Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 21 - Témoignages du 3 mai 2007
OTTAWA, le jeudi 3 mai 2007
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 47, pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé, ainsi que pour examiner, en vue d'en faire rapport, les questions d'actualité des plus grandes villes canadiennes.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Nous poursuivons notre étude de ses questions, et je veux signaler que c'est l'ensemble des membres du comité qui va effectuer ce travail qui a trait à nos deux sous-comités.
Le premier sous-comité s'occupe de la santé de la population, et il examine les principaux déterminants de la santé. Le deuxième s'occupe des principaux problèmes auxquels sont confrontées nos villes. La pauvreté, le logement et les sans-abri sont des questions dont les deux sous-comités s'occupent. En fait, nous, les membres du comité principal, allons fournir aux sous-comités les renseignements que nous allons obtenir au cours de nos réunions.
Nous nous inspirons aussi de travaux sur la pauvreté qui ont été effectués au Sénat dans le passé. Le rapport de 1971 dont le sénateur Croll a dirigé la rédaction vient spontanément à l'esprit. Ça a été un rapport particulièrement important. Il y a aussi le travail fait par un autre sénateur, le sénateur Cohen, qui a écrit un livre en 1997 intitulé Sounding the Alarm : Poverty in Canada.
Nous nous inspirons aussi des travaux effectués par le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, présidé par le sénateur Fairbairn. Ce comité s'occupe surtout de la question de la pauvreté en milieu rural, et le Sénat a commencé à étudier cette question à l'initiative du sénateur Segal. Beaucoup de bon travail est effectué, et nous nous inspirons de ce travail lorsque nous devons nous occuper des enjeux fondamentaux qui touchent la population du Canada.
Aujourd'hui, nous recevons deux groupes de témoins. Le premier groupe est déjà devant nous. Notre premier témoin est Greg deGroot-Maggetti, président par intérim du Conseil national du bien-être social ou CNBES. Le conseil analyse les tendances relatives à la pauvreté depuis plus d'un quart de siècle, particulièrement dans le cadre de ses deux publications en série, Profil de la pauvreté et Revenus de bien-être social.
En plus de M. deGroot-Maggetti, nous recevons Mme Regehr, directrice du CNBES. Nous recevons aussi M. Battle, président du Caledon Institute of Social Policy, organisation connue dans le domaine.
Greg deGroot-Maggetti, président par intérim, Conseil national du bien-être social : Merci, sénateur. Bonjour. Nous sommes heureux d'avoir été invités à témoigner devant le comité et nous nous réjouissons des travaux que vous entreprenez.
Comme le sénateur Eggleton l'a signalé, le Conseil national du bien-être social étudie la pauvreté depuis plus de 25 ans, particulièrement dans le cadre de nos deux publications en série Profil de la pauvreté et Revenus de bien-être social, ainsi que dans le cadre d'autres études particulières sur les différentes facettes de la pauvreté au Canada.
Pendant cette période, il y a eu des projets pilotes, des recherches, des changements démographiques et économiques, des engagements moraux et des changements d'orientation stratégiques. De bonnes recommandations ont été mises de l'avant, et un grand nombre d'entre elles ont été laissées de côté. Quant à eux, les taux de pauvreté ont monté et baissé. Malheureusement, la réalité est qu'il n'y a eu aucune amélioration significative et durable de la situation, sauf pour les personnes âgées.
Les adultes et les enfants en âge de travailler sont aussi vulnérables aux conséquences de la pauvreté qu'il y a 25 ans. Un fossé se creuse sans cesse entre les riches et les pauvres, et les gens vivant dans une pauvreté extrême ont subi des pertes énormes. Certaines protections sociales, comme l'assurance-emploi, se sont effritées, d'autres ont été créées, notamment la prestation nationale pour enfants, alors que certaines ont raté leur lancement, comme le programme national de services de garde d'enfants. Les répercussions de ces changements d'orientation ont particulièrement touché les personnes les plus vulnérables à la pauvreté et à l'exclusion.
Les personnes les plus marginalisées, soit les femmes, les enfants, les Autochtones, les immigrants, les groupes de minorités visibles et les personnes handicapées, dont la capacité de faire partie de la population active est limitée par le manque de soutien, représentent un aspect très important de l'avenir du Canada. Dans les faits, les ménages à deux revenus sont devenus le filet de sécurité sociale, ce qui place les personnes seules et les familles monoparentales dans une situation périlleuse. Beaucoup trop de gens se retrouvent dans la situation décrite par la coalition antipauvreté du Québec, pour laquelle se sortir de la pauvreté ressemble à essayer de monter un escalier roulant en train de descendre.
En 2002, une publication du Conseil, Le coût de la pauvreté, a donné de nombreux exemples montrant à quel point tous les citoyens et citoyennes, et non seulement ceux et celles qui vivent dans la pauvreté, sont touchés par la question de la pauvreté. Le Conseil est de plus en plus convaincu que cette question est particulièrement importante à l'heure actuelle.
Durant plusieurs années de prospérité, nous avons permis au climat d'insécurité de prendre de l'ampleur et nous avons laissé les plus pauvres devenir encore plus démunis. Il est difficile de s'imaginer ce qui arrivera au Canada lorsque nous vivrons des périodes moins prospères ou lorsqu'il faudra relever de nouveaux défis.
Pour les villes, cela signifie que la responsabilité croissante des grands défis sociaux à l'échelle nationale incombe aux gouvernements municipaux, aux organismes locaux, aux familles et aux particuliers. Le fait qu'une minorité seulement des personnes sans emploi à Toronto puissent obtenir des prestations d'assurance-emploi, alors que de plus en plus de gens cotisent à ce régime, n'est qu'un exemple parmi tant d'autres de cet état de choses. La situation dans les villes, et particulièrement dans les grandes agglomérations, montre bien à quel point il est dangereux de marginaliser une partie de la société et comment cela peut donner naissance à toute une série de maux sociaux.
La pauvreté, malheureusement, n'est pas encore à l'ordre du jour au Canada, bien que cela commence à changer. Deux provinces, le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador, sont à l'avant-garde de ce changement et ont fait de la lutte à la pauvreté une priorité. J'invite le comité à prendre connaissance de leurs initiatives.
Mon attention se porte aujourd'hui au niveau national. Les conclusions du Conseil sur les tendances de la grande pauvreté au Canada, en regard des progrès réalisés dans d'autres pays, se retrouvent dans notre publication intitulée Résoudre la pauvreté : quatre pierres angulaires d'une stratégie nationale viable pour le Canada, dont on vous a remis un exemplaire.
Ce document met en lumière le fait que le Canada a largement fait fi de la pauvreté, alors que la recherche de moyens pour la prévenir et la réduire a été la priorité sur la scène internationale. De nombreux pays ont fait de bons progrès en ce sens. Plusieurs d'entre eux ont, depuis longtemps, une nette longueur d'avance sur nous. Cependant, d'autres pays, comme le Royaume-Uni et l'Irlande, ont réalisé plus récemment l'étendue du problème et tentent d'y apporter une solution à l'aide de stratégies coordonnées de lutte à la pauvreté.
J'aimerais également souligner que, dans la plupart des cas, la pauvreté n'est pas vue comme un problème isolé, mais est plutôt liée à l'ensemble des objectifs économiques, sociaux et politiques. Aux yeux des membres du Conseil, il semble que le Canada soit dépassé et qu'il ait beaucoup à apprendre de l'expérience des autres.
À l'automne 2006, le Conseil a donc demandé aux Canadiens, par l'intermédiaire d'un questionnaire en ligne, ce qu'ils pensaient d'une stratégie nationale antipauvreté pour le Canada. Les répondants, soit plus de 5 000 personnes et plus de 400 organismes représentant des centaines de milliers de membres, se sont dits convaincus qu'une telle stratégie est à la fois nécessaire et réalisable.
Les quatre pierres angulaires nécessaires à sa réalisation sont présentées dans le rapport, et je vais les résumer. La première est une stratégie nationale antipauvreté comportant une vision à long terme avec des objectifs et des échéanciers mesurables. La deuxième est un plan d'action et un budget visant à coordonner les initiatives des gouvernements. La troisième pierre angulaire est une structure gouvernementale de reddition de comptes permettant de garantir les résultats et de consulter les Canadiens quant à la conception, la mise en œuvre et l'évaluation des mesures qui les toucheront. La quatrième pierre angulaire est un ensemble d'indicateurs de pauvreté faisant consensus et qui serviront à planifier, à surveiller les changements et à évaluer les progrès.
Je voudrais insister sur la raison pour laquelle une stratégie nationale est véritablement une solution viable pour le Canada. Pendant les années 1960, les gouvernements du Canada ont élaboré une série de politiques coordonnées dans le but de prévenir et de réduire la pauvreté touchant les personnes âgées : le Régime de pensions du Canada, le Régime des rentes du Québec, la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti. Ces politiques fonctionnent, et nous pouvons en mesurer l'efficacité.
Elles reconnaissent la valeur du travail, sur le marché du travail ou non. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, les employeurs et les particuliers ont tous un rôle à jouer. Il existe différents mécanismes de financement. Les gouvernements provinciaux et territoriaux fournissent des prestations supplémentaires, mais, dans l'ensemble, tout fonctionne.
Pendant la même période, d'autres politiques ont commencé à faire tomber les barrières à l'emploi des femmes, ce qui a contribué énormément à la baisse de la pauvreté chez les personnes âgées, qu'elles soient seules ou mariées.
Oui, il est plus difficile de s'occuper du reste de la population, et on doit donc porter une attention spéciale à la planification et à la coordination. Le Conseil croit toutefois qu'il faut faire face à un autre défi de toute première importance. En effet, les gouvernements canadiens ont contribué, de nombreuses façons, à créer la pauvreté en la concevant comme le résultat d'échecs personnels ou d'un refus de travailler. Comment, alors, expliquons-nous qu'un travailleur au salaire minimum qui travaille plus longtemps que le Canadien moyen, mais sans avantages sociaux, ne parvient même pas à atteindre les seuils de la pauvreté? Par exemple, un travailleur ontarien au salaire minimum, soit 8 $ l'heure, doit travailler pendant près de 50 heures par semaine avant d'atteindre le seuil de la pauvreté — cela équivaut, chaque année, à près de 13 semaines supplémentaires de 40 heures de travail.
Les Canadiens devraient être frappés par l'injustice criante de cette situation. Il s'agit d'un exemple de pauvreté créé par des choix politiques, et on doit y apporter une solution structurelle, plutôt que de tenter de transformer l'éthique de travail des personnes vivant dans la pauvreté.
Permettez-moi de donner un autre exemple et de comparer la manière dont deux pays abordent le même problème. La Suède et le Canada possèdent des ressources économiques similaires et un nombre important et semblable de mères de famille monoparentales. Néanmoins, en Suède, la pauvreté n'existe à peu près pas dans ces familles, alors que, au Canada, le taux de pauvreté des mères seules est extrêmement élevé, et n'est dépassé que par celui de leurs enfants.
Les femmes canadiennes ont-elles moins de valeur, comme êtres humains, que les femmes suédoises? Non, bien sûr, mais la Suède a décidé que le fait d'élever des enfants, notamment seules, ne devrait pas appauvrir les femmes, et le pays a donc élaboré les politiques en conséquence.
Les gouvernements canadiens, et en particulier le gouvernement fédéral, doivent prendre conscience du fait qu'il est de leur responsabilité d'élaborer des politiques afin de résoudre le problème de la pauvreté et qu'ils sont capables de le faire beaucoup plus efficacement. Ils doivent apprendre de leur succès et faire preuve d'innovation. Il ne sert à rien de modifier les politiques une à la fois.
La situation socioéconomique canadienne ressemble à ce qui se passe lorsque le traitement d'une maladie est source de nouveaux problèmes de santé. Il faut alors résoudre ces nouveaux problèmes à l'aide d'un traitement supplémentaire susceptible d'être lui aussi la source de nouveaux problèmes. C'est souvent ce qui arrive lorsqu'on fait une erreur de diagnostic.
Les politiques peuvent elles aussi être la source de problèmes sociaux. Lorsque nous remanions des politiques ou que nous les étudions de façon isolée, il se peut que nous aggravions les choses. Un des répondants à notre questionnaire nous en fournit un bon exemple, et je le cite :
J'ai travaillé dans deux provinces différentes, et dans les deux cas [...] les personnes vivant dans la pauvreté et ayant une maladie mentale se retrouvaient souvent à la charge du système de soins de santé, alors que leurs troubles de santé auraient pu être évités s'ils avaient eu un accès préalable adéquat à des médicaments, des services et du soutien.
L'absence de sécurité sociale place trop souvent les gens dans des situations dangereuses. Des femmes doivent se prostituer pour conserver l'emprise sur leur vie et la dignité que l'aide sociale leur enlève. La survie de plusieurs citoyens, prestataires d'aide sociale ou travailleurs à petits salaires, et recevant donc moins que ce dont ils ont besoin pour survivre, dépend parfois d'un recours à la criminalité.
L'aide sociale a une façon bien à elle de créer le désespoir en enlevant aux gens la possibilité de prendre des décisions efficaces. Pensez, par exemple, aux travailleurs ou aux étudiants qui décident de partager un logement de manière à disposer de plus d'argent pour leur nourriture, leur transport ou leurs livres. C'est là une décision intelligente et louable. Par contre, si des prestataires d'aide sociale ont recours à cette solution de façon ouverte, leur allocation au logement sera diminuée, et ils n'y trouveront aucun avantage. S'ils ne le déclarent pas et qu'ils sont découverts, ils seront accusés de fraude, et leur situation sera encore pire qu'avant.
S'il se peut que les politiques publiques soient source de problèmes sociaux, elles sont également capables de les prévenir et de les résoudre. C'est ce que peut faire une stratégie nationale antipauvreté, et c'est pourquoi les quatre pierres angulaires constituent des points de départ nécessaires.
Je terminerai par des citations qui montreront que les opinions du Conseil sont partagées par d'autres organismes. Premièrement, voici ce que l'UNICEF a dit de l'engagement du Canada, en 1999, à éliminer la pauvreté chez les enfants :
[...] L'an 2000, année cible du Canada, est passé sans qu'il y ait d'entente sur la définition des objectifs, ou de quelle manière devrait être mesuré le progrès par rapport à ces objectifs, ou quelles mesures politiques seraient nécessaires pour les réaliser.
Dans le cadre d'un débat sur la reddition de comptes organisée en 2006 par l'Organisation pour la coopération et le développement économiques, l'OCDE, un participant a déclaré ce qui suit sur l'importance de consulter les gens dès le début du processus et d'une manière sérieuse :
[...] permettre aux citoyens d'agir comme architectes, qui construisent et qui conçoivent, au lieu de décorateurs qui déplacent des meubles.
Mes deux dernières citations sont des exemples de ce que plusieurs Canadiens nous ont dit sur le rôle du gouvernement dans leurs réponses à notre questionnaire sur la pauvreté et la sécurité. Le premier dit :
Les élus proviennent surtout des classes supérieure et moyenne — ils ne comprennent pas les réalités de ce que ça signifie de vivre dans la pauvreté.
Le deuxième dit :
Il est évident que toute solution devra mobiliser les gouvernements partout au Canada aux niveaux local, régional et national.
Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Ken Battle, président, Caledon Institute of Social Policy : Je pense qu'il y a une certaine concordance entre ce que M. deGroot-Maggetti a dit et ce dont je vais parler. Je vais aussi parler d'architecture — non pas de ce que les citoyens peuvent faire comme architectes, mais bien de ce que les gouvernements peuvent faire.
Je vais essayer de parler de beaucoup de choses complexes. Cependant, il est impossible que j'y arrive, alors je vais aborder brièvement les principaux points de l'exposé dont on vous a remis un exemplaire. Si notre travail vous intéresse, je vous encourage à jeter un coup d'œil sur la version en prose de cet exposé, qui est un rapport publié en 2006 et qui s'intitule Towards a New Architecture for Canada's Adult Benefits. Vous pouvez accéder à ce rapport sur le site Web du Caledon Institute.
Je vais parler en termes généraux de l'architecture de la sécurité du revenu et des services connexes offerts aux Canadiens en âge de travailler. À ce niveau d'architecture, nous parlons de façon générale des structures et des fonctions globales des différents secteurs de politique sociale.
