses?
Gén Hillier : Je vous répondrais sans hésitation et sans réserve : multinationale, de toute évidence.
Premièrement, nous sommes loin d'avoir la capacité voulue pour organiser une force nationale, la déployer à l'étranger et la maintenir dans le contexte d'un pays défaillant — parce que c'est ce que nous sommes en train de faire — ou d'un pays non viable. Nous ne pouvons pas nous appuyer sur l'infrastructure de cette société pour subvenir à nos besoins, organiser une mission et la mener à bien, réduire les risques pour les hommes et les femmes engagés dans cette mission, et rentrer chez nous sains et saufs. Vu la taille de nos forces armées, nous n'avons pas la capacité voulue pour le faire, sauf dans le cadre de certaines interventions ponctuelles très précises; par exemple, pour aider à évacuer des civils pris dans le feu d'une guerre quelconque. Là, nous pouvons peut-être jouer un rôle.
L'intervention multinationale est une arme à double tranchant. Au niveau le plus bas, nous préférons l'éviter, mais pas quand on parle d'unités d'environ 1 000 soldats, car à ce niveau-là les éléments sont formés sur une longue période aux compétences et aux tactiques nécessaires. Dans ce cas-là, c'est un peu comme une équipe de hockey — et le sénateur Mahovlich pourrait le confirmer — qui s'entraîne pour gagner la coupe Stanley et apprennent à savoir exactement à qui passer la rondelle à un moment précis parce qu'ils savent que ce joueur est là. C'est la même chose pour nos soldats.
En outre, il y a le pouvoir que représente le drapeau de cette force multinationale. C'est un signe d'entente et de force de la part de la communauté internationale qui montre aux habitants du pays où l'on intervient que la communauté internationale intervient de façon solidaire.
Deuxièmement, j'ai constaté que la plupart des pays qui effectuent ce genre de mission ont tendance à y envoyer leur meilleur effectif et leur meilleur équipement. Quand je me suis retrouvé commandant de division en Bosnie, j'avais le meilleur char d'assaut du monde, le Léopard, et le meilleur hélicoptère d'attaque, l'AH-64. De nombreux pays participaient à cette mission et ils voulaient tous mettre en valeur le meilleur de leurs effectifs militaires. Nous disposions donc d'une bonne capacité.
Troisièmement, de nombreux pays, y compris le nôtre, n'ont pas tout l'éventail des capacités requises, des troupes de combat à l'aviation en passant par le transport à grande distance, les installations médicales ou le renseignement, pour soutenir une intervention pendant une période prolongée. Mais certains pays ont une spécialité, par exemple ils peuvent fournir un hôpital d'appui ou un hôpital qui peut effectuer des interventions médicales et chirurgicales importantes. Le cadre multinational permet à de tels pays de fournir ce genre d'installations médicales.
Il y a d'autres exemples tout aussi importants pour n'importe quelle mission. Sans cela, on ne peut effectuer une mission avec une bonne probabilité de réussite en réduisant au minimum les risques que courent les hommes et les femmes qui y sont engagés.
Je crois que c'est Omar Bradley qui disait que la seule chose qu'il y avait de pire que de mener une guerre avec des alliés, c'était de la mener sans eux, parce que le contexte multinational s'accompagne de frustrations. On me demande toujours si le problème de la langue se pose dans les interventions multinationales, et je réponds que oui, c'est le cas. Le problème de la langue a toujours posé un défi important. Lors de mes missions, je n'ai jamais compris un seul mot prononcé par un soldat britannique. Mais j'ai toujours été fondamentalement pour les interventions multinationales.
Le président : L'expression, général Hillier, c'est « divisé par une langue commune ».
Le sénateur Downe : Je crois vous avoir entendu dire dans votre exposé que vous aviez entraîné dans le passé 190 représentants de l'Union africaine.
Gén Hillier : C'était l'an dernier.
Le sénateur Downe : Vous espérez en former 300. Vous avez une idée de ce que cela représente comparativement à d'autres pays?
