Aller au contenu

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 10 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 2 octobre 2006

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 16 h 9 pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.

Nous entendrons plusieurs témoins aujourd'hui. Je crois que l'ordre du jour a été légèrement modifié. Notre premier témoin sera M. Barry Stevens. Je vous prierais, monsieur Stevens, de nous présenter votre introduction, après quoi nous passerons à la période des questions et réponses. Il n'est pas nécessaire que vous nous lisiez tout votre mémoire. Vous pouvez nous en donner les grandes lignes et nous passerons ensuite aux questions.

Nous vous souhaitons la bienvenue. La parole est à vous.

Barry Stevens, membre fondateur de l'Alliance of People Produced by Assisted Reproductive Technology : J'aimerais tout d'abord remercier le comité et le Sénat de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je suis cinéaste de métier. Je suis également un membre fondateur de l'APPART, l'Alliance of People Produced by Assisted Reproductive Technology, qu'on pourrait appeler en français l'Alliance des personnes procréées au moyen d'une technique de reproduction assistée. J'ai été conçu il y a longtemps par insémination avec donneur anonyme au Royaume-Uni. J'ai réalisé un film intitulé Offspring ou « Descendance », qui relate la recherche de l'identité du donneur qui m'a engendré. Ce film a été présenté ici sur la chaîne de télévision anglaise de Radio-Canada ainsi que dans d'autres pays. J'ai fourni au greffier du comité un DVD de ce film qui dure un peu moins d'une heure. Ce n'est pas un film ennuyant du tout. Il est même plutôt agréable à regarder. Si ça vous intéresse, vous pouvez le visionner.

J'aimerais aborder quelques questions à propos des droits de la personne et des droits des enfants qui, tout comme moi, ont été conçus par des moyens artificiels à l'aide de sperme, d'ovules ou d'embryons fournis par des personnes extérieures à la famille receveuse. J'aimerais faire valoir que la préservation de l'anonymat des donneurs de gamètes et d'embryons est injuste. Je suis d'avis que cela constitue une violation de ce que je considère être les droits des enfants et que c'est tout probablement aussi contraire à la Convention des Nations Unies. Je crois que les enfants issus de la procréation avec donneurs devraient avoir accès, à l'âge adulte, ou lorsqu'ils atteignent l'âge de la majorité, à des renseignements leur permettant de connaître leurs parents biologiques. À mon avis, ces renseignements devraient faire partie de leur extrait de naissance. Cette opinion semble largement partagée par la grande majorité, si ce n'est la totalité, des gens qui ont été conçus de la façon dont moi je l'ai été.

Je ne crois pas avoir besoin de vous citer la Convention des Nations Unies sur les droits des enfants. Vous la connaissez certainement beaucoup mieux que moi.

L'enfant a [...], dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux.

On peut lire par la suite que :

Les États parties s'engagent à respecter le droit de l'enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale.

Elle précise également ceci :

[...] les États parties doivent lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible.

La Loi sur la procréation assistée a été adoptée par le Parlement du Canada en 2004. Le premier principe proclamé par le Parlement dans cette Loi, dans l'esprit admirable de la Convention sur les droits de l'enfant, est que :

la santé et le bien-être des enfants issus des techniques de procréation assistée doivent prévaloir dans les décisions concernant l'usage de celles-ci.

Ayant déclaré ce principe parfaitement raisonnable, la Loi poursuit en l'enfreignant ou en l'ignorant. Elle omet de prévoir que ces enfants puissent avoir accès à leur identité complète et connaître l'identité de leurs parents biologiques.

Tout cela a trait à la question plus vaste des techniques de reproduction assistée et de l'insémination artificielle par donneur, puisque c'est essentiellement de cela qu'il s'agit. Ce n'est qu'au cours des 20 dernières année que l'on a commencé à utiliser des ovules et des embryons pour la reproduction assistée.

Ce n'est toutefois pas la technique la plus courante. Il y a bon nombre de pays, dont le Royaume-Uni, sur lesquels nos mesures législatives exercent une grande influence. Le Royaume-Uni, de même que l'Autriche, la Suisse, les Pays- Bas, la Norvège, la Suède, les deux plus grands États de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande et quelques autres États ont mis fin au droit à l'anonymat pour les donneurs de sperme et d'ovules.

Je m'éloignerai un peu de mon mémoire, dont vos avez copie et dont nous pourrons parler plus tard si vous voulez, pour vous faire un bref historique de la question.

Au moment de ma conception, l'insémination artificielle par donneur commençait à peine à prendre une grande importance. La première insémination artificielle par donneur enregistrée remonte à 1884. Elle avait été faite à titre d'expérience, sans que le père et la mère y consentent et en soient même informés. C'est un des étudiants de la classe de médecine qui avait accepté de donner son sperme. Dans ce cas précis, le père était devenu stérile à la suite d'une gonorrhée et il ne voulait pas que sa femme le sache. Tout a donc été fait en secret. La tromperie et le secret ont longtemps caractérisé le traitement de la stérilité.

Au moment de ma conception, soit environ sept ans après la fin de la guerre, les gens qui s'occupaient de mes parents étaient des pionniers dans ce domaine. Ils étaient les deux ou trois premiers à le faire au Royaume-Uni et en Europe, avant même je crois que cela se fasse au Canada. Cette technique a été rendue publique en 1945 et elle a soulevé un tollé de protestations. L'Église anglicane a affirmé que c'était un péché et une menace à la famille puisque tout le processus était fondé sur la masturbation. La Chambre des lords était tout particulièrement en émoi puisqu'une telle technique risquait d'avoir des conséquences sur la transmission des titres. Elle a même songé à l'interdire, allant jusqu'à vouloir en faire un crime. Il y a eu de vives protestations et elle a fini par abandonner en raison d'un contre- mouvement prônant le droit des femmes à procréer, même en cas de stérilité du mari.

Finalement, tout s'est pendant longtemps fait dans le plus grand des secrets. Tous, y compris mes parents, ont reçu l'ordre de ne jamais parler de cela à personne. Les enfants ainsi conçus n'avaient aucun moyen de savoir qui était leur père. La tradition du secret s'est poursuivie jusqu'à maintenant.

Dans notre société, qui est beaucoup plus ouverte et où on peut discuter de n'importe quel sujet, c'est maintenant la tendance inverse qui se manifeste. Je suis d'avis que les autorités canadiennes se sont trompées en décidant de préserver dans la loi la tradition de l'anonymat et du secret. Cela cause, à mon avis, un grave préjudice aux enfants à plusieurs égards.

L'aspect le plus facile à comprendre est probablement celui de la santé. La question de l'acquis et de l'inné est celle qui nous vient immédiatement à l'esprit quand on parle de la transmission de faiblesses et de maladies. La situation est bien meilleure maintenant qu'elle ne l'était auparavant au pays parce que nous avons une loi sur laquelle nous pouvons nous appuyer. Je parle des débuts, au moment où l'agence n'avait pas encore été mise sur pied. La loi précise uniquement que l'on doit dresser un portrait de la santé du donneur au moment où il fait son don. Les responsables du processus savent donc qui est le donneur, mais ils ne communiqueront pas ces renseignements. Ce portrait est généralement celui d'un jeune homme.

J'ai été marqué par l'histoire d'Allan Rock qui a été rendue publique au moment où il était ministre de la Santé et que certaines de ces questions faisaient l'objet d'une étude. Comme il a lui-même publiquement fait état de sa situation, je ne révèle donc aucun secret. Le ministre avait souffert d'un cancer de la prostate pour lequel il avait été traité avec succès. Il avait décidé de subir un test de dépistage après que son père eut succombé à cette maladie. M. Rock était un homme d'âge moyen lorsqu'il a découvert cette maladie. Si sa conception avait été due à un don de sperme que son père aurait fait pendant sa jeunesse, le ministre n'aurait jamais été informé de la possibilité qu'il soit atteint de la même maladie et n'aurait donc pas su qu'il devait subir un test de dépistage.

Je pourrais également vous donner l'exemple d'une femme que je connais et qui a eu deux enfants par insémination artificielle par donneur. Un de ses enfants souffre d'une mystérieuse maladie très difficile à identifier. La famille a communiqué avec la clinique pour tenter d'obtenir des renseignements sur le donneur et essayé d'entrer en contact avec lui, mais sans succès.

Il serait certes préférable de pouvoir rester en contact avec les donneurs tout au cours de leur vie et de consigner les détails de leur condition médicale au fur et à mesure qu'ils se présentent. Il serait également bon d'inscrire dans un registre toutes les opérations qui ont été faites par le passé dans les différentes cliniques, afin de pouvoir donner à des dizaines de milliers de Canadiens ayant été conçus par cette méthode la possibilité de protéger leur santé de la même façon que les autres Canadiens peuvent le faire.

Ce n'est pas uniquement une question de santé. L'anonymat soulève également des problèmes de consanguinité. En ne donnant aucun renseignement sur l'identité du donneur, on accroît les possibilités qu'une personne rencontre et marie son demi-frère ou sa demi-sœur et peut-être même son père biologique. Cela peut paraître hautement improbable, mais il ne faut pas oublier que les gens ont tendance à se tenir en groupe. Les gens aux vues similaires ont tendance à se regrouper et il arrive souvent qu'ils aient des contacts parce qu'ils ont des origines communes.

Je connais personnellement deux familles dont les enfants sont amis. Ni les mères, ni les enfants ne savent ce que j'ai appris tout à fait par hasard, c'est-à-dire que les enfants sont issus du même donneur. La nouvelle loi règle en partie ce problème en permettant à ces personnes de vérifier auprès de la clinique où elles ont été conçues la possibilité de liens de consanguinité avec la personne qu'elles comptent épouser.

Puis, il y a toute la question de l'identité qui est peut-être un peu plus difficile à justifier et à défendre. C'est une question beaucoup plus émotive et personnelle qui rejoint l'importance de savoir d'où nous venons et qui sont les gens avec lesquels nous sommes liés biologiquement.

Il fut un temps où l'on avait tendance à dire que seule la famille sociale avait de la valeur et que la biologie n'expliquait pas tout. Je présume qu'à cause du racisme et de toutes ces histoires horribles qui se sont produites au cours de certaines parties du XXIe siècle, alors que les liens du sang étaient très importants, nous nous sommes beaucoup éloignés de cette tendance. Je suis d'avis que pour la plupart d'entre nous, comme pour les enfants, il est très important de savoir qui sont nos parents biologiques et les membres de notre famille. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant parle d'identité et du droit de savoir qui sont nos parents. Je ne sais pas quelle est la position juridique à cet égard. En ce qui me concerne, il est très clair que le besoin est grand. Dans mon cas, l'enquête que j'ai faite en vue de retrouver ma famille biologique et qui m'a permis de retrouver une vingtaine de personnes avec lesquelles j'ai des liens de consanguinité, dont environ 10 demi-frères et demi-sœurs et un frère de qui je suis très proche, est peut-être moins le récit d'un grand traumatisme et de la réparation d'une erreur que celui d'une magnifique découverte.