Pour faire une analogie, nous aurons un croquis — un dessin à main levée, si vous voulez — de ce vaste domaine des prestations offertes aux adultes. La partie difficile du travail, c'est-à-dire la conception — comment nous construisons l'édifice à partir du plan architectural — n'est pas ce dont je vais parler aujourd'hui. Cela va être frustrant pour vous, mais nous devons envisager la situation générale pour nous donner une orientation quant à la voie à suivre. En réalité, nous définissons certaines des parties de notre plan au fur et à mesure que nous l'appliquons.
L'objectif de ce genre de travail, c'est de faire réfléchir les gens d'une nouvelle façon au sujet de pans importants des politiques sociales du Canada dont il n'est presque jamais question, sauf à l'échelle individuelle. Le domaine en question est celui des prestations offertes aux adultes.
Derrière l'idée que nous souhaitons mettre de l'avant aujourd'hui — et cette idée souligne tout le travail de notre organisation depuis des années —, il y a ce que nous appelons l'« impératif de modernisation ». En termes simples, disons que l'idée est que le système de sécurité sociale conçu dans les années 1930 et 1940, mis sur pied en grande partie pendant l'après-guerre, est de moins en moins pertinent, vu la situation sociale, économique et politique du Canada.
Nous avons réussi à faire des progrès, comme M. deGroot-Maggetti l'a mentionné, au chapitre des prestations offertes aux personnes âgées. Nous avons été en mesure de réduire considérablement le taux de pauvreté. Nous avons fait beaucoup de progrès en ce qui concerne les politiques relatives à la famille, même si, dans les secteurs des soins aux enfants et des prestations pour enfants, le danger qui nous guette est que les modifications qu'apporte le gouvernement fédéral à l'heure actuelle vont nous faire revenir en arrière de plusieurs années. Cependant, ce n'est pas de cela que je vais parler aujourd'hui.
Cela nous laisse ce vaste domaine — nous devions trouver un terme générique pour en parler : faute de mieux, nous avons appelé le domaine les « prestations offertes aux adultes ». Je parle des programmes de sécurité du revenu et des services sociaux et d'emplois connexes offerts aux adultes du Canada autre que les personnes âgées.
Quel genre de programme est inclus dans ce vaste ensemble? Au cœur de cet ensemble se trouvent les programmes de remplacement ou de substitution du revenu offerts aux personnes qui ne travaillent pas. Il s'agit donc de volets jumeaux de l'assurance-emploi et de l'aide sociale, qui visent les gens dont on s'attend à ce qu'ils travaillent. Cependant, d'autres programmes offrent des prestations aux adultes : les prestations d'invalidité du RPC et du RRQ, les congés parentaux payés, les programmes d'indemnisation des travailleurs et l'aide sociale offerte aux gens dont on ne s'attend pas qu'ils travaillent.
Un autre groupe de programmes qui entre dans la catégorie des prestations offertes aux adultes sont les mesures destinées à faire en sorte que le travail soit intéressant pour les travailleurs pauvres. Il s'agit de suppléments du revenu et de crédits d'impôt. Un certain nombre de provinces disposent de programmes de suppléments du revenu, et, dans son dernier budget, le gouvernement fédéral a introduit une prestation fiscale pour le revenu gagné.
Il y a ensuite tout un éventail de services et de mesures de soutien auxquels ont accès les gens qui sont inscrits aux programmes d'aide sociale et d'assurance-emploi ou encore à d'autres programmes de sécurité du revenu. L'une des choses les plus importantes, à ce chapitre, pour les personnes handicapées, ce sont les mesures de soutien pour les personnes handicapées. Il s'agit aussi de soins de santé et de soins aux enfants supplémentaires et de toutes sortes de programmes d'emploi — formation, counselling, alphabétisation et ainsi de suite.
J'ai déjà parlé du défi auquel fait face le Canada au chapitre des politiques sociales, qui tient à son évolution phénoménale sur les plans démographique, économique et politique. Nous avons apporté une liste des changements qui sont en train de se produire. Je ne vais pas les énumérer tous, mais il s'agit de choses comme le vieillissement de la population, la multiplication des couples au sein desquels les deux personnes travaillent, la pauvreté persistante, les emplois non conventionnels, le rôle de plus en plus important des immigrants, le problème du faible taux de natalité, et cetera. Vous connaissez déjà ces changements, et je ne vais pas vous forcer à m'écouter réciter toute la liste ce matin.
Cependant, permettez-moi de parler de deux ou trois de ces changements. Le programme d'aide sociale est archaïque. Il s'agit d'un programme très important qui ne fonctionne pas. Il est nécessaire d'y mettre fin et de le remplacer par quelque chose qui fonctionne.
Les paroles que j'aime le plus citer sont celles d'un fonctionnaire de la Saskatchewan, Rick August, qui a fait beaucoup de travail. La Saskatchewan est l'une des provinces les plus avancées dans le domaine. M. deGroot-Maggetti a parlé du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador, mais, en Saskatchewan, on a fait beaucoup de travail intéressant pour refondre le système de sécurité sociale.
Il y a quelques années, M. August a dit de l'aide sociale qu'elle était :
[...] une insidieuse microcolonisation des plus démunis de l'État, les privant de toute volonté d'améliorer leur sort.
Il s'agit de l'observation formulée par un fonctionnaire qui travaille directement à l'exécution des programmes et qui dit les choses aussi bien que n'importe qui d'autre. Le texte de notre exposé comporte toute une liste des problèmes de l'aide sociale, dont, j'en suis convaincu, vous connaissez la plupart.
L'un des concepts auxquels nous avons eu recours ces dernières années dans le domaine des prestations pour enfants qui s'applique aussi aux prestations pour adultes est le problème du « mur de l'aide sociale ». Le problème tient au fait que les gens qui arrivent à décrocher de l'aide sociale, habituellement pour occuper un emploi peu rémunéré, subissent des pertes importantes, tant en argent qu'en services et avantages en nature. Il s'agit d'un problème bien réel. Nous envisageons des choses comme les soins de santé supplémentaires, les mesures de soutien pour les personnes handicapées et ainsi de suite. Ces obstacles empêchent les gens de décrocher de l'aide sociale et de devenir membres de la population active. Il faut qu'il y ait une réforme à ce chapitre aussi.
L'assurance-emploi a diminué de façon spectaculaire. Seulement 40 p. 100 des chômeurs canadiens sont admissibles aux prestations offertes dans le cadre d'un programme auquel tous contribuent. Le régime d'assurance-emploi pose de nombreux problèmes, et, au fil du temps, on a déployé des efforts pour améliorer ce régime, mais la diminution de l'assurance-emploi est probablement la mesure de compression la plus importante à avoir eu lieu, au chapitre des politiques sociales du Canada.
La protection offerte par le régime d'assurance-emploi varie énormément à l'échelle du pays. En Ontario, environ 25 p. 100 des chômeurs sont admissibles aux prestations, tandis que c'est le cas de plus de 80 p. 100 des chômeurs des provinces de l'Atlantique. Moins de la moitié des chômeurs de l'Ontario et des provinces de l'Ouest sont protégés par le régime. Le Canada est en quelque sorte divisé en deux en ce qui concerne la protection offerte par le régime d'assurance-emploi.
Nous assistons à une résurgence des écarts entre les sexes au chapitre de l'assurance-emploi. L'écart entre les hommes et les femmes, pour ce qui est de l'admissibilité aux prestations, se creuse de nouveau. L'aide sociale, qui se voulait un programme résiduel de dernier recours, est devenue l'un des principaux programmes de première ligne au Canada. En effet, au Québec, en Ontario et dans l'Ouest, l'aide sociale a remplacé l'assurance-emploi comme principale prestation offerte aux adultes.
En Ontario, même si la protection offerte dans le cadre des deux programmes a diminué, on continue de dépenser beaucoup plus d'argent en prestations d'aide sociale qu'en prestations d'assurance-emploi pour soutenir les chômeurs.
De la même manière, il y a des différences incroyables entre les villes au chapitre de la protection offerte par le régime d'assurance-emploi. Par exemple, à London, Oshawa, à Hamilton, Windsor, Toronto et Ottawa, moins de 25 p. 100 des chômeurs sont admissibles aux prestations d'assurance-emploi. St. John se trouve dans la situation opposée, 54 p. 100 des chômeurs de cette ville étant admissibles aux prestations.
Il y a, de fait, deux solitudes : l'aide sociale et l'assurance-emploi. Les gens qui exécutent ces programmes ne se parlent pas. Ces deux programmes coûtent 20 milliards de dollars par année, mais on les laisse exercer leur activité de façon distincte. Ils sont conçus de façon complètement différente, mais ils ne réussissent ni l'un ni l'autre à aider les chômeurs canadiens.
Pour passer de la critique à ce que nous devrions faire, je dirais qu'un système moderne, efficient et efficace de prestations pour adultes devrait offrir un revenu de remplacement temporaire à tous les Canadiens sans emploi, ce qui est l'une des fonctions qu'ont toujours eues les systèmes de sécurité sociale d'une quelconque valeur. Parmi les prestations offertes, il y aurait un soutien du revenu à long terme pour les personnes gravement handicapées et les autres personnes dont on ne peut raisonnablement attendre qu'ils tirent la majeure partie de leur revenu d'un emploi; l'accès à un éventail de services — services d'emploi, de soins de santé supplémentaires et mesures de soutien pour les personnes handicapées — pour tous les Canadiens dont le revenu est faible, non seulement pour ceux qui sont prisonniers de l'aide sociale et des politiques et des programmes faisant en sorte qu'il soit payant de travailler.
Nous avons élaboré ce que nous appelons une architecture. À la page 23 du texte de l'exposé, vous pouvez voir le diagramme dont je vais parler. Nous envisageons un système de prestations pour adultes à trois volets, qui serait mis en place en partie par le gouvernement fédéral et en partie par les gouvernements des provinces. Le volet 1 concerne le soutien du revenu à court terme pour les Canadiens en mesure d'occuper un emploi, mais qui se trouvent sans emploi. Nous devrions conserver le régime d'assurance-emploi actuel, mais en nous débarrassant de la composante de variabilité régionale qui engendre beaucoup d'inégalité au sein du programme.
Nous créerions aussi un nouveau programme — nous avons utilisé l'expression « soutien du revenu temporaire », faute de mieux — qui serait utile à la vaste majorité de chômeurs canadiens qui ne sont pas admissibles aux prestations d'assurance-emploi. Ce programme serait financé à partir des recettes générales, et non à partir de cotisations comme c'est le cas du régime d'assurance-emploi. L'idée de ce nouveau programme de soutien au revenu serait en partie, de pair avec l'assurance-emploi, d'éviter que beaucoup de gens qui sont sans emploi, ne sont pas admissibles aux prestations d'assurance-emploi ou ont épuisé leurs prestations ne recourent à l'aide sociale. Nous voulons que les gens aient recours à l'aide sociale le moins possible.
Le deuxième volet, c'est le soutien à moyen terme offert aux adultes qui peuvent occuper un emploi, mais qui n'en ont pas. Il s'agit de remplacer le système d'aide sociale actuel par un système auquel nous donnons le nom de préparation à l'emploi, dans le cadre duquel l'idée serait d'améliorer l'employabilité des gens, de façon à investir dans le capital humain de la main-d'œuvre.
Les prestations d'aide sociale ne seraient plus ce qu'elles sont à l'heure actuelle. Nous envisagerions un système de type quasi salarial, dans le cadre duquel on ne verserait qu'une seule prestation. Il n'y aurait aucune variation en fonction du nombre de membres qui comportent une famille ou du nombre d'enfants, puisque l'on viendrait en aide aux enfants par l'intermédiaire des prestations pour enfants et des autres programmes. La mesure de soutien en question aurait pour objectif de faire en sorte que les gens qui se trouvent sans emploi pendant longtemps intègrent ou réintègrent la population active.
Nous appelons « revenu de base » le troisième volet de notre système. Il s'agit de remplacer les prestations d'aide sociale pour les personnes handicapées et les autres personnes dont on ne peut attendre qu'elles travaillent. Environ 40 p. 100 des prestataires d'aide sociale sont des personnes handicapées. Nous envisageons de les sortir de ce régime et de leur offrir un nouveau programme fédéral fondé sur le revenu, semblable au Supplément de revenu garanti actuel. Nous sommes en train d'élaborer cette partie de notre architecture à l'heure actuelle. Nous allons bientôt publier un rapport à ce sujet.
Dans tout cela, vous pouvez sentir que nous envisageons une répartition du travail ou une nouvelle répartition du travail entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux.
Il y a différentes manières de procéder à ce changement sur le plan politique. Nous envisageons bien différentes options sur le plan des compétences, mais nous pensons que la répartition de travail la plus sensée est celle qui ferait que le gouvernement fédéral aurait une responsabilité encore plus grande qu'à l'heure actuelle au chapitre des programmes de soutien au revenu — c'est déjà le gouvernement fédéral qui assume la plus grande part de cette responsabilité — et qui ferait que les provinces et les territoires s'occuperaient de plus en plus des services sociaux et à l'emploi offerts aux gens dans le besoin.
Le premier volet de notre système, soit le nouveau programme de soutien au revenu temporaire et le programme actuel d'assurance-emploi, relèverait du gouvernement fédéral; le second volet, le soutien au revenu à moyen terme — les mesures visant à remplacer l'aide sociale et la préparation à l'emploi — relèverait des gouvernements provinciaux, et le troisième volet, le revenu de base pour les personnes gravement handicapées, serait probablement un programme fédéral.
Ainsi, les provinces épargneraient beaucoup d'argent en raison de la réduction du nombre de cas d'aide sociale, puisque 40 p. 100 des cas relèveraient du nouveau programme fédéral. Nous attendrions des provinces qu'elles réinvestissent l'argent épargné dans des mesures de soutien pour les personnes handicapées qui sont essentielles pour que celles-ci puissent travailler, vivre, étudier et fonctionner en société. C'est la même situation en ce qui concerne la prestation nationale pour enfants dans laquelle nous avons vu les provinces réinvestir l'argent épargné dans d'autres programmes.
Il s'agit d'un domaine qui est évidemment une partie importante des politiques sociales. En fait, c'est l'élément des politiques sociales le plus important dont les Canadiens doivent s'occuper. Lorsque nous présentons cette vision à différentes personnes à Ottawa et dans les provinces, il arrive souvent que leur regard se perde dans le vide parce que nous parlons d'un vaste éventail de programmes difficiles, et qui, dans le cas de l'aide sociale et de l'assurance-emploi, résisteraient fortement aux changements.
Bien entendu, nous réaliserions cette vision progressivement, et nous sommes en train de discuter d'options stratégiques concernant le déroulement de ce processus. Une des options intéressantes serait la conclusion d'un partenariat entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux qui souhaitent adopter ce genre de programme.
La Saskatchewan a déjà apporté des modifications à ces programmes, et le Manitoba a fait l'annonce de changements qui vont dans le sens de ce que nous proposons. En réalité, nous avons aidé la province du Manitoba à élaborer son nouveau programme, et nous nous sommes penchés sur les leçons apprises au Manitoba.
Il s'agit d'une mesure vitale pour les Canadiens à faible revenu. Si l'on ne réforme pas les prestations pour adultes, les prestations pour personnes âgées et les prestations pour les familles avec enfants, les Canadiens à faible revenu ne pourront faire tout le travail eux-mêmes. La majorité des Canadiens dans le besoin sont laissés à eux-mêmes, et cette situation ne peut tout simplement pas continuer d'avoir cours.
Je serais heureux de répondre à toutes vos questions. Nous ne sommes pas encore arrivés à l'étape où nous pourrons élaborer des choses concrètes et mettre un prix et ainsi de suite sur l'ensemble de l'architecture. Nous sommes en train de travailler à différents éléments de celle-ci. Demeurez à l'écoute pour prendre connaissance du travail que nous effectuons au sujet du revenu de base, une mesure novatrice qui tomberait à point.
Le président : Pendant que mes collègues formulent leurs questions, je vais commencer en vous posant à chacun deux ou trois questions.
