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AGEI - Comité spécial

Vieillissement (Spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur le Vieillissement

Fascicule 3 - Témoignages du 28 janvier 2008


OTTAWA, le lundi 28 janvier 2008

Le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement se réunit aujourd'hui, à 12 h 36, pour examiner les incidences du vieillissement de la société canadienne.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues et invités, je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial spécial sur le vieillissement qui, comme vous le savez, examine les incidences du vieillissement de la société canadienne.

Nous accueillons parmi nous aujourd'hui M. David Munroe, de l'Association canadienne des automobilistes; le Dr Briane Scharfstein, de l'Association médicale canadienne; Le Dr Michel Bédard, de l'Université Lakehead; et le Dr Shawn Marshall, du Centre de réadaptation.

David M. Munro, président du conseil d'administration CAA national, Association canadienne des automobilistes : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs. C'est pour moi un plaisir de comparaître aujourd'hui, au nom de l'Association canadienne des automobilistes. Il faut féliciter le comité de son engagement à l'égard des enjeux qui concernent la population vieillissante du Canada, d'autant plus que nous observons une profonde évolution démographique qui aura des conséquences fondamentales pour nous tous.

Depuis ses débuts, en 1913, la CAA se porte à la défense des droits des automobilistes et des voyageurs. Elle continue de collaborer avec le gouvernement fédéral, ses clubs et d'autres protagonistes pour veiller à améliorer la sécurité des conducteurs, des routes et des véhicules. Le thème de l'exposé, « La sécurité et le conducteur âgé, » reflète cette réalité et il est au centre des activités de l'Association liées au transport et à la sécurité des aînés.

Les Canadiens ont la chance d'être parmi les plus mobiles de la planète. Depuis quelques années, cependant, la mobilité des aînés est de plus en plus au centre des débats sur la sécurité routière. Et la CAA le comprend mieux que la plupart des gens. Elle est tout à fait consciente du fait que ses membres avancent en âge, phénomène qui, en partie, reflète les tendances démographiques dans l'ensemble de la société. Étant donné les travaux dont le comité a fait état dans son rapport intitulé Relever le défi du vieillissement, je ne vais pas m'attarder aux données démographiques sur le vieillissement démographique, mais je voudrais tout de même dire un mot sur quelques-unes de nos principales constatations avant de passer aux éléments principaux de mon exposé.

Un sondage en ligne récent de la CAA a révélé que, sur près de 300 répondants, 48,1 p. 100 ont leur permis de conduire depuis plus de 40 ans et que 89,9 p. 100 estiment que les conducteurs devraient être soumis à un test obligatoire de vision lorsqu'ils atteignent un certain âge. De plus, 70,9 p. 100 des répondants sont d'avis que les conducteurs doivent subir un examen médical obligatoire lorsqu'ils arrivent à un certain âge. Ce sondage n'a aucune valeur statistique, mais il situe le débat dans son contexte et, chose curieuse, confirme les données recueillies dans le sondage d'opinion que la CAA effectue tous les ans. En 2004, dernière année où des données ont été réunies au sujet des conducteurs âgés, un sondage réalisé par Earnscliffe a montré que 95 p. 100 des Canadiens estiment que les conducteurs doivent se soumettre à des tests obligatoires de la vue lorsqu'ils atteignent un certain âge et que 88 p. 100 sont d'avis qu'un examen obligatoire sur la route s'impose également à un certain âge. Dans un cas comme dans l'autre, la vaste majorité des répondants sont d'avis qu'il est normal d'imposer un examen à un moment donné, et la CAA a remarqué que ce sont des questions comme l'examen obligatoire de la vue et des compétences des conducteurs qui préoccupent la très vaste majorité.

De plus, lorsqu'il s'agit d'évaluer les capacités du conducteur d'un certain âge, il importe de tenir compte de facteurs comme la capacité physique, l'adresse dans la conduite et l'état des routes.

Dans le dossier de la mobilité des aînés, la CAA met davantage l'accent sur ce large éventail de facteurs que sur l'âge seulement. L'âge n'est pas le seul facteur dont dépend la capacité de conduire en toute sécurité, mais les conditions qui accompagnent ce facteur ont une incidence sur cette capacité. Il importe donc de se rappeler que les compétences ne diminuent pas de la même façon ni au même rythme chez tous, mais que des facteurs liés au vieillissement, comme la diminution de l'acuité visuelle et auditive et la lenteur des réflexes, peuvent poser des problèmes. Voilà pourquoi la CAA préconise une approche globale de la question de la sécurité chez les conducteurs âgés.

Je vais donc parler aujourd'hui surtout de trois points qui sont cruciaux dans ce débat : premièrement, l'équilibre entre les besoins personnels sur le plan de la mobilité et le droit du public à la sécurité routière; deuxièmement, l'établissement d'un large appui pour s'attaquer à la question des conducteurs âgés; et troisièmement, le rôle du gouvernement à l'égard de la mobilité des aînés et de la sécurité routière.

Le premier point correspond au principe fondamental qui soutient l'approche de la CAA dans cet important dossier. La conduite automobile est un privilège et non un droit. Par conséquent, il faut ménager un bon équilibre entre la mobilité de la personne et le droit du public à une sécurité routière raisonnable. Pour ce qui est des compétences, la CAA exhorte les gouvernements provinciaux à appliquer des programmes uniformes de réexamen périodique pour tous les conducteurs. La CAA recommande également que les conducteurs soient tenus de se soumettre à des examens de la vue et médicaux périodiques et à communiquer les résultats aux autorités qui délivrent les permis de conduire.

La CAA est également consciente du fait que la capacité de conduire est un élément central de l'autonomie de nombreux aînés. Elle reconnaît qu'ils doivent pouvoir se déplacer pour diverses raisons — services médicaux, bénévolat, raisons sociales. Elle recommande, pour tenir compte des cas où les aînés peuvent conduire en toute sécurité dans certaines circonstances (par exemple, pendant le jour), que les gouvernements permettent d'accorder des permis assortis de conditions diverses pour les conducteurs dont la limitation des capacités physiques a un effet sur leurs capacités de conduire. Ces personnes pourraient ainsi conduire en ayant un permis prévoyant des restrictions au lieu de perdre complètement leur permis.

Ce qui m'amène au deuxième point : Comment le Canada peut-il susciter un large appui pour s'attaquer à la question des conducteurs âgés? Pour s'attaquer à la question, la CAA a élaboré un plan d'action afin de relever de façon proactive les défis des conducteurs âgés et de leur famille. Depuis 1993, nous avons aidé les conducteurs âgés en leur proposant des outils d'évaluation et de contrôle, un complément de formation et des moyens de transport supplémentaires. Plus expressément, la CAA propose des cours pour les conducteurs d'âge mûr, des ateliers complets pour les conducteurs d'âge mûr et âgés, des moyens d'évaluation, des évaluations en direct et des conseils pour ses membres.

Il importe de reconnaître que, si on veut susciter un large appui pour garantir la mobilité des aînés au Canada, ces mesures ne suffisent pas. Les gouvernements, les professionnels de la santé, les autorités en matière de transport en commun, les services de formation des conducteurs, les fabricants d'automobiles et les membres des familles ont également un rôle à jouer.

La CAA est donc en faveur d'une stratégie qui prévoit des permis assortis de restrictions pour les conducteurs dont les aptitudes physiques sont réduites, des améliorations de la conception des routes pour tenir compte des besoins des conducteurs âgés, des modifications de la conception des véhicules pour répondre aux besoins de ces conducteurs, de l'information et des outils concernant la sécurité des conducteurs et la sécurité routière pour aider les conducteurs âgés et leur famille à évaluer les compétences en matière de conduite.

Le troisième point que je voudrais aborder est le rôle du gouvernement à l'égard de la mobilité des aînés et de la sécurité routière au Canada. La CAA appuie une stratégie qui ne se limite pas aux permis assortis de restrictions pour les conducteurs aux capacités physiques réduites. En effet, le gouvernement devrait également tenir compte d'un contexte plus vaste, et notamment de facteurs comme les améliorations à apporter à la conception des routes pour répondre aux besoins des conducteurs âgés. Certes, la situation du Canada est enviable, car il est doté d'un réseau routier et de systèmes de transport en commun de calibre mondial, mais ils se dégradent à un rythme tel qu'ils présenteront des difficultés non négligeables pour les conducteurs âgés. Les routes congestionnées et mal entretenues ne donnent pas aux conducteurs la confiance voulue pour y circuler en toute sécurité. Cela peut présenter des difficultés de surcroît pour les aînés, qui peuvent avoir du mal à distinguer la signalisation routière et les indications d'irrégularités dans la chaussée, et qui sont intimidés par des routes plus rapides, plus importantes et plus congestionnées que celles où ils ont appris à conduire.

Bien que la responsabilité première à l'égard de nombre de ces initiatives revienne aux provinces, le gouvernement fédéral a également un rôle à jouer. Et cela dépasse sa seule responsabilité à l'égard des routes de ressort fédéral. Le pouvoir central doit également veiller à ce qu'il soit tenu compte des aînés lorsqu'il s'agit d'améliorer la politique routière nationale. Il peut le faire en collaborant avec les provinces pour élaborer une approche coordonnée de la planification des transports, accroître l'accès aux transports en commun et s'assurer que les provinces ont des méthodes uniformes d'examen et d'évaluation pour tous les conducteurs.

La CAA demeure déterminée à collaborer étroitement avec tous les ordres de gouvernement, dont les municipalités, pour modifier les orientations, améliorer l'infrastructure et la conception des réseaux routiers locaux, et améliorer les transports en commun pour que les aînés aient divers choix à leur disposition pour se déplacer.

Une étude réalisée récemment par l'American Automobile Association au Michigan donne un exemple d'initiative que les municipalités peuvent prendre. L'analyse des données sur les collisions a montré que des améliorations peu coûteuses aux intersections ont été plus avantageuses, sur le plan de la sécurité, pour les conducteurs de 65 ans et plus que pour ceux qui ont entre 25 et 64 ans. Parmi les améliorations, notons des améliorations techniques peu coûteuses pour accroître la sécurité comme une signalisation mieux synchronisée, des feux de circulation plus gros et des voies réservées pour les virages à gauche.

Le vaste territoire canadien, qui compte plus de 900 000 kilomètres de routes, continuera de présenter des difficultés du point de vue de la mobilité de tous les automobilistes. La CAA tient à garantir la mobilité des conducteurs le plus longtemps possible, dans le respect de la sécurité. L'âge seul n'est pas un indicateur de la diminution des aptitudes et compétences des conducteurs. Nous devrions nous intéresser à de nombreuses solutions, dont les permis assortis de restrictions, des améliorations de la conception des routes, des modifications dans la conception des véhicules et une sensibilisation à la sécurité routière qui tient compte du vieillissement de la population et des changements nécessaires aux conducteurs plus âgés. Nous continuerons de sensibiliser l'opinion au moyen de programmes d'information pour renseigner les automobilistes et démasquer les mythes au sujet des conducteurs âgés.

Dr Briane Scharfstein, secrétaire général associé, Affaires professionnelles, Association médicale canadienne : Je vais m'adresser à vous aujourd'hui au nom de l'Association médicale canadienne et de ses 67 000 médecins membres de partout au pays. Je tiens à remercier le comité de nous avoir invités à vous faire part de nos vues.

Mes observations porteront sur deux thèmes, repris à partir des questions initiales. Tout d'abord, je décrirai les mécanismes et processus en place pour veiller à la sécurité et à la compétence des médecins dans l'exercice de leur profession, aspects auxquels nous travaillons depuis longtemps. Ensuite, j'aborderai la question des conducteurs âgés, car nous nous intéressons également à ce sujet.

Le maintien de la compétence est lié à un élément que l'AMC préconise depuis des années, soit l'abolition de la retraite obligatoire. Cette question remonte à loin et, plus récemment, il en a été question dans des échanges de correspondance et des efforts de promotion des intérêts en mars 2004, quand nous avons écrit à Pierre Pettigrew et à d'autres intéressés pour leur faire part de nos préoccupations puisqu'il était déjà arrivé que des médecins soient contraints à la retraite obligatoire. Dans la documentation que nous avons fournie, vous trouverez de plus amples renseignements à cet égard. Cette information est un prélude à cette discussion. J'aimerais souligner ce que fait la profession pour assurer la compétence de façon à réduire autant que possible la nécessité d'imposer une limite d'âge ou une exigence obligatoire. À la fin de mon exposé, j'évoquerai aussi certains problèmes encore plus préoccupants liés à la pénurie de médecins.

Le maintien de la compétence des médecins, quelle que soit la raison, constitue une question primordiale pour toute profession autoréglementée, et en particulier pour les médecins. En contrepartie du privilège d'autoréglementer, la profession comporte un certain nombre de moyens pour garantir au public et aux patients la compétence des médecins. Il s'agit essentiellement d'obligations individuelles et collectives à suivre des cours de formation continue; à reconnaître et à signaler le manque de compétence, dans sa propre pratique ou celle de ses pairs; et à prendre part également à des processus d'évaluation par les pairs.

Les responsabilités individuelles à l'égard du maintien de la compétence sont enchâssées, dans une certaine mesure, dans notre code de déontologie. Parmi les nombreuses dispositions prévues dans le code, quatre se rattachent particulièrement à la discussion d'aujourd'hui : le fait de s'attendre que tous les médecins exercent leur profession de manière compétente; qu'ils suivent des cours de formation continue; qu'ils signalent aux autorités compétentes toute conduite contraire à l'éthique professionnelle; et qu'ils prennent part aux évaluations par les pairs. Bref, on s'attend des médecins qu'ils rendent compte du maintien de leur compétence et de leurs collègues, et ce, quel que soit leur âge.

Je tiens également à souligner que nous partons du principe que la maladie et l'adversité peuvent avoir une incidence sur la compétence d'une personne à n'importe quel moment de sa carrière. Par conséquent, cette obligation n'est pas précisément liée à l'âge. Bien que certains programmes prévoient un examen accru en fonction de l'âge, nous reconnaissons qu'il s'agit d'un facteur parmi tant d'autres. Les processus qui assurent la compétence s'appliquent tout au long de la carrière du médecin.

Deuxièmement, il y a aussi une variété de mécanismes qui s'inscrivent dans le cadre de la responsabilité collective de suivre des cours de formation continue et de se soumettre à des évaluations par les pairs. Cela s'applique à un certain nombre de secteurs — à commencer par le processus d'accréditation lui-même. Les médecins de famille reçoivent leur accréditation initialement par l'entremise du Collège des médecins de famille du Canada, et les spécialistes, par l'entremise du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. Dans un cas comme dans l'autre, pour obtenir et conserver son accréditation, des exigences relatives au maintien de la compétence et à la formation continue doivent être respectées. Chaque année, il faut suivre un nombre précis de cours de formation continue et en faire rapport aux autorités de certification.

En plus de l'évaluation collective par l'entremise du processus d'accréditation, un organisme provincial distinct émet un permis. L'accréditation pour conserver votre titre de médecin de famille ou de spécialiste ne suffit pas; il faut aussi présenter chaque année une demande de renouvellement de son permis auprès d'une autorité provinciale chargée de délivrer les permis. Dans la plupart des provinces, il s'agit d'un collège des médecins et chirurgiens.

Les autorités chargées de délivrer les permis, plus particulièrement au cours des cinq à dix dernières années, ont mis en place un processus assez rigoureux pour surveiller et évaluer les médecins et leur compétence. En plus d'un renouvellement annuel du permis qui exige des médecins qu'ils répondent à un certain nombre de questions, la plupart des collèges prévoient aussi un processus d'évaluation par les pairs où les médecins sont choisis au hasard et doivent se soumettre à un examen par leurs pairs. Ces processus englobent habituellement ce qu'on peut appeler une évaluation tous azimuts, où l'on procède à une évaluation exhaustive, y compris interroger des patients, des collègues et compagnons de travail et d'autres professionnels de la santé.