Il y a actuellement un mouvement international extraordinaire qui permet aux membres d'une même famille de se retrouver très rapidement, grâce aux nouveaux outils rendus possibles par la technologie de l'ADN et l'Internet. Je crois qu'on peut dire qu'il n'est pas à l'avantage des enfants de ne pas connaître leurs parents biologiques et que cela peut même entraîner des problèmes au niveau de la consanguinité, de la santé et de l'identité.

Il y a bien sûr des arguments contraires que vous connaissez certainement tous et dont je serai heureux de parler. On dit par exemple que les donneurs ont des droits et qu'ils se feront rapidement très rares si les dons ne sont plus anonymes. À mon avis, ces arguments ne sont pas très valables et je serai heureux de vous dire ce que j'en pense.

Voilà pour mon introduction. Je vous invite à amorcer la discussion. J'aimerais entendre vos commentaires à cet égard.

La présidente : Je vous remercie du mémoire que vous nous avez remis et de l'exposé que vous venez de nous faire.

Si je comprends bien, dans le contexte qui nous est présenté, c'est-à-dire celui de la Convention des Nations Unies sur le droit des enfants, vous êtes d'avis que le préambule de la Loi sur la procréation assistée renvoie au principe du respect de l'esprit de la Convention relative aux droits de l'enfant. Vous dites ensuite, si j'interprète vous paroles correctement, qu'on en parle très peu. Puis, vous parlez essentiellement de la reproduction par rapport aux adultes, aux divers systèmes et au gouvernement.

M. Stevens : Oui. Les techniques de reproduction sont de plus en plus définies en termes de liberté de choix et de droits des adultes de toute orientation vivant dans des situations diverses d'avoir des enfants. Il arrive très souvent que les droits de l'enfant soient carrément ignorés dans ces discussions, ce qui nous semble plutôt bizarre et contrariant, et quand je dis nous, je parle des enfants ainsi conçus.

La présidente : À votre avis, serait-ce parce que ces techniques ne sont pas bien comprises et qu'elles sont en évolution constante? Je donnerai l'exemple de l'adoption. Nous avons dit que nous voulions que les enfants adoptés aient, dans toute la mesure du possible, une vie similaire à celle des enfants naturels, mais nous avons trouvé toutes sortes de différences parce qu'il existe des parents naturels avec lesquels l'enfant peut ou non vouloir avoir des contacts. Certains parents se sentent menacés, d'autres non. Il peut aussi y avoir des répercussions financières et de santé en cause, et quoi encore. Je ne suis pas certaine que nous avons trouvé des solutions à toutes ces questions, mais au moins nous avons essayé d'assurer une certaine égalité de droits.

Dans le cas présent, y a-t-il toujours un secteur de la science qui empêche la tenue d'un débat ou est-ce seulement parce que nous n'avons pas encore tenu de débat sur cette question?

M. Stevens : Je crois qu'on n'a tout simplement jamais prévu la tenue d'un tel débat. Je ne crois pas que cette science renferme quoi que ce soit de particulier qui l'empêche.

La comparaison avec l'adoption est valable. Il y a bien sûr des différences entre les deux cas, mais il y a également des similarités. L'une des grandes différences entre une famille adoptive et une famille qui a fait appel aux techniques de procréation assistée, c'est que généralement, mais pas toujours, dans le dernier cas, un des parent a des liens biologiques avec l'enfant et l'autre non. Cela crée une certaine structure familiale différente qui présente des problèmes particuliers. Nous devrions suivre le cheminement établi dans les dossiers d'adoption puisque ce secteur a 15 ou même 20 ans d'avance.

Selon l'opinion que l'on a sur le sujet, on peut parler de tendance ou non. Au Canada, le secteur de l'adoption semble se développer dans le sens d'une plus grande ouverture, du moins en Ontario où j'habite. Dans les autres provinces, on reconnaît de plus en plus le droit de l'enfant adopté de savoir qui sont ses géniteurs et la loi et les règlements sont beaucoup plus compatissants à l'égard des parents naturels. C'est beaucoup moins facile pour nous.

Le sénateur Nancy Ruth : Je me suis toujours intéressée à la question des droits opposés et à la façon de les évaluer. De façon générale, je dirais que je partage votre opinion. Si je me trouvais dans la même situation que vous, je serais très intéressée à savoir qui sont mes parents biologiques.

Toutefois, dans la communauté où je vis, il y a plusieurs couple de femmes homosexuelles qui ont fait appel à une technique de reproduction quelconque pour avoir des enfants. Ces femmes ont une opinion assez marquée à cet égard et elles ne veulent pas du tout que le père soit impliqué dans la vie de l'enfant. Même lorsqu'elles savent qui est le père, elles ont généralement signé avec lui une entente juridique qui restreint ses contacts avec l'enfant et réduit la possibilité de menace de rapt ou de demande de droits de garde qui pourraient, dans une autre situation, être accordés par un tribunal à la suite d'une séparation ou d'un divorce par exemple. C'est une question qui leur tient réellement à cœur. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

M. Stevens : C'est étrange parce que dans certains cas, ce sont des lesbiennes qui ont été les fers de lance de la lutte pour la divulgation de l'identité des donneurs de sperme. Dans leur cas, il est évident pour tous que la conception de l'enfant ne s'est pas faite de façon naturelle ou habituelle. Toutefois, deux parents hétérosexuels peuvent très bien prétendre que l'enfant est le leur.

La banque de sperme de Californie, un collectif mis sur pied par des lesbiennes de Berkeley, a été à l'avant-garde de la divulgation de l'identité des donneurs de sperme et elle a laissé le choix aux donneurs de rester anonyme ou de permettre qu'on divulgue leur identité. Le pourcentage est passé de 25 à 75 p. 100 des donneurs qui ont choisi de permettre qu'on fasse part de leur identité à l'enfant lorsqu'il atteint l'âge de 18 ans. La grande majorité des couples, qu'il s'agisse de femmes hétérosexuelles seules ou de couples de lesbiennes, ont choisi un donneur pouvant être identifié. Je ne crois donc pas qu'il s'agisse là d'une opinion générale.

Il y a également une différence entre savoir qui est le père biologique d'un enfant et rendre cette information accessible à l'enfant à un certain moment, et ce, je le répète, pour des raisons de santé, pour le bien-être de l'enfant ou pour l'aider à mieux se connaître. Il y a une grande différence entre savoir qui est le géniteur et avoir un père biologique qui participe en tant que parent à la vie de l'enfant, ce qui peut entraîner toutes sortes de problèmes au niveau juridique et autres.

Il n'y a pas, à mon avis, une opposition évidente et incontournable entre les intérêts des coupes homosexuels et ceux que je défends. De façon générale, le droit de l'enfant doit être considéré comme primant sur celui du donneur, c'est à tout le moins ce que les lois prévoient. Toutefois, je ne considère pas qu'il y a nécessairement là opposition.

Cela ne répond pas à toutes vos questions, mais c'est un esquisse de la situation telle que je la vois.

Le sénateur Carstairs : Vous avez soulevé une possibilité très intéressante. Bien sûr, je ne suis pas du tout convaincue que tous les enfants qui croient être le fils ou la fille d'un tel homme le sont réellement. Il est impossible de le prouver sans faire un test d'ADN. On pourrait dire que seule la mère peut être certaine que l'homme à laquelle elle est mariée est bien le père de son enfant.

La question des obligations juridiques du donneur me préoccupe. Si on dit qu'un enfant a le droit de savoir qui est son père biologique, il me semble que cela peut également signifier que le donneur pourrait être considéré comme ayant des obligations juridiques à l'égard de cet enfant, que ce soit en matière d'héritage, de frais d'éducation ou autres.

Je sais que vous avez affirmé dans votre mémoire que la divulgation de l'identité des donneurs ne réduirait pas le nombre des donneurs, mais je suis d'avis qu'à long terme, nous pourrions constater une importante réduction de leur nombre.

Le problème actuel au Canada, tout comme aux États-Unis et au Royaume-Uni, c'est que les femmes ont, ou tentent d'avoir, des enfants plus tard au cours de leur vie parce qu'elles ont une carrière et qu'elles veulent prendre le temps de bien l'établir avant d'avoir des enfants. Bon nombre d'entre elles attendent d'avoir 35, 37 ou 38 ans avant d'essayer de procréer et elles se rendent compte alors qu'elles n'y arrivent pas de la manière naturelle. Elles font donc appel à la fécondation in vitro.

Quelle sera la réaction des donneurs qui, d'après ce que je crois comprendre, sont pour la plupart de jeunes étudiants en médecine?

M. Stevens : Ce n'est pas toujours le cas.

Le sénateur Carstairs : Seront-ils aussi disposés à donner autant de sperme qu'ils le font maintenant s'ils risquent de devoir un jour remplir des obligations à l'égard de 50, 60 ou même 70 enfants?

M. Stevens : Vous soulevez là plusieurs questions. Tout d'abord, je dirais qu'un même homme ne devrait pas engendrer 50, 60 ou 70 enfants. Cela risque de causer de nombreux problèmes, dont celui de la consanguinité.

Je suis personnellement issu d'une descendance d'au moins 100 ou peut-être même 200 ou 300 demi-frères et demi- sœurs. Je sais comment cela fonctionnait alors. Deux ou trois donneurs ont engendré des centaines et même des milliers d'enfants. On sait par exemple que le taureau de souche par excellence au pays a produit quelque 500,000 descendants. Il n'est pas impossible pour un mâle humain d'en faire autant. Je ne me souviens plus qui a dit que c'était dégueulasse. La plupart d'entre nous en pensons tout autant lorsque nous entendons dire qu'un seul donneur a engendré des centaines d'enfants. Ce n'est pas acceptable.

Pour en revenir à ce que vous avez dit, il est vrai que bon nombre de gens se trompent sur leur paternité. Les médecins parlent généralement de 20 ou même de 30 p. 100 des cas. Toutefois, j'ai fait des recherches dans tous les documents qui portent sur le sujet. En fait, dans tous les cas où une analyse d'ADN a été effectuée, les chiffres réels sont plutôt de l'ordre de moins de 5 p. 100. Les chiffres varient selon les cultures et les communautés, mais ils sont de beaucoup inférieurs à ce qu'on nous laisse entendre à l'égard des erreurs de paternité ou du nombre d'enfants qui ne seraient pas reconnus comme ayant été adoptés.

Toutefois, même si les chiffres étaient plus élevés, il faut reconnaître que s'il n'est pas bon pour des raisons de santé, d'identité, de famille ou de confidentialité de tromper un enfant quant à sa filiation réelle, ce n'est pas parce que cela devient courant que c'est plus acceptable. Ce serait un peu comme de dire qu'il arrive malheureusement qu'un enfant soit handicapé à la naissance, mais cela ne signifie par que nous handicapons délibérément un enfant à sa naissance. C'est un peu la même logique, si c'est vrai, c'est acceptable.

Pour ce qui est de la question des donneurs et des aspects juridiques en cause, en Angleterre et ailleurs, les autorités ont clairement établi les droits et obligations parentaux des donneurs de sperme dans la loi. Plusieurs provinces canadiennes, comme le Québec et Terre-Neuve, en ont fait autant. Je ne sais pas si des mesures ont été prises en ce sens en Alberta, mais ce n'est pas le cas dans ma province, en Ontario. Il est essentiel que de telles mesures soient prises. Les États-Unis ont quant à eux adopté une loi intitulée la Sperm Donor Act, je crois. Dans la majorité des États américains, les donneurs de sperme ne sont pas considérés comme des parents devant la loi.

