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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 23 - Témoignages - 10 mai 2007


OTTAWA, le jeudi 10 mai 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 10 h 47 pour étudier, afin d'en faire rapport, les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne — appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé — et les questions sociales qui touchent les grandes villes canadiennes.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, nous sommes prêts à commencer.

[Français]

Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Aujourd'hui, nous allons examiner la pauvreté, l'itinérance et le logement.

[Traduction]

Au moment de poursuivre l'étude de ces questions, je tiens à signaler qu'il s'agit d'un travail de l'ensemble du comité, mais il est lié à celui des deux sous-comités, dont le premier a étudié la santé de la population et les principaux déterminants sociaux de la santé, et le second les grands défis que les villes ont à relever. La pauvreté, le logement et l'itinérance sont des enjeux communs aux deux sous-comités, si bien que nous avons décidé que ce serait le comité dans sa totalité qui les étudierait.

Nous avons discuté de la question et nous nous sommes entendus, mais nous n'avons pas rendu cette décision officielle dans notre compte rendu. Il faut qu'il soit officiel que, dans les ordres de renvoi respectifs du Sénat, les questions de la pauvreté, du logement et de l'itinérance seront étudiées par l'ensemble du comité et que les témoignages seront ensuite renvoyés à chacun des sous-comités pour leurs travaux, dans leurs rapports à venir. Est-ce d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : Comme je l'ai déjà dit, nous mettons également à profit du travail accompli par le passé. Il importe de signaler que le Sénat a beaucoup étudié la question de la pauvreté. Le rapport rédigé sous la conduite du sénateur Croll a été une étape importante et marquante. Il y a également eu le travail du sénateur Cohen, qui a fait paraître en 1997 un ouvrage intitulé La pauvreté au Canada, le point critique.

Nous nous inspirons également du travail du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, dirigé par le sénateur Fairbairn, qui fait également partie de notre comité. Cet autre comité étudie plus particulièrement la pauvreté rurale, comme l'a proposé le sénateur Segal. Il y a donc beaucoup de travaux passés sur lesquels notre comité peut s'appuyer pour poursuivre cette œuvre dans le même sens.

Aujourd'hui, nous accueillons deux groupes de témoins. Le premier comprend Sid Frankel, membre du comité directeur de Campagne 2000. Il est accompagné de Katherine Scott, vice-présidente à la recherche du Conseil canadien de développement social, qui est une organisation partenaire. Campagne 2000 est un mouvement pancanadien de sensibilisation qui vise à amener les Canadiens à se rappeler et à appuyer une résolution que tous les partis des Communes ont adoptée en 1989 et qui prévoyait l'éradication de la pauvreté chez les enfants au plus tard en 2000. Nous avons déjà discuté de cette question. L'objectif n'a pas été atteint, et nous nous réjouissons que l'organisation soit toujours active.

Le troisième témoin est Glenn Drover, consultant en politique sociale à l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux. Cette association est le porte-parole national de dix organisations provinciales et territoriales de travail social et son objectif est de promouvoir la justice sociale et le bien-être de tous les Canadiens.

Sid Frankel, membre, Comité directeur, Campagne 2000 : Au nom de Campagne 2000, je vous remercie de votre invitation. Nous espérons que vous suivrez l'exemple du comité du sénateur Croll. Ce comité a été un phare pour la lutte contre la pauvreté dans les années 1960 et 1970.

Notre mémoire présente des statistiques, traite brièvement de la définition de la pauvreté et aborde les effets de la pauvreté sur les enfants. Mais au lieu de parler maintenant de cela, nous préférerions traiter de ce qu'il faut faire, selon nous, et de ce que nous espérons retrouver dans votre rapport.

Notre espoir est que vous recommanderez une stratégie de réduction de la pauvreté dans les villes canadiennes qui sera assortie d'objectifs et d'un calendrier. En ce qui concerne la pauvreté chez les enfants, la stratégie devrait comprendre trois objectifs importants : la réduction du taux de pauvreté chez les enfants, la diminution de la gravité de la pauvreté chez les enfants et l'amélioration du développement des enfants pauvres.

Si nous voulons atteindre ces objectifs, il faut que nous ayons une politique générale plus efficace qui vise toutes les familles. Cela aurait des impacts marqués sur la pauvreté chez les enfants dans les villes, mais, en même temps, il faut une politique qui tienne compte du facteur géographique et vise les villes ainsi que les concentrations de pauvreté dans les villes.

Pour ce qui est des recommandations de politique générale, Campagne 2000 revient sans cesse sur sept points.

Premièrement, nous voulons que les prestations de revenus pour enfants soient plus efficaces. Elles devraient passer à un maximum de 5 100 $ par enfant, en dollars de 2007.

Deuxièmement, il est absolument essentiel d'offrir un programme universel, accessible et de grande qualité pour la garde des enfants et l'apprentissage précoce, tant pour améliorer le développement des enfants pauvres que pour permettre aux parents de chercher du travail et de prendre de la formation. Nous souhaiterions que 1,2 milliard de dollars de plus soient injectés à cette fin dans un avenir prévisible.

Troisièmement, de bons emplois bien rémunérés sont une pièce maîtresse de cette architecture de politique. La majeure partie du problème de pauvreté chez les enfants trouve son origine sur le marché du travail et non dans l'exclusion du marché du travail. Le gouvernement fédéral peut faire preuve de leadership en fixant le salaire minimum à 10 $ l'heure dans ses champs de compétence et en renforçant le Code canadien du travail comme la Commission Arthurs l'a recommandé, notamment pour protéger ceux qui ont un travail précaire.

Quatrièmement, le Canada demeure un cas particulier, car il n'a aucune stratégie complète et à long terme sur le logement abordable. Il faut injecter au moins 2 milliards de dollars par année dans de nouveaux logements pour les pauvres.

Cinquièmement, l'éducation postsecondaire est d'une importance extrême, et elle devient de moins en moins accessible aux pauvres. Il faut avoir un programme bien plus considérable de subventions versées en fonction des besoins si nous voulons que les jeunes des familles pauvres puissent fréquenter les établissements d'enseignement supérieur.

Sixièmement, il est très important de rétablir la capacité du régime d'assurance-emploi de protéger les enfants des parents pauvres des effets des interruptions provisoires du travail. Nous souhaiterions une période de référence uniforme de 360 heures et une admissibilité d'un an.

Septièmement, il faut améliorer le Transfert canadien en matière de programmes sociaux. Comme vous le savez, ce transfert fédéral aux provinces et territoires finance entre autres choses l'aide sociale et les services sociaux aux enfants. Il est très important pour les enfants pauvres. Nous souhaitons un réinvestissement qui rétablirait ce transfert à son niveau de 1994-1995. Ce réinvestissement devrait s'accompagner d'un énoncé législatif clair des objectifs, notamment la réduction et, peut-on espérer, l'éradication de la pauvreté. Nous souhaitons l'adoption de principes et de normes pour qu'on sache bien ce que les provinces et les territoires doivent faire de ces ressources.

Je cède la parole à Mme Scott, qui parlera plutôt des besoins en matière de politique axée sur la collectivité.

Le président : Je signale aux membres du comité qui voudraient une information plus détaillée que les recommandations que le témoin vient d'énumérer se trouvent dans les trois ou quatre dernières pages du document, à partir de la page 10.

Katherine Scott, vice-présidente à la recherche au Conseil canadien de développement social, Campagne 2000 : Je suis heureuse de pouvoir adresser la parole au comité. Il est important de mettre l'accent sur les enfants dans les villes, car ils sont représentés de façon disproportionnée parmi les pauvres, en tout cas dans les grandes agglomérations urbaines; ils constituent une population particulière, et il est essentiel de répondre à leurs besoins.

Le Canada a toujours des taux très élevés de pauvreté chez les enfants, et le problème est particulièrement grave dans les villes. Ce que les villes ont d'intéressant, c'est que, même si elles sont des sources considérables de tensions sociales, elles ont aussi un potentiel d'innovation sociale, et une partie du travail le plus passionnant d'élaboration de politiques se fait dans le contexte du développement urbain. Il est tout à fait normal d'aborder dans ce contexte la situation des enfants.

D'autres pays se sont attaqués au défi de la pauvreté chez les enfants dans le contexte urbain. Depuis une dizaine d'années, le Royaume-Uni et les États-Unis ont une politique officielle à cet égard. Au Royaume-Uni, le programme New Deal for Communities consacre des fonds aux collectivités en difficulté, et les enfants occupent une place essentielle dans ces stratégies. Les États-Unis ont opté pour une approche quelque peu différente. Le gouvernement fédéral a injecté des milliards de dollars dans des initiatives comme des fonds de responsabilisation locale, des zones de responsabilisation et des initiatives communautaires. Nombre de ces initiatives sont des subventions globales versées à des collectivités particulières pour favoriser les investissements des entreprises et la création d'emplois afin de stabiliser les assises économiques des quartiers en difficulté.

Ce qui me paraît intéressant dans le travail qui se fait à l'étranger, c'est qu'on ne distingue pas de cheminements communs. Même si on s'en tient au Canada, il faut savoir, je crois, qu'il n'y a pas de chemin commun à emprunter pour progresser. Toutefois, les faits montrent que le nombre de quartiers en difficulté aux États-Unis a diminué depuis les années 1990, ce qui s'explique non seulement par la croissance économique, mais aussi par l'initiative gouvernementale. Cela permet de croire que nous pouvons faire quelque chose — bien plus que ce que le Canada a fait jusqu'à maintenant —, et qu'il est possible de réussir.

Le Canada est tombé dans un piège en cessant d'intervenir au niveau local. Chose certaine, le gouvernement fédéral s'est abstenu d'agir dans des domaines perçus comme de compétence provinciale. Les recherches sur les stratégies de lutte contre la pauvreté en milieu urbain révèlent que ce qui est nécessaire, c'est une assise constituée de politiques universelles, ce qui aura nécessairement des impacts étendus, et des interventions ciblées. Nous sommes tombés dans une dichotomie exacerbée par la dynamique fédérale-provinciale au Canada, mais en fait, nous avons besoin de politiques universelles comme celles auxquelles M. Frankel a fait allusion, car elles assurent une base équitable pour les enfants de toutes les collectivités au Canada, mais il faut aussi des initiatives ciblées ou davantage axées sur certains secteurs.

Certaines initiatives de développement local au Canada ont été des réussites. Il commence à se faire un certain travail grâce à la cession d'une partie du produit de la taxe sur l'essence. Et il y a eu des accords conclus avec des villes, par exemple Vancouver. Winnipeg a également un accord. Ce sont des outils qui sont à la disposition du gouvernement fédéral, et les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ainsi que des municipalités se sont concertés pour réaliser ces initiatives.

Comme ces initiatives ont remporté un certain succès, je recommanderais au comité de prendre en considération les initiatives et les moyens de développement communautaire comme une façon de canaliser les fonds. Le gouvernement fédéral n'est pas étranger à cette façon de verser les fonds, mais j'estime qu'il faut une politique plus large sur l'injection au niveau local de fonds de développement. Pour l'instant, une grande partie de l'argent versé aux collectivités est monopolisé par l'infrastructure matérielle, alors que l'infrastructure sociale est mise de côté.

Au Conseil, nous estimons, dans notre travail de lutte contre la pauvreté urbaine, qu'il est essentiel de revoir les enjeux du développement communautaire sous l'angle de moyens comme le Transfert canadien en matière de programmes sociaux et des programmes conjoints comme le Programme d'action communautaire pour les enfants, autre initiative fédérale et provinciale qui fait délibérément appel à une représentation municipale pour élaborer des stratégies locales précises. Nous avons davantage d'information à communiquer à ce sujet, mais le temps file. Je m'en tiens donc là, et j'espère qu'il y aura des questions. Merci.

Glenn Drover, travailleur social, Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux : L'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux, ou ACTS, s'intéresse plus à la pauvreté chez les femmes qu'à la pauvreté chez les enfants. Bien entendu, les deux problèmes sont complémentaires, et le type de proposition dont il vient d'être question serait utile pour bien des femmes, notamment pour les jeunes femmes qui ont des enfants. Nous voulons néanmoins mettre en évidence la situation des femmes. Nous allons dire un mot des enjeux et des défis pour terminer par une série de recommandations que nous avons à formuler.

Les rapports que nous avons produits traitent de l'écart des revenus entre les femmes et les hommes, de la pauvreté chez les femmes, du revenu des femmes noires et de la pauvreté dans ce groupe, de la santé chez les femmes à faible revenu et d'une proposition de définition du seuil de pauvreté ou d'indicateurs sociaux qui reflètent l'impact de la pauvreté chez les femmes. Nous n'avons pas le temps de présenter les chiffres, mais ils figurent dans les documents que nous avons produits. Je présume que vous savez de façon générale quels sont les enjeux.

