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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 4 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 8 juin 2006

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi S-211, Loi modifiant le Code criminel (loteries), se réunit aujourd'hui à 11 h 2 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, nous étudions aujourd'hui le projet de loi S-211, Loi modifiant le Code criminel (loteries). Ce projet de loi est présenté pour la troisième fois par notre collègue, le sénateur Lapointe. Les deux premières fois, il avait été renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je me suis demandé pourquoi il est arrivé cette fois-ci devant notre comité alors qu'avant, il allait ailleurs. C'est parce qu'il soulève un certain nombre de questions sociales, et les autorités ont donc décidé qu'il était plus normal de nous le soumettre.

Je propose, sénateur Lapointe, que vous commenciez en nous résumant brièvement le projet de loi et en invoquant certaines des questions qui ont été soulevées les deux premières fois qu'il a été étudié par un comité du Sénat.

Je signale également que la dernière fois, le projet de loi a été adopté au Sénat. Il a été envoyé à la Chambre des communes, où il est resté pendant un certain temps, puis le Parlement a été dissous et le projet de loi est donc mort au Feuilleton.

L'honorable sénateur Jean Lapointe, parrain du projet de loi : Merci beaucoup. Je me sentirai plus à l'aise en faisant ma présentation en français; cependant, j'ai un petit paragraphe en anglais.

[Français]

Honorables sénateurs, aujourd'hui est ma troisième comparution devant un comité permanent du Sénat pour délibérer sur ce projet de loi. Pour votre gouverne, je vous souligne que ce comité a déjà été saisi du sixième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, datant du 12 avril 2005, grâce à une motion que j'ai fait adopter par la Chambre haute.

Honorables sénateurs, que ce soit à l'étape de la deuxième lecture en Chambre, des comités ou encore de la troisième lecture, plusieurs sénateurs et témoins ont eu la chance de se prononcer sur ce projet de loi. Les présentations, les discussions et les débats ont porté fruits. En effet, le dernier comité qui a étudié le projet de loi devant vous aujourd'hui a fait adopter deux amendements, que je ne qualifierais pas de majeurs, mais pour lesquels je suis entièrement d'accord.

De plus, le rapport du comité ainsi que le projet de loiamendé ont été adoptés par le Sénat en troisième lecture, en date du 17 mai 2005.

Honorables sénateurs, le projet de loi que vous vous apprêtez à étudier se trouvait devant la Chambre des communes lors de la prorogation du gouvernement.

Je sais pertinemment que lorsque la Chambre demande à votre comité d'étudier un projet de loi, qu'il est de votre devoir de prendre le temps nécessaire pour bien accomplir votre tâche, de voir aux intérêts des Canadiens et des Canadiennes et surtout de ceux et celles en situation minoritaire.

Vu la circonstance un peu particulière devant laquelle nous nous trouvons aujourd'hui avec le projet de loi S-211, je vous demande et vous en conjure, honorables sénateurs, de bien vouloir accepter de ne voir qu'un seul témoin, moi- même, et de faire rapport à la Chambre haute le plus rapidement possible avant le congé d'été.

Ne serait-ce que pour sauver des vies de gens qui ont un problème de jeu compulsif, causé par les loteries vidéo, ou encore pour sauver de l'argent aux contribuables puisque ce que votre comité s'apprête à faire est un peu le dédoublement du travail effectué par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Pour le bénéfice de ceux et celles qui n'auraient jamais entendu parler de ce projet de loi, je vous résumerai très brièvement les grandes lignes qui m'ont poussé à poursuivre le combat contre les machines de loterie vidéo depuis maintenant près de quatre ans.

Les appareils de loterie vidéo qui se trouvent dans les bars et les restaurants de huit de nos provinces au pays représentent une calamité grave et devraient être retirés de ces établissements pour être relocalisés dans les casinos, les hippodromes et les maisons affiliées, comme les hippoclubs, tous gérés, et seulement gérés par les gouvernements provinciaux.

Selon les maisons qui viennent en aide aux joueurs compulsifs, les lignes d'entraide, les experts universitaires et autres, ainsi que les instituts de santé publique, tous s'entendent et sont unanimes pour dire que la loterie vidéo est la forme de jeu qui crée le taux le plus élevé de dépendance et cela, dans une proportion monstre.

Un des problèmes majeurs est l'accessibilité. Que ce soit dans les grandes villes ou dans les villages, il est difficile de trouver une seule rue ou avenue d'importance sans y trouver ces appareils destructeurs.

Un autre problème d'importance également est celui de la visibilité. Les jeunes qui vont dans les bars pour s'amuser entre amis sont attirés par les loteries vidéo, et si on pense aux jeunes de la génération Nintendo, inévitablement, ils succombent à l'attrait. Je me fais un portrait très pessimiste de l'impact de la loterie vidéo sur ces jeunes, pour l'avenir. La relocalisation de ces appareils dans les casinos et les hippodromes engendrera moins de publicité, partout dans les vitrines des bars et des tavernes qui se trouvent tout près des écoles de nos enfants.

[Traduction]

Dans sa déclaration de principe sur la politique du jeu au Manitoba, l'Association des travailleurs sociaux du Manitoba signalait que le groupe d'âge le plus jeune, les 18 à 24 ans, présentait le plus fort pourcentage de personnes ayant joué à des loteries vidéo l'année dernière, soit 66 p. 100. L'étude indique que les jeunes sont très amateurs d'appareils de jeu comme les loteries vidéo.

[Français]

En adoptant le projet de loi S-211, le gouvernement du Canada viendra en aide aux provinces qui font un déficit avec leurs loteries vidéo, et non un profit, contrairement à ce que prétendent certains représentants des gouvernements provinciaux.

