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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 10 - Témoignages du 8 novembre 2006


OTTAWA, le mercredi 8 novembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 9, pour examiner l'interpellation au sujet du financement pour le traitement de l'autisme.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Le comité poursuit son examen des questions concernant l'autisme, particulièrement le financement.

Cet après-midi, nous avons l'honneur de recevoir Mary Anne Chambers, ministre des Services à l'enfance et à la jeunesse de l'Ontario. Même si certains parmi nous la connaissent bien, sachez que la ministre est députée de la circonscription de Scarborough-Est, à Toronto, depuis octobre 2003. Avant son arrivée dans son poste actuel, en 2005, elle était ministre de la Formation et des collèges et universités. Elle a également une longue carrière dans le secteur privé à son actif et a notamment fait beaucoup de bénévolat au sein d'organismes comme Centraide Canada, dont elle a été présidente du conseil d'administration. Mme Chambers a aussi été présidente du Canadian Club de Toronto, gouverneure de l'Université de Toronto ainsi que vice-présidente du Conseil des gouverneurs pendant trois ans. Elle est entrée en fonction comme ministre des Services à l'enfance et à la jeunesse avec l'appui des services à la jeunesse de sa région; pour elle, cela s'inscrit donc dans l'ordre des choses.

Madame la ministre, je vous cède la parole pour quelques remarques préliminaires, après quoi nous discuterons.

Mary Anne Chambers, ministre, ministère des Services à l'enfance et à la jeunesse de l'Ontario : Merci, monsieur le président. C'est un plaisir pour moi d'être ici. Il est intéressant de noter qu'à ma première réunion fédérale-provinciale- territoriale des ministres, j'ai proposé à mes homologues provinciaux et territoriaux que nous nous rencontrions pour parler d'autisme à l'échelle nationale, parce que j'estimais avoir besoin d'aide en Ontario, où l'autisme pose problème. Quoi qu'il en soit, la page est tournée, et je suis heureuse de vous en parler aujourd'hui.

J'ai eu pour la première fois une bonne idée de ce qu'est l'autisme et de ce qu'il implique pour les enfants et leurs familles il y a environ 14 ou 15 ans, quand l'un de mes fils a trouvé un emploi de travailleur auprès des jeunes alors qu'il fréquentait l'Université McMaster. L'emploi consistait à travailler avec un enfant autiste de 14 ans en lui servant davantage de compagnon qu'autre chose. Lorsque mon fils a rencontré la mère de cet enfant, Michael, elle lui a dit prier pour qu'un jour, ne serait-ce qu'un seul jour, son fils ne la frappe pas. Mon garçon a décidé d'axer ses efforts sur le comportement en cause. Un jour, il est arrivé chez eux, et la mère était en pleurs. Inquiet, il s'est demandé ce qui avait bien pu se passer, mais elle a dit : « Aujourd'hui, Michael m'a déclaré : tu sais, maman, je n'aime vraiment pas quand tu fais cela », et il ne l'a pas frappée.

Les troubles du spectre autistique, ou TSA, sont classés par ordre de gravité, en commençant par une forme très légère d'autisme, à peine perceptible. Il y a des avocats, dans cette province, qui pratiquent et sont atteints de la forme la moins prononcée de TSA. Puis, à l'autre extrémité, il y a les enfants qui déchirent leur foyer et frappent leurs parents pendant leur sommeil. J'ai aussi des photographies qui montrent des blessures graves qu'ils se sont infligées eux- mêmes. Il y a également des parents qui disent que les enfants autistes sont simplement des enfants qui apprennent différemment. Nous en avons conclu qu'aucun enfant aux prises avec un trouble du spectre autistique n'est pareil aux autres.

Jusqu'en juillet dernier, l'Ontario assurait une intervention comportementale intensive, ou ICI, une thérapie que les enfants pouvaient suivre jusqu'à l'âge de six ans. Cela a changé peu après ma nomination à titre de ministre, conformément à l'engagement pris par le premier ministre pendant notre campagne, en 2003, et qui consistait à poursuivre l'ICI au-delà de l'âge de six ans. J'ai lu certaines notes du hansard ainsi que les débats que vous avez eus à ce sujet. J'aimerais souligner que l'Ontario ne se dégage plus de ses responsabilités envers les enfants en fonction de leur âge. Voilà pour les bonnes nouvelles.

Mais pour ce qui est des nouvelles un peu moins bonnes, sachez que nos listes d'attente pour l'ICI se sont considérablement allongées. À l'heure actuelle, nous permettons à environ 900 enfants de bénéficier d'une ICI, et autour de 60 p. 100 d'entre eux sont âgés d'au moins six ans. Sur les 1 000 enfants en attente de recevoir ce traitement, environ 45 p. 100 ont six ans ou plus.

Ce programme a été conçu pour les enfants d'âge préscolaire, d'où la limite d'âge. D'après ce que j'ai pu constater, les parents sont insatisfaits du soutien que leurs enfants reçoivent dans le système scolaire. Autrement, ils ne les retireraient pas de l'école, parce qu'ils désirent que leurs enfants vivent dans un environnement le plus normal possible. Ils veulent que leurs enfants évoluent dans un système scolaire intégré. On estime qu'en 2004, le système d'éducation public de l'Ontario comptait 7 000 enfants autistes.

Nous travaillons d'abord à apporter un soutien accru aux enfants dont les familles souhaitent qu'ils bénéficient d'une thérapie comportementale intensive, qui peut se traduire par 14 à 24 heures de traitement hebdomadaire. En même temps, nous nous efforçons de fournir davantage d'appui — c'est-à-dire toute une gamme de services — pour que, peu importe leur âge ou leur stade de développement, les enfants concernés puissent accéder à ces aides.

Nous devons également nous assurer de disposer de la capacité — c'est-à-dire des fournisseurs de services — nécessaire pour venir en aide à ces enfants. On a beaucoup parlé des familles qui déménageaient en Alberta; peut-être avez-vous entendu dire qu'elles ne bénéficiaient pas nécessairement des services. Elles reçoivent de l'argent, mais il y a une grave pénurie de fournisseurs de services dans la province. Nous avons lu des histoires de familles ontariennes parties en Alberta qui ont dit que leurs attentes avaient été déçues.

Je reviendrai sur l'aspect financier dans une minute, mais pour ce qui est du renforcement des capacités en Ontario, l'an dernier, nous avons mis sur pied un programme de niveau collégial offert par neuf établissements de la province. Nous formons des analystes du comportement qui peuvent travailler en tant que thérapeutes instructeurs pour dispenser l'ICI aux enfants. Ce printemps, nous avons eu une première cohorte de 92 diplômés. D'ici 2008-2009, 200 thérapeutes devraient obtenir leur diplôme chaque année. Nous formons également des travailleurs en soins aux enfants. Notre objectif est de former 1 600 de ces spécialistes, de sorte que ceux qui auront la charge d'enfants autistes en milieu de garde comprendront leurs besoins ainsi que la façon de les aider dans leur apprentissage. Nous formons également 5 000 assistants à la pédagogie de l'enseignement en milieu scolaire car nous savons qu'un appui de type personnalisé est bénéfique pour les enfants visés. Nous avons également un programme de soutien scolaire dans le cadre duquel 180 consultants travaillent avec les éducateurs pour leur faire bien comprendre les principes de l'analyse comportementale appliquée afin qu'ils puissent aider leurs élèves.

