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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 14 - Témoignages du 1er mai 2007


OTTAWA, le mardi 1er mai 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 17 h 7 pour étudier la politique de commerce international (incluant les relations commerciales bilatérales et multilatérales, accord sur le bois d'œuvre et autres).

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Veuillez d'abord m'excuser, honorables sénateurs, du problème technique. Je vous souhaite la bienvenue à tous à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

En novembre dernier, le comité a tenu un certain nombre de réunions sur l'Accord sur le bois d'œuvre résineux entre le Canada et les États-Unis. En décembre, nous avons étudié le projet de loi C-24, une loi imposant des droits sur l'exportation aux États-Unis de certains produits de bois d'œuvre et des droits sur les remboursements de certains dépôts douaniers faits aux États-Unis, autorisant certains paiements et modifiant la Loi sur les licences d'exportation et d'importation et d'autres lois en conséquence.

Le 30 mars 2007, la représentante au commerce des États-Unis, Mme Susan Schwab, a demandé la tenue de consultations avec le Canada dans le cadre de cet accord et une première réunion a eu lieu le 19 avril.

Nous sommes ici aujourd'hui pour entendre deux groupes d'experts sur le sujet.

[Français]

Dans un premier temps, des fonctionnaires d'Affaires étrangères et Commerce international Canada nous présenteront la position du gouvernement. Nous avons le plaisir d'accueillir Andrea Lyon, négociatrice commerciale en chef pour l'Amérique du Nord, Suzanne McKellips, directrice générale, Contrôles à l'exportation et à l'importation, et Stephen de Boer, directeur, Bois d'œuvre.

Nous accueillerons ensuite des représentants de l'industrie, à savoir Peter Clark et Carl Grenier qui sont déjà présents et que je vous présenterai plus en détails un peu plus tard. Je cède maintenant la parole à Mme Lyon.

[Traduction]

Andrea Lyon, négociatrice commerciale en chef (Amérique du Nord), Affaires étrangères et Commerce international Canada : Merci beaucoup. Nous sommes heureux de comparaître devant vous aujourd'hui afin de vous fournir une mise à jour sur la mise en œuvre de l'Accord sur le bois d'œuvre résineux. L'accord est entré en vigueur le 12 octobre 2006 et la loi habilitante a été adoptée le 14 décembre 2006. Depuis, la mise en œuvre de l'accord a demandé beaucoup de travail. Par exemple, les droits compensateurs et antidumping américains ont été complètement annulés.

En ce qui concerne la mise en œuvre, plus de 4,5 milliards de dollars américains en droits ont été remboursés aux producteurs de bois d'œuvre canadiens, principalement par le truchement du mécanisme innovateur qu'Exportation et développement Canada a mis sur pied afin de faciliter le remboursement des droits. Le remboursement de ces fonds représente une importante injection de capitaux dans l'industrie et profitera aux travailleurs et aux collectivités des quatre coins du Canada.

De plus, l'Accord sur le bois d'œuvre résineux interdit aux États-Unis d'appliquer des recours commerciaux pendant toute la durée de l'accord et pendant un an après son échéance. En ce sens, l'accord a mis fin à des années de procédures coûteuses. Nous en sommes maintenant à l'étape de la gestion interne. Au cours des prochaines semaines, nous travaillerons avec les divers intervenants, les provinces et l'industrie à conclure les affaires qui restent à régler.

Le Canada et les États-Unis se sont prononcés en faveur de l'accord et travaillent en étroite collaboration à en assurer une application sans heurt. L'accord prévoit un éventail de mécanismes de consultation pour en garantir l'application ordonnée et viable sur le plan commercial. Il améliorera la coopération binationale et favorisera l'essor d'une industrie du bois de sciage nord-américaine plus intégrée.

Le Comité du bois d'œuvre résineux a été formé et a tenu sa première réunion en février. Il supervisera la mise en œuvre de l'accord ainsi que les groupes de travail techniques Canada-États-Unis établis lors de sa première réunion. Deux groupes de travail examineront les questions stratégiques présentant un intérêt pour les deux pays : les exemptions régionales de la politique ainsi que les restrictions à l'exportation de grumes et le bois d'œuvre fabriqué à partir de grumes récoltées sur des terres privées.

Trois groupes de travail techniques ont également été mis sur pied pour assurer l'application ordonnée des mesures à l'exportation de l'accord. Ils se pencheront plus précisément sur les données et le rapprochement, les difficultés liées aux licences et aux douanes, ainsi que les problèmes relatifs à la portée.

L'accord prévoit également la création d'un conseil binational de l'industrie auquel on accordera 50 millions de dollars américains. De cette somme, 40 millions de dollars américains seront versés au conseil pour aider au développement des marchés et soutenir les initiatives de viabilité. Le conseil consacrera les 10 millions de dollars américains restants à l'arbitrage prévu aux termes de l'article XIV de l'accord. Le conseil s'est déjà réuni deux fois et travaille activement à organiser ses travaux. Nous croyons qu'il fera accroître la collaboration entre les deux industries.

En outre, trois fondations ont reçu 450 millions de dollars américains grâce à l'accord pour entreprendre des initiatives méritoires aux États-Unis, notamment des projets de secours aux sinistrés et d'éducation liés à la viabilité des forêts en tant que sources de matériaux de construction. Les trois organismes sont les suivants : Habitat pour l'humanité, la United States Endowment for Forestry and Communities et l'American Forest Foundation. Le gouvernement du Canada a nommé trois Canadiens qui agiront à titre de représentants non votants de ces fondations.

Toutes ces réalisations témoignent de la collaboration bilatérale de haut niveau dont font œuvre les deux pays depuis l'adoption de la loi habilitante. Les désaccords sont toutefois inévitables dans la mise en œuvre et l'administration d'un litige commercial si compliqué. C'est la raison pour laquelle nous avons inclus dans l'accord diverses dispositions institutionnelles qui permettent un bon échange de points de vue. Les consultations représentent une façon efficace et pratique d'échanger de l'information avec les États-Unis et de régler des désaccords d'une manière constructive.

Nous continuons de maintenir un dialogue étroit avec l'industrie forestière et les provinces pour régler les problèmes relatifs à l'administration et à la mise en œuvre de l'accord ainsi que pour garantir le fonctionnement et la durabilité d'un accord qui profite à tous les Canadiens œuvrant dans le secteur forestier.

Dans le cadre de ce processus permanent de gestion de l'accord, les États-Unis se sont renseignés, lors de la réunion du Comité du bois d'œuvre résineux de février dernier, sur la nature de certains programmes du gouvernement du Canada, du gouvernement de l'Ontario et du gouvernement du Québec.

Par la suite, soit le 30 mars 2007, ils ont demandé la tenue de consultations avec le Canada en vertu du mécanisme de règlement des différends de l'accord. Cette mesure s'inscrit dans le fonctionnement normal du mécanisme de règlement des différends de l'Accord sur le bois d'œuvre résineux, qui fournit une voie officielle, en dehors de l'arbitrage, pour résoudre les problèmes qu'éprouvent les États-Unis et le Canada eu égard au commerce du bois d'œuvre. Les consultations sont conçues pour aider à résoudre les différends grâce à une meilleure compréhension des mesures en jeu.

Les consultations se sont déroulées le 19 avril à Ottawa. Comme je l'ai déjà mentionné, les États-Unis en avaient fait la demande pour débattre d'un certain nombre de questions, dont l'interprétation que donne le Canada d'une disposition technique de l'accord appelée facteur de rajustement, qui a trait au calcul de la consommation américaine utilisé pour déterminer le volume des exportations de certaines régions, et aussi pour discuter d'un certain nombre de programmes des gouvernements fédéral, de l'Ontario et du Québec.

Lors des consultations, le gouvernement du Canada a soutenu qu'il avait correctement interprété et appliqué la disposition relative au facteur de rajustement de l'accord et que ces programmes respectent entièrement les obligations qu'il a contractées aux termes de l'accord.

En conclusion, nous croyons que l'accord est bien appliqué, comme le montrent les réalisations dont j'ai parlé plus tôt. Les deux pays portent un grand intérêt à l'application ordonnée de l'accord. Nous continuerons de travailler avec les États-Unis à résoudre avec efficacité tout différend qui pourrait être soulevé.