Honorables sénateurs, le coût social des loteries vidéo est beaucoup plus élevé que les recettes amenées par celles-ci. Les gouvernements provinciaux doivent s'ouvrir les yeux pour le réaliser.

À la suite d'études réalisées par des experts de partout au Canada et dans le monde, comme celles du docteur Neil Tudiver, du Manitoba, par exemple, il est prouvé que le coût social des loteries vidéo est de trois à cinq fois plus élevé que les revenus qu'elles engendrent. D'un océan à l'autre, les populations de nos provinces font face à un fléau d'une telle importance que le gouvernement fédéral se doit de prendre ses responsabilités et mettre un frein aux drames que subissent trop de familles canadiennes.

J'aimerais ouvrir une parenthèse pour vous dire que j'ai reçu plus de 700 lettres ou courriels de personnes souffrant de ce problème ou ayant quelqu'un de leur famille qui en souffre. Il serait absurde d'attendre que les provinces bougent dans ce dossier puisque celles-ci font des milliards de dollars de faux profit avec ces machines infernales. De plus, ce sont ces mêmes gouvernements qui édictent leur propre code de conduite face aux divers problèmes engendrés par le jeu.

Honorables sénateurs, le temps est venu pour nous d'agir. Je crois sincèrement que si nous nous attaquons à l'accessibilité et la visibilité des loteries vidéo, cela pourrait avoir un effet positif sur notre société. C'est pourquoi je vous demande d'appuyer le projet de loi S-211 de façon expéditive afin de sauver le plus grand nombre de vies humaines et d'enrayer cette grave détresse, subie non seulement par les joueurs compulsifs, mais pour tous ceux qui les entourent.

[Traduction]

Le président : Merci.

[Français]

Le sénateur Pépin : Sénateur Lapointe, on sait à quel point ce projet de loi vous tient à cœur. Je me souviens que dès votre arrivée au Sénat, vous nous avez parlé d'un projet de loi au sujet de ces appareils loteries vidéo.

J'aurais besoin d'éclaircissements sur quelques petits détails. Votre projet de loi s'intéresse aux appareils de loterie vidéo qui sont dans les restaurants et non dans les casinos.

Le sénateur Lapointe : Strictement ceux qui sont sur la rue.

Le sénateur Pépin : Si jamais quelqu'un décidait que dans son restaurant ou son bar, il installait plusieurs machines et appelait cela un mini casino, est-ce qu'il y aurait quelque chose qui l'empêcherait de faire un mini casino avec des appareils semblables? Parce que dans la loi, le mot « casino » n'est pas défini.

Le sénateur Lapointe : C'est ceux-là que je veux attaquer, ceux qui font des mini casinos dans les restaurants, les bars et les tavernes.

Le sénateur Pépin : Évidemment, lorsque vous dites que vous voulez que ces appareils soient mis dans les casinos bien spécifiques, c'est pour soi-disant des adultes. Vous nous dites que les adolescents sont beaucoup plus à risque.

Le sénateur Lapointe : Oui.

Le sénateur Pépin : Pourquoi? On sait que cela va créer des habitudes, mais pourquoi est-ce que les adolescents sont plus à risque que les adultes?

Le sénateur Lapointe : Parce qu'on retrouve ces appareils à tous les coins de rue, près des écoles. Et ce n'est pas le gouvernement qui surveille, ce sont les tenanciers de bars. Leurs scrupules n'existent pas.

J'ai reçu un téléphone d'une dame dont le fils s'est suicidé à 17 ans. Cela faisait un an, un an et demi qu'il jouait. Il devait environ 2 700 $ à un prêteur sur gages. Il s'est suicidé. La dame pleurait et m'a dit : n'abandonnez pas votre lutte.

C'est la proximité des appareils dans la circulation qui est le problème. Si c'était dans les hippoclubs, les hippodromes, les casinos, le problème ne serait pas le même. Les gens doivent se déplacer, ils doivent prendre l'autobus, un taxi ou un autre moyen de transport pour aller jouer.

Le sénateur Pépin : D'accord, la distance est un bon point. J'ai une autre question au sujet de l'argent. On sait que cela rapporte de l'argent aux provinces, mais il me semblait qu'il y avait eu des ententes, en 1979 et en 1985, à l'effet qu'au niveau des gouvernements provinciaux, qu'ils avaient eu une entente entre eux. Mais si nous, au fédéral, on prend une décision en leur disant de retirer cela, vous ne pensez pas que l'on rentre dans le rôle des gouvernements provinciaux?

Le sénateur Lapointe : Je m'excuse, sénateur Pépin, mais en 1979, 1985, le fléau des loteries vidéo n'existait pas.

Le sénateur Pépin : Ces machines n'existaient pas?

Le sénateur Lapointe : Pas du tout.

Le sénateur Pépin : Je comprends. Et si on impose cela, on décide et après, on leur dit de se débrouiller. Évidemment, il y a une période de trois ans pour que ce soit appliqué et pour que les différents gouvernements s'entendent.

Je me dis que cela pourrait faire un petit froid et qu'ils n'aimeront pas qu'on leur dise quoi faire.

Le sénateur Lapointe : Ce n'est pas mon problème. S'ils ne veulent pas comprendre qu'il y a des études — ce n'est pas moi qui les ai faites — qui prouvent, noir sur blanc, que cela leur coûte de trois à cinq fois plus en coût social, en absentéisme, en suicide, en maladie, en dépression, en criminalité de toutes sortes, je crois que c'est une opportunité pour le gouvernement fédéral. Cela peut refroidir les relations fédérale-provinciales, mais ce n'est pas inventé. On prouve qu'ils perdent de l'argent au lieu d'en faire. C'est une opportunité incroyable de se donner beaucoup de crédit auprès de la population.