Je ne sais pas comment les divers tribunaux de la famille traitent ce genre de cas, mais en ce qui me concerne, je suis d'avis que les donneurs de sperme ne devraient pas être considérés comme des pères. En tant qu'homme adulte, je ne suis pas à la recherche d'un père. J'a déjà eu un père. La grande majorité des enfants issus de l'insémination artificielle sont à la recherche de renseignements, c'est bien différent. Cela ne signifie pas que ces renseignements ne doivent pas être protégés. Cela doit être fait et ça l'est d'ailleurs presque partout.

En ce qui a trait aux donneurs de sperme, je dirais qu'une bonne chose demeure une bonne chose. Je ne crois pas que les donneurs de sperme disparaîtront de sitôt. Ce ne sont pas tous des étudiants en médecine, bien que les cliniques de fertilité l'ont souvent laissé croire. Les étudiants représentent des ressources facilement accessibles pour les médecins qui dirigent les stages en clinique de fertilité et ils risquent même de se sentir obligés de faire des dons de sperme pour faire plaisir à celui ou celle qui signera son évaluation de stage. Éthiquement parlant, c'est un peu douteux. Les étudiants en médecine sont toutefois loin d'être les seuls à faire des dons de sperme. À la clinique où ma mère a été traitée, il n'y en avait pas. Les donneurs qui ont accepté que leur identité soit révélée sont généralement des hommes un peu plus âgés, dans la trentaine, qui ont déjà une famille et qui savent ce que cela signifie et à quoi ils s'engagent. Bon nombre des jeunes universitaires qui font un don pour pouvoir se payer une bière ne pensent pas vraiment à ce qu'ils font. C'est un peu comme si on prenait le côté le plus sombre de la sexualité masculine, c'est-à-dire la possibilité d'avoir des relations sexuelles sans attaches ni conséquences, et qu'on l'élevait au rang de vertu. Je le répète, dans les endroits où les donneurs ont accepté que leur identité soit révélée, comme c'est le cas en Suède, en Australie, en Nouvelle- Zélande et dans cette clinique de Berkeley dont j'ai parlé plus tôt, les donneurs ont tendance à avoir une plus grande maturité.

Il est vrai qu'un plus grand nombre de femmes décident d'enfanter à un âge plus avancé qu'autrefois, ce qui exige souvent une intervention médicale parce que le taux de fertilité de la femme décline rapidement après l'âge de 35 ans. Toutefois, cela ne signifie pas pour autant que nous ne devrions pas faire certains efforts dans ce sens si mes arguments se tiennent. Si c'est le cas et si nous établissons qu'il est important pour les enfants d'avoir des liens et d'apprendre à certain moment de leur vie qui est leur père biologique pour qu'ils puissent connaître les antécédents médicaux de ce côté de leur famille et mieux savoir qui ils sont en sachant d'où ils viennent, comme je le crois sincèrement, il faudra alors se pencher sur ces questions.

Il y a un autre argument qu'il vaut peut-être la peine de soulever, et je ne veux pas offenser qui que ce soit par mes commentaires, mais il est évident que le nombre d'enfants placés en adoption a considérablement chuté lorsque les lois permettant l'avortement ont été adoptées à la fin des années 60. On pourrait bien sûr interdire l'adoption pour accroître le nombre de bébés offerts à l'adoption, mais il est bien connu que la libéralisation des lois sur l'avortement a été considérée comme un grand progrès au niveau social. C'est là le prix à payer.

Je ne suis pas d'avis que ce soit là le prix à payer en ce qui a trait à l'insémination avec donneur. La seule chose que je veux dire, c'est qu'il faut reconnaître quand une chose est positive.

Le sénateur Carstairs : Si les ovules produites par les jeunes femmes dans la vingtaine sont de meilleure qualité, c'est également le cas pour le sperme. Si je décidais d'avoir recours à la fécondation in vitro, je voudrais certainement faire affaire avec un jeune donneur dont le sperme est de bonne qualité.

M. Stevens : La qualité du sperme se maintient pendant plus longtemps.

Le sénateur Carstairs : Le droit des enfants d'avoir accès à des renseignements portant sur la santé du donneur de sperme est un argument de poids. Permettez-moi une comparaison. Je dirais qu'il est important pour mes enfants de savoir qu'un de leur grand-père était un diabétique de type un et qu'une de leur grand-mère avait une insuffisance cardiaque. Cela leur permettra de prendre des décisions éclairées en matière de santé tout au cours de leur vie.

Nous pouvons sûrement leur fournir plus de renseignements à cet égard sans aller jusqu'à identifier le donneur.

M. Stevens : C'est vrai. Il est beaucoup plus facile d'éluder la question. Ce que la loi actuelle prévoit, c'est un simple portrait du donneur qui comprend tout simplement son nom, son adresse ou son numéro d'assurance sociale. Cela s'arrête là. Ces deux choses se rejoignent. Toutefois, je soutiens également qu'il est très important pour tout être humain de savoir d'où il vient et de connaître ses origines. C'est viscéral, tant pour les enfants que pour les adultes. Il serait difficile pour moi de dire que seuls les enfants ressentent ce besoin puisque je le ressens aussi. C'est également vrai de tous les organismes. Un organisme unicellulaire peut reconnaître ses semblables. C'est l'un des mécanismes les plus fondamentaux, si l'on peut dire, dont les êtres humains disposent. Le thème de la recherche du père est omniprésent dans notre culture, d'Œdipe à Star Wars, et ce pour le meilleur comme pour le pire. Il est important de connaître notre généalogie, pas seulement à titre de passe-temps, mais en tant que besoin réel et viscéral, pour mieux comprendre qui nous sommes. Nous tournons souvent le dos à toute notre histoire et notre développement de même qu'à notre biologie, de façon plutôt arrogante et dangereuse.

Je ne dis pas que nous avons le droit de tout savoir, parce que c'est impossible. Toutefois, je considère que le fait de cacher à un enfant le nom de son père ou de sa mère biologique ainsi que tout autre renseignement qui pourrait avoir une importance capitale pour lui constitue un violation de ses droits.

La réponse que je vous ai donnée allait peut-être un peu trop loin. À mon avis, la question de l'identité revêt une grande importance. L'aura de mystère et de secret qui plane dans ces familles peut être très négative pour les enfants.

Le sénateur Poy : Je vous remercie de votre exposé que j'ai trouvé très intéressant. J'aimerais maintenant poursuivre dans la foulée des questions posées par le sénateur Carstairs.

Nous avons d'abord parlé d'identité. Si les donneurs acceptent de dévoiler leur identité afin de fournir des renseignements sur leur santé, transmettront-ils également les grandes lignes des problèmes de santé de leurs ancêtres? Je me demande qui serait responsable de transmettre cette identité.

M. Stevens : À cela je dois répondre oui. La Banque de sperme de Californie, à laquelle je renvoie encore une fois parce que je la considère comme un modèle, tient des renseignements sur trois générations. Dans plusieurs endroits, on transmet également des déclarations personnelles en plus de ces renseignements. Parlez-vous précisément de santé et de génétique?

Le sénateur Poy : Pour le moment oui.

M. Stevens : Oui. Pour être bien franc, je ne sais pas ce que les autorités du Royaume Uni font à cet égard, mais la loi canadienne ne dit rien sur la divulgation de renseignements sur la santé. On peut imaginer que cela sera prévu dans le Règlement. J'espère que vous ferez tout en votre pouvoir pour que ce Règlement prévoie un maximum de renseignements. Je crois que l'identité des donneurs devrait être révélée, mais si ce n'est vraiment pas possible, je ne veux pas que le meilleur devienne l'ennemi du bien. J'aimerais que le Règlement soit le plus vaste et le plus complet possible.

Le sénateur Poy : En général, nous avons le nom, l'adresse et la description du père et de la mère, mais nous ne savons pas grand-chose des générations antérieures. Nous pouvons bien ne jamais avoir été mis au courant des problèmes de santé de notre famille éloignée.

En ce qui a trait à l'identité des donneurs, je reconnais qu'il est très important pour les enfants de savoir qui sont leurs parents biologiques. Toutefois, pensons par exemple à un étudiant en médecine qui a fait plusieurs dons de sperme et ainsi engendré un grand nombre de descendants. Cet homme aimerait-il que des centaines d'enfants communiquent avec lui dans quelques années? Je me demande ce que ces hommes en penseraient.

M. Stevens : Je reconnais que cela pourrait effectivement devenir un problème sérieux. Mon père biologique, qui a certainement engendré des centaines d'enfants, a la chance d'être mort. Nous en sommes à deux cheveux de l'identifier. Nous croyons savoir qui il était.

C'est bien sûr un gros problème. Il y a à mon avis plusieurs raisons pour lesquelles il n'est pas bon qu'un même donneur engendre des centaines d'enfants et cela en fait partie.

Le sénateur Poy : Cela pourrait être un choc terrible, particulièrement lorsqu'on commence à prendre de l'âge, si, soudainement, tous ces enfants sortaient de l'ombre. Vous avez mentionné le fait que la Chambre des Lords s'inquiétait de l'héritage des titres de propriété. Je vois déjà cela venir. Dans certaines sociétés, si la mère ou le père biologique semble être très riche, les enfants se manifestent et commencent à réclamer leur part. Que va-t-on faire, dans ce cas?

M. Stevens : Dans ce cas, il faut que soit en place un régime juridique en vertu duquel les droits et responsabilités du donateur en qualité de parent sont clairement dissociés. Ils ne le sont pas; le libellé est clair et il montre que cela n'a pas été fait.

Je ne suis pas avocat, mais j'ai la conviction, de manière générale, que les tribunaux se tournent vers les pères. Il s'est présenté des cas où les donateurs de sperme se sont vus imposer une obligation de soutien dans des cas d'éclatement d'une famille, mais ce sont des cas où, habituellement, une femme célibataire ou un couple lesbien a fait appel à un ami ou a passé un contrat avec quelqu'un pour qu'il donnent de son sperme. Ces personnes ont eu des liens, sous une forme ou une autre, avec la famille et avec l'enfant. Les choses sont différentes lorsque cela se passe par l'intermédiaire d'une banque de sperme.

Je me souviens de la poursuite en reconnaissance de paternité intentée contre le maire de Toronto, Mel Lastman. Le juge a débouté la requérante, en expliquant que si on s'engageait dans cette voie, il nous faudrait poursuivre les donateurs de germe. Les tribunaux ont été clairs à ce sujet, même en l'absence d'une loi.

En fait, il y avait une grosse banque de sperme de Géorgie, aux États-Unis, qui menait une activité en Ontario sans qu'une loi ne soit en vigueur, avec des donateurs identifiables. Elle ne croyait pas qu'il existait un précédent judiciaire pour que des choses de ce genre se produisent.

