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REFO - Comité spécial

Réforme du Sénat (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Réforme du Sénat

Fascicule 1 - Témoignages du 6 septembre 2006 - Séance du matin


OTTAWA, le mercredi 6 septembre 2006

Le Comité spécial sur la réforme du Sénat se réunit aujourd'hui à 10 h 50 pour étudier la teneur du projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (durée du mandat des sénateurs).

Le sénateur Daniel Hays (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Tout d'abord, j'aimerais souhaiter la bienvenue à nos invités et à nos téléspectateurs à cette première réunion avec témoins du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat.

Pour le bénéfice de nos auditeurs, j'expliquerai brièvement le but de nos travaux.

[Traduction]

Durant la dernière campagne électorale, le Parti conservateur du Canada a promis que, s'il était élu au pouvoir, il procéderait à une réforme du Sénat.

Pour amorcer le processus, le gouvernement a déposé, le 30 mai dernier, le projet de loi S-4, dans lequel il propose que le mandat des sénateurs soit limité à huit ans. Le comité a hâte d'entendre l'avis des experts à ce sujet.

De plus, le 27 juin, le sénateur Lowell Murray a déposé une motion, appuyée par le sénateur Jack Austin, visant à accroître la représentation au Sénat de l'Ouest canadien.

[Français]

Il s'agit de la première fois, depuis 1992, que notre Parlement est saisi d'une question touchant la réforme du Sénat. Or, vu l'importance, pour l'avenir de notre pays et de notre institution, des modifications proposées, le Sénat a créé un comité spécial pour étudier en profondeur cette réforme et toute autre question connexe.

Notre comité envisage déposer son rapport fin septembre, alors que nous présenterons nos conclusions et recommandations au Parlement et aux Canadiens.

[Traduction]

Pour en savoir plus sur le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, sa composition, ses prochaines réunions et le compte rendu de ses délibérations, j'invite les téléspectateurs à visiter la page web du comité.

Aujourd'hui, nous avons le privilège d'entendre, comme premier témoin, M. Ned Franks, professeur émérite à l'Université Queen's. Il sera suivi de Leslie Seidle, chercheur principal associé à l'Institut de recherche en politiques publiques.

[Français]

Nous prévoyons siéger jusqu'aux alentours de 12 h 30. J'inviterais tous les participants à formuler des questions, commentaires et réponses, aussi concises que possible.

Monsieur le vice-président, désirez-vous ajouter quelques mots?

Le sénateur Angus : Je vous remercie, monsieur le président. Je suis d'accord, en principe, avec les paroles préliminaires de notre président. Mais j'aimerais ajouter quelques mots, en ma qualité de vice-président du comité.

[Traduction]

Je soumets respectueusement, mesdames et messieurs et tous les téléspectateurs, que le Sénat du Canada a fort bien servi les Canadiens depuis sa création en 1867. Des centaines, voire des milliers de Canadiens distingués ont été nommés à la Chambre haute et ont rendu de mille et une façons de précieux services aux Canadiens.

Comme dans le reste de la vie socio-économique de ce grand pays, nos institutions devraient et ont effectivement évolué au fil des ans. Le Sénat ne fait pas exception. Le projet de loi S-4 n'est que le début de la nécessaire réforme du Sénat qu'a promise l'actuel gouvernement.

Comme l'a si clairement énoncé le sénateur Hays, nous estimons que la teneur du projet de loi S-4 visant à limiter la durée des mandats à huit ans — et quand je dis « nous », je parle du gouvernement — relève nettement de la compétence du Parlement du Canada. Nous sommes d'ailleurs convaincus que de nombreux experts indépendants sont du même avis.

Nous sommes confiants que les présentes audiences donneront à tous les Canadiens la possibilité unique d'entendre des experts de tous les camps et de faire un débat éclairé sur toutes les questions précises en jeu, c'est-à-dire non seulement sur le projet de loi S-4, mais également sur toute une gamme d'autres questions liées à la réforme du Sénat.

Il est grand temps de faire faire au Sénat le saut dans le XXIe siècle et de débattre des changements qui s'imposent pour permettre à notre institution de jouer pleinement son rôle au sein d'une société démocratique de manière efficace, efficiente et équilibrée.

[Français]

C'est notre espoir sincère que ces auditions ne soient que la première étape dans un processus qui résultera en un Sénat réformé et renouvelé.

[Traduction]

Un Sénat qui pourra poursuivre son rôle de chambre de seconde réflexion sur les lois et d'élaboration d'une politique gouvernementale saine de manière équitable pour les Canadiens de toutes les régions, de tous les collèges électoraux et de toutes les provinces du Canada.

Demain, le premier ministre Harper prévoit comparaître devant le comité pour partager avec nous sa vision des enjeux.

[Français]

Le président : Merci, sénateur Angus. La parole est à vous, professeur Franks.

[Traduction]

C.E.S. (Ned) Franks, professeur émérite, Université Queen's, témoignage à titre personnel : Je me sens un peu en dehors de mon élément quand il est question de réforme du Sénat parce que je tire une certaine fierté, probablement excessive, d'être un des rares au Canada à parler de ce que fait le Sénat plutôt que de la manière de le réformer. Il existe au Canada une petite industrie qui gravite autour de la réforme de cette institution, mais le nombre de personnes qui savent ce que fait vraiment le Sénat est en réalité très restreint.

Toutefois, j'estime en avoir profité, car j'ai le plus grand respect pour ce que fait le Sénat en tant que chambre de seconde réflexion même si, comme certains l'ont affirmé, il est parfois dans un état second et n'agit pas toujours de manière réfléchie. Par contre, il a rendu de précieux services au fil des ans au Parlement du Canada, tant parce qu'il a encouragé la refonte et l'examen de lois adoptées par la Chambre des communes que par les études législatives exceptionnelles menées par ses comités.

Mes propos s'appuient sur l'hypothèse qu'il faut préserver ces points forts et que son rôle ne sera ni nouveau ni différent au sein de la Confédération. Il ne faudrait pas que le Sénat devienne une chambre habilitée à prendre un vote de confiance. Je ne crois pas qu'il devrait être transformé en chambre des provinces où celles-ci seraient représentées à l'exclusion de son rôle dans les processus parlementaires. Selon moi, il ne devrait jamais être autre chose qu'une chambre de seconde réflexion au sein du Parlement du Canada.

La Chambre des communes est une assemblée au sein de laquelle, dans une grande mesure, les Canadiens et Canadiennes sont représentés à raison d'un vote par citoyen. La Chambre des communes est le centre d'action du gouvernement et d'interaction entre le gouvernement et l'opposition. À mon avis, il ne faudrait pas que cela change.

J'aimerais aussi faire une mise en garde. En presque 140 années d'existence, le Canada n'a fait qu'une réforme importante du Sénat, en 1965, quand l'âge de la retraite des sénateurs a été fixé à 75 ans, en dépit des innombrables efforts déployés pour réformer le Sénat d'une façon ou d'une autre. Je fais cette mise en garde, et j'y reviendrai tout à l'heure.

Les deux questions dont est saisi le Sénat portent uniquement sur deux des nombreux enjeux de la réforme du Sénat : la durée des mandats des sénateurs et la base d'une représentation régionale au Sénat. Elles esquivent deux autres questions centrales, soit la méthode de nomination des sénateurs et les pouvoirs du Sénat. Selon moi, ces quatre domaines de la réforme sont indissociables et doivent être examinés comme un tout, ce que je vais faire tout au long de ma déclaration.

Je ne suis pas opposé à l'idée de limiter le mandat des sénateurs à huit ans. Certains parlent de neuf ans, d'autres, de douze. Une durée de huit ans serait selon moi pratique. Je me sentirais très mal à l'aise par contre si les sénateurs ne pouvaient être nommés que pour un seul mandat de huit ans. Les députés peuvent être réélus autant de fois qu'ils le veulent. Je ne vois pas pourquoi le mandat des sénateurs ne pourrait être reconduit. En fait, j'estime que le Sénat tire sa force de la longévité du mandat des sénateurs, de sorte qu'ils peuvent se consacrer, dans toute leur sagesse, à un dossier pendant plusieurs années, alors que le renouvellement de la Chambre des communes est beaucoup plus rapide et sa composition, plus provisoire.

Le véritable enjeu dont il faut débattre en ce qui concerne les sénateurs est, selon moi, la méthode de nomination qui ne peut être changée, en ce sens que les nominations sont faites par le gouverneur en conseil sur l'avis du premier ministre. La véritable question à se poser est de savoir comment le premier ministre choisit les sénateurs.

C'est actuellement un mystère, un secret d'État, tout comme la nomination et le renvoi des sous-ministres. Il semble qu'une fois qu'on aborde le sujet d'un mandat de huit ans des sénateurs, il faut s'interroger sur la méthode de nomination, et je suis convaincu que la prochaine étape portera sur l'élection des sénateurs.

En d'autres mots, un mandat de sénateur limité à huit ans n'est pas démocratique. On se contente d'en limiter la durée. Il ne devient démocratique que lorsqu'il s'appuie sur un processus électoral de nature démocratique.

Sans m'arrêter plus longuement à cette question, j'affirme simplement que le problème à résoudre au sujet du processus électoral est de savoir s'il est constitutionnel que des élections aient lieu dans le cadre desquelles les éventuels candidats au Sénat sont nommés, après quoi le premier ministre fait son choix à partir de listes ou de noms proposés et qu'il recommande la nomination au gouverneur en conseil. Il en est question dans mon mémoire, dans la partie qui traite du rôle de représentation des sénateurs. Il faut que ce soit clair que l'on ne s'attend pas à ce que les sénateurs assurent la même représentation que les députés. Les élections à la Chambre des communes se font à partir de circonscriptions relativement égales réparties dans tout le Canada et l'on s'attend que les élus représenteront leurs électeurs au Parlement. La plupart des députés accordent une très haute importance aux besoins de leur circonscription.

Je ne vois pas pourquoi les sénateurs devraient assumer le même rôle ou l'équivalent s'ils sont élus. Pour bien remplir son rôle au sein de la Confédération, il faut que le Sénat assure une représentation différente de celle de la Chambre des communes.

Par le passé et depuis ses origines, il était prévu que le Sénat représenterait à la fois les provinces et l'élite — les mieux nantis de notre société. Comme l'a dit sir John A. Macdonald, il y a beaucoup plus de pauvres que de riches, et les riches ont droit à une certaine protection. Je crois que le Sénat est plus que cela maintenant, mais je n'ai toujours pas compris à ma satisfaction qui les sénateurs sont censés représenter d'après le débat sur leur élection. Ce ne sont pas les gouvernements provinciaux parce que ceux-ci sont plus que convenablement représentés sur toutes les tribunes fédérales grâce aux conférences des premiers ministres et à tous les autres événements de la diplomatie fédérale- provinciale, et je ne crois pas que ce soit les assemblées législatives provinciales. Qu'est-ce donc alors? Les régions? Oui.

La principale force du Sénat a toujours été ses profondes racines dans les groupes qui ne sont pas forcément représentés par le processus électoral habituel : les professions libérales, les milieux artistiques, les peuples autochtones, d'autres groupes de minorités identifiables et, tout simplement, les personnes qui se préoccupent à long terme, souvent avec passion, de certaines causes. Ainsi, les travaux effectués par le comité du Sénat sur les pêches sont selon moi d'une qualité exceptionnelle, tout comme les études sur la population vieillissante, l'euthanasie et le suicide assisté et l'assurance des soins de santé. J'ose espérer que toute réforme du Sénat maintient ce genre de représentation. Comment le faire dans le cadre d'un processus électoral, je l'ignore.

Dans un monde idéal, je dirais que les élections sont une excellente méthode, mais qu'elle n'est pas la seule. Nous pourrions laisser aux assemblées législatives provinciales le soin de nommer un tiers des sénateurs, le premier ministre, un autre tiers, et les Compagnons de l'Ordre du Canada, le derniers tiers. Il en ressortirait une véritable diversité de personnes intéressantes au Sénat tout en permettant à celui-ci de continuer d'exercer ses fonctions actuelles.

La procédure d'élection aura beaucoup plus d'importance qu'on ne le croit. Il ne faudrait pas que ce soit un système majoritaire uninominal, pas plus qu'il ne faudrait que tous les sénateurs soient élus en même temps. Il serait préférable au contraire qu'au moins la moitié des sénateurs d'une province soient élus à chaque élection et que ce soit par représentation proportionnelle, sans quoi la représentation au Sénat continuera d'afficher les mêmes partis pris extrêmes que produit déjà le système électoral à la Chambre des communes.

Par exemple, la Saskatchewan, l'Alberta et l'Île-du-Prince-Édouard n'ont pas de député dans l'opposition actuellement à la Chambre des communes. Toutefois, j'estime que le parti majoritaire dans ces provinces — celui qui a fait élire ses membres dans la province — a reçu moins de la moitié des suffrages et l'autre, un peu plus que la moitié. Si cette situation se transpose au Sénat, elle exacerbera un problème déjà grave à la Chambre des communes. C'est pourquoi j'opterais inconditionnellement pour une représentation proportionnelle pure au Sénat.

Pour ce qui est de la répartition des sièges entre les provinces, elle exige incontestablement une modification de la Constitution. Je suis favorable à l'idée d'accroître la représentation de l'Ouest canadien. Je m'interroge actuellement, à savoir s'il est toujours nécessaire d'examiner la base régionale de représentation, par opposition à une représentation par province. Actuellement, l'Alberta et la Colombie-Britannique ont une population plus grande que celle des toutes les provinces de l'Atlantique réunies, alors qu'elles n'ont que six sénateurs chacune pour les représenter, contre 30 en tout pour les provinces de l'Atlantique et Terre-Neuve.

Je suis d'accord, et je ne crois pas qu'il faille opter pour la pure égalité d'une part ou la pure représentation selon la population d'autre part, mais à nouveau, c'est une question qu'il faut étudier à la lumière de la raison d'être du Sénat, ce qui crée selon moi un problème. Il ne faudrait pas oublier que, pour changer la représentation d'une province au Sénat, il faut modifier la Constitution.