En outre, les médecins qui travaillent en milieu institutionnel — principalement des hôpitaux — doivent suivre un processus plus rigoureux pour maintenir la qualité et la compétence. Un processus et un comité de l'accréditation évaluent régulièrement les médecins, qui doivent présenter une demande de renouvellement de leurs privilèges chaque année. La qualité des soins offerts dans les établissements est également surveillée périodiquement. Plutôt que d'avoir des médecins qui pratiquent et d'autres qui ne pratiquent pas du tout, les privilèges des médecins peuvent souvent varier au fil du temps, en raison d'une baisse de la compétence dans certains domaines — là encore, cette méthode permet d'éviter de fixer une limite d'âge pour cesser de pratiquer.

Pour terminer, l'Association canadienne de protection médicale, en plus de fournir une assurance responsabilité aux médecins, offre un ensemble complet de programmes d'éducation qui sont habituellement axés sur l'établissement des secteurs à risque les plus susceptibles de poser problème aux médecins. Il comprend un ensemble assez vaste de programmes d'éducation pour les médecins dans ces situations.

En prenant en considération l'ensemble des responsabilités professionnelles et éthiques de chaque médecin, qui sont assez près de la profession, les activités collectives du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et les autorités provinciales de certification, je dirais que la profession souscrit à l'idée selon laquelle la compétence doit être examinée et améliorée régulièrement, mais tout au long de la carrière, pas uniquement en fonction de l'âge.

Ces examens et évaluations se sont habituellement appuyés sur des faits et sont le résultat d'années d'expérience — il s'agit d'outils pouvant assurer la compétence. Il y a encore probablement du travail à faire et je pense que vous entendrez l'avis de l'organisme national qui encadre les autorités de certification provinciales. On vous en dira probablement un peu plus long sur le concept de revalidation, où les autorités de certification provinciales sont encore plus actives pour assurer la compétence.

Tout cela pour dire qu'étant donné ces processus, nous ne croyons pas qu'une réglementation arbitraire fondée sur l'âge soit nécessaire. À notre avis, des processus d'examen annuels et des attentes en matière de maintien de la compétence sont préférables. Nous vous avons fourni des documents d'information additionnels à cet égard et je serai ravi de répondre à vos questions à ce sujet.

J'aborderai brièvement le deuxième sujet, soit la question de l'aptitude à conduire. Comme vous le savez probablement, la profession tâche depuis longtemps de déterminer l'aptitude à conduire sur le plan médical. L'AMC a été très active dans ce dossier et nous avons produit un guide à l'intention des médecins pour les aider à faire cette détermination. Nous en sommes maintenant à la septième édition, qui a été publiée l'an dernier et vise à aider les médecins à déterminer l'aptitude d'une personne à conduire.

Dans la plupart des provinces, les médecins sont censés ou doivent faire rapport lorsqu'ils soupçonnent qu'une personne n'est peut-être pas apte à conduire. De façon générale, c'est souvent difficile à faire pour les médecins. Ce n'est pas quelque chose facile à déterminer parce que la question n'est pas uniquement liée à l'âge. Dans la section du guide portant précisément sur l'âge, il est intéressant de noter qu'on commence par dire que le vieillissement en soi ne compromet pas forcément l'aptitude d'une personne à conduire. Ce sont d'autres facteurs, notamment d'ordre médical, qui accompagnent le vieillissement et risquent davantage de survenir avec l'âge, qui influent sur la capacité d'une personne à conduire. Toutes les autres sections traitent de ces facteurs.

Nous savons un peu quelle voie prendre en ce qui concerne le vieillissement, plus particulièrement. D'après les données que nous avons vues au fil des ans, nous savons que les conducteurs âgés en bonne santé conduisent probablement plus prudemment que les autres en raison de leur expérience. Là encore, nous insistons davantage sur l'évaluation des conditions mêmes.

Je suis également au courant de quelques problèmes qui ont été soulevés relativement à l'aide apportée par les médecins pour établir qui est apte ou non à conduire, en raison de leur obligation de faire rapport et des évaluations subséquentes. Nous espérons que notre guide sera utile à cet égard.

Enfin, je dirai quelques mots relativement aux discussions liées au vieillissement et au maintien de la compétence, et ce, en tenant compte des effectifs de médecins. Bien que ce ne soit pas une question précise qu'étudie ce groupe particulier aujourd'hui, je tiens à signaler que nous avons désespérément besoin de médecins au Canada, probablement plus que la majorité des pays de l'OCDE. Nous nous classons environ au 24e rang sur 30 parmi les pays de l'OCDE au chapitre du nombre de médecins par rapport à la population. Un pourcentage élevé de nos membres et de nos médecins en exercice ont plus de 65 ans; 13 p. 100 pour être un peu plus exact. Ces médecins travaillent à plein temps, et je dirais que nous en avons désespérément besoin. C'est probablement une question encore plus importante en période de pénurie, comme c'est le cas actuellement, que lorsque nous en avons trop. Heureusement, grâce aux processus dont nous disposons pour assurer la compétence, nous pensons éviter de compromettre la sécurité publique en encourageant ces médecins à continuer d'exercer leur profession jusqu'à ce qu'ils atteignent 70 ans et même plus. Dans la vaste majorité des cas, nous avons tout lieu de croire qu'ils sont compétents.

L'autre question qui n'est pas expressément à l'étude ici, mais à laquelle nous avons porté un certain intérêt, ce sont les soins aux personnes âgées de façon générale. Si votre comité examine d'autres aspects du vieillissement et de la santé, plus particulièrement des questions telles que l'accès aux services pour les personnes âgées et le financement des soins de longue durée, ce sont là deux secteurs auxquels nous nous sommes intéressés et pour lesquels nous avons fait du travail et des recherches. La documentation que nous vous avons remise contient des informations sur ces deux questions. Nous serons très heureux de revenir pour discuter plus avant de ces sujets.

Pour terminer, je tiens à vous remercier de m'avoir invité à vous faire part de quelques idées. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et de faire la lumière sur certains points qui étaient peut-être moins clairs dans l'exposé.

La présidente : Merci beaucoup et merci d'avoir soulevé ces autres points parce qu'ils préoccupent le comité.

Dr Michel Bédard, chaire de recherche du Canada en vieillissement et santé, Université Lakehead : Honorables sénateurs, le comité a pour mandat « d'examiner les incidences du vieillissement de la société canadienne ». Peu de questions importent autant pour une société vieillissante que le maintien de la mobilité. Bien qu'il existe de nombreuses définitions du terme « mobilité », celle que j'utilise est bien simple : « la mobilité est la capacité d'aller où l'on veut, quand on veut ».

L'accès aux transports est essentiel pour conserver sa mobilité quand on vieillit. Pour la majorité des Canadiens, l'accès aux transports signifie avoir une voiture et, habituellement, en conduire une. L'automobile est un excellent moyen pour jouir de l'indépendance et d'une bonne qualité de vie. Malheureusement, bien des gens, mais pas tous, perdent leur capacité de conduire prudemment en prenant de l'âge. Que ce soit lié à l'âge ou à l'état de santé, ce phénomène ressort de plus en plus dans les statistiques. En raison du nombre croissant de conducteurs âgés et des plus grandes distances qu'ils parcourent, la sécurité routière devient une question importante pour la société canadienne, tant dans l'optique de la prévention des blessures que de la qualité de vie.

À notre avis, nous pouvons changer les choses dans trois grands secteurs. Premièrement, nous devons mieux comprendre les situations qui posent problème aux conducteurs âgés et les facteurs contribuant à ces difficultés et nous devons mettre au point de meilleures approches pour dépister et évaluer les conducteurs potentiellement dangereux. Deuxièmement, nous devons élaborer des stratégies pour accroître la sécurité au volant. Troisièmement, nous devons répondre aux besoins en matière de transport des conducteurs âgés lorsqu'ils cessent de conduire.

Nous ne savons pas encore tout à fait ce qui entraîne une diminution de la conduite sécuritaire chez les personnes âgées. Par exemple, ce peut être attribuable à une réduction de l'attention, des changements liés à l'âge ou à la santé, comme le développement de cataractes. Dans la plupart des cas, les conducteurs âgés trouvent des stratégies pour remédier à l'affaiblissement de leur capacité de conduire, en cessant de conduire la nuit, par exemple.

Toutefois, la performance au volant d'un grand nombre de conducteurs âgés se détériorera au point où ils ne pourront plus remédier à la situation en modifiant leurs habitudes de conduite. C'est pourquoi il est important de dépister et d'évaluer les conducteurs âgés adéquatement. Ce faisant, on assume un rôle crucial en matière de prévention des blessures, mais on peut aussi établir qui pourrait bénéficier d'interventions pour accroître la sécurité au volant, tout en évitant d'utiliser des facteurs liés à l'âge et à l'état de santé pour déterminer qui devrait ou ne devrait pas conduire.

Il importe de souligner que ce sont les conducteurs dangereux qui nous préoccupent et qu'il en existe dans toutes les catégories d'âge, pas seulement chez les conducteurs âgés. Il nous reste cependant à élaborer des méthodes de dépistage adéquates, et les méthodes actuelles sont à la fois coûteuses et longues.

Il importe aussi de souligner que l'approche à privilégier pour prévenir les accidents, c'est d'optimiser la prudence au volant. Cette approche répond aux besoins de mobilité et d'indépendance des personnes âgées et peut être axée sur les conducteurs, les routes et l'automobile. On ne cesse de créer des programmes de formation et d'éducation destinés aux conducteurs âgés, et des faits récents donnent à entendre qu'ils peuvent être efficaces pour améliorer la conduite. Des changements au contexte de conduite, par exemple une meilleure signalisation et des modifications aux caractéristiques des routes semblent aussi favoriser la sécurité routière. De plus, des modifications aux automobiles telles que des systèmes de présignalisation peuvent aussi assurer une plus grande sécurité aux conducteurs âgés. Il reste encore beaucoup à faire pour optimiser la sécurité au volant, mais il s'agit d'une approche constructive et proactive qui souligne le maintien de la qualité de vie des Canadiens âgés.

Malheureusement, et malgré les tentatives pour optimiser la sécurité au volant, un grand nombre de personnes âgées devront cesser de conduire en raison d'une baisse de leurs aptitudes à conduire tandis que d'autres arrêteront peut-être pour d'autres raisons. Pour bon nombre de personnes qui ne conduisent plus, les répercussions peuvent être profondes, y compris une mobilité réduite, une hausse des symptômes de dépression et une réduction de la joie de vivre. Ces répercussions ne se limitent pas aux conducteurs, et peuvent aussi toucher d'autres membres de la famille et les autres conducteurs souvent appelés à assurer le transport.

L'incidence de la perte de la capacité de conduire met en évidence l'inefficacité potentielle des autres moyens de transport pour remplacer l'automobile. Il est important de prendre conscience que les personnes âgées qui ne peuvent plus conduire ne sont souvent pas en mesure de prendre le transport en commun, à supposer que le service soit offert. Bien des personnes âgées vivant en milieu rural peuvent être contraintes à déménager dans des centres urbains, ce qui risque de perturber grandement leur vie.

Pour conclure, le vieillissement peut avoir des conséquences très néfastes pour toute personne qui se déplace en automobile. Néanmoins, un nombre de plus en plus élevé de personnes âgées utilisent l'automobile pour se déplacer, comparativement aux générations précédentes. Ce phénomène devrait s'accélérer dans les années à venir.

La plupart des personnes âgées veulent vivre dans leur collectivité le plus longtemps possible. Nous devons voir à ce qu'elles puissent continuer de se déplacer pour assurer le maintien de leur indépendance et de leur qualité de vie. Le maintien de la conduite prudente le plus longtemps possible fait partie des principales stratégies à cet égard, et c'est celle que les personnes âgées préfèrent. En tant que société, nous devrons songer à d'autres méthodes, y compris l'optimisation de la sécurité au volant et des moyens de transport de rechange pour répondre aux besoins de mobilité des futures générations de personnes âgées. Il faudra faire preuve de flexibilité et d'innovation dans la conception et la mise en œuvre de ces approches pour répondre aux besoins des personnes âgées vivant dans les régions urbaines et rurales.

Dr Shawn Marshall, professeur associé, Centre de réadaptation de l'Hôpital d'Ottawa : Honorable sénateurs, merci beaucoup de m'avoir invité à m'adresser à vous aujourd'hui.

J'aimerais aborder la question des conducteurs âgés et, aux fins de l'exposé d'aujourd'hui, je traiterai de l'évaluation de l'aptitude à conduire des conducteurs âgés sur le plan médical, parlerai des initiatives actuellement en place à leur intention et soulignerai les orientations de recherche à cet égard.

En Amérique du Nord, conduire constitue une activité courante de la vie quotidienne des personnes âgées. C'est important pour tout le monde. La conduite a une incidence sur l'intégration au sein de la communauté et l'accomplissement des tâches essentielles du quotidien, comme aller au supermarché et se rendre à des rendez-vous. La perte du permis de conduire peut clairement avoir des répercussions, et plus particulièrement sur les conducteurs âgés. Elle peut mener à la dépression, à la perte d'estime de soi et à l'obligation pour les personnes vivant en milieu rural de quitter leur logement pour s'installer dans un centre urbain.

Contrairement à ce que pensent généralement la population et les médias, la plupart des personnes âgées sont en bonne santé et sont les conducteurs les plus prudents sur les routes. L'incidence élevée de maladies et d'incapacités connexes explique la baisse de la capacité de conduire pour certains conducteurs âgés, qui sont responsables de la hausse du taux de collisions recensé.

Le problème s'aggravera. D'ici 2030, 25 p. 100 des conducteurs auront 65 ans et plus; d'ici 2025, le nombre de conducteurs de 65 ans et plus aura doublé. À cet âge, la proportion de la population atteinte de démence s'élève à 8 p. 100; à l'âge de 90 ans, 30 p. 100 ou plus de la population montre des signes de démence — là encore, allant de légère à sévère. Toutefois, ce n'est pas parce qu'on a posé un diagnostic de démence chez une personne qu'elle est forcément inapte à conduire. Pis encore — et qui a mené à l'une des principales contraintes pour déterminer les conducteurs âgés pouvant être à risque —, est l'idée que nous pouvons utiliser un modèle axé sur l'état de santé pour repérer ces personnes. La conduite est une tâche fonctionnelle. Par exemple, en Irlande, 27 p. 100 des personnes âgées de plus de 70 ans sont atteintes d'au moins deux maladies chroniques graves. Si on examine le traitement pour ces maladies chroniques, ces personnes doivent souvent prendre au moins trois sortes de médicaments. Il est clair que cette prise de médicaments aura une incidence sur les capacités fonctionnelles globales.

Pour ce qui est des diagnostics médicaux précis, on parle de risques relatifs accrus, c'est-à-dire la probabilité d'une personne d'avoir un accident par rapport à une autre. Toutefois, ce risque varie selon les individus. Les médecins, les professionnels de la santé et le personnel chargé de la délivrance des permis se heurtent à des difficultés pour prendre des décisions concernant ces particuliers. Nous pouvons mener et avons mené des examens systématiques qui montrent que les personnes souffrant de maladies cardiovasculaires, de démence et de troubles de santé tels que l'apnée du sommeil sont beaucoup plus susceptibles de provoquer un accident. Toutefois, sur le plan individuel, il faut tenir compte du traitement reçu de la personne, de son expérience de conduite et des conditions routières. Par ailleurs, de nombreux facteurs médicaux entrent en ligne de compte. Nous savons que les effets cumulatifs de ces troubles de santé peuvent nuire à la capacité fonctionnelle d'une personne à conduire, mais là encore, nous devons prendre en considération les conditions routières et l'expérience de conduite de cette dernière.