Monsieur deGroot-Maggetti, dans votre exposé, vous avez dit : « En effet, les gouvernements canadiens ont contribué, de nombreuses façons, à créer la pauvreté en la concevant comme le résultat d'échecs personnels ou d'un refus de travailler. »
Il y a eu aussi la décision unanime prise par la Chambre des communes en 1989 au sujet de la pauvreté infantile, décision selon laquelle il fallait l'éliminer avant l'an 2000. Bien entendu, la pauvreté infantile existe toujours. La situation est aussi mauvaise qu'à l'époque, sinon pire, et il y a eu quelques fluctuations statistiques depuis.
Je me demande si nous devrions revenir sur l'objectif relatif à la pauvreté infantile et peut-être le redéfinir en termes différents. De toute évidence, les buts, objectifs et indicateurs définis à l'époque n'étaient pas les bons. C'était peut-être trop ambitieux de dire qu'on éliminerait la pauvreté infantile dans un délai précis. Nous devrions peut-être dire que nous allons essayer de réduire l'importance du problème de moitié d'ici cinq ou dix ans. Peut-être ces modifications nous aideront-elles à nous remettre sur la bonne voie.
L'une des raisons pour lesquelles je dis cela — et la question que je veux vous poser — c'est : compte tenu de ce que vous avez dit au sujet de la manière dont les gens envisagent les prestations pour adultes par opposition aux prestations pour enfants, la question de la pauvreté infantile trouve peut-être davantage d'échos que l'autre, même compte tenu du fait que, si nous essayons de régler le problème de la pauvreté infantile, nous allons en même temps régler celui de la pauvreté de leurs parents.
Pensez-vous que cette démarche devrait être au cœur de ce que nous allons peut-être finir par faire : en d'autres termes, essayer de nouveau de nous occuper des objectifs relatifs à la pauvreté infantile et d'appliquer — mieux vaut tard que jamais — la résolution adoptée à l'unanimité par la Chambre des communes en 1989?
M. deGroot-Maggetti : C'est un bon point de départ. Permettez-moi de vous donner un exemple de la manière dont le Canada pourrait aborder cette question.
Mon exemple, c'est celui du Royaume-Uni, où le gouvernement de Tony Blair a décidé de faire de la réduction de la pauvreté des enfants l'une des pièces maîtresses de ses politiques.
Ainsi, les gens qui composent ce gouvernement ont entrepris de définir des objectifs. Ils ont dit qu'ils réduiraient la pauvreté infantile de 25 p. 100 entre 1999 et 2004. C'était leur objectif. D'ici 2010, ils veulent la réduire de 50 p. 100, et ils se sont fixé l'objectif de l'éliminer complètement d'ici 2020. Ils se sont fixé des buts, des objectifs et des échéances.
L'autre chose importante, c'est leur plan de réduction de la pauvreté des enfants et des familles, et il s'agit véritablement d'un plan. Tous les pays de l'Union européenne ont élaboré des plans d'action pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Les efforts déployés par le Royaume-Uni pour réduire la pauvreté des enfants et des familles s'inscrivent dans ce mouvement général.
Un autre aspect important — et c'est en rapport avec ce que M. Battle a dit — c'est l'adoption d'une démarche intégrée. Nous ne pouvons accomplir notre objectif à l'aide des seules prestations pour enfants. En 1999, le Royaume- Uni a fixé un salaire minimum pour la première fois de son histoire.
Les représentants du gouvernement britannique ont aussi créé des crédits d'impôt pour le revenu gagné et mis sur pied une commission sur la faiblesse du revenu chargée d'étudier les répercussions du salaire minimum et des modifications apportées à celui-ci. Ils ont étudié plusieurs facettes des répercussions : les répercussions sur l'emploi, les répercussions sur l'économie, surtout dans les secteurs où les salaires sont faibles, mais aussi les répercussions relatives à la réduction de la pauvreté. En mettant sur pied cette commission chargée d'étudier les répercussions de l'augmentation du salaire minimum, elles ont été en mesure de vérifier que la fixation et l'augmentation du salaire minimum ne donnaient pas lieu à des pertes d'emploi, surtout dans les secteurs où les salaires sont faibles.
Les premières augmentations du salaire minimum ont été prudentes. On a augmenté le salaire minimum de façon proportionnelle à l'augmentation des salaires moyens. Les membres de la Commission ont commencé à comprendre que le salaire minimum n'avait pas autant d'effets, au chapitre de la réduction de la pauvreté, qu'ils l'avaient souhaité, alors ils ont recommandé l'augmentation du salaire minimum à un rythme plus rapide que l'augmentation du salaire moyen afin d'accroître les répercussions du salaire minimum sur la réduction de la pauvreté. Ils ont été en mesure de montrer que ces augmentations n'avaient pas de répercussions négatives sur l'emploi.
En 2004, ils avaient presque réalisé leur objectif de réduction de la pauvreté des enfants et des familles de 25 p. 100. Ils n'ont pas tout à fait atteint leur but, mais ils ont réalisé des progrès substantiels. Cela s'est fait dans le cadre d'un effort concerté et d'un plan intégré, qui n'isolaient pas les enfants de leur famille, mais tenaient plutôt compte du besoin d'accroître le revenu provenant du marché du travail.
De la même façon que la question de la pauvreté infantile va motiver les Canadiens à faire quelque chose dans ce dossier, les Canadiens sont convaincus que, s'ils travaillent à temps plein toute l'année, ils ne devraient pas vivre dans la pauvreté. Nous devons aussi faire face à ce problème grave. C'est un autre domaine dans lequel nous pouvons travailler.
M. Battle : Pour me faire l'écho des propos du président, il y a un certain nombre d'années, j'occupais le poste qu'occupe aujourd'hui Sheila Regehr. Il y a de nombreuses années, j'étais directeur du Conseil national du bien-être social. Je me rappelle avoir rédigé le mémoire que nous avons présenté à la Commission Macdonald sur le chômage. Je m'en souviens, et c'était dans les années 1970.
La première phrase, c'était quelque chose comme : les enfants sont pauvres parce que leurs parents sont pauvres. C'est un état de fait qu'on a continué d'énoncer au fil du temps. C'est devenu une chose importante à laquelle il faut réfléchir. Permettez-moi de parler des deux.
Premièrement, en ce qui concerne la pauvreté infantile, vous avez tout à fait raison : c'est facile pour les gens d'y réfléchir. Ce qui est difficile, cependant, c'est de penser aux adultes chômeurs ou dont le revenu est faible. C'est une question qui n'a pas le même effet galvanisant. C'est aussi un enjeu difficile pour les médias.
C'est comme le problème auquel nous avons été confrontés pendant de nombreuses années, qui faisait que nous pouvions parler des prestataires de l'aide sociale, mais qu'il était difficile de parler des travailleurs pauvres. Au fil du temps, ces derniers ont acquis davantage de visibilité.
Nous avons fait quelques progrès en ce qui concerne certaines solutions du côté de la pauvreté infantile, et je peux vous donner un chiffre spectaculaire.
En ce qui concerne les prestations pour enfants, par rapport à l'apprentissage précoce et aux soins des enfants, les prestations pour enfants et le congé parental sont les volets des politiques concernant la famille au Canada.
En ce qui concerne la place qu'occupent les prestations pour enfants, comme vous le savez probablement, les prestations pour enfants du gouvernement fédéral ont beaucoup augmenté au cours des années, même si elles ont maintenant cessé de le faire. Le gouvernement a adopté de nouveaux programmes qui sont terribles et qui vont menacer encore davantage la lutte contre la pauvreté infantile, mais je ne vais pas aborder ce sujet aujourd'hui.
Le ministère des Finances a effectué, il y a deux ou trois ans, une étude qui n'est pas trop connue, mais qui est intéressante. Le ministère s'est penché sur l'effet de la prestation fiscale canadienne pour enfants par rapport à la réduction de la pauvreté.
Supposons que nous soustrayions la somme correspondant à la prestation fiscale canadienne pour enfants du revenu familial, et calculions le revenu des familles. Le taux de pauvreté des familles, les familles avec enfants, en l'absence de la prestation fiscale canadienne pour enfants, serait de 26 p. 100 plus élevé qu'à l'heure actuelle. C'est un calcul qui a été effectué il y a plusieurs années. On a récemment majoré cette prestation.
Il est fantastique qu'un programme social réduise l'incidence de la pauvreté infantile du quart. À la lumière des statistiques internationales, lorsque nous comparons le Canada à d'autres pays, un certain nombre de pays, y compris le Canada, ont des taux de pauvreté élevés chez les gens qui travaillent; en d'autres termes, le taux de pauvreté que nous constatons lorsque nous n'envisageons que la rémunération, les salaires, le revenu provenant d'un emploi autonome et ainsi de suite, après soustraction des sommes provenant des programmes gouvernementaux.
Cependant, d'autres pays arrivent mieux que nous à mettre en place des programmes solides de sécurité du revenu comme la prestation fiscale canadienne pour enfants, qui ont des répercussions marquées sur la pauvreté infantile. Il ne s'agit cependant que d'un seul instrument. C'est l'autre idée que je veux faire passer.
Des groupes se sont engagés à faire augmenter la prestation canadienne fiscale pour enfants pour que la prestation maximale atteigne 5 000 $ pour les familles à faible revenu. À l'heure actuelle, le maximum est d'environ 3 400 $, alors c'est raisonnable.
Réaliser cet objectif de 5 000 $ ne va pas résoudre le problème de la pauvreté au Canada. Cela va peut-être permettre aux enfants de sortir de la « pauvreté », même s'ils continuent de vivre dans une famille à faible revenu, mais il y aura encore des adultes qui vivront dans la pauvreté, qui seront chômeurs ou qui auront un revenu faible.
Nous ne pouvons d'aucune façon résoudre le problème de la pauvreté en nous concentrant sur un seul programme.
Comme je l'ai dit, ce qui est difficile, lorsqu'on aborde la question des prestations pour adultes, c'est qu'il s'agit d'un vaste éventail de programmes. C'est quelque chose que nous reconnaissons.
Si nous n'envisageons pas l'ensemble de ces programmes sociaux, nous n'arriverons jamais à lutter contre la pauvreté de façon efficace. Je travaille dans le domaine depuis 25 ou 30 ans. Je suis pluraliste. Nous devons essayer toutes sortes de méthodes pour mettre fin à la pauvreté.
Le président : En ce qui concerne l'assurance-emploi, monsieur Battle, vos chiffres indiquent qu'il y a beaucoup d'inégalités liées au fonctionnement du régime dans les différentes régions du pays. Les proportions sont différentes à partir de l'Ontario vers l'ouest et à partir du Québec vers l'est. En Ontario, par exemple, 29,7 p. 100 des gens reçoivent des prestations d'assurance-emploi, comparativement à 93,3 p. 100 à Terre-Neuve-et-Labrador.
Je comprends que vous proposez une architecture complètement différente; oui, une architecture complètement différente serait une bonne chose, mais cela prendrait du temps. Disons que c'est un objectif à moyen ou à long terme.
À court terme, comment améliorer le fonctionnement du régime d'assurance-emploi? Comment rendre le régime plus équitable à l'échelle du pays?
M. Battle : Vous mettez le doigt sur l'un des problèmes les plus difficiles à régler, celui du régime d'assurance- emploi, qui a été réformé à l'infini, mais toujours sans succès.
Pour être clair, il faut dire que des gens pensent que, avec notre architecture, nous voulons supprimer l'assurance- emploi. Ce n'est pas cela du tout. L'assurance-emploi jouerait un rôle essentiel, mais ce serait davantage un programme d'assurance qu'à l'heure actuelle. À nos yeux, la caractéristique du régime d'assurance-emploi qui est à l'origine des inégalités les plus importantes, c'est le taux de chômage régional, du fait que l'admissibilité varie en fonction du taux de chômage d'une région, tout comme la durée maximale de la période de prestations.
Pensez-y. Un chômeur qui vit dans une région où le taux de chômage est bas n'a pas plus d'emploi qu'un chômeur qui vit dans une région où le taux de chômage est élevé. Les inégalités sont énormes à cet égard. Nous supprimerions totalement cette partie du régime d'assurance-emploi. L'aspect qui n'a pas trait à l'assurance fera partie de notre nouveau programme, si nous voulons qu'il y ait ce genre de régionalisation, parce qu'il y a des arguments pour et des arguments contre. Nous parlons de deux programmes.
Je ne pense pas que nous puissions réformer le régime d'assurance-emploi comme le Congrès du travail du Canada, mes amis et mes collègues avec qui je suis en désaccord, le proposent, c'est-à-dire en revenant en arrière et en rendant les règles d'admissibilité plus souples. Je ne pense pas que cette démarche porte fruit. Il y a de fortes oppositions à cette proposition.
L'évolution du marché du travail fait que le programme d'assurance sociale ne peut tout simplement pas permettre de répondre aux besoins de tous les chômeurs, dans le contexte actuel du marché du travail. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il est nécessaire d'adopter un nouveau programme.
Je ne pense pas qu'il soit possible d'améliorer progressivement le régime d'assurance-emploi sans mettre en place un nouveau programme pour les gens à qui un programme d'assurance sociale n'offre rien.
M. deGroot-Maggetti : Je pense que les réformes du régime d'assurance-emploi qui ont eu lieu dans les années 1990 étaient le reflet de politiques sociales élaborées à partir de l'idée que nous devons essayer de forger l'éthique de travail des gens. Ces réformes étaient le fruit d'une réflexion qui n'était pas seulement canadienne; c'était des idées qui faisaient partie de la stratégie d'emploi de l'OCDE. Les idées ont changé. Même les membres de l'OCDE se sont rendu compte qu'ils doivent régler le problème de la faiblesse des salaires et des revenus aussi, ce dont témoignent leurs dernières stratégies d'emploi.
La réforme de l'assurance-emploi doit s'inscrire dans le cadre d'une stratégie générale, mais je n'ai pas de propositions précises sur la manière de le faire.
Sheila Regehr, directrice, Conseil national du bien-être social : Je veux dire quelque chose par rapport plutôt à l'aspect humain de cette question. Il y a quelques années, le Conseil national du bien-être social a organisé une table ronde à laquelle ont participé un certain nombre de personnes dont le revenu est faible et qui sont inscrits à différents programmes : il s'agissait de prestataires de l'assurance-emploi, de l'aide sociale et d'un certain nombre d'autres personnes entretenant des liens avec les gouvernements fédéral et provinciaux. L'une des choses dont tous nous ont parlé clairement, c'est toute cette affaire au sujet de l'écart entre l'assurance-emploi et l'aide sociale.
Sur le plan humain, ils ont dit qu'ils se sentaient comme si le gouvernement fédéral les avait complètement abandonnés. Il s'agissait non seulement de l'accès aux prestations de revenu, mais aussi du fait que, puisqu'ils étaient inscrits au programme d'assurance-emploi, il y avait toujours un lien entre eux et le marché du travail et les services relatifs au marché du travail qui faisaient partie du programme d'assurance-emploi. Bon nombre de ces services existent maintenant ailleurs que dans le cadre du régime d'assurance-emploi, mais ils n'ont pas pris la même place que le genre de choses qui existaient à l'époque.
Les gens parlent constamment de ce qu'on les fait se sentir comme des citoyens de seconde classe s'ils n'ont pas accès aux prestations d'assurance-emploi. Entendre le témoignage de certaines de ces personnes et voir à quel point elles voulaient améliorer leur vie, sans pour autant avoir accès aux programmes dont ils avaient besoin, était à vous briser le cœur.
Le sénateur Trenholme Counsell : C'est extraordinaire de vous rencontrer. C'est la première fois. Merci d'être ici.
Monsieur deGroot-Maggetti, j'ai eu l'impression, en lisant votre rapport, que vous avez été un peu trop optimiste en ce qui concerne le bien-être des personnes âgées. Au deuxième paragraphe de la section Contexte, vous dites « qu'il n'y a eu aucune amélioration significative et durable de la situation, sauf pour les personnes âgées », et, bien entendu, il y a eu des améliorations. Deux paragraphes plus loin, vous dites que, « dans le faits, les ménages à deux revenus sont devenus le filet de sécurité sociale ».
J'ai trouvé que vous faisiez preuve de peu d'empathie et que vous ne compreniez pas suffisamment les personnes âgées seules qui, je pense, ont beaucoup de difficultés à vivre avec, disons, mille dollars par mois.
Au Nouveau-Brunswick, d'où je viens, c'est souffrant et difficile pour eux de garder leurs maisons. Je pense que le problème est aussi grave dans les villes : c'est le manque d'argent.