Le sénateur Pépin : Ils dépensent beaucoup plus d'argent à réparer les dégâts causés par ces machines que l'argent qu'ils vont perdre avec les gens qui vont jouer avec ces appareils.

Le sénateur Lapointe : Ils vont économiser de l'argent.

Le sénateur Pépin : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Cordy : On pourrait lancer le débat sur les loteries vidéo. Vous avez parlé des situations épouvantables dans lesquelles des familles se retrouvent parce qu'un de ses membres s'adonne aux loteries vidéo, mais cela ne fait pas partie de votre projet de loi et nous n'en discuterons pas aujourd'hui.

Vous dites qu'il ne devrait y avoir des appareils de loterie vidéo que dans les hippodromes, les casinos et les salles de paris. Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est une salle de paris?

Le sénateur Lapointe : Je n'ai jamais parlé de salles de paris. Dans les hippodromes, il y a des espaces où les gens parient sur les chevaux, et les gens viennent là pour jouer, mais ces endroits ne sont pas très nombreux au Canada. Un champ de course est beaucoup moins dangereux que les appareils de loterie vidéo qu'on trouve au coin de la rue.

Le sénateur Cordy : Votre projet de loi fait référence aux salles de paris. Est-ce un endroit où on peut parier?

Le sénateur Lapointe : Le Québec a l'intention de créer des salles de paris où on trouvera de ces machines, mais je conteste cette intention.

Le sénateur Cordy : Les appareils de loterie vidéo ont fait initialement leur apparition dans les dépanneurs en Nouvelle-Écosse. C'était catastrophique, car on voyait des jeunes qui passaient des heures dans les dépanneurs. Maintenant, on trouve ces appareils dans les bars. Vous n'avez pas inclus les bars dans votre projet de loi; un jeune devrait avoir l'âge adulte pour être admis dans un bar. Pourquoi avez-vous exclu les bars, alors que vous avez inclus les hippodromes, les casinos et les salles de paris?

Le sénateur Lapointe : Je voudrais que les loteries vidéo sortent des bars, des restaurants et des tavernes. Dans les huit provinces dont j'ai parlé, toutes les rues importantes proposent des loteries vidéo en grande quantité.

Le sénateur Cordy : Les sièges placés devant les appareils de loterie vidéo sont-ils toujours occupés?

Le sénateur Lapointe : Oui.

Le sénateur Cordy : Dans la deuxième partie de votre projet de loi, vous parlez de trois ans de consultation; le sénateur Pépin y a déjà fait référence. Pourquoi avez-vous choisi trois ans? Est-ce suffisant? N'est-ce pas trop long?

Le sénateur Lapointe : Nous voulons donner aux propriétaires la possibilité de s'adapter aux changements. Le sénateur Joyal a proposé que l'on supprime un tiers des appareils la première année, un tiers la deuxième année et qu'on les élimine totalement la troisième année.

Le sénateur Cordy : Ça, c'est pour les propriétaires de bar, pour leur éviter de perdre des revenus, n'est-ce pas?

Le sénateur Lapointe : Oui.

Le sénateur Cordy : Quelle forme de consultation envisagez-vous avec les provinces?

Le sénateur Lapointe : Je ne sais pas. Il y a quelques années, je me suis entretenu avec le ministre des Finances du Québec, mais il a été remplacé depuis lors. Il était tout à fait favorable à mon projet, car j'avais participé à une importante émission de télévision francophone où j'avais dit que j'avais parcouru toute la région de Montréal et constaté que toutes les machines se trouvaient dans les quartiers pauvres. Il a été très étonné quand j'ai signalé que je n'avais pas trouvé un seul appareil à Westmount, où résident les plus fortunés.

Le sénateur Cordy : Merci pour tout le travail que vous avez fait dans ce domaine.

Le président : Vous avez dit que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles avait proposé deux amendements la dernière fois qu'il a étudié ce projet de loi. Est-ce que ces deux amendements ont été inclus dans votre projet de loi?

Le sénateur Lapointe : Oui.

Le président : Merci.

Le sénateur Callbeck : Je pense que tout le monde est au courant des coûts sociaux des loteries vidéo. Comme vous le dites, de nombreuses études indiquent que ces coûts excèdent à long terme les revenus qu'on en tire.

Je constate que vous voulez d'abord limiter l'accessibilité aux appareils. En Ontario et en Colombie-Britannique, ils ne sont pas autorisés dans les bars et les restaurants. La situation de l'Ontario et de la Colombie-Britannique est-elle celle que vous préconisez?

Le sénateur Lapointe : J'aimerais que l'on fonctionne de la même façon que l'Ontario.

Le sénateur Callbeck : Est-ce qu'en Colombie-Britannique et en Ontario, la présence des appareils est limitée aux hippodromes, aux casinos et aux salles de paris?

Le sénateur Lapointe : C'est cela, et c'est la formule que je préconise. Je n'ai jamais vu de salles de paris, qui relèvent de la compétence des provinces. Elles sont étroitement surveillées. Quand on y constate la présence d'un joueur pathologique, on l'envoie dans un centre de traitement. Ce n'est pas ce qui se passe dans les bars.

Le sénateur Callbeck : En Ontario, est-ce qu'il y a déjà eu des appareils dans les bars?

Le sénateur Lapointe : Non, pas à ma connaissance.

Le sénateur Callbeck : Est-ce qu'il y en a eu dans les bars en Colombie-Britannique?

Le sénateur Lapointe : Non, pas à ma connaissance. S'il y en a déjà eu en Ontario ou en Colombie-Britannique, les gouvernements de ces provinces ont compris le problème plus vite que celui du Québec et des autres provinces, et ils les ont supprimés.

