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REFO - Comité spécial

Réforme du Sénat (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Réforme du Sénat

Fascicule 4 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le mercredi 20 septembre 2006

Le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat se réunit aujourd'hui à 14 h 00 pour étudier la teneur du projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (durée du mandat des sénateurs), et la motion pour modifier la Constitution du Canada (la représentation des provinces de l'Ouest au Sénat).

Le sénateur Daniel Hays (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Nous poursuivons cet après-midi avec notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons John Whyte.

[Traduction]

Il est agrégé supérieur de recherche en politique de l'Institut de politiques publiques de la Saskatchewan, et par vidéoconférence, nous allons entendre M. Richard Simeon, professeur invité des études canadiennes William Lyon Mackenzie King, au Weatherhead Centre for International Affairs, Université Harvard.

Je souhaite la bienvenue à nos témoins et les invite à présenter un exposé, à la suite de quoi nous pourrons entamer un dialogue à partir des questions des sénateurs.

John Whyte, agrégé supérieur de recherche en politique, Institut de politiques publiques de la Saskatchewan, à titre personnel : Merci, monsieur le président. C'est un grand honneur d'être ici et c'est une grande joie pour les constitutionnalistes de voir que la Constitution redevient un sujet d'actualité.

J'avoue que je me sens un peu comme si j'étais sur la place Tiananmen, avec un immense portrait du président Mao qui me regarderait d'en haut, mais qui aurait les traits de M. Simeon.

Il est absolument nécessaire de réformer le Sénat. Dans les régimes démocratiques, le pouvoir politique est un pouvoir responsable. Il est limité par les règles constitutionnelles, par des mécanismes de contrôle et par le consentement des électeurs, et parfois, par ces trois éléments. Je sais que le Sénat exerce son pouvoir de façon prudente et limitée. On peut penser que cette prudence réduit en partie le déficit de légitimité démocratique et de responsabilité, mais il serait bien préférable d'assujettir ce pouvoir aux mécanismes habituels qui sont, pour les organes législatifs, les élections.

Voici quatre problèmes qui touchent la responsabilité du Sénat et ils sont tous graves. Les législateurs ne sont pas élus. Ils n'exercent pas leur pouvoir à la suite d'un choix démocratique direct. Pire encore, étant donné qu'ils ne sont pas élus, il n'y a pas d'élections et, par conséquent, les travaux du Sénat ne suscitent guère d'attention. Ce n'est pas un organe législatif transparent parce que son opacité découle de l'absence d'un processus politique et peut-être d'un manque d'intérêt — un manque d'intérêt injustifié, mais manque d'intérêt tout de même.

Le Sénat fait face à la méfiance de la population à l'égard de la loyauté de ses membres, que l'on qualifie parfois de loyauté envers les personnes qui les ont nommés et parfois qualifiée, selon un mythe des sciences politiques canadiennes, de loyauté envers les grands intérêts économiques. Je sais que ces accusations sont infondées et injustes. Elles sont toutefois à l'origine de ce déficit de légitimité.

Le travail qu'effectuent les sénateurs n'est pas contrôlé par la population. Il n'est pas surveillé par l'électorat. Les sénateurs ne sont pas directement responsables des décisions qu'ils prennent. Il est urgent de réformer le Sénat et de nombreux témoins le pensent aussi.

Dans un régime démocratique libéral qui se respecte, une telle situation est intolérable, et la seule solution est d'avoir un Sénat élu parce que les élections permettront de résoudre d'un <coup ces quatre problèmes de légitimité.

Il y a d'autres options — amputer radicalement les pouvoirs du Sénat, voire l'abolir — mais ces options auraient un coût, la disparition du bicaméralisme et un manque de représentativité, deux pertes qui me paraissent intolérables.

Robert Dahl, le spécialiste américain de sciences politiques, affirme que la démocratie repose sur deux éléments : le premier est le consentement des électeurs et le second est le respect de l'équité procédurale dans les processus judiciaires, législatifs et administratifs, ce qui veut dire que le pouvoir doit être exercé en respectant certaines limites.

Il est difficile de savoir exactement en quoi il y aurait une perte de représentativité. Selon la Loi constitutionnelle de 1867, le Sénat devait représenter les intérêts fonciers.

Il ressort de la plupart des commentaires que vous avez reçus que l'aspect positif de la représentativité du Sénat est qu'il représente les régions et les provinces et qu'il reflète un élément de la structure fédérale du Canada. Ned Franks pensait que la représentativité du Sénat offrait l'avantage que les catégories de citoyens sous-représentées seraient alors représentées au Parlement. Ces deux aspects sont précieux, tellement précieux que l'abolition du Sénat est une solution qui devrait être écartée dès le départ.

Puisqu'il faut réformer le Sénat, comment le faire? Il y a deux contraintes. La première contrainte concerne l'égalité : le suffrage égalitaire constitue une contrainte importante. Nous en sommes loin au Sénat mais c'est une contrainte. Il ne faudrait pas l'écarter entièrement et il ne faudrait pas penser que le modèle américain est acceptable dans une démocratie moderne en 2006; il y a des votes qui représentent 30, 40 ou 50 autres votes. Cela constitue un problème. La structure du Sénat devrait concilier le principe de l'égalité avec les autres aspects de la représentativité.

La deuxième limite vient du rôle que joue le Québec dans la politique nationale, qui accorde traditionnellement au Québec un quart des législateurs. C'est un principe que nous oublions souvent ou qui nous paraît parfois peu important. Si nous oublions les éléments qui ont structuré le binationalisme et qui constituent les bases morales du Canada, nous risquons de paralyser toute réforme.

Je dirais que l'amendement constitutionnel de 1982 ainsi que les très belles discussions auxquelles il a donné lieu entre le premier ministre Lévesque et le premier ministre Trudeau nous font comprendre jusqu'à un certain point les vives passions que soulèvent les arrangements traditionnels et combien il serait grave de ne pas en tenir compte.

L'entente de Charlottetown était fondé, à tort ou à raison, sur le respect du principe voulant qu'un quart de la représentation des provinces au Sénat vienne du Québec. Ce principe a inspiré à juste titre tout ce qui a été fait à Charlottetown au sujet de la réforme du Sénat et de la Chambre des communes. C'est ce qui interdit que le nombre de sénateurs soit supérieur à 108, et comprenne moins de 24 sénateurs du Québec. C'est l'écart qui existe actuellement par rapport à ce principe. Je lui accorde peut-être une trop grande importance, mais je ne le pense pas.

Il faut par conséquent réduire le nombre des sénateurs représentant les provinces de l'Atlantique, à la fois pour conserver la représentation du Québec à un niveau d'environ un quart et pour mieux respecter le principe de l'égalité. C'est peut-être l'affirmation la plus naïve que vous ayez jamais entendue, à savoir qu'il est possible de modifier le nombre actuel des sénateurs originaires des différentes régions du Canada. Malgré tout, même avec le modèle que je propose dans mon mémoire, la représentation des provinces de l'Atlantique serait deux fois et demie supérieure au pourcentage de la population qu'elles représentent, comparées à l'Ouest, pour lequel ce pourcentage est d'une fois et quart l'importance de la population. Il y a une limite à cette distorsion de la représentativité. Il faut envisager une représentation proportionnelle. C'est la meilleure façon d'élargir la représentativité, puisque cela incite les partis à créer des listes qui respectent la diversité de la population. Cela renforce non seulement l'aspect démocratique, mais également la représentativité.

Il faut imposer des restrictions au Sénat en accordant au premier ministre le pouvoir d'obliger les sénateurs à se faire réélire, dans certaines circonstances cruciales. J'ai mentionné qu'il devrait posséder un pouvoir d'urgence résiduaire en matière de dissolution du Sénat. Je ne sais pas si cela pourrait fonctionner. Il pourrait être bien préférable de tout simplement limiter le nombre des mandats. À mon avis, la moitié des sénateurs devraient être élus tous les quatre ans. Il est important de préserver la structure d'une démocratie représentative et de la responsabilité parlementaire, et un mandat de huit ans n'est pas logique de ce point de vue.

Ma cinquième remarque est qu'un mandat de huit ans serait trop long. Certains parlent de neuf, ou de six, comme si personne ne savait très bien ce qu'il fallait faire. Mais nous savons ce qu'il faut faire. Nous savons que la démocratie représentative et la responsabilité parlementaire sont des éléments essentiels du régime démocratique canadien. C'est la façon intelligente dont nous tenons des élections et dont nous demandons aux gouvernements de rendre des comptes. La responsabilité n'est pas diffuse. Nous ne voulons pas diluer la responsabilité du gouvernement. Une durée de six ans représente l'écart maximum qui soit acceptable entre la durée d'un gouvernement et le mandat de sénateur. Le fait d'élire la moitié des sénateurs tous les trois ans rapprocherait dans le temps la responsabilité qu'assume le gouvernement et celle des législateurs. Ces notions sont peut-être un peu complexes; j'y reviendrai plus tard si vous le souhaitez.

Le caractère non renouvelable d'un mandat de huit ans — s'il est non renouvelable — n'introduit aucune limite sur le plan de la responsabilité. Les mandats renouvelables de huit ans ont un effet encore plus pervers parce qu'ils entraînent un déplacement des loyautés ou des loyautés mal placées. La loyauté des sénateurs visera uniquement les personnes qui les nomment, ou elle sera perçue comme telle. Cela ne ferait qu'aggraver encore son déficit de légitimité.

Sixièmement, sur la question numéro un du Comité des affaires juridiques, j'aimerais faire une petite remarque au sujet du témoignage que vous avez entendu selon lequel le paragraphe 29(1) proposé autorise des nominations renouvelables. C'est une petite remarque au sujet de la certitude avec laquelle cette affirmation a été faite et je ne veux pas consacrer du temps à cet aspect maintenant.

Remarque numéro sept : je pense qu'il n'est pas possible de modifier, aux termes de l'article 44, le mandat de huit ans prévu à l'article 29 du projet de loi S-4. J'ai élaboré un argument juridique particulièrement long et complexe sur ce point mais en fin de compte, je dirais que je n'en suis pas certain. Sa légalité soulève de sérieux doutes. Compte tenu du temps dont nous disposons, je ne vais pas vous présenter cet argument. Je suis disposé à coucher par écrit et de vous le transmettre ou de vous en parler une autre fois.

Le neuvième commentaire porte sur l'avenir, ce qui ne concerne peut-être pas directement votre situation actuelle; cependant, lorsqu'on parle d'élections, je ne pense pas que le seul fait de qualifier ces élections de consultatives respecte la légalité, la constitutionnalité et la légitimité que doit posséder une mesure électorale qui n'a pas été approuvée aux termes du paragraphe 38(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour suprême ne s'intéresse pas tant aux termes utilisés qu'au respect des principes et de la réalité.

La dernière remarque que je veux faire est que l'on vous invite à adopter cette modification parce qu'elle est possible, et qu'une réforme plus large serait soit impossible, soit possible une fois introduit ce changement initial assez modeste.

Voilà les questions que soulève pour moi une telle stratégie : premièrement, elle n'est peut-être pas légale. Deuxièmement, nous ne savons pas s'il est possible ou non d'apporter un changement constitutionnel au Sénat. Le sénateur Murray a déclaré devant le Sénat que nous ne saurons pas ce que nous pouvons faire comme nation indépendante tant que nous n'aurons pas demandé à nos politiques et au peuple canadien ce qui est important pour eux. Je sais qu'il existe de nombreux impératifs politiques concernant le Québec qui nous invitent à faire preuve de patience avant de procéder à un changement, même un changement nécessaire et logique, mais nous ne sommes pas sûrs d'être capables de rénover nous-mêmes nos institutions législatives pour en faire des organes modernes et efficaces. Nous ne devrions pas tenir pour acquis que nous ne pouvons pas le faire.

Troisièmement, un changement limité compromettra, à mon avis, les principes démocratiques du Canada, et quatrièmement, il serait encore plus préjudiciable de procéder à cette modification et de s'arrêter là.

Je vous invite à réformer le Sénat mais pas à adopter ce modeste changement.

Le président : Merci.

Je vais maintenant demander à M. Simeon de nous présenter son exposé.

Richard Simeon, professeur invité des études canadiennes William Lyon Mackenzie King, Weatherhead Centre for International Affairs, Université Harvard, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. C'est un honneur et un privilège.

Je vous demande de m'excuser de ne pas vous avoir préparé de mémoire. Le préavis assez court qui m'a été accordé, combiné à d'autres obligations et à mon déménagement à Harvard, m'ont empêché de le faire. Mais j'ai préparé un bref document et vous en parlerai cet après-midi. J'espère que vous le trouverez utile.

Une fois de plus, le sujet est la réforme du Sénat. Je ne sais pas très bien pourquoi. Je ne vois guère de citoyens en train de réclamer une réforme à grands cris; on pourrait dire que la réforme du Sénat est beaucoup moins urgente que d'autres mesures qui pourraient réduire le déficit démocratique qui existe au Canada, comme la réforme du régime électoral ou de la Chambre des communes. Le projet de loi S-4 a toutefois été présenté, tout comme la proposition des sénateurs Austin et Murray qui vise à modifier la répartition des sièges. D'autres propositions suivront, notamment au sujet de la possibilité d'élire les membres du Sénat. Il s'agit de savoir s'il est préférable d'apporter maintenant quelques modifications modestes — et de ne pas procéder aux changements complets que propose M. Whyte — ou s'il est inévitable qu'après avoir pris ce chemin, nous serons obligés de nous pencher sur les autres questions, notamment le processus de nomination, les pouvoirs et le reste.

Permettez-moi de commencer par vous livrer quelques réflexions générales. L'ampleur de la rénovation du Sénat dépendra dans une grande mesure du rôle que nous aimerions lui voir jouer. Deux de ces rôles sont mentionnés dans le préambule du projet de loi : répondre aux besoins des régions du Canada, ce que l'on désigne habituellement par l'expression représentation régionale, et faire du Sénat un lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive.

Comme de nombreux témoins l'ont fait remarquer, la plus grande qualité actuelle du Sénat est d'être un lieu de réflexion. Cela englobe un examen approfondi des mesures législatives, examen que la Chambre n'a pas toujours le temps ni l'envie d'effectuer, ainsi que les grandes enquêtes sur des sujets d'intérêt public qu'effectue également le Sénat. Le fait que les sénateurs soient nommés par le premier ministre risque à première vue d'en compromettre l'indépendance. Cependant, en pratique, le Sénat agit généralement avec une grande indépendance. Il ne semble pas qu'il faille changer grand-chose pour que le Sénat demeure un lieu de réflexion sereine et attentive. Un mandat d'une durée de huit faciliterait un certain renouvellement des idées. Améliorer l'équilibre entre les régions serait une excellente mesure qui diversifierait davantage les points de vue présentés. La mise en place d'un processus de nomination des sénateurs qui serait non partisan constituerait également une grande amélioration. Je ne pense pas que ce rôle de lieu de réflexion sereine et attentive exige que l'on procède immédiatement à des changements.

La représentation des régions au niveau fédéral est la raison d'être classique d'une deuxième chambre dans les sociétés divisées sur les plans linguistique et régional, comme le Canada. C'est le rôle dont notre Sénat n'a pas réussi à s'acquitter. Cela ne veut pas dire que les sénateurs présentent mal le point de vue de leur région ou de leur province. Il est évident que la plupart le font très bien. Cela veut dire que leur capacité de jouer ce rôle est viciée par le processus de nomination utilisé et par le fait que le Sénat ne repose sur aucune base démocratique légitime. Il ne représente ni les provinces, ni leurs gouvernements, comme en Allemagne ou en Afrique du Sud, ni la population, comme en Australie ou aux États-Unis.

Cette lacune est particulièrement grave pour le Canada parce que la Chambre des communes n'assure pas non plus une bonne représentation des régions. Cela s'explique par plusieurs raisons, d'abord par un système majoritaire uninominal, qui déforme gravement le rapport entre le nombre des sièges et celui des votes, et un système parlementaire qui concentre autant de pouvoirs entre les mains du gouvernement. Le premier élément favorise un système de partis fortement régionalisés et le second a pour conséquence que certaines régions ou certaines provinces risquent de se sentir écartées du pouvoir à Ottawa, ce qui a pour effet d'aviver le sentiment d'aliénation et les conflits régionaux.

Un Sénat qui représenterait mieux les provinces et aurait une base légitime serait bien sûr une des façons de remédier à ce problème, même si ce n'est pas une solution facile à mettre en œuvre. Là encore, la réforme de la Chambre des communes et du système électoral pourrait également remédier à ces difficultés.

Récemment, deux autres rôles possibles du Sénat ont suscité beaucoup d'attention. La première est l'idée que l'on pourrait utiliser le Sénat pour donner une voix politique aux membres des minorités qui ne seraient peut-être pas autrement représentés, en particulier compte tenu de notre système électoral et de la répartition actuelle des sièges à la Chambre des communes. Nous pourrions parler ici de minorités électoralement désavantagées — et je pense là aux Autochtones, aux minorités visibles, aux personnes qui résident dans nos grands centres urbains et qui sont gravement sous-représentés avec notre système actuel.

Plusieurs sénateurs et témoins ont fait remarquer que le Sénat actuel, malgré ses défauts, est d'une certaine façon plus représentatif de ces minorités que la Chambre des communes, pour la simple raison que le premier ministre dispose d'une grande latitude dans l'exercice de son pouvoir de nomination et que son choix ne dépend pas des caprices des résultats électoraux. Il serait souhaitable que le Sénat renforce ce rôle, un objectif légitime, et j'aimerais que l'on tente de le faire.

L'autre rôle que pourrait jouer le Sénat est devenir une chambre législative disposant de pleins pouvoirs, comme c'est le cas aux États-Unis. Cette solution n'est pas souvent mentionnée par les politiques au Canada, parce que nous craignons les gouvernements divisés et bloqués et parce que nous accordons une grande importance au principe du gouvernement responsable. Ce modèle est toutefois implicite dans la proposition d'un Sénat triple E, dans lequel un Sénat élu aurait au moins autant de légitimité démocratique que la Chambre des communes.

Avec ce scénario, il serait pratiquement certain que nous adopterions le système américain. Le gouvernement, même s'il serait encore principalement responsable devant la Chambre des communes, deviendrait en fait responsable devant les deux Chambres, et il est presque certain que la retenue dont le Sénat fait preuve à l'heure actuelle à l'endroit de la Chambre des communes disparaîtrait.

La façon la plus évidente de régler ce problème est de limiter les pouvoirs du Sénat pour qu'il ne soit pas sur un pied d'égalité avec la Chambre des communes, sauf pour les questions financières. Comme en Afrique du Sud, le Sénat pourrait posséder des pouvoirs plus larges pour les projets de loi qui touchent directement les provinces, ce qui renforcerait son rôle de représentation des régions; on pourrait également accorder au Sénat un veto qui ne serait que suspensif dans la plupart des cas; on pourrait également adopter des dispositions autorisant la Chambre des communes à passer outre à un tel veto.

Je ne suis toutefois pas certain que ces différentes façons de circonscrire les pouvoirs du Sénat donneront de bons résultats à long terme. Quels que soient les pouvoirs qui lui seraient attribués officiellement, un Sénat élu pour une durée supérieure à celle du mandat des députés, qui représenteraient l'ensemble d'une province et non des circonscriptions individuelles, aurait un poids politique auquel il serait difficile de résister.

Je vais maintenant vous présenter certaines propositions précises, à la lumière de ces réflexions générales.

Je vais maintenant parler du sujet du projet de loi S-4. Je pense que le Parlement a le pouvoir de modifier seul la durée du mandat du sénateur et de la faire passer à huit ans. Je ne suis pas d'accord sur ce point avec M. Whyte. Cela serait facile à faire. Je n'ai pas d'idée bien arrêtée au sujet de cette durée qui pourrait être de sept, huit, neuf ou 10 ans. Je suis par contre convaincu que ces mandats ne devraient pas être renouvelables, si l'on veut pouvoir apporter des points de vue nouveaux à la Chambre et préserver son indépendance.

Je ne suis guère influencé par l'argument selon lequel des mandats d'une telle durée modifieraient gravement le rôle essentiel que joue le Sénat. Je pense que le rôle de lieu de réflexion sereine et attentive pourrait fort bien résister à un tel changement et là encore, je ne vois pas de graves problèmes constitutionnels.

Il arrive toutefois que les propositions simples soulèvent des problèmes graves. J'ai été frappé, à la lecture des débats, par l'idée qu'un premier ministre qui resterait à ce poste pendant de longues années — et nous en avons eu plusieurs — pourrait en fin de compte nommer tous les membres du Sénat, ce qui n'est pas souhaitable pour son indépendance. Il me paraît extrêmement important de jumeler la réduction de la durée des mandats à une amélioration de la méthode de nomination des sénateurs, aspect sur lequel je reviendrai.