À la page suivante, vous parlez du succès que connaît le Québec dans la lutte contre la pauvreté. Je me demandais si vous pouviez nous dire dans quelle mesure, selon vous, le programme de garderies a contribué à ce succès.
Monsieur Battle, vous avez dit — peut-être pas en ces termes exacts — que ce qui se produit à l'heure actuelle à l'échelon fédéral pourrait défaire ce qu'on a accompli dans le passé. Pourriez-vous nous en dire davantage là-dessus? En ce qui concerne le programme de trois ans dont vous avez parlé, est-ce qu'il y a un lien entre ce programme et le programme de trois ans que Frank McKenna a mis en place? Je me suis efforcée en vain de me rappeler le nom exact du programme, mais c'était un programme de trois ans visant à aider les gens qui ne travaillent pas et qui dépendent largement de l'aide sociale — je déteste le mot bien-être — pour améliorer leur employabilité.
M. deGroot-Maggetti : Merci de vos questions. Le premier que vous avez soulevé est un bon point. Nous ne voulons pas laisser entendre qu'il n'y a pas de problèmes de pauvreté chez les personnes âgées du Canada. C'était une idée semblable à l'exemple qu'a donné M. Battle au sujet de la prestation fiscale canadienne pour enfants. On a réalisé davantage de progrès au chapitre de la réduction du taux et de l'ampleur de la pauvreté chez les personnes âgées au cours des 25 dernières années que chez les autres groupes. Nous ne prétendons pas que le travail est fait et que nous n'avons plus à nous occuper de cette question; nous disons plutôt que, lorsqu'un effort concerté est déployé — et cela arrive — nous pouvons réaliser des progrès importants.
Le conseil a découvert, il y a de cela plusieurs années, que même si la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti existent, beaucoup de personnes âgées admissibles à ces programmes ne sont pas conscientes du fait qu'elles le sont, et elles ne touchent donc pas les prestations. Nous avons porté cela à l'attention du ministre et avons dit que le ministère devait trouver des façons de faire savoir aux personnes âgées qu'elles étaient admissibles aux prestations.
Dans ma propre ville, Kitchener, en Ontario, on a élaboré une stratégie avec la collaboration des groupes communautaires, et, dans le contexte de cette stratégie, des organismes et des organisations ont diffusé le message auprès des personnes âgées. En un an et demi ou deux ans, ils ont joint environ 2 000 personnes âgées pour leur faire savoir qu'elles étaient admissibles aux prestations en question.
Encore une fois, nous ne voulons pas laisser entendre que le travail est terminé, mais nous pensons que, lorsque des efforts coordonnés sont déployés, nous pouvons faire des progrès.
En ce qui concerne votre deuxième question au sujet des progrès réalisés au Québec, dans mes observations initiales, j'ai essayé de dire que le Québec, comme Terre-Neuve-et-Labrador, avait pris conscience de la nécessité d'adopter une démarche stratégique et coordonnée pour la réduction de la pauvreté. Dans le cas du Québec, l'initiative est venue du milieu communautaire et de gens qui se sont organisés pour qu'une loi visant l'éradication de la pauvreté soit adoptée et qu'un plan d'action portant sur la réduction de la pauvreté soit mis en place.
Cela dit, le Québec a investi beaucoup d'argent dans les services à l'enfance et à la famille, notamment dans le cadre du programme de garderies. Le conseil ne dispose pas de données précises sur la mesure dans laquelle ces investissements ont contribué au déclin des taux de pauvreté infantile au Québec, mais cette province est l'une des seules — peut-être la seule — où le taux de pauvreté infantile a diminué de façon constante depuis 1997.
Cependant, nous avons effectué une étude à partir de la nouvelle mesure fondée sur un panier de consommation et nous avons comparé différents types de ménages dans quatre provinces, et cela nous a permis de constater que le Québec était la seule province où une mère monoparentale d'un enfant à bas âge pouvait avoir un revenu supérieur à la mesure fondée sur un panier de consommation si elle travaillait au salaire minimum à temps plein, et ce, grâce à l'accès à des garderies à 5 ou 7 $ par jour, ainsi qu'aux prestations pour enfants et à la multitude de programmes et services offerts dans cette province. Je crois que Montréal était cité en exemple.
Il semble, du moins dans le cadre de cet exercice, que l'existence des services ainsi que des mesures de soutien du revenu est ce qui permet aux familles avec enfants qui connaissent les plus hauts taux de pauvreté — les familles des mères monoparentales — de sortir de la pauvreté.
M. Battle : Pour reprendre ce que vous disiez au sujet de la pauvreté chez les personnes âgées, c'est une chose qu'il faut se rappeler. Lorsque nous nous penchons sur le déclin du taux de faible revenu chez les personnes âgées — qui se produit ailleurs dans le monde aussi — nous constatons que le Canada a l'un des taux les plus faibles. Cependant, il s'agit de l'ensemble des personnes âgées, et nous n'avons pas calculé des taux séparés pour les familles et les personnes seules.
Je n'ai pas les chiffres avec moi, mais le déclin de la pauvreté chez les personnes âgées seules s'est arrêté. En effet, le taux de pauvreté va cesser de diminuer à cause de la SV et du SRG, qui sont les principales causes de la diminution. On a majoré le SRG, en dollars constants, il y a deux ou trois ans, pour la première fois depuis presque une génération, mais il y a des limites à ce que nous pouvons faire.
En ce qui concerne les prestations pour enfants, les deux derniers budgets ont donné lieu à deux changements. Le premier a été la création de la prestation universelle pour la garde d'enfants. Vous connaissez probablement le sigle : PUGE. Puis, le dernier budget a réinstauré un crédit d'impôt non remboursable pour enfants. Ces deux programmes posent de vrais problèmes. Je vais en parler rapidement avec vous, parce que c'est très lié à la pauvreté.
La Prestation universelle pour la garde d'enfants est un paiement de 100 $ par mois versé à toutes les familles qui ont des enfants de cinq ans et moins. Il s'agit du rétablissement d'une prestation universelle, même si la somme s'ajoute au revenu imposable de l'époux qui gagne le moins des deux.
Il y a deux problèmes à cet égard. Le premier, c'est que les familles à un seul revenu obtiennent une prestation d'une plus grande valeur après impôt que les familles à deux revenus et que les familles monoparentales qui ont le même revenu. La prestation a donc réintroduit des inégalités horizontales : des gens qui ont le même revenu mais une famille d'un type différent obtiennent des prestations d'un montant différent.
À l'heure actuelle, les familles à revenu élevé obtiennent beaucoup d'argent dans le cadre de ce programme. Le budget des familles est toujours serré, et je pense que les familles à faible revenu et à revenu moyen ont besoin de plus d'argent que ce qu'on leur donne à l'heure actuelle. Le dernier budget a réinstauré un crédit d'impôt non remboursable pour enfants, qui est un paiement d'un montant fixe fait à toutes les familles, excepté les familles pauvres : elles n'obtiennent rien. Toutes les autres familles, y compris les gens qui gagnent un million de dollars, vont recevoir 310 $ par année dans le cadre de cette nouvelle prestation.
Le montant de cette prestation est infime pour les familles à revenu élevé. Par contre, le montant des prestations pour enfants est d'une importance capitale pour les familles à faible revenu et à revenu modeste. Les prestations pour enfants versées par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux comptent maintenant, dans certaines provinces, pour 15 à 20 p. 100 du revenu des chefs de famille monoparentale qui travaillent au salaire minimum. En ce qui concerne l'évolution des prestations pour enfants, nous sommes critiques face à ces deux nouveaux programmes, parce qu'ils sont davantage un retour en arrière qu'un pas en avant.
Au sujet des politiques de M. McKenna, je ne connais pas celles dont vous parliez précisément. Il a été un premier ministre novateur sur le plan des politiques sociales, et il a beaucoup mis l'accent sur les investissements dans le capital humain et sur le fait d'aider les gens à décrocher de l'aide sociale, ce qui est une chose importante.
Comme M. deGroot-Maggetti et Mme Regehr l'ont dit, au fil du temps, un certain nombre de provinces ont tenté d'aider les gens à décrocher de l'aide sociale et à intégrer la population active. Ce n'est pas quelque chose de nouveau. Nous pouvons apprendre beaucoup de choses en regardant ce qui a déjà été fait.
Le sénateur Munson : Le programme d'aide sociale doit être démantelé. Cela exigerait une longue réponse et une question encore plus longue, à mon avis. Je veux que vous me fassiez part de certaines de vos idées. Vous avez utilisé l'expression « système de type quasi salarial ». Je ne sais pas ce que cela veut dire pour être honnête avec vous. Il semble que, au bout du compte, on utilise encore l'horrible mot de « bien-être ». J'aimerais avoir des détails, mais vous dites que vous travaillez encore sur ce plan.
Je veux que nous parlions brièvement des handicaps. Lorsque vous utilisez le terme « handicap », parlez-vous des handicaps intellectuels autant que des handicaps physiques?
M. deGroot-Maggetti : Oui.
Le sénateur Munson : Pouvez-vous me faire une description? Je pense que vous avez parlé d'un mur des salaires faibles dans les villes, dans l'un de vos rapports. Les personnes handicapées des régions urbaines : combien il y en a, à quoi sont-elles confrontées et que pouvons-nous faire dans le cadre d'un rapport pour aider les gens qui souffrent d'un handicap intellectuel ou physique? À quel point le problème est-il grave?
M. Battle : Oui, nous parlons des gens qui ont un handicap visible ou invisible. Nous devons y penser. Je vais vous donner des précisions sur l'analogie que j'ai faite, le mur de l'aide sociale. Comme vous le savez, la gravité des handicaps varie beaucoup. On a déterminé qu'il y avait environ quatre degrés différents à partir du sondage sur les handicaps que nous avons utilisé : le sondage de 2001 était le plus récent.
Les gens qui souffrent d'un handicap grave, surtout ceux qui n'ont jamais participé au marché du travail ou qui y ont participé de façon épisodique, finissent souvent par dépendre de l'aide sociale. Si on les aidait, certaines de ces personnes pourraient travailler, à temps partiel seulement peut-être. Cependant, elles finissent par être prisonnières de l'aide sociale, parce que le régime d'aide sociale leur offre non seulement une prestation de revenu, mais aussi — comme les rapports annuels sur les revenus d'aide sociale du Conseil national du bien-être social le montrent — des prestations d'aide sociale pour handicap plus élevées que dans les autres domaines. Le montant des prestations n'est pas élevé, mais il est plus élevé que celui auquel ont droit d'autres types de familles.
Les gens deviennent prisonniers de l'aide sociale non seulement parce qu'ils obtiennent des prestations de revenu, qui leur offrent à tout le moins une sécurité plus grande que ce qui pourrait leur arriver s'ils intègrent le marché du travail parce qu'ils sont en mesure d'obtenir un emploi, mais également du fait qu'ils profitent de ce qu'on appelle des mesures de soutien pour les personnes handicapées. Nous parlons ici non seulement de prothèses, de fauteuils roulants et de modifications apportées aux rampes sur les lieux de travail, comme dans les maisons, mais aussi de gens qui aident les personnes handicapées à affronter le système. Il y a tout un éventail de services quasi médicaux et sociaux.
Les gens ont accès à cette aide lorsqu'ils sont inscrits au programme d'aide sociale. Ce n'est rien d'extraordinaire, mais ils ont habituellement accès à une partie des services. S'ils quittent le programme d'aide sociale, ils perdent leur accès aux mesures de soutien pour les personnes handicapées. Ils sont perdus. Ils ne peuvent s'en sortir.
Mme Regehr a parlé du fait que le régime d'assurance-emploi offre accès à la fois à des programmes d'emploi et à un revenu. Il faut séparer ces mesures de soutien. Les programmes de prestations de revenu doivent être indépendants des services. Dans le cas des mesures de soutien et des services pour les personnes handicapés, nous avons besoin d'un système à part des programmes de prestations de revenu comme le programme d'aide sociale, système qui répond aux besoins des Canadiens qui souffrent d'un handicap. Les provinces commencent à élaborer ce genre de système, mais elles n'ont pas les ressources financières nécessaires pour élaborer leur propre système, et c'est pourquoi nous devons apporter des changements à l'échelle fédérale et verser davantage d'argent aux provinces.
Cette question revient constamment lorsqu'on discute avec des personnes handicapées et les groupes qui les représentent. Le système de prestations de revenu pour les adultes est un fouillis, mais le système d'aide aux personnes handicapées est encore pire. Les services sont absolument vitaux pour les personnes handicapées, et nous devons nous occuper de ce besoin aussi.
M. deGroot-Maggetti : Les gens qui sont au service des personnes handicapées et de leur famille doivent être des architectes qui se chargent des tâches de construction et d'élaboration, plutôt que d'être des décorateurs, pour en revenir aux paroles du participant à la réunion de l'OCDE. Il sera important de faire participer les Canadiens qui souffrent de handicaps et les groupes qui leur offrent des services au processus de repérage des obstacles et à l'élaboration de mesures pour surmonter ces obstacles à la sécurité du revenu et à l'accès aux services dont ils ont besoin. Il s'agit d'un élément important d'une stratégie globale.
Le président : Voilà un témoignage important.
Si nous n'avons pas le temps de poser toutes nos questions aujourd'hui, nous pourrions demander à nos témoins de nous présenter leurs réponses à certaines questions par écrit.
Le président : Sénateur Callbeck, sénateur Keon et sénateur Cordy, si vous pouviez poser vos questions, je vais demander aux témoins d'y répondre en bloc.
Le sénateur Callbeck : Monsieur Battle, vous avez parlé du fait que la Saskatchewan tente de réaliser certaines réformes qui, d'après ce que j'ai compris, sont positives. Vous pourriez peut-être nous donner des exemples. Je sais ce que vous entendez par « mur de l'aide sociale ». C'est difficile pour une famille de laisser tomber toutes les mesures de soutien pour accepter un emploi peu rémunéré.
En ce qui concerne le cadre que vous avez défini dans votre document, vous parlez de mesures de soutien à court terme. Qu'entendez-vous par là, et pourquoi proposez-vous que le gouvernement fédéral s'occupe de ces mesures, plutôt que les gouvernements provinciaux, qui s'en chargent à l'heure actuelle?
Monsieur deGroot-Maggetti, vous avez parlé de ce que Terre-Neuve-et-Labrador et le Québec ont des programmes de lutte contre la pauvreté. Est-ce que les deux programmes se ressemblent beaucoup? Vous avez parlé des quatre pierres angulaires nécessaires à un programme national. Est-ce que ces programmes provinciaux comportent ces quatre pierres angulaires?
Le sénateur Keon : J'avais l'intention de poser une question sur un sujet qui est proche de celui de la question du sénateur Callbeck.
Dans mon ancienne vie, j'ai eu affaire à des gens qui souffraient d'un handicap dont il était possible de se débarrasser par voie thérapeutique. Ces gens étaient confrontés à un problème terrible, parce que leurs qualifications n'étaient pas suffisantes pour leur permettre d'obtenir un emploi qui les aurait placés dans une situation plus avantageuse que celle dans laquelle ils se trouvaient avant d'être libérés de leur handicap. J'ai toujours pensé que la solution à ce problème tenait à une mesure d'incitation quelque part entre ces deux extrêmes. Assurément, il n'y a rien de sorcier dans le fait qu'une personne puisse travailler pour le ministère des Transports et se trouver dans une meilleure situation que si elle ne pouvait compter que sur les prestations d'invalidité.
Je n'ai obtenu d'aucun d'entre vous des suggestions quant à la manière de régler ce problème. Vous pouvez peut-être répondre à cette question ensemble.
Monsieur Battle, je trouve votre document intéressant. Cependant, les contribuables sont très réticents en ce qui concerne l'accroissement des services sociaux, parce qu'ils pensent que cet accroissement va donner lieu à une augmentation de leur fardeau fiscal. Je pense que le taux d'imposition pour le citoyen moyen est semblable au Québec à celui de la Suède, et que les impôts sont beaucoup plus bas dans le reste du Canada, pour la moyenne des gens. D'après ma propre expérience des services sociaux et des soins de santé, je pense que le Québec est très en avance sur le reste du pays, et qu'il l'est depuis longtemps.