Le sénateur Callbeck : Le Québec ne s'est-il pas engagé, il y a quelques années, à limiter la présence des appareils de loterie vidéo à un certain nombre d'endroits? N'est-ce pas ce qu'il fait actuellement?

Le sénateur Lapointe : Si, il y a eu quelques interventions, mais je comprends le jeu du gouvernement. Je m'occupe de la question depuis quatre ans, et je connais les bars. Je dois vous dire la vérité. De nombreuses loteries vidéo appartiennent aux Hell's Angels, qui ont beaucoup d'argent. Je connais un endroit où ils ont apporté huit appareils et ils ont même démoli une salle de toilettes pour avoir un mur supplémentaire et installer huit autres appareils dans une autre salle du même bâtiment. Voilà legenre de choses qu'ils font. Ils s'en prennent aux bars qui ont quatre appareils ou moins, c'est-à-dire ceux qui rapportent le moins d'argent. Une petite taverne, une boîte de nuit ou un restaurant qui proposent deux appareils seulement rapportent entre 8 et 12 000 $ par an. Ceux qui en ont huit rapportent plus de 25 000 $ par an, pour la simple raison que les gens n'ont pas à attendre avant de jouer.

Le sénateur Callbeck : Au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, est-ce qu'on a parlé de la définition du casino? Qu'est-ce qui empêche quelqu'un d'installer cinq appareils dans un magasin et de dire qu'il s'agit d'un casino?

Le sénateur Lapointe : Non, ce n'est pas un casino. Un casino, c'est un endroit où on peut jouer à toutes sortes de jeux, comme le poker.

[Français]

Le sénateur Pépin : Il n'y a aucune définition légale du terme « casino ».

Le sénateur Lapointe : Je comprends, mais il reste un fait indéniable : tout le monde sait ce qu'est un casino et tout le monde sait ce qu'est un bar. Il n'est pas nécessaire de définir le terme « casino » alors qu'il est ancré dans les mœurs et dans l'esprit des gens.

Le sénateur Pépin : Mais dans la loi, le terme « casino « n'est pas défini. Par conséquent, n'importe qui pourrait se procurer des machines et décider de se partir un petit casino.

Le sénateur Lapointe : Je suis en désaccord, car ce droit appartient à la province.

[Traduction]

Le sénateur Pépin : Je vois exactement ce que vous voulez dire.

Le sénateur Callbeck : Il me semble très important d'en donner une définition dans la loi.

Pascal Charron, conseiller politique, Sénat du Canada : Il y a trois ou quatre casinos au Québec et deux en Ontario. On sait ce qu'est un casino. C'est l'assemblée provinciale qui en décide. Au Québec, certains aimeraient créer de petits casinos, comme vous le dites, mais la population québécoise n'est pas favorable à ces établissements. Personne n'en veut.

Le projet de loi qui vous est soumis actuellement bénéficie de l'appui de 70 p. 100 de la population canadienne et de 80 p. 100 de la population québécoise. Si les gouvernements provinciaux essayent de supprimer les appareils des bars et des restaurants pour créer des petits casinos dans les quartiers, ils verront que la population n'en veut pas. Ils n'y parviendront jamais. Ils se trouveraient contraints de légiférer et de s'exposer à la population aux élections suivantes.

Je ne pense pas que c'est un problème. Je ne sais pas combien il y a de casinos au Canada, mais les autorités ne parviendraient pas à créer trois ou quatre casinos ici, sur la rue Wellington, à Ottawa. Un tel projet ne passerait pas. Au Québec, il y a environ 14 000 appareils de loterie vidéo dans les bars et les restaurants. Si ce projet de loi est adopté, il n'y aura peut-être plus que 200 endroits où l'on pourra jouer sur ces appareils, au lieu de 8 000 actuellement. C'est un projet de loi préventif, qui empêchera que de nouveaux joueurs et de nouveaux joueurs compulsifs apparaissent tous les jours.

Le sénateur Callbeck : Je comprends. Je ne suis pas avocate. Je voulais m'assurer qu'il n'y ait pas d'échappatoire.

Le sénateur Lapointe : C'est bien raisonné, mais je ne pense pas qu'on pourra contourner la loi. Le sénateur Joyal est un bon avocat et un homme intelligent. Il a étudié la question et il estime qu'il n'y aura pas de problème.

Le président : J'aimerais préciser que s'il n'y a pas de définition du casino dans la législation fédérale, c'est parce que les casinos relèvent de la compétence provinciale et sont définis dans les règlements provinciaux. Si vous lisez ce projet de loi, le sens du mot « casino » correspond à la définition qui en est donnée dans la province où se trouve le casino. L'absence de définition dans la législation fédérale est due à des considérations juridiques.

Le sénateur Lapointe : C'est de ce côté-ci que vous devriez être.

Le président : Je ne suis pas avocat. Mais j'ai assisté à d'innombrables chicanes fédérales provinciales du même genre.

Le sénateur Peterson : Vous dites que le bilan financier des loteries vidéo est négatif si l'on comptabilise les coûts sociaux qu'elles occasionnent, mais vous dites aussi que certaines provinces résistent au projet de loi parce qu'elles en tirent trop d'argent. Vos propos sont donc contradictoires. Je reconnais que la première affirmation est sans doute vraie et que les provinces ne comptabilisent pas les coûts sociaux, mais je ne pense pas qu'il faille dire qu'elles font trop d'argent, car cela renforce leur argumentation.

Si le projet de loi est adopté, les provinces seront-elles tenues de s'y conformer?

Le sénateur Lapointe : Je ne pense pas qu'elles aient le choix. Si nous adoptons le projet de loi, elles devront s'y conformer. Quelle était votre première question?