Que se passerait-il toutefois si les choses se passaient en sens inverse? Que se passerait-il si un type qui est tombé dans la pauvreté, et je le retrouve, je gagne assez bien ma vie et il me demande de l'argent? En fait, cela n'arrivera pas. Pour s'assurer que cela ne se produise pas, les provinces de notre pays doivent toutes adopter les mêmes lois que le Québec et Terre-Neuve.

Tout donne à penser que nous survivons très bien et que nous n'avons pas eu de problème à nous adapter à l'ouverture du système d'adoption. Il semble que nous avons bien géré tout cela. Nous ne connaissons pas de cas de personnes adoptées qui communiquent avec un type très riche, exigeant de l'argent et intentant des poursuites judiciaires contre lui. Le placement dans une famille adoptive est très clair et, à titre de société, nous le comprenons. Je ne vois pas en quoi le présent cas de figure serait si différent; je ne comprends pas que cette question surgisse. Il devrait être très facile de la traiter dans un texte législatif.

Le sénateur Poy : Je viens d'une société où le parent biologique est très important. Si une personne peut réclamer de l'argent au père ou à la père en leur qualité de parents biologiques, cette personne doit partager le montant réclamé à égalité avec les autres enfants. Un problème se pose sur ce plan.

M. Stevens : Un problème se poserait, mais il ne se posera pas si ces sauvegardes juridiques sont en place, comme dans le cas de l'adoption; l'analogie avec l'adoption est bonne.

Sénateur, puisque vous venez d'une société où cela est très important, cette importance s'explique, sur le plan culturel. Je ne suis pas sûr, mais je ne crois pas que l'importance accordée au lien biologique soit ridicule à vos yeux.

Le sénateur Poy : Non.

M. Stevens : Le fait d'être une femme moderne ne veut pas dire que vous considérez nécessairement cela est ridicule. Je ne trouverais pas cela ridicule non plus. J'estime que cela a un certain poids. J'ai été élevé dans l'Église d'Angleterre; je chantais dans la chorale de la cathédrale de Canterbury; nous étions chrétiens. D'après l'examen de mon ADN, j'avais la certitude, et cela a été confirmé par d'autres éléments de preuve, que mon donateur de sperme était juif, cela représente un patrimoine entièrement différent, mais je l'accepte bien. Je me sens à l'aise avec ces juifs anglais, auxquels je suis apparenté, comme je l'ai découvert, et en compagnie desquels j'ai passé du temps. Cela a été une expérience marquante pour moi et je peux vous dire que cela a du poids et de l'importance.

Le sénateur Poy : Je vous remercie.

Le sénateur Munson : Merci de vous être déplacé pour venir nous rencontrer; je vous en suis très reconnaissant. Je n'ai pas étudié la question en profondeur et je dois suivre une courbe d'apprentissage aujourd'hui.

Vous avez utilisé le terme « progéniture conçue avec l'aide d'un donateur ». Connaissez-vous le nom de personnes conçues de cette façon au Canada?

M. Stevens : C'est très difficile à dire. Il y en a quelques dizaines de milliers — mais moins de 16 000 — par année; il y en a peut-être 100 000 par année au total, et peut-être plus de deux millions dans le monde entier. Il est difficile d'obtenir des statistiques, en partie parce que cette pratique a eu cours en l'absence totale de réglementation, mais cela va changer avec l'établissement de la nouvelle agence. Je ne sais vraiment pas.

Le sénateur : Sur les plans concret et politique, quelle est la nature du soutien que vous recevez pour la cause que vous défendez aujourd'hui? La Loi sur la procréation assistée a été adoptée par le Parlement en 2004 et j'ai la certitude qu'il a fallu pour cela lui consacrer beaucoup de temps et entendre beaucoup de témoignages; pourtant, je ne crois pas que nous entendions parler de la dimension dont vous parlez. On en discute peut-être dans les pages médecine et intérêt humain, mais elle ne figure pas au cœur du débat.

M. Stevens : Samedi dernier, le Globe and Mail a publié un article de Margaret Wente portant expressément sur cette question. On en a beaucoup fait état dans les médias, à la télévision. La première fois que nous nous sommes présentés au comité de la santé, nous avons constaté une bonne dose de sympathie; ses membres ont accordé une certaine attention à la communication de renseignements sur la santé et ainsi de suite. Toutefois, si on remonte jusqu'à l'époque lointaine où ils rédigeaient le projet de loi à la Chambre des communes, nous n'avons nullement avancé sur la question de l'identifiabilité.

Nous comptions sans aucun doute des alliés parmi les bioéthiciens et, en fait, parmi les banques de sperme et les praticiens de la médecine de la fécondité — mais nous nous heurtions aussi à beaucoup de résistance de la part de ces milieux. En outre, parmi les travailleurs sociaux et les psychologues —, je crois que c'est la position de l'American Psychological Association, mais je devrais me montrer prudent sur ce point, sénateur, parce que je n'ai pas fait de vérifications récemment.

À n'en pas douter, le concept d'identifiabilité reçoit le soutien des quelques 200 personnes, celles que je connais, qui ont été une progéniture conçue avec l'aide d'un donateur; c'est une position quasiment universelle. Des éléments donnent à penser qu'elle gagne du terrain parmi les parents bénéficiaires, parmi les gens qui choisissent de recourir à une conception avec l'aide, sous une forme ou une autre, d'un donateur, et, de plus en plus, on offre aux donateurs identifiables de répondre à cette demande.

Le sénateur Munson : Je me demande si vous pouvez trouver dans cette ville des alliés politiques, des organismes et entités de ce genre susceptibles d'appuyer votre argumentation afin qu'elle fasse son chemin. De toute évidence, il y a de la résistance.

M. Stevens : Tout à fait. La résistance vient des milieux médicaux et de leurs alliés, ou des gens qui fabriquent des produits comme les produits pharmaceutiques, car la médecine de la fécondité est pour l'essentiel une médecine privée, à l'instar de la chirurgie esthétique. Il ne s'agit pas, bien évidemment, du système de santé publique; on y brasse beaucoup d'argent. Des dizaines de milliers de dollars sont consacrés à des traitements de fécondation in vitro, dont le taux de succès est faible. Les enjeux sont donc considérables.

Je dirais que la médecine de fécondité, en général, est assez réfractaire, à l'exception de l'American Society of Reproductive Medicine, grosse organisation américaine qui attire beaucoup l'attention dans le monde entier. Elle m'a invitée, moi et d'autres, à prononcer une allocution; son groupe spécial de l'éthique est maintenant en faveur de l'ouverture et il est incontestablement favorable à la divulgation. Dans le passé, elle s'opposait fermement à ce que les parents en parlent, ne serait-ce qu'à leurs enfants. Toute l'organisation préconise maintenant la divulgation.

Non, il y a de la résistance dans les milieux médicaux et leurs alliés parmi les travailleurs sociaux, les psychologues, les bioéthiciens et de nombreux parents.

Le sénateur Peterson : En ce qui concerne la divulgation, serait-elle, selon vous, facultative ou obligatoire? Par exemple, si le donateur souhaite conserver l'anonymat, estimez-vous que lorsque l'enfant atteint l'âge de 18 ans, il bénéficierait du droit illimité de savoir?

M. Stevens : C'est une question difficile. Personnellement, cela me met mal à l'aise. Lorsque j'ai engagé ma propre recherche, je voulais avoir la conviction qu'un programme de donateurs ouverts était possible avant de commencer à secouer le cocotier.

Si je voulais exprimer l'opinion de la plupart des gens que je connais dans notre alliance souple, je dirais que beaucoup de gens plaideraient en faveur du droit rétroactif de savoir. Je préconiserais qu'on ne recrute que des donateurs acceptant d'être identifiés, de sorte que le processus soit prospectif plutôt que rétrospectif.

Concernant la divulgation — le fait que les parents informent les enfants —, on ne peut légiférer quant à ce qu'un enfant voudra faire. Toutefois, il est possible de dire à un citoyen comme moi que le certificat de naissance — le premier document identifiant que nous ayons en matière de représentation de notre rapport avec l'État — devraient contenir des informations accessibles et légitimes qui, une fois que nous sommes arrivés à l'âge adulte, nous permettraient de connaître notre origine.

Le sénateur Peterson : À propos des questions de santé, pensez-vous que les dispositions devraient être renforcées, que le donateur devrait être tenu de faire une divulgation plus complète? Vous dites que c'est là une raison pour laquelle vous devriez pouvoir trouver les faits. On pourrait peut-être recueillir ces informations au moment où les gens se présentent pour devenir donateurs.

M. Stevens : On pourrait le faire à ce moment-là, mais s'ils sont identifiables, cela réglerait une partie des problèmes. S'ils ne sont pas identifiables avant que l'enfant ne soit parvenu à une certaine maturité ou soit devenu un adulte, il faut prévoir une façon de communiquer avec le donateur, ce à quoi le projet de loi actuel fait une certaine allusion. Si une situation d'urgence sur le plan médical se présente, un médecin peut appeler l'agence pour trouver le donateur. Le problème tient au fait que bien qu'on connaisse l'identité du donateur, on ne sait pas où il se trouve. Auparavant, on ne connaissait ni son identité, ni où il vivait, et on ne possédait aucun autre renseignement.

Lorsqu'un mâle conçoit un être humain, il s'engage — sinon dans un rôle de parent, du moins dans une relation durable. De ce fait, il doit être disponible et il faut mettre à jour ses renseignements d'ordre sanitaire.

Le sénateur Poy : Vous avez mentionné une résistance de la part des milieux médicaux. Comment expliquez-vous cela?

M. Stevens : Pourquoi je pense que ces milieux sont réticents?

Le sénateur Poy : Oui. Pourquoi croyez-vous qu'il en est ainsi?

M. Stevens : Il y a une habitude de secret clinique. Toutefois, le monde de l'adoption a eu ses origines dans les églises, puis dans le milieu des travailleurs sociaux, et l'esprit de communication est de beaucoup meilleur. En ce qui concerne la médecine de fécondité, les milieux médicaux s'intéressent à une seule chose, à savoir la production d'un bébé en bonne santé. C'est là l'objectif; on ne s'arrête pas à réfléchir à ce qui survient après, alors que dans le monde de l'adoption, on cherche à édifier l'équivalent d'une famille. L'orientation est différente.

La médecine de fécondité fait des choses remarquables pour produire un bébé en bonne santé. C'est là-dessus qu'elle met l'accent. On a l'habitude du secret en médecine; elle existe aussi dans le domaine du travail social, mais ce n'est pas vraiment la même chose. En médecine, dans une large mesure, une personne devient un dossier, un cas.

Enfin, pour dire les choses en toute franchise, la médecine de fécondité est un business; c'est une activité commerciale privée. Une activité commerciale à but lucratif. Suivre les allées et venues des donateurs, participer à toute forme d'interaction humaine — même tenir un dossier — ou se mêler d'une activité de counselling qui serait nécessaire aux fins de gestion d'un système ouvert ou identifiable, tout cela coûte de l'argent.

C'est la Sperm Bank of California qui, encore une fois, a attiré mon attention là-dessus. Si on compare le coût des deux programmes, l'anonymat est moins généreux et cela lui permet d'éviter des difficultés si un problème se pose.

