Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 10 - Témoignages du 9 novembre 2006
OTTAWA, le jeudi 9 novembre 2006
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit en ce jour à 10 h 46 pour étudier l'interpellation au sujet du financement pour le traitement de l'autisme.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Nous poursuivons ce matin notre étude de l'interpellation au sujet du financement pour le traitement de l'autisme, ainsi que nos discussions sur une stratégie nationale en matière d'autisme.
Nous accueillons six organismes de professionnels de la santé ce matin. Nous les entendrons par groupes de trois. Je réitère ce que les membres du personnel ont demandé, à savoir d'essayer de limiter vos exposés à cinq minutes par intervenant. Au terme des trois exposés, nous pourrons commencer les questions et la discussion avec les membres du comité.
Permettez-moi de présenter les trois personnes que nous entendrons en premier. De l'Association des psychiatres du Canada, le Dr Blake Woodside, qui est le président du conseil d'administration et un psychiatre qui se spécialise dans le traitement des troubles de l'alimentation chez les adultes; il est le directeur du programme des troubles de l'alimentation chez les patients hospitalisés du Toronto General Hospital et professeur au département de psychiatrie de l'Université de Toronto.
La Dre Pippa Moss représente l'Académie canadienne de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Elle vient de la Nouvelle-Écosse.
La Dre Wendy Roberts, de l'Hospital for Sick Children de Toronto, représente la Société canadienne de pédiatrie. La Dre Roberts est une pédiatre en développement à l'Hospital for Sick Children de Toronto ainsi qu'au Centre de réadaptation Bloorview Kids Rehab. La Dre Roberts est également une professeure de pédiatrie à l'Université de Toronto.
Dr Blake Woodside, président du conseil d'administration, Association des psychiatres du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président.
La dernière fois que j'ai comparu devant votre comité, j'ai pensé que c'était bien la dernière fois, mais voici une bonne occasion d'examiner les lacunes ou les lacunes possibles du rapport. Nous étions satisfaits du rapport du comité lorsqu'il a été publié plus tôt.
Nous tenons en ce moment notre assemblée générale annuelle à Toronto, l'assemblée annuelle de l'Association des psychiatres du Canada, et nous demandons à nos membres d'écrire à leurs députés fédéraux pour inciter le gouvernement à donner suite aux recommandations du rapport.
Je ferai quelques brèves observations au sujet du traitement de l'autisme du point de vue de la psychiatrie générale clinique; mes collègues donneront plus de détails.
J'ai mentionné que nous étions en pleine assemblée générale annuelle. Je suis le président de notre conseil d'administration et nous avons une réunion cet après-midi. Il se peut que je doive m'éclipser un peu plus tôt afin de prendre mon avion. Je m'en excuse à l'avance.
Voici quatre messages fondamentaux à votre intention.
L'autisme est un état neurodéveloppemental qui peut se manifester avec un vaste éventail de déficiences, différentes pour chaque personne, et avec un vaste éventail d'implications cliniques. En ce moment, selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, DSM, l'autisme est un trouble de sorte qu'il fait partie de la liste des choses que les psychiatres, psychologues et autres spécialistes qui sont autorisés à diagnostiquer peuvent diagnostiquer. Dans la gamme des états, les psychiatres ont une certaine expertise pour aider au traitement de l'autisme, non pas exclusivement, mais dans le cadre d'une équipe multidisciplinaire qui peut s'occuper de personnes qui ont besoin d'interventions.
Comme vous le savez déjà, il y a différentes opinions au sujet de là où se situe cet état concernant les déficiences et les troubles de santé mentale. Les connaissances relatives aux états, à ses causes, interventions et résultats augmentent graduellement, mais il y a encore beaucoup de travail à faire. Parce que la science est jeune, il y a aussi des opinions divergentes sur les interventions cliniques qui fonctionnent et les interventions cliniques qui sont nécessaires.
Mon premier message est qu'aucune de ces différences n'a vraiment d'importance pour la psychiatrie clinique, étant donné que cette science est encore très jeune. En tant que cliniciens, nous pouvons uniquement travailler avec ce que nous connaissons. Nous sommes tenus en vertu de notre formation médicale et du code médical d'aider avec toute la science et tous les outils disponibles à un moment donné. Ce qui importe, et c'est peut-être le point le plus important ici, c'est qu'un nombre important de parents sont énormément désemparés à essayer d'obtenir des soins et du soutien pour des membres de leur parenté qui sont touchés, que les adultes touchés ont besoin de services et qu'il existe un certain chaos dans la façon dont notre société essaie de composer en ce moment avec l'autisme.
D'un point de vue médical — le seul point de vue dont nous entendrons parler aujourd'hui, et pas nécessairement le point de vue dominant —, les personnes saignent et ont besoin d'aide. Nous n'avons pas les réponses absolues concernant l'autisme, mais du point de vue d'un médecin, il est essentiel d'offrir à ces personnes quelque chose pour atténuer leur souffrance.
Le deuxième message de l'association qui représente tous les psychiatres est que parce que les troubles du spectre autistique affectent les personnes de façons tellement différentes, il est peu probable qu'il y ait une recette ou une intervention qui constituera la solution magique pour toutes les personnes touchées. Comme c'est le cas pour la plupart des soins cliniques, nous avons besoin d'une approche souple car les personnes différentes ont besoin de services différents.
Le troisième message que j'aimerais vous livrer est de vous inciter non pas à essayer de trouver une politique parfaite qui sera facile à vendre car les TSA ne sont pas une situation ordonnée. Une façon d'approcher cet état consistera probablement en une série de mesures qui ne sont pas ordonnées. Une première série consistera en des mesures qui peuvent aider les gens à améliorer maintenant leur qualité de vie. À moyen terme, des mesures amélioreront les résultats, nous l'espérons, grâce à des initiatives comme des lignes directrices, l'échange de connaissances et la formation multidisciplinaire. Une troisième série consisterait en un investissement important dans la recherche à plus long terme afin de créer de nouvelles connaissances relativement à ces états.
Ce que cela signifie pour nous, c'est qu'une intervention fédérale dans la crise que cet état représente pour de nombreux parents et adultes devra probablement être moins ordonnée que ce que nous voudrions. Cette intervention signifie qu'il faut accepter que les preuves ne sont pas optimales, mais que les gens ont besoin d'aide maintenant et que nous avons l'obligation de trouver des solutions raisonnables pour aider les gens qui souffrent : des gens qui ne peuvent pas attendre plus longtemps.
La Dre Moss a vécu cet état et vous en parlera de façon plus détaillée d'un point de vue personnel ainsi que d'un point de vue professionnel.
Mon quatrième message est que cet état n'attirera probablement pas des investissements en recherche par l'industrie, en particulier l'industrie pharmaceutique, du moins pas maintenant. Les gouvernements devront investir dans la recherche à long terme d'interventions efficaces.
La semaine dernière, vous avez entendu le Dr Quirion, qui a décrit les principaux projets de recherche en cours. Ces chercheurs veulent vous parler. Nous avons demandé à deux d'entre eux de venir aujourd'hui, mais leur emploi du temps ne le permettait pas — ils sont à l'extérieur du pays. J'exhorte le comité à consacrer du temps à l'audience de ces témoins pour qu'ils vous parlent directement de leurs recherches, et d'aider à définir la portée des autres recherches qui sont nécessaires.
Finalement, en tant que psychiatres, nous nous inquiétons d'un vaste éventail de d'états psychiatriques et neurodéveloppementaux. Nous ne sommes pas tellement préoccupés par les limites : c'est une distraction. Nous comprenons que des interventions dans ce domaine nécessitent la collaboration d'un grand nombre de disciplines, et que les limites sont confuses. Nous ne voulons pas nous embourber dans une discussion pour savoir si l'autisme est un trouble psychiatrique ou un trouble neurodéveloppemental. Les personnes souffrent et ont besoin de toute notre aide.
Nous préférons que la question, parce que nous y sommes mêlés, soit traitée dans le cadre de la stratégie sur la santé mentale. Nous pensons que cette approche serait globale et signifierait que l'ensemble des personnes qui vivent avec des problèmes de santé mentale obtiendraient les soins et le soutien dont elles ont besoin.
Finalement, nous avons une certaine expérience dans le regroupement des soins pour différents états et nous sommes totalement convaincus qu'une approche regroupée constitue la meilleure approche d'un état qui a un volet de santé mentale. Nous espérons que votre travail aidera le gouvernement fédéral à chercher à créer la commission sur la santé mentale. Nous espérons également que l'une des priorités de cette commission serait de travailler avec les provinces à l'élaboration de stratégies pour traiter de l'autisme, au même titre que nous aimerions avoir des stratégies pour traiter de la dépression postpartum, de la schizophrénie et d'autres états critiques de santé mentale. Cette série de stratégies nationales serait un plan d'action national parfait sur la santé mentale et nous permettrait d'être à l'avant-garde des autres pays.
Monsieur le président, membres du comité, je termine ici mes observations.
Dre Pippa Moss, psychiatre clinique en Nouvelle-Écosse, Académie canadienne de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent : Je pratique la psychiatrie depuis plus de 20 ans, principalement en Nouvelle-Écosse. J'ai reçu ma formation originale dans la sous-spécialité du handicap mental, en Grande-Bretagne, où j'ai étudié auprès d'experts du domaine, dont Lorna Wing, une spécialiste britannique bien connue de l'autisme. J'y ai traité des patients autistes, de la petite enfance à la fin de la vie adulte. À ce moment-là, nous pensions que l'incidence de l'autisme était d'environ 2 à 4 sur 10 000 personnes, et nous avions enfin compris que l'autisme est un trouble de neurologie du développement plutôt que la conséquence d'un traumatisme émotionnel ou d'une mère dénaturée.
Quand j'ai commencé à traiter des patients autistiques, il y avait bien peu de choses qu'on pouvait faire. Les enfants étaient gardés à la maison aussi longtemps que possible, puis institutionnalisés. C'était extrêmement difficile pour tous ceux qui étaient touchés, et déchirant pour leurs parents. Les besoins des enfants entraînaient des coûts financiers élevés pour les soins médicaux, l'instruction et l'institutionnalisation; des coûts de société élevés, pour la perte des heures de travail et de productivité des parents; et des coûts indirects additionnels qu'entraînent les problèmes accrus de santé physique et mentale des parents et des frères et sœurs. Le stress dans la famille a souvent causé la rupture de mariages.
Depuis mon arrivée au Canada, j'ai pratiqué en tant que psychiatre d'enfants dans les régions rurales, et j'ai continué à voir des enfants et des adolescents autistes. Depuis la mise sur pied d'équipes de traitement et de diagnostic pour les enfants d'âge préscolaire, je travaille avec ces équipes, maintenant établies en Nouvelle-Écosse.
Je suis aussi devenue maman, et cette expérience m'a apporté l'équivalent d'un cours d'immersion en autisme. Mon fils est autiste.
D'après la documentation, il semble qu'il y ait eu une hausse phénoménale de l'incidence de l'autisme dans bien des pays, y compris au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Selon les recherches actuelles, environ 10 enfants sur 10 000 sont autistes, et ce pourrait même être autant que 1 sur 250. Cependant, certains pays, comme le Danemark et la Chine, n'ont pas constaté de telle augmentation. Selon les données recueillies et ma propre expérience clinique, il se pourrait que cette augmentation du diagnostic soit en grande partie attribuable à notre sensibilité accrue au diagnostic.
Auparavant, les enfants qui étaient mentalement handicapés et autistes n'avaient pas de deuxième diagnostic, même en présence d'autisme.
Il n'y avait pas de traitement, et cela ne faisait qu'exacerber la détresse des parents.
Des enfants et adultes très actifs, autistes, qui avaient un QI normal, pas nécessairement élevé, étaient souvent négligés ou diagnostiqués comme ayant des troubles du comportement ou des troubles d'hyperactivité avec déficit de l'attention.
Les critères de l'autisme ont subtilement évolué au fil des années, ce qui reflète notre plus grande connaissance du phénomène, et il se peut que les critères deviennent plus inclusifs. Il est aussi possible que l'incidence de l'autisme soit en hausse. Il semble probable que des facteurs génétiques et environnementaux aient leur rôle dans le développement de ce trouble et ces deux facteurs peuvent avoir une incidence variable avec le temps. De fait, il serait plus étonnant que leur incidence reste statique à long terme.
Au moment de la naissance de mon fils, il existait des possibilités de traitement, fondées sur la modification du comportement, et apparemment, certains enfants y répondaient bien. Dans ma pratique, j'encourageais les parents à structurer autant que possible leur vie familiale, à recourir aux services d'intervention précoce restreints qui étaient offerts, et à acquérir les habiletés spéciales requises des parents. Cependant, nous avions peu à offrir aux enfants que je traitais, y compris mon fils.
En tant que parent, c'est l'un des défis les plus terrifiants que l'on puisse affronter. Faire face à un pronostic aussi terrible, savoir que le traitement existe mais n'est pas accessible, est pire que de se faire dire qu'il n'y a rien que l'on puisse faire.
S'il existait pour moi le moindre moyen de soustraire mon fils à sa détresse et aux défis que nous avons eu à relever dans notre effort pour composer avec ses comportements et pour l'atteindre, nous avons jugé n'avoir d'autre choix que de faire tout en notre pouvoir pour obtenir un traitement pour lui. Autrement, ce n'est pas exagéré que de dire que notre santé physique et mentale auraient été en péril, et je n'aurais probablement pas pu continuer de travailler. Comme il manque de psychiatre pour enfants, bien des enfants en auraient été touchés.
Tout comme les parents, nous avons envisagé de déménager vers un plus grand centre, puisque nous vivons dans un petit village, mais cet ailleurs n'avait pas grand chose de plus à offrir.
Au bout du compte, nous avons investi nos ressources dans Thomas. Nous avons choisi de ne pas avoir d'autres enfants, puisqu'ils auraient été physiquement en danger. Notre maison est devenue un programme 24 heures sur 24 de modification du comportement, avec un personnel rémunéré. Nous avons refusé de le laisser cesser de parler. Nous lui avons enseigné à utiliser les mots pour communiquer, à regarder les gens, à être doux, à jouer, et bien d'autres habiletés que la plupart des parents tiennent pour acquises.
Cela a été, émotivement et financièrement, épuisant. Je n'oublierai jamais la première fois qu'il m'a regardée alors que j'entrais dans la pièce, et il m'a souri. Il avait quatre ans et demi.
D'après les recherches actuelles, les traitements que nous lui avons offerts, fondés sur mes connaissances de psychiatre d'enfants et mon instinct maternel, étaient probablement ce qu'il y a de plus proche des méthodes actuelles de traitement fondées sur des preuves qu'il soit possible de lui offrir avec les ressources disponibles. Il nous en a coûté des dizaines de milliers de dollars par année, et cela en a valu chaque sou. Nous avons tellement de chance de pouvoir investir mes revenus là-dedans. Mes patients n'ont pas cette possibilité.
