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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 23 - Témoignages - 17 mai 2007


OTTAWA, le jeudi 17 mai 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 10 h 48 pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé et examiner, pour en faire rapport, les questions d'actualité des grandes villes canadiennes.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je déclare la séance ouverte.

Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Aujourd'hui, nous examinerons la pauvreté, l'itinérance et le logement.

[Traduction]

Nous poursuivons notre étude de ces questions, et je veux signaler que ce travail a été terminé par le comité entier, mais il concerne les travaux effectués présentement par deux sous-comités. Notre premier sous-comité, sous la présidence du sénateur Keon, s'occupe de la santé de la population et examine les principaux déterminants de la santé. Le deuxième sous-comité, dont je suis le président, s'occupe des principaux problèmes auxquels sont confrontées nos villes. La pauvreté, le logement et l'itinérance sont des questions que les deux sous-comités étudient.

Nous nous inspirons aussi des travaux sur la pauvreté qui ont été effectués au Sénat dans le passé. Le rapport rédigé sous la direction du sénateur Kroll vient à l'esprit. C'était un rapport particulièrement important. Il y a aussi celui du sénateur Cohen, qui a publié un livre en 1997, intitulé La pauvreté au Canada, le point critique.

Nous nous inspirons aussi des travaux effectués par le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, présidé par le sénateur Fairbairn, qui est aussi membre de notre comité. Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts s'occupe surtout de la question de la pauvreté en milieu rural, et le Sénat a commencé à étudier cette question à l'initiative du sénateur Segal.

Il s'est fait beaucoup de travail de qualité et il s'en fait encore à l'heure. Nous nous appuyons sur cette assise lorsque nous traitons de ces questions cruciales qui touchent les Canadiens.

Aujourd'hui, nous allons faire quelque chose de différent. Normalement, nous aurions deux groupes de témoins, mais nous les avons consolidés en un seul groupe. Nous avons quelques problèmes logistiques à régler. Le premier, c'est que je dois partir à 11 h 30, car j'ai un rendez-vous important; c'est le sénateur Fairbairn qui assumera alors la présidence. Le second, c'est qu'à 12 h 30, il y aura une autre réunion à laquelle un certain nombre de sénateurs devront assister. Nous essaierons donc d'en faire le plus possible dans un horaire consolidé.

Je vais vous présenter les témoins d'aujourd'hui. Nous avons le professeur Jino Distasio de l'Institut des études urbaines de l'Université de Winnipeg. Ses domaines de recherche comprennent la dynamique du marché du logement, les facteurs qui influent sur la modification des quartiers, l'aménagement urbain et la revitalisation des zones urbaines. En plus d'enseigner aux universités du Manitoba et de Winnipeg, il a également travaillé pour la Société canadienne d'hypothèques et de logement, la SCHL.

Notre deuxième témoin s'appelle Molly McCracken, qui est membre du Conseil du Manitoba pour le Centre canadien de politiques alternatives. Le centre est un institut indépendant et impartial qui appuie la recherche dans le domaine de la politique communautaire. Au cours des deux dernières années, le centre a produit le rapport intitulé The State of the Inner City Report. Le centre s'occupe aussi d'un projet de recherche continue qui examine le développement économique communautaire à titre d'outil de revitalisation des communautés et des quartiers. Mme McCracken nous a fourni beaucoup de documents sur ce sujet.

Nous accueillons également la professeure Barbara Wake Carroll du département de sciences politiques de l'Université McMaster. Ses domaines de prédilection sont la politique comparée, la politique et l'administration publique et le logement. Elle est l'auteure de nombreux articles de qualité, notamment l'article intitulé Homelessness in Canada and the United States.

Enfin, nous avons Aisling Gogan, directrice de la Stratégie de lutte à la pauvreté du ministère des Ressources humaines, du Travail et de l'Emploi de Terre-Neuve-et-Labrador. Elle est responsable de la mise en œuvre de cette importante initiative stratégique, dont nous avons déjà parlé. Deux provinces, à savoir le Québec et Terre-Neuve-et- Labrador, ont des initiatives d'envergure. Elle nous parlera de la stratégie, qui a été décrite positivement par d'autres témoins.

Jino Distasio, directeur et professeur, Institut des études urbaines, Université de Winnipeg : J'aimerais remercier le comité pour le privilège qui m'est accordé de témoigner ici aujourd'hui. Il ne fait aucun doute que c'est un honneur d'être ici, mais c'est également malheureux que nous soyons convoqués encore une fois pour discuter de questions qui, individuellement ou collectivement, n'ont toujours pas un tant soit peu été réglées au cours des dernières années. Nous continuons de faire face à ces défis de taille.

L'Institut des études urbaines, dont je suis le directeur, est une unité de recherche de l'Université de Winnipeg. Je travaille là depuis sept ans. Durant cette période, j'ai travaillé avec les locataires, les propriétaires et les concierges de maisons de chambres. J'ai travaillé avec les propriétaires d'hôtels qui louent des suites délabrées aux gens sur la fameuse rue Main de Winnipeg. J'ai travaillé avec les Autochtones qui arrivent à Winnipeg pour constater, dès le premier jour, qu'ils n'ont nulle part où vivre et qui sont aux prises avec d'importants problèmes de pauvreté. La façon dont le manque de logements appropriés, le phénomène des sans-abri et la pauvreté se répercutent sur la vie des gens demeure rien de moins qu'un désastre national. Dans des endroits comme Winnipeg, beaucoup de personnes doivent relever tous les jours des défis liés aux besoins essentiels de la vie.

Je vais me concentrer sur Winnipeg, qui est devenue à de nombreux égards ce que j'appellerai un laboratoire urbain pour tester tous les éléments positifs et négatifs des initiatives, des politiques et des programmes, une ville où des centaines de millions de dollars ont été dépensés, mais qui n'a pas connu de reprise marquée.

Winnipeg reste la neuvième ville en importance au Canada. C'est une ville où la croissance économique se fait lentement; c'est une ville qui a connu la prospérité, mais comme beaucoup d'autres endroits, les fruits de cette prospérité n'ont pas été répartis également. Winnipeg possède une autre industrie moins visible, c'est-à-dire l'industrie de la pauvreté, qui assaille la ville et connaît une croissance fulgurante. On évalue à environ 6 000 le nombre de personnes vivant dans des conditions quasi sordides dans des chambres d'hôtels et de maisons de chambres du centre- ville qui ne sont pas tellement plus grandes que l'espace qui nous sépare ici. C'est également dans les limites du centre- ville de Winnipeg où nous sommes confrontés à de nombreux défis de taille, que les manifestations de la pauvreté sont les plus observables, et la pauvreté y perdure depuis trois ou quatre décennies sans changement ou presque.

Le centre-ville demeure un endroit où un nombre disproportionné de personnes vivent dans la pauvreté, même si on y a dépensé des centaines de millions de dollars. Il compte les concentrations les plus élevées d'Autochtones, de chefs de famille monoparentale, d'aînés et, plus récemment, de réfugiés et d'immigrants.

La majorité des 6 000 personnes demeurant dans des maisons de chambres et des hôtels reçoivent une aide du gouvernement, mais aucune possibilité réelle ne s'offre à elles et, peut-être plus important encore, elles ne jouissent pas de la sécurité que donne le droit au logement. Ce qui est intéressant et unique en ce qui concerne les hôtels à Winnipeg, c'est que nous avons environ 1 000 personnes qui demeurent dans des chambres d'hôtel et qui n'ont pas le droit au logement, et pourtant la province du Manitoba paye des loyers de plus de deux millions de dollars par année dans ces endroits où il y a très peu de sécurité du point de vue du logement. Pour un oui ou pour un non, selon ce que les propriétaires des hôtels appellent la tolérance zéro, les locataires peuvent être jetés à la rue à tout moment. Les propriétaires peuvent chasser quelqu'un sans aucun droit. J'oserais dire qu'aucun des locataires habitant sur la rue Main n'a signé de bail. Je suis porté à croire que les 5 000 locataires de chambres n'ont aucun bail ni aucun droit sur leur logement et qu'ils risquent de se retrouver dans la rue à tout moment.

Winnipeg compte, au bas mot, 10 000 personnes qui constituent une population croissante qui vit dans l'ombre; ce sont des sans-abri invisibles, des gens qui n'ont pas le droit d'être locataire ou d'avoir de domicile permanent, qui vivent de la charité des autres, qui dorment chez les uns et les autres, qui naviguent d'un divan à l'autre, quelle que soit l'expression. Il y a 10 000 sans-abri invisibles dans une ville qui connaît une certaine prospérité et nous leur offrons peu de soutien.

Je vais revenir sur l'idée de l'industrie de la pauvreté, qui est devenue si répandue que la Mission Siloam a construit une mégasoupe populaire qui accueille chaque jour entre 400 et 600 sans-abri et personnes vivant dans la pauvreté. L'an dernier, la Mission a servi 170 000 repas, a distribué 2 800 paniers de provisions et a fourni des vêtements à 10 000 personnes. Pour le directeur général, John Mohan, les affaires sont bonnes — très bonnes — et il s'attend à ce qu'elles s'améliorent. Nous devons trouver des moyens de l'« acculer à la faillite ».

Un autre exemple est la banque alimentaire Moisson Winnipeg, qui a célébré discrètement ses 25 années d'existence. Au cours de la première année, elle a distribué 200 000 livres de nourriture et, en 2005, elle en a distribué 8,5 millions de livres, soit l'équivalent de 12,5 livres de nourriture pour chaque habitant de Winnipeg. L'organisme possède 300 comptoirs de quartier où les gens peuvent se procurer de la nourriture. Il dessert chaque mois un nombre ahurissant de 40 000 personnes, dont près de la moitié sont des enfants — 18 000 enfants chaque mois.

Comment faire pour que John Mohan, David Northcott de Moisson Winnipeg soient sans travail dans cette industrie en croissance, cette industrie de la pauvreté?

La pauvreté est également concentrée au cœur de Winnipeg, qui est confrontée à des défis de taille. Je vous ai remis quelques tableaux dont nous pourrons discuter plus tard. Je n'entrerai pas dans les détails. Je vais essayer d'être bref.

Pour ce qui est positif, l'Université de Winnipeg et son nouveau président, Lloyd Axworthy, ont essayé de lutter contre la pauvreté et de résoudre les problèmes liés au centre-ville au moyen de l'éducation. L'université est située au beau milieu du centre-ville. Nous avons ouvert le centre d'apprentissage Wii Chiiwaakanak où les jeunes du centre-ville peuvent librement avoir accès aux ordinateurs et acquérir des connaissances. C'est un endroit où les aînés autochtones peuvent échanger des connaissances et des enseignements. L'éducation peut être un moyen de s'en sortir. Ce n'est qu'une partie d'une question plus complexe, mais si nous pouvons mettre fin au cycle de la pauvreté dans lequel vit la troisième génération sur Main Street, nous réussirons peut-être à éviter que la quatrième génération ne suive la même voie.