Comme d'autres témoins l'ont mentionné aujourd'hui, l'obligation des médecins de faire rapport est propre au Canada. De nos jours, les médecins dans sept provinces sur dix sont tenus de faire rapport, alors qu'aux États-Unis, les médecins de seulement quelques-uns des cinquante États doivent le faire.

Les médecins se retrouvent dans une fâcheuse position. La relation entre le médecin et son patient est souvent compromise. Il y a clairement un conflit. Vous défendez les intérêts du patient, mais pourtant, en vertu de la loi, vous êtes tenu de déclarer le patient comme étant potentiellement inapte à conduire. En outre, les médecins ont signalé à maintes reprises dans le cadre de sondages qu'ils ont des connaissances et une formation limitées pour prendre ces décisions. Il y a aussi un manque d'informations factuelles sur lesquelles ils peuvent s'appuyer pour prendre ces décisions. Même si le guide de l'AMC est une excellente ressource pour éclairer le médecin, la majorité des informations qu'il contient ne sont pas fondées sur des faits qui permettent de déterminer qui devrait conduire ou pas. Là encore, la décision est prise en fonction des capacités fonctionnelles du conducteur. Il existe des ressources autres que le guide de l'AMC partout dans le monde, mais c'est un bon exemple d'une excellente ressource actuellement à la disposition des médecins.

La recherche vise à améliorer la santé, la sécurité et la qualité de vie des conducteurs âgés. Aucun des organismes de recherche que je connais ne désire retirer aux personnes âgées leurs permis de conduire; ils veulent plutôt leur permettre de conduire plus longtemps en toute sécurité. Ils mettent l'accent sur l'évaluation et le contrôle au niveau des soins de santé primaires. Même lorsque l'on sait qu'une personne est atteinte d'une déficience fonctionnelle qui pourrait limiter sa capacité à conduire, il est difficile de déterminer où est le point critique.

En ce qui concerne les évaluations officielles de la capacité à conduire, les examens sur la route varient grandement d'une province ou d'un État à l'autre. En outre, dans les cas de maladies évolutives, il faut vérifier régulièrement la capacité à conduire. Ceux qui réussissent les examens sur la route sont considérés aptes, mais si un conducteur de 16 ans peut s'attendre à être en santé et en forme pendant encore de nombreuses années, ce n'est pas nécessairement le cas des personnes âgées, surtout celles souffrant de maladies évolutives. Pour leur permettre de continuer à conduire en toute sécurité, on envisage des options telles que la formation continue, les permis assortis de conditions et l'utilisation de nouvelles technologies dans les véhicules. Or, celles-ci peuvent nuire aux conducteurs âgés, par exemple si elles les distraient. En effet, certains outils que nous croyons utiles pourraient ne pas les aider, parce qu'ils ne leur sont pas familiers.

J'ai le privilège de travailler avec un groupe de chercheurs dans le cadre du réseau CanDRIVE, financé par les Instituts de recherche en santé du Canada, qui réunit des représentants de nombreuses provinces et dont la recherche vise à permettre aux personnes âgées de continuer à conduire en toute sécurité. Nous voulons mettre les résultats de notre recherche en pratique. Le réseau rassemble des chercheurs, des groupes de personnes âgées, des cliniciens, des ministres des Transports et d'autres représentants du gouvernement ou d'organisations non gouvernementales. Nous croyons fermement en cette façon de faire. Nous avons une vision et un objectif communs : permettre aux gens de conduire le plus longtemps possible, en toute sécurité.

Il convient de mentionner d'autres initiatives importantes. Par exemple, l'Agence de la santé publique du Canada et l'Association canadienne des ergothérapeutes ont récemment financé un Plan d'action national pour la prévention des blessures chez les conducteurs âgés, qui porte sur une stratégie de mise en œuvre et d'évaluation des meilleures méthodes permettant aux aînés de continuer à conduire en toute sécurité. Nous effectuons des examens systématiques et contribuons à accroître les connaissances sur le sujet.

Il faut mettre les résultats de la recherche en pratique, ce qui implique la collaboration de tous les partenaires, soit les intervenants, le gouvernement, les sociétés d'assurances, les médecins et autres professionnels de la santé, pour faire bouger les choses.

La Gerontological Society of America a récemment rendu publiques certaines stratégies et priorités en matière de recherche. Même s'il s'agit d'un groupe américain, un de ses membres, Michel Bédard, ici présent, est canadien. La société en arrive à la même conclusion que nous : la recherche doit mettre l'accent sur le contrôle, l'évaluation et la réadaptation des conducteurs.

Il faut également tenir compte d'autres facteurs, comme la technologie — qui contribue souvent à l'isolement des conducteurs âgés — et les chaussées. Bien que la conception et l'état des routes fassent l'objet de quelques études, il faut reconnaître que le réseau routier n'a pas été construit en fonction des besoins des conducteurs âgés. Il faudrait aussi envisager de modifier les véhicules pour les rendre plus accessibles et manœuvrables pour ce groupe cible.

C'est de cette façon, en réunissant tous les intervenants, que nous pourrons trouver des solutions permettant aux personnes âgées de continuer à conduire en toute sécurité.

La présidente : Merci beaucoup. De nombreux sénateurs veulent poser des questions. Je vais commencer par le sénateur Mercer, que nous sommes d'ailleurs très heureux de revoir en pleine forme.

Le sénateur Mercer : Oui, je vais beaucoup mieux. Comme j'ai été malade et que j'ai dû m'absenter, j'ai eu l'impression, à un moment donné, de devenir un sujet d'étude pour le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement.

J'ai trouvé toutes les observations pertinentes, mais j'aimerais revenir sur celles de M. Munroe. D'autres témoins ont proposé d'imposer des conditions aux conducteurs et de fixer un âge à partir duquel un examen de la vue ou de conduite serait obligatoire. Cependant, tous ont tourné autour du pot, personne n'a voulu donner de chiffre. Alors, que serait l'âge optimal à partir duquel nous devrions commencer à imposer ce genre d'examens?

Je risque de m'attirer des ennuis à la maison parce que ma mère, qui a 88 ans, conduit toujours. Je crois qu'il faut aborder la question, mais personne ne s'est prononcé. J'imagine que nul n'aimerait qu'on lui reproche de vouloir soumettre à des examens tous ceux ayant atteint un certain âge.

M. Munroe : Comme vous vous en doutez, nous nous attendions à ce que vous posiez cette question. Je vous assure que nous ne nous sommes pas consultés, c'est tout simplement que nous sommes tous sur la même longueur d'onde. Peut-être que, comme toujours, le gouvernement n'est pas à l'écoute du public, mais nous croyons que ces examens sont incontournables. À la CAA, nous ne voulons pas nous étendre sur le sujet, mais nous sommes convaincus de la nécessité de mettre en place un processus d'évaluation qui devra relever d'un organisme de réglementation. À notre avis, la décision en matière de compétence appartient aux politiques.

Dans le cas des jeunes conducteurs, la formation, l'évaluation et l'octroi de permis assortis de conditions ne semblent pas poser problème. Conduire est un privilège que le gouvernement, par l'entremise d'organismes de réglementation, accorde aux jeunes qui ont pu prouver leurs aptitudes. Toutefois, quand les gens vieillissent et que ces compétences commencent à défaillir, on semble peu enclin à aborder le problème. On retire les vieilles voitures de la circulation, alors pourquoi pas les conducteurs? Nous convenons tous qu'à partir d'un certain stade, nous ne sommes plus en mesure de conduire. Il faut alors soumettre les conducteurs à une évaluation impartiale, qui ne peut être effectuée que par un organisme de réglementation. Il est tout à fait déraisonnable de faire porter le fardeau de cette décision sur les épaules des médecins de famille. Ceux-ci entretiennent avec leurs patients des relations solides fondées sur la confiance. Les patients considèrent que les médecins trahissent cette confiance lorsqu'ils limitent leur mobilité.

Pour l'instant, la participation est volontaire. Toutefois, d'après notre expérience, seuls ceux qui pensent réussir un examen de la vue s'y présenteront volontairement. Ceux qui sont convaincus d'échouer parce qu'ils ne peuvent lire les panneaux s'abstiendront. Cette évaluation ne peut être faite sur une base volontaire, et le gouvernement doit le comprendre. J'espère que vous pourrez créer un sous-comité ou inviter d'autres témoins afin de déterminer à quel moment il convient d'imposer ces examens, qui doivent être impartiaux et obligatoires. Il faut passer à l'action sans tarder.

Le sénateur Mercer : Vous avez mentionné les permis assortis de conditions que certaines provinces accordent aux jeunes conducteurs. On impose à ces gens des restrictions, mais comment vérifier qu'elles sont respectées?

Dans le cas des jeunes, j'imagine que les policiers peuvent déterminer, simplement en les regardant, s'ils peuvent être visés par ces conditions. Tout dépend de leur expérience au volant; les permis assortis de conditions peuvent être retirés, selon le cas. Les autorités ont beaucoup de difficulté à admettre que c'est pareil pour les conducteurs âgés. Comment les autorités peuvent-elles effectuer des vérifications si on délivre des permis assortis de conditions? Insinuez- vous qu'on laisse l'initiative aux gens qui connaissent les restrictions auxquelles ils sont soumis? Sinon, quelle méthode les autorités devraient-elles adopter?

M. Munro : Je ne sais pas, je ne crois pas que nous ayons une politique à ce sujet, parce que nous ne considérons pas qu'il s'agisse de notre responsabilité. Notre rôle est de prôner l'imposition d'évaluations à certains âges. Il faut agir.

Il ne semble pas si difficile de réglementer les permis assortis de conditions accordés aux jeunes conducteurs. Si ces jeunes s'attirent des ennuis, les policiers se rendent compte qu'ils n'ont pas respecté les conditions auxquelles ils sont assujettis et ils sont pénalisés. Il y a de nombreuses vérifications ponctuelles.

Je laisse au comité le soin d'examiner le problème du respect des exigences et de trouver des solutions. Cependant, les provinces où ce genre de permis existe déjà parviennent à effectuer des vérifications. Le même processus pourrait s'appliquer aux conducteurs âgés.

Les familles devraient participer. Si une mère, un père ou un parent âgé est visé par des restrictions et qu'il ne les respecte pas, son entourage devrait lui en parler. On peut imposer différentes exigences, comme interdire l'accès aux routes de la série 100, par exemple, ou permettre des déplacements uniquement dans un quartier donné. De nombreuses limitations pertinentes pourraient permettre d'assurer la sécurité au volant des personnes âgées atteintes d'une déficience physique mais encore capables de se déplacer.

Le sénateur Mercer : Docteur Scharfstein, j'aimerais parler de ma voisine, qui a perdu son permis parce qu'elle s'est plainte à son médecin de famille d'avoir des pertes de mémoire. Elle est âgée, mais active et en forme. Elle s'occupe aussi de son mari, plus vieux qu'elle. Elle est la seule à conduire dans la famille, puisque sa fille est maintenant atteinte d'une maladie débilitante qui l'en empêche. Est-ce que les médecins tiennent compte des répercussions que la perte de mobilité peut avoir sur toute la famille?

Son médecin de famille l'a renvoyée à un collègue, qui lui a fait passer des examens et qui, évidemment, en a informé le ministère provincial des Transports. Cette dame a été avisée par la poste qu'on lui retirait son permis. Sa famille et celle de sa fille vivent maintenant isolées, puisque personne ne peut conduire, pas même pour se rendre à l'épicerie. Heureusement, elle a de bons voisins qui l'amènent un peu partout.

Dr Scharfstein : Votre question fait réfléchir. Les médecins sont censés, et dans certaines provinces doivent, déclarer tout facteur médical, supposé ou avéré, susceptible — et j'insiste là-dessus — de réduire la capacité d'une personne à conduire de façon sécuritaire. Il est toutefois très important de noter que la décision finale n'incombe pas aux médecins. Ceux-ci fournissent, de façon générale, des renseignements à divers programmes, notamment pour les permis de conduire et des assurances particulières. Leur travail consiste à fournir des renseignements médicaux objectifs. Je ne crois pas qu'ils devraient avoir à se prononcer en prenant en considération la multitude de facteurs qui entrent en ligne de compte, parce que c'est à double tranchant. Comme le Dr Marshall l'a mentionné plus tôt, les médecins hésitent parfois à déclarer un problème parce qu'ils sont conscients de tous les éléments dont vous avez parlé, et qu'ils entretiennent une relation de longue date avec leurs patients. En tant que médecin pratiquant, je crois que ce qui est le plus dur à faire, c'est de discuter avec quelqu'un de sa capacité à conduire; c'est la restriction liée à l'âge la plus difficile à aborder. Nous avons essayé d'inciter les médecins à prendre la responsabilité de déclarer des renseignements médicaux. Il incombe toutefois à d'autres d'étudier ces renseignements et bien d'autres éléments, pour déterminer si une personne est apte à conduire sans risque.

Quant à l'âge limite, il n'y a rien de précis, mais les contrôles deviendraient plus fréquents avec l'âge. Certaines administrations ont déjà adopté cette formule. Il ne s'agit pas uniquement de détecter les troubles de vision, puisque de nombreux autres problèmes de santé pouvant réduire la capacité à conduire sont plus susceptibles d'apparaître en vieillissant. Un bon système de contrôle permettrait d'accroître la fréquence des vérifications avec l'âge. Par exemple, à 20 ou 30 ans, on subirait un premier examen de la vue, puis un autre 10 ou 20 ans plus tard, et ensuite de plus en plus souvent. S'il existait un processus normalisé d'examen ou d'évaluation, on pourrait éviter la discrimination fondée sur l'âge en augmentant la fréquence des contrôles.

Pour l'instant, on ne se fie qu'à des rapports isolés. De plus, de nombreuses personnes atteintes de maladies graves ne sont pas suivies par un médecin. Si elles ne se présentent pas aux contrôles, elles ne seront jamais déclarées.

La présidente : Qui plus est, pour éviter de nous faire accuser, à juste titre, de faire de l'âgisme, ne vaudrait-il pas mieux procéder à des évaluations à tous les âges? Peut-être moins fréquemment pour les gens dans la vingtaine, la trentaine ou la quarantaine, mais tout de même. S'il était courant pour une personne de 29 ans, par exemple, de recevoir un avis du ministère des Transports l'invitant à subir un examen, la question de la discrimination serait contournée, dans une certaine mesure. On renforcerait le sentiment selon lequel conduire est un privilège, pas un droit, et qu'il faut être évalué non seulement pour obtenir son permis, mais aussi tout au long de sa vie. Je connais d'ailleurs de nombreux piètres conducteurs dans la trentaine.

Dr Scharfstein : Ce serait parfaitement acceptable. Un point nous préoccupe en général, mais plus particulièrement dans ce dossier : les médecins sont appelés à prendre des décisions sur la base de renseignements limités, soit les seules données médicales. Ils s'en passeraient bien. Ils assument leurs responsabilités dans la société en raison de leurs connaissances médicales exclusives, mais il vaudrait mieux mettre en place un processus établissant des critères clairs pour déterminer la capacité à conduire.

J'entends souvent des patients dire que leur médecin leur a retiré leur permis de conduire, ou qu'il leur permet de continuer à prendre le volant. C'est faux dans les deux cas, mais c'est ce que les gens pensent. Il faudrait donc un système pour juger périodiquement de la capacité à conduire.

Dr Marshall : À mesure que nous vieillissons, notre santé peut décliner. Il faut comprendre que l'objectif visé ne sera pas nécessairement atteint en fixant un âge limite. Par exemple, le problème le plus courant chez les conductrices âgées, c'est qu'elles cessent de conduire alors qu'elles en sont encore capables : c'est une question de confiance. Je me fonde sur une étude scandinave sur l'âge limite où l'un des pays imposait des examens à partir d'un certain âge, et l'autre non. Dans le premier, de nombreuses personnes âgées n'ont pas renouvelé leur permis de conduire parce qu'elles avaient l'impression qu'elles échoueraient à l'examen. Toutefois, ce pays avait un taux de mortalité plus élevé chez les piétons âgés. Par conséquent, les examens obligatoires pourraient ne pas donner le résultat escompté; tout est une question de capacités fonctionnelles.

