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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 13 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 27 février 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 17 h 5 pour élire un président, ainsi que pour étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement en rapport aux relations étrangères en général.

[Français]

M. François Michaud (greffier du comité) : Honorables sénateurs, je constate que nous avons le quorum. En tant que greffier du comité, il est de mon devoir de procéder à l'élection d'un président.

[Traduction]

Je suis maintenant prêt à recevoir les nominations.

Le sénateur Andreychuk : Je nomme le sénateur Di Nino pour la présidence de ce comité.

M. Michaud : Merci.

Y a-t-il d'autres nominations?

Le sénateur Downe : Je nomme le sénateur Stollery.

M. Michaud : Merci.

Y a-t-il d'autres nominations? Je n'en vois pas d'autres et nous allons donc passer au vote.

Il est proposé par le sénateur Andreychuk que le sénateur Di Nino soit président de ce comité. Les sénateurs sont-ils d'accord?

Des voix : D'accord.

Des voix : Non.

Le sénateur Corbin : Pourrait-on avoir un vote nominal, s'il vous plait? Pourriez-vous répéter la question, monsieur le greffier?

M. Michaud : Comme il s'agit d'un appel nominal, je vais descendre ma liste par ordre alphabétique.

La motion est la suivante : il est proposé, par le sénateur Andreychuk, que le sénateur Di Nino soit président du comité.

Sénateur Andreychuk.

Le sénateur Andreychuk : Oui.

M. Michaud : Sénateur Corbin.

Le sénateur Corbin : Non.

M. Michaud : Sénateur Dawson.

Le sénateur Dawson : Non.

M. Michaud : Sénateur Di Nino.

Le sénateur Di Nino : Oui, et je suis très honoré, ne serait-ce que d'avoir été nommé. Merci.

M. Michaud : Sénateur Downe.

Le sénateur Downe : Non.

M. Michaud : Sénateur Merchant.

Le sénateur Merchant : Non.

M. Michaud : Sénateur Segal.

Le sénateur Segal : Oui, avec beaucoup d'enthousiasme.

M. Michaud : Sénateur Smith.

Le sénateur Smith : Je regrette de devoir dire non, parce que je n'ai rien de personnel contre le sénateur. Sachez que vous êtes un brave type.

Le sénateur Stollery : C'est un brave type, mais je vote non tout de même.

M. Michaud : Trois oui, six non. La motion est défaite.

Je vais à présent passer à la seconde motion. Il est proposé par le sénateur Downe que le sénateur Stollery soit président du comité. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter cette motion?

Des voix : D'accord.

M. Michaud : La motion est adoptée.

Sénateur Stollery, vous êtes dûment élu président du comité.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

Le président : Merci. Mon premier devoir consiste à démissionner de ma fonction de vice-président du comité, ce que je fais sur-le-champ. Mon second devoir consiste à me tourner vers les témoins, mais je ne les aperçois pas.

Excusez-moi. Sénateur Corbin, puis sénateur Downe.

Le sénateur Corbin : Monsieur le président, je pense que vous devriez maintenant démissionner de vos fonctions de vice-président.

Le président : Je pensais l'avoir fait à l'instant. Je démissionne en tant que vice-président.

Le sénateur Corbin : Et le comité l'accepte-t-il?

Le président : Je l'espère bien.

Le sénateur Corbin : J'ai un troisième point que j'aimerais ajouter à l'ordre du jour. Je voudrais que nous l'intitulions : « Futurs travaux du comité, étude de l'ébauche de rapport concernant l'évacuation des Canadiens du Liban, juillet 2007 ».

Nous pourrons en parler à la fin de cette réunion, si le comité est d'accord.

Le président : Cet ajout est-il gré aux sénateurs?

Des voix : Oui.

Le sénateur Downe : Étant donné que le sénateur Segal a démissionné parce que sa direction le lui a demandé — et cela sans égard au travail exceptionnel qu'il a accompli en qualité de président de ce comité, surtout à la faveur de la promotion et de tout le travail qui a été effectué au sujet du dernier rapport sur l'Afrique —, son retrait constitue une importante perte pour ce comité, mais la fonction de vice-président étant à présent disponible, il est possible que des sénateurs Conservateurs envisageront de l'occuper.

Je constate qu'ils sont tous absents pour l'instant, mais ils voudront peut-être y réfléchir. Tous les membres du comité voudront peut-être envisager cette formule assez rapidement.

Le président : Tout à fait, et cela établit le lien avec la motion du sénateur Corbin au sujet des futurs travaux du comité. Je ne m'étendrai pas davantage sur le sujet, parce que nos témoins viennent d'arriver.

J'indique, à l'intention de ceux et de celles qui nous regardent, que cette réunion a été organisée par le sénateur Segal. Nous avons donc, en quelque sorte, hérité de cet ordre du jour auquel nous allions tous donner notre aval. Il n'y a jamais eu de problème à ce sujet. Lors de la dernière réunion, nous avons félicité le sénateur Segal pour son travail de président.

Nous accueillons à présent Christopher Alexander, représentant spécial adjoint du Secrétaire général pour l'Afghanistan, des Nations Unies, et James Appathurai, porte-parole de l'OTAN.

Je ne sais pas qui veut commencer.

Vous ne l'aurez pas remarqué, mais notre comité a connu quelques complications depuis le dépôt d'un rapport très important sur l'Afrique, il y a une semaine environ. Le sénateur Dallaire se joint à nous pour cette réunion. Il ne fait normalement pas partie du comité, mais il a un intérêt particulier pour l'Afghanistan. Je crois que le mieux serait que — sénateur Corbin.

Le sénateur Corbin : Je prie nos invités de nous excuser, mais avant que nous n'entamions les travaux du comité, je fais appel à l'appui de mes collègues pour demander un appel nominal des sénateurs actuellement présents à cette réunion. Je sais que c'est tout à fait inusuel, mais je crois que c'est ce que nous devrions faire, étant donné les circonstances.

Le président : Voulez-vous procéder à l'appel des membres du comité, monsieur Michaud?

Le sénateur Corbin : Appelez les noms et nous vous dirons si nous sommes présents.

M. Michaud : Voici donc les membres présents : sénateur Andreychuk, sénateur Corbin.

Le sénateur Corbin : Présent.

M. Michaud : Sénateur Dawson.

Le sénateur Dawson : Présent.

Le président : Allez-y et les membres présents l'indiqueront tout simplement.

M. Michaud : Sénateur De Bané, sénateur Di Nino, sénateur Downe.

Le sénateur Downe : Présent.

M. Michaud : Sénateur Merchant.

Le sénateur Merchant : Présent.

M. Michaud : Sénateur Oliver, sénateur Phalen, sénateur Segal, sénateur Smith.

Le sénateur Smith : Présent.

M. Michaud : Sénateur Stollery.

Le président : Présent.

M. Michaud : Les membres d'office sont les sénateurs LeBreton et Hervieux-Payette.

Le sénateur Smith : J'aimerais obtenir une précision de la part du greffier au sujet de la procédure. J'ai cru comprendre que, même s'il est convenu que les comités ne siègent pas quand les deux côtés ne sont pas représentés, il ne s'agit pas pour autant d'une règle de procédure. Je suppose que les membres qui se sont absentés ont décidé de le faire de leur propre chef.

Existe-t-il un précédent indiquant que le comité peut siéger dans la mesure où le quorum est respecté?

Le président : Je tiens à rappeler que la procédure d'aujourd'hui est un peu inhabituelle à cause des événements. Le quorum pour notre comité est fixé à quatre. Si quelqu'un décide de se retirer à partir de maintenant, nous verrons ce qui se passe alors. Cette réunion se déroule donc conformément aux règles et nous allons entendre les témoignages. Certes, il y en a qui sont un peu irrités pour l'instant, parce qu'ils avaient institué des procédures dérogeant à nos habitudes et qu'ils se rendent compte des conséquences de ce changement.

Comme vous le savez, sénateur Smith, quand le sénateur Segal a été contraint de démissionner, les membres de notre côté n'ont pas accepté sa démission et nous nous sommes retrouvés plongés dans la situation que nous connaissons aujourd'hui.

Il est à présent 17 h 10 et, s'il n'y a pas d'autres questions, nous allons passer aux témoignages. J'invite donc Christopher Alexander, des Nations Unies, à nous livrer ses remarques liminaires; il sera suivi de James Appathurai, de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord.

Christopher Alexander, représentant spécial adjoint du Secrétaire général pour l'Afghanistan, Nations Unies : Merci. Je suis très heureux de vous rencontrer aujourd'hui et je dois préciser que James Appathurai et moi sommes ravis de passer deux jours à Ottawa pour rencontrer des comités parlementaires et nous retrouver dans différentes arènes publiques afin de parler des défis et des réalisations de la mission en Afghanistan jusqu'ici.

Je tiens tout d'abord à féliciter le Canada, sa société et son gouvernement, qui, depuis le début de la mission afghane, il y a quelques années de cela et même récemment — pas plus tard qu'aujourd'hui — a fait preuve d'un engagement réel et croissant envers l'une des grandes causes internationales de notre époque, je veux parler du développement et de la reconstruction de l'Afghanistan après un quart de siècle de conflit.

[Français]

Honorables sénateurs, il est très clair dans notre esprit, sur le terrain à Kaboul, au sein des organisations internationales représentées en Afghanistan sous l'égide desquelles on travaille en Afghanistan, que la collaboration compte pour énormément. C'est dans cet esprit qu'on se présente devant vous comme représentants des Nations Unies et de l'OTAN, pour montrer jusqu'à quel point ces organisations, si précieuses pour les Canadiens et les Canadiennes et pour notre politique internationale, œuvrent de concert en Afghanistan dans le contexte des mêmes objectifs, des mêmes buts, afin de stabiliser ce pays et d'établir les conditions pour une progression rapide de la prospérité et d'une croissance économique renforcée en Afghanistan.

