Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 8 - Témoignages du 6 décembre 2006
OTTAWA, le mercredi 6 décembre 2006
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 16 h 5 afin d'examiner, pour en faire rapport, l'évacuation des citoyens canadiens du Liban en juillet 2006.
Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : J'aimerais souhaiter la bienvenue aux sénateurs et à nos invités à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous poursuivons aujourd'hui notre examen de l'évacuation des citoyens canadiens du Liban l'été dernier. Les sénateurs se souviennent que le ministre MacKay a comparu le 1er novembre dernier pour discuter des aspects politiques de cette intervention extraordinaire. Aujourd'hui, nous allons nous pencher sur le déroulement de l'évacuation, entre autres sujets, afin d'obtenir des précisions sur l'état de préparation de l'ambassade du Canada au Liban lors du déclenchement de la crise, l'efficacité des décisions prises et les défis qu'a posés l'évacuation.
Nous accueillons maintenant les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI), de Citoyenneté et Immigration Canada et du ministère de la Défense nationale (MDN). Ces ministères ont été les principaux intervenants dans l'évacuation et, selon les renseignements dont nous disposons, c'est le ministère des Affaires étrangères qui a dirigé l'essentiel des opérations.
Nous recevons aujourd'hui deux fonctionnaires du MAECI qui ont déjà comparu avec le ministre : Peter Boehm, sous-ministre adjoint, Amérique du Nord et Affaires consulaires, et Robert Desjardins, directeur général de la Direction générale des affaires consulaires.
Notre témoin de Citoyenneté et Immigration Canada est Daniel Jean, sous-ministre adjoint, Opérations.
Du ministère de la Défense nationale, nous accueillons le brigadier général J.Y.R.A. Viens, directeur général, Plans, État-major Interarmées Stratégique, et le major général J.P.Y.D. Gosselin, directeur général, Politique de sécurité internationale.
Nos collègues du MAECI nous livreront d'abord un exposé liminaire au nom des trois ministères et nous aurons ensuite la possibilité de poser des questions à tous nos invités. Bienvenue et merci de vous être joints à nous. Nous apprécions que vous ayez pris le temps de venir nous rencontrer malgré votre emploi du temps très chargé.
[Français]
Peter Boehm, sous-ministre adjoint, Amérique du Nord (et Affaires consulaires), Affaires étrangères et Commerce international Canada : Monsieur le président, c'est avec plaisir que je me présente accompagné de mon collègue M. Robert Desjardins, directeur général des affaires consulaires. Je suis aussi accompagné de M. Daniel Jean du ministère de Citoyenneté et immigration, de M. André Viens, brigadier général et M. Daniel Gosselin, major général, tous deux du ministère de la Défense nationale.
L'honorable Peter MacKay, ministre des Affaires étrangères et Commerce international Canada, a comparu devant votre comité le mois dernier et a donné un aperçu général de l'évacuation et des efforts concertés accomplis par le gouvernement du Canada pour mener à bien une entreprise fort difficile.
Mes propos d'aujourd'hui porteront sur les opérations proprement dites qu'a comporté cet effort sans précédent auquel nous avons consenti pour aider et protéger les Canadiens qui se sont trouvés en danger au Liban en juillet 2006.
En tant de sous-ministre adjoint responsable des services consulaires et chargé de l'Amérique du Nord, j'ai joué un rôle central tout au long de la crise. J'ai aussi participé à tous les aspects opérationnels de l'évacuation. De même, en plus de présider toutes les réunions du Groupe de travail interministériel, je suis resté en communication constante avec le Centre des opérations d'urgence d'Affaires étrangères et Commerce international Canada ouvert en permanence 24 heures sur 24. Le Centre a servi de point de convergence à la coordination des activités d'évacuation, aussi bien à l'étranger qu'au Canada. J'étais en contact presque quotidiennement avec les chefs des cellules de crise des États-Unis, du Royaume-Uni de la France, de l'Allemagne et de l'Australie, de même qu'avec d'autres ministères des Affaires étrangères et leurs ambassadeurs à Ottawa.
Avec eux j'ai échangé des vues et de l'information sur l'évolution de la situation et les options, ainsi que sur les possibilités de venir en aide conjointement à leurs ressortissants au Liban.
[Traduction]
Monsieur le président, je voudrais commencer par mettre le comité au courant de la planification d'urgence et des préparatifs auxquels se livre le ministère pour pouvoir aider les Canadiens en temps de crise ou de catastrophe, et de sa capacité de le faire.
En 2005, le ministère s'est occupé de 68 nouveaux cas de catastrophes naturelles et de 25 nouveaux cas de cataclysmes civils. La Direction générale des affaires consulaires du ministère a géré avec succès 24 p. 100 de plus de situations de détresse en 2005 qu'en 2004. Cela vaut pour les catastrophes naturelles (93 cas), les décès à l'étranger (870 cas), les enlèvements d'enfants (95 cas), les évacuations médicales (31 cas), les familles en détresse (216 cas) et les évacuations (8 cas). Je tiens à souligner que plus d'une personne ont pu être touchées dans chaque cas, en particulier dans les cas de catastrophes naturelles et civiles, de familles en détresse et d'évacuations.
Cela dit, l'évacuation des Canadiens du Liban est de loin l'opération la plus vaste et la plus réussie jamais entreprise et ce, sans accès aux ressources et aux moyens dont disposaient d'autres pays, tels les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Au début de la crise, un navire de la Marine française se trouvait amarré dans le port de Beyrouth, de sorte que la France a pu évacuer immédiatement un grand nombre d'enfants et de parents. Pour ce qui est des États-Unis et du Royaume-Uni, ceux-ci ont coordonné leurs opérations d'évacuation militaires depuis Chypre, où se trouve une base navale britannique.
Les premières personnes évacuées ont été des Américains transportés vers Chypre à bord d'hélicoptères de l'Armée américaine, conçus pour 20 passagers. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont surtout eu du mal à affréter les avions nécessaires au transport des personnes évacuées de Beyrouth par la voie des mers. Par conséquence, ces personnes ont dû séjourner environ 72 heures dans des centres d'accueil bondés. À une occasion, j'ai cependant pu communiquer à mon homologue du Département d'État les renseignements nécessaires pour affréter des avions excédentaires.
Une des premières mesures que prend le MAECI en réaction à une crise émergente consiste à consulter le plan consulaire d'urgence relatif au pays ou aux pays en cause. Actuellement, le MAECI a 253 plans consulaires de pays, y compris des plans pour chacune des missions du Canada et des États-Unis.
Ces plans consulaires sont des bases de données préparées et mises à jour régulièrement, qui constituent le point de départ de la mise au point d'une stratégie devant permettre de répondre à divers types de crises et qui incluent notamment la taille et le lieu de séjour de la communauté canadienne, la vulnérabilité aux catastrophes d'origine naturelle ou humaine, les capacités d'intervention locales et le recensement des itinéraires et des options possibles au cas où l'évacuation serait nécessaire.
Dans le cas du Liban, le 13 juillet, le plan consulaire d'urgence et le registre des Canadiens présents dans le pays ont été examinés et ont révélé des options concernant une stratégie visant à communiquer des informations et apporter assistance aux Canadiens dans un contexte de sécurité qui se détériorait rapidement. En moins de deux jours, après le bombardement de l'aéroport de Beyrouth et la destruction des infrastructures terrestres et des ponts, il est devenu évident que le seul moyen viable et sûr de quitter la zone des combats pour les Canadiens était la mer.
Je voudrais souligner qu'une série de facteurs interreliés ont compliqué encore l'exécution d'un plan déjà fort difficile à réaliser. Ces facteurs sont le blocus aérien et maritime israélien, la détérioration des réseaux de communication au Liban, les sérieuses lacunes de l'infrastructure portuaire libanaise, la forte demande internationale visant les capacités commerciales maritimes et aériennes à utiliser immédiatement, et la distance entre le Canada et le Liban.
[Français]
Il était également évident, alors qu'un peu plus de 11 000 Canadiens étaient inscrits au registre de l'ambassade du Canada à Beyrouth, que la communauté canadienne au Liban était en réalité environ quatre fois plus nombreuse, soit de l'ordre de 40 000 à 50 000 personnes. Le 17 juillet, le nombre des inscriptions avait doublé pour atteindre 22 000 et, au plus fort de la crise, environ 39 100 Canadiens avaient fait enregistrer leur présence au Liban.
Le 12 juillet, Affaires étrangères et Commerce international Canada a commencé à adresser une série de messages électroniques et téléphoniques aux Canadiens enregistrés et à afficher des informations sur le site web consulaire pour mettre les Canadiens au courant des dernières nouvelles, y compris les options relatives au départ. Les messages aux Canadiens enregistrés comportant les plus récentes informations ainsi que les publications sur le site web ont continué d'être envoyés tout au long de la crise à raison de tous les deux jours ou plus souvent au besoin.
Le ministère a collaboré étroitement avec le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration pour assurer la cohérence des messages. Le site web de Citoyenneté et Immigration Canada, dont la première page comportait un lien vers une section consacrée à la crise, a été continuellement mis à jour et pourvu des dernières informations, y compris une foire aux questions à l'intention des clients.
La première séance du groupe de travail interministériel a eu lieu le 15 juillet et a réuni des ministères et organismes de toute l'administration publique, y compris les Affaires étrangères et commerce international Canada, le Bureau du Conseil privé, l'Agence canadienne de développement internationale, le ministère de la Défense nationale, Citoyenneté et Immigration Canada, Sécurité publique et Protection civile Canada, le Service canadien du renseignement de sécurité et l'Agence des services frontaliers du Canada.
Le groupe de travail a continué de se réunir tout au long de la crise avec la participation par téléconférence de Beyrouth, de Chypre et de la Turquie et la présence du ministre MacKay.
[Traduction]
Le 15 juillet, le centre des opérations d'urgence du MAECI a été agrandi et pourvu d'un centre d'appels de crise et d'un centre de liaison avec les familles. Il s'est occupé de tous les appels et les courriels relatifs à la crise, notamment en réacheminant les communications vers notre ambassade à Beyrouth ici à Ottawa. Deux cent quinze volontaires qualifiés du MAECI ont créé un système de roulement pour pouvoir répondre 24/7 au 45 323 appels téléphoniques et aux près de 13 000 courriels en plus de passer plus de 30 000 appels à des Canadiens au Liban et à des parents et amis au Canada, pour fournir des informations et pour confirmer les heures de départ des navires.
Le centre de liaison avec les familles s'est occupé des affaires consulaires individuelles, comme le cas des enfants mineurs qui étaient au Liban en visite chez des membres de la famille alors que leurs parents étaient au Canada, les Canadiens ayant des « besoins spéciaux » (ayant une déficience physique ou ayant des problèmes de santé et nécessitant des traitements), en informant les familles et les amis du départ et de l'arrivée des évacués, et cetera.
Il a aussi coordonné les renseignements sur des cas particuliers avec les centres de réception à Chypre et en Turquie, où Citoyenneté et Immigration Canada assurait sur place l'évacuation médicale et la coordination des traitements pour veiller à ce que ceux qui voyageaient soient en état de le faire du point de vue médical. Il a fallu coordonner la transmission des renseignements et communiquer une information exacte à Sécurité publique et préparation civile Canada pour que le soutien nécessaire soit prêt à l'arrivée au Canada. Au total, le centre de liaison avec les familles a géré environ 175 cas individuels, en plus d'appuyer l'ensemble de l'opération d'évacuation.