Il semble simple d'effectuer des contrôles. Cependant, on évalue des gens qui peuvent ou non être aptes à conduire, et on doit alors déployer des efforts pour le déterminer. Si on établit une analogie avec le cancer, il faut un bon processus de détection, mais aussi les moyens nécessaires pour faire des examens approfondis, ce qui peut être difficile. C'est bien beau de parler d'évaluations en fonction de l'âge, mais la meilleure méthode consisterait peut-être à effectuer des contrôles de la capacité fonctionnelle.

Le sénateur Cordy : J'ai mon permis de conduire depuis 40 ans et je n'ai jamais eu à repasser d'examen, et je ne suis probablement pas la seule. Comment vous y prendriez-vous? C'est peut-être une bonne idée que de procéder à des évaluations tous les 10 ans, puis tous les 5 ans après un certain âge. Êtes-vous d'accord? Est-ce faisable de faire passer des examens tous les 10 ans?

Dr Marshall : Normalement, en vieillissant, on devient plus prudent et on acquiert de l'expérience. Nous pouvons affirmer en toute confiance que beaucoup des conducteurs les plus prudents sur les routes sont âgés. On ne s'attend pas nécessairement à ce que les capacités fonctionnelles d'une personne déclinent, sauf en cas de problème de santé. Toutefois, un diagnostic n'est pas suffisant pour déterminer la capacité d'une personne à fonctionner.

Le diabète peut altérer les compétences fonctionnelles, mais le diagnostic en soi n'est pas très révélateur. Certaines personnes prennent des médicaments par voie orale ou suivent une diète pour lutter contre le diabète, ce qui ne réduit en rien leurs capacités. Toutefois, les gens qui s'injectent de l'insuline risquent l'hypoglycémie. Chez d'autres, qui souffrent de cette maladie depuis des années, le diabète a pu dégrader leur vision, ce qui les rend moins aptes à conduire, mais cela varie d'une personne à l'autre.

Inutile de soumettre les conducteurs à des examens tous les 10 ans. Il faut voir la situation dans son ensemble. Des statistiques montrent que les conducteurs ont tendance à devenir plus prudents en vieillissant, à moins d'un imprévu. On a donné aux médecins et autres professionnels de la santé la responsabilité de juger de la capacité des conducteurs. Nous convenons tous que c'est une tâche difficile qui devrait peut-être être assumée par d'autres.

Le sénateur Cordy : Vous avez tous dit que les médecins se retrouvent dans une situation difficile. M. Scharfstein a affirmé que ce ne sont pas eux qui retirent aux conducteurs leur permis, mais je sais que certaines familles décident d'aller chez le docteur pour essayer de faire annuler le permis d'un parent. C'est la réalité.

L'un de nos témoins a déclaré que les gens vont voir leur médecin pour qu'il les aide et les défende. Soudainement, il devient mauvais parce qu'il leur retire leur permis. Le docteur se trouve en effet dans une position délicate. Le public a l'impression que ce sont les médecins qui décident.

Il est possible que des personnes à qui on prescrit des médicaments causant la somnolence refusent de suivre leur ordonnance, sachant qu'elles ne pourront pas conduire. Si mon médecin me disait que je ne pouvais pas utiliser ma voiture, mon seul moyen de transport, pendant mon traitement, je ne prendrais peut-être pas mes médicaments. Comment éviter ce problème?

Dr Scharfstein : J'ai examiné nombre de ces questions avec la Saskatchewan Government Insurance, il y a cinq à sept ans. Nous étions partis du constat que nous n'arrivions pas à détecter les chauffeurs dangereux, du point de vue médical, parce qu'une grande partie des renseignements déclarés ne se traduisait pas par la mise en œuvre de pratiques plus sécuritaires et n'était pas basée sur des preuves. Nous avons pu établir quelques mesures concrètes. Un projet pilote, qui a été abandonné, proposait l'embauche de médecins spécialisés dans les examens médicaux pour les permis de conduire. C'est déjà le cas dans l'industrie de l'aviation : un nombre restreint d'experts sont autorisés à évaluer la capacité d'un pilote à voler.

Par exemple, nous savons que des patients ne consultent pas leur médecin parce qu'ils craignent de ne plus pouvoir conduire. Certains médecins se retrouvent dans la position peu enviable de ne pas en savoir assez sur la situation d'une personne pour pouvoir lui éviter ce sort. C'est pourquoi nous pensions que des médecins spécialement formés pourraient s'occuper des examens médicaux des conducteurs et des contrôles.

Malheureusement, les médecins qui faisaient ces examens ont constaté que les patients n'étaient pas honnêtes. La loi relative à la protection des renseignements personnels en matière d'assurance ne permettait pas au médecin de s'enquérir auprès du médecin de famille de la raison pour laquelle il avait référé Mme Untel, par exemple parce qu'elle faisait quatre crises d'épilepsie par jour. Il voyait Mme Untel et énumérait une liste de troubles médicaux qu'elle niait avoir, de sorte qu'il la déclarait apte à conduire.

Cela semblait une façon logique de déplacer le fardeau du médecin de famille vers un médecin ayant cette compétence particulière. Il s'agit ensuite de déterminer, en fonction d'une preuve solide, la fréquence de ces évaluations.

On a aussi mis en place une série de questions auxquelles le conducteur devait répondre et qui permettaient d'évaluer la majorité des préoccupations quand le conducteur présentait sa demande annuelle de renouvellement du permis. Si le conducteur ne répondait pas honnêtement, il s'exposait à des conséquences sur le plan de son assurance. Il s'agissait d'une initiative simple et facile à appliquer. Au renouvellement annuel du permis, il suffisait de répondre à quelques questions simples concernant la santé. La grande majorité des conducteurs, même en vieillissant, sont en très bonne santé et n'auraient pas besoin d'être évalués. Cette méthode vous permettrait peut-être de dépister ceux qu'il faut évaluer.

Le sénateur Cordy : La pénurie de médecins n'aide pas.

Dr Scharfstein : Elle exacerbe le problème. L'autre élément à retenir est le coût, raison pour laquelle il faut, selon moi, disposer d'une preuve solide. Le mouvement en faveur d'une simplification des renseignements à fournir s'explique du fait que les évaluateurs du groupe d'assurance automobile étaient inondés de renseignements qu'ils ne trouvaient pas très utiles. Avant d'engager des médecins et d'autres professionnels pour faire l'évaluation, il faut être sûr que le besoin est réel parce qu'une pareille démarche entraîne également des coûts importants.

Le sénateur Cordy : Monsieur Munroe, vous avez parlé de mesures que pourrait prendre le gouvernement, entre autres améliorer le transport en commun. Si l'on se fie au nombre de personnes âgées qui vivent en région rurale et dont les enfants sont partis habiter en ville, de sorte qu'elles n'ont pas forcément de voisin qui peut les transporter, que devrait faire le gouvernement fédéral sur le plan du transport en commun?

M. Munroe : Le sénateur pose une excellente question. Nous en avons parlé sous d'autres formes, et le gouvernement fédéral y voit également en versant des subventions aux municipalités dans le cadre de son programme d'infrastructures. Un bon service de transport en commun exige au départ une certaine densité de population. Il est difficilement justifiable de faire faire quinze milles de chemin de terre à un autobus pour transporter une seule personne âgée.

La question du transport concerne les villes, et c'est avec plaisir que je remarque que le gouvernement a commencé à s'en occuper. Si vous souhaitez en discuter, nous avons des experts dans la salle qui pourraient peut-être vous en parler.

Christopher White, vice-président, Affaires publiques, Association canadienne des automobilistes : L'Association canadienne des automobilistes prône depuis longtemps un plan en matière de routes nationales. Quand il est question de transport en région rurale, il est clair qu'un pareil plan ne réglerait rien et que l'infrastructure que le gouvernement fédéral a subventionnée auprès des provinces et des municipalités n'y changerait rien. La CAA est depuis longtemps convaincue de la nécessité de favoriser une plus grande collaboration entre les provinces et les municipalités à cet égard et elle y travaille.

Ce que nous avons constamment entendu dire, c'est que les municipalités critiquent plutôt vivement le gouvernement fédéral pour s'être délesté de cette responsabilité. Par conséquent, une des pistes que l'on pourrait explorer, c'est de voir si le comité des transports ne pourrait pas travailler plus étroitement avec les provinces et les municipalités. On pourrait faire quelque chose se rapprochant de ce qui se faisait à Ottawa, quand j'étais jeune, soit qu'un autobus d'OC Transpo fasse le tour des localités environnantes pour aller prendre les gens chez eux. Souvent, dans les petites localités proches de la ville, les gens savent où habitent les aînés et lesquels n'ont pas de transport. Ce serait peut-être une occasion pour la municipalité d'investir en ce sens.

De toute évidence, c'est une question très épineuse. Je ne crois pas qu'elle soit forcément de la compétence exclusive du gouvernement fédéral. Elle relève plutôt de tous les ordres de gouvernement. Cependant, là où le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle utile auprès des provinces et des municipalités, ce serait dans les fonds d'investissement.

[Français]

Le sénateur Chaput : Mes questions seront d'ordre général et s'adressent à tous les témoins.

Je me penche sur ce point sous deux optiques. Tout d'abord, lorsqu'on retire le permis de conduire à une personne, c'est toujours à cause d'un excès qui pose un risque. Il peut s'agir d'un crime, d'un comportement dangereux ou d'une maladie. Sauf dans les cas de maladie, le retrait du permis est perçu comme une punition. On retire le permis suite à un événement.

Lorsqu'on se pose la question de savoir à partir de quel âge on doit considérer retirer le permis de conduire d'une personne, le geste est perçu comme une punition, ce qui est injuste à l'égard de la personne âgée. D'après moi, cela engendre un manque de respect.

L'un d'entre vous a dit tout à l'heure que conduire était un privilège. Je dois vous avouer que je n'y avais jamais pensé sous cet angle. Ce n'est pas un droit, mais un privilège.

Peut-être faudrait-il commencer immédiatement à sensibiliser tout le monde à l'effet que conduire est un privilège. C'est pourquoi on doit passer un examen et c'est pourquoi on doit obtenir tout d'abord un premier permis. Il s'agit d'un changement d'attitude. Nous avons tous des parents. Et je puis vous assurer que dans leur esprit, il ne s'agit pas d'un privilège mais d'un droit. Il faudrait donc changer cette optique.

Fait intéressant, on émet également des permis de conduire avec restrictions. Plusieurs personnes âgées font une déclaration volontaire en ce sens. Elles conduiront moins loin, ne sortiront pas par mauvais temps — je parle du milieu rural, car je viens de ce milieu. Certaines personnes ne peuvent conduire le soir car la visibilité est réduite.

Plusieurs personnes âgées adoptent déjà ce comportement. Peut-être faudrait-il voir à les récompenser. Il faudrait trouver un incitatif. Cette récompense pourrait prendre la forme d'une réduction du coût des primes d'assurance, une réduction des cotisations pour le renouvellement du permis, ou encore une réduction des frais d'adhésion au CAA.

Que pensez-vous de cette idée d'en arriver plutôt à un incitatif pour les permis avec restrictions plutôt que le côté punitif, tel que c'est perçu en ce moment?

Dr Bédard : J'aimerais tout d'abord souligner que vous avez entièrement raison, L'âge ne devrait, en aucun cas, être utilisé pour retirer le permis.

À ce point de vue, il est important d'avoir des processus d'évaluation adéquats des conducteurs afin que ceux-ci aient confiance en notre capacité à évaluer leurs aptitudes de façon juste.

L'âge est un marqueur en ce qui a trait aux changements qui se produisent. Il n'est toutefois pas un indicateur qu'une personne ne pourra plus conduire de façon sécuritaire. Ce fait important est accepté.

En ce qui a trait aux restrictions volontaires, comme vous le souligniez, la plupart des gens s'imposent, de leur plein gré, des restrictions volontaires. Ils s'aperçoivent qu'ils ont peut-être des difficultés ou qu'ils sont moins confortables dans certaines situations. Comme M. Marshall l'a dit plus tôt, certaines données démontrent que le fait de posséder un permis avec des restrictions est peut-être plus sécuritaire. Mais il y a des cas plus problématiques comme les cas de démence. Et parfois, les personnes âgées ne se rendent pas compte qu'elles ont des difficultés et elles conduisent alors qu'elles ne le devraient pas.

Pour ce qui est des incitatifs, c'est plus problématique. J'ai déjà discuté avec des compagnies d'assurances de la possibilité d'offrir des rabais permettant aux personnes âgées de prendre de nouveaux cours de conduite. C'est un peu difficile parce qu'en fin de compte, comme la plupart de personnes âgées conduisent de façon sécuritaire, les primes ne sont pas très élevées. Il n'y a pas beaucoup d'autres possibilités. Il est important de ne pas être punitif. C'est pour cela que je parle beaucoup d'optimiser et d'améliorer la conduite sécuritaire. La plupart d'entre nous ne conduisent pas aussi bien qu'ils le devraient. Il faudrait conduire de façon plus sécuritaire, peut-être rafraîchir nos connaissances de la conduite automobile à tous les cinq ans. On parle d'évaluation périodique, mais on ne parle pas des nouveaux cours donnés de façon périodique. Il faut avoir une approche globale.

Le sénateur Chaput : Vos recherches démontrent-elles qu'il y a un pourcentage d'accidents plus élevé causés par des conducteurs plus âgés?

Dr Bédard : Les recherches démontrent que lorsqu'on fait une moyenne des distances parcourues par les gens, les personnes plus âgées sont un peu plus à risque d'avoir un accident que celles d'âge moyen. Mais si on regarde en données absolues, les gens âgés ont moins d'accidents parce qu'ils conduisent moins. Et puisqu'ils sont moins à risque, les primes d'assurance sont beaucoup moins élevées.

[Traduction]

Le sénateur Chaput : Quelqu'un a-t-il d'autres observations à faire?

Dr Marshall : C'est là un excellent point. Il concerne en fait notre perception de la conduite automobile. Je conviens que c'est perçu comme une punition, une perte presque, non seulement sur le plan de la santé, mais aussi sur le plan de la conduite. L'idée de cesser de conduire ne fait pas partie des nombreuses choses auxquelles on se prépare dans la vie. Quand on perd son permis de conduire, non seulement n'a-t-on plus de moyen de déplacement, mais on perd aussi son lieu de résidence si l'on habite à la campagne, son indépendance, son cercle social et ainsi de suite. Ce sont là toutes des pertes.

Il faut anticiper ces pertes, et c'est pourquoi il faut s'attaquer au problème sous divers angles à la fois. Par exemple, bien des personnes cessent de conduire, même sans déclaration obligatoire ou interdiction du médecin à cause d'un problème de santé. Une grande partie de la population vit en moyenne jusqu'à une décennie après avoir cessé de conduire, que ce soit dans un centre d'hébergement, un établissement de soins prolongés, voire chez eux. Ce n'est pas comme si c'était imprévisible, mais il faut inverser la tendance.