La présidente : Monsieur Stevens, je vous remercie d'avoir comparu devant nous cet après-midi et de nous avoir soumis votre cas personnel. Il est toujours plus facile de comprendre une situation lorsqu'on l'examine du point de vue d'une personne qui la vit, par opposition à ceux qui en parlent, ce qui est souvent le cas des enfants.

On parle fréquemment de l'intérêt supérieur de l'enfant, mais les droits de l'enfant n'ont pas toujours été au premier plan du processus de l'élaboration de politiques, et cetera.

Vous nous avez présenté des suggestions concrètes dont nous assurerons le suivi. Vous nous avez également exposé une façon différente de voir les enfants, cette question et la convention relative à l'identité. Non seulement avez-vous décrit le concept d'identité comme étant le droit de connaître sa situation sanitaire et peut-être sa filiation, mais vous nous avez aussi aidés à mieux comprendre votre propre besoin personnel et l'intérêt que vous portez à la connaissance des personnes dont certaines pourraient être qualifiées de « fratrie » d'une manière différente et unique en son genre. Tout cela est très différent et très nouveau. Nous espérons pouvoir prendre le temps de réfléchir à cela et de traduire cette réflexion dans de meilleures recommandations au fur et à mesure que se poursuivra l'élaboration de nouvelles technologies. Nous y réagissons et nous espérons pouvoir préparer l'avenir à la lumière de vos propos pour ce qui est de ces questions.

M. Stevens : Formulez-vous des recommandations précises, par exemple, à propos de la Loi sur la procréation assistée?

La présidente : Nous ne sommes liés par aucune règle à cet égard. Nous étudions une vaste problématique et si nous pouvons arriver à un consensus, nous rédigeons des recommandations. C'est sur ce plan que nous nous sentons compétents et pensons pouvoir être utiles dans l'ensemble du domaine du droit ou des politiques que nous mettons de l'avant. Il faudra attendre de voir de quelle façon notre rapport sera conçu.

Je peux vous donner l'assurance que les propos que vous avez tenus, par exemple, au sujet du règlement d'application de la Loi sur la procréation assistée, seront passés à la loupe et étudiés avec soin. De nombreux législateurs ont étudié le projet de loi et nous pensions avoir agi avec la diligence voulue. Nous avons maintenant un élément devant faire l'objet de la diligence raisonnable dans le cadre du règlement. Nous espérons que de nombreuses questions trouveront un aboutissement sous une forme ou une autre. Je vous remercie d'avoir pris le temps de sensibiliser tous les sénateurs et, par notre intermédiaire, le grand public, au moyen de la télévision.

M. Stevens : Je vous remercie, sénateur. Je vous remercie beaucoup de l'occasion que vous m'avez donnée. Si vous avez la possibilité de visionner le film, je vous encourage à le faire.

La présidente : Nous allons certainement donner suite au débat avec le film.

Nos prochains intervenants sont du Congrès du travail du Canada. Mme Byers se présente en moi avec une connaissance très poussée du domaine où elle a travaillé dans le passé. Elle s'occupait d'études de cas au moment où j'amorçais ma carrière de juge. Nous avons tous deux commencé en Saskatchewan à peu près au même moment. Je suis parti pour d'autres cieux et Mme Byers a quitté la Saskatchewan, où elle travaillait pour le compte du Syndicat de la fonction publique et des employés généraux, et elle occupe actuellement le poste de vice-présidente.

Nous nous trouvions en Saskatchewan il y a deux semaines et nous avons rencontré de nombreux collègues de l'époque. Je crois que vous êtes au courant du domaine dont nous discutons. Nous nous réjouissons du fait que vous allez nous présenter votre vision de questions nationales et internationales.

M. Benedict, directeur du département international, vous accompagne. Je crains de ne pas vous connaître aussi bien.

Nous vous souhaitons la bienvenue à tous les deux et nous sommes heureux que vous ayez pu faire un exposé, particulièrement sur la question des enfants, afin de nous faire connaître l'opinion du Congrès du travail du Canada sur les sujets que nous étudions.

Barbara Byers, vice-présidente exécutive, Congrès du travail du Canada : Merci, sénateurs, de cette occasion que vous nous donnez. Il n'y avait aucun représentant du mouvement syndical parmi les témoins et, puisque nous représentons 3,1 millions de travailleurs et leurs familles, nous estimions qu'il serait important que le Congrès du travail du Canada se fasse entendre.

Nous nous efforcerons, dans les 10 minutes prévues, de traiter de deux grandes questions : la garde d'enfants et l'âge minimum d'admission à l'emploi. Nous espérons que notre version abrégée suscitera un approfondissement du débat.

Voici certaines des responsabilités que j'exerce au Congrès du travail du Canada : éducation en milieu de travail, qui comprend la formation et les technologies, l'apprentissage et l'alphabétisation; l'assurance-maladie, les soins de santé, les garderies et l'assurance-emploi; les programmes d'éducation de la main-d'oeuvre; les droits des femmes, les droits des personnes handicapées, la solidarité et la fierté; enfin, la Loi sur la protection des dénonciateurs.

De plus, je suis la représentante canadienne des travailleurs auprès de l'Organisation internationale du travail depuis novembre 2002 et j'ai été récemment élue parmi les 14 représentants des travailleurs au sein du conseil d'administration de l'OIT. Une de mes responsabilités est de faire progresser les droits des travailleurs au moyen de l'élaboration de normes internationales et d'exercer des pressions en faveur de la ratification et de la mise en œuvre de ces instruments au Canada.

Si je combine ma vie antérieure et ma vie actuelle, j'ai des motifs de saluer cette occasion de vous transmettre et de discuter avec vous de certaines de nos opinions sur les obligations internationales du Canada en ce qui concerne les droits et libertés des enfants. J'aborderai tout d'abord la question des enfants au Canada.

En septembre 2006, l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, a publié son rapport sur la garde et l'apprentissage des jeunes enfants. Elle a rendu hommage aux pays qui ont pris un engagement envers la garde des enfants, mais le rapport indique que le Canada n'est pas du nombre.

L'OCDE recommande que les pays investissent 1 p. 100 de leur PIB dans le domaine de la garde des enfants; nous nous situons en deçà de ce seuil, n'atteignant que 0,3 p. 100. Des 14 pays de l'OCDE qui ont fait l'objet de l'enquête, c'est au Canada que les dépenses publiques consacrées aux services visant la jeune enfance sont les plus faibles.

En 2004, seulement 15,5 p. 100 des enfants canadiens avaient accès à des places en garderies réglementées. Pourtant, nous savons que deux tiers des femmes ayant des enfants âgés de moins de trois ans font partie de la population active et que 75 p. 100 des femmes dont les enfants ont de trois à cinq ans font partie de la population active. Le manque de places en garderie abordables, communautaires a pour effet que de nombreux parents au travail, particulièrement les femmes monoparentales, ne peuvent pas travailler à plein temps ou ne peuvent pas du tout se joindre à la population active.

Les garderies de grande qualité, sans but lucratif et accessibles contribuent à l'égalité sociale. Si les parents ont accès à une garde d'enfants de bonne qualité, ils ont davantage de chances de demeurer au sein de la population active et d'avoir accès à de la formation et à des filières internes. Cela profitera directement à leurs enfants.

La garde de qualité favorise l'apprentissage des jeunes enfants. C'est là une première étape essentielle dans un système d'apprentissage continu, lequel fait de manière égale la promotion des possibilités pour tous les enfants, indépendamment du revenu de leurs parents ou de leur milieu social.

Bon nombre des enfants avec lesquels j'ai travaillé, qu'ils soient d'âge juvénile ou non, et lorsque je travaillais pour la protection des enfants, auraient bénéficié d'un programme d'apprentissage et de garde des jeunes enfants auquel ils auraient pu accéder. Les familles plus fortunées peuvent s'offrir tous les types de services d'apprentissage et de garde des jeunes enfants, ce que beaucoup d'autres familles de travailleurs ne peuvent pas faire. Il est possible que certains des enfants qui se sont retrouvés devant le tribunal du sénateur Andreychuk n'auraient pas été là s'ils avaient eu d'autres possibilités.

Un système complet et abordable d'apprentissage et de garde des jeunes enfants revêt une importance cruciale pour le règlement de la tension croissante entre le travail rémunéré et les responsabilités au foyer. Un système de ce type permet de démanteler le « mur du bien-être social » auquel se heurtent les parents célibataires.

Nous aimerions voir un programme national de garde d'enfants doté de paiements fédéraux affectés à demeure aux provinces et aux territoires en faveur d'immobilisations dans le domaine de la garde d'enfants. Il faut également assurer des fonds d'exploitation constants; il faut reconnaître que les places en garderie ne sont pas seulement tributaires des infrastructures matérielles. Le financement des immobilisations sans financement de l'exploitation ne fonctionnera pas. Nous avons besoin d'un système global d'apprentissage et de garde des jeunes enfants.

Nous avons appelé le gouvernement à rétablir le financement fédéral pluriannuel aux provinces. Il doit s'élever à 5 milliards $ sur cinq ans, d'après les plans d'action provinciaux et territoriaux. Les plans doivent reposer sur les principes de la qualité, de l'universalité, de l'accessibilité et de la programmation en faveur du développement.

Lorsque nous avons étudié les travaux du comité, étant donné que le Canada ne fait pas ce qu'il devrait faire dans le domaine de la garde d'enfants, nous croyons qu'il y a des violations claires de la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l'enfant. Celles-ci se produisent au regard du préambule, de l'article 3, des paragraphes 18(2) et (3), du paragraphe 19(2), du paragraphe 23(2) et de l'article 29. Avec vos connaissances, vous trouverez peut-être d'autres violations encore.

Permettez-moi de dire un mot de la question de l'Organisation internationale du travail.

Je constate que, si le rapport met l'accent sur les droits de la personne et sur nos obligations aux termes de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, et sur le point de savoir si la législation du Canada applicable aux enfants satisfait à nos obligations en vertu de cette convention, on ne mentionne que peu ou pas dans le rapport les travaux effectués par l'OIT pour protéger les enfants par l'intermédiaire du Programme international sur l'élimination du travail des enfants, le PITE.

L'OIT est l'organisme des Nations Unies ayant pour mandat spécifique de s'occuper des questions touchant le travail. Elle est unique en son genre dans le système onusien, car elle a un caractère tripartite.

En 1998, l'OIT a adopté à l'unanimité une déclaration sur les principes et les droits fondamentaux au travail à titre d'expression de l'engagement des gouvernements, des employeurs et des organisations de travailleurs de défendre les valeurs humaines de base qui revêtent une importance capitale pour nos vies sociales et économiques. La déclaration vise quatre domaines : la liberté d'association et le droit à la négociation collective; l'élimination du travail forcé et obligatoire; l'abolition du travail des enfants; enfin, l'élimination de la discrimination en milieu de travail.

Les États membres sont liés par les principes codifiés dans la déclaration. Pourtant, le Canada n'a toujours pas ratifié une des deux conventions fondamentales, celle qui s'applique aux enfants — la Convention C138 sur l'âge minimum d'admission à l'emploi. Cette convention dispose à l'article 1 :

Tout Membre pour lequel la présente convention est en vigueur s'engage à poursuivre une politique nationale visant à assurer l'abolition effective du travail des enfants et à élever progressivement l'âge minimum d'admission à l'emploi ou au travail à un niveau permettant aux adolescents d'atteindre le plus complet développement physique et mental.