Si vous élaborez une architecture qui met l'accent sur les points positifs, avec un prix, parce qu'il faut un prix pour la vendre, cette stratégie pourrait être le début de la fin des inégalités sociales au pays.
Le sénateur Cordy : La question du mur de l'aide sociale m'intéresse aussi. L'analogie de la personne qui essaie de remonter un escalier roulant en train de descendre est une excellente façon d'illustrer ce qui se passe. Les gens n'arrivent pas à s'extraire du cycle.
Y a-t-il une province du Canada qui permet aux gens de travailler tout en recevant des prestations? Les gens qui reçoivent des prestations d'aide sociale ont droit à des prestations médicales. La physiothérapie, la psychologie et les médicaments sont d'excellents exemples. J'ai entendu parler d'une personne qui occupait un emploi peu rémunéré et qui avait un enfant souffrant d'une maladie chronique, et cette personne a dû quitter son emploi parce qu'elle n'avait pas les moyens de payer les frais médicaux de son enfant. C'est une situation triste dans laquelle se trouve cette famille, parce qu'il y a plusieurs autres conséquences. Y a-t-il des provinces où ce n'est pas tout ou rien, en ce qui concerne les mesures de soutien?
Ma deuxième question porte elle aussi sur le Québec et sur Terre-Neuve-et-Labrador. Vous avez dit que, au Québec, le gouvernement fait de la lutte à la pauvreté une priorité en raison de la réaction de la collectivité. La plupart des gouvernements, quel que soit le parti politique dont il est question, ont de belles paroles à propos de la lutte à la pauvreté, mais cela a tendance à être la même rengaine toujours.
Qu'est-ce qui s'est produit à Terre-Neuve-et-Labrador et au Québec? Est-ce que ce sont les gens qui ont mis la main à la pâte? Qu'est-ce qui s'est produit pour que la lutte à la pauvreté devienne prioritaire dans ces provinces? Est-ce une chose que nous pouvons faire nous-mêmes pour que ça devienne une priorité à l'échelle nationale et dans d'autres provinces?
M. deGroot-Maggetti : Le Canada s'est engagé à mettre en place une stratégie nationale ainsi que des politiques qui permettront d'éradiquer la pauvreté le plus rapidement possible. En 1995, au Sommet mondial pour le développement social, le but consistait à avoir mis en place une telle stratégie dès 1996; or, nous n'en sommes pas encore là.
Il existe d'importantes similitudes et différences entre le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador. Le dévouement à la cause est un des facteurs qui ont motivé les gens au Québec à faire pression pour qu'une loi soit adoptée en vue d'éradiquer la pauvreté. C'est la différence entre le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador. Au Québec, cela est venu de gens qui ont dit : si nous pouvons adopter des lois pour que les gouvernements ne puissent pas avoir de déficits budgétaires, nous pouvons adopter une loi pour dire que nous allons essayer d'éradiquer la pauvreté.
Au Québec, les gens ont aussi appris qu'il faut une vigilance constante pour faire en sorte que le gouvernement ne délaisse pas la tâche. Les gens continuent de surveiller les politiques gouvernementales québécoises et critiquent les politiques quand elles méritent d'être critiquées et les louangent quand elles méritent d'être louangées aussi.
À Terre-Neuve-et-Labrador, Danny Williams s'est engagé, pendant la campagne électorale de 1995, à mettre en place une stratégie pour réduire la pauvreté.
Dans les deux cas, la vision énoncée et les objectifs et les délais qui y sont associés se ressemblent. Au Québec, la vision consiste à faire du Québec un des endroits où le taux de pauvreté est le plus bas parmi les riches pays industrialisés. À Terre-Neuve-et-Labrador, l'objectif consiste à afficher le taux de pauvreté le plus bas qui soit au Canada. J'ai souvent dit qu'il est bien d'avoir un cas où les provinces sont lancées dans une course vers le fond. C'est un cas où il est bien d'avoir ce genre de concurrence.
Terre-Neuve-et-Labrador a beaucoup consulté pour mettre au point sa stratégie. Au Québec, la consultation a d'abord été l'affaire de groupes de citoyens qui cherchaient à délimiter ce qu'il fallait mettre dans la loi. Les deux provinces sont dotées de mécanismes de responsabilisation. À Terre-Neuve-et-Labrador, il y a un comité interministériel chargé d'intégrer la politique.
Au Québec, on a créé deux comités consultatifs. Ce sont les éléments des quatre pierres angulaires. Nous avons repéré des éléments des quatre pierres angulaires en question à la fois au Québec et à Terre-Neuve-et-Labrador, tout comme nous l'avons fait ailleurs.
Je vais me charger de répondre à la question, qui ne m'était pas adressée, à propos des coûts d'une stratégie globale, question à laquelle M. Battle du Caledon Institute a répondu.
M. Battle : Je suis heureux que vous répondiez.
M. deGroot-Maggetti : J'attirerai votre attention sur une autre étude, intitulée The Cost of Poverty et réalisée par l'Université McMaster. Plutôt que de laisser les mères monoparentales vivant de l'aide sociale trouver elles-mêmes les services qui leur étaient offerts, les responsables des services sociaux ont été proactifs et informaient les mères en question sur les mesures de soutien et les services qui leur sont offerts, à elles et à leurs enfants.
Ils ont pu constater le doublement du taux auquel les femmes en question cessent de toucher des prestations d'aide sociale et entament un travail rémunéré. Cela réduit la dépression chez les mères et les problèmes de comportement chez les enfants. De fait, être proactif et leur révéler les services qui leur sont offerts a permis des économies de millions de dollars.
Il importe de transmettre ce message. La pauvreté n'est pas qu'un coût pour les pauvres. C'est un coût aussi pour nous en tant que société. Parfois, nous devons faire le lien entre les différents coûts de la pauvreté et des investissements dans le développement humain. Cela est important. Nous devons prévoir cela dès le départ, pour que nous puissions faire les analyses voulues.
Il y a la question de l'élargissement des services de santé et des services dentaires. Lorsque le Conseil national du bien-être social s'est rendu au Manitoba, il a été intéressé d'apprendre qu'on y apportait des modifications pour élargir l'accès aux prestations de santé et prestations dentaires.
En Ontario, la modification apportée a consisté à prolonger de six mois les prestations pour ceux qui cessent de toucher des prestations d'aide sociale, pour qu'ils puissent continuer de recevoir des prestations temporairement. Je ne sais pas comment ça se fait au Québec. L'élargissement de l'accès aux prestations de maladie et prestations dentaires semble être une des mesures capitales qu'il faut adopter pour faire des progrès importants.
Mme Regehr : Un fait vraiment intéressant à propos du plan de Terre-Neuve-et-Labrador est survenu au moment où les responsables se sont installés pour regarder les priorités : que pouvaient-ils faire en premier et qu'est-ce qui était le plus nécessaire? Ils ont centré leur attention sur les médicaments d'ordonnance et les problèmes dentaires, et c'est là qu'un des premiers grands investissements a été fait.
M. Battle : L'histoire de la Saskatchewan est revenue à quelques reprises. Je n'essaie pas toujours de faire valoir les mérites de la Saskatchewan, mais, dans ce domaine précis, on y a fait des progrès.
Simplement, la Saskatchewan a retiré les prestations pour enfants de son régime d'aide sociale dès le départ, pour créer un régime autonome de prestations pour enfants, qui concorde avec les préceptes de la réforme nationale des prestations pour enfants. C'est important : la prestation pour enfants est utile à tous les ménages à faible revenu où il y a des enfants, qu'ils vivent de l'aide sociale ou qu'ils aient un travail piètrement rémunéré, qu'ils vivent de l'assurance- emploi ou encore que ce soit une combinaison de ces éléments.
Pendant plusieurs années, il y a eu un programme de supplément salarial visant à aider les petits salariés. Le gouvernement fédéral a maintenant lancé une version fédérale de ce programme. Nous espérons que les responsables fédéraux vont s'entretenir avec les responsables provinciaux dans les provinces où il y a déjà un supplément salarial, pour voir comment intégrer les prestations.
L'Alberta et la Saskatchewan ont adopté une forme de supplément salarial. Le Québec applique divers types de suppléments salariaux depuis 20 à 25 ans, et le Nouveau-Brunswick a un programme de faible envergure à cet égard. La Saskatchewan a un programme qui prévoit des soins dentaires et soins de santé supplémentaires. Il retire ces services du régime d'aide sociale et les offre à un plus grand nombre de personnes.
Sénateur Munson, cela nous amène à ce que vous disiez à propos d'une prestation à taux fixe versée toutes les deux semaines. C'est inférieur au salaire minimum, mais c'est simple. Une des difficultés de l'aide sociale, c'est la complexité ahurissante des structures de taux. Cette prestation est d'une simplicité radicale.
La Saskatchewan a décidé de recourir d'une manière intéressante à un système d'exécution automatisé, par voie téléphonique, de manière directe. Ce système est important pour les gens qui reçoivent un supplément salarial ou dont le salaire fluctue, ce qui est monnaie courante chez les gens ayant de faibles revenus. Si vous pouvez communiquer avec un centre téléphonique tout de suite et faire apporter un rajustement... c'est important. Une des difficultés du programme fédéral, c'est qu'on ne peut faire ça,
La question du sénateur Keon est absolument fondamentale du point de vue du travail en question : il faut parler non seulement du coût de nos propositions, mais aussi des flux.
Je ne peux vous dire ce qu'il en est, mais nous constatons que, du point de vue de la structure, il y a beaucoup de mouvements entre les différents niveaux. Un effet serait que l'assurance-emploi coûterait moins cher parce qu'il n'y aurait plus les prestations régionales étendues. Le programme de revenu temporaire serait un programme nouveau, donc une dépense qui s'ajoute. Dans la mesure où ces deux programmes empêcheraient les gens sans travail d'être obligés de demander l'aide sociale, ce que faisait valoir M. deGroot-Maggetti, il présenterait un avantage énorme : les recherches l'ont fait voir, et le bon sens le laisse entendre : quand les gens vivent de l'aide sociale pendant longtemps, ils deviennent rouillés, et leur confiance diminue. Ils se détériorent et s'éloignent de plus en plus de la population active. Il importe d'empêcher que les gens sans travail ne tombent dans le piège de l'aide sociale.
Notre structure est centrée sur le marché du travail. Pour presque toutes les personnes, sauf celles qui ont une grave déficience, il est attendu d'elles qu'elles intègrent ou réintègrent la population active. De même, les dépenses diminueraient.
Nous établissons le coût des mesures particulières que nous concevons. Le programme de revenu pour les personnes handicapées serait une responsabilité fédérale, et nous en envisageons le coût.
M. deGroot-Maggetti : Je soulèverai un point rapidement. Cela a trait au supplément salarial et au mur des faibles salaires. Je veux insister sur le fait qu'une stratégie intégrée de réduction de la pauvreté au Canada doit être un élément d'une stratégie économique, sociale et politique. Par exemple, les suppléments salariaux ne peuvent remplacer un travail où le salaire représente un minimum vital.
Le Canada a un problème de faible salaire. Le quart environ des emplois de notre économie est faiblement rémunéré. C'est un facteur de faible productivité. Cela explique en partie pourquoi il y a peu de formation et de recyclage dans le cas des travailleurs à faible revenu. D'autres pays réussissent mieux à faire en sorte que le travail à faible salaire ne soit pas un piège, et il y a de la formation. L'importance des compétences et de la formation est reflétée dans la structure dont parle M. Battle. Là où il est question de suppléments salariaux, il importe qu'ils visent à régler les problèmes précis auxquels les gens font face, mais aussi qu'ils s'inscrivent dans une stratégie économique visant à s'assurer que les emplois permettent aux gens de gagner leur vie et que les gens puissent travailler de manière productive, contribuer à l'ensemble et être rémunérés en conséquence.
Le président : On a mentionné les programmes de Terre-Neuve-et-Labrador, du Québec et de la Saskatchewan, et nous voulons inviter les analystes qui sont aptes à en parler à nous donner de plus amples informations.
Le sénateur Fairbairn : Monsieur Battle, nous nous sommes réunis plusieurs fois autour d'une table comme celle-ci, au fil des ans, et, malheureusement, rien ne semble avoir été fait pour régler le problème auquel je me consacre. Dans le mémoire que vous nous avez remis, sous la rubrique « Défis de la modernisation des prestations pour adultes », vous dites que, dans l'économie du savoir, le grand fossé qui se creuse entre les uns et les autres tient à l'éducation et aux compétences. Cela évoque les capacités élémentaires en lecture, en écriture et en calcul, et je m'arrêterai là. C'est difficile. Nous en sommes encore là. Ça s'améliore un peu, mais pas aussi rapidement que l'exige le marché. Je me demande si vous avez des réflexions à nous livrer à ce sujet, monsieur Battle.
Le sénateur Cochrane : Vous avez dit juste : notre gouvernement à Terre-Neuve-et-Labrador a adopté une stratégie antipauvreté en bonne et due forme. Nombreuses sont les personnes qui en appellent au gouvernement du Canada de faire de même. Récemment, nous avons apporté des modifications au régime provincial d'assurance-médicaments. Maintenant, les Terre-Neuviens à faible revenu y ont accès, ce qui est merveilleux.
Je regarde votre plan structurel, monsieur Battle, et je vois que, à la page 23, vous parlez du premier niveau, du soutien à court terme, des programmes de soutien du revenu pour les « personnes temporairement sans travail qui cherchent du travail ». Avez-vous établi une limite supérieure pour cette partie de votre plan? Y a-t-il un certain montant que les gens recevraient? Y a-t-il un certain délai dans lequel il faut trouver du travail? Que se passe-t-il s'il s'agit d'une famille à deux revenus et que l'un des conjoints vient de perdre son travail? Le revenu de l'autre personne a- t-il une incidence sur le montant qu'obtiendra celui qui cherche du travail? Ce sont les trucs qui nous viennent à l'esprit.
Le sénateur Nancy Ruth : Monsieur Battle, le coût de vos propositions serait-il supérieur ou inférieur aux 20 milliards de dollars qui, selon votre estimation, sont actuellement consacrés à l'assurance-emploi et à l'assistance sociale, et de combien?
Observation à l'intention du Conseil national du bien-être social : vous avez mis une cinquième pierre angulaire à la page 17 de votre rapport principal, et je cite : « Une attention spécifique aux populations les plus à risque de pauvreté, aux questions d'inclusion sociale, de revenu, d'égalité des sexes, qui constitue un objectif universel central ». Ma question comporte deux volets : les enfants et les femmes en âge de travailler sont-ils plus susceptibles d'être pauvres aujourd'hui qu'il y a 25 ans et, le cas échéant, pourquoi? Avez-vous vu quelque projet particulier de réforme qui prête une attention précise aux populations les plus à risque de pauvreté, y compris les deux projets provinciaux et celui qui est proposé par le Caledon Institute?
M. Battle : Sénateur Fairbairn, les capacités d'écriture, de lecture et de calcul sont négligées dans cette structure; tout ce que je peux dire, c'est que c'est un des secteurs qu'il nous faut développer. C'est un problème énorme. Nous l'avons repéré. La place qu'il tiendra dans l'ensemble structurel, nous ne l'avons pas encore déterminée, mais nous devons le faire.
Nous n'avons pas établi le coût de nos propositions. Nous le ferons pour divers éléments de la structure. Le sénateur Keon a soulevé la même question. J'espère que nous pouvons produire des statistiques qui montrent que le coût de notre réforme ne sera pas nettement supérieur à ce qui se dépense actuellement. Un des problèmes réside dans le fait d'établir les coûts au fil du temps. Il faudra plusieurs années pour que les effets des modifications puissent être observés. Quand nous réalisons une analyse coûts-avantages, nous devons l'échelonner dans le temps. Je comprends ce que vous dites. On ne saurait parler uniquement de structure sans traiter de la conception ou de l'argent investi, sinon les gens n'écouteront pas, et l'idée, c'est que les gens écoutent.