Gén Hillier : Non. Je sais que les Français ont une présence importante en Afrique et qu'ils font le même genre de formation. Les Britanniques ont aussi une présence importante et nous travaillons avec eux, comme je vous l'ai dit, au Sierra Leone. Ils contribuent de façon importante à la mise en place de ces capacités. Je ne peux pas vous donner les chiffres en ce qui concerne les États-Unis là-bas, mais nous sommes un des principaux intervenants outre ces pays.
Le sénateur Downe : J'imagine que c'est l'Union africaine qui choisit ces gens-là. Est-ce que ce sont des militaires qui font partie de la force permanente de l'Union africaine ou est-ce qu'ils repartent dans leur pays après leur passage au sein de l'Union africaine?
Gén Hillier : Ils repartent dans leur pays. Ils ne restent pas dans les forces de l'Union africaine. Si nous entraînons des officiers du Kenya, par exemple, ce sont des officiers militaires kényans qui travaillent pour leur pays.
Nous avons essayé d'organiser le programme de façon à en tirer le plus de valeur possible à court terme. Nous avons envoyé une petite équipe — juste quelques personnes — au siège de la mission de l'Union africaine pour faire un tour d'horizon avec le commandant et chef d'état-major et leur demander quelles étaient leurs faiblesses au niveau de la mission au Darfour et de quelle aide ils avaient besoin. L'idée était d'essayer d'adapter le plus fidèlement possible à leurs besoins ce que nous pouvions leur offrir. C'est ce que nous avons fait récemment et ce que nous faisons encore cette année. Nous avons adapté certains cours avec le Centre Lester B. Pearson pour la formation en maintien de la paix. Nous nous sommes servis de notre propre centre de formation à Kingston pour cela en partie, et aussi de nos propres cours à l'intention du personnel et d'autres mécanismes. Nous essayons de faire du sur mesure. Il s'agit d'officiers de divers pays, mais nous essayons de nous concentrer sur ceux qui sont en mission dans le cadre de l'Union africaine.
Le sénateur Downe : Combien de temps dure la formation? Est-ce que ces 300 personnes viennent passer trois mois au Canada?
Gén Hillier : Ce n'est pas uniforme. Il y a en qui peuvent passer 10 mois ici en formation linguistique. D'autres vont venir suivre un cours de trois mois à Kingston. D'autres encore vont peut-être rester seulement deux semaines au Centre Lester B. Pearson pour la formation en maintien de la paix ou pour suivre notre cours d'observateur militaire à Kingston. Cela peut dont aller de quelques semaines à peut-être un an.
Le sénateur Downe : Avant de venir ici, avez-vous prévenu le Bureau du Conseil privé ou le Cabinet du premier ministre?
Gén Hillier : Prévenu de quoi, sénateur?
Le sénateur Downe : Que vous alliez comparaître ici aujourd'hui?
Gén Hillier : Franchement, je ne sais pas. Je n'ai prévenu personne. Je ne sais pas si quelqu'un dans mon entourage à juger qu'il fallait le faire, mais j'en doute.
Le sénateur Downe : Savez-vous si vos remarques ont été envoyées au Bureau du Conseil privé ou au Cabinet du premier ministre avant que vous veniez nous les présenter ici aujourd'hui?
Gén Hillier : Sénateur, je ne pense pas que le premier ministre ait le temps de lire mes remarques. Quant à moi, j'ai à peine le temps de les formuler. Non, sénateur. Ce n'est pas le cas.
Le président : Je me dis que les propos que vous venez de tenir devaient être très secrets jusqu'à ce que vous les prononciez, n'est-ce pas?
Gén Hillier : Il se peut que j'ai moi-même été tenu à l'écart du secret jusqu'à maintenant.
Le sénateur Prud'homme : Général Hillier, j'ai été président du Comité de la défense nationale et des affaires étrangères de la Chambre des communes pendant plus de 10 ans sous le gouvernement du premier ministre Trudeau. J'ai fait partie du Prévôté, de sorte que j'ai l'habitude de propos incendiaires.
