Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 11 - Témoignages du 22 novembre 2006
OTTAWA, le mercredi 22 novembre 2006
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 16 pour étudier l'interpellation au sujet du financement pour le traitement de l'autisme.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Nous poursuivons l'examen des questions entourant l'autisme. Je tiens à préciser que lors d'une réunion précédente nous avions entendu Mary Law, qui vient de nous transmettre une copie de son exposé. Vous l'avez devant vous. Nous recevrons également des copies de la déclaration faite hier par le ministre de la Santé, M. Tony Clement, sur cette question.
Aujourd'hui, durant le premier segment de notre réunion, nous entendrons Michelle Dawson, qui a déjà comparu devant le comité durant son étude du rapport intitulé De l'ombre à la lumière. Michelle Dawson est autiste. Elle est aussi chercheure en autisme et militante pour les droits des personnes autistes bien connue pour avoir écrit un texte remettant en cause les fondements du point de vue déontologique et scientifique de l'analyse appliquée du comportement, l'AAC. Elle est venue nous présenter un exposé. Je vous souhaite la bienvenue. Nous disposons d'une demi-heure pour ce segment. Il devrait être suffisant pour permettre à Mme Dawson de présenter sa déclaration et pour nous laisser la possibilité de poser des questions ou de faire des échanges. Madame Dawson, vous avez la parole.
Michelle Dawson, à titre personnel : Merci beaucoup. En plus de ce que vous venez de dire, je participe en tant que chercheure à deux groupes de recherches différents, le premier avec Laurent Mottron, à l'Université de Montréal — vous aurez probablement l'occasion de le rencontrer plus tard.
L'autre groupe est celui du laboratoire Morton Ann Gernsbacher au Wisconsin. Mme Gernsbacher est une psychologue expérimentale respectée et également la présidente de l'Association for Psychological Science cette année.
Je vais tout d'abord vous lire les messages de deux personnes autistes. Malheureusement, elles ne pouvaient pas comparaître avec moi, aussi j'ai décidé de vous lire leurs propres mots. J'ai le privilège de connaître ces deux personnes autistes, et elles m'ont toutes deux donné la permission de vous transmettre leurs messages.
Ces deux personnes autistes ont en commun une énorme difficulté sur le plan de la communication verbale ordinaire. L'une des deux est incapable de s'exprimer par la parole, et l'autre s'exprime seulement au prix d'énormes difficultés. Pour cette raison et pour d'autres aussi, ces personnes ont été affublées d'étiquettes comme « non verbaux », « profondément retardés », « à fonctionnement de niveau faible » et ainsi de suite. Ce genre d'étiquettes incite les gens à supposer que ces personnes doivent avoir des désirs et des besoins particuliers. Mais je vais les laisser parler.
Le premier s'appelle Drew Goldsmith. Il a 10 ans. Il a reçu un diagnostic d'autisme lorsqu'il était âgé de 23 mois et, à l'époque, il était impossible de lui faire subir le populaire test sur le QI des enfants et, comme je l'ai mentionné, cette particularité lui a mérité un diagnostic sévère. On lui a demandé de répondre à plusieurs questions devant un groupe d'experts lors d'une réunion de l'Autism Society, au Wisconsin. Je vais vous lire quelques questions et réponses.
Question : Comment as-tu appris que tu étais atteint de troubles du spectre autistique? À quel moment est-ce arrivé? Est-ce que le fait de l'apprendre t'a été utile ou est-ce que cela t'a perturbé?
Réponse : J'ai découvert que j'étais un enfant autiste lorsque j'avais deux ans et que j'ai voulu entrer dans un centre préscolaire. Ma mère a offert de donner de l'information aux enseignants au sujet de l'autisme. Mon père pensait, avec mélancolie, que je n'étais pas un enfant autiste, mais ma mère oui. Les enseignants au préscolaire supposaient que j'étais aussi retardé, mais je comprenais tout ce qu'ils me demandaient de faire. J'étais tout simplement incapable de le faire sur commande. Est-ce que cela m'a été utile de le savoir ou bien est-ce que ça m'a perturbé? Je dirais qu'au début, c'était déprimant, jusqu'à ce que je me rende compte de la force que me transmettait ma mère par son seul appui et par la passion qu'elle mettait à prendre ma défense.
J'aimerais ajouter que ces réponses ont été données par écrit parce que ces deux personnes ne peuvent communiquer que de cette manière, comme beaucoup d'autres autistes.
Question : Est-ce que les personnes « normales » t'effraient parfois?
Réponse : Non, les gens normaux ne me posent aucun problème, en revanche, ceux qui voudraient que je sois normal, c'est-à-dire ceux qui me voient seulement comme une personne normale déficiente plutôt que comme une personne autiste intacte me font de la peine.
Question : Décris une ou deux choses que les autres peuvent faire ou qu'ils ont faites pour t'aider.
Réponse : Les personnes qui ont le simple respect de la diversité et qui comprennent que la diversité mène à une existence en miettes si elle n'est pas alliée à la tolérance.
Question : Penses-tu que ce serait une bonne chose si la recherche permettait de trouver un remède à l'autisme et au syndrome d'Asperger?
Réponse : L'enfer est pavé de bonnes intentions.
Question : Est-ce que tu n'aimerais pas être guéri? Explique-nous pourquoi, que tu répondes oui ou non.
Réponse : J'aimerais bien être guéri du sectarisme avant d'être guéri de l'autisme.
Ce garçon de 10 ans qui a été diagnostiqué autiste et profondément retardé à l'âge de 23 mois fréquente l'école secondaire, il réfléchit et s'exprime mieux par écrit que je ne saurais le faire moi-même.
La deuxième personne autiste s'appelle Amanda Baggs, elle est dans la vingtaine. Elle communique à l'aide d'un clavier. Elle a commencé à faire des vidéos parce que les gens avaient tendance à ne pas croire que des personnes comme elle pouvaient exister. Comme bien d'autres autistes, y compris moi-même, elle a subi les conséquences de la vision largement répandue comme quoi les autistes devraient vivre en institution.
Voici la transcription d'une vidéo qu'elle a réalisée en réponse à un échange de renseignements entre deux groupes dont l'un s'appelle Autism Speaks — je pense que vous entendrez demain un représentant de la division canadienne. L'autre groupe affirme représenter des personnes autistes. Voici sa réponse :
Je suis une femme autiste muette. Même si je refuse les étiquettes liées au fonctionnement, on m'a étiquetée comme ayant un fonctionnement intellectuel lent dans un passé pas si lointain que cela, et je suis considérée comme sévèrement handicapée. Les personnes qui me regardent sans me voir pensent souvent qu'il n'y a personne à l'intérieur. J'éprouve bon nombre des difficultés décrites dans l'article d'Alison Tepper Singer au sujet de sa fille, et d'autres qu'elle n'a pas mentionnées.
Elle mentionne entre autres un important représentant de Autism Speaks qui apparaît dans une vidéo à grande diffusion dont le Globe and Mail a fait la promotion hier. Amanda Baggs poursuit :
C'est mal de dire que son propre enfant ne possède aucune aptitude. C'est mal de réaliser une vidéo diffusée à l'échelle nationale pour clamer sur tous les toits que l'on a déjà envisagé de tuer son propre enfant autiste. Mes parents ont dû affronter des épreuves encore plus difficiles, sans disposer d'autant de privilèges, et ils n'ont jamais pensé à me supprimer. C'est mal de supposer avec condescendance que ceux qui se portent à la défense des droits des autistes n'ont jamais entendu parler de ceux d'entre nous ayant été étiquetés comme à niveau de fonctionnement faible, et que soi-disant les personnes autistes ayant un niveau de fonctionnement faible ne possèdent aucune aptitude et doivent être guéris, et qu'il faut se contenter d'affirmer que nous existons et que par la suite tout le monde comprendra ce que vous voulez faire de nous.
Notre point de vue n'a pas été représenté dans cet « échange de vues »... Tout ce que vous avez fait, tous les deux, c'est de répéter ces clichés : les enfants autistes heureux dans leur propre univers contre les enfants autistes ayant besoin d'être guéris, les autistes de haut niveau contre les autistes de faible niveau, les personnes atteintes du syndrome d'Asperger contre celles atteintes d'autisme, les capables contre les incapables. Vous avez établi une équation entre les différences dans notre manière de fonctionner et la quantité de droits qui nous sont accordés. Ce n'est pas ainsi que nous vivons, et vous avez évité d'aborder les questions importantes, y compris le fait que ce ne sont pas seulement ceux qui ont été étiquetés comme autistes de haut qui s'opposent au traitement.
Vos articles favorisent les malentendus, et non la compréhension. Des deux côtés, vous avez affirmé au monde entier que moi et mes semblables nous n'existons pas. Je suis venue vous dire, à vous et au monde entier, que vous vous trompez.
J'écris beaucoup au sujet des groupes de défense des droits des personnes autistes. La défense des droits des personnes atteintes d'autisme est l'effort généralisé visant à débarrasser le monde de l'autisme, c'est-à-dire des personnes autistes, dans la mesure du possible. En effet, la défense des droits des autistes ne vise pas à aider les personnes atteintes d'autisme à réussir dans la société en tant que personnes autistes, mais plutôt à faire disparaître, dans la mesure du possible, les traits caractéristiques et les talents des autistes chez les individus et dans la société.
Au Canada, la défense des droits des autistes est établie dans la jurisprudence et mise à exécution par la politique du gouvernement. L'idéal préconisé par notre gouvernement — et il est affiché sur le tout nouveau site web de Santé Canada inauguré hier — et par tous les grands partis politiques à l'échelle fédérale et provinciale, est qu'il faut prévenir l'autisme. Autrement dit, nos dirigeants ont pour but de créer un Canada où tous les traits et les particularités des autistes auront été éradiqués et où il ne subsistera plus aucune personne atteinte d'autisme.
Il existe une autre vision de l'autisme basée sur la science et la déontologie, et je vais vous la présenter au moyen du résumé d'une communication livrée récemment par le Dr Mottron au Wisconsin. Je vais vous lire une partie du texte de la conférence.
L'inventaire des forces des autistes et le traitement de l'information ont progressé considérablement depuis que les scientifiques ont commencé à les considérer comme un objet d'intérêt. La majorité de ces talents furent traditionnellement associés à des activités intellectuelles inférieures comme l'aptitude à l'apprentissage par mémorisation ou la manipulation d'objets dans le champ spatio-visuel.
Ils furent aussi considérés comme des sous-produits des déficits intellectuels. Cependant, 15 années d'investigations menées par notre groupe et par d'autres chercheurs montrent que les talents des personnes autistes pourraient au contraire révéler une fonction perceptive globale supérieure, intégrée à une profonde différence du point de vue de l'analyse de l'information. De plus, ces talents font appel à des opérations d'ordre élevé, englobant la définition classique de l'intelligence et, par conséquent, démontrant un autre type d'intelligence — l'intelligence autiste.
Le nomocentrisme —
— et la manière la plus simple de le décrire est qu'il s'agit de l'étude des autistes en tant que personnes déficientes, par des personnes non autistes —
— comporte des limites intrinsèques du point de vue méthodologique et déontologique. Nous considérons aujourd'hui que la recherche dans le domaine, et la reconnaissance des différences sur le plan neurologique et cognitif ne devraient pas conduire au rejet, mais plutôt à une reconnaissance sympathique du fait que des cerveaux différents sont complémentaires pour faire progresser divers aspects du savoir.