Les données de 2005, plus récentes que celles du tableau que nous avons brossé dans nos rapports, puisque ces rapports reposent avant tout sur les données du recensement, confirment les tendances. Par exemple, les revenus moyens des femmes sont toujours de l'ordre de 62 ou 64 p. 100 de ceux des hommes; pour les femmes qui occupent un emploi à temps plein, le pourcentage est plus élevé : 72 p. 100. Les chiffres sont relativement constants. Il n'y a aucune évolution, aucune amélioration. Il y a eu une amélioration par le passé, mais nous sommes maintenant bloqués à un certain niveau.

Chez les femmes qui élèvent seules des enfants, le taux de pauvreté atteint 33 p. 100. Chez les femmes seules de 65 ans et plus, il est de 20 p. 100; chez les femmes seules de moins de 65 ans, il est de 37 p. 100. Ce sont là des taux très élevés.

Il y a deux autres problèmes que nous voudrions souligner. D'abord, le rapport de l'ATCS sur la santé des femmes, et plus particulièrement des femmes à faible revenu, se fonde sur des déterminants sociaux de la santé. Nous estimons qu'il est possible de s'attaquer à nombre de ces problèmes en appliquant les propositions que nous avons présentées.

Deuxièmement, l'ATCS n'a pas encore étudié la situation des immigrantes, mais j'ai fait une vérification préliminaire des données du recensement de 2001 dont nous nous sommes servis pour réaliser les autres rapports. Ces chiffres montrent clairement que le taux de pauvreté est plus élevé, parfois deux ou trois fois plus élevé, pour les immigrantes de l'Asie, de l'Asie de l'Est, de l'Afrique et de l'Europe de l'Est, qu'il ne l'est chez les Canadiennes en général, mais le taux de pauvreté chez les immigrantes venant d'Europe de l'Ouest est inférieur à la moyenne canadienne. Il y a donc là certaines variations.

Les défis à relever en matière de politique ressemblent à certains égards à ceux qu'on observe dans le cas des enfants, mais, à certains points de vue, ils sont très différents. Par exemple, l'écart entre les revenus des femmes et ceux des hommes reste bloqué. C'est un problème difficile à régler, et il faut pour le faire s'intéresser à des enjeux du marché du travail.

Au Canada, le régime d'aide sociale est fonctionne mal, et il faudrait s'en débarrasser. Le gouvernement fédéral peut jouer un rôle important à cet égard.

Le resserrement du régime d'assurance-emploi n'a pas eu ces effets préjudiciables seulement sur le plan de l'admissibilité de telle ou telle personne mais aussi sur celui du nombre de personnes admissibles. Pour les femmes, en particulier, il a eu des conséquences négatives à cause des prestations pour la maternité et le soin des enfants.

Comme vous le savez probablement, le taux de participation des femmes à la population active au Canada correspond fort bien aux taux observés dans d'autres pays de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, mais le taux de participation pour les parents seuls et les femmes mariées qui élèvent seules leurs enfants est bien plus faible. D'autres pays ont su résoudre ce problème bien mieux que nous ne l'avons fait chez nous.

Quel que soit le critère utilisé, le Canada n'offre pas suffisamment de services de garde abordables et de qualité. Or, il s'agit d'un gros problème pour l'emploi des femmes qui ont des enfants. D'après les évaluations que le gouvernement fédéral a faites lui-même, l'infrastructure est en place, pour l'essentiel, et elle correspond à ce qu'on trouve dans d'autres pays de l'OCDE, mais il existe des problèmes de contrôle, d'efficience, de ciblage des objectifs, de programmation, de gestion des problèmes de garderie, qui ne sont pas abordés ici comme ils le sont en Europe.

Il y a deux problèmes de logement liés qui ont des conséquences pour les femmes. Le premier concerne les prêts hypothécaires et le peu d'accès à ces prêts pour les femmes à faible revenu tandis que le second se rapporte aux subventions ou allocations pour le logement, qui sont accordées pour des logements et non versées à des personnes. D'autres pays ont décidé de verser ces allocations aux personnes parce qu'elles ont ainsi davantage de latitude, davantage de liberté pour choisir leur logement, qu'il s'agisse d'un logement social ou d'un logement offert aux conditions du marché.

Nous proposons quatre politiques possibles. D'abord, nous proposons l'établissement d'un seuil de pauvreté global. À l'heure actuelle, le seuil est défini en fonction du revenu. Nous proposons qu'il soit également tenu compte, outre le revenu, de mesures de l'instruction, de l'état de santé, du soutien familial, et cetera.

Deuxièmement, en ce qui concerne la réforme de l'aide sociale et de l'assurance-emploi, nous appuyons l'idée proposée par le Caledon Institute of Social Policy, dont vous entendrez probablement le point de vue. Nous estimons que cela aidera un peu les femmes.

Troisièmement, en ce qui concerne une politique active du marché du travail qui favorise les femmes de façon systématique en matière d'emploi, nous estimons que les normes, l'égalité des chances, l'équité salariale, la formation et les soutiens à la famille feront beaucoup pour améliorer le sort des femmes, car il est clair que, surtout du point de vue de l'écart entre les revenus des deux sexes, particulièrement dans le cas des femmes à faible revenu, leurs chances s'améliorent de façon appréciable si elles travaillent.

Quatrièmement, en ce qui concerne les subventions au logement, nous préconisons une subvention transférable plutôt que le type de subvention qui a actuellement cours au Canada. De plus, nous essayons de rendre les prêts hypothécaires plus accessibles en incitant la SCHL, la Société canadienne d'hypothèques et de logement, à considérer de façon plus large la capacité des femmes à faible revenu d'acquérir des actifs. Vous êtes probablement au courant de l'approche des actifs actuellement utilisée aux États-Unis; il s'agit de tenir compte non seulement des transferts de revenus, mais aussi de l'accumulation d'actifs, des études, du logement, et cetera. J'estime que c'est une bonne idée, mais elle a été mal implantée et mal administrée aux États-Unis.

Le président : Merci beaucoup. Je dois ajouter que l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux a fait parvenir à nos bureaux toute une masse de documentation. On y trouve les rapports suivants : La détérioration de l'état de santé et du mieux-être des femmes à faible revenu au Canada : une tragédie évitable, Le revenu des femmes noires au Canada, Déterminer le seuil de la pauvreté selon les sexes, Le revenu et la pauvreté chez les femmes au Canada : revue de la situation et enfin Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux (ACTS) — Principes de politique sociale. C'est là un trésor de renseignements. Nous vous en remercions.

Je m'adresse aux représentants de Campagne 2000 à propos de l'objectif des Communes se sont donné en 1989, soit éliminer la pauvreté chez les enfants au plus tard en l'an 2000. C'était un bon objectif, mais, que je sache, il ne s'est pas accompagné d'un plan assorti d'objectifs mesurables. L'objectif n'a donc pas été atteint, nous le savons tous.

Je ne vois pas très bien à quel point nous avons progressé par rapport à 1989. Cela dépend des statistiques que l'on considère. On peut dire qu'on en est à peu près au même point. D'autres chiffres peuvent donner à penser que ce pourrait être pire. D'autres encore montrent qu'il y a eu un progrès suivi d'un recul. Peut-être pourriez-vous tirer la question au clair. En matière de pauvreté chez les enfants, en sommes-nous à peu près au même point qu'en 1989?

M. Frankel : Nous en sommes à peu près au même point. Il y a eu beaucoup de fluctuations d'année en année, tout comme les chiffres sur les revenus ont beaucoup varié d'année en année. Il n'y a pas eu de déclin soutenu du taux de pauvreté. Lorsqu'on fait la moyenne d'une année sur l'autre, la courbe reste à peu près plate. Le seuil varie selon le type de mesure de la pauvreté qui est employé, mais la tendance est la même, quelle que soit la mesure.

Toutes mesures confondues, il n'y a pas eu d'amélioration marquée depuis 1989. En fait, si nous utilisons les seuils de faible revenu après impôt, nous étions, en 2005, exactement au même point qu'en 1989. Nous avons réussi à revenir à ce niveau en 2005.

Mme Scott : J'ajoute une observation rapide. Je suis d'accord avec M. Frankel. La tendance reste stable. Nous venons de terminer un projet de recherche sur la pauvreté dans les villes pendant les années 1990, « A Lost Decade. » Il est indéniable qu'il y a eu un progrès au milieu de la décennie, et la croissance économique vers la fin de la décennie a fait diminuer les taux de pauvreté. Depuis 2000, la tendance est stable, avec seulement des fluctuations marginales.

Malgré une succession d'années de croissance économique au Canada, nous n'avons pas réussi à faire diminuer les taux de pauvreté comme nous aurions pu nous y attendre. Les recherches révèlent que les disparités de revenus s'accentuent au Canada, et le phénomène est particulièrement marqué dans les grandes villes. Statistique Canada confirme ces renseignements. La semaine dernière, la manchette soulignait l'écart entre les revenus. Lorsque nous étudions la pauvreté, nous nous intéressons à ce qui se passe au bas de l'échelle des revenus. Il est clair que les Canadiens les plus pauvres piétinent.

Le président : Monsieur Drover, vous avez dit que vous élimineriez le régime d'aide sociale et que le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle de premier plan à cet égard. Par quoi le remplaceriez-vous?

M. Drover : Nous appuyons l'initiative de l'Institut Caledon. Il n'est pas exposé dans les détails, mais les grandes lignes sont là. L'élément essentiel est qu'il s'agit d'un régime à trois niveaux.

Il y a deux bons éléments. D'abord, le système vise à mettre l'accent sur l'emploi, en grande partie comme cela s'est fait dans les pays de l'Europe du Nord. Les soutiens du revenu visent à aider les gens à trouver un emploi, s'ils n'en ont pas. Lorsqu'il est impossible d'en avoir un, il faut assurer une subvention permanente, un appui au moyen d'un transfert de revenu quelconque.

Le premier volet porte sur une période de six mois. Il vise une grande partie des gens qui ne sont pas très bien pris en charge au niveau provincial. Un grand nombre de ces personnes — beaucoup de femmes, en tout cas — pourraient probablement occuper un emploi si elles avaient une aide suffisante pour s'occuper de leurs enfants et des moyens financiers suffisants pour suivre les programmes et régler des problèmes de cet ordre. Les recherches de l'OCDE ont montré à bien des reprises que les femmes répondent fort bien à des initiatives de cette nature en matière d'emploi. La possibilité existe. Telle est l'idée du premier volet. On ne peut guère compter sur lui, sinon à court terme, pour répondre aux besoins des femmes qui sont déjà sur le marché du travail ou qui le quittent et veulent ensuite le réintégrer.

Le deuxième niveau est plus important, car c'est là que les programmes d'emploi interviennent. De toute évidence, cela se fait avec la coopération des provinces, comme c'est le cas aujourd'hui. À la différence de ce qui est prévu dans l'initiative du Caledon Institute, nous estimons que le gouvernement fédéral doit toujours jouer un rôle actif au lieu de laisser les provinces agir seules.

Il faut s'assurer que les prestations sont suffisantes et convenables pour ceux qui suivent leur programme de formation. L'aide doit porter sur le long terme, ce qui n'est pas le cas du régime d'aide sociale. En somme, on veut libérer ces gens de l'aide sociale; par conséquent, cette aide est à court terme et pour l'essentiel, c'est une impasse sur le plan de l'emploi.

Nous avons besoin d'un programme qui assure la continuité. Dans les pays européens, les programmes d'emploi peuvent parfois durer pendant quatre ans. Chez nous, il y a un nombre disproportionné de femmes seules qui sont assistées sociales alors que, en Europe, c'est tout à fait l'inverse : c'est le nombre de femmes seules ayant un emploi qui, comparativement, est disproportionné. Leurs niveaux d'emploi sont plus élevés que celui de bien des femmes, en moyenne.

Le sénateur Munson : Vous êtes les porte-parole de ceux qui ne peuvent se faire entendre. J'ai trois questions à poser. D'abord, comment vos deux groupes survivent-ils par les temps qui courent, comment assurent-ils leur financement?

M. Frankel : Disons brièvement que Campagne 2000 a toujours du mal à survivre. Je crois que l'organisation est un excellent exemple de coopération efficace dans le secteur sans but lucratif. Il y a un nombre élevé de partenaires, d'un bout à l'autre du Canada, qui travaillent avec une subvention relativement modeste provenant d'une fondation et aussi grâce à la générosité de la Family Service Association of Toronto. À l'occasion, nous obtenons des fonds de divers ministères pour réaliser des recherches. Nous voudrions faire plus, mais nous sommes très persévérants et, comme coalition, nous survivons bien.

M. Drover : Comme nous sommes une association professionnelle, notre financement dépend de nos membres.

Mme Scott : Dans le secteur non lucratif, tout est en train de s'écrouler. Je connais un certain nombre d'organisations qui n'ont rien reçu en fin d'année et qui cherchent maintenant à limiter leurs activités ou à se dissoudre. C'est une période particulièrement difficile pour être une organisation sans but lucratif qui s'occupe de ces enjeux, une organisation qui vise à sensibiliser l'opinion ou, comme c'est le cas de Campagne 2000, une coalition vouée à la défense d'une cause.