Le 16 juillet, un plan d'évacuation a été dressé et présenté à une séance du groupe de travail interministériel présidé par le MAECI. Les premiers contrats de transport maritime et aérien ont été négociés, et le premier départ de Beyrouth a eu lieu le 19 juillet, emportant 308 passagers qui sont arrivés à Larnaka, à Chypre, aux premières heures du matin du 20 juillet. Au cours des neuf jours suivants, soit jusqu'au 29 juillet, 31 traversées au départ de Beyrouth et une autre en provenance de Tyr ont été effectuées et ont permis de transporter 11 905 évacués en lieux sûrs : 8 686 sont arrivés à Chypre et 3 219 en Turquie.
Je dois signaler que chaque traversée à destination et en provenance du port de Beyrouth nécessitait l'autorisation préalable des autorités militaires israéliennes. À cet égard, le bureau de l'attaché militaire canadien à notre ambassade à Tel Aviv était chargé de coordonner les demandes de sauf-conduits, qui ne pouvaient être présentées que 24 heures avant la traversée prévue. Une fois les sauf-conduits obtenus, nous disposions d'un court délai pour les transmettre aux compagnies de fret maritime, qui préparaient alors les itinéraires et les horaires en fonction des autorisations données dans les sauf-conduits.
Trois autres départs ont été organisés subséquemment, en raison d'une demande substantielle et soutenue. Ils ont eu lieu les 3, 13 et 15 août, 2 157 évacués au total étant transportés de Beyrouth à Chypre.
Sur un total de 14 370 évacués, le Canada a aidé 699 ressortissants de 32 pays étrangers à quitter le Liban, alors que 943 Canadiens et leur famille immédiate étaient amenés en lieu sûr par d'autres pays.
Tous les Canadiens et les membres de leur famille immédiate ont ensuite été transportés au Canada à bord de 61 vols nolisés et de quatre vols du MDN — y compris l'appareil du premier ministre —, 45 au départ de Chypre et 20 de Turquie. Les arrivées et départs d'appareils nolisés à Chypre et en Turquie ont été coordonnés de manière que les évacués passent le moins de temps possible dans les centres de réception, mais il fallait aussi tenir compte, dans la rotation des avions nolisés, des règlements de l'aviation internationale sur le temps au sol obligatoire pour les équipages et l'entretien des avions. Nos équipes à Chypre et en Turquie ont coordonné avec les autorités aéroportuaires locales des deux pays l'accueil de nos avions nolisés et la prise en compte du temps de rotation qui leur permettraient d'effectuer de nouveaux vols.
En outre, les horaires de vols confirmés devaient être envoyés à Sécurité publique et Protection civile Canada (SPPCC) qui coordonnait l'arrivée des appareils au Canada et assurait la liaison avec les autorités provinciales compétentes pour l'accueil des évacués et la satisfaction de leurs divers besoins.
Une des priorités des plus urgentes dans l'élaboration d'un plan d'évacuation a été l'apport d'un renfort de ressources humaines à notre ambassade à Beyrouth, ainsi que la création de deux centres de réception sûrs, soit un à Chypre, où il n'y avait pas de présence diplomatique canadienne, et l'autre à Mersin et Adana, en Turquie, c'est-à-dire du côté du pays opposé à Ankara, où est située notre ambassade. Des volontaires de divers ministères et organismes fédéraux ont commencé à quitter le Canada le 17 juillet.
Au total, le MAECI a détaché plus de 200 employés de l'administration centrale et de missions du Canada dans toutes les parties du monde. En outre, 151 membres du personnel du ministère de la Défense nationale, 2 de Transports Canada, 34 de Citoyenneté et Immigration Canada et de l'Agence des services frontaliers du Canada et 8 du Service canadien du renseignement de sécurité ont été déployés dans une région où, avant la crise, le personnel du gouvernement canadien était quasi inexistant.
Tout au long de l'évacuation, des fonctionnaires fédéraux canadiens ont travaillé de manière concertée pour assurer le retour sain et sauf des évacués au Canada et ont cherché à concilier l'urgence et la compassion avec la sécurité du Canada et des Canadiens, et avec les responsabilités fiduciaires du gouvernement.
[Français]
Cent-vingt-cinq fonctionnaires fédéraux canadiens ont été déployés à Beyrouth où ils ont été intégrés à l'équipe de gestion des crises de notre ambassade et ont aidé à organiser et à établir un centre d'évacuation pour accueillir ceux qui voulaient partir, notamment à aménager des commodités à l'extérieur du centre pour les files d'attente qui commençaient à se former, dès cinq heures tous les matins, à meubler les centres de tables et de chaises, à faire des provisions d'eau et de vivres pour les évacués et à prévoir des zones d'inscription et de vérification des documents pour le traitement des évacués, des autocars pour le transport des évacués au port, des chariots à bagages et les bagagistes et des services médicaux pour 1 500 évacués par jour.
Le personnel du ministère de la Défense nationale a joué un rôle crucial en fournissant des informations et des conseils à notre ambassadeur en s'occupant du contrôle des foules au centre d'évacuation et à l'ambassade du Canada et en assurant la liaison avec les autorités militaires libanaises au port de Beyrouth et en fournissant des services de sécurité supplémentaires à bord des navires affrétés.
Le personnel de Citoyenneté et Immigration Canada et de l'Agence des services frontaliers du Canada a aidé à filtrer les évacués, à vérifier les documents, à délivrer des visas aux non Canadiens, qui accompagnaient des membres de leur famille immédiate, et aux non Canadiens autorisés à accompagner des mineurs.
Les fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration ont veillé au respect de toutes les prescriptions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, y compris les critères de sécurité et de santé. En outre, Citoyenneté et Immigration Canada a contribué à l'intervention consulaire du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international Canada en confirmant la citoyenneté des Canadiens admissibles à l'évacuation.
[Traduction]
Deux cent un représentants canadiens ont été affectés à Chypre. Comme le Canada n'a pas de présence diplomatique à Chypre mais seulement un consulat honoraire, il a été extrêmement difficile de créer quelque chose à partir de rien dans un délai très bref. Pour compliquer les choses, la crise s'est produite au plus fort de la saison touristique alors que les installations d'hébergement et l'aéroport étaient exploités à la limite de leur capacité à Larnaca. Il faut aussi noter qu'un certain nombre d'autres pays utilisaient Chypre comme point de transit sûr, de sorte que nos options étaient extrêmement limitées pour l'organisation de centres de réception et de moyens de transport de relais à destination du Canada pour les Canadiens.
Les premiers fonctionnaires arrivés sur place se sont attachés à mettre sur pied un centre d'opérations et un système de communication, à louer trois « centres de réception » pour accueillir jusqu'à 2 000 évacués à la fois pour des séjours de 24 à 36 heures, à noliser des cars pour transporter les évacués des navires aux centres de réception, puis de ceux-ci à l'aéroport et à organiser le transport de bagages et à retenir les services de bagagistes.
Pour établir des centres de réception d'urgence, il a fallu prévoir des lits de camp, des vivres, de l'eau et des soins médicaux, qui devaient tous être en place pour accueillir la première vague d'évacués aux premières heures du matin le 20 juillet. À cet égard, les membres de notre équipe ont collaboré étroitement avec la Croix-Rouge et les autorités civiles chypriotes. Une fois de plus, le personnel du ministère de la Défense nationale a assuré des services essentiels de contrôle des foules et de logistique pour les déplacements des évacués à leur arrivée et au départ de l'aéroport.
Des fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada et de l'Agence des services frontaliers du Canada étaient sur place également pour aider à régler les affaires consulaires concernant des particuliers ayant des besoins spéciaux et les affaires d'immigration connexes.
[Français]
Cinquante-deux représentants fédéraux provenant de l'ambassade du Canada à Ankara, de l'administration centrale et d'autres missions ont été envoyés à Adana et Mersin pour établir une destination sûre en Turquie. Ils ont été confrontés aux mêmes défis que lors de la création des centres d'accueil à Chypre, soit une pénurie d'installations, d'hébergement dans les hôtels et de transports aériens attribuables aux vacances d'été et au fait que d'autres gouvernements étaient aussi sur place pour accueillir leurs évacués. Nos fonctionnaires, sous la direction de notre ambassadeur en Turquie, ont aménagé des installations d'arrivée dans les ports de Mersin et un centre d'opération et de réception à Adana, à temps pour recevoir les premiers évacués arrivés le 21 juillet. L'équipe de Turquie a rapidement établi des relations de coopération étroite avec les autorités turques de l'immigration, de la police et de l'aéroport, le Croissant-Rouge, le bureau du gouverneur et les groupes de bénévoles locaux pour loger jusqu'à 1 200 évacué par jour environ.
Les membres du personnel du ministère de la Défense nationale, de CIC et de l'AFSC ont joué un rôle significatif, encore une fois, en apportant un appui essentiel aux opérations en Turquie. Il faut noter que cette opération a été exécutée dans un théâtre d'opérations qui subissait l'influence positive des bonnes relations bilatérales du Canada avec les pays impliqués dans les crises et avec ceux qui nous ont autorisés à établir des refuges sûrs chez eux.
D'autres crises pourront se produire à l'avenir dans des régions où l'influence du Canada est limitée et où, par conséquent, la gestion de crise et l'évacuation des ressortissants canadiens seront d'autant plus difficile et complexe.
[Traduction]
Comme le ministre MacKay l'a fait remarquer à votre comité, en ce qui concerne le niveau de coopération des gouvernements locaux, ils ont été extrêmement coopératifs. Les gouvernements de Chypre et de la Turquie ont été exceptionnellement serviables et accueillants pour les citoyens canadiens dans leurs pays et ont travaillé sans relâche avec nos fonctionnaires pour aider nos citoyens à rentrer au pays le plus rapidement possible. Le ministre MacKay a exprimé notre gratitude aux représentants de ces pays et espère le faire d'une manière plus personnelle lors de ces futures visites chez-eux.
La manière dont le gouvernement du Canada a protégé et assisté les Canadiens au Liban a été examiné par des hauts fonctionnaires et jugée prompte et judicieuse dans l'ensemble. Selon des sondages effectués après l'évacuation, 71 p. 100 des Canadiens ont convenu que le gouvernement avait agi avec efficience à toutes les étapes de l'évacuation.
Dans le même temps, tous les participants conviennent qu'il est possible de tirer un certain nombre de leçons de cette opération, y compris de prendre des mesures de nature à renforcer la capacité d'action canadienne face aux crises.
Les sous-ministres de tous les ministères et organismes impliqués dans l'évacuation du Liban se sont réunis en septembre pour discuter des enseignements tirés de l'opération et ont relevé plusieurs problèmes prioritaires à régler pour rectifier les outils et les ressources d'intervention en cas de crise du gouvernement du Canada, lesquels doivent être suffisants pour répondre aux demandes futures et faire face aux aspects nationaux et internationaux des crises à l'étranger.
Les acteurs interministériels ont déjà commencé à se pencher sur les enjeux liés à la gestion des crises, en même temps, examinent ses besoins et ses capacités internes pour pouvoir continuer à fournir et à améliorer le niveau d'appui et d'expertise dont on a été témoin lors de l'évacuation du Liban.
En conclusion, l'évacuation du Liban a donné lieu à une opération multiforme, à laquelle ont participé un large éventail de ministères et d'organismes gouvernementaux. Les représentants du gouvernement du Canada ont mené une action complémentaire et concertée, aussi bien à Ottawa que dans les trois centres de gestion de crise à l'étranger. À mes yeux, il n'y a pas l'ombre d'un doute que l'évacuation du Liban a été couronnée de succès. Si nous avons été en mesure de protéger les citoyens canadiens et de leur venir en aide, c'est grâce au soutien et à la collaboration exceptionnelle de ministères partenaires clés, comme le ministère de la Défense nationale et Citoyenneté et Immigration Canada, qui sont ici avec nous aujourd'hui.