En matière de financement, ces dernières années, nous avons plus que doublé les dépenses allouées au traitement de l'autisme. Le budget que l'Ontario y consacre s'élève à 112 millions de dollars par année. De plus, nous fournissons des services d'orthophonie et d'autres types de thérapie aux enfants ayant des besoins spéciaux et complexes, dont les autistes, par l'intermédiaire de nos centres de traitement pour les enfants, que nous finançons à hauteur du budget réservé à l'autisme.

Oui, tout cela revient cher, notamment à cause du temps que demande l'ICI, soit de 25 à 40 heures de traitement par semaine. Il en coûte de 35 000 à 50 000 $ par enfant pour une telle thérapie. Vous avez entendu parler des parents aux prises avec des difficultés financières. Certains des enfants qui figurent sur notre liste d'attente reçoivent en fait des services, mais aux frais de leurs parents. On parle même de gens qui réhypothèquent leur maison et vont habiter dans le sous-sol du logement de leurs beaux-parents. C'est une situation difficile.

Il y a aussi des gens qui ne peuvent demeurer sur le marché du travail. L'autre jour, une mère m'a dit que deux semaines après qu'elle ait commencé à travailler, son patron lui a déclaré qu'il avait besoin de quelqu'un de fiable et qu'il ne pouvait pas la garder parce qu'elle s'était absentée quelques jours pour s'occuper de son fils. Son mari a fait une dépression à cause de ces épreuves. Le jour précédant notre conversation, il lui a dit qu'il aimait leur fils, mais qu'il ne pouvait plus supporter la situation. Puis il est parti.

Nous voyons des familles se disloquer et des gens incapables de travailler, ce qui ajoute aux difficultés financières. On n'a pas encore trouvé de traitement pour cette maladie. Nous avons mis sur pied une chaire de recherche à l'Université de Western Ontario vers la fin de l'année dernière ou le début de cette année. Il n'y a pas beaucoup de recherches sur les troubles du spectre autistique.

Je suis heureuse d'être ici pour apporter ma contribution à vos travaux, et je me réjouis que vous travailliez là- dessus. J'ai également certaines idées concernant les éléments que pourrait comporter une stratégie nationale. Je devrais peut-être m'arrêter ici pour vous permettre de me poser des questions. Au cours de la discussion, je pourrais sans doute exprimer quelques-unes de mes opinions.

Le président : J'allais justement vous le demander. Certains membres du comité sont absents parce que le Sénat siège toujours. Normalement, nous tâchons d'être tous là, mais le Sénat se penche en ce moment sur le projet de loi C-2, le projet de loi sur la responsabilité. Au moins, nous sommes cinq ici présents.

Nous allons commencer avec le sénateur Munson.

Le sénateur Munson : Bienvenue, madame la ministre. Je peux entendre au ton de votre voix que ce sujet vous passionne. C'est extrêmement important. Le problème de l'autisme a atteint un point tel que des familles se sont rendues devant les tribunaux. En ce moment, 35 familles ontariennes poursuivent le gouvernement ontarien jusqu'en Cour suprême. Le gouvernement a interjeté appel. Ces familles disent que la Cour d'appel de l'Ontario a fait plusieurs erreurs de jugement l'été dernier. Pourriez-vous nous en parler?

Mme Chambers : Vingt-sept familles, ce qui représente au total 33 enfants, ont engagé des poursuites il y a quelques années au sujet de la limite d'âge. Lorsque notre gouvernement est arrivé au pouvoir, la procédure judiciaire a continué de suivre son cours. Il s'agissait d'établir qui avait compétence pour déterminer le mode d'attribution des ressources publiques. La Cour d'appel de l'Ontario a déterminé que c'était la responsabilité du gouvernement, et son jugement stipulait que ce dernier n'était pas tenu de fournir des services aux enfants de six ans et plus.

C'était une affaire de compétence. Dans les faits, nous fournissons les services. Depuis juillet dernier, nous offrons l'ICI aux enfants de six ans et plus, de même que de l'aide aux familles.

Je vais poursuivre dans cette voie. C'est notre engagement, et nous pensons que c'est la bonne chose à faire. Cette affaire judiciaire visait les compétences; elle n'a rien changé au fait que nous offrons des services aux enfants de plus de six ans.

Le sénateur Munson : Puisque ce cas se retrouve de nouveau devant les tribunaux, je ne m'étendrai pas sur le sujet. Vous avez parlé, au début de notre discussion, de vos propres idées concernant une stratégie nationale ainsi que des moyens de s'occuper du problème. Vous avez dit avoir proposé la tenue d'une conférence ministérielle. Estimez-vous toujours que ce serait nécessaire, et en organiseriez-vous une?

Mme Chambers : J'en ai parlé avec mes homologues provinciaux et territoriaux, qui n'ont pas manifesté beaucoup d'enthousiasme. L'Alberta a dit qu'elle était très bien ainsi. J'ignore si j'étais seule à me préoccuper de la question, mais j'ai été l'unique personne à me montrer intéressée et à parler des besoins. J'ignore si vous avez entendu un autre son de cloche des ministres des autres provinces et territoires, mais ce qui est intéressant, c'est que l'Alberta fait quelque chose de très différent. Cette province n'a pas de programme digne de ce nom axé sur l'ICI, ni, d'ailleurs, de programme consacré à l'autisme. Ce trouble présente un certain nombre de comportements caractéristiques; l'Alberta a donc une équipe multidisciplinaire qui examine les enfants, et qui décide ainsi du nombre d'heures de traitement orthophonique, de thérapie comportementale ou autre que la province financera. L'Alberta n'effectue aucun dénombrement des enfants autistes.

Comme je l'ai dit, l'Alberta éprouve un problème de ressources en ce qui a trait aux fournisseurs de services. Quoi qu'il en soit, pour la famille qui contracte hypothèque sur hypothèque, l'aspect financier est critique.

D'après ce que j'ai compris, il n'y a pas grand chose en vue en matière de coordination fédérale-provinciale- territoriale sur l'autisme, parce qu'au niveau fédéral, la question relève de la santé, et au provincial, des services sociaux. Les deux sont inconciliables.

