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VETE

Sous-comité des anciens combattants

 

Délibérations du Sous-comité des Anciens combattants

Fascicule 5 - Témoignages du 16 mai 2007


OTTAWA, le mercredi 16 mai 2007

Le Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 12 h 5, afin d'étudier les services et avantages sociaux offerts aux membres des Forces canadiennes, aux anciens combattants, aux membres des missions de maintien de la paix et à leur famille, en reconnaissance des services rendus au Canada.

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous souhaite la bienvenue au Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude des questions liées au panneau intitulé « Une controverse qui persiste », en exposition au Musée canadien de la guerre. À ce jour, le sous-comité a entendu les témoignages de représentants de groupes d'anciens combattants, du Musée canadien de la guerre et de la Société du Musée canadien des civilisations.

Afin d'effectuer un examen minutieux et équilibré de la question épineuse, le sous-comité a invité à comparaître des historiens qui ont analysé l'exposition en question et en ont fait rapport, ainsi que des historiens dont les connaissances et les points de vue sur la campagne de bombardement stratégique méritaient d'être entendus.

Nous remercions les nombreux représentants de groupes d'anciens combattants, du milieu universitaire et de musées qui ont communiqué avec les membres du sous-comité, ainsi que les personnes — notamment, Mme MacMillan et M. Norton — qui ont été invitées à comparaître, mais qui n'ont pas pu en raison d'engagements antérieurs, d'avoir présenté des lettres et des mémoires à ce sujet. Ces documents ont été utiles et nous vous en sommes reconnaissants.

Nous accueillons cet après-midi le lieutenant-colonel à la retraite David Bashow, et le professeur Terry Quinlan. Le lieutenant-colonel David Bashow est professeur au Collège militaire royal du Canada, le CMR. Diplômé de l'Université du Nouveau-Brunswick et du CMR, il est spécialiste de l'histoire militaire du XXe siècle. Auteur de plusieurs livres, son plus récent ouvrage s'intitule No Prouder Place : Canadians and the Bomber Command Experience 1939-1945.

M. Terry Quinlan est également des nôtres. Monsieur Quinlan, je vous invite à parler de vos qualifications et de votre travail. Je crois savoir que vous êtes professeur en conservation et coordonnateur du Programme d'études appliquées en muséologie du Collège Algonquin, à Ottawa.

Terry Quinlan, coordonnateur de programme, professeur en conservation, Programme d'études appliquées en muséologie, Collège Algonquin : Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant le sous-comité. L'invitation était de dernière minute, mais j'ai essayé de préparer quelque chose pour vous.

Si j'ai bien compris, je suis ici aujourd'hui à titre d'enseignant et pour donner un aperçu simple et concis du processus de conception d'expositions. Je vous ai présenté un mémoire qui met en lumière les principaux domaines de la conception d'expositions, dans le contexte des musées.

Je vais d'abord vous dire qui je suis et quels sont mes antécédents. Je coordonne le plus vieux programme d'études en muséologie au Canada, qui existe depuis 35 ans au Collège Algonquin. Je détiens un diplôme en éducation et je suis diplômé du programme de techniques de conservation, du Collège Sir Sanford Fleming. J'ai travaillé pour plusieurs organismes nationaux ainsi que pour l'administration municipale d'Ottawa à titre de membre du jury d'attribution des subventions et d'évaluateur des musées régionaux locaux et de leurs activités.

Je vais maintenant passer au document que j'ai préparé et faire un bref résumé du processus d'exposition dans les musées.

Les expositions sont la tribune publique des activités muséales, de la recherche à la préservation, en passant par l'éducation et la sensibilisation. Les musées récoltent les fruits d'une augmentation de leur fréquentation, comme en témoigne la construction de nouveaux musées et la création de nouvelles salles, autant d'éléments qui ont stimulé la croissance de l'activité au chapitre de la conception et de la réalisation d'expositions dans les établissements culturels de l'ensemble du Canada.

Selon The Manual of Museum Exhibitions, comme les occasions et la demande d'expositions ont augmenté, ainsi en est-il du besoin de comprendre d'où viennent les idées d'exposition, de quelle façon les expositions voient le jour, quels sont les choix à faire en matière d'approche, qui fait ces choix, combien coûtent les expositions, et à quels avantages peut-on raisonnablement s'attendre des expositions sous les angles de l'engagement du public et de la création de nouvelles connaissances.

Il faut souvent rappeler aux musées les relations qui existent entre ces établissements et le public qui les fréquente. Les échanges, ou relations, vont du contact physique du visiteur, qui entre au musée et le parcourt principalement pour voir les expositions et peut-être rencontrer le personnel, jusqu'aux contacts plus ténus qui peuvent se nouer quand le visiteur lit des affiches ou des publications de musée. Bien d'autres contacts, que l'on pourrait qualifier d'indirects, surviennent par l'entremise de tierces parties, comme les médias.

Le musée, en tant que fournisseur d'un service public, doit être conscient de son rôle. Il en est ainsi du public qu'il dessert, car les gens ont le droit de savoir à quoi servent les sommes qu'ils déboursent, que ce soit par une contribution fiscale ou par l'acquittement direct de droits d'entrée. Le public trouverait peut-être réconfortant de savoir que les tâches confiées au musée au chapitre de la préservation de ce que l'on pourrait vaguement décrire comme le patrimoine national, font effectivement partie de leur rôle et sont bien exécutées. Dans un contexte social plus large, on pourrait jusqu'à un certain point en arriver à faire comprendre adéquatement le rôle du musée, en élaborant et en adoptant officiellement un mandat bien défini et des politiques clairement comprises et appliquées.

S'assurer que l'on saisit bien le mandat d'un musée et sa politique en matière d'exposition, constitue un point de départ logique à la création d'une exposition. Tout comme les autres documents d'orientation, la politique en matière d'exposition devrait être mise à la disposition à la fois du personnel du musée et des organismes et personnes de l'extérieur, et devrait viser à clarifier le fondement même sur lequel reposent les activités du musée relativement à l'exposition.

Le montage d'une exposition est compliqué; il fait appel à la cohésion d'une équipe d'experts aux compétences éclectiques chargée d'accomplir une multitude de tâches tout en composant avec les contraintes budgétaires auxquelles sont trop souvent confrontés ceux qui font profession de rassembler, de préserver et de présenter le passé culturel collectif du Canada.

Au lieu de lire mon mémoire, je vais faire un survol rapide du montage des expositions. À la page 2 du document, j'ai indiqué le caractère multidisciplinaire de ce processus; il fait appel à quatre équipes de spécialistes qui s'occupent de l'auditoire, du contenu, des communications et de l'installation. Le tableau montre la complexité du processus de conception des expositions ainsi que les rôles complexes que jouent les spécialistes ayant des compétences particulières dans les domaines précités.

Au Canada, il existe actuellement trois phases distinctes dans la conception et la création des expositions. La première phase est celle de l'élaboration, durant laquelle le concept de l'exposition est créé, vérifié et mis au point. Cette phase permet de comprendre le sujet de l'exposition ainsi que la raison pour laquelle le musée la réalise à ce stade et à cette échelle. Dans mon expérience de la création d'expositions dans les régions et les provinces, cette étape du processus renferme souvent des lacunes notamment, un manque de clarté, de fond et de forme dans le synopsis de l'exposition élaboré par les spécialistes, plus précisément les conservateurs et d'autres spécialistes du musée.

La deuxième phase est celle de la conception. À cette étape, le synopsis de l'exposition est transformé en une réalité tridimensionnelle. Cette phase comprend également l'élaboration de ce qu'on appelle l'énoncé de conception, ou plan d'interprétation. Un des problèmes que l'on constate est que parfois le texte d'exposition ne répond pas aux besoins des visiteurs ni à ceux du musée, ou qu'il y a un manque de clarté sur la préservation des collections lorsqu'elles sont présentées.

La dernière phase est celle de la réalisation. C'est à cette étape que se déroulent la fabrication et l'installation du résultat attendu, c'est-à-dire l'exposition.

Les autres éléments clés dont je vais parler portent sur la conservation et la participation des conservateurs à la réalisation des expositions. Les conservateurs ont un rôle fondamental à jouer dans la conception, la création et le montage d'expositions dans les musées nationaux, provinciaux et régionaux du pays. La raison est simple : les conservateurs participent activement à la création de collections et à la recherche. Nous recourons à leur expertise pour concevoir et mettre en œuvre des plans d'interprétation pour les établissements. Il va donc de soi que les conservateurs aient une grande influence sur l'élaboration des plans d'interprétation, des textes, du graphisme et des expositions.