[Traduction]

Entendons-nous bien. Même au début, cette mission n'a jamais consisté à uniquement détruire les bases terroristes. Il a plutôt été question de faire la preuve que la communauté internationale était déterminée, au nom de la reconstruction nationale, à appuyer la lutte contre la pauvreté et à favoriser la création de nouvelles institutions dans un pays qui mérite de progresser sur ces deux plans.

L'Afghanistan n'a pas connu la paix depuis 1978 au moins. La guerre secoue ce pays depuis l'époque de l'intervention soviétique en Afghanistan qui présentait de nombreuses facettes et qui a comporté de nombreuses étapes. C'était une période où les Afghans considéraient que leur pays était occupé et cela a duré plus de 10 ans. Durant cette période, l'Afghanistan a été la scène de l'une des guerres civiles les plus dures de la seconde moitié du XXe siècle. C'était aussi une époque où l'Afghanistan a été dirigé par l'un des régimes les plus cruels et les plus répressifs de la fin du XXe siècle. Ce régime était l'antithèse même des valeurs et des droits de la personne qui nous sont si chers. Le 11 septembre 2001 a été une autre tragédie dont les origines étaient en Afghanistan. Elle fut l'occasion, pour la communauté internationale, d'intervenir véritablement et de bonne foi dans ce pays, en fonction d'un plan sans égal, du moins pas dans les anales de l'engagement international en Afghanistan.

Le principal message dont je suis porteur, c'est que les réalisations collectives de la communauté internationale en Afghanistan sont considérables. On pourrait même dire qu'il assez tragique que, depuis cinq ans, cette chose-là ne soit pas mieux connue au Canada et ailleurs dans le monde.

En 2001, l'accès aux soins de santé en Afghanistan était quasiment inexistant. Aujourd'hui, près de 85 p. 100 de la population a accès à un bouquet de services de soins de santé de base. Cela veut dire que les Afghans peuvent maintenant trouver une clinique dans leur voisinage immédiat. Ils peuvent trouver un médecin ou une infirmière dans le district ou dans la collectivité où ils habitent, ce qui n'était pas possible sous le régime taliban.

En 2002, l'économie de l'Afghanistan représentait près de 4 millions de dollars américains à l'exclusion du commerce du pavot. En 2006, on l'estimait à 8,9 millions de dollars américains. Elle a donc plus que doublé en quatre ans malgré un conflit qui perdure. Ce taux de croissance a dépassé celui de la culture et du commerce du pavot qui continue de représenter un énorme obstacle au développement du pays. En 2002, Le revenu annuel par habitant en Afghanistan n'était que de 150 $, ce qui ne représentait guère plus de 10 $ par mois pour chaque homme, femme et enfant afghan. Aujourd'hui, il est nettement supérieur à 300 USD et le commerce avec les pays voisins, comme le Pakistan et l'Iran, a explosé. La devise afghane a été réformée et elle s'est stabilisée. L'inflation est faible, le budget est équilibré et les recettes ont augmenté de plus de 30 p. 100 par an pour chacune des trois dernières années.

Quand on dit cela, on a l'impression de relater un simple succès économique, mais pour les Afghans, c'est beaucoup plus : c'est une bouffée d'oxygène économique. Pour les résidents de ce pays, qui est l'un des plus pauvres au monde, ces données sont synonymes d'opportunités, ce qui est nouveau pour eux après plus de 30 ans de noirceur.

La construction ou la réouverture de milliers d'écoles a permis d'accueillir 5,4 millions d'enfants, dont 34 p. 100 de fillettes. C'est un combat historique pour le pays, surtout dans le cas de l'instruction des filles. En ce qui concerne la construction du réseau routier, l'Afghanistan connaît l'une des périodes les plus ambitieuses de son histoire. De nouvelles lignes de transmission d'électricité sont en construction; elles permettront de desservir Kaboul l'année prochaine ainsi que les principales villes du sud de l'Afghanistan d'ici 2009.

La pauvreté manifeste à Kandahar, à Kaboul et partout ailleurs en Afghanistan nous fait souvent perdre de vue l'ampleur des progrès réalisés au cours des cinq dernières années. Il nous est difficile, à nous nord-américains et occidentaux, de comprendre la différence entre 150 $ et 300 $ par an. Il faut bien le dire, rares sont ceux qui vont considérer que 30 $ par mois est une réussite, mais pour les Afghans, ce supplément représente une étape importante dont ils s'enorgueillissent, parce qu'il est le résultat de leur sacrifice et de leur dur labeur et que c'est une forme de progrès que les Canadiens, en tant que représentants de la communauté internationale, sont fiers d'avoir appuyé.

Ces statistiques ont donné vie à l'espoir. Elles montrent que la paix et une vie meilleure sont à portée de main.

Bien sûr, il y a toujours les autres, ceux qui veulent prouver que le conflit en Afghanistan n'aura pas de fin. En 2001, le régime taliban n'a pas été taillé en pièces, puisqu'il a simplement été chassé du pays. Dans les cinq années qui ont suivi, il s'est reconstitué, il a trouvé de nouvelles sources de financement et a renoué avec d'anciens alliés.

L'année dernière, dans le sud de l'Afghanistan, pendant le changement de la garde entre les États-Unis et l'OTAN, les talibans ont entrepris de défier l'autorité gouvernementale à Kandahar. Ce fut le principal effort de l'insurrection talibane en 2006, principalement dirigée contre la province dont le Canada a la responsabilité et donc principalement contre les Forces armées canadiennes.

Les talibans ont l'intention de faire remontrer l'Afghanistan dans le temps jusqu'en 1999 ou même 1994, à l'époque où les fillettes n'avaient pas accès à l'école, où l'on pratiquait une justice sommaire en totale contravention du droit à un procès juste et équitable et des droits de la personne, à l'époque où les terroristes avaient véritablement les choses en main.

En septembre 2006, sous l'égide de la Force internationale d'assistance à la sécurité — la FIAS —, sous mandat de l'ONU, la communauté internationale a réagi à cette menace en lançant l'opération Méduse qui n'était ni plus ni moins qu'une intervention militaire classique menée contre un ennemi juré de la paix. Cette opération a été l'occasion, pour l'OTAN, de mener son tout premier combat au niveau de la brigade, combat qui a été principalement conduit et remporté par des Canadiens grâce à l'appui indéfectible de forces alliées et à la sanction du Conseil de sécurité des Nations Unies.

[Français]

L'opération Méduse a changé le paysage du sud de l'Afghanistan. Elle a fait renaître l'espoir parmi les tribus de cette région. Les tribus se sont ralliées aux Canadiens et à la cause dont elles sont devenues les championnes lors de cette opération difficile, exigeante mais réussie. Le moral des talibans a été particulièrement atteint et, en bout de ligne, cette opération a permis la création d'un réseau routier, d'emplois et le développement de districts ruraux tel que celui de Penjwaii, qui était il y a 10 ou 11 mois encore sous le contrôle des réseaux talibans.

[Traduction]

L'opération Méduse a permis au gouvernement afghan de reprendre l'avantage sur la résurgence talibane, dans une lutte mortelle entre deux volontés. En décembre, le président Karzai lui-même a passé cinq jours dans la province de Kandahar, soit la plus longue période depuis son arrivée aux manettes du pays. Son ministre du développement rural a visité les villages ravagés par les combats pour leur offrir l'appui concret du gouvernement. Le directeur national de la sécurité afghane a prêté main forte pour démanteler les réseaux spécialisés dans les attentats suicides à Kandahar, à Khost et à Kaboul. D'ailleurs, vers la fin de l'année, le numéro trois des talibans a été tué lors d'une opération dans la province d'Helmand, ajoutant ainsi un nouvel épisode à la série de succès remportés par l'OTAN et par les forces de sécurité afghanes qui ont contribué à faire en sorte que la difficile année 2006 se termine sur une note d'espoir.

En 2007, même si nous nous attendons à un regain de violence au printemps et en été, l'OTAN, la FIAS, le président Karzai et son gouvernement sont mieux préparés que jamais pour affronter l'insurrection. C'est grâce à l'appui de pays comme le Canada qu'il est maintenant possible de faire porter l'accent sur des aspects comme la qualité de la gouvernance dans le sud de l'Afghanistan et aux échelons subnationaux et provinciaux, de même que sur la nécessité fondamentale d'instaurer un état de droit et de réformer les institutions judiciaires.

La culture du pavot à opium dans les provinces touchées par l'insurrection, soit celles de Kandahar et de Helmand, continue de poser un énorme défi. En tant que représentant officiel de l'ONU, je dois d'ailleurs vous avouer que ce défi n'est pas maîtrisé et que nous ne nous y sommes pas encore attaqués de façon satisfaisante. Pourtant, nous obtenons de bons résultats sur ce plan, dans certaines régions du pays où l'état de droit et la gouvernance ont été solidement instaurés et où nous avons constaté une chute de la production de pavot. Comme nous le savons, ce n'est pas encore le cas dans le Sud. Les Canadiens ont donc du pain sur la planche en qualité de membres de la communauté internationale pour permettre à ces provinces de récolter les dividendes de la paix qui seront tellement essentiels pour l'avenir de l'Afghanistan.

Les stratégies, les ressources et les plans en place sont crédibles et, à la suite d'annonces comme celle faite hier, il y a toutes les chances qu'ils aboutissent. Notre défi consiste maintenant à les mettre en œuvre, à convaincre nos partenaires Afghans qu'il leur faut prendre des décisions difficiles et remplacer des dirigeants corrompus et inefficaces par des gens compétents et intègres. Chaque fois que nous nous sommes exprimés en tant que membres de la communauté internationale et que nous avons travaillé dans le sens de la collaboration et de la persuasion au côté du gouvernement afghan, nous avons réussi, même sur ces fronts difficiles.

[Français]

Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à comparaître devant votre comité afin de vous parler de l'Afghanistan.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur Alexander. Je vais prendre un instant pour donner un aperçu de votre biographie aux membres du comité. M. Alexander est l'un des deux représentants spéciaux adjoints du Secrétaire général pour l'Afghanistan. Il est entré au ministère canadien des Affaires étrangères en 1991 et a été sous-directeur pour la Russie et sous-ministre adjoint des Affaires étrangères avant d'être envoyé en poste à Moscou, une première fois de 1993 à 1996 et une deuxième fois de 2000 à 2003. En 2003, il a été nommé ambassadeur du Canada en Afghanistan.

