Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 24 - Témoignages - 6 juin 2007
OTTAWA, le mercredi 6 juin 2007
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 8, pour étudier la situation de l'éducation et de la garde des jeunes enfants au Canada à la lumière du rapport Petite enfance, grands défis II : éducation et structures d'accueil publié par l'OCDE les 21 et 22 septembre 2006 qui classe le Canada au dernier rang de 14 pays pour ce qui est des fonds consacrés aux programmes d'éducation et de garde des jeunes enfants.
Le sénateur Jim Munson (président suppléant) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président suppléant : Merci beaucoup. Bonne fin de journée à tous. Bienvenue à nos visiteurs de différentes régions du pays.
La cloche va sonner pendant 15 minutes à compter de 17 h 15, et nous allons voter aux environs de 17 h 30. Disons qu'à 17 heures ou à peu près, nous verrons où nous en sommes rendus avec vos exposés. Si nous pouvons compter sur suffisamment de sénateurs, nous reviendrons pour une demi-heure supplémentaire. Nous traitons aujourd'hui d'un sujet extrêmement important et nos témoins ont parcouru des distances considérables pour venir comparaître devant nous.
En septembre 2006, la Direction de l'éducation de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont le siège social se trouve à Paris, a publié un rapport intitulé Petite enfance, grands défis II : éducation et structures d'accueil. Ce rapport présente les progrès accomplis par 20 pays dans le domaine de l'éducation préscolaire et de la garde des enfants, et offre des exemples de nouvelles initiatives mises en œuvre dans ces secteurs.
Selon ce rapport, qui a classé le Canada au dernier rang de 14 pays pour ce qui est des fonds consacrés aux programmes d'éducation et de garde des jeunes enfants :
[...] les politiques nationales et provinciales d'éducation et de garde des jeunes enfants au Canada en sont encore aux premières étapes... la couverture est faible si on la compare à celle d'autres pays de l'OCDE.
Cette conclusion ainsi que l'état général de l'éducation préscolaire et de la garde des jeunes enfants au Canada ont soulevé certaines inquiétudes au Sénat. À l'issue d'un débat, il a donc été convenu que notre comité examinerait ces questions.
À cet effet, nous sommes très heureux de pouvoir recevoir trois témoins aujourd'hui. Nous accueillons la professeur Martha Friendly, coordonnatrice, Childcare Resource and Research Unit, Université de Toronto. Avant de venir s'établir au Canada en 1971, Mme Friendly s'était intéressée à la garde et à l'éducation des jeunes enfants à titre de chercheuse chargée d'étudier le programme américain Head Start à l'Educational Testing Service, à Princeton (New Jersey). Au Canada, elle a effectué des travaux de recherche sur la garde d'enfants au Social Planning Council de la communauté urbaine de Toronto, puis dans le cadre du programme Child in the City de l'Université de Toronto. Elle est la fondatrice et la coordonnatrice de la Childcare Resource and Research Unit à l'Université de Toronto.
Le professeur Douglas Willms est de l'Université du Nouveau-Brunswick. Il est le directeur du Canadian Research Institute for Social Policy, organisme multidisciplinaire voué à la recherche sur les politiques publiques en vue d'améliorer les services d'éducation et de garde à l'enfance et des jeunes au Canada. Il a publié près de 200 articles et monographies sur l'alphabétisation des jeunes, la santé des jeunes enfants, la responsabilisation des systèmes scolaires et l'évaluation des réformes nationales. M. Willms et ses collègues ont conçu Tell Them from Me, un système d'évaluation continue de l'environnement scolaire qui recueille de l'information que peuvent utiliser les administrateurs, les directeurs d'école et les enseignants afin de répondre aux besoins de jeunes vulnérables.
Le professeur Kevin Milligan nous vient de la Colombie-Britannique. Outre ses responsabilités au département d'économie de l'université, M. Milligan est membre de l'Institut C.D. Howe. Il est l'auteur de nombreux mémoires de recherche, dont plusieurs sur les crédits d'impôt pour enfants et autres programmes de prestations pour enfants. En 2006, en collaboration avec Michael Baker et Jonathan Gruber, il a rédigé un mémoire intitulé What Can We Learn from Quebec's Universal Child Care Program?
Kevin Milligan, professeur, Département d'économie, Université de Colombie-Britannique : Merci de m'avoir invité à comparaître devant votre comité. On m'a demandé de vous parler de quelques-unes des recherches que j'ai menées récemment sur l'expérience du Québec avec son régime universel de services de garde subventionnés. Je suis heureux de pouvoir vous faire part des résultats de mes recherches et d'avoir ainsi l'occasion de contribuer à leur interprétation correcte.
Je fais partie d'une équipe de recherche, avec Michael Baker de l'Université de Toronto et Jonathan Gruber du MIT. Ensemble, nous avons produit un document sur les répercussions du programme québécois de places en garderie à 5 $ par jour. Comme vous le savez sans doute, ce programme a débuté en 1997 avec les enfants de quatre ans, et l'admissibilité a progressivement été élargie pour inclure tous les enfants de quatre ans et moins en 2000.
Dans le cadre de nos travaux, nous avons utilisé les microdonnées recueillies par Statistique Canada au moyen d'une enquête. Ces microdonnées comprennent des renseignements détaillés sur des dizaines de milliers de familles canadiennes, pendant la période allant de 1994 à 2002. Nous avons effectué la comparaison entre les enfants du Québec et ceux du reste du Canada, avant et après la mise en œuvre du programme. Notre recherche comprend des constatations dans trois domaines : les choix en matière de garde d'enfants, le travail des mères et les résultats sociaux sur la famille.
Tout d'abord, je vais vous décrire les résultats concernant l'utilisation des services de garde. Nous avons observé une forte augmentation à cet égard au Québec à la suite de l'implantation du programme, soit une hausse d'environ 15 points de pourcentage. La plupart des nouveaux utilisateurs des services de garde étaient des familles dont les deux parents occupaient maintenant un emploi, alors que l'un des deux restait à la maison auparavant.
En outre, nous avons constaté un accroissement du nombre de travailleuses chez les mères d'enfants de quatre ans et moins de l'ordre d'environ huit points de pourcentage au Québec, comparativement au reste du Canada. La réaction au changement de prix que nous avons notée est conforme aux faits observés à l'échelle internationale.
Une considération importante ici est que, non seulement le travail supplémentaire génère-t-il plus de revenus pour la famille, mais il produit aussi davantage de recettes fiscales pour le gouvernement. Nous avons calculé que les recettes fiscales ont suffisamment augmenté pour couvrir environ 40 p. 100 des coûts de la subvention. On pourrait ainsi considérer que chaque dollar investi en subvention pour la garde d'enfants équivaut en fait à une dépense de 60 sous, plutôt qu'un dollar entier.
Enfin, voyons maintenant les résultats pour les enfants et les familles. Nous avons observé une détérioration pour la plupart des éléments mesurés et rendus accessibles par l'enquête. Les enfants deviennent plus agressifs; ils souffrent davantage d'anxiété et sont plus hyperactifs. Les développements social et moteur des enfants se détériorent, de même que la santé des enfants, d'après l'évaluation qu'en font les parents. Il y a plus d'hostilité et moins de cohérence dans l'accomplissement du rôle parental. La qualité de la relation entre les parents est également affectée.
Pour la plupart de ces résultats, ces répercussions ne sont observées qu'au Québec, après la mise en œuvre du programme et dans les familles comptant des enfants de quatre ans et moins, mais pas dans celles où les enfants sont plus âgés. Cela permet d'établir un lien solide entre les résultats obtenus et le programme de services de garde.
Certains des résultats auxquels nous sommes arrivés prêtent à controverse. Pour cette raison, j'aimerais apporter plusieurs commentaires et précisions qui devraient clarifier cette controverse.
D'abord, nous trouvons une résonance à nos constatations sur le comportement des enfants dans les preuves empiriques existantes sur la garde d'enfants. Au cours des cinq dernières années, plusieurs auteurs utilisant différents groupes de données dans divers pays ont obtenu des résultats similaires quant aux comportements observés.
Deuxièmement, notre méthodologie combine les répercussions de deux changements distincts dans les familles du Québec. D'une part, le nombre de familles où les deux parents travaillent a grandement augmenté et, d'autre part, on constate un mouvement de masse vers la garde d'enfants non parentale.
Notre méthodologie ne nous permet pas d'établir une distinction entre ces deux facteurs. Donc, les changements observés chez les familles et les enfants peuvent être liés au stress supplémentaire causé dans la maison par le fait que les deux parents travaillent ou aux choix faits en matière de garde d'enfants.
Troisièmement, bien que les résultats pour presque tous les éléments mesurés se soient détériorés, nous n'avons pas examiné la mesure dans laquelle cela a mené à un changement dans la proportion d'enfants ayant dépassé les seuils jugés dangereux pour ces variables. Pour cette raison, il faut faire attention dans l'interprétation de la mesure dans laquelle les changements quant aux résultats obtenus ont des conséquences à long terme sur les enfants.
Quatrièmement, nos travaux n'abordent pas de manière explicite la question de la qualité des services de garde. Nos mesures nous indiquent plutôt ce qui arrive en moyenne dans les services de garde de tous les niveaux de qualité. Bien que nous signalions que plusieurs indicateurs de qualité ont augmenté après la réforme au Québec, d'autres chercheurs ont conclu que la qualité, dans le cadre du programme mis en place au Québec, n'a pas atteint les niveaux souhaités dans certaines circonstances.
Notre étude nous permet de déterminer ce qui se produit lorsqu'une province met en place un programme de la qualité de celui offert au Québec pendant la période visée; on ne parle pas d'un programme modèle, mais bien d'un programme tout à fait concret.
Cinquièmement, nous ne pouvons pas inclure dans notre étude des mesures concernant le développement cognitif ou les résultats à l'école dès le départ en raison de la structure de notre ensemble de données. Alors, bien qu'un important ensemble de faits suggèrent un lien positif entre la fréquentation d'un service de garde et les résultats sur le plan cognitif, nous ne sommes pas en mesure de vérifier cette hypothèse dans le contexte du programme de services de garde au Québec.
Je vais conclure cette présentation par trois commentaires ayant une portée légèrement plus large. Premièrement, bien que les faits concernant les améliorations constatées pour les familles défavorisées soient généralement valables du point de vue empirique, il y a un manque dans l'établissement de faits liés aux répercussions sur les autres familles. Nous voyons là une des principales contributions de notre recherche. Il n'y a aucune raison de croire que les résultats seront similaires pour les familles défavorisées et celles qui sont mieux nanties.
Deuxièmement, dans la plupart des recherches sur la garde d'enfants, l'ampleur des répercussions liées aux choix en matière de garde d'enfants, qu'il y ait amélioration ou détérioration, n'est pas vraiment différente de l'ampleur des répercussions liées à la scolarité de la mère ou à d'autres variables concernant les antécédents familiaux. Par conséquent, il est important de rappeler que, malgré l'importance de la politique en matière de services de garde, elle ne devrait pas être considérée comme une méthode miracle. Ce n'est qu'un des aspects influant sur l'environnement de l'enfant. Des politiques plus fondamentales, comme celles visant à assurer l'achèvement des études secondaires, peuvent avoir des répercussions tout au moins aussi importantes sur les résultats des enfants.