Le dernier point que j'aimerais aborder avec vous — et que je sache, il ne figure pas dans les réformes envisagées — concerne les pouvoirs du Sénat. Je ne vois pas de raison pour changer radicalement les pouvoirs du Sénat. Le Sénat a déjà le pouvoir de rejeter une loi adoptée par la Chambre des communes. Je n'y vois pas de problème. Avec le temps, si le Sénat est convaincu qu'une mesure est suffisamment problématique ou si litigieuse qu'elle mérite d'être rejetée, le gouvernement peut toujours demander aux électeurs de lui confier un mandat clair qui, peut-on le présumer, serait alors accepté par le Sénat, comme ce fut le cas des mesures de libre-échange.

Dans mon mémoire, j'ai énuméré cinq cas dans lesquels j'estime qu'il faudrait préciser le rôle du Sénat, car plus on se dirige vers un Sénat élu et, en un certain sens, un Sénat plus légitime, plus il faut préciser les règles de procédure quant au moment auquel le Sénat peut exercer ses pouvoirs.

Ainsi, je mentionne les rares occasions où le Sénat estime que la loi adoptée par la Chambre des communes est si litigieuse qu'elle ne devrait pas s'appliquer, à moins que le gouvernement n'obtienne l'appui de l'électorat; ensuite, les fois où le Sénat estime qu'une loi ne devrait être adoptée qu'au bout d'une période plutôt longue de manière à permettre au grand public et au Parlement de mieux se renseigner et de pouvoir prendre une décision plus éclairée sur une question litigieuse; en troisième lieu, les situations où le Sénat est en désaccord avec la loi, mais qu'il est disposé à la laisser entrer en vigueur en dépit d'une opposition majoritaire au Sénat; quatrièmement, quand le Sénat souscrit à l'esprit d'une loi, mais tient à ce qu'elle soit modifiée avant d'entrer en vigueur; et enfin, lorsque le Sénat n'a ni rejeté, ni adopté un projet de loi pour une période prolongée, par exemple six mois. On peut préciser et définir son rôle dans pareilles circonstances grâce à des changements de procédure apportés au Règlement du Sénat et au Règlement de la Chambre des communes, ce qui n'exigerait pas de modification constitutionnelle.

Cela étant dit, j'aimerais vous prévenir que le Sénat est parfois perçu comme la bête noire du Parlement, surtout par les nouveaux partis qui arrivent au pouvoir. C'était le cas entre autres du régime Mulroney. Cependant, j'aimerais vous situer en contexte et vous fournir des données statistiques : 83 p. 100 des projets de loi que le gouvernement Mulroney a déposés au Parlement ont reçu la sanction royale. C'est plus que les 78 p. 100 du régime Trudeau précédent et beaucoup plus que les 69 p. 100 du régime Chrétien.

En termes de moyenne au bâton parlementaire, le gouvernement Mulroney a eu plus de succès que le gouvernement libéral qui l'a précédé ou suivi, en dépit de tout ce débat sur la terrible domination du Sénat par les libéraux et son hostilité au gouvernement Mulroney. Je n'ai pas de données exactes sur le nombre de projets de loi rejetés au Sénat, mais leur nombre est relativement faible par rapport au nombre de projets de loi qui ont été adoptés.

On insiste beaucoup trop sur l'obstruction du Sénat dans le système actuel. Au fil des ans, le Sénat a exercé ses pouvoirs avec sagesse. Toutefois, je crois qu'avec l'imminence d'élections et d'un Sénat plus visible, à plus grande légitimité, il faudra réfléchir à cette question.

Leslie Seidle, chercheur principal associé, Institut de recherche en politiques publiques : C'est pour moi un honneur d'avoir été invité à témoigner devant le comité, particulièrement aux côtés de M. Franks, que je connais depuis plusieurs décennies et qui a droit à tout mon respect.

Je précise que je comparais à titre personnel et que les vues que j'exprime ne sont pas celles de l'Institut de recherche en politiques publiques.

[Français]

Avant d'aborder la matière principale, j'aimerais dire un mot sur les activités de l'Institut de recherche en politiques publiques en matière de réforme démocratique. L'IRPP a un intérêt de longue date pour la gouvernance et le fédéralisme. Sous la présidence du sénateur Segal, l'Institut a commencé une série importante « Renforcer la démocratie canadienne » en 1999. L'Institut a commencé le programme en partie en réaction aux inquiétudes causées par la baisse du taux de participation, surtout chez les jeunes électeurs.

Selon certains, il y avait un risque de compromettre sérieusement la légitimité de la démocratie. Cette légitimité est la résultante de diverses politiques et pratiques. C'est pourquoi il fallait chercher au delà du système électoral, qui a fait partie de la recherche, et regarder d'autres questions comme le financement politique, l'inscription des électeurs, la réforme parlementaire, le rôle des médias et d'autres.

Des études ont été publiées au fil des ans sur tous ces sujets et d'autres. Plusieurs événements publics ont été tenus partout au pays et l'année dernière, l'Institut a publié un ouvrage du même titre, qui comprend la plupart des études sur cette gamme de questions.

[Traduction]

Avant d'aborder le projet de loi S-4, permettez-moi de vous dire quelques mots à mon sujet. Je ne suis pas du milieu universitaire, mais plutôt quelqu'un qui a passé une grande partie de sa carrière — surtout au cours des dix premières années à peu près — à travailler à la réforme du Sénat. J'ai participé de près au document de travail que Mark MacGuigan a déposé devant le Comité mixte spécial de la réforme du Sénat, en juin 1983. J'ai suivi de près les travaux de ce comité jusqu'au dépôt de son rapport, au mois de janvier suivant.

Il s'agissait d'un rapport important parce que, pour la première fois, un organe fédéral, qu'il soit parlementaire ou nommé, avait appuyé l'idée d'un Sénat élu.

J'ai continué de suivre le dossier durant les périodes de négociation de l'accord du lac Meech et celui de Charlottetown, qui ont porté entre autres sur l'élaboration du modèle de réforme selon la règle du triple E et suscité des appuis croissants.

Voici ce que j'en pensais quand j'ai commencé ces travaux au début des années 1980, opinion que je maintiens toujours. S'il faut procéder à une réforme radicale du Sénat, le point de départ est l'élection des sénateurs. Si, pour une raison quelconque, l'élection n'est pas retenue comme modèle, il faut le justifier par une mission pour le Sénat réformé qui exige un autre mode de nomination des sénateurs. En d'autres mots, on part du principe démocratique et, s'il faut s'en écarter, il faut que ce soit pour une raison qui concerne le concept du Sénat réformé.

Quand je parle du Sénat, je le fais en tant que politicologue spécialiste du processus électoral et des institutions politiques. Les politicologues, sauf quelques-uns moins respectables, ne critiquent pas des personnes. Ils critiquent les institutions et les processus. C'est ce que je fais. Donc, tout comme M. Franks, j'ai le plus grand respect pour non seulement les personnes qui travaillent au Sénat, mais aussi les travaux qui s'y sont fait au fil des ans.

À titre d'exemple, je cite les travaux effectués en matière de soins de santé par les sénateurs Kirby et Keon, dont les résultats ont été par la suite rendus publics, sous une autre forme, par l'Institut de recherche en politiques publiques. La qualité et l'importance de ce travail sont incontestables, et je pourrais vous citer de nombreux autres exemples, particulièrement les travaux des comités.

Pour en revenir au projet de loi comme tel, c'est-à-dire au projet de loi S-4, bien qu'il soit modeste, il représente un changement utile. On nous dit qu'il est la première d'une série de mesures. J'aurai des observations à faire à ce sujet tout à l'heure.

Le projet de loi aura pour conséquence d'accélérer le renouvellement du Sénat et, partant, d'améliorer la circulation des idées. Les idées et les prises de position dépendent des personnes et, si ces personnes changent, la contribution aux travaux du Sénat devrait aussi changer.

J'ai été quelque peu perturbé, toutefois, d'apprendre, à la lecture du compte rendu du débat de deuxième lecture, qu'il serait possible de renouveler les nominations. J'aurais dû m'en rendre compte quand j'ai lu le texte du projet de loi, mais parfois, puisqu'on cherche toujours à ménager ses efforts, il arrive qu'on lise quelque chose sans immédiatement prendre conscience des conséquences. Cette question du renouvellement des nominations me préoccupe. Si le gouvernement prétend que c'est une étape vers un Sénat plus démocratique, le fait de permettre le renouvellement des nominations ne va pas forcément dans ce sens. Il pourrait arriver que le travail d'un sénateur soit exceptionnel et qu'il mérite d'être nommé à nouveau, mais il est tout aussi possible que quelqu'un — particulièrement vers la fin de son mandat de huit ans — tienne à être nommé à nouveau et soit peut-être un peu moins objectif ou indépendant dans l'exercice de ses fonctions. Je ne laisse pas entendre qu'il y aurait beaucoup de mauvaise foi, mais c'est toujours possible. Je recommande que le projet de loi soit modifié pour prévenir le renouvellement des mandats des sénateurs.

M. Franks et moi ne sommes pas tout à fait d'accord en ce qui concerne la méthode d'adoption. Je suis confiant que cela peut se faire dans le cadre de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982. Je l'affirme parce que l'article 42, la formule générale de modification, énumère quatre points au sujet du Sénat : les pouvoirs, la méthode de sélection, le nombre de sièges pour chaque province et l'obligation d'y résider des sénateurs. Il n'y est pas question de la durée du mandat, Je ne vois pas comment on pourrait caser la durée dans un de ces quatre points décrits en termes très simples à l'article 42. Par conséquent, il n'y a pas de doute quant à la formule de modification à adopter.

Autre élément d'information intéressant qui est cité dans certains débats, dans le rapport Molgat-Cosgrove, c'est-à- dire le rapport du comité mixte spécial de 1984, on recommandait que les mandats soient de neuf ans en tant que mesure provisoire de la réforme fondamentale. On recommandait un Sénat élu et des pouvoirs réduits et ainsi de suite. Le comité — je suppose qu'il était conseillé par des experts à la fois politicologues et avocats pendant la rédaction du rapport — a clairement précisé qu'il était possible de le faire sous le régime de l'article 44, sans aucune réserve. On peut le lire à la page 36 de la version anglaise du rapport.

Il faut régler une autre question dans le cadre d'une réforme graduelle du Sénat. Elle ne figure pas dans le dernier programme électoral du Parti conservateur, ni dans le discours du Trône. Il s'agit de la condition d'avoir une propriété d'une valeur de 4 000 $. Je suppose qu'à l'occasion, elle a exigé des visites éclairs chez des agents immobiliers afin de permettre à la nomination de se concrétiser.

Au Sénat, le 1er juin, le sénateur Carstairs a demandé au leader du gouvernement s'il était possible d'abolir cette exigence. J'ignore si le sénateur LeBreton était distraite, car deux questions ont été posées et elle n'a répondu qu'à la première. Elle n'a pas répondu à la seconde visant cette exigence de propriété. Par conséquent, je n'ai aucun moyen de connaître la position du gouvernement à cet égard et je ne suis pas sûr qu'elle influencerait ma propre position.

Le préambule du projet de loi S-4 mentionne trois fois les principes de la démocratie et les valeurs du Canada. Dans ce contexte, je m'interroge sur la raison pour laquelle le gouvernement n'irait pas jusqu'à éliminer cette exigence. Dans la logique de l'article 44, que j'ai mentionné tout à l'heure, le Parlement peut incontestablement le faire seul. Cela ne semble pas relever de la formule de modification qui exige la participation des provinces. Il est temps de débarrasser la Constitution de cet odieux anachronisme.

À mon avis, le gouvernement devrait envisager de modifier le projet de loi S-4 en vue d'en élargir la teneur, mais je crois que cela peut se faire sur simple avis du ministre. Si je ne connais pas suffisamment la procédure et que c'est impossible, je recommanderais qu'un projet de loi distinct à ce sujet soit déposé dans le cadre d'une réforme graduelle du Sénat.

Pour ce qui est de l'approche graduelle, on nous dit que le premier ministre comparaîtra devant le comité demain. Par conséquent, nous disposerons alors de plus d'information au sujet de cette approche. Pour l'instant, tout ce que nous savons relève du domaine public. Une des promesses faites, c'est que le gouvernement déposera, durant son mandat actuel, un projet de loi sur des élections consultatives au Sénat. Les modalités n'en ont pas encore été annoncées, mais la question me préoccupe pour ce qui est de la formule de modification de la Constitution.

Bien que, sur le plan technique, comme l'a fait observer M. Franks, la méthode de sélection des sénateurs — c'est-à- dire leur nomination par le gouverneur général sur l'avis du premier ministre — demeurerait inchangée, on pourrait soutenir, comme le feront peut-être certaines provinces selon moi, que la façon dont sont choisis les sénateurs a essentiellement été changée. Le candidat élu par la population lors d'une élection provinciale serait probablement convoqué par le Sénat. L'on pourrait répondre que le premier ministre peut choisir n'importe qui, que son nom figure sur une liste ou pas, mais si quelqu'un avait été élu lors d'élections consultatives ou pas dans une province, il lui serait difficile d'ignorer ce choix. On pourrait donc arguer que l'on se rapproche de la teneur de la formule générale de modification relative à la sélection des sénateurs. Quand on discute d'une question aussi fondamentale, il faut tenir compte non seulement de la lettre de la formule, mais également de son esprit. S'il existe une certaine ambiguïté, et c'est un peu le cas, il serait sage d'opter pour une interprétation de la formule qui respecte les gouvernements provinciaux, particulièrement au sujet d'une institution aussi centrale au pacte confédératif.