Le président : Merci, monsieur Boehm. J'aimerais explorer plus à fond avec vous et vos collègues l'examen qui a été fait en septembre, l'analyse des leçons tirées de l'intervention et le bilan de ce qui a bien marché et de ce qui a moins bien marché. Si l'on prend une échelle de un à dix, dix correspondant à l'exécution parfaite à tous égards, sans tiraillements entre les intervenants et avec toutes les ressources requises sur place, par opposition à une véritable catastrophe, ce que personne ne prétend, quelle note vous et vos collègues attribueriez-vous à l'intervention?
Dans un deuxième temps, en ce qui concerne plus particulièrement l'accès aux ressources logistiques dans la région, tant celles qui ont dû être redéployées que celles que nous aurions peut-être déployées si nous avions eu une doctrine différente pour ce qui est de la distribution de nos ressources dans le monde, quelle conclusion du groupe interministériel vous sentez-vous en mesure de nous communiquer aujourd'hui?
M. Boehm : Nous n'avons pas l'habitude d'attribuer ainsi des notes mais je dirais que nous nous sommes mérités un bon B plus, 7 ou 7,5 sur votre échelle.
Je ne sais pas si nous aurions pu ou si nous aurions voulu faire les choses autrement. Bien entendu, s'il y avait eu plus de personnes déployées dans les centres, à Beyrouth, nous aurions peut-être agi autrement. Or, dans le cas de la Turquie, par exemple, nous avons dû faire venir nos gens de Mersin et d'Adana jusqu'au centre de réception. Ils devaient s'y rendre par avion ce qui s'est avéré difficile.
À Chypre, on peut dire que le consul honoraire disposerait de peu de moyens de communication, d'installations, voire d'infrastructure, avec lesquels créer un centre des opérations.
Mon collègue, Robert Desjardins, a la liste de certaines des leçons tirées que nous avons disposé en matrice et il peut donc vous donner les renseignements voulus.
Robert Desjardins, directeur général, Direction générale des affaires consulaires, Affaires étrangères et Commerce international Canada : D'abord, nous avons fait une analyse des leçons tirées en deux temps. Au début du mois de septembre, les sous-ministres des ministères visés se sont réunis pour faire l'analyse générale des leçons qui pouvaient être rapidement tirées de l'intervention. Chaque ministère participant effectue en parallèle sa propre analyse des leçons tirées de l'intervention.
Les sous-ministres ont mis l'accent sur sept éléments. S'agissant du matériel de communication requis pour la transmission d'information en toute sécurité et disponible là où nous avons une ambassade, des installations et du matériel mais là où nous n'avons pas d'antenne permanente, il faut faire venir ce matériel. Dans ce cas, nous n'étions pas en mesure de déployer le matériel requis. Nous nous penchons sur ce problème et nous élaborerons des recommandations claires sur la marche à suivre à l'avenir.
Les sous-ministres ont aussi examiné la structure de financement et la nécessité d'établir des lignes directrices limpides sur la façon de procéder en de pareilles circonstances. Il faut notamment examiner les politiques relatives au recouvrement des fonds en cas d'exercice de rapatriement. La politique applicable aux services consulaires prévoit que toute aide fournie doit l'être en régime de recouvrement des coûts. C'est la politique et elle est appliquée de façon systématique. Toutefois, dans des circonstances extraordinaires, et l'évacuation constitue une telle circonstance, le gouvernement a pris la décision d'aller de l'avant sans chercher à recouvrer les frais auprès des personnes évacuées.
Un autre élément de la structure de financement concerne le partage du fardeau avec les provinces, particulièrement l'Ontario et le Québec, dans ce cas, qui ont apporté de l'aide aux personnes évacuées à leur arrivée au Canada.
Un autre élément sur lequel le groupe s'est penché, c'est la capacité de chaque ministère de réunir rapidement les ressources requises en cas de crise. Les ministères sont parvenus à déployer les ressources requises mais il y aurait place à de l'amélioration pour ce qui est du délai de réaction et de mobilisation de tous les intervenants aptes à intervenir en cas de crise.
Le groupe s'est aussi penché sur la question de la double citoyenneté. Le débat n'a pas été lancé mais un grand nombre de questions ont été soulevées au sujet de la citoyenneté des personnes secourues, particulièrement si elles ont la double citoyenneté, et c'est une question sur laquelle le groupe interministériel se penchera et le gouvernement prendra ensuite une décision dans ce dossier.
Le groupe a aussi examiné la question du niveau de services assurés par les agents consulaires à l'étranger. Est-ce que nos pratiques divergent sensiblement de celles des pays qui ont des valeurs semblables aux nôtres? Quel genre de services assurons-nous et dans quelle condition, particulièrement dans des circonstances extraordinaires?
Deux autres éléments d'investigation concernent les autorités contractantes. Une intervention de cette ampleur nécessite la négociation et la signature de contrats d'une valeur considérable qui doivent être mis en place rapidement afin de porter secours à nos citoyens. Il y aurait certainement moyen d'affiner les règles, particulièrement celles qui s'appliquent en situation d'urgence.
Le dernier élément examiné concernait les pouvoirs du chef de mission qui devraient peut-être être éclaircis à certains égards lorsqu'il s'agit de la gestion d'une crise de cette ampleur.
Les sous-ministres ont retenu ces sept éléments et la réponse devrait être publiée sous peu.
Le président : Lorsque le ministre a comparu la dernière fois devant notre comité, il a dit très clairement que les Israéliens ont fait preuve d'un esprit de coopération raisonnable en ce qui a trait aux sauf-conduits. Les autorités libanaises ont coopéré à tous les égards mais, pour être juste, je dois préciser que le sénateur De Bané a précisé pour mémoire que les Israéliens n'avaient pas répondu aussi rapidement qu'on aurait pu le souhaiter. Je crois que c'est la réserve qu'il a exprimée.
Nos collègues des Forces canadiennes étaient appelés à intervenir pour assurer l'évacuation en toute sécurité de Canadiens assemblés à un endroit où ils n'étaient pas vulnérables aux tirs des belligérants, quel qu'ils soient, et il n'y avait pas de tirs dans le port. Or, les Canadiens peuvent-ils compter sur l'existence de plans d'interventions qui permettraient l'évacuation en toute sécurité dans une zone, dont le Liban à l'heure actuelle, où il y a menace de guerre civile et où la situation comporte davantage de danger et permet plus difficilement une intervention en toute sécurité?
Brigadier général J.Y.R.A. Viens, directeur général, Plans, État-major interarmées stratégique, ministère de la Défense nationale : Nous avons en place des plans pour l'évacuation des Canadiens à l'étranger. Il faut pour mettre en œuvre ces plans une certaine capacité d'interventions militaires.
Comme vous l'avez dit à juste titre, au Liban, nous n'avons pas eu à utiliser toute la gamme de ces capacités qui seraient nécessaires pour évacuer des Canadiens dans des zones où les conditions seraient moins favorables, même si la situation au Liban était complexe elle aussi. Je ne veux pas sous-estimer les défis relevés par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et les autres ministères qui ont participé à l'évacuation de 15 000 personnes.
Nous avons des plans mais ils comportent des limites liées aux capacités existantes des Forces canadiennes. Pouvons-nous imaginer une situation qui serait au-delà de nos capacités? Je suppose que cela pourrait se produire mais j'ose croire que nous avons un plan qui tient compte des capacités actuelles des Forces canadiennes et que nous saurions déployer ces capacités de façon judicieuse et efficiente.
Le président : Toutefois, il ne serait pas déraisonnable de la part des Canadiens d'attendre des hauts gradés des Forces canadiennes qu'ils réfléchissent et examinent de telles questions, malgré la transformation qui se poursuit à un rythme accéléré au sein des forces.
Bgén Viens : Nous maintenons en tout temps notre capacité de planification de l'évacuation de non belligérants dont je parlais, indépendamment des autres missions à l'étranger et au Canada. Nous sommes tenus de maintenir à niveau cette capacité; cela fait partie de notre mandat.
[Français]
Le sénateur Corbin : J'aimerais remercier M. Boehm pour son excellente présentation, fort détaillée. Ce n'est pas tous les jours que l'on reçoit autant de détails.
Vous avez fait référence à une situation de crise extrême. Je sais que l'on n'a pas des crises extrêmes tous les jours, mais quel est le critère qui tranche entre une situation d'urgence et ce que vous avez qualifié de « crise extrême »?
Je voudrais vous emmener sur le terrain contemporain. Vous savez que les tensions ont repris au Liban. Je crois que c'est le ministre de la défense d'Israël qui a déclaré que si le gouvernement était renversé et le contrôle pris par les éléments radicaux, il n'hésiterait pas à intervenir à nouveau.
Il n'y a aucun doute qu'il y a une situation de crise extrême potentielle, sérieuse. Êtes-vous en mesure d'intervenir plus rapidement cette fois? Et est-ce que les méthodes d'opération que vous allez utiliser cette fois-ci seraient les mêmes, à supposer que l'aéroport serait bombardé à nouveau? Procéderiez-vous différemment, cette fois, en présumant que vous êtes mieux préparés pour le faire?
M. Boehm : C'était vraiment une crise de guerre, parce que l'aéroport ainsi que les routes étaient bombardés. Les gens n'avaient pas d'options.
[Traduction]
Les Canadiens qui se trouvaient au Liban nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas se déplacer et qu'ils voulaient quitter le pays. Après le bombardement de l'aéroport et des principaux axes routiers, y compris dans la vallée de la Bekaa, nous avons décidé que la seule option était l'évacuation par voie maritime.
Cette décision faisait partie du plan consulaire que nous avions élaboré dans le passé. Nous avions déjà, il y a deux ans, dressé la liste des navires que nous pourrions utiliser, le cas échéant. Referions-nous le même choix? Tout dépendrait de l'accès aux moyens de transport et de l'évolution imprévisible de la situation; nous ferions notre évaluation en fonction de critères de ce genre.
Le sénateur Corbin : Si la guerre reprenait, serait-il possible de croire que vous décideriez, de concert avec les divers intervenants ici, que la situation constituerait une crise extraordinaire de façon à intervenir sans tarder?
M. Boehm : Sénateur, je crois que s'il y avait la guerre et que toutes les voies d'évacuation étaient coupées, comme c'était le cas, nous constituerions un groupe opérationnel qui se composerait vraisemblablement des collègues ici présents. Nous avons réussi à travailler de façon concertée tout au long du mois de juillet et nous nous connaissons bien. Je soupçonne que nous communiquerions rapidement les uns avec les autres.
[Français]
Le sénateur Corbin : Avez-vous encouru des frais auprès des autorités turques et chypriotes? Pensez-vous être facturés pour les services qu'ils ont rendus ou est-ce que c'était un service gratuit, de bonne foi?
M. Desjardins : Dans ces deux endroits, nous avons fait appel aux gouvernements locaux ainsi qu'au secteur privé. Des contrats ont été signés pour la location d'équipements, de voitures, d'autobus, de locaux, achat de nourriture et autres frais. Cela s'est fait sur une base commerciale. Par contre, les gouvernements des deux pays ont fourni une aide directe pour laquelle nous n'avons pas été facturés, cela a été offert de façon très généreuse. Il y a aussi des organisations non gouvernementales, comme la Croix-Rouge, entre autres, qui sont venues en aide aux citoyens libanais, canadiens et des autres nationalités évacués à partir de leur territoire.