Autre fait important, certains ne consultent pas leur médecin pour des problèmes de santé réversibles parce qu'ils craignent de perdre ainsi leur permis. Il faut modifier leur façon de penser, leur faire voir que le verre est à moitié plein, plutôt qu'à moitié vide. Il faut qu'ils en viennent à voir cela comme un événement favorable, soit de trouver un moyen de les laisser conduire plutôt que de brandir la menace d'une perte du permis. Malheureusement, on pense souvent, dans notre culture, qu'on privilégie le retrait du permis. On croit qu'on cherche à nous le reprendre, alors que c'est tout le contraire. Nous souhaitons que tous les conducteurs âgés puissent continuer de prendre le volant. Même les compagnies d'assurances, je crois, reconnaîtront que leurs meilleurs assurés sont parfois les conducteurs âgés. C'est tout simplement une question d'attitude ou d'impression dominante — on croit qu'on vise à enlever le permis —, de sorte que les personnes deviennent, naturellement, timides et craintives. Nous souhaitons tous être des conducteurs prudents. Nous ne souhaitons pas être la cause de blessures. Vous avez soulevé là une excellente question, soit la perception qui existe, et il faut y trouver une solution.

Le sénateur Stratton : La discussion m'a intéressé, puisque j'arrive moi-même à cet âge vénérable et que je constate les ravages physiques du temps. Il est étonnant de voir ce qu'on fait dans sa jeunesse dont on ne paie le prix que plus tard. Il ne faut pas grand-chose.

La présidente : Allez-vous nous raconter des histoires?

Le sénateur Stratton : Pas si je peux l'éviter.

Le sénateur Mercer : Il se peut qu'on demande de fermer les caméras.

Le sénateur Stratton : Justement. J'ai une anecdote intéressante à vous raconter, en à-côté. On a demandé à la célèbre actrice Bette Davis, alors qu'elle prenait de l'âge, comment c'était de vieillir. Elle a fixé l'intervieweur du regard et lui a répondu : « Vieillir, ce n'est pas pour les poules mouillées ». C'est vrai.

À mon avis, et je suis d'accord avec ce qu'ont dit certains témoins, il faut encourager l'autonomie le plus longtemps possible. Il s'agit là, pour moi, d'un principe de base.

La question du maintien de l'autonomie le plus longtemps possible, quel que soit l'endroit où vous habitez, est le principe à la base de tout ce que vous faites. À l'examen de ce principe, on peut se demander à quel point le problème est grave. Est-il si grave qu'il faut soumettre les personnes d'un certain âge à des examens obligatoires? J'ai bien aimé ce qu'a dit le Dr Marshall au sujet des deux pays scandinaves, soit qu'un avait en place des examens obligatoires et l'autre, pas. On ne voit pas de raison justifiant l'imposition d'examens obligatoires à un certain âge. Je connais un sénateur nonagénaire à la retraite qui est tout à fait autonome et conduit très bien. Quand je le vois, j'espère pouvoir faire de même moi aussi à son âge.

Si l'on souscrit à ce deuxième principe, il faut chercher à savoir qui, en bout de ligne, est responsable. Il faut qu'une grande partie du fardeau incombe à l'individu. J'aime bien l'idée de la Saskatchewan où les conducteurs remplissent chaque année un formulaire accompagnant leur demande de renouvellement de permis dans laquelle ils doivent déclarer tout trouble médical. C'est une bonne idée.

La famille et les amis sont essentiels à ce qui se passe. Si quelqu'un vit isolé à la campagne, on pourrait croire qu'il sera entouré de famille et d'amis, la plupart du temps. Toutefois, quand nous avons examiné la question des chèques de pension émis par le Canada et de ceux qui les touchent, nous avons constaté que les hommes plus particulièrement, ce qui était étonnant, ne font pas de demande. Il faut les trouver. Peut-être est-ce parce que la responsabilité n'incombe que partiellement à la municipalité, en ce sens que, s'il y a un problème, il faut trouver quelqu'un. Selon moi, on ne peut pas imposer le fardeau d'agir à la municipalité.

Le troisième principe qu'il faut respecter, c'est que le maintien de l'autonomie le plus longtemps possible engage la participation du médecin. Si quelqu'un se présente pour un examen médical et que le médecin trouve quelque chose, j'ignore comment le médecin se déleste de cette responsabilité. Je ne vois pas comment vous pouvez dire que le médecin n'est pas obligé d'y donner suite. Par exemple, lors de la rencontre pour mon examen de la vue, mon ophtalmologiste pourrait dire qu'en deçà d'un certain niveau d'acuité visuelle, je ne peux pas conduire. Si l'on se fie aux conditions qui dominent dans les différentes provinces selon la CAA, la plupart ont trait à la vue.

Étant donné les points que je viens d'énumérer, ce qui me déplairait, ce serait que le gouvernement s'engage trop dans ce processus, simplement du fait qu'on ne peut tout contrôler. Je m'inquiète un peu quand j'entends dire qu'il faudrait que le gouvernement le fasse alors que, dans les faits, c'est à la famille, aux amis et à la personne concernée de le faire. La responsabilité du bureau d'examen serait de poser des questions auxquelles il faut répondre dans la demande annuelle de renouvellement du permis. Je ne comprends pas comment des médecins peuvent ne pas s'acquitter de leurs obligations. J'aimerais avoir votre opinion à cet égard, docteure.

Dr Scharfstein : Je ne crois pas que les médecins cherchent à esquiver leurs responsabilités ou à s'en délester. Ils partent d'un principe fondamental, soit qu'il faut frapper un équilibre entre les droits du patient et les obligations à l'égard de la société, tout en respectant la nature confidentielle de la relation avec le patient. Chaque fois, le médecin doit peser ces préoccupations, l'hypothèse de départ étant qu'il est tenu de déclarer tout trouble médical qui compromet gravement la sécurité de la société ou d'autres personnes, y compris sur le plan de la conduite.

Un meilleur exemple est l'enfant maltraité. Le médecin est tenu de signaler tout cas suspect, au risque de compromettre gravement sa relation avec le patient.

Je ne crois pas que les médecins cherchent à se débarrasser de cette responsabilité. Je crois qu'ils en comprennent la nature. Ce qu'ils ne veulent tout simplement pas, c'est d'être obligés de trancher. Ils préféreraient uniquement signaler les troubles médicaux et laisser les instances de réglementation décider de l'aptitude à conduire. On a l'impression que, en un certain sens, ce sont les médecins qui décident de qui peut conduire. Cela ne devrait pas être. Par exemple, la majorité des conducteurs dangereux sur la route ne le sont pas parce qu'ils sont vieux ou malades, mais bien parce qu'ils ne sont pas prudents. Si l'on se fie à la statistique, ce sont les jeunes et les nouveaux conducteurs qui ont les taux les plus élevés d'accident.

Quant à ce que vous avez dit au sujet de ce qu'il faudrait faire, je souscrirais au point que vous avez fait valoir. Il faudrait attendre d'avoir beaucoup d'éléments de preuve concernant la sécurité relative ou le manque de sécurité relatif des conducteurs âgés avant de mettre en place des mesures musclées ou difficiles à appliquer. Je ne suis pas convaincu qu'une telle preuve existe. Ce serait peut-être une condition préalable.

M. Munroe : Le sénateur a décrit avec concision les problèmes posés par le régime volontaire actuel, qui n'est pas très efficace.

On a bien établi que le grand public est prêt à aller de l'avant avec cette mesure. J'ai mentionné dans ma déclaration qu'Earnscliffe a fait une étude pour nous en 2004. Environ 95 p. 100 des Canadiens qui ont répondu au questionnaire ont dit qu'ils étaient disposés à imposer des examens obligatoires à un moment donné. La question est de savoir à quel moment au juste.

Je peux vous fournir une certaine preuve anecdotique. Souvent, nous renonçons à assumer nos responsabilités. Il faut que nous reconnaissions tous que le problème nous appartient. Des comités comme le vôtre, le gouvernement, les instances de réglementation et la CAA tentent de faire leur part. Nous ne souscrivons pas forcément au régime de déclaration volontaire. Il existe certainement des moyens de le renforcer, comme l'ont précisé mes érudits collègues. C'est peut-être la façon la plus facile, la plus fine, sur le plan politique, de régler le problème, parce qu'ensuite, on n'est plus responsable. Toutefois, l'imposition d'examens obligatoires à un moment donné réglera assurément le problème.

Pour renchérir sur ce qu'a dit le Dr Marshall, à 12 ans, je me rappelle m'être présenté sur le terrain de balle, à Cap- Breton, où j'ai grandi, et m'être fait dire que je ne pouvais plus jouer dans la petite ligue parce que j'étais trop vieux. J'en avais le coeur brisé, mais pour la toute première fois de ma vie, j'ai été confronté à des limites. Nous grandissons dans le cadre de ces limites, et le Dr Marshall a fait valoir un point très important, soit que nous n'imposons pas de limite à la conduite automobile. Nous semblons croire, comme l'a dit le sénateur Chaput, que conduire est un droit. Manifestement, ce n'est pas le cas. La CAA et moi-même sommes convaincus que des troubles qui se manifestent durant le vieillissement indiquent la présence d'un problème. Il est certes de la responsabilité de la profession médicale de les signaler, mais l'idée d'appliquer ces règles crée un malaise, et il nous répugne de nous insérer dans les relations entre un patient et son médecin. Nous estimons qu'il est mal pour la société de le faire. La façon de régler tous ces problèmes, c'est d'imposer des examens obligatoires.

J'ai suivi récemment une affaire dans laquelle nous avons abdiqué nos responsabilités. C'est un incident malheureux qui est survenu à Halifax — vous en avez peut-être entendu parler. Un vieux monsieur circulait sur la rue Robie, une rue à chaussées séparées où la vitesse maximale est de 50 kilomètres/heure. À la hauteur d'un passage pour piétons avec feux clignotants — une intersection bien connue qui mène au parc Halifax Commons, toutes les voitures se sont immobilisées. Un jeune s'est élancé en courant dans le passage pour piétons. Le vieux monsieur l'a frappé mortellement, puis a continué de rouler et s'est garé le long du trottoir. À l'arrivée des policiers, le monsieur était assis dans sa voiture. Quand il en est finalement sorti, à la demande des policiers, il avait besoin de sa marchette. C'est là le premier problème. Bien sûr, l'affaire s'est retrouvée devant les tribunaux. Le deuxième problème était de déterminer qui était en faute, qui était à blâmer, quel tribunal saisir de l'affaire et ainsi de suite. Toutefois, six mois plus tard, on a rendu au monsieur son permis et, que je sache, il conduit encore. Il y a quelque chose d'intuitivement pervers dans un système qui permet à ce genre de situation de persister. Manifestement, le monsieur avait des problèmes auxquels il aurait fallu voir. Non, nous avons simplement décidé qu'il n'y aurait pas d'examen obligatoire, qu'il est nécessaire de savoir et que nous n'en avons pas le droit. Peut-être un médecin n'a-t-il pas été consulté, ce qui est également scandaleux.

À notre avis, tôt ou tard, il faudra imposer les examens obligatoires. Il s'agit de déterminer à quel moment le faire. La CAA aimerait participer au débat, si vous décidiez de former un sous-comité ou un autre organe pour essayer d'en fixer les modalités. Nous aimerions travailler de concert avec nos collègues médecins. Le Dr Marshall a fait valoir des points fort utiles, tout comme les Drs Bédard et Scharfstein. Comment donc me suis-je retrouvé en compagnie de tous ces médecins? J'en suis ravi, et il est fantastique de pouvoir connaître leur position et leur exposer la nôtre.

La présidente : Merci. Notre temps est écoulé, mais je dois aborder un autre sujet — vous en avez parlé, docteur Scharfstein. Cela n'a rien à voir avec la conduite. Je veux plutôt parler de toute la question des membres de professions qui évaluent leurs pairs afin de déterminer s'ils ont toujours les compétences voulues pour continuer leur travail. Je suis enseignante.

Mon expérience en tant qu'enseignante m'a montré que nous n'avons pas très bien réussi à éliminer les personnes qui ne sont pas compétentes dans leur travail. Il est bien de prévoir des mécanismes de protection dans un code d'éthique, mais, soyons réalistes, avec le vieillissement des médecins, ne faudrait-il pas mettre en place des restrictions plus sévères? Si le Dr Keon était ici, il serait le premier à raconter que lorsqu'il a jugé qu'il n'était plus capable de pratiquer des chirurgies cardiaques pointues comme avant, il a cessé de le faire. Il a également dit — et c'est dans le compte rendu — qu'il ne voudrait pas se faire opérer par un neurochirurgien de 70 ans, non merci. Si nous n'imposons pas la retraite obligatoire — et c'est le cas, on y a mis fin à l'échelle du pays — comment peut-on s'assurer que des personnes compétentes exercent leurs professions correctement et que les incompétents sont éliminés?

Dr Scharfstein : Tout d'abord, je pense que nous devons absolument nous assurer de cela. Et surtout en médecine. J'ai voulu souligner le fait que bien des progrès avaient été accomplis. Maintenant, je suppose qu'il faut se demander si c'est suffisant.

Vous avez dit que le Dr Keon ne devrait pas pratiquer des opérations à cœur ouvert à son âge; cependant, il peut encore être utile à la profession en tant que médecin, mais avec des restrictions, tout comme dans le cas de la conduite restreinte. La grande majorité, voire la totalité des médecins dont les facultés déclinent s'imposent eux-mêmes des restrictions ou, bien souvent, sont contraints à des mesures spéciales pour assurer une pratique sécuritaire; ils cessent d'effectuer des chirurgies effractives, mais ils peuvent faire d'autres choses. Je crois que le principe de base est bon. J'irais même jusqu'à dire que la profession médicale a fait plus de choses dans ce domaine que les autres. Nous faisons la distinction entre les associations professionnelles comme la nôtre et les organismes de réglementation. Les collèges de médecins ont un mandat public. Habituellement, 50 p. 100 des membres de leur conseil ne viennent pas de la profession. La majeure partie du temps, ils font appel à des représentants du public pour siéger à leurs comités de discipline et d'examen des titres, par exemple. Au cours des 10 dernières années, il y a eu une hausse importante de la participation de personnes qui ne sont pas médecins à ces activités de contrôle. Les procédures doivent être transparentes, parce que l'on part du principe selon lequel on ne se surveille pas soi-même et il faut montrer ouvertement ce qu'on fait. Je pense que c'est très important. Souvenez-vous de l'affaire Shipman.

Je crois qu'il y a une lueur d'espoir pour la profession. J'ai des enfants qui sont enseignants et des frères qui sont avocats. Je suis d'accord avec vous, ce ne sont pas toutes les professions qui prennent la question de l'autoréglementation aussi au sérieux qu'elle devrait l'être. Je ne veux pas dire que les choses sont parfaites en médecine, et il faut que les membres d'une profession participent aux activités d'autoréglementation. Ils en connaissent davantage sur leurs collègues et leurs compétences que des personnes qui, par exemple, ne sont pas médecins. On entend souvent parler maintenant d'activités « régies par la profession » plutôt que d'« autoréglementation »; cela signifie que la profession joue un rôle de premier plan, mais avec la participation du public. Je dirais que, selon moi, ce qui est en place au sein de la profession médicale pourrait servir d'exemple à d'autres professions. Je pense que c'est une question d'équilibre des risques. J'irais même jusqu'à dire que, dans la grande majorité des cas, nos procédures garantissent des pratiques relativement sécuritaires. Les choses ne sont pas parfaites, bien sûr, mais la Fédération des ordres des médecins du Canada vous parlera de la nouvelle initiative qu'on appelle « revalidation ». En ajoutant ce niveau supplémentaire de protection, dans le cadre duquel il faut déclarer une fois par année ce que l'on fait pour conserver ses compétences, on a peut-être trouvé une partie de l'élément manquant dont vous parlez.

La présidente : Merci beaucoup. Je vous remercie, monsieur Munroe, docteur Scharfstein, docteur Bédard et docteur Marshall. Vous nous avez fourni des informations très intéressantes.

Nous accueillons maintenant nos prochaines expertes : Laura Watts, représentante du Canadian Centre for Elder Law Studies, et Jeanne Desveaux, présidente de la Société Alzheimer de la Nouvelle-Écosse. Mme Desveaux est également la présidente sortante de la Section nationale du droit des aîné(e)s de l'Association du Barreau canadien.