M. Appathurai, que nous allons entendre à présent, est porte-parole de l'OTAN depuis 2004. Après un bref séjour à la CBC, il est rentré au ministère de la Défense nationale en 1994 en qualité d'agent de la politique. En 1998, il est devenu chef adjoint et administrateur principal, planification, à la Division des Affaires politiques de l'OTAN.

[Français]

James Appathurai, porte-parole, Organisation du Traité de l'Atlantique du Nord : Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir permis de parler de ce sujet de première importance pour l'OTAN depuis quelques années. C'est devenu notre priorité numéro un. Le rôle du Canada est tellement important pour l'OTAN, grâce à cette mission en particulier. C'est une bonne occasion de débattre entre nous des questions importantes qui nous préoccupent.

[Traduction]

L'Afghanistan est devenu une priorité pour l'OTAN, ce qui constitue un énorme changement pour nous; il est facile d'expliquer ce que nous faisons dans les Balkans, mais il est plus difficile de faire comprendre pourquoi nous déployons des troupes dans le Hindu Kush. Il est là le défi pour nous tous et pour nos populations.

Et puis, nous avons réalisé d'énormes progrès dans les relations entre l'OTAN et l'ONU. Vous aurez constaté ce genre de progrès dans les relations stratégiques que nous avons entre nous deux. Sur le terrain, c'est la même chose, parce que nous avons instauré de nouvelles relations.

L'OTAN comprend que notre mission en Afghanistan est placée sous la direction de l'ONU et qu'elle obéit à un mandat de l'ONU. L'OTAN comprend que son rôle consiste à nettoyer le terrain et à le tenir pour favoriser la reconstruction et le développement en vue d'améliorer la vie du peuple afghan. Sa mission vise aussi à instaurer la sécurité pour permettre à M. Alexander — qui dirige l'effort de l'ONU sur place — ainsi qu'aux ONG et à tous les acteurs civils d'instaurer les conditions nécessaires à l'amélioration de la stabilité.

Nous sommes biens conscients qu'il ne peut y avoir de développement sans sécurité et nous pouvons nous charger de ce volet, mais il ne peut y avoir non plus de stabilité à long terme sans développement. Tout cela représente un véritable travail d'équipe à l'échelle internationale entre nous et l'ONU. C'est une bonne chose pour le Canada, parce que nous participons à ces deux organisations depuis très longtemps. Celles-ci constituent depuis longtemps les deux principaux piliers de notre politique étrangère, pour ce qui est de notre participation aux organisations internationales, et il se trouve que les deux se rapprochent l'une de l'autre.

J'entends vous entretenir brièvement de quatre choses. D'abord, fonctionnaires et politiciens doivent continuer d'insister sur les raisons de notre présence en Afghanistan. Il est facile d'oublier que ce pays a fait courir un danger « clair et présent » à la communauté internationale jusqu'en 2001. Il a abrité une multitude d'organisations terroristes, dont al-Qaïda bien sûr, mais bien d'autres également.

Les talibans ont accueilli des groupes extrémistes islamiques venant de Russie, du Pakistan, de la Chine, de Birmanie, de l'Iran, de l'Asie centrale et de nombreux autres pays d'Extrême-Orient. Tous ces gens-là se rendaient en Afghanistan pour y être entraînés avant de mener des opérations ailleurs, et nous avons vu de quel genre d'opérations il s'agissait le 11 septembre, mais aussi avant et après cette date. Nous ne devons pas oublier que ce pays a été la plaque tournante du terrorisme et nous devons veiller à ce que tel ne soit plus jamais le cas.

M. Alexander a mentionné les violations des droits de la personne qui se sont produit dans ce pays. Elles sont tellement énormes que le porte-parole de l'OTAN que je suis a tendance à ne pas vouloir en parler. Je ne voudrais pas qu'on m'accuse de dramatiser la situation à l'excès, même s'il n'est pas possible de trop en mettre dans ce genre de situation. Notre pays a une grande tradition, celle de lutter pour la protection des droits humains fondamentaux. Notre présence sur place répond à un intérêt stratégique fondamental de même qu'à notre désir de faire vivre notre tradition de défenseur des droits de la personne. C'est aussi pour cela que nous sommes là-bas et nous devons poursuivre notre action dans ce sens. Ces deux logiques et l'intervention en Afghanistan sont tout aussi valables aujourd'hui que par le passé. Ceux que nous combattons là-bas en ce moment sont les mêmes que ceux que nous combattions il y a cinq ans, et c'est d'ailleurs l'un des messages très appuyés que j'entends faire passer auprès des membres de l'alliance, au nom de l'OTAN.

Il s'agit d'un engagement à long terme. Les motifs d'intervention sont aussi valables aujourd'hui qu'ils l'étaient par le passé. Nous avons vraiment intérêt, pour le long terme, à nous assurer que l'Afghanistan ne sera plus une menace pour lui-même, pour la région ou pour les autres membres de la communauté internationale. Je suis très en faveur, au nom de l'OTAN, d'encourager tous les alliés de l'OTAN à adopter une vision à long terme. Il en va tout autant de notre intérêt aujourd'hui qu'il y a cinq ans et ce sera la même chose dans cinq ans d'ici.

Nous pouvons gagner, à condition que la sauce monte. Il faut que les gens entendent ce message. Les indicateurs du développement dont M. Alexander vous a parlé sont très importants. La vie des Afghans s'améliore, ils ont plus d'argent en poche, ils ont davantage accès aux soins de santé et leurs enfants, notamment leurs fillettes, peuvent aller à l'école. On trouve, dans les universités, des étudiants qui n'auraient jamais pu y aller avant, notamment un grand nombre de jeunes femmes.

Jusqu'ici, 4 000 kilomètres de route ont été construits dont la route circulaire. Cette année, on prévoit d'en construire mille autres. L'OTAN, conformément à sa mission, contribue à la mise sur pied de l'armée nationale afghane pour qu'elle soit en mesure de combattre, parce que les Afghans doivent se battre pour eux-mêmes. Partie de rien, cette armée nationale afghane est maintenant forte de 30 000 hommes. Les pays de l'OTAN les ont équipés de dizaines de milliers de petites armes, de millions de cartouches, de véhicules de transport de troupes blindés et d'hélicoptères. Nous n'avons cependant pas encore mobilisé suffisamment de cadres et d'agents de liaison pour les aider à se déployer de la façon la plus efficace possible, mais nous avons l'intention d'améliorer les choses sur ce plan.

Nous devons faire mieux, surtout en ce qui concerne la police. Je sais que le Canada participe à la formation des policiers afghans qui constituent un pilier très important. Or, ils sont aussi le talon d'Achille de l'Afghanistan, si bien qu'il convient de progresser sur ce plan également.

Six ans après le début de l'intervention en Afghanistan, on constate qu'en général le niveau de vie des Afghans s'améliore et c'est d'ailleurs ce qui explique notre présence sur place.

Troisièmement, il y a lieu de se demander si nous avons suffisamment de troupes sur le terrain et si les autres alliés font leur part. C'est une question que l'on pose dans la presse. Pour l'OTAN, la réponse est oui, deux fois oui! Au cours des trois derniers mois, nous avons assisté à une augmentation considérable de la capacité de combat des alliés. Si l'on tient compte de la récente déclaration faite par le Royaume-Uni, nous aurons ajouté en tout 7 000 soldats aux effectifs qui avaient été prévus lors du sommet de Riga. Le gros de ces militaires seront déployés ou mis à disposition dans le Sud, ce qui est une excellente nouvelle pour le Canada et bien sûr pour l'OTAN. Je dois ajouter qu'en plus des contributions britanniques et américaines, les Norvégiens ont déployé leurs forces spéciales sur le terrain. Nous bénéficions aussi des forces spéciales d'autres pays qui n'ont pas encore fait d'annonce publique. Les Danois envisagent d'augmenter leur contribution et les Allemands vont approuver le déploiement de six chasseurs de reconnaissance Tornado. Nous avons plus d'UAV et de C130. Les Australiens, eux, envisagent d'augmenter considérablement le nombre de soldats sur le terrain et, en tout, nous aurons plus que doublé nos effectifs.

Le nombre de militaires mis à la disposition du Commandement régional du Sud est passé de 1 000, il y a 18 mois, à plus de 12 000 aujourd'hui, soit une augmentation de 12 fois en 18 mois grâce à la contribution de huit pays, dont le Canada bien sûr, qui ont donc joué un rôle très important. Tout cela pour dire que l'impression des médias, selon laquelle le Canada se bat seul là-bas, qu'il n'a pas d'allié pour l'appuyer, n'est pas fondée. Je peux vous dire que les chasseurs Mirage de l'Armée de l'air française qui ont assuré l'appui aérien rapproché aux troupes canadiennes, il y a trois ou quatre semaines, ont un impact très important pour les unités au sol. L'engagement pris par les alliés de l'OTAN, lors du sommet de Riga, de se déployer n'importe où dans le pays en cas d'urgence a été confirmé par la France et par d'autres, même si je n'ai donné que l'exemple de la France parce qu'elle a directement appuyé les troupes canadiennes.

Le ministre O'Connor et le général Hillier ont tous deux déclaré qu'ils sont globalement satisfaits des effectifs déployés et des engagements pris par les autres pays en matière d'appui mutuel. Tous deux avaient réclamé à cor et à cri l'augmentation des effectifs sur place. S'ils disent que les choses se sont améliorées et s'ils sont satisfaits de la situation, il y a lieu de les croire. C'est que ce nous faisons à l'OTAN.