L'argent a été échangé sur une base commerciale avec des entités commerciales. Par contre, il n'y a pas eu de frais facturés par les ONG ou par les gouvernements, qui ont eu la générosité de nous aider lors de cette évacuation.
Le sénateur Corbin : Au Comité sénatorial des finances nationales, on a établi que 63 millions de dollars étaient requis dans le budget supplémentaire du gouvernement, eu égard à l'évacuation des citoyens canadiens du Liban. Cette somme d'argent figure à la rubrique des affaires étrangères et du commerce international.
Au comité, on n'a pas révélé les coûts encourus par les autres agences, que ce soit les Forces armées, l'immigration, et cetera. Êtes-vous en mesure d'avancer aujourd'hui un chiffre quant au coût total de l'opération, par toutes les agences?
M. Desjardins : Au-delà des 65 millions de dollars des affaires étrangères, il y a de 10 à 11 millions de dépenses qui ont été encourues par les autres agences et ministères impliqués. Nous n'avons qu'une figure globale, mais c'est l'ordre de grandeur. On parle de 10 à 11 millions, en plus des 65 millions des Affaires étrangères, pour un total approximatif de 75, 76 millions. Ce sont les coûts additionnels, ils ne comprennent pas le coût des salaires et des services offerts normalement dans le cadre des activités régulières. Ce sont les coûts supplémentaires encourus par les agences et ministères impliqués, lors de cette opération.
[Traduction]
Le sénateur Downe : Je partage l'avis des autres autour de cette table qui disent que les divers ministères ont fait du bon boulot malgré la difficulté des circonstances.
J'aimerais parler plus longuement du travail fait par Citoyenneté et Immigration Canada. Avez-vous fait un suivi auprès des quelque 15 000 personnes ramenées au Canada? Combien sont retournées ou ont quitté le Canada? Je suppose que tous ceux qui sont entrés au Canada n'avaient pas les documents requis qui auraient été perdus ou détruits. Quel pourcentage des 15 000 personnes ont été expulsées ou détenues en raison de doutes quant à leur citoyenneté?
Daniel Jean, sous-ministre adjoint, Opérations, Citoyenneté et Immigration Canada : Je vais commencer par la dernière partie de votre question. Les vérifications et l'émission des documents nécessaires ont été faites dans les zones de rassemblement. Ça c'est fait en bonne partie en Turquie et à Chypre parce que c'est là que se trouvait la plupart de nos employés de CIC et de la CSF. C'est là qu'on a fourni aux gens les documents, qu'on a fait les vérifications et qu'on les a autorisés à voyager.
Une fois ces voyageurs admis au Canada, nous n'exerçons aucun contrôle sur le moment où ils quittent le pays. Il ne nous est donc pas possible de vous dire combien des personnes qui ont été évacuées sont encore ici et combien sont rentrées au Liban ou dans d'autres pays.
Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international invite les citoyens canadiens à s'inscrire lorsqu'ils se trouvent dans leurs pays d'origine, mais dans ce cas-là, nous avons constaté que tous ne s'étaient pas inscrits. Tous ceux qui avaient besoin de documents en ont reçus avant de venir au Canada, et ils ont fait l'objet de vérifications. Pour ce qui est des ressortissants étrangers, s'ils présentaient quelques préoccupations relatives à la sécurité, ils n'étaient pas autorisés à entrer au Canada.
Le sénateur Downe : Vous estimez donc que tous ceux qui sont entrés au Canada alors étaient des citoyens canadiens ou des personnes à charge de citoyens canadiens?
M. Jean : C'était soit des citoyens canadiens ou des personnes à charge de citoyens canadiens, des conjoints ou des enfants mineurs, des citoyens libanais qui avaient de bons motifs de venir au Canada ou des résidents qui rentraient au pays. Certains étaient des résidents permanents se trouvant au Liban à ce moment-là et on leur a remis les documents nécessaires.
Le sénateur Downe : D'après votre réponse, j'en conclus que vous avez empêché certaines personnes d'entrer au Canada. Combien en avez-vous intercepté?
M. Jean : Nous avons intercepté quelques personnes. Je ne crois pas que je puisse entrer dans ces détails. Il est vrai que certains ressortissants étrangers ont demandé l'entrée au Canada et ne l'ont pas reçue. Nous avons fait des vérifications au sujet de tous ceux qui soulevaient des préoccupations.
Le sénateur Downe : J'imagine que, outre le ministère de l'Immigration, le SCRS a participé aux vérifications de sécurité.
M. Jean : Tout à fait. Les vérifications ont été faites en collaboration avec Sécurité publique et protection civile Canada. Nous avons pu compter sur l'appui du SCRS et de l'Agence canadienne des services frontaliers.
Le sénateur Downe : Ma dernière question s'adresse aux représentants du ministère de la Défense nationale. Avons-nous loué suffisamment d'avions et les Forces canadiennes disposaient-elles de suffisamment d'avions?
Bgén Viens : Comme l'a indiqué M. Boehm dans ses remarques d'ouverture, nous avons fourni quatre aéronefs, y compris l'avion du premier ministre, pour les fins d'évacuation. Si nous avions pu fournir plus d'aéronefs, nous l'aurions fait. Nous avons loué des avions commerciaux pour aider aux opérations d'évacuation, mais les quatre aéronefs provenant de la Défense nationale étaient les seuls qui étaient disponibles dans les circonstances.
Le sénateur Downe : Combien en a-t-il fallu au total? Combien d'avions a-t-on utilisés?
Bgén Viens : Je crois qu'il a fallu plus de 60 aéronefs.
M. Boehm : On a utilisé 61 avions commerciaux.
Le sénateur Mahovlich : Je remercie les témoins d'être venus. Vous avez dit qu'il y avait de 40 000 à 50 000 Canadiens au Liban. Combien de Canadiens d'origine libanaise vivent au Canada? Vous avez dit de 40 000 à 50 000, et cela me semble beaucoup.
Je viens de Timmins où, à l'époque, il n'y avait qu'une ou deux familles libanaises. Il y avait peu de Libanais dans le Nord de l'Ontario, mais vous venez de dire qu'il y avait de 40 000 à 50 000 Canadiens au Liban. C'est renversant. Je comprends maintenant pourquoi on a eu des difficultés à évacuer tant de gens. Combien de Canadiens d'origine libanaise vivent au Canada?
M. Jean : Je n'ai pas ces informations avec moi, mais je serai heureux de m'informer et de vous transmette ma réponse par écrit. Nous pouvons vous donner une idée approximative de la taille de la communauté libanaise au Canada.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce que ces Canadiens avaient un emploi au Liban ou étaient-ils tous des touristes? Le savons-nous?
M. Desjardins : Tout d'abord, les données de recensement nous indiquent combien de personnes déclarent que leur pays d'origine est le Liban, et nous pourrons donner ce chiffre au président à la fin de la séance.
Nous savons depuis longtemps, selon des preuves anecdotiques, que la taille de la communauté canadienne au Liban est d'environ 40 000 à 50 000 personnes. Le fait que 30 000 personnes se sont inscrites en plus de celles qui figuraient dans la banque de données lorsque l'incident s'est produit confirme que notre chiffre était assez juste. Toutefois, sur les 40 000 personnes qui s'étaient inscrites, nous n'en avons évacué que 15 000; nous pouvons donc présumer qu'un nombre important de citoyens canadiens vivent encore au Liban.
Ce chiffre n'est pas anormalement élevé compte tenu du tissu social de notre pays. Il y a au Canada d'importantes communautés sont issues de nombreux pays différents. Cela n'est pas toujours lié aux tendances de l'immigration, mais nous constatons que les gens ont tendance à aller ou retourner dans leur pays d'origine ou dans le pays où leurs parents sont nés.
Cette tendance est établie et elle s'accentuera probablement dans les années à venir avec l'évolution de notre société.
Le sénateur Mahovlich : Je sais que les personnes provenant des Balkans, de la Croatie, de la Serbie et de la Bosnie-Herzégovine ont du mal à obtenir un visa pour venir au Canada; le Canada scrute leurs dossiers à la loupe parce que ces pays ont été en guerre. On m'appelle régulièrement pour me demander ce que je préfère. En sera-t-il de même pour les Libanais? Allez-vous scruter à la loupe les dossiers des Libanais? Je sais que les terroristes ont des activités au Liban; ils tiennent notamment des manifestations, je l'ai lu dans les journaux. Les Libanais auront-ils du mal dorénavant à entrer au Canada?
M. Jean : Je crois, sénateur, que vous faites allusion aux vérifications de sécurité que nous faisons de ceux qui ont eu un poste d'autorité dans les pays dont nous savons qu'ils ont été le lieu de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Dans les Balkans, où il y a eu une guerre, en Afrique de l'Ouest et dans d'autres pays, nous faisons des vérifications particulières des personnes en position d'autorité.
Les préoccupations dont vous parlez relèvent plutôt de la sécurité que des crimes contre l'humanité. Ces derniers ne sont pas exclus, mais ils ne nécessitent pas nécessairement le même genre de vérifications que celles que nous avons mis en place pour les Balkans.
Le sénateur Downe : L'Île-du-Prince-Édouard compte une grande et prospère communauté libanaise, et je crois que le moment de l'année où cela s'est produit a été un facteur important. Bien des habitants de l'Île-du-Prince-Édouard d'origine libanaise retournent au Liban pendant l'été. Étant donné la distance qui sépare nos deux pays, ils y vont pour bien des semaines afin que les enfants puissent voir leurs grands-parents et rencontrer leurs cousins et le reste de la famille. Cela pourrait peut-être expliquer en partie pourquoi les Canadiens d'origine libanaise étaient si nombreux au Liban pendant l'été.
M. Desjardins : Vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur : nos chiffres indiquent que 40 p. 100 des déplacements entre le Canada et le Liban se font pendant les mois d'été, pendant le deuxième trimestre. Nous savons aussi, grâce à des preuves anecdotiques, que, pendant l'été, bien des gens retournent au Liban pour y visiter leurs familles. C'est pendant cette période de l'année que les déplacements sont les plus nombreux.
[Français]
Le sénateur Dawson : Monsieur le sous-ministre, quel est le coût total de l'opération?
M. Boehm : Nous croyons qu'il est de plus ou moins 75 millions de dollars.
Le sénateur Dawson : Le ministère a pris la décision de ne pas récupérer les argents, mais si on avait décidé de le faire, de quelle façon aurait-on déterminé le prix pour chaque rapatriement?
M. Boehm : À mon avis, ce serait impossible à déterminer.
Le sénateur Dawson : Mais dans d'autres cas vous l'avez fait, vous avez demandé un remboursement.
M. Boehm : M. Desjardins est notre expert de la question du remboursement.
M. Desjardins : Cela se fait généralement dans des cas de très faible envergure, lorsqu'il s'agit de quelques centaines de citoyens au maximum. Dans le cadre d'une opération d'une telle envergure, cela devient logistiquement très complexe.
Mais là n'est pas la question. Sur une base humanitaire, dans les circonstances, le gouvernement a pris la décision de ne pas récupérer les argents.
Si le gouvernement décidait de récupérer les argents, il faudrait, soit établir une formule, en évaluant les coûts totaux ou autrement, mais ce serait à la discrétion du gouvernement pour connaître la formule utilisée dans un tel cas.
Le sénateur Dawson : Loin de moi le désir de récupérer ces sommes. Quand vous récupérez, de quelle façon le faites-vous? Par exemple, pour le tsunami, est-ce qu'on a récupéré des gens et est-ce qu'on a demandé des frais?