Finalement, les services de garde permettent de toucher un revenu plus facilement, permettent aux parents d'embrasser des carrières pleinement satisfaisantes et peuvent favoriser le développement cognitif des enfants. S'il y a certaines conséquences négatives sur le comportement des plus jeunes enfants qui sont liées aux services de garde, il ne faut pas conclure pour autant et ce, en fonction de cet élément seulement, que les services de garde constituent un mauvais choix pour les familles. Plutôt, s'il y a des coûts et des avantages en jeu, les politiques publiques devraient reconnaître que des parents bien informés pourraient prendre différentes décisions de façon éclairée et, par conséquent, favoriser la diversité des types de garde. Peu importe la voie choisie pour les politiques fédérales en matière de garde d'enfants, les enfants canadiens tirent profit d'un examen attentif des faits.
Martha Friendly, coordonnatrice, Childcare Resource and Research Unit, Université de Toronto : Le Childcare Resource and Research Unit ne fait plus partie de l'Université de Toronto. Ce n'est pas une erreur de votre part; il s'agit d'un changement tout récent.
Je crois que je vous ai fait parvenir la version longue de mon exposé, alors je vais vous entretenir de quelques-uns des points saillants. J'ai contribué de près à l'étude de l'OCDE sur l'apprentissage et la garde des jeunes enfants. Je figure parmi les auteurs du rapport sur la situation au Canada qui a été commandé par le gouvernement fédéral. J'ai également fait partie de l'équipe d'analyse pour l'OCDE en Autriche, ce qui fait que je connais bien le processus. J'aimerais maintenant traiter de ce que nous avons appris au sujet de la situation au Canada grâce à cette étude comparative sur les services éducatifs et de garde des jeunes enfants, la plus complète à avoir été réalisée jusqu'à maintenant, selon moi. Je vous parlerai ensuite des enseignements que nous avons tirés de cette étude de l'OCDE quant aux pratiques et aux politiques les plus efficaces. Je vous exposerai les cinq meilleures d'entre elles. Je vais débuter en essayant de vous expliquer rapidement les raisons pour lesquelles tout cela est si important.
Dans un premier temps, il est évident que les services éducatifs et de garde des jeunes enfants sont importants parce que l'apprentissage commence dès la naissance, parce que les jeunes apprennent par le jeu et parce que l'apprentissage acquis dans la petite enfance est le tremplin de la réussite future. Nous savons également que les programmes d'éveil des jeunes enfants ont un rôle important à jouer dans leur développement ultérieur.
Nous savons aussi que les parents canadiens de tous les groupes sociaux cherchent les occasions de donner à leurs enfants un bon départ dans la vie grâce aux services d'apprentissage et de garde. Nous sommes également conscients que ce sont les caractéristiques des différents programmes d'apprentissage et de garde des jeunes enfants qui déterminent dans quelle mesure ces programmes peuvent vraiment leur offrir ce bon départ dans la vie. La recherche montre que c'est la qualité du programme qui est l'élément crucial en déterminant les effets positifs ou négatifs sur le développement. Je crois d'ailleurs que M. Milligan vous a déjà fait valoir ce point dans son exposé.
Les recherches nous ont aussi appris que les programmes canadiens de garde d'enfants offrent généralement des services dont la qualité va de mauvaise à médiocre. J'appuie cette affirmation sur une grande quantité d'études effectuées. Nous savons que la plupart des enfants canadiens ne participent à aucun programme d'apprentissage et de garde avant l'âge de cinq ans, soit lorsqu'ils entrent à la maternelle. Même aujourd'hui, moins de 20 p. 100 des enfants peuvent avoir une place dans un service de garderie. Nous savons aussi que la plupart des mères canadiennes ayant de jeunes enfants occupent un emploi rémunéré. Ce nombre n'a cessé de croître au cours des 30 dernières années. En 2005, près de 70 p. 100 des mères canadiennes dont l'enfant le plus jeune avait moins de trois ans travaillaient à l'extérieur du foyer, tout comme 76 p. 100 de celles dont le benjamin avait entre trois et cinq ans. Notre population active compte donc un grand nombre de mères.
Je voudrais vous dire quelques mots sur l'étude de l'OCDE. Au départ, il est important de noter qu'elle origine d'une rencontre des ministres de l'éducation des pays membres de l'OCDE en 1996. Il est très significatif que cette étude ait été réalisée par la section de l'OCDE s'occupant d'éducation. On a ainsi reconnu que les services éducatifs et la garde des enfants permettent de consolider les bases d'une vie entière d'apprentissage. On a donc recommandé la réalisation d'une revue thématique comme l'OCDE le fait pour différents sujets. Il s'agit d'une étude très importante. À l'issue des huit années d'étude, la situation avait été examinée dans vingt pays du monde. Dans chaque cas, un rapport documentaire avait été soumis par le pays pour fournir un large éventail d'informations sur le contexte particulier et l'offre de services d'apprentissage et de garde des jeunes enfants. Une équipe d'experts internationaux effectuait ensuite une visite de plusieurs semaines au cours desquelles elle parcourait le pays. J'ai participé à une telle visite en Autriche; d'autres l'ont fait au Canada. Il y avait des rencontres avec les fonctionnaires et les groupes communautaires; on visitait de nombreux services éducatifs et de garde des jeunes enfants avant de rédiger une note présentant une analyse très approfondie de la situation de ces services dans le pays en question. Je peux vous donner les coordonnées de ces rapports si vous êtes intéressés à les consulter.
Les deux rapports sur la situation au Canada ont été rendu publics simultanément en 2004. Je ne saurais trop insister sur l'importance de ces recherches. Il y a eu au total une cinquantaine de rapports semblables. Il s'agit de la plus importante étude comparative réalisée à ce jour dans ce domaine. Nous pouvons ainsi compter sur un ensemble sans précédent de données de recherches empiriques et comparatives. Je tiens à souligner que cette étude permet non seulement de mesurer la performance comparative du Canada, mais aussi de tirer des conclusions sur les pratiques en usage afin de déterminer ce qui fonctionne et ce qui donne de moins bons résultats.
L'équipe déléguée au Canada était formée de spécialistes extrêmement qualifiés. Il y avait une haute fonctionnaire de Flandres en Belgique qui était spécialiste dans son domaine; une chercheure universitaire en sciences sociales de Grande-Bretagne; une spécialiste finnoise des programmes d'éveil de la petite enfance; et un psychologue du développement de l'OCDE à Paris, qui était responsable de l'étude. Ces spécialistes ont été plutôt troublés parce qu'ils ont pu constater au Canada.
Les experts ont traité dans leur rapport des conditions offertes par certaines garderies. Permettez-moi de vous lire quelques-unes de leurs observations :
Les pièces étaient des endroits vides, souvent mal éclairées, disposant de relativement peu de ressources pour intéresser les jeunes enfants; en outre, les travaux des enfants étaient peu en évidence. Les préposés à la garde des enfants semblaient être d'avis que les enfants étaient vulnérables et, par conséquent, ils tendaient à être protecteurs et interventionnistes.
Du point de vue de l'équipe d'examen, les locaux utilisés pour les garderies canadiennes semblaient plutôt déficients, témoignant en partie de nombreux arrangements de fortune dans des immeubles à loyer modique. En outre, le matériel et les ressources étaient souvent conventionnels et de qualité douteuse sur le plan de l'apprentissage.
Les experts déclaraient à ce sujet que
[...] la qualité a été minée par la lutte pour la survie dans un contexte de subventions insuffisantes. Les éléments structuraux sous-tendant la qualité ont été négligés, particulièrement pour ce qui est d'un financement adéquat, de l'établissement de profils appropriés pour le personnel et de formation.
Les experts ont souligné que l'on empêchait les enfants de dépenser leur énergie et d'aller à la limite de leur imagination et de leur créativité.
Je sais que je n'apprends rien au sénateur Pépin, car elle faisait partie du comité spécial sur la garde d'enfants il y a 25 ans déjà.
On a noté l'absence de toute expansion importante du système au Canada au cours de la dernière décennie en faisant valoir que les comparaisons avec les autres pays n'étaient pas très flatteuses. Voici quelques-unes des principales difficultés signalées : longues listes d'attente pour les services communautaires; stagnation généralisée de la qualité; faibles taux de dépenses publiques par enfant pour les services de garde; structure tarifaire déterminée par le marché qui aboutit à de fortes contributions parentales aux coûts de garde d'enfants; système de subventions inefficace; et sous-financement généralisé dans le secteur de la garde d'enfants. On précisait que ce sous-financement avait des répercussions à tous les niveaux, y compris les infrastructures physiques, la cueillette de données, la planification, l'administration et la formation. Des données ont été compilées pour étayer toutes ces affirmations. C'est un excellent rapport que tout le monde devrait consulter.
J'ai distribué un résumé présentant les faits saillants du rapport canadien; vous pouvez également y avoir accès en ligne si cela vous intéresse. On pourrait remplir un chariot uniquement avec les rapports confirmant les observations des spécialistes internationaux. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
En septembre dernier, le rapport final de cette étude thématique d'une durée de huit ans a été publié à l'occasion d'une conférence tenue en Italie. C'est d'ailleurs dans ce pays que l'on a pu relever quelques-uns des programmes les plus efficaces en matière d'éducation et de garde des jeunes enfants. J'ai assisté à cette conférence. L'écart entre le Canada et les autres pays est alors vite devenu manifeste. Vous avez entendu les chiffres. Le sénateur Munson a indiqué que le Canada était le pays qui dépensait le moins. On disposait de données suffisantes pour évaluer les sommes investies dans 14 pays de l'OCDE. Les données et les rapports de l'OCDE montraient que le Canada est un pays prospère se situant au quatrième rang des pays membres selon le PIB par habitant; un pays dont le taux de pauvreté infantile est très élevé — je n'apprends rien à personne; et un pays ayant une importante proportion de mères d'enfants en bas âge qui exercent un emploi à l'extérieur du foyer. Notre pays a un taux parmi les plus élevés à ce chapitre. On ajoute que le Canada investit peu dans ses programmes sociaux — seulement quatre pays en font moins; qu'il ne dépense guère pour l'ensemble de ses programmes destinés aux enfants et à la famille, y compris les mesures de soutien du revenu comme la Prestation nationale pour enfants ainsi que les services, les congés de maternité, notamment; et que l'on n'octroie des congés de maternité et des congés parentaux payés qu'avec parcimonie. Nous nous situons dans le tiers inférieur pour ce qui est de la générosité des congés parentaux, que l'on évalue par une combinaison de la durée — pour laquelle nous nous tirons bien d'affaire — et des sommes allouées — qui ne sont guère élevées chez nous. Certains parents canadiens n'ont ainsi pas accès à un congé parental ou de maternité.