Je viens de recevoir un appel du conseil de planification sociale de Saint John, au Nouveau-Brunswick. Il me dit que toutes sortes d'organisations communautaires, toutes de première ligne, ne reçoivent pas de subventions pour les emplois d'été. Elles n'engageront pas d'étudiants et ne pourront pas dispenser de services. Cela aura des effets dans tout le pays. Le secteur sans but lucratif éprouve des difficultés en ce moment. Certaines vont disparaître.

Le sénateur Munson : Ce n'est pas un tableau réjouissant. Je regroupe mes deux prochaines questions et les adresse à vous trois.

Les politiques américaine et britannique que vous avez décrites, à propos du fonds de responsabilisation sociale, piquent ma curiosité. Elles semblent intéressantes, mais on a parfois tendance à concevoir les villes américaines — par exemple, certains quartiers de Philadelphie — comme des zones de guerre. Je voudrais savoir comment ces politiques fonctionnent. Restez simples.

Puis, je vais m'adresser à M. Drover, à propos des femmes noires. Vous avez présenté cinq points. Je vais vous donner le temps d'y réfléchir. D'abord, je présume que nous savons comment nous en sommes arrivés là, mais comment pouvons-nous modifier la situation et améliorer leurs salaires? Vous dites que leur degré d'instruction est comparable à celui des autres femmes, mais elles sont au bas de l'échelle. Je voudrais que vous en parliez.

Mme Scott : Des recherches ont été effectuées avec la collaboration de Quartiers en essor, initiative financée par le gouvernement fédéral. Leurs fonds sont épuisés, mais les chercheurs ont étudié le renouvellement des quartiers. Ils ont publié de bons documents dont je peux vous donner la référence sur les stratégies de revitalisation des quartiers. L'un d'eux porte sur les données américaines et un autre sur l'exemple du Royaume-Uni. C'est Duncan Maclennan qui a fait les recherches sur le Royaume-Uni.

L'exemple américain est plutôt un modèle inspiré du secteur privé qui permet de fournir des fonds. Cet exemple est particulier et révélateur. Ce qui se passe aux États-Unis ne se produit pas au Canada. La pauvreté dans les villes, aux États-Unis, présente des caractéristiques très distinctes, de nature historique et ethno-raciale. Elle s'est développée dans ce type d'économie politique. La dévastation que nous avons observée dans certaines villes centrales des États-Unis n'a pas été aussi grave au Canada. Il y a des signes du même ordre au Canada, mais je ne crois pas qu'une comparaison directe soit possible. Par exemple, le point de repère dans les villes américaines, ce sont des quartiers où le niveau de pauvreté dépasse les 40 p. 100. Ce sont des chiffres astronomiques : environ 40 p. 100 de pauvres dans un quartier.

Au moyen des « zones d'entreprise fédérales », initiative de l'administration Clinton, le gouvernement fédéral est intervenu avec le secteur financier pour faciliter l'accès au crédit dans ces secteurs. Le gouvernement a injecté directement des fonds, par des subventions globales, dans les infrastructures publiques de ces quartiers. Selon une grande partie de la recherche et certains dirigeants américains, il est clair que, dans les quartiers que tout le monde a semblé avoir abandonnés, même ceux qui y habitent, l'accès aux services publics est essentiel à la qualité de l'espace, à la disparition des graffiti et même aux liens entre les habitants et leur milieu. Une partie des fonds a servi à fournir des installations communautaires et des infrastructures locales.

On emploie des moyens divers, mais, je le répète, l'accent a été mis sur l'accès privé aux capitaux — facilitation du développement des entreprises et fonds consacrés à la formation. Le gouvernement fédéral a versé directement des fonds aux municipalités ou aux villes. Ce modèle est instructif pour le Canada, car nous semblons nous éloigner de l'idée voulant que le gouvernement fédéral ne puisse toucher les municipalités. À mon avis, c'est une diversion, à dire vrai.

Le sénateur Munson : Je voudrais que M. Drover réponde à ma dernière question.

M. Drover : Notre document sur les femmes noires, nous le devons à un groupe de Noires de la Nouvelle-Écosse où, comme vous le savez, il existe depuis longtemps une collectivité afro-canadienne. Les femmes, là-bas, avaient la profonde conviction que les politiques actuelles du marché du travail tendaient à favoriser les blanches de la société majoritaire. C'est ainsi qu'elles se sont exprimées. Selon elles, l'élément de l'égalité des chances, par exemple, dans la politique du marché du travail, n'est pas appliqué ni contrôlé avec assez de rigueur, et il ne s'accompagne pas d'objectifs concrets. Elles n'ont pas l'impression que le développement sur ce plan soit satisfaisant.

Il y a aussi de plus en plus de Noires qui sont des immigrantes. Leur problème se présente un peu différemment de celui des femmes nées au Canada. Dans le cas des immigrantes, il faut non seulement de bonnes politiques sur le marché du travail, mais aussi un appui pour favoriser la transition vers la société canadienne. Un grand nombre de ces femmes sont laissées à elles-mêmes et font face à des situations où leurs revenus sont non seulement pires que ceux de la femme moyenne au Canada, mais aussi pire que ceux des hommes au Canada, y compris les hommes noirs au Canada. Elles sont doublement touchées. Il y a donc des problèmes de revenu, de transition et d'emploi.

Le sénateur Keon : Monsieur Drover, vous mettez l'accent sur les femmes, ce qui est fort bien, mais il y a parmi elles deux sous-groupes qui méritent une attention particulière, soit les mères de jeunes enfants et, ce qui est encore plus sérieux, les femmes enceintes. L'une des raisons pour lesquelles nous n'arrivons à rien dans le domaine social au Canada, c'est que nous considérons les choses de trop haut. Ces grands et magnifiques programmes ne marchent tout simplement pas.

Comment cibler les femmes enceintes? C'est un énorme problème. Une femme pauvre qui accouche met au monde un enfant qui n'aura pas une vraie chance dans la vie et qui mourra sans doute prématurément d'un cancer, d'une maladie cardiaque ou de quelque invalidité. Et même s'il ne meurt pas, il ne sera probablement jamais à égalité avec un enfant dont la mère a eu une bonne alimentation pendant sa grossesse.

M. Drover : Nous songeons à deux ou trois choses. Si nous réclamons un seuil de pauvreté indexé, multiple, qui tient compte non seulement du revenu, mais aussi d'autres éléments, c'est notamment pour pouvoir aborder des questions de cette nature. Il y a chez les femmes des vulnérabilités qui n'existent pas chez les hommes. S'il est tenu compte de ces facteurs dans la définition du seuil de pauvreté, on obtient un index plus large.

Au Royaume-Uni, où il y a diverses mesures de la pauvreté, on a mis l'accent sur tous les groupes sauf les femmes. Fait important, là où on a utilisé ces autres mesures, par exemple les mesures de privation relative ou perçue, selon l'évaluation de groupes d'experts, et une série d'autres indicateurs se rattachant à la santé, les chercheurs ont constaté que ceux qui sont considérés comme pauvres ne sont pas toujours les mêmes, selon l'indicateur utilisé.

Une étude réalisée au Royaume-Uni a utilisé trois mesures seulement et conclu que le phénomène de la pauvreté s'étendait à un pourcentage de la population bien plus élevé que ce à quoi nous nous attendons lorsque nous ne tenons compte que du revenu. C'est que le risque de devenir pauvre augmente pour certains types de personnes, et c'est certainement le cas des femmes qui ont de jeunes enfants et des femmes enceintes. C'est l'une des raisons qui nous portent à penser qu'un indicateur multiple est important, et c'est ce que nous essayons de soutenir dans le document.

L'autre point concerne les prestations de maternité et parentales qui, chez nous, se sont beaucoup améliorées depuis quelques années, mais qui demeurent faibles par rapport à celles qui sont versées dans certains pays européens. Nous savons aussi que bien des femmes à faible revenu n'ont pas droit à l'assurance-emploi et ne peuvent donc obtenir ces prestations. Je connais plusieurs femmes qui sont dans cette situation. Il me semble qu'il faut reconsidérer ces programmes.

Quant aux femmes qui ont des enfants, il est évident que les services de garde sont importants. Sans ces services, il est absolument impossible aux femmes à faible revenu de se trouver un emploi convenable.

Le sénateur Keon : Ne vous méprenez pas. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Le problème est complexe et les facteurs sont nombreux. Cela dit, je vous encourage à trouver un moyen de cibler des sous-groupes.

M. Frankel : Certaines des politiques d'application plus générale sont importantes pour les femmes avant la naissance de leur enfant. Par exemple, il est fort important d'avoir un logement convenable. On a dit du logement que c'était le déterminant social anonyme de la santé. Sans un logement stable, ces femmes n'ont rien. C'est un enjeu majeur.

Je tiens à signaler également une initiative clairvoyante du gouvernement du Manitoba. Il a mis en place un programme de prestations prénatales fondées sur le revenu qui, d'après les premières observations du moins, a eu un effet favorable sur les nouvelles naissances. Il ne s'est pas préoccupé outre mesure de questions comme celle de savoir avec certitude si la femme est effectivement enceinte. Il a trouvé un moyen administratif de gérer ces problèmes de façon acceptable.

J'accepte cependant votre point de vue : ce genre de mesure ciblée s'impose également.

Enfin, un grand nombre des interventions dans le quartier dont Mme Scott a parlé sont importantes pour les femmes enceintes et les jeunes mères, car elles mettent en place un capital social communautaire. Lorsqu'on peut susciter ce genre de soutien social mutuel, a-t-on constaté, cela constitue une importante protection qui limite les effets de la pauvreté monétaire sur les enfants pauvres.

Le sénateur Cordy : Ce matin, vous avez produit beaucoup d'information. Elle n'est pas réjouissante, mais nous vous remercions de nous l'avoir communiquée.

Je m'intéresse à la question du logement, car, pour toutes sortes de raison, tout le monde à besoin d'un chez-soi.

Dans la plupart des villes, et certainement dans les petites localités, nous avons des enclaves de logements à loyer modique, et il y a des stéréotypes qui vont de pair avec ce phénomène. Malheureusement, nous avons aussi parfois des taux de criminalité plus élevés dans ces quartiers.

Un article sur le logement des étudiants universitaires fait leur éloge parce qu'ils louent ensemble une maison pour réduire leurs coûts. Monsieur Drover, vous avez parlé de subventions transférables, ce qui semble logique. Si des femmes seules et des mères peuvent se regrouper et s'offrir de meilleures conditions de logement, cela ne les aiderait pas seulement à se loger, mais aussi à faciliter la garde des enfants et d'autres formes d'entraide.

Connaissez-vous des quartiers ou des localités où les subventions sont transférables au lieu d'être rattachées à un logement?

M. Drover : L'Ontario vient d'annoncer une initiative en ce sens, mais elle est aussi critiquée par certains parce les subventions vont non plus aux logements sociaux, mais aux personnes. Il y a donc une certaine évolution qui s'esquisse en ce sens au Canada, mais ce n'est pas sur une grande échelle. La difficulté, c'est qu'il y a tellement peu de logements sociaux et que leurs subventions sont très importantes si on veut que ces logements subsistent et qu'ils demeurent convenables.

Comme vous le savez, le soutien fédéral au logement a énormément diminué. Même si, depuis quelques années, il y a eu une certaine augmentation, on est loin de répondre aux besoins. En conséquence, tout effort en vue de prendre l'argent que reçoivent les groupes qui s'occupent de logement pour l'attribuer aux logements sociaux se traduira par une vraie lutte à l'intérieur du secteur. Une subvention transférable au logement doit venir de groupes comme le nôtre, qui estime que cette idée est valable, et le gouvernement fédéral doit prendre l'initiative. Pour l'instant, on s'en remet aux provinces.

Le sénateur Cordy : Vous avez dit que le programme fonctionne mal, que le problème tient en partie au fait que personne ne veut perdre son financement, et qu'il doit y avoir une initiative fédérale. Les gens n'arrivent pas à s'arracher au cycle de l'aide sociale. Ils reçoivent assez pour survivre et rien ne les encourage à renoncer à cette aide. Êtes-vous d'accord?