M. Desjardins : Non, dans des opérations de moindre envergure, par exemple, à Turk et Caïcos, il s'agissait de quelques centaines de citoyens et il s'agissait simplement de les faire passer d'une île à une autre. Les coûts étaient simplement liés directement aux coûts du contrat de service d'aviation. Cela devenait très facile de dire que cela a coûté 200 000 $ pour affréter un avion et que nous avons transporté 400 personnes dont voilà le coût.
Le sénateur Dawson : Vous aviez l'enregistrement des citoyens canadiens à l'ambassade, vous avez dit tantôt le nombre pour ceux qui étaient déjà enregistrés?
M. Desjardins : Il y en avait 11 000 au départ.
Le sénateur Dawson : Et vous avez estimé à la fin qu'il y en avait combien?
M. Desjardins : 30 000 supplémentaires se sont enregistrés.
Le sénateur Dawson : On a terminé l'opération. Depuis lors, est-ce que des gens sont retournés et se sont réenregistrés à votre connaissance?
M. Desjardins : Nous n'avons pas fait l'étude, nous prenons pour acquis que notre banque de données doit être remise à neuf à cause de complications logistiques. Nous devons contacter à nouveau chaque individu et chaque famille pour savoir s'ils sont là ou non. Au cours des semaines à venir, nous allons demander aux Canadiens qui sont là de se réenregistrer. À ce stade-ci, il n'y a pas d'intention de comparer la liste avec celle qui existait auparavant.
Le sénateur Dawson : Donc on n'aura jamais d'estimé sur le nombre de personnes qui sont venues faire un tour au Canada.
M. Desjardins : C'est une façon de le dire. Nous avons porté aide et assistance à nos citoyens qui en avaient besoin et nous sommes toujours prêts à venir en aide à nos citoyens où qu'ils soient.
Le sénateur Dawson : Je comprends très bien, le débat a eu lieu publiquement avec certains de vos ministres, à savoir : est-ce qu'il y a deux genres de citoyens, ceux qui ont vécu et qui vivent au Canada et d'autres personnes qui ne sont pas ici depuis 15 ou 20 ans et qu'on a récupérées. Elles sont revenues au Canada, elles sont reparties. Est-ce qu'on doit penser que la notion de double citoyenneté, le sujet du jour, doit commencer à nous préoccuper si on a ce genre d'opérations à répétition?
M. Desjardins : Jusqu'à nouvel ordre, dans le cadre du service consulaire, un Canadien est un Canadien; la règle est tout à fait simple. Par contre, vous avez raison, le débat a été lancé et la discussion devra avoir lieu. Le défi qui se pose est de savoir comment structurer ce débat.
Dans une perspective consulaire, je dois dire que nous ne pensons pas que l'éligibilité au service consulaire devrait être un facteur de détermination de citoyenneté, d'aucune manière. Dans le cadre de la provision de services consulaires, on offre le service à ceux que l'on considère nos citoyens. S'il y a des restrictions ou limitations qui éventuellement pourraient être imposées, on agira à ce moment, mais la provision de services consulaires résultera de la définition que l'on voudra donner, si on doit changer celle qu'on a à l'heure actuelle.
Le sénateur Dawson : Comprenez-moi bien, c'est un succès, bravo, mais lorsque le comité a voulu étudier ce sujet, c'était pour tirer des leçons, avec vous et les différents ministères, tel celui de la défense, de citoyenneté Canada, et autres, pour savoir de quelle façon on peut apprendre quelque chose de cette opération. J'essaie de poser des questions, qui peuvent lors de la rédaction d'un rapport, mener à des recommandations, soit de continuer à étudier en profondeur la citoyenneté ou la double citoyenneté ou dire que dans ce type d'opérations, tout en ayant réussi, si on devrait être plus discipliné dans les listes.
Il y a quelque temps, un témoin a parlé d'un audit de l'ambassade où on fait une évaluation proportionnellement au nombre de citoyens présents. Est-ce que cela a été fait dernièrement au Liban?
M. Desjardins : Les services consulaires sont partie intégrale des opérations de chaque mission et au ministère, nous avons un régime par lequel, à tous les deux ou trois ans, quatre ans maximum, chaque mission fait l'objet d'une vérification en règle. Et les services consulaires font partie des termes de référence de la vérification. En plus de cette vérification en bonne et due forme, nous travaillons de façon constante avec les missions pour s'assurer que la provision de services consulaires, que les plans de contingence en place répondent à ce qui semblent être les besoins du moment.
Le sénateur Dawson : Dernière question : quand a eu lieu la dernière évaluation pour le Liban?
Le président : Avant la crise.
M. Desjardins : Je ne sais pas, nous vérifierons.
Le sénateur De Bané : La seule différence qu'il y a dans la loi canadienne entre les Canadiens de naissance et les Canadiens qui ont obtenu leur citoyenneté ici se trouve dans la Constitution de 1982, où l'on dit que pour les parents qui ont étudié à l'étranger, leurs enfants n'ont pas le droit aux écoles anglaises au Québec alors que s'ils ont étudié dans les autres provinces canadiennes, ils peuvent envoyer leurs enfants à cette école. C'est la seule différence qui existe dans les lois canadiennes entre les citoyens de naissance et les citoyens de naturalisation.
[Traduction]
Il n'y a pas de différence entre les deux. Cela ne s'est produit qu'une seule autre fois, en 1982.
[Français]
J'aimerais poser d'autres questions. Sans doute que le plus grand défi était une question de communication. S'il arrivait une autre crise, est-ce qu'on a tiré des leçons pour savoir comment s'y prendre la prochaine fois? Ce sont les plaintes principales que j'ai entendues. Les gens ne savaient pas s'il y avait un bateau pour les prendre, quel jour il fallait qu'ils se présentent au port. C'était essentiellement cela, ils se tenaient là, puis ils attendaient qu'on vienne les chercher. Est-ce qu'on a tiré quelque leçon de tout cela et est-ce qu'on peut améliorer ce grand défi de communication une prochaine fois?
[Traduction]
M. Boehm : Si je peux me permettre de répondre en anglais, sénateur, les communications sont certainement un défi. Je crois que ce que vous voulez savoir, c'est comment nous pouvons communiquer avec nos citoyens.
Nous l'avons fait par le biais du site web. Nous avons aussi fait en sorte que tous les appels provenant du Liban même soient dirigés vers notre centre d'opération ouvert tous les jours 24 heures sur 24 afin que l'équipe de l'ambassade puisse faire son travail.
L'ambassadeur Louis de Lorimier a lu à la radio et à la télévision un message disant aux citoyens canadiens de se rendre au centre de réception et leur indiquant comment se préparer, quoi mettre dans leurs bagages et quels documents apporter. Nous avons tenté de coordonner cela le plus possible avec les départs des navires qui devaient amener les gens aux avions à partir des autres centres de réception de Turquie et de Chypre.
C'est dans le sud que nous avons eu le plus de difficulté à transmettre nos messages. Nous avons des coordonnateurs d'urgence bénévoles — qui sont d'ailleurs souvent des Canadiens. Nous avons mis sur pied un centre d'appels pour eux dans l'hôtel se trouvant en face de notre ambassade à Beyrouth afin qu'ils puissent consacrer tout leur temps à appeler les gens. Notre ambassadeur a tenté d'envoyer des messages par téléphone, par différents sites web, par l'entremise de notre centre d'opération au Canada et par le biais de tous les médias qui nous étaient disponibles au Liban. Bien sûr, les familles sont entrées elles-mêmes en contact avec leurs proches.
Nous avons tenté d'employer tous les moyens possibles. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas améliorer la communication. La qualité des messages dépendait aussi de ce que nous savions. Au début de la crise, nos messages n'étaient peut-être pas suffisamment clairs.
Le sénateur De Bané : Il y a environ 22 pays arabes, mais, de loin, la communauté d'origine arabe la plus populeuse au Canada est celle du Liban.
J'ai dit l'autre jour, quand M. Boehm est venu témoigner avec l'honorable Peter MacKay, qu'à une certaine époque, nos deux ambassades, celle du Caire et celle de Beyrouth, étaient les deux plus importantes ambassades canadiennes dans le monde arabe. De nos jours, l'ambassade du Canada à Beyrouth, comparée à celle des autres pays, se situe au bas de l'échelle en ce qui a trait au nombre de ses employés et tout le reste. L'ambassade du Canada à Damas, en Syrie, compte près de 100 employés. Je crois qu'elle vient au 10e rang pour ses effectifs.
Les Canadiens d'origine libanaise sont amers — j'ignore si c'est le bon terme en anglais — car ils doivent aller à Damas pour le traitement de leurs dossiers. Pour tout ce qui a trait à l'immigration, l'ambassade du Canada au Liban n'est plus qu'une succursale de la véritable ambassade qui se trouve à Damas.
Mon collègue, le sénateur Downe, nous a touché quelques mots de la contribution des Canadiens d'origine libanaise vivant dans l'Île-du-Prince-Édouard. Il en va de même pour ma région. La communauté libanaise est présente au Canada depuis plus de 100 ans.
Je comprends ce qui s'est passé au début des années 80, pendant que la guerre faisait rage, mais je vous encourage instamment à repenser la situation de l'ambassade du Canada au Liban. Elle n'est pas à la mesure de la contribution des Canadiens d'origine libanaise ou de l'importance de la communauté canadienne au Liban. Je ne saurais trop insister là-dessus, et je vous demande d'examiner la situation. Voilà ce que je tenais à vous dire.
M. Boehm : Merci beaucoup. Je me souviens très bien que vous en avez parlé aussi avec éloquence au ministre MacKay lors de sa dernière comparution.
Le ministre MacKay, par la suite, a transmis au président une liste de nos ambassades à Damas et à Beyrouth et de leur personnel. À Damas, l'ambassade emploie 78 employés de bureau et 46 employés de Citoyenneté et Immigration Canada. L'ambassade de Beyrouth compte 26 personnes et cinq employés de CIC.
Je demanderais à mon collègue, Daniel Jean, de vous donner plus de détails.
[Français]
M. Jean : Il est tout à fait vrai qu'en termes de présence des ressources, la présence est beaucoup plus importante à Damas qu'elle ne l'est à Beyrouth.
Toutefois, il est important de comprendre que la prestation des services tels les visas de visiteurs, des étudiants, des travailleurs temporaires ou des gens qui viennent comme touristes ou comme visiteurs d'affaire se fait à Beyrouth. Pour les gens d'origine libanaise qui veulent avoir ces services au Liban, les services sont donc à Beyrouth.
Un certain nombre de Libanais choisissent tout de même d'aller à Damas parce qu'ils habitent plus près de Damas que de Beyrouth, particulièrement lorsqu'ils se trouvent dans la vallée.
En ce qui concerne les services aux immigrants, il est vrai que les demandes par courrier se font à l'ambassade à Damas. Dans une grande partie, ces demandes sont traitées sur papier; les clients n'ont donc pas à se déplacer et le service se fait par courrier.
Dans le cas où des entrevues seraient requises, dans la majeure partie des cas ces entrevues ont lieu à Beyrouth; les clients ne sont donc pas incommodés. En fait, souvent, les clients qui sont rencontrés à Damas, c'est parce qu'ils ont demandé à être rencontrés à Damas, et ce justement parce qu'ils habitent plus près de Damas que de Beyrouth.
Les effectifs sont plus importants à Damas, mais au niveau de la prestation des services, la grande majorité des clients qui ont besoin d'être vus en personne sont servis en personne à Beyrouth.
Le sénateur De Bané : Je dois vous dire, monsieur le sous-ministre, en tout respect, que je reçois beaucoup de plaintes de Libanais, qui doivent aller à Damas, qui se demandent quand ces services seront entièrement disponibles à Beyrouth.
