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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 17 - Témoignages du 8 février 2007


OTTAWA, le jeudi 8 février 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit à 10 h 45 pour étudier l'avenir des programmes d'alphabétisation au Canada, la consolidation du financement desdits programmes et le rôle des organisations vouées à l'alphabétisation dans la promotion de l'instruction et de l'acquisition de compétences professionnelles.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je déclare ouverte cette séance du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Bonjour.

[Français]

Bienvenue à la deuxième réunion du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie au sujet de l'alphabétisation. Aujourd'hui, nous entendrons trois groupes nationaux d'alphabétisation et quatre personnes qui parleront de leurs expériences personnelles.

Le premier groupe est la Fédération canadienne pour l'alphabétisation en français, un organisme pancanadien. Depuis ses débuts en 1991, la Fédération représente les groupes et associations francophones qui font de l'alphabétisation en français au Canada.

La Fédération aide ses groupes membres à maintenir et à rendre accessible les services d'alphabétisation. Ils informent la population et les gouvernements pour rendre accessibles des projets de promotion, de recherche et de prévention.

[Traduction]

Nous écouterons ensuite la Base de données en alphabétisation des adultes, un service qui offre des documents et des livres en texte intégral ainsi qu'un catalogue de ressources, qui conçoit et accueille des sites web pour des organismes d'alphabétisation, qui fait de la recherche et qui organise du matériel pédagogique trouvé ailleurs sur le web, qui fait le lien avec des partenaires, experts du domaine et qui annonce les activités et événements liés à l'alphabétisation.

Enfin, nous écouterons le Movement for Canadian Literacy, ou MCL, un organisme national sans but lucratif qui représente les coalitions, organismes et particuliers qui s'occupent d'alphabétisation dans chaque province et territoire. Depuis 1978, MCL a travaillé à renseigner le gouvernement fédéral et le public en général sur les questions d'alphabétisation des adultes au Canada, a servi de tribune nationale pour la collaboration des organismes d'alphabétisation provinciaux et territoriaux, afin que chaque Canadien ait accès à des services d'alphabétisation. MCL a aussi renforcé la voie des apprenants adultes au Canada et a appuyé le développement d'un mouvement et d'organismes d'alphabétisation des adultes.

Bienvenue à tous.

Wendy DesBrisay, directrice exécutive, Movement for Canadian Literacy : Vous avez déjà très bien présenté MCL.

Depuis la création de MCL il y a 30 ans, la communauté de l'alphabétisation a évolué. Elle est devenue une association professionnelle qui offre du soutien et des ressources aux organisations provinciales qui, en retour, donnent l'appui nécessaire aux services d'alphabétisation sur le terrain.

Je suis contente de voir ici des membres de notre réseau consultatif d'apprenants. Ils nous permettent de garder les pieds sur terre et ils travaillent avec nous et nombre d'autres organisations nationales pour veiller à ce que les services qui sont offerts soient adéquats et soient accessibles aux moins alphabétisés d'entre nous.

On nous a demandé de parler de trois sujets : l'avenir des programmes d'alphabétisation au Canada, la consolidation du financement de ces programmes par le gouvernement fédéral et le rôle des organisations d'alphabétisation dans la promotion de l'instruction et de l'acquisition de compétences professionnelles.

L'avenir des programmes d'alphabétisation au Canada est actuellement très sombre, ou du moins, fragile. Nous craignons de revenir à l'époque noire où les programmes étaient isolés, sans soutien et sans réseau.

En résumé, les compressions et les nouvelles lignes directrices ont inopinément supprimé les assises des réseaux et organisations, particulièrement de ceux qui ne travaillent pas directement avec les apprenants, œuvrant plutôt à la promotion de la qualité des services du réseau.

Je ne peux pas parler en termes généraux sans vous décrire la situation de MCL. L'appel d'offres pour 2006-2007, dont on nous prévient en général à temps pour les demandes d'avril, n'a été fait qu'au mois d'août dernier, avec une échéance en septembre. Deux semaines après la fin de l'appel d'offres, les compressions ont été annoncées. Si j'ai bien compris, de nouvelles lignes directrices étaient en cours d'élaboration, ce qui a causé d'autres retards. Six mois se sont écoulés depuis notre demande. Nous avions des réserves, accumulées au fil des ans, qui nous ont permis de survivre jusqu'à maintenant, mais elles seront bientôt taries. Tout notre personnel a été mis à pied et mon emploi se termine à la fin mars. Nous avons à peine suffisamment d'argent pour nous acquitter de nos obligations envers le personnel et pour payer le loyer jusqu'à la fin mars. Nous attendons toujours une réponse officielle à notre proposition.

Beaucoup de coalitions provinciales et territoriales vivent la même chose. Quelques-unes ont reçu des réponses. La plupart ont été sommées de revoir leurs propositions pour qu'elles soient conformes aux nouvelles lignes directrices mais d'autres, comme nous, vivent de leurs réserves qui s'épuisent rapidement.

J'ai examiné les réponses qu'on nous a données, quand je leur ai demandé s'il faudrait mettre à pied du personnel. Nous compris, l'effectif est de 38 personnes pour sept organismes. Les mises à pied sont déjà au nombre de 16. Je le répète, dans notre cas, tout le personnel a été mis à pied. Je ne dis pas que MCL disparaîtra, parce qu'il y a un esprit, mais si les coalitions continuent d'exister, il leur faudra peut-être réinventer un réseau national. C'est toutefois un gaspillage. J'essaie de nous défaire de nos ordinateurs, meubles de bureau, et cetera. Il faut que je trouve où les mettre. Il nous faudra peut-être recommencer à zéro plus tard, si nous obtenons du financement ou si nous pouvons trouver d'autres sources de fonds.

Je le répète, les compressions ont ébranlé notre infrastructure essentielle.

Au sujet de l'avenir de l'alphabétisation au Canada et du rôle des organismes d'alphabétisation, au fil des ans et plus particulièrement ces dernières années, puisque le gouvernement fédéral a commencé à parler d'alphabétisation en 2001, notre milieu s'est mobilisé pour prendre acte de son expérience, de son expertise et des besoins à combler. Nous avons mis sur pied des stratégies assez approfondies, à notre avis. Nous comprenons que nous ne sommes pas les seules parties intéressées, mais nous avons une vision et un plan.

Voilà quelle est la vision du milieu de l'alphabétisation, quand on parle de stratégie nationale.

Les services d'alphabétisation et d'éducation de base sont disponibles pour tous les adultes qui en ont besoin pour atteindre les objectifs qu'ils se fixent eux-mêmes au travail, dans leur vie personnelle et au sein de leur communauté. On parle beaucoup de l'alphabétisation au travail, mais il y a aussi d'autres raisons invoquées.

On aide les collectivités à cerner les besoins d'alphabétisation et à trouver leurs propres solutions. Les programmes d'alphabétisation familiale et intergénérationnelle sont disponibles facilement pour veiller à ce que les parents et les enfants aient les connaissances de base nécessaires pour continuer à apprendre, leur vie durant.

La vision comprend l'offre de services d'alphabétisation et de formation tant en anglais qu'en français, ainsi que la participation des gouvernements autochtones. Les politiques et les programmes d'ordre national, provincial et local sont mis au point et mis en œuvre en consultation avec ceux qui en sont responsables, tant les apprenants que les enseignants, ainsi que d'autres parties intéressées.

Notre plan d'action sur 10 ans compte quatre piliers stratégiques. Le premier est la construction d'un système de qualité. Nous n'en sommes qu'au début malgré tout le travail qui y a été consacré pendant de nombreuses années, parce que nous n'avons pas eu l'appui qu'il fallait pour avoir un réseau robuste.

Il faut aussi surmonter les obstacles pour les apprenants. Les apprenants qui sont ici aujourd'hui vous en reparleront. Il faut des partenariats, l'acquisition de connaissances et leur transfert, ce qui est aussi une importante question.

J'aimerais travailler du travail de partenariat. Nous avons travaillé avec l'Association canadienne de santé publique, ou ACSP, pendant des années en reconnaissant le lien entre l'alphabétisation et la santé. L'ACSP a actuellement un projet sur les préparatifs en vue d'une pandémie de grippe. Elle nous a demandé notre aide pour la diffusion de l'information. Quand les gens ne savent pas très bien lire, il est crucial d'avoir des programmes d'alphabétisation pour leur communiquer de l'information, qu'ils pourront transmettre à leur famille. Nous avons des réseaux. L'ACSP peut communiquer avec MCL qui se chargera de la communiquer aux coalitions; ces dernières rejoindront tous les organismes de prestation dans leur province ou territoire. L'information sur la pandémie de grippe sera présentée de façon à ce que les gens puissent la comprendre.

Chaque année, la communauté aide des dizaines de milliers de Canadiens à changer leur vie. Nous les aidons à bâtir quelque chose qui leur servira leur vie durant, pour continuer à apprendre et à travailler. Il y a toutefois des centaines de milliers ou des millions de personnes encore qui ont besoin d'aide. Nous ne pouvons donner notre enseignement à d'aussi nombreuses personnes sans un réseau et une stratégie. L'élaboration de cette stratégie nécessite la participation de tous les ordres de gouvernement. Il faut un investissement sérieux et il faut travailler avec les gens qui sont sur le terrain, qui vivent et travaillent avec ce problème. La communauté de l'alphabétisation connaît très bien ces problèmes et sait ce qu'il faut faire pour être efficace. Nous voulons que le gouvernement fédéral en fasse une priorité et nous considère comme des partenaires essentiels. Le financement c'est une chose, mais il faudrait aussi qu'on discute avec nous de nos propositions. Nous voudrions être traités avec respect et pouvoir discuter de la façon dont nos propositions cadrent, ou non, avec les priorités gouvernementales. Or, on n'a pas encore eu la courtoisie de nous offrir cette discussion.

Le président : Vous avez expliqué de façon précise la façon dont la situation actuelle vous touche.

[Français]

Gaétan Cousineau, directeur général, Fédération canadienne d'alphabétisation en français : Monsieur le président, je vous remercie de cette invitation qui nous permettra de présenter notre point de vue sur l'avenir des programmes d'alphabétisation au Canada.

La Fédération canadienne pour l'alphabétisation en français existe depuis 15 ans et nous aidons les gens qui veulent apprendre à écrire et à comprendre les messages du gouvernement et de cette société.

La Fédération regroupe 400 organismes voués à l'alphabétisation dans les dix provinces et deux territoires. Par ces réseaux, nous rejoignons plus de 20 000 adultes en formation de base en alphabétisation. Nous travaillons donc depuis 15 ans à établir le réseau, à consolider nos efforts et à s'organiser pour offrir ces services.

Notre ambition est celle de créer une société pleinement alphabétisée au sein de nos communautés de langue maternelle française. C'est pour nous une passion. Notre présidente, Mme Benoît, dans le dernier rapport annuel, disait que chaque année des milliers de personnes voudraient acquérir les compétences de base pour réussir dans la vie. Celles qui entreprennent une démarche de formation sont animées par une passion : elles veulent surmonter les obstacles qui les ont empêchées de s'épanouir.

Toutefois, pour réaliser le rêve de ces gens, il faut que nous ayons les moyens pour le faire et que nous soyons en mesure de les recevoir au moment où ils ont besoin de ces services. Nous devons être outillés adéquatement et pour ce faire nos organismes d'alphabétisation provinciaux et territoriaux de la francophonie canadienne doivent pouvoir compter sur un financement stable et à long terme. Ce n'est pas le cas présentement, et c'est clair.

Quand on parle de statistiques, les gens ne nous croient pas lorsqu'on dit que neuf millions de personnes en âge de travailler ne possèdent pas, au Canada, les compétences de base pour répondre aux exigences d'une société aussi complexe que la nôtre.

J'aimerais aussi attirer votre attention sur un aspect particulier de ces statistiques qui est l'écart existant entre les groupes francophones et anglophones : 42 p. 100 des adultes canadiens en âge de travailler se situent aux niveaux les plus faibles d'alphabétisme, c'est-à-dire les niveaux 1 et 2 et nous savons que le niveau 3 est le niveau minimum demandé. Du côté des gens de langue maternelle française, la proportion s'établit à 55 p. 100, alors qu'elle est de 39 p. 100 chez les anglophones. Avec cet écart de 16 p. 100, notre défi est d'autant plus important.

Nous ne vous apprenons sûrement rien en évoquant ces chiffres car vous les connaissez bien. Nous le savons puisque nous avons suivi très attentivement vos délibérations au Sénat cet automne et encore maintenant.

L'honorable sénateur Joyce Fairbairn vous a interpellé et demandé de prendre conscience du besoin de travailler de façon concertée parce que l'analphabétisme est un obstacle quotidien pour les adultes.

C'est ce que les gens nous disent; ils ne peuvent pas aider leur enfant en bas âge quand ils veulent apprendre la langue et l'écriture. C'est un obstacle pour les travailleurs, pour les personnes âgées qui ont des problèmes de santé, pour l'économie en général. Et si nous n'accélérons pas le processus, nous allons nuire à notre avenir collectif en tant que Canadiens.