On a constaté que les coûts des programmes d'apprentissage et de garde des jeunes enfants sont importants au Canada — seulement trois pays nous dépassent pour ce qui est de la contribution exigée des parents — et que la majorité des enfants canadiens ne sont pas inscrits à un programme d'éducation et de garde avant l'âge de cinq ans. En guise de comparaison, il y a un groupe de six pays au sein desquels la plupart des enfants sont inscrits à de tels programmes à partir de trois ans. En France, en Belgique ou en Italie, par exemple, presque tous les enfants bénéficient d'un programme d'éducation et de garde subventionné par l'État à temps plein à partir de l'âge de trois ans. Dans d'autres pays, la participation débute à quatre ans. Vous pouvez trouver ces chiffres dans le document que je vous ai distribué : « Early learning and child care : How does Canada measure up? »
Je veux maintenant vous parler de ce que je considère être l'un des principaux avantages de l'étude de l'OCDE. À mon point de vue, son utilité ne se limite pas à nous apprendre que la performance canadienne est médiocre par rapport à celle d'autres pays; l'analyse des différentes politiques en vigueur est également fort révélatrice. On peut y trouver une grande quantité d'information sur les pratiques les plus efficaces en matière d'éducation et de garde des jeunes enfants dans les 20 pays visés par l'étude. Celle-ci prend la forme d'une analyse comparative qui met en lumière les approches novatrices, les options stratégiques et les pratiques exemplaires. Je dois toutefois préciser que le contexte est différent d'un pays à l'autre. Il ne suffit pas de prendre une solution qui fonctionne dans un pays pour l'appliquer ailleurs. Il faut adapter les pratiques en fonction des différents contextes nationaux. Il est bien évident que l'approche canadienne n'a pas suivi les grandes tendances à l'échelle internationale qui sont décrites dans le rapport. Je pense que M. Willms va vous en parler tout à l'heure.
Je veux maintenant vous exposer cinq lignes de conduite qui se dégagent du travail effectué par l'OCDE et qui méritent certes toute l'attention du Canada.
En tant que perspective générale, on adopte le point de vue de l'éducation des enfants et du soutien aux familles en étant bien conscients que l'on ne se limite pas à un programme d'éducation des jeunes enfants, mais qu'il s'agit également, à bien des égards, d'un programme de soutien des familles. On insiste sur le fait qu'un système doit être établi, car les seules forces du marché ne permettent pas d'offrir des services efficaces. Il s'agit vraiment d'une condition fondamentale incontournable. Des programmes de base de grande qualité doivent devenir la norme, plutôt que l'exception, ils doivent aussi être accessibles à tous, en toute équité. En ma qualité de parent ayant mis en place plusieurs programmes de garde pour mes propres enfants, je me suis toujours inquiété du sort des communautés où personne ne pouvait en faire autant, à l'exception des seuls entrepreneurs.
La recherche montre que les principaux obstacles à la qualité et à l'accès équitables résultent le plus souvent de défaillances structurelles : manque de financement, ratios personnel/enfants défavorables; personnel peu qualifié et mal rémunéré; théorie de l'éducation mal conçue et mal appliquée. Ces caractéristiques sont déterminées par l'intérêt public. Je tiens à souligner que nous savons qu'il faut un système. Le marché ne peut pas assurer l'éducation publique. Cela ne fonctionne vraiment pas. Cela peut fonctionner de temps en temps, mais cela ne fonctionne pas la plupart du temps.
Le deuxième élément qui ressort de l'étude de l'OCDE, et c'est son point de départ, c'est qu'il faut une stratégie universelle. J'aimerais m'inscrire un peu en faux contre ses conclusions sur l'idée de cibler les enfants pauvres ou les enfants à risque dans les programmes d'apprentissage des jeunes enfants. Au début de ma carrière, j'ai travaillé au programme américain Head Start, qui est un bon exemple de programme ciblé. Les recherches effectuées depuis montrent qu'il est vrai qu'une éducation de grande qualité profite davantage aux jeunes enfants de familles à faible revenu si tous les enfants viennent de familles pauvres, ce qui n'est pas nécessairement le cas. Il est également vrai qu'il n'est pas bon pour les enfants de la classe moyenne de se trouver dans un milieu pauvre pendant leurs premières années de vie. La plupart de nos enfants vivent en milieu défavorisé parce que leurs mères participent au marché du travail. Il y a de bonnes études qui montrent que tous les enfants bénéficient de programmes d'apprentissage et de garde des jeunes enfants de haute qualité. Les études canadiennes fondées sur l'Étude longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ) montrent que les enfants vulnérables se retrouvent dans toutes les catégories de revenu et non seulement dans les familles à faible revenu. En fait, les enfants de la classe moyenne sont plus vulnérables parce qu'ils sont plus nombreux.
L'OCDE fait différentes suggestions utiles sur les mesures à prendre pour équilibrer les objectifs d'universalité et cibler les programmes. Il ne faut pas l'oublier. L'OCDE dit qu'il faut accorder une attention particulière aux enfants qui ont des besoins spéciaux. D'autres pays ont adopté un système universel, mais au Canada, l'OCDE a surtout remarqué les enfants des familles à faible revenu qui ne jouissaient pas de ces programmes et évidemment, les enfants autochtones dont la situation choque vraiment l'OCDE.
Je vais rapidement mentionner trois autres stratégies. Je n'en parlerai pas en détail, mais nous pourrions le faire au besoin. Le troisième élément, c'est la prestation de programmes d'apprentissage et de garde des jeunes enfants par l'entremise de programmes publics ou sans but lucratif, par opposition aux entreprises. Il y a beaucoup de recherches à cet égard. Nous pourrons en parler plus tard.
J'aimerais aussi souligner que ce n'est pas que la somme d'argent qui détermine quelles sont les meilleures pratiques en matière de politique et de financement, mais plutôt leur mode de prestation. Les pays de l'OCDE recommandent au Canada d'abandonner le mécanisme des subventions personnelles en faveur d'un financement par subventions de fonctionnement et d'un droit pour les enfants. Ils mentionnent que ce type de financement est bien plus utile pour permettre au gouvernement d'assurer la qualité et l'équité. Quand l'argent est donné aux parents sous la forme de chèque, d'allocation ou de subvention, comme c'est le cas le plus souvent dans notre système, il est difficile pour l'État d'orienter le programme vers la qualité et l'équité.
Ils parlent aussi en détail de l'intégration de l'apprentissage et de la garde des jeunes enfants, deux choses très fragmentées au Canada. Nous le savons bien. Il est vrai que dans la plupart des pays, on fait une distinction, surtout pour les très jeunes enfants et les bébés. L'apprentissage des jeunes enfants commence souvent vers l'âge de deux ans et demi. Le Canada est l'un des pays où il y a le plus de cloisonnement, et nous avons beaucoup à apprendre dans ce domaine.
Enfin, ils soulignent l'importance des employés. C'est l'un des faits les mieux connus au Canada, mais pourtant, il n'a pas encore pris de mesures adéquates. Si l'on veut améliorer l'apprentissage des jeunes enfants, ces mesures sont toutes nécessaires. Il faut porter très attention aux ressources humaines. La qualité du personnel ne pourra pas s'améliorer tant qu'on favorisera les bas salaires, peu de formation et encore moins de respect.
Ce n'est pas tout, mais ce sont les grands piliers d'un système. Bref, le Canada a un bien piètre système d'apprentissage de garde des jeunes enfants. Nous ne réalisons certainement pas le plein potentiel humain de nos jeunes enfants. L'analyse comparative de l'OCDE montre que le Canada se classe très mal comparativement à d'autres pays industrialisés. Il y a pourtant beaucoup de connaissances sur les pratiques pouvant être qualifiées de bonnes ou d'exemplaires.
Bizarrement, le Canada est dans une bonne position tellement il est en retard. Il y a énormément d'information que nous pouvons utiliser. Le rapport de l'OCDE sur le Canada et toutes ces connaissances ont été mis sur les tablettes. J'exhorte toutes les personnes qui veulent travailler pour améliorer ces services à saisir ce rapport, à en examiner les recommandations stratégiques et à l'utiliser beaucoup plus. Il est très précieux.
Douglas Willms, professeur, Institut canadien de recherche en politiques sociales, Université du Nouveau-Brunswick : Honorables sénateurs, je suis enchanté d'être ici, c'est un grand honneur pour moi de pouvoir m'entretenir avec vous.
J'ai été assez intimidé quand j'ai été invité à m'adresser à vous parce que je me demandais bien comment je pouvais résumer plusieurs années de recherche en cinq à sept minutes. Je vous ai remis un ensemble de quatre modules en PowerPoint qui résume plus en détail ce que je vais essayer de vous dire.
Je vais sauter le premier module, parce que je crois que Mme Friendly vous a parlé avec éloquence du rapport de l'OCDE. J'aimerais ajouter que l'une des recommandations qu'il contient est de renforcer le plus possible les accords actuels qui existent entre le fédéral, le provincial et le territorial dans le domaine du développement de l'enfant et de l'apprentissage des jeunes enfants pour bâtir des ponts entre la garde des jeunes enfants et la maternelle, ce qui correspond au dernier élément que Mme Friendly a abordé.
Je pense que l'école primaire, celle où les enfants commencent l'école, est un élément central et qu'elle pourrait constituer un centre d'intégration communautaire pour établir de bons programmes.
Le troisième élément du rapport, soit la base de tout ce qu'elle a dit, c'est qu'il faut augmenter considérablement le financement public des services pour les jeunes enfants.
Le second module porte sur la situation des jeunes Canadiens de zéro à cinq ans. Je peux peut-être me faire le modérateur entre les deux derniers intervenants. Je travaille avec différents groupes de données canadiennes, mais surtout avec celles de l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ), que je qualifie de trésor national, non seulement parce qu'on y a investi plusieurs millions de dollars, mais parce qu'elle a permis d'élaborer une base de données détaillée sur la situation des enfants.
Quand nous avons écrit le livre sur les enfants vulnérables il y a cinq ou six ans, nous avons déterminé que 28 p. 100 des enfants étaient vulnérables. Les gens ont dit que c'était trop, qu'il était impossible qu'un enfant canadien sur quatre soit vulnérable. Il y a différents types de vulnérabilité. La vulnérabilité cognitive touche les enfants qui ont peu de vocabulaire à leur entrée à l'école, parce que sans intervention, ils risquent d'avoir de la difficulté à lire tout au long de leurs études. De plus, il y a les enfants qui ont des problèmes de comportement et ceux qui ont des handicaps physiques ou mentaux, entre autres.
Selon une estimation plus prudente, il y aurait environ 15 p. 100 des enfants qui entreraient à l'école avec des difficultés cognitives. Au Canada, cela représente environ 45 000 nouveaux élèves chaque année. Les programmes pour chacun des enfants vulnérables coûteraient environ 500 $ par mois ou 6 000 $ par année, ce qui totaliserait environ 270 millions de dollars par cohorte. Si l'on multiplie ce chiffre par cinq, cela équivaut à environ 1,25 milliard de dollars pour répondre aux besoins des enfants vulnérables, seulement pour commencer.
Nous constatons quelques paradoxes. Le premier vient nuancer un peu les messages de M. Milligan et de Mme Friendly. Les données longitudinales nationales portent sur plusieurs cohortes successives et montrent que depuis la parution du rapport de l'OCDE, toutes les provinces sauf deux ont amélioré leur bilan des dix dernières années au chapitre de l'apprentissage des jeunes enfants. Les exceptions sont la Saskatchewan et le Québec. En Saskatchewan, cela s'explique en partie parce qu'il y a beaucoup plus d'enfants qu'ailleurs qui viennent de milieux défavorisés. Pour le Québec, la raison n'est pas tout à fait claire. Je n'attribuerais pas cet échec seulement à la politique d'un programme universel.