Deuxièmement, la modification de la répartition des sièges est une autre question qui exigerait le recours au mode général de révision, ce qui soulèverait toutes sortes de difficultés. Cela est regrettable parce qu'il serait bien évidemment extrêmement souhaitable de rééquilibrer la représentation de la population au Sénat, et surtout de l'aligner sur les prévisions démographiques, ce qui aurait déjà dû être fait.

Le nombre des membres de la seconde chambre qui représentent un État ou une province varie beaucoup d'une fédération à l'autre. Presque tous les spécialistes estiment qu'un des rôles du Sénat est de réduire quelque peu le pouvoir des majorités et d'accorder plus de poids aux régions géographiques et à les surreprésenter. Cela est souhaitable mais, compte tenu des écarts énormes auxquels M. Whyte fait référence, il me paraît très difficile de défendre le principe du suffrage égalitaire. Il semble plus raisonnable d'adopter une solution intermédiaire, comme l'ont fait l'Allemagne et l'Australie, même si je reconnais qu'il est impossible de dire exactement où il faut fixer la limite.

Je suis sensible au point de vue des personnes originaires de certaines provinces maritimes en particulier, qui pensent que la répartition actuelle des sièges fait partie de l'entente initiale sur la Confédération et qu'il ne faudrait donc pas la modifier sans raison. Je ne pense toutefois pas que cela veuille dire qu'elle doit être immuable.

Pour résumer, j'estime que le projet de loi S-4 ainsi que la résolution Austin-Murray constituent des réformes modestes, progressives et souhaitables, et j'y suis favorable.

Enfin, permettez-moi d'aborder la question plus large du mécanisme de nomination. Je reconnais que l'élection est la seule voie légitime dans une démocratie moderne, mais nous devrions peut-être nous demander si une réforme du processus de nomination ne permettrait pas de remédier à certains problèmes de légitimité démocratique, tout en évitant d'en soulever d'autres. Si nous choisissons l'élection, il faudra faire preuve d'une grande prudence dans la mise en œuvre de cette solution.

Si nous conservons la nomination, il est difficile de défendre la pratique actuelle, qui est une relique du passé. Il y a des façons de conserver la méthode de la nomination, tout en répondant aux critères de la démocratie et de la légitimité, et en renforçant la capacité du Sénat de jouer son rôle premier de lieu de réflexion et de représentation des régions.

On pourrait tout d'abord s'inspirer de la façon dont l'Ontario, et sans doute d'autres provinces, choisissent les juges provinciaux. Les intéressés pourraient présenter leur candidature ou d'autres pourraient le faire pour eux; ces candidatures pourraient être confirmées par un groupe non partisan, qui présenterait ensuite une liste de candidats au premier ministre, qui ferait le choix final. Il serait facile d'aménager un tel processus avec les règles actuelles.

Autre solution, M. Franks a proposé un comité dont un tiers des membres serait nommé par le premier ministre, un tiers par les assemblées législatives provinciales et un tiers représenterait les personnes célèbres et généreuses, qui seraient choisis parmi les membres de l'Ordre du Canada. Le volet Ordre du Canada de cette proposition me paraît rappeler un peu trop notre ancienne aristocratie.

Ma propre idée, que je n'ai pas développée complètement, est que l'on pourrait créer, par voie législative, un conseil de nomination des sénateurs dans toutes les provinces. Ce conseil serait composé de représentants des partis provinciaux qui détiennent des sièges à la Chambre des communes et à l'assemblée législative concernée, ou il pourrait être fondé sur le pourcentage des votes obtenus au cours de la dernière élection. Par exemple, tout parti ayant obtenu 10 p. 100 ou plus des votes dans chacune des assemblées législatives serait représenté à ce conseil. On pourrait également y nommer des représentants des gouvernements municipaux. Le comité pourrait soit proposer un seul nom au premier ministre, soit une liste de noms.

Une loi qui obligerait le premier ministre à nommer le candidat présenté par le comité exigerait bien sûr que l'on procède à une révision constitutionnelle. Cette loi pourrait également expressément demander à ce conseil d'effectuer ses choix en tenant compte de la dichotomie région urbaine/région rurale, homme/femme, et du respect des minorités.

Un tel processus de nomination offre un certain nombre d'avantages. Il renforcerait l'indépendance des sénateurs; il améliorerait la représentation des régions et des autres secteurs de la société au Sénat; il serait beaucoup plus facile à mettre en place qu'un processus électoral.

Comme je l'ai dit, l'élection est la solution par défaut dans une démocratie. Dans un monde idéal, je serais tout à fait en faveur de cette solution, mais comment la mettre en œuvre? Nous n'avons pas encore pris connaissance du projet de loi que doit présenter le gouvernement, mais s'il propose un processus séquentiel dans lequel il y aurait une élection provinciale chaque fois qu'un poste de sénateur serait vacant, je pense que cela causerait de graves problèmes. Il y aurait le risque grave que le parti au pouvoir dans la province continue à faire élire des membres de son parti. Il serait donc peu probable que les sénateurs de cette province reflètent véritablement la diversité qui y règne.

Cela renforcerait eu lieu de diminuer la perception actuelle selon laquelle les provinces ont des opinions politiques homogènes. Cela reviendrait à transposer au Sénat en l'exacerbant un problème que connaît déjà la Chambre des communes.

Il serait bien préférable d'avoir une élection sénatoriale provinciale tous les huit ans ou mieux, de façon fractionnée, peut-être la moitié de la représentation tous les quatre ans. Ces élections ne devraient pas se faire selon un système majoritaire. Le Canada devrait peut-être utiliser dans ce cas la représentation proportionnelle.

Nous savons que la représentation proportionnelle est plus équitable parce qu'elle réduit l'écart entre le nombre des sièges et celui des votes, et l'expérience des autres pays nous enseigne également que ce type de représentation favorise la diversification de la représentation, en particulier celle des femmes et des minorités. La représentation proportionnelle atténuerait également la discrimination exercée contre les secteurs urbains qu'entraîne le système actuel, parce qu'alors chaque vote aurait le même poids, quelle que soit la région où vit l'électeur en question. Il serait difficile d'en arriver à une proportionnalité pure, en particulier dans les provinces qui nomment peu de sièges, mais nous pourrions nous en approcher.

Il ne sera pas facile de s'entendre sur un Sénat élu, mais cela pose également quelques problèmes nouveaux et complexes. C'est pourquoi je pense qu'un processus de nomination réformé, plutôt que l'élection, est un deuxième choix faisable qui mérite d'être examiné. Je dois vous avouer que ce n'est pas la solution que je m'attendais à vous proposer lorsque j'ai commencé à préparer ma comparution.

En conclusion, si je devais choisir un ensemble de mesures pour réformer le Sénat, elles comprendraient la révision de la répartition des sièges proposée par les sénateurs Austin et Murray, le mandat de huit ans, la préservation du système de nomination, mais en utilisant la méthode beaucoup plus transparente et démocratique que j'ai proposée. Une telle réforme modifierait idéalement les pouvoirs du Sénat dans le but de réaffirmer clairement ses deux rôles principaux, mais cela serait un processus complexe. Il serait peut-être par contre plus applicable que certaines autres solutions.

Le président : Merci. Nous allons passer aux commentaires et aux questions avec le sénateur Angus.

Le sénateur Angus : Monsieur Simeon, je vais commencer par vous poser une question. Le fait que vous ayez retenu la nomination pour les sénateurs m'intrigue. Connaissez-vous bien la notion d'assemblée de citoyens?

M. Simeon : En fait, je la connais bien.

Le sénateur Angus : Pourriez-vous nous en dire davantage? Nous avons entendu des témoins de la Colombie- Britannique qui étaient, je crois, les premiers à avoir effectivement mis sur pied un tel système. Pourriez-vous nous dire ce que vous savez à ce sujet? Y a-t-il un aspect de cette idée qui pourrait être utile pour ce nouveau processus de nomination?

M. Simeon : La principale leçon à tirer du processus utilisé en Colombie-Britannique est qu'il existe d'autres façons de vivre la démocratie et que les élections ne sont pas le seul moyen de le faire. L'expérience de cette province est fascinante. Ils voulaient soustraire ce processus aux intérêts des partis et à l'intervention du gouvernement. Ils voulaient un processus qui soit à l'abri de ces pressions. Ils ont mis sur pied un mécanisme extrêmement intéressant qui consistait à choisir au hasard des citoyens intéressés. Ces citoyens ont ensuite procédé à des délibérations approfondies et proposé une suggestion, qui a été présentée à la population par référendum. La proposition a été rejetée mais de peu. Néanmoins, si ce mécanisme ne pourrait peut-être pas être utilisé partout, il illustre l'imagination et la créativité dont nous devons faire preuve pour trouver d'autres façons de mettre en œuvre la démocratie dans un pays aussi complexe que le Canada.

Le sénateur Angus : Monsieur Whyte, votre thèse portait sur le fait que vous n'étiez pas favorable au processus que le gouvernement avait élaboré — un genre d'approche étapiste à la réforme du Sénat en commençant par le Parlement et en prenant des mesures relevant de nos compétences. Il faut avaler la pilule et procéder à une réforme approfondie d'un seul coup; est-ce bien cela?

M. Whyte : Oui. Je ne voudrais pas faire preuve de naïveté à l'égard de la réalité politique, mais cette première mesure a toutes les chances de retarder la réforme du Sénat et ne devrait pas être adoptée. Oui, il faut procéder de façon globale à la réforme du Sénat parce que les constitutions traitent uniquement de relations de surveillance et de répartition des préférences en matière de pouvoirs dans le but d'obtenir certains résultats. Les constitutions ont pour but de structurer le pouvoir de façon à mettre sur pied un gouvernement sûr et non tyrannique, ce qui veut dire qu'il faut tout prévoir. Il faut concevoir la constitution. C'est comme une horloge. On ne parle d'habileté politique pour rien; ce n'est pas parce qu'on tire à la courte paille en espérant que les choses vont s'améliorer. C'est une des raisons pour lesquelles les accords de Charlottetown et du lac Meech ont échoué. La population n'a pas été en mesure de prévoir ce que donnerait la dynamique créée par l'existence de ces 10 brins de paille. Nous aurions peut-être dû choisir cette solution. J'en suis venu à regretter mon opposition à l'accord du lac Meech mais le fait qu'il ne parle pas de structure était l'une de ses faiblesses.

J'aime l'idée de trouver des façons imaginatives et nouvelles de mettre en œuvre la démocratie mais je suis sceptique. Je ne vais pas poursuivre dans cette veine parce que ce n'est pas la question dont nous débattons.

Le sénateur Angus : Je suis heureux de vous entendre reconnaître publiquement que vous étiez opposé à l'accord du lac Meech et que vous le regrettez aujourd'hui.

M. Whyte : Je suis ambivalent. Disons que je regrette m'y être opposé aussi vivement.

Le sénateur Angus : L'accord du lac Meech était une solution globale à un problème national grave mais cela a été un échec, tout comme l'entente de Charlottetown. Le gouvernement est convaincu que le projet de loi S-4 est un changement très mineur. Le gouvernement a reconnu qu'il fallait faire quelque chose et il a choisi de procéder de cette façon. Je comprends mal que vous rejetiez carrément cette initiative. Le premier ministre Harper a comparu devant le comité il y a deux semaines et il a déclaré clairement qu'il ne comptait pas se satisfaire de ce mandat de huit ans. Il a en fait l'intention de présenter plus tard cet automne un nouveau processus de nomination qui pourrait comprendre des élections ou des consultations.

Nous devons tenir pour acquis que le gouvernement est de bonne foi. Que quelqu'un de votre stature et de votre réputation intellectuelle vienne ici rejeter ces initiatives du revers de la main me gêne un peu. Je sais que vous êtes de bonne foi lorsque vous dites que ce projet de loi risque d'entraîner de graves problèmes. Vous serez peut-être amené à regretter plus rapidement d'avoir fait ce choix dans ce cas-ci.

M. Whyte : Pas aujourd'hui en tout cas. Je ne pense pas avoir rejeté le projet de loi S-4 du revers de la main. J'estime que le projet de loi S-4 n'est pas une initiative prudente parce qu'il introduit un changement qui, à lui seul, va saper davantage la légitimité et le fonctionnement du Sénat canadien et que cela causera un problème grave. Bref, il tend à saper la confiance dans la politique nationale.

Le sénateur Angus : Et que fait le statu quo par opposition à cette autre solution?

M. Whyte : Le statu quo ne sape pas la confiance dans la politique nationale parce que c'est simplement une tradition canadienne. Le statu quo n'aggrave pas la situation mais ce n'est pas non plus une bonne chose. Nous méritons d'avoir un processus législatif moderne qui reflète tous les principes démocratiques. Nous sommes une nation indépendante et nous devrions être capables de créer un processus législatif qui respecte les principes fondamentaux des assemblées législatives nationales. Nous devrions remédier aux lacunes de notre gouvernement national et essayer de les combler.

Le sénateur Angus : C'est une déclaration admirable et dans un monde parfait, tout le monde serait d'accord. Reste que tous ceux qui sont ici connaissent bien la maxime « la politique est l'art du possible ». Cela vient de la nature de notre démocratie canadienne. Nous vivons dans un environnement politique où nous ne pouvons faire que ce qui est possible.

J'ai du mal toutefois à comprendre votre démarche, monsieur Whyte. Le comité a entendu des témoins qui ont affirmé que la réforme du Sénat n'était pas une question aussi importante aujourd'hui qu'elle l'était il y a 10 ans parce que des mesures ont été prises pour remédier à l'aliénation ressentie dans l'Ouest du pays. Les architectes d'un Sénat Triple E disent que ce mouvement n'est plus un mouvement et que peut-être le seul partisan qui reste est Burt Brown. Ils affirment que la réforme de la Chambre des communes et du système électoral est plus urgente que celle du Sénat.

Monsieur Whyte, une refonte complète du Sénat ne fait pas partie des priorités. Pouvez-vous commenter cela?

M. Whyte : Vous ne m'avez pas invité ici à cause de mon sens aigu des subtilités du contexte politique dans lequel le Canada se trouve aujourd'hui. Je n'ai pas honte d'adopter un point de vue constitutionnel puriste et de dire que la structure du pouvoir législatif au Canada n'est pas démocratique. Le Sénat prévu par la Constitution ne peut fonctionner correctement, et je vais être direct, il est irresponsable que l'on cherche à remédier aux lacunes de la structure du pouvoir législatif sans se fonder sur les principes constitutionnels fondamentaux. Il est irresponsable de modifier une Constitution sans se fonder sur des principes constitutionnels clairs et acceptés par la plupart des gens.

Permettez-moi de faire abstraction de mon manque de sensibilité aux aspects politiques et de vous dire que nous ne savons pas si la réforme du Sénat est ou n'est pas un projet politique intéressant. Nous craignons que le Québec dise : « Nous refuserons de modifier la partie de la Constitution qui concerne le Sénat tant que nos autres griefs n'auront pas été réglés. » Nous craignons que le Québec dise : « étant donné que nous n'avons pas signé la Loi constitutionnelle de 1982, il nous est impossible de participer à un processus de révision qui utilise les formules que l'on trouve dans la Constitution de 1982. » Cela paralyserait ou du moins exacerberait les tensions binationales que connaît notre pays.

Nous ne savons pas si les Canadiens, y compris les Canadiens du Québec, n'aimeraient pas qu'on leur parle du processus législatif au palier national et qu'on leur dise qu'on voudrait qu'il reflète mieux les valeurs démocratiques fondamentales. Il est fort possible qu'ils trouveraient cela intéressant et important. Ce pourrait être une source de fierté pour une nation qui cherche à agir comme une nation dans le fonctionnement de ses institutions.

Je suis peut-être la personne la plus romantique qui ait fait appel aux Canadiens pour leur demander de faire en sorte que leurs institutions politiques nationales fonctionnent de façon plus efficace, plus logique et en fonction de principes reflétant les idées démocratiques; mais je ne suis pas certain d'être cette personne. Pourquoi ne pas prendre le risque?

Le sénateur Angus : Voilà qui est très intéressant et audacieux.

Le sénateur Harb : Si l'on se fie aux commentaires de M. Whyte, on pourrait penser que cette opération aurait pour effet de rétablir la confiance de la population dans les institutions du gouvernement, dans le cas où nous déciderions d'avoir un Sénat élu. On pourrait se demander dans ce cas, pourquoi ces gens de l'autre Chambre qui sont élus par la population viennent encore après les journalistes, les avocats et les vendeurs de voitures pour ce qui est de la confiance de la population. Si le but est de rétablir la confiance de la population, il ne faudrait pas oublier que ce n'est pas ce qui se produit de l'autre côté. J'aimerais avoir vos commentaires sur ce point.

Ma deuxième question porte sur la représentation proportionnelle. En quoi cet élément servirait la démocratie au Canada, étant donné que depuis les années 1950, chaque élection a vu une diminution du pourcentage des votants au point où ce pourcentage oscille entre 58 et 62 p. 100. Cette tendance est irréversible. Comment pensez-vous que le recours à la représentation proportionnelle pourrait renforcer la démocratie? Que pensez-vous d'introduire le vote obligatoire, ce qui donnerait une meilleure chance de succès à la représentation proportionnelle?

M. Simeon : La façon la plus évidente dont la représentation proportionnelle sert la démocratie est qu'elle établit un lien direct entre le nombre des suffrages exprimés et le nombre des sièges obtenus. Il existe à l'heure actuelle des distorsions énormes dans ce domaine. Les gouvernements sont régulièrement élus en obtenant un nombre de suffrages bien inférieur à la majorité. Cela amène les Canadiens à croire que voter est une perte de temps et que leur vote ne sert à rien parce qu'il ne compte pas. C'est de loin le principal avantage de cette méthode.

Elle comporte un autre avantage. Les comparaisons avec les pays étrangers montrent que la représentation proportionnelle représente beaucoup mieux les groupes comme les femmes et les minorités que notre suffrage majoritaire. Cette méthode débouche sur des assemblées législatives plus représentatives et plus diversifiées, ce qui est bon pour la démocratie. Il existe différentes façons de mettre en œuvre la représentation proportionnelle. Il est bon de rappeler que c'est le système qui est le plus largement utilisé, et de loin, dans les pays démocratiques.

Je n'ai jamais beaucoup réfléchi à la question de savoir si le vote obligatoire était une bonne chose, mais il est évident qu'il ne règlerait aucunement le problème de représentativité que la représentation proportionnelle permet de résoudre.

M. Whyte : La population n'a pas confiance dans les politiques car, bien souvent, ils n'ont pas le courage de faire ce qu'il faut faire. Ils n'ont pas le courage de lancer des initiatives dans le domaine de la gouvernance, ce qu'exige une nation, et de les mettre en œuvre. Ils cherchent plutôt à obtenir des avantages au jour le jour en procédant, par exemple, à des réformes ponctuelles et très dangereuses de la Constitution. Je ne veux pas dire que la méfiance envers les politiques vise également le Sénat actuel. Je dirais plutôt qu'actuellement, le Sénat n'a guère d'importance sur le plan politique. Je sais que les sénateurs travaillent beaucoup et qu'ils font un excellent travail de réflexion. Ils tiennent des audiences, ils se déplacent et ils entendent les citoyens, mais cela ne marque pas la population.

Le Sénat est une chambre législative qui est chargée, entre autres choses, d'adopter les lois fédérales. Le Sénat devrait jouer son rôle plus large de chambre de réflexion et renforcer sa représentativité. Voilà le constat que je voulais faire au sujet des politiques et de la confiance.

Le sénateur Harb : Monsieur Whyte, vous avez mentionné la réforme de l'autre Chambre. J'aimerais entendre vos commentaires sur la façon dont fonctionne le système de ce côté-là. Les projets de loi sont préparés par l'exécutif qui les présente à la Chambre des communes, qui les adopte ou les rejette. C'est la façon dont fonctionne notre système. On peut penser qu'une partie de ce cynisme s'explique par le fait qu'il y a des conflits dans l'autre Chambre. Si le gouvernement voulait vraiment que les législateurs examinent les projets de loi déposés, alors il ne voterait pas sur les mesures qu'il a proposées mais laisserait ce soin aux législateurs.

Si l'on compare les deux Chambres, il n'y a qu'au Sénat, à l'exception du leader du gouvernement au Sénat, que les législateurs ne se trouvent pas en conflit d'intérêts. C'est ce qui leur permet d'examiner sereinement le fond et le mérite des mesures proposées. Pensez-vous que la réforme de l'autre Chambre devrait interdire au pouvoir exécutif de voter sur les mesures législatives qu'il propose?