Le court terme et le long terme, la durée des prestations et le choix d'un critère fondé sur le revenu de la famille ou encore le revenu de la personne — ce sont là autant de grandes questions de conception auxquelles nous travaillons. Il faut démêler tout ça. Le court terme, le moyen terme et le long terme sont des considérations qui doivent être intégrées à la conception du programme. Nous ne saurions verser à jamais de l'assurance-emploi à une personne. À l'heure actuelle, la période de prestations est légèrement supérieure à un an. Si l'assurance-emploi de la personne est épuisée, elle peut se tourner vers un nouveau programme de revenu temporaire. Si cela n'aboutit pas, elle peut alors demander des prestations d'aide sociale, ce qui fait que davantage de services entrent en jeu. Les personnes handicapées qui touchent actuellement des prestations d'aide sociale auraient plutôt accès à un nouveau programme fédéral. Nous voyons bien la question des flux. En concevant le système, il importera de savoir à quoi aboutiront les gens.
Mme Regehr : Je vais parler d'abord de la question des femmes, surtout qu'il s'agit de l'une des populations les plus à risque. Nous avons de nombreuses statistiques — nous en avons donné et nous pourrions en donner d'autres — qui font voir que, dans de nombreux cas, les femmes s'échinent pour simplement ne pas perdre de terrain, elles semblent vivre un recul. M. Battle a parlé des manœuvres en ce qui concerne la Prestation universelle pour la garde d'enfants. M. Maggetti a dit que nous n'avons pas lancé de programme national de garde d'enfants, comme le préconisait la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme en 1971. C'est un refrain qui a souvent été repris, c'est un des projets où il y a eu le plus de recherches, notamment pour l'établissement des coûts; néanmoins, nous n'arrivons toujours pas à le mettre à exécution.
Pour ce qui est des autres façons dont les femmes deviennent plus vulnérables, nous avons parlé de l'assurance- emploi de manière générale, mais s'il devient plus difficile d'avoir droit à l'assurance-emploi, en même temps, il devient plus difficile d'avoir accès aux prestations de maternité et prestations parentales. Cela nous ramène a la nécessité d'avoir une stratégie et un système qui sont intégrés. Nous avons amélioré sensiblement les prestations de maternité et les prestations parentales pour ceux qui y ont accès, mais, du point de vue de la politique familiale, c'est inutile si ceux qui en ont le plus besoin n'y ont pas accès.
La plupart des pays d'Europe et un grand nombre de pays en développement qui commencent à adopter des mesures de soutien de la famille, par exemple des politiques touchant la maternité et des prestations parentales, privilégient les programmes généraux de sécurité sociale sans faire de lien avec le marché du travail. Les mesures sont envisagées dans le contexte d'une politique familiale.
À propos de l'assistance sociale et de certaines des questions qui ont été soulevées du point de vue de l'éducation et de la formation... à l'époque où j'étais un jeune parent seul, hormis le cas de l'Alberta, il était possible pratiquement partout au Canada de recevoir des prestations familiales et d'avoir droit à un prêt étudiant qui permet d'accéder aux études supérieures — ce qu'il faut aux femmes pour qu'elles puissent se faire une place sur le marché du travail. Maintenant, c'est illégal partout. C'est un autre cas où le gouvernement fédéral adopte une mesure que le gouvernement provincial vient contrecarrer. Nous avons besoin d'une stratégie concertée.
M. deGroot-Maggetti : Pour répondre à la question de savoir si les stratégies du Québec et de Terre-Neuve comportent des volets précis pour des populations particulières, je n'arrive pas à m'en souvenir en ce moment, mais nous pouvons vérifier cela et vous transmettre une réponse.
Mme Regehr : Pratiquement toutes les provinces en ont.
M. deGroot-Maggetti : Je ne me rappelle pas précisément le cas de Terre-Neuveet-Labrador et du Québec.
Le président : Nous touchons au terme de l'intervention de ce groupe d'experts particuliers. Je sais que les sénateurs voudraient bien poser d'autres questions. Je peux seulement proposer que nous mettions ces dernières par écrit, que nous les remettions à la greffière, qui pourra demander aux gens d'y répondre.
Le deuxième groupe d'experts que nous accueillons compte l'Organisation nationale antipauvreté, l'ONAP. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à Robert Rainer, directeur exécutif, et à Nancy Shular, première vice-présidente.
L'ONAP est née à l'occasion du congrès des pauvres tenu en 1971 à Toronto. Depuis, elle veille à ce que les préoccupations des personnes à faible revenu soient prises en considération dans les décisions touchant les politiques fédérales.
De même, nous accueillons, de l'Association canadienne des banques alimentaires, Shawn Pegg, directeur de la politique publique et de la recherche, et Dianne Swinemar, membre du conseil d'administration et également directrice générale, Feed Nova Scotia.
Fondée en 1985, l'Association canadienne des banques alimentaires est une organisation-cadre qui représente des banques alimentaires régionales et communautaires.
Feed Nova Scotia est un centre de collecte et de distribution aux services des banques alimentaires et des programmes de repas en Nouvelle-Écosse.
Nancy Shular, première vice-présidente, Conseil d'administration, Organisation nationale antipauvreté : Merci de nous accueillir. Le mandat de l'ONAP consiste à travailler en vue d'éradiquer la pauvreté au Canada en employant divers moyens : d'abord, veiller à ce que les préoccupations des personnes à faible revenu soient prises en considération dans les décisions et les politiques fédérales; deuxièmement, défendre les droits fondamentaux de la personne et les droits économiques des gens à faible revenu; et, troisièmement, aider les organismes locaux et régionaux à faire en sorte que les gens à faible revenu au Canada puissent avoir leur mot à dire dans les processus de décisions et d'établissement des politiques au sein de leur collectivité.
L'ONAP est la seule ONG nationale à travailler aux problèmes de la pauvreté. Tous les membres de notre conseil d'administration sont pauvres ou l'ont déjà été. D'après notre expérience personnelle, nous savons ce que cela suppose de survivre avec un revenu qui ne suffit pas pour subvenir aux besoins fondamentaux d'un être humain. L'ONAP a été fondée en 1971 pour que des gens comme les membres de notre conseil d'administration puissent se faire entendre à des tribunes comme celle que vous organisez aujourd'hui.
L'ONAP travaille aux problèmes de sécurité du revenu qui touchent les personnes prises au piège dans le filet de sécurité sociale ou qui tombent entre les mailles. Pour avoir la sécurité du revenu en question, il faudrait faire valoir l'idée d'un revenu adéquat garanti pour tous, ce dont M. Rainer parlera sous peu.
J'aimerais parler d'un problème personnel. Mon frère vit ici à Ottawa. En février, il a reçu un diagnostic de cancer du cerveau. Il travaillait à son compte. Aujourd'hui, il essaie de survivre grâce au revenu versé par le programme Ontario au travail, soit le programme d'aide ou d'assistance sociale de l'Ontario. Il doit déménager, car son logement actuel est trop froid en hiver. Il n'a pas les moyens de payer le loyer. Il devrait pouvoir être placé dans un logement subventionné en fonction du revenu. Il reçoit si peu d'argent qu'il doit recourir à la banque alimentaire. Il doit s'y rendre entre 18 h et 20 h le matin, tôt. S'il fait la queue, mais qu'il ne parvient pas à entrer avant 20 h, il doit retourner le lendemain.
C'est quelqu'un qui reçoit de la radiothérapie et qui est malade, mais la pauvreté profonde que doivent vivre les prestataires du programme Ontario au travail le force à mettre davantage en péril sa propre santé.
Il n'y a pas d'accès prioritaire au logement pour une personne qui est peut-être en train de mourir. Mon frère doit envisager la possibilité réelle d'aller vivre dans la rue. Cela se passe ici même, à Ottawa, capitale de l'un des pays les plus riches du monde.
Environ 70 p. 100 des Canadiens vivent dans les 25 grandes villes du pays. Le taux de pauvreté au Canada est le plus élevé chez les membres des minorités visibles, les immigrants, les personnes handicapées et les Autochtones en milieu urbain.
Nous nous inquiétons de l'augmentation rapide du nombre d'emplois faiblement rémunérés dans le secteur des services, de la plus grande difficulté qu'éprouvent les gens à joindre les deux bouts et de l'érosion des emplois d'ouvriers rémunérés à un taux décent, un salaire suffisant.
Nous sommes témoins de la montée en flèche des revenus dans la strate supérieure et de l'écart grandissant entre les riches et les pauvres. L'économie réelle a doublé entre 1981 et 2005, une bonne part de la croissance en question ayant eu lieu entre 1995 et 2005.
En 2004, les revenus moyens du premier décile des ménages canadiens avec enfants étaient 82 fois plus élevés que ceux des ménages du dernier décile, rapport qui est trois fois plus élevé qu'il l'était en 1976. En moyenne, les présidents- directeurs généraux les mieux payés au Canada gagnent en 13 heures ce que le travailleur canadien au salaire minimum gagne en une année entière.
Cet écart mène à une intolérance croissante face aux disparités plus grandes qui en résultent. Les gens ayant les faibles revenus en question perdent énormément de leur pouvoir d'achat. Pour ajouter à cette perte, nombre d'entre eux n'ont accès à aucune prestation médicale, par exemple un régime d'assurance-médicaments ou un régime de soins dentaires.
Les gens ayant un faible revenu et une position sociale moindre exercent une moins grande emprise sur leur vie et disposent de choix amoindris. Dans les strates de revenu les plus basses, les Canadiens sont plus vulnérables aux problèmes de santé et ont une espérance de vie moins longue.
Il est prouvé que les bébés nés dans des familles pauvres ont une moins bonne santé. Selon le Canadian Institute of Child Health, [Traduction] « Le faible revenu de la famille est lié à un taux relativement plus élevé d'insuffisance pondérale à la naissance et, potentiellement, à des taux relativement plus élevés de conséquences néfastes pour la santé découlant d'un poids insuffisant à la naissance, par exemple, les maladies chroniques, les retards de développement et les déficiences. »
Les bébés nés dans des quartiers pauvres sont deux fois plus à risque de mourir que les bébés nés dans des quartiers nantis. Les enfants au bas de l'échelle économique présentent des résultats inférieurs à ceux qui se trouvent au milieu de l'échelle, du point de vue de la santé et du développement. Les enfants au haut de l'échelle des revenus présentent des résultats encore meilleurs du point de vue de la santé et du développement.
En Ontario, les adolescents des familles à faible revenu, celles qui touchent moins de 30 000 $, sont 1,8 fois plus enclins à fumer que les adolescents des familles à revenu élevé, celles qui touchent plus de 50 000 $; 1,8 fois plus enclins à avoir un problème d'alcoolisme; et 1,4 fois plus enclins à consommer des drogues ou à afficher d'autres formes de conduite antisociale.
L'augmentation du nombre de crimes commis avec une arme à feu à Toronto est liée, d'après nous, à la pauvreté et à l'exclusion sociale qui s'enracinent dans les grandes villes du Canada.
Les familles éclatées sont plus nombreuses, les gens deviennent plus déprimés, il y a plus de suicides et d'homicides, et les pauvres doivent quêter de l'aide. L'accroissement du recours aux banques alimentaires est tel que, dans nombre de collectivités, ça ne satisfait plus au besoin.
Presque un cinquième des Canadiens souffrent de sous-emploi grave, n'ont aucun travail ou risquent de se retrouver sans travail. Notre système économique dominant dresse des obstacles systématiques à la mobilité sociale. L'amélioration de la structure sociale pour régler certains des problèmes d'infrastructure et de système exige de la planification, l'établissement de partenariats et de la persévérance.
Les organismes de planification sociale constituent un élément important de toute communauté urbaine, étant donné qu'ils travaillent à divers dossiers communautaires. Ces organismes sont en mesure de lancer, de créer et de cultiver des interventions concertées réalistes face aux défis réels qui se présentent. Le gouvernement doit s'attaquer à la pauvreté au moyen d'une stratégie nationale, sinon la situation deviendra nettement plus grave.
Je vais céder la parole à M. Rainer.
Rob Rainer, directeur principal, Organisation nationale antipauvreté : J'avais prévu faire moi aussi la lecture d'un texte préparé d'avance, mais, pour que les choses aillent plus vite, je vais improviser un peu plus et parler brièvement de la situation. Je vais insister sur quelques éléments qui nous paraissent importants.
L'idée d'une stratégie nationale revêt une importance critique, mais ce qui me semble encore plus important, de notre point de vue, c'est que le gouvernement fixe au Canada l'idéal d'éradication de la pauvreté. Nous sommes voués à réaliser ce but; c'est notre mission. Même si la société n'élimine pas la pauvreté, il faut aspirer à atteindre ce but et ne pas se satisfaire de réduire seulement la pauvreté.
Nous appuyons sans réserve le sénateur Dallaire, qui a dit que tous les humains sont des humains et qu'il n'y en a pas un qui soit plus important que les autres. Nous nous avancerions encore plus en affirmant que le but consiste non pas seulement à éliminer la pauvreté, mais aussi à améliorer la cohésion sociale.
Le témoignage des groupes d'experts précédents traitait de certaines expériences vécues en Europe dans la lutte contre la pauvreté. Dans toute l'Union européenne, les pays sont obligés de créer non seulement des stratégies de réduction de la pauvreté, mais aussi des stratégies en faveur de la cohésion sociale. Vous pouvez télécharger les plans en question ainsi que les rapports d'étape produits, les deux thèmes étant étroitement liés.
Nous sommes d'avis que la cohésion sociale devrait faire partie des projets du comité et du gouvernement. Le Canada dérive vers ce que nous qualifierions de « syndrome de la communauté protégée », c'est-à-dire que certains citoyens se croient à l'abri de la pauvreté et des problèmes liés à la pauvreté qui se manifestent autour d'eux. Il n'y a pas un grand nombre de communautés protégées au Canada, littéralement, mais le syndrome commence à s'enraciner dans l'esprit de certains. Nous devons nous attaquer à ce syndrome.
Nous appuyons sans réserve le travail du Conseil national du bien-être social et son appel en faveur d'une stratégie nationale. Vous avez entendu dire que deux provinces — Terre-Neuve-et-Labrador, et le Québec — ont adopté une approche globale et déterminée, et nous les en félicitons. Nous sommes d'avis qu'une stratégie nationale est absolument essentielle au Canada. La vision, la détermination, la volonté, les ressources et la structure de responsabilisation doivent y être intégrées.
À propos de la responsabilisation, nous proposons que le gouvernement crée un poste de commissaire indépendant à la pauvreté, rattaché au bureau du vérificateur général — quelqu'un qui présenterait un rapport annuel sur les progrès du Canada dans ce dossier important. Le fait qu'il n'y ait pas une seule personne qui soit chargée de faire rapport sur la pauvreté au Canada explique en partie pourquoi la célèbre déclaration de 1989 est restée lettre morte. Personne n'est contraint d'agir. Il nous faut quelqu'un qui a la responsabilité de dire : voici les points où nous progressons et voici les points où il y a des lacunes. Il y a eu un trop fort roulement des personnes occupant divers postes à cet égard pour qu'il y ait continuité à cet égard.
Pour une bonne part, notre mémoire est centré sur la notion de revenu garanti. L'ONAP préconise ce que nous appelons le « revenu adéquat garanti ». Nous avons choisi d'employer le mot « adéquat » pour insister sur le fait que, s'il doit y avoir des programmes de revenu garanti au Canada, il faut que l'argent versé soit adéquat quand vient le temps de subvenir aux besoins fondamentaux des gens.
La conversation, évidemment, nous amène à nous demander quels sont les besoins fondamentaux des gens. Il doit y avoir un dialogue à ce sujet. Le revenu garanti est un revenu qui est protégé d'année en année pour celui qui le reçoit. Le revenu est garanti par le gouvernement à un taux en deçà duquel aucune personne ni aucune famille n'est censée tomber.
Nous avons commencé à communiquer avec un homme du nom Guy Standing, que je vous encourage vivement à inviter ici pour qu'il puisse s'adresser au comité. Il est spécialiste du marché du travail. Je crois qu'il est originaire d'Australie, mais il a beaucoup travaillé en Europe et il est actif dans ce que l'on appelle là-bas un réseau pour l'allocation universelle.
Récemment, il a prononcé à Vancouver une conférence sur la notion de revenu de base. Il est éloquent. Il a une perspective approfondie sur les préjugés, les perceptions et les préoccupations habituellement entendues à propos du revenu de base. Nous allons l'inviter à venir à Ottawa en septembre pour présenter un exposé public et peut-être rencontrer certains parlementaires. C'est une question que nous allons peut-être pouvoir explorer avec vous.