Le sénateur Munson : Vous avez parlé du manque de ressources. Je pense que l'Ontario a le même problème, malgré l'argent frais injecté dans le secteur. Vous avez parlé du problème des listes d'attente qui s'allongent et des enfants de trois à six ans qui attendent leur tour à un âge pourtant crucial pour suivre une thérapie comportementale intensive. Vous me direz qu'ils pourront recevoir un traitement après l'âge de six ans, mais de mon point de vue, en Ontario, on continue de rater l'occasion d'aider ces enfants lorsqu'ils sont diagnostiqués autistes, à deux ou trois ans.

Mme Chambers : Je vais définir plus clairement le terme « ressources ». L'Alberta a de l'argent, mais pas assez de fournisseurs de services. Nous avons élargi les capacités à cet égard. À ce stade-ci, rien ne nous indique clairement que nous manquons de fournisseurs de services, mais nous nous sommes résolument affairés à en former. Il est évident que nous avons besoin de plus d'argent, bien que nos dépenses à ce chapitre aient plus que doublé.

Je rappelle que l'Ontario compte environ 39 p. 100 de la population totale du pays; en Alberta, c'est moins. Cette province a de l'argent, mais elle a besoin de fournisseurs de services. Je crains que l'Ontario n'en perde certains au profit de l'Alberta, où ils obtiendraient des emplois sur-le-champ et seraient grassement payés. Cela me préoccupe, parce que mon ministère assure leur formation, et je souhaite que les diplômés restent en Ontario.

Le sénateur Munson : Croyez-vous qu'on traverse actuellement une crise, compte tenu des chiffres qui nous sont communiqués? Dans mon esprit, si vous vivez au Nouveau-Brunswick, vous recevrez une certaine forme de traitement, tandis qu'en Ontario, vous en recevrez une autre. Les méthodes sont disparates; tantôt elles sont efficaces, tantôt l'argent manque. Je crois que le financement n'est jamais suffisant, et pour dix provinces ou territoires, il semble y avoir autant d'approches différentes en matière de traitement. Pour ma part, je crois de tout cœur en une stratégie nationale qui vous permettrait de vous asseoir avec votre homologue fédéral et d'autres ministres pour faire en sorte que l'argent aille directement au financement pour l'autisme.

Mme Chambers : En Ontario, des sommes sont allouées exclusivement à l'autisme. Nous y consacrons 112 millions de dollars. De plus, nous injectons plusieurs millions de dollars supplémentaires dans des services offerts par les centres de traitement pour les enfants, dont les jeunes autistes peuvent aussi se prévaloir.

Aujourd'hui, nous pouvons également discuter de ce à quoi pourrait ressembler une stratégie nationale; tant que nous ne l'aurons pas fait, il serait présomptueux de ma part de prétendre que toutes les provinces et territoires devraient appliquer les mêmes mesures et avoir les mêmes programmes.

Le programme ontarien, par exemple, est centré sur l'autisme. Le traitement privilégié est l'ICI qui, à en croire les études sur le sujet, produit de bons résultats. Plus tôt on intervient, mieux c'est. Nous constatons que la majorité des enfants aux prises avec un trouble du spectre autistique sont diagnostiqués vers l'âge d'un an et demi ou deux ans. Par ailleurs, je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y a une crise, faute de stratégie nationale. À mes yeux, il n'est pas approprié de parler de crise en l'absence d'une stratégie nationale.

Il est évident que le nombre de personnes figurant sur la liste d'attente serait moins élevé si celle-ci ne tenait pas compte des enfants de six ans et plus, parce que 61 p. 100 des enfants qui reçoivent actuellement un traitement ICI ont franchi le cap des six ans. Si nous arrêtions de les prendre en charge en raison de leur âge, la situation serait toute autre. Par ailleurs, 45 p. 100 de notre liste d'attente est composée d'enfants d'au moins six ans. Sans eux, la liste serait plus courte.

Mon objectif n'est pas de faire abstraction de ces enfants pour fuir nos responsabilités à leur égard, mais de faire ce qui est bon pour eux et de leur fournir le soutien qui améliorera leur sort.

Le sénateur Cordy : À vous entendre, on se rend bien compte que la question de l'autisme vous passionne. Dans une autre vie, j'étais enseignante au primaire; donc, certains faits dont vous parlez ne me sont pas étrangers. J'ai connu des parents profondément exaspérés, ou qui étaient ravis lorsque leurs enfants ont commencé l'école, puisque c'était la première fois, depuis la naissance, qu'ils pouvaient souffler et cesser momentanément de leur prodiguer des soins. Il arrivait fréquemment qu'une même famille compte deux enfants autistes car, comme vous l'avez dit, cette maladie n'est diagnostiquée qu'à l'âge d'un an et demi ou deux ans, et entre-temps, la mère a pu devenir enceinte ou avoir un autre enfant présentant lui aussi des symptômes d'autisme.

Pour en revenir aux questions du sénateur Munson, je m'interroge sur une éventuelle stratégie nationale et son élaboration. La mettrons-nous sur pied au moyen de discussions fédérales-provinciales-territoriales? Vous avez dit que cela n'avait pas vraiment fait ses preuves. Pensez-vous qu'on devrait commencer à l'échelle nationale, avec une loi fédérale? Quelle est selon vous la meilleure façon de procéder?

Mme Chambers : Quand il est question de ce qu'on pourrait faire à l'échelle du pays, je pense à des mesures susceptibles d'être bénéfiques pour toutes les familles canadiennes, où qu'elles habitent. Je n'irais pas jusqu'à dire que nous devrions uniformiser les services pour tous ces enfants, mais lorsque je pense à une stratégie nationale, j'entrevois une initiative fédérale qui favoriserait l'ensemble des enfants et des familles.

Le moment est-il bien choisi pour en parler?

Le sénateur Cordy : Oui.

Mme Chambers : L'une des choses que les parents me disent, et vous le constaterez également, c'est que beaucoup de gens ignorent ce qu'est l'autisme. Ils sont nombreux à penser que les autistes sont des enfants qui se conduisent mal, échappent à tout contrôle ou font des crises de colère. Les chauffeurs d'autobus disent ne pas pouvoir prendre ces enfants dans leur véhicule parce qu'ils se fâchent lorsque les chauffeurs modifient leur itinéraire. En effet, chez un enfant autiste, tout élément déstabilisant ou non familier peut entraîner une crise, une réaction sévère.

Une mère m'a raconté que lors d'un événement auquel elle avait assisté, elle avait longuement tenté d'expliquer à certaines personnes pourquoi son enfant s'assoyait sur le sol. Elle avait dit qu'il faisait des choses que les autres enfants ne faisaient pas parce qu'il était autiste, et elle avait eu l'impression de devoir se justifier. L'une des choses que nous pourrions faire dans ce pays serait d'organiser une campagne de sensibilisation pour aider le public à comprendre l'autisme.

Certains parents disent que leurs enfants ont des talents spéciaux, qu'ils ont une façon différente d'apprendre et que ce sont des éléments déclencheurs externes qui entraînent des réactions. En fait, certains de ces comportements peuvent être atténués par des traitements disponibles.