Quatrièmement, on a pu lire dans la presse que les Afghans n'accepteront jamais l'occupation étrangère, qu'ils nous renverseront parce qu'ils nous considèrent comme des occupants, qu'ils n'aiment pas leur gouvernement et qu'ils préfèrent les talibans. J'ai constaté que la presse martèle ce genre d'argument. Or, trois grands sondages ont été réalisés en Afghanistan au cours des trois dernières années et, quand on fait une moyenne des données, on constate que 75 et 80 p. 100 des Afghans appuient actuellement les forces étrangères.

Le président : Comment fait-on un sondage en Afghanistan?

M. Appathurai : Ce sont deux firmes, présentes depuis les débuts — l'Asia Foundations et une autre — qui s'en sont chargées. Je sais que les sondeurs ont sillonné le pays, qu'ils ont parcouru toutes les régions et ont vu des dizaines de milliers d'Afghans. Le travail sur le terrain a été réalisé par du personnel recruté sur place. Ceux qui font les sondages pour la BBC — je ne connais pas la méthodologie employée, mais il s'agit tout de même de la BBC — savent ce qu'ils font, ou du moins je l'imagine.

D'après ces sondages, 80 p. 100 de la population en moyenne continue d'appuyer la présence de forces étrangères, et cette proportion n'est pas en recul. Deuxièmement, 80 p. 100 des Afghans appuient leur gouvernement élu démocratiquement, ce qui est important. Troisièmement, 3 p. 100 d'entre eux souhaiteraient le retour des talibans, mais on ne constate pas de soutien populaire pour les talibans. Voilà des bases très importantes sur lesquelles nous pouvons nous appuyer ou qui devraient nous rassurer pour aller plus loin.

Je conclurai en vous parlant de l'OTAN parce que, après tout, je parle au nom de cette organisation. Nous sommes dans une phase de transition — ce qui est également valable pour l'OTAN — où nous devons apprendre comment établir la stabilité partout dans le monde. Ce n'est pas un concept abstrait. Pour aller là où l'on veut et quand on le veut et pour faire ce que nous faisons là-bas, il nous faut pouvoir compter sur des moyens logistiques et de transport et il faut rééquiper les forces armées.

Nous nous trouvons dans une situation où 37 pays sont en train d'acquérir une expérience de combat, ce qui n'a pas toujours été le cas. Ils apprennent côte à côte, en s'affranchissant des barrières linguistiques, les modalités de commandement et de contrôle. Comme nous le constatons déjà par ailleurs, une telle entreprise a des retombées positives.

Tout cela est très important dans les opérations de maintien de la paix que nous aspirons tous à conduire. Nous sommes aussi en train d'instaurer de nouvelles relations fondamentales entre l'OTAN et l'UE, en particulier entre l'OTAN et l'ONU, et entre l'ONU et le G8. L'OTAN est en train de mobiliser ses partenaires internationaux dont le Japon, la Corée, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Nous sommes en train de bâtir une nouvelle OTAN qui, selon moi, permettra de répondre aux intérêts fondamentaux du Canada en matière de politique étrangère. Tout cela a ses bons côtés pour les Afghans et les Canadiens, du point de vue de la sécurité, mais aussi pour une alliance dont nous faisons partie depuis très longtemps.

Le sénateur Downe : Monsieur Alexander, vous connaissez sans doute le rapport qui a été publié, fin 2006, par le gouvernement allemand à l'intention de sa haute fonction publique. D'aucuns prétendent que celui-ci est plus réaliste que bien d'autres. Les Allemands disent qu'il convient d'évaluer honnêtement la situation.

Connaissez-vous ce rapport?

M. Alexander : Oui.

Le sénateur Downe : J'en ai un exemplaire. Vous en connaissez donc la conclusion. Les Allemands sont favorables à la mission, mais ils soulèvent un certain nombre de questions. Ils mentionnent le peu de bonnes nouvelles à propos de l'Afghanistan, et ce, depuis plusieurs mois. Selon eux, la sécurité s'est détériorée dans bien des régions. La population est de plus en plus déçue de constater que les conditions de vie ne se sont pas améliorées, que ce soit par rapport à des attentes réalistes ou à des attentes irréalistes, et le narcotrafic se poursuit, pour ne pas dire qu'il prospère dans bien des cas.

Je suis sûr que les firmes de sondage ont dû s'amuser à essayer de sonder les Afghans, mais dans le rapport allemand, il est aussi question des émeutes de mai 2006 où 2 000 résidents de Kaboul s'en sont pris aux autorités de la sécurité nationale ainsi qu'à des représentants de bailleurs de fonds internationaux, ce qui prouve que la population est inquiète et que l'émeute couve.

Que pensez-vous en général de ce rapport allemand?

M. Alexander : Nous lisons toutes sortes de rapports et je dois dire que celui-ci se caractérise par son aspect décourageant.

Nous respectons tous le droit des pays donateurs et de leurs parlements de faire rapport sur telle ou telle question. Nous apprécions le débat sur la réalité afghane, les évaluations honnêtes de cette réalité. Il nous est arrivé, au sein de la mission de l'ONU, de publier des rapports portant à réflexion. Par exemple, en décembre 2006, nous avons dû informer nos homologues américains et allemands, qui pilotaient la réforme de la police, que leurs efforts ne portaient pas nécessairement fruit, que nous ne progressions pas dans le dossier de la réforme de la police aussi rapidement que nous l'avions espéré et que les décisions politiques difficiles du genre de celles dont j'ai parlé tout à l'heure n'étaient pas prises.

Après les émeutes dont vous avez parlé, et dont il est question dans le rapport, le chef de la police de Kaboul qui était un policier professionnel a été remplacé par quelqu'un qui est mieux connu pour ses liens avec le crime organisé que pour le travail de la police et qui n'est pas un policier professionnel. Cette situation nous a vraiment préoccupés et elle a donné lieu à un processus d'agrément de plusieurs chefs de police en Afghanistan; à la fin, le président Karzai a nommé au mérite 40 hauts responsables de la police, le 13 janvier dernier, dont les nouveaux chefs de la police de Kaboul et de nombreuses provinces importantes. C'est donc une bonne nouvelle.

Aux Nations Unies, nous contestons l'idée selon laquelle la situation en 2006 a été monochrome, puisque les parlements et les gouvernements peuvent évaluer et colorer la situation comme ils le désirent.

Tout ce que je dirais, c'est que les comptes rendus de l'ONU et ceux de l'OTAN, de même que ceux de la plupart des pays bailleurs de fonds, expriment des points de vue plus équilibrés que ce qu'on retrouve dans le rapport que vous avez cité.

M. Appathurai : L'OTAN partage ce point de vue. Il n'y a pas de problème. Nous voyons passer quotidiennement des rapports sur ce sujet. Leur lecture nous mobilise une bonne demi-journée et ce qui est important dans tout cela, c'est l'équilibre des points de vue.

Ce n'est pas facile et l'on pourrait se consacrer uniquement à ce qu'il y a de négatif en Afghanistan. D'ailleurs, nous avons affaire à un pays qui a été dévasté et qui se trouve dans un triste état.

Si vous prenez chaque secteur l'un après l'autre, vous constaterez d'énormes difficultés. Nous en avons mentionné quelques-unes : le narcotrafic, la police, la gouvernance et l'appui à l'insurrection, mais tout cela a amené les deux organisations que nous représentons à s'entendre sur un ensemble de priorités quant au genre d'efforts que nous devons déployer.

Il demeure que, dans l'ensemble, nos rapports ne pointent pas dans le sens d'une absence d'amélioration du niveau de vie des gens ou d'une aggravation de la situation, bien au contraire.

Le sénateur Downe : Le rapport ne dit pas cela du tout. J'en ai parlé plus tôt. Les auteurs du rapport continuent d'appuyer la mission, mais ils mentionnent que les résultats ne sont pas aussi positifs que d'autres veulent bien le prétendre. Ainsi, la situation là-bas est-elle aussi rose qu'on nous l'a décrite ou n'est-ce pas plutôt le rapport allemand qui est plus réaliste? J'ai l'impression que nous avons affaire à deux points de vue très différents.

Par exemple, tout à l'heure, vous avez dit que le revenu par habitant était passé de 150 $ à 300 $ par an. D'autres ont dit qu'étant donné les milliards de dollars que nous avons investis là-bas, ce résultat est médiocre. Le rapport allemand revient sur les questions de népotisme et de corruption.

Dans votre dernière réponse, vous avez dit que le chef de la police avait été remplacé, ce qui veut dire qu'il y a problème.

Étant donné les milliards de dollars investis en Afghanistan, pourquoi n'a-t-on pas mieux progressé sur le plan du revenu par habitant? C'est ça la question que beaucoup se posent.

M. Alexander : C'est une bonne question. On pourrait débattre de l'efficacité de l'aide offerte par différents donateurs en fonction des divers programmes mis en œuvre. Il est évident qu'aux Nations Unies — et je pense aussi au sein de la communauté des bailleurs de fonds —, nous sommes mal à l'aise face à des structures parallèles coûteuses qui ont tendance à rapporter davantage aux entrepreneurs des pays donateurs qu'au secteur privé ou aux bénéficiaires qui devraient effectivement bénéficier de l'aide internationale, de même que les principaux bénéficiaires de l'assistance en Afghanistan. Cependant, ces formes inefficaces d'assistance et ces mécanismes de prestation tout aussi inefficaces ne sont pas la règle en Afghanistan. Ils sont davantage l'exception. L'Afghanistan est aussi la scène, le terrain d'essai de certaines des formes de développement les plus efficaces et les plus visionnaires des dernières décennies.

Le Canada a de quoi s'enorgueillir qu'au cours des cinq dernières années, l'Agence canadienne de développement international a financé des programmes comme le programme de solidarité nationale qu'administre un ministère afghan et qui, en trois ans seulement, a bénéficié à 7 000 villages — c'est-à-dire à la moitié des villages du pays — en permettant aux conseils locaux de décider du genre de projets de développement qu'ils voulaient en priorité, qu'il s'agisse d'irrigation, de construction de route, de construction d'un centre communautaire pouvant également servir de mosquée. Ce programme permet aux conseils de village de recevoir un financement de base pouvant atteindre 50 000 $ et leur donne la certitude que leur projet sera mis en œuvre sous la supervision d'ingénieurs et d'administrateurs des finances compétents.