En guise de conclusion, j'aimerais vous toucher quelques mots de l'éventuelle existence ou absence de liens entre les éléments d'une approche graduelle et la réforme fondamentale du Sénat. D'après tout ce que j'ai lu, l'approche graduelle favorisée par le gouvernement ne semble pas arrimée à une vision de ce que pourrait devenir le Sénat, une fois toutes les étapes de la réforme franchies. Certaines étapes ont été annoncées, mais nous ignorons quel sera le résultat final. C'est un peu comme si, au début d'un voyage, on disait qu'on s'en va quelque part, qu'on fera escale à tel endroit, puis à tel autre, mais qu'on ignore quelle sera la destination finale.

Il faut y réfléchir et y accorder une attention particulière avant d'aller plus loin. Le plus élémentaire consiste à s'interroger sur ce que devrait être la mission du Sénat au XXIe siècle. Devrait-il se borner à faire l'examen de lois uniquement? Il en est question dans le préambule, et je ne trouve rien à y redire. Il est acquis que cette fonction serait maintenue même si le Sénat était élu. Toutefois, le Sénat devrait-il avoir un mandat de représentation régionale très précis? Si l'on regarde un peu plus loin, devrait-il être une chambre ayant pour mandat particulier de protéger et de refléter la diversité canadienne, par exemple les minorités linguistiques, les femmes, les peuples autochtones? Le Sénat pourrait faire tout cela, ou assumer seulement deux de ces fonctions ou encore une seule, l'examen des lois. Si nous devons nous prononcer cependant sur les modalités d'un Sénat réformé, nous devrions avoir une meilleure idée de sa mission, parce qu'elle détermine beaucoup des autres questions.

Par exemple, si les trois rôles étaient regroupés, nous passerions alors à des questions comme de savoir s'il faudrait que la représentation aux élections soit proportionnelle, ce à quoi je suis favorable, s'il faudrait prévoir des règles particulières dans une loi ou dans les pratiques ayant cours au sein d'un parti au sujet de l'inscription d'un candidat sur une liste afin d'encourager la nomination de femmes ou s'il faudrait conférer au Sénat des pouvoirs spéciaux en matière de lois concernant des minorités linguistiques. Il y en a eu des exemples dans le passé, dans l'accord de Charlottetown notamment.

L'enjeu fondamental, c'est que nous ignorons ce que pensent les Canadiens de la mission d'un Sénat réformé. Il faut creuser cette question et, idéalement, y répondre au moins en partie avant de décider des éléments de la réforme fondamentale. À cet égard, le passé pourrait servir de guide partiel, mais la dernière tentative de réformer le Sénat, l'accord de Charlottetown, date déjà de 1992, c'est-à-dire de 14 ans. Le monde a évolué depuis lors. La population est plus diversifiée. Nous accordons un peu plus d'attention à la représentation des Autochtones, même si l'accord comportait une très importante partie sur leur autonomie gouvernementale.

Il faut que nous refassions un débat national sur la réforme fondamentale du Sénat. Avant de soupirer, de grommeler et de refuser de vous enliser à nouveau dans un pareil débat, sachez qu'un pareil examen peut se faire sans tambour ni trompette, à un rythme très lent. Je ne propose pas de faire un examen fouillé, qui n'intéresserait peut-être pas beaucoup de gens. Tous ne sont pas passionnés de la question.

Nous avons aussi besoin, dans le cadre de cet examen, — je tiens à vous le soumettre comme réflexion pour votre rapport — de réfléchir au processus qui servirait, en fin de compte, à amorcer les négociations entre gouvernements sur les questions qui exigent le consentement de sept provinces représentant la moitié de la population. Le moment est peut-être propice pour convoquer une première rencontre. Peut-être ne l'est-il pas aussi. Je l'ignore. J'ai mes soupçons, que je peux partager avec vous tout à l'heure, mais nous ignorons si la donne a changé.

Nous ne pouvons pas continuer longtemps de répondre aux médias, comme je le faisais lorsque j'étais au Conseil privé, que nous ne pouvons pas régler la question du Sénat parce que nous nous enliserions dans un débat. Nous ne savons plus si c'est le cas et nous ignorons si c'est ce que croient les Canadiens ou les experts. C'est donc une question qui mérite d'être examinée, tout comme la forme que prendrait un Sénat renouvelé, suite à l'adoption d'une mission à laquelle il faut sérieusement réfléchir.

Le sénateur Austin : Messieurs Franks et Seidle, je vous remercie beaucoup des exposés que vous nous avez faits ce matin. Vous avez soulevé une foule de questions. Je me sens un peu comme le garçonnet de cinq ans qui a cinq cents à dépenser et qui a le choix de 500 friandises différentes. Il faut que je me décide. Donc, allons-y.

La première question dont je souhaite débattre avec vous est la constitutionnalité du projet de loi S-4. Il existe, à mon sens, une grande différence entre ce qui est et ce qui devrait être. Les questions à se poser sont de savoir ce que devrait devenir le Sénat en termes de pouvoirs, de sélection de ses membres et de la représentation régionale. Ce sont là d'importantes questions. Elles ont été abordées plus particulièrement par M. Franks.

Avant de nous lancer dans ce débat, cependant, il me semble que ce qui est relève de la constitutionnalité. Le projet de loi S-4 peut-il être réputé constitutionnel? La Constitution conditionne toutes les autres questions. La Constitution a établi le Sénat, qu'elle définit.

Je vous renvoie tous deux au renvoi sur la Chambre haute de 1980 devant la Cour suprême. Comme vous le savez tous deux, le premier ministre Trudeau avait déposé le projet de loi C-60 qui offrait aux provinces la possibilité de nommer la moitié des sénateurs. Aux termes de ce projet de loi, le premier ministre aurait consenti à ce que les provinces nomment la moitié des sénateurs, lui-même se réservant le droit de nommer l'autre moitié.

En 1978, M. Trudeau a demandé à la Cour suprême du Canada si le Parlement du Canada pouvait faire ces changements et d'autres qui étaient prévus dans le projet de loi C-60 simplement en adoptant une loi.

Voici la réponse de la Cour suprême :

À l'heure actuelle, un sénateur nommé reste en poste jusqu'à l'âge de 75 ans. Une réduction éventuelle de la durée du mandat pourrait empêcher le Sénat de « modérer et de contrôler la législation », comme l'a décrit sir John A. Macdonald. L'Acte envisageait une constitution semblable en principe à celle du Royaume-Uni, où les membres de la Chambre des lords restent en poste toute leur vie. L'imposition de la retraite obligatoire à 75 ans n'a eu aucune incidence sur le caractère essentiel du Sénat. Cependant, pour répondre à la question, il faudrait que nous sachions quels changements sont proposés.

La cour poursuit, ce dont je vous épargne la lecture, en précisant que la question est de savoir, sur le plan constitutionnel, ce qui affecterait les caractéristiques fondamentales ou essentielles du Sénat. Dans le cas de la Chambre des lords, une de ses caractéristiques fondamentales est que ses membres sont nommés, et la Constitution envisage un Parlement similaire en principe à celui du Royaume-Uni.

À mon avis, la question qui se pose est de nature constitutionnelle. L'article 44, cité par M. Seidle, a été inclus plus tard. J'aimerais savoir plus particulièrement si l'un d'entre vous croit que l'article 44 modifierait d'une façon quelconque la décision de la Cour suprême du Canada.

M. Franks : Je vais vous répondre plus brièvement que mon collègue parce qu'il en sait beaucoup plus que moi à ce sujet. Je n'en suis pas sûr, mais je soupçonne qu'à un moment donné, cette question sera soumise aux tribunaux et que ce seront eux qui en jugeront. Comme l'a déclaré sir Roger de Coverley, c'est le genre de question au sujet de laquelle il y a beaucoup à dire, d'un côté comme de l'autre. J'ignore ce que serait la réponse.

Cela étant dit, je puis tout de même faire deux suggestions. D'une part, une fois les élections incluses, il est clair qu'on se dirige vers une réforme démocratique, comme l'a affirmé le gouvernement et comme vous pourrez le constater dans quelques jours. D'autre part, on est en train de changer le caractère essentiel du Sénat, et il y a lieu de se demander à quel stade, dans toute une série d'étapes, ce caractère essentiel est modifié et à quel stade il faut recourir à une procédure de modification de la Constitution pour faire état de ce changement. Il se pourrait bien que les tribunaux affirment que c'est dès la première étape, soit le projet de loi S-4, mais ce pourrait aussi être le contraire.

J'aimerais faire une sérieuse mise en garde. Je vous renvoie à la fin de mon mémoire. Il ne fait pas de doute que le changement du nombre de sièges réservés aux provinces exige une modification de la Constitution et tout ce que cela comporte. Le Canada n'a pas pour tradition de modifier sa Constitution au compte-gouttes. Le processus de modification s'est avéré un processus du tout ou rien dans le cadre duquel chaque province et groupe d'intérêt souhaite ajouter son grain de sel, de sorte qu'on se retrouve avec un produit final qui est une espèce d'énorme fouillis incohérent incapable de résister à la course à obstacles que représentent le consentement des provinces et l'approbation électorale. La réforme constitutionnelle est devenue une partie de poker dont les enjeux augmentent constamment et où tous sont perdants, exception faite des forces de désintégration. Peut-être, cette fois-ci, le processus pourra-t-il être différent, mais rien ne laisse supposer que ce sera le cas.

Le sénateur Austin : Voilà une observation fort intéressante, mais le comité est saisi d'un projet de loi déposé par le gouvernement, le S-4, qui prévoit un changement graduel. Il s'agit de savoir si le changement prévu dans le projet de loi à l'étude, soit de passer d'un âge de la retraite de 75 ans à un mandat de huit ans, est fondamental. Je mets de côté la question des mandats renouvelables.

Quelle est la nature du Sénat au sens de la Constitution? Monsieur Franks, certains soutiennent, ce avec quoi je suis d'accord, que l'indépendance du Sénat est fonction de la durée du mandat qui actuellement fixe l'âge de la retraite à 75 ans, et que la liberté est essentielle, tout comme pour la magistrature. Si un juge devait être nommé pour huit ans et voir son mandat renouvelé à cette échéance, l'appareil judiciaire ne serait pas indépendant. De la même façon, vous n'aurez pas de Sénat indépendant sur le plan politique et judiciaire, ce qui est une caractéristique fondamentale de l'institution. Pouvez-vous nous faire part d'observations à ce sujet?

M. Franks : Très brièvement, parce que je préfère laisser M. Seildle répondre, et j'avoue que nous ne nous entendons pas sur ce point.

Le sénateur Austin : Vous, moi et M. Seidle.

M. Franks : J'aurais dû dire plutôt qu'il ne sera pas d'accord avec moi.

Le point à retenir, c'est qu'il existe deux camps au sujet de cette question, quel que soit le nombre d'avis juridiques que vous obtenez de part et d'autre, si jamais la cour en est saisie. Je suis sûr que la question sera renvoyée à la Cour suprême du Canada et, comme j'aime parier, j'estimerais probablement les chances que le changement soit considéré comme étant fondamental à 60 contre 40. Par contre, je soupçonne que M. Seidle ne sera pas du même avis.

Le sénateur Austin : J'ai une autre brève question à vous poser, de même qu'à vous, M. Seidle, si vous voulez bien en tenir compte.

Serait-il de bon conseil de dire : « Dans le doute, abstenez-vous »? Si la constitutionalité du projet de loi à l'étude est incertaine, faudrait-il renvoyer la question à la cour? Si nous l'adoptions, puis qu'il était déclaré inconstitutionnel, nous nous retrouverions dans un beau bourbier.

M. Franks : Ce serait l'expression d'un sentiment de la part du Parlement, point final. J'aimerais bien qu'il y ait renvoi à la Cour suprême.

M. Seidle : Je vais commencer par répondre à la question qui a été posée à la toute fin. Dans le doute, faudrait-il le renvoyer à la Cour suprême? Tout d'abord, je ne crois pas qu'il y ait des doutes en ce qui concerne l'article 44 et, ensuite, il se pourrait que la réponse ne soit pas très claire. Certains sénateurs se plaisent à citer le renvoi de 1980, mais si vous l'examinez attentivement, la cour refuse de se prononcer sur presque toutes les questions qui lui sont soumises en l'absence d'un contexte factuel. Elle a même refusé de répondre à la question de savoir si le Parlement était habilité à changer le nom du Sénat de son propre chef parce que, à son avis, le nom ferait partie d'un changement fondamental de toutes les autres caractéristiques du Sénat, de sorte qu'il lui était impossible de répondre à cette question. C'était une réponse fort prudente.

Le sénateur Austin : Nous avons ici un contexte précis. Nous sommes saisis d'un projet de loi qui comporte une recommandation bien précise, soit de limiter la durée des mandats à huit ans, de sorte qu'il faudrait changer la réponse puisqu'un changement constitutionnel bien précis est proposé.

M. Seidle : C'est vrai.

Le sénateur Austin : Je conviens avec vous que le renvoi était couché en termes très vagues.

Le sénateur Murray : La Cour a dit qu'il faudrait qu'elle soit informée de la durée exacte des mandats envisagés avant de pouvoir se prononcer.

Le sénateur Austin : C'est ce qui est proposé ici.

M. Seidle : Pour en revenir à la première question posée par le sénateur Austin, tout ce débat au sujet des caractéristiques essentielles du Sénat est intéressant. Il s'inscrit dans l'historique de ce dossier et dans le droit jurisprudentiel à son égard. Toutefois, il date de 1980, alors que la formule d'amendement n'a été adoptée qu'en 1982. Si j'ai bien compris, la cour s'est d'abord penchée sur les lois et les faits avant de se tourner vers l'histoire et la jurisprudence.

Si la formule de modification était mal libellée et très ambiguë ou alambiquée — certaines constitutions, du moins certaines parties d'entre elles — sont beaucoup plus difficiles à suivre et à interpréter que la nôtre. Je n'irai pas jusqu'à dire que la nôtre est un modèle dans sa totalité, mais la formule de modification est, en termes comparatifs, fort bien libellée. La Cour suprême pourrait bien reprendre le débat sur les caractéristiques essentielles, tout comme elle pourrait décider qu'il n'y a pas de raison de le faire.