Quand les pays à faible revenu abandonnent un système d'éducation obligatoire jusqu'à la sixième année au profit d'un système d'éducation obligatoire jusqu'à la huitième année, ils doivent élaborer très rapidement un programme pour ces deux années de plus. Ils doivent embaucher du personnel. Il se pourrait qu'à long terme, les résultats du Québec s'améliorent. Il se pourrait qu'il ait embauché rapidement du personnel n'ayant pas la formation voulue pour ces programmes. Il y a là un paradoxe auquel nous devons porter attention.
L'autre paradoxe, même si le rapport de l'OCDE expose clairement que nous sommes loin derrière au chapitre de nos programmes d'apprentissage et de garde des jeunes enfants, c'est que nos deux provinces qui ont participé aux tests de troisième et de quatrième année de l'étude internationale sur les compétences en lecture se sont classées au sixième rang sur 35. Autrement dit, nous avons obtenu de très bons résultats.
Dans le Programme international pour le suivi des acquis (le PISA), qui est une étude sur les jeunes de 15 ans, nous nous sommes classés au second rang au monde. Même les Canadiens qui effectuaient l'étude ont été très surpris, parce que pendant longtemps, nous avons traîné derrière des pays comme la Suède, le Danemark et la Norvège, qui ont toujours été considérés comme d'excellents pays pour les compétences en lecture. Depuis quelques années, nous avons plus ou moins maintenu cette position. D'une certaine façon, cela ne correspond pas avec les données. Nous devons bien réussir quelque part pour cela.
Cela dit, cependant, selon le PISA, même si nous avons des résultats relativement élevés et qu'il n'y a pas de grand écart entre les enfants de familles riches et ceux de familles pauvres, nous avons un pourcentage extraordinairement élevé d'enfants dont le niveau d'alphabétisation est au plus bas. Pour élever la barre, nous aurons besoin d'un effort concerté afin d'améliorer les résultats des enfants les plus vulnérables, qui ne viennent pas seulement de familles pauvres.
Je vais maintenant prendre le troisième module et commencer par la dernière diapositive.
Je ne pense pas à une forme d'intervention unique pour tous les problèmes. Je pense que la bonne question à nous poser n'est pas celle de savoir si nous devons nous doter d'un programme universel d'apprentissage et de garde des jeunes enfants. J'incite les membres du comité à voir encore plus loin et à se demander comment nous pouvons créer une société qui donne du pouvoir à la famille.
Les enfants ont besoin de soins de bonne qualité depuis le moment où ils se lèvent le matin jusqu'au moment où ils se mettent au lit. Il y a deux façons de leur en donner. On peut renforcer les familles ou donner aux enfants des services d'appoint à l'extérieur de la famille. Ces deux solutions peuvent s'harmoniser sans heurt, mais sans une partie de l'équation, une bonne partie de la journée de l'enfant sera ratée.
J'ai dressé la liste de cinq types d'intervention. On établit souvent une dichotomie entre l'intervention ciblée et l'intervention universelle. J'ai tenté d'analyser cette question plus en profondeur dans un article que j'ai préparé pour l'UNESCO.
Y a-t-il des stratégies pour relever et uniformiser la barre de l'apprentissage? Examinons cinq types d'intervention. Je ne dis pas que l'un est meilleur que les autres. Tout dépend de la nature de la collectivité et de la société.
Il y a ce que j'appelle l'intervention ciblée sur le statut socioéconomique. Ce type d'intervention vise exclusivement les enfants qui viennent de familles pauvres et a aussi pour but d'améliorer un résultat particulier. Si l'on s'inquiète des compétences langagières, quel type de programme pouvons-nous utiliser pour les améliorer?
Cela a l'effet non pas de hausser la barre uniformément mais de la relever seulement pour les plus défavorisés, parce qu'on ne fait rien pour améliorer les résultats des enfants des autres familles.
Aux États-Unis, le programme de David Olds et de ses collègues a reçu beaucoup de publicité. Ceux-ci ont montré que les programmes de visites à domicile pour les mères ayant un statut socioéconomique défavorisé, combinés à une formation et à une aide parentale ont des effets durables sur de multiples résultats des enfants.
Les programmes de services éducatifs et de garde à l'enfance peuvent cibler les familles à statut socioéconomique défavorisé, et il y a beaucoup d'études qui laissent croire que les enfants des familles défavorisées profitent beaucoup des programmes de services éducatifs et de garde à l'enfance. Elles montrent aussi qu'ils sont encore plus efficaces lorsqu'ils sont combinés à une formation et à une aide parentales. Quand on pense à la vie de ces enfants à partir du moment où ils se lèvent le matin jusqu'au moment où ils se couchent le soir, il faut songer à tout cela.
On pourrait dire la même chose sur l'obésité infantile. J'ai beaucoup travaillé sur ce sujet. Il y a tellement de programmes pour les enfants de nos jours. En tant que parent de trois jeunes enfants, je suis tout le temps en train de les conduire ici et là pour participer à des programmes.
La recherche montre que les parents consacrent plus de temps à leurs enfants qu'il y a 20 ans. Ils y consacrent une heure de plus par jour, les mères comme les pères. Pour le père, le temps passé avec les enfants a doublé; pour les mères, il a augmenté d'un tiers environ. D'où vient ce temps? Il n'est pas pris sur le temps de télévision des parents, mais sur leur période de sommeil. Les parents dorment moins qu'il y a 20 ans. Pourtant, le pourcentage d'enfants obèses est très élevé.
Encore une fois, ce qui a changé depuis 20 ans, c'est la quantité d'exercice que font les enfants du lever au coucher. Si je vous demandais qui parmi vous se rendait à l'école à pied quand il était enfant, je pense que la plupart d'entre vous lèveriez la main. Si je vous demandais qui parmi vous conduisez vos enfants à l'école, la plupart d'entre vous lèveriez la main.
Il y a aussi les programmes d'apprentissage d'été. Environ la moitié de l'écart de rendement qui s'observe chez les élèves pendant leurs études se creuse pendant l'année scolaire. L'autre moitié de l'écart se creuse durant les mois d'été. Les enfants de la classe moyenne continuent d'améliorer leurs compétences, alors que les enfants de milieux défavorisés prennent du retard.
Il y a les interventions d'indemnisation. Ces interventions visent les familles pauvres mais n'ont pour but aucun résultat particulier. Ces interventions ne s'attaquent pas à l'obésité ou aux problèmes langagiers chez les jeunes enfants, par exemple. Ils essaient de compenser un désavantage socioéconomique. Les paiements de transfert aux familles pauvres et les programmes de petits déjeuners ou de dîners gratuits en sont des exemples. Beaucoup d'analyses rigoureuses nous portent à croire que ces programmes ne sont pas très efficaces pour élever et uniformiser la barre de l'apprentissage. Ils améliorent un peu le statut socioéconomique de ces enfants. Leurs résultats vont augmenter, mais pas énormément en général.
Cela ne veut pas dire que Douglas Willms dit qu'il ne faut pas donner d'argent aux pauvres, ce n'est pas ce que je dis. Je vous dis seulement de ne pas vous attendre à ce que cela améliore beaucoup les résultats en apprentissage.
Un autre type d'intervention, ce sont les programmes axés sur le rendement, qui ciblent des enfants ayant déjà de faibles résultats. On peut les recenser grâce à de bons outils d'examen et déterminer quels sont les enfants qui ont besoin d'une intervention concertée. Ce type de stratégie élève et uniformise la barre.
Au Canada, compte tenu de la répartition des résultats, il faut mettre beaucoup l'accent sur les interventions axées sur le rendement dans la plupart des collectivités.
Le quatrième type est celui de l'intervention universelle, qui vise tous les enfants uniformément, qui pourrait se traduire par un programme universel de services éducatifs et de garde pour les jeunes enfants. J'aime prendre l'exemple de l'émission Sesame Street, qui se veut une intervention universelle. Tout le monde ici a probablement déjà vu Sesame Street. L'intervention universelle ne vise pas tellement à augmenter l'équité, mais à hausser la barre pour tout le monde. Compte tenu de la répartition des résultats au Canada, nous pouvons bénéficier de bonnes interventions universelles solides, combinées à des interventions axées sur le rendement. Un autre bel exemple d'intervention universelle au Canada, c'est la politique de congés parentaux. On pourrait aussi penser à l'argent que les jeunes familles reçoivent, mais il s'agirait plutôt d'une intervention d'indemnisation, en quelque sorte, que d'une intervention universelle.
La dernière intervention, qui a toujours sa pertinence pour les services éducatifs et la garde des jeunes enfants, c'est ce que j'appelle l'intervention inclusive. En ce moment, dans 7 à 8 p. 100 des écoles du Canada, l'enfant moyen vit dans la pauvreté. Autrement dit, nous avons créé des ghettos dans certaines écoles, où la plupart des enfants viennent de familles ayant un faible statut socioéconomique.
C'est l'un des dangers de ce dont parlait Mme Friendly. Si l'on cible des programmes vers les enfants pauvres, on finit par concentrer les enfants pauvres dans des milieux pauvres. Ce peut être problématique. Les enfants apprennent le mieux de leurs pairs. De plus, quand les enfants pauvres sont concentrés, il est très difficile pour les enseignants de garder des attentes élevées, de continuer d'offrir du soutien aux parents et de faire toutes les bonnes choses qui contribuent à la bonne qualité de l'école ou du milieu.
J'aimerais terminer en vous parlant un peu de l'évaluation et de la recherche. Je ne ferais pas honneur à ma profession si je ne finissais pas par là. L'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes, l'ELNEJ, est un atout formidable pour les chercheurs. C'est une étude fantastique, mais de diverses façons, c'est une arme à double tranchant. On recueille des données tous les deux ans, et les chercheurs ne les obtiennent habituellement pas avant deux ou trois ans. Il y a des règles très strictes sur l'utilisation des données, et elles doivent être utilisées dans un certain centre de recherche auquel on présente une demande si l'on a un projet particulier. Si cette étude est fantastique, elle a aussi ses limites.
Nous avons besoin d'un système de surveillance détaillé à l'échelle provinciale, qui suivrait les enfants dès la naissance. Je pense que nous pouvons améliorer notre seuil de trois ans et demi; dans certaines provinces, il est de trois ans et dans d'autres, il est de trois ans et demi. Honnêtement, nous ne savons pas si nous allons bien.
Bien que j'endosse la plupart des recommandations de l'OCDE, je constate qu'elles ne se fondent pas sur l'évaluation directe de données sur des enfants. Elles portent sur des méthodes qui pourraient produire d'excellents résultats, mais non sur des résultats concrets chez les enfants.
L'UNICEF et un grand consortium des États-Unis sont parvenus à un consensus sur le type de résultats à cibler. Nous devons surveiller les connaissances générales des enfants. Je parle de la conscience du soi et de l'environnement. Cela comprend le comportement des enfants, de même que leur développement social, cognitif, langagier et physique. Nous avons besoin de tests fondés sur des critères objectifs.