Le président : Merci beaucoup. Avant de demander au sénateur Ringuette de prendre la parole, j'aimerais souhaiter un bon retour au sénateur Andreychuk, au sénateur Segal et au sénateur Di Nino. Ils ont cessé d'assister aux réunions pendant un moment, mais leurs absences semblent être moins fréquentes.

Le sénateur Ringuette : Merci de l'exposé que vous avez fait ce soir. Je crois comprendre que vous mettez en place la politique gouvernementale, mais que vous n'en êtes pas responsable.

À la page 2 de votre exposé, vous dites « Au cours des prochaines semaines, nous travaillerons avec les provinces et l'industrie à conclure un certain nombre d'affaires relativement aux procédures de l'ALENA ».

Êtes-vous en train de dire que certaines affaires n'ont pas encore été réglées et qu'il y a encore moyen de poursuivre les procédures?

Mme Lyon : Quand nous avons signé l'accord sur le bois d'œuvre résineux, il a été reconnu, et rappelez-vous qu'à l'époque nous avions environ 20 affaires en cours et l'accord exigeait l'arrêt de ces procédures, que pour mettre en œuvre l'accord avant le 12 octobre, nous n'avions tout simplement pas le temps de régler tous ces litiges en temps opportun. L'accord demandait qu'un certain nombre d'affaires soient conclues à la suite de son entrée en vigueur et que l'inutilité de donner suite à ces affaires soit reconnue. Ces dernières auraient été sans objet, car le principe fondamental de notre affaire, soit l'imposition de droits et le remboursement des dépôts, aurait été respecté par l'observation des obligations de l'accord par les États-Unis. Le délai auquel nous faisons référence, que je n'appellerais pas un délai mais plutôt une procédure normale, a mis fin à la majorité des affaires relatives au bois d'œuvre résineux. Il y seulement quelques causes en instance, mais nous sommes obligés de clore les litiges, comme l'exige l'accord.

Le sénateur Ringuette : L'affaire West Fraser est-elle une procédure privée?

Mme Lyon : La décision dans l'affaire sur le remboursement des droits a été rendue vers la fin de 2006. Le tribunal a jugé, si ma mémoire est bonne, qu'il était inutile d'appliquer les mesures de redressement établies antérieurement, qui aurait été le remboursement des dépôts et la révocation des ordonnances. Cette question avait été réglée par le biais des obligations des États-Unis en vertu de l'accord.

Ce n'est pas tant aux parties privées qu'aux tribunaux de déterminer si les conditions de caractère théorique ont été respectées. L'affaire est close, mais elle était importante pour le Canada. Nous pensons qu'elle continuera d'avoir des effets persuasifs eu égard au verdict prononcé sur les remboursements de droits dans le cadre de l'ALENA.

Le sénateur Ringuette : L'affaire est-elle en instance?

Mme Lyon : Non, la décision du tribunal a été rendue en octobre, je crois.

Le sénateur Ringuette : Quelles affaires sont en cours?

Mme Lyon : Nous reviendrons sur les détails concernant cette question. Nous savons que sur environ 20 litiges, quelques procédures aux termes de l'ALENA ne sont pas réglées.

Le président : Notre comité est assez informé du dossier du bois d'œuvre résineux. Nous l'avons examiné lorsque nous avons étudié l'ALE et le projet de loi.

Nous savons que les pressions augmentent lorsque le marché se contracte aux États-Unis. Autrement dit, les producteurs américains sont de plus en plus enclins à passer par la filière judiciaire quand le marché du bois d'œuvre américain se contracte et que les prix baissent. Je suppose qu'en raison de l'effondrement du marché de l'habitation qui se produit actuellement, comme tout le monde le sait, le prix du bois d'œuvre aux États-Unis baissera et le marché rétrécira. Par le passé, les producteurs américains ont tenté de s'en prendre aux producteurs canadiens, car ces derniers détiennent 33 p. 100 du marché américain.

Est-ce encore le cas?

Mme Lyon : L'accord interdit aux États-Unis d'appliquer des recours commerciaux pendant toute la durée de l'accord et pendant un an après son échéance. L'industrie américaine ne peut entreprendre un tel recours commercial pendant que l'accord est en vigueur.

Le sénateur Downe : À titre de précision, vous avez évoqué la réunion du 19 avril au cours de laquelle les Américains ont présenté leurs doléances. Si elles n'ont pas été réglées dans les 40 jours suivants, les partis peuvent recourir à l'arbitrage; est-ce exact?

Mme Lyon : C'est exact. L'une ou l'autre des parties peut demander la formation d'un groupe spécial arbitral 40 jours après la demande de consultations initiale.

Le sénateur Downe : Est-ce vrai que si le Canada perdait en arbitrage, les Américains pourraient imposer diverses sanctions?

Mme Lyon : Nous faisons de la projection à savoir si les États-Unis demanderaient vraiment l'arbitrage.

Le sénateur Downe : J'en suis bien conscient. Je veux juste comprendre ce que l'accord permet.

Mme Lyon : En ce qui a trait au fonctionnement technique de l'accord, si le Canada est reconnu coupable de violation, le groupe spécial arbitral demanderait au Canada de prendre les mesures voulues pour y remédier. S'il n'est pas reconnu coupable, on ajusterait la taxe à l'exportation pour corriger la situation.

Le sénateur Downe : Si le Canada perd en arbitrage, les Américains pourraient soit augmenter les droits d'exportation, soit réduire les volumes des exportations exemptes de droits?

Mme Lyon : Le Canada pourrait le faire aussi compte tenu du fait que nous imposons les mesures à la frontière.

Le sénateur Downe : Est-ce vrai que si ces mesures sont prises, l'accord permet à l'une ou l'autre des parties de résilier l'accord sur préavis de 30 jours?

Mme Lyon : Là encore, il faut suivre un certain nombre d'étapes de procédures. Les États-Unis devraient émettre un avis de détermination ou de cotisation nous signalant que nous n'avons pas pris des mesures suffisantes pour corriger la situation. L'affaire serait renvoyée en arbitrage, et diverses autres procédures s'appliqueraient, à la suite desquelles il est possible que l'autre partie allègue que nous avons enfreint l'accord et demande la tenue de consultations en vue d'y mettre fin. C'est la énième étape d'un processus plutôt long.

Le sénateur Downe : L'accord prévoit que la décision arbitrale doit être rendue dans un délai de six mois.

Mme Lyon : C'est exact, la décision doit être prononcée dans un délai de 180 jours.

Le sénateur Downe : Oui, et après que la décision a été rendue, l'accord peut être annulé dans les 30 jours suivants.

Mme Lyon : D'autres procédures qui doivent être suivies reposent sur une allégation que le Canada n'a pas respecté la décision du groupe spécial arbitral.

Le sénateur Downe : Comme mon collègue l'a mentionné plus tôt, je comprends que les responsables ici mettent en œuvre et interprètent l'accord; ils ne l'ont pas signé. Je pense que le gouvernement a peut-être exagéré les mérites de l'accord en l'annonçant comme une solution à long terme alors que toutes sortes de dispositions sont prévues pour que les Américains puissent le résilier à un très court préavis.

Mme Lyon : Cela s'appliquerait si les États-Unis ne respectaient pas la décision d'un groupe arbitral. Les deux parties peuvent également se prévaloir de ces dispositions.

Le sénateur Downe : Je suis d'accord. Je répète que je ne veux pas contredire les responsables, mais de nombreux Canadiens étaient préoccupés par le fait que seuls 4,5 milliards de dollars ont été remboursés et que le reste de l'argent pouvait servir à se battre contre nous devant les tribunaux pour se soustraire à l'accord.

Le président : L'effondrement du marché de l'habitation et du marché du bois d'œuvre accentuera les pressions. Une chose en entraîne une autre.

Le sénateur Segal : Je ne voudrais pas me montrer pointilleux, mais l'effondrement du dollar canadien a également provoqué des pressions importantes. C'est l'inverse qui se produit en ce moment, ce qui contrebalancerait l'effondrement des marchés aux États-Unis.

Quelle sera notre réponse à cette représentation normative de hauts fonctionnaires américains sur du papier officiel portant l'en-tête du Cabinet exécutif du président? Qu'allons-nous faire?

Mme Lyon : Cela fait suite à la demande de consultations.

Le sénateur Segal : Oui.