En ce qui a trait au mémoire d'exposition, il vise fondamentalement à établir une définition de l'idée centrale de l'exposition, c'est-à-dire ce qu'on cherche exactement à transmettre au public; les thèmes qui s'insèrent là-dedans; le fil conducteur; le plan des ressources et la programmation destinée au public, car dans n'importe quelle institution, ce qui est essentiel à la création d'une exposition, c'est l'élaboration et l'implantation de programmes publics pour renforcer le message au moyen du texte et du matériel visuel. Tous ces éléments sont extrêmement importants.

Le mémoire que j'ai soumis au comité traite également du processus de planification de l'interprétation, dont les principaux volets sont le programme d'interprétation en tant que tel; la création d'une zone thématique; les objectifs de communication; les buts de l'expérience, le choix des médias utilisés dans le cadre de l'exposition ainsi que les exigences et possibilités particulières.

Le script est créé dans le cadre du plan d'interprétation. Ici, les choses peuvent se compliquer quelque peu. Ce qu'il faut préciser au sujet de l'élaboration d'un script et de textes destinés aux expositions, c'est que l'institution devrait, au stade initial de la conception de l'aménagement, procéder à des évaluations préliminaires plutôt exhaustives. Dans le cas de l'exposition qui nous occupe, je ne suis pas certain qu'on l'a fait. Je n'ai pas eu l'occasion de jeter un coup d'œil aux éléments présentés dans le mémoire d'exposition. D'habitude, on commence par déterminer le public visé, puis on procède à une évaluation initiale pour pouvoir clairement articuler le thème et le message afin de répondre aux besoins de ce public cible. Je ne vous embêterai pas avec des détails sur la façon de créer un texte en institution pour atteindre cet objectif; ils figurent dans mon mémoire.

Enfin, j'aimerais attirer votre attention sur les rôles et responsabilités liés au processus d'aménagement d'une exposition; ils sont exposés à l'avant-dernière page du document et vont du directeur au chef de projet, qui participe à la conception et à la création des expositions au Canada. Il s'agit d'une norme professionnelle généralement acceptée par la plupart des institutions. Ceux qui connaissent les rouages de nos institutions nationales reconnaîtront ce processus répandu.

Le président : J'apprécie la brièveté de votre exposé; nous aurons davantage de temps pour poser des questions. Le public qui nous regarde et les gens ici présents doivent savoir que nous avons entre les mains un mémoire exhaustif et quelque peu technique. Nous avons eu l'occasion de l'examiner une fois, mais nous prendrons le temps de l'étudier en plus grand détail. Nous vous savons gré d'être venu, malgré un préavis si court, pour nous fournir des renseignements contextuels sur le sujet.

Si le public réagissait de façon inattendue à une présentation, quelle serait la stratégie type du conservateur ou du gestionnaire de musée?

M. Quinlan : Normalement, le directeur de l'institution informerait le public par l'intermédiaire d'un agent des communications et émettrait probablement une sorte de communiqué de presse pour régler la question, quelle qu'elle soit. C'est la procédure habituelle. À partir de là, différentes avenues sont envisageables : on pourra tenir des consultations publiques ou créer des comités consultatifs afin d'aider l'institution à établir un objectif; et une certaine forme de médiation pourrait s'imposer. Au niveau régional, dans cette partie du monde, peu d'expositions, de conceptions d'expositions ou de présentations publiques ont soulevé la controverse.

Le président : Est-il courant que des modifications fassent suite à cette évaluation de la réaction inattendue? Arrive-t- il qu'on apporte des changements au texte ou à la présentation du matériel?

M. Quinlan : D'un point de vue historique, dans la communauté muséale nord-américaine, nous avons vu cela se produire à plusieurs reprises. Je pense en particulier à l'exposition sur Enola Gay, au Smithsonian Institute, parmi plusieurs exemples de cas où l'on a modifié le texte et le matériel exposé. En fait, dans certaines institutions, des expositions ne se sont jamais matérialisées en raison de la controverse entourant le contenu et le message.

Le président : Cela pose-t-il problème, sur le plan de la crédibilité d'un musée, lorsque celui-ci effectue des changements en réaction à une interprétation inattendue?

M. Quinlan : On pourrait s'attendre à ce que l'institution perde de la crédibilité aux yeux du public.

Le président : Est-il fréquent, alors, qu'un musée refuse d'apporter un changement à cause d'une réaction négative du public?

M. Quinlan : Il est difficile de répondre à cette question, car je crois qu'il faudrait connaître les motifs de la décision de l'institution de laisser tel quel le texte ou le matériel exposé. Il est possible qu'on tienne mordicus au script et au message envoyé; on peut attacher beaucoup d'importance au processus employé pour créer la conception, le texte, le matériel d'appui et les programmes publics, de sorte qu'on est réticent à reculer.

Le président : Merci. Le sénateur Kenny est le président de notre comité principal, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, et représente l'Ontario au Sénat.

Le sénateur Kenny : Je suis heureux que vous nous décriviez le processus. Si l'on respecte celui-ci, est-ce qu'on trouvera une certaine réponse? S'agit-il d'une science comme les mathématiques, où l'on obtiendra la bonne réponse à condition de suivre la formule appropriée? Est-il parfois possible, dans le cadre d'une exposition, d'affirmer qu'il y a une façon correcte de faire quelque chose?

M. Quinlan : Non, c'est impossible, car les interprétations diffèrent selon le public. Par exemple, si j'exposais l'image d'une pomme, vous pourriez y voir une représentation du péché originel, alors qu'une autre personne y verrait la couleur rouge et une autre encore, un symbole de la nutrition. La difficulté consiste à articuler un message à l'aide de textes et d'images simplifiés en espérant que tout le monde le percevra de la même façon.

Le sénateur Kenny : Est-il possible, pour ceux qui dirigent des musées, de maintenir leur intégrité en tant qu'universitaires et de trouver différents moyens de caractériser une exposition?

M. Quinlan : Absolument, c'est possible.

Le sénateur Dallaire : Comment établit-on le lien entre l'aspect pédagogique, c'est-à-dire le matériel éducatif et didactique présenté, qui relève de vos responsabilités muséologiques en particulier, et l'autre aspect, soit la vérité d'évidence de l'historien qui connaît l'histoire et qui détient possiblement les outils qui pourraient ultimement être utilisés, comme un uniforme, une image, et cetera, sans oublier, bien sûr, le texte? Facilitez-vous la tâche de l'historien pour vendre ce produit à un vaste public, ou jouez-vous simplement un rôle de soutien? Quelle est l'interaction entre les deux?

M. Quinlan : Si vous faites allusion aux interactions entre le directeur, le conservateur, le concepteur de l'exposition et l'éducateur de l'institution — car il pourrait également y avoir un créateur de programmes publics —, tous ont un rôle à jouer dans le processus. C'est le directeur de l'institution qui prendra la décision finale quant au message fondamental et à la façon de le communiquer. On peut espérer que l'institution aura d'abord cerné son public cible, à la suite de quoi, elle pourra transmettre le message d'une manière qui l'aidera à atteindre son objectif.

Dans le mémoire que je vous ai fourni, j'ai divisé les perspectives d'application des textes en quatre domaines précis, soit la recherche et la conservation; l'éducatif et le didactique; le public et la narration; et enfin, la conception et le visuel. Il y en a un de plus, qui ne figure pas dans le diagramme et qu'on mentionne dans le texte, à savoir l'approche commerciale, qui a également un rôle à jouer dans la création d'expositions.

Pour répondre à votre question, il s'agit d'un effort impliquant de multiples volets et diverses équipes en vue de trouver le moyen d'articuler le message. Premièrement, on devra cerner son public au moyen d'une évaluation initiale, ce qu'il faut faire au sein des institutions; deuxièmement, il y aura un soutien sous forme d'évaluations formatives au cours de la phase de conception; et finalement, on effectuera une évaluation globale à la fin de l'exposition pour voir si on transmet le message.

Le sénateur Dallaire : On peut donc tenir pour acquis que tout au long de la mise en place des expositions au Musée canadien de la guerre, il y avait un processus formel en vertu duquel le groupe multidisciplinaire se réunissait et échangeait continuellement. Cet exercice n'était pas dominé par les historiens, mais impliquait une variété d'intervenants qui en sont arrivés à un consensus sur l'exposition.