Il existe également une corrélation entre le trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention, ou THADA, et l'autisme ainsi que d'autres affections considérées comme des maladies mentales. On pourrait sensibiliser davantage la population à ce qu'est l'autisme et à la façon de travailler avec les enfants qui en sont atteints — pas de façon intensive, mais en les côtoyant ou en vivant avec eux. Il ne s'agit pas de tolérer — ce mot me semble terrible —, mais plutôt de comprendre la maladie. Cela aiderait grandement les parents à composer avec la situation et les enfants à éviter les facteurs déclencheurs auxquels ils réagissent si fortement.

J'ai dit que beaucoup de parents d'autistes quittaient ou ne pouvaient intégrer le marché du travail. On offre un soutien fiscal aux aidants naturels, aux gardiens et à ceux qui s'occupent de leurs proches âgés, par exemple. Mais rien de tel n'a été prévu pour les familles qui ont un enfant autiste. En dépit du fait que 900 enfants ont droit à une intervention comportementale intensive en Ontario, les familles continuent de faire face à des difficultés financières en raison des dépenses liées à la maladie de leur enfant, quand ils ne sont pas plusieurs. Soit dit en passant, j'ai rencontré des familles qui comptaient plus d'un enfant autiste. Un seul est tout un défi en soi, alors imaginez deux ou trois...

On pourrait, au niveau national, accorder des subventions directes ou des déductions fiscales aux parents pour alléger leur fardeau financier. Les services pourraient être déductibles d'impôt. L'autre jour, j'ai parlé avec un père très éprouvé. Son enfant avait été diagnostiqué autiste trois ou quatre mois auparavant. Il m'a dit qu'il ne pouvait continuer ainsi, qu'il n'avait pas l'argent nécessaire. Il a ajouté avoir d'autres enfants et d'autres responsabilités, et m'a demandé s'il n'y avait pas moyen pour lui de bénéficier d'un allègement fiscal pour ses dépenses.

Il existe un allègement fiscal pour frais médicaux au-delà d'un certain montant, frais qui ne sont pas remboursés par la RAMO ou un autre régime d'assurance-maladie. On a laissé cela de côté, pour ainsi dire.

Le sénateur Munson m'a montré un article de l'édition d'aujourd'hui de l'Ottawa Citizen, dans lequel il est question d'une étude sur les causes possibles de l'autisme. Comme je l'ai dit, l'an dernier, nous avons mis sur pied une chaire de recherche à l'Université de l'Ouest de l'Ontario, tout simplement parce qu'il y a très peu de recherches sur l'autisme.

J'ignore si le nombre d'enfants autistes est à la hausse. En revanche, je sais qu'aujourd'hui, on émet des diagnostics qu'on n'aurait pas faits il y a 10 ou 15 ans. Des parents m'ont dit qu'à une certaine époque, les médecins n'auraient pas diagnostiqué leur enfant autiste parce que cela équivalait à une sentence de mort. Ils ne pouvaient se résoudre à révéler aux parents ce dont souffrait leur enfant.

Nous faisons également face à une grave pénurie — cela se chiffre en milliers — de pédopsychologues. J'ai peu entendu parler du problème. En fait, j'en ai eu connaissance seulement lorsque je suis entrée en fonctions au ministère, dans le contexte de mon portefeuille sur la justice pénale pour les jeunes. Plus souvent qu'autrement, les psychologues jouent le rôle de gestionnaires de cas qui posent les diagnostics et procèdent à l'examen continu des enfants concernés car, je le répète, il existe une variété de services pouvant être bénéfiques pour ces enfants et leur famille.

Ce sont là certaines de mes idées. Les provinces et les territoires veulent toujours obtenir davantage d'argent du gouvernement fédéral. Je pense que cela figure sur toutes les listes de souhaits. Pour moi, une stratégie nationale va de pair avec une reconnaissance, une appréciation et une aide nationales pour soulager les familles qui ont un enfant autiste à affronter leurs difficultés.

Il est important de savoir qu'on n'a pas encore trouvé de remède à l'autisme. Dans le cas des interventions comportementales, où l'on a recours à des médicaments, il y a atténuation des comportements et des symptômes, mais l'autisme demeure. Vous aurez compris que tous ces enfants vieillissent, tout comme leurs parents, qui ne seront plus en mesure de prendre soin de leur progéniture. Il existe différents types de ressources pour accueillir les personnes aux prises avec des handicaps divers. Nous avons fourni des logements à ces personnes, des logements avec services de soutien, ou encore des places dans des centres qui acceptent des gens semi-autonomes ou totalement dépendants.

En Ontario, certaines personnes ont atteint l'âge adulte dans des établissements pour enfants. Ces résidences sont en nombre insuffisant, et elles coûtent cher. Plus nous pourrons permettre à ces enfants d'en arriver à s'occuper d'eux- mêmes, entre autres capacités, mieux se portera l'ensemble du pays. Il est clair qu'un tel appui apportera un soulagement immense aux parents.

Le président : Je vais poursuivre sur le même sujet et vous poser une question relative à l'élaboration d'une stratégie nationale sur l'autisme. Les soins de santé et les services sociaux sont de compétence provinciale, mais ici, nous avons déjà mis sur pied d'autres stratégies.

Il existe une stratégie nationale sur le diabète, et de nombreuses autres ont été créées, comme celle sur le cancer. Cependant, nous ne sommes jamais allés jusqu'à déposer, par exemple, un projet de loi d'initiative parlementaire à la Chambre des communes visant à faire de l'ICI un soin de santé obligatoire en vertu de la Loi canadienne sur la santé. Ce genre de chose ne s'est jamais produit.

Jusqu'à quel point le gouvernement fédéral devrait-il s'impliquer dans le dossier? Il est certain que nous devrions avoir des déductions d'impôt et d'autres mesures que vous avez mentionnées, cela ne fait aucun doute, au même titre que des campagnes de sensibilisation auprès du public qui pourraient être menées par le gouvernement fédéral ou des organisations comme la Société canadienne d'autisme.

Puisqu'on a demandé au comité de se pencher sur la question, à votre avis, quel rôle, notamment sur le plan financier, le gouvernement fédéral devrait-il jouer dans cette stratégie?

Mme Chambers : Presque toutes les initiatives que j'ai mentionnées impliquent une participation financière, ce qui est important. À l'heure actuelle, tout l'argent que nous dépensons sert à financer les services offerts aux enfants ou la formation des travailleurs.

Pour ce qui est des services, ce n'est pas nécessairement celui qui les finance qui devrait se charger d'en assurer la prestation. Prenons, par exemple, la Société de l'autisme de l'Ontario. Nous avons financé le lancement du nouveau site Web de l'organisme, appelé Abacus. Nous offrons deux options : l'option services directs, qui consiste à donner aux parents non pas de l'argent, mais des services qui sont dispensés par nos fournisseurs, que nous payons, et l'option financement direct, qui consiste à donner aux parents les fonds dont ils ont besoin pour acheter des services auprès des fournisseurs de leur choix.