Laura Watts, directrice nationale, Canadian Centre for Elder Law Studies : Comme c'est souvent le cas, nous avons entendu en premier le témoignage des compagnies d'assurances et des médecins, puis c'est au tour des avocats.

[Français]

Honorables sénateurs, je vous remercie pour votre invitation aujourd'hui. Je suis la directrice nationale du Canadian Centre for Elder Law Studies, le CCEL, organisation nationale du droit responsable de la recherche sur la loi des aînés. Le CCEL a commencé ses recherches en 1999 et s'est établi comme une société en 2003.

[Traduction]

Le mandat du Canadien Centre for Elder Law Studies consiste à améliorer la vie des personnes âgées en ce qui a trait aux questions juridiques, à promouvoir les questions relatives à la réforme du droit qui peuvent avoir des conséquences sur les personnes âgées, à jouer un rôle d'avant plan en matière d'éducation et à diffuser de l'information pertinente sur ces questions. Nous ne sommes pas une organisation politique ni partisane et nous collaborons avec les intervenants clés à l'échelle nationale et internationale, notamment des organismes fédéraux et provinciaux, des cliniciens, des juges, des universitaires, « et cetera ». Nous participons à des travaux de recherche universitaire et à la rédaction d'articles savants, nous rédigeons des documents et émettons des commentaires sur des questions juridiques et, enfin, nous prenons part à des événements de mobilisation pour la diffusion de la connaissance. Aujourd'hui, j'aimerais parler de trois questions en particulier et vous faire part de mes recommandations pour chacune d'entre elles.

Comment pouvons-nous faire en sorte que l'on protège les droits individuels des personnes âgées dans un contexte de respect et d'autodétermination et qu'on les considère comme des membres à part entière de la société canadienne qui sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés? Le premier point dont je veux parler porte sur les droits. Comment pouvons-nous aborder, au Canada, le problème de la diminution des capacités mentales — on a aussi parlé aujourd'hui d'aptitudes mentales, de capacités cognitives ou d'aptitudes intellectuelles — de manière à ce qu'on permette aux personnes âgées de jouir de leurs droits en toute liberté, mais qu'on protège en même temps l'ensemble de la société? Autrement dit, il s'agit d'équilibrer les droits en tenant compte des problèmes de capacité mentale, et c'est le deuxième point que je veux aborder. Le troisième point est une question : Comment le Canada peut-il jouer un rôle de premier plan et contribuer à diminuer la vulnérabilité sociale et les mauvais traitements infligés aux personnes âgées?

Je vais vous donner un exemple concret, car nous avons tous une expérience très personnelle de la vieillesse, alors c'est la meilleure façon d'illustrer la situation. Je vais vous parler de Gladys. C'est une histoire fictive, mais qui est un amalgame de plusieurs cas vécus et cela me permet de parler concrètement de certaines des questions qui nous intéressent, notamment les droits de la personne, la capacité mentale et la vulnérabilité, ainsi que les mauvais traitements envers les aînés.

Gladys est une femme de 89 ans qui est fragile physiquement en raison d'un problème de hanches; elle habite dans la même localité de l'Ouest du Canada depuis 40 ans, et c'est là qu'elle a élevé ses enfants. Sa fille vit à Toronto et son fils, bien qu'il habite près de chez elle, est plutôt un bon à rien. Elle a aussi un neveu à Halifax qui pousse en faveur de ses propres intérêts. C'est très représentatif de la société canadienne. Des études montrent que la distance moyenne qui sépare les membres d'une même famille et les amis au Canada est d'environ 400 kilomètres dans les régions urbaines et 3 000 kilomètres dans les régions rurales. La dame a vécu une vie enrichissante dans son quartier, elle est notamment active dans un groupe religieux, et elle connaît ses voisins depuis de nombreuses années. Cependant, le voisinage change aussi, alors elle ne connaît plus tout le monde comme avant.

Elle a de la difficulté à monter les escaliers chez elle, alors elle ne va plus à l'étage supérieur comme elle le faisait autrefois. Cependant, elle est très attachée à sa maison, l'endroit où elle a fondé sa famille. Elle est fière et indépendante et refuse fortement de déménager dans un établissement de soins de longue durée, malgré les conseils bienveillants de sa famille et de ses amis. Sa fille, Susan, insiste particulièrement pour que sa mère déménage dans une maison de soins infirmiers parce qu'elle est loin, à Toronto. Elle pense que sa mère serait plus en sécurité dans un tel centre. Cependant, des études prouvent que ce n'est pas nécessairement le cas.

Son fils, Daniel, qui a toujours été un peu bon à rien, voudrait que sa mère lui donne une procuration. Il a de jeunes enfants nés de mères différentes et il a beaucoup de difficulté à s'acheter une maison à Vancouver, où les prix sont astronomiques. En plus de la procuration, il voudrait qu'elle prenne des dispositions pour qu'il devienne immédiatement tenant conjoint de sa maison. Il dit qu'en faisant cela, sa mère n'aurait pas à payer des frais d'homologation; il dit qu'ils n'ont pas à donner de l'argent au gouvernement. Il dit également que Gladys n'a pas besoin de vivre dans une maison si grande, qu'elle devrait aider la jeune génération et rendre service à sa famille. Il dit que de toute manière, elle n'a pas besoin d'autant d'espace.

Les deux enfants de la dame ont donc fait beaucoup de pression sur elle, tout comme son neveu d'Halifax. Elle a résisté avec véhémence, ce qui a été interprété comme étant un refus « inapproprié » et « inconvenant » alors que sa place est dans un établissement de soins infirmiers. Quelqu'un a également dit qu'une femme ne devrait pas être aussi entêtée. Ce genre de réaction se produit souvent, mais c'est tabou.

Pour en revenir à mon premier point, comment le cas de Gladys peut-il être interprété en vertu des motifs de discrimination de la Charte? Je vais parler de la Charte et, notamment, de l'article 15, qui traite de la discrimination fondée sur l'âge. Je voudrais aussi décortiquer la question du risque et celle de la prise de décisions.

Dans notre société, nous croyons que les personnes âgées doivent être obéissantes. J'espère que dans ma famille, je pourrai continuer à être aussi irascible et indépendante que possible, comme je l'ai toujours été; je pense que oui. Gladys est une adulte à part entière selon la loi; en vertu des lois canadiennes, elle a les mêmes droits que n'importe quel citoyen à part entière, notamment ceux de dire non et de vivre sa vie comme elle l'entend. Il est vrai qu'elle a des troubles qui affectent sa mémoire à court terme et que, lorsqu'elle ne prend pas ses médicaments contre le diabète, elle peut avoir des idées confuses. Elle affirme qu'elle n'est pas en danger et ne met la vie de personne en danger, mais sa famille n'est pas d'accord, et c'est là le problème.

Gladys fait l'objet de ce que j'appellerais une discrimination fondée sur le sexe, une question taboue chez les personnes âgées. On a récemment terminé un projet qui s'appelle « Aging with Challenges » et une des questions que nous avons abordées était celle de l'identité chez les aînés. À mesure que les personnes vieillissent, on les considère de moins en moins comme des individus; elles deviennent des personnes âgées sans individualité propre. Nous savons que ce n'est pas vrai. Mais dans notre société, on peut avoir différentes interprétations de ce qui est acceptable pour un homme âgé et ce qui l'est pour une femme âgée. Notre société pense que les femmes âgées doivent se comporter d'une certaine manière : elles doivent être plus dociles en vieillissant, et Gladys refuse de se conformer à ce préjugé.

Avec le vieillissement de la population au Canada, ma première recommandation est que le gouvernement fédéral reconnaisse un autre « isme », soit l'âgisme. On en parle, mais l'âgisme n'est pas reconnu comme un problème qui relève des droits de la personne au Canada. Les dirigeants en parlent comme de quelque chose qui est abordé dans les médias, mais le gouvernement fédéral devrait reconnaître que le vieillissement de la population n'est pas seulement un fait, c'est un phénomène social. Certains pays d'Europe, le Japon et l'Australie l'ont reconnu.

L'âgisme devrait être reconnu officiellement comme un phénomène social au même titre que les droits des personnes handicapées ou le mouvement féministe. Une fois reconnu officiellement, il pourra devenir un domaine clé de recherche bénéficiant de subventions. Bien peu de travaux de recherche sont effectués sur ce sujet au Canada et c'est un domaine qui, s'il était reconnu comme un phénomène social, pourrait bénéficier de l'aide financière et de l'appui du gouvernement fédéral, ce qui ferait avancer les choses.

Le deuxième point dont je veux parler, c'est la façon dont les Canadiens abordent la question complexe des capacités mentales. C'est vraiment un problème. Nous avons de la difficulté avec la terminologie au Canada et, ce qui complique peut-être davantage les choses, en tant que société multiculturelle qui fonctionne selon un modèle biculturel, nous utilisons différentes terminologies au pays. C'est peut-être enrichissant, mais on sait bien que les termes spécialisés que nous utilisons sont interprétés de manière différente selon les personnes.

J'ai participé à des discussions réunissant des psychiatres, des travailleurs sociaux, des avocats et des banquiers; tous utilisaient le même langage, mais aucun ne parlait de la même chose. On a mené très peu de recherches, au Canada, pour définir les termes compétences intellectuelles, aptitudes intellectuelles et capacités intellectuelles. Ont-ils tous la même signification? À mon avis, non.

De plus, nous ne nous sommes pas penchés sur la façon dont les choses sont évaluées. Il est intéressant de constater que dans certaines provinces, il existe une notion fonctionnelle de la capacité. Vous en avez entendu parler ici aujourd'hui. Avez-vous la capacité fonctionnelle de conduire, et comment cela est-il lié à votre capacité intellectuelle de gérer votre carnet de chèques? Mon conjoint dirait que je n'ai jamais eu les aptitudes intellectuelles pour gérer mes comptes, mais que j'ai la chance d'avoir mon permis de conduire depuis l'âge de 16 ans. Ce sont deux choses complètement différentes. Nous devons déterminer comment les notions de capacité, de compétence et d'aptitude peuvent être évaluées. Il faut tout d'abord s'entendre sur la terminologie et établir un lexique; c'est le travail des chercheurs.

Dans ce cas-ci, Gladys semble avoir du mal à reconnaître que si elle ne prend pas ses médicaments, cela pourrait avoir des conséquences sur sa santé mentale, mais à mon avis, c'est gérable; c'est donc une question de capacité.

Je crois que la question appropriée, au Canada, serait : « être capable de quoi? ». Commençons par répondre à cette question, nous pourrons ensuite travailler sur le lexique plutôt que d'établir des principes généraux sur toutes sortes de questions hypothétiques. La précision est importante et cela peut nous aider à atteindre notre but.

Lorsque la capacité d'une personne est mise en question, les impacts sociaux et civils sont énormes. Cela implique notamment la négation des droits prévus aux articles 3 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Lorsqu'une personne est jugée « incapable », elle perd le droit de vote, le droit à la liberté, le droit de se marier, et dans certains cas, le droit de divorcer. Cette personne perd le droit de se prononcer sur les décisions concernant la tutelle et les biens. Elle n'est plus rien aux yeux de la loi. C'est l'une des pires choses qui puissent arriver, et si nous ne comprenons pas la signification des termes que nous utilisons, les conséquences peuvent être extrêmement graves.

C'est un pouvoir énorme et la question qui me préoccupe, c'est de savoir qui évalue les « évaluateurs ». En tant qu'avocate, à titre de membre de l'exécutif national de l'Association du Barreau canadien et pour avoir siégé à de nombreux conseils, je peux vous dire que j'ai eu le bonheur et le malheur de voir un grand nombre d'évaluations des capacités. J'ai été témoin d'une affaire dans laquelle une ordonnance qui disait « Madame X est inapte » a été admise au tribunal. Le juge l'a acceptée en preuve. Dans une autre affaire, le juge l'a rejetée.

Qui évalue les experts? Qui décide quelles personnes sont compétentes? En Ontario, il y a un système d'évaluation des capacités, mais plusieurs critiquent son fonctionnement. Ailleurs, personne ne sait avec certitude qui effectue les évaluations. À mon avis, le gouvernement fédéral doit mettre en place un programme afin de déterminer les outils et les mécanismes appropriés pour la formation d'évaluateurs des capacités.

En ce qui concerne le troisième point, qui porte sur la façon dont le Canada peut être un chef de file en matière de réduction de la vulnérabilité sociale et des mauvais traitements envers les aînés, je n'accepte pas l'idée voulant que les personnes âgées soient vulnérables. Selon moi, tout le monde l'est à divers degrés, selon les circonstances. Vous êtes vulnérable si vous êtes pauvre, si vous êtes victime de racisme. Vous pouvez être vulnérable parce que vous êtes victime d'âgisme. Je sais que toutes les personnes ne sont pas vulnérables, et que dans le cas des aînés, cela peut dépendre de la situation de chacun.

Toutefois, dans le cas présent, Gladys est davantage exposée à la vulnérabilité sociale. Elle est en désaccord avec sa famille. Elle souffre d'une incapacité physique et possiblement d'un problème de santé mentale. Devrait-elle signer cette procuration et la remettre à son fils, ou nommer ce dernier propriétaire conjoint de sa maison? Elle court de grands risques.

La plupart des gens ne reconnaissent pas l'autorité d'une procuration financière et ignorent ce que cela signifie. À titre de membre du British Columbia Law Institute, j'ai travaillé pour le Western Canadian Law Reform Consortium dans le but de créer une procuration harmonisée et unifiée. Nous devons remettre notre rapport ce mois-ci; ces questions seront donc mieux réglées dans les différentes provinces.

Lorsqu'une personne âgée est victime de mauvais traitements ou de négligence, son accès à la justice est très restreint. Les recours civils deviennent excessivement difficiles. Comment Gladys peut-elle s'assurer les services d'un avocat si son fils vide son compte en banque, hypothèque sa maison et s'en va? Elle ne peut pas, car elle n'a pas d'argent.

Elle peut s'adresser à l'Advocacy Centre for the Elderly, actuellement le seul service d'aide juridique en matière civile au Canada, qui s'occupe des questions de droit concernant les aînés. À titre de comparaison, les États-Unis ont mis en place un solide système en implantant des services dans la plupart des grandes villes et dans chaque État.

Je suis très heureuse de prendre part au projet d'ouverture d'un deuxième service d'aide juridique, à Vancouver; l'inauguration aura lieu le 1er juillet prochain. Toutefois, compte tenu de notre population, la question de l'accès à la justice doit être prise en compte.

La législation relative aux mauvais traitements à l'égard des aînés ou « législation sur la protection des adultes vulnérables », comme on l'appelle parfois au Canada, n'est pas une panacée. Elle varie beaucoup d'une province à l'autre; elle ne peut tenir compte que des mauvais traitements et de la négligence présumés; son effet peut avoir une influence considérable et négative sur les aînés dans l'exercice de leur droit de vivre dans la communauté, même s'ils courent des risques.

Je connais beaucoup d'avocats qui disent : « Je suis content que des lois existent, mais je passe la moitié de mon temps à essayer d'y soustraire les personnes âgées en les défendant ». L'évaluation des capacités est vraiment fondamentale, mais nous n'avons pas les moyens nécessaires pour la faire.

Je suis également préoccupée par le discours de la famille et des amis, que j'entends constamment. J'aime l'idée que les aînés soient entourés, comme tous les gens devraient l'être aussi, par la famille et les amis; mais nous savons qu'au Canada, cette cohorte vieillissante n'a peut-être pas ce soutien. Nous sommes plus éloignés de nos familles et de nos amis que jamais. Les membres de cette cohorte vivent aussi plus longtemps et survivront sans doute à beaucoup de leurs amis et parents.