Le paragraphe 2(3) prévoit :

L'âge minimum spécifié conformément au paragraphe (1) du présent article ne devra pas être inférieur à l'âge auquel cesse la scolarité obligatoire, ni en tout cas à quinze ans.

Je ne veux pas passer trop de temps sur la teneur de la convention; nous l'avons annexée au texte de notre exposé.

Nous ne sommes pas ici pour tenter de démontrer l'existence du travail généralisé des enfants au Canada, bien que, manifestement, il y ait certains cas d'exploitation inacceptable des enfants dans notre pays. Le sénateur Pearson, par exemple, a fourni il y a quelques années des éléments de preuve choquants au sujet de l'exploitation sexuelle des fillettes d'un bout à l'autre du pays. En outre, tous les ans, nous entendons parler d'accidents touchant des enfants sur les lieux de travail et sur les exploitations agricoles.

Je souhaite plutôt mettre l'accent sur les raisons pour lesquelles le Canada n'a pas ratifié cette convention et sur certaines des incidences, selon nous, de cette décision pour le Canada et les Canadiens.

Quels sont les obstacles qui empêchent le Canada de ratifier la convention C138? Pour dire les choses simplement, car nous avons discuté de cette question à maintes reprises, c'est le fait que les provinces ne veulent pas autoriser le gouvernement fédéral à le faire. Comme le mentionne le rapport, cela remonte à une décision « fondatrice », pour citer le professeur MacKay, de la Cour suprême en 1937, une décision prise avec dissidence, qui oblige le gouvernement fédéral à obtenir le consentement des provinces dans les domaines de la législation du travail où elles ont compétence.

Cela place le Canada dans une situation difficile en ce qui concerne sa capacité de ratifier des conventions internationales. Cela nous place dans une situation, nombreux sont ceux parmi nous qui le pensent, qui doit être contestée. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis 1937.

En ce qui a trait à la question de l'âge minimum d'admission à l'emploi, nous observons que certains gouvernements font marche arrière sur ce point et sur les exigences de surveillance des jeunes au travail : tout récemment, la Colombie- Britannique et l'Alberta. Toutefois, la plus grande partie de la législation sur les normes du travail dans l'ensemble du pays n'est pas particulièrement efficace lorsqu'il s'agit de faire respecter l'âge minimum d'admission à l'emploi ou de surveiller la situation.

En Alberta, une des raisons qu'on a données pour abolir l'exigence de l'âge minimum, c'est que l'industrie de la restauration minute avait désespérément besoin de travailleurs. On voyait dans cette décision la solution du problème. J'attire l'attention sur le fait que le secteur de la restauration a un énorme taux d'accidents touchant de nombreux jeunes travailleurs, même ceux qui sont âgés de 16 et de 17 ans. Le paragraphe 7(1) de la convention C138 sur l'âge minimum d'admission à l'emploi dispose que :

La législation nationale pourra autoriser l'emploi à des travaux légers des personnes de treize à quinze ans [...] à condition que ceux-ci :

a) ne soient pas susceptibles de porter préjudice à leur santé ou à leur développement

Je soutiens que le travail de jeunes dans la restauration est susceptible de porter préjudice à leur santé.

Cela ne devrait-il pas être une question à étudier dans le contexte de notre marché du travail, des droits de nos enfants, et en notre qualité de parents attentifs? Qu'est-ce qui va se passer ensuite? Le jour où le secteur pétrolier aura besoin de davantage de travailleurs, proposerons-nous d'abaisser l'âge pour lui? Nous avons récemment appris qu'on fait venir des travailleurs de l'étranger pour travailler dans des équipes de nettoyage dans l'industrie pétrolière. Il se trouvera probablement quelqu'un pour faire valoir l'argument selon lequel il s'agit peut-être d'un travail que les enfants pourraient faire le week-end et les jours fériés à l'école. Le marché ne devrait pas avoir droit de regard sur la santé, la sécurité et le développement de nos enfants. De toute évidence, il y a des défis auxquels il faut s'attaquer pour que le Canada respecte ses engagements internationaux.

Je vous remercie de votre attention. J'attends avec un vif intérêt notre discussion, le rapport du comité et ses recommandations, en particulier dans les domaines de la garde d'enfants et l'âge minimum d'admission à l'emploi.

La présidente : Monsieur Benedict, êtes-vous ici pour répondre à des questions qui pourraient vous être adressées?

M. Benedict : Oui.

La présidente : Vous avez attiré l'attention sur des questions touchant l'âge minimum d'admission à l'emploi. Une des questions qui s'est toujours posée, c'est qu'il faut enseigner aux enfants ce que c'est que la responsabilité et le fait qu'un certain volume de travail pour les enfants est acceptable. Si on laisse tomber l'âge minimum et si on permet aux enfants de travailler, c'est la question de la sécurité qui se pose. J'apprécie que vous fassiez mention de cet aspect.

Avez-vous des observations précises à faire sur la situation de l'agriculture? Croyons-nous toujours que la famille des agriculteurs est importante et, de ce fait, que la façon dont ils s'acquittent de leurs responsabilités est unique en son genre et, à de nombreux égards, elle est renforcée et appuyée par notre société. Pourtant, il semble que les enfants travaillent fort sur l'exploitation agricole. Est-ce que vous soutenez toujours ce concept de famille agricole?

Mme Byers : Absolument. Puisque je suis de la Saskatchewan, je suis absolument favorable à l'exploitation agricole familiale. Nous savons aussi que la question de la sécurité sur les exploitations agricoles est importante. On n'en fait pas mention souvent parce qu'on n'en rend pas compte dans les statistiques sur l'indemnisation des travailleurs accidentés.

À n'en pas douter, l'histoire nous enseigne que les jeunes ont toujours travaillé sur leurs propres exploitations agricoles familiales, mais nous savons aussi qu'un certain nombre de ces jeunes peuvent également travailler sur d'autres fermes, pour remédier à la crise du revenu de leur propre famille.

Bien que nous soyons favorables à ce que les familles travaillent ensemble dans le secteur agricole, nous savons que certains enfants très jeunes sont allés travailler sur des exploitations agricoles de la région parce qu'ils doivent ramener de l'argent à leur famille. Cela ne devrait pas arriver en 2006, mais ça arrive.

Vous avez mentionné la responsabilité. Il y a de multiples façons dont nous pouvons enseigner aux enfants la responsabilité et exercer un mentorat auprès d'eux; cela ne doit pas forcément passer par le travail. Certaines des objections à l'âge minimum nous sont venues de provinces, qui disent qu'elles ne peuvent être d'accord, parce que certains de leurs jeunes travaillent dans des camps de cadets et certains livrent des journaux. Elles affirment que nous éliminerions ce type de travail. Nous ne pourrions pas nous présenter devant l'Organisation internationale du travail pour parler de l'oppression d'enfants canadiens travaillant dans des camps d'été. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Nous parlons d'enfants dont le travail fait partie de leur vie — une partie de leur journée scolaire consiste à travailler.

D'un point de vue personnel, je suis probablement la pire personne — ou peut-être la meilleure personne — qui puisse vous parler du travail à un âge précoce. J'ai commencé à travailler dans le comptoir de friandises du cinéma de Saskatoon à l'âge de 14 ans. Nous avons vérifié auprès du ministère du Travail à l'époque — la loi n'a probablement pas changé — et on a dit à ma mère qu'à condition que je n'enlève pas ce travail à un adulte qui avait besoin d'un emploi à plein temps, c'était tout à fait acceptable. J'ai commencé à travailler à temps partiel, ce qui, pour moi, représentait un minimum de 35 heures par semaine, parce que nous avions une semaine de 44 heures, à l'époque. Cela m'a enseigné la responsabilité. J'ai toujours été fier de le dire. Toutefois, juste avant que ma mère ne meure, nous avons eu une discussion à propos de choses qu'elle aurait souhaité faire différemment. Elle a dit qu'elle ne m'aurait pas laissé travailler, parce que je n'ai pas pu participer à des activités sportives à l'école et à d'autres programmes scolaires. Je travaillais tous les jours après l'école à 16 h 30 et les fins de semaine. Je préfère croire que cela m'a enseigné la responsabilité, mais je crois que ma mère a vu les choses différemment plus tard.

La présidente : C'est intéressant. Il nous faudra comparer nos notes pour voir si c'était le même cinéma où j'ai travaillé à l'âge de 15 ans, lequel n'existe plus. On ne me donnait pas un bulletin de salaire normal; je me suis subitement rendu compte du fait qu'il y avait une raison pour laquelle ils me payaient en puissant dans des ressources hors caisse.

Nous avons ajouté une réserve sur le service militaire, mais je ne souhaite pas aborder cette question parce que, je crois, d'autres témoins en ont parlé. Nous parlons de la garde des enfants, mais, sous l'angle de la justice juvénile, il me semble que nous avons besoin de nombreux services, dans de nombreux domaines, pour venir en aide aux parents. Au lieu d'identifier ce dont le parent pourrait avoir besoin pour s'occuper de l'enfant, nous devons mieux nous assurer que les enfants bénéficient des interventions dont ils ont besoin suffisamment tôt pour que cela apporte un changement important dans leur vie. Nous observons que les enfants ont besoin de servies de santé, que les mères ont besoin de services de parentage et de systèmes de soutien; nous entendons souvent parler de l'autisme, et ainsi de suite. On cerne la plupart de ces questions à l'échelle préscolaire. Pourtant, s'ils n'ont pas reçu ces services, nous voyons ces enfants dans notre système de bien-être social et dans notre système de justice. Avez-vous quelque chose à dire à partir de vos fonctions au sein du Congrès sur les services auprès de la jeune enfance et au-delà de la garde d'enfants?

Mme Byers : À propos de la garde des enfants, nous avons dit constamment que le nouveau système prévoyant un paiement de 100 $ par mois par enfant de six ans et moins est censé donner un choix aux parents. Toutefois, ils n'ont pas de choix s'il n'y a pas de services et s'il n'y a pas de garderies. Pour être précis, les enfants ont divers besoins et vous avez tout à fait raison. Nous devons investir davantage dans les services pour les enfants. Si je me reporte à mon passé de travailleuse sociale dans les services de protection ou dans le service de protection de l'enfance et des abus physiques, les agents chargés de l'aide financière étaient souvent notre première source d'information. Ils pouvaient me parler d'une mère qui éprouvait des problèmes avec son enfant âgé de quatre ans ou avec sa fille de 14 ans. À l'époque, il nous fallait faire intervenir quelqu'un pour faire un travail de prévention pour que ne se produise pas à l'avenir une situation d'abus. Ces services ont été comprimés et nos agents d'aide financière sont devenus des administrateurs financiers.

Les services aux enfants ne sont pas spectaculaires. Ils n'indiquent pas que si un dollar est investi ici, une route se construira là-bas; les gens ne peuvent pas venir aux ouvertures de diverses manifestations, et cetera. Nous pouvons montrer ce que nous savons : si nous investissons dans les services, certains enfants ne se retrouveront pas dans le système plus tard, que ce soit à quatre ans ou à 14 ans, ou même à 40.