Certains parents nous ont dit qu'ils n'étaient pas en mesure de déterminer si le fournisseur de services possédait les compétences requises pour aider leurs enfants. Nous avons établi, de concert avec la Société de l'autisme de l'Ontario, une liste de questions devant servir à évaluer les compétences du fournisseur éventuel.

Nous finançons également un registre, qui connaît beaucoup de succès. Il a été mis sur pied en juillet de cette année et déjà, des milliers de personnes l'ont consulté sur Internet. Le registre contient les noms et les adresses des fournisseurs, de même que des renseignements sur les services qu'ils offrent et leurs compétences. Cette information vise à aider les parents dans leurs recherches.

Autre point sur lequel nous nous concentrons et que les parents jugent essentiel : l'accréditation des fournisseurs de services. Nous travaillons en partenariat avec l'Association for Behavior Analysis, qui a invité ses membres à se prononcer sur l'idée d'avoir à tout le moins des normes d'accréditation. Les résultats du sondage devraient être connus en janvier. Ces normes pourraient être appliquées à l'échelle du pays.

Nous pourrions également créer un organisme de réglementation pour les analystes ou les thérapeutes du comportement.

Concernant les normes, les enfants autistes présentent des caractéristiques uniques, de sorte qu'il est faux de prétendre qu'ils ont tous besoin des mêmes soins. Pensons un instant aux enfants souffrant de troubles du spectre autistique. Voilà pourquoi il est essentiel que les fournisseurs de services respectent certaines normes.

J'ai eu l'occasion, dans le passé, de travailler avec des organismes de réglementation; ils existent surtout aux niveaux provincial et territorial. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'en avoir à l'échelle nationale. Concernant le régime d'assurance-santé, la Loi canadienne sur la santé ne s'applique qu'aux services médicalement nécessaires, n'est-ce pas? On ne sait pas si l'autisme fait partie de ceux-ci. Les enfants qui prennent des médicaments psychotropes pour traiter, par exemple, un trouble du déficit de l'attention ou un autre problème de santé mentale tombent sous le coup de la loi. Certains traitements sont assurés, mais il s'agit, pour la plupart, de traitements thérapeutiques.

Le même problème se pose dans le cas des services offerts par les psychologues et les psychiatres : ils ne bénéficient pas de la même couverture. Le concept des services médicalement nécessaires ne s'applique pas aux situations ou aux conditions qui ne sont pas traitées au moyen de médicaments.

Le président : Chers collègues, normalement, le comité siégerait jusqu'à 18 heures. Toutefois, comme nous ne sommes pas obligés de quitter à cette heure-là, nous pouvons poursuivre la discussion, si la ministre est d'accord.

Mme Chambers : Je suis d'accord.

Le président : Je tiens à vous signaler qu'il y a d'autres comités qui se réunissent, dont celui auquel je dois participer après 18 heures. Il risque donc d'y avoir un problème de ce côté-là.

Cela dit, si nous acceptons de poser des questions brèves et pointues, nous pourrons clore le tout dans un délai raisonnable.

Le sénateur Cordy : Je tiens à vous remercier d'avoir parlé de la stratégie nationale. Les initiatives que vous avez mentionnées peuvent, en effet, être mises en œuvre à l'échelle nationale, par le gouvernement fédéral. Je trouve cela intéressant.

J'allais vous poser une question au sujet de la recherche, mais comme vous avez dit qu'elle fait grandement défaut dans ce domaine, je vais passer à autre chose. Qu'en est-il du soutien offert aux parents? J'ai, moi aussi, rencontré une famille dont le père a fait une dépression parce qu'il trouvait difficile de s'occuper de deux enfants autistes. Les parents n'avaient droit à aucun répit, les grands-parents étant incapables de prendre soin des deux enfants. Les parents éprouvaient des difficultés financières; ils devaient faire face à de nombreuses contraintes. Par ailleurs, et vous en avez parlé plus tôt, il y a un très grand nombre de structures cloisonnées au sein du gouvernement. Les parents doivent composer avec le système scolaire, le système de soins de santé, les services communautaires. Parfois, ils sont très stressés et ont de la difficulté à naviguer dans ce dédale administratif. Avez-vous envisagé d'offrir des mesures de soutien aux parents qui ont des enfants autistes?

Mme Chambers : Au printemps de cette année, nous avons annoncé que des fonds supplémentaires de 13,1 millions de dollars allaient être consacrés à diverses initiatives, dont des réseaux de soutien mis sur pied par la Société de l'autisme de l'Ontario, pour permettre aux parents de consulter des fournisseurs de services et aussi d'avoir accès à de la formation.

En passant, le nouveau collège offre un cours depuis septembre de l'an dernier. Il y a des parents qui l'ont suivi : ils constatent que le fait de savoir comment s'occuper de leurs enfants les aide beaucoup. Tous les parents devraient suivre une formation en autisme. Je sais que c'est à cela que vous pensiez, sénateur.

Nous finançons également des camps d'été. J'ai visité cette année, dans la région d'Ottawa, un camp pour enfants autistes âgés de 3 à 19 ans. C'était fantastique. J'ai pensé que les parents n'avaient pas à s'inquiéter de leurs enfants pendant l'été. Ce camp constituait également une vacance pour les enfants. Les responsables du programme m'ont dit qu'il y avait deux choses que les parents aimaient bien : les enfants arrivaient à la maison fatigués, prêts à aller au lit. Ensuite, les enfants disaient qu'ils étaient impatients de retourner au camp, le lendemain. Le programme est donc efficace.

Nous finançons toute une gamme d'initiatives et de services. Toutefois, il ne fait aucun doute que certains parents trouvent la situation difficile. Il y a des parents dont les enfants ont des besoins particuliers complexes qui se sont tournés vers les sociétés d'aide à l'enfance et leur ont dit, « Nous ne pouvons plus prendre soin de nos enfants. »

Le sénateur Nancy Ruth : J'ai trois questions à vous poser, madame la ministre. Vous utilisez souvent l'expression « six ans ou plus », mais sans donner d'explications. Est-ce que vous faites allusion au changement de comportement, à l'âge limite?

Ensuite, Mary Eberts a parlé, la semaine dernière, des aides-éducateurs du conseil scolaire de Toronto. Cette question intéresse surtout les syndicats. Par exemple, des membres du personnel du service de nettoyage et d'entretien peuvent, si une occasion se présente, postuler un emploi d'aide-éducateur. La personne peut, dans certains cas, être appelée à travailler dans une classe composée d'élèves qui ont des besoins particuliers. Elle n'est pas obligée, en vertu de la convention collective, de suivre la formation spéciale qui est offerte, de sorte que vous pouvez avoir des personnes sans spécialisation qui s'occupent d'enfants qui, eux, ont besoin de l'aide de spécialistes. Êtes-vous au courant de cette situation, et comment comptez-vous régler le problème?