J'aimerais répondre brièvement à cette observation selon laquelle la Constitution présente beaucoup d'analogies avec celle du Royaume-Uni, parce qu'il en est souvent question également dans le débat. La Constitution a été rédigée en 1867, et beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis lors. C'était l'argument invoqué dans le débat sur la Charte des droits lorsqu'elle a été examinée par un comité parlementaire à l'époque, soit que nous ne pouvions pas emprunter cette voie, que cela changerait le régime parlementaire et que c'était incompatible avec le Statut de Westminster. Or, nous avons maintenant une Charte des droits. La plupart d'entre nous serions d'accord pour en reconnaître les bienfaits, de sorte que je ne crois pas que nous puissions nous accrocher plus longtemps au préambule d'une loi vieille de 150 ans.

Le sénateur Angus : Messieurs, je vous remercie de ces exposés mûrement réfléchis et, en fait, de nous avoir présenté vos mémoires tout aussi réfléchis et bien documentés qui feront partie du compte rendu officiel.

Monsieur Franks, si j'ai bien compris ce que vous avez dit, à moins qu'un sénateur n'accède au Sénat dans le cadre d'élections, le processus n'est pas démocratique. En d'autres mots, son accession au Sénat s'est faite de manière antidémocratique. Est-ce bien cela?

M. Franks : Oui.

Le sénateur Angus : J'aimerais que nous en discutions davantage. Je vous ai également entendu dire qu'il faut trouver un moyen de préserver l'excellent travail fait par le Sénat dans le processus démocratique. Y a-t-il d'autres moyens? J'ai cru que vous aviez laissé la porte ouverte en laissant entendre que d'autres moyens pourraient être jugés démocratiques sans exiger la tenue d'élections. Pourriez-vous décrire les autres moyens?

M. Franks : Je n'oserais pas prétendre que la méthode actuelle de nomination est démocratique, pas plus que je ne laissais entendre que la nomination sur l'avis des assemblées législatives provinciales est forcément démocratique. Il s'agit d'un vote indirect. Vous pourriez prétendre que c'est le cas des nominations faites par le premier ministre. Cependant, j'estime que nous sommes parfois obsédés par l'élément démocratique et que nous oublions que nous avons une chambre élue démocratiquement. La question que je posais était de savoir pourquoi nous tiendrions à en avoir deux. Je suppose que je me fais simplement l'avocat du diable, mais j'ai laissé entendre que si la base de nomination était élargie, nous obtiendrions un Sénat plus diversifié que si les sénateurs étaient nommés après la tenue d'élections dans les provinces. J'ai proposé que le tiers des nominations soit fait par les assemblées provinciales, un autre tiers, par le premier ministre et le dernier tiers, par les 165 Compagnons de l'Ordre du Canada.

Le sénateur Angus : En d'autres mots, simplement du fait que le processus n'est pas entièrement démocratique, il pourrait y avoir un autre moyen qui est différent des nominations discrétionnaires faites par le premier ministre au pouvoir. Vous envisagez une réforme constructive de la méthode d'accession qui ne passerait pas par des élections.

M. Franks : C'est juste. Nous en revenons à nouveau à la question de modifier la composition essentielle du Sénat. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la manière dont le premier ministre repère actuellement les candidats au Sénat demeure un mystère. Arcana imperii, comme le dit si bien l'expression latine. Nul ne sait vraiment, et je ne crois pas insulter qui que soit à la table aujourd'hui en affirmant que, si vous faisiez un sondage auprès des politicologues ou des journalistes un mois avant, voire la veille des nominations sénatoriales, ils n'arriveraient probablement pas à en deviner plus d'une sur dix correctement. En d'autres mots, nous ignorons la procédure suivie. J'ai simplement laissé entendre qu'il n'y a rien de mal à ce que le premier ministre s'y prenne autrement pour demander conseil au sujet des nominations. Je le maintiens d'ailleurs.

Le sénateur Angus : C'est essentiellement ce que je croyais vous avoir entendu dire, et je vous suis reconnaissant de l'avoir précisé.

Monsieur Seidle, l'exigence d'avoir de la propriété d'une valeur de 4 000 $ m'intrigue, tout comme elle intrigue de nombreux collègues du Québec. Tout d'abord, cette exigence est très différente au Québec par rapport au reste des régions de représentation ou collèges électoraux. Il existe au Québec 24 circonscriptions bien délimitées. Au fil des ans, l'usage et la convention ont voulu que les sénateurs du Québec satisfassent à cette exigence de propriété même s'ils n'y habitent pas et qu'ils possèdent peut-être de la propriété ou des biens importants ailleurs dans la province. Quelle est la raison d'être de cette disposition? Vous avez affirmé, je crois, que le Parlement pouvait, à lui seul, sans renvoi à la Cour suprême du Canada et sans modification constitutionnelle, éliminer cette exigence.

M. Seidle : À mon avis, on pourrait s'en débarrasser en invoquant l'article 44, tout comme pour la durée des mandats.

La question des collèges électoraux du Québec n'est pas, en réalité, aussi simple que vous le laissez croire. Il est faux de croire que c'est facile à faire, comme vous l'avez affirmé. Quand je travaillais au Bureau du Conseil privé, il a été plusieurs fois question du fait qu'il existait une procédure quelque part; habituellement, il était question du comité de législation et de planification parlementaire ou du secrétariat du Conseil. Toutefois, il convient de bien souligner que cette carte est celle du Québec au moment de la création de la Confédération. Le Québec de l'époque, dont la superficie représente certainement moins de la moitié de ce qu'elle est aujourd'hui, a été partagé en 24 circonscriptions, conformément à ce que prévoyait l'ancien conseil législatif. Ceux qui parmi vous sont férus d'histoire doivent savoir que le conseil législatif avait été élu avant l'avènement de la Confédération. Je crois même qu'elle existait déjà en 1855. C'est pourquoi il existe une carte appelée carte du Québec.

Vous avez parfaitement raison de dire que les sénateurs du Québec doivent posséder une propriété de 4 000 $ dans leur circonscription. C'est pourquoi le sénateur Fortier a dû acheter, je crois, un terrain vacant aux alentours de Rougemont. J'ignore si cette terre inclut des pommiers; il y en a beaucoup dans ce coin du Québec. Ce serait peut-être un peu mieux s'il s'y trouvait un verger.

Dans le cas de l'article 42, les points qui exigent le consentement des provinces sont les pouvoirs du Sénat, la méthode de sélection des sénateurs, le nombre de sièges par province et l'exigence de résidence des sénateurs. Il n'y est pas question de propriété des sénateurs, de sorte qu'à mon avis, vous pourriez abolir l'exigence d'une propriété de 4 000 $ tout en maintenant l'exigence de résidence, ce qui, au Québec, signifie que vous devez venir d'une des circonscriptions définies sur la carte ou y habiter. Comment s'y prendre pour interdire l'accession de quelqu'un qui a décidé d'habiter au Lac Saint-Jean, qui ne faisait pas partie du Québec à l'époque, je l'ignore. Toutefois, il est plutôt évident qu'on peut abolir l'exigence d'une propriété de 4 000 $. C'est justement la recommandation qui était faite dans le rapport Molgat- Cosgrove, selon lequel cela relevait également de l'article 44.

Le sénateur Angus : Pour quelle raison a-t-on posé cette exigence?

M. Seidle : À proprement parler, la raison à l'époque était de préserver le Sénat en tant que bouclier pour protéger les propriétaires terriens contre les forces émergentes de la démocratie. De plus, les forces de la démocratie, par rapport aux votes tenus à la Chambre des communes, n'étaient pas très vives à l'époque parce qu'il fallait être propriétaire pour voter à la Chambre des communes. Seulement une poignée d'hommes étaient réellement habilités à voter à la Chambre des communes, mais cette habilité a perdu son sens avec le temps. Pour certains, il s'agit davantage d'une nuisance.

Sauf votre respect, le leader du gouvernement au Sénat, en réponse à des questions posées à l'étape de la deuxième lecture, a laissé entendre qu'il n'y avait pas vraiment lieu de s'en préoccuper, car si les 4000 $ représentaient beaucoup d'argent en 1867 et qu'ils servaient donc de moyen d'exclusion, ils représentent bien peu aujourd'hui et n'ont pas vraiment d'importance. S'ils n'ont pas vraiment d'importance, débarrassons-nous en, car j'estime qu'il arrive parfois que cette exigence ait de l'importance. Si je devais me rendre à l'étranger et y décrire les exigences pour être sénateur, je ne commencerais pas par parler de cette exigence. Par contre, si quelqu'un me posait la question, je ne serais pas très fier d'avoir à avouer qu'il faut être propriétaire pour pouvoir siéger à la Chambre haute.

M. Franks : Puis-je faire valoir un point au sujet de cette exigence? J'en ai discuté avec des historiens de l'économie, il y a quelques années, et la conclusion était qu'en termes actuels, cela représenterait aujourd'hui une propriété de 750 000 $ à un million de dollars. Il ne faut pas oublier qu'en 1867, la richesse était beaucoup moins bien répartie, de sorte qu'il était inhabituel de posséder une propriété de 4 000 $.

Le sénateur Munson : Dans le même ordre d'idées, si l'on pousse un peu plus loin, les conditions d'admissibilité au Sénat seront les suivantes : « Il devra être âgé de trente ans révolus. »

Êtes-vous ouvert à l'idée que, si vous voulez vous débarrasser de l'exigence d'une propriété de 4 000 $, il faudrait peut-être retrancher de la Constitution les éléments discriminatoires que représentent le mot « il » et les trente ans?

M Seidle : Je suis personnellement en faveur de le faire. Il existe quelque part une loi fédérale qui dit que par « il », il faut entendre « il ou elle ». Je ne crois pas qu'il soit très pressant de modifier tous les pronoms.

Pour ce qui est d'abaisser l'âge, de le faire passer de 30 à 18 ans par exemple, comme à la Chambre des communes, je ne suis pas sûr que ce soit constitutionnel. Nous pourrions être en train de changer le caractère fondamental du Sénat.

C'est là une question sur laquelle devrait se pencher le comité, et vous pourriez à ce sujet vouloir consulter vos conseillers juridiques. Après tout, vous êtes mandatés pour signaler les points qui méritent d'être approfondis. Le premier ministre nous étonnera peut-être au sujet de certains points demain. J'en serais d'ailleurs ravi, si c'était le cas.

Le sénateur Munson : Les Pères de la Confédération ont confié au Sénat un rôle important sur le plan de la protection des minorités. Vous n'avez, ni l'un, ni l'autre, parlé de cette question, mais je suis sûr que vous avez des opinions.

Je vous pose la question parce que, dans ma description d'emploi, j'ai l'obligation constitutionnelle de protéger les minorités. Au sein d'un Sénat élu, j'aurais des préoccupations et des inquiétudes concernant les personnes nommées au Sénat et leurs chances de se faire élire.

J'en prends pour exemple, entre autres, une Acadienne de grand mérite, le sénateur Viola Léger, du Nouveau- Brunswick, et deux sénateurs assis à mes côtés aujourd'hui, soit le sénateur Maria Chaput, du Manitoba et le sénateur Charlie Watt, du Nunavut. Je pourrais en nommer beaucoup d'autres.

Les élections coûtent cher, et elles servent à acquérir du pouvoir. Je m'inquiète de la minorité qui serait laissée pour compte et des personnes qui la représentent. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, tous deux.

M. Franks : Je partage cette préoccupation. On ne reconnaît pas toujours que le Sénat compte une proportion plus élevée de femmes que la Chambre des communes et ce depuis des décennies. Le Sénat possède, actuellement et depuis un certain temps, une plus grande représentation des peuples autochtones que la Chambre des communes, et ainsi de suite.

De façon générale, j'ai une certaine inquiétude face à l'idée de reconnaître un trop grand nombre de minorités, parce que nous assumons tous de nombreuses identités et que notre héritage culturel ou racial n'est que l'une de ces nombreuses identités. Toutefois, je pense que le Sénat risque de perdre quelque chose s'il s'oriente vers un processus électoral. C'est pourquoi j'ai dit que vous devez accorder beaucoup d'attention aux détails d'une procédure d'élection de manière à ne pas simplement reproduire à une échelle encore plus grande les distorsions qui existent déjà à la Chambre des communes.

M. Seidle : Je suis d'accord avec le professeur Franks. Si vous concevez un Sénat élu, les modalités peuvent avoir des répercussions très importantes. Cependant, il existe de nombreux exemples dans le monde montrant comment vous pouvez réaliser certains de ces objectifs. Par exemple, un certain nombre de pays, sans fixer de quotas précis, obligent les partis — et cela s'applique généralement à la chambre basse — à procéder à une alternance des hommes et des femmes dans leur liste de candidats au sein du système proportionnel.

Maintenant, cela ne garantit pas une égalité des sexes, mais cette mesure s'est révélée efficace dans les pays qui l'ont adoptée pour permettre l'élection d'une proportion de femmes beaucoup plus grande que ce que celle que nous avons ici. À cet égard, la Chambre des communes arrive au 46e rang parmi les pays démocratiques dans le monde. Nos résultats ne sont pas très bons.

Je suis d'accord avec le professeur Franks et avec le sénateur Munson pour dire que des personnes très distinguées on été nommées au Sénat qui n'auraient peut-être pas été élues dans le cadre d'un processus électoral.

En ce qui concerne les peuples autochtones, il existe des modèles, comme celui de la Nouvelle-Zélande, où on utilise une liste électorale maorie pour élire les membres de la Chambre des représentants; il n'y a pas de deuxième chambre dans ce pays.

Même si cette situation pourrait ne pas s'appliquer directement au Canada, nous avons exploré ce modèle à la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis il y a une quinzaine d'années. C'est quelque chose qui pourrait nous guider, si nous voulons concevoir un Sénat élu.