Vous avez évoqué toutes les dimensions de cette question : les coûts sociaux et les avantages à tirer d'un investissement. Madame le sénateur Cochrane a expliqué de façon éloquente les difficultés que les intervenants en alphabétisation doivent surmonter. Madame le sénateur Tardif a soulevé la dimension socio-économique en donnant l'exemple d'un chantier situé dans sa province. La semaine dernière, madame le sénateur Trenholme Counsell a très bien expliqué les effets de la remise en question du financement des programmes d'alphabétisation sur les organismes provinciaux. Enfin, Mme DesBrisay vous a expliqué ce qui arrive de son côté. C'est la même chose chez nous. On connaît donc bien les coûts associés à de faibles niveaux d'alphabétisme au sein des communautés.

Vous avez également décrit les bienfaits d'une société pleinement alphabétisée. Nous n'avons pas à vous convaincre que nous ne pouvons plus, comme Canadiens, nous offrir le luxe de la complaisance, comme le soulignait le Conseil canadien sur l'apprentissage, pour paraphraser le titre de leur tout premier rapport sur l'état de l'apprentissage au Canada en janvier 2007.

Qu'avons-nous fait au cours des 20 dernières années? Nous la connaissons, cette problématique de l'alphabétisation puisque nous y travaillons depuis 20 ans.

Permettez-moi d'évoquer certaines études qui nous permettent de bien connaître la situation. Deux enquêtes internationales : une en 1994 et la deuxième en 2003 dont les résultats ont été connus en 2005.

Le Comité permanent du développement des ressources humaines et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes a mené une étude sur la question en 2003. Le Secrétariat national d'alphabétisation a financé un grand nombre d'études, certaines avec la Fédération. Nous avons à un certain moment mobilisé les chercheurs de l'Université du Québec à Montréal et Statistique Canada. Nous avons publié une étude sur l'alphabétisme des communautés francophones en 2002.

Nous avons aussi, avec le Secrétariat, organisé un colloque à Montréal en 1999 et il y a un volume qui n'a pas perdu de son actualité qui a été publié : Pour une société pleinement alphabétisée : le droit de lire, d'écrire et de communiquer pour tous avec Serge Wagner.

La dernière étude de Statistique Canada publiait une deuxième étude qui nous a permis de mieux cerner les raisons qui expliquent le faible taux moyen d'alphabétisme des francophones au Canada.

Avons-nous obtenu des résultats ou non? Avons-nous échoué ou non? On nous dit que nous avons échoué. Lorsque nous considérons l'ampleur de la tâche et les moyens que nous avions pour remédier à la situation, je crois que ce résultat n'est pas surprenant. Au fond, peu d'organisations auraient pu fournir un meilleur rendement avec aussi peu de moyens.

Y a-t-il des solutions? Nous croyons que oui. À la Fédération, nous avons énoncé les grandes lignes d'une stratégie pour rehausser le niveau moyen d'alphabétisme de nos communautés. Nous avons identifié huit champs d'intervention : intégrer une vision élargie de l'alphabétisme; valoriser l'alphabétisme; améliorer la qualité et l'équité de la scolarité initiale; renforcer l'alphabétisme à la maison; stimuler l'alphabétisme dans la vie communautaire et culturelle; promouvoir l'alphabétisme au travail et en lien avec l'emploi; accroître l'accès des adultes à l'alphabétisation; mobiliser et concerter la société civile et les pouvoirs publics. C'est tout un programme! C'est pourtant là les principes qui nous guident et qui nous inspirent dans notre action.

Selon nous, l'analphabétisme est un phénomène social. Ce n'est pas que le problème d'un individu. La société doit offrir des conditions afin que l'individu s'alphabétise. Puisque l'alphabétisation recoupe plusieurs axes de développement, la Fédération a tissé beaucoup de liens et de partenariats avec l'ensemble des groupes de cette société dans différents secteurs d'activité tels la santé, l'employabilité, la petite enfance.

Des résultats positifs en sont ressortis. Par exemple, on a créé un réseau d'experts en alphabétisation familiale et on nous a même demandé d'aller transmettre ces outils en Afrique; je vais en parler rapidement tantôt. L'indice de fréquentation de notre site Web est également important. Des centaines de personnes fréquentent notre site chaque semaine. Vous seriez surpris — je l'étais — d'apprendre que ce ne sont pas que des gens du Canada qui consultent notre site mais également d'autres pays; seulement en janvier, 23 autres pays ont consulté notre site.

Depuis un an, comme ma collègue le disait, nous avons de plus élaboré des plans de rattrapage pour la francophonie sur une période de dix ans. Ce sont des plans détaillés et chiffrés qui expliquent quels sont les efforts et combien de personnes nous devrions rejoindre dans chaque province et territoire du Canada. Et ceci afin que nous puissions proposer une stratégie d'action vers une société pleinement alphabétisée.

À titre d'experts en la matière, nous souhaitons depuis longtemps une meilleure concertation de toutes les parties dans l'élaboration d'une approche pancanadienne.

On nous a demandé de parler du rôle des organismes comme le nôtre, mais nous pensons qu'il y a un rôle pour chacun. Chaque partie prenante joue un rôle complémentaire les uns avec les autres. Nous ne devons jamais perdre de vue qu'une personne qui a besoin de rehausser ses compétences et ses capacités de lire et écrire n'évolue pas dans un vase clos. Elle est à la fois un parent d'un enfant à l'école, un travailleur, un participant d'un club de loisir ou autre, un citoyen qui vote, un patient dans une clinique. Il faut rejoindre cette personne dans tous les aspects de sa vie.

Il serait illusoire de croire qu'on va résoudre ce problème en se concentrant uniquement dans un seul secteur et en négligent les autres secteurs. Le secteur communautaire a porté une bonne partie du fardeau de l'alphabétisation depuis quelques années. Il l'a porté dans une situation de précarité. Il faut plus de stabilité. On n'y arrivera pas tout seul, c'est pour cela qu'on a tissé toutes ces alliances et tous ces efforts.

On voit maintenant la volonté des gouvernements provinciaux et du secteur privé et on croit que le fédéral doit jouer ce rôle. Tous les Canadiens évoluent dans un contexte de grande mobilité des travailleurs. On le voit chez la moitié des travailleurs, du capital et même des entreprises. Beaucoup de francophones vont maintenant travailler en Alberta. Il faut les suivre et les aider où ils sont. En ce sens, nous avons reconnu au gouvernement fédéral un rôle pour assurer une grande équité, une égalité d'accès dans toutes les régions du pays.

Dans une économie du savoir, un nombre croissant d'emplois nécessitent plus que jamais des niveaux plus élevés de scolarité et d'alphabétisme. Si le Canada veut demeurer concurrentiel dans une économie du savoir, il faut rehausser l'alphabétisme de tous les Canadiens. Sur un plan plus large, l'alphabétisation est un droit fondamental de l'individu. C'est un enjeu pour toutes les populations du monde, même pour les nations les plus pauvres.

On a joué un rôle international. On a participé à des rencontres et des conférences internationales. On nous a demandé d'aider des pays d'Afrique, surtout les pays d'Afrique francophones. À l'extérieur du pays, quand y on regarde de près, on voit que les sociétés les plus développées reconnaissent la formation de base comme un enjeu très important. On a regardé en Australie, au Royaume-Uni et ailleurs, on a des exemples de cela. On connaît la situation. Il est temps d'agir en concertant les forces en présence vers un objectif commun.

On aimerait vous faire quelques recommandations : que le gouvernement canadien reconnaisse que tous les Canadiens, quels que soient leur origine et leur statut social et économique ont un droit à la formation de base; que tous les Canadiens doivent avoir accès à des services d'alphabétisation tout au long de la vie; que le gouvernement canadien reconnaisse que l'alphabétisation constitue un enjeu démocratique, national, social et économique d'importance; que le gouvernement canadien s'engage à adopter une politique qui vise à atteindre une société pleinement alphabétisée; qu'il s'engage à mobiliser la société civile pour atteindre ce résultat; que le gouvernement canadien s'engage à travailler de concert avec les gouvernements provinciaux, territoriaux et avec toutes les parties prenantes au dossier de l'alphabétisation — secteur public, parapublic, communautaire, entreprises, syndicats, associations professionnelles — pour élaborer une vision d'avenir et une stratégie globale d'alphabétisation; que le gouvernement canadien reconnaisse le rôle central que jouent les organismes nationaux comme les nôtres, provinciaux et territoriaux d'alphabétisation en leur assurant un financement stable sur une longue durée.

[Traduction]

Charles Ramsay, directeur exécutif, Base de données en alphabétisation des adultes : Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui. De toute évidence, l'alphabétisation est une question qui nous tient profondément à cœur et à laquelle nous avons consacré notre vie. D'une part, toutes les conditions semblent réunies pour inciter les provinces et les territoires à intervenir dans le domaine de l'alphabétisation où auparavant elles s'aventuraient avec beaucoup de réticence, mais d'un autre côté, au niveau fédéral, le climat s'est détérioré dans une certaine mesure, et de nombreuses organisations en souffrent.

La Base de données d'alphabétisation des adultes, ou BDAA, est une organisation d'alphabétisation non traditionnelle en ce sens que nous ne traitons pas directement avec les apprenants et que nous n'assurons aucune formation. Notre mandat consiste tout simplement à recourir à la technologie électronique offerte par Internet et à fournir de l'information et des ressources à l'intention des communautés d'alphabétisation au Canada.

En 1995, lorsque le web est devenu accessible aux Canadiens moyens et aux citoyens du monde, nous avons reconnu que ce serait un merveilleux outil pour distribuer ce genre d'information. À l'époque, notre financement provenait du Secrétariat national à l'alphabétisation. Le directeur nous avait demandé comment nous savions que nous réussirions, à l'aide de cette technologie, à fournir des ressources aux communautés d'alphabétisation. Si nous pouvions inciter de 7 à 10 000 personnes par année à utiliser notre site web pour avoir accès à ces ressources, ce serait merveilleux. À l'époque, cela semblait un objectif impossible à atteindre, mais nous étions prêts à faire ce genre de pari.

À la fin de l'exercice financier, c'est-à-dire au 31 mars 2006, au cours de la présente période de 12 mois, plus de 9 millions de personnes ont visité notre site web. Ces personnes ont consulté 32 000 millions de pages d'information HTML et téléchargé 4,4 millions de fichiers de notre site en format PDF. C'est une idée qui est arrivée à point nommé. J'aimerais pouvoir en revendiquer la responsabilité mais je crois que cela est attribuable à la magie d'Internet.

Avant que nous établissions cette base de données, pour qu'un membre des communautés d'alphabétisation au Canada puisse avoir accès à ces ressources, il lui aurait fallu vivre près d'une grande université dotée d'un important programme d'éducation des adultes. Aujourd'hui, si ces personnes ont accès à Internet, elles ont en quelque sorte une bibliothèque sur leur bureau; elles peuvent récupérer en tout temps et n'importe où les documents qui se trouvent sur nos serveurs, gratuitement, ce qu'elles font.

Comme M. Cousineau l'a signalé, ce ne sont pas uniquement les Canadiens qui ont accès à ce service mais tout un groupe de personnes partout dans le monde. Parmi les 20 principaux pays qui utilisent ce site web chaque mois, de toute évidence l'Amérique du Nord — c'est-à-dire le Canada et les États-Unis — sont en tête, mais la France arrive systématiquement en troisième place. Les autres pays francophones et anglophones arrivent en quatrième, cinquième et sixième places, mais il y a aussi des pays comme l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, le Mexique, le Portugal et l'Espagne, ainsi que certains autres pays du tiers monde — qui sont assez rares pour l'instant — qui utilisent notre site web. C'est une situation qui prend de l'ampleur et un besoin qui est reconnu.

Quel est l'élément nécessaire pour déterminer l'avenir de l'alphabétisation? Je dirais que l'élément clé est la cohésion. Vous aurez l'occasion d'entendre souvent ce terme. Les chiffres l'indiquent. La recherche en cours indique que certains progrès sont réalisés mais ne sont pas suffisamment rapides pour plaire à tout le monde.

Au fil des ans, lorsque nous avons eu des occasions comme celle-ci, sous la direction d'organisations comme Movement for Canadian Literacy et la Fédération canadienne, les communautés d'alphabétisation se sont réunies pour préparer des documents convaincants et cohérents qui expliquent notre position et l'orientation que nous voulons prendre. Il s'agit d'établir une stratégie pancanadienne qui permettra à chaque citoyen du pays qui doit compléter sa formation d'avoir accès à un système reconnaissable qui répond à ses besoins. Une personne est donc en mesure de participer à un programme à l'étape où elle se situe afin de combler ses besoins d'apprentissage puis progresser sur le marché du travail ou accéder à d'autres programmes de formation ou, en fait, vivre une vie meilleure, plus riche et épanouissante en tant que parent, citoyen, membre d'une famille ou utilisateur du système de soins de santé. Cela se produit dans certains cas.

Par le passé, comme l'éducation relève de la compétence des provinces et des territoires, lorsque nous avons abordé cette question devant les législateurs et les parlementaires fédéraux, on s'est toujours préoccupé de la responsabilité législative en matière d'éducation, puisqu'en vertu de la Constitution, cette responsabilité revient aux provinces. En fait, chaque région du pays a des besoins qui lui sont propres, et qui nécessitent une certaine souplesse, mais il faut que quelqu'un assume le rôle de chef de file et réunisse toutes ces différentes questions afin de déterminer les besoins les plus communs et les plus pressants de manière à établir un système adapté à ces besoins et auquel les citoyens pourront avoir accès.