La corruption est absente de ce programme qui bénéficie à la base. Il a permis d'instiller l'habitude de la démocratie et une forme de prise de décision démocratique, et il a été financé par certains des meilleurs bailleurs de fonds de l'Afghanistan, ceux qui sont animés par des principes et dont le Canada fait partie. Il a eu un véritable effet sur le niveau de vie des Afghans. On pourrait toujours soutenir qu'on a dépensé 10 milliards de dollars en aide publique et que, si l'on fait un calcul par habitant, on aurait dû obtenir de meilleurs résultats au plan de l'amélioration du niveau de vie. Toutefois, si tel avait été le cas, le niveau de vie atteint n'aurait pas été durable. Nous ne sommes pas là-bas pour distribuer des prébendes, parce que les Afghans n'en veulent pas. Ils veulent rebâtir leur vie et, pour cela, ils ont besoin de recevoir les compétences, l'instruction et la protection sociale nécessaires. Grâce au genre de soutien dont ils ont bénéficié jusqu'à présent, leur pays a atteint des taux de croissance élevés, parce que des taux supérieurs à 10 p. 100 par, cinq années de suite, ce n'est pas si mal que ça. Il faut bien reconnaître que l'Afghanistan a dépassé la plupart des pays de la région.

Le sénateur Corbin : Je ne sais plus à quel saint me vouer. Je ne veux pas remettre en question l'exactitude ou l'authenticité de ce que les témoins sont en train de nous dire, mais en parcourant les notes préparées par les recherchistes de la Bibliothèque du Parlement, je tire une impression différente. Ça me dérange et ça m'inquiète en même temps.

Hier, par exemple, le gouvernement du Canada a annoncé qu'il allait injecter 200 millions de dollars de plus dans l'aide au développement. Or, lors de son passage devant le comité sénatorial américain sur les relations étrangères, en septembre dernier, Barnett Rubin a fait une déclaration dont je vais vous citer un paragraphe parce qu'il exprime bien ce qui me préoccupe :

L'afflux de l'aide étrangère à ce gouvernement se heurte à un goulet d'étranglement : l'année dernière, le gouvernement n'est parvenu à dépenser que 44 p. 100 des sommes qu'il avait reçues au titre des projets de développement. Le ministère de la Réhabilitation rurale et du développement a absorbé près de la moitié des dépenses de développement du gouvernement afghan, tandis que des ministères comme Agriculture, Énergie et Eaux et Travaux publics ne sont pas arrivés à épuiser leur budget. D'après le ministère des Finances, les bailleurs de fonds consacrent près de 500 millions de dollars à des formes d'aide technique mal conçue et mal coordonnée qui n'ont que peu d'effet[...]

Et le gouvernement du Canada continue de déverser de l'argent là-bas.

J'aimerais savoir comment les programmes d'aide au développement sont administrés, par qui, qui prélève sa part et s'il reste quoi que ce soit au bout du compte. Nous avons tous entendu ces histories d'horreur et vous pouvez ne pas les apprécier, pas plus que moi d'ailleurs. J'en ai entendu une sur les ondes de Radio-Canada anglais, à l'automne dernier, tandis que je rentrais chez moi après une réunion comme celle-là. Il s'agissait d'un projet de construction routière. Après que les fonctionnaires ont pris leur quote-part et que l'entrepreneur a mis la main sur un sous-traitant pour lui faire faire le travail, il reste des clopinettes pour construire la route qui est tellement mal faite qu'au bout du compte, elle est inutilisable. Je suis sûr que ce n'était qu'une histoire d'horreur parmi d'autres.

J'aimerais qu'on me donne de bonnes nouvelles pour tout l'argent que nous investissons en Afghanistan. Je vous crois quand vous dites qu'il y a des cas où les résultats sont concluants, mais il y a tout de même lieu de se poser certaines questions quand on songe à ce que Barnett Rubin a déclaré au comité sénatorial des États-Unis. Moi, je veux être convaincu. Je veux avoir la certitude que l'argent des contribuables canadiens est utilisé à bon escient.

Puis-je vous entendre à ce sujet?

M. Alexander : Tout à fait.

Barnett Rubin est étroitement associé à la mission de l'ONU et c'est quelqu'un avec qui nous avons des échanges réguliers. Je serais prêt à cosigner ce qu'il a déclaré. Nous sommes tous conscients des problèmes que posent l'efficacité et la prestation de l'aide et du fait que les 25 ministères du gouvernement ne fonctionnent pas tous aussi bien. Ce que je veux dire — et ce que nous essayons de vous faire comprendre, à vous et à la population canadienne depuis deux jours — c'est qu'à cause du bombardement de publicité négative dont vous avez fait l'objet ici, vous avez un peu perdu de vue les grandes réalisations des cinq dernières années. Je sais que Barnett Rubin accepte ce point de vue. Nous voulons que vous compreniez et nous voulons que les populations des pays bailleurs de fonds, comme le Canada, comprennent qu'il existe un problème et que nous faisons face à de graves défis. Il demeure qu'à l'heure actuelle, nos efforts sont en train de payer en Afghanistan.

Pour ce qui est des ministères et de leurs performances inégales, il faut savoir qu'il n'y a que six ou sept ministères sur 25 en Afghanistan qui sont en mesure d'offrir des programmes de grande échelle à la population et sur qui nous pouvons compter, qui disposent de budget de dizaines de millions de dollars et qui ont mis en place des mécanismes de reddition de comptes. La responsabilisation s'améliore en Afghanistan. Nous insistons ouvertement sur la nécessité de renforcer la responsabilisation et de signaler les problèmes qui se posent, notamment les problèmes de corruption. Les ministères qui marchent bien sont le ministère de la Réhabilitation rurale et du développement, le ministère de la Santé, le ministère des Finances, qui joue un rôle très important dans le processus de développement pour des raisons évidentes, le ministère de l'Éducation, qui est actuellement dirigé par un ministre visionnaire, le ministère des Affaires féminines et un ou deux autres. Les autres ministères ne font tout simplement pas leur part et l'on constate qu'il est urgent de renforcer leur capacité, de former les fonctionnaires quand, dans certains cas, le problème ne tient tout simplement pas à un manque de leadership de la part du gouvernement afghan.

Le taux d'exécution du dernier budget, qui est arrivé à terme le 21 mars 2006, a été relativement médiocre. Cependant, si l'on juge d'après ce qui se passe dans les pays en développement — quand on s'entretient, par exemple, avec des spécialistes de la question — on se rend compte que 44 p. 100, ce n'est pas si mal que ça. Pour le présent exercice financier, qui va se terminer d'ici un mois à peu près, le taux d'utilisation budgétaire sera supérieur à 60 p. 100 et frisera peut-être les 70 p. 100, ce qui représente 50 p. 100 d'amélioration par rapport à l'année dernière.

Il demeure que nous avons affaire à des goulets d'étranglement sur le plan de la performance des institutions. L'un de ces goulets est constitué par les règles complexes que la Banque mondiale impose aux gouvernements nationaux, comme en Afghanistan, en ce qui concerne l'attribution des marchés. Ce ne sont pas tous les ministères du gouvernement afghan ayant un budget qui savent comment fonctionnent ces règles. Dans une certaine mesure, la commission de la fonction publique a trahi l'Afghanistan en n'outillant pas tous les ministères de la même façon pour leur permettre d'administrer les programmes et de relever des défis écrasants. Il y a aussi un goulet d'étranglement de nature administrative. Le nouveau parlement afghan doit légiférer presque simultanément dans tous les domaines afin de mettre à jour un cadre législatif qui n'a pour ainsi dire pas été modifié en 25 ans. Et cela doit quasiment se faire du jour au lendemain. Il est extrêmement difficile au parlement afghan de se fixer des priorités et d'adopter rapidement des lois qui doivent passer par les comités et être adoptées par les deux Chambres. Tout cela a des répercussions négatives sur la performance budgétaire et sur le processus de développement.

Le Conseil de coordination et de surveillance interarmées, organe coprésidé par l'ONU et le gouvernement afghan et auquel sont représentés tous les donateurs, essaie de fixer des repères et d'améliorer les résultats. Pour l'instant, on s'intéresse beaucoup à ces questions et l'on note une détermination à maintenir la progression des courbes de rendement.

Le sénateur Dallaire : Merci beaucoup pour votre indulgence. Je tiens à souhaiter la bienvenue à nos témoins.

Avant de vous poser ma question, je vais faire une remarque. L'opération Méduse, menée à terme grâce à une petite brigade, a été conduite sur un terrain que les talibans connaissaient très bien pour y avoir déjà rencontré les Russes. À l'époque, ils avaient écrasé une division russe de quatre brigades. Ils étaient convaincus qu'ils allaient pouvoir renouveler leur exploit. Toutefois, alors que les Russes avaient subi d'importantes pertes, nous n'avons perdu que 24 hommes pour écraser les talibans. Cela, nous le devons beaucoup à la technologie, mais aussi au commandement et au contrôle, à l'interopérabilité entre les forces aériennes et les forces terrestres, de même qu'à l'art du commandement des chefs sur place ainsi qu'au courage et au très bon travail de chaque soldat. Nous nous sommes retrouvés dans l'œil du cyclone et nous les avons battus. Cela, c'est acquis pour toujours dans l'histoire de cette opération.

Par ailleurs, nous sommes intervenus en ex-Yougoslavie et l'OTAN y a passé 15 ans. Nous continuons de dépenser des milliards de dollars et de maintenir un important contingent dans ce coin du monde. Nous avons le sentiment que, si nous nous retirons, la région s'enflammera de nouveau. Et pourtant, cette région n'est pas contestée, elle n'est pas le siège de troubles. Il s'agit d'une région blanche de l'Europe qui est susceptible d'être plus portée que l'Afghanistan à s'adapter à des concepts auxquels nous tenons, comme la démocratie, les droits de la personne, l'égalité des sexes et ainsi de suite.