J'ai une dernière question. Pouvez-vous nous expliquer quelle était la structure de commandement et de contrôle d'ensemble du gouvernement du Canada?
[Traduction]
Qui était chargé de cette immense opération? Était-ce le ministère de la Défense nationale, dont le personnel a la formation voulue pour mener à bien de grandes opérations comme l'évacuation de milliers de gens? Était-ce le MAECI? Où se trouvait la structure de commandement de cette entreprise si complexe?
M. Boehm : Ici même, sénateur. Les opérations ont été menées à partir du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, qui a travaillé en étroite collaboration avec ses ministères partenaires, représentés ici, et bien d'autres dont nous avons fait mention dans nos remarques.
Nous nous réunissons d'habitude deux fois par jour, à 8 heures et à 15 heures — étant donné le décalage horaire avec la Méditerranée — en présence des ambassadeurs et des autres acteurs clés. Ainsi, lorsque le ministre MacKay était à Rome pour participer à une conférence, il a participé à nos réunions par téléphone à partir de Rome. Quand il était ici à Ottawa, il était avec nous, au centre des opérations, avec l'équipe de gestion de crise. L'équipe était présidée par le MAECI, en étroite collaboration avec les autres organismes et ministères.
Le sénateur De Bané : Diriez-vous que le ministère de la Défense nationale est l'organisation qui a la formation pour mener à bien des opérations à grande échelle comme celle-ci?
M. Boehm : Il s'agissait d'une situation d'urgence dans un consulat où il fallait donner de l'aide aux Canadiens. Cela relève du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Il est certain que le ministère de la Défense nationale avait un rôle crucial à jouer dans la logistique — le déplacement des gens et le contrôle des foules — mais, dans l'ensemble, d'autres gouvernements participaient à cette entreprise et, du coup, MAECI devait être de la partie.
Il fallait aussi assurer la coordination avec nos amis et nos alliés, les informer de ce que nous faisions et voir comment nous pouvions les aider et comment eux pouvaient nous aider. Dans certains cas, ces pays ont eux aussi utilisé leurs ressources militaires. Dans d'autres cas, on a utilisé des ressources militaires — comme l'ont fait les Américains pour la partie de l'évacuation qui s'est faite en mer — mais on a aussi dû compter sur d'autres moyens pour évacuer les ressortissants parce qu'on ne disposait pas de moyens militaires de transporter ces gens par avion.
Le président : Voulez-vous ajouter quelque chose, major général Gosselin?
Major général J.P.Y.D. Gosselin, directeur général, Politique de Sécurité internationale, Défense nationale : Les Forces canadiennes, le ministère de la Défense nationale, ont accordé tout leur soutien au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international dans ce cas. Toutefois, les Forces canadiennes restent sous le commandement du chef d'état-major. En l'occurrence, un officier supérieur canadien dans le théâtre des opérations a été choisi pour assurer la liaison avec le MAECI.
Quand l'opération n'est plus consensuelle mais devient militaire, situation à laquelle vous avez fait allusion, les choses sont différentes. Dans ce cas, si nous devons recourir à la force pour entrer dans un pays ou en sortir, les choses se passent différemment — mais cela n'a pas été le cas au Liban.
Le sénateur De Bané : Il s'agissait d'une évacuation sur une grande échelle. Nous avons l'impression que c'est à votre arrivée à Chypre que les choses ont commencé à bouger.
Mgén Gosselin : Je dirais que ce n'est qu'une impression, car nous avons accordé tout notre appui du début à la fin. Nos membres des forces armées sur place ont apporté leur soutien au personnel de l'ambassade et du ministère des Affaires étrangères.
Le président : Avant de céder la parole au sénateur Cools, qui a été plus que patiente, je veux que vous me confirmiez que le chef de mission était un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères mais qu'il y avait aussi un officier supérieur des forces armées relevant du chef d'état-major pour toutes les questions de nature militaire, par l'entremise du chef de mission, évidemment. Par conséquent, on avait en place une structure de commandement unifiée. Si la situation s'était transformée en une opération militaire complexe et difficile, vous nous dites que cette structure aurait pu changer, n'est-ce pas?
Mgén Gosselin : Peut-être, mais la structure doit toujours être conforme...
Le président : C'est une question hypothétique et je sais qu'on préfère ne pas répondre à des questions hypothétiques.
Mgén Gosselin : Disons que la situation se prolonge et que le chef de mission donne des ordres, si je peux employer ce terme, au personnel des forces armées. Si ces ordres ne sont pas conformes au mandat de l'officier supérieur, celui-ci devra s'adresser à la chaîne de commandement militaire.
Le président : J'imagine que les militaires sur place, qui offraient leur soutien logistique aux fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères responsables des opérations, étaient régis par des règles d'engagement adaptées aux circonstances pour le contrôle des foules et l'exécution de diverses autres obligations. Si la situation avait changé, avec quelle rapidité aurait-on pu modifier les règles d'engagement pour protéger les ressortissants canadiens?
Mgén Gosselin : Je vais vous donner une réponse en deux parties : premièrement, le personnel militaire qui est déployé a toujours le droit de se défendre. Deuxièmement, la chaîne de commandement du chef de l'état-major jusqu'au commandant, dans ce cas le Commandant de la Force expéditionnaire canadienne, la chaîne de commandement militaire est toujours en place. Elle est toujours la même, peu importe où se trouvent les militaires.
Si la situation s'était détériorée, ce commandant se serait adressé au Commandant de la Force expéditionnaire du Canada, le lieutenant général Michel Gauthier, pour lui demander ses directives mais, les règles d'engagement aux termes desquelles il a été déployé permettaient toujours la légitime défense.
Le président : Aurait-il pu répondre à toute attaque de la part de quelques combattants que ce soit dans cette région à l'endroit de ressortissants canadiens sans avoir à rencontrer ses supérieurs au quartier général de la défense pour savoir comment protéger les ressortissants canadiens sur place?
Bgén Viens : Compte tenu de la situation sur le terrain, les militaires avaient été déployés conformément à des règles d'engagement qui leur permettaient de prendre les mesures défensives en cas d'attaque, mais pas d'affronter un groupe ou une des parties. Si la situation avait changé au point où une modification des règles d'engagement devenait nécessaire, comme l'a mentionné le Lieutenant-général Gauthier, on aurait présenté cette demande par l'entremise de la chaîne de commandement. Toutefois, les règles d'engagement prévues pour cette mission ont été jugées suffisantes pour leur permettre de prendre les mesures défensives nécessaires pour se défendre au besoin.
Le sénateur Corbin : Ils auraient pu se défendre mais aussi défendre les Canadiens?
Bgén Viens : Ils pouvaient prendre des mesures défensives pour se protéger et protéger les intérêts canadiens.
Le sénateur Corbin : Ce qui comprend les citoyens canadiens.
Bgén Viens : On peut interpréter cela ainsi, en effet.
Le sénateur Corbin : Il ne s'agit pas ici de mon interprétation.
Le sénateur Cools : Monsieur le président, si je peux me permettre, le témoin nous dit que les règles d'engagement sont bien définies mais que, si la situation change et qu'on doit modifier les règles d'engagement, il faut s'adresser au quartier général, c'est bien ça?
Bgén Viens : Excusez-moi, je n'ai pas entendu votre question.
Le sénateur Cools : Si je vous ai bien compris, vous avez dit que les règles d'engagement imposées à nos forces en ce qui concerne les ressortissants canadiens et les intérêts canadiens sont très précisément définies. Autrement dit, ces règles d'engagement sont beaucoup restrictives que si on fait face à un belligérant ou si on est en guerre. Si les circonstances changeaient ou si la mission devait changer, il vous faudrait vous adresser à vos supérieurs pour obtenir de nouvelles règles d'engagement. C'est ainsi que j'ai interprété votre réponse.
Vous ne pouvez aller dans un pays étranger pour évacuer les ressortissants de votre pays et vous comportez comme si vous étiez en guerre.
Le président : Pour plus de précisions et aux fins du compte rendu, la question du sénateur Cools était précise et le brigadier-général Viens a répondu tout aussi précisément qu'elle avait raison.
Bgén Viens : C'est exact.
Le président : Par la chaîne de commandement, on demanderait de nouvelles règles d'engagement au quartier général.
Bgén Viens : C'est exact.
Le sénateur Corbin : Je n'ai pas encore eu de réponse à ma question.
Le président : Je cède la parole au sénateur Corbin, qui voudrait des précisions.
Le sénateur Corbin : Je ne sais plus exactement comment j'ai formulé ma question, mais voici essentiellement ce que je voudrais savoir : les militaires sur le terrain font l'objet d'une attaque alors que des citoyens canadiens se trouvent parmi eux. L'attaque ne visait pas nécessairement les forces armées, mais plutôt les citoyens canadiens sous leur garde. Le devoir premier des militaires est-il de protéger les citoyens canadiens plutôt que de se protéger eux-mêmes? Ma question ne se veut ni condescendante, ni péjorative.
[Français]
Ce n'est pas pour déprécier la valeur de nos militaires. Mais vous surveillez une opération qui consiste à embarquer les citoyens canadiens. Si des gens arrivent et se mettent à tirer à brûle-pourpoint sur les citoyens canadiens, vous allez répondre.
Bgén Viens : Je comprends que les règles d'engagement signifient exactement cela. Si les gens se sentent menacées, ils vont prendre les moyens nécessaires pour se défendre.
Le sénateur Corbin : Se défendre et défendre les citoyens canadiens, cela va de soi.
Bgén Viens : Cela va de soi que s'il y a des Canadiens autour d'eux et que les militaires se sentent menacés, ils vont prendre les moyens pour se défendre, incluant les personnes autour d'eux.
Le sénateur Corbin : C'est clair.
Le sénateur De Bané : Ce qu'il a dit, c'est « si les militaires canadiens se sentent menacés ». À ce moment, ils vont répondre pour eux et pour les Canadiens. Mais si ce sont seulement les civils canadiens qui sont menacés mais pas les militaires, qu'est-ce qui arrive? C'est cela la question.
[Traduction]
Le président : Permettez-moi de tenter de formuler cela de façon peut-être un peu moins juridique. J'ai suivi les reportages sur tous nos réseaux qui montraient les Canadiens rassemblés au port de Tyre et de Beyrouth, et je priais en moi-même pour que, par accident ou non, les combattants dans la région, que ce soit des navires israéliens, le Hezbollah ou d'autres, pour une raison ou pour une autre, ne bombardent pas le port. Je m'inquiétais pour mes concitoyens canadiens et pour les fonctionnaires de mon gouvernement qui étaient là pour aider les Canadiens à quitter le pays en toute sécurité. Il est tout naturel pour nous de nous demander, dans l'éventualité peu probable mais néanmoins réelle d'un bombardement, dans quel contexte nos capacités de défense et nos capacités à l'étranger peuvent assurer la protection des Canadiens. Je crois que c'est la question que posent mes collègues. Je comprends que c'est une question délicate à laquelle vous voulez réfléchir.
Bgén Viens : Encore une fois, pour l'évacuation du Liban, les mesures militaires qui ont été prises visaient à aider le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et le chef de mission sur le terrain à mener à bien l'évacuation. Parmi ceux qui ont été déployés, certains ont veillé à la sécurité et au contrôle des foules, comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, mais bien d'autres ont été déployés pour assurer la bonne communication entre l'ambassade et le Canada et offrir leur appui logistique et de planification. Du personnel médical a aussi été déployé.
Nous n'avons pas déployé une grande capacité militaire du point de vue des forces armées. Nous étions là pour contribuer à la logistique, assurer le contrôle des foules et assurer la sécurité à l'ambassade.