Lorsque nous, dans le domaine de l'alphabétisation, parlons de chiffres et de problèmes d'analphabétisme, on croit souvent que l'analphabétisme concerne les personnes incapables de lire et d'écrire. Cela est peut-être vrai dans certains cas, mais pour la grande majorité des personnes qui connaissent ce problème, l'analphabétisme signifie ne pas pourvoir lire et écrire suffisamment bien dans un certain contexte. Je viens de terminer la lecture d'un livre intitulé This is Your Brains on Music écrit par Daniel Levitin, professeur à l'Université McGill, et pour moi la lecture de ce livre a été un défi. J'ai dû relire les trois premiers chapitres trois fois pour comprendre fondamentalement de quoi il s'agissait. Je crois que c'est une situation dans laquelle nous nous trouvons tous à un certain moment. C'est une situation courante pour ceux qui n'arrivent pas à lire et écrire suffisamment bien.

J'aimerais maintenant aborder la question de la consolidation du financement. Au fil des ans, un remarquable partenariat a été établi entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux grâce au Secrétariat national à l'alphabétisation et aux mécanismes de financement provinciaux et territoriaux. Ce financement a été réduit, mais une bonne partie était utilisée par le passé pour traiter des problèmes locaux. Par exemple, si des gens à Regina qui travaillaient avec de nouveaux Canadiens décidaient qu'ils avaient besoin d'une ressource pour aider les nouveaux Canadiens à améliorer leurs compétences linguistiques afin qu'ils puissent participer à l'économie et à la culture canadienne, ils pouvaient présenter une demande de financement au secrétariat pour développer une ressource leur permettant de répondre à ce besoin.

Grâce au travail que nous effectuons, un grand nombre de ces ressources locales ont été versées à la bibliothèque virtuelle de la base de données en alphabétisation des adultes, d'où elles peuvent être téléchargées par tous ceux qui veulent les consulter, ce qui est effectivement le cas.

Les ressources qui ont été développées pour répondre à des besoins locaux étaient disponibles à l'échelle nationale par l'entremise de notre système de distribution. Elles sont devenues des ressources nationales et ont eu une incidence nationale.

Malheureusement, à la suite d'un changement récent de politique en matière de financement, ces ressources ne seront plus aussi facilement disponibles et les remarquables chercheurs et rédacteurs de politiques ne disposeront plus des fonds nécessaires pour poursuivre leur excellent travail.

Nous reconnaissons tous qu'il est nécessaire de rendre compte de notre travail. Nous savons ce dont nous avons besoin pour administrer des organisations comme la BDAA comme une entreprise et que nous devons tenir compte des exigences que les gens d'affaires ont envers d'autres gens d'affaires, à savoir que nous devons rendre compte de la façon dont nous utilisons nos fonds. Cependant, les lignes directrices en matière de financement sont devenues tellement contraignantes que les petites organisations ne sont plus en mesure de poursuivre leur travail dans le domaine de l'alphabétisation parce que les exigences de reddition de comptes sont trop strictes. Même si nous reconnaissons tous la nécessité de rendre des comptes, il importe d'alléger certaines des contraintes afin qu'un plus grand nombre de Canadiens puissent travailler à aider d'autres Canadiens.

J'ai une liste de recommandations concernant le financement. Il faudrait augmenter les fonds mis à la disposition du volet de financement fédéral-provincial-territorial, afin de maintenir le partenariat exemplaire qui existe depuis des années. Il sera alors possible de continuer à développer et à distribuer partout au pays les remarquables ressources préparées par des Canadiens à l'intention des Canadiens et qui pourront être utilisées dans les communautés d'alphabétisation où les ressources sont rares.

Les partenaires et les intervenants en alphabétisation devraient avoir plus facilement accès au financement. Les exigences en matière de rapports pourraient être moins sévères. Le financement pour l'alphabétisation devrait être maintenu pour les activités d'alphabétisation et le financement de l'alphabétisation devrait être réservé exclusivement aux organisations d'alphabétisation. Autrement dit, nous devons prendre garde à ce que le financement ne dérive pas vers des secteurs qui ne répondent que de façon marginale aux besoins en alphabétisation.

En ce qui concerne le rôle des associations d'alphabétisation dans la promotion de l'éducation et des compétences qui améliorent l'employabilité, le problème n'est pas l'incapacité de lire et d'écrire mais l'incapacité de lire et d'écrire suffisamment bien. En milieu de travail, c'est l'un des obstacles les plus insidieux qui soient : beaucoup de ceux qui ont du mal à lire et à écrire — tout comme les employeurs — ignorent que le problème existe.

Je ne sais pas comment faire disparaître cet obstacle mais les gens disent que l'analphabétisme n'est pas un problème au travail. Par exemple, beaucoup de gens trouvent que leur travail est acceptable et qu'ils sont acceptables pour le travail. C'est le pays qui va en pâtir à long terme si l'on ne mobilise pas la population active pour s'assurer que les compétences sont régulièrement relevées de manière à suivre l'évolution nécessaire à notre participation sur la scène mondiale.

Le sénateur Fairbairn : Soyez tous les bienvenus. Je suis très heureuse de vous voir.

Une des perspectives les plus passionnantes des dernières années, c'est l'idée — qui ne vient pas des milieux de l'alphabétisation mais des milieux d'affaires, universitaires, industriels et autres — d'un accord pancanadien qui établirait un merveilleux équilibre et inclurait non seulement le secteur de l'alphabétisation mais aussi ceux que je mentionnais. C'est la recommandation faite dans un rapport de la Chambre des communes il y a quelques années et qui marquait un grand pas en avant.

Hier, j'ai essayé de voir ce qu'il est advenu de cette suggestion et je n'ai rien trouvé. L'idée a-t-elle disparu ou flotte-t- elle toujours dans l'espoir d'accroître le degré d'alphabétisation d'un bout à l'autre du pays?

M. Cousineau : Elle existe toujours dans les associations de promotion de l'alphabétisation et chez ceux qui collaborent avec nous.

Le sénateur Fairbairn : Ça existe dans les provinces?

M. Cousineau : Oui. Les provinces sont maintenant de la partie et veulent être dans le coup. C'est le gouvernement fédéral qui est absent. Il faut qu'il dise qu'il est temps de s'y mettre et de se joindre à nous. Le Canada est prêt. Nous avons toutes les données et toute l'information. C'est la volonté qui semble manquer.

Mme DesBrisay : Cela nous enthousiasme beaucoup parce que nous estimons que nous pouvons apporter une contribution importante comme coalition de coalitions. De fait, le travail continue entre les coalitions et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Je pense que l'élan viendra de la base. Nous aimerions toutefois que le gouvernement fédéral vienne nous retrouver à mi-chemin.

M. Cousineau a parlé du rapport du Conseil canadien sur l'apprentissage. On y disait que la première mesure à prendre était de fixer des objectifs pancanadiens d'alphabétisation et d'apprentissage continu, après quoi il faudrait élaborer des stratégies et des instruments pour les apprenants de tous âges.

Le sénateur Fairbairn a parlé du rapport du comité. Je nourris un certain espoir du fait que le ministre des Ressources humaines et du Développement social, M. Solberg, siégeait au comité parlementaire qui a entendu tous les témoins dire ce que nous disons aujourd'hui.

Le président : L'eau a coulé sous les ponts depuis.

Le sénateur Fairbairn : Je suis heureuse que vous soyez ici et que nous puissions entendre ce que vous avez fait, ce que vous avez réussi à faire et ce que vous voulez faire. Je ne suis pas rassurée, toutefois, d'entendre que votre situation pour l'avenir est critique. Le Canada ne peut tout simplement pas laisser cela arriver.

Le sénateur Trenholme Counsell : À mon grand regret, j'ai appris hier que la réduction de budget de 17,7 millions de dollars représente 17 ou 18 p. 100 de l'ensemble des suppressions à Ressources humaines et Développement social Canada. Cela me renverse.

Pour moi, la principale conséquence de ces suppressions, d'après ce que je sais personnellement et d'après mes contacts, se fera sentir sur les coalitions d'alphabétisation des provinces. J'estime quant à moi que ces coalitions sont très importantes. Quelqu'un a dit que ce sont elles qui cimentent l'effort. Si toutes ces personnes excellentes qui travaillent à tous ces projets et programmes, que ce soit Laubach ou Frontiere College ou une petite bibliothèque ambulante dans un quartier défavorisé de Saint John, ne peuvent pas se retrouver, échanger et s'inspirer les unes des autres et songer à l'avenir et faire des projets, alors il y a quelque chose qui manque. J'imagine que c'est province par province.

Par exemple, on m'a dit qu'au Nouveau-Brunswick le bureau de la Fédération canadienne d'alphabétisation en français est fermé.

[Français]

Par exemple, le bureau de la Fédération d'alphabétisation du Nouveau-Brunswick a fermé ses portes. Il est probable que l'organisation continue d'opérer, mais elle le fait désormais sans la coordination du bureau et d'une personne très dédiée à l'alphabétisation.

[Traduction]

J'aimerais savoir ce que vous en pensez parce que vous êtes une organisation nationale. Quelle est la conséquence de cela pour les coalitions et leur rôle. Je veux aussi poser une question à propos de l'évaluation de leurs projets, mais je ne sais pas si j'aurai le temps.

Mme DesBrisay : Vous avez raison de dire que les coalitions servent de ciment. Elles assurent la cohérence au sein d'une province. Par notre regroupement, nous essayons d'établir une plus grande cohérence au pays, y compris en ce qui concerne les évaluations. Un des problèmes, et peut-être une des raisons pour lesquelles nous sommes vulnérables, c'est que nous n'avons pas de cadres au pays qui illustrent les avantages de notre travail. Ça n'apparaît pas tous les dix ans dans les sondages sur l'alphabétisation.

Il y a quelque chose de paradoxal. Nous et les coalitions devions apporter une contribution en nature importante à un projet national de responsabilisation sur le point d'être financé grâce aux fonds d'alphabétisation. Le projet sera très menacé en l'absence des réunions semestrielles organisées par MCL pour rassembler les coalitions. Ils doivent examiner les questions de responsabilisation et d'évaluation partout au pays et inclure cela dans un système cohérent. Il est déplorable que tout cela tombe à l'eau maintenant, précisément au moment où nous avons un plan et entreprenons sa mise en œuvre.

[Français]

M. Cousineau : J'appuie les propos de Mme DesBrisay. Cette semaine, je recevais les courriels de gens du Manitoba. Certains centres doivent fermer leurs portes. Les autres occupent tout leur temps à rédiger de nouveau et modifier les projets soumis afin de se conformer aux nouveaux critères. Ils ne peuvent donc remplir leurs tâches en ce moment, ils doivent plutôt consacrer ce temps à modifier des rapports.

J'ai reçu des courriels de gens du Nouveau-Brunswick me demandant ce que fait la Fédération. Ces personnes ont besoin de notre soutien. La situation au Nouveau-Brunswick est tout de même incroyable. En effet, 66 p. 100 des francophones au Nouveau-Brunswick ont de la difficulté et se trouvent aux niveaux 1 et 2. C'est dans cette province que le problème est le plus grave.

Les partenaires aussi nous appellent. J'ai reçu hier un appel du CELF. En collaboration avec ce centre, nous invitons les nouveaux apprenants à se valoriser en rédigeant un texte auquel nous décernons un prix de la francophonie. Nous n'avons toujours pas obtenu de réponse concernant la subvention pour le Prix de la francophonie.

À ce moment-ci, habituellement, nous commençons à planifier la Semaine de l'alphabétisation. Nous n'avons, à ce jour, reçu aucune information à ce sujet pour élaborer les outils nécessaires. Doit-on mettre les choses en marche ou laisser tomber? Nous n'avons aucune réponse.

Ce sont donc ces délais auxquels nous devons faire face. Nous aussi, à la Fédération, attendons des réponses pour nos propres projets. Nous avons apporté les modifications nécessaires et espérons toujours qu'elles seront accueillies. Voilà donc le grand défi actuel.

[Traduction]

M. Ramsay : Je peux vous en parler d'un point de vue légèrement différent. Après environ un an de consultations organisées par RHDSC suivi d'une année de préparation d'une proposition, on nous a donné des fonds afin de créer une version pour le milieu de travail et pour la main-d'œuvre de ce que nous avons dans notre base de données nationale normale pour l'alphabétisation des adultes. Notre financement et notre taille ont à peu près doublé au moment où les suppressions ont été appliquées à d'autres secteurs des milieux d'alphabétisation. Les suppressions n'ont pas eu d'effet sur ce qui nous est arrivé. De fait, nous nous en sommes assez bien tirés et nous nous en sommes réjouis. Il est difficile toutefois de se réjouir quand on voit les dégâts qui nous entourent. Les organisations que M. Cousineau et Mme DesBrisay représentent, et les organisations qui sont dans les provinces et les territoires, permettent de concentrer l'effort d'alphabétisation, de clarifier les problèmes et de diriger les activités. Ensemble, elles créent la cohésion dont vous parlez.