Nous sommes préoccupés. Nous travaillons beaucoup à des questions liées à la lutte contre la pauvreté et au développement de l'enfance; notre travail nous indique qu'il nous faut investir davantage non seulement dans les programmes d'infrastructure, mais dans toutes sortes de programmes bénéfiques pour les familles, parce que cela prévient des problèmes qui pourraient se poser plus tard.

Le sénateur Poy : Vous avez mentionné qu'en Alberta, l'âge minimum d'admission à l'emploi a été abaissé. Quel est maintenant le nouvel âge minimum, d'abord, et, deuxièmement, ces enfants sont-ils pris en charge par le Workers' Compensation Board [Conseil d'indemnisation des travailleurs], le WCB? Y a-t-il un âge minimum auquel le WCB prend en charge ces travailleurs?

Mme Byers : Une question me laisse bouche bée. Je vais devoir faire des vérifications. Je ne veux pas avancer de suppositions. Je crois que dans les deux cas, ceux de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, l'âge a été ramené à 12 ans.

Le sénateur Poy : Est-ce pour travailler n'importe où, ou simplement dans les restaurants?

Mme Byers : En Alberta, on a plutôt mis l'accent sur le secteur de la restauration. En Alberta et en Colombie- Britannique, on a dit, pour l'essentiel, que si l'employeur potentiel a une autorisation écrite du parent, l'enfant peut travailler. Dans d'autres législations du travail, par exemple, en Saskatchewan, il y a des restrictions liées à l'âge dans le secteur du bâtiment.

Concernant l'indemnisation des travailleurs accidentés, il faut, pour en recevoir, être obligé de s'absenter du travail. Je sais qu'à l'autre extrémité du spectre, par exemple, si une personne âgée de 65 ans touche une indemnité pour travailleur accidenté, ce versement est interrompu, car on présume que les pensions de retraite vont prendre le relais. Je ne connais pas spontanément la réponse.

Le sénateur Poy : Si un enfant de douze ans subit des blessures en travaillant dans un restaurant, par exemple, est-ce que le WCB va indemniser cet enfant? Le WCB fixe-t-il un âge minimum, par exemple, 16 ans au lieu de 12?

La présidente : Je crois que Mme Byers a dit qu'elle ne connaît pas la réponse pour le moment.

Mme Byers : Je vais vérifier et je vous communiquerai ces détails.

Le sénateur Poy : Je vous remercie. Qu'arrive-t-il à l'enfant qui a un accident dans un restaurant? Qui va s'occuper de cet enfant ou l'indemniser?

Mme Byers : Les programmes d'indemnisation des travailleurs accidentés, comme vous le savez, ont été mis en place dans notre pays en guise de façon d'empêcher que les travailleurs intentent des poursuites contre leurs employeurs lorsque se produisent des accidents; on s'est entendu sur le fait que les employeurs contribueraient financièrement à un système d'indemnisation des travailleurs, et seraient ainsi mis à l'abri de poursuites judiciaires.

Je ne sais pas. Ce serait très intéressant de voir les propositions qui seraient faites. Ils seraient pris en charge dans des domaines comme la santé et la sécurité au travail. Il y a environ huit ans, une émission a été diffusée — si je me souviens bien, c'était au réseau CTV et elle était intitulée Part of the Job; elle portait sur les jeunes travailleurs tués au travail. Un jeune homme a perdu la vie à l'âge de 15 ans pendant son travail dans une usine de recyclage. Pour l'essentiel, on n'a versé aucune indemnité du tout aux familles.

Le sénateur Poy : Il serait intéressant de détenir cette information. Merci.

Le sénateur Munson : Dans notre rapport provisoire, nous avons avancé l'idée de la création d'un commissaire aux enfants chargé de surveiller la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et la protection des droits des enfants au pays. Avez-vous vu cela? Cette idée vous plaît-elle?

Mme Byers : En ce qui concerne le commissaire aux enfants, vous touchez mes sensibilités non seulement de militante syndicale, mais aussi de travailleuse sociale. Si nous avions quelqu'un assurant la promotion et la surveillance des droits de l'enfant, et réclamant leur mise en application, cela représenterait un grand pas en avant. Les enfants se perdent dans ce processus; dans toutes les discussions des adultes, on oublie les enfants. Les présentes audiences sont importantes, mais combien de fois tenons-nous des discussions de ce genre?

Le sénateur Munson : Qu'en est-il des enfants autochtones? Ils relèvent d'une compétence différente.

Mme Byers : Absolument. Il faut que tous les enfants aient des droits. Les modalités n'ont pas d'importance, en ce sens. Peut-être nommera-t-on des commissaires spéciaux à cette fin. Je répète qu'à mon avis, puisque je suis de la Saskatchewan, c'est peut-être là un élément dont nous avons besoin pour mettre l'accent sur les enfants.

Le sénateur Munson : Le rapport de l'OCDE auquel vous avez fait allusion ne remonte qu'à 12 jours; il est donc encore bien frais. Vous avez mentionné le fait que selon ce rapport, le Canada est à la traîne. Pouvez-vous me donner des statistiques indiquant les pays, parmi les 14, qui dépensent davantage d'argent que notre proportion de 0,3 p. 100 du PIB, et montrant en quoi cet argent est investi judicieusement aux fins de la garde des enfants? Nous sommes suffisants dans notre pays; nous croyons que, la plupart du temps, nous ferions bien toutes les choses qu'il faut faire pour le bien des enfants.

Mme Byers : Je n'ai pas toute la liste devant moi. Nous vous communiquerons cette information ultérieurement. Je suis désolée.

La présidente : Dans ce cas, nous obtiendrons le rapport et nous le distribuerons à tous les sénateurs. Vous l'avez porté à notre attention et nous devrions avoir ces statistiques à notre disposition.

Mme Byers : Vous savez comment me joindre si vous avez besoin d'autres renseignements à cet égard.

Le sénateur Munson : Vous avez également parlé de la convention C138. Vous y avez fait allusion dans votre discussion avec la présidence à propos de toute la problématique des enfants. En vérité, les provinces et le gouvernement fédéral n'arrivent pas à concerter leur action. Combien de souffrances sont-elles vécues dans notre pays parce que les provinces et le gouvernement fédéral n'arrivent pas à concerter leur action et à parvenir à une position unifiée?

Mme Byers : C'est une question-piège.

Le sénateur Munson : J'ai déjà été reporter. Je pose des questions-pièges et j'espère recevoir une réponse précise.

Mme Byers : Il se passe des choses qui provoquent d'énormes souffrances. Ce n'est pas le fait que les provinces et le gouvernement fédéral n'arrivent pas à concerter leur action; c'est qu'ils ne veulent pas concerter leur action. De ce fait, nous avons des jeunes qui se blessent au travail, dont certains ont peut-être 15 ou 16 ans. Combien d'autres jeunes ne signalent même pas les accidents ou se font dire par leur employeur de ne pas le faire? Beaucoup de gens qui arrivent en milieu de travail, même des adultes, ne connaissent pas leurs droits. Si vous travaillez dans un milieu non syndiqué, il ne s'y trouve pas nécessairement quelqu'un qui prend votre défense. Nous avons des situations où il peut arriver qu'on demande à des jeunes de prendre la journée de congé avec salaire après un incident. L'employeur semble gentil et généreux, alors qu'en réalité, c'est un moyen d'éviter de remplir une plainte ou des formulaires destinés à un conseil d'indemnisation des travailleurs.

Il s'est présenté concernant en Saskatchewan, en 1989, une situation touchant des travailleurs légèrement plus âgés et il s'est certainement produit des incidents malencontreux depuis cette date, mais trois jeunes hommes ont perdu la vie dans des accidents qui étaient tout à fait évitables.

À l'époque, où nous étudiions des modifications à apporter à la législation du travail, je me souviens qu'une des mères a dit au ministre du Travail — c'était alors Robert Mitchell — qu'il savait peut-être ce que c'est que de travailler à une législation, mais qu'il ne savait pas ce que c'est d'enterrer son enfant qui a perdu la vie dans un accident évitable survenu en milieu de travail.

Il y a des situations où des jeunes ne savent pas comment défendre leurs droits. Ils ne connaissent pas les règles et ils croient que l'employeur agit de manière équitable. La plupart des employeurs ne veulent pas que quelqu'un se blesse au travail. Si un jeune de 14 ou 15 ans se coupe à la main au travail, on lui donne la consigne de rentrer à la maison, de prendre deux ou trois jours de congé, et on le paie sous la table.

Je me souviens d'une occasion où j'ai travaillé 50 heures en une semaine. Nous étions occupés au cinéma. Mon patron m'a dit : « Je ne peux pas envoyer au siège social la documentation prouvant que tu as travaillé 50 heures; donc, je vais te verser une paie supplémentaire pendant un certain nombre de semaines. »

Combien y a-t-il ce cas comme celui-là?

Stephen Benedict, directeur, Direction internationale, Congrès du travail du Canada : Vous dites que nous sommes assez suffisants au Canada. Il y a également une autre dimension. Nous rencontrons des représentants d'autres gouvernements, d'organisations syndicales, d'organisations patronales du monde entier et, comme eux, nous avons un engagement envers des principes fondamentaux. La question suivante se pose souvent : comment se fait-il que le Canada ne peut pas ratifier une convention simple, de base, qui fixe un âge minimum d'admission à l'emploi? Nous devons obtenir une explication du fait que les provinces s'y opposent, avançant des arguments, comme Mme Byers l'a fait remarquer, ou, dans le cas de la Colombie-Britannique, qui a fait valoir : « Vous pourriez porter plainte parce que nous permettons à des jeunes de travailler sur des pentes de ski les fins de semaine », une excuse plutôt boiteuse. Il faut tenir compte de cette dimension, aussi.

Le sénateur Munson : Je vous remercie.

Le sénateur Carstairs : Je souscris, bien sûr, à tout ce que vous avez dit. En revanche, j'aimerais que vous ajoutiez une phrase dans votre exposé, pour dire que des jeunes ont déjà un emploi. Leur emploi consiste à aller à l'école et à y faire vraiment de leur mieux. Un récent numéro de Maclean's a décrit la crise des devoirs, mais, en fait, les jeunes ont un emploi. Si nous voulons enseigner la responsabilité aux jeunes, nous devons leur enseigner qu'ils ont la responsabilité d'aller à l'école, d'être ponctuels, de performer au meilleur de leurs capacités et de produire quand ils sont censés produire. Voilà comment on doit enseigner la responsabilité.

Toutefois, je voudrais parler des connaissances que, selon moi, les enfants n'ont pas lorsqu'ils se joignent à la population active. Je me demande si vous avez des informations sur cette question ou si vous avez réalisé des études à cet égard. Lorsqu'un enfant se joint à la population active, qui lui donne une feuille de papier exposant ses droits d'employé?