Selon cet autre point de vue, les autistes devraient recevoir l'aide, les accommodements, la reconnaissance et le respect dont nous avons besoin pour réussir dans la société en tant que personnes atteintes d'autisme. Même s'il est fréquent que ces points de vue différents soient présentés comme de simples questions d'opinion, des arguments sur le plan scientifique et déontologique existent pour servir de fondement à la prise de décisions sur la manière dont des êtres humains devraient être traités.
Par ailleurs, tant la science que la déontologie fournissent des moyens de vérifier cette information. Mon propre point de vue, qui n'est pas exactement le bienvenu ou acceptable au Canada pour le moment, est que les autistes méritent qu'on leur accorde un traitement de qualité sur le plan scientifique, déontologique et de la défense des droits.
Je vais passer en revue quelques-unes de mes conclusions. Lorsque l'on lit beaucoup de rapports de recherche, on finit par se rendre compte que bien des choses restent imprégnées en vous. Tous les huit ou dix ans, certains chercheurs parmi les plus réputés dans le domaine de l'autisme présentent dans des revues évaluées par des pairs une analyse documentaire complète. Cette analyse est ambitieuse parce que, contrairement a ce que l'on a pu dire, il se fait beaucoup de recherche dans le domaine de l'autisme. La dernière analyse documentaire remonte à 2004. Voici un extrait de cette analyse dans le domaine des interventions et du traitement réservés aux autistes, qui se trouve être votre sujet d'intérêt. Les auteurs écrivent :
Cependant, au cours des cinq dernières années, on a obtenu de la National Academy of Science des États-Unis (NRC, 2001) un « consensus pratique » [...] et également un consensus formel comme quoi aucune approche unique ne représente la meilleure option pour tous les individus ou même au fil du temps pour le même individu atteint troubles du spectre autistique.
Cette affirmation est le résultat de 63 années de recherche sur l'autisme. En réalité, on ne sait toujours pas, peu importe quels sont les objectifs réels d'une intervention, comment atteindre cet objectif pour n'importe quel individu donné.
Je vais me référer au rapport produit par la National Academy of Science. Ce rapport se présente sous la forme d'un livre. Il s'agit en fait d'une énorme enquête sur les interventions éducatives et psychosociales pratiquées sur les enfants atteints d'autisme. À part le fait de remarquer qu'aucune intervention ou démarche unique ne peut convenir à tous les individus, les auteurs du rapport signalent également que la recherche sur les résultats a évalué l'efficacité des programmes, et non le bien-fondé des divers objectifs. De fait, c'est précisément sur cette question que je me suis penchée. Et cette question est une question déontologique. Elle ne demande pas : « Pouvons-nous faire ceci? » Elle demande plutôt : « Devrions-nous faire ceci? Est-ce une bonne idée? » Il est vraiment renversant que dans le domaine de l'autisme, personne ne se soit posé cette. De toute évidence, personne ne l'a posée officiellement dans les milieux scientifiques avant 2001, époque à laquelle ces grands scientifiques en sont venus à la conclusion que cette question n'avait pas encore été posée. Ils ont également fait remarquer qu'il était beaucoup plus difficile d'y répondre qu'à la question demandant : « Est-ce efficace? »
C'est important de le mentionner parce que le domaine des interventions précoces fondées sur l'analyse appliquée du comportement, qui relève du domaine des traitements et des interventions, les secteurs qui intéressent plus particulièrement les membres du comité, est justement un domaine dans lequel les recherches font défaut. En effet, même s'il s'effectue de la recherche dans ce domaine depuis 45 ans, c'est-à-dire depuis 1961, et même si des centaines et peut-être des milliers de recherches ont déjà été publiées dans ce domaine, il est surprenant que l'on n'aie procédé à aucune évaluation par les pairs des résultats sur les adultes de l'intervention précoce fondée sur l'analyse appliquée du comportement ou AAC.
Cette lacune est une chose dont il faudra se rappeler sur le plan politique. On a répété encore et encore, aujourd'hui à la Chambre des communes et aussi au Sénat, que nous savons tous que ces interventions précoces fondées sur l'AAC permettent d'économiser de l'argent. Nous savons qu'en investissant aujourd'hui, on pourra économiser demain. Mais en réalité, on l'ignore. Cette affirmation ne repose sur aucune donnée publiée évaluée par des paris sur les résultats sur des adultes de ces interventions. Comme je l'ai déjà mentionné, cette constatation survient après 45 années de recherche dans ce domaine. Les enfants ayant suivi le programme de UCLA dont les résultats ont été publiés en 1987 vont bientôt avoir 40 ans, mais nous ignorons toujours ce qui leur est arrivé comme adultes parce que cela n'a jamais été mentionné nulle part dans les rapports scientifiques.
Par ailleurs, sur la question de ces interventions, je m'inquiète au sujet des normes du point de vue scientifique et du point de vue déontologique. Ce qui frappe aussi, c'est la qualité de ces recherches par rapport à leur quantité. Durant ces 45 années de recherche sur les interventions fondées sur l'AAC et dans ces centaines et même ces milliers d'études potentielles, on cite au total un essai clinique comparatif randomisé de ce genre d'intervention. De quelque point de vue que l'on se place, cet essai clinique comparatif randomisé, et il s'agit de la norme scientifique qui serait appliquée à vous tous qui êtes présents dans cette pièce, est un échec. On en est arrivé à cette conclusion en 2000. Il y a eu un seul essai clinique comparatif randomisé, et les résultats n'étaient pas bons.
Si on inclut cette étude, il existe au total huit essais cliniques comparatifs sur une intervention précoce intensive. Il existe aussi une étude réalisée sur une intervention précoce non intensive. Si on considère une prospective pluriannuelle — ce qui signifie que l'on recueille des données au fur et à mesure plutôt que de se concentrer sur des graphiques et de publier des rapports sur les enfants dont nous connaissons déjà l'évolution, ce qui s'appelle une étude rétrospective — dans toute cette histoire, nous disposons de trois essais cliniques comparatifs pluriannuels prospectifs. L'un de ces essais, celui qui a suscité le plus d'intérêt et ainsi de suite, est l'étude de Lovaas réalisée en 1987, avec une étude de suivi en 1993. Cette étude est la seule qui mentionne une bonne minorité de résultats positifs, mais cette même étude, d'après son auteur et son type de conception, reposait sur l'utilisation de punitions physiques, et cette pratique n'est plus acceptable aujourd'hui.
L'un des autres essais comparatifs mieux conçus, dont les résultats ont été publiés en 1993, a fait l'objet d'un rapport de suivi. Ce rapport a été présenté cette année lors de la conférence de Association for Behavior Analysis. Les chercheurs n'ont pas obtenu d'aussi bons résultats que dans l'étude de Lovaas, mais ils ont néanmoins fait état des résultats de quelques enfants — quatre en tout — qui ont bien réagi, toutefois les chercheurs ont déclaré que ce résultat n'avait pas été maintenu lors du suivi effectué 10 années plus tard.
Les résultats d'un troisième essai comparatif ont été publiés cette année, et ils illustrent bien le problème lié au fait de n'avoir pas procédé à une affectation randomisée aux groupes. Les chercheurs se retrouvent avec des groupes qui ne peuvent être comparés. Dans ce cas, près de 29 p. 100 des enfants faisant partie du groupe expérimental ont bien réussi, mais le groupe témoin a également réussi au-delà de ce que l'on espérait. On a trouvé que lorsque l'on établissait la comparaison de toutes les variables pour lesquelles il n'y avait pas de correspondance entre les groupes, la signification des résultats dans les mesures de résultats qu'ils avaient choisies disparaissait. Il ne restait plus qu'un seul résultat significatif, qui était la différence entre le nombre d'enfants admis en classe pour les deux groupes : et ce résultat n'avait plus de lien avec les réalisations des enfants.
Je vais ajouter une dernière chose. Il est difficile d'imaginer une situation dans laquelle on disposerait de suffisamment d'argent, de ressources et ainsi de suite pour faire ce qu'il est suggéré de faire qui est, en effet, de débarrasser la société canadienne des traits caractéristiques et des habiletés des autistes. Nous en sommes arrivés au point où cette situation sera exigée, et pourquoi sera-t-elle exigée? Parce qu'il existe des défenseurs habiles pour répandre le message comme quoi ces traits caractéristiques et ces aptitudes sont le signe avant-coureur d'un désastre et que, dès l'apparition de ces traits et de ces aptitudes, que nous qualifions de signaux d'alarme très tôt dans le développement, la panique et le désespoir s'installent parce que ces défenseurs des droits des autistes affirment que ces enfants sont voués à l'échec : si on ne fait rien tout de suite, ils sont fichus. Je ne pense pas que cette attitude repose sur des données scientifiques ou sur la déontologie. Mais c'est celle qui prévaut.
En se concentrant sur le traitement de l'autisme, et le traitement a nécessairement pour objet d'atténuer les traits caractéristiques et d'essayer de produire une personne aussi normale que possible, on en vient à pathologiser les traits caractéristiques et les aptitudes des autistes.
On finit par en faire des indésirables dans la société. Cette attitude a une incidence sur toutes sortes de personnes à part les enfants, y compris les autistes qui cherchent du travail ou un appartement ou qui s'efforcent de conserver leur autonomie et de se sentir en sécurité dans la société. Nos traits caractéristiques et nos aptitudes ont été pathologisés à cause des activités efficaces qui ont été menées pour la défense de nos droits et que cette pathologisation n'a fait l'objet d'aucune réflexion critique à quelque niveau que ce soit. Il est difficile d'imaginer suffisamment de ressources pour débarrasser la société de tous ces traits caractéristiques et de toutes ces aptitudes jusqu'à ce que l'on soit persuadé que l'autisme a été éradiqué. Je vais vous laisser réfléchir à cette pensée, et je suis prête à répondre à toutes vos questions.
Le président : Merci beaucoup, madame Dawson.
Le sénateur Callbeck : Madame Dawson, vous avez parlé des étiquettes et du fait que l'on raconte parfois que les personnes sont dépourvues de compétences et qu'elles sont incapables de fonctionner. Comment voyez-vous une campagne de sensibilisation susceptible d'aider les Canadiens à mieux les comprendre et de contribuer à éliminer ces étiquettes?
Mme Dawson : Je pense que certaines étiquettes peuvent être utilisées à bon escient. En science, par exemple, nous utilisons à niveau de fonctionnement élevé et faible dans le sens strict et assez étroit d'un instantané du quotient intellectuel mesuré à l'aide d'un instrument précis à un moment déterminé dans le temps. Ces étiquettes ne sont pas toujours utilisées avec à-propos, parce que à « un moment déterminé » ne veut probablement pas dire grand-chose pour un enfant de deux ans, et ainsi de suite.
Pour ce qui est de la campagne de sensibilisation, je vois deux problèmes. Nous manquons de renseignements exacts. Et par « renseignements exacts », j'entends des éléments qui peuvent être retracés jusqu'aux sources de première main dans le domaine scientifique. Ce dont nous disposons à l'heure actuelle, ce sont des feuillets d'information qui n'ont rien à voir avec ce qui se publie dans le domaine scientifique. Nous nous appuyons en effet sur des décisions judiciaires où les statistiques et ainsi de suite, ne peuvent être associées à des sources de première main dans la science. Nous disposons de renseignements affichés sur des sites web. Ces renseignements correspondent à la norme appliquée aux autistes. Comme je l'ai déjà dit, ce serait très bien si tout cela avait été validé au moyen de références à des sources de première main, mais ce n'est pas le cas.