Le président : Merci pour votre exposé. Je suis content que mon vieil ami et collègue M. Axworthy vous prête main- forte.

Molly McCracken, membre du Conseil du Manitoba, Centre canadien de politiques alternatives : Merci. Je suis membre bénévole du Conseil pour le Centre canadien de politiques alternatives, le CCPA. Je suis une animatrice communautaire et je vis et travaille au centre-ville de Winnipeg.

Le CCPA du Manitoba publie un rapport annuel « State of the Inner City Report » avec la participation de tout un éventail d'organisations communautaires. Notre recherche révèle que les organisations communautaires qui cherchent à régler la multitude de problèmes sociaux qui existent dans les quartiers font des progrès lents et soutenus qui pourraient être considérablement améliorés si le logement social bénéficiait d'un investissement à long terme. Pour lutter contre la pauvreté, il faut commencer par le logement afin d'assurer la stabilité des particuliers, des familles et des collectivités. Ils pourront ensuite se concentrer sur leurs études et nous les aiderons à trouver des emplois, mais tout commence par le logement. Un logement sûr, adéquat et abordable constitue aussi un fondement pour l'éducation et la santé de la population. Ainsi, la sécurité des citoyens est accrue et le développement communautaire en est facilité.

Les progrès des organisations communautaires sur le plan de la lutte contre la pauvreté sont lents à cause de la crise majeure de logements. La hausse des loyers oblige les gens qui vivent dans la pauvreté à utiliser l'argent qu'ils réserveraient à la nourriture, aux médicaments et au transport pour payer leur loyer. À Winnipeg, beaucoup de petites ONG œuvrent dans le domaine du renouvellement communautaire et leurs efforts, s'ils étaient accrus, permettraient de répondre à la forte demande de logements de bas salariés. Pour cela, il faut bien sûr un investissement public adéquat.

Le fait que le gouvernement fédéral s'est retiré du programme de logement social dans les années 1990 a laissé un vide dans la fourniture de logements au Canada, comme en témoigne le grand besoin de logements des gens qui vivent dans la pauvreté. Les personnes susceptibles de vivre dans la pauvreté, comme les Autochtones, les mères célibataires, les immigrants, les réfugiés et les handicapés subissent les conséquences des logements inadéquats et leurs résultats sur le plan de l'éducation et de la santé en sont affectés.

C'est à Winnipeg que l'on enregistre le pourcentage le plus élevé d'Autochtones vivant dans un centre urbain au Canada; ce pourcentage augmentera en raison de la distribution de la population. La communauté autochtone a une forte population de jeunes et des taux de natalité élevés.

La province du Manitoba s'est engagée à accueillir 10 000 immigrants par an. Pour vous donner une idée de ce que cela représente, nous en avions 3 500 par année et il est prévu maintenant d'en recevoir 10 000. Ce chiffre passera à 20 000 afin de maintenir le niveau de notre population, on peut imaginer les incidences qu'aura cette augmentation sur le logement dans notre province.

Les Autochtones enregistrent les taux les plus élevés de pauvreté chez les gens qui vivent dans la pauvreté, et ce, en raison des séquelles de la colonisation et des pensionnats indiens.

Le besoin de logements des gens est qualifié de besoin impérieux de logements, pour la Société canadienne d'hypothèques et de logements cela signifie une unité d'habitation dont l'état est adéquat, la superficie appropriée et le loyer abordable, c'est-à-dire que le loyer ne doit pas dépasser 30 p. 100 du revenu avant impôts. Entre 30 et 40 p. 100 des ménages vivant au centre-ville ont un besoin impérieux de logements.

Le centre-ville de Winnipeg ressemble aux autres centres urbains de l'Ouest canadien qui connaissent un déclin en raison du vieillissement du parc de logements et de l'exode des gens de la classe moyenne vers de nouveaux ensembles résidentiels situés aux abords des villes. Cette question peut être considérée comme étant un problème d'offre de demande.

Pour ce qui est de la demande, elle est forte pour les logements à loyer abordable. La liste d'attente a augmenté de presque 100 p. 100. Presque 3 000 personnes ont fait une demande de logement social dans la province et attendent. Il n'y a tout simplement pas suffisamment de logements sociaux pour répondre à la demande. Les prestations d'aide sociale sont basses et n'ont pratiquement pas augmenté et les revenus des travailleurs qui vivent dans la pauvreté ne suffisent pas à payer les loyers au prix courant du marché.

Nous estimons qu'environ 2,3 millions de dollars en aide sociale sont versés par le gouvernement aux locateurs privés, dont un grand nombre sont propriétaires de logements insalubres. Il s'agit de l'argent que les bénéficiaires de l'aide sociale reçoivent pour payer leur loyer, et ainsi de suite. Le système public subventionne de multiples façons ce modèle de logement inadéquat.

J'ai participé à une étude comparative de femmes vivant dans des logements privés, des logements sociaux, et des coopératives d'habitation. Les résultats ont indiqué que les coopératives d'habitation étaient le modèle idéal. Les femmes qui y vivent ne déménagent pas, elles étaient stables et recevaient beaucoup d'appuis. En revanche, celles qui habitaient des logements privés déménageaient fréquemment, avec les incidences que cela a sur leur éducation et celle de leurs enfants. Les administrateurs des écoles ont constaté que les enfants des centres-villes changent plusieurs fois d'école par année et qu'à chaque changement d'école, les enfants prennent un retard de six mois dans leurs études.

Le coût d'exploitation des coopératives d'habitation peut être jusqu'à 40 p. 100 inférieur à celui des logements sociaux et d'autres modèles d'habitation en raison de la contribution des membres des coopératives et du peu de réparations nécessitées à cause du sentiment de propriété.

Du côté de la demande, étant donné que le gouvernement fédéral a mis fin aux programmes de logement social en 1993, aucun logement social n'a été construit, avec pour résultat les listes d'attente. Il est nécessaire de faire un important investissement public. Les promoteurs privés ne construisent tout simplement pas de logements locatifs pour les bas salariés; même les logements à loyer régulier sont rarement construits dans notre ville. Le parc des logements sociaux est vieux et nécessite des réparations. Le Bureau de logement du Manitoba estime qu'il faut 90 millions de dollars sur cinq ans pour effectuer les réparations du parc de logements, or, selon le vérificateur provincial, la province n'a pas cet argent.

Beaucoup de mesures doivent être prises en matière de logement. Les mécanismes actuels du gouvernement, tels que les initiatives en matière de logement abordable, ont joué un rôle important dans les efforts de revitalisation; cependant, étant donné l'ampleur énorme du problème et les effets adverses sur la vie des gens, il est évident qu'un programme de logement social est essentiel.

Il y a une lueur d'espoir. Je suis heureuse de dire que des gens œuvrent dans le centre-ville de Winnipeg et que des gens se sont engagés pour apporter un changement à long terme. Des organisations communautaires sans but lucratif ont joué un rôle essentiel pour loger des résidents du centre-ville. Elles montrent par leur travail la voie à suivre et elles ont besoin de soutien.

Certaines organisations communautaires ont mobilisé des fonds de l'initiative en matière de logement abordable pour rénover ou construire des unités d'habitation. Il s'agit habituellement de petites maisons comprenant une ou deux unités. Toutefois, ces projets adoptent une approche globale pour atteindre les objectifs multiples au plan de l'environnement, du social et de la stabilité économique. Cela est fait au moyen d'une approche de développement économique communautaire en formant et en recrutant des personnes de la région. Ces organisations effectuent autant que possible leurs achats dans la région et se conforment aux principes d'écoefficacité.

Si nous investissons dans le logement et utilisons cette approche de développement économique communautaire, nous pouvons aider à créer des emplois et à réduire la pénurie de main-d'œuvre qualifiée que connaît le Manitoba. Nous pouvons développer un sentiment de propriété au sein de la collectivité. Les personnes que j'ai rencontrées travaillent dans ces projets de petits logements et constatent l'absence de vandalisme lorsque les gens de la région participent à la construction des logements. Ils ont l'esprit communautaire et sont fiers de faire partie de la communauté.

Compte tenu de ses recherches et de son expérience de travail avec les résidents du centre-ville, le CCPA du Manitoba recommande le réinvestissement à long terme dans le logement social pour lutter contre la pauvreté; le versement continu de subventions aux bas salariés pour payer le loyer ou les parts dans des coopératives; des subventions d'équipement pour les nouvelles constructions; des structures du capital social pour les coopératives ou les organisations sans but lucratif afin de protéger le logement des pressions exercées par le prix du marché; de véritables partenariats entre le gouvernement et les collectivités dans la planification, la conception et la conservation du logement social et des quartiers regroupant toutes les catégories de revenus afin d'éviter la ghettoïsation des gens qui vivent dans la pauvreté.

Les défenseurs du programme national de logement proposent la solution de 1 p. 100 — que 1 p. 100 de notre PIB annuel soit investi dans le logement, soit environ 2 milliards de dollars. Ce montant peut paraître énorme, mais il sera bien dépensé. Il stimulera les économies régionales. En fait, c'est la seule façon de mettre fin au cycle de la pauvreté.

Barbara Wake Carroll, professeure, Département des sciences politiques, Université McMaster : Je vous remercie de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui. Les sans-abris me préoccupent au plus haut point. Je pense que nous répondons à leurs besoins de manière lamentable. Cependant, je reconnais en tant que politicologue que les programmes à l'intention des sans-abri doivent gagner l'assentiment des votants et des contribuables qui ne sont pas eux-mêmes des sans-abri.

Mon message aujourd'hui met l'accent sur les raisons pour lesquelles les gens confortablement logés, comme je le suis, doivent appuyer les programmes d'aide aux sans-abri. La garde d'un délinquant dans un établissement correctionnel à sécurité minimale coûte plus de 40 000 $. Elle coûte même plus cher que la garde d'une personne dans un établissement psychiatrique surveillé. En revanche, les unités de voisinage ne sont pas chères.

Les coûts de l'utilisation par un sans-abri de soins médicaux d'urgence parce qu'il n'a pas de médecin de famille ou d'adresse permanente s'élèvent quand même à 4 500 $ par année. Cependant, parce que nous ne dépensons pas cet argent maintenant, nous devrons payer plus tard des coûts beaucoup plus élevés.

La première chose que j'ai apprise au sujet des sans-abri, c'est qu'ils ne forment pas un groupe homogène. Si on ne tient pas compte du très petit groupe de personnes qui vivent volontairement dans l'itinérance — moins de 0,05 p. 100, soit 50 personnes sur un millier de sans-abri — il existe trois catégories de sans-abri : les sans-abri pour des motifs économiques, les sans-abri pour des motifs sociaux et les sans-abri « cachés », surtout des nouveaux arrivants et souvent des immigrants illégaux. Dans une large mesure, tous leurs besoins sont différents. De plus, les besoins de ces groupes varient sensiblement selon le contexte social, démographique et géographique. En plus des enjeux humanitaires évidents, toutes ces personnes nous coûtent davantage comme société que si nous leur fournissions un logement décent.