M. Whyte : Le gouvernement responsable est une piètre application du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, cela est certain. C'est toutefois le régime que nous avons choisi parce qu'il nous offre d'autres avantages.

Les deux principaux avantages sont que, premièrement, les électeurs votent pour un programme politique global et complet, compte tenu de l'intégrité du processus électoral et de la campagne électorale. Deuxièmement, lorsqu'il s'agit de superviser, de réviser ou de confirmer l'action du gouvernement, nous savons que celui-ci est responsable — responsable devant le Parlement — et que c'est le programme du gouvernement qui a été mis en œuvre et que celui-ci ne peut en rejeter la responsabilité sur le Congrès, sur le Sénat ou sur la Chambre des représentants. Bien sûr, de nos jours, cette responsabilité pourrait être rejetée sur les tribunaux.

Le gouvernement responsable est un excellent mécanisme démocratique. Pour ce qui est du Sénat, je suis absolument convaincu que l'on pourrait atténuer le principe d'un gouvernement responsable. Par contre, je ne pense pas qu'il devrait être atténué dans le cas de la Chambre des communes.

Il se passerait une chose fort intéressante si le Sénat devenait indépendant, votait comme il l'entendait et ne se trouvait pas en conflits d'intérêts; nous risquerions fort d'être incapables de mettre en œuvre le programme législatif du gouvernement. Cela pourrait déboucher sur une forme de paralysie.

C'est la raison pour laquelle nous espérons qu'un certain nombre de choses vont se produire. Premièrement, il faut espérer que le premier ministre dispose de certains leviers. J'ai parlé de certaines situations extrêmes dans lesquelles il pourrait y avoir dissolution — une participation active à des élections triennales; peut-être des nominations de traitements et salaires —excusez-moi, c'est un mot anglais qui semble péjoratif mais ce n'est pas le cas; il faut reconnaître qu'il y aurait davantage de membres du gouvernement siégeant au Sénat qu'il y en a actuellement — dans un Sénat élu. En fait, il me semble tout à fait improbable qu'il n'y en ait pas.

Il existe un quatrième moyen grâce auquel l'indépendance que connaîtrait le Sénat ne paralyserait pas le gouvernement; il faudrait que le Sénat fasse preuve de retenue, c'est-à-dire qu'il ne décide de bloquer un projet de loi que lorsque cela est important, pas seulement pour embarrasser le gouvernement.

Ma réponse est que non, je suis favorable à un gouvernement responsable devant la Chambre des communes et à un gouvernement responsable devant le Sénat, même si je reconnais qu'un Sénat élu serait beaucoup plus indépendant.

M. Simeon a déclaré avec raison que le plan actuel supprimerait l'indépendance du Sénat. Tous les sénateurs seraient nommés pour un bref mandat.

Le gouvernement responsable n'a pas autant de pouvoir au Sénat, mais il apparaîtrait des mécanismes qui viendraient limiter l'autonomie têtue des sénateurs.

M. Simeon : Je ne suis pas tout à fait d'accord avec M. Whyte. Je pense qu'il sous-estime la mesure dans laquelle un Sénat dont les membres seraient élus pour un long mandat à la suite d'une élection provinciale acquerrait une légitimité et une force politiques qui pourraient, non pas immédiatement mais progressivement, faire concurrence à celles de la Chambre des communes.

Cela dit, il est très difficile de faire fonctionner un gouvernement responsable, tel qu'il est à l'heure actuelle. Il serait peut-être possible, comme je l'ai suggéré, de créer un Sénat élu possédant un poids politique important, mais en limitant ses pouvoirs de diverses façons, en ne l'autorisant à voter que sur certains genres de projets de loi, en autorisant la Chambre des communes à passer outre à son veto en adoptant une résolution à une majorité donnée ou en ne l'autorisant qu'à suspendre et non pas à rejeter les projets de loi provenant de la Chambre des communes.

Je pense qu'avec un Sénat dont la légitimité démocratique serait renforcée, ce genre de limites n'aurait guère d'effet. Nous nous engagerions dans une voie — et il y a des gens qui le souhaiteraient, et ce n'est pas nécessairement négatif — qui nous amènerait à un système congressionnel américain.

Le sénateur Tkachuk : Notre démocratie a 139 ans. La démocratie américaine a plus de 200 ans. Je ne sais pas quel âge a la démocratie britannique. Je dirais néanmoins que les choses changent petit à petit.

Je suis un peu préoccupé par votre crainte à l'égard d'un mandat de huit ans. C'est une modification législative. Ce n'est pas une modification constitutionnelle, ce qui veut dire que cette disposition pourrait être changée à l'avenir si le pays risquait de s'écrouler parce que les sénateurs sont nommés pour huit ans, chose dont je doute fort.

Au Canada, nous avons évolué et apporté des changements à notre système démocratique. M. Diefenbaker a essayé de rapatrier la Constitution. Il a obtenu la Déclaration des droits. Nous avons ensuite eu la Charte des droits et libertés. Tous les autres changements ont été introduits progressivement. Le projet de loi S-4 est simplement un projet de loi qui fixe à huit ans la durée du mandat des sénateurs au lieu de prolonger leur mandat jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de la retraite à 75 ans.

Je comprends les arguments de ceux qui ont dit que les premiers ministres auraient le droit de nommer tous les sénateurs sur une période de deux ans. En réalité, à l'heure actuelle, sur une période de trois ans, le premier ministre peut nommer une forte majorité de sénateurs. Les premiers ministres ont toujours veillé à ce qu'il y ait une opposition.

Je ne comprends pas pourquoi cela suscite tant d'inquiétude et pourquoi vous pensez qu'il faudrait organiser une conférence constitutionnelle pour parler de la réforme du Sénat alors qu'il est possible de faire beaucoup de choses petit à petit et voir ensuite ce qu'elles donnent. C'est la façon traditionnelle de faire les choses au Canada.

M. Whyte : Je pense que nommer un sénateur à vie lui donne une indépendance législative — il n'est responsable devant personne. Nommer un sénateur pour un mandat renouvelable d'une durée de huit ans donne deux choses, comme le sénateur LeBreton l'a fait remarquer — cela renforce la légitimité et les pouvoirs du Sénat sans augmenter en quoi que ce soit sa responsabilité.

Deuxièmement, cela entraîne une très grande loyauté envers le pouvoir exécutif, les gens qui s'occupent des décrets en conseil. Cela donne un Sénat dont le déficit de légitimité est encore aggravé.

Les trois premiers paragraphes du préambule du projet de loi S-4 parlent de la tradition démocratique du Canada et de la nécessité de renforcer la démocratie. Lorsque le sénateur LeBreton a parlé du projet de loi, elle n'a pas mentionné la légitimité démocratique. Elle a parlé du fait que le Sénat serait en fait plus vivant, plus au fait de l'actualité et constituerait un organe plus efficace, ce qui est excellent, mais ce qui ne réduit aucunement son déficit de légitimité et de démocratie.

Je ne veux pas lancer un débat. Il est possible qu'une modification mineure donne de bons résultats pour le Canada, mais je ne le pense pas. Il ne serait pas bon que le Canada n'essaie pas de remédier à ces lacunes à cause de l'obstacle que représente une modification constitutionnelle. Si nous estimons aujourd'hui qu'il est impossible de procéder à des modifications constitutionnelles, et qu'il ne faut donc pas envisager une réforme approfondie du Sénat, pourquoi pensons-nous que nous pourrons le faire plus tard?

Vous dites que nous pourrons toujours adopter un autre projet relatif à l'article 44 et rétablir le Sénat sous sa forme antérieure. Nous ne le ferons pas. Nous aurons tout simplement un organisme constitutionnel mal structuré avec lequel nous apprendrons à vivre. Je dirais, si vous le permettez, que ce n'est pas prudent.

M. Simeon : Je ne suis pas d'accord avec vous. Je reconnais avec le sénateur que, dans des pays comme la Grande- Bretagne et le Canada, la démocratie s'est développée petit à petit, de façon progressive.

M. Whyte a raison au sujet de la question de la légitimité. Si vous concevez un Sénat comme étant un organisme législatif ayant pleins pouvoirs, tout comme l'est la Chambre des communes, un organisme qui exercerait un contrôle sur les mesures législatives, je dirais alors avec lui que la seule solution est d'avoir un Sénat élu, ayant ainsi une solide légitimité démocratique.

Cependant, comme j'ai essayé de le montrer dans mes commentaires, si l'on adopte une idée plus limitée du rôle du Sénat, si on estime que c'est un lieu de réflexion, un organe ayant la capacité d'examiner les grandes questions d'intérêt public, celle d'étudier de façon approfondie les mesures législatives proposées, ce que les membres de la Chambre des communes n'ont pas le temps de faire, si c'est tout ce qu'il fait, alors ce n'est pas une assemblée législative importante. Même si on lui confie ces autres rôles, ce à quoi je suis très favorable, qui sont de donner une voix politique aux personnes qui sont désavantagées sur le plan politique, et de mieux faire entendre la voix des provinces dans les délibérations de l'assemblée législative nationale, là encore, cela ne veut pas dire qu'il faut en faire une deuxième chambre législative ayant pleins pouvoirs.

C'est la raison pour laquelle je suis en général plus prêt à accepter des réformes progressives que ne l'est M. Whyte.

Le sénateur Tkachuk : Lorsque les Américains ont décidé d'élire les sénateurs, ils ont tout simplement adopté une modification constitutionnelle et ont tenu des élections. Il n'y a pas eu de grande conférence constitutionnelle à ce sujet, n'est-ce pas? Je n'en suis pas certain. Je pense que cela s'est passé comme cela. Il y a une modification constitutionnelle prévoyant l'élection des sénateurs et ils ont élu les sénateurs. Ils n'ont pas tenu une grande conférence constitutionnelle pour parler du rôle du Sénat.

M. Whyte : Pour modifier la Constitution américaine, il faut qu'un projet de loi soit adopté par les deux chambres du Congrès et par les deux tiers ou les trois quarts des assemblées législatives étatiques. Je pense, même si je n'en suis pas sûr, que la modification constitutionnelle portant élection des sénateurs a été adoptée par les structures multilatérales de l'État fédéral, créées par cette Constitution, comme cela devait se faire.

Le sénateur Murray : Le changement a même été plus progressif que vous le mentionnez, sénateur Tkachuk. On m'a dit, et je pense que c'est vrai, qu'au tout début, les assemblées législatives étatiques et les gouvernements nommaient les membres du Sénat des États-Unis et que l'Oregon a commencé à tenir des élections populaires. Les autres États ont progressivement suivi. Je ne sais pas s'ils ont finalement réussi à modifier la Constitution.

Le sénateur Tkachuk : L'Oregon a tout simplement demandé leur avis aux électeurs.

Le sénateur Fraser : Monsieur Whyte, je sais que vous avez déclaré que le projet de loi S-4 était visé par l'article 44, et vous avez mentionné que vous aviez élaboré un long raisonnement constitutionnel pour justifier cette position. J'aimerais avoir la version intégrale mais entre-temps, pourriez-vous nous donner un bref résumé de votre position?

M. Whyte : Je vais essayer.

L'argument se fonde sur la règle d'interprétation constitutionnelle ou législative qui veut que, lorsqu'une loi vise des éléments faisant partie d'une catégorie générale, elle exclut de façon implicite tous les autres éléments appartenant à cette catégorie.

Lorsque l'article 42 énonce que la modification de la Constitution du Canada doit se faire selon le mode de révision prévu à l'article 38 lorsqu'il s'agit du mode de sélection des sénateurs et des attributions et du rôle du Sénat, il faut en déduire qu'il n'est pas nécessaire de recourir à l'article 38 pour les autres aspects de la réforme du Sénat qui peuvent alors être modifiés aux termes de l'article 44. Voilà cet argument.

Voici maintenant pourquoi il est faux. Il arrive souvent que la loi mentionne un ensemble d'éléments appartenant à une catégorie non pas dans le but d'exclure tous les autres éléments mais pour accorder à ces éléments un traitement particulier. C'est ce que fait le paragraphe 42(2). Le paragraphe (2) mentionne cette catégorie, du moins on peut le soutenir, pour préciser que les possibilités de retrait prévues aux paragraphes 38(2) et 38(4) ne peuvent être utilisées à l'égard de certaines modifications, dont les provinces pourraient autrement penser qu'elles peuvent faire l'objet d'un retrait. C'est la raison à l'origine de cette liste, qui n'a pas pour objet d'exclure d'autres éléments de l'application de l'article 38.

Deuxièmement, on pourrait dire que l'article 42 est une disposition qui a pour but d'éviter que les gens se posent des questions au sujet des aspects qui ne concernent pas les articles 91 et 92, qui sont, eux, clairement visés par l'article 38, et qui se demandent s'il y a d'autres domaines qui sont visés par cet arrangement fédéral. Oui, il y en a quelques-unes, et elles sont mentionnées là. C'est un autre objet qui n'a pas pour but d'exclure certains éléments.

Troisièmement, l'alinéa 42b) précise qu'il vise le mode de sélection des sénateurs. Je pense que l'on pourrait soutenir que la sélection des sénateurs comprend la nomination à vie ou la nomination pour une durée de huit ans. La nomination des sénateurs est une notion très vaste. Lorsqu'il s'agit de choisir des sénateurs, il est possible de soutenir que la notion de sélection des sénateurs englobe des aspects comme le rôle de l'institution, ses pouvoirs et la durée du mandat. Il n'est pas clair que cela ne soit pas visé par le paragraphe 42(2).

Quatrièmement, je reconnais que le renvoi concernant le Sénat est antérieur à 1982, pourquoi le mentionner alors, parce que le renvoi concernant le Sénat, comme on vous en a déjà beaucoup parlé, portait sur la nature essentielle du Sénat. Le fait que cela concernait un aspect essentiel n'est pas contesté. Je sais que l'on fait passer à huit ans une durée moyenne de 12 ans et que nous considérons cela comme un changement mineur et progressif, mais fixer des limites de temps, comme l'a déclaré le sénateur LeBreton, est une chose très importante pour ce qui est de la légitimité des sénateurs, du fonctionnement du Sénat et de l'esprit dans lequel le Sénat exerce ses attributions. Elle a tout à fait raison; ce n'est pas un changement mineur.

Cinquièmement, la structure du Sénat constitue un élément essentiel de l'entente à l'origine de l'État fédéral. C'est une partie essentielle des institutions fédérales du Canada. Les changements importants visant la structure du Sénat exigent, en raison du rôle que joue cet organe au sein de la structure fédérale, une autorisation aux termes de l'article 38 — c'est-à-dire que, si l'on examine sur le plan des principes l'objet de l'article 38 et la nature du Sénat —, on constate qu'il existe un rapport direct entre l'article 38 et ce projet de loi particulier.

Enfin, si vous examinez les articles 24 à 36 de la Loi constitutionnelle de 1867, dispositions qui concernent le Sénat, vous constaterez qu'ils touchent de nombreux sujets et qu'aucun de ces sujets ne peut être modifié par le Parlement seul aux termes de l'article 44, à l'exception des deux ou trois aspects qui figurent aux paragraphes 42(2) et 42(3). Les articles 24 à 36 portent manifestement sur des sujets que le Parlement ne peut pas modifier seul et qui ne sont pas visés par l'article 42. Par conséquent, lorsque l'article 44 utilise le mot « Sénat », il ne vise pas tous les sujets qui concernent le Sénat. Que vise-t-il? Le nombre des sénateurs surnuméraires n'est pas visé. Il est impossible de croire que cet aspect peut être unilatéralement modifié par le Parlement du Canada. Le nombre total des sénateurs et les qualités requises des sénateurs font partie des ententes qui ont présidé à la création de la Confédération. Le fait que certains sénateurs doivent être originaires du Québec est une entente constitutionnelle importante. Cet aspect n'est pas modifiable selon l'article 44, même s'il n'apparaît pas à l'article 42.

Je pense que l'idée que l'article 42 nous autorise à adopter le projet de loi S-4 n'est pas réaliste sur le plan de l'analyse juridique. Elle découle d'une analyse juridique superficielle.

J'aimerais terminer en ajoutant quatre mots : je pourrais me tromper.

Le sénateur Fraser : Je vous remercie. Monsieur Simeon?

M. Simeon : Je n'oserais pas contredire M. Whyte dans le domaine du droit constitutionnel, puisque je ne suis pas moi-même avocat.

Le sénateur Fraser : Vous avez mentionné le fait que la représentation proportionnelle tend à mieux représenter les minorités. Je mentionnerais en passant que la minorité la plus importante est systématiquement sous-représentée à la Chambre des communes et s'en tire mieux au Sénat. Il s'agit des femmes.

Cependant, mon impression est que la représentation proportionnelle réussit effectivement à renforcer la représentation des minorités lorsque les districts électoraux sont très vastes ou les listes électorales très longues; il faut que le nombre des candidats que chacun des partis peut proposer soit très important. Je ne connais pas de système dans lequel les partis qui se disputent deux ou trois sièges, ou même une demi-douzaine, vont volontairement veiller à ce que les candidats qu'ils placent en tête de liste fassent partie des minorités. Voyez-vous où je veux en venir? Ai-je tort ou raison?

M. Simeon : Je dois dire que je n'ai pas de données sur ce point mais je suis d'une façon générale d'accord avec vous sur ce point, à savoir que la représentation proportionnelle ne donne de bons résultats que dans les circonscriptions nombreuses et importantes, où de nombreux sièges sont en jeu; plus il y a de candidats, plus la représentation proportionnelle est avantageuse.

Dans des pays comme Israël ou l'Afrique du Sud, on en arrive à une correspondance presque parfaite entre le nombre des sièges et celui des suffrages, et cela renforce beaucoup la représentativité. D'autres pays sont également divisés, mais en circonscriptions assez importantes. Je reconnais également, en particulier dans les provinces Maritimes qui n'auront pas autant de sénateurs que les autres provinces, qu'il sera difficile d'appliquer une représentation proportionnelle pure. J'admets également que les chefs de parti auront tendance à revenir aux méthodes qui ne favorisent pas la diversité et qu'ils utilisent pour les mises en candidature dans un régime électoral majoritaire.

Nous ne pouvons pas échapper au fait qu'il y aura des provinces qui éliront un petit nombre de sénateurs et que, par conséquent, il sera plus difficile d'appliquer dans leur cas la méthode proportionnelle. Nous pouvons faire des progrès dans cette direction et c'est probablement ce que nous devrions faire. Cela ne règle pas le problème entièrement, je le reconnais.

Le sénateur Murray : Monsieur Simeon, vous avez enseigné aux universités Queen's et de Toronto et vous êtes maintenant professeur invité des études canadiennes William Lyon Mackenzie King de l'Université Harvard; je ne peux m'empêcher de rappeler que M. Diefenbaker citaient les paroles de Mackenzie King, je ne sais pas s'il les citait exactement ou non, selon lesquelles la meilleure façon de réformer le Sénat, d'après lui, était de remplacer les conservateurs décédés par des libéraux vivants; une méthode très partisane de remplir son éternelle promesse de réformer le Sénat.

M. Whyte, si j'ai bien compris la logique de sa position, ne pense pas beaucoup de bien de la modification que le sénateur Austin et moi-même avons présentée dans le but de renforcer la représentation de l'Ouest. J'en conclus qu'il s'y oppose pour la raison que cela ne fait pas partie d'une réforme plus globale.

M. Simeon appuie cette modification.

Ai-je raison de déduire que vous n'y êtes pas favorable?

M. Whyte : Non, cela n'est pas tout à fait exact. Je vois là un changement qui ne compromet pas la fonction législative fondamentale du Sénat. Je n'y vois pas un changement qui compromet la légitimité du Sénat ou le rôle représentatif du Sénat.

Je ne suis pas contre les réformes progressives. Je suis contre les réformes progressives qui sont mauvaises. Je ne considère pas que cette modification soit mauvaise. Cela dit, je suis toutefois en faveur d'augmenter la représentation de l'Ouest. Nous devrions nous efforcer de ne pas augmenter le nombre maximum de sénateurs qui devrait être inférieur à 110. Je pense qu'il existe d'excellentes raisons pour cela. Il y a des raisons binationales et je crois qu'elles jouent un rôle très important en politique canadienne.