Il y a également la possibilité d'avoir un Sénat presque entièrement élu, tout en réservant certains sièges pour nommer des gens qui représentent des groupes particuliers. Il y a toujours le débat au sujet des deux classes, mais lorsque je dis que je suis favorable à un Sénat élu, je suis prêt à mettre de l'eau dans mon vin. En politique, personne ne veut être plus blanc que neige; cela ne vous mène pas bien loin.

Le sénateur Comeau : Premièrement, j'aimerais commenter la question du sénateur Austin concernant le renvoi des projets de loi devant la Cour suprême du Canada. J'ai toujours eu des réticences à cet égard. C'est un peu comme si nous cherchions à obtenir la permission de la Cour suprême pour savoir si nous pouvons aller de l'avant avec un projet de loi. Tous les projets de loi sont ultimement sujets à une décision de la Cour suprême du Canada, si quelqu'un décide de recourir à ce processus.

Nous semblons avoir une opinion divisée. Certains experts pensent que ce projet de loi devrait être renvoyé devant la Cour suprême pour obtenir ses observations et d'autres pensent que non. En d'autres mots, je pense que, théoriquement, nous pourrions défendre l'idée que tous les projets de loi soient renvoyés devant la Cour suprême. J'ignore si ce projet de loi mérite d'être renvoyé devant cette instance, mais je me sens effectivement mal à l'aise de le faire.

Je veux faire des observations sur le travail du Sénat et sur ce que pourrait engendrer un Sénat réformé par l'adoption d'un processus électoral. Je suis entièrement d'accord avec le professeur Franks : un excellent travail a été réalisé par certains comités du Sénat, surtout dans le domaine des pêches, comme il l'a souligné plus particulièrement. Je suis tout à fait d'accord avec lui sur cette question; c'est de l'excellent travail.

Cela m'amène à la question de la représentation proportionnelle et à la question de savoir si ce modèle devrait être examiné. Je crois comprendre que cette représentation proportionnelle est fondée sur une liste qui est proposée par les partis. Une telle liste pourrait commencer à créer des problèmes touchant les résultats des travaux du Sénat, comme l'a signalé le professeur Seidle dans son mémoire. Perdrions-nous le travail qui a été réalisé jusqu'ici?

M. Franks : Toute réforme comporte un risque. Il y a des conséquences non voulues et imprévues.

Je ne crois pas que vous puissiez avoir des élections au Sénat sans que les partis entrent dans l'équation. Je le dis sans détour. Peu importe quels sont vos espoirs, je ne crois pas que vous puissiez le faire. La question est la suivante : comment vous assurez, dans le contexte des partis, que le Sénat recrute le genre de personnes qui peuvent faire le travail que le Sénat est censé faire? Cela revient au point soulevé par M. Seidle concernant la mission du Sénat.

Comme je l'ai dit, je pense qu'il doit y avoir une représentation proportionnelle minimale. De plus, il doit y avoir un nombre substantiel de sénateurs élus à une même occasion, de manière qu'ils ne font pas uniquement choisir un sénateur — vous en choisissez au moins deux — et il y a une possibilité qu'un groupe minoritaire soit représenté. Quant à savoir si d'autres conditions sont incluses dans cela, je l'ignore.

Peut-être que si le Sénat de mes rêves existait, j'instruirais les personnes et les organismes qui procèdent aux nominations — les assemblées législatives provinciales, le premier ministre et les compagnons de l'Ordre du Canada — de prendre en compte les groupes qui sont sous-représentés à la Chambre des communes et qui ont besoin d'attention. Les peuples autochtones seraient placés bien haut sur la liste. Il y a d'autres groupes.

M. Seidle : La justification classique de la représentation proportionnelle, c'est qu'elle permettrait de briser les blocs de représentation par un parti unique dans des régions et des provinces particulières comme cela s'est vu souvent à la Chambre des communes. Prenons un cas hypothétique. Si vous avez 10 sièges dans une province et que le parti A obtient 40 p. 100 du vote, le parti B, 40 p. 100, et le parti C, 20 p. 100, les partis obtiendraient respectivement quatre, quatre et deux sièges. Alors, plutôt que cela — l'Alberta est l'exemple qui existe depuis le plus longtemps, bien que je me souvienne d'une époque où le Québec était très monolithique, élisant même à une occasion 74 libéraux sur un total de 75 sièges. Il y aurait une diversité de voix des partis au Sénat. Cela semble être la première considération.

À partir de là, vous pouvez examiner une diversité d'autres voix et certaines des considérations dont j'ai parlé plus tôt, et que je n'ai pas besoin de répéter. C'est l'approche que l'on a adoptée dans la documentation et dans tous les rapports. On commence par la question de la diversité de la représentation des partis, parce que, comme l'a dit le professeur Franks, les partis existeront toujours.

Le sénateur Comeau : Vous avez dit que la Nouvelle-Zélande exigeait que certains groupes soient représentés dans la liste. S'agit-il d'une exigence constitutionnelle, d'une exigence législative ou d'un encouragement?

M. Seidle : Les sièges des Maoris remontent à la création du Dominion de la Nouvelle-Zélande en 1867. Lorsque ce pays a procédé à une réforme de son système électoral en 1996, ces sièges ont été gardés et, en fait, un changement a été apporté. Plutôt que d'avoir un nombre de sièges fixe, leur nombre dépend du nombre de Maoris inscrits sur la liste électorale. Dans les élections qui ont suivi, ils ont augmenté d'un siège, alors, là où il y en avait quatre, avant 1996, il y en a sept à l'heure actuelle.

Cependant, ce n'est pas la seule façon par laquelle les Maoris sont représentés efficacement. Ils jouent un rôle actif au sein du Parti travailliste, alors ils ont tendance à être bien représentés au sein de ce parti, ayant des députés élus de la même manière que tous les autres, en plus de disposer des sièges réservés aux Maoris, de sorte qu'à l'heure actuelle, bien que je ne dispose pas des chiffres exacts, les Maoris ont une surreprésentation de 1 p. 100 à la Chambre des représentants. Ils représentent environ 15 p. 100 de la population de la Nouvelle-Zélande, alors ils représentent une proportion plus grande de la population de leur pays que les peuples autochtones au Canada.

Le sénateur Murray : Il n'y a pas eu beaucoup de discussion autour de la table de l'amendement constitutionnel proposé par le sénateur Austin et moi-même et qui a été renvoyé au présent comité dans le but de corriger le grave déséquilibre dont est victime l'Ouest canadien au niveau de la représentation au Sénat. J'aimerais croire que la raison pour laquelle il y a eu si peu de discussion de cet amendement, c'est qu'il y a autour de la table un accord général sur notre proposition. J'aimerais en parler pour dire que si rien d'autre n'est fait au sujet du Sénat, que si nous continuons avec le Sénat actuel, je pense que cette iniquité, ce déséquilibre, est quelque chose qui saute aux yeux et que l'on peut démontrer par des arguments solides que nous devrions agir pour corriger cette situation. Si le Sénat adopte cette résolution constitutionnelle, je pense que nous pouvons la renvoyer aux autres acteurs du processus de modification, c'est-à-dire les dix provinces et la Chambre des communes, et bien que j'espère que demain, le premier ministre Harper aura un bon mot pour l'amendement proposé, il disposera, ou le gouvernement fédéral disposera, de trois ans pour se faire une idée. S'il désire attendre de voir quel est le consensus parmi les provinces, c'est bien également, mais j'espère qu'il ne fermera pas la porte, au nom de son gouvernement, à nos efforts pour corriger ce déséquilibre.

Monsieur le président, au moment où nous parlons, l'idée d'un Sénat élu est exactement cela : une idée. C'est quelque chose d'hypothétique. C'est quelque chose qui est là-bas dans un avenir indéterminé. Ce sur quoi le comité doit se prononcer, c'est sur un projet de loi, le projet de loi S-4, ayant pour but de fixer à huit ans la durée du mandat renouvelable des futurs sénateurs nommés dans un Sénat nommé. Voilà ce qui est devant nous et voilà ce sur quoi nous devrons voter.

Mon avis, c'est qu'un mandat renouvelable de huit ans pour le Sénat nommé est le pire de tous les mondes possibles. Comme l'a souligné M. Seidle, cela aura pour effet d'accroître considérablement le taux de renouvellement des sénateurs et, par conséquent, d'accroître considérablement le pouvoir politique du premier ministre. Bien que je reconnaisse avec quelle délicatesse M. Seidle a traité de cette question, la nature humaine fait en sorte que les gens qui sont nommés pour un mandat renouvelable d'une durée de huit ans ne perdront pas de vue le premier ministre qui les a nommés ou le premier ministre qui pourrait avoir à décider de renouveler leur mandat, pour s'assurer qu'ils ne lui ont pas déplu indûment et s'assurer de ne pas compromettre leurs chances de voir leur mandat renouvelé. Je pense que c'est le pire de tous les mondes possibles.

Un mandat de huit ans pourrait être un bon choix dans un Sénat élu hypothétique, mais, professeur Franks, je pense qu'il faudrait prendre des mesures à l'intérieur de la Constitution pour modifier fondamentalement les pouvoirs du Sénat afin de s'assurer que la Chambre des communes, l'institution la plus démocratique, conserve sa primauté. Pensez à ce que nous aurions avec un Sénat élu : nous aurions un Sénat élu dont les membres sont élus pour huit ans — c'est-à- dire, deux fois plus longtemps que le mandat normal d'un député de la Chambre des communes; nous aurions un Sénat élu dont les membres seraient élus dans des circonscriptions plus grandes que celles des députés de la Chambre des communes — par définition, chacun représenterait plus de gens; et si nous décidions d'adopter des élections tous les quatre ans pour la moitié du Sénat, nous aurions des sénateurs qui pourraient être en mesure de dire à la Chambre des communes : « Notre mandat est plus récent que le vôtre. » Je pense que nous aurions une puissance politique. Nous aurions ce que vous nous avez dit que nous ne devrions pas avoir, un Sénat élitiste, très semblable à celui des États- Unis, en mesure de faire un pied de nez à la Chambre des communes.

Le point que je veux faire valoir ici, c'est que si nous nous dirigeons vers un Sénat élu, avec une durée de mandat de huit ans et tout le reste, les pouvoirs de ce Sénat devront être délimités très attentivement par un amendement constitutionnel pour s'assurer que soit maintenue la primauté de la Chambre des communes dans notre système en tant que Chambre habilitée à prendre des votes de confiance et en tant que la Chambre la plus démocratique.

M. Franks : Lorsque nous examinons une proposition de réforme, comme je l'ai dit auparavant, nous ouvrons une porte qui peut comporter de nombreuses conséquences imprévues. Celle que vous soulevez, sénateur, c'est-à-dire une durée du mandat au Sénat de huit ans sans modification du processus de nomination, se rapproche du pire des scénarios, et je suis d'accord avec vous.

J'ai énuméré dans mon mémoire et dans ma déclaration liminaire les questions de procédure où les pouvoirs du Sénat peuvent être en conflit avec ceux de la Chambre des communes.

Le sénateur Murray : Je ne pense pas que ce soit suffisant. Il nous faudrait délimiter les pouvoirs du Sénat par un amendement constitutionnel.

M. Franks : Oui, c'est ce que je préférerais, mais je crois que l'on peut faire un bout de chemin en modifiant les règles de procédure des deux chambres. Après tout, la Chambre a le pouvoir de modifier la procédure des chambres. Il faut se pencher sur cette question, mais je vous dirais que c'est quelque chose qui semble être une partie essentielle du processus complet que j'appelle accroître la légitimité du Sénat.

M. Seidle : Je n'ai pas traité du projet de loi du sénateur Murray et du sénateur Austin parce que l'avis que j'ai reçu précisait que la question traitée était le projet de loi S-4. Toutefois, je suis heureux de pouvoir dire que je pense qu'il s'agit d'une initiative très louable. Je leur souhaite bonne chance dans leurs démarches pour convaincre un nombre suffisant d'assemblées législatives provinciales de l'adopter. J'ajouterais, en aparté, que vous n'avez pas besoin d'avoir une conférence fédérale-provinciale pour mettre cela en branle.

Cette question peut être renvoyée à la Chambre des communes si elle est adoptée ici. Si une province la trouve intéressante et l'adopte, eh bien, quelqu'un au Bureau du Conseil privé prend note de ces choses. Si vous atteignez le seuil nécessaire, il reste la question mineure du projet de loi C-110, qui n'est pas constitutionnel, mais dont il faudrait tenir compte.

Le sénateur Murray : Je ne pense pas que cela s'applique. Cela s'applique uniquement aux résolutions qui sont présentées par un ministre de la Couronne, ce que ni le sénateur Austin ni moi ne sommes.

M. Seidle : Vous avez raison, j'en prends bonne note.

Le sénateur Austin : Pour l'instant.

M. Seidle : Pour revenir sur la prédiction du sénateur Murray qui disait que cela pourrait être le pire de tous les mondes possibles — il ajoute l'élection directe des sénateurs —, je ne serais pas en accord ni en désaccord avec ce qu'il dit. Toutefois, je pense que cela confirme le point que j'ai fait valoir plus tôt, à savoir que nous ne savons pas où ce périple nous conduira. Le résultat de ce périple, bon ou mauvais, ne peut être prévu non plus, parce que la destination n'a pas été déterminée.

Le sénateur Segal : J'ai trois questions très directes.