Vous avez parlé d'un programme de formation normalisé à l'échelle nationale, mais pas nécessairement à l'échelle provinciale, sauf que toutes les associations sont réglementées par les provinces. Pouvons-nous, à la place de cette réglementation provinciale, instaurer une norme nationale de formation dans toutes les provinces?

Mme Chambers : Pour ce qui est des enfants âgés de six ans ou plus, ce changement est important, car en Ontario, jusqu'à l'an dernier, les enfants appartenant à ce groupe d'âge n'avaient plus accès au programme ICI, et ce, pour deux raisons. Le programme était considéré comme un programme préscolaire, et à six ans, les enfants fréquentaient la première année. Ensuite, l'ICI était jugé plus efficace quand les enfants en bénéficiaient à un âge précoce, comme c'est le cas pour bien d'autres thérapies que suivent les enfants, et même les adultes. Plus vous intervenez à un âge précoce, mieux c'est. L'intervention comportementale intensive donne de meilleurs résultats quand les enfants sont plus jeunes.

Cela dit, ce programme a également des effets positifs sur les enfants plus âgés. Les parents ont réclamé l'élimination de l'âge limite de six ans, et l'affaire a été portée devant les tribunaux. La question a fait couler beaucoup d'encre en Ontario. Dalton McGuinty s'est engagé, avant d'être élu, à fournir des services aux enfants âgés de six ans et plus. Ce dossier a été difficile à suivre en raison, entre autres, des poursuites judiciaires. C'est pour cette raison que nous parlons des enfants âgés de six ans ou plus.

Le sénateur Nancy Ruth : Qu'est-ce que vous entendez par « ou plus »? Pendant combien de temps les services sont- ils offerts?

Mme Chambers : Ils sont offerts pendant toutes les années d'études.

Le sénateur Nancy Ruth : Jusqu'à 18 ans, ou plus, si les enfants n'ont pas fait d'études secondaires?

Mme Chambers : Ils ont droit à des services pendant qu'ils étudient, oui. Le programme d'intervention comportementale est intensif. Le thérapeute travaille avec l'enfant sur une base surtout individuelle. L'enfant peut également participer à des séances en petits groupes, au fur et à mesure que son état s'améliore. Toutefois, l'intervention comportementale reste intensive.

Le programme ICI offert en milieu scolaire ressemble à la rééducation en lecture. L'enseignant sort l'enfant de la salle de classe, lui fournit une aide supplémentaire, plus d'attention, des conseils sur la façon de lire, de comprendre le texte. L'enfant retourne ensuite dans la salle de classe et met en pratique ce qu'il a appris. L'AAC fonctionne selon les mêmes principes, puisque l'analyse appliquée du comportement met l'accent sur l'adoption de comportements adéquats, les styles d'apprentissage, l'aide apportée aux enfants.

J'ai entendu une entrevue donnée par un médecin, une Américaine atteinte d'autisme. Elle a dit qu'avant l'université, elle pensait que tout le monde était visuel. C'était-là la méthode d'apprentissage qu'elle utilisait. Les gens la trouvait bizarre parce qu'elle visualisait les choses. Elle évoquait quelque chose dans son esprit, et ensuite faisait des dessins. Encore une fois, les styles d'apprentissage varient.

Pour ce qui est des syndicats, des écoles, de ce qui est obligatoire, c'est là un sujet délicat qui soulève plusieurs interrogations. Certains parents soutiennent que leurs enfants devraient avoir le droit d'être accompagnés de leur thérapeute dans la salle de classe, à l'école, une idée plutôt mal accueillie par les syndicats. Toutefois, nous avons constaté que les réactions varient beaucoup d'une école à l'autre, mais moins au niveau des conseils scolaires. La question de savoir dans quelle mesure l'école va être attentive et sensible aux besoins de l'enfant autiste semble relever de la discrétion de la direction. C'est un défi de taille.

J'ai parlé du programme d'aide en milieu scolaire où des consultants forment les éducateurs. On ne peut obliger personne à suivre cette formation. Elle n'est pas obligatoire. Nous avons entendu parler de cas où des éducateurs n'ont pas profité du programme.

Pour ce qui est de la réglementation des fournisseurs de services, j'ai eu l'occasion de m'occuper, dans mon ancien portefeuille, du dossier des professionnels formés à l'étranger, dans ce cas-ci des chirurgiens-dentistes. Chaque province a son collège de chirurgiens-dentistes. J'ai demandé à chacun des organismes de réglementation de m'expliquer le processus suivi pour reconnaître les titres des compétences des personnes formées à l'étranger qui veulent pratiquer en Ontario. Le collège des chirurgiens-dentistes a répondu, « Habituellement, les chirurgiens-dentistes formés à l'étranger doivent suivre un programme de deux ans à l'université, une dépense de 40 000 $ par année. Toutefois, nous avons constaté qu'ils n'avaient pas toujours besoin de toute cette formation. » Ils ont alors dit, « Pourquoi ne pas les évaluer avant d'insister qu'ils fassent ces deux années? » J'ai trouvé cela génial, car 80 p. 100 d'entre eux n'avaient pas besoin de formation. Dire qu'ils ne pouvaient travailler pendant deux ans parce qu'ils devaient suivre des cours à temps plein. Pendant ce temps-là, ils ne pouvaient subvenir aux besoins de leur famille, car ils devaient consacrer tout cet argent à leur formation. J'ai déclaré que c'était une idée merveilleuse et innovatrice. Ils ont répondu, « Le seul problème, c'est que nous ne pouvons prendre de décision, car nous faisons partie, comme plusieurs autres organismes, du Collège royal des chirurgiens, qui est l'association nationale. » Mais tout a fini par s'arranger. Les provinces ont adopté le nouveau modèle, qui devait être approuvé à l'échelle nationale. Ce ne sont pas tous les organismes de réglementation qui fonctionnent de cette façon. Il faudrait partir de zéro pour en créer un nouveau. Nous pourrions en établir un à l'échelle nationale. C'est quelque chose que nous pourrions envisager de faire.

Pour ce qui est de la thérapie, nous voulons que les enfants en bénéficient parce qu'elle correspond au genre d'aide dont ils ont besoin. Il est donc logique d'avoir des normes à cet égard.

Le sénateur Fairbairn : Vous avez soulevé, dans vos réponses aux questions du sénateur Nancy Ruth, bon nombre des points que j'allais aborder. Toutefois, quand je suis entrée, vous étiez en train de parler de l'Alberta, qui est ma province d'origine. Vous avez dit qu'elle avait de l'argent, et c'est vrai.

Mme Chambers : Je suis jalouse.