Nous devons payer les coûts courants de l'hébergement à court terme, souvent l'hébergement dans un motel pour les familles et des allocations de repas, des soins de santé en situation d'urgence et des soins néonatals, puisque ces personnes n'ont pas de médecin de famille. Il existe des services médicaux interventionnistes, mais ils sont limités aux grands centres comme Toronto et Vancouver. Mentionnons aussi les coûts à long terme d'une éducation déficiente pour les enfants, les risques à long terme pour la santé et le genre d'instabilité sociale qui mène souvent à l'incarcération. Il est toutefois incontestable que l'incidence des mauvaises conditions de logement sur la santé, l'éducation et la violence est bien documentée.

Je désire vous entretenir du dilemme qui se pose pour chaque catégorie de sans-abri, tour à tour, et vous présenter des suggestions quant à la façon d'aborder chacun des cas. Les sans-abri pour des motifs économiques constituent de loin la catégorie la plus nombreuse; ces sans-abri ne possèdent simplement pas les ressources financières pour se procurer un logement. Une grande partie de ce groupe est composée de familles. Bon nombre de ces sans-abri, dans des villes comme Calgary ou Edmonton, sont des travailleurs qui ne sont pas très pauvres. Ils ne peuvent simplement pas payer un logement dans le marché où ils vivent.

Dans certains cas, ce sont les loyers des premier et dernier mois qui posent problème. Dans d'autres cas, il n'y a carrément pas de logements à louer, car le taux d'inoccupation est bas et il y a continuellement transformation des logements en condominiums. Enfin, dans d'autres cas encore, il n'existe simplement pas de logement de qualité décente. Un grand nombre de ces personnes sont inscrites sur une liste d'attente de 10 ans pour un logement social.

La solution à ce problème qui nous vient naturellement à l'esprit est d'accroître le nombre de logements sociaux. Le logement social est cependant coûteux; le logement social axé sur l'intégration des revenus l'est encore plus, car il consiste à indemniser illégalement les personnes à revenus moyens pour qu'elles cohabitent avec les travailleurs pauvres. Il s'agit de la Cadillac, ou probablement de nos jours, de la Mercedes du logement. Ce genre de programme a donné lieu à la construction de logements magnifiques dans les secteurs riverains de Toronto et de Hamilton, mais n'a pas contribué sensiblement à régler le problème de l'itinérance.

Il faut trouver d'autres solutions. Certaines solutions s'appliquent mieux à certaines villes que d'autres; je m'entretiendrais avec plaisir de ce fait pendant la période de questions et réponses.

L'une des solutions consisterait à fournir des subventions pour moderniser les logements existants dans les vieux secteurs des villes. Cette initiative engloberait les subdivisions des années 1960, 1970 et 1980. Cette solution pourrait s'avérer particulièrement avantageuse pour les nouveaux arrivants qui pourraient utiliser leurs compétences pour réaménager le logement. La famille proprement dite ou la famille élargie pourrait avoir le droit d'acheter la maison par le biais de l'option d'achat sans mise de fonds initiale pour les hypothèques assurées au terme de la Loi nationale sur l'habitation. J'ai travaillé pour la SCHL et je sais que les nouveaux arrivants ont un taux de remboursement de leur hypothèque excellent.

J'ai quelques autres options, mais je les sauterai et j'y reviendrai peut-être.

Nous avons ensuite les sans-abri pour des motifs sociaux, à qui la plupart des gens pensent lorsqu'ils parlent des « sans-abri » — ceux qui dorment littéralement dans la rue et qui participent irrégulièrement aux programmes d'hiver à leur intention. Il s'agit de jeunes personnes qui ont quitté un foyer dysfonctionnel, de personnes atteintes de maladie mentale, de toxicomanes, de personnes qui sont passées à travers les mailles de notre système d'aide sociale. Souvent, les sans-abri sont une combinaison de ces cas.

Leurs besoins sont différents de ceux des autres sans-abri. Ils n'ont pas seulement besoin d'un logement, mais aussi de soutien qui peut soit contribuer à les réintégrer dans une société fonctionnelle, soit les empêcher de s'enfoncer dans un abysse dysfonctionnel. Un grand nombre de sans-abri de cette catégorie se fournissent mutuellement un niveau étonnant de soutien social. Ils forment une collectivité, mais celle-ci ne dispose toutefois pas de ressources suffisantes. Ils ont besoin non seulement de soins médicaux mais aussi d'aide pour trouver des services sociaux, pour terminer leurs études secondaires ou pour lutter contre la toxicomanie.

Bon nombre de ces services doivent leur être fournis discrètement, car dans la plupart des cas, les membres de cette collectivité sont fragiles. Les foyers de groupe, les maisons d'hébergement et diverses formes de logements à occupation partagée conviendront probablement le mieux dans leur cas, la plupart des coûts sont payés par des organismes de services sociaux qui dépensent déjà d'importants montants pour eux. Selon mes propres travaux de recherche dans ce domaine, il n'y a pas nécessairement besoin de nouveaux fonds pour le logement, mais plutôt d'une amélioration de la coordination des fonds et des services déjà disponibles.

L'option qui consiste à tout bonnement envoyer ces personnes dans la rue avec leurs médicaments n'est pas une solution pratique. Certaines femmes ont des enfants nés avec des problèmes de santé. Certaines d'entre elles contreviennent à la loi en raison de problèmes de santé mentale, pas nécessairement avec une intention criminelle, et comme société, nous payons les coûts médicaux et sociaux de ces actes.

Enfin, mentionnons les sans-abri cachés. Souvent de nouveaux arrivants, ils habitent chez des amis ou des membres de la famille parfois dans le contexte d'une relation de violence. Les nouveaux arrivants habitent souvent dans un logement surpeuplé, avec six à sept enfants et trois à quatre adultes, ou encore plus. Ils vivent dans un appartement à deux chambres où les enfants ont de la difficulté à étudier; ils ont des problèmes permanents d'hygiène et d'intimité. Un grand nombre de nouveaux arrivants n'ont pas l'habitude de vivre dans des logements sans entrée privée au rez-de- chaussée et ils ont de la difficulté à s'adapter. C'est peut-être la raison pour laquelle les nouveaux arrivants s'intègrent plus lentement que les anciens groupes d'immigrants, même lorsqu'ils sont de la même origine ethnique.

Bon nombre de ces personnes travaillent, mais elles n'ont pas les ressources suffisantes pour déménager et vivre seules. Si elles sont célibataires, elles n'ont peut-être pas un réseau assez vaste pour trouver un logement à occupation partagée. Pour un grand nombre d'entre elles, le logement coopératif pourrait être une possibilité; c'est la forme de logements qu'utilisent souvent les étudiants universitaires qui disposent d'un réseau suffisant pour trouver un colocataire afin de partager une maison ou un appartement. Les mêmes solutions que celles que j'ai proposées pour les sans-abri pour des motifs économiques peuvent s'appliquer aux nouveaux arrivants. Certaines études que j'ai effectuées indiquent qu'après la première année, le besoin de services d'établissement s'estompe pour faire place à un besoin de services de logement et d'intégration, particulièrement de grandes unités d'habitation. Il s'avère aussi nécessaire d'améliorer la coordination des services existants.

En conclusion, il ne s'impose pas nécessairement d'établir des programmes nationaux, mais plutôt un leadership national et l'argent du gouvernement fédéral pour permettre aux programmes locaux de répondre aux besoins des collectivités particulières, tant sociales que géographiques. Par exemple, les besoins des villes qui fournissent des services de consultation psychiatrique externes sont différents de ceux des villes qui n'offrent pas ces services.

D'autres solutions s'offrent aux municipalités dont le centre-ville est vieux et non embourgeoisé. Cette option des petits programmes ciblés est la voie que les États-Unis ont empruntée, bien qu'il soit plus facile pour eux de choisir cette avenue en raison des différences dans les régimes intergouvernementaux. Ces divers programmes ont cependant besoin de sources de financement pluriannuel stables pour réussir, et non d'un financement intermittent comme celui de l'actuelle Initiative de partenariats en action communautaire, l'IPAC; s'avère aussi nécessaire une coordination améliorée pour renforcer notre apprentissage à partir d'expériences qui ont réussi.

Je souligne encore une fois que nous payons bien des fois les coûts d'une personne sans-abri en coûts médicaux et sociaux et en retombées économiques perdues. Les dépenses pour les sans-abri sont un investissement rentable.

Le président : Votre analyse va aider le comité à décider de son orientation sur ces questions.

Aisling Gogan, directrice, Stratégie de réduction de la pauvreté, ministère des Ressources humaines, du Travail et de l'Emploi de Terre-Neuve-et-Labrador : Je vous remercie de me donner l'occasion de vous faire part de ce que l'élaboration et la mise en œuvre de la Stratégie de réduction de la pauvreté, à Terre-Neuve-et-Labrador, nous a permis d'apprendre.

Notre province connaît les mêmes problèmes que ceux dont les autres témoins ont parlé, mais avec quelques différences. Nous avons tenu de vastes consultations à l'étape de l'élaboration de notre stratégie, et nous avons entendu parler des mêmes enjeux. Le logement et l'itinérance sont des questions importantes qui sont déterminantes dans le cas de la pauvreté.

L'itinérance est un phénomène plus insidieux dans notre province. Comme M. Distasio et Mme Wake Carroll en ont parlé, les gens n'ont pas de logement stable ou adéquat et vivent chez l'un et chez l'autre.

Je vais faire de brèves observations. Comme l'a mentionné le sénateur Eggleton, des exposés ont déjà été présentés devant le comité sénatorial qui examine la pauvreté rurale. Je sais que le sujet de votre étude est différent, mais je vais essayer de ne pas parler d'aspects déjà traités parce que vous avez accès à cette information.

Pour situer le contexte, la lutte contre la pauvreté faisait partie du programme électoral proposé en 2003 par le parti qui forme actuellement le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador. Il avait été promis que, d'ici 2012, Terre-Neuve- et-Labrador ne serait plus la province la plus pauvre, mais une des moins pauvres. C'était un engagement ambitieux à prendre.

Dans le budget de 2005 et le discours du Trône, le gouvernement s'est engagé à élaborer une vaste stratégie de réduction de la pauvreté intégrée à l'échelle de toute l'administration publique. Cette démarche est très importante. Tous les gouvernements devraient essayer de lutter contre la pauvreté par beaucoup de moyens différents. Comme l'un des témoins l'a fait remarquer, il peut être déprimant de ne pas constater de progrès.