M. Frankel : C'est vraiment le cas. Les assistés sociaux vivent bien en deçà du seuil de la pauvreté, peu importe comment on le définit. Les règles les empêchent d'accumuler des biens, et les biens, par opposition aux revenus, sont nécessaires pour échapper à la pauvreté. Je suis d'accord avec M. Drover lorsqu'il dit que les programmes d'aide sociale au Canada sont trop importants. S'ils sont trop importants, c'est que nous n'avons pas d'autres programmes ciblés à l'intention des personnes handicapées, qui ne devraient pas relever de l'aide sociale, ou des jeunes familles, qui ne devraient pas être à l'aide sociale non plus. Il y a une autre raison, et c'est que le marché du travail, qui produit trop d'emplois faiblement rémunérés, fait disparaître une des principales incitations à s'affranchir de l'aide sociale. Ce n'est pas comme s'il suffisait de sauter par-dessus un mur; nous voulons nous assurer que les assistés sociaux puissent sauter par-dessus, mais sans tomber dans un trou de l'autre côté. Les taux de chômage sont très faibles, mais il faut les considérer de façon plus nuancée. Nous espérons que vous accorderez une certaine attention à la question, qui est très importante dans les villes.

Il ne faut pas oublier que les assistés sociaux mènent une vie de privations. Toutes les provinces et tous les territoires ont adopté une politique afin de les aider à s'en sortir. Parfois, cette politique est bonne, mais parfois, elle est mauvaise. Nous avons constaté que ceux qui restent à l'aide sociale après que la population des assistés sociaux a diminué ont tendance à y rester pendant des périodes de plus en plus longues. Cela veut dire que nous avons un groupe d'enfants relativement faible, mais tout de même important, qui grandissent avec des privations qui durent longtemps, et cela se fait sentir dans leur développement.

Le sénateur Nancy Ruth : Je m'intéresse à la prestation de 100 $ par enfant. Y a-t-il à cet égard un rôle pour les pères mauvais payeurs? Je m'intéresse aussi au rôle des sociétés commerciales. Même si nous avions un salaire minimum de 10 $ l'heure, cela ne ferait pas disparaître les problèmes du travail à temps partiel, de l'absence d'avantages sociaux ni les autres difficultés. Que pensez-vous du rôle des sociétés, de celui du gouvernement et des pères mauvais payeurs?

Mme Scott : Ce sont deux questions distinctes : les sociétés mauvaises payeuses et les pères mauvais payeurs. L'un des principes de Campagne 2000 a toujours été qu'il n'y a pas de formule magique pour lutter contre la pauvreté des enfants dans les villes canadiennes et qu'il faut recourir à des stratégies multiples. Les études portant sur les causes de la pauvreté des familles ont montré que la rupture du mariage et la perte d'emploi étaient les principaux facteurs. À l'inverse, la meilleure façon d'échapper à la pauvreté chez les enfants est le mariage, car les ménages qui ont deux revenus sont mieux équipés pour obtenir les ressources nécessaires pour élever des enfants en bonne santé et qui se sentent en sécurité sur le plan économique. En matière de pensions alimentaires pour les enfants, ce sont les provinces qui ont compétence, et c'est le gouvernement fédéral qui établit les lignes directrices. Je crois que, lentement, les provinces commencent à lancer des campagnes plus énergiques ou à assurer un suivi auprès des pères qui ne s'acquittent pas de leurs obligations. La nouvelle campagne ontarienne avec photographies est un exemple. D'autres pays prennent des mesures plus sévères, et nous les avons étudiées. Je n'ai pas les résultats de recherches qui me permettraient de dire quelle est l'ampleur du problème ni combien d'enfants vivent dans la pauvreté parce que les ordonnances de pension alimentaire ne sont pas respectées. Des agents locaux ont peut-être étudié les chiffres, mais cela demeure un domaine sur lequel on peut en apprendre davantage.

Le rôle des sociétés est une toute autre question, et c'est une question de juste part. Le Conseil canadien de développement social et Campagne 2000 estiment qu'il faut un régime fiscal équitable si on veut que l'État ait les ressources publiques nécessaires pour assurer des règles égales pour tous, et le Canada a un taux d'imposition des sociétés qui compte parmi les plus faibles au monde, bien qu'il y ait une tendance à la baisse.

En matière d'imposition, il faut faire des comparaisons. Pour financer l'État-providence canadien, il est impossible, à long terme, de compter sur la fiscalité des particuliers, d'autant plus que le marché du travail se caractérise de plus en plus par la précarité de l'emploi et la bipolarisation des revenus. Nous devrions plutôt nous efforcer de faire payer par les sociétés canadiennes leur juste part d'impôt si nous voulons assurer la sécurité de l'État-providence au Canada.

M. Frankel : À propos du premier des deux problèmes, les pensions alimentaires des enfants versées par les pères, l'une des difficultés que présentent les régimes d'aide sociale qui sont un dernier recours est qu'il y a une récupération complète des pensions alimentaires pour les enfants que la mère reçoit du père. Par conséquent, rien n'encourage la mère à se donner du mal pour faire verser les pensions alimentaires. D'une certaine façon, cela ne tient pas debout. Je peux comprendre pourquoi ce système a été mis en place, mais concrètement, sur le terrain, cela n'a pas de sens.

Quant à la deuxième question, celle des sociétés et des employeurs, nous ne pensons pas qu'une prestation pour enfants du montant dont nous avons parlé soit soutenable si les salaires ne sont pas à un certain niveau. Par conséquent, nous recommandons et appuyons un salaire minimum de 10 $ l'heure. En un sens, nous ne croyons pas qu'il soit acceptable que des employeurs qui choisissent de payer de très faibles salaires puissent faire assumer par la société les coûts de l'emploi en faisant appel à l'État. Du point de vue de l'abordabilité, il faut considérer la générosité des prestations pour enfants en tenant compte du taux des salaires et de ce que l'État peut faire pour porter ce taux à un niveau supérieur à celui de la pauvreté, de sorte que celui qui travaille à temps plein puisse s'arracher à la pauvreté grâce à son seul salaire. Il faut pour cela un salaire d'environ 10 $ l'heure de travail à temps plein.

M. Drover : À propos des pères mauvais payeurs, je suis d'accord sur ce qu'on a dit, mais je suis sûr que la femme, généralement, souhaiterait être indépendante du père mauvais payeur. Il vaudrait mieux mettre l'accent sur les programmes destinés aux femmes pour les aider à devenir autonomes.

Le sénateur Nancy Ruth : L'État a-t-il l'obligation de percevoir les pensions alimentaires auprès de ces pères mauvais payeurs?

M. Drover : Comme on l'a dit, dans certains pays, l'État perçoit les pensions et les remet aux femmes. Les pays nordiques, par exemple, transfèrent directement l'argent aux femmes, et les pères font leurs paiements à l'État. Il y a diverses variantes de ce modèle, mais je ne les ai pas étudiées d'assez près pour en évaluer l'efficacité.

En ce qui concerne les sociétés commerciales, j'ai quelques points à faire ressortir. Les programmes sur le marché du travail que j'ai étudiés en Europe font intervenir les sociétés, et ils donnent d'assez bons résultats, en fait. Les sociétés participent aux programmes de formation et aux soutiens à la famille, et elles s'occupent des problèmes d'équité en matière d'emploi. Les sociétés sont très importantes, évidemment, car si on veut parler de l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes, il s'agit principalement d'un revenu qui vient du marché, et c'est le marché qui doit agir. La seule solution est de faire intervenir activement les entreprises et les sociétés. Notamment dans le cas des normes d'emploi, c'est une question importante, car un fort pourcentage des femmes ont un travail marginal ou à temps partiel et ne reçoivent aucun appui pour assurer que les normes d'emploi sont respectées. Il est difficile de travailler avec les petites entreprises parce qu'elles ont généralement 10 ou 20 employés. Bien des gens, et notamment des femmes, travaillent dans ces petites entreprises.

Le sénateur Nancy Ruth : Dois-je présumer que, dans l'ensemble, vous êtes en faveur? À Toronto, Homeward Bound, du WoodGreen Community Centre, est un programme innovateur pour les familles, les mères et les enfants à l'aide sociale. Est-ce le genre de programme auquel vous souhaiteriez que les mères participent, avec trois ans de formation pour qu'elles acquièrent des compétences de base et des compétences professionnelles? Est-ce un modèle que vous appuyez?

Mme Scott : Surtout si on considère la pauvreté urbaine dans un contexte local, les employeurs, qu'il s'agisse de sociétés nationales, de petites entreprises ou du large éventail des entreprises indépendantes au Canada, doivent faire leur part et se considérer comme faisant partie intégrante des collectivités locales. Je crois qu'elles le font, mais elles devraient participer activement aux politiques du marché du travail. Cela devient de plus en plus important. Considérons les pertes récentes d'emplois dans le secteur manufacturier de l'Ontario et l'impact qu'elles ont sur une ville comme Windsor; c'est là qu'on commence à voir les effets locaux de l'évolution de la politique économique au Canada, la croissance des industries de service qui se sont développées dans nos grandes villes pour servir le secteur financier, celui du commerce de détail, et cetera, et qui sont devenus en un sens plus structurantes. Il y a toute une couche du marché du travail qui se définit par des salaires faibles et d'autres caractéristiques. Le rôle des sociétés ou des entreprises revêt une importance accrue, et il faut que le gouvernement fédéral et les autres ordres de gouvernement coopèrent pour élaborer une politique active sur le marché du travail, d'autant plus que la base industrielle est en train de changer. La situation prendra une allure différente.

Je suis frappée par ce qu'on entend dire de l'Alberta, en ce moment. On croirait que les rues y sont couvertes d'or, et ce n'est pas le cas. Si on laisse de côté les histoires de redevances et tout le reste, si on parle plutôt des organisations de planification sociale à Calgary, par exemple, il existe là-bas un terrible problème de logement. Personne n'a les moyens de se payer un logement. En réalité, de nouveaux rapports établissent un lien entre la prospérité et la pauvreté, et on assiste à une extraordinaire bipolarisation des revenus à Calgary. La ville n'a pas l'infrastructure publique voulue pour s'attaquer au problème. Le changement qui se produit sur ce marché du travail a un effet amplificateur sur les conditions locales — dans ce cas, il s'agit du coût astronomique du logement : des familles sont forcées de quitter leur logement et des enfants deviennent des itinérants et passent de maison en maison. La situation exige une approche multisectorielle intégrée, si on veut répondre aux préoccupations de ces collectivités en matière de sécurité économique.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je voudrais parler des enfants et des services de garde. Monsieur Drover, le rapport intitulé Le revenu et la pauvreté chez les femmes au Canada : revue de la situation traite d'un certain nombre de choses, dont les services de garde, qui tendent à accroître plutôt qu'à diminuer la vulnérabilité économique des enfants pauvres. Dans son ouvrage, Douglas Holmes écrit que les enfants les plus vulnérables sont ceux des mères seules, même s'il existe des enfants vulnérables dans des familles très riches. Il y a quelque chose à ajouter. Le facteur de vulnérabilité suivant, par ordre d'importance, c'est la dépression chez ces mères seules. Cela résume bien la situation.

J'ai deux questions à vous poser. Je commence à appeler ce printemps le printemps du silence, car je m'indigne qu'on ne proteste pas davantage contre le fait que les accords de Ken Dryden sur les garderies ont été annulés le 31 mars. Ces accords n'existent plus. Auriez-vous quelque chose à dire sur la réaction de la société ou sur son absence de réaction? Nous avons beaucoup parlé au cours de différentes séances du fait qu'on réduit les gens au silence. Je m'indigne que les réactions ne soient pas celles que j'aurais espérées.

J'ai une question à vous poser à propos du Québec, à propos de la productivité de la main-d'œuvre et du rapport entre les services de garde et la productivité de la main-d'œuvre. Pouvez-vous commenter les différences entre le Québec et le reste du Canada? Cette province est le seul très bon exemple au Canada d'une province qui essaie de s'attaquer à ce problème.

M. Drover : Dans les initiatives québécoises, telles que je les comprends, il y a une ou deux choses qui sont importantes dans ce domaine. L'une est qu'on y a plus de places en garderie de coût abordable pour un plus grand nombre de femmes qu'on n'en trouve dans le reste du Canada. Ce modèle de services de garde est plus proche de ce que nous souhaiterions voir dans d'autres régions du Canada. Le Québec a aussi sa propre stratégie de lutte contre la pauvreté, et Terre-Neuve a aussi une stratégie provinciale. Qu'on critique certains éléments de ces stratégies ou refuse de tenir compte de ces éléments, voilà une autre question, mais, au moins, le fait d'avoir une stratégie assure une responsabilisation et permet par exemple de mesurer ce qu'on essaie de faire. On peut se faire une idée des progrès accomplis, et ces provinces ont assuré des transferts de revenus non négligeables à cause de cela.

En ce qui concerne le marché du travail, je ne vois pas très bien ce qu'on y fait ni dans quelle mesure les femmes réussissent à s'intégrer au marché du travail grâce à des programmes. Je n'ai aucune idée de l'efficacité des programmes provinciaux.

Mme Scott : Des recherches récentes sur la pauvreté urbaine ont montré que les grandes villes au Québec accusaient des taux de pauvreté parmi les plus élevés au Canada. Ils sont très hauts à Québec et à Montréal. Fait intéressant, le taux de pauvreté chez les enfants dans ces villes a tendance à être plus faible que le taux général de la pauvreté urbaine. C'est l'inverse dans d'autres régions comme le sud de l'Ontario et dans d'autres villes.