Le sénateur Peterson : Vous avez affirmé deux choses. Tout d'abord, que les loteries vidéo ont un bilan négatif, mais vous dites aussi qu'elles rapportent beaucoup d'argent aux provinces, et que celles-ci ne voudront pas qu'on les supprime.

Le sénateur Lapointe : Les autorités provinciales constatent des rentrées d'argent très rapides et elles ne veulent pas voir les dégâts occasionnés par les loteries vidéo. Les coûts sociaux sont énormes. L'argent rentre immédiatement, et les coûts sociaux n'apparaissent qu'au bout de deux, trois ou cinq ans, sous forme de dépressions et de maladies connexes.

Le sénateur Cochrane : Vous signalez que les jeunes sont particulièrement exposés au risque que représentent les loteries vidéo, alors que les provinces ne les autorisent que dans des endroits réservés aux adultes. Dans ce contexte, pourquoidites-vous que les jeunes sont particulièrement exposés au danger que représentent ces appareils? Je sais que les adultes y sont également exposés.

Le sénateur Lapointe : Les plus vulnérables sont les jeunes et les personnes âgées, qui ont du temps à tuer l'après- midi. De nombreuses personnes âgées se sont suicidées parce qu'elles avaient perdu tout leur argent, y compris leur fonds de pension. En matière de jeu, les loteries vidéo sont l'équivalent du crack.

Le sénateur Cochrane : Avez-vous fait porter votre étude sur les adultes?

Le sénateur Lapointe : Oui, évidemment.

Le sénateur Cochrane : Pouvez-vous préciser pourquoi ces machines constituent une forme de jeu pire que les autres, au point qu'il faille leur réserver un sort particulier? Pourquoi les loteries vidéo par opposition aux autres formes de jeu?

Le sénateur Lapointe : Toutes les études montrent que les loteries vidéo sont plus dangereuses. À Montréal, une personne qui travaille dans un centre où on traite les joueurs compulsifs nous a dit que plus de 80 p. 100 des problèmes de la clientèle venaient des loteries vidéo. Ce sont des appareils diaboliques. J'ai parlé tout à l'heure du crack. Une fois qu'on en fait l'essai, je ne connais pas le pourcentage exact, mais on se trouve accroché à ces appareils.

M. Charron : Au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, le Dr Derevensky, de l'Université McGill, a montré que le jeu est un narcotique, car il agit sur le cerveau. Il se déroule à un rythme rapide et ne laisse pas au joueur le temps de penser que 20 $ sont déjà passés dans la fente; il continue à appuyer sur les boutons.

Les jeunes sont plus exposés aux problèmes de jeu avec ce genre d'appareils parce que leur technologie est semblable à celle des ordinateurs qu'ils connaissent bien. Le jeu proprement dit est un jeu informatisé qui apparaît sur un écran. Le Dr Derevensky a dit que certaines personnes sont hypnotisées par l'appareil et continuent à y insérer de l'argent jusqu'à ce qu'elles aient tout perdu.

Le président : Il y a une chose qui m'intrigue. Je vous entends insister sur les jeunes; or, vous vous opposez à la présence des appareils de loterie vidéo dans les bars. Par définition, les jeunes n'ont pas le droit de boire. Pourquoi la présence d'appareils de loterie vidéo dans les bars pourrait-elle créer un problème chez les jeunes? Votre définition des « jeunes » est-elle différente de la mienne?

Le sénateur Lapointe : J'ai dit que la clientèle la plus vulnérable est celle des jeunes et des personnes âgées, mais il y en a d'autres : les gens de 35 à 60 ans sont tout aussi vulnérables. Et le problème, c'est qu'il n'y a pas de surveillance. Le propriétaire de bar ne demande pas à un jeune s'il a 16 ou 17 ans quand il entre dans son bar. Le propriétaire veut gagner de l'argent et se moque bien des restrictions concernant l'âge.

Le président : Nous allons ratisser très large si nous commençons à imposer des conditions aux propriétaires de bars en leur interdisant de faire des choses qui, par définition, sont déjà illégales. À mon avis, cela pose un problème.

M. Charron : Les jeunes sont admis dans les restaurants, et ils peuvent voir ce qui s'y passe.

Le président : C'est pourquoi j'ai posé une question concernant spécifiquement les bars. Je ne parle pas des restaurants.

[Français]

Le sénateur Champagne : Sénateur Lapointe, c'est peut-être mon petit côté francophone très émotif, car en principe, je suis d'accord avec tout. C'est peut-être parce que dans ma vie, j'ai vu des gens qui avaient des problèmes aigus de jeu. Je suis d'accord avec vous qu'il est atroce de faciliter aux jeunes de 17 et 18 ans — voire plus jeune — l'accès à ces machines infernales. C'est un monde qu'il faut éviter.

En principe, je suis tout à fait d'accord avec l'objectif visé par le projet de loi que vous nous présentez. On place tout cela sous l'égide du Code criminel, mais il reste que c'est de juridiction provinciale et c'est ce qui constitue, selon moi, un problème majeur.

Si nous faisions la manchette de tous les journaux du Canada avec une motion visant à inciter fortement les gouvernements provinciaux à faire ce que vous proposez dans ce projet de loi, je serais la première à signer et à me présenter devant toutes les chaînes de télévision du Canada.

Nous avons fait des efforts surhumains afin de ne pas empiéter dans les juridictions provinciales. Je suis déchirée face à ce projet de loi parce que je suis tout à fait d'accord avec ce que vous proposez, mais j'ai du mal à prendre la décision au nom des provinces parce qu'il est de leur ressort de le faire.