M. Quinlan : Surtout quand on pense à une exposition et à tous ses éléments dans une perspective globale. Le texte de cette exposition a pu être déterminé principalement par les conservateurs du musée, qui effectuent la recherche en vue de rédiger un essai de conservation qui servira de base au script. Ainsi, le texte a pu être fortement influencé par ces conservateurs. Mais la façon dont ce message est exprimé à l'aide d'une imagerie visuelle, de couleurs, d'une installation d'éclairage, d'un itinéraire ainsi que d'une programmation publique constitue une approche holistique à laquelle contribuent tous les éléments de l'institution.

Le sénateur Dallaire : Je suis là, devant un groupe de spécialistes; pour faire passer le message, j'ai le choix des mots et de leur taille, de même que des images et peut-être des détails quant aux dimensions, au contenu, au script, et cetera. Il y a une idée derrière ce type de projection. Ce groupe est arrivé avec un thème et une raison de le présenter de cette façon. Est-ce exact?

M. Quinlan : Jusqu'à un certain point; mais il se pourrait aussi que le message communiqué au public et perçu par certains éléments de la population ne soit pas ce que l'institution tentait d'exprimer. C'est entièrement possible, comme dans mon exemple de la pomme.

Le sénateur Dallaire : Une thématique était rattachée à tout ce qu'on a pu créer. Cela n'a pas été élaboré par un seul technicien, mais par toutes ces personnes réunies. Il en est résulté un processus de réflexion délibéré et un échange multidisciplinaire concernant la façon de présenter l'idée. Si vous avez le sentiment qu'un thème a été présenté d'une certaine manière, est-ce que cela correspond nécessairement à ce qu'on voulait projeter, ou l'auteur a-t-il pu trahir ses intentions?

M. Quinlan : C'est tout à fait possible. Au terme du processus, quelqu'un peut se rendre compte que le message qu'on tente de communiquer ne passe pas et qu'on transmet un message contraire ou différent.

Le sénateur Dallaire : Si vous modifiez cette présentation, cela ne signifie pas que vous changez le récit. Vous pouvez présenter de l'information qui correspond à votre intention initiale, et les gens verront les choses autrement.

M. Quinlan : Vous conforteriez cela au moyen d'une évaluation globale à la fin de l'exposition. Vous permettez au public de voir celle-ci, et dans le cadre du processus d'évaluation, vous déterminez certains des principaux éléments. Vous pourriez demander au public s'il a perçu le message en parcourant l'exposition, et s'il vous répond constamment par la négative, vous ne devriez pas hésiter à apporter des modifications à votre installation.

Le sénateur Atkins : La plupart des expositions sont-elles animées par du texte?

M. Quinlan : C'est difficile à dire. Le texte est un matériel, une technique d'appui qu'on utilise dans la majorité des expositions de nos jours.

Le sénateur Atkins : Une exposition comporte plusieurs éléments : les titres, les copies, les images et les photographies. On dit qu'une photo vaut mille mots. Quel est l'élément le plus important d'une présentation, à votre avis?

M. Quinlan : Je pense que c'est spécifique à l'exposition. Il est difficile de dire quel en serait l'élément le plus important. Bien des facteurs entreraient en ligne de compte.

Je suis conservateur de métier. Ce qui m'intéresse, c'est le tangible, la culture matérielle. Je suis un grand amateur d'expositions comportant des artefacts qui ont une provenance et une histoire et qui peuvent être utilisés pour communiquer ce message. Je suis également partisan des expositions qui font appel à du matériel audiovisuel, à des programmes publics ou à des vulgarisateurs.

Il est difficile de dire ce que je considère comme l'élément le plus significatif. Je pense qu'au bout du compte, le plus important est ce qui vous aide à communiquer efficacement votre message au public.

Le sénateur Atkins : Diriez-vous qu'une photographie permet de démontrer quelque chose plus rapidement que pratiquement n'importe quoi d'autre en appuyant le contexte?

M. Quinlan : Cela dépendrait vraiment de votre public. Laissez-moi vous donner un exemple. Si j'aménageais une exposition dans un musée en milieu universitaire, et que cette présentation particulière traitait de collections d'histoire naturelle, comme des mollusques ou des huîtres, disons, je pourrais créer une présentation qui comporte beaucoup de texte, parce que mon public cible serait formé d'étudiants de deuxième ou de troisième cycle. Je ne les inonderais pas d'images simplistes des éléments d'un coquillage ou d'une huître, mais je pourrais leur fournir par écrit des théories et des concepts assez complexes au sujet de la biodiversité liée à une espèce particulière, et cela produirait de très bons résultats auprès de ce public. En revanche, supposons que mon public cible soit formé d'élèves de la troisième à la cinquième année : je pourrais recourir fortement à des images visuelles et à des programmes publics comme moyens de communication à ce groupe. Encore une fois, tout est une question de public cible. À qui tentez-vous de transmettre votre message, et à quelle fin?

Il faut admettre que nos institutions tentent également de réaliser des profits. J'ai mentionné rapidement la commercialisation comme composante des expositions et de la façon dont elles sont conçues. Parfois, on tentera d'atteindre une audience assez vaste afin de pouvoir aussi faire des profits.

Le sénateur Atkins : Vous avez répondu au sénateur Kenny qu'il y avait plus d'une manière de dire la même chose.

M. Quinlan : Absolument.

Le président : Afin de clarifier votre réponse au sénateur Atkins, pourriez-vous nous dire s'il est possible qu'une photographie qui accompagne du texte amène à interpréter ce texte d'une certaine façon?

M. Quinlan : Certainement.

Le président : A-t-on fait des études concernant les effets, sur le public, de l'endroit où une pièce est exposée? En particulier, que sait-on du message final que quelqu'un perçoit avant de quitter une exposition? Est-ce que cela doit jouer un rôle plus important dans une présentation?

M. Quinlan : Je ne suis pas certain de vous suivre.

Le président : À la sortie d'une salle, il y a une image et un panneau où figure du texte. Vous faites le tour de la salle et sortez. Vous quittez la zone d'exposition; c'est là que se trouve le message final. A-t-on effectué des recherches portant précisément sur l'efficacité de la démonstration d'un élément en faisant en sorte de placer un message particulier à la fin d'une zone d'exposition pour que les visiteurs l'emportent avec eux?

M. Quinlan : Je ne connais aucune étude quantifiable qu'on aurait menée afin de déterminer si ce que les visiteurs voient en sortant d'une exposition constitue le principal message qu'ils en retiendront. Mais il existe peut-être de telles études.

Le président : Quand vous aménagez une exposition, vous préoccupez-vous de savoir quel élément présenter en dernier?

M. Quinlan : Ma méthode particulière consiste à installer un tableau des crédits à la toute fin de l'exposition pour que, quand il quitte l'exposition, le public soit informé de toutes les personnes ayant participé à sa création. Mais je ne connais aucune étude visant à quantifier l'efficacité réelle d'une telle mesure ni à mesurer si c'est vraiment ce que les gens retiennent de l'exposition.

Le sénateur Dallaire : J'aurais tendance à croire que dans le cas d'une exposition portant sur un thème général comme la Seconde Guerre mondiale, vous disposeriez probablement les présentations en ordre chronologique et placeriez un élément à la fin pour en faire le résumé. Cela aurait probablement l'effet d'un rappel auprès des gens.

La question précise que je souhaite aborder est la suivante : nous parlons de l'aspect scientifique du sujet. Vous évoluez dans un domaine scientifique. La muséologie n'est peut-être pas aussi clinique que les mathématiques, mais elle reste une science. Vous êtes professeur; vous faites l'objet d'un contrôle par vos pairs et travaillez avec une rigueur intellectuelle. Si on vous plaçait devant une présentation et que vous en examiniez les éléments techniques, vous pourriez probablement dire quel message on cherche à transmettre grâce à votre expérience et à votre bagage académique, n'est-ce pas? Vous pourriez regarder la taille des lettres, le contenu et l'emplacement des images, disséquer tout cela et déterminer l'objectif visé. Est-ce juste?

M. Quinlan : J'aimerais croire que je peux regarder cela objectivement et en arriver à une conclusion quant au message transmis, oui.

Le sénateur Dallaire : Cinq ou six de vos collègues possédant les mêmes compétences peuvent avoir des points de vue divergents mais, de façon générale, vous pourriez en arriver à une évaluation moyenne, n'est-ce pas?

M. Quinlan : Habituellement, oui.

Le sénateur Dallaire : Si une telle chose est possible, cela m'amène à croire que vous pouvez poser un regard objectif, qui n'est pas purement celui d'un historien, mais qui vous permet d'examiner ce qu'on vous montre et d'en déduire ce qu'on a voulu exprimer. On ne vous accordera pas vraiment la même crédibilité qu'à un historien qui connaît les faits exacts, mais vous faites l'analyse d'une présentation de l'histoire, et c'est ce qu'on tente de montrer. Vous pourriez faire cette déduction. S'il en est ainsi, et s'il y a potentiellement une distorsion de l'histoire à cause de la façon dont elle est présentée, on pourrait rectifier le tir sans mettre en doute cette histoire, n'est-ce pas?