On nous a dit, et tous les travaux de recherche le confirment, qu'il faut adopter une approche globale et intégrée. Il peut y avoir des programmes gouvernementaux qui sont valables, mais ils se combinent mal à d'autres existants, ou encore ils ne sont pas mis en œuvre à long terme. Il fallait que la stratégie soit intégrée, globale et dotée d'un objectif à long terme.

Les budgets de 2006 et de 2007 ont prévu tous les deux de nouveaux investissements totalisant près de 90 millions de dollars en argent frais chaque année pour la réduction de la pauvreté. Ces investissements visent à respecter la vision ainsi que les objectifs énoncés dans le document rendu public en juin 2006, dont j'ai apporté des exemplaires avec moi aujourd'hui.

Le président : Nous les avons.

Mme Gogan : Les groupes communautaires sont heureux que le plan d'action énonce une approche générale et un processus continu. Il ne fournit pas toutes les réponses, ce qui est impossible, mais il oriente la démarche. Il prend aussi des engagements en matière de reddition des comptes, ce qui est important à notre avis.

Comme je l'ai dit, nous avons tenu de vastes consultations pour définir nos objectifs, nos principes et nos grandes orientations, qui tiennent compte des études effectuées ainsi que de l'information fournie par des groupes communautaires, des personnes vivant dans la pauvreté et nos partenaires au sein de l'administration publique. Nous envisageons la pauvreté dans son sens large. Pour nous, l'exclusion sociale fait partie du problème, et pas seulement le manque de ressources financières qui en est évidemment un aspect très important.

Nous avons beaucoup parlé de la capacité d'apporter une contribution à la collectivité ainsi que de l'accès à l'éducation, à un logement décent et à des produits et services essentiels. L'état de santé est aussi un élément important. Quand on relie tous ces aspects à la pauvreté, il est essentiel que les solutions pour y remédier soient intégrées. C'est d'ailleurs ce qui a orienté notre approche dès le début. L'engagement clair pris en 2005, et renouvelé depuis, visait à reconnaître les liens qui existent entre la pauvreté et le sexe, la pauvreté et l'éducation, le logement, l'emploi, la santé et le reste. Nous avons ainsi été amenés à examiner les mesures de soutien social et financier, le régime fiscal et les divers programmes sociaux.

Il est beaucoup question de logement aujourd'hui. En effet, sans un logement décent et stable, il est presque impossible de trouver un emploi, à plus forte raison de le garder. Quelles références peut-on indiquer dans son curriculum vitae? Comment peut-on communiquer avec quelqu'un qui n'a pas de numéro de téléphone ou d'adresse? C'est fondamental. On peut proposer d'autres mesures fort valables pour réduire ou prévenir la pauvreté mais, si les gens n'ont pas de logement décent, ces mesures seront inutiles. Il est important d'envisager la situation dans son ensemble, ce qui nécessite la participation de beaucoup d'intervenants différents. Nous avons travaillé dans un esprit de collaboration et avec tous les secteurs de l'administration publique. C'est donc dire que sept grands ministères ont été mis à contribution dans l'élaboration de la stratégie et dans sa mise en œuvre. C'est le ministère des Ressources humaines, du Travail et de l'Emploi, auquel je suis rattachée, qui coordonne le travail. Nous faisons aussi appel aux ministères de l'Éducation, des Finances, de la Santé et des Services communautaires, de l'Innovation, du Commerce et du Développement rural, de la Justice ainsi que des Affaires autochtones, et ils ont tous un rôle important à jouer. Nous sollicitons également l'Agence des relations de travail, la Société d'habitation de Terre-Neuve-et-Labrador, le Secrétariat rural, le Bureau des politiques sur la condition féminine ainsi que le Secrétariat du conseil des ministres.

Vous avez ainsi une idée des différents intervenants qui sont mis à contribution. Il est important de savoir qu'ils sont mobilisés par notre comité de huit ministres chargé de piloter l'élaboration de la stratégie. Le niveau d'engagement est important.

Tous ceux qui ont déjà travaillé avec la fonction publique savent qu'il est difficile d'établir des liens entre les différents ministères qui ont plutôt tendance à fonctionner en vase clos. Même si nous transformons peu à peu les choses, il est laborieux à bien des égards de travailler avec différents ministères, de faire des rapprochements et de susciter la collaboration, surtout quand on pense au processus budgétaire qui créent souvent des rivalités.

Nous travaillons fort, et il est important pour le comité ministériel qu'il y ait de la collaboration au sein du gouvernement ainsi qu'entre notre gouvernement, les groupes communautaires et le gouvernement fédéral. Nous estimons que c'est essentiel pour s'attaquer à ce problème.

Je vais vous exposer rapidement les différents défis que nous avons à relever et vous expliquer ce que nous avons appris. Il est central et prioritaire que les initiatives se fassent de façon conjointe. Le comité ministériel a joué un rôle déterminant à cet égard sur le plan de la participation, de la supervision et de l'orientation. Il a aussi été crucial pour nous d'avoir des ressources spécialement affectées à cette initiative au sein de la fonction publique ainsi qu'une structure pour soutenir le travail de collaboration à l'interne. Un comité de sous-ministres seconde les ministres et nous avons créé un groupe de travail, que je préside, et qui est composé surtout de directeurs de tous les ministères et organismes que je vous ai nommés plus tôt. Voilà comment le travail s'effectue.

Nous nous efforçons d'envisager les choses dans leur ensemble et non ministère par ministère pour déterminer quelles mesures sont essentielles et comment faire le lien entre les programmes et les services. Les groupes communautaires nous ont souvent fait remarquer que tous les programmes et services des divers ministères sont bien valables, mais qu'ils ne forment pas un ensemble cohérent et sont difficiles d'accès. Les gens peuvent croire que la demande qu'ils remplissent va leur donner accès à tous les programmes nécessaires alors que, dans les faits, ils ne sont inscrits qu'à un seul programme dans un ministère. Par conséquent, nous cherchons à améliorer la situation et à ce que les différents programmes aient des effets combinés, comme pour le calcul des taux effectifs marginaux d'imposition, surtout pour les particuliers et les familles qui vivent dans la pauvreté.

Il est important de collaborer et de dialoguer de la même façon avec les groupes communautaires. Je vous ai déjà parlé des vastes consultations que nous avons tenues. Nous avons organisé des ateliers avec les groupes communautaires. Nous avions un numéro sans frais auquel beaucoup de personnes vivant dans la pauvreté nous ont appelés. Nous avons fait des recherches auprès de nos clients du soutien du revenu et nous avons diffusé des annonces. Avec l'aide des groupes communautaires, nous avons réuni les jeunes sans-abri, ce qui est difficile à faire pour une administration publique. D'ailleurs, certaines rencontres ont eu lieu avec nous, et d'autres sans nous. Par exemple, nous n'avons pas participé à la rencontre des femmes en foyer de transition, mais l'information pertinente nous a été transmise par nos partenaires communautaires.

Nous avons eu recours à différents moyens pour que tous ceux qui pouvaient vouloir nous fournir des renseignements puissent le faire. Cela nous a aidés à proposer des solutions et à régler les problèmes. La communication de l'information est un aspect important du travail de notre groupe.

Poursuivre un objectif à long terme est toujours un défi dans la fonction publique et l'administration publique en général. La volonté politique a été essentielle à l'obtention de résultats. Les politiciens ont déclaré que notre comité du cabinet voulait faire changer les choses à long terme et ils ont dirigé nos efforts en ce sens. La publication du document sur les principes directeurs et les grandes orientations a été importante tout comme l'adoption de mesures à court et à long terme.

Nous avons toujours privilégié une combinaison de mesures parce qu'il n'y a pas de solution unique. Nous envisageons diverses possibilités pour atténuer la pauvreté, essayer de la prévenir et établir des mécanismes pour évaluer nos progrès, parce qu'on ne s'entend pas sur la façon de mesurer la pauvreté. D'après nous, il y a différentes façons de la mesurer et il convient d'examiner toutes les méthodes et leurs résultats. Nous pouvons vérifier combien de gens reçoivent du soutien du revenu et attendent d'obtenir un logement social et d'autres services pour déterminer si nous sommes sur la bonne voie. On peut aussi observer des valeurs numériques générales, comme le seuil de faible revenu, le SFR, et les mesures de la pauvreté fondée sur un panier de consommation.

L'Agence de la statistique de Terre-Neuve-et-Labrador travaille avec Statistique Canada pour établir une mesure de la pauvreté fondée sur un panier de consommation dans la province pour que nous puissions évaluer les niveaux de pauvreté localité par localité. Nous aurons ainsi une meilleure idée de la situation dans notre province parce que l'application de la mesure nationale soulève des problèmes chez nous. Certains des résultats n'étaient tout simplement pas logiques dans notre cas.

La reddition des comptes est un autre aspect important. Je pourrais vous en parler davantage, mais je sais que mon temps est limité. Il faut vraiment adopter une approche intégrée pour que les initiatives prises forment un ensemble cohérent. Il faut nous demander si nous répondons à tous les besoins ou si, en négligeant un aspect, nos autres interventions ne perdent pas de leur utilité.

Nous avons appris que le leadership a son importance. Il faut avoir des chefs de file et des ressources dédiées, et il faut assurer la collaboration. On doit accorder une attention particulière aux différents partenaires concernés et aux rôles qu'ils ont à jouer. Ils doivent tous participer à l'établissement des objectifs, des échéanciers et des priorités. Produire un document là-dessus est utile à cet égard. La réalisation de mesures de portée générale dans un contexte gouvernemental est un défi. Il est important de le reconnaître et de suivre la situation. Par exemple, attribuer des crédits budgétaires à chacun des ministères n'est pas nécessairement le meilleur moyen d'assurer le succès d'une stratégie pangouvernementale comme la nôtre.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

La présidente suppléante : Merci beaucoup. Je sais qu'on a beaucoup de questions à poser.

Le sénateur Cochrane : Ce que vous nous dites est effectivement incroyable, parce que les chiffres, surtout pour Winnipeg, sont alarmants.

Je vais d'abord m'adresser à Mme Gogan, évidemment, étant donné que je viens de la même province qu'elle. Pouvez-vous me dire quelles sont les tendances que vous avez observées au cours des 10 dernières années dans la province pour ce qui est de la pauvreté, de l'itinérance et du logement?

Mme Gogan : Dans l'ensemble du Canada, la pauvreté est de plus en plus un phénomène urbain, comme d'autres études vous l'ont sans doute indiqué. Or, ce n'est pas le cas à Terre-Neuve-et-Labrador. La pauvreté urbaine et la pauvreté rurale sont aussi importantes et augmentent autant l'une que l'autre. Notre situation est différente de celle du reste du pays à cet égard. Nous devons en être conscients quand nous songeons aux solutions. Ce qui se fait ailleurs dans le Canada est souvent axé sur les centres urbains. C'est bien sûr important; je ne dis pas que la pauvreté urbaine n'est pas aussi un problème.