Que dire de plus pour les convaincre qu'elles devraient emboîter le pas dans cette direction? Je l'ignore. Cependant, je suis très embêtée du fait qu'il s'agisse d'un projet de loi émanant du gouvernement fédéral. C'est honnête. Je n'ai pas pris ma décision encore, j'en suis là.

Le sénateur Lapointe : Le seul moyen que mon équipe et moi avons trouvé pour venir en aide aux gens qui étaient aux prises avec ce problème était d'apporter un amendement au Code criminel, qui est de juridiction fédérale.

J'ai obtenu le soutien de la part de gros organismes. Il y aura une conférence de presse, mais je ne peux pas vous en dévoiler la teneur. Je l'ai dit et je le répète : si les provinces ne veulent pas s'ouvrir les yeux — probablement qu'elles peuvent le faire — et passer à l'action, je ne me sens pas du tout coupable d'intervenir dans le champ provincial. Le Code criminel, c'est le champ fédéral. J'ai parlé à des ministres et à des sous-ministres des provinces qui sont entièrement d'accord avec moi, sauf les ministres des Finances de chaque province qui, eux, voient entrer les milliards et ne veulent pas s'attarder aux coûts sociaux.

C'est une occasion pour la population de voir que le gouvernement fédéral met ses bottines et prend la décision. De plus, il n'est pas dit que les provinces ne seront pas d'accord d'ici quelques mois. Si on se rend à la Chambre des communes, le projet de loi sera parrainé par un député. J'ai obtenubeaucoup d'appui de la part de libéraux, de conservateurs, de bloquistes et même de néo-démocrates et ce, malgré les relations fédérale-provinciales.

Le sénateur Champagne : Tout le monde est pour la vertu, sénateur Lapointe, et ce projet de loi est tout à fait valable. Vous avez dit l'autre jour que vous aviez de travers les relations fédérale-provinciales et que vous vouliez que le gouvernement fédéral mette ses bottines.

La semaine dernière, vous avez dit, suite au discours du sénateur Forrestall, qu'il fallait trouver une façon de le faire. Si vous pensez qu'au Québec, je peux vous être utile, appelez-moi. Cependant, je ne suis pas encore convaincue de soutenir un projet de loi émanant du gouvernement fédéral qui tombe sous la juridiction des provinces. Je vais y repenser. Vous faites du bon travail à essayer de me convaincre, mais j'ai encore de la difficulté avec le projet de loi.

Le sénateur Lapointe : Vous avez le droit à votre opinion. Je la respecte, mais je ne la partage pas. Je travaille à ce dossier depuis quatre ans. J'ai vu les pour et les contre.

Le sénateur Champagne : Encourageons les provinces à tenir un vote ou un référendum quelconque et je serai la première à venir me battre à vos côtés.

Le sénateur Lapointe : Vous me connaissez, je suis très émotif. J'ai déjà dit que je n'en avais rien à cirer des relations fédérale-provinciales. Ce que j'ai oublié de rajouter, c'est que c'est dans ce cas précis. Autrement dit, pour le reste, les relations fédérale-provinciales sont très importantes. Je trouve que c'est une occasion incroyable pour le gouvernement fédéral de redorer son blason à travers le pays, d'un océan à l'autre.

Le sénateur Pépin : J'ai une question supplémentaire. Je comprends que vous êtes sénateur au gouvernement fédéral — et que nous voulons vous garder —, mais avez-vous déjà pensé aller présenter un projet de loi semblable au niveau provincial?

Le sénateur Lapointe : Je suis sénateur à Ottawa, je ne vois pas pourquoi j'irais présenter ce projet de loi aux provinces. Les provinces m'attirent, mais je suis fédéraliste.

Le sénateur Pépin : Non, mais étant donné que c'est une loi provinciale...

Le sénateur Lapointe : Oui, mais au moment de l'adoption de la loi provinciale, en 1987, cela n'existait pas.

Le sénateur Pépin : Ces machines n'existaient pas.

Le sénateur Lapointe : Exactement. S'il n'y avait pas eu ces machines-là, je ne serais pas devant vous aujourd'hui. C'est parce que je suis témoin de deux personnes qui se sont suicidées. Il y a aussi une dame qui s'est ruinée en l'espace de quatre ans et demi. Elle avait près de 500 000 dollars, elle était propriétaire de deux blocs appartements et son mari était décédé. Je ne veux pas revenir là-dessus, je l'ai déjà raconté.

M. Charron : Le fait est que premièrement, lorsqu'il y a eu les ententes de 1979 et 1985 entre le gouvernement fédéral et les provinces, la loterie vidéo n'existait pas. Ensuite, personne ne s'attendait à avoir un tel fléau à partir de 1994, je pense, lorsque les casinos sont apparus. Au niveau social, cela a été absolument désastreux et pour les loteries vidéo, c'est encore pire. C'est un projet de loi fédéral parce qu'on touche au Code criminel canadien, à l'article 207, qui traite du jeu. Le gouvernement fédéral, malgré les ententes de 1979 et 1985, s'est quand même donné une marge de manœuvre.

C'est ce qui se passe présentement. Il y a de l'abus sur le pauvre monde et ce sont les pauvres qui dépensent des milliers de dollars dans ces machines. Et en ce moment, c'est ce que le sénateur Lapointe tente de faire avec le Code criminel canadien qui lui donne les droits et tout ce dont il a besoin pour que la situation change pour le mieux.

Le sénateur Lapointe : Honorables sénateurs, je peux vous dire que depuis le début — vous me connaissez, je suis un peu émotif — j'ai vécu des hauts et des bas et des nuits sans sommeil à la pelle parce que j'ai cette cause à cœur et c'est simplement dans un seul but : enrayer la souffrance humaine que ces machines infernales créent dans notre société, dans notre pays.