Le sénateur Downe : Nous le savons, mais pour le compte rendu, le chef d'état-major ne pourrait pas, ici au Canada, de sa propre initiative, transformer une mission défensive en une mission offensive sans obtenir d'abord, par l'entremise du ministre de la Défense nationale, l'autorisation du Cabinet.
Le sénateur Cools : C'est exact.
Le président : Monsieur Boehm, vous vouliez ajouter quelque chose?
M. Boehm : Je ne voulais pas donner l'impression que notre groupe de travail ne tenait que deux petites réunions par jour.
Ces séances étaient les réunions officielles. Entre ces réunions, il y avait beaucoup d'activités : on évaluait la situation sur le terrain, notamment avec nos homologues au MDN qui étaient en contact avec les attachés militaires à Tel Aviv pour suivre l'évolution du conflit et son incidence éventuelle sur notre opération. En outre, nous suivions les reportages dans les médias, ce qui est souvent une bonne chose.
Le président : J'aurais cru que nos collègues du ministère de la Défense nationale ont normalement accès aux sources habituelles de renseignements sur les autres activités sur le terrain qui pourraient être pertinentes pour la planification de l'évacuation à partir du port.
Mgén Gosselin : En effet. Nous nous sommes entretenus avec nos alliés. Le chef du renseignement de la Défense est actif au sein d'un grand réseau. Mais votre conclusion est très logique.
Le sénateur Cools : J'aimerais d'abord remercier les témoins d'être venus. J'aimerais aussi vous remercier de tous les efforts que vous avez déployés pour faire de cette opération un succès. Je sais qu'il y a eu des critiques, et c'est normal, et c'est bien ainsi, mais il est plus facile de faire face à la critique quand on a atteint son objectif que dans le cas contraire. Je tenais à vous le dire, au cas où vos soldats, vos employés ou les fonctionnaires se sentent peu appréciés. Après avoir vu ce que vous avez fait et après y avoir réfléchi, j'ai été très impressionnée. C'était une tâche énorme. J'ai beaucoup d'admiration pour vous et je vous remercie sincèrement.
Dans un autre ordre d'idée, j'étais en Californie pour prononcer un discours le 11 septembre 2001 et je ne saurais vous dire la panique et l'anxiété que j'ai ressentie à l'idée de ne pouvoir quitter San Diego pour rentrer chez moi. Personne ne pouvait m'aider et cela a été la pire sensation que je n'ai jamais éprouvée. Nous sommes allées au terminus d'autobus pour acheter un billet d'autocar pour Vancouver, puis nous nous sommes arrêtés pour réfléchir un peu et avons compris que nous nous étions laissé emporter par la panique. Même si nous étions à des milliers de milles de New York, un vent de panique terrible a soufflé sur toute la population américaine et nous aussi l'avons ressentie.
On comprend toutefois mieux après comment ces événements peuvent se produire si soudainement et si rapidement et ce que doit faire nos gouvernements pour relever un défi si gigantesque.
Ma question porte sur certaines de vos réponses. Selon vous, la capacité du Canada à intervenir dans de telles situations — la nécessité, en fait, car il était nécessaire d'évacuer des milliers de gens — se compare-t-elle à celle des autres pays?
L'un d'entre vous a dit que nous avions quatre avions et qu'il nous en fallait 60. Je ne me souviens plus si vous avez parlé de 60 avions ou de 60 vols. Tout d'un coup, on vous dit que le gouvernement du Canada a besoin aujourd'hui de 60 avions. Comment trouver 60 avions commerciaux qui puissent réagir aussi rapidement? Je n'en sais rien, mais ce à quoi j'aimerais que vous réfléchissiez, c'est comment nous pouvons réagir à de telles situations et où se situe notre capacité de réaction par rapport aux autres pays. Je pense par exemple au Royaume-Uni, ou à d'autres.
M. Boehm : Les quatre aéronefs étaient des aéronefs de la Défense. Compte tenu du nombre de personnes à évacuer, nous nous sommes rapidement rendu compte qu'il nous fallait également des aéronefs affrétés.
À titre de comparaison, nous étions en contact avec les centres d'opérations d'Australie, de France, de Grande- Bretagne et des États-Unis. J'ai également contacté Berlin de nombreuses fois pour m'adresser aux Allemands. Ces pays étaient en contact constant avec nous et nous demandaient comment se passaient les choses, chaque pays ayant des capacités différentes.
Les Britanniques ont des bases navales à Chypre et ils ont pu déployer des navires militaires. Ils ont déplacé un porte-avions de Gibraltar, où ils avaient également une base, à Beyrouth, en cinq jours. Cela représente énormément de soldats; l'équipage et le personnel du porte-avions représentent environ mille personnes.
Les États-Unis ont fait venir leurs soldats par le canal de Suez. Ils sont arrivés le vendredi suivant également. Ils ont une capacité de transport de personnes phénoménale. Vous avez vu les photos à la télévision des engins de débarquement qui arrivaient sur les plages et sur lesquels les gens montaient. Ils ont emmené les gens à Chypre, mais ils n'avaient pas la capacité de les faire quitter Chypre par avion. Les gens ont donc acheté des vols pour l'Europe, où ils étaient considérés comme des cas relevant des affaires consulaires secondaires. En d'autres termes, ils devaient se rendre aux ambassades ou aux consulats américains et demander de l'aide. Nous avons décidé d'amener notre monde directement au Canada.
Pour ce qui est des Français, ils avaient un navire au port de Beyrouth, et la distance de Beyrouth au port méditerranéen de la France n'est pas énorme.
Pour les Australiens, c'était un gros défi, car la population libano-australienne est très importante. D'une certaine façon, ils recherchaient la même chose que nous, soit des navires qui pouvaient être affrétés, alors nous avons coopéré avec eux dans une certaine mesure. Ils ont transporté des Canadiens et nous avons transporté des Australiens.
Pour en venir au cœur de la question, je pense que notre bilan est bon. Nous avons également eu de la chance, dans la mesure où il n'y avait pas de blessés parmi les gens que nous avons évacués, ou pire. Nous avons géré la situation relativement rapidement, avons trouvé des navires disponibles, puis des aéronefs pour récupérer les gens au débarquement des navires, de sorte qu'ils n'aient pas à rester trop longtemps en transit à Chypre ou en Turquie. Le climat méditerranéen nous a été favorable. Les forces de défense israéliennes, à cause de leur blocus, ne nous ont pas beaucoup aidés, et les certificats de sécurité des forces de défense n'étaient valides que pour une période donnée, et il fallait donc être très minutieux. Sur le plan logistique, les dieux étaient avec nous. À mon avis, de façon générale, nous nous en sommes bien sortis.
Le sénateur Cools : J'essayais de comprendre l'envergure du travail, soit l'évacuation, et la capacité canadienne d'y répondre. Vous m'avez dit que nous nous étions bien débrouillés, mais que notre capacité de réponse n'était pas très bonne. En gros, vous avez dit, et corrigez-moi si je me trompe, que nous avons répondu à l'appel — et quand je dis « nous », je parle du gouvernement du Canada — et surmonté le défi malgré des ressources extrêmement limitées. J'ai cru comprendre que vous aviez dit que le gouvernement du Canada avait dû acheter, louer ou fréter, je ne connais pas le mot exact, des avions ou des navires pour ramener ces ressortissants au pays, mais je n'ai pas l'impression que les autres pays aient eux aussi eu à le faire.
M. Boehm : Pourtant, c'est le cas.
Le sénateur Cools : Autant que le Canada?
M. Boehm : Je ne sais pas de combien de navires ou d'aéronefs ils ont eu besoin, mais ils nous ont demandé de l'aide et des conseils, y compris notre partenaire le plus important, parce qu'ils n'avaient pas la capacité de transporter leur ressortissant par avion. C'est difficile d'évaluer les coûts d'une opération comme celle-ci à partir des coûts fixes de leur équipement militaire.
Dans certains cas, les chiffres étaient différents. Cependant, en moyenne, je pense que beaucoup étaient dans le même bateau et avaient trouvé les mêmes navires qui pouvaient être affrétés. Ils ont eu les mêmes problèmes que nous, comme des primes d'assurance très élevées imposées aux clients — le gouvernement du Canada — puisque c'était une zone de guerre. Les propriétaires de navires ont été obligés d'augmenter leur prime pour que la Lloyd's de Londres accepte de les assurer. En outre, il y avait le facteur d'incertitude, puisqu'on ne savait pas combien de ressortissants pourraient embarquer ni quelle serait l'offre et la demande. Nous avons passés beaucoup de temps au téléphone et les autres pays nous ont contactés très souvent de leur centre d'opérations pour nous demander comment nous faisions telle chose et si nous avions connu tel problème. Nous leur répondions, oui, en effet.
Le sénateur Cools : Je comprends et je pense que c'est très bien, mais je ne peux pas m'empêcher de penser que ces autres pays ont beaucoup plus de ressources à leur disposition que le Canada.
M. Boehm : Dans certains cas, je pense qu'ils avaient des ressources militaires à leur disposition.
Le sénateur Cools : J'aurais dû parler de ressources militaires, en effet. Je sais que l'armée canadienne a été appauvrie voire affamée pendant de nombreuses années, mais j'ai quand même l'impression que les autres pays disposaient de bien plus de ressources militaires que nous pour répondre à cette crise.
M. Boehm : Ce n'est pas le cas de l'Australie et de l'Allemagne. En revanche, la France, le Royaume-Uni et les États- Unis étaient mieux outillés que nous.
Le sénateur Cools : Le sénateur Mahovlich a parlé du fait qu'il y avait 40 000 à 50 000 Canadiens d'origine libanaise et que vous en avez évacué 15 000. Je m'interroge parce que ce genre de situations fait réfléchir. Par exemple, si ce genre de choses se produisait dans une autre partie du monde — ne serait-ce qu'aux États-Unis — et qu'il fallait évacuer les Canadiens... Combien y a-t-il de Canadiens à New York ou à Los Angeles à n'importe quel moment? On ne pense jamais à ces choses-là jusqu'à ce qu'il arrive quelque chose, mais cela attise ma curiosité.
D'accord, on nous dit que c'était la haute saison touristique au Liban, ce qui explique que le nombre de ressortissants était plus important. Je ne sais pas si l'on a des renseignements ou des données sur le nombre de ressortissants canadiens dans les autres pays à un moment X, mais par curiosité, combien de ressortissants canadiens vivent à New York ou à Los Angeles? Il y a dix ans, nous pensions tous que rien ne pouvait arriver, mais le monde a changé le 11 septembre et nous savons que tout peut arriver.
Combien y a-t-il de Canadiens qui vivent à New York, à Los Angeles ou à Londres par rapport aux Canadiens qui vivent au Liban? Je vous pose cette question par curiosité, je ne sais pas si vous avez une réponse.
M. Boehm : Nous avons un programme qui s'appelle Inscription des Canadiens à l'étranger, ROCA. Les Canadiens n'ont pas à s'enregistrer auprès des consulats ou des ambassades canadiennes à l'étranger. Certains le font quand même. Avant, tout le monde le faisait. S'ils étaient étudiants, ils le faisaient naturellement ou ils allaient à l'ambassade pour s'inscrire.
Aujourd'hui, les gens ne le font plus, ou ne le font que sur une base volontaire. Par exemple, dans le sud des États- Unis, lorsqu'il y a eu l'ouragan Katrina et l'ouragan Wilma, les gros ouragans, l'année dernière, seuls quelques centaines de Canadiens s'étaient inscrits, si bien que nous ne savions pas comment les contacter. Nous estimons que le nombre de Canadiens qui vivent aux États-Unis est équivalent à la population de la province de l'Ontario.