Je ne suis pas membre régulier de ce comité mais comme je lui porte un vif intérêt, je vais faire deux remarques. Je tiens à ce qu'elles soient bien comprises. Voilà pourquoi je parlerai en anglais, même si je serais plus précis en français.
Étant donné que les gens sont de plus en plus susceptibles en général, et certains davantage en particulier, serait-il possible que nos hauts gradés évitent ce que je qualifierais de propos incendiaires s'agissant de nos ennemis, car pour ma part j'estime que cela serait très bénéfique. Parfois, une ou deux paroles peuvent engendrer de graves problèmes. Il faut se rappeler que la réputation du Canada est en cause. Soudainement, on s'aperçoit que le Canada utilise des propos incendiaires. Cela se passe d'explications.
En tant que militaire haut gradé, je vous respecte. J'espère que toute critique, tout débat concernant votre rôle, quel qu'il soit, mais plus particulièrement en ce moment en Afghanistan, ne sera jamais interprété par nos troupes comme un manque d'appui à nos militaires. Cela exige beaucoup de sensibilité et de souplesse de votre part — et la hiérarchie — pour veiller à ce que le message soit compris. D'aucuns — et je n'en suis pas — peuvent critiquer le rôle que nous jouons en Afghanistan. Je le répète : ce n'est pas mon cas. C'est ma première remarque.
Ma deuxième remarque concerne une discussion que j'ai eue autrefois. Je la reprendrai avec certains membres de votre personnel que vous me permettrez de rencontrer. L'Afrique m'intéresse vivement mais je croyais que le rôle du Canada en Afrique et en Asie devait passer par la formation de personnel chevronné au Canada et par toute mesure susceptible de moderniser la population en Afrique. Je ne veux pas contrarier le sénateur Dallaire, qui a fait un travail merveilleux et inouï dimanche soir à Québec, devant un auditoire de plus de 2 millions de personnes. Sénateur, mes salutations.
[Français]
Moi, je suis du « Québecistan ».
[Traduction]
Dites-moi si vous avez l'intention, à l'avenir de consolider l'Union africaine afin qu'elle puisse s'occuper de la situation en Afrique et, à l'avenir également, d'offrir le même genre d'entraînement militaire en Asie. D'aucuns diront que cela a une connotation raciste, mais la nature humaine étant ce qu'elle est, ce serait peut-être la meilleure solution. Je compte sur vous pour désigner la personne compétente qui me permettra de poursuivre ma réflexion. Je vous remercie.
J'espère que vous transmettrai mon message afin qu'on intensifie les efforts dans ce sens.
Le président : Général Hillier, avant que vous ne répondiez, je dois dire que quatre autres membres du comité veulent vous poser des questions pendant le temps qui nous reste. Permettez-vous à mes collègues de poser leurs questions auxquelles vous pourrez répondre ensuite, afin qu'ils puissent participer à nos délibérations tout en respectant le temps que vous avez partagé si généreusement avec nous aujourd'hui? Si vous le voulez bien, je vais vous donner la parole au sénateur De Bané, dont le nom est sur la liste.
[Français]
Le sénateur de Bané : Monsieur le chef d'état-major de la Défense, j'aimerais d'abord vous dire mon admiration pour nos troupes qui sont sous votre commandement et qui font un travail extraordinaire. Vous leur apportez un leadership exceptionnel et je tiens à vous dire toute mon estime et mon admiration.
Deuxièmement, je m'incline devant les femmes et les hommes de mon pays qui ont été blessés ou qui ont fait le sacrifice ultime pour la défense des idéaux de notre pays.
[Traduction]
Comme vous le savez, nous faisons actuellement une étude sur l'Afrique. La pauvreté sur ce continent est en progression non seulement en chiffres absolus, mais également en pourcentage. Plus de 50 p. 100 de la population vivra en-dessous du seuil de la pauvreté dans quelques années. Cela est très troublant. On trouve une explication à cela dans le grand nombre de conflits qui opposent là-bas diverses factions. Bien entendu ces guerres ne pourraient pas être menées si des gens ne vendaient pas des armes aux divers groupes qui s'opposent sur ce continent.