De même, nous savons qu'il existe une pénurie importante de médecins de famille, qui représentent souvent, si vous n'avez pas de famille ni d'amis, une relation alternative. Les médecins de famille peuvent aider. Je suis une de leurs admiratrices, mais nous savons qu'ils ne sont pas assez nombreux et que beaucoup d'aînés n'ont aucun soutien. Nous devons élargir notre réflexion. Si nous adoptons des lois ou des recommandations, ne perdons pas de vue l'évaluation des capacités; c'est très importante.

Enfin, je recommande que le gouvernement fédéral assume un rôle de chef de file sur les questions d'harmonisation et d'unification des lois et des politiques concernant la vulnérabilité des personnes âgées et l'évaluation des capacités — notamment en ce qui a trait aux documents tels que les procurations, les directives en matière de soins de santé et les lois sur le consentement aux soins de santé.

Le gouvernement fédéral doit faire des efforts significatifs pour permettre aux aînés d'avoir accès à la justice. Je sais que cela peut être difficile, mais sans cette harmonisation et cette unification, ce sera difficile d'établir les compétences. Je crois que ma collègue vous parlera de certaines différences avec les provinces et des difficultés que cela entraîne.

Nous recommandons que le groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la sécurité des aînés soit soutenu, et qu'il se penche sur les façons d'harmoniser les lois au Canada. De plus, il faudrait demander la participation de la Federation of Law Reform Agencies of Canada et de l'organisme appelé « Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada ». Ces organismes sont heureux d'apporter leur pierre à l'édifice et avec notre appui, ils peuvent jouer un rôle très utile.

Les questions de droits, d'aptitudes intellectuelles et de mauvais traitements envers les aînés sont variées et complexes. En résumé, voici nos recommandations : que le gouvernement fédéral fasse preuve de leadership en ce qui concerne la mobilisation des connaissances; que la notion d'âgisme soit reconnue dans la société; qu'on analyse les termes « aptitude », « capacité » et « compétence », ainsi que les différentes interprétations de ces notions; qu'on cherche à mettre en place des normes d'évaluation des évaluateurs; et qu'on collabore avec des organismes comme le FPT, le FLRAC et la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada, afin de trouver des outils et des mécanismes pour élaborer des lois et des politiques harmonisées qui permettront de réduire la vulnérabilité des aînés et les mauvais traitements dont ils sont victimes.

Jeanne Desveaux, présidente, Société Alzheimer de la Nouvelle-Écosse : Même si je suis Acadienne, je ne tenterai pas de parler français cet après-midi, car je ne pourrais m'exprimer aussi clairement que mon amie.

Lorsqu'on m'a proposé de venir témoigner, je me suis demandé de quelle façon je pourrais vous aider, puisque tant de spécialistes ont comparu devant vous déjà. Je crois que ce que je peux vous offrir, c'est mon expérience dans la pratique du droit des aînés. J'œuvre auprès des personnes âgées. Je travaille aussi avec les médecins — des gériatres — et je viens du secteur de la santé. Avant de commencer ma carrière en droit, j'ai pratiqué le métier d'infirmière durant plusieurs années. Le seul domaine auquel je consacre vraiment mon temps est celui du droit des aînés. C'est ce qui me tient à cœur, car ce sont les aînés qui m'ont amenée sur cette voie.

Je travaille avec beaucoup de gens qui ont déjà reçu un diagnostic de démence. Je représente souvent soit la famille qui veut qu'une personne fasse l'objet d'une demande de tutelle, soit quelqu'un qui s'y oppose. Il y a des gens qui viennent me voir parce qu'ils font face à différents dilemmes, et souvent, mes clients me disent : « Parlez-en à quelqu'un ». Et cet après-midi, c'est à vous que je m'adresse.

J'utilise très peu mes notes. J'ai entendu tous les témoins et ils ont couvert plusieurs domaines, mais je voudrais vous citer un passage d'une cause datant de 1909. Je l'utilise très souvent dans les mémoires que je dépose à la cour, lorsque j'essaie de faire valoir un point.

La vue peut baisser, l'ouïe peut perdre de son acuité et même la parole peut défaillir quand on hésite sur les noms et objets qu'on cherche à décrire, pourtant la capacité de tester peut être suffisante. Priver, ne serait-ce que légèrement, la personne âgée ainsi atteinte de son droit de faire un testament reviendrait souvent à la déposséder de son ultime protection contre la cruauté et l'injustice de ceux qui l'entourent, et de son seul moyen d'obtenir l'aide, le réconfort et la tendresse dont les aînés ont besoin.

Cela a été écrit en 1909, dans le cadre d'une affaire de succession, mais nous pourrions reprendre certains passages, que ce soit pour la question portant sur la conduite automobile ou pour bon nombre des problèmes relatifs au vieillissement.

J'ai entendu les divers témoins qui m'ont précédée, et on nous a demandé de parler de la conduite automobile. Je voudrais citer un cas en particulier, sur lequel j'aimerais attirer votre attention.

Il s'agit d'une femme qui est maintenant décédée; c'est un dossier de succession. À un moment donné, son médecin avait signalé au bureau des véhicules automobiles, en Nouvelle-Écosse, que cette femme ne pouvait plus conduire. Elle vivait dans une région rurale de la province et avait développé un lien très étroit avec son médecin. Il a dit qu'il avait l'impression de l'abandonner, et c'est ainsi qu'elle se sentait. Elle lui a dit : « Comment avez-vous pu me faire cela? Regardez ce que vous m'avez fait ». Conduire sa voiture, c'était ce qui lui permettait de garder sa mobilité. C'était son moyen de sortir de sa région rurale pour se rendre en ville voir son spécialiste.

Je lui ai demandé pourquoi il n'avait pas insisté pour que le médecin en soins palliatifs fasse cet appel. Il a dit : « Je ne pouvais pas, parce qu'elle aura encore plus besoin de lui que de moi. » C'est terrible de demander à nos médecins de faire ce compromis. Le médecin l'a abandonnée essentiellement parce que le lien de confiance indispensable à la relation médecin-patiente était rompu. Elle ne pouvait plus lui faire confiance au moment de sa vie où elle en avait le plus besoin, parce que c'est lui qui avait dû signaler l'incapacité.

Bien sûr, tous les membres de la famille se disputaient l'argent, et ils ne se souciaient guère du fait qu'elle ne pouvait plus conduire. Ces choses se produisent vraiment sur le terrain. J'en rencontre tous les jours dans mon bureau.

À l'opposé, je siège au conseil de la Société Alzheimer de la Nouvelle-Écosse, et l'un de nos membres conduit son automobile. C'est l'exemple typique d'une personne qui souffre de démence, et pourtant, il conduit très bien, même la nuit.

Lorsqu'on diagnostique ce genre de troubles, ce n'est pas une sentence de mort. Cela signifie que vous allez plus probablement mourir d'une maladie en particulier. Cependant, cela ne veut pas dire que vous être frappé d'incapacité dès que le médecin inscrit son diagnostic sur son rapport. Cela ne fonctionne pas ainsi.

Ce qu'a dit le sénateur Keon était très intéressant, lorsqu'il a raconté qu'il avait réalisé que ses capacités en tant que chirurgien avaient diminué. La chirurgie exige beaucoup de précision, comme lors d'une opération au cœur. C'est très bien de reconnaître ses limites; cependant, si le sénateur Keon avait été atteint de démence, il n'aurait peut-être pas été capable de reconnaître ce qui lui arrivait et de réaliser qu'il était temps pour lui d'arrêter de pratiquer.

Les personnes aux prises avec une maladie de cette nature ont un processus de pensée différent. Elles perdent leur capacité de discernement. Elles ne sont pas en mesure d'évaluer la gravité de la situation parce que, selon elles, rien n'a changé.

C'est comme l'histoire de l'homme qui s'engage à contresens dans une rue à sens unique. Quelque chose dans le cerveau se brouille et ce genre de chose se produit. Ce que le sénateur Keon a fait est louable — reconnaître que ses capacités avaient diminué — mais une personne atteinte de démence ne peut pas avoir conscience de cela. C'est ce que différents intervenants ont fait valoir cet après-midi.

Notre principe de base est de toujours favoriser l'indépendance, alors il faut se demander ce que l'on peut faire pour encourager une personne atteinte de démence qui, par exemple, conduit et veut continuer à le faire. On a parlé de divers systèmes d'octroi de permis de conduire qui obligeraient les conducteurs visés à se soumettre à un examen. Je suis favorable à des mesures semblables; je les recommanderais même, comme bien des avocats, j'en suis certaine.

On nous demande souvent des renseignements sur nos activités lorsque nous remplissons divers documents. Nos compagnies d'assurances nous posent des questions pour savoir quelle police nous offrir. Les associations professionnelles, que ce soit pour les médecins, les avocats ou les infirmières, nous posent des questions lorsqu'il est temps de renouveler notre licence afin de déterminer si une enquête sur nos capacités s'impose. Ce ne serait pas exagéré de demander aux conducteurs de remplir des formulaires de déclaration volontaire qui permettraient d'évaluer si leur permis doit être révoqué ou si un examen doit être administré. Ce genre de mesures deviendrait alors approprié. Il ne s'agirait pas d'une atteinte à un droit parce que le fait de conduire est un privilège.

J'aimerais maintenant parler brièvement de la vulnérabilité des aînés, comme on dit. Ni moi ni Mme Watts n'aimons qualifier les aînés de « vulnérables », mais on l'entend fréquemment. J'aime mieux penser qu'ils sont « en forme » et qu'ils « vieillissent à la maison » que de dire qu'ils sont « vulnérables », car cela sous-entend que ce sont des victimes ou des malades.

J'aimerais vous raconter une affaire dont je me suis occupée et qui a fait l'objet d'une vaste couverture médiatique. La famille m'autorise assurément à en parler, car les faits ont déjà été rapportés à la télévision d'un bout à l'autre du pays. C'est l'histoire d'un homme qui a fait appel à moi, comme avocate, pour faire homologuer la procuration qu'il avait afin de représenter les intérêts de son épouse, à cause de ce qui lui était arrivé.

Son épouse avait été emmenée en Angleterre parce qu'il y avait une bagarre sur la possession de sa personne.

Cette femme était très intelligente. Elle avait une formation dans le domaine de la démence et était une experte en déficience cognitive. Elle avait eu assez de temps pour exprimer ses dernières volontés par écrit. Elle a fait comme tout le monde. Elle savait qu'elle souffrait de démence. Elle est allée voir ses médecins pour leur parler de ses symptômes. Ils ont confirmé son diagnostic, ont entrepris des examens plus poussés et lui ont dit d'aller consulter son avocat afin de régler ses papiers. C'est ce qu'elle a fait et elle croyait que tout était organisé. Cependant, un des membres de sa famille avait des inquiétudes et, quand ces inquiétudes sont légitimes, au Canada, il existe des mécanismes. On peut signaler le problème en vertu de la « Adult Protection Act », dans notre province. Une enquête peut avoir lieu. Or, cette personne a amené la femme en Angleterre, alors qu'elle vivait en Nouvelle-Écosse. Informée de l'affaire, la GRC a demandé l'avis de procureurs de la Couronne pour savoir si des accusations pouvaient être portées et appuyées par des preuves ou si la personne pouvait être déclarée coupable. Mais, comme nous l'avons découvert bien des mois plus tard, le problème prend sa source dans les dispositions du Code criminel du Canada, notamment celles qui traitent de l'enlèvement. Ces dispositions parlent de personnes jugées aptes. Or, tout ceux qui connaissent quelqu'un atteint de démence ou qui savent ce qui se passe dans les centres de soins en général savent très bien que, si l'on va dans une unité réservée aux personnes atteintes de démence, que ce soit en Ontario, en Colombie-Britannique ou en Nouvelle-Écosse, pour demander aux patients présents de nous accompagner, la moitié va nous suivre. Si l'on propose à une personne aux prises avec un tel trouble de prendre l'avion avec nous pour aller en Angleterre, il est très probable qu'elle acceptera et nous suivra docilement. C'est ce qui s'est passé dans cette affaire. C'est ce que les faits montrent.

Ce qui a été occulté, c'est qu'après le départ de cette femme à l'étranger, c'est devenu une bataille entre les familles et les personnes intéressées afin de déterminer ce qu'il fallait faire à son sujet. Elle était devenue un pion dans un jeu d'échec. Elle avait perdu son humanité.

Il y a maintenant une lutte entre les différentes familles pour savoir qui dit la vérité et pour établir les faits. Bien sûr, les médias se sont emparés de l'histoire, parce que c'est le genre de nouvelle qui fait augmenter les tirages. Ce n'est pas une belle histoire, mais c'en est une qui comporte beaucoup d'éléments dramatiques et d'insinuations. Nous devions démêler tout ça. On ne sert pas les intérêts de cette femme en ignorant notamment le Code criminel. Cette femme, titulaire d'un doctorat, a signé une procuration. Elle a nommé son époux pour s'occuper de ses affaires, mais quelqu'un est venu dire : « Je n'aime pas ce qu'il fait; je me suis informé auprès des services de protection des adultes de la Nouvelle-Écosse et ils n'ont pas tranché en ma faveur, alors je vais tout simplement l'amener en Angleterre ». Cet homme a fait fi de nos lois et nous l'avons laissé faire parce qu'aucun mécanisme n'est prévu pour l'en empêcher. On ne devrait pas avoir le droit de faire sortir quelqu'un du Canada tout simplement parce qu'on n'aime pas les lois du pays. Lorsqu'une telle chose se produit, il faudrait pouvoir ramener les personnes afin que l'affaire soit traitée ici.

On n'a pas pu le faire dans cette affaire. Je ne dis pas que c'est la faute de la GRC, ni même du Service des poursuites publiques. Mais je dis que c'est peut-être à cause du libellé désuet du Code criminel. Quand ce texte de loi a été rédigé, certaines maladies étaient encore inconnues, alors elles n'ont pas été citées. Il existe différentes formes de démence, comme l'Alzheimer, la démence à corps de Lewy et la démence frontotemporale. Il existe diverses maladies qui affectent les capacités mentales. Ces maladies n'existaient pas à l'époque ou, si elles existaient, on les qualifiait de « démence sénile ». On plaçait les gens atteints dans des centres de soins et on les oubliait. Les médicaments et les traitements d'aujourd'hui n'étaient pas disponibles. Il faut reconnaître ces faits nouveaux et demander aux provinces et au gouvernement fédéral de mettre à jour le Code criminel. Cela permettrait d'éviter bien des abus chez les personnes âgées.

Certaines dispositions du Code criminel traitent d'abus de pouvoir relativement aux procurations, mais les lois de nos provinces abordent la question de la procuration d'une manière différente. Les provinces de l'Ouest sont en train de mettre au point un document simplifié qui pourra servir d'exemple au reste du pays.

Je vais vous relater une autre histoire, soit celle d'une femme qui habite en Ontario. En Ontario, il existe deux genres de procuration, l'une pour gérer les questions financières et l'autre pour les soins de santé. Dans cette affaire, la femme avait fait ses deux procurations. Une de ses filles a dû quitter le pays pour son travail, mais il fallait les signatures des deux sœurs d'après le document. L'autre sœur s'est alors demandé comment elle allait s'occuper de sa mère qui habitait dans une autre province. Elle a donc décidé de faire venir sa mère en Nouvelle-Écosse. C'était plus facile pour elle de se faire pardonner après coup que de demander la permission au préalable. Le reste de la famille n'a pas été consulté. Ces deux sœurs avaient été nommées dans la procuration. Chacune a fait ce qu'elle a jugé préférable, ce qui a déclenché une guerre de pouvoir. L'autre sœur voulait que sa mère retourne d'où elle venait. Nous avons été obligés d'amener l'affaire devant les tribunaux de la Nouvelle-Écosse afin de faire placer la mère sous tutelle. Avec une tutelle, on peut obtenir une ordonnance de la cour, en Nouvelle-Écosse. Ainsi, avec une ordonnance, si une personne dont on a la charge est amenée dans une autre province, on peut au moins faire appel aux policiers. On peut dire : « Je suis le tuteur, j'ai une ordonnance du tribunal qui le prouve. Pouvez-vous faire quelque chose? » C'est la même chose que lorsqu'un parent est accusé d'avoir enlevé son enfant parce qu'il l'a amené dans une autre province ou un autre pays. Le parent qui a la garde de l'enfant peut dire : « C'est moi le parent responsable. Il devait ramener mon enfant à 17 heures dimanche, et il ne l'a pas fait. Faites quelque chose. » Si l'on ne dispose pas de ce type de document dans le cas des adultes, n'importe qui peut devenir comme un pion dans un jeu d'échec. Je le répète, lorsque cela arrive, les victimes perdent leur humanité et c'est ce qu'il faut empêcher.