Dans certaines provinces, on évalue les enfants quand ils entrent à la maternelle, mais cette évaluation est subjective. On demande aux enseignants comment les enfants se comparent aux autres enfants de leur âge. Ce n'est pas une mesure adéquate de la croissance. Au fur et à mesure qu'un enfant grandit, il peut faire partie du dernier quartile et y rester, mais tout de même faire de bons progrès. Nous avons besoin d'outils pour mesurer les compétences et déterminer quelles sont les compétences qu'ont les enfants à l'âge de trois ans et quand ils entrent à l'école. Le tout doit se faire dans la transparence afin de produire des résultats à l'échelle de la collectivité et à l'échelle individuelle.
Enfin, nous devons utiliser ces résultats dans un rapport explicite avec la politique sociale et la politique d'éducation et pour concevoir un cadre d'évaluation et de recherche.
Le sénateur Cochrane : Je regarde des exemples de programmes d'indemnisation, monsieur Willms. Le programme des petits déjeuners n'est pas né dans les écoles seulement pour les enfants pauvres. Ce programme s'adressait aux enfants pauvres dans les écoles, mais d'autres enfants y ont participé aussi. Je me rappelle que mes propres petits- enfants se mourraient d'envie de participer au programme des petits déjeuners. Il y avait tout un mélange d'enfants. L'objectif de ce programme était d'élever la barre de l'apprentissage. Êtes-vous en train de nous dire qu'il ne l'a pas élevée?
M. Willms : Il y a un exemple d'étude en Jordanie selon laquelle des programmes des petits déjeuners n'ont pas eu d'effet positif. En règle générale, ils n'ont pas d'effets importants parce qu'ils ne sont pas véritablement axés sur les compétences en apprentissage.
Il est essentiel que les enfants puissent apprendre à lire, puis lire pour apprendre. Cette transition doit se faire en 2e ou 3e année. S'ils ne font pas cette transition, la plupart deviendront de mauvais lecteurs tout au long de leurs études. Nous devons les préparer dès la naissance jusqu'à la fin de la 3e année pour qu'ils puissent apprendre à lire, puis lire pour apprendre.
C'est pourquoi je prends soin de dire que les programmes de déjeuner et d'autres programmes compensatoires ne sont pas mauvais, parce qu'aucun enfant ne devrait souffrir de l'indignité de vivre dans la pauvreté et ne devrait venir à l'école le ventre vide. Ce sont de bons programmes en soi, mais il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils contribuent énormément à relever le niveau d'apprentissage. On pourrait dire que les enfants n'apprennent pas aussi bien s'ils ont faim; j'en conviens.
Le sénateur Cochrane : C'était là l'argument.
M. Willms : J'en conviens, et on ne veut certes pas que les enfants aient faim, alors je ne dis pas qu'il faut éliminer tous les programmes de déjeuner, mais cette intervention ne relèvera pas le niveau d'apprentissage.
Le président suppléant : Le sénateur Trenholme Counsell est l'instigatrice de notre étude; c'est elle qui a demandé au Sénat de vous convoquer aujourd'hui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Honorables sénateurs et distingués invités, il s'agit d'une étude très importante et nous avons l'intention de rédiger un rapport très important, très exhaustif. Vos témoignages y contribueront certainement.
Je suis libre de dire, je crois, que si vous avez d'autres documents que vous n'avez pas apportés aujourd'hui, vos rapports de recherche ou toute autre chose qui serait pertinente à notre étude, nous vous saurions gré de nous les envoyer également. Nous avons eu une réunion et nous allons intégrer tous les documents que vous nous avez apportés aujourd'hui, mais nous aimerions bien recevoir tout autre document qui pourrait être utile à la rédaction de notre rapport.
Je connais très bien les travaux de M. Willms, dont nous avons ici un résumé très complet. Madame Friendly, je tiens à vous dire — votre nom a de quoi plaire aux enfants et pourrait servir de titre à une émission de télévision — que vous nous avez montré que le rapport de l'OCDE est important et mérite l'attention des Canadiens. C'était l'une des raisons pour lesquelles cette question a été posée : est-ce un rapport qui fait autorité et que nous devrions étudier avec soin et prendre en considération alors que nous, au Canada, essayons de promouvoir le développement de la petite enfance et la garde des enfants?
Ma deuxième question porte sur la qualité. Monsieur Milligan, je suis préoccupée par ce que vous dites dans le rapport au sujet du Québec, et j'aimerais vous poser deux questions.
À la page 5, vous admettez que vos travaux ne tiennent pas compte explicitement de la qualité des services de garde et je crois qu'à titre de parlementaires, de législateurs, de visionnaires tout comme vous, notre objectif est d'avoir des programmes de qualité, que ce soit des programmes d'éducation ou de garderie. J'aimerais vous entendre à ce sujet.
En outre, à la page 6, je me demande si ceci est contradictoire lorsque vous dites que les faits en ce qui a trait aux améliorations constatées pour les familles défavorisées sont davantage de nature empirique. Il me semble qu'il s'agit d'un aspect positif du programme de services de garde au Québec que votre rapport fait ressortir.
Premièrement, nous nous préoccupons des effets sur le comportement des enfants. Deuxièmement, nous nous interrogeons sur les effets cognitifs, que vous n'avez pas mesurés, je crois. Troisièmement, on admet que, par-dessus tout, il y a des effets positifs pour les familles désavantagées.
Tout d'abord, j'aimerais savoir si Mme Friendly croit que nous devrions nous fier aux constatations de l'OCDE.
Mme Friendly : Concernant l'OCDE, cette étude a porté sur l'éducation et la garde des jeunes enfants, qu'elle ne considère pas comme une solution magique. Cela revient à ce que M. Willms a dit. L'éducation et la garde des jeunes enfants s'inscrivent dans une politique de la famille et de l'éducation. C'est une partie importante, mais d'autres dimensions de la politique familiale sont importantes également. Même moi, je ne dirai jamais qu'une politique familiale devrait se limiter à cela.
En fait, concernant la pauvreté chez les enfants, il y a une excellente partie dans le rapport Petite enfance, grand défi II : éducation et structures d'acceuil, où on dit qu'il y a différentes façons d'aborder cette question.
On peut notamment atténuer les effets de la pauvreté, ce qui ressemble à l'approche de Head Start. Voici des enfants qui vivent dans la pauvreté et nous concevons un programme à leur intention et nous nous attendons à ce que les effets soient atténués, mais ils sont toujours pauvres. On dit qu'il faut aborder la pauvreté par des mesures en amont, c'est-à- dire d'autres politiques comme une prestation pour enfants, une politique du logement, et cetera. Je tiens à préciser que cette étude thématique portait sur l'éducation et la garde des jeunes enfants, mais cela s'inscrit dans bien d'autres politiques. On rejoint ici ce que M. Willms disait.
Devrions-nous nous fier à cette étude? Eh bien, vous ne prenez jamais personne sur parole en sciences sociales. Même une étude d'envergure n'offre pas de solution à tous les problèmes; nous parlons de sciences sociales. Lorsque vous accumulez des résultats, alors vous pouvez commencer à dégager certaines conclusions.
D'après la recherche en psychologie du développement, il est évident que la qualité des programmes d'éducation et de garde des jeunes enfants est un facteur clé. Une excellente étude a été effectuée par le National Academies of Science, dont j'ai fait référence dans mon document plus volumineux, qui dit que la qualité est l'un des faits les mieux connus en science du développement; la qualité fait vraiment une différence. Nous savons que la qualité du programme de services de garde au Québec n'est pas élevée puisque nous avons eu une étude nationale de la qualité qui incluait le Québec. La qualité n'était pas élevée. C'est ce qui était ciblé.
J'ai mené beaucoup de travaux sur la qualité des programmes de services de garde; mon rapport s'intitule Quality by design : What do we know about quality in early learning and child care, and what do we think? La qualité n'apparaît pas simplement en claquant des doigts; vous devez y travailler et il existe toutes sortes de facteurs structuraux en jeu. Un des problèmes liés à l'étude du Québec, c'est que la qualité n'a pas été mesurée. L'autre chose — et je dois le dire parce que cette question me préoccupe depuis la publication des résultats de cette étude —, c'est que l'analyse des données sur les effets porte sur tous les enfants au Québec qui sont inclus dans l'ELNEJ. J'ai vu que 29 p. 100 des enfants du Québec, de zéro à six ans, faisaient partie du programme de services de garde. En fait, la plupart faisaient partie d'un service de garde en milieu familial réglementé, ce qui a des effets quelque peu différents des garderies en établissement de bonne ou de mauvaise qualité.
Je ne suis pas férue en données, mais je sais que la méthodologie de l'analyse des données est une méthode où vous n'avez pas de facteurs de sélection.
La décision a été prise de ne pas utiliser de facteurs de sélection afin d'inclure tous les enfants du Québec. Chose intéressante, de tous les enfants au Québec, on n'a fait aucune distinction pour les enfants qui faisaient partie du programme de services de garde et qui auraient été touchés par ce programme, à moins de déduire que le programme de services de garde a des répercussions sur la qualité de l'air au Québec ou pareille chose.
J'aimerais simplement souligner qu'il s'agit là d'une autre étude. Il y a de nombreuses études sur les effets de différents types de services de garde sur les enfants. Les chercheurs utilisent diverses méthodologies. Vous pouvez les critiquer et en discuter, mais certaines études semblent être les plus importantes. Cette étude comporte une conclusion intéressante. On pourrait dire : que se passait-il au Québec à ce moment-là? Il y avait probablement autre chose que la politique sur les services de garde.
Si je menais l'étude — et je ne suis économiste, alors je ne mènerais pas cette étude précise — je me pencherais sur la différence entre les enfants faisant partie du programme de services de garde et les autres, qui ont été inclus dans l'ELNEJ, soit dit en passant. On pourrait examiner cette question de nombreuses façons. Il y a une foule de travaux de recherche dans ce domaine. L'OCDE a mené une étude complète sur les politiques. C'est pour cette raison qu'elle est importante. Il s'agit de la seule véritable étude comparative, bien qu'elle comporte beaucoup de données empiriques.
M. Milligan : Je vais essayer d'être bref, mais de parler lentement; c'est un défi. Je vais voir si je peux faire la quadrature du cercle. Je remercie le sénateur et Mme Friendly de poser ces questions.
Premièrement, concernant la qualité, je suis d'accord avec tout le monde ici. D'après ce que je comprends de la recherche, la qualité du service de garde a un effet sur les enfants. D'un point de vue économique, Mme Friendly a dit que les marchés ne donnaient pas de bons résultats pour les services de garde. Je suis d'accord avec elle dans une certaine mesure. Les marchés donnent de bons résultats lorsque les gens sont prêts à payer quelque chose qui coûte et qui vaut plus. Les experts ont démontré que la qualité avait une importance pour le développement à long terme des enfants. Chose intéressante, beaucoup de données économiques montrent que les parents ne sont pas prêts à payer davantage pour un programme de meilleure qualité. Lorsqu'ils ont le choix entre un programme plus coûteux et un programme moins coûteux, offrant des niveaux de qualité différents — la qualité étant définie par les experts — les parents ne semblent pas prêts à payer davantage, et c'est là où le système de marché s'effondre.