Je ne partage pas l'optimisme de M. Seidle et du sénateur Murray concernant un éventuel accord des provinces sur quoi que ce soit, mais surtout sur une réforme constitutionnelle portant sur le Sénat. Par conséquent, je serais curieux de savoir quelles bases de données M. Seidle a consultées qui l'amènent à croire qu'un changement nécessitant l'appui de sept provinces et de 50 p. 100 de la population soit, peut-être, plus facile à obtenir de nos jours que dans le passé. Et pour continuer dans la même veine, si l'on suppose que ce genre de consensus pose toujours un défi, et je pense pouvoir signaler, comme mes collègues du comité le savent, que la Saskatchewan s'est maintenant formellement prononcée en faveur de l'abolition du Sénat, tout comme l'Ontario, et que l'Alberta reste en faveur d'un Sénat « triple E » ou rien, en ce qui a trait aux positions affirmée aussi récemment qu'au cours des deux ou trois derniers mois, je serais curieux de savoir ce que le professeur Franks et M. Seidle pensent du caractère constitutionnel de la démarche du premier ministre qui cherche à avoir des élections consultatives sur le marché démocratique sur une base quelconque et qui détermineraient ensuite la portée et les fondements des nominations qu'il pourrait décider de faire en vertu de la Constitution actuelle, en ce qui concerne les recommandations à la Couronne. Je serais intéressé de connaître vos points de vue sur cette question, si vous acceptez la prémisse que l'accord de sept provinces et de 50 p. 100 de la population est aussi difficile à obtenir aujourd'hui que dans le passé, et je m'attends que M. Seidle ait une opinion contraire sur cette question.

Ma deuxième question est la suivante : à votre avis, dans quelle mesure le présent comité devrait-il être guidé par les objectifs recherchés par les pères fondateurs? Nous avons une Constitution. Elle a été rédigée au moment où elle a été rédigée. Nous avons tous la possibilité de lire les débats qui ont mené à la création du Sénat actuel. En bout de ligne, ce sont les leaders provinciaux qui s'opposaient à un Sénat élu, pour des raisons qui tiennent davantage à leur façon de voir leur propre champ de compétence. L'histoire témoigne du fait que sir John A. Macdonald n'était pas, initialement, opposé à la proposition, comme question de principe. J'aimerais connaître vos points de vue, individuels et communs, sur la question suivante : dans quelle mesure devrions-nous être influencés par les objectifs recherchés par les pères fondateurs dans nos délibérations sur cette question?

Ma dernière question concerne le projet de loi visant à augmenter le nombre de sénateurs en provenance de l'Ouest, et il s'agit d'une série de mesures provisoires. Par exemple, nos amis britanniques, dans le long processus de réforme de la Chambre des lords qu'ils ont entrepris, ont commencé à s'entendre sur certaines mesures intérimaires touchant les nominations à cette chambre et sur la façon dont ce processus pourrait refléter le mélange démocratique de la Chambre des communes elle-même, comme un processus de transition vers ce qui adviendra plus tard. En tant que membre du comité, votre point de vue et vos conseils sur ce point pourraient m'être extrêmement profitables.

M. Seidle : Non, je n'ai accès à aucune base de données qui m'amène à être exagérément optimiste au sujet de l'obtention de l'accord de sept provinces et de 50 p. 100 de la population, que ce soit sur le projet de loi Murray-Austin ou sur quelque chose de plus vaste. Le point que je veux faire ressortir, c'est simplement qu'il est peut-être temps de nous demander si le moment n'est pas venu d'avoir une certaine forme de discussion à l'échelle nationale, non pas dans un même organisme, mais dans des forums ici et là. Les gouvernements provinciaux ne sont pas les seuls à avoir des opinions sur le Sénat. La conversion de l'Ontario à l'idée de l'abolition du Sénat est assez récente et j'ajouterai qu'elle relève probablement de la position. Parfois, dans les conférences constitutionnelles, les positions changent au moment où les choses commencent à prendre forme. C'est très intéressant à voir. Comme j'aurais aimé avoir pu assister aux huit heures de discussion du lac Meech. J'étais dans la pièce adjacente, mais il se passait beaucoup de choses derrière ces portes.

En ce qui concerne le caractère constitutionnel des élections consultatives, je préfère ne pas adopter de position ferme sur la question parce que je ne suis pas un avocat de droit constitutionnel. Je pense que sur le plan politique, on pourrait soulever des doutes sur la façon dont le gouvernement pourrait glisser vers une modification de la méthode de sélection. Quel que soit le caractère constitutionnel de ces élections, je pense que les détails politiques de cette question méritent une réflexion très sérieuse.

Le sénateur Segal : Lorsque le premier ministre Mulroney a nommé ce sénateur qui a été élu dans le cadre d'un processus électoral interne en Alberta, il a choisi de le faire en vertu des pouvoirs que lui conférait la Constitution actuelle et que je sache, à ce moment-là, il n'y a pas eu de contestation constitutionnelle du fait que cette personne de l'Alberta avait d'abord été choisie dans le cadre d'un processus électoral, ce qui a ensuite donné lieu à une nomination au Sénat par le premier ministre du temps.

M. Seidle : Il n'y a jamais eu de contestation constitutionnelle formelle. L'avis juridique au sein du gouvernement n'était pas unanime à cet égard. Fait intéressant, le premier ministre Mulroney a attendu presque deux ans, je pense, avant de procéder à la nomination. Il n'a procédé à la nomination du sénateur Waters qu'une fois l'Accord du lac Meech enterré. J'ignore pourquoi il a estimé qu'il était nécessaire de le faire à ce moment-là.

Le sénateur Murray : L'accord n'était pas tout à fait mort à ce moment-là.

M. Seidle : Il n'a pas servi bien longtemps.

Concernant les objectifs recherchés par les pères fondateurs, oui, je pense qu'ils peuvent nous instruire, mais le monde a beaucoup changé depuis. Le point que j'ai soulevé plus tôt au sujet de la qualification foncière qui faisait partie de la conception institutionnelle du Sénat, c'était que cela n'était tout simplement plus pertinent de nos jours. Il ne s'agit pas de manquer de respect envers les pères fondateurs; c'est simplement que l'on écarte cela de nos considérations actuelles. Les pères fondateurs n'étaient pas préoccupés par la représentation des femmes ou des peuples autochtones, mais certains d'entre nous qui examinons ces questions estimons qu'une vision complète d'un Sénat élu doit au moins traiter de ces questions.

En ce qui concerne les mesures intérimaires, j'ai lu l'article très instructif voisin de la page éditoriale du sénateur Segal dans The Kingston Whig-Standard où il traite un peu de cette question, et je pense que le comité devrait accorder une certaine attention à cette question. Si on met de côté la modification de la méthode de nomination, tout ce qui favorise une plus grande diversité de personnes provenant de tous les segments de la société canadienne est une bonne chose, ou quelque chose qui garantit également que les gens appartenant à différents partis politiques continuent d'être représentés. Un gouvernement au pouvoir peut ne pas être fortement enclin à appliquer une formule mathématique fondée sur les résultats de la Chambre des communes, mais si de temps à autre, les gouvernements, comme ce fut le cas dans le passé, sont suffisamment bons pour nommer certaines personnes de qualité provenant de l'autre parti, je pense que cela est légèrement avantageux.

Le sénateur Murray : Légèrement!

M. Franks : Cela s'appelle de la prudence absolue.

Quant aux changements constitutionnels, de toute évidence, certaines choses sont des changements constitutionnels, comme la modification du nombre de sièges par province. Je ne pense pas que cela soit contesté.

En ce qui concerne le processus, la méthode de sélection et la durée du mandat des sénateurs, je reviens à ce que j'ai dit plus tôt. Je crois que les tribunaux estimeront qu'un changement substantiel touchant le Sénat, à un moment donné, nécessite un amendement constitutionnel. Ils pourraient dire que si vous faites le premier pas sur une pente glissante, une fois que vous allez faire ce premier pas, vous allez glisser jusqu'au bas de la pente et que c'est le premier pas qui nécessite un amendement constitutionnel. Ils pourraient dire que c'est le deuxième ou le troisième pas.

Une question à laquelle seront confrontés le présent comité ainsi que le Parlement et le Canada est la suivante : voulez-vous faire le premier pas si vous ne pouvez pas faire le deuxième? Vous pourriez vous retrouver dans une situation où le premier pas devient le dernier, et cela nous ramène à la question du sénateur Murray concernant le pire des mondes possibles. Évidemment, c'est là un des avantages d'un ensemble de mesures. Le désavantage d'un ensemble de mesures, c'est qu'alors, vous avez absolument besoin d'un amendement constitutionnel.

Les pères fondateurs — et je suis d'accord avec M. Seidle — dans le sens général d'avoir une deuxième chambre consacrée à une seconde réflexion, avec une base de représentation différente, oui. Cependant, je ne voudrais pas que la nomination au Sénat soit limitée aux personnes qui possèdent des biens fonciers pour une valeur d'un million de dollars dans leur province.

Le sénateur Murray : La plupart d'entre nous non plus.

M. Franks : Je ne dirai pas où cela vous mène.

Concernant les mesures intérimaires, une des choses que l'Angleterre a proposées, et je pense que cette mesure est sur le point d'être appliquée à la Chambre des lords, est la création d'une commission pour nommer les gens à la Chambre des lords. C'est là une solution de remplacement à ma proposition voulant qu'il y ait un tiers des nominations faites par les provinces, un tiers par le premier ministre et un tiers par les compagnons de l'Ordre du Canada. J'accepterais cette formule si je croyais que nous pouvons mettre sur pied une commission qui ferait effectivement le travail qu'elle devrait faire, et peut-être qu'elle pourrait le faire et peut-être que non. Je l'ignore.

Le précédent consistant à créer une commission des nominations publiques, que l'on retrouve dans la loi fédérale sur la responsabilité proposée par le gouvernement, ne suscite pas beaucoup d'optimiste quant à la confiance des parlementaires et du public à l'égard de ce processus. C'est une énigme, et c'est pourquoi évidemment vous pouvez dire deux choses avec une assurance raisonnable : les chances qu'il y ait un changement au Sénat sont minimes et il s'agit de l'un des sujets de discussion les plus intéressants en politique canadienne parce qu'il y a tellement d'options à envisager.

Je me montre très cynique ici, mais en ma qualité de scientifique de la politique, je vois la réforme du Sénat comme l'équivalent moderne du débat sur le nombre d'anges qui peuvent danser sur la tête d'une épingle, parce que cela prend énormément de temps et d'énergie et que cela ne mène nulle part. J'espère que cela sera différent parce que j'appuie l'idée d'un changement, mais il est très difficile d'élaborer un ensemble de mesures utile.

Le sénateur Hubley : Plutôt que de répéter certaines des questions qui ont déjà été soulevées ici matin, j'aimerais ajouter quelque chose aux observations du sénateur Murray sur la durée du mandat d'un sénateur. À mon avis, le fait d'avoir 50 p. 100 du Sénat qui se lève tous les quatre ans pour quitter, dans l'attente peut-être d'une nouvelle nomination — en d'autres mots, un changement profond au sein de la chambre sur une base permanente — nuirait certainement beaucoup au travail qui se fait au Sénat, à la mémoire institutionnelle du Sénat, au travail qui prend plus que huit ans ou plus que deux mandats pour être réalisé. Lorsque les gouvernements changent, il y a des moments où il y a moins d'activités dans nos institutions, juste mettre en place la vision du prochain gouvernement et la création des comités. Par conséquent, je trouve que huit ans est un chiffre arbitraire parce que je ne pense pas que ce chiffre s'applique en réalité au travail que nous faisons au Sénat.

Il y a un autre point que j'aimerais soulever concernant le mandat de huit ans. Depuis 1965, si je ne me trompe pas, la durée moyenne de la présence d'un sénateur au Sénat est de l'ordre de neuf ans et demi. Le changement de neuf ans et demi à huit ans est très petit, et je me demande s'il ne s'agit pas là de simple rafistolage. Ce changement pourrait satisfaire un gouvernement parce qu'il correspond à son programme ou simplement de façon arbitraire, mais il ne reflète pas le travail que nous effectuons au Sénat. Je vais m'arrêter là.

Concernant le nombre de sénateurs (et cela concerne aussi la motion), j'aimerais être généreuse et dire qu'il serait merveilleux d'augmenter le nombre de sénateurs qui siègent dans notre chambre, mais comme je viens de l'Île-du- Prince-Édouard et d'une très petite constitution (mon cas s'applique d'ailleurs à tous ceux qui viennent des Maritimes), je constate que toute modification à notre nombre, au nombre de sénateurs d'une région, va diminuer notre représentation. Je ne veux pas dire que nous ne devrions pas le faire, mais une hausse du nombre de sénateurs de l'Ouest va diminuer notre représentation au Canada atlantique et je suis contre. Ce serait certainement fondamentalement inacceptable pour l'Île-du-Prince-Édouard et pour ce qui a déjà été le Dominion de Terre-Neuve, qui s'appelle maintenant Terre-Neuve-et-Labrador.

Le nombre de sénateurs que l'Île-du-Prince-Édouard a reçu lorsqu'elle est entrée dans la Confédération était une condition d'entrée. C'était une garantie constitutionnelle. J'ai été ravie de voir que certaines personnes ont rappelé nos débuts, c'est-à-dire les Pères de la Fédération, leur intention et la raison pour laquelle ces chiffres ont été établis. Je pense qu'ils avaient de l'importance. Ils ont été longuement réfléchis, ce sont des nombres que nous devons profondément respecter. Nous devons faire preuve d'une grande prudence si nous voulons les modifier.

Cela me mène à poser une question à M. Franks. Dans votre exposé, vous avez dit que la répartition actuelle de ce que nous pourrions appeler les sièges au Sénat est le reflet de perceptions et d'accidents historiques. Bien que vous ayez peut-être une autre explication, je dirais que d'après moi, la façon dont notre pays a été établi était bien sage. Cette formule a merveilleusement bien passé l'épreuve du temps. J'avais des questions sur les perceptions et accidents historiques et ce que vous vouliez dire par là.

Nous avons peu parlé aujourd'hui du régionalisme et des régions du pays. Il est facile de dire que les gens votent, mais nous parlons de populations. Le Canada est plus grand que son peuple. Le Canada est un pays. Ainsi, nous avons une souveraineté à défendre, des frontières, et si nous ne nous en occupons pas au Sénat, personne ne s'en occupera à la Chambre des communes en raison du processus électoral. Si le Sénat n'est pas l'institution toute désignée pour régler ces problèmes, je doute qu'ils soient réglés.

Vous avez mentionné aujourd'hui le travail des comités. Je ne répéterai pas ce qui a déjà été dit sur un excellent comité qui évolue à la Chambre.