Il circule beaucoup de renseignements inexacts, et il y a un manque de renseignements exacts. Ce serait formidable de pouvoir compter sur des renseignements rigoureux; c'était le sens de mon témoignage, la dernière fois que je suis venue, pour quiconque était présent à cette occasion. J'avais en effet souligné que nous ne disposons pas de renseignements rigoureux. Ce que nous voyons au contraire, ce sont des gens qui sèment la panique, la peur et l'horreur de l'autisme. Et ne voilà-t-il pas que Santé Canada proclame que l'on devrait prévenir l'apparition de l'autisme. Je ne vois pas en quoi il est utile de dire que l'on « espère » être en mesure de prévenir l'autisme. C'est un peu comme si l'on disait que l'on ne veut pas voir ce genre de personnes dans la société canadienne.
À mon avis, nous pouvons faire beaucoup mieux que cela pour aider les personnes autistes à réussir. On répand des renseignements erronés dans bien des domaines, par exemple, en épidémiologie et, parlant de cela, j'aimerais revenir plus tard sur la question du faux problème de la soi-disant épidémie. Il est absolument essentiel de disposer de renseignements exacts, mais on se retrouve à lutter contre des organisations financées par des fonds publics qui répandent d'énormes faussetés.
Je suis d'accord avec vous; nous avons besoin de renseignements précis.
Le sénateur Callbeck : Avez-vous entendu parler de la campagne de sensibilisation de l'opinion publique menée par le Canadian Autism Intervention Research Network?
Mme Dawson : Oui; je connais ce groupe. Lorsque je leur ai téléphoné, ils m'ont dit que j'avais l'air trop intelligente pour être autiste. C'est ce qui m'a été dit par leur administrateur. J'étais vexée parce que ce groupe n'invite pas d'autistes à ses conférences. À mon avis, ils devraient le faire. Et ils ne comptent aucun autiste dans leur personnel de direction. Je remets aussi en question certains renseignements affichés sur leur site web. Ils ne définissent pas les personnes autistes comme des parties intéressées, et ainsi de suite. Pourtant, ce devrait être une bonne plateforme pour diffuser des renseignements exacts. Leur site web donne toutefois un aperçu de ce que pourrait être une réflexion critique, mais je remets en question bon nombre des affirmations qui y sont affichées.
Je ne sais pas trop quoi vous dire au sujet du réseau. Je les ai critiqués autant que j'ai pu. Je pense qu'ils devraient faire participer les personnes autistes. Je suis désolée, mais je ne suis pas très organisée quand vient le moment de répondre aux questions.
Le président : Je dois vous interrompre, parce que nous allons manquer de temps.
Le sénateur Munson : Madame Dawson, merci de vous être présentée. Vous avez parlé des organisations gouvernementales, de renseignements erronés et vous affirmez que la campagne à laquelle vous faites référence n'est qu'un tissu de peurs et d'épouvante. Cependant, nous avons entendu d'autres témoins, nous avons écouté des familles et nous avons également entendu des gens nous parler de l'importance de l'analyse appliquée du comportement et de la thérapie comportementale intensive. Qu'êtes-vous en train de nous dire là? Vous parlez de la science. Aucun membre du comité n'est un scientifique, mais nous nous efforçons d'en arriver à une conclusion afin de pouvoir venir en aide aux familles qui ont des enfants autistes. Cette aide, nous l'espérons, devrait comprendre notamment la direction d'une stratégie nationale, la collaboration avec les provinces, et ainsi de suite.
Comme vous le savez, de plus en plus de personnes font l'objet d'un diagnostic d'autisme.
Mme Dawson : Je ne suis pas sûre d'avoir bien compris la question.
Le sénateur Munson : La question est celle-ci. De notre point de vue, nous entendons dire de la part de milliers de familles et de personnes ayant des enfants autistes qu'elles espèrent, d'une certaine manière, que les traitements individuels donnent de bons résultats suivant leurs propres critères, et que le gouvernement jouera un rôle en s'occupant de ces familles.
Mme Dawson : Il faut considérer le cas de chaque famille individuelle. Une famille peut exprimer du désespoir et être terrifiée à l'idée de ce que l'avenir réserve à son enfant. Ils s'imaginent qu'ils devront vendre leur maison, et ainsi de suite. Cependant, dans une autre famille, le parent pourrait très bien se dire qu'il est privilégié d'avoir un tel enfant. Vous pourriez supposer qu'il y a une énorme différence entre les enfants. Mais c'est faux. Ce sont les familles qui réagissent différemment devant des enfants qui possèdent les mêmes caractéristiques. On peut penser que la réaction dépend du type de renseignements qui sont fournis aux familles. En effet, si on dit aux familles que leurs enfants sont voués à l'échec, et ainsi de suite, Il est évident qu'elles seront désespérées. Si on leur transmet des renseignements entièrement faux, par exemple que l'enfant est incapable de communiquer, qu'il n'apprendra jamais rien à moins de faire partie d'un programme d'analyse appliquée du comportement, et ainsi de suite. Des renseignements de ce genre ont tendance à produire certains résultats. Si on dit aux parents que leur enfant est incapable de communiquer ou d'apprendre, il est évident qu'ils deviendront complètement fous d'inquiétude tant qu'ils n'auront pas obtenu le traitement, n'importe quel traitement, du moment que l'on dit qu'il peut changer tout cela. Comme je l'ai déjà dit, tout dépend des renseignements que l'on transmet aux familles.
Si vous avez entendu parler de milliers de parents, cela montre bien l'efficacité des campagnes de défense des droits des autistes. Évidemment, ils sont désespérés. Qui ne le serait pas lorsque l'on peut lire dans le Globe and Mail que certains affirment que votre enfant vivra en institution, avec des moyens de contention, que l'on devra lui extraire les dents, et ainsi de suite. Ces déclarations ne reposent sur aucun fondement scientifique, ou encore cette fameuse affirmation comme quoi 90 p. 100 d'entre nous seraient censés vivre en institution. Il est impossible de retrouver ces statistiques dans une source scientifique de première main, à quelque époque que ce soit, et encore moins à notre époque. Certains de ces messagers sont extrêmement convaincants. Et pourtant, personne ne fait l'effort d'une réflexion critique à ce sujet. Aujourd'hui, on peut retracer ce « fait » dans la jurisprudence, et il n'y a plus moyen de l'en effacer. Cela figure aussi dans le hansard, et ainsi de suite. Est-ce que cette affirmation a un fondement scientifique? Non, elle n'en a pas.
Une autre chose qui vous échappe c'est que ces parents seraient peut-être moins désespérés s'ils connaissaient l'existence de personnes comme celles dont je vous ai lu le message, parce qu'il s'agit justement de ces personnes autistes qui soi-disant désespèrent tout le monde. Ce sont précisément ces personnes qui se sont mérité ces étiquettes si cruelles. Vous avez entendu leur message. Les gens ont tendance à ne pas tenir compte de l'existence de personnes comme elles. Et par ailleurs, comme on ne voit pas d'adultes autistes dans la société, les gens ne peuvent pas les regarder et se dire, « Oh, ces personnes deviennent adultes. » Même si elles sont très atypiques, oui, elles finissent par grandir. Elles réalisent des choses. Au contraire, lorsque l'on fait état de mes réalisations, et cela m'est arrivé personnellement — et je considère que ces réalisations existent parce que je suis autiste, et non en dépit du fait que je le suis — les gens disent, « Si elle a pu réaliser cela, il est impossible qu'elle soit autiste. »
Il y a trop de choses qui clochent pour que je puisse tout traiter en quelques minutes. Pour ce qui est des programmes d'AAC, si on a l'intention de financer la recherche dans le domaine de l'autisme, il faudrait s'y intéresser. Je ne vois pas pourquoi on subventionnerait la recherche de meilleure qualité sur l'autisme si c'est pour ensuite ne pas en tenir compte lorsque vient le moment de prendre des décisions au sujet des autistes et que l'on préfère se fier plutôt sur les spécialistes du lobbying.
La recherche sur l'autisme est subventionnée parce que c'est ainsi que l'on doit procéder pour découvrir des choses. On ne trouve pas toujours ce que l'on cherche — et c'est bien souvent ce qui se produit pour nous. Il faudrait appliquer les normes que vous souhaiteriez appliquer à vous-mêmes — c'est-à-dire que les décisions qui sont prises à votre sujet reposent sur de la recherche d'excellente qualité guidée par des principes de déontologie, le genre de recherches dont les personnes non autistes bénéficient et qui ont tendance à les protéger — et je pense que les autistes devraient pouvoir bénéficier de ce genre de recherches eux aussi, plutôt que de voir les décisions nous concernant reposer sur des facteurs qui tiennent parfois de la légende urbaine.
Les décisions devraient véritablement être validées par des données scientifiques; mais je pense aussi que la science, comme l'a fait remarquer le National Research Council, n'a pas été guidée par la déontologie dans ce domaine, et cela est également nécessaire.
Le président : Étant donné que le temps file, je vais demander à chaque sénateur de poser une brève question.
Mme Dawson : Oui, je vous en prie, posez vos questions.
Le sénateur Keon : Je trouve cela difficile d'être bref, madame Dawson. Premièrement, je tiens à vous féliciter pour votre exposé objectif. Vous avez déjà comparu devant nous dans un cadre différent. Ce cadre n'était pas entièrement consacré à l'autisme, et je me rappelle que dans une conversation vous m'aviez confié que vous ne trouviez pas que nous étions les mieux placés pour nous occuper de cette question.
Toujours est-il que vous avez parlé de la science. Dans le passé, j'ai été chercheur en sciences médicales. Pensez-vous qu'il serait utile de créer une chaire de recherche en autisme, et est-ce que cette chaire ne devrait pas être associée aux cadres déontologiques que vous avez mentionnés?
Mme Dawson : C'est une question difficile. Il existe déjà quelques chaires de recherche en autisme au Canada. Il y a notamment Susan Bryson, qui a créé une chaire de recherche en autisme, et il y en a une autre à l'Université Western Ontario, qui a vu le jour récemment.
Je suis entièrement en faveur de la recherche sur l'autisme. Il s'en fait beaucoup, mais il me semble que ces recherches devraient être de meilleure qualité et mieux encadrées. Il est clair que l'on doit tenir compte de la déontologie. Et l'une des raisons pour cela, c'est que toute cette somme de recherches, sur laquelle nous butons chaque fois que nous entreprenons une analyse documentaire, n'a pas nécessairement contribué à aider tellement les personnes autistes. Certaines recherches les ont aidées. Parce que certaines sont vraiment très intéressantes. L'épidémiologie a réalisé dans ce domaine des recherches impressionnantes dont vous entendrez parler. Certains secteurs sont très bien, mais d'autres auraient besoin d'être mieux encadrés sur le plan de la déontologie.
Je vais vous expliquer ce qui s'est passé dans mon domaine. Je travaille dans le domaine de la science cognitive et de la neuroscience, et je suis une critique encore plus virulente de ce secteur que je ne l'ai jamais été en ce qui concerne l'AAC. Cependant, la réaction à la critique s'est révélée assez différente.
Il y a cet énorme inventaire des déficits que l'on retrouve chez les autistes, un inventaire vraiment impressionnant. Si vous prenez connaissance de la littérature, vous constaterez que l'on trouve qu'à peu près tout cloche chez nous — soit c'est déficient, absent ou autre chose. Il s'agit souvent de caractéristiques humaines fondamentales. On a dit de nous qu'il nous manquait effectivement les caractéristiques qui distinguent les êtres humains. S'il nous manquait vraiment toutes ces choses, nous serions une forme de vie inférieure.