Le Québec a un système de sécurité du revenu prévoyant des mesures fondées sur le revenu, et ce système cible plus efficacement les jeunes familles qui ont de jeunes enfants; leur taux de pauvreté est plus faible. On s'aperçoit que, depuis maintenant dix ans, le Québec a adopté une approche ciblée pour orienter ses réformes de l'aide sociale et les programmes qu'il a implantés. Il a fait œuvre de pionnier. Je sais que l'ancien gouvernement fédéral, avec M. Goodale, et le gouvernement actuel ont mis en place un programme de supplément du revenu de travail alors que le Québec a envisagé cette possibilité il y a dix ans, en l'orientant vers les jeunes enfants. À certains égards, il a perfectionné ce modèle, et ce modèle a guidé les initiatives fédérales actuelles. En ce sens, le Québec a été un chef de file. De nombreux ouvrages ont été consacrés à l'évolution du modèle québécois, et il est maintenant distinct, et cetera. Je n'entre pas dans les raisons, mais l'État y a été beaucoup plus actif, il a obtenu de bons résultats, et il a servi de modèle au reste du Canada.

Quant à ce que vous dites des services de garde, je suis d'accord. Cela m'attriste beaucoup. Nous étions sur le point d'avoir des moyens de canaliser des fonds pour développer des services de garde dont nous avons grand besoin au Canada, diverses manières de servir les familles sans égard aux besoins. On a jeté les hauts cris dans le milieu des services de garde. On minimise le problème. Le rapport Save the Children de la Grande-Bretagne signalait hier que le Canada est passé du cinquième au 25e rang dans l'indice des services aux enfants, ce qui s'explique en grande partie par le nombre d'enfants inscrits en formation préscolaire. Nous avons là la preuve que le Canada non seulement tirait de l'arrière déjà — et les études de l'OCDE sur les services de garde l'ont montré —, mais qu'il perd encore du terrain par rapport aux autres pays industrialisés.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Frankel, parmi les éléments que vous avez énumérés, vous avez dit à propos du Transfert canadien en matière de programmes sociaux qu'il fallait plus de clarté, plus de responsabilisation et de capacité. Je vous demande, à vous et aux deux autres témoins, ce que vous pensez des dispositions du dernier budget au sujet de ce transfert. Comme vous le savez, il s'agit de l'argent versé aux provinces pour l'éducation et les services sociaux. Lorsqu'ils ont été établis, en 1977, le gouvernement fédéral a cédé des points d'impôt. Comme nous le savons tous, un point d'impôt a une valeur différente dans chacune des provinces. Il y avait là de l'argent à distribuer, en tenant compte des disparités régionales. C'est ainsi qu'on s'y est pris en 1977. Le dernier budget a modifié ces modalités : désormais, l'argent sera distribué au pro rata de la population.

D'entrée de jeu, cela veut dire qu'on a fixé un montant de 289 $ par habitant. L'Île-du-Prince-Édouard obtient une petite augmentation de 7 $, ce qui donne 1 million de dollars. L'Alberta reçoit 102 $ par habitant, ce qui lui donnera 400 millions de dollars. L'an prochain, les deux provinces recevront le même montant par habitant, mais le point d'impôt vaut 310 $ en Alberta et 129 $ à l'Île-du-Prince-Édouard. Cette façon de faire creusera l'écart entre les provinces riches et les provinces pauvres. Que pensez-vous de ce changement?

Mme Scott : C'est l'une des mesures budgétaires qui nous ont paru critiques. Le Conseil canadien de développement social, le CCDS, fait depuis le milieu des années 1990 des démarches au sujet du Transfert canadien en matière de programmes sociaux et du sort qui lui est réservé. Il a été amalgamé au TCSPS, puis il en a été séparé en 2004, je crois. Et voici que, en principe, il est dissocié des fonds destinés à l'éducation postsecondaire. Nous avons suivi l'évolution non seulement du niveau du transfert, mais aussi de sa structure.

Dire que c'est compliqué est probablement un euphémisme. Je ne crois pas que nous puissions pleinement comprendre l'impact des changements proposés au Transfert canadien en matière de programmes sociaux; certains sont constructifs, en fait. Si on ne comprend pas l'impact des modifications apportées à la formule de péréquation, il est clair que, si on a adopté la formule du versement par habitant pour le TCPS, c'est pour tenir compte des besoins sociaux. Le principe sous-jacent, que nous préconisons depuis longtemps, est qu'il faut cerner et isoler les besoins sociaux pour pouvoir les observer. Nous ne sommes pas revenus aux niveaux de 1994, sinon de façon nominale; en termes réels, nous continuons à sous-financer les services sociaux comme l'aide sociale. Ce sera désormais plus évident, car on a pris des mesures qui mettront ce fait en évidence. Ce qui se passe, maintenant qu'on a cessé de prétendre essayer d'assurer la péréquation des montants injectés par le TCPS, c'est que tout dépendra des résultats que donnera la formule de péréquation. On ne peut comprendre sans une analyse plus poussée.

Le CCDS a un conseil d'administration formé de membres venant des quatre coins du Canada. Ses membres issus du Canada atlantique sont hors d'eux-mêmes — à Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse, notamment — à cause de ce qui leur semble une érosion systématique de leurs capacités, comme « provinces démunies », car non seulement on sacrifie la possibilité, pour ces provinces de s'attaquer à leur dette et à l'injustice du passé, mais on les condamne à se contenter de systèmes sociaux qui ne sont pas à la hauteur, ce qui aura des conséquences concrètes en matière de pauvreté.

Je ne vous réponds pas directement parce que je ne crois pas que nous en soyons au point de pouvoir faire cette analyse. Il y a des éléments positifs dans l'annonce sur le TCPS, mais le programme demeure sous-financé. Toute la question de la justice est essentielle; c'est dans la Constitution. Je ne crois pas que nous ayons au Canada des échanges sur la qualité des mesures de sécurité sociale auxquelles tous les Canadiens et toutes les localités ont droit. Il est inacceptable de s'en remettre aux seules administrations provinciales ou municipales, qui peuvent fort bien injecter des fonds ou ne pas le faire. Il importe de dire que tous les enfants, toutes les familles au Canada ont droit à un ensemble de services, et nous devons nous servir de moyens comme le TCPS pour assurer cette justice. J'hésite à dire qu'il faut étudier la question plus à fond, mais je crois que c'est le cas, si nous voulons comprendre ces questions.

Le président : C'est une question qui prête à controverse et elle a été abordée par un autre comité.

Le sénateur Cook : Si je comprends bien ce que disent Mme Scott et le sénateur Callbeck, le TCPS suit maintenant un modèle de répartition au pro rata de la population. Voulez-vous dire que, d'une certaine façon, cela est lié à la formule de péréquation, que personne au Canada ne comprend? Est-ce que nous nous engageons dans cette voie, croyez-vous?

Mme Scott : Il doit bien y avoir cinq personnes au Canada qui comprennent à fond le programme de péréquation.

Le sénateur Cook : Je serais heureuse d'en rencontrer une.

Mme Scott : Nous avons besoin d'une personne qui comprenne ce qui est proposé. L'Ontario, par exemple, soutient depuis des années que cela a à voir avec ses accords sur le marché du travail, sur l'immigration, et cetera. et qu'elle est sous-financée. Il a été fait abstraction des points d'impôt. L'Ontario se préoccupait de l'argent liquide, du montant qu'il lui restait au bout du compte pour ses programmes sociaux qui prennent de l'ampleur, et dont beaucoup sont concentrés dans les régions urbaines.

On peut dire qu'une personne pauvre est toujours une personne pauvre, que ce soit en Ontario, à l'Île-du-Prince- Édouard ou dans l'est de Vancouver. Opter pour une approche voulant que les règles soient équitables pour tous, ce que reconnaît le gouvernement fédéral, voilà, me semble-t-il, un principe que nous pouvons tous appuyer, mais on ne comprend pas que chaque province a une capacité fiscale radicalement différente pour se doter de mesures sociales. Voilà le problème que la péréquation était censée résoudre; il était censé assurer cette équité. Si nous avions un système de péréquation efficace pour tenir compte des différences dans la capacité des provinces de satisfaire leurs besoins sociaux et autres, il serait sans doute possible d'avoir pour le TCPS un simple transfert par habitant. C'est ce que c'est, en théorie. Je ne pense pas que ce soit ce qui se passe en pratique; mais nous ne comprenons pas non plus pleinement ce que nous avons dans la pratique.

Les provinces ont l'impression qu'on les presse de signer un accord qui aura à l'avenir une influence profonde sur la capacité fiscale. Nous en sommes à un point où on ne sait à quoi s'en tenir avec précision, mais la théorie et la pratique ne vont pas de pair.

M. Frankel : Il n'existe aucun lien entre les transferts fédéraux et les dépenses provinciales, de sorte qu'il est très difficile de discerner les impacts. Dans le Régime d'assistance publique du Canada, il existait un lien. Nous soutenons qu'il faut énoncer des objectifs, des principes et des normes dans les dispositions législatives sur le TCPS, et notamment des normes sur le caractère adéquat et les normes négociées entre les autorités provinciales et fédérales. Au moins dans les soins de santé, nous avons les services jugés nécessaires sur le plan médical. Dans le cas des services sociaux et de l'aide sociale, il n'y a pas de minimum fixé. C'est un gros problème dans ce dossier.

Le président : Merci beaucoup. Nous pourrions vous écouter encore longtemps, mais nous manquons de temps.

Le sénateur Cook : Pourrais-je ajouter quelque chose? Je viens de Terre-Neuve. Ce que j'ai entendu est très troublant. Je crois que, sur le plan social, on va dresser un mur tout autour du Canada atlantique, étant donné la nature de la population de cette région. Mon premier ministre essaie de faire quelque chose. Il a un plan décennal, mais il n'arrivera à rien si on lui impose ces changements.

Le président : De nouveau, merci aux témoins. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir comparu.

Nous accueillerons maintenant un nouveau groupe de témoins. Nous souhaitons la bienvenue à Loly Rico, présidente, et Roberto Jovel, coordonnateur de la politique et des recherches, de l'Ontario Council of Agencies Serving Immigrants. L'OCASI a été formé en 1978 pour agir comme porte-parole collectif pour des organismes au service des immigrants et pour coordonner les réponses aux préoccupations et besoins communs. Il regroupe plus de 170 organisations communautaires de l'Ontario.

Nous souhaitons également la bienvenue à Vera Pawis Tabobondung, présidente de l'Association nationale des centres d'amitié. Cette association a été mise sur pied en 1972 pour représenter les centres d'amitié au niveau national. Actuellement, elle représente quelque 115 centres, ainsi que sept associations provinciales et territoriales des quatre coins du Canada.

Merci à vous tous d'être là.

Loly Rico, présidente, Ontario Council of Agencies Serving Immigrants (OCASI) : Merci de nous avoir invités. C'était notre idée. Je vais parler des difficultés de logement et d'itinérance que doivent affronter les immigrants et les réfugiés et raconter l'histoire de deux Torontoises qui sont venues au Canada comme demandeuses du statut de réfugié.

Je vais donner à la première femme le nom fictif de Teegis. Elle est arrivée seule au Canada comme réfugiée en 1997. Elle est seule et élève seule ses enfants. Elle a commencé à travailler, mais son salaire n'était pas élevé. Elle a demandé un logement subventionné et elle a attendu de cinq à sept ans. Entre-temps, elle a pu faire venir ses cinq enfants d'Afrique. Lorsqu'ils sont arrivés, elle habitait dans un studio, et ses cinq enfants vivaient avec elle. Elle a demandé un appartement plus grand. Il a fallu dix mois pour leur trouver, à elle et à ses cinq enfants, cet appartement plus grand à Toronto. Les enfants grandissaient. La famille a déménagé dans une maison en rangée subventionnée par le Toronto Community Housing, mais elle devrait payer les services publics, si bien que le coût total correspondait à un loyer normal.

Cette femme travaille toujours, et les enfants ont commencé à travailler aussi, mais ils ne pouvaient toujours pas payer le loyer. Ils ont réparti la famille entre deux appartements pour arriver à survivre et à payer le loyer. Teegis et ses enfants ont continué à travailler, essayant de lancer une entreprise, et les trois autres enfants ont dû interrompre leurs études parce qu'ils n'arrivaient pas à survivre et à payer le loyer.

L'autre personne dont je voudrais décrire les difficultés est Aisha. Elle est arrivée d'Afrique il y a sept ans avec un bébé de 28 jours. Elle demandait le statut de réfugié, et elle a formulé une demande — nous nous occupons de ces questions-là. Je suis présidente de l'OCASI, mais je travaille aussi avec des femmes réfugiées ou qui demandent le statut de réfugiée, au sein d'une organisation qu'on appelle le FCJ Refugee Centre. Elle est donc arrivée avec son bébé, et nous avons fait la demande de logement subventionné. Elle a attendu son appartement pendant six ans, pendant lesquels elle a vécu dans une maison louée à très bas prix par des religieuses.