Cependant, ce sont les sénateurs qui font partie de ces comités qui font la différence dans le travail que nous sommes en train d'effectuer. C'est parce que nous devons assurer la représentation des régions dans l'une des institutions de notre Parlement.

M. Franks : Au cours des dernières années, il y a eu beaucoup de nominations de sénateurs de plus ou moins 70 ans, ce qui à mon avis, réduit la durée moyenne du mandat des sénateurs. Je n'ai pas effectué d'étude sur le rapport, disons, entre le rendement au Sénat et la durée du mandat. Je ne suis pas à l'aise de parler de cette différence, mais à mon avis, il n'y a pas une énorme différence entre dix et huit ans. Pour moi, il serait plus hasardeux de lier des élections sénatoriales à des élections à la Chambre des communes. Cela pourrait causer de très graves problèmes, puisque nous risquerions de répéter la même chose toujours et encore. Pour cette raison, je vais laisser cet aspect de côté.

Concernant le nombre de sénateurs, je pense que s'il n'y avait pas de Sénat aujourd'hui et que nous réfléchissions au nombre de sièges à octroyer à l'Île-du-Prince-Édouard, comparativement à l'Alberta, nous ne serions pas d'accord avec les chiffres de quatre et six, nous ferions les choses différemment. C'est ce que je qualifie d'accident historique.

Le sénateur Hubley : Vous pouvez toujours le dire.

M. Franks : Sur le dernier élément, les enjeux régionaux, je vais répéter une chose que j'ai déjà dite : une région est simplement une identité et un enjeu qui doit être présenté en politique. Il y a une identité culturelle, une identité économique, une identité professionnelle et des identités partisanes. Il y a des différences identitaires entre les classes, il y a les travailleurs du savoir, il y a les autres travailleurs et il y a le monde artistique.

Encore une fois, si nous recommencions tout à zéro, j'aurais bien du mal à défendre l'opinion que l'identité régionale doit être l'enjeu déterminant pour la représentation au Sénat, plutôt que d'autres, comme l'identité sexuelle, entre autres.

L'une des forces du Sénat, comme je l'ai dit, c'est qu'il se compose actuellement de membres extraordinairement intéressants et divers. Je serais très triste d'assister à cette perte et de voir la représentation au Sénat liée à nos perceptions de ce que les identités et la représentation doivent être aujourd'hui, parce qu'elles seront différentes dans dix ou vingt ans.

M. Seidle : L'honorable sénatrice a donné le chiffre de neuf ans et demi comme durée moyenne du mandat des sénateurs dans le système actuel et a demandé si le choix de huit ans, qui pourrait être arbitraire à son avis, faisait une grande différence. En fait, il ne ferait pas vraiment de différence.

Cependant, je pense que le résultat important de cette modification, si elle est adoptée, c'est qu'on intégrera dans la Constitution un principe de huit ans, renouvelable ou non, et qu'il sera là pour tout le monde.

La Constitution prévoit la possibilité théorique qu'une personne siège au Sénat pendant 45 ans. Bien que cela n'arrive pas très souvent (et je suis certain que ce n'est jamais arrivé, du moins pas depuis que nous vivons), c'est tout de même ce qui est inscrit dans la Constitution.

Je pense qu'il est important, même si les sénateurs ne restent pas aussi longtemps que certaines personnes semblent le croire, que si l'on abaisse cette limite, cela ne se fasse pas simplement implicitement. Ce devrait être clairement écrit dans la Constitution. Je vais laisser le soin à d'autres de débattre de la question de savoir s'il s'agit ou non de rafistolage.

[Français]

Le sénateur Chaput : J'ai toujours cru et je crois que lorsqu'on parle de changements, lorsqu'on regarde les projets de loi ou les motions, c'est toujours dans le but d'améliorer quelque chose. Dans mon esprit, le but serait toujours d'améliorer le Sénat afin de mieux répondre aux besoins des Canadiens et des Canadiennes.

Ma première question a déjà été touchée parce que c'était une préoccupation que j'ai à l'esprit lorsqu'on regarde la représentativité au Sénat. Elle est présentement bien, puisque la mission de protéger les minorités peut être défendue par la composition du Sénat. Nous avons des Autochtones, des représentants de communautés de langues officielles en situation minoritaire, nous avons un bon nombre de femmes, et cetera. Donc la représentativité est une des grandes forces du Sénat. Si l'on doit faire un changement quelconque, il faudrait que ce soit pour l'améliorer.

Vous avez bien dit que c'est difficile de répondre au projet de loi S-4, le terme de huit ans, sans parler du processus. C'est la raison pour laquelle je voulais mentionner la représentativité si l'on veut parler hypothétiquement de changements de processus.

Ma question est plus spécifique par rapport au projet de loi et au terme de huit ans. Je crois qu'une des forces du Sénat, c'est aussi son indépendance, sa continuité et sa présence. Lors des élections, les députés changent ou non, mais les communautés peuvent se dire : « Je n'ai plus mon député mais en attendant d'apprendre à connaître l'autre, je peux toujours m'adresser à mon sénateur. » Vous n'avez pas répondu à cette question. Le terme de huit ans, d'après vous, permettrait-il au Sénat de continuer à conserver son indépendance et sa continuité? Celles-ci, d'une certaine façon, sont très rassurantes pour les minorités, parce que la majorité prend soin d'elle-même, ce sont les minorités auxquelles on doit penser.

[Traduction]

M. Franks : Ce sont de très bonnes questions et je vais vous répondre très brièvement.

Je pense que plus le Sénat aura de légitimité et de pouvoir, plus il est probable que la partisannerie augmente et que le gouvernement sente la nécessité d'exercer un contrôle sur les procédures du Sénat. Plus cela sera le cas, moins le Sénat aura son rôle plutôt idiosyncratique de ce préoccuper de choses telles que l'indépendance des membres, l'intérêt des minorités et tout ce que cela comprend.

C'est une pente glissante, et je ne sais pas où nous allons aboutir. J'ai l'impression que nous n'avons pas encore eu de discussion adéquate au Canada sur ce que nous voulons que le Sénat représente, et je ne pense pas que nous ayons eu une discussion adéquate sur la relation des sénateurs avec la circonscription qui les élit.

Il y a une question très simple que nous devons nous poser : les sénateurs devraient-ils avoir des bureaux de circonscription et des ressources pour offrir des services de la même façon que les députés de la Chambre des communes? S'ils étaient élus, je serais porté à répondre que oui.

[Français]

M. Seidle : Monsieur le président, le sénateur a soulevé une question importante à mon avis. Si, en créant un Sénat élu, on perdait la représentation des différentes minorités, ce serait vraiment une perte. Il y a quand même certaines façons d'aborder ces questions, ce n'est pas nécessairement de garantir la représentation des différents groupes, il n'y a pas une telle garantie maintenant.

Dans un système d'élections proportionnelles, prenons mon exemple de tantôt dans une province avec dix sièges : les partis nommeraient dix candidats; quand les gens vont aux urnes, ils reçoivent une liste, partie a, b et c. Les noms sont là. Les électeurs sont en mesure, pas seulement aux urnes mais avant les élections, de comparer les listes.

Prenons l'exemple du Nouveau Brunswick : si un parti nommait seulement des anglophones sur sa liste de dix noms, tout le monde verrait cela et pourrait poser des questions. Il y avait un parti il y a quelques années qui aurait pu faire cela; heureusement, il n'a pas duré très longtemps. Il y a une façon de comparer les listes, tout est évident, et cela crée des pressions pour les partis politiques d'établir des listes selon les façons qu'ils les utilisent lors des réunions publiques, sur des bulletins, quoique ce soit. Établir une liste qui reflète assez bien la province en question.

Dans une province comme l'Ontario ou le Québec, s'il y avait peut-être 20 sièges, il y aurait peut-être deux grandes circonscriptions avec dix sièges chacun, les possibilités sont très nombreuses.

Le sénateur Chaput : Croyez-vous que le terme de huit ans suggéré dans le projet de loi pourrait changer l'indépendance du Sénat, c'est-à-dire un terme de huit ans renouvelable?

M. Franks : Cela dépend des autres questions et du moyen de choisir les sénateurs, où il y a des listes de représentation proportionnelle.

[Traduction]

En soi, je ne pense pas que ce soit dérangeant. Cependant, le contexte et les autres éléments d'influence pourraient rendre la situation dérangeante et créer le pire scénario possible, contre lequel le sénateur Murray nous met en garde.

[Français]

M. Seidle : Je ne sais pas comment on juge l'indépendance du Sénat actuel. D'après la recherche que j'ai vue, les sénateurs ont tendance à voter selon la ligne du parti la plupart du temps.

Il faut dire que même si l'indépendance est une qualité très importante aujourd'hui, il y a d'autres qualités que nous devons prendre en compte, telles que la représentativité, la crédibilité ou la légitimité du Sénat. Le projet de loi S-4 devrait contribuer de façon modeste à la crédibilité du Sénat.

Donc, dans tout changement institutionnel, il faut regarder les valeurs et les objectifs. Il n'y a jamais qu'un objectif. Si on lit le préambule de la réforme, plusieurs objectifs y sont nommés.

Le sénateur Dawson : Pour faire suite à la question du sénateur Angus de ce matin, concernant les 24 sièges sénatoriaux au Québec, l'avantage des 4 000 $, en 1867, était de s'assurer que les 24 sénateurs venaient de 24 régions différentes du Québec. On n'achetait pas un terrain d'un million de dollars pour le plaisir d'être sénateur à Ottawa. Alors qu'aujourd'hui, selon la moyenne des 30 dernières années, entre 20 à 22 sénateurs sur 24 viennent de Montréal et non des régions. Certains viennent parfois de Québec, parce que la capitale provinciale prend de la place, mais même s'il y a des exceptions — comme les sénateurs Watt et Gill —, traditionnellement, tous partis confondus, les gens qui étaient nommés au Sénat venaient de Montréal, souvent via Ottawa.

Il y avait donc un effet de protection, de défense, de promotion des régions. Peut-être pour les mauvaises raisons, parce qu'effectivement, il fallait être millionnaire pour être nommé au Sénat. Il y en a encore sûrement aujourd'hui, mais beaucoup moins qu'à ce moment. L'objectif n'était pas de nommer des gens pour protéger l'establishment financier, mais pour s'assurer que toutes les régions aient une voix, même les régions éloignées.

Ma deuxième question fait suite à celle du sénateur Segal sur la question de la nomination, par M. Mulroney, d'un sénateur élu qui venait de l'Alberta. M. Mulroney avait aussi accepté de nommer des sénateurs d'après une liste proposée par M. Bourassa, parce que respectant les provinces, il a dit : Si vous avez des normes à proposer, je vais les accepter et les nommer. Donc, on peut voir s'il y a possibilité de respecter les provinces. Si certaines provinces veulent faire élire leurs sénateurs, on les fait élire; si d'autres provinces, comme le Québec, décident de faire nommer leurs sénateurs par l'assemblée législative, c'est quelque chose qui devrait être étudié.

Monsieur Seidle, j'aimerais revenir sur votre question du voyage. Pendant longtemps, le voyage commençait par des sénateurs élus. On s'est fait dire par le gouvernement actuel que la priorité de ce gouvernement est l'élection des sénateurs; on verra de quelle façon cela sera fait, quel sera leur mandat, et où ils iront. Je suis d'accord avec vous : j'aimerais mieux savoir où ils vont que de savoir quelles sont les villes qu'ils visiteront en y allant.

Il y a trois mois, on a appris qu'ils ont changé l'agenda : ils ne commençaient plus par le mandat de la ville B mais par limiter le mandat à huit ans. On ne sait pas si ce sera des sénateurs élus — peut-être qu'on le saura demain —, on ne sait pas si ce sera des sénateurs nommés par le gouvernement à partir de listes ou d'une consultation provinciale, mais ce qu'on sait, c'est qu'on a changé les étapes.

J'aimerais savoir si vous pensez qu'on peut continuer à changer les étapes ou si on doit décider, à long terme, quels sont les changements fondamentaux qu'on aura au Sénat. Et dans cette perspective, nous allons changer le processus de nomination, nous pourrons regarder le mandat, mais surtout, il faut garder la compatibilité des pouvoirs entre le Sénat et la Chambre des communes.

J'ai eu le plaisir de siéger dans les deux Chambres et je respecte le fait que les sénateurs ont un pouvoir limité. Mais si j'étais élu, si j'avais un mandat, que ce soit de quatre ou huit ans, j'aurais une perspective très différente vis-à-vis mon rôle comme sénateur. Je pense que c'est cette question fondamentale que l'on doit adresser au tout début du processus, avant de savoir si on passe par un processus de nomination de huit, sept ou bien neuf ans et demi.

Je doute for que plusieurs sénateurs en place auraient refusé leur poste si le premier ministre d'alors leur avait dit qu'ils étaient nommés pour X années. Probablement que certains auraient dit non, mais dans mon cas, je peux honnêtement dire que si le premier ministre, l'an passé, m'avait appelé pour me dire qu'il avait un mandat de huit ans pour moi, — je ne sais pas quelle réponse aurait donnée le sénateur Segal — j'aurais dit oui, je suis prêt à servir le Parlement canadien en tant que sénateur pendant huit ans.

Mais avant tout, je savais que je le faisais selon des règles bien définies et que mon pouvoir était limité. Au fur et à mesure que l'on avance, depuis quelques mois, je m'aperçois que l'on change les règles selon les objectifs politiques à court terme d'un parti. Et cela m'inquiète un peu. Le changement fondamental qu'on a vécu, lors de l'Accord du lac Meech, était un changement multipartisan. Il y avait consensus. Nous sommes dans une situation avec un gouvernement minoritaire qui n'a pas consulté les provinces, qui nous arrive avec un projet de loi et qui nous dit : Je n'aime pas les règles telles qu'elles sont établies, je vais les changer.