Dans ma recommandation, je propose que les deux provinces de l'Ouest obtiennent 12 sièges chacune, les deux provinces des Prairies six chacune et que le nombre des sénateurs originaires du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle- Écosse soit réduit. Je sais qu'il est horrible de retirer quoi que ce soit à qui que ce soit, mais c'est une façon qui, je crois, permet de préserver la position législative traditionnelle du Québec, qui se rapproche du suffrage égalitaire et qui renforce la représentation de l'Ouest.

Je sais que la disposition relative au Sénat parle de 24 sénateurs dans les régions A, B, C et D. Nous avons tendance à considérer le Sénat comme une chambre correspondant à des régions. Je crois qu'il est dangereux de trop s'attacher à un mécanisme fondé sur l'égalité des régions. Je pense qu'il faudrait partir des provinces et décider ce qui paraît approprié pour une province donnée. Dans ce cas-ci, sénateur Murray, vous avez été obligé de créer une demi-région, à cause des chiffres, pour préserver cette idée de région. Je n'ai rien contre le fait de dire que la C.-B. est une région; je ne pense pas que cela soit nécessaire. Nous devrions rechercher un ensemble de nombres qui répondent à d'autres critères : le critère du Québec, le critère du nombre maximum de sénateurs, le critère de suffrage égalitaire et le critère de la représentativité démocratique.

Le sénateur Murray : Avec notre proposition, j'aimerais mentionner que l'Ontario et le Québec, qui disposent à l'heure actuelle chacun de 22,8 p. 100 des sièges au Sénat, obtiendraient alors 20,5 p. 100 de ces sièges.

M. Whyte : Ce n'est peut-être pas une grosse différence.

Le sénateur Murray : Ce n'en est pas une, d'après moi.

M. Whyte : Est-ce moi, un gars de Regina, qui va vous dire comment le Québec pourrait réagir? Cela me préoccupe.

Le sénateur Murray : Vous avez tout à fait raison sur ce point.

D'après ce que j'ai compris, vous êtes favorable à un Sénat élu mais j'ai également retenu de votre exposé que vous pensez qu'une mesure législative fédérale visant la mise sur pied d'un processus d'élection « consultatif » pour le Sénat poserait de graves problèmes constitutionnels. J'aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet, parce qu'on ne nous a pas beaucoup parlé des problèmes constitutionnels que cela pourrait soulever.

M. Whyte : Le vrai problème vient du fait que l'élection des sénateurs est devenue un impératif démocratique si puissant qu'il me paraît impossible de mettre sur pied une méthode de sélection des sénateurs qui permette au premier ministre de dire aux provinces : « Cela est très intéressant mais ça ne correspond pas tout à fait à l'idée que je me fais du Sénat; X serait un meilleur sénateur. »

Je pense que l'idée d'élections consultatives est uniquement théorique et ne peut être que théorique, et je ne pense pas que ce soit la bonne façon d'aborder la Constitution. Si vous voulez changer le mode de sélection des sénateurs, que ce soit de jure ou même de facto, il faut savoir que l'interprétation constitutionnelle tient compte de la réalité et des impératifs actuels ainsi que des comportements, et que si vous changez concrètement ce processus, il faut que cela respecte les principes constitutionnels applicables à la modification de la Constitution.

Je dirais que cette réponse reflète ma position générale sur cette question, qui est une position de défi — allons-y. Faisons ces changements. Que le pays s'en mêle.

Le sénateur Murray : Mais en suivant le processus de modification prévu par la Constitution.

M. Whyte : Oui, absolument.

M. Simeon : J'approuve la plupart des choses que vient de dire M. Whyte et j'ajouterais que si la mesure législative est ambitieuse — si elle exige, par exemple, que le premier ministre entérine le résultat du vote —, alors il faudra évidemment avoir recours à une modification constitutionnelle. Si le projet de loi était rédigé de façon tellement vague qu'il n'obligerait pas le premier ministre à faire quoi que ce soit, alors pourquoi le présenter? Comment pourrait-on être sûr qu'un autre premier ministre respecterait le résultat des élections? Il a tout à fait raison : si on décide d'en faire un principe constitutionnel, alors ça devient une règle obligatoire. C'est la raison pour laquelle il faut le faire en adoptant une modification.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ma question s'adresse d'abord à M. Whyte.

[Traduction]

Vous avez déclaré que le Sénat ne prenait pas d'initiatives politiques. Je sais que cela vient du fait que le Sénat n'est pas élu. Le Sénat devrait-il faire l'actualité parce que s'il ne fait pas les nouvelles, les Canadiens ne reconnaîtront pas la légitimité du Sénat. S'il faisait les nouvelles politiques, pourrait-il continuer à être une chambre de réflexion?

[Français]

Est-ce que l'un peut aller avec l'autre? Quel prix le Sénat pourrait-il payer pour être légitime aux yeux des Canadiens? Quelles seraient les conséquences ? Est-ce qu'il faudrait modifier la raison d'être du Sénat lorsqu'il est question d'une chambre de seconde réflexion?

[Traduction]

M. Whyte : M. Simeon a déclaré, en des termes un peu différents, que j'avais adopté une attitude de tout ou rien à l'égard du Sénat. Le Sénat fait partie des organes législatifs et il faut tout simplement l'accepter. J'ai en fait essayé de savoir quelle serait la nature de ses rapports avec le gouvernement s'il participait pleinement au processus législatif et était légitimé par des élections.

Sénateur, vous avez posé une question semblable. Affirmer que le Sénat constitue un élément essentiel du processus législatif au Canada et que, par conséquent, il doit être élu, et que cela modifiera son rôle, je dois dire que je ne pense pas que cela arrivera. Dans tous les pays, le bicaméralisme a pour rôle de prévoir une chambre de réflexion. C'est comme cela que fonctionne la démocratie. On prend des décisions rapidement et ensuite on réfléchit à l'exercice de ce pouvoir, parce que cette réflexion est importante. Elle est importante parce qu'elle est sereine, et parce qu'elle permet à des vertus et à des intelligences d'y participer. Les tribunaux s'occupent de légalité, le vérificateur fait respecter la responsabilité financière et le Sénat apporte une représentativité un peu différente.

Le Sénat joue essentiellement le rôle d'une chambre de réflexion, mais j'estime que c'est là une fonction législative essentielle, qui a sa raison d'être. Avoir deux chambres législatives est important pour le Canada et je ne m'inquiète pas des contraintes que cela impose. Je me poserais des questions si cela paralysait le processus. M. Simeon et moi ne nous entendons pas sur la question de savoir si l'on pourrait remédier à cette paralysie et réduire quelque peu les pouvoirs du Sénat en utilisant une série de mesures mineures. Trois de ces mesures pourraient consister à avoir des sénateurs employés, multiplier les séances et imposer des contraintes. M. Simeon affirme que le Sénat a beaucoup de légitimité mais qu'il ne l'exerce pas. Je dirais qu'il n'y a pas un élu au Canada qui ne pense pas que sa légitimité dépend également de sa capacité de faire des choix qui renforcent le processus de gouvernance au Canada. Les gens n'exercent pas leur pouvoir au hasard; ils l'exercent en fonction de la façon dont ils perçoivent l'intérêt national, c'est ce que fait aussi le Sénat.

Je ne crains pas de perdre le rôle de chambre de réflexion qu'a le Sénat, tel que constitué actuellement. Nous aurions une autre chambre législative qui exercerait ses pouvoirs de façon plus légitime et peut-être de façon plus dynamique.

M. Simeon : Je ne pense pas que l'on puisse donner raison à l'un ou à l'autre. Nous insistons simplement sur différents aspects. Pour moi, donner au Sénat un rôle législatif complet me paraît tout à fait différent de décider d'en faire une chambre de réflexion. Ce sont là des fonctions très différentes. C'est la raison pour laquelle le choix du rôle que l'on souhaite donner au Sénat va influencer énormément la méthode de sélection retenue. Si l'on veut faire du Sénat un législateur et une chambre égale à l'autre, il faudra que les membres en soient élus et il sera plus difficile de mettre sur pied un mécanisme qui permettra aux deux Chambres de coexister.

Le sénateur Watt : Je vais essayer de vous décrire à tous les deux ce que j'ai vécu comme sénateur depuis 23 ans. Ma question touche la façon de choisir les sénateurs, par élection ou par nomination, et la légitimité du Sénat en tant que chambre de réflexion. J'ai constaté l'existence d'un problème auquel il faudrait remédier, et je fais même partie de ce problème.

M. Simeon a clairement déclaré que ce serait une grande amélioration que de nommer les sénateurs en utilisant un processus moins partisan. C'est l'idée centrale de mes commentaires et de mes questions. Avec le temps, l'action des partis constitue une entrave, même si je me suis fait beaucoup d'alliés.

Il est arrivé que d'autres soient d'accord avec moi au sujet de nouveaux éléments qui, après réflexion, devaient être, d'après moi, inclus dans le système central. Je viens du Grand Nord et je parle couramment le dialecte inuktitut, mais j'essaie de parler en anglais. Cela a parfois soulevé des difficultés. Il est arrivé que d'autres soient d'accord avec moi sur la façon de régler ou d'aborder un problème, mais qu'ils ne puissent rien faire parce que c'était une question partisane. Il m'a déjà été demandé de voter en faveur d'une mesure pour le bien du parti, même si cette mesure était inacceptable. Cela revient à me demander de laisser tomber les gens que je connais si bien et de les laisser mourir lentement parce qu'ils ne sont plus très importants. Cela n'est pas dit mais on le laisse entendre. Il faudrait cesser d'agir de cette façon. Si le pays veut survivre sur le plan économique, il faudra s'occuper de ces gens qui peuvent lui apporter quelque chose.

Ils étaient les premiers habitants de ce pays. À l'exception de l'article 35 de la Loi constitutionnelle, leurs droits ne sont reconnus nulle part et ils ne sont pas définis. Il faudrait faire davantage pour préciser ces droits.

Monsieur Simeon, pourriez-vous nous en dire davantage sur la façon dont nous pourrions améliorer l'aspect que je viens de soulever? Quel mécanisme faudrait-il mettre en place pour que la nomination des membres du Sénat ne soit pas partisane?

J'ai également examiné le cas des sénateurs indépendants. Je n'ai pas choisi cette voie parce qu'à l'heure actuelle, les sénateurs indépendants sont très isolés. Je ne suis pas en faveur de cette solution.

Il faudrait trouver de nouveaux mécanismes — je parlerai ici du lien qui manque pour relier les premiers habitants du pays au système qui nous gouverne aujourd'hui. Je me demande si vous pourriez nous en dire davantage sur les principes que vous avez exprimés dans votre introduction.

M. Simeon : Premièrement, je dois vous dire que je ne suis pas totalement opposé aux partis politiques et aux débats partisans. Je pense que la démocratie canadienne est fondée sur les partis. Nous pourrions toutefois espérer que le Sénat soit un organe moins partisan que la Chambre des communes.

Il est vrai que le premier ministre utilise souvent son pouvoir pour nommer des personnes possédant une certaine expertise ou des personnes qui font partie de certaines minorités ou même des membres influents d'autres partis politiques. Nous avons eu des exemples de cela mais dans l'ensemble, aujourd'hui, le premier ministre agit principalement en fonction des intérêts de son parti. Cela me paraît incontestable; je reconnais aussi qu'il serait souhaitable que les nominations soient moins partisanes.

C'est la raison pour laquelle je pense qu'il est très important d'éviter que la personne, qui exerce déjà un contrôle sur le pouvoir exécutif du pays, possède ce genre de pouvoir, même une fois adopté ce que j'appelle le changement mineur d'un mandat de huit ans.

On peut avoir recours à diverses méthodes pour y parvenir. J'ai examiné l'idée d'avoir des conseils, des comités ou des commissions de nomination des sénateurs — quel que soit le nom que vous voulez leur donner — dans chacune des provinces, grâce auxquels la nomination des sénateurs tiendrait compte de toute une série d'intérêts régionaux, gouvernementaux et partisans. Cela viendrait du fait que mon conseil serait composé de personnes représentant les partis qui siège à la Chambre des communes et originaires de la province X, des personnes qui siègent à l'assemblée législative de la province X et peut-être d'autres personnes, comme les maires des grandes villes.

Cela permettrait d'avoir de nombreux points de vue. Premièrement, il serait peu probable qu'un parti puisse dominer un tel organe. Deuxièmement, les membres de ce comité chercheraient certainement à choisir une personne qui est acceptable par le plus grand nombre et qui ne serait probablement pas très partisane.

Si nous décidons de conserver le processus de nomination, je crois que c'est la solution à retenir. En outre, cela renforcerait beaucoup, comme je l'ai dit, le rôle de représentation des régions par le Sénat en donnant aux assemblées législatives provinciales un rôle important dans le choix des sénateurs.

M. Whyte : Le processus politique démocratique a effectivement tendance à honorer les majorités et à tyranniser les minorités. Les partis politiques n'atténuent aucunement l'ampleur de ce phénomène. Ils reflètent en fait cette recherche du pouvoir absolu, ou cette réalité. Il est certain qu'écarter les partis du processus atténuerait ce phénomène même si, comme M. Simeon l'a dit, il y a de gros désavantages sur le plan de la transparence politique à écarter les partis d'un tel processus.

Que pouvons-nous faire? J'approuve le plan proposé par M. Simeon et les commentaires qu'a formulés M. Franks. Il est séduisant de voir dans le Sénat un organe où les communautés minoritaires sont mieux représentées et leurs intérêts, mieux défendus. Nous pourrions certainement exclure les partis de ce processus, mais je ne pense pas que cela fonctionnerait.

Nous pourrions créer un Sénat tout à fait différent, qui représenterait principalement les communautés minoritaires. Nous savons cependant que la spécialisation d'un organe politique suscite de vives résistances et cela ferait problème.

Je n'ai pas de solution à proposer au sujet de la place qu'il conviendrait d'accorder aux communautés minoritaires historiques reconnues par la Constitution au sein de la structure constitutionnelle canadienne, sinon de dire qu'il existe une solution en place, qui est formée des structures fédérales et de la partie II de la Loi constitutionnelle de 1982 qui traite des droits des Autochtones. Enfin, il faudrait que les partis et les chefs politiques comprennent qu'à long terme, il est dans l'intérêt du Canada de mettre en œuvre les droits à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones. Je n'ai pas d'autre réponse à vous fournir.

Dans mon mémoire, j'ai délibérément choisi de ne pas voir dans le Sénat un antidote. Vous avez toutefois signalé un aspect auquel je n'avais pas pensé, à savoir que le renforcement du caractère partisan du mécanisme, qui découlerait d'élections, aggraverait la situation.

À l'heure actuelle, les sénateurs sont très indépendants. Ils ont la latitude de dire non, je ne prendrai pas cette décision. Cela offre des avantages et des désavantages. Le seul antidote que j'ai à proposer est l'espoir que ceux qui peuplent les structures actuelles feront des choix politiques éclairés, et je sais que cette réponse n'est guère satisfaisante.

Le processus de nomination qu'a décrit M. Simeon pourrait peut-être apporter une solution. Les processus de nomination soulèvent d'après moi deux problèmes. Ils ne sont jamais transparents — prenez le cas du processus de nomination des juges; nous n'avons aucune idée de l'effet qu'a le processus utilisé par le ministère fédéral de la Justice sur les juges des cours supérieures ou de ce que font les commissions judiciaires provinciales à l'égard des magistrats provinciaux. Cela est tout à fait secret et de plus, les considérations partisanes jouent encore un rôle. Je ne parle sans doute pas de votre province qui choisit toujours comme juges les personnes qui possèdent les meilleures compétences, mais il y a des provinces où ce processus n'atténue aucunement les considérations partisanes.

Je ne veux pas être négatif au sujet de la structure proposée par M. Simeon. Il serait bien facile de la condamner avant d'y avoir réfléchi un peu plus. C'est toutefois une erreur de penser que les processus de nomination renforcent nécessairement la transparence et excluent les considérations partisanes.

Le président : Je dois dire à mes collègues et aux témoins que nous avons dépassé de cinq minutes le moment où nous allions faire une pause avant de passer à nos témoins suivants. Cependant, le sénateur Hubley attend patiemment depuis un certain temps d'intervenir. Je vous demande de faire preuve de compréhension et de patience et de prendre un bref moment pour lui donner la possibilité d'intervenir.

Le sénateur Hubley : J'ai une brève question. Je pense qu'on a parlé du nombre de sénateurs que le Canada devrait avoir et que nous devrions examiner. Je pense que vous avez parlé de 108. Il y en a maintenant 105 et avec la motion Murray-Austin, ce chiffre passerait à 117.

Est-ce que le nombre des sénateurs qui composent le Sénat du Canada fait problème?

M. Whyte : Oui, c'est un problème à cause de la motion présentée par le sénateur Murray au sujet de la représentation de l'Ouest. Il a remédié au problème que posait la représentation de l'Ouest en augmentant la représentation de cette région sans toucher aux autres. Il a modifié le nombre total de sénateurs. Il est évident qu'ajouter 12 sénateurs ne semble pas être une mesure désastreuse pour le Canada, mais je pense que cet ajout soulève deux problèmes.

Vous devez reconnaître que je demeurerai toujours un puriste et que je ne me sens aucunement limité par la réalité. Mon opinion de puriste est qu'il faut penser à la représentation du Québec et éviter de perpétuer la grave inégalité démocratique qui découle du nombre des sénateurs qui représentent les provinces de l'Atlantique. Toujours pour être puriste, pendant que nous réfléchissons à la réforme du Sénat, essayons de régler ce problème et d'en arriver à un chiffre qui paraisse plus logique. Ce n'est pas moi qui m'occuperai de cette chose, mais je pense que la raison doit bien souvent céder le pas à la réalité.

M. Simeon : Modifier la répartition des sièges me paraît tout à fait possible dans l'hypothèse d'une réforme. Bien évidemment, la résolution Murray-Austin est un pas dans la bonne direction. Il sera par contre très difficile sur le plan politique de faire adopter une telle modification. La faisabilité de cette proposition et la capacité de négocier joueront là un rôle central, pourvu que nous allions dans la bonne direction, c'est-à-dire réduire le déséquilibre actuel.

Le sénateur Hubley : Le Yukon, le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest ont chacun droit à un sénateur. Pensez- vous que cela représente ces régions de façon équitable?

M. Whyte : Absolument. C'est la représentation qui convient à cette région. Ce sont des provinces et des territoires canadiens. Ils doivent être représentés au Sénat. Le Sénat a pour rôle de représenter les provinces et les territoires. Leur accorder un siège surreprésente beaucoup ces régions mais cela est acceptable. C'est le plus petit nombre possible. Devrions-nous leur en accorder davantage? On pourrait soutenir que la gouvernance des régions nordiques est tellement particulière, les communautés tellement diverses, en particulier dans le territoire du Nunavut qui regroupe tant de peuples différents, que l'on pourrait augmenter ce nombre de sièges. Cependant, cela causerait un problème.

Le président : Vouliez-vous ajouter quelque chose, monsieur Simeon? Si vous le souhaitez, je vais vous accorder un instant.

M. Simeon : J'approuve tout à fait ce qui vient d'être dit.

Le président : Merci aux témoins. Vous avez été très aimables de préparer des exposés et d'avoir passé du temps avec nous. Nous vous remercions de l'aide que vous nous avez donnée. Nous l'apprécions.

Sénateurs, avant de passer à nos prochains témoins, j'aimerais vous poser une question parce qu'il faut que j'obtienne votre approbation unanime. Un photographe du Hill Times a demandé l'autorisation de prendre des photos pendant quelques minutes au début de notre prochaine séance. Êtes-vous d'accord?

Des sénateurs : D'accord.

Le président : Merci. Nous allons lui donner quelques minutes avant de commencer notre prochaine séance.

Nous avons le privilège d'avoir avec nous aujourd'hui nos derniers témoins de l'après-midi, M. David Smith, professeur émérite, Université de la Saskatchewan, et M. Daniel Pellerin, professeur adjoint invité de sciences politiques, Université Colgate. Je vais vous demander de présenter vos commentaires et nous passerons ensuite aux interventions des sénateurs. Je vais commencer par donner la parole à M. Smith.

David E. Smith, professeur émérite, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : « Une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni » — Cette phrase du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 est fréquemment citée à l'appui à la prétention selon laquelle le Sénat du Canada a été modelé sur la Chambre des Lords. C'est une exagération, sinon une véritable erreur d'interprétation.

Le Sénat était un corps nommé et non pas un corps héréditaire après 1867. Si les membres du Sénat étaient nommés à vie, jusqu'à ce que l'âge de la retraite de 75 ans soit instauré chez les sénateurs canadiens en 1965, la véritable différence significative entre les deux chambres tenait au caractère inamovible des membres du Sénat, sauf pour les dispositions de l'article 26 de la Loi constitutionnelle.