M. Quinlan : Certainement. Puis-je ajouter quelque chose?

Le sénateur Dallaire : Je vous en prie.

M. Quinlan : Si, rétrospectivement, vous aviez tenté d'agir en ce sens avec l'exposition dont nous discutons tous ici, à la table, vous auriez rencontré beaucoup de difficultés en raison de la forte couverture médiatique. Cela a atteint un point où un sous-comité sénatorial se penche sur la question.

Le sénateur Dallaire : Oui, parce que votre jury est devenu partial.

M. Quinlan : Certes, mais en dehors de cela, je suis parfaitement d'accord avec vous.

Le président : Merci. Ce fut utile.

Nous allons maintenant entendre le lieutenant-colonel Bashow, qui nous a fourni son dernier texte, comme je l'ai précisé, ainsi que trois résumés distincts. Je ne pense pas qu'il abordera tout cela aujourd'hui, mais il pourra nous faire un précis et ensuite, nous passerons aux questions.

Lieutenant-colonel (à la retraite) David Bashow, professeur auxiliaire, Collège militaire royal du Canada : Merci. Laissez-moi d'abord vous dire que c'est pour moi un honneur que de pouvoir participer à ces discussions. Au cours des dernières semaines, vous avez entendu des témoins qui sont soit des anciens combattants, soit des représentants de groupes défendant leurs intérêts. Aujourd'hui, j'espère pouvoir apporter un autre point de vue au débat : l'objectivité d'un historien professionnel tempérée par l'empathie et la compréhension d'un membre d'équipage d'aéronef opérationnel expérimenté et d'un officier supérieur de la Force aérienne.

En outre, il se trouve que je suis un spécialiste de la question abordée aujourd'hui. Aussi, monsieur le président, ce fut un grand honneur pour moi de remettre aux membres du sous-comité et à vous-même un exemplaire de mon dernier livre. Sachez que cet ouvrage représente plus de cinq ans de travail et de recherche, et je crois qu'il contient de nouvelles informations importantes expliquant comment l'offensive aérienne sur l'Allemagne a contribué à mettre un terme à la guerre par la victoire des Alliés en 1945. Vos examens finaux vous seront envoyés par la poste la semaine prochaine.

Je voudrais aussi ajouter ma voix à celles des témoins qui m'ont précédé en exprimant mon appui inconditionnel et enthousiaste à l'égard de cette institution qu'est le Musée canadien de la guerre, cet endroit remarquable qui, dans son ensemble, rend un hommage éloquent et approprié à notre fière histoire militaire. Bien que les Canadiens aiment à penser qu'ils vivent au royaume de la paix et dans un État non militaire, nous ne pouvons nier que les engagements du Canada lors de conflits, surtout au cours des deux guerres mondiales du XXe siècle, ont largement contribué à modeler notre développement à titre de nation indépendante, et on donné à notre pays la reconnaissance internationale qu'il mérite. Bien que je convienne avec les témoins précédents que la galerie du musée réservée à la Seconde Guerre mondiale constitue un superbe hommage aux soldats canadiens et à leurs sacrifices, je tiens à faire remarquer, avec tout le respect que je vous dois, que nous ne pouvons en dire autant en ce qui concerne la section traitant des bombardements sur l'Allemagne.

Lorsqu'une institution doit déployer des efforts considérables pour souligner autant d'histoire militaire, elle risque toujours de simplifier exagérément les événements. Malheureusement, je crains que ce soit ce qui s'est produit avec la déclaration erronée et simpliste qui figure sur le principal panneau de l'exposition, intitulée « Une controverse qui persiste », qui se lit ainsi :

Le bien-fondé et la moralité de l'offensive de bombardement stratégique contre l'Allemagne demeurent vivement contestés. L'objectif du Bomber Command était de saper le moral des civils allemands en détruisant les villes et les installations industrielles. Même si les attaques du Bomber Command et des forces américaines tuèrent 600 000 Allemands et en laissèrent 5 millions d'autres sans abri, elles réduisirent à peine la production de guerre allemande avant la fin de la guerre.

Je comprends parfaitement que cet extrait ne représente qu'une petite partie de l'ensemble de l'exposition. Toutefois, la place prépondérante qu'il occupe et le fait qu'il soit à côté de photographies particulièrement poignantes faisant l'objet de remarques tendancieuses ou de critiques sévères axées sur des préoccupations morales et humanitaires, en ignorant largement la valeur stratégique et tactique des résultats obtenus par les bombardements en font, à mon avis, le legs permanent du Bomber Command au sein du musée. Je trouve le ton de cette déclaration tendancieuse parce qu'on insiste sur le fait qu'il y a eu de nombreuses victimes civiles pour des biens stratégiques limités. En outre, lorsque cette déclaration est mise en relation avec les autres éléments de l'exposition, le choix des mots utilisés ne fait que renforcer cette impression.

En ce qui concerne les résultats obtenus et les coûts engendrés, je reconnais que les bombardements sont une source de controverse, en particulier chez les historiens, les philosophes et les économistes. Cependant, je crois que le choix des mots « vivement contestés » a un effet à la fois incendiaire et exagéré qui ne reflète absolument pas la réalité. Il y a ceux qui, dès le début, ont remis en question le bien-fondé des bombardements mais, pour mettre en perspective l'importance de cette opposition, ces gens ont toujours constitué une minorité et nombre d'entre eux, comme Cosmo Lang, archevêque de Canterbury pendant la guerre, se sont finalement rangés aux côtés de ceux qui étaient en faveur de cette campagne. Les sondages d'opinion de l'époque révèlent que les citoyens des pays alliés étaient parfaitement conscients que les bombardements visaient les centres industriels des pays de l'Axe, et que la population y était très largement favorable.

Au cours des derniers mois de la guerre, les Allemands avaient mené une campagne de propagande extrêmement efficace contre ces bombardements, laquelle avait été relayée par les pays neutres vers les différentes agences de presse des Alliés et insistait, notamment, sur le bombardement de Dresde en février 1945. Cette campagne de désinformation faisait état de pertes de vies humaines grossièrement exagérées, les chiffres pouvant être gonflés jusqu'à 1 000 p. 100. En fait, au début de l'année 1945, loin d'être juste une paisible et charmante cité baroque détruite par les Alliés, Dresde était une ville militaire, un centre de communications vital, un carrefour important pour le transport et un camp de transit pour les forces armées allemandes du front de l'Est, où se concentraient un nombre important d'usines vouées à la production de guerre, dont l'imposant complexe Zeiss Ikon. Il y avait bien longtemps que Zeiss Ikon avait fabriqué un produit aussi inoffensif qu'un appareil photo de loisir.

En réalité, le bombardement de Dresde a été exécuté à la demande des Soviétiques qui menaient alors une offensive importante à 100 kilomètres à l'est de la ville. À la fin de la guerre, Dresde s'est retrouvée derrière le rideau de fer; il n'était donc pas glorieux pour les Soviétiques de se vanter de cette demande de bombardement dans le nouvel ordre mondial. Plus tard, David Irving, qui niait l'existence de l'Holocauste, a exagéré davantage la vision déjà erronée entourant les bombardements, vision que les frères McKenna ont ensuite perpétuée au Canada avec leur série inexacte intitulée : The Valour and the Horror : Death by Moonlight, et qui fut diffusée à la CBC dans les années 1990.

Aujourd'hui, il y a des gens qui condamnent encore les bombardements. L'un des derniers et éminents exemples est le philosophe britannique Anthony Grayling, qui s'est permis d'établir une similitude morale entre la campagne de bombardements stratégiques des Alliés et les attentats du 11 septembre 2001. Je crois que le problème vient en partie du fait que nous avons tendance, de nos jours, à regarder avec notre sensibilité d'aujourd'hui les décisions et les gestes historiques d'une autre époque. Or, l'histoire ne peut être jugée que dans le contexte temporel de son déroulement. Juger après coup, comme on le dit si bien, c'est avoir une vue d'ensemble très exacte des événements. Cependant, dans tout ce débat, nous perdons de vue que le nazisme représentait une force parfaitement abjecte et diabolique dont l'objectif ultime était la domination du monde, et que cette même force devait être arrêtée rapidement et à tout prix.