On constate de toute évidence qu'il y a un problème dans la manière dont la recherche est encadrée. On commence à formuler des critiques de cette recherche, de la manière dont les données sont interprétées, et ainsi de suite. C'est dans ce domaine que même les considérations déontologiques de base pourraient, à mon sens, améliorer l'exactitude et la productivité des recherches. Cela permettrait de réduire la probabilité de mener des recherches improductives. Elles sont le fléau de la recherche dans le domaine de l'autisme — des chercheurs de premier plan en ont déjà parlé; certaines théories ont la vie dure et personne ne semble les contester. Ce sont elles qui congestionnent la recherche.
Nous devrions être en mesure de faire beaucoup mieux que cela, mais la qualité de la recherche dépend en partie de certains critères déontologiques. Et elle dépend aussi de la qualité de la recherche scientifique elle-même.
Dans les groupes de recherche auxquels je participe, je suis une critique impitoyable de la science dans de nombreux domaines. La qualité pourrait être bien meilleure. Comme je l'ai déjà dit, il existe de la recherche de qualité, mais il est clair qu'il y a des problèmes aussi.
Il faut créer une chaire de recherche, sans partir de l'hypothèse dès le départ qu'il faut corriger l'autisme, qu'il faut le guérir ou le prévenir — autrement dit, sans se fixer des objectifs à priori de ce genre. Nous nous trouvons dans une situation où personne ne sait vraiment en quoi consiste l'autisme; nous n'avons pas encore atteint cette étape de la recherche. Du point de vue du processus cognitif et de la neurologie, nous ignorons en quoi consiste l'autisme; mais nous souhaitons néanmoins s'en débarrasser, quoi qu'il advienne. Nous nous fichons de savoir en quoi cela consiste; tout ce qui nous intéresse, c'est de nous en débarrasser. Je ne pense pas que ce soit une bonne approche sur le plan scientifique ou déontologique.
Le sénateur Pépin : Vous avez déclaré qu'aucune approche ne pouvait convenir à tout le monde. Selon vous, comment la recommandation du comité peut-elle devenir un bon mode d'emploi pour la famille avec des enfants autistes, tout en respectant les préoccupations d'une personne autiste de haut niveau de fonctionnement?
Mme Dawson : Je ne sais pas ce que vous voulez dire par haut niveau de fonctionnement, et sur quoi vous vous basez pour produire ce jugement. Bon nombre d'entre nous avons été diagnostiqués par téléphone, et par les médias, et ainsi de suite. Ce n'est pas ainsi que l'on prononce un diagnostic. Je tiens seulement à clarifier les choses, parce que cela se produit tout le temps.
Nous sommes jugés instantanément par des personnes qui ne nous ont jamais vus quand nous étions enfants et qui n'ont pas la moindre idée des difficultés que nous devons affronter. Un profil irrégulier d'aptitudes est une caractéristique de l'autisme. La majorité des gens seraient complètement abasourdis de voir comment je mène mon existence, parce que certaines choses m'affolent totalement. Il y a bien sûr des domaines dans lesquels j'excelle, et c'est aussi vrai des personnes dont je vous ai livré les messages. Pourriez-vous devenir que l'un d'entre eux doit porter des couches — et, pourtant, non cette personne ne ressent aucune honte à ce sujet? Comment auriez-vous pu le deviner?
Les gens voient comment ils écrivent, et ils se disent que la personne doit être de trop haut niveau pour comprendre. Puis, ils voient leur photo, et ils se disent, ce doit être une coquille vide; cette personne doit être vouée à l'échec, elle devrait être placée dans une institution. Je pense que les gens devraient montrer plus de prudence dans leurs jugements à notre sujet.
Pour répondre à votre question, ce n'est pas moi qui ai dit qu'aucune approche individuelle ne peut fonctionner avec tous les individus. Cette affirmation est le résultat d'un vaste consensus dans le milieu scientifique. Nous devrions respecter ce consensus, parce que c'est une chose tellement rare dans le domaine de la science de l'autisme; c'est loin d'être fréquent.
Que faut-il dire aux familles? Il faut leur donner des renseignements aussi précis que possible. Je ne peux guère vous en dire plus. Il faut essayer de leur signaler que si seulement on pouvait disposer de renseignements plus fiables, si seulement on pouvait être certain que les études scientifiques montrent de bons résultats chez les adultes — mais rappelez-vous, nous ne disposons pas d'études sur les résultats chez les adultes des programmes d'AAC.
Il y a bien sûr des cas d'adultes ayant bien réussi dans les annales de la science. Nous devrions nous demander ce qui a bien pu se passer pendant leur enfance. Les gens ne sont pas vraiment intéressés à entendre parler des autistes qui réussissent dans la vie, parce qu'ils se disent que probablement nous ne sommes pas de vrais autistes. À mon avis, il faut donner aux familles des renseignements exacts. Nous devons leur signaler qu'il peut être irréaliste pour beaucoup d'enfants, d'après les données scientifiques — et rappelez-vous que nous avons cet essai comparatif randomisé qui n'a pas été un succès. Je suis désolée, mais je ne peux malheureusement pas vous en dire plus que : donnez-leur des renseignements exacts. C'est ce qu'ils méritent de recevoir, et si on leur transmet quoi que ce soit d'autre, c'est, à mon avis, faire preuve de condescendance.
Le sénateur Cochrane : Madame Dawson, hier lorsque vous avez téléphoné, j'étais en train d'écouter cinq personnes différentes parler d'enfants atteints d'autisme.
Mme Dawson : Des membres du Sénat?
Le sénateur Cochrane : Non, il s'agissait de résidants de la Colombie-Britannique faisant partie d'un groupe venu nous faire part de leurs préoccupations au sujet de leurs enfants. Ces gens réclamaient de l'aide. L'un des enfants est âgé de six ans maintenant. Il a suivi le traitement fondé sur l'AAC durant deux ou trois ans. Et aujourd'hui, il va tout à fait mieux.
Mme Dawson : Mieux que quoi?
Le sénateur Cochrane : Il fonctionne. Il fonctionne de façon autonome. Je dois faire très attention à la manière dont je dis les choses. En fait, il accomplit pour lui-même ce que les enfants de six ans sont capables de faire, et il ne présente plus les déficiences qu'il avait avant de suivre cette intervention fondée sur l'AAC. Maintenant, cela va sans dire que la mère a un autre enfant qui éprouvera toujours des difficultés. Cet autre enfant a fait l'objet de l'AAC lui aussi, mais elle dit que ça fonctionne. Les trois autres dames m'ont donné des exemples du comportement de leurs enfants, et elles m'ont aussi raconté que l'AAC donne des résultats et que c'est une intervention efficace.
En raison de votre intelligence, de vos aptitudes et du reste, j'aimerais que vous nous précisiez quels sont, à votre avis, les éléments ou les interventions qui donnent des résultats, et quelles sont les interventions inutiles?
Mme Dawson : Des scientifiques beaucoup plus renommés que moi ont signalé que nous n'en savons rien, et je ne vais certainement pas les contredire. Il s'agit de scientifiques de bien plus grande envergure que moi.
Le sénateur Cochrane : Mais d'après votre expérience?
Mme Dawson : Tout d'abord, je ne pense pas que les décisions concernant les personnes autistes devraient être prises sur la foi de renseignements anecdotiques. C'est pour cela que la science existe. Les renseignements anecdotiques ont souvent mené à des échecs. Les parents d'enfants atteints d'autisme, et cela a été signalé de longue date, ont louangé divers types d'interventions. On dispose de preuves anecdotiques pour n'importe quoi — pour la chélation, les diètes miracles et ainsi de suite. L'analyste du comportement Tristan Smith a signalé que Bruno Bettelheim se glorifiait de témoignages éclatants de la part de parents, et qu'il avait une longue file d'attente.
Il faut se montrer prudent avec les preuves anecdotiques, et surtout concernant l'autisme. Nous disposons d'anecdotes aussi au sujet de la sécrétine, et pourtant, la science a prouvé qu'elle n'avait aucun effet. Je pense qu'il faut faire très attention avec ce genre de preuves. J'en ai moi-même utilisé quelques-unes à cause de celles qui ont été évoquées ici, mais je ne pense pas que ce soit une bonne chose de se fier sur des preuves anecdotiques.
L'une des grandes réussites de la défense des droits des autistes est que tout le monde est complètement émerveillé et croit qu'il s'est produit une sorte de miracle lorsqu'un enfant autiste apprend quelque chose et fait des progrès, mais la science montre, si on remonte à la première étude ayant été faite pour définir l'autisme comme une condition distincte en 1943, que le progrès fait partie du cours naturel du développement dans l'autisme. Les gens voient l'autisme comme une maladie, comme s'il s'agissait d'un cancer. Ils s'attendent à ce que les enfants aillent de plus en plus mal, mais ce n'est pas ce que la science affirme. Elle considère comme une anomalie le fait que ces enfants ne progressent pas. Aussi, il ne faut pas se surprendre qu'un enfant autiste fasse des progrès. Comme je l'ai déjà dit, quelle que soit l'approche utilisée, on aura tendance à lui attribuer les progrès réalisés.
J'ajouterai brièvement qu'une étude réalisée en Colombie-Britannique portait sur différents aspects du travail auprès de jeunes enfants, âgés de deux à cinq ans, qui sont supposément des âges critiques. Cette étude a été publiée en 2004. Elle s'est attachée à vérifier quelques éléments comme l'exactitude d'un diagnostic vraiment précoce, mais aussi à retracer le genre de traitements que ces enfants ont subis pendant la période visée. Les auteurs de l'étude ont procédé à des mesures approfondies au moment de l'admission et des résultats obtenus. Ils se sont retrouvés avec environ 40 enfants. La moitié participaient à des programmes d'AAC, et l'autre moitié non. Les scientifiques n'ont constaté aucune différence dans les résultats obtenus par les deux groupes : pas la moindre différence. Ils n'ont trouvé aucun effet lié soit à la forme ou à la quantité du traitement, et les traitements mentionnés dans l'étude sont tous des reconnus actuellement dans le domaine de l'autisme. Certains enfants ont obtenu d'excellents résultats. Environ le tiers des enfants ont vu leur quotient intellectuel augmenter de plus de 25 points. Certains enfants ont échoué. Certains sont demeurés à peu près pareils. On préfère croire que les parents des enfants qui ont bien réussi étaient absolument convaincus que, peu importe l'approche utilisée, elle était responsable des progrès réalisés par l'enfant, mais les chercheurs ayant participé à cette étude ont montré que c'était faux. Ces traitements dont on fait actuellement la promotion n'ont eu aucun effet sur les enfants, quel que soit le genre ou la quantité de l'intervention appliquée, y compris les traitements fondés sur l'AAC. Cette recherche a été effectuée à Vancouver.
Il faut faire preuve de prudence avec les anecdotes. Elles doivent être prises en compte jusqu'à un certain point, parce qu'elles sont importantes, mais il faut se fier sur la science avant de prendre des décisions majeures qui auront une incidence sur un énorme groupe de personnes dans un pays. Prendre des décisions sur la foi de preuves anecdotiques présente de sérieux risques. Comme je l'ai déjà dit, on peut se référer à de nombreuses études scientifiques. Il en existe, et je vais même les citer, par l'entremise de l'étude que je viens de mentionner. D'autres chercheurs, Boyd et Connelly, ont réalisé une étude sur l'AAC qui a donné des résultats décevants. Il s'agit toutefois d'une analyse non comparative, aussi je ne l'ai pas incluse. Ces chercheurs ont mentionné que les « parents étaient satisfaits des programmes d'AAC administrés à la maison, même s'ils ne disposaient pas de moyens précis pour évaluer les progrès réalisés par les enfants ». Cette observation a été signalée dans l'analyse documentaire majeure que j'ai citée tout à l'heure parce qu'elle a affleuré trois ou quatre fois déjà.