Notre fils a commencé l'école à raison d'une heure par jour, trois jours par semaine, pendant les deux derniers mois de sa première année scolaire, et il est resté en première année une année complète de plus. Il a graduellement effectué la transition vers l'école à temps plein jusqu'à la quatrième année. En sixième année, il était dans une classe régulière la plus grande partie de la journée, et ne la quittait que quand il était dépassé ou trop distrait. Il y a toujours eu, et il y a encore, quelqu'un qui est payé pour être chez nous au cas où il doive quitter l'école, et il a était appuyé d'un aide- enseignant à temps plein à l'école jusqu'à tout récemment.
Il a passé la huitième et la neuvième années à son propre rythme, chacune en une année civile. Les dixième et onzième années ont été effectuées de la même manière. Il est sur le point d'obtenir son diplôme avec deux ans d'avance, et il excelle en mathématiques et en sciences. Il veut devenir professeur de mathématiques, et il n'y a pas de raison qu'il ne le puisse pas. Notre investissement a payé, et a épargné à la société une fortune à long terme.
Alors que pense Thomas de nos luttes passées et de notre insistance pour qu'il apprenne à agir et à se comporter comme un enfant plus typique? Il dit qu'il a détesté, mais il est maintenant heureux que nous n'ayons pas abandonné la partie.
Avec le temps, il a expliqué les différences qu'il voit maintenant entre lui et d'autres enfants, et il est fier d'être qui il est, y compris du fait qu'il est autiste. Il est toujours autiste. Il a toujours des problèmes de communication et d'organisation. C'est un enfant merveilleux. Notre foyer est encore axé sur ses besoins et la personne qui l'aide est maintenant appelée « mon adjoint », parce qu'il a 16 ans.
Dans mon travail avec les programmes axés sur les enfants d'âge préscolaire dans divers districts, j'ai vu d'autres enfants faire des progrès importants en conséquence d'interventions précoces et intensives axées sur le comportement. Non seulement les parents ont-ils exprimé leur ravissement, mais les écoles font observer que les enfants sont mieux préparés et capables d'apprendre, et la différence entre cette situation et celle d'il y a seulement 10 ans est énorme.
De toute évidence, ce ne sont pas tous les enfants qui pourront exceller comme mon fils l'a fait, mais je ne serais pas étonnée qu'une plus forte proportion parvienne à vivre une vie indépendante en tant que citoyen à part entière de ce pays. À l'âge adulte, les autistes qui auront été traités plus longuement seront probablement plus autonomes. Autrement dit, les économies de coûts, sans parler de l'atténuation de la détresse, seront énormes à long terme.
Ce ne sont pas tous les enfants autistes qui reçoivent des services. Il n'y a tout simplement pas assez de ressources disponibles pour les leur offrir. Nous devons faire en sorte que tous les enfants autistes aient accès à des traitements fondés sur les preuves. Je dirais que c'est une obligation morale, en plus des avantages au plan social que comportent de tels programmes.
Il est clair qu'un seul modèle ne suffira pas pour bien répondre aux besoins de tous les enfants autistes. Aucun autiste n'est pareil à l'autre. Ils varient autant que les enfants typiques varient, et leurs familles varient dans leur capacité d'exécuter certains programmes, et au plan de l'acceptabilité des approches selon leur propre culture.
Il nous faut financer la recherche pour développer encore les modèles de traitement que nous avons, et établir de nouvelles méthodes. Il nous faut aussi déterminer quel modèle de traitement convient à quel enfant, et à quel stade. Les traitements comportementaux intensifs sont coûteux, ils représentent un important investissement de temps et d'argent, et il nous faut nous assurer que les enfants qui les reçoivent en bénéficieront. De plus, ces traitements représentent beaucoup de travail pour l'enfant, de même que pour les parents et l'équipe de traitement.
Il semble probable que les principaux avantages de telles interventions intensives seront pendant les périodes de développement et de croissance les plus rapides du cerveau : autrement dit, à l'âge préscolaire, puis encore au début de l'adolescence. Ces années sont les plus vitales. La triste réalité, c'est que les enfants des parents qui ont tant fait pour que soient offerts des services étaient devenus trop vieux pour le recevoir quand ils ont enfin été offerts en Nouvelle- Écosse, et pourtant, ils ont appuyé le programme préscolaire. Comme l'a dit un parent, il ne voudrait faire vivre à personne ce qu'eux et leurs enfants ont connu si cela peut être évité. En tant que parent moi-même, je me fais l'écho de ce sentiment.
Je sais que les interventions précoces intensives et à long terme peuvent faire une différence entre un enfant qui est expulsé d'une garderie, parce qu'il est un danger pour lui et les autres, et un enfant qui peut fréquenter régulièrement l'école et qui fera des études universitaires.
J'aimerais que tous mes patients et leurs familles qui pourraient potentiellement en tirer parti aient cette chance. Je vous demande de réfléchir à ce qui la question suivante : pouvons-nous nous permettre de ne pas l'offrir?
Le président : Docteur Moss, merci beaucoup pour cette présentation. Non seulement apportez-vous une perspective professionnelle, mais votre expérience personnelle avec votre fils. C'est une histoire fascinante.
Dre S.G. Wendy Roberts, The Hospital for Sick Children of Toronto, Société canadienne de pédiatrie : C'est un plaisir pour moi que d'être ici et de représenter la Société canadienne de pédiatrie.
J'avais pensé vous parler du raisonnement qui a abouti à mon point de vue, qui est le résultat de mon expérience de pédiatre depuis plus de 20 ans maintenant que je travaille avec les enfants et les familles, mais aussi de mon étroite collaboration avec des pédiatres, parce que ma tâche de pédiatre du développement à l'hôpital pour enfants est de disséminer les conclusions de recherches et de les enseigner aux pédiatres en pratique dans la collectivité. Il ne se passe pas un jour sans que je reçoive plusieurs appels téléphoniques ou courriels de collègues de tout l'Ontario et d'ailleurs, qui demandent de l'aide avec des familles dont ils ne savent absolument que faire.
Ces deux prochains jours, nous accueillons 150 personnes au centre de réhabilitation pour enfants Bloorview pour faire un examiner approfondi de la documentation sur le développement des enfants. Nous faisons cela tous les deux ans. Nous recevons constamment des questions sur l'autisme de la part de cliniciens qui viennent à ces rencontres, des psychologues, psychiatres ou pédiatres, parce qu'ils disent que ceux qui leur posent le plus grand défi dans leur pratique sont les enfants autistes et leur famille.
On a reproché aux pédiatres d'avoir fait obstacle au diagnostic précoce parce que, n'en connaissant pas les signes, ils affirmaient « Oh, il est simplement lent. Il se rattrapera. Ça va ». S'il y a un problème, c'est que l'autisme se manifeste différemment chez chaque enfant et à chaque âge. On peut certainement reconnaître certains signes à un an ou deux ans, mais ces signes sont très différents de ceux qui se manifestent à cinq et six ans. Bien des gens ont reçu une formation sur les signes qu'on percevrait entre l'âge de quatre et six ans, parce que c'est l'âge auquel on pensait pouvoir poser un diagnostic définitif d'autisme. Nous savons maintenant que si un enfant ne semble pas partager d'intérêts avec vous à l'âge d'un an, il est à très haut risque. Il y a des enfants ne répondent pas à leur nom à ce moment-là, et plusieurs articles démontrent clairement que les enfants qui ne répondent pas à leur nom à l'âge d'un an et qui ne sont pas sourds sont probablement autistes. On ne le reconnaîtrait pas si un enfant d'un an entrait ici et se mettait à courir partout et à observer les choses. Il ne regarderait pas vos visages ou vos yeux, en reculant, comme un enfant d'un an typique le ferait. Au lieu de cela, il observerait la ronde fascinante des pales du ventilateur ou les motifs du mur. Nous voyons ce changement se manifester entre l'âge de 9 et de 15 mois.
Ma plus grande découverte au sujet de l'autisme est vraiment survenue depuis cinq ans quand, grâce aux Instituts de recherche en santé du Canada, les IRSC, nous avons pu étudier intensément des enfants atteints d'autisme, en travaillant avec le Dr Lonnie Zwaigenbaum et Mme Susan Brison de la Nouvelle-Écosse. Le Dr Zwaigenbaum était l'un de nos diplômés titulaires de bourse de recherche en pédiatrie du développement et, avec Peter Szatmari, nous avons observé plus de 300 enfants dès l'âge de six mois.
Nous avons effectué des évaluations après cinq ans pour déterminer si nous nous étions trompés ou non en reconnaissant les signes précoces. Nous avons eu aussi la chance d'observer les modes d'intervention de parents absolument admirables qui avaient déjà un enfant autiste plus âgé à la maison. Quand les parents ont reçu la meilleure formation possible, que constatons-nous chez les enfants nés dans ces familles? Une chose que nous avons apprise, et cela a été déchirant, c'est que le taux de récurrence est plus élevé que nous l'avions cru. Le risque de récurrence est de l'ordre de 11 à 15 p. 100, d'après les données que nous avons. Il y a toujours une possibilité de distorsion, par exemple que les parents qui craignent plus de constater des signes chez leur enfant à l'âge de trois ou quatre mois pourraient être plus susceptibles de nous appeler et de l'inscrire au programme quand il a six mois. Cependant, la majorité des enfants que nous avons vus et qui demeurent autistes, selon nous, semblent normaux à six mois. On ne peut pas déceler la différence. À un moment donné entre l'âge de 6 et 12 mois, ils perdent l'intérêt pour les gens et s'intéressent plus aux éléments physiques de l'environnement.
Il est absolument déchirant de faire cette constatation avec ces familles. J'étais avec un couple, il y a quelques semaines, et son enfant de deux ans. Nous avions travaillé avec lui entre l'âge de un et deux ans parce que nous avions constaté des signes que nous avions jugés inquiétants. J'étais assis avec ces parents qui, le visage strié de larmes, disaient « Nous avons tous les deux des emplois supplémentaires. Nous faisons des dix heures de collecte de fonds pour l'école privée pour pouvoir maintenir notre premier enfant à l'école. Nous avons étiré à la limite nos ressources financières et celles de nos parents. Nous travaillons 60 à 70 heures par semaine. Nous avons un personnel spécialisé qui vient chez nous. Vous nous dites qu'il nous faut recommencer avec un deuxième enfant? Nous n'y arriverons jamais ».
Leur enfant plus âgé n'a pas eu la chance de bénéficier de l'intervention provinciale. Ce deuxième enfant fonctionne mieux et, si nous le référons maintenant aux services provinciaux d'intervention, il ne sera pas admissible. Il sera trop fonctionnel. Il n'existe a tout simplement pas d'autres services constants qu'il puisse recevoir pour cet enfant dans notre province actuellement, à part une certaine éducation des parents, dont ils ont déjà eu jusque-là avec leur premier enfant.
Ils se demandaient s'ils devraient aller vivre en Alberta. Ils m'ont demandé ce que je pensais qu'ils devraient faire. Toutes leurs personnes ressources, tous leurs proches et leurs emplois sont ici. C'est un dilemme qu'affrontent les pédiatres jour après jour.
Une autre déception pour les parents, avec leur deuxième enfant, c'est qu'ils pensaient que s'ils ne le faisaient pas vacciner, il ne serait pas atteint. Nous constatons une incidence toute aussi élevée, et exactement le même type de cheminement de l'autisme chez le deuxième enfant sans les vaccins. Cela a brisé des cœurs. Les parents pensaient vraiment que tout se passerait bien cette fois.
Nous célébrons le succès des enfants qui s'en sortent merveilleusement. Nous célébrons les enfants dont les parents ont fait un travail phénoménal. Je suis d'accord avec la Dre Moss que bien des parents savent d'instinct comment cerner leur enfant, le pousser à l'engagement social et forcer les voies du cerveau à aller dans des directions différentes. L'engagement social est absolument la clé, c'est le fondement de la nouvelle subvention que nous avons remise à Autism Speaks, que nous espérons voir se répandre aux National Institutes of Health. Tout ça, c'est grâce à l'argent des IRSC, que nous pouvons le faire. Nous le faisons en même temps que nous sommes engagés dans le projet Genome Canada et nous faisons résolument des recherches pour trouver les gênes et de nouveaux agents. Nous n'avons pas de médicaments utiles pour les enfants très atteints. Nous n'avons pas pour l'autisme l'équivalent du Ritalin, qui est administré aux enfants ayant un trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention. Il nous faut découvrir de nouveaux agents beaucoup plus efficaces pour l'agression.
Nous entendons tellement parler des premières années et de l'importance d'une intervention précoce. Je suis entièrement d'accord, c'est vrai. Je ne pense pas que chaque enfant ait besoin de 40 heures très coûteuses par semaine. Il nous faut un continuum de ressources, et de la recherche pour trouver quels enfants ont besoin de cette intervention coûteuse et intensive et lesquels peuvent s'en sortir avec moins, et avec une intervention plus concentrée, aux plans de l'élocution et du langage, ou d'autre chose.
Nous devons aussi voir comment nous pouvons aider les familles parce que nous ne pouvons pas continuer de leur faire porter le plus gros de cette responsabilité. Je ne pense pas avoir connu une seule famille dont un parent n'a pas laissé tomber un emploi pour rester à la maison, à moins d'avoir un grand-parent qui peut prendre la relève. On ne peut pas garder deux emplois si on n'a pas quelqu'un d'autre pour nous aider.
Il nous faut aussi appuyer les frères et sœurs. Nous avons récemment achevé un projet avec des adolescents qui avaient un frère ou une sœur autiste. Ce qui est vraiment ressorti des entrevues avec eux, c'est la crainte que leurs parents s'épuiseraient, la crainte qu'ils seraient physiquement atteints, à cause de l'agressivité manifeste de leur frère ou sœur, et la peur de s'endormir le soir avant d'avoir vérifié que tous les couteaux de la maison sont sous clés. Et pourtant, ils affichaient pour l'enfant autiste un amour et une affection infinis. Il pouvait se passer des semaines sans rien, et d'un seul coup, une explosion horrible survenait, et quelqu'un pouvait être acculé au mur, deux mains enserrant son cou. Ce n'est pas de l'exagération; ça m'est arrivé tous les lundis à notre clinique. Les parents viennent, particulièrement des mères, pour une raison ou une autre, couverts de bleus et de morsures, mais nous n'avons pas les ressources pour les aider. Il faut offrir les services, et il les faut pendant toute la vie. L'autisme ne disparaît pas. Bien des parents sont émerveillés par les progrès de leur enfant à six ou sept ans, quand ils entrent à l'école, mais les troubles reviennent à huit ans. Quand l'anxiété normale augmente, l'autisme augmente, l'agressivité a commencé, l'école appelle à l'aide et elle expulse l'enfant. L'autisme revient à cette période, et il revient à l'adolescence. Il y a une époque où je pensais que c'était des alarmistes qui mettaient en garde les gens contre l'adolescence des enfants autistes, mais ce n'était pas de l'alarmisme. J'ai vu tellement d'enfants qui semblaient bien se comporter et qui perdaient pied à l'adolescence. L'autisme dure toute la vie.