Je me dis qu'un organisme du gouvernement du Canada, l'ACDI, dépense des milliards de dollars là-bas annuellement. Par ailleurs, d'autres organismes, de notre gouvernement ou de celui de nos alliés, ne voient pas d'inconvénients à leur vendre des armes. Depuis 1945, il y a eu de 500 à 600 guerres en Afrique.
L'ex-général Dallaire, désormais mon collègue, a dit à la population canadienne qu'un fonctionnaire d'un pays ami avait posé la question suivante : « Y a-t-il du pétrole dans tel ou tel État d'Afrique? Non. Alors, ne nous en soucions pas. Il n'a pas d'importance stratégique.
Général Hillier, vous avez un réseau qui vous permet de faire une analyse politique de ce continent, et des autres. Le Canada devrait assumer un rôle de chef de file non seulement pour offrir des idées en ce qui concerne la stratégie militaire mais également pour conseiller le gouvernement quant aux politiques qu'on devrait mettre en œuvre pour aider à développer ce continent. Je vois trois causes essentielles qui expliquent la pauvreté en Afrique : il y a des causes qui sont liées aux Africains, des causes qui sont liées à la communauté internationale et des causes qui sont liées au Canada.
Vu que vous faites partie d'un réseau avec d'autres pays amis, ne pensez-vous pas que le Canada devrait prendre des mesures pour mettre un terme à ces guerres qui constituent un empêchement majeur au développement économique du continent.
Le sénateur Mahovlich : Général Hillier, le voyage que j'ai fait en Afrique l'année dernière m'a amené dans la partie la plus sombre du Congo. J'ai constaté qu'il n'y avait pas là de volonté politique. Je ne sais pas si l'envoi de troupes là- bas est la bonne solution. Y a-t-il un pays que vous pourriez nommer où une intervention militaire était la bonne solution?
Le sénateur Smith : Ma question va dans le sens de celle du sénateur Mahovlich. Je souhaiterais connaître votre opinion sur le Soudan et la situation au Darfour. Je pense que c'est un exemple frappant d'États non viables. Je sais que certains Canadiens pensent que nous avons un rôle à jouer là-bas.
Il y a eu des atrocités abominables et des gens de certaines races et de certaines religions, établies là-bas depuis des centaines d'années, ont été déracinées et vivent désormais dans des camps de réfugiés. En l'absence d'une volonté ou d'une détermination pour remédier aux atrocités abominables qui sont à la source de la situation actuelle, ne risquons- nous pas, si nous allons là-bas — compte tenu du fait qu'on ne veut que la présence des pays de l'Union africaine et pas la nôtre — de perpétuer les atrocités passées plutôt que de mettre en œuvre avec bonheur un effort ou un plan pour rétablir les droits de ces gens qui, selon l'opinion de presque tous, ont été violés.
Quel est votre sentiment face à une intervention éventuelle dans une telle situation? Quelle est votre réaction quand les gens discutent d'une telle proposition?
[Français]
Le sénateur Dawson : Vous avez souligné plus tôt que contrairement à la croyance populaire, on ne forme plus les soldats pour faire la guerre mais pour maintenir la paix. Est-ce que vous pouvez nous donner un exemple où un changement dans l'entraînement d'un militaire fait en sorte qu'une grande partie de nos soldats sont dans une mission de maintien de la paix et non plus dans une guerre traditionnelle?
Les protagonistes, en Afrique ou ailleurs, ne sont plus maintenant des pays en combat; ce sont souvent des pays quasiment en guerre civile. Et le rôle du Canada n'est pas nécessairement de prendre part pour l'un ou l'autre des intervenants. Il essaie d'encourager et de maintenir la paix. De quelle façon forme-t-on les soldats pour reconnaître cette nouvelle réalité?