Mes collègues vous ont parlé des Allemands. Les Allemands sont chargés de mettre sur pied les forces policières. Or, on a constaté que la tentative est totalement inefficace. Les Allemands cherchent à constituer un corps policiers de type allemand, mais pour cela, il leur faudra 25 ans. Ils ne s'inspirent pas de l'expérience canadienne acquise en Haïti et ailleurs. Pour l'instant, cet exercice n'est pas concluant en Afghanistan.

J'aimerais que les choses bougent sur ce point. Vous avez rencontré le premier ministre. Vous êtes dans ce pays depuis un certain temps déjà. Nous sommes conscients de travailler selon le principe des trois D — diplomatie, défense et développement. À Kandahar, nous cherchons à instaurer la sécurité, mais nous nous sommes rendu compte qu'il existe un fossé énorme entre la sécurité et le véritable travail de développement et d'instauration de la gouvernance. Ce fossé semble être dû à l'absence d'engagements, de ressources ou de coordination.

Pendant que vous occupez des emplois à l'OTAN et à l'ONU, sur le terrain, qui administre les opérations canadiennes? Qui s'occupe de développement, de diplomatie et de défense? Qui est le conseiller le plus gradé du premier ministre? Qui mène le bal, ici au Canada, et avez-vous rencontré cette personne?

M. Appathurai : L'expérience acquise dans le déploiement de policiers est très importante pour l'Afghanistan. Seuls trois ou quatre pays peuvent compter sur un personnel expérimenté et susceptible d'être déployé pour former d'autres corps policiers. Comme je vous le disais, la police nationale afghane accuse un très net retard par rapport à l'armée nationale. Comme tout tourne autour de la gouvernance et de la sécurité, nous pouvons donc jouer un rôle très important en la matière, sans égard aux antécédents des autres pays. Ensemble, nous cherchons à améliorer la situation et le Canada peut remplir le rôle de multiplicateur de force.

Pour ce qui est du fossé dont vous parliez, quand j'étais en Afghanistan il y a trois jours, j'ai entendu dire que les Afghans sont anxieux de voir des résultats. Les résultats sont déjà là, mais ils se produisent assez lentement et ils ne sont pas faciles à percevoir, outre qu'il existe un certain décalage dans l'effet post-opérationnel des fonds mis à la disposition des commandants de l'OTAN. Grâce à un fonds en fiducie, ils ont de l'argent à portée de main. Après des opérations de mouvement, ils peuvent demander qu'on vienne réparer ce qui a été détruit, ce qui est très bien. Et puis, il y a le développement, mais celui-ci prend du temps à s'enclencher si l'on se livre à une bonne analyse des besoins. Il est donc vrai qu'il y a des retards, et ce n'est pas facile.

Des non Canadiens qui font du travail de développement, en fait qui dirigent des organismes de développement d'autres pays, m'ont dit que l'ACDI s'y prend d'une façon exemplaire. Je n'ai pas l'impression de prêcher pour ma paroisse en vous disant cela, parce que je ne travaille pas pour l'ACDI et même pas pour le gouvernement du Canada. Je ne fais que vous répéter ce que disent d'autres qui ont beaucoup de respect pour la façon dont le Canada travaille sur place. D'après ce qu'on m'a dit, je n'ai pas l'impression que les choses sont faites de travers. Cela étant, il se peut que certains éléments ne fonctionnent pas bien à cause de la façon dont les choses sont structurées.

Nous avons rencontré de nombreux hauts responsables qui font de la coordination en Afghanistan. Celui qui conseille normalement le premier ministre, c'est David Mulroney, mais comme il se trouve actuellement à l'extérieur, nous n'avons pas eu l'occasion de le rencontrer, sans quoi nous l'aurions fait.

Le sénateur Corbin : Et quels sont ces gens qui ont tellement de respect pour le travail de développement de l'ACDI?

M. Appathurai : Il s'agit du responsable de l'agence de développement britannique et d'un cadre supérieur de l'agence de développement américaine, deux organismes présents en Afghanistan depuis de nombreuses années. Je n'ai pas sollicité ce genre de remarque, parce que je n'appartiens pas à un organisme de développement. Conscientes de s'adresser à un Canadien, ces deux personnes m'ont simplement déclaré que l'ACDI fait un excellent travail.

Le sénateur Corbin : Pouvez-vous ne donner le nom du responsable américain en question?

M. Appathurai : Je ne connais pas son nom, mais je pourrais vous le trouver et vous le communiquer.

Le sénateur Dallaire : David Mulroney est directeur général, au mieux un deux étoiles dans l'armée. Eh bien, pour cet engagement des Forces canadiennes qui est le plus important de l'ère moderne, il se trouve que notre conseiller national en matière de sécurité n'est même pas sous-ministre adjoint, qu'il n'est pas sous-ministre et qu'il n'est pas non plus politicien, mais qu'il est plutôt un fonctionnaire relativement subalterne qui doit passer par le sous-ministre des Affaires étrangères. Ce n'est pas certainement pas ce qui nous a été donné de voir de plus progressiste jusqu'ici.

D'autres pays mettent-ils le paquet en ayant des représentants de haut niveau sur le terrain et dans leur capitale nationale? Avez-vous des homologues sur le terrain qui font ce que vous faites?

M. Alexander : Les principaux acteurs présents en Afghanistan sont aux prises avec des problèmes de coordination qui sont parfois aussi aigus sur le terrain, à Kaboul, que dans leur capitale respective. La collaboration, la cohésion et l'unité d'action entre les ministères et les organismes constituent un véritable défi pour tout le monde. C'est un défi pour les États-Unis, surtout quand on songe à l'ampleur de leur engagement et à l'importance de leurs institutions, de même que pour nos partenaires européens. Tout le monde a sa façon de résoudre ses problèmes.

Quant à la position de David Mulroney dans la hiérarchie, je le placerai un peu plus haut que ce que vous l'avez fait. Jusqu'à récemment, il était conseiller du premier ministre en matière de politique étrangère et je crois qu'il a rang de sous-ministre adjoint ou même de sous-ministre.

Le leadership sur le terrain, en Afghanistan, compte également pour beaucoup. Pour le Canada et d'autres pays, ce sont les ambassadeurs qui jouent un rôle très important. Notre ambassadeur siège au conseil de coordination et de surveillance interarmées rassemblant les principaux bailleurs de fonds, de même qu'au Policy Action Group, qui est présidé par le conseiller d'Hamid Karzai en matière de sécurité nationale et, à l'occasion, par le président lui-même. Il s'agit d'une cellule de crise qui a été créée en 2006 après qu'on s'est rendu compte que l'insurrection frappait avec une telle intensité qu'il y avait lieu de mettre sur pied une tribune grâce à laquelle le président Karzai et ses principaux alliés dans le Sud pourraient coordonner non seulement les opérations de sécurité, mais aussi les travaux de développement, les communications stratégiques et l'évaluation du renseignement.

Cet organisme s'est avéré très efficace. Il est sélectif. Quatre ambassades seulement sont représentées, au nombre desquelles il y a le Canada. On retrouve aussi, évidemment, l'ONU et la FIAS de l'OTAN qui sont au nombre des principaux acteurs sur place. Malgré tout, la direction de cet organe est civile, ce qui est normal, bien que nous reconnaissions que les chefs militaires et les responsables du développement ont des rôles extrêmement importants à jouer chacun de leur côté.

Le président : L'autre jour, j'ai appris quelque chose de nouveau au sujet de l'Afghanistan. Je me trouvais dans les régions tribales, aux frontières du Balouchistan et du Waziristan. J'ai appris que la ligne Durand coupe l'Afghanistan. Cent ans après que Hong-Kong est devenu britannique, le bail est arrivé à expiration et Hong-Kong a été rendue à la Chine. Il semble que ce soit la même chose pour les territoires tribaux que nous croyons être en sol pakistanais. Il se trouve qu'ils sont coupés par la ligne Durand et que ces territoires devaient être rendus à l'Afghanistan 100 ans après le tracé de la ligne. J'ai l'impression qu'il s'agit-là d'une importante question de sécurité.

M. Alexander : C'est effectivement une très importante question pour l'Afghanistan et le Pakistan qui a régulièrement hanté les relations bilatérales entre ces deux pays. Dans les années 1950, bien avant que la ligne Durand n'arrive prétendument à expiration, les deux pays ont traversé des périodes de tension très élevées à cause de cette question. Toutefois, celle-ci ne constitue pas un problème pour la communauté internationale ni en vertu du droit international.

Le président : Ce n'est évidemment pas une question qui concerne la communauté internationale, mais elle intéresse tout de même l'Afghanistan et le Pakistan.

M. Alexander : Certainement. Tout le monde aimerait que l'emplacement de la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan soit réglé à un moment donné, histoire d'instaurer un climat de confiance combien nécessaire des deux côtés de la frontière, parce que les deux pays auraient ainsi la certitude que cette frontière ne ferait plus l'objet de revendications.

Celui qui défendrait un seul instant l'idée que la frontière afghano-pakistanaise n'est pas fixe et qu'elle est sujette à révision, serait tenu de dire où elle devrait passer. Si l'on affirme qu'elle devrait être là où se trouvait celle de 1747, c'est-à-dire le long du fleuve Indus, ou qu'elle devrait englober la province frontalière du nord-ouest ou une autre partie —

Le président : J'aurais pensé que l'Afghanistan devait inclure le Balouchistan et la plus grande partie de la province frontalière du nord.

M. Alexander : Ou le Balouchistan. En droit international, on considère qu'il s'agit de revendications territoriales concernant deux pays. L'historie des relations internationales nous a enseigné que plus de guerres ont été déclenchées à cause de ce genre d'irrédentisme que pour n'importe quelle autre raison. Les cercles politiques sérieux en Afghanistan ne sont absolument pas tentés de laisser entendre autre chose que le fait que cette frontière doit être acceptée par tous. Les Pachtounes continueront de résider des deux côtés de la frontière. Tout le monde a intérêt à ce que cette frontière soit bien gérée pour permettre le passage d'êtres humains à des fins normales, mais aussi pour s'assurer que les intérêts de chaque pays sur le plan de la sécurité sont respectés.