Lorsque nous parlons avec des adultes et des adolescents autistes, nous en apprenons beaucoup. Nous effectuons des recherches ciblées extraordinaires au niveau des sciences fondamentales et nous étudions également les familles, mais nous ne sommes pas encore près de savoir qui réagit à quoi, et quels services efficients nous pourrions mettre en place pour l'enfant, les parents et les frères et sœurs afin que ceux-ci se sentent appuyés dans la communauté. Cela étant, il est à espérer qu'ils ne se retrouvent pas dans une situation telle que celle de l'un de nos parents le mois dernier. Cette personne avait très soigneusement planifié son suicide et celui de son fils âgé de 10 ans parce qu'elle avait vécu une descente aux enfers après que son fils eut cessé de bénéficier des services qui lui étaient offerts, alors qu'il avait 6 ans. Cette dame avait perdu son père et sa dépression post-partum s'était transformée en dépression grave. Elle croyait que l'état de son garçon s'améliorerait, mais il n'a fait qu'empirer. Elle a décidé que la vie ne valait pas la peine d'être vécue. Son fils plus âgé l'a amenée à l'urgence; il a de nouveau obtenu des services pour son frère et tenté d'apporter un peu de répit à sa mère.
Nous faisons face à des besoins immenses en matière de prestation de services et d'éducation. Si vous placez un enfant autiste dans une classe où l'enseignant ou l'assistant scolaire ne connaissent pas l'autisme, vous allez tout droit vers le désastre. Nous avons besoin de faire des recherches approfondies, tant sur le plan de la science fondamentale que sur celui dont nous avons parlé — trouver la bonne intervention pour chaque enfant, parce que ces données nous manquent en ce moment.
Le président : Docteure Roberts, merci d'avoir partagé avec nous vos trésors d'expérience. Si vous aviez quelques documents concernant votre exposé de ce matin, nous aimerions en obtenir copie.
[Français]
Le sénateur Pépin : Ce que vous dites est très émouvant. Je peux vous dire que j'ai un peu lu sur le sujet parce qu'on a tous dans notre famille des proches qui souffrent de certaines maladies. Lorsqu'on vous écoute, on a l'impression qu'il n'y a pas d'argent disponible, que ce soit pour la recherche, pour ceux qui s'occupent des malades, ou même pour ceux qui subissent les traitements. On se demande donc par où on doit commencer.
Vous avez dit qu'il y a certains médecins, certains pédiatres qui n'arrivent pas à détecter l'autisme chez un enfant. Cela veut peut-être dire que dans la formation en pédiatrie, il faudrait prévoir une partie qui concerne cette maladie. Vous avez également dit qu'il y a de plus en plus de gens qui souffrent d'autisme.
On pourrait peut-être informer les futurs parents à l'occasion de cours prénataux, les informer au sujet des caractéristiques d'un comportement autiste chez un enfant, de telle sorte qu'ils soient plus en mesure de détecter la maladie. Lequel d'entre vous voudrait répondre à ces questions?
[Traduction]
Dre Moss : Je dirais qu'il faut considérer deux éléments. Le premier est le dépistage. Il serait possible pour les médecins généralistes ou les infirmières qui voient des enfants âgés d'environ 18 mois de dépister la maladie. Il suffit d'élaborer une meilleure méthode de dépistage, car celle que nous avons n'est pas bonne; elle tend à désigner un peu trop d'enfants. Après le dépistage, les enfants désignés pourraient faire l'objet d'évaluations plus poussées.
Deuxièmement, il faut former des omnipraticiens et des enseignants à la surveillance, leur apprendre à être sensibles aux difficultés auxquelles se butent ces enfants. S'ils constatent des problèmes dans leur bureau ou dans leur classe, ils peuvent demander que les enfants subissent des tests plus approfondis pour déterminer s'ils ont besoin de services et d'aide.
Dre Roberts : En Ontario, ces deux dernières années, un groupe d'experts s'est justement penché sur la question. L'Ontario College of Family Physicians et la Société canadienne de pédiatrie ont travaillé ensemble pour modifier le Rourke Baby Record, qui est un formulaire que les médecins de famille et les infirmières utilisent pour assurer un suivi des soins apportés aux enfants pendant les cinq premières années de la vie. Nous nous sommes concentrés sur la visite médicale à 18 mois.
Leslie Rourke a travaillé en étroite collaboration avec nous. Il y a maintenant une liste de vérifications à effectuer chez les enfants âgés de 18 mois qui vise spécialement la communication, les aptitudes sociales et l'interaction parents- enfants. C'est un outil de surveillance et non un outil de dépistage proprement dit.
Le groupe d'experts est passé à une phase d'implantation en Ontario, ce qui me réjouit au plus haut point. Notre objectif est de faire en sorte que tous les enfants ontariens fassent l'objet d'un dépistage dès l'âge de 18 mois. Bien sûr, cela représente énormément de formation pour les médecins de famille et les infirmières praticiennes. Je pense qu'à ce stade-ci, certaines de nos infirmières mettront leurs connaissances à jour plus rapidement par ce moyen.
Nous sommes heureux que cet outil soit disponible. Il va de pair avec le questionnaire pour les parents, le questionnaire Nipissing, qui est encore une fois un outil de surveillance. Je crois que le changement qu'on a apporté au Rourke Baby Record et le fait que les praticiens et leur bureau puissent y accéder gratuitement sur Interne améliorent les choses.
Maintenant, nous devons nous assurer que des ressources communautaires sont en place pour éviter que les enfants n'attendent pendant deux ans une fois que le médecin de famille les a déclarés autistes et a déterminé qu'il fallait intervenir immédiatement. Il devrait s'écouler moins de trois mois entre le diagnostic et une intervention en conséquence. Or, en ce moment, il n'est en pas ainsi.
[Français]
Le sénateur Pépin : Si les listesd'attente sont si longues, est-ce à cause du diagnostic? Les médecins, lorsqu'ils posent un diagnostic, transfèrent-ils les cas d'autisme sur une autre liste afin de traiter d'abord des enfants qui n'en souffrent pas?
On entend beaucoup parler des enfants autistes qui ont besoin de traitements, mais j'aimerais savoir ce qu'il en est des adultes. Ont-ils accès à des traitements? La Dre Moss nous a parlé de son fils, de tout le support qu'elle lui donnait. Mais que fait-on avec touts ceux qui ne reçoivent pas un tel appui?
[Traduction]
Dr Woodside : Tandis que la Dre Roberts et vous parliez du programme de dépistage, je pensais au grave problème d'accès au traitement une fois le diagnostic posé. Si nous procédons à un dépistage chez tous les enfants ontariens âgés de 18 mois, nous drainerons les ressources consacrées au traitement, qui sont déjà terriblement insuffisantes.
C'est formidable d'effectuer un dépistage auprès des enfants — tout le monde s'entend là-dessus —, mais que ferons- nous d'eux? En l'absence d'une action concertée des décideurs du gouvernement, nous nous retrouverons avec un énorme bassin d'enfants désignés à risque, mais sans traitement disponible pour eux.
Dre Moss : Lorsque j'ai commencé à pratiquer, en Nouvelle-Écosse, j'ai été troublé lorsqu'on m'a dit que l'autisme n'était pas un problème de santé mentale, mais un problème social. C'est la même chose en ce qui concerne les handicaps mentaux. Beaucoup de centres de santé mentale, à l'époque, n'auraient jamais accepté, en vertu d'une recommandation, un enfant déclaré autiste, même si cette recommandation concernait de l'aide pour des problèmes comportementaux.
Certaines cliniques ont fait beaucoup de chemin. Actuellement, en Nouvelle-Écosse, tous les enfants qui pourraient être autistes sont admis en priorité dans un service réservé aux enfants autistes, où ils obtiennent un diagnostic et, au besoin, un traitement. Si on conclut qu'ils ne sont pas atteints de cette maladie, on les réinscrits sur la liste d'attente régulière du centre local de santé mentale.
Peu de ressources sont disponibles pour les adultes. Bien que je sois psychiatre auprès d'enfants et d'adolescents, j'ai vu des personnes dans la quarantaine aux prises avec des troubles neurodéveloppementaux, dont l'autisme. Mes collègues spécialisés dans les problèmes de santé mentale chez les adultes ne savent vraiment pas quoi faire. Et je ne parle pas seulement de mes collègues psychiatres, mais également des psychologues, travailleurs sociaux et infirmières avec lesquels je travaille au sein d'équipes multidisciplinaires.
J'essaye d'apporter le plus possible ma contribution sans que cela n'empiète pas sur le peu de temps dont je dispose pour aider les enfants.
Cela dit, je connais aussi des adultes qui vivent en société, ont trouvé leur voie et s'en tirent très bien. Nous en venons seulement à les rencontrer parce qu'ils sont les parents des enfants dont nous nous occupons.
Le président : Est-ce qu'un grand nombre d'adultes devraient être internés? Savez-vous quel pourcentage?
Dre Moss : La plupart des adultes que je vois le sont. Je pense que c'est dû au fait que la majorité des adultes qui fonctionnent bien n'ont probablement pas besoin d'aide. Dans le cas contraire, je les croise rarement, car je travaille dans un petit secteur peu populeux, mais la région géographique, elle, est vaste.
Dr Woodside : Mon engagement personnel n'a rien à voir avec l'autisme, mais je dois mentionner que ma fille aînée était atteinte du syndrome de Down, un autre trouble neurodéveloppemental, il y a environ 20 ans. Ce n'est pas la même chose que l'autisme; je ne veux pas induire le comité en erreur.
Néanmoins, il existe des preuves solides qu'une intervention précoce, dans le cas du syndrome de Down, produit de très bons résultats chez les enfants. Ma fille est morte en très bas âge et n'avait bénéficié que de quelques mois d'intervention, qui avait cependant commencé dès sa naissance. En effet, dès que le diagnostic avait été prononcé, à sa naissance, nous avions été mis en contact avec une agence principalement administrée par des bénévoles et axée sur l'intervention précoce.
De solides recherches attestent qu'une intervention précoce produit d'excellents résultats, ou du moins de meilleurs résultats que si l'on n'intervenait pas. C'est à peu près la même chose pour l'autisme. La recherche dans ce domaine n'est pas aussi approfondie et n'avance pas aussi rapidement que dans d'autres secteurs de la médecine, mais nous savons que certains traitements sont utiles pour au moins quelques-uns de ces enfants. Ce serait un crime de les leur refuser.
Dre Roberts : J'admets avoir appris bien des choses sur l'autisme chez les adultes grâce à des parents venus s'entretenir avec moi, après que nous ayons prononcé le diagnostic, pour me dire qu'en examinant leur propre vécu, ils ont constaté qu'ils souffraient eux-mêmes de certains troubles du spectre autistique. Les parents reconnaissent chez leurs enfants de nombreuses caractéristiques qu'ils présentaient eux-mêmes en matière de retard dans le développement du langage, de comportements difficiles et d'obsessions particulières. Certains sont quand même devenus des adultes qui ont réussi, ont un emploi, sont mariés et ont des enfants. Ce qui semble avoir provoqué une crise, parfois accompagnée de troubles d'anxiété ou de dépression, c'est la difficulté d'assumer le rôle parental, d'autant plus ardu que l'enfant est autiste. Par exemple, une mère a dit qu'elle avait commencé à se frapper la tête parce qu'elle ressentait beaucoup d'anxiété.
Il y a peu de ressources vers lesquelles nous pouvons diriger ces parents, hormis nos collègues psychiatres qui veulent vraiment les recevoir. Habituellement, nous demandons à nos confrères de nous rendre service ou, souvent, nous envoyons les parents de Toronto à Hamilton parce qu'un de nos collègues là-bas est intéressé à voir des adultes autistes. C'est donc un gros problème.
L'autre aspect est lié au syndrome de Down, dont on a parlé. C'est exaspérant. Je me suis rendu compte, tout comme de nombreux collègues, qu'en cas de diagnostic du syndrome de Down, on peut avoir recours à un programme d'intervention précoce et — vous avez raison — obtenir de l'aide dès la naissance. Si un diagnostic de paralysie cérébrale est posé, on peut voir un thérapeute dans un délai d'un mois. Les enfants concernés auront droit à une évaluation pédiatrique dans les trois mois et bénéficieront d'un suivi jusqu'à l'âge adulte.
Si on émet un diagnostic d'autisme, on dit : « Vous êtes autiste. Savez-vous ce que c'est? Avez-vous de l'argent, parce que c'est la seule façon de pouvoir commencer immédiatement le traitement? Qui peut vous aider financièrement? » S'ils ont de l'argent, les gens doivent ensuite choisir, parmi une myriade de services, un traitement qui n'a même pas vraiment fait ses preuves.
[Français]
Le sénateur Champagne : Dois-je comprendre que, jusqu'à un certain point, l'autisme est héréditaire? Est-ce que vous pouvez diagnostiquer un enfant autiste et vous rendre compte par la suite qu'un des parents était peut-être atteint mais à un degré moindre?
[Traduction]
Dre Roberts : D'après les plus récentes recherches, dans 30 à 50 p. 100 des cas, l'un des parents peut avoir déjà présenté certains symptômes comme l'anxiété, la phobie sociale, l'extrême timidité ou des retards dans le développement du langage, mais s'en être très bien tiré. En étudiant les antécédents familiaux, on constatera une incidence accrue, mais pas généralisée, d'oncles, de tantes, de grands-parents et de cousins qui peuvent être atteints d'autisme complet ou du syndrome d'Asperger, et qui n'ont peut-être pas parlé avant l'âge de quatre ans, mais ont ensuite remonté la pente. Un tel rétablissement est presque dangereux, car il peut conforter un parent dans la pensée que son enfant va bien et se mettra à parler à l'âge de quatre ans.
En matière d'antécédents familiaux, les troubles du langage et l'anxiété, tout comme la forme d'autisme pur, sont les plus fréquents.
Dre Moss : Chez de nombreux enfants, il semble y avoir une composante génétique, mais il y a aussi un groupe important d'enfants chez qui nous ne pouvons isoler cette composante. Nous savons qu'il est fort probable que ces enfants aient éprouvé des difficultés avant la naissance ou vers leur naissance, ou qu'ils peuvent avoir eu des infections lorsqu'ils étaient nourrissons. Il est clair que, comme dans toute chose, il y a une action conjuguée de l'hérédité, de la génétique, de l'environnement et de ce qui arrive aux gens pendant leur croissance ou lorsqu'ils sont en très bas âge.
Il est intéressant de pratiquer une certaine forme de dépistage génétique, et je le fais de façon assez poussée auprès des familles avec lesquelles nous travaillons, parce que le sujet m'intéresse personnellement. Mais on ne trouve pas toujours de causes génétiques, alors l'environnement sera également pris en compte dans nos travaux auprès de certains de ces enfants.
Le sénateur Champagne : Vous ne pouvez savoir comment ils ont contracté la maladie. Parfois, c'est une question d'hérédité et d'autres fois, vous en ignorez la cause et la source.
Dre Moss : La plupart du temps, il s'agit d'une combinaison de facteurs. Par exemple, nous connaissons beaucoup d'enfants autistes dont les grands-parents sont scientifiques et ingénieurs, alors nous croyons qu'un certain lien génétique est peut-être en cause. Si les deux grands-parents sont ingénieurs et que la mère a eu des complications durant sa grossesse, les chances que l'enfant soit autiste sont accrues. Est-ce génétique? Environnemental? Cela peut être les deux.