Mme Lyon : Les consultations ont eu lieu. Elles ont été tenues ici à Ottawa le 19 avril. Les États-Unis examinent actuellement les résultats de ces consultations. Nous avons dit que nous serions heureux de répondre à toute autre question qu'ils pourraient avoir. Nous en sommes là dans le dossier.

Le sénateur Segal : Quelle consultation aurait lieu entre des fonctionnaires et les divers groupes concernés de l'industrie au pays, qui sont rarement du même avis?

J'aimerais savoir ce que vous feriez, car je suis sûr qu'ils exerceront d'énormes pressions pour prendre part aux discussions, qu'elles présentent un intérêt pour eux ou non.

Mme Lyon : Les consultations se déroulent entre deux États, donc entre deux gouvernements fédéraux. Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, nous avons maintenu un dialogue étroit avec les intervenants, les provinces et l'industrie. En ce qui concerne certaines des questions liées aux programmes provinciaux, les provinces visées ont participé très activement au processus et ont assisté aux consultations qui portaient précisément sur leurs mesures.

Le sénateur Corbin : Vous semblez appeler « questions administratives » ce que les Américains appellent formellement des « consultations ». Pourriez-vous définir les deux termes? Quelle est la différence entre des consultations et des questions administratives? Est-ce que quelque chose m'échappe ou est-ce trop simple?

Mme Lyon : Les consultations constituent un élément standard d'un processus de règlement des différends, que ce soit dans le cadre d'un accord sur le bois d'œuvre résineux, de l'ALENA ou de l'OMC. Comme dans le cas des autres accords, les deux parties ont l'occasion de discuter des problèmes, de déterminer s'il y a bel et bien un problème et de voir si elles peuvent trouver une solution qui les satisfasse toutes les deux. La disposition relative aux consultations figure dans l'accord pour cette raison.

Le sénateur Corbin : Les Canadiens ont-ils demandé de tenir des consultations avec leurs homologues américains? Si vous deviez écrire une lettre officielle au Cabinet exécutif du président, utiliseriez-vous le mot « consultation » de la manière que les Américains l'emploient?

Mme Lyon : Si le Canada demandait la tenue de consultations aux termes du chapitre sur le règlement des différends de l'accord, nous l'utiliserions de la même manière.

Le sénateur Corbin : Le Canada a-t-il déjà demandé des consultations sur des points litigieux de l'accord?

Mme Lyon : Il ne l'a pas fait dans le cas de l'Accord sur le bois d'œuvre résineux.

Le sénateur Corbin : L'a-t-il déjà fait?

Mme Lyon : L'accord n'est entré en vigueur qu'au début d'octobre, alors nous n'en sommes qu'aux premières étapes de son application. Bien entendu, par le passé, dans le cadre de l'OMC, de l'ALENA, et certains d'entre vous se rappellent peut-être les débuts de l'ALE, qui était aussi un accord extrêmement complexe, d'entrée de jeu, il y a certainement eu des consultations et le mécanisme de règlement des différends a été utilisé, ce qui est normal durant la mise en œuvre d'un accord commercial.

Le sénateur Corbin : Pourriez-vous nous expliquer les préoccupations ou les objections des États-Unis telles qu'elles sont énoncées dans la lettre de la représentante au commerce, qui comporte une série de sujets de préoccupation?

Êtes-vous libre de divulguer comment ces différentes questions ont été réglées au cours des dernières consultations? Nous avons une multitude de dossiers qui mettent en jeu des centaines de millions de dollars. De plus, il est plutôt effronté de la part de l'industrie du bois d'œuvre américaine de se mêler, par le truchement du département du Commerce, des programmes strictement provinciaux qui ont été mis en place par les provinces pour maintenir leurs industries à flot.

Veuillez nous expliquer la lettre de l'honorable David Emerson et nous parler de la discussion. Si des questions ont été réglées, veuillez nous en faire part, et si rien n'a été réglé, veuillez nous dire pourquoi. Y voyez-vous un inconvénient? C'est le but de la réunion.

Mme Lyon : Les consultations entre le Canada et les États-Unis sont confidentielles.

Le sénateur Corbin : Pourquoi?

Mme Lyon : Les consultations visent à ce que les deux parties aient une discussion franche et acquièrent une connaissance approfondie du sujet. Il se peut aussi dans le cas de certaines questions qui ont été soulevées durant les consultations, que nous ayons à faire preuve de prudence, au cas où certaines d'entre elles seraient soumises à l'arbitrage. À toutes fins pratiques, il n'est pas dans l'intérêt du Canada de divulguer les détails de ce qui a été discuté dans le cadre des consultations afin de protéger les positions du Canada.

Le sénateur Corbin : Vous avez dit que ce n'est pas dans l'intérêt du Canada. En vertu de quelle prérogative, règle de droit ou autre, exercez-vous ce pouvoir discrétionnaire? Le public a certainement le droit de savoir ce qui se passe, surtout l'industrie du bois d'œuvre. Comment l'industrie est-elle informée?

Mme Lyon : L'industrie est informée par l'entremise d'ententes de confidentialité qui permettent de communiquer des renseignements plus précis pour nous protéger si ces questions sont soumises à l'arbitrage.

Le sénateur Corbin : Comment un comité sénatorial peut-il évaluer la valeur de cette entente s'il ne peut pas avoir accès à ces discussions et à leurs résultats? Aimeriez-vous que nous tenions une réunion à huis clos pour que vous puissiez nous parler franchement du processus et de votre manière de procéder avec l'industrie et d'autres partenaires?

Mme Lyon : Je tiens à ajouter que les ententes de confidentialité sont signées en présence d'un avocat pour pouvoir profiter de la protection du secret professionnel liant l'avocat à son client dans le cadre des échanges avec nos intervenants. Je ne peux pas me prononcer davantage sur la divulgation de la teneur de ces consultations.

Le sénateur Corbin : N'est-ce pas un truc bureaucratique traditionnel pour éviter la libre circulation de l'information? Toute cette question a fait l'objet d'une vaste controverse et a parfois suscité de la colère partout au Canada, dans certaines provinces plus que d'autres.

Le sénateur Segal : J'aimerais soulever une question de privilège.

Le sénateur Corbin : Exposez votre question de privilège.

Le sénateur Segal : Il est absolument inapproprié de la part d'un membre de notre comité d'accuser un fonctionnaire fédéral de manquer d'intégrité ou de clarté alors qu'il témoigne ici de bonne foi et nous communique des renseignements de manière constructive.

En qualifiant le secret professionnel liant l'avocat à son client de « truc », vous diminuez de façon inappropriée le rôle de la personne qui témoigne devant nous à titre de professionnel responsable s'efforçant de faire le meilleur travail possible. Si vous acceptez de retirer vos paroles, je vais retirer ma question de privilège.

Le sénateur Corbin : Non, je ne retirerai pas mes paroles. Je vis dans une démocratie et je peux dire ce que je pense. C'est à cela que sert le Parlement. Quand on ne nous fournit pas l'information appropriée, je crois que j'ai le droit de dire ma façon de penser. Je ne suis peut-être pas aussi au fait des questions de droit, du secret professionnel, et cetera, que mes collègues ici présents; toutefois, ce dossier a sérieusement préoccupé l'ensemble du pays et l'industrie canadienne a dû faire des sacrifices pour en arriver là. On nous a dit que c'est un accord solide de sept ans, comme en faisait état la presse il y a quelques semaines, c'est reparti.

Je veux savoir si les différends — les pommes de discorde, appelez-les comme vous voulez — sont en voie d'être réglés ou pas. Je suis surtout inquiet de l'attitude de nos amis de l'autre côté de la frontière qui veulent se mêler des programmes qui permettent aux gouvernements provinciaux responsables et élus démocratiquement d'aider leur industrie, leurs travailleurs, et cetera. L'article porte essentiellement là-dessus. Comment osent-ils? S'ils ont l'audace de le faire, je veux savoir comment vous abordez ces problèmes.

C'est une question honnête; ne croyez-vous pas? N'en faites pas une affaire personnelle.

Le président : Bien sûr que non, et c'est ce que nous faisons depuis de nombreuses années. Nous essayons d'obtenir de l'information et c'est un sujet très controversé.