[Traduction]

Le sénateur Trenholme Counsell : Je suis très fière de fairepartie de ce comité et d'entendre votre exposé sur le projet de loi S-211, sénateur Lapointe. J'y suis tout à fait favorable et j'ai quelques questions à vous soumettre.

J'ai été médecin pendant des années et j'ai été confrontée aux nombreux problèmes occasionnés par les appareils à sous, les appareils de loteries vidéo, et cetera, des problèmes qui ont souvent une fin tragique.

Je ne pense pas que ces appareils aient leur place dans les bars et les restaurants. Les gens vont dans les bars pour y passer la soirée, pour parler ou pour se distraire. Il est dangereux de mélanger ça avec le jeu. Je pense la même chose des restaurants, en particulier des restaurants familiaux. Dans la ville où j'habite, il y avait un restaurant très apprécié des étudiants; c'est devenu une institution. Il s'appelle Mel's, on y trouve un comptoir à nourriture où les gens peuvent choisir leurs mets favoris. Évidemment, les machines à sous ont fait leur apparition et l'établissement a dû servir de l'alcool. Aujourd'hui, on y vend de la bière et du vin et il y a des appareils de jeu. L'endroit a complètement changé d'allure; c'est d'une grande tristesse. Pour cacher cette section, il a fallu construire un petit mur.

Dans notre province, les gens des Premières nations ont ouvert des casinos qui ne sont pas tout à fait légaux, mais je suis certaine que d'autres auraient pu en ouvrir aussi.

Ce projet de loi s'applique-t-il également aux établissements situés dans les réserves des Premières nations?

Le sénateur Lapointe : Oui.

[Français]

Le sénateur Lapointe : On me disait que récemment des Autochtones ont retiré les machines d'un endroit ou deux. Je ne me souviens plus si c'est au Nunavut ou ailleurs. Cela créait des drames familiaux incroyables chez les Premières nations. Je sais qu'il y a des endroits qui ont éliminé complètement les appareils de loterie vidéo.

[Traduction]

Le sénateur Trenholme Counsell : Il n'est peut-être pas nécessaire de le préciser, mais un hippodrome est un hippodrome. Quant aux casinos et aux salles de paris, je déplore qu'ils ne soient pas définis plus soigneusement. Je n'avais jamais entendu parler de salles de paris avant de trouver l'expression dans le projet de loi. Pouvez-vous nous dire brièvement ce qu'est une salle de paris?

Le sénateur Lapointe : Les salles de paris n'existent pas; bien qu'il y en a peut-être dans certaines provinces où on s'efforce de les instaurer.

Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce qu'on y présente des spectacles et des films?

Le sénateur Lapointe : Je ne sais pas.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je serais favorable à l'inclusion de définitions précises dans les trois catégories, avec une indication sur le type d'endroit, le mode de gestion, et cetera. J'espère que le projet de loi recevra l'appui du Sénat et du nouveau gouvernement.

Le sénateur Lapointe : Je partage le sentiment. Ce ne sera pas la fin du monde s'il n'est pas adopté, mais j'en serai très attristé à cause de tous ceux qui souffrent de cette maladie.

Le sénateur Callbeck : Je voudrais poser une courte question. Je vois qu'en Colombie-Britannique, il n'y a pas d'appareils de loterie vidéo dans les bars ni dans les restaurants, mais qu'il y en a dans les hippodromes et les casinos.

Le sénateur Lapointe : Oui.

Le sénateur Callbeck : Pourtant, les autorités de la province s'opposent à cette mesure législative, je crois. Est-ce qu'elles s'y opposent parce qu'elles ne veulent pas que le gouvernement fédéral leur dicte leur conduite? Pourquoi s'y opposent-elles?

Le sénateur Lapointe : Je ne sais pas.

Le sénateur Callbeck : La situation de la province est assez semblable à ce qui est prévu dans le projet de loi.

Le sénateur Lapointe : Je ne comprends pas pourquoi la province s'y oppose. Nos changements ne la concernent pas. Peut-être ne comprend-elle pas ce que nous voulons faire. Le projet de loi ne concerne que les huit provinces où des appareils de loterie vidéo sont installés. Naturellement, lorsque les autorités provinciales découvrent un projet de loi portant sur un sujet de ce genre, les dirigeants sont tentés de dire que c'est à eux de s'occuper de leurs affaires. Évidemment, leur argumentation ne me semble pas très convaincante.

Le sénateur Callbeck : Avez-vous dit qu'on ne trouve des appareils de loterie vidéo que dans huit provinces?

Le sénateur Lapointe : Oui.

Le sénateur Callbeck : Quelles sont les deux provinces qui n'en ont pas?

Le sénateur Lapointe : L'Ontario et la Colombie-Britannique. L'Ontario gagne des millions de dollars en les acceptant dans les hippodromes et dans les casinos.

Le président : Pour préciser les choses, sénateur Callbeck, les appareils de loterie vidéo existent en Colombie- Britannique et en Ontario, mais ils ne sont autorisés que dans certains endroits.

Le sénateur Lapointe : Et c'est ce que j'aimerais faire dans tout le Canada grâce à l'adoption du projet de loi S-211.

M. Charron : En Ontario et en Colombie-Britannique, les appareils de loterie vidéo ne sont autorisés que dans les hippodromes et les casinos. Ils rapportent autant d'argent que ceux du Québec qui sont autorisés dans les bars et les restaurants. L'important, c'est qu'en Ontario et en Colombie-Britannique, ils ne font pas augmenter le nombre des joueurs compulsifs. C'est une politique beaucoup plus efficace socialement.