[Traduction]
Le sénateur Stollery : Je voudrais vous poser une question technique. Je me suis intéressé, comme d'autres, au programme d'enseignement dispensé au Collège militaire royal. Comme vous le savez, j'ai passé ma jeunesse aux côtés des armées coloniales en Afrique, avec les français et les britanniques. Je ne puis trouver nulle part de cours de contre- insurrection, une discipline que je connais bien. Est-ce que je me trompe?
Le président : Général Hillier, on vous a posé toute une gamme de questions d'ordre théorique, géopolitique et militaire. Je vous souhaite du succès dans votre réponse.
Gén Hillier : En effet, c'est une vaste gamme de questions, mais heureusement, je ne pourrai pas y répondre car je manque de temps, puisqu'il est 18 heures.
Je vais commencer par la question du sénateur Prud'homme. En guise de réponse, je ferai quelques commentaires. Vous me demandez si le débat entourant notre mission en Afghanistan porte nos soldats à croire qu'ils ne sont pas appuyés.
Sénateur, ce risque existe toujours. Les gens sont humains. Départager le bon grain de l'ivraie est difficile quand on participe à une mission délicate et qu'on doit se soucier de comprendre sur quoi porte le débat. Ils n'obtiennent que des bribes dans les médias. Les soldats qui sont déployés pendant 30 à 45 jours loin du camp n'apprennent pas grand chose. L'information qui leur parvient est fragmentée. Effectivement, il arrive que c'est le cas.
Selon moi, cela est contrebalancé magnifiquement par, premièrement, vos paroles d'appui ici. La manifestation en rouge qui s'est déroulée vendredi sur la Colline parlementaire a été diffusée en Afghanistan — et croyez-moi, cela a fait boule de neige. Ce genre d'événement aide à équilibrer les choses dans l'esprit de nos soldats de qui nous exigeons beaucoup et dont nous attendons énormément pour notre nation. Ils sont réconfortés à l'idée que les Canadiens les appuient. Le débat entourant la mission est juste et libre. Nous avons passé notre vie en uniforme pour défendre cette valeur. Il y a très peu de pays qui peuvent en faire autant.
Dans le cadre du programme d'aide à l'entraînement militaire, nous entraînons des gens ici au Canada pour diverses missions, en Afrique et en Afghanistan mais aussi dans d'autres pays. Toutefois, l'entraînement que nous prodiguons ici est équilibré quand nous faisons venir des gens au Canada dans notre société et dans notre contexte. Il y a des avantages à ce qu'ils soient confrontés à des valeurs et à une société différente. Une des conséquences, si nous ne sommes pas prudents, est le risque d'un exode massif une fois qu'ils rentrent chez eux. Nous l'avons constaté par le passé. Ce n'est pas un grand nombre mais il y en a qui viennent ici et qui ne veulent pas retourner dans une société appauvrie et une armée qui doit faire face à une tâche difficile.
Nous avons également constaté que parfois l'impact est plus positif quand un plus grand nombre sont entraînés sur place, quand nous allons donner un cours chez eux ou dans une zone de mission. Nous l'avons fait mais pas assez fréquemment. Je dirais qu'il faudrait le faire plus souvent.
Vous avez dit que les guerres étaient source de pauvreté et qu'elles signifiaient la vente d'armes. Des armes qui sont gratuitement disponibles en Afrique — et actuellement plus particulièrement en Afghanistan — aboutissent directement à la mort de jeunes Canadiens.
Nous constatons que la grande quantité d'armes qui provient des pays de l'ex-pacte de Varsovie est la cause de meurtres et de destruction et de mutilations massives ce qui est source de pauvreté. Les principales armes qui font des victimes humaines actuellement sont les centaines de milliers de petites armes — AK47, et les munitions en quantité illimitée assorties à toutes sortes d'autres armes rendent cette machine de guerre encore plus meurtrière. Par exemple, l'Afghanistan est inondé d'armes qui proviennent de pays de l'ex-pacte de Varsovie et de l'époque soviétique. En Afrique, vous avez sans doute pu le constater vous-même quand vous y êtes allé.