Il faut faire attention avec les anecdotes. Je vous exhorte de faire confiance à la science. Examinez les conclusions scientifiques de très près. Je ne sais pas combien d'études j'ai lues jusqu'à maintenant, probablement plusieurs milliers. C'est un exercice fastidieux et fatigant. Et beaucoup plus difficile que de lire des feuillets d'information ou des décisions judiciaires ou peu importe. Mais à mon avis, les personnes autistes méritent qu'on leur applique les normes scientifiques et déontologiques.
Le président : Madame Dawson, merci beaucoup de vous être déplacée aujourd'hui. Vous nous avez fait part d'une perspective différente de celles qui nous ont été présentées jusqu'ici, et nous vous sommes reconnaissants de votre apport à notre étude.
Mme Dawson : Merci de m'avoir écoutée.
Le président : Trois personnes se sont jointes à la table et présenteront des exposés. Nous devons être sortis de cette salle à 18 h 15 parce qu'un autre comité s'y réunit.
Nous accueillons trois témoins. Premièrement, du Canadian Autism Intervention Research Network, Peter Szatmari, de la Faculté des sciences de la santé de l'Université McMaster. Ses interventions cliniques ont visé surtout des enfants atteints de troubles du spectre autistique. Il travaille dans le domaine depuis 20 ans et participe à la mise sur pied d'une équipe de recherche sur les troubles envahissants du développement au Chedoke Site, à l'Hôpital pour enfants de McMaster, un programme régional de diagnostic et de traitement pour les enfants ayant été diagnostiqués autistes.
Deuxièmement, nous accueillons le Dr Eric Fombonne, professeur de psychiatrie et épidémiologiste. Il dirige la division de la psychiatrie au Centre de santé de l'Université McGill.
Et enfin, nous recevons Marianne Ofner, professeure d'épidémiologie à l'Université de Toronto — une bonne université dans une bonne ville, à la Faculté de médecine, du Département des sciences de santé publique.
Bienvenue à chacun d'entre vous. Nous allons commencer par Mme Ofner.
Marianne Ofner, Département des sciences de santé publique, Université de Toronto : Je tiens d'abord à vous remercier de m'avoir invitée aujourd'hui. Je me présente avec un point de vue exceptionnel. D'abord, en tant que professeur d'épidémiologie au niveau universitaire, et aussi en tant qu'épidémiologiste principale pour l'Agence de santé publique du Canada, et finalement, parce que je suis la mère de deux enfants autistes. J'ai en effet deux petites filles, âgées de sept ans et de deux ans et demi, qui ont toutes les deux été diagnostiquées.
Il est essentiel, pour prendre une décision concernant le traitement à administrer à toutes les personnes atteintes au Canada, de le faire en se basant sur des principes fondés sur des preuves médicales. Présentement, un seul traitement répond à des critères rigoureux sur le plan de la cotation, les mêmes critères rigoureux que nous utilisons avec les lignes directrices en matière de santé publique. Nous disposons en effet d'un système de cotation pour les lignes directrices. Lorsque ma fille a été diagnostiquée, je me suis lancée dans une analyse documentaire massive des traitements disponibles pour l'autisme. J'ai imposé à ces traitements les mêmes critères que ceux que j'utilise pour évaluer la rigueur des preuves, afin de m'assurer qu'elles étaient valides et fiables. Certaines méthodologies sont utilisées pour les pratiques fondées sur l'expérience clinique.
Après avoir lu des tonnes de documents dans le cadre de mon analyse documentaire, j'ai fini par être totalement convaincue que la seule chose qui était démontrée scientifiquement était appelée thérapie intensive de la méthode Lovaas fondée sur l'AAC, et le document que j'ai consulté mentionnait que 47 p. 100 des enfants avaient perdu leur diagnostic. Glen Sallows a reproduit cette étude; d'autres chercheurs ont effectué d'autres études. J'ai fourni au Sénat la liste des articles évalués par des pairs qui sont favorables à l'AAC, et il y en a plusieurs.
En tant que parent et professionnelle de la santé, j'aurais considéré immoral et contraire à l'éthique de ne pas faire suivre à mon enfant le programme d'AAC. Quel parent refuserait de donner des antibiotiques à ses enfants si ceux-ci souffraient de pneumonie, et si les antibiotiques étaient le traitement recommandé pour ce genre d'affection? Je ne pouvais pas refuser cela à mon enfant.
Je sais que certains spécialistes ne recommandent pas le programme AAC. Lorsque j'ai tenté de déterminer pour quelle raison quelqu'un refuserait de recommander ce programme, j'ai découvert qu'en règle générale, ceux qui étaient contre n'étaient pas des analystes du comportement ou des spécialistes de la méthodologie de recherche. Ils n'effectuent pas de recherche sur l'AAC. Mais il se peut qu'ils réalisent des recherches sur l'autisme. Ils peuvent étudier les causes génétiques de l'autisme et les traitements pharmacologiques de l'autisme, mais ce ne sont pas des psychologues cliniciens dont la spécialisation au niveau du doctorat est dans le domaine de l'AAC. Parce que si vous êtes un psychologue clinicien, et que vous détenez un doctorat dans le domaine de l'AAC, il est clair que vous recommandez toujours le programme d'AAC parce que vous comprenez en quoi consiste le béhaviorisme et le mode de fonctionnement de ce traitement. Le Canada compte de nombreux psychologues cliniciens formés dans le domaine de l'AAC au niveau du doctorat, et ils sont nombreux aux États-Unis aussi.
À mon avis, ces professionnels de la santé qui possèdent l'expertise dans ce domaine devraient être ceux qui font des recommandations concernant ce traitement. Les recommandations ne devraient pas venir de ceux qui ne sont pas des experts dans la thérapie au moyen du programme AAC.
Je porte deux chapeaux : un à titre d'employée et d'épidémiologiste pour l'Agence de santé publique du Canada, l'ASPC; et l'autre à titre de mère. Le gouvernement fédéral doit jouer un rôle de premier plan. Il est primordial d'élaborer une stratégie nationale en matière d'autisme. Il faut reconnaître que l'autisme est une épidémie au Canada. Il faut consacrer des ressources, par l'entremise de l'ASPC, dans un centre d'excellence spécialisé dans la surveillance de l'autisme et dans la recherche dans ce domaine. L'autisme est plus prévalent que le sida et la schizophrénie. Nous avons des bureaux pour le sida et la santé mentale : nous disposons d'ores et déjà de ces ressources à Santé Canada et au sein de l'ASPC. Cependant, nous n'avons pas affecté de ressources particulières à l'autisme. Nous ne savons pas à quel rythme cette tendance de l'autisme va aller en s'accroissant ou ce qui va se passer. Il faut réaliser des études sur ces questions. Pour évaluer la progression d'une maladie, il faut exercer une surveillance sur cette maladie.
Il faut élaborer des lignes directrices nationales fondées sur l'expérience clinique dans le traitement de l'autisme. Le gouvernement fédéral établit des lignes directrices concernant les pratiques de lutte efficaces dans le traitement du sida; le gouvernement fédéral peut établir des lignes directrices en ce qui concerne le traitement de l'autisme. Les provinces ne sont pas tenues de suivre ces lignes directrices, mais lorsque le gouvernement fédéral, en tant que chef de file, rédige des lignes directrices, normalement les provinces les suivent parce que l'élaboration de lignes directrices est un domaine d'expertise. La population attend du gouvernement fédéral qu'il joue un rôle de chef de file dans ces domaines.
Il faut collaborer avec les provinces à la mise sur pied d'un organisme de réglementation pour l'accréditation des analystes du comportement, un peu comme on l'a fait aux États-Unis. Les analystes du comportement devraient être détenteurs d'un certificat de spécialiste. Au Canada, nous avons des infirmières autorisées et des orthophonistes agréés. Il nous faut également des analystes du comportement agréés, soit à l'échelon fédéral ou provincial. Quant à l'inclusion de l'autisme dans la portée générale de l'assurance-santé pour le remboursement des traitements, le gouvernement fédéral n'en assumera pas le coût. Ce sera aux provinces de décider. Cependant, l'autisme est un trouble développemental. Il est possible de le traiter, et à ce titre, il doit faire partie de la portée générale des soins de santé.
J'ai apporté des photos de mes deux petites filles. Je me demande si c'est convenable de vous les montrer. Elles sont très mignonnes. Je vais vous les passer, parce que la plus jeune est extraordinairement jolie.
Je n'avais pas prévu de vous montrer cette photo, même si je l'ai apportée pour des raisons différentes. Voici dans quel état ma plus vieille Nadia, qui a 7 ans, rentrait de l'école. Elle s'était cogné la tête; elle avait un oeil au beurre noir. C'était avant qu'elle ne suive le programme d'AAC. Lorsqu'elle se trouve dans un milieu hostile, c'est comme si on envoyait une personne incapable de marcher à l'école où on la force à se tenir debout. C'est la seule manière que j'ai trouvée pour décrire la situation. Ces enfants ne savent pas marcher; ils vont tomber.
S'il n'y a pas de thérapeute en AAC dans la classe avec votre enfant, ou à l'endroit où il se trouve, l'enfant risque d'adopter des comportements inadaptés parce qu'il ne comprend pas ce qui se passe. Ces enfants ont continuellement besoin d'être rassurés et qu'on leur explique ce qu'ils doivent faire pour bien fonctionner.
Lorsque ma fille a commencé à suivre le programme d'AAC, elle a changé du tout au tout. Je sais bien qu'il s'agit d'une preuve anecdotique, mais il est impossible de décrire la différence qui existe entre ma fille avant et après la thérapie AAC. À la lumière des preuves qui existent et en les évaluant suivant une méthode scientifique, personne ne peut nier que ces études ont montré des gains significatifs en matière de QI ainsi qu'au chapitre du langage, tant sur le plan de l'expression que de la compréhension. Les activités significatives qui font partie des habiletés de la vie quotidienne ne peuvent être expérimentées qu'au moyen de l'AAC.
En conclusion, merci de m'avoir permis de venir. J'espère que ce comité sera en mesure de faire des progrès sur cette question complexe.
Je tiens à vous remercier au nom de tous les enfants et de toutes les personnes atteintes d'autisme qui sont incapables de parler en leur nom personnel. Je sais que si j'étais autiste, que je n'avais pas suivi le programme AAC, et que je n'étais jamais parvenue à m'exprimer oralement, j'aurais aimé que quelqu'un vienne demander en mon nom que l'on m'en fasse bénéficier.
Dr Peter Szatmari, Faculté des sciences de la santé, Université McMaster, Canadian Autism Intervention Research Network : Honorables sénateurs, je suis profondément reconnaissant de l'occasion qui m'est donnée, à titre de représentant du Canadian Autism Intervention Research Network, CAIRN, de prendre la parole devant cette assemblée pour mettre en évidence certaines questions qui, à mon avis, feront évoluer les choses lorsqu'il s'agira de décider de la mise sur pied d'une stratégie nationale de l'autisme. Le Sénat se mérite bien des éloges en se penchant sur la situation lamentable des enfants et des familles affligés de cette maladie. Je suis fier de participer à cette initiative et suis persuadé que l'entreprise aura beaucoup de retombées positives.
Je vous ai transmis un exposé plus élaboré de la situation de même que d'autres documents dans le dossier qui a été distribué.
Aujourd'hui, j'aimerais vous faire part de quatre points. Premièrement, j'avance l'argument que l'autisme est une affection médicale unique en son genre.