Ma deuxième question porte sur les enfants et leur besoin d'abandonner l'école; c'est particulièrement dans la région de Fort McMurray, en Alberta, qui comporte le plus haut taux de décrochage de l'échelle secondaire au pays. Pourquoi? Pourquoi resteraient-ils en onzième année alors qu'ils peuvent gagner 60 000 $ par année en jouant les durs à cuire sur une tour de forage? Ils laissent l'école, bien évidemment. Les enfants ne raisonnent pas à long terme; ils pensent court terme. Si j'avais pu gagner 60 000 $ par année lorsque j'étais en onzième année, j'aurais peut-être fait le même choix, mais je n'ai pas pu le faire, car cette possibilité ne se présentait pas à l'époque.

J'aimerais vous entendre sur ces deux éléments.

Mme Byers : La réalité, c'est que lorsqu'une personne se rend au lieu de travail, elle trouve rarement quelqu'un qui va lui dire : « Voici vos droits. Voici ce que vous pouvez faire en matière de santé et de sécurité. Vous avez le droit de connaître les dangers de votre travail. Vous avez le droit de participer à des comités de la santé et de la sécurité, et vous avez le droit de refuser un travail dangereux. » Ce sont là des droits qu'on a d'abord reconnus en Saskatchewan et qui se sont répandus parmi des gouvernements compétents du pays en matière de santé et de sécurité.

On blâme souvent les jeunes pour les accidents qui se produisent en milieu de travail. Ils ne connaissent pas leurs droits et, lorsqu'un accident survient, on leur dit souvent qu'ils n'étaient pas attentifs.

Lorsque j'étais présidente de la Fédération du travail, j'aillais dans les écoles secondaires et je parlais aux jeunes de santé et de sécurité. Nous n'en étions pas à l'ère électronique à cette époque; nous avions des diapositives d'accidents qu'avaient réellement eus de jeunes traducteurs, pour lesquels ils avaient été blâmés.

Je me souviens d'une jeune femme travaillant dans un restaurant à laquelle on a demandé de vider la bassine à friture. On ne lui a donné aucune instruction. Elle ne savait pas qu'il y avait un robinet au fond de la bassine ou qu'elle pouvait utiliser un récipient en métal. Elle a vu un seau et une louche en plastique, qu'elle a posés sur le comptoir, et s'est mise à recueillir l'huile de friture à la louche. Lorsqu'elle a voulu prendre le seau pour le poser sur le plancher, il avait fondu et le fond a cédé, ce qui a gravement brûlé la jeune travailleuse aux jambes.

Une autre jeune femme était en train de remplacer un contenant de CO2 — le gaz qui rend pétillante votre boisson gazeuse. J'ai travaillé au cinéma pendant cinq ans et je n'ai jamais su qu'il fallait enchaîner les contenants ou qu'il existe une façon bien précise de les remplacer. Le contenant s'est détaché et il est venu lui écraser les jambes. Une jeune femme dans la classe où je faisais un exposé a dit : « Je crois que la personne dont vous parlez est ma cousine, car c'est exactement ce qui lui est arrivé, et elle était athlétique à l'époque. »

J'aimerais vous dire que si une personne se trouve dans un milieu de travail syndiqué, le délégué syndical est sur place et, à grand renfort de détails, il informe cette personne de ses droits, mais nous ne faisons pas du bon travail sur ce plan non plus. De nombreux droits sont négligés en ce qui concerne les normes du travail, les horaires, le montant du salaire versé aux travailleurs et ainsi de suite. Souvent, les jeunes constatent que s'ils revendiquent leurs droits et disent à leur employeur : « Vous ne m'avez pas payé pour tel ou tel jour férié et vous étiez censé me payer tant d'argent », que l'employeur va tout d'abord refuser de le faire et qu'il va s'écouler beaucoup de temps avant que le jeune ne reçoive l'argent. L'employeur ne donne pas davantage de travail à ces jeunes, car il a à sa disposition un nouveau groupe de jeunes qui arrive.

S'agissant du taux de décrochage scolaire, les jeunes ressentent une énorme incitation à négliger leur scolarité, leur sécurité et leurs droits au travail lorsqu'ils se disent : « Je peux gagner 60 000 $ par année. » Lorsque j'ai commencé à travailler, je ne pensais pas beaucoup aux pensions de retraite. J'y pense beaucoup plus maintenant.

La présidente : Sauf par l'intermédiaire de certaines initiatives et de l'action d'organisations non gouvernementales, des ONG, est-ce que, comme pays, le Canada, pendant la période de temps où vous l'avez observé, a fait un travail raisonnablement bon sur la scène internationale pour essayer de mettre fin au travail des enfants? Au fur et à mesure que nous sortons de nos frontières et que nous avons davantage de responsabilités, étant donné que nous sommes un pays tourné vers l'extérieur, nous nous trouvons à l'œuvre dans des pays où nos normes paraissent très bonnes aux pays où les enfants travaillent dans des ateliers d'exploitation ou dans d'autres situations de ce genre. Que pensez-vous du rôle de leadership du Canada sur ce plan?

Mme Byers : M. Benedict a probablement un exposé de 10 minutes sur cette question. Personnellement, je ne crois que l'action que nous avons menée soit à la hauteur de nos capacités. Il y a un certain nombre d'années, il était à la mode d'être contre le travail des enfants. Le gouvernement canadien était actif en la matière et il s'est dit favorable à ce mouvement. On qualifiait cela d'une de pires formes de travail des enfants — comme s'il y avait de bonnes formes de travail des enfants. Craig Kielburger a fait alors une bonne partie de son travail. C'était populaire d'être contre; les gens n'achetaient pas de produits provenant du travail des enfants.

Toutefois, c'est une évidence que de dire que nous ne menons pas l'action que nous pourrions mener, car nous combattons encore les mêmes problèmes.

Je me rends au YMCA ici à Ottawa, qui affiche des articles fabriqués par le travail des enfants. Nous menons en œuvre de concert avec des écoles des programmes visant à ce que les enfants participent à une action dont le but est de s'assurer que leur école n'achète pas de ballons de soccer fabriqués par des enfants d'autres pays qui ont leur âge ou moins.

M. Benedict : J'ai le sentiment que le Canada fait du bon travail à propos du travail des enfants. D'un point de vue international, il ne le fait pas très efficacement. Il existe divers programmes, financés par l'ACDI, par l'intermédiaire du Programme international sur le travail du ministère du Travail et par l'entreprise de l'OIT en Amérique centrale. Nous n'avons appris que très récemment l'existence de ces travaux.

En notre qualité de Congrès du travail du Canada, nous réalisons certains travaux, financés par l'ACDI, y compris en Amérique centrale. Toutefois, jusqu'à une date toute récente, personne ne savait ce que l'autre faisait. C'est pourquoi bon nombre d'initiatives différentes ne sont pas coordonnées ou mises en œuvre de manière à tirer parti les unes des autres. Ce n'est que récemment que nous avons commencé à rehausser la qualité d'une partie de cette action.

Il y a des initiatives. Pourtant, on ne réfléchit pas à la façon d'en maximiser les résultats et de faire intervenir divers partenaires sociaux, par exemple, au Canada, afin de prendre appui sur ces actions.

Le sénateur Peterson : Si je comprends bien, les entreprises font maintenant des déclarations quant au fait que le produit qu'elles fabriquent ne vient pas d'un pays où existe le travail des enfants. Est-ce volontaire ou existe-t-il une forme de surveillance? Est-ce que c'est plus répandu maintenant?

M. Benedict : C'est presque exclusivement volontaire et, oui, c'est maintenant plus fréquent. Un grand débat s'est tenu cette année en juin à la Conférence internationale du travail et certains progrès se font en ce qui concerne le nombre des enfants qui passent leur vie à travailler, par opposition aux enfants qui travaillent en plus de leurs autres responsabilités et tâches.

Le mouvement syndical a indiqué que les mesures prises pour surveiller les entreprises de fabrication doivent être renforcées. Certains accords ont été conclus. Par exemple, dans le cas du Cambodge, il existe un accord prévoyant que l'OIT aide à la surveillance de la production dans les zones de transformation pour l'exportation, y compris en ce qui concerne le travail des enfants.

Le sénateur Munson : Votre déclaration selon laquelle, lorsqu'un employé se rend au lieu de travail, il est rare que l'employeur lui rende un document exposant les droits de cette personne, m'a intrigué.

Selon les travaux que nous menons, il n'existe pas de loi forçant un employeur à indiquer à la personne qui vient d'être embauchée ce que sont ses droits et si l'employeur entend les respecter.

Devrions-nous mettre en place une loi fédérale qui traiterait de cette question? J'ai trouvé que votre déclaration était très forte.

Mme Byers : Nous considérons que toute personne qui se présente au travail, indépendamment de son âge, devrait se voir remettre un document. Selon nous, il ne devrait pas être préparé par l'employeur, car certaines choses pourraient être laissées de côté par inadvertance. Il devrait y avoir un document remis à tous les employés et indiquant leurs droits fondamentaux et le nom de la personne à qui s'adresser s'ils ont des questions.

Une fois encore, nous en revenons à cette question des compétences fédérales-provinciales et au point de savoir si le gouvernement fédéral a le droit de faire n'importe quoi. En partie, il s'agit de se lever et d'exercer des pressions en faveur de ces questions pour voir qui s'oppose à ces pressions et pour quelle raison. Une partie du justificatif du refus est assez faible.

Je devrais signaler que tout ce débat sur la convention C138 s'applique à d'autres questions dont nous traitons à l'OIT, et certainement au Comité de la liberté syndicale. Il se prononce sur affaire après affaire en provenance du Canada sur cette question. Nous nous classons au cinquième rang des pays qui soumettent des cas relatifs à la liberté syndicale.

Régulièrement, le comité communique avec moi, en ma qualité de représentante des travailleurs, et me demande si nous pourrions faire quelque chose en vue de la modification de la Constitution canadienne. Je lui dis que je vais m'y attaquer directement.

La présidente : Merci d'avoir comparu et d'avoir lancé le débat sur les questions touchant les enfants, particulièrement en ce qui concerne le travail. Je sais que nous ne pouvons aborder tous les domaines.

Nous allons déposer notre rapport au Sénat, en visant par son entremise le gouvernement fédéral, pour voir si nous pouvons rétrécir le fossé entre ce qui se produit à l'étranger et les interventions de mise en œuvre dans notre pays.

Nous savons qu'il s'agit d'une question fédérale-provinciale. À n'en pas douter, nous disposons de suffisamment d'informations, non seulement de l'OIT, mais d'autres sources, aussi. Il est bien établi que chaque pays éprouve ses difficultés, que ce soit en raison de son régime fédéral-provincial ou pour d'autres motifs. Une fois qu'un pays a signé un accord, il a l'obligation juridique de faire preuve de diligence raisonnable.

Nous nous efforçons de voir dans le régime fédéral-provincial non pas un obstacle, mais un ensemble de gouvernements qui réagissent à des initiatives internationales.

Merci de nous avoir présenté vos points de vue. Madame Byers, vous êtes toujours aussi éloquente et enthousiaste que vous l'étiez dans la défense des enfants.

Mme Byers : Nous vous laisserons un communiqué de presse portant sur le débat dont M. Benedict a parlé à propos de la question du travail des enfants, communiqué qui donne aussi la liste des pays qui ont signé la convention C138.

La séance est levée.


Haut de page