Bien des jeunes chercheurs — parmi lesquels de très respectables sommités, en Allemagne — ont remis en question de manière crédible les assertions des négationnistes en procédant à une réévaluation approfondie de la documentation et des archives dont une grande partie n'était pas disponible jusqu'à tout récemment. Ainsi, ces travaux ont permis de dresser un portrait positif beaucoup plus juste des effets directs et indirects de la campagne de bombardement.

Les bombardements alliés visant le Troisième Reich et les autres pays membres de l'Axe étaient parfaitement synchronisés avec la stratégie de guerre globale de la Grande-Bretagne. Cette stratégie a permis de tourner l'offensive en territoire ennemi dès le début de la guerre, prouvant ainsi que la Grande-Bretagne et les dominions n'avaient aucune intention de se soumettre aux puissances totalitaires. L'offensive a aussi permis de soulager les troupes soviétiques lorsqu'aucune attaque massive, incluant une campagne terrestre prématurée, ne pouvait être entreprise. Cette campagne avait également tranquillisé les Américains puisqu'ils avaient accepté que la priorité soit de mener la guerre contre l'Allemagne d'abord. Ils voulaient mettre un terme le plus rapidement possible au conflit en Europe afin que les forces alliées puissent unir leurs efforts dans la lutte contre le Japon dans le Pacifique. Ainsi, les Soviétiques et les Américains exerçaient d'énormes pressions pour lancer une invasion dans le nord-ouest de l'Europe, et ce, bien avant que la Grande-Bretagne et les dominions ne se sentent prêts à s'engager dans une telle entreprise. Par conséquent, la campagne de bombardement a été en quelque sorte une forme sophistiquée de guérilla où l'ennemi voyait le théâtre des opérations se déplacer en périphérie. Cette tactique a été appliquée au bombardement aérien des cibles industrielles allemandes et utilisée à une époque où un affrontement terrestre n'était pas encore envisageable.

La campagne de bombardement a largement miné l'économie et la puissance industrielle de l'ennemi, le poussant à une décentralisation exceptionnellement exigeante et coûteuse de sa force de production intensive. L'effet de cette stratégie a été considérable en raison, d'une part, des forces engagées dans cette nouvelle voie et, d'autre part, de la confiance additionnelle qu'il a fallu placer sur des ressources matérielles limitées. La campagne a aussi sérieusement nui à un réseau de transport qui avait largement atteint ses limites. En outre, les systèmes de défense nécessaires pour répondre à la menace de bombardement étaient extrêmement lourds. Ainsi, en 1944, on comptait près d'un million de militaires pour les canons antiaériens, environ les quatre cinquièmes des chasseurs du Reich et quelques dizaines de milliers de soldats appelés à faire fonctionner diverses pièces d'artillerie que l'Allemagne ne pouvait plus utiliser sur les différents fronts.

De plus, les efforts déployés pour mettre sur pied une défense de cette envergure empêchaient les Allemands d'élaborer leur propre campagne de bombardement comme stratégie de contre-attaque. Plus encore, la concentration de leur force aérienne vouée à la défense du Reich limitait le soutien aérien vital dont leurs propres troupes sur les différents fronts avaient si cruellement besoin. Cela signifiait aussi que les troupes alliées étaient beaucoup moins exposées à des frappes aériennes qu'elles n'auraient dû l'être.

Les bombardements ont aussi poussé les Nazis à poursuivre certaines campagnes qui se sont révélées aussi inefficaces que coûteuses, comme les différents programmes de fusée ou « armes V », alors que d'autres initiatives plus viables, telles que les programmes prioritaires visant les avions à réaction et la technologie de pointe appliquée aux sous-marins de la série XXI, ont été contrés ou marginalisés.

Bien que la décentralisation ait été une mesure novatrice, elle s'est révélée extrêmement inefficace, surtout dans un secteur dont le rendement dépendait tellement de la centralisation. De plus, avec la surcharge d'un réseau de transport vulnérable, elle a créé un besoin additionnel de produits pétroliers à une époque où les bombardements alliés visaient en priorité les sites pétroliers. Les Allemands ont aussi été forcés d'abandonner leurs sinistres programmes de développement d'armes nucléaires, biologiques et chimiques, dont plusieurs s'étaient avérés prometteurs. En outre, lorsque le Bomber Command a été détaché auprès du Grand Quartier général des Puissances alliées en Europe, sous le commandement du général Eisenhower, au printemps 1944, il a largement contribué, en détruisant les défenses aériennes, les ressources pétrolières et les réseaux de transport, à l'invasion de l'Allemagne avec le débarquement de Normandie qui a eu lieu plus tard dans l'année.

Certains critiques, dont John Kenneth Galbraith, le célèbre économiste canadien, qui a été membre, après la guerre, de l'équipe américaine chargée d'étudier la question des bombardements stratégiques, ont adopté, ce qui n'est pas étonnant, une position économique assez étroite au sujet de la destruction résultant des bombardements, spécialement en ce qui concerne les produits finis. Galbraith semblait très ébloui par la capacité de l'Allemagne d'augmenter de manière significative sa production d'avions de chasse et de chars d'assaut au cours des dernières années de la guerre. Cette opinion est bien reflétée dans une citation de Galbraith, que l'on retrouve sur le panneau « Une controverse qui persiste », et qui, sans aucun doute, a contribué à la réduction de l'impact de la campagne sur l'industrie allemande.

Cependant, les détracteurs de cette campagne oublient ou ignorent que la production de guerre de l'Allemagne, sous Hitler, tournait bien en-dessous de sa capacité totale, et ce, jusqu'à la défaite de Stalingrad au début de 1943. À ce moment-là, l'Allemagne est passée à un rythme de production de 24 heures par jour, sept jours par semaine, et cet essor industriel a coïncidé avec la campagne de bombardements anglo-américaine dans le sillage de la Conférence de Casablanca en janvier 1943.

Il est difficile d'imaginer ce que les Allemands auraient été capables de réaliser s'ils n'avaient pas été forcés d'entreprendre une décentralisation industrielle très coûteuse, s'ils n'avaient pas été forcés de défendre avec tant de vigueur leur ciel contre des attaques aériennes, s'ils n'avaient pu exploiter et contrôler sans aucune interruption leurs installations de production, et s'ils avaient pu maintenir intact leur réseau de transport si complexe. Au milieu de tout ce débat, on perd facilement de vue que cette augmentation de la production s'est faite sur le dos de millions de travailleurs esclaves. Bien que les quantités de produits finis aient augmenté, au cours des dernières années de la guerre, et ce, jusqu'à la défaite finale, la qualité de la production a souffert considérablement en raison de la résistance passive et des actes de sabotage exécutés par les travailleurs réduits à l'esclavage, ainsi qu'à cause de la pénurie de matériaux stratégiques attribuable aux bombardements.

L'augmentation de la production de chars d'assaut et d'avions de chasse est, à tout le moins, purement théorique. Et quand enfin ces appareils étaient disponibles en nombre suffisant, la campagne de bombardement des Alliés contre les installations pétrolières venait détruire les dépôts de carburant dont les Allemands avaient besoin pour envoyer ces appareils au combat. Même Galbraith et ses disciples ont reconnu l'effet des bombardements sur les installations pétrolières, les réseaux de transport et les matériaux stratégiques. Selon des recherches indépendantes américaines et britanniques d'après-guerre, les bombardements ont détruit pratiquement toutes les réserves de coke, de ferro-alliage et de caoutchouc synthétique en Allemagne. De plus, 95 p. 100 de la capacité de carburant, de charbon dur et de caoutchouc de ce pays, 90 p. 100 de sa capacité de production d'acier, 75 p. 100 de sa capacité de construction de camions et 70 p. 100 de sa capacité de fabrication de pneus ont été détruites. Malgré l'augmentation de la production de certains équipements militaires, la campagne a provoqué d'immenses pertes dans la capacité de production d'avions de chasse et de véhicules blindés. La destruction des installations pétrolières, établie en 1944 comme objectif prioritaire, n'a pas seulement eu pour effet de limiter les opérations militaires de l'Axe; elle a aussi sapé considérablement les réserves de carburant destinées à la formation des troupes.

La campagne a également été des plus efficaces quand elle a miné l'ouest de la Baltique, forçant ainsi la flotte allemande à passer uniquement par l'est de la mer ainsi qu'à placer quelque 40 garnisons pour protéger les territoires avoisinants au cours des derniers mois de l'offensive soviétique. Ainsi, un tiers de l'armée allemande était pris sur place pour affronter l'Armée rouge. C'était un avantage de plus pour les Alliés, qui n'avaient alors plus à faire face à cette armée pour vaincre le Reich.