Le sénateur Munson : Le témoignage d'aujourd'hui a été touchant et captivant. J'aimerais dire au Dr Woodside que nous avons également perdu un fils en bas âge qui était atteint du syndrome de Down, il y a de cela de nombreuses années. Peut-être est-ce l'une des raisons pour lesquelles nous sommes tous ici, à nous préoccuper de cette autre maladie qu'est l'autisme.
Vous avez parlé de gens désespérés, qui ont besoin d'aide, et dans votre déclaration d'ouverture, vous avez mentionné la quasi-absence d'investissements dans la recherche par l'industrie. Mais en plus du vôtre, nous avons entendu de nombreux témoignages à propos de nouveaux fonds pour la recherche ainsi que d'une campagne nationale de sensibilisation. Pourquoi, selon vous, les compagnies pharmaceutiques et les grandes entreprises sont-elles si réticentes à s'atteler à la tâche et à participer au partenariat existant entre les provinces et le gouvernement fédéral?
Dr Woodside : La première raison est qu'aucun agent pharmaceutique n'est particulièrement efficace. S'il existait un médicament pour traiter efficacement l'autisme, les entreprises pharmaceutiques ou l'industrie mettraient la main à la pâte. Mes collègues parleront davantage du rôle des médicaments dans ces conditions, mais comme ceux-ci ne représentent pas une grande part du traitement, l'industrie ne s'y intéresse pas.
Dans la plupart des traitements, on préconise une approche psychosociale, c'est-à-dire psychologique et comportementale, et cela n'intéresse pas les compagnies pharmaceutiques ni l'industrie. Ces traitements doivent être financés par le gouvernement.
Dre Roberts : Je crois qu'au chapitre de la recherche génétique, nous nous dirigeons vers la seule solution possible : la recherche génomique. Nous devons en apprendre davantage sur les récepteurs qui sont différents. Si nous trouvons certains de ces récepteurs, les compagnies pharmaceutiques seront plus susceptibles de s'impliquer. Je crois que les entreprises restent vigilantes, et je pense qu'au cours de la dernière année, avec le projet du génome humain, nous avons effectué des avancées dont nous n'aurions jamais osé rêver pour trouver les gènes de prédisposition. Un document important du laboratoire de Steve Scherer, avec qui je travaille, sera publié en ligne dans les prochaines semaines. Lorsque les gens découvriront, par exemple, le récepteur de la sérotonine — et nous savons que la sérotonine est l'un des agents neurochimiques qui jouent un rôle dans l'autisme —, il est plus probable qu'une entreprise souhaitera s'investir dans la recherche.
Le sénateur Munson : Nous avons entendu la ministre de l'Ontario. Docteur Woodside, vous nous dites aujourd'hui que nous ne devrions pas nous retrouver coincés avec un projet de politique simpliste. Les politiciens parmi nous ont défendu l'idée d'une stratégie nationale, qui demeure un terme générique. Nous ignorons quels en seront les éléments, mais elle pourra comprendre, comme nous l'a dit la ministre Mary Anne Chambers hier, une campagne de sensibilisation du public; des subventions directes aux familles; des déductions fiscales pour celles-ci afin d'alléger leur fardeau causé par le paiement de l'ICI ou des pédopsychologues; la certification de fournisseurs de services et l'établissement d'un organisme de réglementation. Au bout du compte, la stratégie nationale semble être purement et simplement une question d'argent. Que voulez-vous dire lorsque vous affirmez qu'on ne doit pas s'empêtrer dans une politique simpliste?
Dr Woodside : Les éléments du témoignage d'hier que vous venez d'énumérer ne sont en rien réducteurs. Vous avez entendu la ministre de l'Ontario vous exposer un vaste éventail d'initiatives susceptibles d'être utiles. Il n'y aura donc pas de solution facile au problème, parce qu'il faudra former des fournisseurs, les financer, apporter un soutien aux familles, s'occuper des enfants nouvellement diagnostiqués autistes et de tous les autistes qui ont besoin d'aide. Il est extrêmement complexe d'élaborer un système pour aider ces gens. C'est ce que je voulais dire par « simpliste ». La description des mesures nécessaires ne pourrait tenir en un seul paragraphe.
Le sénateur Munson : Ce qui me dérange le plus, ce sont ces listes d'attente. Quel est l'impact d'un long délai d'attente pour les enfants?
Dre Roberts : Je suis fermement convaincue que, dans le cas des enfants qui ne bénéficieront pas du programme de traitement avant l'âge de cinq ans, nous aurons raté une période critique de leur développement. Dans certains cas, des parents détectent des problèmes chez leur enfant dès l'âge de 18 mois. Ces enfants attendent ensuite entre 18 mois et deux ans pour subir un examen complet, puis encore deux années de plus pour une intervention qui arrive souvent à leur cinquième année.
Les différences neurobiologiques entre un enfant d'un an et un de cinq ans sont énormes. Chez les plus grands, nous pouvons toujours remédier à certains problèmes comportementaux, mais nous sommes incapables d'influencer le développement de leurs moyens de communication sociale de la même façon que si le traitement leur est appliqué dès l'âge de 15 ou 18 mois.
Dre Moss : L'une des choses que nous savons à propos des enfants, c'est que les premières années de vie sont une période de développement et de croissance rapide du cerveau. La possibilité d'apporter des changements positifs ou négatifs pendant cette période est beaucoup plus grande que par la suite. À certains égards, si vous ratez l'occasion d'agir lorsque l'enfant est très jeune, vous pourriez ne jamais être en mesure de remédier à la situation ou ne jamais obtenir d'aussi bons résultats ultérieurement.
Ce n'est pas seulement le cas de l'autisme, mais aussi celui d'autres problèmes et affections qui touchent les enfants. Nous devons commencer très tôt les traitements. C'est exactement pour cela que, dans le cas d'un enfant qui souffre du syndrome de Down, on intervient quelques mois après la naissance.
Le sénateur Munson : S'il reste du temps, j'aimerais que nous fassions un second tour de table.
Le président : Je vais libérer le Dr Woodside — je ne voudrais pas qu'il rate son vol —, mais nous allons poursuivre avec la Dre Moss et la Dre Roberts.
Le sénateur Cordy : Le témoignage était poignant. Au cours de notre étude sur la santé mentale et les maladies mentales, nous avons discuté avec un certain nombre de parents d'enfants autistes, dont certains de Nouvelle-Écosse, que j'ai rencontrés et qui traversent des périodes éprouvantes.
Je me préoccupe donc du soutien qui est apporté à ces parents. Lorsqu'on s'occupe d'un enfant autiste, tient-on compte de la famille en entier? Parmi les parents à qui j'ai parlé, certains ont souffert de dépression nerveuse. Dans ces cas-là, l'un des parents se retrouve seul à devoir composer avec non seulement un ou plusieurs enfants autistes, mais aussi avec un conjoint dépressif.
Dre Moss : En tant que pédopsychiatre, bien que je m'intéresse d'abord à l'enfant, je suis là pour aider toute la famille. Nous voyons de nombreux cas de détresse et de problèmes de santé mentale chez les parents. Et si l'aide que je peux offrir dans le contexte familial est insuffisante, nous prenons des dispositions pour que les parents soient suivis par des thérapeutes et des psychiatres pour adultes, avec lesquels nous collaborons étroitement. Parfois, lorsque nous travaillons avec la famille, les thérapeutes spécialistes de l'enfant et des adultes, respectivement, peuvent coopérer.
En tant que pédopsychiatre, je pense que mon rôle consiste à travailler avec l'enfant dans un contexte familial ou communautaire. Je vise à soutenir tant la famille que l'école et d'autres sphères de la communauté dans lesquelles l'enfant est intégré. Je rencontre des gens des clubs 4H; j'aide à intégrer les enfants à cet environnement ou aux camps de guides ou à l'église locale — partout où l'enfant peut évoluer en se comportant davantage comme un enfant normal et en bénéficiant des mêmes possibilités. Quoi qu'il en soit, oui, le projet est important.
Dre Roberts : Mais les ressources limitées rendent la prise de décisions difficile. Passerons-nous 10 heures de plus avec une famille dont les parents sont dans une grande détresse, sans travailleur social pour prendre la relève et collaborer avec l'équipe médicale, ou utiliserons-nous ces mêmes 10 heures pour voir deux nouveaux enfants qui figurent sur la liste d'attente? Nous sommes placés devant ce choix impossible, tout en subissant d'énormes pressions de la part du personnel administratif, qui voit les chiffres et gère les listes d'attente, pour que nous nous occupions de nouvelles familles. Je le comprends fort bien; il reste qu'il est incorrect, sur le plan moral et éthique, de passer à autre chose sans donner avant le soutien nécessaire aux familles car nous savons que ce ne serait pas bon pour elles.
Le sénateur Cordy : C'est vrai, parce que les parents souffrent aussi. Si nous devions recommander notamment la création d'une stratégie nationale sur l'autisme, comment devrions-nous procéder à cet égard?
Lorsque nous avons mené notre étude sur la santé mentale et la maladie mentale, nous recommandions, entre autres, la mise sur pied d'une commission canadienne sur la santé mentale. Notre président et notre vice-président sont allés dans chaque province et ont parlé avec les ministres de la santé et les sous-ministres pour obtenir leur appui avant d'entreprendre une initiative nationale.
Que nous suggérez-vous de faire? Dans l'élaboration d'une stratégie nationale, comment nous y prendrons-nous pour, avant toute chose, gagner l'appui de tous? Cela devrait-il venir du fédéral, ou devrions-nous faire en sorte que des représentants de tous les paliers de gouvernement — provincial, fédéral et territorial — se rencontrent, représentants probablement issus des ministères de la santé, même si l'autisme n'entre pas seulement dans la catégorie de la santé? En quoi consisterait une stratégie nationale, et quels principes la sous-tendraient?
Dre Moss : La santé relève des provinces. Toute stratégie nationale doit être un moyen par lequel les diverses provinces se réunissent pour en apprendre les unes des autres, de façon à pouvoir développer des services adaptés à leur province. Ce qui fonctionne dans l'une d'elles pourrait ne pas fonctionner aussi bien dans une autre.
Par exemple, en Nouvelle-Écosse, il n'y a pas de région nordique isolée, contrairement à d'autres provinces. Le Nunavut fera face à des difficultés complètement différentes des nôtres. Néanmoins, une stratégie nationale est importante pour que nous n'ayons pas à réinventer constamment la roue dans chaque province.
Dre Roberts : L'une des choses qui serait extrêmement utile serait d'encourager les différents ministères concernés à s'asseoir et à discuter. J'ai eu certaines de mes discussions les plus productives en Alberta, où des représentants du ministère de l'Éducation collaboraient avec les services de santé et les services à l'enfance et à la jeunesse. Comme toujours, lorsqu'il s'agit d'appliquer un programme, il faut se demander si c'est vraiment le travail du ministère, et si oui, dans quelle proportion.
L'un de nos services de gestion du comportement, qui effectuait un travail formidable en matière d'autisme, avait 13 sources différentes de financement pour pouvoir constituer un budget. Il y a de grandes pertes lorsque les ministères ne coopèrent pas entre eux.
Le sénateur Cordy : Il importe de mettre fin à l'esprit de clocher.
Dre Roberts : Absolument; tout le monde doit avoir voix au chapitre. Je pense que les gens parlent le même langage plus souvent qu'ils ne le pensent, mais ils ne font pas un travail d'équipe réel et interactif. Je serais ravi de voir un groupe de réflexion productif composé des différents ministères des 10 provinces, parce que je crois que dans chacune d'elles, on a pris des mesures inventives. On pourrait cependant les partager bien davantage, et ce serait beaucoup plus profitable de collaborer.
Si nous appliquons un programme d'intervention, mais que nous le faisons dépendre d'une évaluation du ministère de la Santé et n'injectons pas d'argent supplémentaire dans ce processus, nous doublerons notre liste d'attente, comme ç'a été le cas il y a quelques années. Selon notre système d'éducation, nous devons faire une évaluation avant de pouvoir intervenir. La même chose s'est produite par la suite avec les enfants et les jeunes autistes, et il n'y avait eu aucun apport du point de vue médical. Le processus doit être collaboratif, et je crois qu'on peut économiser en procédant ainsi.
Le président : Quel devrait être le rôle du fédéral, selon vous? Nous comprenons les responsabilités dans les domaines sanitaire et social — que les programmes sont dispensés par les provinces et qu'il y a des transferts du fédéral. Quel est le rôle de ce dernier dans tout cela?
Dre Moss : Ce qu'il y a de bien, dans une fédération, c'est que les provinces peuvent travailler ensemble et apprendre les unes des autres. C'est notamment ce que j'ai voulu dire quand j'ai parlé de la façon dont plusieurs ministères peuvent collaborer dans une province.
Quant au fédéral, il doit veiller à ce que les provinces travaillent dans ce sens afin de dégager, en quelque sorte, une stratégie nationale.
Dre Roberts : Je pense aussi que c'est un peu comme l'intervention en matière d'autisme; c'est un processus qui consiste à exercer une pression graduelle, prodiguer des encouragements, et essayer de prendre un élan pour que les ministères collaborent et suscitent le changement. Une chose qui encouragera ce processus, et qui nous a encouragés depuis deux ans, c'est qu'il y a beaucoup plus d'interaction entre les comités du gouvernement et les initiatives de recherche — et le financement de la recherche.
Un bon exemple, dont vous avez peut-être entendu parler hier soir, est celui du financement par les IRSC de l'observation des trajectoires, une initiative de Peter Szatmari — on observe 600 enfants dans tout le Canada, leurs réactions à diverses interventions — qui permet aux chercheurs d'entrer en jeu dès le diagnostic et de suivre l'enfant jusqu'à la fin de première année.
Lorsque le gouvernement de l'Ontario a entendu parler de ce projet de recherche, il a dit que tous nos enfants devraient participer à cette recherche, ceux qui entrent dans le programme et les autres aussi — il a fallu du courage pour cela — et nous laisser les suivre avec ce protocole de recherche. Ça a été un bel exemple d'économie et d'efficacité véritables, je pense, pour le projet de recherche lui-même.
Le sénateur Keon : J'aimerais vous demander à tous les deux ce que vous pensez de l'instrument pour les initiatives fédérales et provinciales de programmes temporisés? Autrement dit, le gouvernement fédéral a les moyens et le pouvoir d'instituer des programmes avec des clauses de temporisation pour qu'il y ait une voie de sortie, disons, dans une dizaine d'années. Cette approche ne fait pas de chantage aux provinces pour qu'elles s'engagent dans quelque chose qu'elles ne seront pas en mesure de concrétiser, alors il y a le temps de peaufiner le programme. Le gouvernement fédéral peut soutenir le programme immédiatement avec des ressources visant la création de nouvelles initiatives axées sur un problème comme ce trouble. Que pensez-vous de cette possibilité?
Dre Moss : Tout ce qui peut être fait pour offrir plus de soutien, avoir plus de traitements et faire plus de recherche dans ce domaine sera bien accueilli par les parents et les cliniciens qui travaillent avec ces enfants. Je vois dans cette approche un moyen potentiel d'engager les provinces et de collaborer.