Le président : Chers collègues, j'évite volontairement d'intervenir, mais si vous le souhaitez, je suis prêt à recommander que le projet de loi retourne au Sénat. J'ai deux choses à dire.

Premièrement, j'aimerais vous lire le premier paragraphe de l'accord fédéral-provincial de 1985 :

Le gouvernement du Canada s'engage à ne pas intervenir de nouveau dans le domaine du jeu et des paris, et à veiller à ne pas réduire ni limiter les gains des provinces dans ce domaine.

On peut prétendre qu'il s'agit là d'un accord fédéral-provincial qui ne fait pas partie de la législation fédérale. Je me suis occupé de relations fédérales-provinciales successivement pour une province et pour le gouvernement fédéral, et je ne pense pas qu'on puisse gérer ce pays en concluant un accord par lequel on départage une question et on affirme qu'elle ne sera pas soumise à la législation fédérale, et qu'ensuite, les autorités fédérales affirment que les provinces ne font pas correctement leur travail et décident d'intervenir pour le faire à leur place. Si on prend ce genre de décisions alors qu'un accord a déjà été conclu, on fait s'écrouler tous les accords entre le fédéral et les provinces. J'ai vu les deux côtés de la question et je sais que c'est vrai.

La deuxième chose que je voudrais dire, c'est que le sénateur Lapointe et M. Charron ont dit à plusieurs reprises qu'au moment de ces accords, les appareils de loterie vidéo n'existaient pas. C'est tout à fait vrai. Je suppose que si on négociait aujourd'hui l'acte de l'Amérique du Nord de 1867, alors qu'il n'existait à l'époque aucun revenu provenant du pétrole ou du gaz ni aucun service d'enseignement postsecondaire, nous répartirions différemment les responsabilités.

L'argument selon lequel il faut apporter un changement à la loi parce que telle ou telle chose n'existait pas au moment de son adoption est irrecevable. Il peut être exact sur le plan des faits, mais il est impossible à soutenir, à mon avis.

Je serais très heureux de renvoyer le projet de loi au Sénat. Je vais voter contre, parce que je ne veux pas ruiner les relations fédérales-provinciales, même si les provinces agissent mal dans un domaine que nous leur avons confié.

Il y a une troisième chose qui me dérange un peu. De façon générale, le jeu pose un problème, au même titre que les autres formes de toxicomanie comme l'alcool et différentes choses. Pourquoi faudrait-il singulariser une forme de toxicomanie par rapport aux autres, sinon parce qu'elle évoque Big Brother ou autre choses? On donne l'impression qu'une forme de toxicomanie est moralement plus répréhensible que les autres.

En ce qui concerne votre argument financier, compte tenu du coût total des conséquences de l'alcool pour la société, il estpeut-être vrai qu'une province perd l'argent en vendant de l'alcool, mais on a essayé la prohibition — du moins, les États-Unis l'ont essayé — et ce fut un échec. Je ne conteste pas vos chiffres. Mais j'ai personnellement de la difficulté à dénoncer une forme de toxicomanie plutôt qu'une autre.

Quoi qu'il en soit, sénateurs, je suis prêt à renvoyer le projet de loi au Sénat. Je me situe exactement comme le sénateur Champagne sur le front des relations fédérales-provinciales. Je m'en remets à votre volonté, et je suis prêt à faire ce que vous voulez. J'ai l'impression qu'il y a consensus sur la nécessité de renvoyer le projet de loi sans amendement.

Je vais vous dire autre chose. Dans tous les comités que j'ai présidés, on a toujours considéré qu'à moins qu'un projet de loi d'initiative parlementaire présenté par un sénateur comporte un défaut majeur, le comité ne devait pas faire obstacle à ce projet de loi. S'il doit être battu, il le sera au Sénat, mais pas en comité. Voilà une autre raison qui m'incite à le renvoyer au Sénat. J'ai jugé qu'il était important de bien exposer mon point de vue sur la question.

Est-ce que quelqu'un a une façon de procéder à nous suggérer?

Le sénateur Peterson : Je savais que la question des compétences fédérales et provinciales allait être soulevée. Le tout était de savoir où. Nous l'avons identifiée ici et nous pouvons renvoyer le projet de loi au Sénat; je suppose que la question sera encore soulevée et même si le projet de loi se rend à la Chambre des communes, la question pourra encore y être soulevée. Elle existe, c'est un fait. Que pouvons-nous y faire?

Le président : C'est exact. On ne peut pas la faire disparaître du projet de loi, car cela lui serait fatal. Je considère que nous ne pouvons pas légiférer dans un domaine que nous avons confié aux provinces, même si elles le traitent mal. Il y a bien des domaines où elles font des erreurs, et nous, dans nos sphères de compétence, nous faisons certaines choses qui suscitent sans doute des questions. Il ne faut pas écarter ce projet de loi pour autant, même si le Sénat peut décider de ne pas l'adopter parce qu'il concerne un domaine de compétence provinciale. Mais c'est au Sénat d'en décider, et non pas à notre comité. J'ai cru de mon devoir de vous dire ce que j'allais faire. C'est tout.

J'ai l'impression que vous voulez que l'on renvoi le projet de loi au Sénat sans amendement et que chacun puisse faire ce qu'il voudra lorsque le projet de loi reviendra au Sénat. Est-ce exact?

Des voix : D'accord.

Le président : Il serait ridicule d'avoir une autre séance pour faire l'étude article par article. Le projet de loi n'a que deux articles. Peut-on s'entendre là-dessus?

Je vais faire rapport du projet de loi soit cet après-midi ou mardi prochain lorsque tout sera prêt, si tout le monde est d'accord.

Senator Lapointe : Merci, monsieur le président.

La séance est levée.


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