Le sénateur Fairbairn : C'est le genre de choses que ce comité-ci a pour mandat d'examiner. Au cours de la dernière année, j'ai lu les journaux publiés dans ma province. J'ai noté, à maintes reprises, que les rencontres, les réunions portaient souvent sur les difficultés que connaît une collectivité sur le plan médical. Vous avez parlé de la pénurie de psychologues pour enfants, de fournisseurs de services. À votre avis, pourquoi la province de l'Alberta n'interviendrait- elle pas à ce chapitre? Elle est fière des villes comme Edmonton et Calgary, du travail novateur que font les hôpitaux, le milieu médical. Je conclus, d'après ce que vous dites, que l'autisme ne constitue pas, pour elle, une priorité.

Mme Chambers : Non, c'est faux. Ce que j'ai dit au sujet de l'Alberta et de la façon dont elle vient en aide aux familles et aux enfants atteints d'autisme, c'est qu'il y a une équipe multidisciplinaire qui évalue l'état de santé et les besoins de l'enfant. L'équipe détermine les services qu'elle pourra financer pour cet enfant.

Il ne s'agit pas d'un programme relatif à l'autisme, mais d'un programme qui s'adresse aux enfants ayant des besoins particuliers. Ils ne tiennent pas compte du nombre d'enfants qui souffrent d'autisme, du temps qu'il faut pour les évaluer. Ils ne tiennent compte de rien en ce qui a trait à l'autisme. Je ne sais pas s'ils calculent le nombre total d'enfants qui reçoivent des services, mais ils n'ont pas de chiffres qui ont trait à l'autisme.

Toutefois, les familles n'ont aucun mal à obtenir une aide financière. J'ai parlé des deux options qui existent en Ontario. Dans le cas de l'option services directs, c'est la province qui paie les fournisseurs chargés d'offrir les services. Dans le cas de l'option financement direct, la province remet aux parents l'argent dont ils ont besoin pour financer les services qu'ils veulent obtenir.

D'après ce que j'ai lu, il y a une pénurie de fournisseurs de services en Alberta. Les familles reçoivent de l'argent, mais ont de la difficulté à le dépenser.

Quand j'ai pris la parole à la rencontre des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux, tout le monde réclamait de l'aide. J'ai voulu savoir ce que les autres provinces faisaient, comment elles composaient avec la situation. Le ministre de l'Alberta a répondu que sa province n'était confrontée à aucun problème. De nombreuses familles vont dire la même chose. Toutefois, il y en a certaines qui vont ajouter qu'elles sont incapables de trouver des fournisseurs de services, malgré l'argent qui leur est versé.

Le sénateur Fairbairn : Toutefois, il n'y a personne pour les aider.

Mme Chambers : Je ne dirais pas qu'il n'y a personne. L'offre, en ce qui concerne les fournisseurs des services, n'est pas aussi forte que la demande.

Le sénateur Fairbairn : Plus je vous écoute, plus j'ai l'impression que nous avons besoin d'un programme national.

Mme Chambers : Ce qui m'inquiète, c'est que je ne veux pas perdre le bassin de ressources que nous possédons. Par cela, j'entends les fournisseurs de services, les travailleurs en soins aux enfants, les aides-éducateurs, les éducateurs, les analystes de comportement qui peuvent fournir des services thérapeutiques. Il nous faut plus d'argent pour payer ces services. Bon nombre des familles en Ontario paient de leur poche, mais c'est difficile pour elles.

Le sénateur Champagne : On ne peut faire autrement que s'inquiéter quand on entend parler d'autisme. Je connaissais très mal ce dossier avant les deux ou trois dernières réunions. J'avais vu certains reportages à ce sujet à la télévision. Je pense que vous n'auriez pas de difficulté à convaincre qui que ce soit de la nécessité d'agir.

Vous avez parlé des services qui sont médicalement nécessaires. Avant que vous n'abordiez le sujet, j'avais noté les questions suivantes : pourquoi l'autisme n'est-il pas considéré comme une maladie? Est-ce parce qu'il n'y a aucun traitement? Est-ce parce que l'autisme n'est pas guérissable? S'il n'est pas guérissable, n'est-ce pas le signe que l'autisme est une maladie?

Si un accident se produit à la naissance, si l'enfant vient au monde avec un problème au niveau des os, il devra subir des opérations, suivre des séances de réadaptation physique. Travailler avec un psychologue équivaut à soigner l'esprit.

Comment arriver à convaincre les gouvernements, que ce soit au palier fédéral ou provincial, que les services dont ont besoin ces enfants devraient relever de la Loi canadienne sur la santé? Vous avez besoin d'une infirmière à la maison parce que vous êtes malade : ces services peuvent être payés par la compagnie d'assurances ou le gouvernement. Le parent qui a besoin de soutien ou qui doit retenir les services d'un psychologue pour l'enfant n'a accès à aucune aide financière. Je ne comprends pas. Nous devons déployer des efforts aux niveaux fédéral et provincial pour venir en aide à ces parents. C'est important. Je suis heureuse de voir que le Québec accorde une aide financière aux familles, même s'il ne s'agit que d'une aide modeste de 1 500 $ par année. Cela permet à tout le moins aux personnes de prendre une ou deux semaines de vacances, ou quelque chose du genre, mais ce n'est pas suffisant. Il faut s'occuper des parents et des enfants. Cela fait partie de votre rôle.

Vous avez réussi à me convaincre : il faut faire quelque chose. Je suis heureuse, sénateur Munson, que vous ayez proposé ce sujet d'étude. J'espère, avec tout ce que vous nous dites, que nous pourrons convaincre les gens de la nécessité d'élaborer une stratégie. Nous ne pouvons pas abandonner ces enfants, ces parents. Nous devons leur fournir l'aide dont ils ont besoin.

Mme Chambers : Merci, sénateur. Je me suis fait un devoir d'écouter les parents, et d'entendre aussi le plus grand nombre possible de parents. Il y en a qui jugent que l'intervention comportementale intensive n'est pas efficace, et c'est leur droit. Il y a toute une gamme de services qui permettent de venir en aide aux enfants autistes. Comme je l'ai mentionné, de nombreux enfants reçoivent de l'aide par l'entremise de centres de traitement qui ne pratiquent pas l'analyse appliquée du comportement, mais c'est là la décision des parents.

Le sénateur Champagne : Je suppose qu'il faut faire davantage de recherches dans ce domaine.

Mme Chambers : Oui.

Le sénateur Champagne : Il faut également investir dans celle-ci.

Mme Chambers : C'est ce que je pense.

Le sénateur Champagne : J'ai vu dernièrement à la télévision trois émissions venant de trois pays différents : les États-Unis, la France et le Canada. Ils proposaient des traitements totalement différents. À qui devons-nous nous adresser? Si j'avais un petit-enfant atteint d'autisme, à qui pourrais-je m'adresser? Que devrais-je faire?

Mme Chambers : Les familles que j'ai rencontrées sont prêtes à tout pour aider leur enfant à composer avec la situation.