Dre Roberts : Je suis d'accord, et l'apport d'argent allant avec ce type de clause pourrait nous permettre de combiner la recherche et l'évaluation avec l'offre accrue de services. Je pense que des sommes énormes sont investies dans certains programmes d'intervention. Il n'y a pas vraiment d'évaluation, au sens purement scientifique, de ce qui est fait de cet argent, ni même des milliers de dollars versés aux superviseurs de programmes d'intervention importés d'une autre province ou des États-Unis et auxquels sont associés des sommes phénoménales. Si nous pouvions évaluer et déterminer qu'est-ce qui fonctionne pour qui, nous pourrions faire des économies et cela permettrait à son tour d'effectuer une espèce de redressement budgétaire au bout du compte.
Dans la mesure où le lien est étroitement établi, cette suggestion pourrait vraiment fonctionner. Cela permettrait de donner une éducation de base à tous les niveaux de l'équipe, et à tout le monde qui a besoin d'être renseigné sur l'autisme de vraiment l'être : les parents, les enseignants, les aides à l'éducation, les psychologues, les médecins, les orthophonistes, les ergothérapeutes, les travailleurs sociaux et les fournisseurs des services récréatifs.
[Français]
Le sénateur Champagne : J'imagine que l'idéal serait d'en arriver à un amendement à la Loi canadienne sur la santé prévoyant que tout ce qui concerne l'autisme est pris en charge par la Régie de l'assurance-maladie.
Par contre, on ne nomme pas d'autres maladies comme telles et peut-être que cela créerait une précédent. Actuellement, le gouvernement fédéral transfert des fonds pour le financement de programmes sociaux et des sommes particulières sont consacrées à l'achat de médicaments particulièrement dispendieux.
Vu sous cet angle, peut-on envisager la possibilité que le gouvernement fédéral transfère des fonds aux provinces, fonds qui seraient consacrés au dépistage et au traitement de l'autisme? D'après vous, est-ce que ce serait un élément de solution?
[Traduction]
Dre Roberts : Cela ferait une différence énorme. Il y a un problème quand des gens, de perspectives territoriales diverses, disent « pourquoi l'autisme? ». Si on pouvait faire quelque chose pour faire comprendre aux gens combien la vie serait meilleure si l'autisme était détecté de façon précoce et si des services complets existaient, cela permettrait aux gens de comprendre ce que nous ne faisons pas maintenant et ce que nous créons, ces nombreux facteurs de stress, au niveau éducatif et familial, parce que nous n'intervenons pas assez tôt. Ce serait merveilleux.
Le sénateur Champagne : Une chose que le Québec a ajouté à sa gamme d'assurance, bien que je l'admette, ce soit peu, avec 1 500 $ par année, visait à offrir un peu de répit aux parents; qu'ils puissent avoir quelqu'un qui s'occupe de l'enfant pendant une heure ou deux de temps à autre. C'est aussi une bonne initiative, qui devrait être répandue dans toutes les provinces et tous les territoires.
Dre Moss : Oui, les services de relève sont essentiels, autrement les parents ne pourraient pas y arriver. Je me demande si nous ne devrions pas envisager un programme destiné aux enfants autistes, mais aussi à ceux atteints de troubles du développement neurologique. Certains, qui ne souffrent pas nécessairement d'autisme, auraient avantage à bénéficier du soutien offert aux enfants autistes. Par le passé, cela me déchirait le cœur de ne pouvoir rien faire pour des enfants diagnostiqués autistes. Maintenant, je suis plutôt attristée de voir des enfants aux prises avec des troubles neurodéveloppementaux qui ont besoin d'une aide intensive en orthophonie, mai qui ne remplissent pas exactement tous les critères diagnostiques de l'autisme. Sans être autistes, ces enfants n'ont pas la vie plus facile pour autant.
Un programme plus vaste compliquerait peut-être les choses, mais il serait probablement mieux accepté par le public, qui a déjà exprimé son indignation face à l'injustice subie par ces enfants. Maintenant que nous avons un programme pour les enfants autistes, nous offrons beaucoup moins de services à ceux atteints de troubles neurodéveloppementaux. Les choses ont changé; pourtant nous n'aidons pas les enfants autistes tant que ça, puisque nous cessons d'intervenir dès leur entrée à l'école, alors que c'est à cet âge-là que les parents ont le plus besoin de soutien, pas quand les enfants ont deux ou trois ans. Nous devons mettre en œuvre un programme qui vise principalement les enfants autistes, mais qui tient également compte des besoins semblables qu'éprouvent d'autres enfants.
Ensuite, en ce qui a trait au traitement et à la recherche, si un patient est en train de mourir d'une hémorragie, nous n'avons pas une minute à perdre et nous devons tout faire pour le sauver. Nous devons tirer des leçons pour être en mesure d'intervenir efficacement à l'avenir. Nous devons nous assurer que des recherches approfondies seront menées afin que nous puissions apprendre de nos expériences et constamment améliorer les choses. Sans ces recherches, nous ne saurions pas tout ce que nous savons aujourd'hui sur le traitement des enfants.
Dre Roberts : En Alberta, la mesure législative prévoyant le financement égal pour les deux domaines de développement concernant les retards significatifs a permis d'approfondir la recherche sur un trouble précis du développement. Ce projet de loi était remarquable. Je pense qu'il a été présenté au début de l'an passé. Avec l'âge, ma mémoire me joue des tours.
Voilà donc une mesure législative qui vient grandement en aide aux enfants autistes, mais qui permet également à certains enfants aux prises avec des troubles sévères du développement neurologique d'en bénéficier.
Le président : Nous aurions aimé discuter encore avec vous, mais malheureusement, nous n'avons plus de temps. Nous apprécions que vous soyez venus nous entretenir de cette question. Par ailleurs, le Dr Woodside devait partir plus tôt, mais il nous a donné également des renseignements très utiles.
Nous avons trois nouveaux visages à l'autre extrémité de la table. Je vous souhaite tous la bienvenue. Ces gens représentent trois autres associations axées sur les troubles du développement comme l'autisme. Tout d'abord, de l'Association canadienne des orthophonistes et audiologistes, nous avons Tracie L. Lindblad, directrice et orthophoniste. Ensuite, représentant la Société canadienne de psychologie, nous accueillons la Dre Karen Cohen, directrice exécutive associée. Finalement, nous entendrons Mary Law, doyenne associée et directrice de l'École de sciences en réhabilitation de l'Université McMaster. Mme Law représente l'Association canadienne des ergothérapeutes.
Tracie L. Lindblad, directrice et orthophoniste, Association canadienne des orthophonistes et audiologistes : Vous m'entendrez probablement répéter ce que les autres témoins ont déjà dit, ce qui prouve que nos propos sont importants et vont dans le même sens.
Je vous remercie de m'avoir invitée à vous entretenir des besoins criants en matière de financement pour le traitement de l'autisme et de tous les autres troubles du spectre autistique.
Je suis présentement directrice de l'association. Je travaille également dans un cabinet privé comme orthophoniste. Après avoir quitté le système d'enseignement public dans les années 1980, au moment où on élaborait un modèle de consultation qui n'était plus axé sur le traitement direct, je me suis consacrée au traitement de l'autisme.
Je peux également répondre à vos questions concernant l'exercice privé, s'il y a lieu.
L'Association canadienne des orthophonistes et audiologistes représente 5 000 spécialistes à l'échelle nationale, dont plus de 3 700 orthophonistes. Plus de 30 p. 100 de nos membres ont un intérêt direct pour les troubles du spectre autistique, les TSA. Comme on nous l'a décrit ce matin de façon poignante, les parents veulent que leurs enfants les regardent et communiquent avec eux. Les enfants, les adultes et les adolescents ont besoin d'amis. Les orthophonistes jouent un rôle crucial dans les équipes de diagnostic précoce, d'évaluation et d'intervention auprès des personnes atteintes de TSA.
Les TSA se caractérisent par des déficits fondamentaux en matière de communication — au niveau de la parole, de l'écoute et des compétences verbales — et aussi d'interaction sociale, comme la difficulté à regarder son interlocuteur, à rester sur le sujet et à entretenir la conversation. Dans le plan de financement des troubles du spectre autistique, il faut absolument tenir compte de l'intervention précoce, de l'intensité dans le traitement et de la collaboration.
Il est important de noter que le problème de communication n'est pas seulement du côté de la personne atteinte de TSA; il touche également la famille, les pairs, les dispensateurs de soins, les enseignants, etc. qui se heurtent à des obstacles dans la communication avec l'autiste.
Le rôle de l'orthophoniste est important dans le soutien de la personne, de l'environnement et du partenaire de communication pour maximiser les possibilités d'interaction et surmonter les obstacles.
Bien que les orthophonistes n'aient pas le pouvoir légal de poser des diagnostics au Canada à l'heure actuelle, il est fondamental qu'ils fassent partie de l'équipe de diagnostic. Au sein de cette équipe interdisciplinaire, ils peuvent évaluer les compétences de communication et prendre des mesures visant les déficits circonscrits dans le langage et la communication. De nombreuses études attestent l'importance de la participation de la famille dans les programmes d'intervention. Les orthophonistes jouent également un rôle crucial dans le counselling, l'éducation et la formation des familles, des enseignants et autres dispensateurs de services, et souvent aussi dans la coordination et la prestation des services, ainsi que dans la défense des intérêts de ces enfants et de leur famille.
Comme on l'a dit précédemment, nous sommes dans une situation critique; les délais d'attente sont beaucoup trop longs. Des parents éprouvés et souvent en colère et épuisés doivent attendre pour que leur enfant reçoive les soins nécessaires. Ils patientent fréquemment des mois pour obtenir un premier diagnostic, puis des années avant que leur enfant ne bénéficie de soins orthophoniques.
L'Alliance pancanadienne d'orthophonie et les associations d'audiologie ont récemment mené une étude sur les délais d'attente dans 25 domaines de diagnostic distincts relativement aux troubles de communication. L'étude a révélé que certaines familles attendent plus d'un an pour un premier diagnostic, puis encore autant avant d'accéder à des services.
D'après les données recueillies en 2006, les délais d'attente des patients autistes pour des services d'orthophonie sont beaucoup plus importants que ce que recommandent les spécialistes. Cela est dû en partie à la pénurie de professionnels; les cliniciens se sentent d'ailleurs épuisés.
J'aimerais maintenant vous faire part des recommandations qu'a formulées l'Association canadienne des orthophonistes et audiologistes à l'intention du comité.
Nous recommandons d'adopter une stratégie nationale sur l'autisme prévoyant le recours à une équipe interdisciplinaire pour le diagnostic, l'évaluation, le traitement, la formation, l'éducation et la recherche sur les troubles du spectre autistique.
À l'heure actuelle, il n'existe pas de mécanisme provincial ou fédéral permettant de consolider les divers aspects de l'éducation, de l'expertise, de la recherche et de la pratique, et de faciliter les efforts de collaboration. En appuyant et en partageant des mécanismes nationaux tels que des programmes d'éducation et de formation, des pratiques optimales, des projets de sensibilisation et des systèmes d'évaluation et de suivi, toutes les provinces pourront élaborer leurs propres méthodes en matière de diagnostic, d'évaluation, de traitement, de formation, d'éducation et de recherche dans le domaine des TSA.
Il faut financer les interventions nécessaires en orthophonie tout au long de la vie de la personne dans le cadre de tout programme de traitement de l'autisme. Nous tenons à souligner le rôle majeur des orthophonistes dans le diagnostic et l'importance du financement servant à accroître l'intensité du traitement.
Je le répète, le financement doit viser tout les groupes d'âge. Or, le financement offert par les provinces est surtout destiné aux enfants d'âge préscolaire, et, par conséquent, les enfants d'âge scolaire et les adultes n'ont pas accès aux services dont ils ont besoin pour les aider à réaliser leur plein potentiel et à devenir des membres productifs de la société.
En outre, il faut financer des études coordonnées et fondées sur l'expérience clinique pour élaborer l'interface de communication propre aux personnes atteintes de TSA et pour évaluer le résultat des traitements sur le plan de la parole, du langage et de la communication. Ce type d'études servira à établir les futures lignes directrices pour la pratique clinique et à déterminer les formes de traitement les plus efficaces pour tel type d'enfant à tel stade de développement compte tenu de tel objectif.
Toutefois, il ne faut pas attendre l'aboutissement des recherches pour attribuer le financement et mettre en œuvre les programmes. En ce moment, des enfants et des familles attendent de recevoir les traitements nécessaires. En attendant le développement d'éléments attestés par une recherche révisée par les pairs, il faudrait s'appuyer entre autres sur le jugement d'orthophonistes chevronnés. Leur avis peut orienter la politique gouvernementale jusqu'à ce que l'on dispose d'éléments de recherche plus approfondis.
Comme les TSA sont complexes, il faut insister sur le fait qu'il n'y a pas un seul traitement possible. Dans tous les cas, l'intensité est essentielle. Le financement gouvernemental destiné au traitement des enfants et des adultes atteints de TSA devrait englober toutes les méthodes de traitement fondées sur l'expérience clinique.
Enfin, nous recommandons de veiller à ce que les plans d'évaluation et de traitement soient vastes, interdisciplinaires, souples et fondés sur la collaboration de sorte qu'ils correspondent bien aux diverses caractéristiques de ce groupe hétérogène et aux différents résultats souhaités.
L'intégration des services est d'une importance primordiale, non seulement pour assurer l'efficacité du traitement, mais aussi pour aider les parents, qui font face à des difficultés considérables. Souvent, les parents obtiennent des renseignements et des promesses contradictoires, et les spécialistes ne s'entendent pas toujours sur les méthodes et les thérapies qui conviendraient le mieux. Cette situation est éprouvante non seulement pour les familles, mais aussi pour les thérapeutes.
Les interventions devraient être fondées sur une compréhension commune des besoins et des atouts de la personne au sein de son entourage, c'est-à-dire les parents, les éducateurs et les fournisseurs de services. Il faut s'entendre sur une seule série d'objectifs, classés selon un ordre de priorité, et sur les méthodes à employer afin d'obtenir les meilleurs résultats possibles tout au long de la vie de la personne atteinte.
Merci encore une fois d'avoir donné la chance à l'Association canadienne des orthophonistes et audiologistes d'exprimer son point de vue.
Le président : Je vous remercie et je vous suis reconnaissant d'avoir présenté vos commentaires par écrit. J'ai attiré l'attention des membres du comité sur le fait que tout est bien indiqué, y compris les cinq recommandations, que l'on trouve à partir de la page 12. Merci beaucoup.
Je cède maintenant la parole à notre prochain témoin, Mme Karen Cohen, de la Société canadienne de psychologie.
Karen Cohen, directrice exécutive associée, Société canadienne de psychologie : Je suis heureuse d'être ici aujourd'hui pour discuter de ce sujet important qu'est l'autisme.
Au nom de la Société canadienne de psychologie, je tiens à vous remercier pour vos travaux considérables sur la santé mentale, particulièrement votre rapport intitulé De l'ombre à la lumière. Nous avons présenté un mémoire qui résume ce que nous pensons de l'évolution des connaissances, des traitements et de la recherche en ce qui a trait à l'autisme. Je vais aborder certains points saillants.
Comme on a vous a déjà parlé de ce qu'est l'autisme, de sa prévalence et de la façon dont il est perçu, je ne reviendrai pas là-dessus. J'aimerais souligner certaines difficultés et possibilités qui existent en matière de recherche et de traitement.