Le sénateur Di Nino : Je comprends l'intervention du sénateur Segal dans une certaine mesure, mais uniquement parce que nous avons rencontré des membres de votre personnel aujourd'hui et que je suis d'avis que nous devrions toujours les traiter avec respect. Je ne crois pas qu'il soit approprié et convenable d'adresser ces questions particulières aux hauts fonctionnaires. Ce sont peut-être des questions que nous devrions poser au ministre plutôt qu'aux fonctionnaires. Ces derniers ne prennent pas les décisions politiques et n'établissent pas les règles qu'ils sont tenues d'observer dans l'exercice de leurs fonctions.

Je suis d'accord avec mon collègue, mais pour l'expliquer dans mes propres mots, je dirais que ces questions devraient être posées comme il se doit au ministre plutôt qu'aux hauts fonctionnaires.

Le président : Les hauts fonctionnaires ont entendu des choses bien pires que cela; ils sont très haut placés. Il est évident que nous ne mettons absolument pas en doute l'intégrité des témoins et nous entendrons d'autres témoins pour poursuivre l'étude du dossier.

Le sénateur Corbin : Croyez-vous que j'ai terminé?

Le président : Je vous demande pardon, sénateur Corbin.

Le sénateur Corbin : J'ai terminé pour l'instant.

Le sénateur Mahovlich : La somme de 450 millions de dollars américains a été accordée pour entreprendre des initiatives méritoires aux États-Unis comme Habitat pour l'humanité. Est-ce une fondation forestière?

Mme Lyon : Habitat pour l'humanité œuvre dans le secteur forestier. Le projet utilise des matériaux de construction et a été jugé comme un candidat valable pour recevoir une partie de ces fonds.

Le sénateur Mahovlich : Il y a deux autres fondations — la United States Endowment for Forestry and Communities et l'American Forest Foundation. Trois Canadiens agiront à titre de représentants non votants de ces fondations. Des fondations canadiennes ont-elle reçu une partie de cet argent? Je suis sûr que nous avons des fondations qui se soucient de nos forêts.

Mme Lyon : Les dispositions de l'accord exigeaient que les fonds servent à des fins bien précises : des projets d'intérêt public, d'éducation, de logements sociaux, de secours en cas de catastrophe, et cetera. Nous ne faisons que ce qui est prévu et énoncé dans l'accord.

Le sénateur Mahovlich : Tous aux États-Unis?

Mme Lyon : C'est exact.

Le président : Vous avez interrogé nos témoins avec beaucoup de vigueur. Merci beaucoup.

Le sénateur Corbin : Avant de suspendre les travaux, avez-vous l'intention de convoquer M. Emerson devant le comité?

Le président : Je m'en remets au comité. Je ne vois pas pourquoi nous ne le ferions pas.

Le sénateur Corbin : J'aimerais avoir des réponses à quelques questions. Le secret professionnel liant l'avocat à son client nous empêche d'obtenir de l'information. Je ne sais pas si le ministre invoquera la même excuse, mais il est temps de cesser de jouer et d'obtenir ces renseignements.

Le président : Nous avons d'autres témoins. Il y a M. Grenier, qui attend à Washington, et M. Clark, qui a été très patient à l'arrière. Au nom du comité, je tiens à vous remercier d'avoir ouvert la discussion. Nous venons de commencer l'étude du dossier, comme vous le savez. Nous savons tous que l'accord a suscité des questions et qu'on se demande quelle est la situation actuelle, mais nous vous remercions d'être venus témoigner.

Comme je l'ai dit plus tôt, personne n'a émis le moindre doute sur l'intégrité de la fonction publique dans la réponse à la question du sénateur Segal, mais nous avons l'habitude que des questions percutantes soient posées à notre comité, sénateur Segal.

Pour la prochaine partie de la réunion, nous entendrons M. Peter Clark, président de Grey, Clark, Shih and Associates. M. Clark est un ancien fonctionnaire et est maintenant l'un des experts en commerce international les plus actifs au Canada. Ses clients au Canada et ailleurs dans le monde comprennent le gouvernement, des sociétés et des associations commerciales. Aujourd'hui, il témoigne devant nous à titre de représentant de la Coalition for Fair Lumber Imports des États-Unis.

[Français]

Nous avons également le plaisir d'accueillir M. Carl Grenier, vice-président exécutif du Conseil canadien du libre- échange pour le bois d'œuvre, un organisme canadien privé qui représente les entreprises de produits forestiers et les associations industrielles du Canada. Le Conseil a été mis sur pied en 1998 afin de favoriser le rétablissement du libre échange du bois d'oeuvre entre le Canada et les Étas-Unis.

M. Grenier est à Washington aujourd'hui et comparaît par vidéoconférence. De plus, mes collègues se souviendront que M. Grenier a comparu sur cette question en novembre dernier. Avant de débuter, j'aimerais également remercier nos deux témoins pour leur patience suite à l'annulation de la séance de la semaine dernière, annulation inévitable qui avait été faite à la dernière minute.

Sans plus tarder, j'invite maintenant M. Clark à faire sa présentation qui sera suivi par M. Grenier et ensuite, nous passerons aux questions.

[Traduction]

Peter Clark, président, Grey, Clark, Shih and Associates : La coalition est heureuse d'avoir été invitée ici aujourd'hui pour vous faire connaître son point de vue. M. Van Heyningen, le directeur général de la coalition, regrette de ne pas pouvoir être présent. Il m'a demandé de le remplacer afin de vous donner les renseignements dont vous avez besoin.

J'ai préparé un court exposé, que j'ai déposé auprès du greffier. L'exposé a été mis à jour depuis que la réunion initiale a été annulée.

Je vais aborder quelques points, monsieur le président, puis je répondrai à vos questions avec plaisir. Si je me fie au rythme et à l'intensité du premier tour de questions, je vais essayer de commencer le plus rapidement possible, car c'est probablement ce qui importe le plus pour vous.

Tout d'abord, on a laissé entendre que les membres de la coalition aux États-Unis n'étaient pas compétitifs, ce qui est inexact. C'est tout simplement une excuse. Nous avons annexé à notre exposé un document qui porte sur la compétitivité des scieries américaines. Elles sont parmi les plus rentables au monde.

Nous devrions préciser clairement que la coalition appuie l'Accord sur le bois d'œuvre résineux et estime qu'il contient les éléments de base pour permettre d'éviter un autre différend commercial international entre le Canada et les États-Unis, à la condition que les parties respectent les obligations qui y sont énoncées.

L'accord n'est pas parfait, car aucune des parties n'a obtenu tout ce qu'elle voulait. Rappelons les propos du premier secrétaire général du GATT, sir Eric Wyndham White, pour qui le meilleur accord est celui qui est mutuellement insatisfaisant.

Malgré ce qu'a déclaré le Syndicat des métallurgistes unis d'Amérique, les États-Unis n'essaient pas de renégocier l'Accord sur le bois d'œuvre résineux. Ils prennent part à des consultations pour veiller à ce qu'un certain nombre de questions soient respectées en vertu de l'accord et pour porter ces questions à l'attention du Canada, comme l'a fait l'ambassadrice Schwab, afin que le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux puissent convaincre les États-Unis qu'ils se conforment vraiment à leurs obligations en vertu de l'accord.

Les consultations en vertu d'accords commerciaux ne sont pas une chose inhabituelle; c'est pour cela qu'il y a des dispositions à cet égard. La même chose est vraie pour les règlements de différends. Tel est le fonctionnement des ententes commerciales.

Avec Mme Lyon, vous avez abordé certaines des questions dont on traite dans la lettre du 30 mars, qui est également jointe à mon mémoire. Il est clair que l'entente commerciale confère aux États-Unis, tout comme au Canada, le droit de soulever des préoccupations et de demander des éclaircissements. Au besoin, la coalition pressera l'Office of the Trade Representative, ou USTR, d'exercer ses droits.

La préoccupation exprimée par la coalition depuis le moment où nous étions censés comparaître, à l'origine, concerne des rapports de la délégation américaine indiquant que le Canada a refusé de s'attaquer précisément au règlement de ces problèmes durant les consultations, et il apparaît improbable qu'on en arrivera à une résolution rapide sans arbitrage à ce sujet.