C'est intéressant de parler de qualité à un économiste. Un expert vous dira que vous devriez payer davantage pour obtenir un service de qualité parce qu'il offre de grands avantages, mais les parents ne sont pas prêts à payer pour cela. Il y a une différence entre l'opinion d'un expert et celui des parents. Je ne connais pas la solution, mais il est intéressant de réfléchir à la façon de réduire cet écart, d'amener les parents à reconnaître l'importance de la qualité. Ce serait une piste de solution.
Dans l'étude que j'ai menée, on s'est demandé comment on allait tenir compte de la qualité. Lorsque j'ai dit qu'on n'en avait pas tenu compte, je voulais dire qu'on n'a pas observé pour chaque individu visé par l'étude quel était le niveau de qualité du service de garde qu'il a fréquenté, s'il en a fréquenté un.
Autrement dit, on ne peut pas dire qu'au Québec, les problèmes, s'il y en avait, se trouvaient dans des garderies de bonne ou de mauvaise qualité. La méthodologie qu'on a utilisée permet de comparer, en moyenne, ce qui s'est passé au Québec par rapport aux autres provinces. Dans notre étude, nous tenons compte du niveau de qualité moyen au Québec. Il ne faut pas penser que nous ne regardons pas du tout cet aspect. Pour interpréter nos données, notre étude dit ce qui se passe en moyenne si vous avez un service de garde d'un certain niveau de qualité au Québec. Comme Mme Friendly l'a mentionné, les niveaux de qualité au Québec posent peut-être problème. En fait, Christa Japel et d'autres auteurs ont mené une recherche sur la question.
Enfin, sur la question de la qualité, comme M. Willms l'a dit, nous reconnaissons dans notre rapport de recherche complet que nos résultats peuvent peut-être s'expliquer du fait que nous observons une transition vers un nouveau programme. Comme on l'a mentionné, il est difficile de mettre sur pied un programme universel de service de garde à partir de rien, et ce que nous observons est peut-être une transition. On pourrait dire qu'à long terme, les employés pourraient mieux s'acquitter de leurs tâches.
J'ai dit que les données empiriques semblent montrer clairement que les enfants provenant de milieux défavorisés profitent de ce type d'intervention. Je faisais référence non seulement à mes travaux de recherche, mais à l'ensemble des rapports de recherche que j'ai lus et interprétés. En général, toutes les recherches donnent des résultats très probants pour les enfants à risque. Ce qui était particulier à notre étude, c'est que nous avons vu que beaucoup de choses arriveraient aux enfants qui ne sont pas à risque. Au Québec, les subventions en place avant le programme de garde à 5 $ étaient passablement importantes. Le prix du service de garde n'a pas beaucoup changé pour les familles plus à risque, tandis qu'il a beaucoup changé pour les familles de la classe moyenne.
Concernant les effets cognitifs, disons clairement que nous n'avons pas été en mesure d'étudier cet aspect avec nos données, mais d'autres recherches montrent que la préparation de l'enfant à l'école et les effets cognitifs étaient meilleurs chez les enfants inscrits aux programmes de la petite enfance.
Le président suppléant : On entend la sonnerie, qui durera 15 minutes. Nous allons nous rendre au Sénat et voter à 17 h 30. Nous devrions être de retour à 17 h 40 et nous aurons encore 40 minutes de discussion. Il est important de faire cela, et nous vous savons gré d'être ici. Merci.
Le comité suspend ses travaux.
Le comité reprend ses travaux.
Le président suppléant : Bienvenue de nouveau, mesdames et messieurs les sénateurs et distingués invités. Il nous reste 35 minutes. Certaines personnes doivent partir pour voter encore une fois pour une association parlementaire. Vous voyez à quel point les sénateurs sont occupés.
Le sénateur Cordy : Merci à chacun des témoins d'être venu aujourd'hui. Celles d'entre nous qui sont restées sur le marché du travail se rappellent ce que c'était. Toute ma vie a été centrée sur les services de garde. À un moment donné, mon époux a proposé que nous achetions une autre maison et j'ai dit que nous ne le pouvions pas parce que notre gardienne d'enfant vivait près de chez nous et que nous n'avions pas la certitude qu'elle nous suivrait à l'autre endroit. Nous avons pris notre décision en fonction de notre gardienne. Toutefois, les enfants finissent par grandir.
Je me pose une question au sujet de la recherche et des données que nous avons pour dire que nous avons besoin d'un nombre déterminé de places en garderie. Nous avons beaucoup de données empiriques. Les gens me disent que le problème, ce n'est pas tant les dépenses mensuelles que la garantie d'avoir une gardienne. Un autre couple m'a dit qu'ils avaient refusé une promotion à Toronto parce que la liste d'attente en garderie était de six mois. Ils n'avaient aucune famille à Toronto, alors ils ont dû renoncer à la promotion. Ce sont les réalités entourant les services de garde. Avons-nous des données sur l'offre et la demande en services de garde au Canada?
Mme Friendly : Il n'y a pas vraiment de données, à moins que vous présumiez que ce sont tous les enfants canadiens qui pourraient nécessiter un service de garde. Il faudrait probablement apporter ici toutes sortes de nuances.
Dans le cadre des ententes bilatérales, les provinces devaient collaborer sur plusieurs fronts, dont l'élaboration d'un plan visant des données de contrôle. Une certaine somme d'argent avait été mise de côté à cet égard; toutefois, on a sabré dans ce budget comme dans le reste. Je suis celle qui a recueilli cette information des provinces pendant toutes ces années, mais je ne suis plus à l'Université de Toronto parce que le financement a disparu. Il n'y aura même pas ce type de données.
C'est un énorme problème, parce que si nous voulons élaborer une politique ou mettre un système en place, il nous faut des données de base pour savoir exactement le genre de chose dont vous parlez. Il nous faut des données sur les programmes et leurs particularités. Il nous faut aussi un programme de recherche, comme le dit M. Willms.
Cette recommandation a été formulée pendant des années, mais même les études qui avaient été financées ne le seront plus, parce que le programme a été modifié et ne finance plus la recherche. L'absence de données de recherche de base et de contrôle constitue un problème énorme pour l'élaboration des politiques. Tout le monde dans le domaine vous le dira.
M. Willms : Je suis d'accord pour dire que nous n'avons pas de données suffisantes. Nous n'avons pas d'étude nationale sur l'éducation et la garde des jeunes enfants. Nous avons l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes, mais c'est passablement différent. Elle ne comporte pas assez de détails sur les programmes dans lesquels les enfants se trouvent, et elle ne porte pas non plus sur les questions d'offre et de demande dont vous parlez.
M. Milligan : Ce serait étonnant qu'un chercheur ne dise pas qu'il faut plus de données, alors je me joins aux autres pour dire que ce serait bien d'avoir plus de données. Mme Friendly a fait un excellent travail en recueillant des données sur les politiques et autres choses au fil des années, avec son organisation.
Concernant la présence sur le marché du travail de la plupart des mères, notre étude montre notamment que le prix des services de garde est un obstacle à la participation des jeunes mères sur le marché du travail. Cette participation a augmenté au Québec depuis la mise en place du programme.
Le sénateur Cordy : Le recrutement et le maintien du personnel de garderie constituent un autre défi. Nous avons besoin de bons travailleurs en garderie. Pour retenir les bons travailleurs, nous devons être prêts à les payer, et ce n'est pas ce que nous faisons. C'est un grand défi. Nous devons valoriser les travailleurs en garderie et le travail qu'ils font. À mon avis, c'est à ce moment-là que nous allons les rémunérer en conséquence.
M. Milligan : Ce qui est intéressant à propos de ce que le professeur Willms appelle le paradoxe du Québec, est qu'il y a un autre paradoxe. Si je comprends bien, la réglementation sur la qualité est devenue plus rigoureuse au Québec avec l'arrivée de la nouvelle politique sur la famille. Par exemple, la proportion du personnel devant avoir une certification ou un diplôme en éducation de la petite enfance est passée du tiers aux deux-tiers. C'est une norme de qualité plus élevée.
Le salaire des travailleurs en garderie au Québec a augmenté passablement par rapport au reste du pays depuis la mise sur pied du programme. Ils sont mieux rémunérés et mieux formés, et pourtant il semble que la qualité n'ait pas suivi. Je lance cela aux autres témoins. Il semble que ce soit là le cœur de la question.
Mme Friendly : La première étude sur la qualité a été menée avant que les exigences en matière de formation ne changent et les deux autres études ont été menées après ce changement. J'aimerais souligner que pour avoir un programme de bonne qualité, les éducateurs sont très importants parce qu'ils sont au cœur du programme. Toutefois, ce n'est pas en relevant le salaire des gens, même d'un dollar l'heure, que vous obtiendrez un service de meilleure qualité. L'OCDE dresse un très bon portrait de cette question et explique comment la qualité des programmes de la petite enfance découle davantage d'un processus comportant de nombreux volets. Vous avez raison de dire que les ressources humaines sont primordiales, mais ce n'est pas tout.
À moins que l'on adopte une approche quelconque à cet égard, il n'y aura que des garderies isolées qui ne seront rattachées à aucun système.
Songez à ce que serait le système scolaire si les écoles étaient des entités privées complètement désincarnées, qui devaient se débrouiller seules. Nous ne gérons pas les systèmes scolaires de cette façon. Nous sommes conscients que la qualité comporte de nombreux aspects, parmi lesquels se trouvent bien sûr les travailleurs de la petite enfance, mais vous ne pouvez pas leur offrir un meilleur salaire s'il n'y a pas de financement public. Les parents n'ont pas cet argent.
Le sénateur Cochrane : Sur le même sujet, le recrutement et le maintien du personnel, ce problème est-il particulier au Canada ou existe-t-il également aux États-Unis?
Mme Friendly : Cela dépend. Dans certains pays, comme en France, les travailleurs de la petite enfance sont bien rémunérés et bien formés et restent en poste. Dans d'autres pays comme aux États-Unis, la situation est probablement pire qu'au Canada, d'après les données dont nous disposons. Tout dépend des personnes que vous attirez. C'est le problème le plus étudié dans le domaine des services de garde.
Un conseil sectoriel a été établi par suite d'une étude quinquennale des ressources humaines et il effectue beaucoup de recherches. Les solutions à ces problèmes ne sont pas inconnues. Le maintien en poste et le recrutement constituent un énorme problème. Dans certaines provinces où l'on souhaite améliorer et accroître les services, comme au Manitoba, on ne peut recruter les personnes qui répondent aux exigences. Les exigences au Canada ne sont pas si élevées. Elles ont été relevées. Presque toutes les provinces ont augmenté leurs exigences en matière de formation. En soi, ce n'est pas suffisant pour améliorer la qualité et pour attirer des gens dans le domaine et les inciter à rester. Pourquoi le feriez-vous si vous savez que vous ne toucherez que le salaire minimum?
Le sénateur Cordy : Vous avez parfaitement raison lorsque vous dites que c'est bien plus qu'une question de salaire. Je peux vous le confirmer en tant qu'ancienne institutrice. Si on met en place un plan d'action national, ou appelez-le comme vous voulez, les gens sentiront que leur travail est apprécié. J'adhère à ce qui a été dit, même si vous semblez ne pas réaliser que cela vient de vous. C'est un ensemble complet, mais c'est une question de valeur.