Nous savons à quel point il est essentiel d'investir dans l'étiologie des TSA. Nous sommes également conscients de l'importance du dépistage précoce et fiable.
Comme c'est le cas pour de nombreux troubles cérébraux d'ordre génétique ou biochimique, une fois que les causes sont connues, il reste encore à trouver des traitements. Pour cette raison, il faut comprendre qu'il est tout aussi nécessaire d'investir dans la recherche visant à améliorer les méthodes de traitement des TSA que dans la recherche portant sur la génétique ou sur les causes. En ce moment, ces traitements, comme vous l'avez entendu ce matin, visent souvent l'aspect psychologique, psychosocial et psychopédagogique et ils sont axés sur la communication. La recherche dans ces traitements requiert du financement.
Les littératures non professionnelles et scientifiques sur l'autisme montrent clairement qu'il n'existe pas de traitement unique, médical ou psychologique, pour guérir les individus atteints du TSA. Aucun médicament ni traitement médical ne guérit cette maladie. Il n'existe pas de traitement idéal pour les personnes atteintes du TSA.
Les preuves de beaucoup de traitements particuliers et globaux reposent sur l'efficacité. Les traitements globaux, ayant la plus grande efficacité, se fondent essentiellement sur la science et l'application des principes psychologiques. Nos collègues qui ont témoigné avant nous ont parlé de traitements tels que l'intervention comportementale intensive qui est une application de l'analyse appliquée du comportement.
Ces interventions ciblent habituellement le développement professionnel et celui de l'enseignement. Ils visent à améliorer la qualité des interactions sociales de l'individu, le langage et la communication, les fonctions sensorielles et motrices et certains comportements problématiques.
L'importance du counselling et du soutien aux familles est soulignée par le fait que les parents, surtout les mères des enfants atteints d'autisme, souffrent de graves problèmes de santé mentale par rapport aux parents d'enfants atteints d'autres incapacités. Les parents éprouvent une certaine honte en compagnie d'un enfant autiste ayant des problèmes de comportement en public. Les gens qui ne comprennent pas la situation réagissent par des propos du genre : « Voilà des parents qui ne savent pas élever leurs enfants «, propos qui causent beaucoup de stress chez les parents.
L'accès aux services est aussi un stress, il en a déjà été question, mais je vais aussi dire quelques mots.
Les listes d'attente pour une intervention, quand les services sont subventionnés par l'État, sont longues. Quand les services sont subventionnés par le secteur privé, le coût est énorme. Il y aussi une pénurie de professionnels formés pour fournir ces services.
La SPC se préoccupe particulièrement du fait que les provinces et les territoires financent les fournisseurs plutôt que le service. Aujourd'hui, le système ne subventionne pas le meilleur traitement disponible pour le TSA car ce traitement, bien que ce soit un soin de santé, n'est pas un traitement médical. Je vous laisse le soin de prendre cela en considération.
Nos collègues qui ont témoigné avant nous sont trois médecins représentant un groupe professionnel. Bien que nous collaborons et respectons leur apport et leur contribution, vous demandez à chacun d'entre nous de mettre les choses en perspective.
Du point de vue de la SCP, les problèmes d'accessibilité aux thérapies offertes aux personnes atteintes d'autisme sont graves et coûteux dans beaucoup de traitements de soins de santé que ne subventionne pas le système de soins de notre pays. Les psychologues constituent le plus grand seul groupe de fournisseurs de services de santé mentale spécialisés au pays. La science et l'exercice de la profession de psychologue sont le fondement de beaucoup des meilleurs traitements d'un grand nombre de troubles mentaux, maladies et services de psychologues auxquels n'ont pas accès beaucoup de Canadiens.
Le Canada doit avoir un plan d'action pour la santé mentale, y compris les maladies et les troubles des fonctions mentales. La SCP appuie la création d'une commission de santé mentale qui serait responsable de la mise en œuvre d'un tel plan.
Je suppose que le comité a des questions et qu'il souhaite que les experts qu'il a invités lui donnent des réponses, j'aimerais donner quelques réponses. Existe-t-il des traitements efficaces du TSA? Oui, il y en a. Il existe des traitements dont l'efficacité a été prouvée et, au premier chef, ceux fondés essentiellement sur les principes psychologiques et l'exercice de la psychologie.
Le Canada devrait-il subventionner ce traitement? Oui, nous avons la responsabilité de fournir aux gens les soins dont ils ont besoin. Il faut un système de soins de santé qui subventionne les traitements indiqués plutôt que les traitements offerts seulement par des fournisseurs désignés.
Y a-t-il des problèmes d'accessibilité aux traitements? Oui, les problèmes sont liés aux coûts, à la disponibilité des traitements nécessaires et indiqués, fournis par des fournisseurs de soins de santé réglementés et formés ou sous leur supervision.
Le financement doit-il reposer sur l'efficacité? La SPC est d'avis que nous devrions laisser aux fournisseurs de soins de santé et à leurs organismes de réglementation l'obligation de surveiller la meilleure pratique. Les thérapies des troubles devraient avoir des lignes directrices claires et cohérentes. Les traitements devraient être fournis par des professionnels de la santé réglementés ou sous leur supervision.
Des normes nationales de formation de spécialistes en traitement du TSA sont nécessaires. Encore une fois, ces traitements doivent être fournis par les fournisseurs réglementés.
Pour ce qui est de la responsabilité du dépistage, de l'évaluation et du traitement, le Dr Woodside et la Dre Roberts ont dit que ce devrait être le fruit d'une collaboration multidisciplinaire. Il est vrai que le diagnostic actif se limite à certains groupes, psychologues et médecins dans le domaine de l'autisme, mais l'évaluation et l'intervention doivent être un effort de collaboration multidisciplinaire.
La Dre Roberts nous a mentionné quelques mesures normalisées. Les plus efficaces interventions comportementales sont principalement les interventions psychologiques. La SCP estime que ces traitements peuvent être assurés par des praticiens formés en autisme et qui sont des psychologues ou qui travaillent sous la supervision de psychologues.
Les techniques entrant dans le cadre d'autres programmes globaux sont fournis par d'autres professionnels de la santé, certains sont présents aujourd'hui. Ces techniques et programmes doivent également être fournis par des fournisseurs de soins de santé réglementés.
Finalement, je veux parler des lieux où le traitement devrait être donné. Les enfants vivent dans des écoles, des maisons et des collectivités. Nous pouvons coordonner les soins de santé et un accès souple aux services dont ont besoin les enfants.
En conclusion, la SPC félicite le comité pour l'intérêt qu'il accorde aux troubles des fonctions mentales, en particulier l'autisme. Nous espérons que vous entendrez attentivement tous les témoignages et nous sommes prêts à vous fournir des renseignements supplémentaires ou de l'aide additionnelle.
Mary Law, doyenne associée, directrice, École de science en réhabilitation, Université McMaster, Association canadienne des ergothérapeutes : Je suis heureuse d'être ici au nom de l'Association canadienne des ergothérapeutes. Notre exposé est également disponible sur papier.
L'Association canadienne des ergothérapeutes est une organisation nationale dont l'objectif est d'améliorer la santé et le bien-être des Canadiens. Nous aidons les gens à vivre de manière productive et autonome en les aidant à participer entièrement à l'autogestion de la santé, à faire du travail rémunéré ou non et à avoir des loisirs.
Comme il a été dit ce matin, la prévalence de l'autisme augmente. Je ne vais pas en parler en détail, je vais plutôt me concentrer sur la contribution potentielle de l'ergothérapie.
Le but de l'ergothérapie est d'aider les enfants atteints de l'autisme à participer aux activités quotidiennes. C'est-à- dire leur apprendre à s'habiller, se laver et se nourrir eux-mêmes; contribuer à la société en effectuant du travail rémunéré ou pas, en allant à l'école et avoir des loisirs et faire du sport.
L'ergothérapie traite des obstacles à la participation pouvant résulter d'une maladie ou d'une incapacité et des obstacles dans l'environnement social, institutionnel ou physique.
De quelle façon les ergothérapeutes aident les enfants atteints d'autisme? Nous utilisons pour cela deux méthodes primaires. La contribution des thérapeutes peut-être plus significative dans le contexte des fonctions sensorielles et de la motricité. Il est prouvé que les enfants atteints d'autisme ne traitent pas les informations sensorielles de la même façon que les autres enfants.
Le centre d'intérêt de l'ergothérapie a changé récemment et l'on s'intéresse à la façon dont les enfants réagissent mal à une expérience sensorielle et quand, et à la structure de l'environnement afin de composer avec ce type de réaction ou la minimiser.
Les ergothérapeutes peuvent utiliser un médiateur ou une approche directe de consultation ou d'intervention pour travailler avec les parents et les enseignants en vue fournir des stratégies visant à empêcher les réactions aux expériences sensorielles dans le cadre d'activités quotidiennes limitées.
Par exemple, si le bruit excessif à l'école particulièrement en fin de journée perturbe un enfant autiste, l'adaptation à l'environnement consisterait à lui faire quitter l'école avant tous les autres élèves. Si un enfant est dérangé par un tissu particulier, par exemple, de la laine, il faudrait éviter de lui en faire porter.
En adaptant les tâches et les environnements et en collaborant avec les familles des enseignants pour leur apprendre de nouvelles compétences, en leur apprenant à calmer ou à sensibiliser les enfants dans des activités quotidiennes, nous pouvons changer la vie quotidienne d'une famille.
L'ergothérapeute d'enfants autistes se concentre particulièrement sur les questions d'autogestion de la santé — l'alimentation, la toilette, l'hygiène et le sommeil qui sont importants pour les enfants et la source d'énormément de stress pour les familles.
Au niveau des activités quotidiennes, les ergothérapeutes se concentrent sur l'analyse des tâches — en décomposant une tâche en étapes gérables, en apprenant ces étapes aux personnes clés de l'environnement de l'enfant et en structurant la tâche ou l'environnement de façon à bien exécuter la tâche.
Voici les recommandations et les problèmes relatifs à l'accessibilité identifiés par l'Association canadienne des ergothérapeutes. Il y a une pénurie d'ergothérapeutes au niveau des études avancées dans tout le Canada pour travailler avec les enfants atteints d'autisme à la maison et à l'école. Nous estimons que les enfants et les familles devraient avoir accès, dans leurs collectivités et tout au long de leur vie, à des professionnels appropriés au bon moment, ainsi qu'à des équipes interdisciplinaires.
Les provinces et les territoires ne sont pas tenus de subventionner les services d'ergothérapie. Par conséquent, les niveaux des subventions varient à travers le Canada et il en est de même pour les services offerts aux enfants autistes.
Les délais d'attente pour les services d'évaluation et de traitement ont atteint un niveau inacceptable pour les familles et leurs enfants. Les familles attendent jusqu'à un an pour avoir un diagnostic puis deux ou trois ans de plus pour des services de thérapie. Par exemple, en Ontario, entre 6 000 et 8 000 enfants attendent des services de thérapie de santé scolaire.
La plupart des services de thérapie sont basés sur le comportement et sont surtout disponibles pour les enfants d'âge préscolaire. Les adolescents disposent de très peu de traitement. Des services maintenus tout au long de la vie du patient sont nécessaires.
L'Association canadienne des ergothérapeutes appuie l'élaboration d'une stratégie nationale. En fait, nous aimerions élargir cette stratégie à une stratégie nationale pour les enfants handicapés, incluant une vision et un plan d'action à l'échelon national pour les enfants atteints d'autisme.
Un tel plan d'action devrait aborder les questions suivantes : les problèmes du système, y compris l'accès et le subventionnement; la planification intégrée des ressources humaines en matière de santé; la gestion des listes d'attente; la recherche de preuves pour l'évaluation et l'intervention; la coordination et l'intégration des services fournis par les secteurs de la santé, de l'enseignement et des services sociaux.
Nous croyons qu'il est important, dans le cadre de la stratégie, d'aborder les interventions des familles et l'aide aux familles; la participation des familles et des enfants à des activités positives; la mise en œuvre de lignes directrices pour des services de collaboration intégrée entre les secteurs de la santé, de l'enseignement et des services sociaux; la sensibilisation des consommateurs et des professionnels de la santé; le financement des organismes et du gouvernement pour assurer une approche globale au traitement qui aborde les capacités fonctionnelles au lieu de compétences marginales pouvant être ciblées dans des approches uniques. Il faut garantir des possibilités de collaboration interprofessionnelle et la création de mécanismes pour ouvrir des voies de traitement fondées sur des preuves.
La question essentielle relative au traitement, comme il a été déjà dit ce matin, c'est le degré de thérapie, à quel âge, quand arrêter le traitement, augmenter ou diminuer l'intensité du traitement?
Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, madame Law.
Encore une fois, merci à vous trois.
Le sénateur Nancy Ruth : Madame Cohen, quelqu'un qui a besoin de services psychologiques ne peut pas les obtenir aux services de santé provinciaux. Est-ce le cas dans tout le Canada?
Mme Cohen : La réponse n'est pas simple. Si le psychologue est salarié d'un hôpital, une école ou un organisme de correction, le client n'est pas facturé. Cependant, nous prévoyons que d'ici 2010, jusqu'à 70 p. cent des psychologues autorisés exerceront dans la collectivité, et leurs services ne sont pas subventionnés.
Le sénateur Nancy Ruth : Vous avez aussi mentionné que vous souhaiteriez que d'autres groupes s'occupant des enfants autistes soient sous la supervision de psychologues, et j'ai pensé aux adjoints aux enseignants.
Mme Cohen : Je n'ai pas dit que tous les membres d'une équipe multidisciplinaire soient sous la supervision des psychologues. J'ai dit que ceux qui mettent en œuvre les aspects comportementaux des programmes comportementaux intensifs, ce qui relève vraiment de la science de la psychologie, soient sous la supervision d'un psychologue.
Le sénateur Nancy Ruth : Cela inclut-il les deux professions ici présentes?
Mme Cohen : Non.
Le sénateur Nancy Ruth : De quoi parlez-vous alors?
Mme Cohen : Le titre donné à beaucoup de thérapeutes qui mettent en œuvre un grand nombre de programmes ICI est « spécialiste du comportement «. Ce groupe n'est pas une profession de santé réglementée et la formation et la délivrance de titres et de certificats dans ce domaine ne sont ni systématiques ni normalisées.
La SPC encourage les membres qui travaillent dans le domaine de l'autisme et qui font ce genre de thérapie à suivre une formation spécialisée dans l'analyse appliquée du comportement, qui entre dans le domaine de la psychologie.
Nous comprenons que ça peut ne pas concerner les psychologues eux-mêmes. Il peut y avoir une possibilité et un besoin, pour des personnes au niveau du baccalauréat ou de la maîtrise, de faire ce genre de travail, mais il devrait y avoir une obligation de rendre des comptes au public en ce qui concerne la délivrance du titre du certificat.
Le président : Nous pourrions poser cette question aux deux autres témoins en ce qui concerne leur profession et ce qui est subventionné par les plans de soins de santé.