La coalition n'est pas la seule entité à se faire du souci en ce qui a trait aux pratiques en cours, puisque des ministres de la Colombie-Britannique ont exprimé des réserves au sujet des programmes de subventions en Ontario et au Québec. Il y a plusieurs semaines, j'ai assisté à une conférence en Alberta où l'on évaluait l'entente sur le bois d'œuvre après six mois d'application; c'est là que ces préoccupations ont été soulevées. De plus, des représentants de l'industrie de l'Est canadien ont dit s'inquiéter des changements relatifs aux droits de coupe et à la montée en flèche des importations, ainsi que de l'impact qu'ont les producteurs de l'Ouest sur le marché nord-américain. Cela n'est pas inhabituel en ce qui concerne le conflit sur le bois d'œuvre car, comme Gordon Ritchie l'a déjà dit, tâcher de garder les provinces sur le mode consensus dans ce dossier revient à essayer de rameuter une troupe de chats. Je pense que M. Ritchie a comparu devant vous également.

Les questions abordées par Mme Lyon ont été exposées très clairement. Afin que nous puissions passer à la période de questions et réponses, je traiterai seulement de l'une d'elles, soit l'ajustement des provinces visées par l'option A et l'option B à l'augmentation subite des importations et aux exportations excessives.

Le gouvernement canadien a adopté la position selon laquelle les provinces ayant choisi l'option A ne sont pas assujetties à un mécanisme d'endiguement des importations. Or, l'entente initiale des États-Unis, confirmée par la suite devant les tribunaux, prévoyait que le Canada soumette à un ajustement aussi bien les provinces ayant choisi l'option B que celles visées par l'option A. En tant que personne qui suit le dossier depuis bien des années et qui s'occupe de différends commerciaux internationaux et de relations fédérales-provinciales touchant les provinces, je trouve plutôt intriguant qu'on puisse prétendre que les provinces ayant choisi l'option B, comme le Québec, devraient ou voudraient être en mesure d'accepter qu'on omette de frapper de mesures disciplinaires semblables les provinces visées par l'option A, dont la Colombie-Britannique. Il est insensé de laisser entendre que les relations fédérales-provinciales ont pu évoluer à ce point.

En ce qui concerne l'autre question à propos de laquelle il semble y avoir un — je ne veux pas utiliser le terme « volte-face », parce qu'on l'utilise si souvent à l'autre endroit — changement de position quant au moment où ces mécanismes d'ajustement s'enclencheront. Apparemment, l'une des entreprises de produits forestiers poursuivait le gouvernement du Canada devant la Cour fédérale pour avoir appliqué les ajustements à compter de janvier dernier, mais maintenant, il semble que le gouvernement fédéral affirme qu'il n'y aura pas d'ajustement avant juillet.

Ce qui est préoccupant, c'est qu'il s'agit d'une entente assortie de droits et d'obligations. Les États-Unis ont le droit de demander des éclaircissements et de chercher à s'assurer que le Canada et les provinces couvertes par l'accord en respectent les conditions. C'est là l'objet des consultations. C'est tout à fait normal, et la coalition surveille ce qui se passe au Canada. Elle présente des rapports au gouvernement américain, lequel participe à des consultations avec le Canada, car il constitue une partie, et le gouvernement du Canada en est une autre.

Du point de vue de la coalition, la balle est dans le camp d'Ottawa, et grâce à un engagement de bonne foi à l'égard de ces consultations, ces questions peuvent être réglées. Depuis plus longtemps que mes clients, j'ai conscience qu'il existe des différences entre le gouvernement fédéral et les provinces canadiennes. Si elles ne peuvent être aplanies, on sera forcé de soumettre les litiges à un arbitrage, ce qui accroîtra l'incertitude et les questionnements au sujet de la durabilité de l'entente et, à tout le moins, retardera la possibilité de paix au sein de l'industrie nord-américaine, que l'entente symbolise et, espérons-le, continuera de symboliser.

Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Clark.

Monsieur Grenier, veuillez commencer votre exposé.

[Français]

Carl Grenier, vice-président exécutif, Conseil canadien du libre-échange pour le bois d'œuvre : Honorables sénateurs, la plupart de mes remarques se feront en français, mais je crois que cela ne posera pas de problème pour l'interprétation simultanée. Je regrette de n'avoir pu vous remettre un texte de présentation, mais vous comprendrez mes motifs.

Je remercie le comité de m'inviter à vous faire, par téléconférence, ma présentation de Washington, je l'apprécie beaucoup.

Au moment de ma dernière comparution devant le comité, le 7 novembre dernier, je ne m'attendais pas du tout à revenir si rapidement témoigner devant vous. L'essentiel de mes remarques, l'automne dernier, concernait l'impact de l'Accord sur le bois d'œuvre, mis en œuvre le 12 octobre dernier, comme le rappelait Mme Lyon, sur le système de règlement des différends de l'ALENA. Or, ce qui nous amène ici aujourd'hui, c'est justement la demande formelle des États-Unis pour la tenue de consultations, telles que prévues dans cette entente en cas de désaccord.

Il ne fait nul doute que ces consultations entre les deux gouvernements ne sont qu'une formalité. Comme les témoins précédents l'ont souligné, le fait de tenir des consultations est tout à fait normal dans le cadre d'un accord commercial. Selon les informations dont nous disposons, les questions soulevées par les États-Unis nous mènent tout droit vers un litige, c'est-à-dire à l'arbitrage, et ce d'ici deux à trois semaines.

Les membres du comité se souviendront que l'un des arguments clés, que le gouvernement a déployé l'an dernier pour convaincre l'industrie de se rallier à cet accord, était précisément de mettre fin aux litiges interminables que nous avions connus dans le passé. Je crois que Mme Lyon a fait référence à ce point au début de ses remarques.

À peine six mois après l'entrée en vigueur de l'accord, les États-Unis viennent d'opposer un démenti retentissant à cette prétention.

Après avoir fait son deuil, faute d'appui de la part de l'industrie canadienne des deux conditions préalables qu'il avait posées le 1er juillet dernier, l'abandon de toutes les poursuites et de support explicite de 95 p. 100 des entreprises pour le remboursement des sommes dues par le biais de l'Export Development Corporation, c'est maintenant le principal bénéfice de l'accord lui-même, soit la paix commerciale pour un minimum des sept ans qui risque d'échapper au gouvernement canadien et, par le fait même, à l'industrie canadienne.

Il n'est pas de mon propos de formuler quelque commentaire que ce soit quant au bien-fondé des allégations américaines contenues dans la centaine de questions adressées au gouvernement fédéral et à deux gouvernements provinciaux, le Québec et l'Ontario. Ces questions formeront certainement le cœur du litige qu'auront à trancher trois arbitres étrangers.

C'est plutôt au processus d'arbitrage lui-même et à ses conséquences que je veux m'attarder brièvement.

Le président : Monsieur Grenier, pour le bénéfice de nos interprètes, pourriez-vous parler un peu plus lentement?

M. Grenier : Je m'excuse. Ce qu'il faut savoir, c'est que contrairement au règlement des différends de l'ALENA dont j'avais parlé au mois de novembre dernier, les entreprises, les associations qui les représentent et les provinces n'ont pas de qualité pour représenter elles-mêmes leurs intérêts devant ce tribunal d'arbitrage.

[Traduction]

Nous, l'industrie et les provinces, ne pouvons comparaître devant ce tribunal d'arbitrage comme nous pourrions, bien sûr, le faire devant un tribunal de l'ALENA ou même devant un tribunal américain.

[Français]

Seulement les deux gouvernements fédéraux ont ce pouvoir. Il s'agit là d'un choix politique opéré par le gouvernement de M. Harper l'an dernier. J'ai déjà dit tout le mal que je pensais de la décision du gouvernement de soustraire le bois d'œuvre aux règles normales de l'ALENA, règles qui, malgré toute la mauvaise foi des autorités américaines, étaient sur le point de donner une victoire complète au Canada.

C'est l'ancien sous-secrétaire au commerce, M. Grant Aldonas — qui fut également le négociateur en chef des États- Unis pour le bois d'œuvre — qui l'affirmait il y a deux semaines lors d'un colloque organisé à Edmonton par le Western Center for Economic Research de l'Université de l'Alberta.

Tel que rapporté par l'Edmonton Journal du 12 avril, M. Aldonas a déclaré, et je le cite en anglais :

[Traduction]

[...] l'administration Bush cherchait désespérément à négocier une solution à l'impasse du bois d'œuvre après avoir été débouté cinq fois en vertu des décisions du tribunal commercial international qui donnaient gain de cause au Canada. Il était clair que les États-Unis étaient les perdants dans ce litige.