Mme Friendly : La valeur de votre travail et celle de vos collègues et de tout le reste. Je dirais que nous avons tendance à trop vouloir contrôler. C'est d'ailleurs pourquoi nous critiquons la qualité des services de garde. Oui, parfois il faut agir, mais c'est une question de politique publique. Pourquoi nous retrouvons-nous avec des garderies de qualité médiocre?
L'autre soir, j'ai participé à une tribune téléphonique à Toronto qui portait sur les services de garde; quelle surprise! On réagissait à l'article du Toronto Star auquel j'ai fait allusion dans mon mémoire et qui, d'une certaine manière, brosse un tableau très noir de la situation. Les gens qui téléphonaient étaient presque tous en faveur du financement public des garderies. Quelqu'un a même dit que les politiques gouvernementales étaient ce qui nuisait le plus à l'accès aux services de garde. C'est vrai. Le problème réside dans l'existence ou l'absence de politiques du gouvernement. Je dirais que c'est le cas tant au niveau provincial que fédéral.
Le sénateur Pépin : Madame Friendly, je suis heureuse de vous revoir après 25 ans. Je me souviens d'avoir organisé, en 1983, la première Conférence nationale sur les services de garde à Winnipeg parce que je voulais que les mères partout au pays se mobilisent pour demander la création de garderies, à l'instar du Québec. Mon Dieu, dire que c'est tout à recommencer.
Je dois avouer que votre rapport me laisse perplexe et m'inquiète, monsieur Milligan. J'ai du mal à croire que le système de garderies au Québec soit si mauvais. Je comprends que nous puissions faire des erreurs, mais d'après votre rapport, les enfants de zéro à quatre ans placés en garderie affichent un comportement de plus en plus violent. Ils deviennent plus agressifs et plus hyperactifs. Vous dites aussi que les développements social et moteur des enfants se détériorent, de même que la santé des enfants, d'après l'évaluation qu'en font les parents.
J'ignore à quel moment ou dans quelle région du Québec vous avez mené cette étude. J'ai trois petites-filles qui ont été dans des garderies au Québec lorsqu'elles avaient moins de quatre ans. Elles ont adoré leur expérience et se sont épanouies pleinement.
Les frais de garde sont passés de 5 à 7 $ par jour. Quel est le problème majeur? Que devrait-on corriger? Sincèrement, c'est l'un des pires rapports que j'ai lus jusqu'à présent, et je suis très inquiète.
M. Milligan : Merci beaucoup pour vos questions. Tout d'abord, le portrait que nous avons dressé des services de garde n'est pas si sombre au Québec par rapport aux autres provinces. La situation a empiré au Québec, contrairement au reste du pays, à la suite de l'implantation du programme visant à aider les familles à faible revenu. Par exemple, le Québec peut avoir été dans une meilleure position en ce qui concerne certaines initiatives, mais aujourd'hui, l'écart entre cette province et le reste du Canada se rétrécit. Il se peut que la situation au Québec soit plus enviable, mais cette province ne se démarque plus autant des autres. Il n'y a plus vraiment d'écart. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'au Québec, c'est pire qu'ailleurs, mais la situation s'est envenimée depuis la mise en place du programme.
Ensuite, il est important de dire que même si les résultats, à bien des égards, se sont détériorés, nous n'avons pas examiné la mesure dans laquelle il y a eu un changement dans la proportion d'enfants ayant dépassé les seuils jugés dangereux d'après les variables. Par exemple, nous n'avons pas déterminé si un enfant était davantage susceptible d'éprouver des problèmes de santé ou de développement s'il franchissait un certain seuil. Nous voyons que la situation prend une mauvaise tournure, mais nous ne pouvons pas prévoir si elle continuera de dégénérer.
Vous avez parlé de vos petits-enfants qui ont eu une belle expérience. J'ai des amis au Québec qui m'ont dit la même chose. Cela ne me surprend pas du tout. Cependant, ne perdons pas de vue que les garderies ne sont qu'un aspect du milieu dans lequel évoluent les enfants. L'environnement familial joue pour beaucoup. Les enfants qui ont beaucoup d'interaction avec leurs parents s'en portent mieux, forcément.
Enfin, en ce qui a trait à la détérioration du comportement, nous avons également été consternés de l'apprendre car nous ne nous y attendions pas. Malheureusement, nous trouvons une résonnance à nos constatations sur le comportement des petits dans les faits empiriques existants sur la garde d'enfants. De nombreuses études, utilisant diverses séries de données dans différents pays, ont aussi révélé que les jeunes enfants devenaient plus agressifs lorsqu'ils passaient beaucoup de temps loin de leurs parents. C'est un problème qui n'est pas propre au Québec.
Le sénateur Pépin : Vous dites que les jeunes enfants deviennent plus agressifs lorsqu'ils sont séparés de leurs parents. La situation est peut-être aussi attribuable à leur entourage ou à d'autres problèmes personnels, et nous pointons du doigt le système. À la lumière de ce que vous avez dit tous les trois, l'une de mes priorités serait de former d'abord les parents, car l'éducation, ça commence à la maison. Ensuite, il faut de meilleures garderies et du personnel plus compétent. Lorsqu'on dit que les enfants démontrent parfois plus d'agressivité, je conviens que la garderie y est peut-être pour quelque chose, mais il faut aussi savoir que les problèmes familiaux peuvent avoir une incidence sur le comportement. Quand je vois cela, je me dis que nous devrions offrir des cours sur le rôle parental aux couples qui attendent un enfant. Il ne faut pas se leurrer et rendre les garderies responsables de tous les maux.
Y a-t-il d'autres provinces qui ont adopté des stratégies pour les jeunes enfants? Si oui, dites-le nous, et sinon, expliquez-nous pourquoi. Vous dites qu'il est important d'avoir une stratégie pour les garderies en ce qui concerne le développement des jeunes enfants.
M. Milligan : À ma connaissance, aucune autre province ne s'est engagée pleinement dans cette direction. La structure fédérale-provinciale qui était en place jusqu'en 2006 a suivi différentes voies. Je ne crois pas que d'autres provinces que le Québec aient pris des initiatives en ce sens.
Mme Friendly : Le Québec avait commencé à mettre en place un système d'éducation préscolaire et de garde d'enfants. Il n'a pas terminé; en vérité, certaines politiques étaient compromises et ont été complètement abolies après les élections. On a réduit le financement et fait de nombreux changements.
Sachez que le Canada est le pays de l'OCDE qui dépense le moins à ce chapitre. À l'époque, les dépenses du Québec correspondaient à presque 60 p. 100 des dépenses publiques au titre de l'éducation préscolaire et des services de garde, y compris la maternelle. J'ai assisté à une conférence à Trois-Rivières, et si l'on compare le Québec aux pays de l'OCDE, cette province a environ fait le tiers du chemin, ce qui n'est pas assez. La situation est meilleure au Québec que dans le reste du Canada, mais pas par rapport à d'autres pays. Le programme québécois n'en est qu'à ses débuts. Néanmoins, nous savons qu'il a permis à un plus grand nombre d'enfants d'être admis en garderie et qu'il a en quelque sorte relevé la barre. Nous ignorons si la qualité s'est améliorée parce que personne ne l'a encore mesuré. Le nombre de places disponibles en garderie a diminué au Québec au cours des dernières années, tout comme les dépenses.
J'irais même jusqu'à dire qu'aucune province n'est allée aussi loin que le Québec, même si le système québécois n'est pas une panacée; il n'est pas parfait. Nous ne parlons pas de ce qui se fait dans le nord de l'Italie, en Belgique, en Suède ou même en Espagne. Le Québec, en tant que pionnier, a été un bon modèle pour le Canada puisqu'il a accompli de grandes choses, mais son programme n'est pas au point.
Le gouvernement québécois avait entrepris d'améliorer la qualité des services de garde, mais le processus a déraillé.
Le sénateur Pépin : J'ai lu que les politiques arrivaient parfois à faire changer les choses.
Nous sommes tous conscients de l'importance d'avoir du personnel qualifié dans les garderies. Nous formons bien des enseignants ainsi que des infirmiers et infirmières, pourquoi n'en faisons-nous pas autant pour les gens travaillant auprès des jeunes enfants?
Mme Friendly : Nous offrons de la formation, en règle générale, mais ce n'est pas suffisant. On propose des cours au niveau collégial — ou dans les cégeps au Québec —, mais le niveau n'est pas assez élevé dans l'ensemble. Il y a de très bons programmes de formation, mais si vous jetez un œil sur les exigences provinciales en matière de formation, vous observerez qu'il n'y a pas suffisamment de personnes possédant les compétences requises. Par exemple, nous n'avons pas de programmes d'études supérieures. À ce propos, une personne m'a écrit d'Australie car elle avait l'intention de venir au Canada pour suivre des études universitaires dans ce domaine. Nous n'avons même pas de programme.
Le système accuse des défaillances à tous les niveaux, à commencer par le personnel. Le problème, ce n'est pas qu'il n'y a pas de formation, puisque les collèges et les cégeps offrent un programme, mais que la barre n'est pas assez haute.
Le président suppléant : Je vais d'abord poser une question, puis céder la parole aux sénateurs Cochrane et Trenholme Counsell.
Professeur Willms, dans votre livre Vulnerable Children : Findings from Canada's National Longitudinal Survey of Children and Youth, vous indiquez la nécessité, pour les collectivités, de mettre en place les infrastructures nécessaires pour créer une société axée sur la famille. Quels en sont les éléments constituants?
M. Willms : Il y a quatre facteurs déterminants à prendre en compte quand on parle de petite enfance. Tout d'abord, il y a la dynamique familiale, c'est-à-dire la capacité de la famille à fonctionner comme une unité homogène. Les relations qu'entretiennent le père et la mère ainsi que la force qui les unit y sont pour quelque chose. Le deuxième facteur est la dépression chez la mère. Il pourrait aussi y avoir la dépression du père, mais nous ne l'avons pas mesurée. Environ 15 p. 100 des mères canadiennes souffrent de dépression post-partum. Dans bien des cas, la dépression peut durer jusqu'à ce que l'enfant ait atteint l'âge de trois ou quatre ans, c'est-à-dire durant presque toute la période d'éducation préscolaire. Le troisième facteur est le rapport parents-enfant, qui comprend non seulement l'amour que portent les parents à leur enfant ainsi que leur sensibilité à ses besoins, mais aussi la façon dont ils le guident dans la vie. Les parents enseignent à leur enfant les principes fondamentaux de la société pour qu'il connaisse les limites à ne pas dépasser, de même que les conséquences qui en découlent. Tout cela s'inscrit dans le rôle parental. Le dernier facteur est l'engagement; c'est-à-dire la capacité des parents à s'engager auprès de leur enfant. L'engagement, qui comprend diverses activités comme l'alphabétisation, est de loin le facteur le plus important dans l'apprentissage de l'enfant, et ce, dès son plus jeune âge.