Il y a quelques nouvelles encourageantes depuis quelques années, puisque nous constatons une légère diminution. Quand nous avons entamé nos consultations en 2005, nous avons publié un rapport circonstanciel qui donne un aperçu des grandes tendances que nous avions observées. On peut le consulter en ligne sur notre site Web. Ces données sont un peu désuètes toutefois. Les chiffres les plus récents rendus publics il y a à peine quelques semaines sur le seuil de faible revenu sont encourageants pour la province, même si les méthodes utilisées pour interpréter les résultats ont posé certains problèmes.

Pour ce qui est de l'itinérance et du logement, autrefois, les logements sociaux étaient conçus pour les grandes familles. Or, il n'y a plus beaucoup de grandes familles parmi la clientèle de sans-abri. Dans l'ensemble, les familles sont plus petites aujourd'hui, et ce sont aussi des familles plus petites qui ont besoin de logement social ou qui ont des problèmes de logement.

Il y a aussi énormément de gens seuls qui n'ont pas de logement. En général, les gens seuls sont plus susceptibles que d'autres groupes de la société de vivre dans la pauvreté, ce qui surprend beaucoup de gens. Les mesures gouvernementales de lutte contre la pauvreté ciblent, pour de bonnes raisons, les familles et surtout les familles avec enfants, mais il faut dire que ce sont les personnes seules et en particulier plus âgées, c'est-à-dire qui ont entre 55 et 64 ans, qui ont plus tendance à être pauvres parce qu'elles ne sont pas encore admissibles, comme les aînés, au Régime de pensions du Canada ou à la Sécurité de la vieillesse. Les personnes seules appartenant à ce groupe d'âge courent malheureusement beaucoup plus de risques de vivre dans la pauvreté. C'est d'autant plus vrai pour celles qui ont une autre condition qui les rend encore plus vulnérables à la pauvreté, comme un handicap. Ces facteurs s'additionnent. Si vous avez un handicap, vous êtes aussi plus enclin à vivre seul. Le taux de pauvreté est vraiment très élevé chez les personnes handicapées qui sont seules.

La question des personnes seules pose un problème. Je répète que beaucoup de programmes ciblent les familles avec enfants. En même temps, il y a une augmentation de la pauvreté chez les personnes seules plus particulièrement celles âgées entre 55 et 64 ans, ce qui est vraiment préoccupant. Nous avons beaucoup de données empiriques sur ce groupe d'âge et nous voulons effectuer plus de recherches.

Nous avons, entre autres, un groupe de développement du marché du travail qui examine la situation des travailleurs âgés marginalisés.

Il y a aussi le problème des parents seuls dont l'enfant atteint l'âge de 18 ans. Du jour au lendemain, ces personnes passent du statut de chef de famille monoparentale, qui leur donnait accès à des programmes gouvernementaux à celui d'adultes seuls, ce qui peut les amener à vivre dans la pauvreté, si ce n'était pas déjà le cas.

Il faut être conscient du problème de pauvreté des gens seuls en matière de logement. En effet, les logements sociaux ne sont pas adaptés aux gens seuls parce qu'ils s'adressent aux grandes familles.

Le sénateur Cochrane : Est-ce que la situation à Winnipeg suit la même tendance?

M. Distasio : Il y a beaucoup de similitudes. Nous avons été confrontés récemment au problème des Autochtones âgés qui forment un autre groupe négligé et mal logé et qui sont peu susceptibles d'avoir économisé en vue de leur retraite ou d'avoir d'autres sources de revenu. Les hommes seuls sont aussi un autre groupe assez oublié dans la ville, qu'ils soient Autochtones ou non. Il y a d'autres groupes qui ont des besoins importants, comme les femmes chefs de famille monoparentale, mais ce sont deux groupes parmi d'autres qui sont dans le besoin à Winnipeg. Malheureusement, la pauvreté touche beaucoup de cohortes différentes.

Mme McCracken : Je travaille dans un centre d'accueil pour les travailleurs de l'industrie du sexe, qui font aussi partie des sans-abri invisibles. Ils fréquentent les refuges, mais il n'y a aucun endroit qui leur offre des services sociaux pour les aider à lutter contre la toxicomanie, par exemple. C'est un problème important qui touche surtout les femmes et qui est en progression à Winnipeg. Comme la pauvreté s'accentue, il y a plus d'activités de ce genre dans les quartiers résidentiels. Je dirige un programme qui vise à assurer la sécurité des enfants sur le chemin de l'école.

Nous voyons des Autochtones quitter les réserves, où les possibilités ne sont pas bien nombreuses, pour venir vivre en ville. Cela a créé un grave problème qui mobilise beaucoup de groupes autochtones, mais nous n'avons vraiment pas assez de soutien.

Les groupes communautaires doivent présenter des demandes pour financer le logement. Ils n'ont tout simplement pas la capacité ni les connaissances nécessaires pour présenter des projets d'ensembles résidentiels. Avant, on construisait ces ensembles de logements parce que c'était planifié par le gouvernement avec ses spécialistes. Maintenant, les groupes communautaires ont du mal à déterminer où acheter les terrains ou encore comment financer et réaliser les projets. Ce sont des lacunes qui doivent être corrigées.

Le sénateur Cochrane : Madame Wake Carroll, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Wake Carroll : Je connais mieux l'Ontario. Nous constatons qu'il y a des personnes seules et des personnes âgées sans économies mais, dans notre cas, il n'y a pas moins de familles dans la province simplement parce qu'à Toronto ainsi qu'à Hamilton et dans la péninsule du Niagara, il y a beaucoup d'immigrants et que leurs familles sont nombreuses. En fait, nous avons plutôt le problème contraire parce que nos logements sociaux ne sont pas assez grands pour eux. Je viens de terminer une étude sur les besoins en logement des immigrants à l'échelle nationale. Tous nous ont dit qu'ils avaient besoin de logements plus spacieux parce que les familles sont à l'étroit ou que la famille élargie voudrait vivre ensemble pour qu'un des adultes puisse s'occuper des enfants et de la maison pendant que les autres vont travailler; or ils ne peuvent le faire parce que nous n'avons pas les logements voulus à leur offrir.

Le sénateur Cochrane : M. Distasio a dit que les gens devraient essayer de travailler ensemble à la construction de ces logements, et c'est une idée qui me plaît. C'est une initiative qui pourrait les rendre, eux et la collectivité, fiers de ce qu'ils font.

M. Distasio : Dans les deux projets, j'ai travaillé en étroite collaboration avec les résidents des maisons de chambres; nous avons essayé de les laisser diriger les activités, c'est-à-dire orienter les études et proposer des idées. C'est ainsi qu'on a établi une entente de collaboration entre les propriétaires et les résidents des maisons de chambres. Il s'agissait d'une série de mesures pour améliorer la qualité de vie dans un milieu restreint et dangereux, comme faire installer des portes de chambre plus solides ou un judas, une porte d'entrée qui ne peut pas être défoncée ou une sonnerie pour avertir qu'on a besoin d'aide.

Le rapport a pour titre « Beyond a Front Desk », parce que, une fois qu'on a franchi la réception de ces vieux hôtels qui sont maintenant des résidences, il n'y a pas de service de surveillance, personne ne répondra à un appel à l'aide, et les gens sont laissés à eux-mêmes. C'est un problème important à Winnipeg et il faut s'y intéresser davantage.

C'est une mesure simple. Je sais qu'il existe une foule de programmes fort valables, mais beaucoup de gens sont complètement laissés pour compte. En fait, j'ai l'impression que la plupart d'entre eux n'ont même pas été recensés, parce que personne ne sait qu'ils existent, étant donné qu'ils vivent dans une chambre pas plus grande que l'espace qui nous sépare vous et moi.

Le sénateur Munson : J'ai une brève question à poser à chacun d'entre vous. Madame McCracken, vous avez dit que les coûts de fonctionnement des coopératives d'habitation sont 40 p. 100 moins élevés que ceux des logements sociaux. Quelle est la différence entre une coopérative d'habitation et un logement social? Ces deux formes d'habitation s'adressent-elles à des groupes différents? Devrait-on privilégier les coopératives d'habitation pour les sans-abri et les nouveaux arrivants?

Monsieur Distasio, quel impact les initiatives fédérales ont-elles eu sur l'itinérance dans votre ville? Les deux autres témoins peuvent peut-être me dire où vont les personnes pauvres dans nos villes. J'aimerais le savoir.

Je suis arrivé pour la première fois à Ottawa en 1972, et je suis parti pendant un certain temps. Nous savions qu'il y avait un secteur dans la ville où vivaient des personnes pauvres; pourtant, nous avons créé une ville avec des maisons somptueuses, de très jolies maisons dans différents quartiers où ces personnes vivaient — par exemple, dans la Basse- Ville — et je suis certain que la même chose se produit partout au pays. C'est là où des gens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Tout à coup, ils disparaissent, et ce sont les baby-boomers et ceux visés par les marché à créneaux qui aménagent. Quand on regarde dans la rue, il semble y avoir un plus grand nombre de sans-abri.

Enfin, avez-vous des statistiques sur les personnes souffrant de troubles mentaux qui ont été sorties des établissements de santé mentale et des autres endroits où on offrait des soins, et qui se retrouvent maintenant dans la rue?

Mme McCracken : Je travaillais auparavant au Centre d'excellence pour la santé des femmes — région des Prairies. Nous avons fait une étude en collaboration avec la clinique de santé des femmes de Winnipeg, qui a un programme de recherche et de défense des droits appelé Poverty is Hazardous to Women's Health. Nous avons interrogé des femmes qui vivaient dans des coopératives d'habitation, des logements locatifs privés et des logements sociaux — les logements sociaux étant définis comme étant les habitations gérées par le Bureau de logement du Manitoba, qui fait partie de la Société d'habitation et de rénovation du Manitoba, une société d'État. Le loyer de ces logements sociaux est calculé en fonction du revenu. Les bénéficiaires de l'aide sociale paient un loyer correspondant à la partie de leurs prestations qui est attribuée au loyer, quelle qu'elle soit, et ils disposent du reste de leurs prestations. Si ce sont des travailleurs à faible revenu, le loyer qu'ils payent correspond à 30 p. 100 de leur revenu avant impôt.

C'est la même chose dans les coopératives. Ces deux groupes reçoivent des subventions au loyer pour combler l'écart, parce que l'entretien de l'immeuble coûte un certain montant et les gens ont des moyens limités. Le gouvernement provincial offre encore certaines subventions pour payer cette somme, alors la situation est semblable dans ce sens.