Il est vrai que les attaques ont fait de très nombreuses victimes dans la population. D'ailleurs, mes chiffres correspondent de très près à ceux du Musée canadien de la guerre. Près de 600 000 civils sont morts à cause des bombardements pendant le Grand Reich, sans compter les 130 000 personnes déplacées et les quelques milliers de prisonniers de guerre. Ces chiffres sont impressionnants, mais ils n'ont rien de comparable avec le nombre de victimes des génocides perpétrés par les Allemands et leurs alliés contre les peuples d'Europe et d'Eurasie.

Malgré les critiques fréquentes selon lesquelles le Bomber Command avait déployé une quantité anormalement élevée de ressources de guerre, l'expert Richard Overy juge que l'effort était en fait plutôt modeste. Il a déclaré :

Les bombardements représentent 7 p. 100 des efforts de guerre totaux (production et combats), 12 p. 100 en 1944-1945. Puisqu'au moins une partie de la production était destinée à d'autres théâtres de guerre (et à d'autres commandements), les chiffres totaux relatifs aux bombardements en Allemagne étaient fort probablement inférieurs à ces pourcentages. Avec 7 p. 100 de ressources allouées, on peut difficilement dire que l'effort de guerre anglais était exagéré.

Il est vrai que les questions morales entourant la campagne de bombardements ont suscité tout un débat. Toutefois, même les plus grands experts allemands ont reconnu que la politique de bombardements de zones menée au cours de la Seconde Guerre mondiale était tout à fait légale. En vérité, on a interdit ce type de bombardements qu'en 1977, après la guerre du Vietnam. Le premier protocole de la Quatrième Convention de Genève interdisait alors formellement les attaques militaires contre les civils.

Il était impossible d'éviter les pertes civiles lors de la campagne de bombardement, surtout si l'on se rappelle que l'objectif clairement établi consistait à déloger les travailleurs industriels et à leur enlever toute envie de combattre. Il faut également comprendre que, même si le but n'était pas de massacrer les travailleurs allemands, il fallait tout de même s'attendre à des dommages collatéraux, surtout que la mode en Occident à l'époque était de construire des quartiers résidentiels près des usines. De plus, au cours de la Seconde Guerre mondiale, le Bomber Command était de manière générale, pour les forces principales, assez implacable, malgré quelques bombardements isolés précis, comme le raid sur le pont de la Ruhr, effectué par l'escadron 617, en mai 1943. Malgré les progrès technologiques, le Bomber Command ne pouvait pas viser avec la précision chirurgicale des armes modernes.

Bref, les dommages collatéraux étaient inévitables lors des bombardements. Il ne faut pas oublier que les différents régimes totalitaires avaient eux-mêmes fait de nombreux bombardements de zones avant le début de l'offensive des Alliés. Le bombardement des ports chinois par les Japonais, de Barcelone et de Guernica par les fascistes de Franco, puis les bombardements de Varsovie, de Rotterdam, de Londres, de Coventry, de Bath et de Bristol par les Allemands n'en sont que quelques exemples.

Je voulais terminer en vous livrant quelques réflexions au sujet de la dimension humaine de la question, mais le temps va me manquer. Vous pouvez lire le long exposé que j'ai préparé pour vous aujourd'hui. J'aimerais toutefois signaler que, pour moi, le musée a quelque peu négligé le côté humain. C'est un aspect très important. Le comportement des équipages, qui avaient de longues missions à remplir et devaient affronter des épreuves vraiment incroyables et des moyens de défense considérables, marque le triomphe de l'esprit humain, et je ne crois pas que cela ait suffisamment été reconnu. Nous pourrons en parler plus tard, si vous le voulez.

Cela dit, si l'on analyse les répercussions psychologiques sur le moral des Allemands, on peut effectivement constater que l'ennemi a souffert des bombardements, malgré les affirmations indiquant le contraire. De nombreux experts ont récemment confirmé cette théorie. Selon l'historien allemand Götz Bergander :

En fait, les raids sur les villes et les industries infligeaient de durs coups au moral du peuple allemand. Ils mettent continuellement ses nerfs à rude épreuve, l'affaiblissaient et le faisaient douter de la victoire, touchant ainsi sa conscience. Ils semaient la peur, le chaos et le désespoir.

Les bombardements stratégiques, à la fin de la guerre, entraînaient également un abandon de la résistance dans les zones urbaines de l'Allemagne, poussant ainsi les Allemands à se rendre. En plus, comme cela avait été le cas à Ortona, en Italie, et ailleurs dans le nord-ouest de l'Europe, ces bombardements ont permis d'éviter de nombreuses morts des deux côtés.

En conclusion, malgré toute la controverse entourant la campagne, ses résultats et ses coûts, les bombardements ont permis de faire la guerre chez l'ennemi. Ils ont permis de créer un deuxième front, épuisant les ressources du front de l'Est et forçant l'Allemagne à déplacer une abondante main-d'œuvre et quantités de matériaux destinés normalement à servir ses principales ambitions guerrières. La campagne a lourdement frappé les infrastructures industrielles de l'Allemagne et, en détruisant les défenses aériennes, a endommagé les réseaux de transport routiers, ferroviaires et maritimes, ainsi que les ressources pétrolières de l'ennemi. Elle a ainsi ouvert la voie à l'invasion terrestre en Normandie de 1944, alors que les Alliés se sentaient capables de relever cet incroyable défi.

Le sénateur Atkins : Merci d'être venu nous rencontrer et de nous avoir remis votre livre, qui est très intéressant à lire. Dans votre ouvrage, vous citez un passage de Martin Middlebrook, qui dit en substance qu'un pays qui lutte pour sa survie ne peut se permettre d'assujettir à des principes moraux trop rigoureux les moyens qu'il utilise pour se défendre. Il est absurde de condamner les bombardements qui ont eu lieu à l'époque alors que la survie même de la Grande-Bretagne était compromise.

Est-ce que l'exposition reflète cette déclaration?

Lcol Bashow : Je ne le crois pas. À mon avis, elle ne fait pas ressortir qu'une offensive était désespérément nécessaire depuis le début, pour une foule de raisons que j'explique dans le livre, et que les Alliés — au départ, la Grande- Bretagne et les dominions — n'avaient d'autre choix que de procéder à des bombardements. Si on exclut des opérations en Afrique du Nord et, dans une certaine mesure, en Extrême-Orient, l'Armée britannique a formé ses troupes en Grande-Bretagne pendant les trois premières années de la guerre ou presque. Il était impossible de lancer l'offensive autrement.

Pour ce qui est des questions morales, on a délibérément adopté une politique de non-provocation au début de la guerre. On se limitait à mener des activités de reconnaissance, à larguer des dépliants et à attaquer des ports et des cargaisons ennemis. On n'a rien fait de plus pendant la drôle de guerre, jusqu'à l'invasion des Pays-Bas en avril et mai 1940. C'est après la destruction de Rotterdam, en mai, qu'on a décidé pour la première fois d'utiliser la manière forte. Celui qui dirigeait le Bomber Command à l'époque, sir Charles Portal, qui allait être nommé chef d'état-major de la Force aérienne, a demandé et obtenu l'autorisation de bombarder les installations pétrolières à l'est du Rhin. Petit à petit, on s'est par la suite mis à bombarder des zones. Comme les chasseurs allemands eurent tôt fait de décimer les avions qui effectuaient des raids de jour et manœuvraient en vol à vue pour trouver les cibles, il a été décidé d'attaquer la nuit. Si l'obscurité offrait une certaine protection, elle ne permettait pas de naviguer ni de viser avec autant de précision.

Le bombardement des cibles industrielles s'est imposé aux Alliés en raison des circonstances du moment. Jusqu'à ce qu'il soit possible d'user de plus de précision durant la dernière année de la guerre, il n'y avait pas d'autre possibilité. Il faut comprendre que les cibles du Bomber Command ont été des villes industrielles dans seulement 45 p. 100 des cas pendant toute la guerre. Dans le reste des cas, ses cibles étaient navales et autres. On visait toujours des installations industrielles ou des services publics définis dans les zones bombardées, mais il faut dire que le bombardement n'aurait pas eu l'effet souhaité si des cibles précises ne pouvaient pas être repérées. Comme je l'ai déjà dit, le mandat partiel déclaré publiquement était de déloger la population de travailleurs industriels ennemis et d'anéantir sa volonté de faire la guerre.

Le sénateur Atkins : Vous ne contestez pas seulement l'intitulé et le texte, mais aussi la photographie.