[Français]

C'est M. Aldonas, le négociateur en chef des États-Unis qui le dit.

Ainsi, des règles, celles de l'ALENA, qui donnaient raison au Canada ont été sciemment abandonnées par le gouvernement canadien. À leur place, ce sont les règles générales d'arbitrage du London Court of International Arbitration qui vont s'appliquer mais surtout, ce sont les dispositions de l'accord sur le bois d'œuvre de 2006, signé l'an dernier et qui s'appliquait à compter du 12 octobre. Ce sont les dispositions de cet accord qui vont guider les arbitres.

L'ancien négociateur du Canada, M. Doug Waddell, s'exprimant lui aussi sur la même tribune à Edmonton, qualifiait ainsi l'accord. Je le cite également en anglais.

[Traduction]

[...] il est trop complexe, prévoit des mesures punitives inutiles à l'encontre du Canada et contient trop de détails laissant place à l'interprétation et à un réexamen de la part des États-Unis.

C'est le négociateur du Canada qui s'exprime ainsi, ou l'ancien négociateur, devrais-je dire, car il n'est pas resté en poste jusqu'à la fin. Il a quitté ses fonctions, mais on a retenu ses services, je crois, à titre de consultant.

[Français]

Nul besoin d'être grand clerc pour commencer à s'inquiéter très sérieusement du résultat éventuel de l'arbitrage qui, si l'échéancier est respecté, devrait aboutir vers la mi-janvier 2008. Sans égard aucun quant au mérite des allégations américaines, nous sommes tout à fait justifiés de craindre une issue négative, pour le Canada, du processus qui s'enclenchera probablement à partir du 9 mai.

La raison d'une telle crainte est claire et elle crève les yeux. L'accord sur le bois d'œuvre de 2006 est le fruit d'un écrasement général du gouvernement Harper devant les prétentions américaines, prétentions qui étaient en passe d'être rejetées en bloc par le tribunal de l'ALENA et par les cours américaines.

Cet accord est une tentative politique du nouveau gouvernement canadien pour améliorer les relations avec les États-Unis. Je cite à nouveau l'article de l'Edmonton Journal qui disait ceci :

[Traduction]

[...] le premier ministre Harper est la principale raison pour laquelle l'entente, auparavant rejetée par l'ancien gouvernement libéral, n'a jamais été signée. Harper a abordé l'affaire directement avec Bush.

[Français]

M. Harper a donc fait une faveur à M. Bush sur le dos de l'industrie canadienne. Nous pouvons maintenant voir les conséquences de cette décision du premier ministre. Je les rappelle pour mémoire : la perte sèche d'un milliard de dollars, un cadeau sans précédent à nos adversaires américains et à la Maison-Blanche, un milliard de dollars qui revenait de droit à l'industrie canadienne; une augmentation brutale des droits à la frontière, qui sont passés de 10,8 p. 100 à 15 p. 100 du jour au lendemain, une conséquence directe de l'accord.

Il y a, bien entendu, des facteurs externes qui ont contribué à la situation catastrophique que l'industrie canadienne connaît actuellement. J'en mentionne deux. Je crois que monsieur le président a lui-même fait allusion à l'éclatement de la bulle spéculative des prêts hypothécaires aux États-Unis, éclatement qui provoque un ralentissement dans la construction domiciliaire et un effondrement des prix du bois d'œuvre.

Un autre facteur a été brièvement mentionné par un de vos collègues. Il s'agit de l'appréciation de 40 p. 100 du dollar canadien depuis deux ans par rapport à la devise américaine, qui touche de plein fouet les exportations d'un produit de base comme le bois d'œuvre.

Ces facteurs étaient connus ou prévisibles au moment même où l'accord fut conclu l'an dernier, ce qui rend encore plus incompréhensible le coup asséné par le gouvernement à sa propre industrie. Au Québec, les fermetures d'usines se sont multipliées avec le résultat que 40 p. 100 de la capacité de production a été mise au rancart. Dans le cas de l'Ontario, c'est 25 p. 100, avec les milliers d'emploi que cela représente. En Colombie-Britannique, seule la nécessité d'accélérer la récolte des arbres tués par l'énorme infestation de dendroctone du pin a gardé les usines à flot mais sans véritables profits.

Qu'a fait le gouvernement du Canada devant l'ampleur du désastre actuel? Je ne peux exprimer mieux le sentiment général des industriels que l'ont fait deux représentants de grandes compagnies, qui participaient eux aussi au forum du Western Center for Economic Research à Edmonton il y a deux semaines. M. Paul Perkins, vice-président chez Weyerhaeuser, une compagnie qui a toujours favorisé un règlement négocié du conflit, a déclaré :

[Traduction]

Je crois que, de notre point de vue, le plus frustrant est que le gouvernement fédéral considère la signature de l'entente comme la fin du processus. Mais elle n'en marquait que le début. Le gouvernement a offert une aide minimale pour aider l'industrie à interpréter l'entente et à résoudre les questions liées aux taxes. Au cours des six mois ayant suivi la signature du pacte, on n'en a plus entendu parler.

[Français]

Monsieur Ken Higginbotham, vice-président chez Canfor, le plus gros producteur de bois d'œuvre, une compagnie qui supportait publiquement l'accord l'an dernier, a indiqué ce qui suit.

[Traduction]

[...] il y a des inquiétudes constantes de la part de l'industrie au sujet de la façon dont le gouvernement fédéral s'adonne à des jeux politiques avec l'entente.

[Français]

Ce sont là des personnes qui supportaient l'action gouvernementale l'an dernier, alors que moi et plusieurs de mes collègues avions plusieurs critiques à son endroit. C'est vous dire le désarroi qui règne maintenant au sein de l'industrie canadienne du bois d'œuvre.

Cette industrie doit désormais se fier entièrement au gouvernement canadien pour la défense de ses intérêts devant cette nouvelle attaque américaine. Toutefois, c'est ce gouvernement qui a trahi sa promesse électorale d'accorder des garanties de prêt à l'industrie pour l'aider à résister aux tactiques dilatoires des États-Unis. C'est ce gouvernement qui a cédé aux prétentions américaines pour nous soumettre au pire accord commercial jamais conclu par le Canada.

Il est d'usage de conclure ce genre de présentation sur une note plus positive, en évoquant des pistes de solutions aux problèmes qui nous accablent. Je regrette beaucoup de ne pouvoir me conformer à cet usage. Ici et maintenant, c'est justement la « solution » que le gouvernement a imposée à son industrie, qui est en phase de devenir notre plus grand problème.

Le sénateur Corbin : Votre verbe est rigoureux, je l'avais remarqué lors de votre comparution l'automne dernier. J'apprécie énormément votre franchise et je la partage.

Avez-vous pris connaissance de la lettre du cabinet du président des États-Unis et de la représentante au commerce des États-Unis? Êtes-vous familier avec le contenu de cette lettre de Mme Schwab?

M. Grenier : Oui, sénateur, je le suis.

Le sénateur Corbin : Pourriez-vous commenter les différentes objections soulevées par Mme Schwab quant à leur importance, leurs conséquences, leur frivolité, s'il y a lieu, ou même leur incompréhension de la façon dont les gouvernements et l'industrie canadienne opèrent?

M. Grenier : J'ai mentionné dans mes remarques que je ne voulais pas porter de jugement quant au bien-fondé des allégations américaines. Cependant, il n'y a absolument rien de frivole dans la démarche américaine.

M. Clark a souligné tout à l'heure que la coalition surveille ce qui se passe au Canada et, évidemment, elle fait des représentations auprès de son gouvernement, le gouvernement américain, ce qui est tout à fait normal.

Vous pouvez être assuré que la centaine de questions soulevées par les autorités américaines auprès du gouvernement canadien sont très détaillées. Elles touchent des programmes fédéraux et provinciaux.

Je ne crois pas que les réponses données lors des consultations vont satisfaire les autorités américaines. Ce n'est pas les autorités américaines qu'il faut satisfaire, c'est la Coalition américaine qui agit à travers son gouvernement. Je ne veux présumer de rien, mais il serait très surprenant que ces consultations permettent d'éteindre ce début d'incendie.