Ce qui est différent, c'est que vous présentez une demande pour devenir membre d'une coopérative, alors c'est un autre état d'esprit. Vous êtes propriétaire d'une part, de votre logement. Il y a des coopératives à capitalisation, où les membres conservent une part de l'avoir pour le reste de leur vie, et d'autres coopératives qui n'offrent pas cette possibilité. Le modèle coopératif de gouvernance nous a paru attrayant lorsque nous nous sommes entretenus avec les femmes. Par exemple, elles ont dit que si elles voulaient une chaise dans la salle d'attente, il y avait au moins un mécanisme qui leur permettait d'en faire la demande. Ce modèle favorisait ainsi le leadership et le sens de la propriété, ce qui nous a paru utile.

Dans le logement social, pareil mécanisme n'existait pas. Il y avait un concierge sur les lieux et c'était tout; il n'y avait pas nécessairement une association de locataires.

M. Distasio : Il est certes important de se demander où vont les pauvres. Durant les Jeux panaméricains, on souhaitait ardemment effacer les aspects visibles de la pauvreté de la rue principale de Winnipeg. On voulait tout nettoyer pour que les visiteurs ne soient pas troublés par la vue des sans-abri et des personnes qui ne répondaient pas tout à fait aux normes.

Où vont-ils? Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'industrie de la pauvreté est en croissance à Winnipeg. Nous avons des mégasoupes populaires qui font leur apparition dans certains quartiers du centre-ville pour répondre aux besoins d'une clientèle toujours plus nombreuse. L'autre jour, on m'a demandé de commenter le fait qu'un des hôtels résidentiels est devenu un fléau tel qu'un employeur de centaines de personnes menace de quitter le centre-ville parce qu'on ne peut plus supporter la vue des sans-abri devant son établissement.

Dans les deux rapports que nous avons produits sur les maisons de chambre et les hôtels, nous sommes partis du principe qu'il ne fallait pas dire simplement qu'il fallait démolir ces endroits, qu'il n'y avait rien de bon à en retirer. Notre approche a plutôt été de dire « Que pouvons-nous faire comme société pour qu'un tout petit local devienne le meilleur endroit possible pour ces personnes qui ne peuvent trouver rien de mieux? »

Nous pouvons faire mieux. À Winnipeg, on fait du bon travail avec ce qu'on appelle des mini-appartements. Quelqu'un a eu l'ingéniosité d'utiliser une petite parcelle de terrain pour y construire de six à huit logements autonomes d'environ 300 pieds carrés, avec des meubles intégrés de bonne qualité. Cela est gratifiant.

Nous avons toujours dit que vous pouvez faire quelque chose. Dans le quartier malfamé de Los Angeles, le Skid Row Housing Trust a converti 6 000 ou 7 000 chambres d'hôtel en logements de qualité de 150 à 200 pieds carrés. Vous pouvez faire cela dans le respect des personnes.

Vous ne donnez pas à quelqu'un un matelas sur un plancher en lui demandant de partager cette chambre avec quatre autres personnes. Il ne faut pas agir de cette façon. Vous pouvez faire mieux, et vous ne pouvez pas simplement vous débarrasser de ces endroits parce qu'ils sont importants à de nombreux égards. Il y a 6 000 personnes qui vivent dans des logements marginaux. Nous ne pouvons pas décider du jour au lendemain de fermer toutes les maisons de chambre et les hôtels. Nous devons plutôt trouver des façons d'adapter ces habitations.

Nous devons aussi trouver une façon de donner du pouvoir aux résidants. Lorsque nous avons évalué le programme Neighbourhoods Alive, qui vise à revitaliser les quartiers du centre-ville, j'étais étonné d'entendre certains résidants dire « Lorsque vous ciblez des quartiers et y injectez des centaines de millions de dollars, vous devez nous préparer aux changements qui vont avoir lieu. »

Dans le quartier West Broadway, où les loyers ont grimpé et les plus pauvres des pauvres ou les gens difficiles à loger sont déplacés, nous n'avons jamais tenté de rénover, d'améliorer ou peut-être d'embourgeoiser les logements pour qu'ils puissent améliorer leur sort. Nous pouvons dépenser tout cet argent sur de nouveaux immeubles étincelants et rénover de vieux immeubles à logements, mais si nous ne fournissons pas le soutien de base à ceux qui sont mis à la porte, nous ne faisons que déplacer la pauvreté d'un côté de la rue à l'autre ou d'un hôtel à l'autre. C'est ainsi que nous agissons.

Je songe à la modeste contribution que l'Université de Winnipeg a apportée à l'éducation des jeunes du quartier, à qui elle a donné un ordinateur. Même les parents commencent à savoir utiliser Internet et les systèmes de courriel et à s'approprier cette technologie.

Mme Wake Carroll : À Hamilton, il y a un grand hôpital de soins psychiatriques, destinés aujourd'hui à des patients externes. Comme les gens ne sont pas officiellement des résidants de Hamilton, personne n'a la responsabilité de les loger dans la ville, mais ils ne peuvent pas aller chez eux parce qu'ils sont traités comme des patients externes. Ils dorment sur des matelas dans des logements abandonnés dans le vieux quartier nord de Hamilton, souvent à proximité d'une maison de crack, avec trois ou quatre enfants dans la même maison.

Bon nombre des problèmes que l'on trouve à Winnipeg se trouvent aussi à Hamilton. Nous avons tendance à penser à Toronto et à son centre-ville embourgeoisé lorsque nous songeons aux sans-abri. Au Canada, un grand nombre de centres-villes pourraient être rénovés à peu de frais. Je fais partie d'une organisation qui prend les jeunes dans la rue et leur inculque des habiletés dans le domaine de la construction tout en réhabilitant de vieilles maisons pour les pauvres. Nous pouvons très bien avoir des commodités plus modestes. Vous n'avez pas besoin d'une deuxième salle de bain si vous n'avez même pas de maison. L'entreprise privée peut faire de l'argent dans ce secteur et construire des logements efficaces si on l'encourage à le faire. Un des projets les plus efficaces en matière de logement a été l'ancien programme de compagnies de logement à dividendes limités; ces logements appartenaient au secteur privé et étaient gérés et financés par le secteur privé. Ce programme a donné de bons résultats.

Le sénateur Munson : J'ai besoin d'une leçon d'histoire sur les programmes de logements sociaux, qui ont été éliminés en 1993. Nous sommes maintenant en 2007. J'aimerais que nous envisagions une stratégie nationale. Il est clair que le financement fédéral n'est pas suffisant et qu'il n'y a pas de stratégie. C'était là la question dominante.

M. Distasio : J'ajouterais que les logements sociaux construits à partir des années 1970 étaient accompagnés de subventions. Pour un grand nombre de logements autochtones à Winnipeg et de logements sociaux partout au pays — 600 000 en tout —, les accords de fonctionnement tirent à leur fin. Au cours des 20 à 30 prochaines années, quelque 600 000 logements subventionnés ne seront plus subventionnés. Nous travaillons présentement en collaboration avec la Manitoba Urban Native Housing Association afin d'élaborer un plan pour corriger cette situation. À Winnipeg, l'entreprise de logements autochtones a maintenant la pénible tâche d'annoncer aux familles autochtones qu'il n'y a plus de subventions rattachées au logement financé par le gouvernement fédéral. Ces familles seront jetées à la rue. Kinew Housing a vu le jour en 1970 et est la plus ancienne entreprise de logements autochtones au pays. Elle devra annoncer aux familles qu'elles ne peuvent plus vivre dans ces logements. Kinew Housing a des avoirs partout à Winnipeg qui pourraient être vendus à profit lorsque les ententes de fonctionnement prendront fin. Cela pourrait être leur seule option si aucun autre soutien n'est offert aux familles visées. C'est tout un défi.

Mme Wake Carroll : Je crois que vous êtes un peu injuste envers le programme. Les subventions sont en place pendant 35 ans parce que l'hypothèque est amortie sur 35 ans. La subvention cesse lorsque l'hypothèque est remboursée. Certaines subventions seront encore nécessaires, je ne le nie pas, mais la situation n'est pas aussi terrible. Les gens qui payent les loyers les plus modiques perdront leurs subventions, et les autres subventions devront être renégociées. Ce n'est pas aussi dramatique qu'on le croit, parce qu'ils ne peuvent pas vendre les logements sur le marché, mais seulement à un organisme de bienfaisance. C'est là la nature du programme de logements à but non lucratif. Je ne dis pas que vous n'avez pas raison, mais ce n'est pas aussi grave qu'on pourrait le croire. Nous ne les mettons pas à la rue du jour au lendemain sans subventions.

M. Distasio : Certaines personnes seront déplacées. Les ententes de fonctionnement conclues au Manitoba avec certains organismes autochtones sont échues et les locataires ont été informés que les loyers vont augmenter. Au plus bas de l'échelle de la location, la somme que ces personnes peuvent consacrer à un loyer n'est pas suffisante pour pallier le retrait de cette subvention. Cette situation doit attirer l'attention en haut lieu.

Mme Gogan : J'aimerais faire deux observations rapides. Les choses sont un peu différentes à St. John's par rapport à ce qu'elles sont dans les grandes villes où vous œuvrez. Nous avons des logements inadéquats et notre problème d'itinérance est plutôt caché, comme je l'ai dit tout à l'heure. Des jeunes couchent sur des divans ici et là parce qu'ils n'ont pas de logement stable. Nous avons parlé des logements inadéquats, des locataires et des gens qui ont leur propre maison mais qui n'ont pas les moyens de l'entretenir ou de la chauffer. Cela rejoint le groupe des 55 à 64 ans. Il y a des gens de tout âge. Il y a des mères seules dont les enfants sont partis et qui n'ont pas été capables d'entretenir la maison. Le vent peut s'infiltrer de partout et le seul moment où elles allument le chauffage, c'est lorsque les enfants rendent visite. C'est un problème dans notre province, qui vaut la peine d'être soulevé également. La ville de St. John's finance actuellement une étude sur les habitations à loyer modéré et je peux en remettre une copie au comité. On y examine les enjeux et les solutions possibles et on met l'accent sur les recommandations.

Le sénateur Trenholme Counsell : Les témoignages entendus aujourd'hui sur la pauvreté au Canada et son incidence sont à la fois source d'inspiration et d'inquiétude et leçon d'humilité. À l'exception de Terre-Neuve-et-Labrador, dont j'aimerais entendre parler davantage, on n'a pas beaucoup parlé des gouvernements provinciaux et encore moins des administrations municipales. J'aimerais donc poser cette question aux gens de Winnipeg : dans quelle mesure les autorités municipales s'occupent-elles de ce problème?