Le Canada peut-il assumer un rôle dans l'élaboration d'une stratégie d'aide et dans la prise de mesures militaire à l'échelle internationale pour qu'il y ait un meilleur dispositif en place dans les États non viables ou les États en déroute ou fragiles, là où les gens souffrent énormément? Je pense que oui. Toutefois, pour ce faire, il faut asseoir notre crédibilité sur notre force militaire. Les Forces canadiennes, de l'opinion de pays alliés et amis, que nous côtoyons dans le contexte international, n'ont pas été considérées comme totalement crédibles ces dernières années. Ce qui s'est produit en l'occurrence a limité notre capacité à donner des conseils et à orienter les choses de façon à les infléchir sur le plan international et à influencer amis, alliés, ex-ennemis et ex-ennemis potentiels.
Nous sommes actuellement en train de reconstruire les Forces canadiennes. Nous venons de commencer le processus, et une partie du travail consiste à rétablir la crédibilité de l'institution. Il faudrait préciser que je parle bien de la crédibilité de l'institution non pas de nos militaires qui sont respectés à travers le monde en raison de leur professionnalisme et leur compétence. Il ne fait aucun doute que nous sommes engagés.
Sénateur Mahovlich, je ne crois pas, je le répète qu'on ait jamais pu résoudre un conflit en s'appuyant exclusivement sur une solution militaire. Une intervention militaire est simplement un facteur qui facilite la reconstruction d'un pays. Quand nous sommes en mission, dans la République démocratique du Congo, au Soudan ou en Somalie, outre nos opérations de sécurité, nous participons à la reconstruction du pays, ce qui veut souvent dire que nous participons à l'établissement d'un gouvernement qui n'est pas totalement corrompu. Nous participons à la formation des forces de l'ordre, à la mise en œuvre d'un système de justice basé sur la primauté de droit, et à la construction de l'infrastructure pour soutenir un développement économique de base. Si nous ne faisons pas cela, nos opérations militaires seront vouées à l'échec. Le temps passera, la population perdra patience et commencera à nous voir simplement comme une partie du problème.
D'après moi, nous pouvons offrir trois sortes de sécurité aux pays comme les Balkans et l'ex Yougoslavie. Il y a d'abord la sécurité psychologique; lorsque les forces armées arrivent au pays, la population voit qu'elle n'aura pas à traverser les moments les plus difficiles de sa vie seule. Nous offrons l'espoir que la situation pourra s'améliorer. En ce moment, nous essayons d'offrir de l'espoir aux millions d'Afghans pour qu'ils puissent entrevoir la lumière au bout du tunnel. Il s'agit là de ce que nous appelons la sécurité psychologique.
Deuxièmement, une force militaire peut assurer la sécurité à court terme, c'est-à-dire, la cessation des hostilités majeures. Cependant, le facteur le plus important pour assurer une paix durable est l'établissement de la primauté du droit. À cette fin, nous faisons appel à d'autres intervenants, car il ne s'agit pas là de notre mandat principal. Il est question de former les corps policiers, de bâtir l'économie et d'introduire la bonne gouvernance.
Nous pensons que nous faisons des progrès minimes en Bosnie. En Croatie, cependant, ces efforts ont donné de bien meilleurs résultats. Nous faisons des progrès dans d'autres pays aussi, mais nous ne pouvons jamais garantir la réussite de nos missions.
Nous ne pensons pas qu'une intervention militaire soit une solution en soi. Une fois la sécurité assurée, nous pouvons intervenir et franchir d'autres étapes. Si celles-ci ne se déroulent pas de façon efficace, nous allons rater le coche et on nous tiendra responsables. C'est ce qui s'est passé au milieu des années 1990 en Bosnie avec les Forces canadiennes et onusiennes, parce que nous n'avons pas réussi à franchir ces étapes.