Même une organisation comme la mienne, qui n'a pas souffert des suppressions comme les autres, nous souffrons parce que la cohésion n'est pas là pour nous aider à faire les choses que nous faisons. Cela nous influence autant que les autres organisations.

[Français]

Le sénateur Pépin : Madame DesBrisay, vous nous avez parlé des coupures qui s'annoncent et des nouvelles directives. Vos organismes ont-ils été consultés, avant l'annonce du nouveau budget, sur les nouvelles directives ou façons de s'organiser? Plutôt que d'apprendre tout simplement que les normes ont changé et recevoir les nouvelles directives d'en haut, n'aurait-il pas été préférable que ces directives viennent d'en bas?

[Traduction]

Mme DesBrisay : Personne ne nous a prévenus des suppressions. De fait, nous n'avons pas été consultés. Notre organisation n'a pas subi de suppressions; nous avons seulement attendu six mois une réponse et nous mourrons à petit feu. Personne n'a réagi à notre proposition mais nous avons entendu à travers les branches que de nouvelles règles ont été créées sans consultation. C'est difficile parce qu'on nous a beaucoup consultés ces dernières années. Nous avons les connaissances, et nous les avions rassemblées de manière à être prêts à discuter avec le gouvernement, à travailler avec lui, à rassembler nos esprits pour essayer de régler nos problèmes. Jusqu'à présent, nous n'avons réussi à parler à personne.

[Français]

Le sénateur Pépin : Monsieur Cousineau, vous parlez du financement stable et à long terme. Actuellement, le financement est de deux ans?

M. Cousineau : Nous pouvons soumettre quelques projets pluriannuels. Nous aimerions que les choses se fassent sur une plus longue période. La plupart de nos projets ne sont que d'un an ou moins. Tout est donc constamment à recommencer et nous nous trouvons toujours en attente. C'est pourquoi maintenant on en souffre tant. Les gens attendent des réponses, ne savent pas, donc le financement est terminé. Comment maintenir les choses en place en attendant de recevoir une réponse?

Le sénateur Pépin : Je pensais qu'il était question d'un financement sur deux ans.

M. Cousineau : À la fédération, certains des projets se font sur plus d'un an. Par conséquent, nous en souffrons un peu moins qu'à l'organisme de Mme DesBrisay. Certains de nos projets, déjà approuvés, sont toujours en marche.

Le sénateur Pépin : Lorsqu'on parle de financement à long terme ou renouvelable, que souhaiteriez-vous?

M. Cousineau : Nous avons préparé des plans détaillés de rattrapage sur 10 ans.

Il faut une vision de dix ans pour changer les choses de façon considérable. Il faut un effort continu, une cohésion et une permanence dans les efforts. Sinon, on prend beaucoup de temps à démontrer la valeur de ce qu'on vient de faire, et à convaincre qu'il faut faire un autre effort pour continuer ce qu'on vient d'amorcer. On est prêt à être redevable.

[Traduction]

Nous sommes prêts à rendre des comptes. Nous sommes prêts à révéler les détails des principaux indicateurs, à nous surveiller nous-mêmes et à prouver qu'on l'a fait. À la fédération, on a les outils.

[Français]

Nous allons essayer d'enseigner cela à nos joueurs aussi afin qu'ils aient les outils nécessaires. C'est important que l'argent des Canadiens soit bien dépensé et on est prêt à cela aussi.

Le sénateur Pépin : Vous dites que le pourcentage de littératie des francophones, est de 55 p. 100 par rapport à 39 p. 100 pour les anglophones. Dans les régions éloignées, au Manitoba et au Nouveau Brunswick, vous dites que les programmes ont été fermés. Y a-t-il une explication?

M. Cousineau : Il y a en plusieurs. Mettons le Québec de côté pour l'instant. Quand la langue est en minorité, les efforts et les défis sont plus grands. Historiquement, on peut expliquer bien des choses. Si l'école de langue française et les commissions scolaires contrôlées par les francophones n'étaient pas disponibles, que les programmes d'immersion de langue française dans une école anglaise ont été des échecs, il y a du rattrapage à faire. Les efforts en sont de refrancisation, pas nécessairement d'alphabétisation. Il faut recréer la vitalité. Cela explique beaucoup de choses, mais pas tout.

Cependant, on voit des améliorations. On nous dit qu'on a échoué, mais si on regarde les statistiques, des gens qui sont passés du niveau 1 au niveau 2, il y a une progression. Il faut regarder les choses telles qu'elles sont. Certains, qui étaient du niveau 3, sont passés au niveau 4 et au niveau 5. L'amélioration s'est faite par l'éducation obligatoire jusqu'à l'âge de 16 ans au Québec par exemple. On se rend compte que sur le plan de la francophonie, malgré tout cela, il y a encore bien des choses à clarifier. Pourquoi les francophones lisent-ils moins mêmes s'ils sont scolarisés? Pourquoi n'achètent-ils pas et ne possèdent-ils pas de livres? C'est un phénomène dans l'ensemble du Canada, même au Québec.

Au Nouveau-Brunswick, il y a des explications supplémentaires. C'est tentant pour un jeune d'abandonner l'école après son secondaire II ou III. Il a un travail qui lui semble assez payant, mais il est sous alphabétisé. S'il perd son emploi, il ne sera pas suffisamment équipé.

En ce qui concerne l'alphabétisation en milieu de travail ce sont les plus alphabétisés qui iront chercher les programmes. Ils réalisent ce qu'ils possèdent et souhaitent être meilleurs et ne veulent pas perdre ce qu'ils ont. Ceux qui sont sous alphabétisés ou moindrement alphabétisés ne se sentent peut-être pas à l'aise de s'afficher. Il y a bien des solutions à trouver dans le secteur de l'emploi. C'est un des grands facteurs au Nouveau-Brunswick et ailleurs au Canada.

[Traduction]

Le président : Je vais poser une question complémentaire à Mme DesBrisay.

Vous avez dit, en réponse à une question du sénateur Pépin, que vous attendez depuis six mois une réponse à votre demande de financement, et que vous n'avez pas encore cette réponse. Par le passé, combien de temps ce processus prenait-il habituellement?

Mme DesBrisay : Par le passé, cela pouvait prendre à peine un mois. Dans un mois, ce sera la fin de l'exercice. Ils nous auront complètement laissés tomber cette année.

Le sénateur Callbeck : Merci d'être venus et merci de l'excellent travail que vous faites dans le domaine de l'alphabétisation.

J'ai une question à poser à Mme DesBrisay. Vous avez parlé de votre organisation et vous avez dit que vous aviez aidé des milliers de Canadiens à changer leur vie. Vous méritez des félicitations. Nous espérons que vous recevrez des fonds et que vous serez en mesure de continuer.

Vous avez mentionné que les nouvelles lignes directrices avaient coupé l'herbe sous le pied de bon nombre d'organisations. En quoi est-ce que ces lignes directrices ont changé pour les coalitions provinciales?

Mme DesBrisay : Lorsque nous avons dit que nous avions aidé des centaines de milliers de Canadiens à changer leur vie, je voulais dire que toute la collectivité avait aidé. Les lignes directrices ont changé en ce sens que l'une des nouvelles lignes directrices dit que le projet doit avoir un début, un milieu et une fin, de sorte qu'il s'agit là d'un processus limité dans le temps; et il doit offrir des avantages tangibles, mesurables, aux apprenants individuels.

Il est difficile pour une organisation nationale d'établir les avantages tangibles qu'elle a offerts aux apprenants en première ligne. Lorsque nous travaillons avec une organisation nationale, nous tentons d'habiliter les coalitions. Nous préparons de la documentation, par exemple, pour communiquer l'information au sujet de l'enquête internationale sur l'alphabétisation. Nous préparons un modèle à l'intention de toutes les coalitions. Elles n'ont pas beaucoup de travail à faire pour l'adapter. Elles l'envoient à leurs membres qui ajoutent leur information locale. C'est un exemple. C'est là une ligne directrice pour laquelle il est difficile pour un groupe de coordination de montrer comment, au cours d'une année, cela va changer la vie d'une personne. Un programme de première ligne peut le faire.

Je ne sais pas exactement comment cela s'inscrit dans les lignes directrices; j'imagine que cela a quelque chose à voir avec l'apprenant individuel. L'une des propositions de la coalition était d'offrir un programme de perfectionnement professionnel aux enseignants dans leur province. C'est une proposition sur laquelle ils travaillent. Ils obtiendront sans doute du financement pour cela. Une autre proposition était d'offrir un programme de perfectionnement professionnel aux conseils d'administration des organismes d'alphabétisation. On a carrément rejeté cette proposition. Les conseils d'administration des organismes d'alphabétisation, qui sont des bénévoles au sein d'une collectivité — et c'est en quelque sorte une province non nantie — font une différence pour les apprenants. Des projets comme ceux qui portent sur la mise sur pied des organisations ont été éliminés.

Le sénateur Callbeck : Vous avez présenté votre demande au mois d'août et vous n'en avez plus entendu parler. Avez-vous tenté de communiquer avec eux?

Mme DesBrisay : Oui.

Le sénateur Callbeck : Personne ne retourne vos appels?

Mme DesBrisay : J'ai parlé à certaines personnes. J'ai même parlé au directeur, au directeur général, au sous- ministre et au sous-ministre associé. Ils ont tous dit : « Nous allons tenter d'obtenir une réponse ». Ils sont tous revenus en me disant : « Je n'ai pas pu obtenir de réponse. »

Je pense qu'ils ne savent pas quoi faire avec notre proposition. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas parce que nous n'avons pas fait de demande; nous en avons fait une à toutes les deux ou trois semaines.

Le sénateur Munson : J'ai été intrigué, monsieur Ramsay, lorsque vous avez dit « incapable de lire et d'écrire assez bien ». Je suis curieux de savoir s'il y a des statistiques sur le nombre de diplômés d'écoles secondaires qui entrent en première année à l'université et qui ne peuvent lire ou écrire assez bien? Je ne veux pas donner un exemple trop personnel au sujet de ma propre famille, mais ce que me disent quelques étudiants de l'Université d'Ottawa et d'autres universités, c'est qu'il y en a qui ne peuvent pas lire assez bien et qui ne comprennent pas ce qu'on leur enseigne. S'ils n'arrivent pas à lire et à écrire assez bien, existe-t-il des programmes dans le mouvement d'alphabétisation pour les aider?

Nous avons entendu l'histoire de Jacques Demers. C'est différent. C'est un genre de préjugé différent car une personne croit être douée pour les études et tout à coup s'aperçoit que ce n'est pas le cas parce qu'elle ne peut pas lire et écrire assez bien.

M. Ramsay : Sénateur, je ne connais pas les statistiques, mais peut-être que M. Cousineau ou Mme DesBrisay pourront m'aider à cet égard. Certainement qu'il y a des gens qui peuvent faire toutes leurs études mais se retrouvent dans une situation où on les juge, notamment leur employeur qui décide que leurs compétences en lecture et en écriture ne sont pas assez bonnes pour leur poste.

Je ne suis pas au courant qu'il existe un programme qui s'adresse aux gens qui ont de tels problèmes et qui vise à améliorer leurs compétences. Il y a tellement de préjugés auxquels on s'expose lorsque l'on a un diplôme universitaire et qu'on avoue une telle chose que souvent les gens ne demandent pas d'aide lorsqu'ils se retrouvent dans une telle situation.

C'est peut-être moins courant, mais on fait de la recherche à l'heure actuelle sur les résultats scolaires au primaire pour déterminer la différence entre les garçons et les filles dans leur façon de lire, dans leurs habitudes de lecture, et pourquoi ces différences existent. On s'aperçoit que les jeunes garçons apprennent grâce à d'autres activités les compétences qui sont habituellement apprises en lisant, notamment des jeux à l'ordinateur et avec d'autres jouets technologiques. Cela ne leur donne pas la même fluidité en lecture, mais cela leur donne le genre de compétences dont ils ont besoin pour résoudre certains types de problèmes dans le cadre de certains emplois.

C'était le cas de mon fils. Lorsqu'il est allé à l'Université du Nouveau-Brunswick, il a dû subir un test d'aptitudes en lecture et en écriture. J'ai été absolument étonné qu'il réussisse; et il connaît beaucoup de succès depuis.

Je crois qu'il a appris à lire par le biais d'autres activités qui lui ont appris ce que savoir bien lire pouvait apporter, sans qu'il ait l'amour de la lecture comme moi, par exemple.

Le sénateur Munson : Y a-t-il des gens qui glissent entre les mailles du filet et qui s'aperçoivent qu'ils n'ont nulle part où s'adresser pour améliorer leurs aptitudes en écriture et en lecture même s'ils sont intelligents? Peut-être que le mouvement d'alphabétisation pourrait aider à combler une telle lacune.

M. Cousineau : Je n'ai pas de statistiques. Notre rôle est dans le domaine de l'éducation non scolaire — avant d'aller à l'école et après les années d'école. Nous intervenons lorsqu'ils quittent l'école et nous tentons de les aider par la suite tout au long de leur vie. En tant qu'organisation, nous avons appris grâce à la recherche, au financement et à nos partenariats qu'il est important pour un enfant de commencer à apprendre à communiquer non seulement oralement, mais aussi par écrit le plus jeune possible pour apprendre la langue.