Elle se trouvait à Toronto. Elle a décroché un emploi dans l'ouest de la ville, mais le logement subventionné qui lui a été offert se trouvait à Scarborough. Elle l'a accepté, parce qu'elle n'avait pas le choix. Elle a trouvé des services de garde pour son enfant, qui a maintenant cinq ans. Elle laisse son enfant tous les matins et elle met une heure à se rendre au travail. Elle doit demander à une amie d'aller chercher l'enfant tous les jours à la garderie parce qu'elle ne peut pas, en quittant le travail à 17 heures, arriver à temps pour reprendre l'enfant à la garderie.

Cette femme attend depuis cinq ans de retrouver ses enfants qui sont toujours en Afrique. Elle en attend donc quatre autres qui arriveront d'ici trois mois. Elle s'est adressée à la Toronto Community Housing et leur a annoncé l'arrivée de ses enfants. Mais on ne peut pas lui procurer un logement plus grand tant que ses enfants ne seront pas arrivés. Cela veut dire qu'elle éprouvera les mêmes problèmes que l'autre femme dont j'ai parlé à l'instant.

Voilà les difficultés de la plupart des immigrantes et des réfugiées qui arrivent au Canada. Je cède la parole à M. Jovel, qui expliquera nos recommandations et nos principaux points de vue.

[Français]

Roberto Jovel, coordonnateur, Politiques et recherche, Ontario Council of Agencies Serving Immigrants (OCASI) : Monsieur le président, j'entends dresser un portrait général des facteurs sociaux qui sont en jeu lorsqu'on parle de situations telles que Mme Rico vous en a fait part. Vous allez m'entendre dire des choses assez semblables à ce que vous avez entendu dans les panels précédents, mais j'aimerais focaliser davantage sur certains aspects qu'on a présentés dans les mémoires de ces comités concernant la discrimination raciale ou la différence entre les sexes, comme on dit de façon plus officielle, et aussi au niveau du statut migratoire, que ce soit comme immigrant, comme résidant permanent ou comme réfugié, demandeur d'asile ou comme personne sans statut migratoire.

On a voulu inclure dans ce mémoire est une liste de résultats de recherches tant académiques que communautaires et aussi très souvent basées sur les études de Statistique Canada qui font état nous le croyons sans aucun doute du fait que les inégalités au Canada, et particulièrement dans les grands centres urbains, suivent des lignes hautement « racialisées ». Les inégalités se manifestent par les différences ethnoraciales dans la population canadienne.

Nous avons mentionné des études dont celle de Grace-Edward Galabuzi. À notre avis, il s'agit de l'une des meilleures études faisant état justement de la combinaison ou du recoupement ou de la superposition de différents facteurs concernant les barrières systémiques que les réfugiés et les immigrants rencontrent lorsqu'ils s'établissent au Canada, avec la question de l'injustice basée sur le racisme.

Donc, si nous nous penchons sur ces situations, c'est parce que l'on parle de pauvreté et de problèmes dans le logement. Ces études démontrent le problème d'accès à l'emploi sur le marché du travail au Canada. Cela a un impact sur la question de la pauvreté et sur la façon de se procurer un logement convenable.

On a cité également l'étude que Michael Ornstein a faite pour la Ville de Toronto en utilisant les résultats du recensement de 1996 et une mise à jour avec les résultats de 2001. L'étude a confirmé, encore une fois, que les communautés « racialisées » et aussi les immigrants et les réfugiés sont négativement affectés par la discrimination au niveau de l'accès à l'emploi et à un revenu juste, selon les standards de la population majoritairement blanche née au Canada.

Nous devons établir une distinction entre la « racialisation » de la pauvreté qui concerne toute personne dont la couleur de la peau n'est pas blanche. Par exemple, cela inclut des Afro-Canadiens qui vivent ici depuis très longtemps et qui ne sont pas des immigrants ou des réfugiés.

Il est important de soulever ce facteur parce que depuis 15 ans maintenant la très forte majorité des gens qui viennent s'établir au Canada, en tant qu'immigrants ou réfugiés, viennent des pays du Sud et appartiennent à des communautés « racialisées ». La « racialisation » de la pauvreté combinée avec les barrières systémiques touchant les nouveaux arrivants est un problème lorsque vient le temps de contrer la pauvreté et le manque de logements.

Le genre, ou l'égalité entre les sexes comme on dit de façon officielle, est également quelque chose de très important pour nos membres et pour les populations que nous desservons.

Dans notre présentation, nous n'avons pas cité une référence en particulier; il s'agit d'une autre étude menée par deux chercheures, dont l'une est basée à Toronto et l'autre à Halifax : Valerie Preston et Evangelia Tastsoglou. Elles ont établi une distinction en utilisant les données de Statistique Canada relativement aux niveaux du revenu, aux taux d'emploi dans la population née au Canada et qui est majoritairement blanche, par rapport au bas niveau où se retrouvent les immigrants.

Parmi les immigrants, ceux qui appartiennent à des groupes « racialisés » se retrouvent à un niveau encore plus bas que ceux qui viennent de l'Europe qui, eux, bénéficient d'une expérience de l'établissement et de l'intégration beaucoup moins difficile.

Également, parmi les immigrants et les réfugiés qui appartiennent à des groupes « racialisés », on retrouve la situation des femmes immigrantes réfugiées qui sont, à leur tour, « racialisées ». Nous n'avons pas fourni ces statistiques, mais elles peuvent être consultées.

J'ai également souligné une chose dont les témoins précédents avaient fait état au sujet des changements récents sur le marché du travail, surtout ceux concernant les employeurs qui manifestent un besoin de flexibilité dans le marché du travail.

Ce qui nous préoccupe dans le milieu communautaire et celui des services sociaux est le sous-emploi, la précarité de l'emploi et les abus de toutes sortes concernant les droits des travailleurs car, en fait, ils ne sont même pas protégés par la loi.

Des études comme celle de John Shields font état de cette situation, ainsi que d'autres études basées sur la communauté qui tracent un portrait de divers abus se déroulant dans les agences de placement temporaire. Ils ont donné des exemples de femmes musulmanes où l'agence ou l'employeur éventuel les forcent à enlever leur voile ou à porter des minijupes de façon inacceptable. Il s'agit là d'une tranche de plus en plus significative du marché du travail et où aucune protection ne leur est offerte.

Je vais m'arrêter ici, mais peut-être que durant la période de questions nous pourrons aborder d'autres aspects de notre mémoire.

[Traduction]

Vera Pawis Tabobondung, présidente, Association nationale des centres d'amitié (ANCA) : Bonjour. Je vous transmets les salutations de tous ceux qui travaillent avec l'Association nationale des centres d'amitié. C'est un honneur de parler de nos contributions à votre excellente initiative et des réflexions qu'elle nous inspire.

Nos propos porteront sur les moyens d'assurer aux enfants un meilleur démarrage dans la vie, la sûreté et la sécurité dans les collectivités, la protection de nos enfants contre l'exploitation sexuelle et le logement des familles. L'Assemblée des Premières nations et l'Association nationale des centres d'amitié travaillent conjointement afin de résoudre les problèmes de la pauvreté et espèrent participer à l'éradication de ce fléau dans nos collectivités.

Grâce à notre collaboration avec nos partenaires, nous pouvons produire des chiffres sur la pauvreté, des renseignements sur nos initiatives et leur impact sur notre société. Nous comprenons que la collaboration avec des partenaires fait progresser le travail de l'Association nationale des centres d'amitié.

Comme M. le président l'a dit, nous avons 117 centres dans des villes de tailles diverses, petites, moyennes et grandes. Au départ, les centres d'amitié ont été créés parce que nos gens déménageaient dans les villes. Ils ont été un moyen par lequel nous pouvions apprendre à comprendre et à mettre en commun notre langue et notre culture et maintenir les liens qui nous unissent entre nous et avec le territoire.

Les centres se sont développés et ont offert un certain nombre de programmes et de services. Nous sommes les plus importants et les meilleurs, nous sommes en prise sur la collectivité et nous essayons de faire en sorte que nos initiatives soient axées sur elle.

Il se produit de grandes transformations démographiques, ce dont témoigne la forte augmentation du nombre d'Autochtones en milieu urbain. Nous voulons nous assurer que, peu importe les initiatives que nous préparons, elles ne se réalisent pas aux dépends de nos frères et sœurs dans nos collectivités d'origine, car ils doivent également relever le défi de la pauvreté dans les collectivités des Premières nations. La pauvreté afflige tout notre peuple. Le terme « pauvreté » n'existe pas dans nos langues, mais nous essayons de comprendre cette notion, car il est important de le faire pour préserver le mode de vie des générations futures.

Les observations permettent de croire qu'on obtient de meilleurs résultats au moyen d'interventions ciblées vers les enfants défavorisés. Les programmes ciblés d'apprentissage précoce et de garderie et les soutiens offerts aux enfants de familles à faible revenu, surtout les enfants autochtones, coûteraient moins cher et pourraient donner de meilleurs résultats pour les enfants.

En ce qui concerne la sûreté et la sécurité des collectivités, un grand nombre des modifications proposées dans la législation touchent de façon disproportionnée les peuples autochtones. Au fil des ans, la proportion des jeunes Autochtones admis en détention a été à la hausse. Entre autres facteurs qui contribuent à cette augmentation, il faut signaler le nombre de contacts répétés avec le système correctionnel et un taux plus élevé de facteurs de risques de criminalité, si on fait une comparaison avec les non-Autochtones. La pauvreté et l'isolement social ne sont pas étrangers à cette évolution défavorable.

Il nous faut des programmes pour améliorer la situation. Nous croyons qu'un solide programme d'assistance parajudiciaire pour les Autochtones peut aider à améliorer l'accès à la justice pour les peuples autochtones dans les villes et leurs collectivités. Il faut des mesures qui prennent appui sur les initiatives en matière de justice destinées aux jeunes Autochtones et des mesures qui portent sur les déterminants précoces de la criminalité, l'emploi, l'alphabétisation et l'apprentissage précoce. Il nous faut aussi des mesures qui renforcent la responsabilité à l'égard des résultats et des coûts, et une solide surveillance parlementaire.

La protection des enfants contre l'exploitation sexuelle est au cœur de nos responsabilités comme Autochtones. Nous recommandons que soit accordé au comité fédéral contre l'exploitation sexuelle des enfants un statut parlementaire officiel qui lui permettra d'accomplir de vrais progrès dans l'élimination de l'exploitation sexuelle des enfants qui se poursuit sous nos yeux mêmes.

Quant au logement des familles, nous savons que tous ces problèmes sont liés entre eux et s'inscrivent dans un cycle. Nous devons travailler fort pour éradiquer la pauvreté qui est tellement évidente dans nos milieux urbains. Nous recommandons que les autorités fédérales élaborent une stratégie nationale du logement des Autochtones dans les villes.

La population urbaine autochtone est le segment de la société qui connaît la croissance la plus rapide. L'an dernier, nos centres d'amitié ont offert plus de 1 200 programmes d'une valeur de près de 90 millions de dollars pour plus de 1 115 000 clients. Cela comprend des utilisateurs qui ont recours à plusieurs programmes et envers qui nous avons un engagement de transparence et de responsabilisation. Les résultats nous ont valu le soutien constant de tous les ordres de gouvernement. Nous avons reçu un solide appui de la part de la Fédération canadienne des municipalités et de l'Assemblée des Premières nations pour préconiser l'enrichissement des services des centres d'amitié et l'expansion de ces centres.

L'histoire des centres d'amitié dans les plus grandes villes du Canada est une histoire qui est faite de résilience, d'espoir, de dévouement et de dur labeur et elle s'étale sur plus de 40 ans. Nous espérons que les sénateurs ici présents appuieront la poursuite de nos efforts.

Il y a bien des histoires que je pourrais vous raconter. Bien entendu, je tiens à dire que Mme Formsma est l'un des nombreux exemples du travail accompli par les centres d'amitié. Elle a commencé à travailler toute jeune dans son centre d'amitié, à Timmins, et elle est devenue une avocate convaincue de notre mouvement et un modèle pour nos centres d'amitié. Elle poursuit son travail avec nous comme intervenante qui conseille les jeunes Autochtones des villes. Elle a occupé de nombreux postes à son centre d'amitié, y compris ceux de membre du conseil et de travailleuse auprès des jeunes, et elle a été représentante au niveau provincial. La plupart de ces postes, elle les a occupés à titre de bénévole. Le bénévolat contribue beaucoup à la réussite des centres d'amitié.

Le président : Merci de votre exposé. Nous sommes enchantés d'accueillir Mme Formsma.