J'ai cru comprendre que même M. Clark était assez dubitatif quant à la possibilité de régler ces questions simplement par la voie de la consultation. J'ai nettement l'impression que l'on va devoir aller nettement à l'arbitrage pour répondre à ces questions très sévères.

Vous avez aussi soulevé la question de l'impact de ces mesures si jamais le Canada perdait l'arbitrage. L'impact pourrait être majeur. Par exemple, le facteur d'ajustement représente un ajout de quelque 7,5 p. 100 aux 15 p. 100 actuels. La taxe pourrait donc passer à 22,5 p. 100. Vous voyez donc l'impact.

On pourrait augmenter cette « ponction » aux exportateurs canadiens, qui est maintenant à 15 p. 100 pour les provinces qui ont choisi, comme la Colombie-Britannique, la taxe à l'exportation de 50 p. 100.

On parle donc de plusieurs centaines de millions de dollars si jamais le Canada perd cet arbitrage.

Le sénateur Corbin : Je vous remercie de vos commentaires, monsieur Grenier.

[Traduction]

Puisque M. Grenier a soulevé la question des commentaires émis par M. Clark, je voulais être absolument sûr de comprendre ce dernier. J'espère que je ne fais pas une mauvaise interprétation de vos propos, monsieur, mais n'avez- vous pas dit que le gouvernement devra aller en arbitrage et qu'il n'y a pas d'autre solution possible pour régler ces différends? Vous ai-je bien compris? M. Grenier vous a-t-il bien compris?

M. Clark : Laissez-moi réitérer mes propos afin que ce soit bien clair pour vous. J'ai indiqué que les rapports de l'USTR à la Coalition laissaient entendre que les représentants canadiens aux consultations s'étaient occupés des problèmes de manière superficielle seulement. Il semble qu'étant donné que ces consultations sont peu susceptibles de produire des résultats pour ces raisons, il est très probable qu'on fera appel à l'arbitrage. Oui, c'est ce que j'ai dit, monsieur.

Le sénateur Corbin : Très bien.

M. Clark : C'est une décision qui doit être prise par le gouvernement américain, et pas par la Coalition, monsieur.

Le sénateur Corbin : Je comprends cela. Merci de cette précision. Ce sera tout pour l'instant, monsieur le président.

Le président : Lorsque nous avons conclu l'entente, l'une des conditions était que nous renoncions au fait d'avoir gagné nos causes. Je sais qu'il y avait l'OMC et l'ALENA, mais je n'arrive pas à me souvenir devant quels organismes l'industrie canadienne du bois d'œuvre a remporté ses causes. Pour être partie à l'accord, nous avons renoncé à ces victoires, d'après ce que j'ai compris. Lorsque vous parlez d'arbitrage à quelqu'un comme moi, cela évoque désagréablement un retour à la case départ, sauf que avez renoncé à ce que vous aviez gagné.

Voudriez-vous me corriger si j'ai mal compris? Ai-je raison?

M. Grenier : Vous avez absolument raison, et Mme Lyon a dit très clairement qu'il y avait encore du ménage à faire en ce qui concerne certaines de ces causes. C'est pourquoi, dans mon exposé, j'ai tenu compte du fait que, contrairement à ce qu'on nous a dit en avril et en juin, lorsque l'entente a été formellement signée par les deux ministres, ces causes n'étaient pas entièrement réglées. Il en restait quelques-unes à clarifier.

Nous prenons bonne note du point principal que vous faites valoir. Nous sommes très loin de la paix commerciale, parce que ces problèmes et l'arbitrage qui suivra mettront l'industrie dans la même position qu'avant la mise en œuvre de cette entente. Malheureusement, pour faire référence encore une fois au témoignage de Mme Lyon et aux questions du sénateur Corbin, l'industrie a dû de nouveau embaucher un conseiller juridique; autrement, le gouvernement fédéral ne pourrait échanger des renseignements avec nous. Je pense que nous sommes encore dans le pétrin.

Le président : Avant que je cède la parole au sénateur Downe, pourriez-vous me rafraîchir la mémoire quant au montant d'argent que représentent les frais juridiques encourus ces dernières années? À Genève, il y a de cela quelques années, je me souviens que celui qui était alors le président de l'OMC avait parlé d'environ 300 millions de dollars, ce qui fait de ce litige commercial l'un des plus chers de l'histoire. Allons-nous répéter cela?

M. Grenier : Il serait difficile pour moi d'estimer combien cela coûtera.

Le président : Combien cela a-t-il coûté?

M. Grenier : Probablement beaucoup moins que 300 millions de dollars; ce montant constitue une surestimation. Je ne crois pas cela soit aussi cher. Quoi qu'il en soit, le chiffre de 200 millions a été avancé par beaucoup de gens des deux côtés de la frontière en ce qui concerne ce dossier, qui constitue le plus grand litige commercial au monde. Maintenant, puisqu'il n'y a que le gouvernement fédéral qui participe au règlement, nous devons faire appel à un conseiller juridique; mais il est clair que ce litige ne devrait pas coûter aussi cher. Malheureusement, les résultats ne seront pas aussi intéressants que ceux de l'ALENA et de l'OMC.

Le sénateur Downe : Pour en revenir à la remarque que j'ai faite plus tôt, maintenant que le début du processus d'arbitrage est fixé au 9 mai ou vers cette date, en plus d'autres démarches dont j'ai parlé plus tôt, cela nous place dans une situation où cette entente pourrait être résiliée vers la mi-décembre de l'année en cours. Si c'est le cas, ce sera très dommage.

Le sénateur Segal : Aurais-je raison de caractériser votre position, ou de dire que votre groupe — ce groupe que vous représentez de façon si compétente — aurait préféré la poursuite du processus litigieux? Auriez-vous préféré aller devant le Tribunal canadien du commerce extérieur et diverses autres organisations, continuer à gagner des causes, voir les Américains continuer à aller en appel, en vertu d'un processus qui nous a apporté un ensemble de victoires sur les plans moral et commercial et en matière de politiques, mais aucun avantage net parce que, par définition, le processus litigieux facilite un processus d'appel continu et constructif?

Êtes-vous d'avis que cela aurait été — et dans ce comité, d'autres personnes se sont prononcées en ce sens, à vrai dire — un bien meilleur moyen de satisfaire les intérêts du public, au lieu de tenter de conclure une entente sur le bois d'œuvre avec les Américains?

M. Grenier : Merci beaucoup pour cette question, sénateur Segal. Vous n'êtes pas loin d'avoir raison de caractériser notre position comme favorable à un règlement devant les tribunaux, mais cela a beaucoup changé depuis le 10 août 2005.

Mais pourquoi ce changement? Parce qu'à ce moment-là, le processus de règlement du litige était pratiquement terminé. Le président Bush aurait pu faire comme son prédécesseur qui, en 1994, avait été confronté à une situation tout à fait pareille : le Canada avait eu gain de cause à une procédure de contestation extraordinaire aux termes de l'accord de l'ALENA, et deux semaines plus tard, les Américains avaient conclu l'affaire et nous avaient remis notre argent. Nous nous en sommes tirés à bon compte pendant environ deux ans, puis avons signé l'entente sur le bois d'œuvre de 1996.

M. Bush, en août 2005, a décidé de désobéir à la loi. Laissez-moi également vous rappeler que nous parlons en ce moment de la législation américaine. C'est pourquoi le Canada a réagi si fortement. Vous vous rappellerez que le premier ministre Martin avait qualifié la position américaine d'absurde et avait enjoint le président à faire marche arrière — sans que cela donne quoi que ce soit, bien sûr.

À ce moment-là, nous savions que le gouvernement américain agissait comme un hors-la-loi. La seule chose que nous pouvions faire, c'était d'aller devant la cour américaine, ce que nous étions en train de faire, et nous étions en voie d'obtenir gain de cause.

Si l'on remporte une cause devant un tribunal américain plutôt que devant le tribunal de l'ALENA, les fonctionnaires américains, s'ils refusent d'appliquer une décision de la cour des États-Unis, iront en prison. Je ne suis pas en train de dire que le président lui-même aurait été tenu de purger une peine, mais certains fonctionnaires auraient assurément dû le faire. Bien sûr, cela aurait mis fin au litige sur-le-champ.