Il existait des raisons historiques à cette disposition, mais l'intention était claire : il s'agissait de limiter l'influence du pouvoir exécutif sur les affaires de la chambre haute du Parlement canadien. C'est ici, comme dans le fait que les sénateurs devaient répondre aux exigences d'âge minimum et de propriété foncière, qu'on peut trouver la preuve du souci que les Pères de la Confédération avaient pour l'indépendance du Sénat. Les propriétaires fonciers, raisonnait- on, seraient différents des hommes de pouvoir.

Une propriété foncière de 4 000 $ peut sembler être une exigence dérisoire pour être nommé au Sénat, cent quarante ans après la Confédération, mais le principe sous-jacent à cette disposition (et à l'âge minimum) reste irréfutable : les sénateurs devaient se tenir éloignés de l'arène politique.

On peut expliquer pourquoi ils pensaient ainsi. Premièrement, en raison du rôle dévolu au nouveau Sénat : protéger les droits des régions et des minorités et, deuxièmement, l'expérience qu'avaient connue les législateurs canadiens dans les années 1850 lorsque l'instabilité gouvernementale était devenue la marque de la politique aux Canadas-Unis.

Il a fallu beaucoup plus de temps pour conclure à Québec l'accord sur la structure et la composition du Sénat que l'accord sur la forme de la chambre basse. C'est là un fait bien connu et souvent commenté aujourd'hui, mais la signification d'un débat aussi prolongé n'a toujours pas été étudiée.

Dans les années 1860 au Canada, 35 ans après l'adoption du grand projet de loi de réforme en Angleterre, personne ne contestait le fait que la chambre d'initiative et de responsabilité serait la Chambre des communes. Pourtant, contrairement à l'Angleterre où commençait à s'interroger sur le rôle de la Chambre des Lords dans une démocratie électorale. L'année 1867, l'année de la Confédération, a vu l'adoption par Westminster d'une deuxième mesure élargissant le droit de vote.

Le rôle éventuel du Sénat du Canada ne faisait pas de doute. Il devait protéger les minorités vulnérables. Le Sénat avait d'autres tâches, notamment celle d'examiner les lois issues de la Chambre des communes, mais la protection était sa tâche principale. Et c'est ce rôle qui exigeait particulièrement une mesure ou une sphère d'indépendance.

Certains Pères de la Confédération, notamment George Brown, étaient si convaincus du rôle que devait jouer la chambre haute du Parlement fédéral qu'ils ont fait pression pour une législature provinciale unicamérale. L'Ontario n'avait aucun besoin d'un bicaméralisme local étant donné que le Sénat se tenait prêt à venir en aide aux minorités menacées.

Il s'agit là d'une introduction discursive à une proposition précise, celle de remplacer l'exigence selon laquelle les sénateurs doivent prendre leur retraite à l'âge de 75 ans au plus tard par celle d'un mandat de huit ans. C'est un changement de fond, étant donné qu'il est possible, en vertu des dispositions existantes, pour un sénateur nommé à l'âge minimum de 30 ans de siéger pendant 45 ans. En réalité, une telle longévité en fonction est rare; la plupart des sénateurs siègent à la chambre pendant environ 12 ans.

Un changement de fond, ce l'est certainement, mais est-ce que la proposition qu'on trouve dans le projet de loi S-4 introduit, selon les mots de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi de 1980 concernant le Sénat, un changement radical dans la nature d'une des parties constituantes du Parlement? Si c'est le cas, comme l'a conseillé la Cour suprême il y a un quart de siècle, un tel changement ne peut être réalisé par le seul gouvernement du Canada aux termes de l'article 44 de la Constitution, mais plutôt après une consultation et avec l'appui de deux tiers des provinces représentant la moitié de la population. En bref, le gouvernement peut-il remplacer unilatéralement l'âge limite par un mandat de durée limitée pour les sénateurs?

La question à trancher est celle de savoir si une nomination à durée limitée compromet l'indépendance des sénateurs. Est-ce que ces limites compromettent la capacité du Sénat de jouer son rôle de dépositaire d'expérience et d'organe indépendant? Est-ce qu'un mandat de 12 ans doit être préféré à un mandat de huit ans? Cette question serait- elle caduque si les sénateurs dont le mandat limité était renouvelable? Pourtant, s'ils pouvaient être nommés pour un autre mandat, quelle qu'en soit la limite, est-ce que cette possibilité ne compromettrait pas l'indépendance sénatoriale, étant donné que la carrière d'un sénateur au-delà d'un mandat initial dépendrait alors d'une nouvelle nomination par le gouvernement?

Avant que le premier ministre se présente ici il y a 10 jours et confirme l'intention de son gouvernement d'introduire une composante électorale au processus de nomination sénatorial, il aurait peut-être été possible de soutenir qu'un long mandat d'une durée fixe ne saperait pas l'indépendance du Sénat. Néanmoins, l'argument qu'a semble-t-il présenté un témoin, selon lequel l'indépendance des sénateurs nommés pour une période déterminée peut se comparer avec l'indépendance des agents du Parlement nommés pour une période déterminée, n'est pas convaincant, ne serait-ce que parce que les sénateurs sont des législateurs et non pas des protecteurs du citoyen.

Une élection, quelle qu'en soit la forme, remet cette hypothèse en question, parce qu'elle lie le sénateur à une circonscription envers laquelle il serait responsable. Un tel changement modifie fondamentalement le système fédéral ainsi que la composition du Parlement, telle qu'elle a été établie par les Pères de la Confédération. C'est là une raison de demander son opinion à la Cour suprême du Canada quant à la mesure que propose le gouvernement.

Une autre question concerne le tour de passe-passe constitutionnel qui est proposé : en l'absence d'élections sénatoriales nationales, le premier ministre recommanderait au gouverneur général des personnes ayant gagné des élections « consultatives » provinciales conduites selon des modalités déjà utilisées en Alberta. Jusqu'où la prérogative qu'exerce le premier ministre dans la sélection des sénateurs peut-elle ignorer la population aux termes de la Constitution? À quel point est vraie l'analogie que l'on entend parfois selon laquelle des élections « consultatives », un élément des recommandations sénatoriales du premier ministre, sont compatibles avec les conventions qui encadrent le fonctionnement d'une monarchie constitutionnelle? Au contraire, les changements proposés compromettraient la contribution du Sénat au processus législatif. Cet effet serait-il tel qu'il tomberait sous le régime de la prohibition de l'action unilatérale énoncé par la Cour suprême du Canada en 1980?

Plusieurs autres incertitudes entourent la question des élections « consultatives ». Premièrement, les mandats sénatoriaux feraient-ils partie du cycle électoral? Deuxièmement, le gouvernement a promis d'introduire des dates d'élection fixes pour l'autre chambre. Quel serait le lien entre les dates d'élection des deux chambres du Parlement? Certaines provinces ont parlé de tenir des élections sénatoriales en même temps que les élections municipales. Troisièmement, les élections sénatoriales seraient-elles régies par les lois électorales provinciales, et non par la Loi électorale du Canada? Même s'il n'est peut-être pas possible de répondre à cette question maintenant, on peut se demander si certaines provinces pourraient choisir un système électoral basé sur la représentation proportionnelle pendant que les autres conserveraient un système majoritaire pour élire les membres d'une chambre du Parlement national? N'y aurait-il pas là un argument incontestable en faveur de l'uniformité? Quelles lois sur le financement des campagnes électorales s'appliqueraient aux élections sénatoriales? Cinquièmement, quelles dispositions régiraient la transition entre une chambre entièrement nommée pour une période déterminée et une chambre entièrement élue? Sixièmement, à quelle fréquence pourrait-on s'attendre à tenir des élections sénatoriales dans une province comme l'Ontario ou le Québec, chacune ayant 24 sièges à la chambre haute? Septièmement, envisage-t-on de tenir des élections générales ou par district? Quelles dispositions faudrait-il prendre pour répondre aux exigences constitutionnelles qui requièrent que les sénateurs siègent dans des districts précis dans la province de Québec? Huitièmement, un Sénat élu pourrait-il forcer un gouvernement à aller consulter le peuple? Si la réponse est négative, alors à quel principe obéit-on?

La frustration quant au rythme et au progrès de la réforme du Sénat est une doléance familière, même s'il faut dire que les pressions exercées pour obtenir un Sénat élu datent de moins d'une vingtaine d'années. C'est un truisme proche du lieu commun que de dire que les institutions sont difficiles à changer. C'est pourtant une réalité qui exige qu'on l'étudie. Les réponses faciles, selon lesquelles les intérêts personnels sont à l'œuvre ou que les intérêts multiples et opposés ont pour effet de paralyser la réforme, constituent des explications incomplètes. Même là où existent une volonté claire et une acceptation résignée de l'inévitabilité du changement institutionnel, il se peut qu'il ne se produise pas ou qu'il se sclérose en pleine l'action.

Un des principaux exemples d'une telle chose est la réforme de la Chambre des lords. Le gouvernement de Tony Blair, au pouvoir depuis neuf ans, et, à ses débuts, soutenu par l'une des majorités parlementaires les plus fortes de l'histoire britannique, a été incapable de mener à bien son programme pour transformer la Chambre des lords en un organe unitaire. Les membres héréditaires sont partis, mais la chambre représentative envisagée par la commission Wakeham et à laquelle avait souscrit en principe le gouvernement Blair demeure un projet. Toute réforme exige du temps et des efforts, tandis que la perspective d'un gouvernement est dictée par le cycle électoral et par les événements qui s'imposent à son attention. Lorsque le gouvernement Blair s'est attaqué au deuxième stade de la réforme de la Chambre des lords, après avoir composé avec les pairs, son projet de loi a subi des attaques violentes provenant aussi bien de membres de son propre parti que de l'opposition conservatrice. La raison tenait à une division au sein du Parti travailliste quant à la politique du gouvernement en Iraq.

En outre, aucune pression extérieure au Parlement ne s'exerçait sur le gouvernement pour qu'il poursuive la réforme. En Angleterre, comme au Canada, il n'existe pas d'opinion publique organisée qui appuie la réforme de la chambre haute. Ce n'est pas dire que le public est favorable au statu quo, mais c'est dire qu'il n'a pas d'opinion sur la question. À moins, bien sûr, qu'on demande expressément au public si la chambre haute doit être modifiée. Laissé à ses propres priorités, le public, que ce soit au Canada ou au Royaume-Uni, ne considère pas spontanément la réforme de la chambre haute comme une question pressante.

Ce phénomène n'est pas nouveau. C'était l'absence de rôle précis à attribuer à une chambre haute et l'incertitude entourant la place qu'elle occuperait dans un parlement de type Westminster qui explique le temps considérable qu'ont mis les Pères de la Confédération à s'entendre sur le rôle du Sénat. L'expression « lieu de réflexion » est fréquemment employée lorsqu'on décrit le rôle du Sénat. Il ne fait pas de doute que l'examen et la délibération constituent des aspects importants du travail du Sénat, mais sa raison d'être initiale — et aujourd'hui encore — est la protection des minorités et des intérêts des différents secteurs de la société. Le Canada est un pays historiquement à l'écoute de la diversité sociale, en particulier lorsqu'elle est enracinée dans un territoire. C'est pourquoi les membres du Parlement étaient, à l'époque et aujourd'hui encore, considérés comme les tribuns du peuple. Et le peuple du Canada en 1867, de même qu'aujourd'hui, était réparti inégalement dans les colonies fédératives. L'un des attributs principaux du Sénat, aux yeux de ses fondateurs, était l'idée qu'il compenserait l'effet de levain de la représentation selon la population à l'œuvre sur la chambre basse. Ils ont habilement atteint leurs objectifs, non seulement en s'entendant pour donner aux petites provinces plus de sénateurs qu'elles n'en « méritaient » par rapport aux grandes provinces, mais aussi en harmonisant la procédure par l'invention des régions sénatoriales. Une variante du thème abordé ici — les districts sénatoriaux du Québec — illustre l'habileté constitutionnelle et institutionnelle des Pères de la Confédération ainsi que de leur souci de protéger les intérêts des minorités.

Contrairement à ceux qui accusent le Sénat d'être « partisan » et qui décrivent son activité comme étant seulement le prolongement des luttes qui se livrent dans la chambre basse, la partisannerie dans la chambre haute a été relativement bénigne. Une des raisons qui expliquent cet état de choses réside dans le fait qu'il a fallu plus de dix années pour que la politique de parti du nouveau Dominion prenne forme. Ces partis nationaux sont postérieurs à la Confédération. Autre raison pour cet état de choses : les nouveaux sénateurs savaient qu'ils devaient faire fonctionner leur institution unique. L'expérience du conseil législatif élu du Parlement du Canada-Uni, instauré par étapes après le milieu des années 1850, était de mauvais augures. Les bons candidats ne se présentaient pas et l'attrait de l'assemblée se révélait trop puissant.

Il y avait une troisième raison, plus convaincante à long terme, pour laquelle une analyse partisane du Sénat s'est révélée défectueuse : au début de son histoire, le Sénat a acquis un esprit de corps qui a résisté aux prétentions à l'unité partisane issues de la Chambre des communes. Pour reprendre en langue canadienne une observation déjà formulée par Disraeli : un premier ministre peut faire des sénateurs, il ne peut pas faire le Sénat.

Les remarques présentées ci-dessus sont pertinentes au contenu du projet de loi S-4 parce qu'elles démontrent, à l'aide de preuves historiques, que l'indépendance des sénateurs est essentielle à leur fonction. Quant à la question de savoir si un mandat obtenu par nomination, renouvelable ou non, ou un mandat obtenu par voie électorale est compatible avec cette fonction, et à la question de savoir si une modification de la Constitution en ce sens peut être effectuée en vertu de l'article 44 de la Constitution, seule la Cour suprême du Canada pourra leur donner une réponse définitive.

Distinctes des remarques précédentes sur le projet de loi S-4 sont les remarques qui suivent sur la motion visant à modifier la Constitution du Canada à l'égard de la représentation provinciale de l'Ouest. Selon les termes de cette motion, la région sénatoriale ouest actuelle serait divisée en une région sénatoriale des Prairies, constituée des trois provinces des Prairies, avec 24 sénateurs — 10 pour l'Alberta et sept chacun pour la Saskatchewan et le Manitoba et une nouvelle région sénatoriale, la Colombie-Britannique, avec 12 sénateurs. L'intention de la motion est d'amoindrir le mécontentement de l'Ouest canadien à l'égard de ce qui est perçu comme inéquitable dans la représentation provinciale actuelle au Sénat. Chacune des quatre provinces de l'Ouest a six sénateurs, soit le même nombre que Terre- Neuve-et-Labrador, et moins que les provinces moins peuplées que sont la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Pourtant, la Colombie-Britannique et l'Alberta sont les troisième et quatrième provinces les plus peuplées du Canada.

À ma connaissance, il n'existe pas de preuve montrant qu'il existe un lien, comme l'affirme la motion, entre le nombre de sénateurs représentant une province au sein du Parlement et le contentement ou le mécontentement de ses résidents par rapport au système politique. Les habitants de l'Ouest du Canada peuvent peut-être se plaindre que la politique publique fédérale est sourde à leurs besoins, mais celle-ci n'émane pourtant pas du Sénat, ni d'ailleurs de la Chambre des communes.

Sur la question du nombre de sénateurs, la répartition proposée est dictée par l'exigence constitutionnelle selon laquelle les régions sénatoriales doivent avoir chacune 24 sénateurs. La Saskatchewan et le Manitoba, dont les populations sont presque statiques, reçoivent chacune un sénateur supplémentaire, tandis que l'Alberta, dont la population est en croissance rapide et représente près de trois fois celle de l'une ou l'autre des provinces voisines des Prairies, reçoit quatre sénateurs supplémentaires. Quant à la Colombie-Britannique, le nombre de ses sénateurs est doublé alors que la taille de la nouvelle région sénatoriale de Colombie-Britannique est deux fois plus petite que celle des autres régions sénatoriales.

Il y a un demi-siècle, la Colombie-Britannique et les provinces des Prairies étaient traitées comme des entités distinctes dans le langage populaire et par des organismes tel que le Bureau fédéral de la statistique. Je soupçonne que cette pratique a vu le jour parce que le gouvernement fédéral contrôle les ressources naturelles des provinces des Prairies et ce, jusqu'en 1930. La lecture du rapport de la Commission royale sur les finances fédérales-provinciales, soit le rapport Rowell-Sirois publié en 1940, évoque le point de vue de cette époque. Cette perspective a commencé à changer après la Seconde Guerre mondiale en partie à cause des changements démographiques qui ont provoqué l'urbanisation de la plus grande partie de la population de l'Ouest.

Qui plus est, après 1970, les quatre provinces de l'Ouest ont commencé à travailler ensemble dans nombre de domaines, dont le transport. La Conférence sur les perspectives économiques de l'Ouest convoquée par le premier ministre Trudeau au début des années 1970 a accéléré ce changement de perspective, en particulier chez les élites gouvernantes de l'Ouest du Canada. Pour cette raison et pour d'autres motifs sur lesquels je me ferai un plaisir de revenir pendant les questions, je considère que la proposition de créer une région sénatoriale distincte est désuète et étrangère aux pratiques économiques et organisationnelles actuelles de l'Ouest.

Si les disparités relatives aux populations des provinces ne constituent pas le fondement de la motion, elles donnent une justification indirecte à la proposition. Dans la mesure où la population participe à la réforme du Sénat, cela soulève la question de la représentation selon la population à la Chambre des communes. Celle-ci a toujours été menée dans les limites des provinces et s'est écartée, pour bon nombre de raisons, de la stricte application de ce principe. Le lien entre les deux chambres dans cette affaire n'est peut-être pas pertinent pour la présente discussion, sauf à un égard : la question du lien — c'est-à-dire d'un rapport entre les deux — ne manquera pas d'être soulevée à un moment donné si la motion est adoptée comme modification proposée à la Constitution.

Je ne considère pas que l'argument à l'appui de cette motion soit convaincant. Pour cette raison, je ne pense pas que le comité doive recommander son adoption par le Sénat.

Le président : Merci.

Daniel Pellerin, professeur adjoint invité, Département des sciences politiques, Université Colgate, à titre personnel : Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord d'exprimer ma gratitude pour cette invitation. Elle m'a surpris autant qu'elle a pu surprendre certains d'entre vous. C'est un grand honneur et même un plaisir encore plus vif d'avoir la chance de comparaître ici aujourd'hui.

Je dirais dès le départ que, comme M. Smith, je ne partage pas l'animosité populiste souvent démontrée à l'endroit de cette Chambre et que si je ne suis pas toujours d'accord avec lui, c'est principalement parce que je nourris des pensées plus ambitieuses quant à la gloire à laquelle le Sénat pourrait aspirer. Je ne voudrais pas que l'on retourne à l'époque des toges mais je crois certainement qu'une variation moderne sur le thème ancien de la chambre haute dans son sens le plus noble est à la fois possible et souhaitable, et je m'avancerais même à dire, peut-être encore davantage au Canada que dans n'importe quel autre pays au monde à ce moment-ci.

Je prends la parole après M. Smith, qui a si habilement exploré ces questions, ce qui me permettra d'être un peu plus bref pour terminer la journée. Je vais parler principalement des choix généraux qui s'offrent à nous aujourd'hui. Si vous voulez que je vous présente des commentaires sur des points précis, je le ferai si le temps le permet.

Il a été dit à de nombreuses reprises, en particulier par le gouvernement, que les propositions précises qui nous sont présentées devraient à elles seules nous convaincre de leur bien-fondé, mais je ne suis pas convaincu. Il me semble que leur nature tactique est suffisamment transparente, même si le premier ministre n'a pas exprimé très clairement dans son témoignage que le véritable but visé par le gouvernement était la mise en place d'un mécanisme d'élection quelconque pour élire les sénateurs. Par conséquent, au lieu de consacrer tout notre temps à des tactiques de diversion, je vais plutôt parler des grandes lignes des débats plus approfondis qui seront requis une fois franchie l'étape des escarmouches et des diversions, d'autant plus qu'il est fort possible que je ne sois pas là à ce moment-là pour y participer. J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop si je brosse à larges traits les principes directeurs qui me paraissent essentiels si nous voulons réaliser une réforme équilibrée de cette auguste institution.

D'abord et avant tout, permettez-moi de souligner que l'alternative qui nous est souvent présentée entre, d'une part, l'élection directe au suffrage universel, et, d'autre part, le système de nomination actuel, est fausse sur les plans théorique, pratique et historique.