[Français]

La période de la petite enfance, de zéro à cinq ans, est une période très importante parce que c'est dans cette période que l'enfant a l'habilité d'apprendre des langues. Le grand défi, pour les francophones en milieu minoritaire, est que les parents parlent français à leur enfant le plus possible et que les enfants aillent dans une garderie francophone. Il ne faut pas avoir peur de perdre sa langue première parce qu'on est bilingue. Il y a plein de mythes qu'il faut briser pour faire l'apprentissage.

[Traduction]

Faire l'apprentissage d'une langue et apprendre à aimer la lecture s'acquièrent au tout début de l'enfance avec les parents. C'est ce que nous tentons de faire, et si nous avons du succès, ils réussiront mieux à l'école; et nous le savons. Même si les écoles ne réussissent pas, les étudiants peuvent continuer et aller à l'université. J'ai vu ma fille décrocher un doctorat et, même si je ne pensais pas qu'elle avait de très bonnes aptitudes en lecture et en écriture, elle a reçu un prix à la fin de ses études. Même s'ils sont toujours à l'école, des changements peuvent se produire, alors il ne faut pas se décourager. Cependant, s'ils quittent l'école, selon le niveau où ils sont lorsqu'ils abandonnent ou quittent l'école, nous pouvons peut-être les aider. C'est pour cette raison que l'éducation et l'apprentissage continu sont importants.

Le sénateur Cochrane : Je vais poser une question à Mme DesBrisay au sujet de l'enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes, l'EIAA. Avez-vous lu le questionnaire de l'enquête? Avez-vous tenté d'évaluer les statistiques? Les chiffres sont alarmants : 42 p. 100 des Canadiens ont une faible capacité de lecture et d'écriture.

Mme DesBrisay : Si vous parlez des questions, non. Tout au long du sondage, il y a des questions types. Il est important de savoir qu'entre les niveaux 1 et 2, il y a toutes sortes de catégories de gens, depuis ceux qui sont incapables de lire et d'écrire jusqu'à ceux qui peuvent lire et écrire jusqu'à un certain niveau de compétence. Je sais que pour être à ce niveau-là, il faut répondre à 80 p. 100 des questions en donnant la bonne réponse. Si quelqu'un donne 79 p. 100 de bonnes réponses au niveau 3, il tombe au niveau 2. On place donc la barre relativement haute. Tout en haut du niveau 2, un niveau qui est néanmoins considéré comme insuffisant, on trouve énormément de gens qui sont somme toute comme tout le monde. Mais peut-être ces gens ne lisent-ils pas beaucoup au quotidien.

La société exige un niveau de compétence élevé pour pouvoir manipuler l'information, la résumer et y répondre. Lorsqu'on dit que dans la population, 42 p. 100 des gens sont des analphabètes fonctionnels, c'est fort exagéré. On trouve en effet tout en haut du niveau 2 bien des gens comme des étudiants, qui peuvent très rapidement améliorer leur niveau de compétence en suivant un cours spécial. Il est toujours possible d'améliorer ses compétences en milieu de travail en suivant des cours axés sur telle ou telle tâche propre au travail qu'on fait. N'oublions pas qu'il y a un énorme écart entre les différents niveaux. J'espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Cochrane : Certainement. Monsieur Ramsay, pourriez-vous nous dire combien de gens utilisent votre programme Internet? Je sais que le nombre a augmenté, mais cela pourrait s'expliquer par la participation de l'étranger, n'est-ce pas?

M. Ramsay : En effet.

Le sénateur Cochrane : Pourriez-vous nous donner une idée du genre de matériel qu'on peut trouver dans vos cours sur Internet?

M. Ramsay : Nous avons une configuration semblable à celle d'une bibliothèque, qui permet aux gens d'emprunter des livres réels. Nous avons toute une collection de documents de recherche qui comportent, par exemple, des articles d'opinion sur ce qu'il conviendrait de faire, ou encore l'une ou l'autre information sur les différentes activités ou le type plus rigide de recherche universitaire. Nous avons également une collection de matériels d'apprentissage destinés aux enseignants, aux formateurs qui donnent des cours privés, voire aux apprenants eux-mêmes et qui leur permettent d'améliorer leurs compétences. Tous ces matériels peuvent être téléchargés et imprimés gratuitement.

Il y a aussi une bibliographie annotée de tous les matériels disponibles dans le commerce — et que nous ne pouvons ajouter à nos bibliothèques pour des raisons de droits d'auteur — et qui permet aux gens de savoir ce qui existe. Ils peuvent consulter notre catalogue et ainsi découvrir ce qui existe. Nous avons une grosse collection d'histoires écrites par des apprenants. Depuis 12 ans, nous publions une histoire de ce genre tous les lundis matin en anglais et en français. Nombreux sont les apprenants qui la lisent pour savoir ce que d'autres gens comme eux disent un peu partout au Canada.

Le sénateur Cochrane : Ce programme repose-t-il sur des gens qui savent déjà lire?

M. Ramsay : Il s'adresse principalement aux praticiens, aux enseignants, aux chercheurs et aux chargés des politiques.

Le sénateur Keon : Je vous félicite, monsieur Ramsay. Ce site Web semble formidable. Il y a trop de banques de données qui ne sont pas vraiment des mines d'information. En d'autres termes, ces banques de données ne contiennent pas les informations fondamentales dont les gens ont besoin pour pouvoir évaluer les programmes et savoir ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qui marche bien et ce qui ne marche pas, et pour apporter les correctifs nécessaires. En vous écoutant, j'en viens à conclure que c'est précisément cela qui ne va pas. Hier, à la fin de la journée, j'étais persuadé de savoir ce qui n'allait pas : en l'occurrence, que personne ne mesure ce genre de choses et que personne ne sait comment apporter les correctifs et les changements nécessaires.

Vous avez accompli énormément et je vous en félicite.

En êtes-vous arrivé à découvrir comment accéder aux ressources nécessaires pour pouvoir comparer les programmes, afin de donner aux chargés de politiques et aux enseignants, ainsi qu'à tous les autres intervenants, les outils dont ils ont besoin pour procéder à ce genre de mesures et apporter les changements nécessaires?

M. Ramsay : Notre rôle est un rôle de fournisseur de ressources. Pour l'essentiel, ces ressources, nous ne les créons pas nous-mêmes. Nous allons chercher celles qui sont produites par d'autres Canadiens.

Par contre, un professeur de l'Université St-François-Xavier à Antigonish, Allan Quigley, a évoqué dans une de ses communications sur la situation actuelle du domaine de l'alphabétisme au Canada l'essentiel des travaux de recherches en parlant de quantification. Nous savons combien, mais nous ne savons pas ce qui fait la différence. Il faudrait expressément aller chercher, dans les travaux de recherches déjà effectués, ces perles qui nous apprendront à faire avancer les marqueurs.

Mme DesBrisay : Examiner l'état actuel du travail, ce que nous devons maintenant faire, faisait partie de notre proposition. Vous avez parfaitement raison, c'est un domaine qui ne bénéficie d'aucun financement, un projet qui compte sur énormément de bénévoles, de sorte qu'il reste encore maintenant à orchestrer un système d'évaluations et de mesures. Cela fait partie de notre plan. Nous savons que les gouvernements provinciaux y travaillent également. Il faut maintenant l'engagement et les ressources nécessaires pour aller de l'avant avec ce genre de cadre et de travail de mesure.

M. Cousineau : Nous étions à Toronto pendant deux jours et demi, nous en sommes d'ailleurs revenus hier soir, dans le cadre d'un réseau qui s'appelle « clearnet » et qui regroupe tous ceux qui s'intéressent à l'alphabétisme : chercheurs, organismes comme le nôtre, formateurs, enseignants, intervenants en santé et en éducation. Tout le monde était là. Ces gens connaissent l'information. Ainsi réunis, nous savons ce qui marche et ce qui ne marche pas. Nous avons été incapables, faute de ressources, de ramener la chose aux gouvernements provinciaux et territoriaux pour leur montrer ce qui marchait vraiment au niveau préscolaire et ce qui marche le mieux avec les adultes. Nous avons appris énormément en 20 ans. Nous avons maintenant les outils nécessaires, et il nous faut une démarche nationale pour obtenir ce qui marche bien et utiliser ces outils du mieux possible pour arriver à changer le marché et, cinq ans plus tard, pour faire un autre sondage statistique.

Nous avons déjà fait des progrès. Je ne suis pas d'accord lorsqu'on dit que tout cela a été un échec. Cela n'a pas été un échec, mais il nous faut davantage de ressources pour faire mieux encore.

[Français]

Le sénateur Chaput : Madame DesBrisay, vous avez parlé de sept organisations. Sur environ 38 personnes qui y travaillaient, vous avez indiqué que 16 ont dû être libérées de leurs fonctions.

[Traduction]

Mme DesBrisay : Non, je disais simplement que nous chapeautons plus de 13 organismes différents. Six d'entre eux, comme nous d'ailleurs, ont mis à pied du personnel. Lorsque je dis que 16 personnes ont perdu leur emploi, ce ne serait pas grand-chose si l'effectif total était de plusieurs centaines de gens, mais ces six organismes, plus nous, totalisaient 38 employés, et il n'y en a plus que 22 maintenant.

[Français]

Le sénateur Chaput : Les chiffres exacts m'importent peu pour l'instant. On nous dit que des compressions budgétaires n'ont pas eu lieu et n'auront pas lieu. Or, la raison pour laquelle ces personnes ont été remerciées de leurs fonctions serait dû, par exemple, au fait que le financement se terminait à la fin du mois de mars 2006. Les projets ont dû être modifiés en fonction de nouveaux critères, et les organismes n'ont toujours pas obtenu de réponse à leur sujet. Par conséquent, faute de ressources et de financement, ils ont fermé leurs portes. Est-ce une bonne analyse de la situation?

[Traduction]

Mme DesBrisay : Oui.

Le président : Merci beaucoup à tous nos panélistes.

Notre second panel est composé de quatre personnes qui sont venues nous raconter leur cas personnel, et je vais vous les présenter au fur et à mesure.

La première sera Mme Cadieux. Elle est apprenante depuis quatre ans et elle bénéficie des services offerts en français par le Centre à la page d'Alexandria, ce centre faisant partie de la Coalition francophone pour l'alphabétisation. Françoise a été choisie parmi tous les apprenants ontariens pour siéger au Réseau permanant des apprenants de la Coalition canadienne pour l'alphabétisation, et elle a également été nommée au conseil d'administration de la Fédération canadienne d'alphabétisation, l'organisme dont nous venons d'entendre les représentants.

[Français]

Françoise Cadieux, à titre personnel : J'ai cinq minutes? C'est pas beaucoup. J'en aurais un livre à vous compter. Comme vous avez reçu tous les papiers, je peux couper pas mal. J'ai rien qu'à vous dire que je suis une apprenante des adultes. Je représente toutes les provinces du Canada. Il y en a une dans chaque province qui vient se présenter à la Fédération et pis moi, je suis en charge d'eux. Quand qui ont quelque chose à demander, ils m'appellent. Ces affaires là. Pour ma vie à moi, j'ai été renfermée toute ma vie. Mes enfants le savent depuis quatre ans que je ne savais pas lire ni écrire. Cela a été comme une prison. Ma santé, cela a été des hauts pis des bas. La question est que le monde peut pas le savoir de que c'est j'ai passé à travers. Parce qu'il y en a qui savent lire mais y en a qui le savent pas. On dépresse vite. On essaie d'être forte pour les enfants et toutes ces affaires-là, mais c'est pas drôle. Je pourrais brailler, mais on va essayer de se calmer.

Mais, aujourd'hui, je suis heureuse, vraiment heureuse. Là comme c'est là, je vais enseigner. C'est rien que pour vous dire. Je vais enseigner à l'école Saint-Bernard du préjardin à la troisième année. Je leur raconte des petites histoires et les petits enfants, on demande la couleur, à compter, ces affaires-là. Pour moi, je suis heureuse de leur montrer cela parce que c'est que j'ai manqué avec mes enfants. Des fois, ils arrivaient avec des lettres, je disais : lis-moi le toi. Je veux voir quel niveau t'es rendue, comment t'es bonne. Ils me demandaient des affaires : Mom, qu'est-ce ça veut dire ça? Ils m'ont toujours dit que le dictionnaire, y avait tout là-dedans. Je disais va voir dans le dictionnaire, tu vas t'en souvenir plus. Toutes des petites choses que j'essayais. Mais souvent, j'ai été déprimée pour des choses comme ça. Je voulais pas leur dire parce que j'avais peur qu'ils me disent : « Mom, t'es niaiseuse, t'as jamais été école toi. Pourquoi tu viens m'enseigner des affaires comme ça ». J'ai jamais voulu le dire. Ç'a été un secret que j'ai ouvert il y a quatre ans passé et je suis heureuse aussi que peut-être que je l'aurais dit avant, mais j'étais pas capable. Mon mari le savait mais une chance que j'ai un bon mari pis qu'il a bien de la patience.