Le président : J'ai l'impression d'avoir entendu dire que cette frontière n'en est pas une. Au Canada, on nous a dit que les militaires, que j'ai trouvé très naïfs sur le sujet, affirmaient que ceux et celles qui vont et viennent entre le Pakistan et l'Afghanistan ne franchissent pas vraiment une frontière. Ils passent d'une région que beaucoup pensent être une partie de l'Afghanistan, c'est-à-dire le Balouchistan et la province nord-ouest, à... le nom m'échappe pour l'instant, à un secteur majoritairement pachtoune en Afghanistan.

Nous avons donc affaire à de nombreuses questions épineuses, mais celle-ci semble plus particulièrement faire problème. Si nous disons à la population canadienne, par exemple, que l'Afghanistan est délimité par les frontières qu'ont voit dans les Atlas de géographie, mais que d'un autre côté, pour les résidents de l'est de l'Afghanistan, le long de la frontière pakistanaise, celle-ci n'est rien d'autre qu'une ligne ayant été tracée par des étrangers, j'ai l'impression que nous courrons à la catastrophe.

Le sénateur Mahovlich : Cela me semble très compliqué. Je lis dans les journaux qu'il va y avoir une vaste offensive au printemps. Qu'en disent les sondages? Où les talibans s'entraînent-ils? Sont-ils le long de la ligne Durand? Sont-ils dans les montagnes? J'ai été très heureux d'apprendre que les Britanniques allaient déployer davantage de militaires. Est-ce que les Américains vont déployer plus de troupes au printemps?

M. Appathurai : Ce sont là de bonnes questions. Pour nous, l'important, c'est de faire face à ce qui s'annonce. Je ne sais pas si l'on peut vraiment parler du printemps. Habituellement, les offensives ont lieu l'été. C'est maintenant une tradition, les flambées de violence en Afghanistan se produisent l'été. Nous ne misons pas sur l'éventualité d'une telle offensive, mais nous y préparons.

Comme je le disais, près de 7 000 soldats ont été ajoutés à la FIAS ces trois derniers mois — 1 800 Britanniques et plus de 3 000 Américains. La contribution américaine est substantielle, pas uniquement en militaires, mais aussi grâce au 10,6 milliards de dollars que ce pays a investis pour assurer l'essentiel de la formation et de l'équipement des forces nationales de sécurité afghanes. Les Américains sont totalement engagés dans cette mission. Ils sont, de loin, ceux qui contribuent le plus en effectifs, outre qu'ils assurent le commandement de toute la mission de l'OTAN.

Quant au genre d'appui dont bénéficient les talibans, il faut savoir qu'il y a trois types de talibans.

Le sénateur Mahovlich : Ce sont lesquels qui ont vaincu les Russes?

M. Appathurai : Il existe une structure de commandement et de contrôle dirigée par des talibans purs et durs, non seulement en Afghanistan, mais aussi de l'autre côté de la frontière.

Le sénateur Mahovlich : Au Pakistan?

M. Appathurai : C'est avéré.

Le sénateur Mahovlich : C'est préoccupant?

M. Appathurai : Que oui! C'est indéniable. Les Pakistanais ne sont pas forcément d'accord avec cela, mais nous avons tous l'impression qu'il y a des centres de commandement et de contrôle talibans au Pakistan.

Le groupe le plus important sur lequel on colle l'étiquette « taliban » est composé de journaliers, de jeunes hommes qui sont payés 10 $ par jour pour prendre une arme et se battre au côté des talibans. Ce ne sont pas des combattants engagés, idéologiquement déterminés, mais plutôt des paysans qui ne trouvent pas d'argent ailleurs et qui signent pour se battre avec les talibans.

À l'OTAN, nous voulons, autant que faire se peut, traiter ces deux groupes de façons différentes. D'abord, il faut s'attaquer aux têtes dirigeantes extrémistes et les éliminer, parce qu'il ne sera pas possible de convaincre ces gens-là. Nous voulons, dans toute la mesure du possible, éviter de faucher les jeunes journaliers qui ont été recrutés par les talibans. Nous voulons séparer l'ivraie du bon grain et nous en prendre aux têtes dirigeantes, c'est-à-dire au second palier. Je ne parle pas ici d'entreprendre une intervention diplomatique auprès de ces jeunes, puisqu'il serait davantage question de leur donner le choix et, pour nous, d'intervenir de façon plus ciblée. C'est quelque chose de fondamental. Nous sommes en présence d'une insurrection ou d'un groupe d'extrémistes déterminés à saper les efforts de reconstruction. Nous devons leur faire face, ce qui veut dire déployer des efforts diplomatiques et économiques pour trouver d'autres solutions et offrir une vie meilleure aux journaliers, ce qui revient à dire que nous devons, au besoin, nous en prendre au noyau dur dirigeant. C'est ce que nous faisons.

Le sénateur Mahovlich : Quand le Canada construit des routes, par exemple, ou qu'il fournit des fonds pour la construction, est-ce que ce sont les Canadiens qui vont sur place pour faire le travail ou est-ce que nous nous contentons de financer? Comment les choses fonctionnent-elles? Est-ce que nous fournissons la main-d'œuvre pour nous assurer que les routes sont correctement construites?

M. Appathurai : Au contraire. Nous assurons l'expertise. Je parle ici de la communauté internationale. Il peut y avoir des entrepreneurs étrangers, mais nous faisons tout notre possible pour employer des Afghans. Nous devons sauter sur toutes les occasions de donner du travail à ces gens. Ce sont des gens qui travaillent fort, qui ont des compétences, et en leur versant un revenu, nous évitons qu'ils tombent dans le piège des talibans qui ont beaucoup d'argent à leur disposition, notamment grâce à la quote-part qu'ils prélèvent sur le narcotrafic, à l'image de la mafia. Si nous pouvons donner un travail aux Afghans, que ce soit pour construire une route ou une école, ou pour installer une turbine dans un barrage — ce que nous faisons —, ils seront beaucoup moins susceptibles de tomber dans les mailles des talibans.

Le sénateur Mahovlich : Une fois que la route est construite, vous devez la surveiller, n'est-ce pas?

M. Appathurai : C'est ce que nous faisons. Des patrouilles sillonnent la route circulaire qui est un axe stratégique reliant Kaboul à Kandahar et d'autres villes importantes. Nous patrouillons cette route pour nous assurer qu'elle est bien protégée, et quand je parle de nous, je veux dire l'OTAN, pas uniquement le Canada.

Le président : Est-ce que vous avez des patrouilles de nuit?

M. Appathurai : Oui.

Le président : Y a-t-il des couvre-feux?

M. Alexander : Parfois, mais pas pour le moment.

M. Appathurai : La route est bien protégée et elle n'a pas été détruite.

Le président : J'ai sillonné ces routes et j'ai vu que vous en assurez la protection en y déployant des patrouilles. D'après ce que j'ai constaté ailleurs, ces axes ne sont plus sûrs après 16 heures parce qu'on peut se faire tirer dessus et que les agresseurs peuvent s'enfuir à la faveur de la nuit. Est-ce différent en Afghanistan?

M. Appathurai : Les résultats parlent d'eux-mêmes. Les résultats, c'est que cette route a été construite, qu'on continue de la construire et qu'elle n'a pas encore fait l'objet d'attaques importantes.

M. Alexander : Vous avez tout à fait raison. Elle n'est pas aussi sûre en fin d'après-midi et la nuit qu'en début de matinée ou en milieu de journée. Il y a bien sûr des problèmes de sécurité, mais cette route a fait l'objet d'une opération très ciblée de la FIAS depuis plusieurs mois, l'opération Eagle, qui est destinée à assurer la sécurité en profondeur, ce qui veut dire que nous ne patrouillons pas uniquement la route, mais que nous conduisons des opérations à l'intérieur des terres pour essayer de nous attaquer à la source de l'insécurité, à ceux qui peuvent vouloir installer des points de contrôle illégaux le long de la route. Nous avons remporté un certain succès sur ce plan.

Le président : Je n'aimerais pas quitter Kaboul à 16 heures pour prendre la direction de Kandahar à bord de ma camionnette.

M. Alexander : Ce ne serait pas prudent. Il vaudrait mieux que vous partiez à 6 heures du matin.

[Français]

Le sénateur Prud'homme : Je suis présent parce que j'ai beaucoup d'admiration pour M. Christopher Alexander que j'ai eu le plaisir de connaître lorsque j'ai fondé l'Association Canada-Russie, laquelle nous a été d'une grande utilité d'ailleurs. Je tenais à être présent pour vous écouter. Je regrette un peu votre nomination aux Nations Unies parce que c'est le peuple canadien qui vous a perdu. Par contre, je me réjouis de voir un très jeune ambassadeur canadien, qui a très bien servi son pays, accéder à de hautes fonctions aux Nations Unies. C'est un honneur pour tout le Canada.

Je n'ai pas de questions particulières à vous poser. Je serai heureux de relire tous les témoignages mais je voulais être présent pour vous témoigner toute l'admiration que j'ai eue pour vous dans des circonstances très difficiles où beaucoup d'autres personnes auraient été tentées de s'esquiver. Bonne chance et merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Downe : Y a-t-il des pays de l'OTAN qui n'ont pas envoyé de troupes en Afghanistan?

M. Appathurai : Non.

Le sénateur Downe : Quelle est la plus faible contribution nationale?

M. Appathurai : Je n'ai pas les chiffres au bout des doigts, mais je dirais 200 ou 300.

Le sénateur Downe : Combien de partenaires de l'OTAN ont envoyé moins de 300 militaires?

M. Appathurai : Vous parlez de partenaires ou de membres de l'OTAN?

Le sénateur Downe : De membres de l'OTAN.