Mme Law : Les subventions des plans de santé pour l'ergothérapie portent sur les services fournis par des institutions subventionnées par l'État tels que les hôpitaux, les centres de réhabilitation pour les enfants et les services de santé scolaire. Mais, il y a beaucoup d'endroits au pays où les services que fournissent des ergothérapeutes aux autistes ne sont pas subventionnés. Beaucoup de parents dépensent énormément d'argent pour payer ces services.
Mme Lindblad : L'orthophonie et l'audiologie sont similaires à l'ergothérapie. Nos services sont subventionnés par des plans de santé lorsque nous les fournissons dans le cadre d'un programme scolaire ou préscolaire ou un hôpital. Encore une fois, il y a des listes d'attente pour tous ces programmes et certains modèles visent plus les consultations — formation des parents ou thérapie de groupe, au lieu de thérapie directe. Les services subventionnés varient selon l'emplacement et le nombre d'orthophonistes et d'audiologistes disponibles.
[Français]
Le sénateur Pépin : Justement, lorsqu'on parle des différentes disciplines, on sait qu'un des problèmes importants, c'est les frais excessifs. L'une de vous a dit que d'ici l'an 2010, probablement que tous les professionnels seront dans l'entreprise privée et non dans le système public, comme les hôpitaux. Mis à part les frais excessifs, croyez-vous qu'il y aura assez de professionnels disponibles pour accueillir ce genre de clientèle, que ce soit les enfants ou les adultes souffrant d'autisme ou d'autres maladies semblables?
[Traduction]
Mme Law : Je suis désolée, mon système de traduction ne fonctionne pas, c'est pour cela que je faisais des gestes.
Le sénateur Pépin : Il a été dit qu'en 2010, la plupart des experts en autisme et autres problèmes mentaux travailleront dans le secteur privé. Avons-nous l'argent pour nous occuper de ceux qui auront besoin de ces services; en outre, pensez-vous qu'il y aura suffisamment de professionnels pour répondre à la demande de ces patients?
Mme Law : Il faut investir de l'argent pour les enfants autistes et en même temps pour évaluer ces services afin que d'ici là nous puissions élaborer des stratégies plus efficaces et plus rentables. Des enfants autistes recevront un traitement intensif durant leurs premières années et n'auront plus besoin d'un traitement aussi intensif plus tard, dans des approches de consultation.
Beaucoup d'approches d'ergothérapeutes sont mieux données dans des modèles de consultation ou du médiateur, en présentant des stratégies aux parents et aux enseignants afin qu'ils adaptent l'environnement et que les enfants puissent participer dans leurs activités quotidiennes.
Mme Lindblad : Certains transferts des services subventionnés par l'État aux services du secteur privé sont dus à un changement de financement dans certains de ses services. La Loi sur l'éducation ne prévoit pas l'orthophonie et l'audiologie comme étant des mandats de services. Les écoles ne sont pas tenues de recruter des orthophonistes et des audiologistes, donc souvent en cas de coupure budgétaire, les orthophonistes et aux biologistes perdent leur emploi.
Le nombre de cas dont nous nous occupons dans les hôpitaux, les établissements préscolaires, les institutions subventionnées par l'État et dans les commissions scolaires est souvent 10 fois, sinon plus, plus grand que le nombre de cas de nos homologues américains. Il n'est pas inhabituel au Canada pour les orthophonistes et audiologistes de traiter de 150 à 200 enfants par an. Aux États-Unis, un nombre de cas d'une classe d'autistes exige un poste à plein temps. Ce genre de référence ou de limite n'existent pas au Canada.
Le passage à la consultation pour certains d'entre nous, plutôt que le traitement direct et la thérapie directe, a été aussi important. Lorsque j'ai quitté le secteur public pour aller au secteur privé, c'était parce que je n'étais pas autorisée à fournir une thérapie directe; or, le traitement direct et intensif pour les enfants autistes donne de bons résultats. Professionnellement, je pensais que c'est ce que je devais faire.
Malheureusement, nous avons encore des listes d'attente, parce qu'il n'y a pas suffisamment de diplômés. L'autisme est l'un des domaines les plus difficiles dans notre profession. Le manque de communication, les problèmes de comportement, l'intensité dans l'approche et la supervision du programme ont aussi un effet sur le thérapeute. Il est difficile d'attirer des orthophonistes et audiologistes dans le domaine de l'autisme.
Mme Cohen : Si je peux ajouter quelque chose à cela, c'est moi qui ai dit que jusqu'à 70 p. 100 de nos membres travailleront dans le secteur privé. Encore une fois, pour souligner, ce changement n'est pas forcément dicté par la profession : l'investissement chez les salariés de nos diverses institutions publiques à pousser les gens vers le secteur privé.
L'autre problème au niveau de l'autisme et des autres troubles, c'est que beaucoup de professions réalisent que beaucoup de traitement exigent une collaboration et une approche multidisciplinaire. C'est quelque chose que ne peut pas faire facilement un praticien privé travaillant seul dans une collectivité. Il faut de l'investissement pour cela. Le médecin dira, qui me paiera pendant que je parle au psychologue, à l'ergothérapeute et à l'orthophoniste et audiologiste; le psychologue dira qui me paiera pour recevoir en consultation ce client qui a besoin de beaucoup de services? Ce genre de travail nécessite de l'investissement dans la structure.
Le sénateur Munson : Je suis curieux de savoir quel est le degré de gravité de la pénurie d'orthophonistes et audiologistes? Vous avez parlé d'épuisement professionnel; ces pénuries existent-elles partout au pays?
Mme Lindblad : Partout au pays, il manque des orthophonistes et audiologistes. Aujourd'hui, des postes sont offerts partout, donc le marché est favorable aux diplômés; les diplômés peuvent demander le salaire qu'ils veulent si nous voulons qu'ils viennent travailler chez nous.
On prévoit 262 diplômés dans tout le pays pour 2007. Il n'y a que neuf programmes; trois programmes francophones donnés entièrement français. Nous devons augmenter le nombre de programmes et aussi répondre à la demande en services.
Le sénateur Johnson : Vous occupez-vous de jeunes atteints du syndrome Asperger?
Mme Lindblad : Oui, en fait j'ai publié des articles à ce sujet.
Le sénateur Molson : Je tiens à préciser quelque chose. Il y a eut beaucoup de discussions sur l'autisme dans notre comité, mais personne n'avait encore mentionné le syndrome Asperger dans nos audiences. Pouvez-vous faire le point sur cette question et nous dire le type de thérapie en orthophonie et audiologie utilisé pour ce trouble?
Mme Lindblad : Je ne fais pas de diagnostic, je laisserai donc Mme Cohen vous expliquer ce qu'est le syndrome Asperger afin que vous ayez une bonne explication technique.
Mme Cohen : L'autisme et le syndrome Asperger sont tous les deux des troubles du spectre autistique. L'autisme est généralement considéré comme étant une forme plus grave. Près de 80 p. 100 des personnes atteintes d'autisme ont un fonctionnement intellectuel au-dessous de la moyenne; celui des personnes atteintes du syndrome Asperger est soit moyen soit au-dessus la moyenne.
Certaines caractéristiques sont communes et d'autres sont distinctes. Les capacités spatio-visuelles sont relativement fortes chez les autistes et relativement faibles chez les personnes atteintes du syndrome Asperger. Pour les autistes, les habilités motrices générales ont tendance à suivre le niveau de développement; les personnes atteintes du syndrome Asperger ont plus de problèmes au niveau de la motricité. Quand je dis niveau de développement, je veux dire par là à quelle étape ils en sont dans leur maladie.
Les aptitudes verbales sont médiocres chez les autistes, mais généralement bonnes chez ceux qui souffrent du syndrome Asperger. Les fonctions plus sociales de la communication — ma collègue en orthophonie et audiologie peut en parler mieux que moi — ont tendance à être mauvaises et sont un problème pour les personnes atteintes des deux troubles.
Il y a des problèmes de répétition au niveau du comportement et de l'attention. Il arrive souvent qu'une personne atteinte du TSA résiste aux changements — les enfants peuvent être fascinés par les camions, les trains ou les noms de voiture; les fixations ont tendance à être beaucoup plus comportementales dans l'autisme, avec des mouvements répétés. Pour le syndrome Asperger, c'est le contraire; ce serait plus une idée — des mots ou des activités répétées et dont ils ont du mal à se détacher. Finalement, les deux troubles sont caractérisés par ce qui est appelé un manque de théorie de l'esprit. Je crois que c'est ce manque qui crée beaucoup de troubles de socialisation.
Vous devez comprendre que quelqu'un existe en dehors de vous pour être en mesure de développer des compétences sociales. Vous savez que votre ami a un esprit différent et qu'il aborde un problème d'une façon différente. Cette connaissance est véritablement la base de l'empathie et le fondement pour s'entendre avec les autres. Si vous ne pouvez pas faire cela, cela influera sur l'aspect social. Peut-être que c'était une réponse plus longue que nécessaire.
Le sénateur Munson : Non, nous devons l'élargir. Il est important que le comité, moi-même et d'autres comprennent, parce que nous nous concentrons sur le mot, autisme. Dans le bref regard que j'ai jeté sur cette maladie au cours des dernières années, nous avons accueilli, en fait, c'était devant un comité de la Chambre des communes, un homme de Montréal atteint du syndrome d'Asperger. J'étais fasciné par cette personne qui pouvait défaire une montre et la remonter. Parce qu'il possède ce genre de compétence, il travaille maintenant dans un centre informatique dans une université de Montréal. Évidemment, les autres questions sociales doivent être traitées. Je suppose que vous croyez que cette maladie devrait faire partie d'une stratégie nationale.
Mme Lindblad : Absolument et je vous félicite d'avoir inclus tout le spectre. Il y a un mythe qui circule selon lequel les enfants qui ont un autisme de fonctionnement supérieur ou le syndrome d'Asperger ont besoin de moins de services parce qu'ils ont de meilleures capacités. Je travaille beaucoup avec des enfants et des adolescents atteints du syndrome d'Asperger et il est difficile de traiter avec eux.
Les déficits sociaux sont au cœur de leur maladie, mais ils peuvent tout de même présenter des difficultés de communication. Ils peuvent avoir des atteintes spécifiques du langage qui passent souvent inaperçues et qui ne sont pas traitées parce qu'elles sont masquées par leurs bonnes compétences verbales. Parfois leurs compétences verbales sont hyper-verbales, elles sont supérieures à ce qu'ils comprennent. Encore une fois, il arrive souvent que les gens interprètent mal ce qui se passe.
Le domaine le plus important dans le cas du syndrome d'Asperger, et le Dr Peter Szatmari de l'Université McMaster a fait beaucoup de recherche dans ce domaine, c'est que les questions de santé mentale commencent à se combiner avec les troubles. Il y a une anxiété accrue et souvent une dépression accrue. Lorsque vous examinez le QI et les habiletés de langage, il y a des catégories différentes où le syndrome d'Asperger a des effets différents.
Ceux d'entre nous qui ont des adolescents typiques savent que nous vivons à une époque difficile pour n'importe quel adolescent. Lorsque vous combinez les difficultés de l'adolescence avec des problèmes de communication sociale et des comportements perceptifs et ensuite, avec un problème de santé mentale, comme l'anxiété ou la dépression, alors, cela devient trop gros pour pouvoir y faire face. De nombreuses personnes atteintes du syndrome d'Asperger développent une phobie de l'école parce qu'elles ne peuvent faire face au moindre degré d'interaction sociale.
En tant qu'orthophonistes, nous devons travailler de manière intensive. Le peu de recherche dont nous disposons jusqu'à maintenant indique que l'intensité est la clé. Nous avons ciblé cette intensité sur les enfants d'âge préscolaire et dans de nombreux programmes d'ICI accessibles, et les adolescents n'ont pas été inclus parce que nous savons qu'il y a des choses que nous pouvons faire et les parents ont autant de difficultés avec ces personnes que les parents d'enfants atteints d'autisme.
Mme Law : Les enfants atteints du syndrome d'Asperger ont des difficultés qui entraînent des problèmes en termes d'activités quotidiennes. Comme l'a dit Mme Cohen, ils peuvent avoir des difficultés motrices. Les difficultés sociales peuvent leur causer d'immenses problèmes en termes d'adaptation dans les environnements de l'école et du travail. Vous avez parlé d'une personne qui pouvait démonter une montre. Avec la transition vers la vie adulte, essayer de trouver le meilleur ajustement, l'environnement approprié et le meilleur emploi pour ces gens, en termes de travail rémunéré, est extrêmement difficile aussi bien pour les jeunes atteints du syndrome d'Asperger que pour quiconque est atteint d'autisme.
Le sénateur Munson : Nous avons entendu ce matin trois autres témoins qui ont parlé d'un leadership fédéral qui doit venir du centre. Il y a la prestation provinciale, mais quelqu'un doit dire aux autres qu'il faut travailler ensemble et faire quelque chose à propos de ce problème. Est-ce que vous pensez que le ministre de la Santé devrait rencontrer ses homologues provinciaux et avoir une séance de remue-méninges comme le font les chercheurs, et comme vous le faites, et amener les provinces à travailler ensemble pour élaborer une sorte de stratégie nationale pour les troubles du spectre autistique?
Mme Lindblad : Je crois fermement qu'une stratégie nationale s'impose, même si ce n'est que pour encourager la collaboration à la grandeur du pays. Nos associations et nos associations provinciales ne se réunissent que lorsqu'un organisme national facilite ce dialogue. Il est important qu'il y ait une vision nationale, une stratégie nationale, et que nous ne réinventions pas la roue et que nous ne continuions pas à réinventer la roue pour chaque province et pour chaque service. Il y a un certain nombre de services et de difficultés dans les stratégies qui sont communes à toutes nos disciplines, alors, un plan national serait véritablement une stratégie qui permet de réduire les coûts.
Mme Law : Je suis tout à fait d'accord. À l'échelle nationale, le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de chef de file pour ce qui est de réunir les gens ensemble afin d'élaborer des lignes directrices et des stratégies pour partager l'information. Le gouvernement national peut jouer un rôle de chef de file en termes de financement de la recherche si désespérément nécessaire sur la rentabilité des différentes interventions. Le gouvernement fédéral peut également jouer un rôle de chef de file en termes de stratégie de santé et des ressources humaines pour une équipe multidisciplinaire qui aborde ces questions.
Mme Cohen : Cela peut être le rôle de la commission de la santé mentale que d'assurer ce genre de leadership, de supervision et d'engagement.
Le sénateur Keon : Madame Cohen, vous avez soulevé une question intéressante. Vous avez dit que ce rôle pouvait être joué par une commission de la santé mentale, dont je suis tout à fait convaincu qu'elle sera sur pied ce printemps, mais le problème, c'est que lorsque que nous avons eu les audiences, de nombreuses personnes qui représentaient la communauté de l'autisme estimaient que l'autisme ne devrait pas être traité dans ce cadre structurel. Je n'avais pas l'intention de vous poser cette question, mais puisque vous vous êtes aventurée sur ce terrain, pourriez-vous nous dire plus précisément si vous devriez être dans cet organisme plutôt que dans votre propre organisme?