M. Distasio : Ce qu'il y a de très intéressant à Winnipeg, c'est ce que j'appelle le modèle de Winnipeg, où les trois ordres de gouvernement ont assez bien réussi à partager le coût de nombreuses initiatives visant à relever les défis urbains. Je vais parler de l'ancien ministre fédéral Lloyd Axworthy et revenir à 1980, lorsque la première initiative de base a été mise sur pied. C'était l'un des plus importants projets de revitalisation urbaine jamais entrepris en Amérique du Nord; les trois paliers de gouvernement se sont acquittés à parts égales des coûts du projet et celui-ci a duré 12 ans. Après cette période, l'Entente de partenariat de Winnipeg et l'Entente sur l'aménagement de Winnipeg ont été conclues, dans le cadre desquelles les trois ordres de gouvernement avaient pris un engagement égal. Toutefois, tous les trois se sont gentiment désengagés et, bien que la ville de Winnipeg assure un certain soutien aux programmes de logement et autres, elle ne réussit pas à surmonter les problèmes d'argent qui guettent toutes les villes, comme celui que posent les nids de poule, qui semble générer plus de votes que le problème des logements.

Winnipeg dispose d'une réserve d'urgence et essaie de faire les choses différemment, mais l'administration municipale pourrait faire mieux. Chose courante au Canada, la direction des programmes urbains au niveau municipal n'est pas formidable.

Mme McCracken : J'ai travaillé pour le gouvernement provincial au sein du secrétariat du comité du Cabinet chargé du développement économique communautaire. La ville de Winnipeg nous a dit qu'elle réaffectait les fonds en raison du manque de liquidités qu'elle envisageait. Il y a des fonds fédéraux pour certains projets, mais peu de soutien continu. À certains égards, la province comblait les manques à gagner des deux ordres de gouvernement. Il y a eu un important resserrement des liquidités, et il faut ajouter, comme Mme Wake Carroll l'a mentionné, que le logement n'est pas nécessairement quelque chose qui attire les votes.

Je dois vous féliciter de vous attaquer à ce problème. Il peut être énorme et complexe. J'ai essayé de me concentrer sur diverses sous-populations ou d'autres aspects dont vous pouvez prendre la mesure, parce que le problème est énorme.

Le gouvernement provincial est préoccupé par ce problème et essaie de le régler; toutefois, en l'absence d'une approche planifiée, on n'aborde qu'un projet à la fois. C'était le défi que nous avions lorsque ces groupes ont présenté leurs projets de logement. Par exemple, nous avions 20 millions de dollars à attribuer pour une phase de l'initiative de logement abordable, lorsque je travaillais pour la province. Nous avons reçu des demandes de subventions de plus de 40 millions de dollars alors que nous n'avions que 20 millions de dollars à attribuer dans l'ensemble de la province. Les groupes de personnes âgées dans les secteurs ruraux du Manitoba entraient en concurrence avec les collectivités du nord qui, elles, entraient en concurrence avec les communautés des centres-villes; tous voulaient avoir une part de cette petite enveloppe d'argent. C'était très déchirant de lire ces beaux projets et d'essayer de répartir ces sommes.

Je voulais que vous sachiez que les gouvernements sont aux prises avec ce problème et essaient de le régler, mais ce serait utile d'avoir une stratégie et d'admettre qu'il faut investir à long terme.

M. Distasio : L'autre défi qui se pose au Manitoba, en particulier avec le fonds de logements sociaux et les allocations de logement versées aux bénéficiaires de l'aide sociale, c'est que les niveaux d'aide au logement n'ont pas changé depuis une décennie. Les résidants des maisons de chambre et des hôtels et les personnes seules ont soit 236 $, soit 284 $ par mois pour se loger. La plupart du temps, ils sont coincés dans des endroits malfamés du centre-ville. Le problème — et cela nous ramène à l'industrie de la pauvreté —, c'est que le loyer ne coûte pas 236 $ ou 284 $. Le loyer est de 275 $ ou de 300 $ et plus. Les bénéficiaires de l'aide sociale prennent alors entre 30 et 40 p. 100 de leur revenu disponible — qui est d'environ 80 $ — pour payer leur loyer. Ils vont voir Jon Mohan, de la mission Siloam, pour avoir de la nourriture, ou David Northcott dans l'une des 300 banques alimentaires qui foisonnent. Ils s'adressent à l'Armée du Salut. Ils vont ici et là dans le grand cycle de la pauvreté, qui se nourrit des difficultés que rencontrent les gens tous les jours. Ils ne s'en sortent pas.

Mme Wake Carroll : L'argent des municipalités provient des taxes foncières, qui sont régressives. Il est insensé de se décharger de la responsabilité du logement sur le dos des municipalités parce que, lorsque les conditions économiques sont mauvaises, les revenus baissent. C'est difficile pour les villes d'augmenter les taxes. On devrait utiliser une taxe de redistribution des revenus, plutôt qu'une taxe foncière, pour tenter de régler le problème des sans-abri. La plupart des municipalités de l'Ontario sont à court d'argent. Elles font ce qu'elles peuvent, mais elles n'ont pas beaucoup d'argent. Le logement doit être perçu comme un problème de la plus haute importance. Les municipalités peuvent offrir certains services et prendre certaines initiatives, mais le financement devrait provenir d'un système de taxe de redistribution, plutôt que des taxes foncières.

Le sénateur Trenholme Counsell : L'argent est évidemment un facteur, mais il faut aussi conscientiser les citoyens et les inciter à agir, à trouver des solutions dans les rues et les quartiers, et non seulement mettre sur pied des banques alimentaires. C'est là où une municipalité peut se faire entendre auprès du gouvernement provincial et du gouvernement fédéral. Nous parlons des décisions qui partent du haut vers le bas, du gouvernement fédéral vers les communautés. Nous avons besoin d'une voix puissante, d'une conscience sociale forte et de la mobilisation des citoyens et des groupes communautaires pour que les villes puissent se faire entendre aux paliers supérieurs. Je me demandais si ces choses existent à Winnipeg.

Mme Gogan : M. Distasio a parlé des sommes affectées au logement et des taux de soutien du revenu. C'est un défi pour les gouvernements provinciaux, parce que la somme que l'on attribue au logement, quelle qu'elle soit, devient le taux, et même si le taux est supérieur à cela, les deux sont étroitement liés. Nous sommes aux prises avec ce problème. Si vous augmentez l'allocation au logement que vous fournissez, les loyers augmentent tous à la hauteur de cette somme, au taux minimal, et les autres personnes qui vivent dans la pauvreté, les travailleurs à faible revenu, peuvent se retrouver à payer un loyer plus élevé. C'est un problème que les gouvernements provinciaux ont du mal à régler. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas le régler.

Encore une fois, il faut adopter une approche globale. Je sais que vous examinez le problème dans son ensemble. Nous avons augmenté les sommes dans notre province dans le cadre de la stratégie de réduction de la pauvreté, alors je n'ai rien contre cela, mais vous devez faire attention à ce que vous faites au marché de la location. Vous pouvez, par inadvertance, créer un effet négatif sur d'autres personnes qui vivent dans la pauvreté et qui n'ont pas de soutien de revenu. C'est un problème complexe, parce que tout ce que vous faites a d'autres répercussions.

C'est la même chose dans notre province. Au cours de nos consultations, on a parlé des bénéficiaires du soutien du revenu qui devaient utiliser l'argent destiné à couvrir les frais de subsistance de base pour payer leur loyer. Je ne voulais pas vous éloigner du sujet, mais je tenais à dire que le problème est compliqué.

Le sénateur Cordy : J'ai beaucoup de questions, mais je vais en poser une seule. Les renseignements que vous nous avez donnés ne sont pas réjouissants, mais nous nous en servirons dans notre rapport. Vous nous avez tous montré clairement comment le logement est important et que les déterminants de la santé et de l'éducation sont liés au logement. J'étais enseignante et je connaissais des élèves qui pouvaient déménager trois fois au cours d'une année scolaire. Comment le pauvre enfant peut-il continuer à étudier? Je sais qu'un bon logement contribue à la dignité des familles et des personnes et que les effets se font sentir pendant des années.

Mme Gogan a parlé des ministères qui travaillent ensemble. Le gouvernement étant ce qu'il est, ils ont tendance à travailler en vase clos. Chaque ministère obtient un budget. Si vous prenez le budget des services communautaires et vous le donnez à l'éducation, vous n'aurez peut-être pas assez d'argent au sein de votre ministère. Quelle est la clé du succès? Est-ce les personnes concernées? Étant originaire de la Nouvelle-Écosse, je connais Danny Williams. Je crois que s'il se met en tête d'obtenir quelque chose, il l'obtiendra.

Cela va-t-il au-delà des personnes concernées? Comment travaillez-vous avec les municipalités? Collaborez-vous avec le gouvernement fédéral? Avez-vous des suggestions pour les autres provinces?

Mme Gogan : Cela dépend beaucoup du degré de priorité que le gouvernement accorde à cette question. Comme je l'ai déjà indiqué, huit ministres coordonnent l'application de cette stratégie et s'entendent pour dire qu'il s'agit d'une priorité. Au chapitre des investissements, particulièrement dans notre province, 90 millions de dollars seront consacrés, cette année, à ce secteur. C'est beaucoup.

En outre, dès le début, il était important que chacun reconnaisse que la stratégie devait être pangouvernementale et intégrée, et que nous devions travailler ensemble. Plusieurs facteurs ont contribué à ce que cela se concrétise au sein de la fonction publique. Comme je l'ai déjà dit, quiconque a déjà travaillé pour un gouvernement, quel qu'il soit, sait qu'il y a parfois des difficultés. En vertu de l'obligation de rendre compte, un sous-ministre doit s'assurer que le mandat de son ministère est respecté. Lorsqu'il y a des chevauchements pareils entre les mandats, il est plus probable que cela ne fonctionne pas. Il faut s'assurer d'un engagement indéfectible et de l'appui de la population. Il y a eu beaucoup de mouvements de défense dans notre province, et je sais que les autres témoins sont engagés dans cette même dynamique dans leur propre province. Il ne faut pas l'oublier.

À l'interne, nous essayons de parvenir à un consensus. Dans nos recommandations, nous avons essayé de mettre nos mandats ministériels de côté pour nous demander, en tenant compte du point de vue des gens qui vivent dans la pauvreté, quelles mesures il serait urgent de prendre, sachant qu'il est impossible de tout changer du jour au lendemain et qu'il faut établir des priorités, ce qui est parfois difficile. On a l'impression d'accorder plus d'importance à un groupe qu'à un autre.

La plus grande initiative financée a été l'élargissement de la couverture dans le cadre de notre programme d'assurance-médicaments. Nous voulions tous conclure une entente. Les ministres étaient très favorables à cette initiative et ont convenu qu'elle était essentielle, étant donné qu'il y a beaucoup trop de gens qui ne pourraient pas vivre sans avoir recours au programme du soutien du revenu en raison du coût exorbitant des médicaments. Le coût élevé des traitements a été un problème pour tous les groupes à faible revenu, parce qu'avant l'élargissement du programme, seuls les aînés recevant un Supplément de revenu garanti et ceux bénéficiant du soutien du revenu avaient accès aux médicaments de prescription. Évidemment, les gens ayant une assurance privée aussi, mais tous les « petits salariés », comme on les appelle souvent, étaient exclus, alors qu'ils sont si vulnérables.