Comment peut-on renforcer ces quatre facteurs? Quels genres de programmes devrait-on mettre en place pour aider les mères qui souffrent de dépression? Par exemple, à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, de quelle façon pourrions- nous accroître l'engagement parental, ne serait-ce que 15 minutes par jour? Cela aurait une incidence énorme par rapport à certaines autres réformes. Ce sont des choses qui sont difficiles à faire. Bien entendu, le gouvernement a un rôle à jouer, en adoptant de bonnes politiques familiales, mais il y a aussi les familles, les organismes communautaires et bénévoles, et cetera, qui composent la société. Il ne s'agit pas seulement de mettre en œuvre des programmes de formation sur le rôle parental ou des programmes de santé mentale pour aider les mères dépressives; il faut intervenir à la base.
À mon avis, c'est là où la recherche entre en ligne de compte. Par exemple, depuis cinq ou 10 ans, on recommande aux parents de lire à leurs enfants. Les études à ce chapitre se sont révélées très utiles pour de nombreux parents, tout comme celles sur l'obésité chez les jeunes enfants. Les parents portent désormais une plus grande attention aux aliments que consomment leurs enfants. C'est donc une combinaison de facteurs — la sensibilisation du public, les politiques gouvernementales, le travail des organismes bénévoles, et cetera. — qui permettent de créer ce genre de société.
Le président suppléant : C'est important pour notre rapport.
Professeur Milligan, dans votre étude, vous parlez de l'agressivité chez les enfants. Lorsqu'un parent est aux prises avec un enfant agressif, quels choix s'offrent à lui s'il doit continuer de travailler?
M. Milligan : J'insisterais sur l'interprétation des résultats. Les garderies sont un aspect du développement de l'enfant, mais il y a plusieurs éléments tels que l'éducation des parents et d'autres caractéristiques à prendre en considération. La dysfonctionnalité de la famille et l'engagement des parents envers leurs enfants ont également une incidence sur l'agressivité.
Le sénateur Cochrane : Madame Friendly, vous avez dit que si vous n'êtes plus dans la région de Toronto, c'est parce que votre fonds de recherche est épuisé. Est-ce exact?
Mme Friendly : La Childcare Resource and Research Unit était un petit institut financé par le gouvernement fédéral depuis 1985; elle n'existe plus. Plusieurs fondations ont contribué à la maintenir en activité pendant quelque temps. Il y avait aussi une bibliothèque qui a fermé ses portes. Il ne s'agit pas ici de moi, mais de toute la recherche. On a mis fin à cela, sans tenir compte de tout l'argent qui avait été consacré à la recherche et au développement ainsi que des études réalisées. Différents organismes bénévoles voués à la garde des enfants ont également perdu leur financement.
C'est un problème qui touche le secteur de la recherche, mais aussi la société dans son ensemble. J'ai sollicité l'aide de quelques fondations, qui m'ont accordé du financement à court terme. Pour l'instant, je peux poursuivre mes recherches, mais ma situation est précaire. La question est de savoir si oui ou non nous voulons en apprendre davantage sur le sujet. Ce que j'ai entrepris devrait être approfondi par d'autres. Nous avons rédigé un rapport à l'intention de Statistique Canada lui exposant les données qui devraient être recueillies, afin que je ne sois pas la seule bénévole, à l'Université de Toronto, à me pencher là-dessus. Ces questions ne sont même pas à l'ordre du jour, et c'est un grave problème. Dans son étude, l'OCDE en est arrivée à la conclusion que nous devions évaluer les résultats de recherche. C'est important, et pas seulement pour les chercheurs. Je vais prendre ma retraite d'ici quelques années. Ce sont des questions qui, à mon avis, méritent d'être examinées, et pas par un seul individu, mais par toute la société. C'est pourquoi je ne suis plus à l'Université de Toronto.
Le sénateur Cochrane : Ce n'est pas qu'on s'intéresse à autre chose; on ne finance tout simplement plus la recherche.
Mme Friendly : Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'autres possibilités au Canada. Cela touche aussi d'autres domaines qui ne suscitent pas grand intérêt. Les services de garde ne sont pas un enjeu populaire à l'heure actuelle. C'est important pour certains, mais pas pour d'autres. C'est pourquoi il n'y a pas d'argent.
M. Willms : La plupart des fonds destinés à la recherche sont consacrés à la médecine. Il est très difficile de convaincre les gens que 2 p. 100 de cet argent pourrait servir à financer la recherche sur le développement des enfants. Je fais du porte-à-porte dans mon quartier et les gens n'hésitent pas à me donner 20, 50 ou même 100 $ quand c'est pour la Fondation des maladies du cœur ou du rein. Je ne suis pas sûre que j'obtiendrais autant de succès pour l'éducation préscolaire et les services de garde.
Le sénateur Cochrane : Vous avez raison. Il y a tellement de causes à défendre. Pour ma part, je viens en aide aux sans-abri ainsi qu'aux groupes qui leur construisent des résidences. Il y a tant de besoins à combler dans la société aujourd'hui.
Monsieur Milligan, vous avez affirmé que les parents n'étaient pas disposés à payer plus cher pour assurer la qualité des services de garde. À quel moment avez-vous mené votre étude?
M. Milligan : Je ne parle pas de mon étude, mais de celle d'un économiste nommé David Blau, qui a réalisé plusieurs études sur le rapport qui existe entre la qualité du service et le prix que les gens sont prêts à payer. Cette analyse est fondée sur des données recueillies aux États-Unis. Il est intéressant de noter que les garderies cotées selon des normes de qualité normales ont du mal à demander un prix plus élevé. En tant qu'économiste, je dois avoir confiance dans les marchés, mais je comprends aussi qu'ils ne fonctionnent bien que dans certaines circonstances. Les marchés ne sont pas florissants lorsque les gens ne sont pas prêts à payer plus cher pour quelque chose de qualité. Dans ce cas, personne ne se préoccupe de la qualité, et on finit par se retrouver dans une situation déplorable.
Le sénateur Cochrane : Avez-vous effectué des recherches à ce sujet au Canada?
M. Milligan : Non, pas personnellement.
M. Willms : Bien que nous n'ayons pas le même genre de résultats de recherche exhaustifs sur l'éducation et la garde des jeunes enfants, nous avons, par contre, des données précises sur le système scolaire. Les élèves des écoles publiques canadiennes — si on tient compte de leurs antécédents familiaux — réussissent aussi bien que ceux des écoles privées. En fait, leurs résultats sont légèrement supérieurs. De plus, la note moyenne des jeunes de 15 ans, dans les écoles publiques au Canada, est comparable à celle des élèves des écoles privées aux États-Unis. Notre système public est efficace. Nous pourrions nous en inspirer dans le secteur de la petite enfance.
Mme Friendly : C'est une question importante, dans la mesure où cela devient véritablement une responsabilité privée, contrairement à ce qu'on voit dans le système d'éducation public, du fait que les parents acceptent de payer. Imaginez que ceux-ci ne veuillent pas ou ne puissent pas payer, ou que les services de garde ne soient pas de bonne qualité. Dans certaines provinces, vous auriez du mal à trouver un bon programme de garderies. C'est ici qu'intervient la question de politique publique. Certaines recherches révèlent également que les parents, contrairement à l'opinion populaire, ne peuvent juger adéquatement de la qualité des services, et ce, pour diverses raisons. La question de la volonté de payer des parents est très importante, particulièrement sur le plan du rapport entre les États-Unis et le Canada, et vous la comparez à la prise en charge de responsabilités à travers une politique publique, comme nous le faisons dans le réseau d'écoles publiques, pour créer un système efficace et accessible. Vous évoquez un concept politique important et fondamental.
Le sénateur Cochrane : J'ai pu vraiment observer cette situation à St. John's, dans la province de Terre-Neuve-et- Labrador. Les parents que j'y ai rencontrés sont prêts à payer pour avoir des services de garde de grande qualité. Parmi eux, j'ai également observé qu'une mère en appellera une autre, qui à son tour, en appellera une autre pour lui demander d'évaluer le programme de garde ainsi que les progrès réalisés par son enfant dans une garderie. Ce n'est pas que ces personnes ne veulent pas payer, c'est plutôt qu'elles souhaitent que leur enfant reçoive les meilleurs services. C'est ce que j'ai remarqué à St. John's.
Même si nous savons que 54 p. 100 des enfants au Canada fréquentent des garderies, il ne semble pas exister de liste d'attente dans les registres provinciaux. Comment pouvons-nous évaluer le nombre d'enfants qui attendent une place dans un service de garde réglementé?
Mme Friendly : Nous ne pouvons pas le faire. Encore une fois, cela nous ramène à la même question. En grande partie, ce sont des entités indépendantes et autonomes. Les gens mettent leur nom sur différentes listes d'attente. Quelques municipalités, en Ontario, tiennent des listes d'attente centralisées. C'est possible. Mais actuellement, c'est un méli-mélo. On pourrait le faire, mais on ne le fait pas. Quels genres d'initiatives mettriez-vous en place? Par exemple, dans le site Web du gouvernement du Manitoba, les parents peuvent vérifier les places disponibles. Ces petits projets surgissent brusquement, puis disparaissent. Ce sont des initiatives individuelles, bonnes ou mauvaises. Nous avons besoin de ce genre de mesures pour faire fonctionner le système.
Le sénateur Cochrane : Que pensez-vous de l'enseignement à domicile?
Mme Friendly : Je n'y suis pas particulièrement favorable, car je crois qu'il est très bénéfique pour les enfants d'être à l'école avec les autres.
M. Willms : Nous avons tenté d'évaluer cela de façon empirique. C'est très difficile, car les parents qui sortent leurs enfants de l'école pour leur donner un enseignement à domicile sont particuliers à certains égards. Cela ne conviendrait pas à tous les enfants. Nous ne savons pas quels seraient les résultats.
Le président suppléant : Le sénateur Trenholme Counsell a une question. Elle va vous la poser maintenant, et vous pourrez donner votre réponse plus tard à la greffière.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je crois que vous voudrez bien me permettre de poser cette question. Nous sommes des parlementaires fédéraux, et peu importe le parti que nous représentons. Nous avons essayé d'exclure toute considération politique de cette question, et tout le monde joue le jeu. J'aimerais que chacun de vous nous envoie sa réponse, si vous le voulez bien. Bien sûr, ce n'est pas obligatoire.
Quelles seraient les trois recommandations que vous voudriez faire au gouvernement du Canada sur la façon dont nous devrions réagir au rapport de l'OCDE? J'aimerais que vous nous disiez quels modèles nous devrions étudier, de quel pays ou de quel État américain nous pourrions nous inspirer; je voudrais que vous nous proposiez trois modèles que nous pourrions examiner en priorité. Il se peut que nous nous déplacions, ou bien nous utiliserons la vidéoconférence. Vous pourriez nous présenter vos trois meilleurs exemples, classés en fonction des modèles internationaux, que nous pourrions examiner dans le cadre de notre rapport.
Le président suppléant : Je tiens à remercier les témoins d'être venus. Vos observations sont très importantes pour notre étude, et nous espérons proposer prochainement des recommandations positives. Je tiens également à remercier les interprètes et les sténographes, qui ont fait du temps supplémentaire aujourd'hui; nous leur en sommes très reconnaissants.
La séance est levée.