Deuxièmement, je tiens à faire valoir qu'il existe des lacunes importantes dans la prestation de services fondés sur l'expérience cliniques aux quatre coins du pays.
Troisièmement, je tiens à signaler que la solution à ce problème tient à la création et à la diffusion des connaissances scientifiques.
Quatrièmement, j'aimerais vous faire quelques suggestions sur le rôle que le gouvernement fédéral devrait jouer selon moi dans cette situation.
Donc, premièrement, en quoi l'autisme est-il une affection médicale? L'autisme est probablement le plus grave de tous les désordres de l'enfance. Il s'agit certainement de la forme la plus répandue de déficiences comportementales graves. Vous entendrez certainement mon collègue et ami, le Dr Fombonne, vous dire que la prévalence de cette maladie est d'environ 1 enfant sur 160, et cette prévalence est probablement à la hausse.
Les troubles du spectre autistique ont probablement la pire morbidité de tous les désordres de l'enfance. Les individus atteints d'autisme continuent d'éprouver certaines difficultés à l'âge adulte. Avec la fermeture des institutions et d'autres services de soutien dans notre pays, ces adultes vivent à la maison, avec leurs parents vieillissants. Ou encore, ils vivent dans des foyers de groupe qui ne comprennent rien à l'autisme. Beaucoup vivent désormais dans la rue.
Le stress subi par les familles des enfants atteints d'autisme est plus élevé que pour tout autre désordre de l'enfance. Les services dont ces enfants ont besoin sont uniques en leur genre. Les interventions que nous avons mises au point pour les autres enfants atteints de troubles du développement ou d'autres problèmes de santé mentale ne donnent pas de bons résultats avec les enfants atteints de troubles du spectre autistique parce que ces enfants traitent l'information d'une manière unique en son genre, parfois bien mieux que je ne saurais le faire moi-même : cela ne fait aucun doute. Mais le fait est que les interventions habituelles ne donnent pas de bons résultats. Ces enfants ont besoin de services spécialisés.
Enfin, les coûts économiques associés au traitement et au soutien de l'autisme sont les plus coûteux de tous les désordres de l'enfance. Par exemple, une étude américaine montre que les frais médicaux annuels pour un enfant atteint de troubles du spectre de l'autisme sont trois fois plus élevés que ceux d'un enfant ayant un développement normal. Une autre étude réalisée au Royaume-Uni indique que le coût total du traitement d'un enfant atteint d'autisme est d'environ 24 millions de dollars. Si on tient compte du concept des années-patients, qui correspondent au nombre d'années pendant lesquelles ces enfants vivront, le fardeau économique annuel de l'autisme pour la société canadienne correspond approximativement à celui du fardeau de la maladie d'Alzheimer ou de la démence. Je vous demande de comparer les services offerts aux personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer par rapport à ceux offerts aux enfants atteints de troubles du spectre autistique.
Mon deuxième point est qu'il existe de sérieuses lacunes dans les services offerts dans l'ensemble du pays. On constate d'énormes variations entre ce qui est remboursé à Terre-Neuve, dans les Maritimes, en Ontario, au Québec, dans les Prairies, et en Colombie-Britannique. Il existe aussi d'énormes variations entre ceux qui sont qualifiés pour dispenser ces services fondés sur l'expérience clinique. Certains sont qualifiés et d'autres ne le sont pas, tout dépendant du modèle de financement utilisé.
Je ne vous apprends rien en vous parlant de l'incroyable animosité, de la mauvaise volonté et de la confusion qui existent en ce qui concerne les services offerts aux enfants atteints de troubles du spectre autistique. Je ne suis pas un expert en la matière, mais existe-t-il un autre désordre de l'enfance qui soit allé jusqu'en Cour suprême pour obtenir des clarifications?
Nous avons investi énormément dans les jeunes enfants atteints de troubles du spectre autistique. Mais avons-nous fait des investissements du même ordre pour les enfants plus âgés et les adultes? Je vous dirais que les services offerts aux adultes atteints de troubles du spectre autistique sont dérisoires et bien en deçà de ce qui existe dans d'autres pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni.
Toutes ces variations, tous ces écarts, et toute cette animosité sont dus simplement à un manque de connaissances.
Qu'avons-nous appris à CAIRN au sujet des solutions possibles à certains de ces problèmes? Vers la fin des années 1990 et au début de 2000, nous avons réuni parents, cliniciens, scientifiques et décideurs de l'ensemble du Canada dans une série d'ateliers. Nous avons tenté de cerner ce que nous savions au sujet des programmes efficaces d'intervention précoce destinés aux enfants atteints d'autisme, et ce que nous avions besoin de connaître afin que le Canada puisse se vanter d'avoir la forme d'intervention la meilleure, la plus rentable et la plus efficace du monde entier.
La première chose que nous avons apprise, c'est que nos connaissances sont insuffisantes. Comme l'a fait remarquer Mme Dawson, nous ne disposons que d'un seul essai comparatif randomisé sur l'efficacité de l'intervention précoce intensive sur le comportement. Il n'y a pas beaucoup de programmes dans ce pays qui peuvent se vanter d'avoir obtenu un investissement aussi important en se fondant sur un seul essai comparatif randomisé. Ça marche. Mais, il y a beaucoup de renseignements erronés.
Je vous dirais que le taux de guérison de 40 p. 100 qui est souvent cité ne correspond pas réellement avec les données. Il ne repose pas sur l'étude de la meilleure qualité qui est disponible. Il ne fait aucun doute que certains enfants atteints de troubles du spectre autistique ont besoin d'une intervention précoce intensive sur le comportement. C'est un programme coûteux. Toutefois, ce ne sont pas tous les enfants qui en ont besoin. Il existe aussi d'autres formes d'AAC, si on considère ces interventions au sens large du terme, moins coûteuses, moins intensives, qui peuvent être exercées dans un cadre plus naturel, et qui sont efficaces avec ces enfants. Certains enfants ne répondront à aucun type d'intervention intensive sur le comportement, peu importe la quantité d'attention qu'on leur accordera durant une période d'une longueur indéterminée. Ces enfants ont besoin d'une autre forme d'intervention, et ils ont le droit de bénéficier de cette intervention.
La solution est qu'il faut faire en sorte que le type d'intervention corresponde au type de l'enfant. Et pour le moment, nous ne disposons pas des connaissances nécessaires pour établir cette correspondance. Les preuves scientifiques qui seraient nécessaires pour réaliser cela n'existent pas.
À CAIRN, nous nous sommes également intéressés au genre d'information que les Canadiens reçoivent. Nous avons passé en revue les sites Web disponibles. Nous avons été stupéfaits de constater les renseignements erronés qui circulent sur Internet. Il y a même des sites Web faisant la promotion de traitements qui sont nuisibles aux enfants, tels que la chélation, la communication facilitée et la sécrétine. Le problème vient du fait qu'un très grand nombre de sites Web servent à faire la promotion d'un point de vue en particulier.
Les Canadiens n'ont pas accès à une source de renseignements objective sur les troubles du spectre autistique, une source neutre sur les causes de ces troubles et sur les moyens de les traiter. C'est ce qui nous a amenés à créer un site Web. Nous avons passé en revue la littérature chaque semaine. Nous avons recensé les études ayant été menées avec le plus de rigueur scientifique et celles les plus pertinentes pour les familles sur le plan clinique. Nous les avons vulgarisées et affichées sur le Web.
Le problème est que les revues spécialisées sont farcies d'un jargon scientifique, et j'éprouve moi-même de la difficulté à le comprendre, alors imaginez la famille canadienne moyenne.
Ce site Web a été extraordinairement populaire. En une seule année, il a reçu 37 000 visiteurs réguliers. Les gens cherchaient désespérément à obtenir des renseignements impartiaux en lesquels ils pourraient avoir confiance. Cependant, nous avons fini par manquer d'argent. Personne ne finance cette forme de vulgarisation du savoir. Les universités ne la financent pas, les organismes subventionnaires ne la financent pas et les hôpitaux non plus. Nous avons manqué d'argent, et nous n'avons plus été en mesure d'exploiter le site Web.
Maintenant, en ce qui concerne le rôle que pourrait jouer le gouvernement fédéral dans ce domaine de compétence provinciale. J'ai trois suggestions. Premièrement, assumer une partie du rôle que CAIRN a joué. Réunir les parties intéressées de l'ensemble du pays : parents, fonctionnaires, cliniciens et scientifiques. Il faut ensuite étayer les variations dans les services offerts dans toutes les régions du pays afin d'établir des normes de base. Chaque province est unique. Je le reconnais, et je le comprends. Toutefois, chaque enfant a le droit de recevoir au moins un niveau de service de base fondé sur l'expérience clinique.
Deuxièmement, je pense que nous avons besoin de plus de financement pour la recherche et pour la formation des chercheurs. Le Canada possède quelques-uns des meilleurs scientifiques au monde dans le domaine de l'autisme. Il y a toute une génération de jeunes scientifiques qui bouillonnent d'idées créatives et intéressantes sur la manière de traiter l'autisme et sur ses origines. Ils sont impatients de mettre leurs idées à l'épreuve. Le problème est que l'on ne dispose pas du financement suffisant.
Le Canada tire de l'arrière par rapport aux États-Unis et au Royaume-Uni pour ce qui est du financement de la recherche. Il est vrai que les IRSC, les Instituts de recherche en santé du Canada, ont fourni 15 millions de dollars pour la recherche dans le domaine de l'autisme depuis 2000. Les États-Unis y ont investi 200 millions de dollars en un an seulement, par rapport à 15 millions de dollars sur six ans.
Il nous faut des centres d'excellence, des réseaux où les équipes de scientifiques peuvent travailler de concert avec les parties intéressées à trouver la solution à certains de ces problèmes. Nous avons besoin de réponses canadiennes, pas de celles des Américains.
Enfin, il nous faut créer une tribune pour la diffusion de l'information. C'est excellent d'avoir un site Web, mais il faut le tenir à jour sur une base hebdomadaire. Des renseignements nouveaux sont produits constamment, et on ne peut pas afficher de l'information sur un site Web de l'information qui date d'un an ou deux. Il faut que cette information soit tenue à jour sous la forme de synthèses vulgarisées afin que les Canadiens soient bien informés, et pour éviter que les idées reposant sur des rumeurs et sur des insinuations ne deviennent pas encore plus prévalentes.
Ce n'est pas si coûteux que cela de créer et de diffuser de nouvelles connaissances. Il s'agit d'investir aujourd'hui pour récolter demain et je ne veux pas dire tout simplement récolter de l'argent. Je veux dire éviter la souffrance, le malheur et le désespoir.
Au fil des 25 ans passés à travailler avec ces familles et avec ces enfants, j'ai assisté à des manifestations de désespoir qui sont difficiles à imaginer. J'ai aussi vu ces jeunes obtenir un diplôme d'études secondaires, se rendre à un premier rendez-vous et occuper un premier emploi et rayonner de tant de joie et bonheur que cela rejaillissait sur eux-mêmes, leur famille et sur moi. Des victoires que l'on peut attribuer à la mise en commun du savoir. Cela revient à faire confiance au rôle que la science peut jouer pour nous et à appliquer cette science dans la vie quotidienne de ces enfants.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole aujourd'hui. Nous, les membres de CAIRN, continuerons à nous battre pour ces enfants et à défendre le rôle que peut jouer le savoir pour l'amélioration de leur qualité de vie, pour l'égalité des chances et la réduction du fardeau des souffrances associées aux troubles du spectre autistique.