M. Appathurai : Je ne peux pas vous donner ce chiffre a priori. Vous ne devez pas oublier que des pays comme la Bulgarie et le Luxembourg ont envoyé du personnel sur place, mais pas des militaires. Pour bien des pays, comme l'Estonie, la Lituanie et la Lettonie, un contingent de 100 militaires, c'est énorme. Ce sont des pays qui appartenaient jusqu'à tout récemment à un système différent. Ils n'ont pas une longue tradition de déploiement de forces armées pour des missions de maintien de la paix. Avant d'être en mesure de déployer un gros contingent, il leur faut passer par une période de transformation fondamentale de leurs armées.

C'est tout de même un bon signe de solidarité que 26 membres sur 26, même les plus petits pays, ont déployé du personnel sur le terrain, quand bien même c'est en petit nombre.

Le sénateur Downe : Tout à l'heure, vous avez parlé de la contribution de la France. Combien de militaires les Français ont-ils déployés?

M. Appathurai : Environ 900, je crois.

Le sénateur Downe : La France est-elle parmi les plus importants ou les moins importants contributeurs?

M. Appathurai : La France se trouve dans le milieu du peloton avec 900 militaires au sein de la FIAS. Les Français ont été très présents, pendant longtemps, dans le cadre de l'opération Enduring Freedom. Ils ont aussi déployé de très importants moyens aériens en dehors de l'Afghanistan pour appuyer la mission de la FIAS de l'OTAN, notamment il y a quelques semaines. La contribution française dans le cadre de cette opération a été très importante.

Le sénateur Downe : Combien de militaires ont été déployés sous l'égide de l'OTAN, grâce à la participation des 26 pays?

M. Appathurai : Il y a 37 pays qui participent à la FIAS.

Le sénateur Downe : En qualité de membres et de partenaires?

M. Appathurai : Oui. Le total tend vers les 37 000 militaires, dont la majorité viennent de pays de l'OTAN comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Même la Jordanie et les Émirats arabes unis sont présents en Afghanistan. Ils ne sont pas encore sous le commandement de la FIAS, mais ils sont là-bas. Onze pays non membres de l'OTAN sont sur place.

Le sénateur Downe : Au début, les objectifs de la mission en Afghanistan étaient de détruire les camps d'entraînement d'al-Qaïda et de chasser le gouvernement taliban. Apparemment, cela s'est fait rapidement et nous avons abouti. Si l'on songe à la reconstruction à long terme, à quand situe-t-on le retrait de l'OTAN?

M. Appathurai : Vous avez tout à fait raison de dire que l'intention originale de la coalition était de réagir directement aux attaques du 11 septembre et qu'elle a abouti dans sa démarche.

Il nous reste aujourd'hui essentiellement deux missions à accomplir en Afghanistan. La FIAS a assumé l'ensemble des opérations à l'échelle du territoire, mais le mandat de l'ONU demeure très clair : instaurer les conditions nécessaires à la reconstruction et au développement de même qu'à l'élargissement de l'autorité du gouvernement afghan à l'échelle du pays. C'est ce que nous faisons.

Il y a encore sur place une petite cellule dirigée par les États-Unis qui se charge de conduire des opérations ciblées, entreprises sur la foi du renseignement, contre les dirigeants terroristes, et encore une fois avec le plein appui de l'ONU. Nous avons mis en place des modalités de commandement pour nous assurer que les deux missions n'entrent pas en conflit l'une avec l'autre et que nous puissions nous apporter mutuellement secours si besoin était, principalement en situation d'urgence où la vie des militaires seraient en danger. Quoi qu'il en soit, il s'agit de deux missions distinctes.

Le sénateur Downe : Et quelle est la date de fin prévue?

M. Appathurai : Nous fonctionnons sur la base d'un état final plutôt que d'une date butoir. Pour l'OTAN, il n'y a pas de date de fin. Du point de vue de l'OTAN, qui n'est pas le même que celui de l'ONU qui est plus large, nous avons pour mission de nettoyer et de tenir le terrain en vue de favoriser la reconstruction et le développement. Ça, c'est notre mission principale, mais d'un autre côté, il se trouve que nous formons et équipons les forces de sécurité afghanes, et que nous apportons un appui à l'amélioration de la gouvernance qui durera jusqu'à ce que les Afghans soient en mesure d'assumer de plus en plus le fardeau de la défense de leur pays et que nous puissions alors nous limiter à un rôle d'encadrement et de liaison. Nous n'en sommes pas encore là, mais nous décuplons d'efforts pour tenir le terrain dont s'occupent M. Alexander et son organisation. Tout ça, c'est l'effort civil.

Le sénateur Downe : Et quand prévoyez-vous en arriver là?

M. Appathurai : Par exemple, nous aidons les Afghans à mettre sur pied une armée nationale qui, si je ne m'abuse, devrait compter dans les 70 000 hommes d'ici deux ans. Les États-Unis ont investi près de 9 milliards de dollars dans cette entreprise. Cela dit, il faudra former et équiper ces forces armées qui ne sont qu'un seul pied d'un tabouret polypode. La police est un autre élément très important, mais l'OTAN ne s'occupe pas de la formation des policiers. L'UE a intensifié ses efforts et je crois savoir qu'elle va doubler le nombre de formateurs de policiers sur le terrain, mais ils demeureront quand même peu nombreux.

Nous n'avons pas de date buttoir. Nous avons un échéancier en ce qui concerne la formation et l'équipement de l'armée, mais nous visons le très long terme.

M. Alexander : Il est important d'être conscient du résultat éventuel de toutes ces discussions au sujet de l'échéancier, compte tenu de l'appui mutuel que s'apportent nos deux organisations. Si, autour de cette table ou autour des tables de discussion à Kaboul ou au Conseil de l'Atlantique Nord à Bruxelles, nous essayons de fixer une date de fin des opérations, il y a un groupe qui va s'en réjouir plus que tout autre : les talibans. Les talibans cherchent des signes d'affaiblissement de la volonté politique et de la détermination de l'alliance et de la finitude de nos efforts visant à instaurer la sécurité en Afghanistan. Ce n'est qu'en se montrant déterminés, dans une certaine mesure en faisant preuve d'une détermination illimitée, que les États membres des Nations Unies et de la FIAS parviendront à casser la volonté combattante des talibans et de ceux qui les appuient.

Il est possible que l'insurrection atteindra des sommets cette année et que, l'année prochaine, nous n'aurons plus besoin d'être aussi fortement engagés. Espérons que ce sera le cas. Il est aussi possible que la violence de cette année soit pire que ce à quoi nous pouvons nous attendre et nous devons être prêts à cette éventualité.

Tant que le phénomène que nous avons décrit tout à l'heure, celui des havres et de l'appui extérieur, continue d'alimenter cette insurrection, l'OTAN et le gouvernement afghan devront faire preuve d'une grande détermination et d'un engagement illimité envers cette mission.

Permettez-moi de citer le lieutenant-général Karl Eikenberry qui était à la tête de l'ancien commandement américain, lequel a été le plus important acteur dans le domaine de la sécurité en Afghanistan avant l'expansion de la FIAS, survenue plus tôt cette année. Il comparaissait devant l'un des comités du Congrès plus tôt ce mois-ci et il a déclaré, je cite : « J'insiste sur le fait que la présence de dirigeants d'al-Qaïda et talibans au Pakistan continue de constituer un problème de taille qu'il convient de régler si nous voulons remporter la bataille de l'Afghanistan ».

C'était là l'une des principales conclusions de son témoignage, sans précédent à bien des égards pour un commandant américain, qui exprime bien la nécessité, pour nous, d'être déterminés à éradiquer les facteurs qui favorisent l'insurrection. Or, il n'est pas possible de fixer une date d'aboutissement pour la réalisation de cet objectif.

Le sénateur Downe : Les Canadiens appuient les troupes en Afghanistan, mais je ne suis pas d'accord avec votre réponse parce que de plus en plus de Canadiens se préoccupent de notre situation par rapport à l'Afghanistan. Au début, nous étions allés là-bas pour éradiquer les camps d'entraînement d'al-Qaïda. Quarante-cinq Canadiens y ont laissé leur vie, nous avons dépensé plus de 2 milliards de dollars pour ce pays et les Canadiens se posent des questions. Par exemple, il y a eu le cas très connu, il y a un an, de ce civil afghan qui avait voulu se convertir au christianisme et qui a été attaqué par son propre gouvernement. Ce n'est que grâce aux interventions internationales que nous sommes parvenus à renverser la décision du gouvernement de mettre sur pied un ministère de la prévention du vice et de la promotion de la vertu. De plus, les Canadiens insistent beaucoup sur le respect des droits de la personne. Bien qu'il soit important de tenir les talibans à distance, il y a lieu de s'interroger sur ce que sera l'état final, sur la durée de notre présence là-bas et de savoir si cela va dans le meilleur intérêt du Canada. Dans le grand débat public qui a cours au Canada, on a entendu des opinions optimistes et d'importantes préoccupations. Ce comité essaie d'aller au fond des choses en posant le plus grand nombre possible de questions fouillées. C'est ainsi que nous parviendrons à savoir ce qui se passe en Afghanistan, ce à quoi le Canada a véritablement pris part et pour combien de temps il devra maintenir son engagement. Nous ne cherchons pas à réconforter les talibans, mais bien les Canadiens qui s'inquiètent.

Le président : Nous avons maintenant épuisé cette partie de la réunion. J'espère que le gouvernement n'envisage pas d'étendre la zone de guerre aux Indes orientales, parce que ce serait un gros problème. Il suffit de penser à ce qui s'est passé en Indochine et à la guerre du Vietnam quand, désireux d'éliminer un havre ennemi, les alliés ont enflammé le Cambodge parce qu'ils y cherchaient des Viêt-congs. J'espère que ce même raisonnement ne nous amènera pas à attaquer le Pakistan. Or, on ne peut que conclure du témoignage du général Karl Eikenberry que celui-ci est en train de promouvoir ce genre de chose.

Au nom du comité, je remercie les témoins de nous avoir fait bénéficier de leurs vastes connaissances.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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