L'autre chose que je voulais vous compter, je sais pas si ça va vous aider mais, il y a sept ans passés, mon frère s'est tué. Pourquoi? Parce que sa femme qui a dépendu sur lui toute sa vie était plus là. Il s'est découragé et il s'est mis une balle. Ça aussi ça m'a saisi. Je me disais : « Écoute! Moi aussi j'en ai fait une dépression et j'en ai avalé des pilules mais aujourd'hui « no way » je le ferai plus ». Quand tu sais pas lire et essayer d'aider à d'autres, il faut qu'ils passent à travers que c'est que je passe. Mais depuis que je sais lire, pas assez encore parce que là je peux aller à Cornwall. Je peux m'enligner d'où que je va, mais déjà avant, je pouvais pas.

Ah oui, y a une chose que je peux vous compter. J'ai pris le cours d'Internet avant Noël. Mon fils qui est déménagé, que mon histoire, à Vancouver, j'avais pas vu mes petits-enfants ça fait un an et demi. Depuis j'ai pris le cours avant les fêtes, je peux voir mes petits-enfants. Vous savez pas qu'est-ce que c'est voir des enfants si loin pis on peut pas les voir. Je suis heureuse de ça quand je les vois jouer dans la maison. Y en aurais un livre à vous compter.

Vous pensez qu'une école comme la mienne, ils savent comment nous prendre. Quand j'ai arrivé la première fois, ils m'ont reçu à la porte que je voulais pas rentrer du tout. J'avais peur de rentrer. Ils sont là et pis des fois, on déprime un peu et ils nous encouragent. Mais accepté la coupure qu'on a eu vraiment peur les apprenants. Vous savez pas combien j'ai eu d'appels pour ça. Pis je leur disais : attendez, c'est pas fini. Je sais qu'on a peur, mais on a essayé de ménager aussi à l'école. Avant, ils m'envoyaient des devoirs à la maison et on pouvait pas se servir de l'imprimante, astheure parce que ça coûte cher les feuilles. Juste à essayer de couper, vous savez pas comment que moi, des fois je me lève à 2 heures du matin, si j'ai des devoirs à faire, bien ça me fait une chance ou que j'ai quelque chose qui me tracasse, bien je fais des devoirs. Si on peut plus les avoir nos devoirs à la maison, c'est beaucoup pour moi. Parce que je peux pas être là sept jours par semaine à l'école, mais j'aimerais cela aussi là, mais je fais ce que je suis capable de faire.

Là-bas à l'école, ils nous comprennent. Ils prennent le temps, c'est ça que j'aime. Sans ça, je serais pas là.

[Traduction]

Le président : Nous allons maintenant entendre Dianne Smith, qui a abandonné l'école en 9e année pour reprendre ses études de nombreuses années plus tard et obtenir finalement son diplôme à la veille de son 50e anniversaire. Je ne suis pas sûr de pouvoir parler d'âge ici. Elle est la propriétaire et l'exploitante d'un centre de soins communautaires, Smith Lodge, à Charlottetown. En septembre dernier, elle a été la toute première à recevoir le Prix pour l'alphabétisation décerné par le Conseil de la Fédération pour l'Île-du-Prince-Édouard. Elle a été citée en exemple comme apprenante adulte ayant réussi à améliorer considérablement elle-même son niveau d'instruction, et elle a été une inspiration pour beaucoup d'autres gens.

Dianne C. Smith, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole aujourd'hui. Il y a de nombreuses années, je n'aurais jamais imaginé, je n'aurais jamais cru qu'un jour, après 35 ans passés à travailler dans des emplois que certains préféreraient ne pas devoir quitter, je serais appelée à prendre la parole ici pour avoir réussi en affaires. J'étais résolue à changer et à acquérir les moyens d'offrir à mes enfants comme à moi-même une meilleure sécurité mais, plus important encore, à devenir un exemple pour mes enfants. Mes enfants savent que j'ai travaillé dur pour faire mes études, et ils savent à quel point un diplôme est utile de nos jours. Je savais qu'il fallait que je fasse quelque chose pour avoir un meilleur niveau d'instruction, et je savais également que le temps pressait.

Quand on parle des gens de l'Île-du-Prince-Édouard qui n'ont pas pu progresser par manque d'aptitudes en lecture et en écriture, c'est de moi qu'on parle. Je n'ai pas appris à lire et à écrire quand j'étais jeune pour toutes sortes de raisons. Quand j'ai élevé mes enfants, je savais que je devais trouver un meilleur travail et mieux assurer la sécurité de ma famille. Je savais que je devais travailler plus intelligemment, et non plus fort.

Pour commencer, j'ai dû apprendre à lire plus couramment. Pour cela, j'ai compté sur la communauté. Premièrement, des tuteurs bénévoles m'ont aidée à apprendre à lire. Ensuite, je savais que je pouvais entreprendre ma 12e année. J'ai tiré profit de la possibilité de fréquenter le Collège Holland et de suivre le programme de préparation au test de connaissances générales. C'était un programme gratuit financé par le gouvernement.

Par la suite, j'ai remporté deux bourses de 500 $ de la Prince Edward Island Literacy Alliance. Cela m'a aidée à payer mes cours de méthode synthétique. J'ai obtenu mon diplôme de 12e année la veille de mon 50e anniversaire.

Après la 12e année, j'étais prête à me lancer en affaires. J'ai été chanceuse. Des gens d'affaires m'ont donné des conseils. Je suis maintenant fière d'être propriétaire d'un établissement de haut niveau de soins communautaires accrédité qui compte 27 lits, à Charlottetown. Mon entreprise compte 15 employés, dont des personnes qui fournissent des soins aux résidents, des travailleurs, un superviseur des infirmières autorisées, des chefs et, au besoin, des gens de métier.

J'ai fait beaucoup de chemin grâce à l'aide de la communauté, du gouvernement et des gens d'affaires. Voici des propositions sur la façon d'améliorer les programmes d'alphabétisation afin que les gens y participent et obtiennent l'aide dont ils ont besoin : premièrement, il faut offrir plus de programmes gratuits pour adultes dotés de mécanismes de soutien, entre autres des services de garderie et de counselling. Les apprenants adultes ont souvent des problèmes de faible estime d'eux-mêmes ou d'autres problèmes personnels qui entravent leur apprentissage. Ils ont grand besoin d'être encouragés et ils ont souvent besoin qu'on leur donne une deuxième chance, surtout s'ils ont eu une faible estime d'eux-mêmes toute leur vie, s'ils ont été dénigrés ou qu'ils ont toujours occupé des emplois sans avenir.

Deuxièmement, il faut offrir aux adultes plus de services d'évaluation afin qu'ils puissent entreprendre leur formation au niveau qui convient. Apprendre à lire, c'est la première étape si l'on veut apprendre et faire des études. On ne peut pas étudier si l'on ne sait pas lire. Nous avons tous besoin d'une formation de base, mais cette formation doit être entreprise au niveau qui convient pour la personne. Autrement, c'est difficile et il devient facile d'abandonner.

Troisièmement, il faut faire passer aux adultes des tests d'aptitudes afin qu'ils puissent orienter leur apprentissage vers un métier qui leur est bien adapté. Il est plus motivant d'apprendre si l'on a des perspectives d'avenir. Il faut encourager les gens à s'orienter vers des métiers et d'autres compétences plutôt que vers d'autres emplois de faible niveau.

Quatrièmement, des apprenants adultes doivent participer à la mise en place d'un bon réseau d'alphabétisation, plus particulièrement des groupes d'apprenants, afin que les particuliers, les entreprises et d'autres organismes puissent obtenir de l'information directement auprès d'adultes qui ont des problèmes d'apprentissage ou qui manquent de capacités de lecture et d'écriture.

Nous avons plein de bonnes idées. En fait, un de mes amis, un apprenant canadien, vient d'être élu au Conseil international d'éducation des adultes, car ce conseil croit qu'il est important d'entendre l'avis des apprenants.

En fin de compte, aider un adulte à s'améliorer entraîne de nombreux effets positifs. Les enfants de cet adulte reçoivent un bon exemple au foyer. Cela a également des effets positifs dans la communauté et partout au pays.

Pour ce qui est de mon cas, mes deux enfants ont fait des études supérieures. J'ai un bon emploi et je crée des emplois pour d'autres personnes, en plus de faire ma part pour la société grâce à tout le travail bénévole que je réalise. Comme le dit un de mes amis, ce que l'on apprend nous sert toute notre vie. C'est une phrase importante.

Rien ne pourrait être plus satisfaisant pour moi que de savoir que je peux subvenir moi-même à mes besoins, que je suis libre et indépendante et que je ne dépends de personne.

Les programmes d'alphabétisation m'ont aidée, comme ils ont aidé des centaines d'autres personnes. Mais tant de gens ont encore besoin d'aide. Nous devons travailler de concert pour établir au Canada un réseau d'alphabétisation. Surtout, nous pouvons faire en sorte que tous participent à la société.

Je parlais avec un fonctionnaire, hier, et je lui parlais de mon voyage ici. Je me vantais à qui voulait l'entendre. Il m'a dit : « Vous seriez étonnée de savoir combien de personnes dans ce bureau manquent de capacité de lecture et d'écriture. » Les bras m'en sont tombés. Je sais que le problème existe, mais on commence à peine à le reconnaître.

Nous pouvons aider les personnes qui se trouvent dans une telle situation afin qu'elles ne craignent pas de perdre leur emploi ou d'être placées dans une situation embarrassante. C'est très important.

Il faut également enseigner aux gens comment élever leurs enfants, comment se débrouiller, comment s'alimenter, comment se procurer des aliments et des vêtements sur un revenu fixe, comment régler leurs problèmes de santé et comment profiter des occasions qui s'offrent à eux d'améliorer leur vie.

L'analphabétisme n'a pas de visage; les analphabètes peuvent être pauvres ou riches, et il peut s'agir d'employés de bureau qui arrivent à cacher leur difficulté.

Le manque de capacité de lecture et d'écriture peut également se trouver au foyer. C'est important d'aider les adultes autant que les enfants, car les enfants ne réaliseront rien de plus que l'exemple qu'ils reçoivent à la maison. C'est pourquoi j'insiste sur le fait que l'exemple doit venir tant de la base que du sommet.

Notre réseau de conseillers des apprenants compte sept personnes. Nous avons travaillé avec Helen Simpson, Sue Nielson et d'autres, ainsi qu'avec des groupes de consultation. L'une de nos collègues revient de la Conférence internationale sur la santé et l'alphabétisation en Afrique. Nous ne manquons pas de connaissances. Nous sommes toujours prêts à accorder notre aide.

Le président : Notre prochain témoin est Richard Miller, de Clarenville, à Terre-Neuve. Il fréquente le Marine Institute, qui est affilié à l'Université Memorial. Il est marié et père d'un fils et d'une fille.

Richard Miller, à titre personnel : C'est pour moi un plaisir et un honneur de comparaître devant vous aujourd'hui à Ottawa. Je tiens à remercier le sénateur Fairbairn et le comité de m'en avoir donné l'occasion.

Permettez-moi de parler de l'importance de l'alphabétisation et de l'éducation. Avant de revenir aux études, je cachais mon incapacité à lire et à écrire; ma femme elle-même ne s'en est rendu compte qu'après bien des années. Ce sont certaines difficultés que j'ai connues dans ma vie qui m'ont finalement orienté vers l'alphabétisation.

L'une de ces difficultés venait de ce que j'étais à une époque matelot de pont sur une péniche à hydrocarbures. Ne pas savoir lire, quand on occupe un tel emploi, pose un danger. Heureusement, le fait que je ne savais pas lire n'a pas provoqué d'accident.

J'avais 27 ans quand j'ai fait mes premières démarches pour retourner aux études. J'ai quitté l'école quand j'étais encore très jeune pour aller pêcher et travailler en forêt. Je ne savais ni lire ni écrire. Mais j'arrivais à le cacher. Ce qui m'a finalement secoué, c'est qu'un après-midi d'été, alors que mon fils jouait dans la cour, il s'est blessé au doigt et est revenu en courant à la maison. Il fallait que j'appelle pour obtenir de l'aide. Je n'arrivais pas à trouver un numéro de téléphone dans l'annuaire. Je ne savais quoi faire. Mon fils était enfant et la blessure était profonde. Par chance, un ami est arrivé alors que se produisait l'accident. Il a appelé le médecin et nous a amenés à la clinique.

Ce soir là, j'ai pris une longue marche et j'ai réfléchi à l'impuissance dans laquelle je vivais. Je ne pouvais même pas aider mon fils.

Le lendemain matin, j'ai dit à mon épouse que je devais réagir. Elle m'a dit que je devrais essayer de retourner à l'école. Elle a téléphoné au collège, un instructeur lui a dit que je devrais me présenter sur place. Je suis allé passé un examen pour voir à quel niveau je devrais commencer. Je n'arrivais même pas à répondre à la première question.

Ensuite, j'ai appelé Laubach Literacy. Un ami m'avait dit que je pourrais y trouver de l'aide. On m'a demandé de parler à Mme Myrtle Elliott. Elle m'a aidé à apprendre à lire et à écrire, j'y ai consacré quatre heures par jour, en cours privés, pendant six mois. Je pouvais désormais lire des livres et j'arrivais tout doucement à identifier les mots. J'ai commencé par un cours de niveau 1 avec M. Nick Donovan. Il m'a aidé dans mon apprentissage et m'a fourni le soutien nécessaire pour que je persévère. Il était toujours là pour m'aider. Il a consacré de nombreuses heures à travailler avec moi. Il n'était pas question pour lui de me laisser tomber.