Dr Eric Fombonne, directeur pédopsychiatre, Centre de santé de l'Université McGill : Honorables sénateurs, je suis parfaitement en accord avec toutes les déclarations du Dr Szatmari. J'ai préparé des documents que j'ai l'intention d'utiliser durant mon exposé d'aujourd'hui.
Je vais me concentrer sur quelques questions ayant d'abord trait à l'épidémiologie, ensuite sur les traitements, et enfin, sur la formation relative aux programmes de recherche sur l'autisme.
Sur la première page des diapositives, je veux confirmer, en tant qu'épidémiologiste, que les données dont nous disposons sur la prévalence de l'autisme et des troubles du spectre autistique dans la population ont changé radicalement. Il y a trente ans, nous pensions que l'autisme était rare. Des études récentes, comme vous pouvez le voir sur la troisième diapositive, montrent de façon constante que le taux de prévalence d'autisme se situe autour de 60 à 70 par 10 000 enfants. Ces chiffres font de l'autisme et des troubles du spectre autistique l'un des désordres les plus fréquents et les plus prévalents chez les enfants.
Il se trouve que nous avons eu la chance d'effectuer une enquête épidémiologique au Canada au cours des dernières années, et nous vous avons transmis un exemplaire du rapport. Nous avons mené notre enquête sur l'ensemble d'une commission scolaire dans l'ouest de Montréal. Nous avons pu confirmer, en nous fondant sur les données canadiennes, que le taux de prévalence d'autisme se situe actuellement à 65 par 10 000 enfants.
Si nous choisissons d'être prudents à la lumière des études récentes, et si nous établissons le taux à 60 par 10 000 enfants, ce taux serait équivalent à un enfant sur 160 ou 165 qui souffrirait de cette affection. Comme je l'ai mentionné, d'après les études les plus récentes n'ayant pas encore été publiées, ces estimations sont prudentes.
À la page suivante, j'ai rapidement préparé une estimation du nombre d'enfants canadiens âgés de moins de 20 ans qui souffrent aujourd'hui d'autisme d'après les données du Recensement 2001, et en se fondant sur l'hypothèse que le taux de prévalence d'autisme est de 0,6 p. 100 dans l'ensemble du pays. Ce tableau à la diapositive 7 montre que dans l'ensemble du Canada, on peut s'attendre à ce qu'au moins 47 000 sujets de moins de 20 ans soient atteints d'autisme. De fait, étant donné que ces chiffres sont des estimations prudentes fondées sur d'anciennes données tirées du recensement, le nombre de sujets est probablement plus près de 55 000 aujourd'hui dans l'ensemble du Canada.
Comment faut-il interpréter ces chiffres? Il y a eu passablement de discussion à savoir s'il s'agissait d'une épidémie. Ce dont nous sommes certains, c'est que les chiffres élevés que nous voyons s'expliquent, dans une large mesure, par l'utilisation de critères différents, par une meilleure compréhension de l'affection, par une définition plus précise aussi de l'affection et aussi, par le fait que nous avons amélioré notre capacité à recenser les études lorsque nous procédons à des enquêtes épidémiologiques. Tous ces facteurs contribuent à la hausse des chiffres.
Cependant, nous ne sommes pas entièrement convaincus de pouvoir éliminer, en plus de ces facteurs, certains facteurs de type environnemental qui contribuent aussi à cette tendance. Par conséquent, l'objectif de surveillance au Canada doit être considéré sérieusement.
Aux États-Unis, les Centres for Disease Control and Prevention, CDC, ont mis sur pied un système de surveillance dans cinq endroits différents au cours des cinq dernières années. CDC a entrepris cette initiative dans le but de surveiller au fil du temps la prévalence de l'autisme. Ce serait peut-être une bonne idée d'en faire autant au Canada.
Nous savons depuis 30 ans que les causes de l'autisme sont, dans une large mesure, déterminées par des facteurs génétiques. Les éléments qui figurent sur la page suivante indiquent que des études sur des couples de jumeaux ont révélé une forte transmissibilité héréditaire de l'autisme. Il est difficile d'isoler ces gènes parce qu'ils sont très nombreux, et que ce ne sont pas les mêmes gènes qui sont mis en cause dans des familles différentes.
Il y a donc des groupes de chercheurs sur l'autisme dans le monde entier. Et les groupes canadiens y excellent. Nous présentons un plan grossissant des gènes candidats que nous avons isolés et des homogènes qui, à notre connaissance, hébergent certains de ces gènes. Il est complexe de mettre le doigt sur une analyse génétique pour le moment, même si la recherche des causes nous y mène. Nous en sommes aux tout débuts de cette recherche sur les gènes, et il faudra attendre encore longtemps avant de comprendre comment ce désordre se développe dans le cerveau des jeunes enfants.
Puisque les résultats de ce genre de recherches ne déboucheront pas sur des mesures pratiques pour les familles dans un avenir rapproché — même si nous l'espérons — il faut néanmoins entreprendre des recherches sur les traitements qui soient étayées par des approches fondées sur l'expérience clinique.
Je me rallie à ce qu'ont dit les deux précédents témoins ayant affirmé, comme on peut le constater dans les traitements qui ne donnent aucun résultat, que de nombreuses pratiques ont vu le jour au fil du temps. Nous travaillons dans ce domaine de recherche depuis 20 ou 30 ans. À peu près tous les deux ans, une nouvelle technique ou une nouvelle méthode est mise en vente sur Internet, et certains empruntent de l'argent à leurs parents afin de tirer parti de ces idées et de les mettre en valeur.
Les parents sont stressés. Nous savons que le stress vécu par les parents qui ont des enfants autistes, par comparaison avec les parents des enfants atteints du syndrome de Down, par exemple, est beaucoup plus élevé. Les parents qui ne comprennent pas bien la maladie sont prêts à essayer n'importe quoi susceptible de les aider. Nous pouvons le comprendre. Les parents sont prêts à essayer des choses qui ne marcheront peut-être pas. Juste au cas où.
Malheureusement, certaines techniques peuvent être dommageables pour l'enfant. Des enfants sont décédés après avoir suivi une thérapie de la chélation reposant sur l'hypothèse que l'empoisonnement au mercure était responsable de l'autisme, ce qui est totalement faux. Pour cette raison, il faut fournir des renseignements fondés sur l'expérience clinique aux familles canadiennes afin de les informer de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas.
À la page suivante, vous pouvez voir qu'une des méthodes utilisées s'appelle le programme TEACCH, il s'agit d'une méthode de traitement et d'éducation pour les enfants atteints de troubles de la communication. Voici Jacob, un de mes patients autiste non verbal; il se sert de ces pictogrammes pour communiquer. Il ne parle pas, mais il se sert de ces images pour communiquer avec sa famille. Cette méthode existe depuis de nombreuses années. Les preuves cliniques de son efficacité ne sont pas aussi concluantes que nous l'aurions souhaité, mais nous disposons de techniques de ce genre qui donnent des résultats.
La diapositive suivante donne la liste complète des premières études intensives sur le comportement ayant été menées. Toutes ont plus ou moins montré que l'intervention précoce à l'aide des principes de l'analyse appliquée du comportement donnait des résultats. Il est vrai qu'un seul essai comparatif randomisé a été publié, mais c'est la meilleure preuve que nous ayons à notre disposition. Dans l'autre diapositive, vous voyez un essai comparatif randomisé de l'intervention comportementale intensive précoce, ou ICIP. Lors du traitement expérimental, ces enfants étaient très jeunes. Deux années après avoir commencé l'ICIP, les enfants avaient fait un gain d'environ 15 points de QI, ce qui est significatif, et avaient également fait des progrès du point de vue du langage et de la capacité cognitive globale. Lorsque l'on considère cette étude dans des groupes séparés, on constate que certains enfants n'en ont retiré aucun avantage, tandis que d'autres en ont énormément bénéficié. On note donc une certaine variabilité dans la réaction au traitement au moyen de l'AAC et à d'autres traitements. Il faut étudier plus en profondeur ces facteurs. Autrement dit, quels sont les facteurs qui expliquent la réaction d'un enfant à une méthode particulière de traitement?
L'AAC est une étiquette qui possède diverses significations. Elle fait référence à une méthode psychologique originale mise au point par Skinner, et qui marche. Elle donne des résultats partout. La plupart des méthodes de traitement reposent sur les principes de l'AAC, mais le traitement au moyen du programme AAC peut revêtir diverses formes. La méthode Lovaas en était une. D'autres méthodes récentes inspirées de l'AAC et d'autres approchent se réclament des principes de l'AAC sans en porter le nom. Certaines approches peuvent bien fonctionner avec certains enfants; et d'autres donnent de meilleurs résultats avec d'autres. Cependant, nous ne pouvons pas en dire beaucoup plus pour le moment. De nouvelles études sont en cours, l'une d'entre elles est menée dans nos locaux et les autres aux États-Unis, dans les deux cas, il s'agit d'essais cliniques randomisés pour les jeunes enfants. Nous disposerons bientôt de nouvelles preuves de ce qui est le plus efficace avec tel ou tel enfant.
Enfin, voici les deux dernières diapositives. J'abonde dans le sens de mon collègue pour ce qui est de réclamer davantage de recherches. Je tenais à souligner une initiative particulière que nous avons prises il y a trois ans en organisant un camp d'été financé par les Instituts de recherche en santé du Canada où nous avons tenté d'attirer dans le domaine de la recherche sur l'autisme de brillants candidats en provenance de diverses disciplines. Par exemple, des ergothérapeutes, des orthophonistes, des spécialistes de la médecine génétique, et ainsi de suite, par un mécanisme leur donnant droit à une bourse. Ils sont tous venus étudier à l'Université McGill en provenance de diverses universités. Jusqu'à maintenant, nous avons accordé 30 bourses. Nous essayons de stimuler la capacité de recherche au Canada et de préparer le terrain pour la prochaine génération. Le fardeau des soins qui a été décrit tout à l'heure nécessitera la participation de spécialistes dans de nombreuses disciplines. Je vous exhorte à offrir une aide financière afin de soutenir la formation de jeunes chercheurs dans ce domaine, en plus de subventionner la recherche proprement dite.
Le président : Merci beaucoup. Le sénateur Keon a un avion à prendre pour se rendre dans la belle ville de Toronto, donc je vais le laisser parler le premier.
Le sénateur Keon : Madame Ofner, pendant votre témoignage, je pensais que nous n'avions besoin de personne, sinon de vous et de l'ancien maire; toutes les autres preuves étaient superflues.
Cet après-midi s'est révélé absolument fascinant. Je vais abuser de votre gentillesse ainsi que de celle des autres membres du comité, et je m'en excuse, mais je dois vraiment partir. Vous avez soulevé d'importantes questions. Docteur Szatmari, vous avez dit que nous avions besoin d'un centre de transfert des connaissances, essentiellement, dans le domaine de l'autisme. À quel endroit le verriez-vous? Je pense que l'Agence de santé publique du Canada serait probablement mieux placée que Santé Canada pour l'accueillir, mais d'après vous, ce centre devrait-il être autonome ou intégré à l'un de ces organismes?
Dr Szatmari : Je crois qu'il devrait se trouver dans une université. Il devrait y avoir un concours pour déterminer quelle université pourrait l'obtenir. Ce domaine du transfert des connaissances est un volet important de la recherche, de même que la formation de tous ceux qui y évoluent. À l'époque où vous faisiez de la recherche, je ne suis pas sûr que dans le cadre de la formation vous passiez beaucoup de temps au transfert des connaissances visant à modifier les pratiques cliniques. C'est ce que nous devons faire, à mon avis, et je pense qu'une université serait le meilleur endroit non seulement pour accueillir ce centre de transfert des connaissances, mais aussi pour l'utiliser à titre de point de convergence universitaire en vue de la formation et de la conservation de l'entreprise.