On pourrait dire, comme M. Smith l'a fait dans ses écrits sur le Sénat, que les réserves ou l'attitude qui consiste à reculer devant les nominations faites en vertu de la prérogative reflètent essentiellement des préjugés républicains. Je pense que c'est exact. Il présente de façon très convaincante dans The Invisible Crown une analyse des raisons pour lesquelles ce mécanisme a légitimement sa place au Canada, alors qu'avec des mécanismes plus républicains, elle ne l'aurait peut-être pas.

Parallèlement, on ne saurait nier que les nominations effectuées en vertu de la prérogative risquent d'être traitées comme des dépouilles dans le jeu des partis politiques. Même si cet organe était fort bien structuré, si ses membres avaient vraiment le calibre exigé pour des sénateurs, la perception populaire nuirait toujours à sa capacité de rejoindre les cœurs et les esprits. Je pense que jusqu'ici, tout le monde serait d'accord avec moi.

Ce qui passe presque toujours inaperçu, c'est que l'alternative républicaine moderne classique à la nomination — quand je dis « républicaine », je ne parle pas du Grand Old Party des États-Unis, mais « républicaine » dans son sens le plus large — n'est pas l'élection au suffrage universel mais plutôt l'élection indirecte. Je pourrais vous citer les Papiers fédéralistes sur ce point mais je ne le ferai pas. Un esprit mesquin pourrait conclure que ces papiers sont de ton trop élitiste et ont un fond trop américain; je vous citerai donc plutôt un passage de Thomas Jefferson. Il est l'auteur de la Déclaration de l'indépendance et a souvent été considéré non pas comme typiquement américain mais comme tout à fait universaliste. C'était un ami de la Révolution française qui appréciait l'héritage légué par la Grande-Bretagne. Il méprisait les partis et avait déclaré que si la seule façon d'aller au paradis était d'être membre d'un parti, il préférait ne pas s'y rendre. Enfin, c'est le premier président américain qui acceptait volontiers d'être appelé démocrate et on ne peut donc l'écarter facilement en le qualifiant de vieil élitiste. Réfléchissant à la création d'un Sénat en Virginie, Jefferson a écrit ceci :

J'ai toujours constaté qu'en règle générale, le choix fait par le peuple lui-même ne se distinguait pas par sa sagesse. Cette première mouture est habituellement rudimentaire et hétérogène. Mais si vous donnez aux personnes choisies par le peuple un deuxième choix, alors elles choisiront habituellement les hommes sages.

Des hommes et, bien sûr, des femmes sages, estimés sénateurs — voilà ce dont notre pays a besoin. C'est ce dont tous les pays ont besoin pour leur chambre haute. Le verdict des siècles, avant que n'oubliions ces choses, était et demeure en faveur de l'élection indirecte.

Si nous prenions cette possibilité au sérieux, ce qui peut sembler à première vue comme une faiblesse de l'élection indirecte, à savoir qu'elle ne confère pas le même niveau de légitimité démocratique que son cousin direct, le suffrage universel, est en fait un grand avantage dans le contexte dont nous parlons. Nous devons prendre garde, et M. Smith a beaucoup écrit à ce sujet, de donner au Sénat un pouvoir politique renforcé qui en ferait un rival de la Chambre des communes en tant que chambre ayant le pouvoir de prendre un vote de confiance, et ces préoccupations sont ici encore les éléments de base des ouvrages républicains classiques.

Le fait que nous puissions nous attendre à des manœuvres électorales moins agressives et espérer une influence moindre des partis sur des élections directes contribue à en accroître l'intérêt.

Troisièmement, quels mécanismes devrions-nous utiliser pour mettre sur pied des élections indirectes? La réponse évidente serait les assemblées législatives provinciales, non seulement parce que beaucoup les considèrent comme les institutions canadiennes les plus saines et les plus dynamiques de notre époque, mais également pour une raison politique pratique, à savoir la nécessité de faire accepter l'idée d'une réforme en profondeur par les provinces. J'aurai quelques mots à dire à ce sujet lorsque nous passerons aux questions.

N'est-ce pas la meilleure façon d'obtenir l'appui des provinces à qui le système proposé donnerait enfin un rôle important dans le processus, même s'il ne peut leur donner tout ce dont elles rêvent depuis 20 ou 30 ans?

Mon quatrième point est un élément qui fait partie de la solution que j'ai élaborée et j'en parle ici parce que c'est la seule contribution importante que j'ai faite, si on peut l'appeler ainsi, et qui consisterait à avoir une élection indirecte mais qui serait non pas centrée sur les provinces mais sur des assemblées régionales qui respecteraient les ententes prises au moment de la Confédération et qui nous permettrait d'innover, tout en respectant ces ententes. Ce mécanisme prendrait sérieusement en considération les demandes de renforcement des identités régionales, parce que celles-ci sont bien souvent présentées non pas comme des griefs provinciaux mais comme des griefs régionaux.

Avec ce mécanisme, les provinces ne seraient pas toutes sur le même pied. Elles n'obtiendraient pas tout ce qu'elles souhaitent, mais j'estime que ces espoirs sont tout à fait irréalistes mais au moins les régions seraient traitées également tout comme les provinces qui les composent, ce qui constitue un excellent compromis entre ce qui est possible et ce qui est défendable sur le plan des principes.

Enfin, on pourrait apporter un certain nombre d'améliorations techniques, notamment la représentation proportionnelle, un système de sélection libre à l'échelle du pays de manière à faciliter l'élection de membres des minorités et la désignation de personnes ayant véritablement l'étoffe de sénateurs.

Il faut espérer qu'avec un tel processus, l'élection des sénateurs pourrait devenir véritablement un événement unificateur, périodique et non pas une source de division et de controverse.

Ce n'est pas le moment d'approfondir davantage les détails de ma proposition. Je l'admets..

Permettez-moi de conclure en présentant les grandes leçons que l'on peut tirer de cette proposition. Que nous décidions de l'adopter ou non, cette solution illustre une idée plus générale, à savoir qu'il est possible d'ériger une chambre haute viable en s'appuyant sur des principes classiques forts à partir des matériaux institutionnels que nous possédons déjà.

La passion sous-jacente qui m'a incité à élaborer le modèle proposé et qui m'anime ici aujourd'hui, est la conviction, ou du moins l'espoir, que nous pouvons faire mieux que d'apporter des solutions rapide et superficielles ou de jeter des coups d'œil envieux mais peu enthousiastes sur les institutions étrangères. Ce dont le Canada a besoin, ce n'est pas de simples rafistolages. Il n'a pas besoin d'un Sénat américain, australien ou allemand, même s'il y a beaucoup à apprendre et à admirer dans ces institutions. Le Canada a besoin de faire enfin preuve d'un peu d'imagination, il doit mettre de côté les solutions établies, ajouter un brin de fierté institutionnelle véritablement conservatrice et un sens aigu de ce qui est pragmatique et possible, tant aujourd'hui que demain.

Je ne pense pas que nous allons obtenir grand-chose avec les plaintes insignifiantes, les discussions acrimonieuses et la recherche égoïste d'avantages qui semblent marquer les débats plus vastes concernant le Sénat, en général. Je ne veux pas dire que c'est ce qui se passe ici, mais dans les différentes régions du pays, c'est bien souvent ce que j'ai constaté.

Il ne sert à rien d'hésiter, comme les Canadiens le font trop souvent, entre, d'un côté, des rêves de grandeur stériles et de l'autre, un minimalisme morose qui frôle l'apathie, et de se résigner à un statu quo douteux — ce que M. Smith a qualifié de « projets de réforme sans consistance » — parce que nous craignons la paralysie que pourrait entraîner la recherche de résultats plus ambitieux.

Ce dont il s'agit ici, en fin de compte, c'est d'un objectif plus vaste que celui qui consiste à modifier nos institutions. Il s'agit de la maturité politique de notre pays, un pays qui s'est constitué lentement, qui a été marqué par des séries de négociations constitutionnelles perçues comme ayant échoué.

Je crois que nous pouvons faire mieux. Peut-être pas aujourd'hui, mais certainement dans les jours qui viennent. Il faut être plus ambitieux, il faut écouter l'appel lancé par nos ancêtres en faveur de la puissance et de la liberté, du bon ordre et d'une saine gestion publique, et pour agir non pas n'importe où mais ici même; non pas plus tard mais dans les jours, les semaines et les mois qui viennent.

Le Canada n'a pas besoin d'un Sénat modifié ou légèrement amélioré mais du meilleur Sénat que nous puissions léguer à la postérité. C'est l'appel qui est lancé, c'est notre devoir et c'est l'objectif que nous devons viser. Que le Canada puisse être fier de lui. Je ne suis pas certain que les propositions présentées nous permettront d'accomplir tout cela, mais c'est la seule norme par rapport à laquelle nous devons mesurer le résultat de notre action et par laquelle nous serons jugés à l'avenir par ceux qui demanderont qu'ont fait tous ces hommes et toutes ces femmes pour le Canada?

Le sénateur Fraser : Monsieur Smith, il y a un passage de votre exposé qui m'a particulièrement intéressé; il portait sur la seule expérience qu'a eue le Canada d'une chambre haute élue, ce qui s'est produit avant la Confédération. Vous dites que cette expérience n'a pas été fructueuse. « Il n'y avait pas de bonnes candidatures. L'attrait de l'assemblée était trop puissant. » Pourquoi?

M. Smith : C'est une bonne question. Cela s'explique en partie par le fait qu'au milieu du XIXe siècle, il était difficile de trouver des personnes prêtes à poser leur candidature pour cette chambre; une chambre dont les antécédents étaient soit ceux d'un organe plutôt arbitraire ou d'un organe qui n'avait guère de pouvoir. Vers les années 1850, il était évident que dans les Canadas, et non pas seulement dans la région du Saint-Laurent mais également dans les provinces Maritimes, la chambre basse était celle qui détenait le pouvoir.

Je n'appliquerais pas ce raisonnement à tous les systèmes, mais lorsqu'il y a une deuxième chambre et que ses membres sont élus, il faut faire un calcul. La personne qui a des ambitions politiques va se demander où elle va pouvoir le mieux les réaliser. C'est une interrogation légitime et raisonnable. C'est la façon dont il faut examiner les choses et je pense que les Australiens doivent faire la même chose; je les mentionne à cause de leur régime politique.

Je pense que lorsque la chambre haute est perçue comme n'ayant pas beaucoup d'influence ou peu susceptible d'en voir, il est difficile de trouver des candidats. Il n'y avait pas beaucoup de gens instruits dans la société canadienne au milieu du XIXe siècle; ce ne serait pas vrai aujourd'hui mais c'était vrai à l'époque.

Le sénateur Fraser : J'aime vos observations et je voudrais que vous ajoutiez quelque chose.

Je connais très mal le Sénat australien et quelque peu certains sénateurs australiens, mais il semble qu'étant donné qu'ils ont un système très complexe de représentation proportionnelle, les personnes qui représentent des partis minoritaires se présentent au Sénat parce qu'elles savent qu'elles ont une meilleure chance d'être élues que si elles se présentaient devant la chambre basse.

M. Smith : Cela est particulièrement vrai pour les petits États.

Le sénateur Fraser : Comment pourrait-on transposer cela dans le système canadien?

Monsieur Pellerin, pensez-vous que, si la chambre basse est celle qui possède véritablement le pouvoir, votre projet de tenir des élections indirectes aurait un effet sur le genre de personnes qui souhaitent devenir sénateurs?

M. Smith : Je vais d'abord répondre au sujet du Sénat australien, si vous le permettez. J'étais un examinateur de l'extérieur à la défense d'une thèse de doctorat de l'Université de l'Australie de l'Ouest qui portait sur les sénateurs. Elle est intitulée « Party Professionals as Senators » (Les professionnels de la politique comme sénateurs).

Vous avez fait une remarque importante. Il n'est pas possible de séparer le Sénat australien du système électoral. Leur système électoral a été introduit en 1949 par un gouvernement travailliste parce que le gouvernement savait qu'il allait perdre les élections devant la chambre basse. Ils avaient une majorité à la chambre haute et ils ont modifié le système électoral de façon à augmenter le nombre de sièges qu'ils occuperaient après l'élection de 1949. Cela a bien fonctionné pour eux pendant un certain temps. Cependant, cela ne fonctionne que lorsqu'il y a deux partis. Lorsque le Parti travailliste s'est scindé dans les années 1950, les tiers partis ont commencé à faire élire des candidats.

De toute façon, avec la représentation proportionnelle, les deux premiers candidats de la liste sont toujours élus. Ils sont certains de l'être parce que c'est ce que donne la représentation proportionnelle. Le troisième siège est plus incertain, de sorte qu'il y a des négociations lorsqu'il y a un tiers parti.

C'est un aspect très important. D'après cette étude — et je pense que c'est tout à fait vrai —, il est arrivé que, bien souvent, les sénateurs ont gagné leurs galons à la Chambre des représentants et se sont faits élire par la suite au Sénat. Cela leur permet d'utiliser leurs ressources pour aider leur parti à gagner les sièges incertains, tant ceux du Sénat que de la Chambre des représentants. Cela ne veut pas dire que cela se passerait toujours de cette façon, mais cela m'apparaît constituer un aspect de cette question.

Pour en revenir à votre première question, les candidats n'étaient pas attirés par la chambre haute au milieu du XIXe siècle parce qu'ils n'avaient pas accès à ce genre de ressources et qu'ils n'envisageaient pas que cette chambre puisse jouer ce genre de rôle.

L'Australie attire des candidats à la chambre haute parce que ce poste offre la possibilité d'un autre genre de carrière. Il faut tenir compte de la durée du mandat des sénateurs par opposition à celle des représentants.

Le sénateur Fraser : Monsieur Pellerin, quel serait l'effet du mécanisme des élections indirectes sur le genre de personnes qui seraient intéressées à être candidates?

M. Pellerin : C'est une des principales raisons pour lesquelles il faut prendre au sérieux la solution des élections indirectes. Nous avons tendance à penser que les élections directes constituent la solution à tous nos problèmes. Nous oublions que ces élections directes peuvent être dures, parfois presque brutales et marquées par des bassesses. La question que je me pose est très sérieuse : les sénateurs ne sont-ils pas faits d'une autre étoffe ou nous ne souhaitons pas qu'ils aient une autre étoffe?

Il y a une très jolie formule qui remonte au XIXe siècle; je ne me souviens plus des termes exacts mais elle disait qu'il y avait des âmes sensibles qui n'étaient pas à l'aise avec le processus électoral et nous avons tendance à ignorer ce genre de réactions. C'est pourtant quelque chose qui mérite d'être examiné — est-ce qu'une personne qui a un sens aigu de sa dignité et qui est peut-être un peu plus tranquille et réfléchie que d'autres, qui n'aime pas beaucoup la dynamique et la brutalité de l'arène politique — est-ce qu'une personne de ce genre serait, dans la situation actuelle, disposée à poser sa candidature? Je dirais que bien souvent, elle ne le ferait pas. Sur bien des plans, ce sont les personnes que nous aimerions voir siéger au Sénat qui sont les moins préparées à être choisies de cette façon.

Les élections indirectes donnent des résultats différents parce qu'elles contournent ce problème. Les assemblées législatives se sentent en général beaucoup plus libres de choisir d'éminentes personnalités qui ne sont pas obligées d'être choisies de cette façon. Je ne pense pas que ce soit un trait de caractère négatif que de ne pas vouloir participer à des élections au suffrage populaire — bien au contraire. Je crois même — et cela ne date pas d'hier — que ceux qui recherchent trop le pouvoir politique sont souvent ceux qui le méritent le moins.

On pourrait remonter à Platon sur ce point. Il ne faut pas donner le pouvoir à ceux qui le désirent; il faut le donner à ceux qui n'en veulent pas. Nous nous sommes éloignés de ce modèle et je pense que c'est une grave erreur. Ce sont presque toujours les meilleurs qui n'arrivent pas à se faire élire; ils ne se présentent même pas, je crois, et c'est dommage.

Le sénateur Fraser : Les postes de professeur d'université ne sont habituellement pas accordés pour des durées fixes et renouvelables. Si la nomination était renouvelable, quel effet cela aurait-il sur l'indépendance des professeurs d'université?

M. Smith : Je pense que l'on exagère beaucoup l'indépendance que l'on attribue aux professeurs d'université. Je ne pense pas que cela aurait beaucoup d'effet.

M. Pellerin : Vous devriez sans doute poser la question à quelqu'un d'autre parce que je suis un professeur itinérant qui n'obtiendra jamais la permanence. J'imagine que cela serait sans doute plus confortable. Je me demande si les pressions exercées sur les professeurs d'université sont vraiment fortes. Je pense que les pressions exercées sur les hommes politiques sont beaucoup plus vives.

Si je pense à ce qui pourrait m'arriver de pire dans une salle de classe, je constate que cela est loin de se comparer à ce que les politiques doivent supporter. Personnellement, je ne voudrais pas prendre ce genre de risque avec ma vie privée, qui risque d'être exposée à tous dans ses moindres détails. Je ne voudrais pas vivre ainsi, et qui le voudrait? Il faut qu'il y ait un sentiment plus fort.

Quel est ce sentiment le plus souvent? L'ambition politique. Il n'est pas très mauvais d'avoir de l'ambition politique mais ce n'est pas non plus très bon. Dans le cas du Sénat, ce n'est pas ce que nous voulons. Nous voulons des sénateurs qui ont la capacité de s'élever au-dessus de ces choses.

Le sénateur Tkachuk : J'aimerais que l'un ou l'autre d'entre vous, ou les deux, me donne une réponse sur un point qui m'intrigue avant que je pose des questions précises.

Monsieur Smith, vous avez parlé des Pères de la Confédération et de la création du Sénat. Vous avez parlé des dispositions relatives aux droits de propriété et aussi de la question de la protection des droits des minorités comme faisant partie des considérations à l'origine de cet organisme.

Nous avons eu des discussions ici au sujet de l'influence britannique sur les Pères de la Confédération, au moment de la création du Sénat. Les Pères de la Confédération n'ont-ils pas été fortement influencés par ce qui se faisait aux États- Unis lorsqu'ils ont étudié le rôle du Sénat? Y a-t-il eu une influence de ce côté? Leur Sénat était nommé, mais par des organismes législatifs.

M. Smith : Je ne peux pas vous donner une réponse définitive parce qu'il est difficile de savoir ce qu'il en était. Nous n'avons pas de documents relatant ce qui s'est passé. Il y a le livre de Pope qui regroupe des documents qui n'avaient pas été publiés jusqu'ici. Il est très utile mais il ne nous apprend pas grand-chose.

Ils connaissaient certainement ce qui se passait aux États-Unis. En fait, ils suivaient de près les événements politiques qui survenaient en Europe. Après la défaite de Napoléon, il y a eu d'importants événements politiques et des expériences qui se sont poursuivies jusque vers les années 1860. Ils connaissaient la Belgique; ils connaissaient les problèmes de langue et de religion, et le reste. Ils étaient au courant des changements qui s'étaient produits en France; ils savaient ce qui s'était passé au Mexique et étaient au courant de l'élargissement du droit de vote en Grande- Bretagne.

Je ne me souviens pas avoir lu que quelqu'un ait dit qu'il fallait suivre ce que faisaient les Américains, ce qui aurait amené les nouvelles provinces à se charger de la sélection des sénateurs, ou que cela aurait dû se faire de cette façon. Je crois, ce n'est pas une certitude, qu'il faudrait lire les débats des Canadas-Unis, qui ont été à peu près reconstitués pour la période 1840-1857. On parlait d'une chambre haute parce qu'on était passés d'une chambre haute nommée, à partir de 1855 ou 1856, à une chambre élue, passage qui s'était fait progressivement. On a beaucoup plus parlé de cette question qu'on pourrait le penser. C'est peut-être un trait canadien. Ils s'intéressaient beaucoup aux discussions sur les institutions, de sorte qu'ils étaient au courant de tout cela.

Je ne me souviens pas avoir lu que quelqu'un ait proposé de suivre cet exemple. La grande question est de savoir pourquoi l'Ontario est monocamérale. C'était la plus importante colonie anglophone de l'Empire britannique. C'était celle qui se sentait la plus proche de cet empire. Pourquoi n'a-t-elle pas suivi l'exemple britannique? C'est une question très importante et cela nous en dit beaucoup sur la façon dont les Pères de la Confédération concevaient le lien qui devait exister entre les provinces et le gouvernement central.

Comme je l'ai dit, Brown pensait que le Sénat était très important pour l'Ontario, comme il l'était pour toutes les provinces. Ils ne voyaient pas la nécessité de créer un organe distinct dont ils pourraient choisir les membres.