En fait, nous avons fait pression en vue d'une procédure judiciaire. La raison en est simple : nous nous occupons de ce dossier depuis bien plus de 25 ans maintenant. Nous savons que dès que nous nous assoirons à la table, 80 p. 100 de ce litige devra être réglé à la manière américaine. Comme M. Aldonas l'a rappelé à tout le monde il y a deux semaines, à Edmonton, les États-Unis étaient en train de perdre, et en avaient conscience. C'est pourquoi ils cherchaient désespérément à conclure une entente. Je pense que personne ne comprend vraiment pourquoi le Canada a signé une entente à la toute dernière minute, de cette façon-là.

Le sénateur Segal : Pourrais-je demander à M. Clark, qui représente la Coalition américaine pour des importations équitables de bois d'œuvre, nos amis et concurrents américains, s'il peut entrevoir, honnêtement, un scénario selon lequel les Américains mettraient fin au litige en raison d'une procédure judiciaire à l'issue favorable pour le Canada?

M. Clark : Étant donné la dynamique de marché qui était à l'œuvre au moment où cette entente était négociée et soumise à l'examen de la Chambre et du Sénat, il était très clair que les marges de dumping, en particulier, auraient été accrues de manière importante en vertu d'un examen administratif, et auraient été très significatives pour ce qui est de ce que les gens appellent Lumber 5.

C'est un litige qui dure depuis longtemps, sénateur. Dans le traité Elgin-Marcy, qui date de 1854 — avant la naissance du Canada — il y avait une disposition qui empêchait le Canada d'imposer des taxes à l'exportation sur les billes de bois qui partaient du Nouveau-Brunswick pour s'en aller dans le Maine. Cette disposition est là depuis longtemps. Non, je ne crois pas qu'elle ait disparu. La seule chose qui empêche des mesures commerciales supplémentaires et des cas de sanctions commerciales aux États-Unis est cette entente.

Le sénateur Segal : J'aimerais revenir à M. Grenier. Une série d'entreprises et de provinces ont souscrit à l'entente sur le bois d'œuvre. Je comprends l'argument; ils avaient le sentiment d'être acculés au pied du mur et de n'avoir aucun autre choix. Nous avons vu tout cela; c'est l'histoire de notre époque.

Êtes-vous d'avis que tous ceux qui ont approuvé l'entente — les gouvernements provinciaux et les entreprises qui ont emboîté le pas — ont fondamentalement eu tort de prendre une telle décision et que, de votre côté, vous aviez absolument raison? Ce n'est pas un jugement déraisonnable; les gens en arrivent constamment à ce type de conclusion. J'aimerais seulement savoir s'il est possible pour vous d'ajouter ne serait-ce qu'une toute petite goutte d'eau dans votre vin sur cette question; ou êtes-vous convaincu que tous les autres étaient dans l'erreur, et que votre propre position est à ce point soutenue par les faits et la justice que les autres doivent s'y rallier?

M. Grenier : D'abord, sénateur Segal, laissez-moi vous dire que, compte tenu de l'argent que cette entente nous a fait perdre au profit des Américains, peu de gens, maintenant, ont les moyens d'acheter du vin. Je pense que nous nous contentons de boire de l'eau.

D'abord, en ce qui concerne ces sociétés — très peu nombreuses — ayant exprimé publiquement leur appui, sachez que la grande majorité des entreprises étaient durement touchées. Vous savez, 5,5 milliards de dollars, c'est plus que la totalité des profits réalisés par l'industrie canadienne au cours de ces années. Certaines entreprises souffraient plus que d'autres — et ici, je parle surtout de celles de l'Est du Canada. Les autorités provinciales ont souscrit à l'entente; bien entendu, même si elles ne sont pas parties à l'accord, le gouvernement fédéral a cherché à obtenir leur consentement.

Je suis navré de devoir évoquer ce fait, mais vous savez aussi, sénateur Segal, que le produit de cette taxe à l'exportation de 15 p. 100 revient aux provinces en vertu de notre Constitution. Elles sont des parties intéressées, malheureusement.

Le sénateur Segal : Je veux tirer cela au clair. Vous ne prétendez pas qu'on a pu utiliser les dispositions de la Constitution concernant les recettes tirées des ressources pour mettre de côté l'intérêt public à des fins strictement pécuniaires. J'aimerais m'assurer que ce n'est pas ce que vous dites.

M. Grenier : Bien sûr que non. Je pense que vous m'avez très bien compris. Les provinces disaient que cela traînait depuis longtemps; elles pouvaient voir que le gouvernement fédéral ne tenait pas sa promesse concernant les garanties de prêts à l'industrie, et savaient que certaines entreprises couraient rapidement à la faillite. Elles interrogeaient leurs entreprises, qui leur disaient la même chose qu'au gouvernement fédéral : sans appui gouvernemental, nous ne pouvons mener cette lutte. Nous pouvons affronter la coalition, mais pas les gouvernements américain et canadien simultanément.

Senator Corbin : J'aimerais obtenir des précisions sur cette loi que vous avez citée au sujet du flottage du bois le long de la rivière Saint-Jean, depuis le nord du Maine.

M. Clark : Il s'agit du traité Elgin-Marcy, l'accord de réciprocité entre les États-Unis et les colonies britanniques d'Amérique du Nord, qui fut aboli après la guerre civile américaine.

Le sénateur Corbin : En quelle année était-ce?

M. Clark : En 1854. C'est Hamilton Fish qui l'a résilié.

Le sénateur Corbin : Le traité Webster-Ashburton de 1842 garantit le passage du bois sur la rivière Saint-Jean depuis le nord du Maine jusqu'au port de Saint John. Il en a toujours été ainsi, bien que les Américains aient cessé d'exercer leur privilège. Le traité Elgin-Marcy a-t-il remplacé le traité Webster-Ashburton?

M. Clark : Monsieur, il s'agissait simplement d'une disposition du traité de réciprocité qui garantissait le libre- échange entre les colonies britanniques d'Amérique du Nord et les États-Unis, et qui prévoyait que le Canada ne pouvait imposer de taxes à l'exportation sur le bois envoyé aux États-Unis en passant par le Nouveau-Brunswick.

Le président : Je me suis rendu à Washington avec le sénateur MacEachen et ce comité, qui posait des questions au sujet de l'accord de libre-échange que nous étions sur le point de signer. Je me souviens très bien que l'un des représentants du Congrès, membre du sous-comité sur les échanges commerciaux, était Hamilton Fish IV, V ou VI, descendant d'Hamilton Fish Ier, secrétaire d'État responsable de l'annulation de l'accord de libre-échange après la guerre civile. Je pense que j'étais le seul là-bas à voir le caractère humoristique de cette ascendance.

Le sénateur Segal : Je n'en doute pas une seconde, monsieur le président.

Le sénateur Mahovlich : Vous avez parlé du dendroctone du pin. Cet insecte nous cause de sérieux problèmes. Est-ce qu'on en tiendra compte?

M. Grenier : En ce qui concerne le facteur d'ajustement, les Américains ont soulevé une question de volume. Si j'ai bien compris, c'est l'une des préoccupations qu'ils ont exprimées. Je ne crois pas qu'il ait été question du dendroctone lui-même; mais les effets du volume de bois à couper sous-tendent les inquiétudes des États-Unis.

M. Clark : Je n'ai pas eu affaire à la coalition au moment de la négociation de l'entente par les deux gouvernements, mais je comprends que les niveaux de base reflétaient l'exploitation accélérée des billes de bois en Colombie- Britannique à cause du dendroctone du pin. En fait, l'Alberta et la Saskatchewan ont dit bien clairement que pour cette raison, il s'agissait d'une entente plus avantageuse pour la Colombie-Britannique.

Le président : Honorables sénateurs, j'aimerais remercier nos témoins. Nous venons de recommencer notre étude de l'entente sur le bois d'œuvre, au sujet de laquelle notre comité a acquis une certaine expérience.

[Français]

Je vous remercie, monsieur Grenier. Il est toujours très intéressant de discuter avec quelqu'un comme vous, qui connaît à fond le sujet.

[Traduction]

Je voudrais également remercier M. Clark de la part du comité.

Ce fut une intéressante réouverture de ce dossier qui, comme le M. Clark, est à l'examen depuis très longtemps, et je suis certain que nous n'en avons pas terminé avec lui.

La séance est levée.


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