Le sénateur Keon : Je vais me faire l'avocat du diable, donc, et demander l'avis des deux autres témoins. Apparemment, le fédéral serait prêt à financer une chaire de recherche. Je voulais vous demander à tous les trois de nous donner votre avis sur la structure de cette chaire, le meilleur endroit où l'installer, et cetera. Vous m'avez donné une réponse partielle. Pouvez-vous m'en dire plus, et nous demanderons ensuite les points de vue du Dr Fombonne et de Mme Ofner.
Dr Szatmari : Je me réjouis de savoir qu'une telle chaire sera créée. Cependant, il faudra au préalable nous entendre sur ce qui constituera le mécanisme le plus efficace — celui qui nous donnera un rendement optimal de notre investissement dans la recherche. Est-ce que la chaire de recherche représente vraiment le meilleur et l'unique investissement possible? Si je prends l'exemple des États-Unis, nos collègues n'ont pas retenu la voie des chaires de recherche. Ils ont préféré investir dans les réseaux d'excellence. Des scientifiques affiliés à diverses universités reçoivent des subventions pour travailler en équipe. C'est une avenue très prometteuse et nouvelle, qui rejoint tout à fait l'esprit de CAIRN. Nous avons également entamé une étude pancanadienne qui nous permet de suivre des enfants entre le moment du diagnostic jusqu'à la fin de la première année. Cette étude rassemble des scientifiques du pays tout entier, des Maritimes à la Colombie-Britannique. Nous avons là un modèle efficient et efficace pour recueillir plus d'information, la partager et former la génération montante. J'ai contourné votre question de façon un peu volontaire.
Le sénateur Keon : À titre de scientifique, vous savez sans doute que les réseaux d'excellence ont été un échec au Canada. Un seul a survécu, en dépit des sommes considérables qui ont été investies. Docteur Fombonne, vous venez de McGill. Vous savez lequel a survécu.
Je suis loin d'être sûr qu'il fera beaucoup de petits, en tout cas pas dans l'immédiat. J'aimerais entendre les deux autres témoins à ce sujet. Selon vous, quelle avenue serait la plus efficace?
Dr Fombonne : Je persiste à penser que le concept du réseau est charnière. Si nous restons concentrés sur le traitement, qu'il soit psychopharmacologique ou comportemental, il n'existe à ma connaissance aucun centre qui puisse trouver suffisamment de sujets pour participer à une étude. Par exemple, l'un des problèmes rencontrés dans les recherches sur l'AAC était la petitesse de l'échantillon. Aux États-Unis, l'analyse appliquée du comportement, l'AAC, et le réseau des centres ont permis à différents groupes d'unir leurs efforts pour constituer un échantillon de la taille requise. Par exemple, pour une étude en cours sur l'autisme, 149 sujets seront suivis pendant 4 ou 5 ans. Il a fallu combiner plusieurs études pour recruter suffisamment de sujets. On procédera pareillement pour la prochaine étude sur l'AAC. On n'aura pas le choix de faire appel à plusieurs centres. Rien n'empêche de fonder une chaire dans le cadre universitaire, mais il faudra lui donner le mandat de favoriser le rayonnement, le recrutement et la collaboration selon une approche réseau ou multicentre.
Le sénateur Keon : C'est exactement la mission des IRSC, qui exigent des preuves de collaboration avant d'octroyer des subventions individuelles. Nous voulons faire oeuvre utile, être pragmatiques. Nous voulons formuler des recommandations réalisables.
Mme Ofner : L'Agence de santé publique du Canada a créé le Programme canadien de surveillance des infections nosocomiales. C'est un programme de contrôle et de suivi des recherches sur des maladies infectieuses précises. Quarante-huit scientifiques canadiens y collaborent. Il est présidé par les présidents du Comité canadien d'épidémiologistes hospitaliers, le CCEH, dont l'un siège à L'Université de la Colombie-Britannique et l'autre à l'Université de Toronto. L'Agence de santé publique tient des réunions annuelles. Les présidents assistent à cette réunion. Le programme découle d'une collaboration entre Santé Canada et un groupe externe de médecins spécialistes des maladies infectieuses.
On pourrait appliquer le même modèle au domaine de l'autisme. Nous pourrions nommer deux présidents dans deux universités, qui collaboreraient avec l'Agence de santé publique du Canada. Nous aurions accès à des tribunes financées par le fédéral. Les recommandations et ainsi que les décisions concernant les projets de recherche sont formulées lors de la réunion. Nous pourrions nous réunir une fois par année. La formule a fait ses preuves, depuis dix années maintenant. Toute la recherche faite au Canada sur les infections nosocomiales émane de ce groupe. Je suis convaincue que nous pourrions faire la même chose dans le domaine de l'autisme. Nous pourrions nommer deux présidents dans deux universités, former un comité de chercheurs dans le domaine de l'autisme, qui travaillerait en collaboration avec l'Agence de santé publique du Canada. Le rôle de l'Agence consiste à fournir aux chercheurs les méthodes en matière d'épidémiologie et de recherche, et à diffuser l'information au public. L'information sur la recherche dans les domaines des maladies nosocomiales est affichée au site Web de l'Agence de santé publique du Canada. La population y apprend quelles recherches sont menées et quels sont les résultats. L'information est soumise aux commentaires du public avant la diffusion, et les chercheurs de tous les établissements d'enseignement universitaire du Canada collaborent.
Le président : Messieurs dames, je dois vous informer que nous sommes priés de quitter la salle d'ici 18 heures, car le prochain comité commencera ses travaux à 18 h 15. Il nous reste donc huit minutes exactement pour entendre les questions de 3 sénateurs. Je dois donc demander à chacun de poser une seule question brève.
Le sénateur Munson : Monsieur le président, je me demande si j'ai pris le plus long chemin vers la politique. J'ai horreur du débat sur les compétences, les compétences fédérales, les compétences provinciales. Nous avons tous entendu Mme Ofner nous implorer de reconnaître que l'autisme est épidémique au Canada. Pourtant, nous en revenons encore et toujours au débat sur la compétence. Il a été question ici de modifications à opérer dans la Loi canadienne sur la santé pour obliger les provinces à fournir des services de traitement de l'autisme. Qu'en pensez-vous?
Mme Ofner : La Loi canadienne sur la santé ne nomme aucune maladie. Elle ne parle pas du cancer ni du sida. Par contre, le fédéral peut imposer le remboursement par l'assurance-maladie des frais liés à l'autisme par une loi quelconque, ou de la façon dont le législateur l'entend. Les provinces n'auraient pas le choix, car ce sont elles qui décident les budgets de la santé. Les provinces seraient obligées de donner accès aux personnes qui en ont besoin aux traitements d'AAC ou à d'autres soins.
Le sénateur Munson : Aux États-Unis, les budgets existent. Est-ce que quelqu'un à Washington prévient chacun des États qu'ils n'ont pas le choix? Est-ce que les Américains se disputent sur les questions de compétence ou en sont-ils venus à la conclusion qu'il était temps d'agir ensemble pour contrer une épidémie nationale? J'avoue que j'ai du mal à prendre du recul parfois. Cette guerre ridicule des compétences me rend fou.
Mme Ofner : Le CDC fait des recommandations, mais les États ne sont pas tenus de les suivre. C'est un problème. Les spécialistes de la médecine formulent des recommandations et les provinces décident elles-mêmes de leur donner suite ou non.
Le sénateur Cordy : Nous avons reçu des témoignages fort édifiants aujourd'hui. La population canadienne ne sait pas que tant d'enfants naissent avec un trouble d'autisme. C'est notre devoir à tous d'investir dans notre avenir, c'est-à-dire dans la recherche et le traitement des autistes.
Ma question comporte deux volets, étant donné que je dois me restreindre à une question unique. Avons-nous fait des progrès dans le dépistage précoce des enfants autistes? Beaucoup de témoins nous ont parlé de l'importance de l'intervention précoce, de son efficacité. Nous sommes enclins à assimiler l'autisme à un trouble infantile, mais les enfants grandissent. Qu'en est-il de cette autre réalité? Comment traitons-nous les adolescents autistes, les adultes? Fait-on de la recherche pour trouver des traitements efficaces pour les enfants plus âgés et les adultes?
Dr Szatmari : L'un des principaux avantages de l'intervention précoce intensive a trait à la progression dans le spectre d'une bonne partie des enfants atteints de troubles du spectre autistique — dans certains cas, des troubles graves pourront devenir modérés et même légers. Les proportions relatives changeront, ce qui entraînera d'importantes répercussions puisque nous améliorerons les pronostics d'intégration dans les écoles secondaires et dans la société adulte dans un horizon d'une dizaine d'années.
Nous avons très peu de données sur l'acquisition d'aptitudes sociales, professionnelles et les niveaux de services. J'ai horreur d'admettre que le Canada fait très piètre figure devant la Scandinavie, le Royaume-Uni et d'autres pays européens pour ce qui est de la prestation de services aux adultes. Personne n'a pris les commandes de ce dossier dans les provinces, pas plus le secteur de la santé que celui des services sociaux ou de l'éducation. Tous se renvoient la balle.
Dr Fombonne : Les progrès sont constants pour ce qui est de l'âge du dépistage chez les enfants. Si nous prenons l'exemple du Royaume-Uni, que je connais bien, l'âge du diagnostic était cinq ans voilà une quinzaine d'années. Actuellement, l'âge moyen est trois ans. Nous voyons même des enfants de deux ans, d'un an et demi. Partout, ils sont diagnostiqués de plus en plus jeunes parce que, la sensibilisation ayant fait son oeuvre, nous les dépistons plus tôt. Ce progrès ouvre toute une gamme de possibilités parce que nous pouvons intervenir plus tôt. Même si la preuve scientifique n'est pas encore faite, nous croyons qu'une intervention précoce augmente les chances de réussite.
Le sénateur Callbeck : J'avais des questions pour chacun des témoins mais, comme je dois me limiter à une seule, je m'adresserai au Dr Fombonne. Dans le tableau que vous nous avez remis, il est question de traitements inefficaces. Y a-t-il consensus parmi les chercheurs du domaine quant à l'inefficacité de ces traitements pour l'autisme ou cette liste provient-elle de votre centre ou des chercheurs de votre centre?
Dr Fombonne : Non. Il s'agit de traitements dont l'efficacité n'a pas été démontrée scientifiquement. Ce sont des données empiriques ou des études de cas. Comme il a été dit plus tôt, si un traitement quelconque est administré à un enfant et que, une année plus tard, on constate des améliorations qui sont d'emblée attribuées à ce traitement, c'est une conclusion erronée puisqu'il n'y a eu ni comparaison ni randomisation au départ. Il est essentiel de procéder par essais cliniques randomisés, mais bien peu de ces traitements y ont été soumis.
À cette lacune s'ajoute une faible plausibilité de l'efficacité. Par exemple, la chélation, un traitement qui part du principe que le mercure cause l'autisme, n'a aucun fondement scientifique. C'est une croyance. Or, des méthodes sont mises au point, les parents y adhèrent et sont convaincus ensuite que les changements observés chez leur enfant, qui sont en fait des conséquences normales de la maturation biologique, ont été induits par les moyens pris pour purger le corps du mercure. Malheureusement, ces pratiques ne sont pas sans danger.
Le président : C'est tout le temps que nous avions. Vous nous avez beaucoup appris au sujet de l'autisme. Merci à vous trois d'être venus nous rencontrer.
La séance est levée.