Je suis sûr que vous êtes au courant : le Comité spécial du Sénat sur la pauvreté, de 1971, a fait d'un programme de revenu garanti sa principale prescription. En 2006, le Conseil national du bien-être social a réalisé une enquête auprès des Canadiens. Son enquête sur la pauvreté au Canada — sur ce qu'il faudrait faire à ce sujet — a suscité 5 500 réponses en direct. Au premier rang des réponses est venu un programme de revenu garanti pour le Canada.
Il serait intéressant d'approfondir la perception qu'ont les gens d'un revenu garanti et la raison pour laquelle cette proposition a remporté tant d'appuis par rapport aux autres qui étaient recommandées, mais c'était là un fait notable.
Le sénateur Segal a parlé avec éloquence en faveur d'un revenu garanti. En réponse aux préoccupations soulevées à propos du coût éventuel d'un tel programme, il a fait observer ce qui suit. Le passage en question est tiré d'un article du Toronto Star :
[...] les autorités municipales, provinciales et fédérales assument actuellement le lourd tribut à payer pour la pauvreté, qui prend la forme de coûts pour le réseau de la santé, d'un système judiciaire débordé, d'une myriade de services sociaux qui font souvent double emploi et d'une perte fondamentale de productivité humaine.
Nous voulons insister sur le fait que, à notre avis, l'approche fragmentaire qu'adopte le Canada pour réduire la pauvreté ne fonctionne pas. La preuve de l'échec à cet égard réside dans l'ampleur et la profondeur de la pauvreté que nous voyons de nos jours, l'augmentation du nombre de banques alimentaires — sur lesquelles nos collègues ici à droite pourraient donner des précisions beaucoup plus amples — et la montée vertigineuse de la population des sans- abri dans les rues du Canada.
Nous sommes en faveur d'un revenu garanti qui viendrait remplacer des prestations d'aide sociale insuffisantes, inefficaces et stigmatisantes, mais un programme de revenu garanti, quel qu'il soit, doit toujours permettre aux gens de subvenir adéquatement à leurs besoins fondamentaux. Il devrait être universel pour que tous aient droit à un traitement égal, sans jugement porté sur le comportement, même si ceux qui ont des revenus relativement plus élevés et qui n'ont pas besoin de suppléments de revenu garanti finissent par rembourser la prestation au moyen des impôts sur le revenu gagné.
Je veux parler un peu de pauvreté en milieu urbain. Nous ne sommes pas spécialistes de la question du logement et de l'itinérance. D'autres groupes se concentrent sur ces questions. Certains des membres de votre comité connaissent bien ces groupes et les gens comme Cathy Crowe, à Toronto, qui parlera la semaine prochaine de la crise des sans-abri au Canada au moment du lancement de son livre.
C'est clairement une crise dont il est question : 1,5 million de ménages canadiens ont besoin d'un logement décent, abordable. La crise est aiguë au sein des communautés autochtones où il y a un enfant sur deux qui vit dans la pauvreté. Et puis, même à quelques pas de la colline du Parlement, le visage humain de cette crise se montre directement à nous.
Comme le gouvernement de la Suède l'a fait remarquer, l'itinérance est une manifestation extrême d'exclusion sociale. Nous avons besoin d'un plan Marshall du logement et de l'itinérance. Il serait grand temps.
C'est l'occasion en même temps de relever certains des défis que présente la vie en milieu urbain. Le président du comité, le sénateur Eggleton, a certainement une connaissance intime des questions de ce genre. Du point de vue du développement durable, là où nous aspirons à en arriver à une forme d'équité sociale et d'améliorations écologiques, il y a une grande place à faire aux idées urbaines progressives qui visent à instaurer un usage mixte et des quartiers à revenu mixtes. Si les gens ont l'occasion de mieux se mélanger les uns aux autres, l'inclusion sociale sera meilleure. Les gens qui marchent pour se rendre au travail n'ont pas tant besoin de se fier au transport en commun ou à un véhicule personnel. Évidemment, cela serait utile aux citoyens à faible revenu.
Il y a un élément de conception à prévoir là, mais les municipalités ne peuvent agir seules. Il y a un rôle que doit jouer le gouvernement fédéral, soit appuyer les projets d'urbanisme qui prennent en considération les objectifs d'usage mixte et de revenu mixte.
Pour terminer, je citerai Martin Luther King : [Traduction] « La compassion véritable demande plus que de jeter une pièce à un mendiant; elle révèle que quand un édifice produit des mendiants, il faut refaire les fondations. »
Il faut chercher la racine du problème, les fondements de la pauvreté, et délaisser les approches relativement superficielles ou progressives. Il y a évidemment un rôle énorme de leadership que peut jouer le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et même l'administration municipale.
Il n'y a pas de plus grand rôle ni de plus grandes responsabilités, selon nous, que ceux du gouvernement fédéral. Il n'y a pas de plus grandes occasions de montrer la voie et de laisser quelque chose à la société en héritage. Songeons que le Canada va célébrer en 2017 son 150e anniversaire : ne serait-il pas merveilleux de dire que le Canada a fait d'importants progrès pour enrayer la pauvreté, après tant de décennies où la progression s'est faite relativement médiocre?
Le président : Merci des excellents exposés que vous avez présentés. De l'Association canadienne des banques alimentaires, nous accueillons Dianne Swinemar et Shawn Pegg.
Dianne Swinemar, directrice générale, Feed Nova Scotia, membre du conseil d'administration, Association canadienne des banques alimentaires : Monsieur le président, je vais d'abord dire que, lorsque je suis appelée à représenter le monde des banques alimentaires, j'ai l'impression que nous ne devrions pas être là à certains égards : c'est que nous ne voulons pas vraiment exister. Lorsque vient le temps de formuler des recommandations, nous sommes souvent pris dans les activités quotidiennes de notre organisation, dont le but est de nourrir les gens qui ont faim, et il est souvent difficile de se concentrer sur ce que pourraient être les solutions au problème.
Tout de même, je suis ici pour représenter l'Association canadienne des banques alimentaires, l'ACBA, qui, comme vous l'avez mentionné, existe, avec réticence, depuis 1985. Nous avons essayé plusieurs fois de fermer nos portes, mais chaque fois en vain.
Je vais citer les statistiques énoncées dans un rapport que nous avons produit. En 2005, notre organisation a distribué 10 millions de livres d'aliments aux banques alimentaires de première ligne, partout au Canada. Compte tenu de ce que les banques alimentaires locales ajoutent, cela fait un total de 160 millions de livres d'aliments donnés qui ont été distribués dans le monde des banques alimentaires. Le comité a entendu un autre témoin dire aujourd'hui que nous ne fournissons pas un service adéquat. Nous n'avons jamais prétendu que notre service était adéquat, mais c'est ce que nous faisons. En mars, tous les ans, nous essayons de préparer une recherche qui vise à mesurer ce qui se passe dans nos banques alimentaires, le nombre de personnes qui fréquentent les banques et ce qu'elles nous disent.
En mars 2005, notre enquête sur la faim a révélé plusieurs points intéressants. Elle nous a fait voir que le recours à la banque alimentaire a augmenté de 13 p. 100 depuis 1997; que les bénévoles et le personnel ont accumulé 4,2 millions de dollars pour exercer leurs activités, sans compter l'appui financier qu'ils peuvent recevoir; et qu'un enfant sur six vit dans la pauvreté.
Je pourrais vous dire ce qui se dit dans chacune des provinces, mais, globalement, le message est le suivant : les gens fréquentent les banques alimentaires parce que leurs revenus sont inadéquats, qu'ils vivent de l'aide sociale ou qu'ils aient une déficience, ou qu'ils travaillent. La croissance la plus forte, du point de vue du recours aux banques alimentaires, se trouve chez les personnes qui travaillent.
La toute première question qu'elles invoquent quand elles viennent chez nous, outre le revenu inadéquat, c'est que le coût fondamental de la vie, et le coût des logements en particulier, est trop élevé : elles n'arrivent pas. Vers quoi se tournent-elles? Elles se tournent vers une banque alimentaire. J'ai passé en revue notre document, province par province, et j'ai vu que le logement et le revenu inadéquats étaient cités constamment comme raison de recourir aux banques alimentaires par les gens.
Nous avons abordé la question en tant qu'organisme collectif et avons proposé certaines recommandations aux autorités. Je les laisserai au comité pour que les sénateurs puissent poser des questions. M. Pegg m'aidera à répondre à ces questions.
Selon une des premières recommandations de notre rapport, il faudrait que le transfert social comporte la division du financement global en enveloppes pour les études postsecondaires et pour le transfert social lui-même (cela permettrait d'assurer une plus grande transparence) et adopter une nouvelle formule de financement de l'aide sociale et des services sociaux, et que l'on mette en place des normes exécutoires qui garantiraient une assistance et une accessibilité adéquates. L'ACBA recommande aussi que nous revoyions la place de l'assistance sociale dans l'actuel régime de sécurité du revenu du Canada.
Le deuxième élément que nous notons, c'est que les personnes qui travaillent viennent au deuxième rang parmi les groupes de clients des banques alimentaires, à hauteur de 13,4 p. 100. L'augmentation du nombre d'emplois de travailleurs occasionnels, à temps partiel, temporaires, contractuels donne des travailleurs pauvres. Nous recommandons que le gouvernement fédéral crée un nouveau crédit d'impôt remboursable national. La création de la Prestation fiscale pour le revenu gagné consentie aux familles, en mars 2007, serait une bonne idée. Toutefois, l'avantage n'est pas consenti à suffisamment de personnes, et il faut relever le montant pour que cela ait un impact sur la vie des gens que nous voyons sur la ligne de front, dans nos banques alimentaires.
L'assurance-emploi est un programme primaire de soutien du revenu à l'intention des travailleurs sans emploi. Suivant le régime actuel, certains travailleurs sans emploi reçoivent des sommes insuffisantes, si tant est qu'ils en reçoivent. Environ 40 p. 100 seulement des personnes sans travail ont droit aux prestations aujourd'hui, par comparaison à 80 p. 100 en 1990. La proportion est encore plus basse dans les grands centres urbains comme le Grand Toronto et la région du Lower Mainland en Colombie-Britannique. Nous recommandons de renforcer le régime d'assurance-emploi pour qu'il soit plus accessible et, en même temps, de relever sensiblement les taux de prestations et la période de prestations maximale.
Le Supplément de la prestation nationale pour enfants s'adresse aux familles dont les revenus sont les plus faibles, mais il est repris aux familles qui touchent des prestations d'aide sociale. Certaines provinces ont mis fin à cette formule de récupération. Nous recommandons que cela cesse dans le pays entier.
Le coût élevé des logements est la raison qui est souvent citée par les gens qui recourent aux banques alimentaires. Nous recommandons l'adoption d'une stratégie nationale de logement qui répondrait aux besoins des Canadiens et garantirait le droit à un logement abordable. Le gouvernement doit continuer à investir dans les programmes de logement et de suppléments de loyer, qui font que le loyer est adapté au revenu ou plafonné à des taux abordables. Les provinces et territoires devraient disposer d'une plus grande marge de manœuvre quand vient le temps de déterminer l'affectation des fonds dans le dossier du logement abordable. De plus, les querelles fédérales-provinciales sur la question doivent cesser.
J'ai une histoire à raconter aux sénateurs qui touche la question du logement. À Halifax, là où j'habite, le centre-ville est en train d'être remis en valeur. C'est très beau avec de merveilleux nouveaux condos. Cependant, ceux-ci ont été construits après que plusieurs immeubles à appartements ont été démolis. Là, plusieurs familles vivaient difficilement du point de vue financier, même si elles ne recouraient pas nécessairement à une banque alimentaire. Lorsque les immeubles en question ont été démolis, les gens n'avaient pas d'endroits où aller. Il a fallu qu'ils aillent s'installer loin des services et des ressources pour trouver un logement abordable. Une femme qui est venue chez nous a affirmé qu'elle s'était installée dans une maison de chambres où le propriétaire ne donnait pas accès aux toilettes. Pour aller aux toilettes, elle devait traverser la rue au poste d'essence Esso. On a permis que le propriétaire fasse cela. Il n'y a rien en place pour protéger les personnes vulnérables dans une telle situation. Certes, la situation mérite que l'on s'y attache.
Le gouvernement en place a promis d'allouer plus d'argent aux provinces pour les places en garderie, et nous sommes en faveur de cela.
Il serait merveilleux que chacune des mesures que nous proposons ainsi soit adoptée, mais, pour que cela touche la vie des familles en deçà du seuil de pauvreté qui recourent aux banques alimentaires, il ne faut pas croire que l'adoption d'une seule recommandation suffira. Il faut adopter une approche globale du problème pour trouver des solutions qui fonctionnent.
Frustrées de la situation, plusieurs banques alimentaires des grandes villes du pays ont commencé à fournir une formation de préparation à l'emploi. C'est notre cas à nous. Nous offrons un programme d'initiation à la cuisine et à la vie quotidienne. Quand les gens viennent nous voir, nous reconnaissons rapidement ceux qui veulent travailler. Ils veulent acquérir les compétences nécessaires et entrer sur le marché du travail, mais nous ne pouvons nous contenter de leur offrir un cours de cuisine et quelques trucs pour les entrevues d'emploi, puis les envoyer se défendre ainsi dans le monde.
Leurs difficultés sont complexes et profondes. La garde des enfants, la budgétisation, les transports, le logement, la sécurité du logement, ils n'ont pas le téléphone... il y a tant de choses dont il faut s'occuper avant d'essayer même de se lancer sur le marché du travail que la tâche nous paraît redoutable à nous mêmes, et nous sommes des optimistes, alors imaginez ce que ce doit être pour quelqu'un qui essaie de composer avec toutes ces difficultés. Il faut une intervention nationale et globale qui aura une incidence sur la vie de tous les jours des gens.
Le président : Merci beaucoup. Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Pegg?
Shawn Pegg, directeur intérimaire de la Politique publique et de la recherche, Association canadienne des banques alimentaires : Pendant les années 1980, j'ai cofondé Food Share à Toronto et, souvenez-vous, nous en avons fait un organisme-cadre au service des diverses banques alimentaires de Toronto. La première chose que nous souhaitions, c'était de fermer nos portes le plus rapidement possible. La triste réalité avec laquelle nous vivons, c'est que les banques alimentaires sont encore là aujourd'hui et qu'elles demeurent nécessaires ailleurs au Canada. Il me vient à l'esprit aussi une affiche que l'on peut voir à Toronto, dans le métro. C'est une affiche de Covenant House, qui vient en aide aux jeunes de la rue. On y voit un gâteau d'anniversaire et la mention : « C'est triste : nous fêtons notre 25e anniversaire ». Je crois que de nombreuses organisations affirmeraient une telle chose à propos des services qu'elles fournissent. Elles veulent les fournir, mais elles souhaiteraient qu'il y ait une meilleure façon de procéder, un meilleur système.
Le président : Une bonne part de ce que vous avez dit nous est précieux, et c'est le genre de choses que l'on souhaite voir, mais ces choses-là prennent beaucoup de temps. Le passé nous le fait voir, les progrès dans ce domaine sont lents, malheureusement.
Permettez-moi d'insister sur les objectifs à court et à long termes. Y a-t-il des points sur lesquels nous pouvons atteindre rapidement des résultats, à court terme? Dans son rapport provisoire, le comité envisagera probablement certaines possibilités dans une telle optique. Puis, nous regarderons la structure dans son ensemble, pour reprendre les propos de M. Battle, pour situer la question à long terme. Avez-vous des idées sur les mesures que nous pourrions adopter immédiatement, pour régler en bonne partie le problème? À long terme, oui, nous devrions chercher à éradiquer la pauvreté, comme M. Rainer l'a dit, plutôt que de chercher seulement à la réduire. Nous devrions nous donner une aspiration supérieure et non pas inférieure, si on veut exprimer la chose autrement. De même, nous avons besoin de trucs rapides pour mieux soulager les symptômes du problème.
Mme Shular : Mon idée — c'est juste une idée que je lance comme cela — consisterait à rénover les vieux bâtiments vides pour y aménager des logements. Cela ne coûterait pas aussi cher. Les bâtiments sont là, vides, et nous pourrions y aménager des logements abordables.