Sénateur Smith, vous avez demandé s'il était utile d'envoyer des forces canadiennes dans des États non viables ou en déroute. Y a-t-il des conditions préalables pour de telles missions? Eh bien, à moins que la mission consiste à envahir le pays en question, et qu'il y ait déjà un plan pour instaurer un gouvernement qui suive les étapes que j'ai évoquées en répondant à la question du sénateur Mahovlich, il est primordial de conclure un accord politique avant d'entrer dans le pays, autrement, ce sera une perte de temps et, pire encore, une perte de vies humaines.
Une force militaire n'est jamais jugée impartiale. Dès la première journée, on sera perçu par les diverses factions soit comme un ennemi soit comme un défendeur de leur cause. C'est l'attitude que nous avons rencontrée lors de chaque mission. Si nous ne faisons pas certaines choses, on nous accuse de privilégier les intérêts d'un groupe par rapport à l'autre; et si nous en faisons, on nous perçoit comme un ennemi.
Un règlement politique vraiment viable est la condition préalable à presque toutes les interventions des Forces canadiennes. Sans cela, nous n'avons presque aucune chance de réussite.
En ce qui concerne la préparation et la capacité de nos troupes, leur formation et préparation pour toute une gamme d'opérations, nos forces armées, même si leur capacité est réduite, sont parmi les seules au monde qui sont capables d'effectuer toute cette gamme d'opérations. Premièrement, nous donnons des cours de survie à nos militaires, hommes et femmes car si ne savons pas comment survivre dans un environnement hostile nous ne pourrons pas mener à bien la mission. Nous les formons pour faire face aux combats les plus intenses que nous pouvons anticiper dans les endroits où nous menons nos opérations.
Deuxièmement, nous les entraînons à faire de la dissuasion, et ceci dans l'idée que nous ne voulons surtout pas user de violence ou tuer des gens pour parvenir à nos fins. Cette forme de dissuasion prend beaucoup de formation et d'éducation, et cela ne se passe pas au Collège militaire royal du Canada, sénateur, car le collège est surtout destiné aux officiers subalternes. Entre autres, nous leur enseignons la dissuasion lors du programme de formation d'été. C'est ainsi qu'ils peuvent aider à mettre en œuvre un règlement politique empêchant une reprise de la violence ou des hostilités, et cetera. Nous les formons afin qu'ils soient préparés, dans l'éventualité que la situation se dégrade tout d'un coup et qu'ils sont plongés dans un démêlé violent, à combattre pour gagner parce que ce n'est pas le moment pour eux d'arriver en deuxième place.
Nous croyons, comme nos opérations l'ont démontré en pratique, que ces jeunes hommes et ces jeunes femmes, avec un bon leadership, qui est fantastique au niveau des grades moyens et des officiers, sont capables d'exécuter toutes une gamme d'opérations.
Tout cela sert à former de bons soldats de l'armée de terre, de l'air ou de la marine dans la mesure où ce sont de bonnes personnes et de bons Canadiens. Immédiatement avant de les envoyer en mission, nous les formons spécialement pour cette mission. C'est notre seule façon de procéder. S'il s'agit d'une mission en vue du maintien de la paix, nous cherchons les moyens de participer à la solution, d'empêcher la reprise de la violence, d'aider les intervenants politiques à faire leur travail pour remettre le pays sur pied. Les missions différentes exigent des cours de formation différents. Nous croyons que notre solution est assez bonne mais nous ne voulons pas nous reposer sur nos lauriers parce que nous apprenons des choses nouvelles à chaque heure de chaque jour. À présent, nous cherchons à apprendre les leçons recueillies au cours de nos observations, et nous pensons que nous faisons du progrès.
Le président : Général Hillier, vous nous avez accordé plus de temps que prévu. Nous vous remercions de votre générosité.
Général Hillier, nous tous, nous vous prions de communiquer aux hommes et aux femmes qui relèvent de votre commandement, le grand respect, la grande admiration et la reconnaissance que nous avons pour le travail qu'ils font.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.