Le sénateur Cools : Si ça se trouve, il y a 20 000 Canadiens qui vivent à New York.
M. Boehm : Je pense qu'il y en a beaucoup plus, mais nous n'en savons rien.
Le sénateur Cools : J'ai une amie qui vit près de Los Angeles et qui me dit qu'il suffit de construire une patinoire et les Canadiens iront.
Cependant, alors que nous examinons votre étude et les leçons que l'ont peut tirer pour être prêt à l'avenir dans ce genre de situations d'urgence, il faudra penser au fait que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international devrait avoir une meilleure connaissance de l'endroit où se trouvent les Canadiens.
Je me souviens d'une fois, il y a très longtemps à présent, où j'ai voyagé en Europe à l'âge de 19 ans. Lorsqu'on nous a remis notre passeport, il y avait un dépliant nous exhortant de faire preuve de prudence si l'on essayait de traverser le Rideau de fer. Je me souviens de cela uniquement parce que j'ai pris l'Orient Express. Je me souviens d'avoir lu tous les renseignements qui accompagnaient le passeport et l'information demandant aux voyageurs de signaler aux ambassades dans quel pays ils se rendaient, etc.
Je pense qu'on a laissé tomber tout cela. Peut-être qu'il faudrait y revenir et expliquer aux Canadiens l'importance d'informer les ambassades du pays où ils se rendent. Ce serait sans doute une bonne idée de recommencer à faire tout cela.
M. Boehm : Nous sommes tout à fait d'accord, évidemment.
Le sénateur Cools : Encore une fois, merci. J'ai regardé les événements et j'étais très fier de vous. Je sais qu'il y a eu des dérapages et des problèmes, mais nous n'avons perdu aucune vie. C'est une mesure de votre réussite.
Le président : Avant de laisser la parole au sénateur Mahovlich, j'ai une petite question à vous poser. Vous avez des relations bilatérales constructives avec les Libanais, les Israéliens, les Jordaniens, les Turcs et les Chypriotes. Quelles relations entretenez-vous avec les acteurs non étatiques, qui peuvent jouer un rôle tout aussi vital dans l'évacuation sécuritaire de nos ressortissants — par exemple, le Hezbollah?
Je sais qu'il y a des interdictions. Je sais que les gouvernements disent parfois accepter ou refuser de traiter avec telle organisation, mais si vous êtes sur le terrain et que vous devez évacuer les ressortissants canadiens, comment faites- vous à ce sujet? Comment vous y prenez-vous lorsque l'un des combattants, dont vous dépendez pour assurer l'évacuation sécuritaire de vos ressortissants, fait partie de la liste d'acteurs non étatiques avec lesquels il est difficile de traiter, pour des raisons historiques?
M. Boehm : M. Desjardins va répondre à votre question. Je n'arrive pas à lire sa signature. Il me porte secours.
[Français]
M. Desjardins : Il s'agit de pragmatisme et de diplomatie. Nous avons des missions diplomatiques dans un très grand nombre de pays et le rôle de nos missions est justement de maintenir un contact avec les acteurs principaux.
Quelquefois, ces acteurs ne sont pas nos interlocuteurs habituels ou des interlocuteurs de choix, mais il y va de notre devoir de s'assurer que nous sommes en contact avec les gens qui peuvent affecter les intérêts canadiens quels qu'ils soient.
Également, une bonne mesure de pragmatisme fait en sorte que nos gens sur le terrain, à la lumière de leurs connaissances des conditions locales, se dirigent naturellement vers ceux qui sont en mesure de nous aider en cas de besoin ou de nous nuire en cas de besoin.
[Traduction]
M. Boehm : Si vous me le permettez, monsieur le président, je ne crois pas que ce genre de situations se soit produite en l'occurrence, mais de façon générale, nos chefs de mission — surtout l'ambassadeur de Lorimier — ont de très bons contacts sur le terrain, ici, au Liban. Comme M. Desjardins l'a dit, la première chose à faire serait de déterminer si nous avons besoin de contacter ou de demander de l'aide de ces acteurs non étatiques.
Le sénateur Mahovlich : Je voulais savoir s'il y avait plus d'Américains au Liban qu'il n'y avait de Canadiens.
M. Boehm : Sénateur, les Américains ont évacué environ 14 650, ce qui veut dire qu'ils ont évacué presque le même nombre de personnes que nous, environ.
Au moment de la crise, ils estimaient qu'il y avait environ 30 000 Américains au Liban. Les Australiens avaient une population semblable à la nôtre et les Brésiliens, plutôt 60 000 personnes. Nous avons fini par évacuer des ressortissants brésiliens également. Beaucoup d'entre eux ont pris la route vers le nord.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce que les trains fonctionnaient ou est-ce qu'ils avaient été bombardés?
M. Boehm : Dans certains cas, il y avait des bus qui faisaient le chemin vers la Turquie en suivant l'autoroute côtière, mais c'était un voyage long et périlleux.
Le sénateur Mahovlich : En Europe, le réseau ferroviaire est très développé et le service est excellent. A-t-on fait des évacuations par train?
M. Boehm : Il n'y avait pas de service ferroviaire au Liban.
[Français]
Le sénateur Corbin : J'ai une question quant à, encore une fois, la récupération des frais, auprès des personnes qui ont bénéficié de vos services. Au haut de la page 2, vous nous indiquez que, en 2005, vous avez été impliqués dans à peu près 1 300 cas. Mais ce chiffre comprend beaucoup plus de personnes en réalité. Vous parlez de cas dans lesquels plusieurs personnes peuvent être incluses. En réalité, combien de personne cela représente-t-il en tout, dans vos chiffres de 2005? Vous avez 870 cas de décès, ce qui fait qu'il reste 440 autres cas, de personnes vivantes, je suppose. Mais cela représente combien de personnes qui ont bénéficié de vos services?
M. Desjardins : C'est comme cela que nos statistiques sont produites. Il est difficile de voir chaque incident et de déterminer combien de personnes étaient impliquées. Je ne peux pas vous donner les cas précis, mais on pourrait le faire si vous le souhaitez.
Le sénateur Corbin : Ce n'est pas absolument nécessaire pour le moment, car on parle surtout du Liban et c'était pour mettre en contexte l'importance de l'opération. Il reste néanmoins que je dois vous poser la question : est-ce que vous avez récupéré des frais dans ces cas là?
M. Desjardins : Dans tout ces cas, oui.
Le sénateur Corbin : Dans tous les cas?
M. Desjardins : Dans tous les cas où des dépenses sont faites au-delà de ce qui est normalement fourni. Les Canadiens remboursent sur-le-champ ou, s'ils sont eux-mêmes en détresse, ils doivent signer une reconnaissance de dette à la Couronne. C'est le mécanisme utilisé pour récupérer les frais engagés.
Le sénateur Corbin : Peut-on conclure que 100 p. 100 des personnes concernées honorent cet engagement?
M. Desjardins : Non, mais c'est un très haut pourcentage, parce que la Couronne se réserve le droit de ne pas offrir un service de passeport aux gens qui ont une dette envers elle. Ceux qui veulent voyager à nouveau doivent remettre la totalité de leur dette. Le taux de remboursement est assez élevé. Je n'ai pas les chiffres, mais c'est très élevé.
Le sénateur Corbin : Dernière question, au chapitre de ce service consulaire, est-ce que vous avez un budget annuel?
M. Desjardins : Oui, ma direction générale à un budget de quatre millions de dollars par année, mais le programme dans sa totalité vaut 66 millions de dollars, dans la mesure où les ressources consulaires sont essentiellement à l'étranger et font partie des comptes de la mission. Autrement dit, le personnel consulaire, leurs salaires et les dépenses consulaires engagées sont comptabilisés dans chaque mission. On sait que le programme dans sa totalité représente 66 millions de dollars.
[Traduction]
Le sénateur Cools : Je pense que c'était le sénateur De Bané qui a remarqué qu'il existe 22 pays arabes. Après la crise de cet été, je m'interroge sur deux choses. J'aimerais que vous répondiez à l'une de mes deux questions : dans votre processus de recrutement, à la fois dans l'armée et au ministère des Affaires étrangères, vous êtes en train de chercher des personnes qui parlent arabe. Quel genre de contacts nos autorités ont-elles au Liban? Je sais que l'on parle beaucoup le français au Liban, mais je me demande si le processus de recrutement des ministères et des forces armées comprend ce type de compétences, soit la capacité de parler arabe. Je me demande souvent comment les soldats envoyés sur le terrain font pour communiquer. On devrait encourager l'utilisation de l'arabe. C'était une des caractéristiques de ceux qui partaient au Moyen-Orient, il y a quelques années. Il y avait parmi eu Gertrude Bell. Je pense qu'elle parlait trois ou quatre langues, dont le parsi. Je me demande si vous l'avez envisagé?
Le président : Nos témoins veulent-ils répondre à la question?
M. Boehm : La réponse est oui. Ce n'est pas que nous y avons pensé, mais cela fait partie de nos exigences, et depuis un certain temps.
Le sénateur Cools : Très bien.
M. Boehm : Lorsque l'on détermine les personnes qui partiront sur le terrain, sur une base volontaire, évidemment, nous convainquons certains que c'est dans leur intérêt d'y aller, et c'est ce qu'ils ont fait. Nous avons cherché des arabophones. Nous avons également cherché des personnes qui parlent le turc et le grec et des gens qui connaissaient ces pays et le Moyen-Orient. Nous avons pu mettre sur pied une bonne équipe avec une capacité linguistique intéressante.
Dans le cadre de nos missions, il y a, bien sûr, du personnel engagé sur le terrain qui fait du très bon travail. Ils sont sur place et parlent la langue autochtone. Ils nous ont vraiment rendu service.
Le sénateur Cools : Pour revenir à la question du sénateur Segal au sujet des acteurs non étatiques, l'histoire des conflits humains est toujours marquée de héros. Il est important que vous connaissiez ces personnes qui se démarquent par leur courage. Le sénateur Segal a dit élégamment que tout le monde s'inquiétait, moi y compris, que les zones où se trouvaient les Canadiens puissent être des cibles, tout d'un coup, ou puissent être dangereuses. C'est délicat d'y penser, mais il faut parfois que l'on puisse contacter ou traiter avec ces personnes.
Récemment, j'ai étudié la révolte arabe de la Première Guerre mondiale, et Lawrence d'Arabie avait énormément de contacts un peu partout. Je vous dis cela parce que compte tenu de l'envergure de votre tâche et de votre réussite, nous aurions pu vivre plusieurs catastrophes. Cependant, je pense qu'il faut être conscient que la situation a montré que nos connaissances étaient défaillantes et que les besoins étaient importants. C'est un des avantages de l'étude dont nous sommes saisis. Merci beaucoup, sénateur Segal, de votre initiative.
Le président : Au nom de tous nos collègues, je souhaite exprimer notre profonde gratitude aux fonctionnaires et aux soldats qui ont pu nous faire part de leur perspective et de leur expérience.
Au début de cette étude, lors de notre première réunion, nous avons exprimé notre gratitude générale pour le travail extraordinaire qui a été fait au nom du Canada lors du rapatriement sécuritaire de nos ressortissants, malgré des circonstances difficiles. L'objet de cette étude est de nous assurer d'avoir tiré des leçons de cette expérience, dans nos propres opérations mais encore dans le contexte de la sensibilisation et de l'éducation de la population, de sorte que tout le monde comprenne le problème de ressources et autres et que le Parlement comble ces lacunes afin que nous soyons mieux équipés dans l'avenir. Merci d'avoir répondu à nos questions de façon aussi honnête et précise.
La séance est levée.