M. Pellerin : Je crois que l'on peut dire que la Confédération répond dans une grande mesure aux craintes que continuaient d'avoir les Canadiens à l'endroit de leurs voisins du sud. Ceux qui débattaient de ces questions pensaient toujours un peu aux Américains. Parallèlement, ils étaient très sensibles, plus que nous le sommes, au fait qu'ils vivaient dans une monarchie constitutionnelle, que les Américains étaient républicains et que leurs instincts démocratiques étaient inquiétants. Ils avaient des principes politiques bien différents. Ils auraient pu prendre l'exemple américain mais à la différence d'aujourd'hui, le regard qu'ils jetaient au sud n'était pas un regard d'envie mais plutôt un genre de snobisme monarchique. Ils auraient dit qu'ils étaient différents des Américains parce qu'ils étaient beaucoup moins républicains et que, par conséquent, ils pouvaient choisir une chambre dont les membres étaient nommés aux termes de la prérogative royale, sans se sentir mal à l'aise.

Le sénateur Tkachuk : Monsieur Smith, lorsque vous parlez des droits des minorités, l'obligation de posséder une certaine fortune pour pouvoir voter m'intrigue. J'ai lu que le Canada était un pays très démocratique pour l'époque, en 1867, même si les hommes blancs britanniques étaient les seuls qui avaient le droit de voter. La plupart des gens étaient propriétaires à l'époque, de sorte que le droit de vote était pratiquement universel. La décision de créer un Sénat avait- elle vraiment pour but de protéger les droits des minorités ou de protéger leurs propres intérêts? Lorsqu'on a fixé à 4 000 $ les biens dont on devait être propriétaire pour pouvoir être nommé au Sénat, un montant important étant donné que les gens gagnaient de l'argent à cette époque en accumulant des biens, l'absence de fortune et d'influence interdisait aux hommes du peuple d'aspirer au Sénat.

M. Smith : Cela a souvent été dit et je ne suis pas vraiment en mesure de réfuter cet argument, mais il y a une autre façon de voir les choses. En exigeant certaines qualités ou certains critères pour pouvoir être nommé au Sénat, on savait que les personnes choisies ne seraient pas des pantins du gouvernement ou des personnes qui en dépendent. Comment le prouver? Les membres de la chambre haute prenaient des décisions cohérentes. Ils ne contentaient pas seulement de protéger les intérêts économiques.

Un des points importants de l'évolution de la politique canadienne — et nous savons que les femmes et les membres des premières nations étaient exclus — est que tous les hommes blancs avaient le droit de vote. Cela n'a été le cas en Grande-Bretagne qu'au XXe siècle. Chaque élargissement du droit de vote a eu un effet sur l'évolution politique en Grande-Bretagne, et c'est à partir de ce moment que le Parti travailliste a commencé à jouer un rôle. C'est l'élargissement du droit de vote qui a sonné le glas du Parti libéral en Angleterre.

Le sénateur Tkachuk : Vous êtes à la retraite mais vous enseignez encore très bien.

Pour ce qui est du projet de loi S-4, monsieur Smith, seriez-vous en faveur d'un mandat de huit ans si les conditions constitutionnelles étaient remplies? Dans votre mémoire, vous soutenez que ce projet de loi n'est pas constitutionnel.

M. Smith : Lorsqu'on m'a demandé de préparer des commentaires, je me suis posé ces questions. La première question portait sur la durée du mandat et la seconde, sur le renouvellement du mandat. Si les mandats peuvent être renouvelés, alors cela change la façon dont on peut répondre à la troisième question. Une troisième question s'est alors posée lorsque le premier ministre a parlé d'élections : quel est le genre de mandat proposé? Est-ce la première étape d'un processus qui en comprend trois ou quatre? Je ne savais pas très bien. Si l'on aborde uniquement la question de la durée du mandat, je pense alors que huit ans est une durée un peu courte, mais ces chiffres me paraissent arbitraires. J'ai déjà parlé dans une autre publication d'un mandat de 12 ans.

Le sénateur Tkachuk : Pour les professeurs et les sénateurs, c'est un mandat assez court, mais pour la plupart des gens, c'est un long mandat.

M. Pellerin : Je vais vous donner une réponse un peu plus large que celle que vous attendiez. Nous avons perdu de vue les pensées qui occupaient les Pères de la Confédération et les fondateurs américains au moment où ils ont conçu ces institutions : la théorique classique de la constitution mixte qui comprend diverses composantes. Il y a la partie démocratique, la partie aristocratique et la partie monarchique. La raison d'être de la chambre haute a toujours été d'être la chambre aristocratique. Cela est impopulaire au Canada aujourd'hui, mais il est possible de lui donner une interprétation moderne qui peut également nous être utile. Si cela est vrai et que le Sénat était effectivement un organe aristocratique au départ, à la différence de la Chambre des communes, et que ceux qui ne se présentent pas aux élections sont des citoyens sages et tranquilles, alors il faut les nommer pour une durée plus longue. Tout comme l'a soutenu M. Smith, je dirais qu'un mandat de huit ans est trop court pour accomplir ce genre de choses et qu'il serait préférable de prévoir un mandat de 12 ans. Si le mandat est renouvelable, cela pose d'autres questions.

Le problème fondamental est de savoir précisément ce que doit être le rôle de cette chambre. Voulons-nous une chambre qui soit indépendante, qui comporte certains aspects traditionnels, qui ait une certaine distance par rapport à la population mais qui n'en soit pas trop éloignée? Autrement dit, c'est peut-être une chambre haute classique, même si nous lui donnons une interprétation moderne. Cela nous permet d'éviter de reconnaître que c'est une chambre aristocratique. Le débat actuel porte sur la suppression des privilèges et le refus d'une chambre haute de ce genre. Si c'est ce que nous voulons, il faut que le mandat des sénateurs soit plus long.

M. Tkachuk : C'est un argument qu'il serait difficile de présenter à Ituna, en Saskatchewan, mais c'est néanmoins un argument intéressant.

Le sénateur Hubley : Il est important de revenir sur les origines du Sénat pour nous rappeler non seulement l'évolution qu'il a subie mais également quel était son rôle au départ, et je pense que c'est le rôle que nous devons jouer aujourd'hui. Comme M. Smith l'a décrit dans son exposé, la protection des minorités vulnérables est son principal rôle.

De ce point de vue, comment un Sénat élu à la différence d'un Sénat dont les membres sont nommés peut-il accorder cette protection? Quels sont les avantages de ces deux systèmes par rapport à la façon dont vous avez décrit le rôle essentiel que joue le Sénat?

M. Smith : Ma première réaction serait de dire que si tel est bien le rôle principal du Sénat, alors il est probablement préférable que ses membres soient nommés. Je pense que les organes élus, par définition, sont mus par des notions comme obligation, devoir et intérêt à défendre. Un organe dont les membres seraient nommés serait probablement mieux adapté à un tel rôle.

J'ai beaucoup réfléchi à cette question il y a des années. Les gens reprennent en écho l'expression : « chambre de réflexion, chambre de réflexion ». Je ne pense pas que personne ait utilisé cette expression au XIXe siècle. Il faudrait que je poursuive mes recherches à ce sujet mais je pense que c'est une expression récente. Le Sénat est parfaitement capable de prendre des décisions réfléchies et ce n'est pas uniquement une chambre de réflexion. D'une certaine façon, cela retire de l'importance à ce qu'il fait et le place dans un rôle secondaire lorsqu'il se contente d'agir de cette façon.

Pour ce qui est des intérêts, je pense que les sénateurs cherchent plutôt à les protéger qu'à les représenter, surtout lorsque ces intérêts sont de nature régionale. D'une certaine façon, c'est le Sénat qui a fait évoluer les droits des individus. Ces dernières années, le Sénat a démontré qu'il était très sensible à la question des droits des individus. Je pense à la renégociation d'un traité d'extradition avec les États-Unis et je me souviens que le Sénat avait soulevé une question au sujet du traité parce qu'il semblait que l'on pouvait extrader des individus vers des pays qui imposaient la peine capitale et que cela n'était pas compatible avec la Charte. En fin de compte, la Cour suprême s'est fait l'écho du Sénat mais c'est le Sénat qui avait soulevé cette question le premier. Pour diverses raisons, à cause du temps et de son expérience, le Sénat semble en mesure d'aborder ce genre de questions de façon plus directe que le fait la chambre basse. La chambre basse s'intéresse également à ces questions mais elle a aussi d'autres intérêts. Il y a les intérêts des électeurs et les députés doivent se faire réélire. Tant que nous n'aurons pas des élections à date fixe, celles-ci peuvent se produire n'importe quand. Les membres de la Chambre des communes ont une perspective un peu différente pour cette raison, ce qui introduit un bel équilibre.

M. Pellerin : Nous devrions nous interroger plus fréquemment sur la raison d'être du Sénat. Je sais qu'il y en a qui pensent que nous n'en avons pas besoin. Le Sénat existe parce que certains se méfiaient des excès et du désordre que peut entraîner la démocratie. Si ce risque disparaissait, nous n'aurions pas besoin d'une chambre haute. Les fondateurs avaient certainement ces préoccupations à l'esprit. Il ne s'agissait pas simplement de minorités dans le sens actuel — les minorités visibles, les personnes handicapées, les femmes et les autres —, il s'agissait aussi de protéger les privilèges et la richesse, parce qu'ils craignaient vraiment que le peuple ne s'attaque aux gouvernants. Cela a eu des conséquences pour l'ensemble de la société.

La logique indique que la démocratie a sa place, et que c'est la raison pour laquelle l'organe le plus important est de nature démocratique, mais il faut un contrepoids. Cet argument ne peut convaincre ceux qui ont une foi naïve dans la démocratie. Il faut reconnaître que les démocraties se trompent souvent. Elles ne réfléchissent pas beaucoup et agissent de façon impulsive. Les politiciens sont toujours à la recherche de votes. Il y a cette agitation constante. Il n'y a pas de place pour préserver la dignité qui existe dans notre système. La logique des constitutions mixtes est qu'il faut combiner ces deux aspects. Oui, n'hésitons pas à faire de la chambre qui a le pouvoir de renverser le gouvernement une chambre élue directement, mais il faut également avoir un contrepoids, non pas un organe chargé de gouverner le pays mais un qui s'inspire d'un autre principe. Cet autre principe est un principe aristocratique, que nous aimions cela ou non, parce que cela suppose que le peuple, en campagne électorale, peut commettre des excès ou à tout le moins des injustices. Ce n'est pas le genre de choses que nous voulons entendre. Mais si nous ne le faisons pas, je ne pense pas que nous puissions avoir une discussion qui aille vraiment au fond des choses parce qu'autrement, la véritable raison pour laquelle nous avons besoin d'un Sénat n'apparaît pas clairement. Si nous pensons que la démocratie est une excellente chose et qu'il n'y a aucun sujet d'inquiétude, alors nous n'avons pas besoin d'une seconde chambre.

Le sénateur Angus : Messieurs, je vous remercie de nous avoir présenté deux exposés très équilibrés et originaux.

J'aimerais poser quelques questions au professeur itinérant. Je ne sais pas d'où vous venez mais je crois que vous venez du Québec au départ, est-ce exact?

M. Pellerin : C'est une bonne supposition mais vous êtes loin du compte.

Le sénateur Angus : D'où venez-vous?

M. Pellerin : C'est une longue histoire. Je viens à l'origine de Berlin. J'ai effectivement épousé une Canadienne française mais elle vient de l'Ontario. J'habite aux États-Unis et j'ai vécu ailleurs. C'est une longue histoire.

Le sénateur Angus : Vous apportez une approche très originale à ce problème. Pour utiliser une expression populaire, je serais tenté de dire que vous êtes mon genre d'homme. J'aimerais approfondir la notion des élections indirectes. Je comprends de vos deux exposés, même si cela est exprimé de façon légèrement différente, que le statu quo est un bon point de départ et que l'on pourrait lui apporter quelques changements utiles en dissipant certains mythes qui entourent la nature de cette bête. Les élections indirectes semblent être un élément essentiel pour vous, monsieur Pellerin. Pourriez-vous nous dire comment vous pensez que cela pourrait fonctionner?

M. Pellerin : La difficulté vient du fait que l'on ne peut pas donner ce pouvoir directement aux assemblées législatives. Ce ne serait pas utile. C'est dans les détails qu'apparaissent les problèmes, et j'en parle en détail dans ce mémoire.

L'idée générale est que les Pères de la Confédération ont imaginé, chose un peu curieuse mais certainement créative, qu'il fallait créer des régions. Dans une certaine mesure, cette logique est toujours valable, parce que lorsque nous examinons les critiques qui sont faites au Sénat, ce n'est pas habituellement le Manitoba qui se plaint, c'est l'Ouest qui se plaint. Ce n'est pas habituellement la Nouvelle-Écosse qui a un problème, mais l'Est. Ces grandes catégories ont bien résisté au temps. Il y a l'Ontario, le Québec, les deux régions de l'Ouest et de l'Est. Ma proposition ressemble un peu au projet de réforme des conservateurs qui consistait à accorder de l'importance aux régions et à faire élire les sénateurs par des assemblées régionales.

Pour le Québec et l'Ontario, la région et la province coïncident, de sorte que ce serait les assemblées législatives provinciales qui s'en chargeraient. Certains soutiennent que cela n'est pas possible parce que c'est exactement ce que nous voulons éviter. Nous ne voulons pas que les gros éléphants soient toujours la force dominante dans notre pays. Je comprends ce sentiment mais il y a de gros éléphants et il va falloir apprendre à vivre avec eux. Ils rejetteront tous les projets qui viennent limiter leur pouvoir au sein de la Confédération. C'est là que se trouve la capitale de la culture. C'est là que s'est faite l'histoire. C'est là que se trouve l'origine de la Confédération. En pratique, il n'est guère possible de changer tout cela.

Que pouvons-nous faire? L'idée serait de réunir des représentants des assemblées législatives des deux régions de l'Ouest et de l'Est — les détails sont précisés dans mon mémoire — et de former une assemblée régionale qui élirait alors les sénateurs de ces régions. Il y aurait quatre régions équivalentes qui formeraient chacune une assemblée chargée d'élire leurs sénateurs. Il y aurait un équilibre entre ces quatre régions qui seraient parfaitement équivalentes. Il y aurait une équivalence parfaite entre les provinces qui composent les régions de l'Ouest et de l'Est. Il y aurait un mécanisme instaurant une double égalité, égalité au sein des régions et égalité entre les régions.

Ce qu'on ne pourrait pas obtenir avec ce mécanisme, ce serait que toutes les provinces soient traitées exactement de la même façon. Cela me paraît toutefois être une chimère. Cela n'arrivera jamais et il n'est pas fructueux de continuer à essayer d'y parvenir.

Le sénateur Angus : On nous a parlé des assemblées de citoyens. Je suis sûr que vous connaissez cette idée. Le point commun ne serait-il pas que dans chacune de ces quatre régions, il y aurait une assemblée des citoyens qui aurait d'autres fonctions que d'élire les sénateurs, mais cela serait une de leurs fonctions?

M. Pellerin : La comparaison est très proche. Au Québec et en Ontario, ce serait facile parce qu'il suffit de prendre les assemblées législatives actuelles.

Le sénateur Angus : Je pense que cela serait une mauvaise solution.

M. Pellerin : Nous pourrions en parler. Dans les régions, il y aurait des délégations. Cela ressemblerait beaucoup à une assemblée de citoyens parce que je les choisirais au hasard, je prendrais un nombre égal de représentants des assemblées provinciales pour former cette assemblée régionale, qui serait ensuite chargée d'élire les sénateurs. La question qui se pose alors est de savoir quel est le genre de système qui sera utilisé pour procéder à cette élection.

Le sénateur Angus : Le premier ministre est venu ici l'autre jour et il était très réticent à nous fournir des détails parce que son projet de réforme n'est pas définitif. Il a indiqué que nous en saurions davantage au sujet du processus électoral à l'automne. Il a toutefois mentionné une ou deux choses. Une était qu'il y aurait un processus électoral national et l'autre que le processus de consultation serait mis sur pied par le gouvernement fédéral. Voilà ce que j'ai retenu. Est-ce que cela pourrait fonctionner? Est-ce que le gouvernement fédéral pourrait créer une assemblée de citoyens pour chacune des quatre régions?

M. Pellerin : Elles ne sont pas vraiment créées par le gouvernement.

Le sénateur Angus : Mais si c'était l'Assemblée législative de l'Ontario ou l'Assemblée nationale du Québec?

M. Pellerin : Je pense que le processus serait national dans un autre sens. Il y aurait des législateurs dans chacune des régions mais avec ma proposition, ils seraient libres de voter pour l'ensemble du pays. Personne ne saurait quels seraient les résultats.

L'aspect unificateur est qu'il y aurait un jour pour l'élection du Sénat. Nous pourrions tous être assis devant notre téléviseur et nous ne saurions pas au départ ceux qui seraient élus. Je ne peux pas vous dire en détail comment cela fonctionnerait, mais cela serait un événement national parce qu'il y aurait un jour national pour l'élection du Sénat et que personne ne saurait ce qui en découlerait.

J'accorderais également de l'importance aux identités régionales parce que ces élections concerneraient les assemblées régionales, tout en conservant l'apport des provinces parce que les assemblées législatives provinciales feraient en fait partie de ces assemblées.

Le mécanisme électoral auquel je pense, qui serait le vote unique transférable qui est une forme de représentation proportionnelle, et la distance par rapport aux partis qu'introduisent des élections directes auraient pour effet de diversifier les choix de façon considérable.

Par conséquent, ces législateurs et leurs assemblées pourraient vraiment décider qui ils veulent comme sénateurs. Il y aurait ensuite un vote secret, selon un système proportionnel, et il y aurait plusieurs scrutins. Je pense qu'il serait possible à la fin de la journée de savoir qui ont été jugés les meilleurs.

Le sénateur Angus : À la fin de la journée, est-ce que le premier ministre serait tenu de nommer ces personnes?

M. Pellerin : Il faudrait que cela soit prévu par la modification. Je pense que la modification serait possible parce que...

Le sénateur Angus : Si ce n'était pas obligatoire, on m'a dit qu'il ne serait pas nécessaire de procéder par modification. On pourrait le faire aux termes de l'article 44.

M. Pellerin : Cela est possible. Cela serait possible avec les éléments dont nous disposons mais ils seraient repris de telle façon que le mieux serait de dire aux provinces que c'est la meilleure solution qui leur sera offerte. Elles peuvent bien continuer à lutter pour obtenir un Sénat Triple-E jusqu'à ce qu'elles tombent d'épuisement, mais elles ne l'auront pas.

Cette proposition n'est pas idéale et ne permet de réaliser qu'une partie des objectifs recherchés, mais elle donne quelque chose à chacun et ne donne tout à personne. J'espère qu'elles seraient au moins disposées à négocier à partir de ce projet. C'est dans cet esprit que j'ai élaboré ce projet. Si les provinces ne sont pas disposées à négocier sur cette base, si c'est toujours moi, moi, moi, il faut alors renoncer à vivre ensemble. Cela ne peut pas fonctionner de cette façon.

Il faut être prêts à faire des compromis à vos voisins et prêts à se demander ce qu'est un principe équitable et ne pas toujours essayer de tirer la couverture à soi. Si nous perdons cet esprit, alors nous aurons un problème beaucoup plus grave que celui de la réforme du Sénat parce que nous devrons nous demander si nous formons bien une communauté politique ou un jardin d'enfants plein de tiraillements.

Le sénateur Angus : Voilà qui nous donne de quoi réfléchir. J'aurais une question plus précise. Je pense que le sénateur Tkachuk allait dans cette direction mais vous avez pris une tangente intéressante.

Si le projet de loi S-4 devait être relié à un processus des élections indirectes, seriez-vous prêt à l'appuyer sur le plan des principes et de voir là une première étape?

M. Pellerin : La clé serait de savoir à quoi cela est relié. Je continue à penser qu'un mandat non renouvelable de huit ans est trop court et qu'un mandat renouvelable de huit ans soulève trop de problèmes. Cela vient du fait qu'il me paraît que la durée du mandat est un élément essentiel. J'estime également qu'il est difficile d'exiger plus de la moitié.

Le sénateur Angus : Vous pensez qu'un mandat non renouvelable de 12 ans est tout à fait acceptable?

M. Pellerin : Oui, si vous pouviez trouver une manière de relier cela à des élections. Je proposerais un mandat non renouvelable de 12 ans, comme les font M. Smith et beaucoup d'autres.