J'ai eu beaucoup de coups durs qui m'ont amené à abandonner, mais je recommençais à chaque fois. Quand j'ai commencé à assister aux réunions du conseil de Laubach Literacy et que je suis allé à l'AGM, j'ai pu rencontrer des gens qui comme moi étaient en train d'apprendre. Je n'ai pas lâché. De nouvelles portes s'ouvraient devant moi. J'ai commencé à lire mieux et je me suis mis à lire à voix haute dès qu'il y avait quelqu'un pour m'écouter.

Ensuite, je suis retourné au College of the North Atlantic. Avec l'aide de mon instructeur, M. Donovan, j'ai pu entreprendre des études. À partir de ce moment-là, je me suis efforcé de penser de façon positive et je me suis fixé des objectifs modestes, mais de façon progressive.

Je termine mon cours de sentinelle de pont à l'Institut maritime de l'Université Memorial. Bientôt, je commencerai un stage de formation en cours d'emploi de 60 jours sur un pétrolier qui m'amènera dans différentes parties du monde.

Sachant ce que je sais aujourd'hui au sujet de la sécurité, je refuserais un emploi de 50 000 $ à bord d'un navire si je ne savais pas lire. Autrement, je mettrais en danger ma propre vie et celle des autres personnes à bord.

Pensez-y un instant. Si une personne incapable de lire les étiquettes mettait le carburant dans les mauvais réservoirs ou appuyait sur la mauvaise manette, le bateau pourrait exploser en quelques secondes. Les gens n'auraient même pas le temps de sortir des cabines.

Tout ce que nous apprenons est tellement important. Nous devons avoir des connaissances en matière de sécurité. Il y a quelques années, on pouvait toujours s'en tirer en se fiant à ses compagnons de travail ou en prenant des risques absolument inconsidérés, mais ce n'est plus possible de nos jours.

Je serais très surpris d'apprendre que des membres d'équipage de ces pétroliers ne savent pas lire.

Je vais peut-être poursuivre mes études, mais peut-être pas; dans quelques mois à peine, j'aurai droit à un bon salaire. Je pense que je voudrai alors exercer mon métier tout simplement et subvenir aux besoins de ma famille, qui m'a tellement soutenu jusqu'à maintenant.

Je suis reconnaissant des possibilités qui s'ouvrent à moi maintenant. Il y a tellement de gens autour de moi qui m'ont aidé. Sans le soutien de ma femme et de ma fille, Natasha, et de mon fils, Adam, je n'y serais peut-être pas arrivé.

Il faut que les travailleurs soient instruits. Par exemple, je me rappelle d'un jour où je travaillais à bord d'une barge. Je venais de finir mon quart de travail et j'avais collé des rubans adhésifs sur mes réservoirs pour savoir ce que chacun contenait. Quand j'ai fini mon tour de veille, quelqu'un avait enlevé les rubans. Quand j'ai repris mon quart de travail le lendemain matin à 4 heures, j'ai ouvert les valves et ne sachant pas ce qu'il y avait dans le réservoir, j'allais verser du carburant de moteur à réaction dans un réservoir contenant du combustible à poêle. Quand un collègue a vu ce que j'allais faire il a fermé la valve. Ma manœuvre aurait pu causer un grave accident. Tout aurait pu sauter en quelques secondes.

Cela montre à quel point il est important aujourd'hui d'avoir une formation dans son domaine; je vais bientôt travailler à bord de pétroliers avec des produits chimiques et toutes sortes de gaz liquéfiés. Il serait presque impossible de travailler à bord de ces navires aujourd'hui sans avoir une certaine formation.

Le fait d'avoir appris à lire et d'avoir pu m'instruire a changé ma vie. C'est pourquoi l'alphabétisation et l'éducation me tiennent à cœur et me tiendront toujours à cœur. Je remercie le comité de m'avoir donné l'occasion de venir ici aujourd'hui pour plaider la cause de l'alphabétisation.

Le président : Notre quatrième et dernier témoin est Daniel Haines, qui est originaire du Québec mais vit à Edmonton, en Alberta, depuis 30 ans. Il est marié, a trois enfants et travaille pour la Banque alimentaire d'Edmonton; depuis près de quatre ans, il étudie dans le cadre du projet PALS, Project Adult Literacy Society.

Daniel Haines, à titre personnel : Je vous remercie de l'invitation que vous m'avez faite. Je voudrais vous parler un peu de moi et vous expliquer comment mon alphabétisation en tant qu'adulte a pris autant d'importance dans ma vie.

Lorsque je suis entré au PALS, ma lecture était à peu près du niveau de la 7e année, mais mon orthographe était celui d'un élève de deuxième ou troisième année. Vous allez me dire : comment peut-on passer 30 ans dans le même domaine de travail, acheter une maison et élever une famille sans savoir lire et sans que personne ne s'en aperçoive? Eh bien, voici comment cela s'est passé pour moi.

Aussi loin que je me souvienne, mon frère et moi nous attitrions constamment des ennuis. On a fini par nous envoyer dans un centre d'éducation surveillée puis dans une ferme de redressement. Peu de temps après, nous nous sommes évadés. Je ne le recommande pas à la plupart des gens; toutefois, si nous étions retournés chez nous, je sais que tôt ou tard j'aurais fini en prison ou pire encore. Mais il se trouve que, lorsque j'avais 15 ans, mon frère et moi avons fui aux États-Unis et nous nous sommes engagés dans un cirque. Oui, nous sommes vraiment devenus membres d'un cirque!

C'est là que je devais passer les 12 années suivantes. Ce fut l'une des plus grandes aventures de ma vie. Je ne sais si je puis vous faire comprendre ce que cela a signifié pour moi. Le fait est que, grâce aux connaissances que j'ai acquises au cirque, j'ai pu passer assez facilement au domaine de l'affichage commercial.

À cette époque, on vous embauchait même si vous n'aviez pas votre diplôme d'études secondaires. J'ai passé 30 ans dans le domaine des affiches et tous ceux qui m'ont connu ont simplement supposé que je savais lire et écrire. Je n'allais pas leur dire qu'ils se trompaient. J'ai appris des trucs pour tromper les gens dans toutes les situations. Si j'avais des papiers à remplir, j'étais soudain trop occupé. Cela me permettait de les apporter à la maison. S'il s'agissait de documents que je ne pouvais apporter chez moi, je disposais de modèles dont je copiais les passages pertinents, ce que je faisais toujours quand personne d'autre n'était présent. Si les enfants avaient besoin d'aide pour leurs devoirs, je prétextais la fatigue et leur disait d'aller demander à leur mère.

Pendant toutes ces années, j'ai été entraîneur, j'ai présidé des ligues sportives et j'ai siégé à des conseils locaux et provinciaux et personne n'a su. Puis un jour, il y a quelques années, une blessure m'a forcé à modifier mes habitudes de vie. Pendant des années, j'ai lutté contre une toxicomanie et j'ai fini par me rendre à l'évidence : si je voulais survivre, je devais m'inscrire à un programme de désintoxication mais, pour réussir, je devais améliorer mes compétences en lecture.

C'est là que j'ai découvert le programme PALS. À cette époque, je ne me serais jamais levé en public pour parler de mes « faiblesses ». Pour être honnête, je recours encore à des petits trucs. Par exemple, je n'aurais jamais pu écrire ces lignes tout seul... du moins pas encore. Je compte sur deux aides d'apprentissage; l'un est mon magnétophone, l'autre est un assistant, habituellement mon épouse.

La plupart des gens parviennent probablement à écrire un bref discours ou un rapport court en quelques heures ou au plus en l'espace d'une journée. À moi, il me faut au moins une semaine. Premièrement, je prends un peu de temps pour penser à ce que je souhaite dire. Ensuite, j'enregistre mes idées sur le magnétophone. Lorsque j'ai assez de matériel, mon épouse et moi commençons à le transférer sur papier. Lorsque les dernières modifications ont été faites, elle dactylographie le texte et l'enregistre pour moi. Comme cela, je peux écouter et lire en même temps, ce que je fais pendant plusieurs jours jusqu'à ce que je sois suffisamment à l'aise pour le lire à haute voix. Nous procédons de la même manière pour un rapport à présenter à une réunion du conseil, un discours ou même une simple lettre.

Sans aide, je ne serais pas là où je suis aujourd'hui. Premièrement, mon épouse m'a convaincu de m'inscrire au PALS et j'ai eu la chance d'être jumelé à un excellent tuteur. Cette méthode d'apprentissage personnalisé est exactement ce que je recherchais. Peu de temps après avoir commencé, j'ai voulu élargir ma participation. J'ai voulu donner quelque chose en retour. J'ai commencé par adhérer à l'un des comités étudiants du PALS. Ensuite, il y a deux ans, j'ai été élu à la Literacy Alberta à titre de directeur étudiant. Je suis également le représentant des apprenants de l'Alberta au Conseil national de MCL, le Movement for Canadian Literacy, et je me suis rendu à Ottawa deux fois pour la Journée de l'alphabétisation.

Je ne sais pas si je puis faire comprendre à quel point ces organisations sont importantes et dans quelle mesure elles m'ont aidé. L'été dernier, tous les représentants des apprenants du Canada ont été invités au Sommet organisé ici à Ottawa par la Bibliothèque nationale du Canada, pour participer à des groupes de réflexion. L'automne dernier, j'ai organisé à Edmonton un groupe de réflexion qui faisait partie d'un sondage national sur l'alphabétisation et la santé. Sans le MCL et le financement gouvernemental, je sais que ces possibilités ne m'auraient pas été offertes.

Depuis les réductions des subventions, Literacy Alberta a dû remercier plusieurs employés et réduire ses programmes et nous serons probablement forcés d'annuler notre atelier provincial. Le MCL a pratiquement disparu; il ne lui reste qu'un seul employé. Il est passablement difficile d'organiser une activité comme la conférence à laquelle j'ai assistée l'été dernier, avec une seule personne et des coffres vides.

Il y a quatre ans, j'étais désespéré et j'avais besoin d'aide. Si les organismes comme le PALS, Literacy Alberta ou le MCL n'avaient pas été là, je suis convaincu que je n'aurais pas pu réussir ma réhabilitation. Ces organismes m'ont littéralement sauvé la vie. Avec le soutien de ma famille et l'encouragement des gens du PALS, j'ai accompli ce qui me semblait tout simplement irréalisable. Grâce à eux, je peux me regarder dans une glace et être fier et je peux parler de mon expérience pour que d'autres en profitent. Si notre message d'alphabétisation peut atteindre d'autres personnes qui en ont besoin et les aider à se prendre en main, c'est que chacun de nous fait partie de la solution. Je crois sincèrement qu'une personne peut être la clé de la réussite. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Je vous félicite tous pour vos exposés et pour les énormes progrès que vous avez faits. Merci de nous avoir présenté vos témoignages personnels.

Le sénateur Cochrane : Je n'ai pas vraiment de questions. Vos témoignages ont tout dit; il ne reste rien à ajouter.

Je signale à l'intention de celles et ceux qui n'auraient pas entendu mon discours au Sénat, que j'ai visité l'établissement de Mme Smith et que j'y ai passé toute une journée. J'y ai déjeuné et je dois vous dire que c'est un établissement de tout premier ordre, et je vous en félicite.

J'aurais une question pour M. Haines. Les programmes de l'Alberta ont-ils fait l'objet de compressions budgétaires?

M. Haines : Oui. Nous avons perdu des moniteurs et quelques secrétaires, et même un trésorier. Nous n'avons pas assez d'argent au bureau pour tout faire. C'est affreux, mais nous espérons qu'il y aura des casinos.

Le sénateur Cochrane : A-t-on coupé l'argent des casinos ou supprimé les subventions du programme?

M. Haines : Je siège au conseil d'administration à titre d'étudiant. Je pense que vous avez raison et que le programme a été supprimé, les subventions pour ce programme en particulier. J'ai du mal à m'exprimer.

Le sénateur Cochrane : Vous êtes tous des gens très intelligents. Vous avez fait l'effort de venir ici et cela a valu la peine.

Le sénateur Fairbairn : Je n'ai pas de question, mais j'aimerais vous dire que je suis très fière de vous quatre. On parle beaucoup sur la Colline parlementaire mais j'aurais aimé que la Chambre des communes et le Sénat vous entendent, parce que personne ne peut mieux plaider votre cause que vous-mêmes, avec vos témoignages de courage et avec votre talent. En ce qui concerne l'alphabétisation, vous nous en avez appris plus que quiconque. Je sais que ce n'est pas facile, mais vous faites de l'excellent travail. Vous montrez ce que vous avez appris à d'autres en même temps et c'est vraiment la meilleure façon de procéder. Ensemble, nous mettrons tout en œuvre pour assurer la survie de vos programmes ou pour les rétablir.

Le président : Au cas où vous ne le sauriez pas, je signale que cette réunion est télédiffusée. Vous voyez les caméras qui nous entourent. Nos délibérations sont diffusées à l'intérieur du système en ce moment mais elles seront par la suite diffusées par la chaîne CPAC également. D'autres personnes pourront ainsi entendre vos témoignages.

[Français]

Le sénateur Chaput : Madame Cadieux, je vous ai déjà entendu parler dans un autre temps. Quel était l'incident dans votre vie qui a fait que vous avez décidé de rendre public le fait que vous ne pouviez pas lire?