Vous nous avez aussi demandé si nous travaillons avec les municipalités et le gouvernement fédéral. À mesure que nous avancerons dans le développement de cette stratégie, ce sera très important; je dirais même essentiel. Dans notre mémoire, nous parlons des domaines dans lesquels nous devrons travailler avec le gouvernement fédéral. Cela fait partie des priorités.

Les municipalités de notre province peuvent jouer des rôles différents de celles d'autres provinces. Nous travaillons actuellement avec un comité sur le logement à St. John's. Il s'agit d'un processus continu, qui peut paraître décourageant, voire insurmontable. Notre approche consiste à déterminer ce que nous pouvons faire maintenant et dans l'avenir, plutôt que de rester les bras croisés.

Ce qui nous rend optimistes, c'est de voir des améliorations et d'entendre des choses positives sur les initiatives entreprises. Nous travaillons avec des partenaires communautaires pour nous assurer qu'ils font leur travail comme il se doit en essayant de mesurer les progrès, tout en gardant un œil ouvert sur les autres secteurs où il pourrait être nécessaire d'intervenir.

Le sénateur Callbeck : Professeure Wake Carroll, vous avez parlé des nouveaux arrivants et de la situation du logement. Les habitations sont souvent surpeuplées, et vous avez dit que c'était peut-être une des raisons pour lesquelles de plus en plus de nouveaux immigrants s'intègrent plus lentement qu'autrefois. Y a-t-il des études qui le prouvent?

Mme Wake Carroll : Oui. D'après une étude de Statistique Canada, dévoilée il y a deux ou trois semaines, les nouveaux arrivants prennent plus de temps à s'intégrer, et cela vaut même pour ceux d'un même groupe ethnique.

Je viens tout juste de terminer une étude sur la question du logement et des immigrants. Le rapport a été publié la semaine dernière. Plusieurs personnes nous disent que le problème du logement est devenu grave au point de nuire à l'intégration de groupes d'immigrants. Ceux-ci continuent de faire appel aux services d'établissement, en partie à cause de la barrière linguistique, mais c'est davantage d'un logement dont ils ont besoin.

Les gens qui s'occupent des immigrants ont tendance à penser à l'établissement à court terme plutôt qu'à l'intégration à long terme. Si les immigrants ne peuvent pas se trouver un logement, ils auront du mal à obtenir un emploi. S'ils éprouvent des problèmes parce qu'ils vivent dans des conditions déplorables, cela se répercutera sur leurs enfants. Après la première génération, normalement, le niveau d'instruction des immigrants augmente, ce qui fait que ceux-ci s'intègrent plus facilement. Toutefois, cela se fait beaucoup moins rapidement qu'auparavant. Les nouveaux arrivants habitent souvent dans des logements surpeuplés, et de plus en plus vivent de l'aide sociale, ce qui est très inhabituel. Par le passé, les nouveaux arrivants n'avaient pratiquement jamais recours aux programmes d'assistance sociale. Maintenant, ils se servent du système de sécurité sociale presque aux mêmes niveaux. Nous croyons que c'est en partie attribuable aux problèmes de logement. Bien que ce ne soit pas la seule cause, cela y est certainement pour quelque chose. Nous ne nous sommes pas beaucoup penchés là-dessus et nous n'avons pas vraiment mené de recherches à ce chapitre.

M. Distasio : On a établi des parallèles entre les communautés autochtones et les communautés d'immigrants. À Winnipeg, il n'est pas rare de voir des Autochtones partager leur résidence, mais ce n'est pas pour les mêmes raisons. Chez les immigrants, c'était parfois une question d'entraide. Ma famille et moi-même avons vécu quelque temps dans une maison avec deux ou trois autres familles avant d'avoir notre propre logement. Dans la communauté autochtone, il y a aussi un problème d'itinérance cachée; les sans-abri sont de plus en plus nombreux et leur situation économique demeure précaire. Les choses ne changent pas aussi vite qu'on le voudrait.

Fait intéressant : c'est particulier aux zones urbaines. À Winnipeg, il y a 25 quartiers où habitent des Autochtones, des nouveaux arrivants, et cetera. Il suffit de regarder dans quelle situation ils se trouvent pour voir à quel point ils sont désavantagés. Nous avons comparé les taux correspondant au SFR et constaté que la population autochtone concentrée au centre-ville avait une qualité de vie inférieure aux Autochtones établis dans les quartiers périphériques.

On a pris des mesures pour revitaliser ces quartiers, mais nous ne pouvons pas nier ce fait : les immigrants vivent beaucoup mieux en dehors des zones urbaines, qui d'ailleurs ont toujours été la porte d'entrée. Ma famille a quitté l'un des quartiers les plus pauvres de la ville pour aller s'établir à Winnipeg, dans l'un des plus riches. Cela n'arrive plus aussi souvent, maintenant.

Le sénateur Pépin : Monsieur Distasio, vous avez parlé de l'industrie invisible de la pauvreté qui, à mon avis, est une nouvelle façon d'aborder l'itinérance, mais je suis parfaitement consciente de l'ampleur du problème.

Vous avez également déclaré que ces gens vivaient dans des hôtels où il n'y a même pas de bureau central. Ils sont laissés à eux-mêmes. Ils n'ont même pas de téléphone. Selon ce que vous avez décrit, une ou deux personnes vivent dans une pièce exigüe. C'est à se demander si on n'est pas en train de parquer ces gens.

Vous avez dit, dans votre recommandation, que l'éducation était une façon de sortir de ce cercle vicieux. À votre avis, à quoi pourrait ressembler une structure qui n'oblige pas, mais plutôt motive les jeunes à aller à l'école? Y a-t-il moyen d'encourager les enfants ou adolescents à fréquenter l'école? Existe-t-il des lois à cet effet? Je viens d'une province où la scolarité est obligatoire jusqu'à l'âge de 14 ans. Je ne sais pas si c'est pareil chez vous. D'un autre côté, ils sont tellement pauvres.

Vous avez tellement d'expérience et de connaissances. Comment pourrions-nous organiser tout cela et faire en sorte que les différents gouvernements travaillent ensemble dans la même direction?

M. Distasio : Je pense qu'il y a de nombreuses façons de trouver des réponses adéquates. Près de 1 000 personnes vivent dans des chambres d'hôtel; elles n'ont aucun droit et bénéficient de très peu de services. Certaines y sont par choix. D'autres sont des personnes à faible revenu à la recherche d'un petit espace où se loger; il y a aussi des personnes atteintes de troubles mentaux; des travailleurs du sexe et des marginaux. D'ailleurs, il y aura toujours des gens qui vivent en marge de la société et nous devons nous faire à l'idée. Toutefois, pour ceux qui veulent vraiment s'en sortir dans la vie, nous devons au moins essayer de les aider en mettant les chances de leur côté.

J'en reviens à mon exemple de Los Angeles, où certains hôtels, dans les quartiers malfamés, offrent maintenant des services et du soutien. Ils se sont départis de leur permis d'alcool, de leur bar et ont mis en place des services sociaux pour ceux qui en ont besoin. Malgré tout, il y a là aussi un problème. À la Mission, si vous voulez vous protéger du froid, vous devrez vous asseoir et écouter un sermon; c'est seulement après qu'on vous servira un repas; c'est la même chose pour l'hôtel.

Il faut maintenir un équilibre entre les différentes approches. L'éducation n'est pas la seule solution. La situation de ces gens est vraiment désespérée, mais il y a tellement de possibilités dont nous devons tenir compte si nous voulons réellement les aider.

Il y a des jeunes Autochtones qui construisent des maisons à Winnipeg. Certains m'ont dit qu'ils trouvaient intéressant de pouvoir acquérir des compétences en rénovation et en réparation, par contre, selon eux, ils n'auront jamais les moyens d'habiter dans ces maisons. C'est un cercle vicieux. Pour en sortir, il faut commencer quelque part. Il y a les jeunes Autochtones, les jeunes en général et les petits enfants. Il faut leur tendre la main. Nous devons nous mobiliser et mettre fin à ce cycle en misant sur nos jeunes les plus prometteurs. Bien sûr, il ne faut pas oublier tous les autres, mais il faut un début à tout.

Mme McCracken : J'aimerais vous parler d'un projet où on a adopté une approche de développement communautaire pour réduire la pauvreté au niveau local. Ce projet est mené dans un centre pour femmes à North Point Douglas, qui reçoit un financement de base fort utile de la province. On a consulté les femmes du quartier, dont certaines vivaient dans des chambres d'hôtel, d'autres dans des logements sociaux ou du marché privé, et on leur a demandé ce dont elles avaient le plus besoin. Elles ont répondu que leurs priorités étaient des services de garde pour leurs enfants et l'éducation.

La province a mis en œuvre un programme pilote destiné à former les mères pour qu'elles deviennent des éducatrices de la petite enfance et à leur offrir des services de garde durant cette formation. À la fin du cours, les femmes obtiennent un certificat ou un diplôme en éducation de la petite enfance. On prévoit ensuite ouvrir une garderie, financée par le gouvernement, et embaucher ces femmes, ce qui leur permettra d'augmenter leurs revenus.

Ce programme reçoit beaucoup d'appui, parce que les femmes prennent part à l'établissement des priorités, dont l'une était l'offre de services de garde pour certaines. Pour d'autres, c'est le logement ou autre chose.

Le gouvernement fédéral devrait établir des partenariats avec les provinces et les municipalités afin d'élaborer des stratégies visant à réduire la pauvreté. Je suis impressionnée par la Stratégie de lutte contre la pauvreté qu'a adoptée Terre-Neuve-et-Labrador. Je souhaite que notre gouvernement provincial en fasse autant. J'aimerais d'ailleurs proposer l'idée.

Je vous dis cela pour vous donner de l'espoir et de l'inspiration et pour vous prouver que de telles initiatives sont entreprises au niveau local et qu'elles ont simplement besoin d'un financement soutenu à long terme pour réussir.

Le président suppléant : Je vous remercie tous. Nous sommes chanceux d'avoir des gens comme vous qui font ce genre de travail. Le Sénat est une Chambre militante, et nous étions plus tôt ce matin avec notre Comité de l'agriculture, qui parcourt le Canada dans le cadre de son étude sur la pauvreté rurale. Ces questions sont interreliées, nous ne pouvons pas les prendre séparément. C'est un problème épineux, mais c'est rassurant de savoir que vous êtes là. Merci d'être venus témoigner.

La séance est levée.


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