Mme Cohen : Je comprends et je respecte la position de la communauté de l'autisme. C'est quelque chose de compliqué, parce que l'autisme n'est pas le seul parmi les autres troubles de santé mentale à avoir un fondement biochimique ou génétique. Le dénominateur commun, c'est qu'il s'agit d'un trouble de la fonction mentale. Ma préoccupation, c'est que nous voulons éviter les stigmates en n'utilisant pas des expressions comme « fonctionnement mental » ou « santé mentale ». L'autisme devrait être inclus dans le mandat de travail de la commission de la santé mentale.
Le sénateur Keon : Laissez-moi vous ramener aux deux dernières recommandations présentées dans votre document, et j'aimerais que tout le groupe fasse des observations quant à savoir où le de traitement devrait-il se donner et qui devrait le donner? C'est extrêmement intéressant parce qu'en effet, dans toutes les audiences sur la santé qui remontent à notre rapport initial de 2002 et jusqu'au rapport sur la santé mentale et ainsi de suite, le problème universel, c'est qu'il y a un très grand nombre de gens qui tombent à côté du filet de sécurité. Dans le cas de la santé mentale la situation est mauvaise, mais dans le cas de l'autisme, elle est encore pire.
Si jamais nous arrivons à trouver une autre façon de faire face à cette question, nous avons estimé, et nous l'avons recommandé dans notre rapport sur la santé mentale, que nous devrions mettre un accent très prononcé sur la communauté. Nous avons recommandé que nous fassions un investissement majeur dans les ressources de la communauté et dans les équipes multidisciplinaires, auxquelles tous les trois vous avez fait allusion, et que nous essayions de convaincre les gens que ces problèmes ne peuvent être traités entièrement au niveau institutionnel. Les institutions ont un taille trop grande, ne sont pas conviviaux, les gens s'y perdent et, la plupart du temps, on ne peut même pas y garer sa voiture. On ne peut y avoir accès.
D'un autre côté, si nous allons au niveau de la communauté, pour un coût raisonnable comparativement à ceux d'autres secteurs institutionnels dans les soins de santé, nous pourrions construire des réseaux de cliniques communautaires dotées de toutes les équipes; nous pourrions éliminer le problème du financement parce que tous ceux qui y travailleraient seraient payés. Cela pourrait avoir un effet positif au plan économique. Les services pourraient être intégrés avec les écoles et même avec les forces de l'ordre qui, malheureusement, cueillent parfois ces personnes la nuit pour les jeter en prison plutôt que de les ramener dans la communauté.
J'ai suffisamment pontifié. La question s'adresse à vous trois. Dites-nous comment vous pensez que cette structure pourrait être organisée.
Mme Cohen : Je pense que l'idée de situer les services dans la communauté et de créer une infrastructure pour appuyer la collaboration serait absolument fantastique. Une chose que la recherche dans le traitement de l'autisme nous dit, c'est que le traitement doit être flexible pour faire place aux besoins individuels d'un enfant. Pouvez-vous trouver un endroit où le traitement doit toujours être dispensé par une équipe particulière? Je ne le pense pas.
Comme mes collègues l'ont signalé, certains enfants ont besoin d'une intervention comportementale intensive et d'autres non. D'autres pourraient avoir davantage besoin des soins d'un orthophoniste ou d'un ergothérapeute. C'est l'avantage d'une équipe qui est située au même endroit et qui dispose d'une infrastructure pour appuyer la collaboration. Vous pouvez avoir cette flexibilité parce qu'il existe une sorte de lieu central où cette approche peut être coordonnée.
Cependant, le lien avec les écoles sera un lien clé. Certains de nos collègues dans le domaine de l'éducation diront qu'ils sont inquiets au sujet des ressources, assurer ce genre d'appui aux enfants dans les écoles. Il doit y avoir un moyen de faire en sorte que cela ne soit pas situé uniquement dans la communauté, mais que l'on puisse, d'une façon quelconque, créer une infrastructure de sorte que les écoles puissent également appuyer les interventions.
Mme Law : Je suis d'accord pour dire que l'approche doit être axée sur la communauté et qu'elle doit être multidisciplinaire de nature. La recherche indique qu'il est de loin préférable de travailler dans l'environnement naturel de l'enfant qui vit avec sa famille. Un certain travail a été fait pour examiner la possibilité d'utiliser les écoles comme des moyeux, comme base pour faire cohabiter les services. La recherche indique que moins il y a d'endroits différents où les familles doivent se rendre pour obtenir les services, moins il y a de stress et mieux c'est pour l'enfant. Si nous avions un endroit au sein de la communauté où des équipes multidisciplinaires sont accessibles — une évaluation et un ensemble d'objectifs pour lesquels les traitements appropriés pourraient être offerts —, le traitement serait beaucoup plus efficace et rentable.
Mme Lindblad : Je suis d'accord pour dire qu'une intervention axée sur la communauté est probablement ce qui convient le mieux à ce domaine diversifié, et à ces personnes très variées. Encore une fois, le dilemme sera la coopération. À l'heure actuelle en Ontario, nous avons un programme d'intervention en autisme, et dans certaines régions de la province, nous travaillons avec les écoles dans des programmes d'ICI. Cependant, le programme est devenu une source de difficultés parce qu'il y a des chasses gardées. Nous devons faire beaucoup de recherche, d'éducation et de formation; le traitement doit être donné par une équipe et le secteur de l'éducation doit constituer un élément important de cette équipe.
Les spécialistes qui relèvent du domaine de la santé excellent dans le travail d'équipe. Nous sommes formés pour travailler au sein d'équipes multidisciplinaires. Dans le domaine de l'éducation, les gens n'ont pas été formés au travail d'équipe de cette façon. L'éducation n'est pas un modèle axé sur la santé. Nous devrons faire beaucoup de travail pour amener les éducateurs à s'intégrer à ce modèle de collaboration.
La seule mise en garde, c'est qu'il faut que ce soit un service uniforme partout au pays. Déjà les familles déménagent d'une province à une autre ou des régions rurales vers les régions urbaines. Encore une fois, l'approche doit être nationale, dans le cadre d'une stratégie, pour que la pratique fondée sur l'expérience clinique vienne enrichir le niveau de l'application. Si cela se produisait de manière uniforme partout au pays, cette approche serait la meilleure pour tous les cliniciens et pour les familles également.
Si nous avons un service communautaire, au niveau de la communauté, nous avons des cliniques et nous avons des spécialistes de la santé réglementés sur place. Alors, nous pouvons mieux utiliser les autres services que nous utilisons — comme les thérapeutes instructeurs dans les programmes d'ICI. Nous avons des assistants en troubles de la communication qui relèvent davantage du niveau de technicien, pour appliquer la thérapie ou le service direct. Nous avons nos spécialistes de la santé réglementés qui surveillent la qualité de ce service et, de cette façon, c'est un service plus rentable.
Le sénateur Cordy : Vous nous avez donné une excellente raison pour promouvoir l'équipe multidisciplinaire. L'autisme semble être une de ces choses si bien adaptées à cette notion. Si tout le monde ne travaille pas ensemble, l'approche ne fonctionnera pas pour les gens qui ont le plus besoin d'aide, c'est-à-dire les personnes atteintes d'autisme.
Madame Cohen, vous avez soulevé la question des stigmates et de l'importance de la sensibilisation du public pour qu'il sache ce qu'est l'autisme — que ce n'est pas quelque chose qui est dû à la négligence des parents et que c'est quelque chose qui mérite attention.
Je n'oublierai jamais la scène dont j'ai été témoin dans un aéroport. Un père essayait d'amener son enfant autiste à traverser le portail de sécurité. L'enfant refusait de passer; il courait partout dans l'aéroport en criant à tue-tête. Le père disait que son fils était autiste et essayait de s'excuser auprès tout le monde parce que, comme vous pouvez l'imaginer, les regards fusaient de toutes parts. J'ai sympathisé avec les parents.
C'est quelque chose que nous pourrions faire au niveau national et à partir du palier fédéral. Pourriez-vous en parler davantage?
Mme Cohen : On peut parler de la question des stigmates non seulement dans le cas de l'autisme, mais dans celui de tous les troubles de la fonction mentale. La Société canadienne de psychologie a eu la chance de siéger au comité consultatif technique sur le crédit d'impôt pour personnes handicapées. On nous a chargés, entre autres choses, d'examiner comment concevoir les critères d'admissibilité pour les personnes atteintes d'un handicap touchant la fonction mentale, qui n'est pas aussi évident. Il est facile de déterminer si quelqu'un est paraplégique — il ne peut pas marcher et il satisfait aux critères d'admissibilité. Cependant, comment traduire en mots à quoi ressemble une atteinte mentale?
C'est là parfois une partie du défi dans le cas des personnes qui ont des enfants autistes. Toutes les parties du corps semblent être là et la personne est très réelle. On a tendance à dire que ce doit être quelque chose que l'on fait, ou que l'on ne fait pas, à cet enfant.
Nous devons déstigmatiser la maladie mentale. Ce n'est pas un crime ou une honte que d'avoir un problème touchant la façon dont nous pensons ou ressentons les choses, de la même manière que ce n'est pas un problème si nos jambes ne fonctionnent pas.
Le sénateur Cordy : Pensez-vous que nous pourrions aider pour favoriser cette déstigmatisation? Nous avons fait la promotion de l'éducation nationale en matière de santé mentale, de maladies mentales et de toxicomanie. Pensez-vous que cela pourrait s'inscrire dans cet ensemble?
Mme Cohen : Oui, je le pense. Une recommandation que nous avons faite à la commission, c'était de rédiger un guide canadien de la santé mentale, qui rassemblerait au Guide alimentaire canadien. Qu'est-ce que la santé mentale? Que devons-nous faire pour en prendre soin et qu'arrive-t-il lorsqu'elle ne fonctionne pas aussi bien?
Mme Lindblad : J'aimerais ajouter à cela une note de précaution en ce sens qu'il existe déjà une sensibilisation accrue dans le domaine de l'autisme. Je suis d'accord pour dire qu'il y a des stigmates si elle relève de la santé mentale. Plus d'éducation sur cette question, avant que nous ayons des traitements disponibles et tout cet ensemble de traitements en place, n'aidera pas. Les gens seront plus sensibilisés; la sensibilisation fera accroître les évaluations et les diagnostics et après, plus rien.
Nous devons presque procéder à l'inverse; mettre nos programmes de traitement en place avec le financement nécessaire, établir nos cliniques communautaires et ensuite, travailler davantage sur des campagnes de sensibilisation et d'éducation du public. Je sais par mes propres enfants, qui fréquentent l'école primaire, qu'ils sont à l'aise avec tous ces diagnostics maintenant. C'est une chose que l'intégration a bien su faire.
Ils peuvent probablement donner de meilleurs diagnostics que certains de nos homologues dans la communauté. Ils savent que ces personnes feront partie de la même société qu'eux. Cependant, ils s'inquiètent à leur sujet; les enfants typiques s'inquiètent de leurs pairs. Les stigmates touchent encore la population adulte et les parents; les enfants qui grandissent aujourd'hui n'auront pas la même perception.
Mme Law : Fournir de l'information est d'une importance vitale dans le cas d'une stratégie à volets multiples. J'invite le comité à examiner certains des travaux de recherches qui ont été effectués sur la façon de transférer la connaissance et l'information — utiliser une langue simple, se concentrer sur des stratégies précises, utiliser une langue qui place les gens en premier et être respectueux. Il y a beaucoup d'information sur la façon de transférer la connaissance d'une manière qui est efficace et qui sera adoptée et utilisée par les gens.
Le sénateur Cordy : Une chose qu'il est important de faire comprendre au public, c'est que le public entend parler du coût des ICI, par exemple, et pense immédiatement — et j'ai entendu des gens le dire — que cela fait beaucoup d'argent pour un enfant. Une partie du programme pourrait dire, voici quel est le résultat final. Je pense que cela en vaudrait la peine.
Mme Cohen : La Dre Moss en a parlé, mais je vais le dire un peu différemment : payez maintenant ou payez plus tard. Il y a des coûts personnels et des coûts pour la société énormes si nous n'intervenons pas rapidement. Nous n'aurions probablement pas cette réunion si nous parlions d'un traitement médical coûteux parce que ce traitement relèverait de la Loi canadienne sur la santé.
Le président : J'aimerais vous poser des questions sur la prévalence des TSA dans la population. Le chiffre de Statistique Canada est de 69 000 à l'heure actuelle pour les personnes atteintes d'autisme ou de tout autre trouble de développement. La Société canadien d'autisme laisse entendre que le chiffre est de l'ordre de 200 000. Quel est le chiffre, à votre avis? Combien y a-t-il de personnes dans cette population dont nous parlons qui doivent faire face à ces défis?
Mme Cohen : Les chiffres que nous avons sur les troubles du spectre autistique varient de trois à sept personnes par 1 000 habitants et, pour l'autisme en particulier, d'une ou deux par 1 000 habitants. Nous avons entendu parler de l'incidence croissante et j'ai entendu des chiffres se situant autour d'un pour 166 habitants et ainsi de suite, mais de façon générale — sentez-vous à l'aise de ne pas être d'accord —, cette augmentation est attribuée à la définition beaucoup plus large des troubles du spectre autistique : plus d'évaluations systématiques dans la communauté plutôt qu'une augmentation réelle des nouveaux cas.
Mme Law : Je fais partie du CanChild Centre for Childhood Disability Research de l'Université McMaster et nous avons fait un travail de politique avec le ministère des Services à l'enfance et à la jeunesse de l'Ontario. Dans le cadre de ce travail, nous avons réalisé une étude systématique des taux de prévalence de divers troubles de l'enfance. Je suis d'accord pour dire que l'incident de l'autisme a augmenté, mais l'étude systématique indique que les taux se situent à environ 6,5 pour 1 000 habitants. Il y a un consensus croissant dans le monde sur ces taux à l'heure actuelle, bien que certaines études tendent à démontrer des taux de prévalence fortement accrus, mais ces études présentent de nombreuses lacunes méthodologiques.
Mme Lindblad : Je suis d'accord avec mes collègues et j'ajouterais également qu'en raison de l'incidence accrue, il y a parfois une tendance à surdiagnostiquer parce que certaines provinces ont des programmes d'ICI bien développés. Par conséquent, les médecins ont souvent dit qu'ils n'étaient pas tout à fait certains que tel ou tel enfant était autiste, mais l'enfant a reçu le service, parce que le corollaire veut que sans diagnostic, il n'y a pas de traitement.
Le surdiagnostic survient à la fois au niveau préscolaire et dans notre système d'éducation. La semaine dernière, je supervisais certains enfants dans le nord de l'Ontario et parmi les enfants inscrits à notre programme d'ICI, je suis convaincue, tout comme l'orthophoniste clinique avec qui j'étais, qu'il y en avait qui éprouvaient uniquement des problèmes liés à l'orthophonie; ils ne font pas partie du spectre, même s'ils sont inscrits dans notre service intensif et qu'ils réussissent bien dans ce service où nous corrigeons des choses. Ils auront les meilleurs résultats mais, par contre, ces résultats viendront fausser la recherche. Nous avons, dans ces études de recherche, des enfants qui ne devraient pas être dans ces études de recherche et dans ces groupes de résultats.
Le président : Merci beaucoup à toutes les trois de votre contribution et de vos mémoires que nous pouvons étudier, et merci également d'avoir répondu à nos diverses questions.
La séance est levée.