Mme Cadieux : C'est parce que j'avais rien que cinq minutes, j'ai pogné le choc ! Fallait je me dépêche.

Le sénateur Chaput : Qu'est-ce que c'était exactement?

Mme Cadieux : C'est parce que mon fils a déménagé. Il avait pas d'ouvrage par ici pis il a déménagé à Vancouver. Il m'avait prêté son ordinateur. On s'appelait au téléphone, pis nous autre, on est rien que sur une petite pension fait qu'il me dit... je peux pas te parler longtemps Pat parce que ça me coûte trop cher. Il dit : « Mom, je t'ai laissé mon ordinateur quand j'ai fini le collège, pourquoi tu t'en sers pas? » Je voulais pas y dire que je savais pas lire et écrire. J'avais peur qui me dise : « Mom... » c'était ça l'affaire. Fait que après, j'ai rencontré une amie qui m'avait fait rentrer à l'école.

Le sénateur Chaput : Ma question aux quatre témoins, s'il n'y avait pas eu un incident majeur dans votre vie, pour un, c'est son fils, pour un autre, c'est un accident pour une autre, c'est autre chose, auriez-vous trouvé en vous le courage d'avouer que vous ne pouviez pas fonctionner comme les autres? Est-ce que cela prend un élément déclencheur?

Mme Cadieux : Je le sais pas. C'est juste la question aussi on est tanné aussi d'être dans la menterie. On rentre sur un docteur, il faut enlever les lunettes pis on sait qu'on va remplir des maudits papiers. C'est ça qui était le pire pis on le sait pas lire. Fait qu'on veut pas se faire passer pour une nounoune.

[Traduction]

Mme Smith : Il y a des gens qui se sentent dévalorisés, et c'est notre cas. J'ai eu un kiosque au marché des produits agricoles pendant 17 ans; un jour, l'épouse d'un juge, Linda Fitzgerald, m'a serrée dans ses bras pour me dire qu'elle était fière de moi et qu'elle m'admirait beaucoup. Personne ne m'avait jamais dit être fier de moi. J'ai décidé de lui dire que j'avais du mal à lire et c'est comme cela que tout a commencé. Et me voici devant vous aujourd'hui, moins de dix ans plus tard. Tout ce qu'il a fallu, c'est qu'elle me serre dans ses bras. Il suffit d'un geste d'une personne pour changer la vie de quelqu'un.

M. Miller : Je ne sais pas ce que j'aurais fait. Comme je l'ai dit, c'est l'accident de mon fils qui m'a ouvert les yeux. Jusque-là, je me trouvais pas mal futé. Je gagnais un bon salaire et j'avais une hypothèque, et tout allait bien. Je réussissais passablement bien à donner le change et à cacher la vérité. Je ne sais pas où tout cela m'aurait mené.

M. Haines : Mon cas ressemble probablement à celui de M. Miller. Si je n'avais pas eu cette maladie et si je n'avais pas décidé de mettre de l'ordre dans ma vie, est-ce que j'aurais changé? Je ne le sais pas. Je suis alcoolique. Un jour, en jouant aux quilles, j'ai eu la chance de rencontrer ma femme, et elle est correctrice d'épreuves. Le sort en a décidé ainsi.

Le sénateur Callbeck : Merci d'être venus aujourd'hui. Vos témoignages personnels sont une source d'inspiration pour nous et pour les téléspectateurs qui ont suivi cette réunion. Je vous félicite pour ce que vous avez accompli; c'est extraordinaire. Je suis sûre que vos témoignages vont encourager beaucoup d'autres personnes à se prendre en main.

Il y a toute la question des préjugés aussi. Comment peut-on encourager plus de gens à s'inscrire à des programmes d'alphabétisation? Comment pouvons-nous combattre les préjugés?

M. Haines : Il faut faire appel à des gens comme nous, pour que d'autres puissent voir qu'ils ne sont pas les seuls aux prises avec ce problème. Personne ne va révéler qu'il ne sait pas lire s'il n'a pas besoin de le faire, mais si on voit d'autres personnes qui ont accepté de s'ouvrir et qui ont réussi à apprendre à lire, on sera plus porté à faire de même.

Mme Smith : Je vous dirais la même chose que M. Haines. Il est important que ces organismes soient connus localement. Il faut les faire connaître en en parlant dans les écoles, dans les groupes publics ou ailleurs. Il faut se faire connaître et se faire entendre. Quand les gens verront ce que vous avez fait, ils sauront qu'ils peuvent eux aussi en faire autant. On devrait publier chaque semaine dans le journal local de courts articles sur une personne qui a réussi. Ces histoires pourraient même être mentionnées dans les bulletins d'actualité ou ailleurs. Ainsi, les gens se diraient : « S'il ou elle a réussi, je pourrai peut-être réussir, moi aussi ».

M. Miller : Je prends souvent la parole en public devant des auditoires d'enfants pour les encourager à poursuivre leurs études et le fait d'avoir une fille de 11 ans est un atout pour cela. Il est bon de parler une deuxième langue, comme le français par exemple. Ma fille parle très bien français et je l'encourage à continuer d'apprendre.

Il faut encourager les jeunes à poursuivre leurs études, à ne pas décrocher et à développer leur confiance en eux et leur estime de soi, pour qu'ils puissent évoluer dans la vie sur des bases familiales solides. Ma femme s'est toujours montrée très encourageante; elle m'a encouragé moi et les enfants à poursuivre nos études. Il est très important d'offrir constamment ces encouragements.

[Français]

Mme Cadieux : Je suis une grand-maman de dix petits-enfants et j'en ai un de 17 ans qui a décroché l'année passée. À force de lui parler puis de lui dire : «Regarde, veux-tu attendre mon âge pour aller à l'école?», il a recommencé l'école. Ça fait que là je suis assez contente. À force de lui parler il a pogné l'expérience. C'est une bonne idée d'aller dans les écoles pour leur faire comprendre parce que ces jeunes-là ça comprend pas. Quand ils voient un fait qui a été vécu, c'est là qu'ils voient. À part de ça il faut leur mettre les points sur les «i» puis les barres sur les «t». Puis j'ai d'autres petits-enfants qui grandissent en arrière.

[Traduction]

Le sénateur Trenholme Counsell : Ces échanges ont encore une fois été des plus enrichissants. Merci d'avoir été des nôtres aujourd'hui. C'est vous qui nous avez enseigné des choses; vous avez été pour nous des sources de motivation et d'inspiration. Nous savons que le gouvernement a réduit les subventions aux programmes d'alphabétisation. J'ai écouté attentivement vos témoignages et, avant même que nous vous invitions à comparaître aujourd'hui, vous étiez au courant de ces compressions. Croyez-vous que la plupart des gens sont au courant de la situation? Qu'ils sont préoccupés et inquiets de la réduction des subventions aux programmes d'alphabétisation au Canada?

[Français]

Mme Cadieux : Il y en a tellement qui en ont parlé dans les journaux. Les apprenants avaient peur des coupures. Quand on a entendu parler des coupures de 17 millions au radio, on a dit « Où est-ce qu'on s'en va? » C'est quelque chose qui fait peur aux apprenants.

[Traduction]

Mme Smith : Quarante-deux pour cent des gens sont analphabètes dans une certaine mesure; c'est effrayant et il faut agir. Oui, cela nous effraie. Certains d'entre nous réussissent à gravir les échelons, mais qu'en est-il de ceux qui restent derrière? Eux aussi doivent avoir la même chance car, s'ils n'ont pas des chances égales, la situation ne fera qu'empirer. C'est pour cela qu'il y a tant d'accidents sur les lieux de travail : les gens ne savent pas lire les directives ou les modes d'emploi. Certains perdent leur vie, d'autres ne peuvent subvenir à leurs besoins. Si nous ne les aidons pas, ils dépendront du système le reste de leur vie. Donnons-leur un coup de main au lieu de leur faire la charité plutôt que des allocations et des indemnités. Donnons-leur la fierté de subvenir aux besoins de leur famille.

Le sénateur Munson : Cela dit, quel est le principal message que vous souhaitez transmettre au gouvernement aujourd'hui?

[Français]

Mme Cadieux : On aurait besoin d'un peu plus d'argent pour employer l'imprimante que je voudrais avoir puis pour faire des devoirs à la maison, on a besoin de plus d'argent. Merci de m'avoir invitée.

[Traduction]

Mme Smith : Il faut rétablir le financement de tous les programmes d'alphabétisation et relancer toutes les initiatives du pays dans ce domaine. Nous avons besoin d'aide.

M. Miller : Nous avons besoin de ces programmes, chez nous, à Terre-Neuve et Labrador et dans toutes les régions du pays. Il importe que le gouvernement comprenne l'importance de l'alphabétisation et qu'il faut que les gens continuent à participer à ces programmes.

M. Haines : Il est essentiel de rétablir le financement. Nous ne voulons pas perdre plus de gens que nous n'en avons déjà perdus.

Le sénateur Cook : Je vous félicite. Vous avez joint le geste à la parole, et vous l'avez fait de façon admirable. Monsieur Haines, vous suivez actuellement une formation en cours d'emploi sur un pétrolier. Que faites-vous exactement?

M. Miller : C'est un cours d'homme de quart à la passerelle qui me permettra de travailler sur le pont d'un navire.

Le sénateur Cook : Grâce aux yeux et aux oreilles du capitaine, vous avez réalisé de grands progrès. Je viens de Terre-Neuve et je suis connu pour ma franchise.

L'annonce de cette nouvelle a suscité de grandes préoccupations dans ma province. Notre premier ministre provincial a prévu du financement pour les programmes existants, mais je n'ai pas eu d'autres nouvelles depuis. Le sénateur Cochrane est aussi de Terre-Neuve. À l'époque, on a cru que c'était temporaire. Moi, j'ai cru comprendre que les sommes qui servaient à financer ce programme avaient été réaffectées, mais le message n'était pas toujours clair. En fait, on a éliminé le budget de ce programme. J'avais entendu dire auparavant que l'on procéderait autrement, ce qui n'a pas été le cas. Par conséquent, vous m'en apprenez aujourd'hui.

Quel message voulez-vous transmettre? Êtes-vous satisfait de la voie qui vous a mené à l'alphabétisation? Était-ce la bonne voie ou y a-t-il d'autres façons de réaliser cet objectif? Êtes-vous heureux du choix que vous avez fait?

M. Miller a fréquenté l'école puis le College of the North Atlantic. Était-ce ce qui vous convenait? Madame Smith, aurait-on pu choisir une autre solution? Y avez-vous pensé?

Mme Smith : Il faut encourager les gens à tirer partie le plus possible de leur vie à un jeune âge afin qu'ils ne se retrouvent pas dans ma situation. Moi, j'ai eu de la chance, mais j'étais motivée, résolue et même entêtée.

Je suis mère seule depuis 21 ans et quand j'ai élevé mes enfants, j'ai dû trouver moyen de les nourrir. C'est ce que j'ai fait. Je ne dépendais pas du système. Je subvenais aux besoins de ma famille. Je n'ai pu penser à m'instruire qu'une fois que mes enfants ont été plus grands et indépendants. C'est alors que j'ai pu commencer à penser à moi.

Il faut offrir de l'aide aux jeunes parents, afin qu'ils puissent apprendre à lire et à écrire avec leurs enfants et qu'ils n'attendent pas d'avoir 49 ou 50 ans, comme moi.

Le sénateur Cook : Les compressions budgétaires vont-elles vous nuire à cet égard?

Mme Smith : Oui, nous avons besoin de plus de soutien.

Le sénateur Keon : Vous quatre représentez des situations qu'on pourrait croire inhabituelles, mais il y a certainement beaucoup de gens dans la même situation que vous qui ne connaissent toutefois pas les programmes dont vous avez profité. Croyez-vous qu'on devrait faire une meilleure promotion de ces programmes, surtout à la télévision, puisque c'est l'une des meilleures façons d'informer ceux qui ne savent pas lire?

Mme Smith : Oui, surtout pendant les bulletins de nouvelles qui sont regardés par beaucoup de gens, et à la radio. On pourrait penser à installer des téléviseurs dans un coin dans les centres commerciaux, on pourrait y faire la diffusion de bandes promotionnelles que bien des gens qui fréquentent les centres commerciaux pourraient voir.

[Français]

Mme Cadieux : Moi je trouve que ce serait une vraiment bonne idée de que c'est que monsieur a parlé, de donner des messages par la télévision, parce qu'il y en a ben qui savent pas lire encore pis écrire. Pis des grands mots, on les comprends pas. Mais si on avait un programme que le monde pourrait nous appeler, il me semble que si j'avais eu ça, moi, avoir vu quelqu'un à la télévision, peut-être que ça m'aurait développée à aller plus avant.

[Traduction]

Le président : Encore une fois, je vous remercie tous les quatre de nous avoir fait part de vos expériences aujourd'hui. Félicitations à vous tous pour vos réalisations personnelles et pour l'aide que vous apportez à votre collectivité. Nous vous en savons gré.

Je rappelle aux membres du comité que nous tiendrons encore une séance sur l'alphabétisation le vendredi 16 février de 9 à 13 heures. Les organismes de coordination provinciaux du pays seront nos témoins.

La séance est levée.


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