Lcol Bashow : Il n'y a pas que le libellé que je conteste mais aussi la juxtaposition d'autres éléments. Si j'en avais le pouvoir, j'enlèverais la citation de John Kenneth Galbraith. Même s'il a été un économiste très respecté et qu'on a attribué une valeur historique à ses déclarations, son point de vue de la situation est très déformé. Il était en profond désaccord avec les autres membres de l'équipe d'enquête et a été ébloui par la capacité de production des Allemands au cours des dernières années de la guerre, parce qu'ils ont pu produire 3 000 chasseurs en novembre 1944, juste avant l'effondrement final. Galbraith n'a pas tenu compte de la destruction de matières premières, par exemple.

Le sénateur Atkins : Savez-vous que le comité d'experts du Musée canadien de la guerre est préoccupé par le révisionnisme parce qu'il est d'avis qu'il est très dangereux de réviser l'histoire?

Lcol Bashow : Pour commencer, si je puis me permettre, je trouve qu'on a fait un peu de révisionnisme historique avec cette exposition. Je ne pense pas que ce soit volontaire, mais on a trop simplifié et on ne raconte qu'une partie de l'histoire. On semble mettre davantage l'accent sur les éléments négatifs de la campagne de bombardement. On perçoit les choses, sur le plan moral, avec nos sensibilités d'aujourd'hui. À aucun moment, on ne fait état des résultats réels de la campagne, pour ce qui est des contributions directes et des dommages infligés. On s'est plutôt intéressé aux villes allemandes anéanties sur des kilomètres et aux milliers de civils tués, alors que beaucoup d'autres photos montrent des usines détruites, comme l'usine Krupp, à Essen, en Allemagne, et d'autres installations ennemies et militaires. L'exposition ne révèle rien de tout cela.

À mon sens, il y a une synergie associée aux diverses expositions de photos, comme celle qui montre des corps sans vie empilés les uns sur les autres dans une ville allemande. Il y a eu aussi beaucoup de victimes à Bath, Bristol, Coventry et Londres, durant le blitz, tout comme à Varsovie, Rotterdam, et cetera. Pourtant, l'exposition ne montre aucune photo de cela, pas plus que des aviateurs abattus en Europe alors qu'ils étaient en mission. Beaucoup de ces photos sont disponibles également. On devrait consacrer une exposition distincte aux victimes civiles, autant du côté des Alliés que de celui des puissances de l'Axe. Et ce serait l'endroit idéal pour présenter les aviateurs, des deux camps, qui sont morts durant cette campagne.

Le sénateur Dallaire : Il y a eu de nombreuses villes bombardées, des deux côtés, au cours de la Seconde Guerre mondiale. Mais il faut savoir que les villes ont été détruites en grande partie parce qu'il y avait des combats dans des zones habitées. Nous avons bombardé de nombreuses régions au moyen de l'artillerie, de bombardiers et de tirs directs, ce qui a causé la mort de beaucoup de civils parce que nous ne pouvions pas les prévenir pour qu'ils fuient. Si, dans le cadre d'une campagne, nous devons détruire des villes et tuer des civils dans le but de protéger nos troupes et de remporter des victoires, devrions-nous analyser les choses différemment lorsque nous nous préparons à bombarder des villes où la population participe à la production d'armement ou à l'organisation logistique de l'ennemi? Est-ce qu'il existe des droits ou des critères différents en matière humanitaire que nous devrions appliquer dans l'un ou l'autre des cas suivants : quand nous sommes engagés dans des combats directs et que nous bombardons massivement, ou quand nous intervenons indirectement, pour nous défendre, en nous attaquant aux sites de production d'armement et à l'organisation logistique de l'ennemi auxquelles nous devrons faire face tôt ou tard?

Lcol Bashow : Non, pas dans le contexte de l'époque, monsieur. En fait, ce n'est pas nouveau. Par exemple, s'attaquer à des villes et les détruire est une tactique très ancienne, tout comme bombarder des ports. C'est un peu la même chose. On doit se mettre dans le contexte de l'époque. Durant la Seconde Guerre mondiale, les frappes chirurgicales ou le repérage d'objectifs n'existaient pas. Maintenant, étant donné que notre technologie est beaucoup plus avancée, nous pouvons lancer un missile Tomahawk par la fenêtre du premier étage d'un immeuble pour atteindre une cible sans rien toucher d'autre. Le public sait que nous cherchons à limiter les dommages collatéraux. Toutefois, il était impossible de le faire à l'époque, et comme je l'ai dit plus tôt, étant donné que dans les pays occidentaux, on avait l'habitude de construire des quartiers résidentiels autour d'infrastructures industrielles, il allait forcément y avoir des dommages collatéraux. Il ne s'agit pas d'une question morale.

Le sénateur Dallaire : Je ne parlais même pas des dommages collatéraux. Je considère que bombarder des usines ou des capacités logistiques — pour empêcher les déplacements, l'acheminement de carburant ou quoi que ce soit d'autre — de l'ennemi fait directement partie de la campagne. Ce sont des cibles. C'est comme viser quelqu'un à 200 mètres et faire exploser la maison dans laquelle il se cache, alors qu'il y a encore des civils à l'intérieur. C'est du pareil au même.

La question des munitions classiques et de précision dans les dommages collatéraux est intéressante. Nous avons récemment vu l'armée israélienne mener des frappes aériennes contre le Liban en mission d'interdiction. Nous avons encore recours à cette méthode aujourd'hui. Nous l'avons également fait durant la campagne de bombardement au Kosovo lorsque nous avons détruit les infrastructures. Des civils ont été tués. Nous employons le terme « collatéraux », mais les civils se trouvaient à l'intérieur des régions ciblées. Aujourd'hui, devrions-nous voir le recours à la force différemment de ce qu'il était durant la Seconde Guerre mondiale?

Lcol Bashow : Étant donné que la capacité de contrôler le recours à la force a maintenant évolué, sur les plans technologique et tactique, on peut envisager d'autres solutions, et comme il est illégal, depuis 1977, de prendre délibérément pour cibles des civils, il est évident que la conduite de la guerre a changé.

Le sénateur Dallaire : Parfait. Merci beaucoup. C'est exactement là où je voulais en venir. Les règles et les lois humanitaires régissant les conflits armés ont changé et les capacités se sont développées de façon à éviter de reproduire les dommages considérables infligés au cours de guerres précédentes.

Lcol Bashow : Oui, monsieur.

Le sénateur Dallaire : Dans votre livre, vous évoquez les questions morales et présentez une autre vision des choses :

Si les bombardements en Allemagne ont eu peu d'effets sur la production avant 1944, c'est non seulement parce qu'elle avait peu de ressources, mais aussi parce qu'on n'a pas mené d'offensive aérienne massive. Lorsque la guerre aérienne contre l'Allemagne s'est généralisée, l'effet a été immédiat.

Vous insinuez donc que la campagne aérienne a été essentielle à la victoire.

Lcol Bashow : Tout à fait. Toutefois, je n'irais pas jusqu'à dire que notre victoire repose uniquement là-dessus. D'une manière ou d'une autre, il allait y avoir de grands combats au sol. Est-ce que cela l'a provoqué? Était-ce une combinaison de facteurs? Absolument. Chose certaine, nous n'aurions pas pu y arriver sans les frappes aériennes.

Le sénateur Dallaire : Quand j'ai lu ceci, j'ai examiné l'interprétation qu'on en avait faite, d'après le panneau, et je me suis demandé si on ne pouvait pas y ajouter quelque chose pour rétablir les faits. Sachez que c'était après les bombardements en Grande-Bretagne :

Après ces attaques, les autorités britanniques ne se sont plus senties obligées de prendre les précautions nécessaires pour minimiser les dommages collatéraux et limiter le nombre de victimes civiles dans les centres industriels allemands. De plus, cette orientation politique jouissait, à l'époque, d'un vaste appui populaire.

Ne devrait-on pas aussi en parler? Il conviendrait de dire que la population britannique a appuyé la campagne aérienne, et pas seulement que ce que nous faisions était perçu comme allant à l'encontre des règles de l'époque.

Lcol Bashow : Absolument. De plus, les sondages d'opinion sont largement disponibles et se trouvent dans le livre.