Le sénateur Murray : On a fait référence ces derniers jours à divers aspects du Sénat des États-Unis et du Sénat australien. J'aimerais mentionner, aux fins du compte rendu et pour que les témoins réagissent s'ils le souhaitent, le fait qu'en Australie et aux États-Unis, les gouvernements étatiques ont beaucoup moins de pouvoir, notamment sur le plan constitutionnel, que nos provinces.

Lorsque nous étions en Australie il y a six ou sept ans, le sénateur Fraser et moi, sous la direction du sénateur Hays, on nous a dit que 70 p. 100 de toutes les recettes perçues en Australie allaient au gouvernement central.

Je crois que l'on peut dire que le fait d'avoir créé un Sénat élu, puissant, sur une base égalitaire disposant de larges pouvoirs en Australie, tout comme aux États-Unis, a, dans une certaine mesure, pour but de compenser la faiblesse relative des États membres sur le plan constitutionnel.

Monsieur Smith, vous ne serez pas surpris de m'entendre dire que j'ai trouvé que vos arguments contre le projet du gouvernement étaient lucide et convaincants et que ceux que vous avez avancés pour critiquer mon projet étaient tout à fait dénués de mérite.

Personne ne prétend que le Sénat devait au départ représenter la population, ce n'est pas non plus dans cette direction que le sénateur Austin et moi essayons de nous engager. Cependant, dès le départ, les rédacteurs de la Constitution ont pris des mesures pour augmenter la représentation au Sénat du Manitoba, de la Saskatchewan, de l'Alberta et, je crois, de la Colombie-Britannique, à mesure que la population de ces provinces augmentait. Le problème est que nous avons cessé de le faire depuis 1915.

Tous les projets de réforme générale du Sénat que j'ai examinés comprenaient des mesures destinées à renforcer la représentation des provinces de l'Ouest, principalement de la Colombie-Britannique et de l'Alberta, parce que ce déséquilibre saute aux yeux et constitue une grave injustice. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut créer une nouvelle région ou une demi-région pour la Colombie-Britannique. Cela a été fait pour ce qui est de la loi sur le veto des régions, après le référendum de 1995.

Par conséquent, je crois qu'il est facile de justifier une augmentation de la représentation du Canada de l'Ouest au Sénat, chose qui peut être faite immédiatement et nous devrions essayer de le faire. Nous sommes en train de faire quelque chose qui n'a jamais été essayé auparavant. Nous démarrons un processus visant à modifier le Sénat. Si nous adoptons cette motion, elle sera transmise aux autres acteurs de ce processus et nous verrons bien ce qui arrivera.

Le premier ministre Harper a déclaré que sa proposition, le projet de loi S-4, devait être adoptée, parce que c'est une mesure qui se justifiait, même si aucun autre aspect du Sénat ne devait être modifié. Je ne suis pas d'accord avec lui sur ce point.

Je dirais par contre que, si aucun autre aspect du Sénat n'est modifié, il serait facile de justifier une augmentation de la représentation de l'Ouest du Canada. Je ne vais pas passer en revue les chiffres relatifs au pourcentage de la population et des sièges au Sénat, mais ce n'est pas un changement radical. Cela améliorerait toutefois la représentativité du Sénat.

Monsieur Pellerin, on vous a posé ces dernières minutes un certain nombre de questions que j'allais vous poser moi- même. Le seul aspect qui n'a pas été abordé est celui de savoir si vous avez réfléchi aux pouvoirs que vous attribueriez à un Sénat élu indirectement.

M. Smith : Vous avez mentionné dans vos remarques liminaires qu'aux États-Unis et en Australie, le Sénat était élu au suffrage universel. C'est tout à fait exact mais ce ne sont pas des chambres étatiques. Elles n'agissent pas comme des chambres étatiques.

J'ai des raisons de bien connaître l'Arkansas. Si vous pensez à l'Arkansas et au sénateur Fulbright, vous penseriez que cette personne n'est pas sénateur de l'Arkansas mais plutôt une figure politique nationale et internationale. Le sénateur Church de l'Idaho était une figure nationale. Ces sénateurs ne sont pas des représentants de leur État. Si vous voulez des politiciens locaux, il faut aller voir à la Chambre des représentants.

Le sénateur Murray : Je pense que les États-Unis sont le seul pays au monde qui puisse se permettre d'avoir le Sénat qu'il a. Je comprends ce que vous dites au sujet de personnes comme Fulbright, Church et de nombreuses autres, mais il demeure qu'elles ont le pouvoir d'empiler les propositions budgétaires et les propositions de crédits et que cela ne peut que désespérer un conservateur sur le plan fiscal.

En fait, ils agissent aussi comme des représentants de leur État. Prenez le cas de l'Alaska. Ted Stevens est un sénateur très important sur le plan national mais je peux vous dire qu'il s'occupe bien de son État.

M. Smith : En Australie, on dit souvent que le Sénat est une chambre des partis et non pas une chambre des États. C'est une chambre des partis des États. Les partis des États exercent un contrôle sur les personnes qui siègent au Sénat à Canberra.

Je me souviens d'une campagne électorale au cours de laquelle le premier ministre avait pris la parole, je crois que c'était en Colombie-Britannique, et il disait qu'il fallait modifier la Loi sur la représentation électorale pour que la Colombie-Britannique envoie davantage de députés à la Chambre des communes. Je ne sais pas si j'ai le droit de poser une question.

Je dirais que la Chambre des communes est loin de respecter le principe de la représentation selon la population...

Le sénateur Murray : La Colombie-Britannique, l'Alberta et l'Ontario sont les seules provinces qui ne sont pas surreprésentées à la Chambre des communes.

M. Smith : La Saskatchewan devrait avoir neuf députés. Si on appliquait strictement à la Chambre des communes le principe de la représentation selon la population, comment cela modifierait-il les arguments concernant la restructuration du Sénat?

Ce qui s'est produit au Canada, c'est que la représentation à la Chambre des communes a été utilisée pour répondre à deux impératifs tout à fait différents, le principe de la représentation selon la population et selon les régions. Nous en sommes arrivés à un point où il est pratiquement impossible de concilier ces deux principes de façon cohérente sur le plan intellectuel. Ces questions se posent lorsqu'on établit les limites des circonscriptions à l'intérieur des différentes provinces.

Le sénateur Murray : Un écart de 25 p. 100 est beaucoup trop important pour être toléré.

M. Smith : Ce ne sont pas les citoyens qui sont représentés. Lorsque je lisais John Stuart Mill, je pensais que c'était les citoyens qu'il fallait représenter. Que représentons-nous ici?

Le sénateur Murray : Les communautés d'intérêts.

M. Smith : L'expression « communautés d'intérêts » est définie de diverses façons. La représentation soulève des problèmes réels et cela explique en partie les difficultés auxquelles nous nous heurtons et en partie, le bicaméralisme.

Le président : Quels devraient être les pouvoirs d'une deuxième chambre élue directement?

M. Pellerin : Permettez-moi de vous dire quelques mots sur le Sénat des États-Unis parce que c'est toujours ce modèle que l'on retrouve à l'arrière-plan de ces discussions.

Il faut reconnaître au départ que cet organe fait partie d'un ensemble institutionnel génial. Le régime américain n'est pas parlementaire mais présidentiel. La logique de ce régime consiste à entraver le plus possible le gouvernement. C'était le but initial et il n'est pas compatible avec la paix, l'ordre et le bon gouvernement, comme nous comprenons cette expression. Ce grand compromis dont on parle toujours dans ce débat n'était pas en fait vraiment un grand compromis. Si vous lisez Madison, vous verrez qu'il n'était pas satisfait de ce compromis. Il a été obtenu par la force. Ce compromis a seulement été rendu possible parce que les États-Unis venaient d'abandonner un système de gouvernement qui leur avait fait pratiquement perdre la Guerre d'indépendance, à savoir les articles de la Confédération dans lesquels tous les États étaient représentés également, et c'est à cause de ce statu quo que les petits États ont réussi à faire adopter ce soi-disant grand compromis par les grands États parce qu'il représentait pour eux une amélioration. Cependant, les États importants ont été très réticents à l'adopter et cela ne s'explique que par le contexte historique. Dans d'autres circonstances, ils n'auraient jamais accepté ce compromis et dans les circonstances qui règnent actuellement au Canada, il est difficile de voir comment ils l'accepteraient, étant donné que le statu quo n'est pas beaucoup plus satisfaisant.

Pour ce qui est du pouvoir et des fonctions, je ne modifierais pas profondément ceux du Sénat. Cela n'est pas nécessaire.

Cet organe fonctionne très bien et comporte de nombreux avantages mais il faut que les sénateurs soient plus résolus et qu'ils aient suffisamment confiance en leur statut pour parler avec plus d'autorité sur les grandes questions, sans craindre qu'on leur dise qu'ils n'ont pas de légitimité. Des élections indirectes leur accorderaient une certaine autorité lorsqu'ils prennent position sur des grandes questions, mais cela ne ferait pas du Sénat un véritable contrepoids au gouvernement. Si ce mécanisme était adopté, les institutions seraient, d'après moi, parfaitement équilibrées.

On pourrait aller également plus loin. Le régime politique canadien comporte certaines lacunes auxquelles on pourrait remédier à l'aide d'un Sénat réformé mais pas la Sénat actuel, le processus de nomination du gouverneur général, peut-être, ou la nomination des juges — ce sont là des domaines où nous procédons, par défaut, à des nominations en vertu de la prérogative. Est-ce parce que nous pensons que cette façon de faire est excellente? Non, c'est parce que nous sommes incapables d'imaginer autre chose et le Sénat pourrait nous offrir de meilleures possibilités.

Le Sénat actuel ne pourrait pas s'en charger. Cela ne serait pas possible. On pourrait par contre le faire si le Sénat était légèrement renforcé grâce au mécanisme des élections indirectes. Si les qualités des sénateurs étaient incontestables, si ce n'était pas un organe partisan et n'avait pas à répondre aux pressions politiques quotidiennes, alors les Canadiens en seraient très fiers, ce qu'ils ne sont pas à l'heure actuelle, même s'ils devraient l'être. Nous pourrions alors envisager d'utiliser le Sénat pour résoudre nos autres problèmes. Commençons par le Sénat et utilisons- le pour remédier à d'autres problèmes. Il y en a un certain nombre. Il n'y a vraiment pas beaucoup de bonnes solutions, et lorsque nous ne trouvons rien de mieux Canada — cela fait 150 ans que cela dure —, nous avons recours aux nominations en vertu de la prérogative. Tout le monde les critique mais nous continuons à les utiliser parce que nous ne réussissons pas à trouver une autre solution. Cela n'est pas acceptable.

Le sénateur Watt : Je vais commencer par dire que le Nord est peut-être un éléphant, qu'il n'a pas réussi à régler les questions qui importent pour cette région depuis quelques années, étant donné que cela fait 23 ans que je suis au Sénat, même si j'ai accompli certaines choses, je n'ai pas été aussi loin que j'aurais dû.

C'est la raison pour laquelle on devrait peut-être dire que le Nord est un éléphant parce qu'il ne va pas très bien avec le reste. Les préoccupations et les styles de vie de ses habitants sont bien différents de ceux des gens du Sud.

Le Nord a besoin d'une voix plus forte, d'une voix qui serait entendue. En ce moment, je fais ce que je peux, mais je pense parfois que je ne fais pas comprendre ce message comme je devrais le faire. Ce qui se passe dans le Nord aura une influence et un effet sur ce qui arrivera dans le Sud.

C'est la raison pour laquelle il faudrait trouver le moyen de renforcer la voix des Inuits pour qu'elle se fasse entendre.

Monsieur Smith, vous avez mentionné que les Autochtones n'étaient pas une minorité au Canada mais plutôt les premiers habitants et qu'ils avaient des droits précis reconnus et confirmés par la Constitution. Je crois que c'est ce que vous avez déclaré.

J'étais ici lorsque le sénateur Pitfield a fait une déclaration au Sénat et a parlé des intérêts sectoriels, désignant ainsi une catégorie de personnes ayant un intérêt commun. Vous avez également mentionné ce fait, et vous avez dit que nous devrions examiner cette question.

Pensez-vous que les peuples autochtones soient vraiment des exemples d'intérêts sectoriels? Sachez qu'à l'heure actuelle, le Sénat ne garantit aucun siège aux peuples autochtones. Je suis un Inuk du Nord, et j'ai été nommé non pas parce que je suis un Inuk mais parce que la personne qui m'a nommé estimait que je pourrais effectuer ce travail et représenter les gens du Nord. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai été nommé au Sénat.

J'aimerais vous demander à tous les deux d'essayer de nous aider à trouver des solutions. Comment aborder les questions délicates, non seulement les questions délicates mais également les questions essentielles?

Permettez-moi de mentionner une mesure législative dont je me suis occupé, à savoir la cruauté envers les animaux. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour expliquer que cette mesure nuirait à l'économie et au bien-être de notre peuple. Cela n'a pas empêché le projet de loi d'être adopté.

Mon propre parti a également présenté une loi sur les armes à feu. Cela a eu de graves répercussions économiques sur notre peuple. Autrement dit, cette mesure nous a beaucoup nui. Nous avons presque été obligés de déclarer faillite.

Nous sommes très peu nombreux et nous n'avons pas un grand poids politique, mais le fait demeure que nous faisons partie du Canada. J'essaie de trouver le moyen de m'intégrer à ce système de façon à mieux faire entendre ma voix à l'intérieur de ce système, mais je n'y suis pas encore parvenu.

Vous parlez de représentation proportionnelle régionale. Je ne suis pas sûr que cela répondrait à mes préoccupations, mais cela serait peut-être néanmoins utile parce que maintenant, il m'importe peu que les candidats soient élus ou nommés. Le problème de savoir s'il faut élire ou nommer les sénateurs demeure. C'est une question importante. Mais si nous voulons améliorer la situation de notre pays, il faut que nous, les Inuits, puissions y trouver notre place. Je ne peux pas parler pour les premières nations maintenant, mais je sais qu'ils ont des préoccupations semblables. Comment tenir compte de ces choses? C'est une chose qui me préoccupe depuis 23 ans; j'ai essayé de trouver une solution pour surmonter ces obstacles. Je vous laisse le soin de répondre à cette question.

M. Smith : Sénateur, vous avez soulevé un certain nombre de questions. Tout d'abord, les Inuits et les premières nations sont une minorité sur le plan du nombre et n'importe quel système de représentation selon la population ne leur accordera qu'une faible représentation.

Vous avez parlé de représentation proportionnelle et du modèle de ce type de représentation qui mériterait d'être examiné davantage. Je ne suis pas certain que la représentation proportionnelle soit vraiment avantageuse pour les minorités numériques. Habituellement, dans les pays qui utilisent la représentation proportionnelle, ce sont les partis politiques qui en contrôlent le fonctionnement. C'est le choix des candidats qui importe parce que cela importe dans notre système majoritaire. C'est ce qui détermine si votre nom figurera sur la liste. Si vous êtes en haut de la liste, vous serez élu; si vous êtes au milieu, vous serez peut-être élu; mais si vous êtes en bas, vous ne serez pas élu. Cela dépend de l'endroit où le parti vous place sur la liste.

Vous avez soulevé la question des intérêts des territoires et de leur représentation. D'une certaine façon, il semble que le Sénat, sous sa forme actuelle, le fait peut-être mieux que le ferait un système de représentation territoriale, parce qu'il n'est pas choisi selon une représentation territoriale. Le Sénat a fait remarquer que proportionnellement, il y a davantage de femmes au Sénat qu'à la Chambre des communes, et qu'il y a davantage de membres des premières nations, par exemple. Certains diront que cela est insuffisant et il est possible que cela ne soit pas suffisant du point de vue de l'égalité dans les politiques électorales. Cela sera peut-être suffisant pour ce qui est de se faire entendre, jusqu'à un certain point. Il existe toujours une grande diversité d'intérêts.

Le Canada possède un vaste territoire avec une population relativement faible et répartie également. Un système qui essaierait de tenir compte de façon équitable de l'importance de la population ne pourrait pas fonctionner. Comment équilibrer tout cela? À une certaine époque, on avait des sièges binominaux, comme dans les provinces Maritimes, pour représenter la population catholique et la population protestante. Les partis présentaient chacun un candidat, et ce dernier était élu selon qu'il représentait l'un ou l'autre des groupes religieux prédominants. Il a été suggéré que l'on devrait avoir des sièges binominaux en fonction du sexe, pour lesquels un candidat serait de sexe masculin et l'autre de sexe féminin.

Dans une certaine mesure, le NPD a parlé de présenter la candidature d'un certain nombre de femmes. On pourrait se lancer dans de grandes discussions sur la structure du gouvernement mais cela ne vous aidera pas beaucoup; et je suis sûr que vous avez déjà réfléchi à tout ceci. Je suis désolé de ne pas avoir de réponse à ce problème. Il faut se demander s'il existe un système de représentation qui puisse vous être utile.

Il y a un aspect qui distingue le Canada de l'Australie et des États-Unis, c'est que les territoires ont le droit d'être représentés. Cela remonte à 1885, à l'époque où les Territoires du Nord-Ouest se sont vus accorder des représentants au Parlement à Ottawa, alors que c'était encore une territoire. Puerto Rico n'était pas représenté à Washington et le Territoire du nord n'était pas représenté à Canberra. Dans ces pays, le fait d'être représenté au parlement national voulait dire que vous étiez un membre à part entière de la fédération. Cela n'a jamais eu ce sens au Canada, même si je ne sais pas pourquoi. Les politiciens canadiens ont une perception de la représentation qui, si elle n'est pas typiquement canadienne, est néanmoins inhabituelle. Cela est important et on a tendance à ne pas s'en préoccuper parce qu'il s'agit de petits nombres.

M. Pellerin : Tout le monde reconnaît que le Nord joue un rôle central dans l'identité de notre pays, dans sa mythologie et, par là, dans sa culture. Tout le monde comprend cela et c'est important. Nous le voyons tout autour de nous, même dans cette salle. Parallèlement, nous sommes aussi une société d'immigrants, avec des strates de population qui sont arrivées successivement au cours de notre histoire. Le fait d'être arrivés les premiers ne peut être le seul élément pris en considération. L'importance de la population ne peut pas non plus être la seule considération, mais je vous répète qu'avec ma proposition, les Territoires du Nord-Ouest, le Yukon et le Nunavut conserveraient un siège au Sénat. Cela veut dire que dans ces territoires, un sénateur représenterait 30 000 à 40 000 habitants, alors qu'à l'échelle du pays, il en représente près de 300 000. Je reconnais le poids culturel du Nord et la gravité de cette question, mais nous ne pouvons faire fi des intérêts du reste du pays. Il faut en arriver à un équilibre.

Je ne sais pas si la représentation actuelle au Sénat est suffisante. Le nombre de sénateurs pourrait augmenter avec ma proposition, mais je suis prêt à parier qu'il ne diminuera pas. Nous ne devrions pas essayer de fixer des quotas. Cela peut se faire et cela se fera si le sentiment populaire est représenté grâce au mécanisme indirect auquel je pense. Ce sentiment se fera sentir à travers nos valeurs actuelles, qui est notre patrimoine autochtone, ce qui n'a pas toujours été le cas. Je veux que cela soit conservé mais nous ne pouvons pas surreprésenter considérablement cette région et continuer de dire que cette représentation est toujours insuffisante. Cela se produit constamment au Canada. Les provinces atlantiques sont considérablement surreprésentées mais cela ne leur suffit pas. L'Ouest affirme être sous- représenté par rapport à l'Est mais il est surreprésenté par rapport à l'Ontario. Nous essayons toujours de nous comparer aux voisins. Personne ne s'appuie sur des principes. Nous devons dire que cela doit cesser. S'il y a un ou deux sénateurs qui représentent le Nord, on peut dire que par rapport aux chiffres de la population, ces régions sont au moins 10 fois surreprésentées. Parler de problème grave de sous-représentation avec de tels chiffres ne respecte pas le principe suivant lequel tous les citoyens du pays ont la même importance.

Les problèmes que connaît le Canada ne sont pas dus à un manque d'attention à la situation des minorités, même si cela a pu être le cas auparavant. Aujourd'hui, ces problèmes viennent du fait que nous attachons tellement d'importance aux minorités, nous sommes tellement prêts à prévoir des quotas explicites ou informels que nous perdons de vue le fait que dès qu'une personne est surreprésentée, cela veut dire qu'une autre est sous-représentée. Il n'est pas bon de perdre cela de vue. C'est un équilibre délicat. Lorsqu'il y a surreprésentation, il faut reconnaître que cela constitue en fait un privilège qui doit être apprécié et reconnu.

Le président : Je remercie MM. Smith et Pellerin d'avoir comparu devant le comité aujourd'hui.

La séance est levée.


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