Je voudrais revenir à la Loi canadienne sur la santé. Ce que j'ai constaté, du fait que je siège au gouvernement depuis un peu plus de trois ans, c'est l'effet boule de neige que certaines modifications législatives peuvent entraîner. Nous avons parlé plus tôt des psychologues et des psychiatres. Or, les psychologues ne sont pas visés par la Loi canadienne sur la santé parce qu'ils ne sont pas considérés comme des médecins praticiens. Est-ce exact?

La plupart des personnes qui travaillent avec des enfants atteints de troubles du spectre autistique ne sont pas des médecins praticiens. Vous voyez où je veux en venir. Si vous ouvrez la Loi canadienne sur la santé et que vous définissez les TSA comme un service médicalement nécessaire, vous devrez alors regarder du côté des autres praticiens qui devraient être visés par la Loi canadienne sur la santé. Prenons l'exemple de l'enfant autiste qui prend du Ritalin, qui est souvent prescrit aux enfants atteints de THADA. Ce traitement est assuré parce qu'il s'agit d'un médicament. Toutefois, la thérapie, le service de répit et les camps d'été ne sont pas jugés médicalement nécessaires. La question qu'il faut se poser est la suivante : comment fournir des services de soutien? J'ai proposé, comme piste de solution, la Loi canadienne sur la santé. J'en ai discuté avec ma sous-ministre, et comme elle est compétente, elle a essayé de me faire comprendre les conséquences de cette démarche.

J'ai ensuite dit, « Comment pouvons-nous à tout le moins offrir à ces enfants les services dont ils ont besoin? »

Même dans le monde autistique, les familles qui ne croient pas en l'efficacité du programme ICI sont considérées comme un problème par les familles qui, elles, croient en cette thérapie.

Il y a eu, récemment, une conférence sur l'autisme. On a cherché à faire comprendre, au cours de celle-ci, que les enfants autistes ne sont pas les monstres dépeints par certaines personnes. Ils ont un style d'apprentissage différent, des talents différents. Ce sont des artistes. Certains ont, par exemple, un QI très élevé.

Le sénateur Champagne : C'est une reprise du film Rain Man.

Mme Chambers : Oui, cela fonctionne pour ces familles et celles qui tiennent au programme ICI. Elles ont entendu parler des avantages que le programme ICI a procuré à d'autres enfants et disent, « Si vous choisissez cette option, je n'aurais pas accès au soutien dont j'ai besoin. » Est-ce que vous me comprenez? Notre approche consiste à prévoir des aides et des services pour que les parents puissent choisir ce qui convient le mieux à leurs enfants.

Le président : J'aimerais, en guise de conclusion, vous poser quelques questions sur les enjeux financiers. Les familles qui ont des enfants autistes doivent composer avec des défis émotionnels et financiers. Vous avez soulevé plusieurs points que je vais vous demander d'éclaircir.

D'abord, vous avez parlé des listes d'attente. Combien de temps les gens attendent-ils? Ensuite, vous avez dit que ceux qui suivent un programme ICI peuvent dépenser 35 000 $ ou 50 000 $ par année. Est-ce que ce sont les provinces qui assument ces dépenses, ou les personnes qui reçoivent ce traitement? Si c'est la famille qui paie, quel pourcentage des dépenses sont prises en charge par la province?

Mme Chambers : Je vais d'abord répondre à votre deuxième question. Le coût moyen du programme ICI, qui représente entre 25 et 40 heures de semaines de thérapie intensive, oscille entre 35 000 et 50 000 $ par année. Dans le cas des enfants qui ne figurent pas sur la liste d'attente — les enfants qui ont accès à la thérapie d'intervention comportementale intensive, c'est le gouvernement de l'Ontario qui paie.

Les services de répit ou autres sont en plus. Certains enfants figurant sur la liste d'attente reçoivent des traitements qui sont financés par les parents eux-mêmes. Ces parents essaient désespérément d'obtenir du soutien pour leurs enfants. Ils ne veulent pas que leurs enfants soient privés de ces mesures de soutien, et donc les financent eux-mêmes. C'est très difficile pour eux.

Le président : Quel est le délai d'attente?

Mme Chambers : Le délai d'attente, à l'heure actuelle, est d'environ deux ans. Nous avons besoin de ressources financières additionnelles pour fournir des services à un plus grand nombre d'enfants. Comme je l'ai indiqué, si nous voulions tout simplement dire, « Nous avons X dollars et nous pouvons uniquement subvenir aux besoins de Y enfants, ceux qui sont âgés de plus de tel ou tel âge devraient être inscrits à l'école, et non pas dans ce programme », alors le délai d'attente serait moins long. Toutefois, la question qu'il faut se poser est la suivante : est-ce que nous agissons dans l'intérêt des enfants?

Le premier ministre de l'Ontario dit que nous devons agir dans l'intérêt des enfants.

Le président : Très bien. Je sais que nous pourrions poursuivre la discussion, mais certains d'entre nous devons assister à d'autres réunions. Cela dit, je tiens à remercier la ministre Chambers d'être venue nous rencontrer aujourd'hui. Elle nous a impressionnés par sa maîtrise du dossier. Les renseignements qu'elle nous a donnés sont fort utiles.

Vous êtes le premier ministre provincial à comparaître devant le comité. Nous espérons que d'autres vont suivre votre exemple.

Mme Chambers : Vous avez peut-être entendu parler de la réaction qu'a suscitée l'idée que j'ai lancée à la réunion fédérale-provinciale-territoriale. Il y avait peu d'enthousiasme.

Le président : Merci beaucoup d'être venue nous rencontrer. Nous allons peut-être communiquer de nouveau avec vous. Nous n'en sommes qu'au début de l'étude. Nous allons organiser une table ronde composée de spécialistes et entendre divers organismes. Nous espérons, d'ici la fin de l'année, formuler des recommandations qui vont servir de base à l'élaboration d'une stratégie nationale.

Mme Chambers : Je tiens à remercier le comité d'avoir entrepris cette étude, et le sénateur Munson d'avoir lancé l'idée. Je tiens aussi à vous remercier de m'avoir invitée à comparaître. Ces parents font bloc, protestent. Ils disent des choses qui ne sont pas nécessairement positives au sujet du gouvernement, mais je ne les considère pas comme des ennemis, car si j'étais à leur place, je ferais la même chose.

Le président : Je suis d'accord.

Mme Chambers : Quand ils se rassemblent à l'extérieur de mon bureau, je suis à leurs côtés. Ils me lancent des critiques, mais je les écoute.

Le président : Je pense qu'il va y avoir un rassemblement sur la Colline, la semaine prochaine.

Mme Chambers : Ils souhaitent attirer l'attention de la population sur ce problème. Ils savent que je travaille en leur nom parce que je les écoute : ils ont de sérieux défis à relever.

Le président : Nous allons nous réunir demain, à 10 h 45.

La séance est levée.


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