Donc, ma première question est la suivante : est-ce qu'on commence par la bonne étape ou faudrait-il commencer par d'autres étapes? Exemple : régler, une fois pour toutes, la question d'un Sénat élu?

Devrait-on savoir quel sera le rôle de ce Sénat quand on aura changé les règles? Et pensez-vous que notre attitude vis-à-vis un mandat de huit ans pourrait être différente si les sénateurs étaient nommés par opposition à des sénateurs élus?

Que ce soit la CRTC ou la Commission de l'immigration, je suis convaincu qu'à la fin d'un mandat de X années, lorsque l'on est sur une commission quasi judiciaire et que l'on espère encore être renommé, notre attitude vis-à-vis l'indépendance quasi judiciaire change au fur et à mesure que l'on se rapproche de notre renouvellement.

Je suis convaincu, avec tout le respect que j'ai pour ceux qui seraient nommés pour huit ans, qu'à la fin de leur septième année, ils commenceraient à être beaucoup plus gentils avec le premier ministre du temps qu'ils ne l'ont été avec celui qui était en poste la première année.

M. Seidle : J'ai déjà parlé par quelle étape on devrait commencer et le but de tout cela. Vous aurez un visiteur distingué demain qui sera plus en mesure de répondre à cette question.

J'aimerais faire deux petits commentaires sur la question de la propriété au Québec. Oui, l'objectif, au moment de la Confédération, était tel que décrit. Je ne sais pas si, comme vous l'avez dit, 20 sur 24 des sénateurs viennent de Montréal, mais le fait que quelqu'un a 4 000 $ de propriétés quelque part ne veut pas nécessairement dire que la personne vient de cette région.

Je n'ai rien contre le sénateur Fortier, mais vient-il de Rougemont? D'après ce que j'ai lu à son sujet, c'est un Montréalais.

Au sujet des nominations de M. Bourassa, lorsque ce dernier a envoyé les quatre noms à M. Mulroney, il n'a pas attendu quatre ans. Il les a nommés tout de suite. Parmi ces quatre noms, on retrouvait le nom de deux personnes très distinguées : Mme Chaput-Rolland et M. Beaudoin qui a pris sa retraite il y a peu de temps.

[Traduction]

M. Franks : J'essaie simplement d'enjoindre tout le monde à la prudence avant d'entreprendre une réforme, parce que toute réforme a des conséquences inattendues et involontaires et qu'il faut veiller à ce que les avantages dépassent les coûts. Je ne sais pas trop comment nous pouvons y arriver une étape à la fois. Nous devons examiner la situation dans son ensemble. Dès que nous commençons à examiner la situation d'ensemble, nous voyons le Canada courir à sa perte avec une réforme constitutionnelle, s'exposer à la guerre entre les provinces, entre les régions, entre le fédéral et le provincial et tous les autres, et ce sera à qui criera le plus fort « moi, moi, moi et mes droits », une bataille qui se soldera par un résultat qui ne satisfera personne et laissera à tous un goût amer.

Le sénateur Fraser : J'aimerais faire une brève observation avant de poser mes questions, au sujet des divisions au Québec et des exigences de propriété.

La proposition intéressante de M. Seidle d'abolir les exigences de propriété, qui obligent les personnes à habiter dans leur division, aurait des conséquences en soi. Deux me viennent en tête. Premièrement, il en résulterait une immense disproportion entre les populations des divisions. Il y aurait des sénateurs qui représenteraient un million d'électeurs ou plus, si nous optons pour un Sénat élu, et d'autres qui représenteraient peut-être seulement 50 000 ou 75 000 personnes. Bien sûr la moitié nord du Québec n'aurait aucun sénateur, parce qu'elle ne faisait pas partie de la province lorsque la fameuse carte, dont il est très difficile de retracer l'histoire, a été dessinée.

Deuxièmement, je crois comprendre que l'une des principales raisons pour lesquelles ces divisions ont été établies, c'est pour assurer la représentation des Québécois de langue anglaise, la langue minoritaire au Québec, dans cette institution, et j'estime très improbable qu'il y en ait beaucoup plus ici.

Ce n'est qu'une observation. Je peux avoir tort ou raison, mais il s'agit des conséquences sans fin qui s'observent si l'on change un élément du système parlementaire.

Je veux vous poser à tous les deux cette question sur les caractéristiques fondamentales du Sénat, dont on a déjà parlé. La Cour suprême, dans un jugement célèbre, a dit, parmi beaucoup d'autres choses intéressantes, qu'il était clair que l'intention des fondateurs était de rendre le Sénat profondément indépendant pour qu'il puisse examiner minutieusement et impartialement les mesures adoptées par la Chambre des communes. C'est en fait une référence directe à ce que disait l'un des Pères de la Fédération, je pense qu'il s'agissait de George Brown, mais Macdonald et d'autres ont tenu des propos très semblables.

La Commission Wakeham a souligné la nécessité de préserver l'indépendance dans toute réforme de la Chambre des lords. Même dans le projet de loi que nous étudions, le projet de loi S-4, on dit dans le préambule que le Parlement entend préserver les caractéristiques essentielles du Sénat, lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive au sein de la démocratie parlementaire canadienne. Par conséquent, quelles que soient les autres caractéristiques pouvant être jugées essentielles ou non, seriez-vous d'avis que la capacité d'exercer un examen indépendant ferait partie des caractéristiques essentielles?

M. Franks : Plus je vieillis, plus je deviens cynique. Il est tout à fait possible que le contenu du projet de loi et l'intention exprimée entrent en conflit. Comme je l'ai exposé ici, il y a des circonstances, comme l'éventuelle fin de ce système, dans lesquelles la probabilité d'une réflexion indépendante, sereine et attentive serait réduite. Il est facile de dire qu'on procède une étape à la fois, mais s'il s'agit d'une succession d'étapes hasardeuses et qu'on ne sait jamais en quoi consistera la prochaine ni où l'on aboutira, il est risqué de se lancer dans l'aventure.

M. Seidle : Pour ce qui est de l'exercice d'une réflexion indépendante, en théorie, c'est clairement une caractéristique du Sénat qui devrait être préservée. Je ne pense toutefois pas que le mot « indépendante » a nécessairement la même signification pour toutes les personnes qui l'interprètent.

Je pense aussi que sa signification au début de la fédération et sa signification actuelle sont probablement un peu différentes. Au début de la fédération, il n'y avait pas de partis politiques organisés comme il en est apparu à la fin du XIXe siècle et comme nous les connaissons depuis.

Si le mot « indépendante » signifiait effectivement non partisane, pourquoi n'y a-t-il pas plus de sénateurs qui siègent sous la bannière indépendante? Je ne sais pas avec certitude combien il y en a en ce moment, peut-être trois ou quatre, et certains ont deux bannières comme indépendant libéral et ainsi de suite. Oui, je pense qu'il devrait être important de conserver cette caractéristique, mais le mot « indépendante » pourrait également signifier différente, judicieuse, informée, des mots qui pourraient caractériser une partie du travail des comités. Le mot « indépendante » ne veut pas tout à fait dire à part, non partisane, l'équivalent d'une cour qui siège au sein du Parlement. Il y a plusieurs nuances de sens qui sont pertinentes pour répondre à cette question.

En réponse à votre première observation, madame Fraser, sur les conséquences de modifier un élément de la formule, si nous nous en tenions à ce dicton, nous n'aurions pas de Charte des droits et libertés au Canada. Nous n'aurions pas de protection des droits de la minorité linguistique officielle. Nous n'aurions pas beaucoup des choses. Je n'essaie pas de dire que le projet de loi S-4 est vain, parce qu'il constitue une avancée modeste, mais s'il nous fait sourciller, nous n'arriverons certainement jamais à ma vision de ce en quoi devrait consister le Sénat.

Le sénateur Fraser : J'aimerais rappeler ici, comme je l'ai déjà dit au Sénat, que pendant longtemps, j'ai été en faveur de limites à la durée du mandat, le sujet même de ce projet de loi. Il reste à déterminer si la solution proposée dans ce projet de loi est la bonne, mais je ne conteste pas le fait que n'importe quel changement est, dans une certaine mesure, un pas vers l'inconnu. Cependant, nous pouvons au moins tenir compte de certains éléments dans nos réflexions.

Je vous interrogeais sur l'indépendance en raison de ce que vous avez dit, monsieur Seidle, sur le caractère renouvelable du mandat. Il me semble que pour exercer une réflexion indépendante, sereine et attentive dans une institution comme cette chambre, les sénateurs doivent pouvoir exercer leur jugement au meilleur de leurs connaissances sans être retenus par quiconque et surtout, par des pouvoirs politiques. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, comme vous, j'ai été très surprise d'apprendre que le renouvellement du mandat faisait partie du projet de loi. Il me semble, comme c'est l'un des emplois les plus merveilleux au monde, que beaucoup de sénateurs pourraient tenir beaucoup à leur emploi et vouloir être réélus. Par conséquent, ils pourraient vouloir faire tout ce qu'ils peuvent pour ne pas irriter la personne qui a le pouvoir de les renommer.

Il me semble aussi qu'un mandat de huit ans, qu'il soit renouvelable ou non, serait un peu court, mais particulièrement s'il est renouvelable, parce qu'il y a beaucoup de premiers ministres qui demeurent en poste plus de huit ans. Un premier ministre en poste pendant neuf ans aurait nommé absolument tous les membres du Sénat si ce système était complètement en place, et si nous ne prenons pas des mesures en faveur d'un Sénat élu, nous nous retrouverons avec un grand nombre de sénateurs qui essaieront de pousser ce premier ministre à renouveler leur mandat. Dans ce contexte, croyez-vous qu'il serait préférable de prolonger la durée du mandat ou non?

M. Seidle : Je ne saurais présenter mieux que vous les risques des mandats renouvelables. Pour moi, c'est comme un cheval de Troie. Si l'on regarde les objectifs stratégiques exposés dans le préambule et qu'on y réfléchit à la lumière des écueils potentiels que vous avez décrits avec beaucoup d'éloquence, il me semble qu'il y a une grande dissonance. Je ne sais pas à quel point l'indépendance que les personnes ici présentes semblent avoir tellement à cœur serait possible si les mandats étaient renouvelables. Je ne pense vraiment pas que de prolonger ce mandat un peu, à disons dix ans, ferait une très grande différence. L'essentiel, c'est que les gens auraient la possibilité, s'ils le désirent et s'ils trouvent cet emploi agréable, comme vous le dites...

Le sénateur Fraser : Pas agréable, mais tout simplement merveilleux.

M. Seidle : C'est votre adjectif, il est bien meilleur que le mien. Ces sénateurs pourront agir de façon à favoriser leur renomination, et je n'irai pas plus loin. Je recommanderais vivement, comme je l'ai déjà dit, que le projet de loi soit modifié de sorte que ces mandats ne soient pas renouvelables.

M. Franks : Il s'agit de deux scénarios possibles. Dans le premier, qui est celui dont vous parlez, monsieur Seidle et sénateur Fraser, si je ne me trompe pas, le seul changement porterait sur le mandat des sénateurs. Dans le deuxième, la modification au mandat des sénateurs serait liée à une nouvelle méthode de nomination. Dans le cas du second scénario, je ne vois pas de problème à opter pour des mandats de huit ans. Dans le cas du premier, je serais bien en peine de vous dire quelle devrait être la durée du mandat.

Le sénateur Austin : J'aimerais vous demander si l'un d'entre vous appuie la proposition de Burt Brown, de Link Byfield, d'un Sénat au tiple-E.

M. Franks : Je n'ai qu'une seule réponse : non.

M. Seidle : J'appuie tous les éléments de cette formule sauf celui de l'égalité. La seule solution possible pour le Canada serait une formule semblable à celle du Bundesrat allemand, dont on parle en science politique comme de la représentation pondérée, selon laquelle les petites unités obtiennent une représentation un peu et peut-être même considérablement plus grande que si elles avaient une représentation selon la population et les grandes unités obtiennent une représentation un peu ou beaucoup inférieure à celle qu'elles auraient selon une représentation par la population. Dans le Bundesrat allemand, les chiffres sont trois, quatre et cinq, et le système fonctionne avec ces paramètres.

Le sénateur Austin : Mon second point est celui que le sénateur Segal a abordé en premier, et je vais le présenter sous un angle plus constitutionnel. La norme judiciaire, selon la Constitution, c'est qu'on ne peut pas faire indirectement ce qu'on ne peut pas faire directement. Par conséquent, l'idée qu'un sénateur soit choisi à partir d'une liste, ce qui consiste essentiellement en un référendum sur un choix, ou qu'il y ait un nouveau système de répétition de ce type de méthode change le caractère constitutionnel de ce qu'on propose.

L'un d'entre vous voudrait-il s'exprimer à ce sujet?

M. Seidle : Je n'associerais pas tant cela aux caractéristiques propres au Sénat qu'à la formule d'amendement, et je vais répéter ce que j'ai déjà dit, c'est-à-dire que bien que l'essence de la formule d'amendement doit-être respectée, son esprit peut être remis en cause, parce que c'est sur le premier ministre que s'exercera la pression de nommer la première personne sur la liste. Cette personne se considérera élue, elle aura un mandat populaire. Je n'ai pas besoin de vous expliquer toute la logique de ce que cela signifie. C'est un aspect inquiétant de l'élection des sénateurs par l'intervention du Parlement seulement.

Le président : Il nous arrive souvent de clore nos séances avec le désir d'y revenir très vite. Si le Sénat fait du bon travail, comme vous l'avez dit tous les deux, c'est en grande partie en raison de la volonté de personnes comme vous de comparaître devant les comités du Sénat et de nous aider en partageant avec nous vos connaissances et vos réflexions.

Au nom du comité, je vous remercie sincèrement de votre contribution à nos travaux sur le projet de loi S-4 et la motion proposée par les sénateurs Murray et Austin.

Vous êtes nos premiers témoins, et il est remarquable que nous connaissions un début si complet et fulgurant sur le plan des questions abordées.

La séance est levée.


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