Je vais poser les premières questions, après quoi je céderai la parole à mes collègues. Commençons par l'OCASI. Un certain nombre de témoins ont dit que le salaire minimum devait être de 10 $ l'heure, qu'il fallait augmenter le salaire minimum d'un bout à l'autre du Canada. Bien entendu, le gouvernement fédéral peut agir dans certains secteurs qui sont de son ressort. Dans l'ensemble, cependant, la question relève des provinces et nous savons ce que certaines font ou ne font pas.

J'ai maintes fois entendu parler d'employeurs qui tentaient de contourner le système et d'exploiter les gens. Ils peuvent exploiter n'importe qui, mais je crois que ce sont les immigrants qui sont les plus exploités. On dit aux travailleurs immigrants qu'ils sont travailleurs autonomes ou qu'ils ont une sorte de relation contractuelle qui permet d'éviter de payer le salaire minimum actuel et d'éviter aussi d'accorder un grand nombre d'avantages et de respecter les lois du travail au Canada. Savez-vous si ces pratiques sont très répandues au Canada? Selon vous, comment pourrions- nous prévenir ces pratiques ou les rendre moins fréquentes?

Mme Rico : C'est un gros problème, plus particulièrement à Toronto, mais il existe aussi dans l'ensemble de notre pays. Par exemple, dans les services de nettoyage, nous savons que des employeurs essaient d'exploiter les immigrants, surtout ceux qui ne sont pas en règle. Ce sont les plus vulnérables.

Il existe aussi une autre pratique qui consiste à faire venir des travailleurs temporaires de l'étranger. D'habitude, ils viennent pour faire un travail saisonnier pendant huit mois, et les employeurs n'ont pas à respecter toutes les lois fédérales. Cette tendance est l'un des principaux problèmes et l'une de nos préoccupations. Il est bon de faire venir des travailleurs étrangers au Canada, mais ils devraient venir avec un permis de travail, et ils devraient recevoir tous les avantages auxquels ils ont droit au Canada au lieu d'être exploités.

M. Jovel : Vous avez raison de dire que nous nous intéressons de près à ces problèmes depuis quelque temps.

Comme vous le savez, nous sommes installés en Ontario et nous relevons de la province, mais nous savons que ces problèmes sont fréquents dans d'autres régions également. Vous avez donné une série d'exemples. Dans les services que nos organismes membres offrent aux arrivants, l'approche consiste à les informer de leurs droits et des moyens qui s'offrent à eux pour obtenir réparation. Toutefois, la situation est grave et délicate pour ceux qui n'ont pas encore été reconnus comme réfugiés et qui ont du mal à se faire reconnaître et à obtenir une protection, ainsi que la certitude qu'ils pourront rester chez nous.

Les chiffres varient beaucoup, mais il y a au Canada environ 200 000 personnes qui n'ont aucun statut officiel et qui contribuent à l'économie. Plusieurs industries et l'ensemble de la population profitent de leur travail et de leur apport à l'économie, mais ces personnes n'ont aucun droit. Ils n'ont donc pas accès aux logements ni à d'autres droits.

Nos organismes ont beau travailler fort tous les jours, avec une charge de travail écrasante, il faut quelques années au nouveau venu pour apprendre qu'il est un nouveau membre de la société canadienne doté de certains pouvoirs et pour être capable de se défendre contre un employeur qui veut l'exploiter. S'il n'y a pas de loi pour le protéger, dans le cas du travail temporaire ou des agences de main-d'œuvre temporaire, il est complètement perdu face aux exigences de l'employeur, même s'il veut exercer des recours et retenir les services d'un avocat. Cela demande un effort et beaucoup de temps. Quand une mère seule a une famille à élever, cette démarche dépasse largement les possibilités envisageables.

Par conséquent, les gens sont laissés à eux-mêmes. L'Ontario vient de proposer le projet de loi 161 pour imposer des contrôles aux agences de main-d'œuvre temporaire et au travail temporaire. Nous avons présenté un mémoire pour appuyer le projet de loi, mais nous soulignons également les limites de cette mesure, dans la forme qu'elle a jusqu'à maintenant. Nous formulons des recommandations, avec le Workers' Action Centre, pour donner de la poigne à cette mesure et faire en sorte que les employeurs et les agences de main-d'œuvre temporaire respectent les droits fondamentaux qui doivent être ceux de tous les travailleurs.

Nous participons activement à la campagne ontarienne en faveur du salaire minimum à 10 $, campagne qui a été dirigée dans une grande mesure par la Fédération du travail de l'Ontario, épaulée par plusieurs alliés. Il a été annoncé que le salaire minimum serait porté à 10,25 $ au cours des trois prochaines années, mais nous avons soutenu qu'il fallait 10 $ dès maintenant si nous voulions retrouver le niveau d'il y a quelques années. Dans trois ou quatre ans, l'inflation aura fait son œuvre et les salaires ne seront plus ce que nous considérons maintenant comme juste et équitable.

Nous avons également appuyé une autre initiative intéressante dont vous êtes peut-être au courant, Modernizing Income Security for Working-Age Adults, ou MISWA. Ce mouvement a produit un intéressant document d'analyse de la politique qui met en lumière les difficultés à surmonter pour faire en sorte que tous aient un revenu minimum qui permette au moins aux pauvres qui travaillent de passer au-dessus du seuil de pauvreté. Il y a une série de mesures qui s'adressent aux ordres provincial et fédéral de gouvernement. Il s'agit d'une question dont nous nous soucions beaucoup.

Le président : Ma question s'adresse à l'Association nationale des centres d'amitié et porte sur la pauvreté chez les Autochtones. Toutes les données statistiques que j'ai vues montrent que le taux de pauvreté chez eux est beaucoup plus élevé et que la pauvreté est mêlée à bien d'autres problèmes. Vous avez parlé du logement, qui présente un problème plus important que pour l'ensemble de la population. On pourrait sans doute en dire autant du groupe des immigrants.

Quelle est la différence de taux de pauvreté entre les Autochtones qui habitent dans les réserves et ceux qui habitent dans les villes? Est-il beaucoup plus élevé dans un cas ou dans l'autre, ou est-ce à peu près la même chose?

Mme Tabobondung : La pauvreté est toujours la pauvreté, peu importe comment on la considère. Que ce soit dans une collectivité des Premières nations ou en milieu urbain, la pauvreté touche les enfants et les familles. L'Assemblée des Premières nations et l'Association nationale des centres d'amitié se préoccupent toutes deux de la pauvreté et se demandent comment elles peuvent s'attaquer de concert au problème. Nous devons trouver une solution autochtone. Nous allons travailler en ce sens. Qu'un taux soit plus haut ou plus bas, nos observations sont les mêmes : il s'agit toujours de pauvreté. Nous espérons pouvoir travailler ensemble dans ce domaine et participer à l'éradication de la pauvreté.

Le sénateur Fairbairn : Merci. Je voulais aussi me renseigner sur les centres pour jeunes Autochtones qui surgissent un peu partout au Canada. Je viens de Lethbridge, en Alberta, près de Calgary. Depuis des années, les centres d'amitié y aident les femmes et leurs jeunes enfants et recueillent des fonds pour les aider à améliorer leur sort.

Ces dernières années, nous avons lancé des programmes spéciaux dans le sud de l'Alberta dans l'espoir d'attirer des jeunes vers Lethbridge. Le programme est rattaché au conseil municipal, et on peut faire venir des jeunes et leur donner beaucoup d'aide, d'encouragements et de formation pour qu'ils puissent décrocher un emploi. Le démarrage a été lent, mais le programme fonctionne maintenant très bien. Les jeunes se tirent très bien d'affaire parce que ce programme leur ouvre des portes.

Y a-t-il beaucoup d'autres programmes semblables dans d'autres régions du Canada, ou bien cette formule est-elle propre à l'Ouest, où elle commence à remporter un certain succès?

Mme Tabobondung : Les jeunes sont l'une de nos priorités dans notre travail. Nous avons également une entente selon laquelle les jeunes seront à toutes les occasions possibles admis dans les cercles et les discussions. Je vais donc demander à Mme Formsma de répondre à cette question. Les jeunes m'ont clairement demandé de leur ouvrir les portes et de leur donner l'occasion de s'exprimer et de donner leurs propres réponses. Je vais me rendre à cette demande, et c'est Mme Formsma qui répondra à la question.

Jocelyn Formsma, agente de programme, Association nationale des centres d'amitié : Merci. L'Association nationale des centres d'amitié exploite le centre urbain polyvalent pour jeunes Autochtones, qui est une initiative financée par Patrimoine canadien. Je dois dire qu'il s'agit d'un excellent programme. Les fonds ne peuvent être accordés aux collectivités locales si les jeunes ne participent pas à la prise de décisions sur la répartition des fonds et les modalités de leur utilisation au niveau local. C'est indubitablement une pratique exemplaire, même s'il y a des défis à relever.

Il y a 29 centres d'amitié en Ontario, et les fonds que nous recevons ne sont pas réservés à ces centres. Ils sont destinés à tous les centres communautaires urbains en dehors des réserves. Si nous recevons 30 ou 35 propositions, nous ne pouvons en financer que 15. Même si le programme répond à des besoins et fait de l'excellent travail, nous ne pouvons financer qu'un nombre limité de centres, et le financement est accordé une année à la fois. Pendant l'année, on essaie d'établir des relations avec ces jeunes et de créer des partenariats à l'intérieur des collectivités, mais rien ne garantit que, à la fin de l'année, le financement sera reconduit. Un centre qui reçoit des fonds pour la première fois peut ne pas avoir la chance d'obtenir les ressources dont il a besoin.

Vous avez donné en exemple les possibilités offertes à Lethbridge. Vous avez ajouté que le démarrage avait été lent, mais que, maintenant, le programme prend un meilleur rythme. Cela se voit beaucoup dans les collectivités où la confiance s'installe et on commence à voir les jeunes revenir, mais il faut du temps pour établir ces relations.

D'après ce que j'ai vu, le meilleur travail avec les jeunes se fait lorsque les jeunes dirigent la prise de décisions, mais lorsqu'il y a aussi un soutien pour les décisions qu'ils prennent, lorsqu'il y a des réseaux et des ressources, humaines ou financières. Il faut aussi un peu de mentorat, des conseils : « Je ne veux pas vous dire quoi faire, mais voici quelles ont été mes expériences qui me permettent de vous aider. » J'ai vu beaucoup de réussites dans bien des collectivités lorsque le modèle suivi a été le suivant : « Nous n'allons pas faire les choses pour vous, mais avec vous, et nous allons vous aider au fur et à mesure. »

Le sénateur Fairbairn : À Lethbridge, il s'agit vraiment d'un partenariat plutôt que d'une dictature qui impose aux gens ce qu'ils doivent faire, et cela a permis de progresser beaucoup plus rapidement. Il y a un extraordinaire engagement personnel de la part du maire, des membres du conseil et des chefs des tribus de la région. Lorsqu'ils se réunissent, le travail se fait, et il y a eu de belles réussites. J'espère que ce mouvement se poursuivra dans ma ville et ailleurs également, car il s'agit d'une belle ouverture pour les jeunes et d'une occasion de lancer leurs propres entreprises.

Mme Formsma : Parfois, la participation des enfants et des jeunes est considérée comme insignifiante et inférieure; le vrai travail sera fait par des adultes, mais nous faisons appel à la participation des jeunes lorsque cela est commode. Je généralise peut-être, mais j'estime que l'engagement des enfants et des jeunes sur toute la ligne est un investissement stratégique dans le capital humain, si on veut. Ce sont eux les spécialistes parce que, en fin de compte, ce sont eux qui sortiront de l'école secondaire. Nous pouvons avoir toutes les sessions de stratégie que nous voulons pour essayer d'empêcher les jeunes de consommer de la drogue, ce sont eux, au bout du compte, qui doivent faire face à ceux qui leur offrent des drogues et leur dire non. La participation des jeunes ne doit pas être une simple question de commodité; dans notre travail, elle est incontournable.

Le sénateur Keon : Je voudrais aborder la question du logement, car c'est un problème qui revient constamment, mais personne ne propose de solutions. Madame Tabobondung, vous avez parlé de quelque chose d'intéressant et d'inédit, soit une stratégie fédérale nationale du logement pour les Autochtones. Cela semble intéressant, parce que c'est une façon de s'occuper du problème des logements dans les réserves comme à l'extérieur.

Je voudrais que tous les témoins répondent. De toute évidence, il semble y avoir deux grands problèmes. L'un est qu'il n'y a pas assez de logements disponibles et l'autre est que la bureaucratie est désespérante, ce dont on vient de nous parler. Y a-t-il une issue pour les différentes collectivités?

Mme Tabobondung : Si l'Association nationale des centres d'amitié pouvait mettre à profit un peu de l'expérience acquise depuis 40 ans dans le travail auprès des itinérants et de ce qu'elle a fait dans le cadre des projets existants de logement urbain pour les Autochtones, elle pourrait certainement proposer une solution qui commencerait à alléger certaines des pressions qui se font sentir sur les familles. Nous pourrions partir d'éléments de base et commencer à travailler en partenariat avec d'autres organismes communautaires et proposer une conception autochtone de stratégie pour le logement urbain des Autochtones.