Je proposerais plutôt de reformuler le panneau d'exposition comme je l'ai indiqué dans le document. Vous trouverez cette proposition sur ma liste des choses à modifier. Je remplacerais le texte par celui-ci :

Si le bien-fondé et la moralité de ce bombardement stratégique ont fait l'objet de vifs débats, cette campagne a néanmoins permis de porter le combat sur le territoire de l'ennemi. Sa seule existence a créé un « deuxième front », qui a drainé beaucoup de ressources allemandes du front oriental. Elle a aussi exigé un détournement majeur de matériel et d'effectifs des engagements et actions de combat prioritaires de l'Allemagne. Elle a porté un coup très dur à l'infrastructure industrielle du pays et, en détruisant ses défenses aériennes, ses réseaux de transport routier, ferroviaire et maritime et ses ressources pétrolières, elle a préparé la voie à une invasion terrestre massive depuis la Normandie en 1944, au moment où les alliés se jugeaient prêts à tenter une entreprise aussi colossale.

Nous n'avons pas besoin d'enlever le nombre de victimes civiles. C'est arrivé, c'est un fait connu. La guerre est ainsi faite, et c'est une guerre totale. Le nombre de victimes civiles devrait apparaître. Pour rétablir l'équilibre, je crois qu'on devrait inscrire les pertes chez les Alliés; par exemple, celles dénombrées durant le Blitz et par la suite. De plus, on devrait indiquer les dates, car cela fait partie intégrante du processus décisionnel pour établir la politique de bombardement de zone et pour l'appliquer. Le choix du moment était déterminant. N'oubliez pas que tous les bombardements qui se sont produits de Rostock à Cologne, ont eu lieu après le Blitz.

Le président : Professeur Bashow, je suis heureux que vous soyez passé aux modifications proposées. Vous nous avez présenté un exposé très convaincant, aujourd'hui. Néanmoins, du fait qu'il y a d'autres témoins, dont des historiens, il persiste manifestement un désaccord sur la question de la valeur et, dans une certaine mesure, de la moralité de la campagne de bombardement stratégique. Nous connaissons les deux points de vue. Il est évident que les équipages qui ont participé à cette campagne et leurs représentants se sentent personnellement visés quand on remet en question la moralité, l'utilité et l'efficacité de cette campagne. Nous examinons la possibilité d'effectuer des modifications. Disons qu'il n'y avait rien de malveillant dans la préparation de ce panneau. Celui-ci a été simplement mal interprété ou pris dans un autre sens que celui visé. Nous voulons y apporter des changements, et vous nous avez fait quelques suggestions.

Dans ce que vous venez de lire, il y a des mots qui ont été ajoutés au texte initial. D'où viennent-ils?

Lcol Bashow : Je crois seulement que nous devons élaborer un peu. Par exemple, le titre du panneau ne devrait pas être « Une controverse qui persiste ». On a déjà parlé de cette controverse dans un panneau précédent. Le premier panneau du côté droit de la salle d'exposition porte sur les bombardements d'efficacité. On y souligne déjà les questions morales. On les fait ressortir de nouveau dans le panneau « Une controverse qui persiste ».

Le président : Vous proposez que l'on remplace « Une controverse qui persiste » par « La campagne alliée de bombardement stratégique ». Pourtant, on voit des affiches de Nazis bombardant Coventry et Londres. Le message ne porte-t-il pas sur les bombardements stratégiques en général, plutôt que sur les bombardements stratégiques alliés effectués en Allemagne?

Lcol Bashow : Lorsque nous arrivons à cette partie précise de l'exposition, nous nous intéressons particulièrement au point de vue des Alliés. Dès que l'on entre dans la salle d'exposition, on peut voir, sur les premiers panneaux, les affiches qui font état des bombardements stratégiques victorieux. On mentionne également les cibles civiles bombardées initialement par les Allemands. C'est l'une des choses qui a précipité la réplique des Alliés. Lorsqu'on arrive à la campagne alliée de bombardement stratégique, je crois qu'on parle de la valeur ajoutée et des coûts encourus qui sont le résultat de cette campagne de bombardement. Ce nouveau titre est une suggestion, une possibilité. Avec « Une controverse qui persiste », on attire l'attention des gens sur les éléments moraux et négatifs, alors qu'ils ont déjà été signalés.

Le président : La question de la valeur et de la moralité des bombardements stratégiques ne concerne certainement pas uniquement les bombardements stratégiques de l'Allemagne par les Alliés, mais plutôt l'ensemble des bombardements stratégiques, des deux côtés.

Lcol Bashow : Je crois que nous pourrions trouver une approche et un compromis raisonnables.

Le président : C'est justement là qu'est la controverse. Est-ce la chose à faire, sur le plan moral? Est-ce utile? Vous défendez votre point de vue, mais d'autres personnes ne sont pas d'accord. Il est sûrement question ici de la notion de bombardements stratégiques au sens le plus large, et pas seulement des bombardements alliés en Allemagne.

Le sénateur Dallaire : Monsieur le président, incluriez-vous aussi Hiroshima?

Le président : Certaines personnes appelleraient cela un bombardement de précision. Une partie du problème, c'est qu'on ne s'entend pas sur les définitions.

Lcol Bashow : Si vous voulez faire valoir votre point de vue.

Le président : Tout à fait. Nous cherchons un compromis. Cette formulation a-t-elle été proposée au Musée canadien de la guerre?

Lcol Bashow : On ne me l'a pas demandée, monsieur.

Le président : Y a-t-il autre chose que vous aimeriez ajouter?

Lcol Bashow : Je crois que la citation de John Kenneth Galbraith a beaucoup dénaturé le dialogue dans le passé, en raison de la réputation de l'homme. Nous devrions la supprimer, ou rétablir l'équilibre en ajoutant d'autres citations. Il y en a une de son collègue Paul Henry Nitze, par exemple. C'est un économiste extrêmement respecté et c'est aussi celui qui a fait entrer Galbraith dans l'équipe. On pourrait mettre des citations de Richard Overy ou de Richard Holmes pour faire contrepoids, si on garde celle de Galbraith. La citation de l'aviateur dissident, exprimant les objections d'ordre moral d'un membre d'équipage, est très bien, mais on pourrait inclure de nombreuses citations des autres aviateurs favorables à la campagne de bombardement. Encore une fois, c'est une question d'équilibre. La citation positive vient du maréchal en chef de l'air, sir Arthur Harris, et je pense qu'elle est automatiquement considérée comme déformée ou suspecte au départ, étant donné la réputation de l'homme. Je préférerais que nous ayons la citation positive d'un aviateur, si vous en mettez une.

J'ai parlé des photos montrant des cadavres d'Allemands entassés les uns sur les autres. Si vous voulez les montrer, c'est bien, mais vous pouvez aussi préparer des panneaux illustrant des bombardements allemands ou des attaques de missiles V-1 et V-2 en 1944 et 1945. J'ai parlé des photos des villes allemandes incendiées, dont des quartiers résidentiels entièrement détruits. Oui, il faut se rappeler des victimes civiles, mais aussi des usines, des infrastructures et des cibles militaires détruites.

De façon générale, je pense aux hommes dans toute cette histoire. On a dépersonnalisé les équipages d'aéronefs dans ce cadre précis, dans cet élément de l'affichage. Si je vais un peu plus loin et que je regarde, par exemple, les opérations de chasse, que je connais bien, et que j'observe les pilotes de chasse, je vois beaucoup de visages souriants, de jeunes hommes dans la fleur de l'âge dont l'image me touche. Je ne retrouve pas cela dans le panneau sur le Bomber Command. Inconsciemment, on dirait qu'on essaie presque de déshumaniser l'équipage du Bomber Command. Ces jeunes hommes n'étaient pas des automates ou des drones allant chaque soir semer la mort et la destruction sur le Troisième Reich. Ils avaient des espoirs et des rêves pour l'avenir, mais rien de cela ne transparaît dans ce qui est présenté. Cet élément, ajouté aux autres, donne une impression négative. J'opterais également pour des photographies différentes, et j'aurais quelques suggestions à ce sujet.

Le sénateur Dallaire : Dans une célèbre bande dessinée de Doonesbury sur le Vietnam, deux pilotes de B-52 volant à 35 000 pieds larguent des bombes Mark 82 sur le Cambodge, tout en discutant des résultats d'une partie de baseball. D'un côté, on faisait ressortir le sentiment antivietnamien alors que de l'autre, on tentait de mettre l'accent sur l'armement réel et l'utilisation de cet arsenal dans une guerre totale. La description que vous en avez faite dans le panneau renvoie immédiatement à cette image, et c'est pourquoi il est très important de comprendre les côtés techniques.

Le président : En votre nom, honorables sénateurs, j'aimerais remercier nos deux témoins d'être venus. Merci de votre aide et de nous avoir fourni un exemplaire de votre livre. Soyez assurés que nous prendrons en considération dans nos délibérations l'information obtenue aujourd'hui.

La séance est levée.


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