M. Rainer : Une des grandes dépenses de tout ménage, quel qu'il soit, mais particulièrement d'un ménage à faible revenu, c'est le prix de l'électricité et ainsi de suite. Au Nouveau-Brunswick, la population fait face à une augmentation de 10 p. 100 du tarif. La société d'énergie a demandé de pouvoir apporter cette augmentation sans précédent. Le maximum qu'elle pouvait demander s'élevait à 3 p. 100. Pour une raison ou une autre, elle a maintenant le droit de demander une augmentation tarifaire de 10 p. 100. Une des membres de notre conseil d'administration vit de l'aide sociale à Moncton; elle nous a dit à quel point il est difficile maintenant de régler sa facture d'électricité. La situation est devenue très difficile.
Le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial ont un rôle à jouer dans ce domaine, pour aider les ménages de toutes catégories, mais particulièrement les ménages à faible revenu à trouver des façons d'économiser l'énergie, de réduire leur consommation d'énergie. Il y a des programmes qui existent partout au pays. Beaucoup plus pourrait être fait dans le domaine. Je connais personnellement cette question pour l'avoir vécue : les possibilités d'économies sont là, mais il faut une infrastructure, une expertise dont les avantages doivent être connus dans chaque ménage. Il y a des modèles de programmes à cet égard. Ils sont fructueux. Ils peuvent aider à mieux composer avec une crise liée à l'augmentation des tarifs, mais aussi à mieux éveiller les citoyens à faible revenu et produire des effets bénéfiques à long terme, que ce soit en milieu urbain ou en région rurale. Tout le monde a besoin d'électricité et de chauffage pendant l'hiver. C'est un truc concret. Le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer à cet égard. Il faut mettre en place des programmes fédéraux. Je ne sais pas à quel point ceux qui existent ont été solides. À mes yeux, investir dans l'efficacité énergétique rapporte énormément, particulièrement dans les vieux bâtiments.
Le président : Y a-t-il d'autres propositions? Elles n'ont pas à porter nécessairement sur la question du logement.
M. Pegg : En ce moment, l'ACBA s'attache beaucoup à la question des gagne-petit. Le pourcentage des gens qui travaillent et qui recourent aux banques alimentaires du Canada est passé de 6 p. 100, en 1989, à plus de 13 p. 100, en 2006.
Une cinquantaine de villes canadiennes comptent plus de 100 000 habitants. Environ 13 p. 100 des gens qui recourent aux banques alimentaires travaillent. Si nous excluons 11 ou 12 des villes en question, nous nous retrouvons avec un sous-segment où le pourcentage moyen de travailleurs qui recourent aux banques alimentaire atteint 18 p. 100. Dans un plus petit sous-segment de 17 villes environ, le quart environ des gens qui recourent aux banques alimentaires sont des travailleurs. Cela nous fait voir que, lorsque nous examinons les autres études faites sur l'évolution du monde de l'emploi depuis dix ans, le travail à temps partiel et le travail temporaire y prennent une place de plus en plus grande. Les gens travaillent à un taux inférieur au salaire minimum, sinon au salaire minimum lui-même. Il y a une chose qu'il faut faire rapidement dans les provinces, et je sais que c'est là une compétence provinciale, mais c'est un dossier où le gouvernement fédéral pourrait montrer la voie, soit l'amélioration des normes du travail. Le droit du travail n'a pas suivi l'évolution du monde de l'emploi. On profite des gens, qui n'ont aucun recours s'ils ne sont pas payés, s'ils ne touchent même pas le salaire minimum ou s'ils sont licenciés sans avertissement.
C'est un grand problème qui est assez bien connu, et je ne sais pas pourquoi il n'a pas encore été réglé.
M. Rainer : Pour ce qui est du salaire minimum, comme notre groupe est très engagé dans des campagnes touchant le salaire minimum et un salaire de subsistance partout au pays, de concert avec des organismes-partenaires, nous croyons qu'il y a là une des questions les plus fondamentales dont il faut s'occuper, et qui aurait une grande incidence sur la vie des gagne-petit.
Nous adhérons au principe énoncé dans le récent rapport d'examen des normes du travail fédérales. L'auteur, Harry Arthurs, n'a pas donné de statistiques précises, mais il a plus ou moins adopté officiellement le principe selon lequel une personne qui travaille à temps plein pendant des années devrait arriver à subvenir à ses propres besoins fondamentaux. Notre société devrait comporter cet élément d'équité fondamental. Le salaire minimum devrait permettre à quelqu'un de subvenir à ses propres besoins fondamentaux, quelle que soit la manière dont nous définissons cette expression. À l'heure actuelle, le salaire minimum à divers endroits au pays est bien insuffisant à cet égard, mais nous constatons des changements encourageants. En Ontario, le gouvernement provincial a annoncé récemment que le salaire minimum atteindrait 10,25 $ l'heure d'ici 2010, ce qui paraît possible plus tôt à nos yeux et aux yeux d'autres groupes, mais, tout au moins, cela relève la barre. Terre-Neuve-et-Labrador a fait savoir la semaine dernière qu'il ferait passer son salaire minimum de 7 à 8 $. Nous constatons qu'il y a à propos du salaire minimum des campagnes intéressantes et encourageantes en Colombie-Britannique et en Alberta.
C'est une mesure qui a un terme relativement court, du moins du point de vue de ce que l'on appelle les gagne-petit, et elle aurait une incidence notable sur leur sécurité du revenu.
Le président : Chers collègues, je vais faire ce que j'ai fait la dernière fois : je demanderai d'entendre la question du sénateur Keon, puis la question du sénateur Callbeck, et puis je m'adresserai au groupe d'experts.
Le sénateur Keon : Je veux poser la question au groupe entier, du fait qu'elle a trait à ce que vous avez tous dit, et particulièrement Mme Shuler et Mme Swinemar.
Permettez-moi de commencer par vous, madame Swinemar. Vous avez dit que, lorsque les gens recourent à la banque alimentaire, pour se sortir de leurs difficultés, ils doivent accéder à neuf services sociaux, je les ai notés, mais je crois qu'il leur faut probablement accéder à une douzaine de services du genre pour se mettre sur pied et, cela est à espérer, réintégrer le marché du travail ou se réadapter ou je ne sais quoi encore.
En écoutant les témoignages à ce sujet depuis plusieurs années, je m'aperçois que les services semblent toucher d'abord et avant tout la santé, mais la grande lacune du système réside dans l'absence d'un service social communautaire conjugué à des services de santé primaire — un endroit où la personne peut se rendre pour aller démêler l'écheveau des services sociaux. À mon avis, même les gens extraordinairement bien nantis avec toutes les ressources du monde à leur disposition ne pourraient s'y retrouver, alors à plus forte raison les pauvres dans le pétrin. À mon avis, au Sénat, nous devons agir sur tous les plans pour que les gouvernements collectifs reconnaissent la nécessité d'organiser les choses à l'échelle communautaire et de mettre à la disposition des centres communautaires les ressources qui s'imposent. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Le sénateur Callbeck : Je veux soulever la question du logement, puisqu'il en a tant été question aujourd'hui. Madame Swinemar, je crois que vous avez dit que c'est la toute première raison pour laquelle les gens fréquentent une banque alimentaire. Vous avez dit aussi que les provinces devraient disposer d'une plus grande marge de manœuvre quand vient le temps de déterminer comment dépenser l'argent qui leur est alloué. Pouvez-vous donner des exemples?
Madame Shuler, vous avez parlé de votre frère et de la situation grave qu'il vit. Il touche des prestations d'aide sociale. Il reçoit une radiothérapie. Il vit dans un appartement qui est froid. Vous dites qu'il devrait avoir droit à un logement dont le loyer est adapté en fonction du revenu. Êtes-vous en train de dire qu'il n'est pas admissible à un tel logement?
Mme Shular : Il est admissible, mais il y a une liste d'attente. Quand on présente une demande, on se trouve au bas de la liste.
Le président : Quelle est la longueur de la liste d'attente à Ottawa? À Toronto, on peut attendre de cinq à dix ans, mais c'est quelle durée pour Ottawa?
Mme Shular : Je ne connais pas la longueur de la liste d'attente. On ne lui a rien dit à ce sujet, sauf pour dire qu'il ne sera probablement pas en vie assez longtemps pour en bénéficier.
Le sénateur Fairbairn : En parcourant votre dossier, j'ai remarqué que la province de l'Alberta est mentionnée. Je suis originaire de Lethbridge. Cela m'étonne beaucoup de constater que vos activités augmentent à Calgary, qui se trouve dans une province qui est visiblement une des plus riches au pays. Est-ce que cela a trait aux pressions énormes dans le domaine du logement, encore une fois, ou est-ce parce que les gens arrivent de partout à la recherche d'occasions d'emplois qui ne leur sont pas nécessairement ouvertes, au moment où ils arrivent, pour de nombreuses raisons, y compris des lacunes en calcul, en écriture et en lecture?
M. Pegg : Je peux répondre à la question à propos de la fragmentation des services. C'est depuis longtemps un problème. C'est un problème que bon nombre de provinces ont aggravé au milieu des années 90 lorsqu'elles ont transféré aux municipalités la responsabilité des services, et notamment le financement. Comme vous le savez sans doute, les municipalités n'ont pas les moyens de fournir tous les services nécessaires.
Partout au pays, il y a de bons exemples d'organisations non gouvernementales sans but lucratif qui ont pris en charge la situation. J'ai été témoin d'un tel projet au centre de soutien des personnes handicapées. À Toronto, Community Living Toronto déploie sa bienveillance dans toute la ville. Elle cultive des contacts avec les organismes de santé, les services sociaux et les organismes gouvernementaux. Elle a pris la responsabilité de réunir les services et de diriger quiconque s'adresse à elle vers le bon secteur.
C'est semblable dans le Lower Mainland de la Colombie-Britannique avec la British Columbia Association for Community Living. Les associations se sont vu accorder un budget et ont pris en charge la prestation de services aux personnes handicapées. C'est une solution possible. Je ne sais pas si quelqu'un d'autre a des solutions au problème de la fragmentation des services. Verser des fonds aux municipalités représente une solution possible. Une autre consisterait à financer un organisme central dont le travail consisterait à savoir ce qui se passe dans une municipalité particulière.
En ce moment, les organismes se penchent sur la question du financement d'un projet à l'autre. Il est difficile pour un organisme sans but lucratif de voir la situation dans son ensemble, car il n'a pas le personnel qui pourrait le faire.
Sénateur Callbeck, pouvez-vous répéter la question? Je ne suis pas sûr de savoir de quoi vous parliez?
Le sénateur Callbeck : Ce qu'on a dit, je crois, c'est que les provinces devraient avoir une plus grande marge de manœuvre quant à savoir quoi faire de l'argent qui provient du gouvernement fédéral. Pouvez-vous me donner des exemples précis de cela?
M. Pegg : C'est l'inverse que nous disons. Nous recommandons que les sommes d'argent transférées du gouvernement fédéral aux provinces fassent l'objet d'une surveillance plus serrée. Si l'argent est transféré à un établissement postsecondaire, aux services sociaux ou aux services d'aide à la petite enfance, il doit servir aux fins évoquées.
Le sénateur Callbeck : Je sais que c'est la première chose que vous avez dite au sujet de la formule. Je crois qu'on a dit quelque chose à propos du logement, mais j'ai peut-être mal compris.
Le président : En ce moment, nous avons le Transfert canadien en matière de santé et le Transfert canadien en matière de programmes sociaux, mais vous croyez que le transfert en matière de programmes sociaux doit être divisé, pour remonter à une époque que nous avons déjà connue, au moment où il y avait une distinction entre les services sociaux et l'éducation, pour que nous puissions exercer une surveillance sur l'utilisation de l'argent et les résultats obtenus.
M. Pegg : C'est cela.
M. Rainer : Quant à savoir comment pourvoir et financer un filet de sécurité sociale qui serait plus fort et plus efficace, je ne veux pas adresser de reproches à l'Alberta, mais, en route ce matin j'ai entendu la fin d'un reportage sur le Heritage Fund de l'Alberta, qui fait que les bénéfices ou les recettes du secteur gazier et pétrolier de la province sont mis dans un fonds qui est à l'avantage à long terme des Albertains et qui doit être utilisé de telle et telle façon. Le sénateur de l'Alberta peut nous en parler.
Quelqu'un a fait valoir que, pour le degré d'activités et les recettes générées, le secteur gazier et pétrolier de l'Alberta se compare sensiblement à celui de la Norvège. La Norvège compte un fonds semblable, mais on y trouve 250 milliards de dollars, soit 20 fois environ ce qu'il y a en Alberta. Je n'ai pas déterminé comment la Norvège répartit ses richesses, mais nous savons que les pays nordiques, de manière générale, optent pour une répartition des richesses plus équitable et que le taux de pauvreté y est nettement moins élevé. La possibilité de se servir des fonds en question explique, tout au moins en partie, pourquoi la Norvège parvient à instaurer une plus grande équité sociale. Elle a mis en place les mécanismes de financement voulus.
Il reste à savoir si le Canada doit créer un fonds national de ce genre et à déterminer d'où proviendraient les sommes d'argent. Il faudrait explorer ce mécanisme possible en lien avec le secteur des ressources naturelles ou d'autres secteurs rentables — les services bancaires, peut-être — afin de créer un fonds substantiel qui servirait à financer des prestations plus universelles et plus efficaces, pour régler cet aspect particulier de la question de la pauvreté.
Mme Shular : À propos de la fragmentation, un organisme devrait aider mon frère. Dans d'autres centres, il obtiendrait de l'aide. L'organisme n'a absolument rien fait. Mon frère prend l'autobus pour aller à l'hôpital et pour en revenir. Dans d'autres centres, l'organisme s'occuperait de son transport. Il lui fournirait des services de soutien, l'encouragerait et ainsi de suite. Aucun organisme n'est entré ainsi dans sa vie.
M. Pegg : Le sénateur Fairbairn a posé une question à propos de l'Alberta et de Calgary, en particulier. Ce qui s'est produit, nous le voyons aussi à Fort McMurray, et j'ai entendu dire que c'est un problème aussi à Whitehorse. Les gens se rendent à Whitehorse parce qu'on y construira peut-être un pipeline, du fait que le secteur minier pourrait prendre son envol de nouveau. J'ai entendu dire que les gens arrivent avec l'espoir ou l'attente du travail qui viendra. Or, ils ne trouvent pas de travail. Ils épuisent leurs économies, puis ils ne peuvent quitter Whitehorse. En même temps, des condos se construisent en ville. Mme Swinemar a parlé des condos à Halifax : où construit-on les condos? Là où les terrains peuvent être acquis, c'est-à-dire là où il y a des logements et des appartements bon marché, ce qui a pour effet de déplacer bon nombre de ceux qui n'ont pas les moyens de trouver un nouveau logement.
En règle générale, quand il y a croissance à l'intérieur d'une ville, l'infrastructure municipale a peine à suivre l'affluence. Étant donné la situation actuelle — les municipalités n'ont pas les fonds nécessaires pour répondre au besoin qui existe —, elles auront d'autant plus de difficulté à satisfaire au besoin nouveau.
Le sénateur Fairbairn : Nous avons entendu le témoignage de votre collègue, Wayne Hellquist, aux audiences de notre autre comité. Il nous en a parlé, et j'ai vu cela de mes propres yeux, des banques alimentaires naissent dans les villes et villages en milieu rural, en raison des pressions qui s'exercent. Ces collectivités-là n'ont jamais eu besoin de cela auparavant. S'il y a une province qui ne devrait pas vivre une telle situation, c'est bien l'Alberta.
M. Pegg : J'ai grandi dans le Sud-Ouest de l'Ontario; et il y a une banque alimentaire dans pratiquement toutes les petites villes.
Mme Swinemar : Pour ce qui est de la situation en Alberta, je sais que plusieurs Néo-Écossais y sont allés à la recherche de travail. Certains ont trouvé un emploi sûr, mais pas tous. Ce qui se produit, c'est que des membres de la famille sont abandonnés et rendus ainsi vulnérables. Leur système d'entraide ne tient plus. Ils se retrouvent aux banques alimentaires et aux soupes populaires parce que les ressources ne reviennent pas. L'argent gagné va toujours au loyer, en raison du prix élevé des logements en Alberta. L'impact sur les familles n'a donc pas été positif.
Le président : Je dois mettre un terme à la réunion.
Merci de votre participation.
La séance est levée.