Si on a un dollar et si ce dollar va à quelqu'un d'autre, on ne peut pas aborder les problèmes sereinement et trouver des réponses. Par contre, si nous commençons à réaménager et à repenser l'investissement, les actifs que nous avons, nous aurons une meilleure chance de réaliser une stratégie du logement qui marchera. Lorsque nous pourrons le faire, nous aurons certainement accompli quelque chose de constructif.

J'ai bon espoir que, à l'Association nationale des centres d'amitié, nous puissions travailler avec des partenaires et différents niveaux de gouvernement pour pouvoir concevoir ce que pourrait être le logement autochtone en ville.

Mme Formsma : C'est notre position. Nous voulons vraiment avoir quelque chose qui soit fondé sur nos valeurs et nos principes, mais nous ne pouvons pas simplement envisager la question du logement sous l'angle de l'itinérance. Il y a beaucoup de mobilité. Les taux de mobilité sont très élevés dans nos collectivités. Les gens n'habitent pas au même endroit d'une année à l'autre.

Dans cet examen global, nous ne pouvons pas mettre l'accent seulement sur l'itinérance. Nous devons songer à la propriété, au moyen que chacun ait un endroit où vivre pour ne pas avoir à être aussi mobile. Nous avons des gens qui se débrouillent bien, qui travaillent bien et gagnent un salaire convenable. Il subsiste néanmoins des obstacles à la propriété. C'est une question de logement qui n'a pas été abordée si souvent, je crois.

Le sénateur Keon : La question de la propriété s'applique-t-elle au logement à l'intérieur des réserves autant qu'à l'extérieur?

Mme Formsma : Dans les réserves, la notion de propriété n'existe pas vraiment. Cela concerne seulement les logements hors des réserves.

[Français]

Le sénateur Pépin : Monsieur Jovel, lorsque vous parlez d'inégalité des centres urbains pour une immigrante monoparentale qui désire avoir un logement convenable, vous dites qu'il y a une barrière systémique. Est-ce parce qu'elle est une femme de couleur? Si elle était noire, aurait-elle plus de difficulté à obtenir un logement convenable comparativement à d'autres femmes immigrantes? Cela accentue-t-il la difficulté? Cela veut dire si vous êtes une immigrante de couleur, c'est bien dommage, mais vous aurez encore plus difficulté que toutes les femmes d'obtenir un logement convenable.

M. Jovel : On parle de barrières systémiques. Je vous donne un exemple; je vais essayer d'aller par étape pour en venir à une réponse au point spécifique que vous soulevez. On pense, par exemple, à des situations telles une enquête de crédit avant de louer un logement. Souvent, les personnes nouvellement arrivées n'ont pas de preuve de ce type à fournir à un locateur. Ceci est vrai pour tous les nouveaux arrivants et non pas seulement pour les femmes de couleur. Un autre exemple, on demande des références. On en a, mais peut-être pas qui vont satisfaire aux propriétaires du logement. Si le propriétaire apprend que la personne est réfugiée, par exemple, c'est encore plus difficile ou si la personne est dans une situation de sous-emploi ou d'emploi précaire avec deux, voire trois petits emplois ici et là. Si on demande des preuves de revenus et qu'on fourni des petits morceaux de je ne sais pas quoi; ce sont des barrières systémiques. Il y en a qui affectent l'ensemble de la population nouvellement arrivée. C'est encore plus difficile pour les réfugiés et ceux qui ne sont pas encore été reconnus comme réfugiés. D'un autre côté, vous avez la situation des femmes, des mères célibataires noires, qui ne sont pas immigrantes. Il y a des cas, je pourrais vous donner des exemples, qui démontrent à quel point c'est tellement difficile de trouver un propriétaire qui va leur louer un logement. Si maintenant vous regardez le statut ou le manque de statut tout à fait défini, c'est un problème. Contrairement à une immigrante, la femme, mère célibataire noire, née ici et dont les parents et les grands parents sont ici depuis des générations, connaît ses droits et elle a ce pouvoir en main, ce qui lui permet de se battre de la meilleure façon possible. Elle connaît les ressources. Une personne nouvellement arrivée est toute seule. Je suis un immigrant moi-même. J'ai été réfugié, mais cela fait presque 15 ans que je suis ici et je connais assez le système. Les gens qui sont nés ici et qui appartiennent à la majorité et qui connaissent très bien la façon dont cela fonctionne, ont souvent de la difficulté à imaginer ce que c'est pour quelqu'un qui débarque ici et qui, pour les trois ou quatre premiers mois, essaie de se faire une vie sans connaître les codes, les ressources et sans savoir comment monter un dossier. C'est pourquoi on parle de barrières systémiques. Il y a aussi la question de racisme qui est présente. Les études de Statistique Canada ainsi que deux autres études très importantes intitulées Low Income and Chronic Low Income Situations Among Recent Immigrants et L'étude longitudinale, publiée il y a deux semaines, le démontrent.

Le sénateur Pépin : Je voulais bien insister sur la couleur des immigrants parce que cela m'a frappée. Je me suis dit que c'était encore plus difficile pour eux.

[Traduction]

Mme Rico : D'après mon expérience, dans le travail auprès femmes arrivées récemment d'Afrique, lorsque celles qui parlent anglais appellent pour louer un logement, dans le secteur privé, on leur répond qu'il y a un logement libre. Lorsqu'elles vont voir l'appartement, elles se font dire qu'il est déjà pris. Pourquoi les propriétaires se comportent-ils de cette manière?

Nous devons renforcer la Loi sur la protection des locataires, loi que, en Ontario par exemple, nous avons perdue il y a dix ans. L'une de nos recommandations les plus importantes dit qu'il faut offrir une formation sur la Loi sur la protection des locataires afin de dispenser la bonne information. Nous fournissons des renseignements aux réfugiés nouvellement arrivés, mais, en même temps, on nous impose une limite sur le travail de défense et de promotion que nous pouvons accomplir. Nous recommandons d'adopter une loi qui permette de présenter des plaintes. On pourrait ainsi éliminer tous les obstacles systémiques.

[Français]

M. Jovel : Nous travaillons de près, en Ontario en particulier, avec les organismes qui servent les communautés francophones nouvellement arrivées de l'Afrique et d'Haïti. Donc la question de la langue à l'extérieur des régions francophones du Canada est un très gros problème en ce qui a trait aux questions de logement. Je vous donne le résultat d'une recherche menée par notre organisme en 2004 concernant le fait qu'au Canada, lorsqu'on commence à mettre ensemble une candidature pour devenir un immigrant indépendant, on a sur le formulaire et dans le système de points un certain nombre de points importants qui sont accordés si on maîtrise l'une ou l'autre langue des deux langues officielles du Canada. Des immigrants francophones d'Afrique et d'Haïti, qui se sont installés en Ontario, ont fait part du fait qu'ils n'ont pas eu l'information claire et correcte et que même s'ils maîtrisaient l'une des deux langues officielles, il ne serait pas facile de s'installer n'importe où au Canada. Il y a également des barrières au niveau de la pauvreté, de l'emploi et du logement.

[Traduction]

Le sénateur Trenholme Counsell : L'exposé a été très inspirant. Madame Formsma, j'espère que nous pouvons vous encourager à prendre la parole un peu partout au Canada pour inspirer les jeunes. Le message que vous nous avez donné est de la plus grande justesse. N'hésitez pas à le communiquer à toutes les occasions, et même à chercher des occasions de livrer votre message de ce matin. Vous devez chercher ces occasions. Soyez dynamique et aidez d'autres jeunes à avoir la confiance et les moyens voulus pour répandre un message comme le vôtre.

Je sais que vous en avez parlé, mais je voudrais avoir une meilleure idée de la situation du nouvel arrivant à Toronto, par exemple. Y a-t-il bien des centres dans les différents quartiers de la ville où on peut se procurer de l'information? Lorsque je me rends dans un centre commercial, je vais consulter le centre d'information parce que je veux trouver certaines choses. Ce n'est pas que je fréquente tellement les centres commerciaux. Est-ce là un problème fondamental?

Je sais que, à Toronto, on parle de très nombreuses langues. Que font les nouveaux venus s'ils ne sont pas d'emblée accueillis dans une collectivité qui parle leur langue?

Au Nouveau-Brunswick, nous avons l'association multiculturelle, qui est très active sur ce plan. On ne peut pas comparer le Nouveau-Brunswick à Toronto ni à d'autres grandes villes. Y a-t-il là un problème fondamental ou y a-t-il des améliorations?

Mme Rico : L'OCASI compte 110 organismes membres à Toronto. Ils sont au service des immigrants et des réfugiés. Notre nouvel accord avec le gouvernement fédéral et les provinces nous procure des fonds pour aider les nouveaux venus à s'installer.

Le problème n'est pas de savoir s'il y a trop ou trop peu de centres pour servir les nouveaux immigrants. L'un des principaux problèmes, c'est la perception qu'on peut avoir de ces immigrants, comme M. Jovel l'a dit, et ce sont les obstacles qu'ils ont à surmonter. Par exemple, un réfugié qui est médecin ou ingénieur ne peut exercer sa profession au Canada parce que ses titres de compétence ne sont pas reconnus. Ou bien quelqu'un habite et travaille à Toronto, mais, comme il n'est pas en règle, il ne peut pas demander un logement. Voilà le problème qui existe à Toronto.

Nous avons de bons services parce qu'il y a beaucoup d'organismes qui peuvent les offrir. Nous avons maintenant de nouveaux fonds que nous venons de recevoir. Cela a débuté l'an dernier. C'est ainsi que nous avons commencé à améliorer les services.

Le sénateur Callbeck : Il a été question du conseil qui offre des services aux immigrants dans les villes. Je présume que vous le faites en zone rurale également. Un autre comité sénatorial étudie en ce moment la pauvreté rurale, et nous entendons beaucoup parler de la façon dont on amène des immigrants à venir s'installer dans le Canada rural.

Avez-vous des chiffres sur le nombre des immigrants dans l'Ontario rural? Le pourcentage augmente-t-il? Diminue- t-il? Où en sommes-nous?

M. Jovel : L'information est là. Il y a 110 organismes à Toronto et 180 dans toute la province; il y a beaucoup de ressources pour les nouveaux arrivants — mais je ne dis pas qu'il y en a assez. L'information leur est fournie. Un problème plus important est celui de l'exécution. C'est pourquoi j'ai parlé du projet de loi 161, en Ontario, à propos des agences de main-d'œuvre temporaire. On peut donner de l'information aux arrivants, mais les risques d'abus de la part des propriétaires et d'exploitation par les employeurs existent tout de même, parce que les nouveaux venus sont vulnérables et se laissent intimider.

C'est un problème qui se pose plus particulièrement pour les femmes, car au début, lorsque les familles arrivent ici, les fournisseurs de services, même ceux de l'État, donnent habituellement les conseils ou l'information au mari. S'il survient quelque chose par la suite et si la femme doit assumer la responsabilité parce que son mari est malade ou que le couple a divorcé, elle n'a pas reçu l'information et n'a pas en main les moyens de se débrouiller.

Je n'ai pas de chiffres sous les yeux, mais nous savons que les immigrants ont tendance à s'installer dans les grandes villes. En Ontario, plus de la moitié des immigrants s'installent à Toronto et dans les grandes villes, et ils sont plus rares dans les zones rurales. Nous avons des organismes qui sont installés dans de petites localités et dans les zones rurales. Il s'agit en gros du lien entre le secteur qui est au service des immigrants et des réfugiés, et les exploitations agricoles et le travail rural.

Je ne suis pas sûr de pouvoir vous donner les chiffres. Il y a eu dans l'ensemble du Canada une stratégie pour les petits centres, afin d'attirer et de garder des immigrants. Dans ce secteur, on réfléchit beaucoup à ce qu'il faut faire pour que, lorsque des gens s'installent dans une localité, ils se sentent bien accueillis au lieu de s'engager dans un long travail qui durera quelques années. Il s'agit d'un processus relativement court et efficace. Il est difficile d'inciter les immigrants à s'installer dans des régions autres que les grands centres urbains.

Comme on l'a dit plus tôt aujourd'hui, lorsqu'on est un nouvel arrivant, il est utile de pouvoir compter sur une famille ou une collectivité plus large; on a besoin de cet appui. Voilà une raison pour laquelle les gens s'installent dans de grands centres urbains.

Le président : Nous devons mettre un terme à la séance. Je remercie les témoins. Vous faites un travail précieux. Nous vous en félicitons, et vous devez continuer. Nous vous remercions beaucoup de tout ce que vous nous avez dit aujourd'hui. Cela sera très important dans l'étude des problèmes de pauvreté, de logement et d'itinérance.

La séance est levée.


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