L'autre histoire dont je veux vous parler a été citée par notre juge en chef de la Cour suprême, à partir d'un article que j'ai écrit à ce sujet. Un après-midi, j'ai reçu un appel à mon bureau. Une femme âgée m'appelait d'une maison de soins pour me dire ceci : « Ma fille a vendu toutes mes propriétés. J'habite dans une maison de soins. Je n'ai même pas d'argent pour me faire couper les cheveux. J'aimerais savoir ce que ma fille a fait de mon argent. Pouvez-vous m'aider? » Je ne savais pas si je pouvais l'aider. Ensuite, son fils est intervenu. Il habitait dans une autre province. Il avait appris qu'on avait déménagé sa mère dans une maison de soins située dans une autre région, afin qu'elle soit loin de sa famille et de ses amis. Son fils prétendait qu'on l'avait isolée délibérément. Il y avait beaucoup de conflits dans cette famille. Je me suis informée pour savoir ce qui était arrivé aux propriétés de la dame. Elles avaient toutes été vendues. Elles étaient situées sur le bord de la mer, ce qui vaut très cher en Nouvelle-Écosse. On les avait vendues ou on avait transféré leur titre de propriété. La femme âgée voulait savoir si elle pouvait se payer une coupe de cheveux, pas où se trouvait son million de dollars. Elle disait qu'elle n'avait pas d'argent. Je l'ai recontactée au téléphone. Puis, son fils a consulté des cabinets d'avocats qui lui ont dit de faire appel à moi, qu'il s'agissait d'une affaire au civil. On lui a dit qu'il fallait traiter avec la famille.

J'ai rencontré la dame âgée, qui m'a dit ceci : « Je ne veux pas que ma fille soit poursuivie, mais j'aimerais avoir de l'argent et j'aimerais savoir ce qu'elle a fait avec mon argent. »

Dans cette affaire, la dame avait subi une série de petits AVC. Elle avait été transportée à l'urgence d'un hôpital et un médecin avait posé très rapidement un diagnostic de démence. En fait, elle a probablement présenté un délire, parce que la démence est progressive et irréversible. Elle s'est ensuite rétablie, mais elle est maintenant prise avec un diagnostic de démence. Que faut-il faire dans un tel cas? Elle vit dans une maison de soins; des documents officiels confirment qu'elle est atteinte de démence. Elle habite dans une région rurale et isolée de la Nouvelle-Écosse, où il n'y a pas de gériatre. Le médecin de famille ne veut me donner aucun renseignement. J'ai envoyé une lettre à la fille de la dame, ne prévoyant pas de problème. Je croyais qu'elle allait nous dire ce qu'elle avait fait avec l'argent, puis qu'elle allait donner à sa mère un peu d'argent à tous les mois puisque sa mère ne veut pas la poursuivre. Cependant, le fils a peut-être d'autres intentions. Il est en colère, parce qu'il ne sait pas ce que sa sœur a fait avec l'héritage de la famille. Mais moi, je m'occupe de la mère, qui veut vingt dollars et non deux millions. J'ai demandé à la fille de me rendre des comptes en vertu de la procuration. La femme a fait appel à un avocat qui m'a envoyé une lettre disant que la mère de sa cliente était incapable, qu'elle était atteinte de démence et qu'elle ne pouvait retenir les services d'un avocat. Il me demandait de laisser sa cliente tranquille, ajoutant que l'affaire ne me concernait pas. Je me suis dit : « Il ne sait pas à qui il a affaire. » Je n'ai pas laissé tomber. Voilà les faits. Tout ce que la mère voulait, c'était de l'argent pour pouvoir se faire couper les cheveux. Elle n'avait pas d'argent dans sa bourse. Le problème, ce n'était pas que sa fille avait utilisé la procuration, mais le fait qu'on ne savait pas si sa mère avait été capable de donner des instructions quand elle avait fait cette procuration.

Souvent, des avocats ou des médecins de famille me disent ceci : « Mais la personne n'a obtenu que 23 sur 30 lors d'un mini-examen cognitif ». Je leur dis : « Et alors, quelle importance? » Ils me répondent : « Elle souffre de démence. Elle n'a obtenu que 23. » Alors je leur dis : « J'obtiendrais moi aussi 23 si j'avais la migraine. Et je suis certaine que vous obtiendrez 23 certains jours. En fait, parfois, je pense même que je n'obtiendrais que 18. » Ce type de test permet uniquement de détecter la présence d'un trouble; il ne peut pas déterminer sa gravité ni sa nature.

Comme Mme Watts l'a dit plus tôt, lorsque nous parlons de « capacité », de quoi s'agit-il? Il faut nous demander comment on utilise ces tests, et qui les effectue. Nous devons commencer à évaluer les évaluateurs. Pour cela, il faut partir du haut, et non du bas.

J'ai quelques recommandations à faire. Il est si facile pour cette fille de se présenter dans une banque avec sa mère en disant qu'elle a une procuration de cette dernière. Elle peut aller dans le bureau d'un avocat et affirmer qu'elle souhaite vendre les propriétés en bordure de mer de sa mère, qu'elle a placée dans une maison de soins infirmiers dans une autre partie de la province. Cela devrait sonner l'alarme pour l'avocat et la banque. L'institution bancaire offre-t-elle des services juridiques indépendants? Il faut qu'elle le fasse. Je crois pouvoir dire sans me tromper — et je pense être protégée, si je fais erreur — que les banques exigent des preuves d'identité, de sorte que si un individu tentait, de son propre chef, d'hypothéquer la maison familiale, des conseils juridiques indépendants seraient offerts à son épouse. Pourtant, une fille peut se présenter à la banque avec une procuration et hypothéquer la propriété de sa mère sans que quiconque offre des avis juridiques indépendants à cette dernière. Si je ne m'abuse, les banques sont de compétence fédérale, et je crois que cette responsabilité leur incombe. Certaines banques font de l'excellent travail, mais si quelqu'un arrive avec une procuration, il n'est pas obligatoire d'y regarder de plus près.

Cela me met en rogne quand quelqu'un qui a été nommé mandataire m'appelle en disant : « J'ai essayé de retirer de l'argent du compte de ma mère ou de ma tante au guichet bancaire, et le caissier m'a dit que je ne pouvais le faire, et qu'il fallait une procuration, en me demandant comment il pouvait savoir si ma mère ou ma tante m'avait réellement confié ce pouvoir. » Cela me met en colère. Dans un sens, la banque protège cette personne. La solution se trouve quelque part entre ces deux extrêmes; nous devons trouver un juste milieu.

En Nouvelle-Écosse, si l'on vend la propriété de quelqu'un au moyen d'une procuration, cette procuration doit être enregistrée au bureau d'enregistrement des titres. Si quelqu'un agit en vertu d'une procuration, peu importe dans quelle province, peut-être devrait-il y avoir un signal d'avertissement, quelque chose qui crée une sensibilisation. Nous avons une liste noire. Nous croyons qu'il y a là une atteinte aux droits, à la sécurité, et cetera. des gens. Il y a toutes sortes de motifs que nous aimons invoquer pour nous débarrasser de ce genre de questions. Nous appelons les aînés notre population vulnérable, et malgré cela, il n'y a rien pour les protéger. Peut-être faudrait-il quelque chose d'aussi simple que de tenir une sorte de base de données.

J'aimerais maintenant parler des médecins, de la formation et de la loi. Nous manquons de gériatres au Canada, et pourtant, je crois qu'ils m'ont tous envoyé un courriel pour me faire part de leurs remarques à vous transmettre. Nous n'avons pas assez de ces spécialistes. Il nous en faut davantage. Le médecin de famille peut dire à quelqu'un que sa mère a obtenu 23 points sur 30 à un mini-examen d'état mental et que, par conséquent, elle est atteinte de démence. Mais on fait cela sans recommander le patient auprès d'un gériatre. Une mère devrait aller voir un avocat et obtenir une procuration. Mais on peut obtenir cette procuration puis vendre la maison de sa mère. Quand il s'agit d'abus envers les aînés, on est sur un terrain glissant. Nous pouvons y mettre un terme en formant davantage les médecins à cet égard. Cela devrait être un principe fondamental. Nous avons besoin de spécialistes, mais il faut également que nos médecins de famille soient davantage informés dans ce domaine.

Mais les médecins reçoivent-ils cette formation? Dans certaines régions, oui. Peut-être y a-t-il des médecins qui vont chercher davantage de formation sur une base volontaire, mais cela devrait être obligatoire, selon moi. La même chose vaut pour la loi. Je ne pense pas que quelqu'un devrait se présenter dans un cabinet avec sa fille qui est là, à donner des instructions à l'avocat. Je ne pense pas que tous les avocats font cela. À mon avis, il s'agit d'une exception, et non de la majorité. On devrait être conscients qu'une personne peut avoir fait l'objet d'un diagnostic et sembler bien portante, selon le type de démence dont elle est atteinte, mais voir ses droits compromis lorsqu'il s'agit de donner des instructions. On devrait aller au-delà, et être tenu de le faire.

Les enjeux et préoccupations ne sont pas simples. Il ne s'agit pas de questions d'ordre privé ne concernant que la famille. Elles ne relèvent pas non plus d'une province ou du gouvernement fédéral. Nous sommes tous responsables. Le gouvernement peut donner le ton.

Lorsque je vois les travaux accomplis par le groupe de travail fédéral-provincial-territorial en ce qui a trait aux mauvais traitements à l'égard des aînés, je lève mon chapeau. Dans un sens, ces travaux me procurent beaucoup de travail, tout comme aux autres avocats spécialisés dans le domaine, car il y a une sensibilisation dans la communauté. Je ne me suis pas dirigée dans ce domaine dans l'espoir de devenir riche; cela n'arrivera jamais. Mais le fait qu'on transmette le message et que les gens obtiennent davantage d'information est merveilleux. Cela montre à quel point ce groupe de travail, en particulier, est efficace.

Je vois les développements et le potentiel de ce qui peut être accompli au niveau fédéral pour passer le message partout au pays, afin que nous puissions protéger ces membres de notre société, ainsi que nous-mêmes. Un jour, ce sera notre tour et celui de nos enfants. Nous devons agir à cet égard. Souvenez-vous : la vieillesse n'est pas une maladie.

La présidente : Merci beaucoup. L'autre jour, nos attachés de recherche m'ont remis un document sur lequel j'ai justement noté : « La vieillesse n'est pas une maladie ».

Laissez-moi vous poser une question hypothétique à laquelle j'aimerais que vous répondiez. Une dame âgée, hautement diabétique et souffrant de sérieux problèmes de capacité physique, est placée dans une maison de soins de longue durée, mais ne veut pas vivre là. Elle désire retourner chez elle. Or, les membres de sa famille ne veulent pas qu'elle rentre à la maison, sachant qu'il est probable qu'elle ne prenne pas son insuline au bon moment et ne puisse prendre son bain convenablement ni assurer sa sécurité physique totale. Toutefois, la dame veut habiter chez elle, et pas dans un foyer de soins infirmiers. Que faire?

Mme Desveaux : Je dois connaître certains détails. A-t-elle de l'argent? Qu'elle en ait ou non, il demeure moins cher de maintenir la personne dans sa maison en lui fournissant une aide que de fournir les mêmes soins en institution. En réalité, qu'on ait ou non de l'argent ne devrait pas avoir d'importance. C'est un argument que je réitère continuellement dans ce pays. Nous avons un système de soins de santé universel. Nous sommes censés appliquer le principe de transférabilité, alors on devrait pouvoir déplacer sa mère de l'Ontario à la Nouvelle-Écosse en bénéficiant d'une couverture des frais encourus. Il ne devrait pas y avoir de période d'attente. L'accès devrait être garanti et les soins fournis dans la communauté.

En Nouvelle-Écosse, nous avons eu un cas concernant les services de soutien en santé mentale qui s'est rendu jusqu'à la Cour suprême du Canada. On a dit que la dame concernée devrait avoir accès à des soins dans sa propre collectivité avec le réseau de soutien. La même chose vaut pour la vieillesse. Le diabète peut être traité par nos différents partenaires et organismes qui font des visites à domicile, comme les infirmières de l'Ordre de Victoria. On pourrait assurer un contrôle de ses comprimés pour veiller à ce qu'elle les prenne. Quoi qu'il en soit, la dame ne souhaite pas être dans un centre de soins.

En matière de politique, je suis neutre; je veux simplement qu'on prenne soin des aînés. Récemment, j'ai eu plusieurs entretiens avec Alexa McDonough, qui a eu l'occasion et le privilège de visiter Mme Munroe, en Angleterre. Elle a été consternée de voir à quel point l'état de santé de cette dernière s'était détérioré. Toutefois, en Angleterre, elle a vu à l'œuvre un système où le défenseur du patient en est vraiment un. Les Britanniques ont un système qui est pratiquement comme nos lois sur la protection des enfants, toutes proportions gardées. On agit à titre de défenseurs des personnes concernées. La dame diabétique âgée qui ne souhaite pas être dans un foyer de soins infirmiers pourrait faire appel à quelqu'un comme un ombudsman pour défendre sa cause. Ses droits, et non ceux de sa famille, devraient passer avant tout. Le fait que cette personne ait de l'argent ou non ne devrait pas compter. Nous savons qu'il y a des allégations selon lesquelles dans ce pays, si on a de l'argent, on peut passer devant tout le monde dans la file, et que si l'on doit passer un examen tomodensitométrique, on peut contourner le temps d'attente.

Quand il s'agit des aînés, il est plus économique d'investir davantage d'argent aux bons endroits, par exemple en fournissant des soins de santé à domicile. Cela ne doit pas nécessairement être un argument économique, mais on en revient toujours à cela.

Mme Watts : J'aimerais revenir sur un problème que pose l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Si une personne est mentalement capable, peu importe ce qu'on entend par ce terme — j'aimerais que nous nous interrogions longuement sur la personne qui a fait une telle évaluation, avec quels outils —, abstraction faite de sa fragilité physique, elle est en mesure de prendre ses propres décisions et a le droit d'agir de manière aussi inconsidérée qu'elle le souhaite.

Je dis souvent que j'ai l'intention de dépenser une grande partie de mon argent pour des chaussures lorsque j'aurai atteint un certain âge. Je suis une amoureuse des chaussures notoire, et j'ai prévu dépenser mon argent là-dedans. Est- ce que ce sera prudent? Non. Cela enrichira-t-il ma vie? Absolument.

Si la dame dont nous parlons devait choisir de vivre trois mois dans une situation à risque et qu'elle est intellectuellement capable de le faire, en vertu de l'article 7 de la Charte des droits et libertés, elle en a le droit. Si l'on y porte atteinte, elle dispose d'un recours aux termes de l'article 15, selon lequel elle est victime de discrimination en raison de son âge.

Une politique publique répondrait à ce problème, mais également à celui évoqué par ma collègue dans sa réponse. Nous savons, d'après certains travaux préliminaires de l'Agence de la santé publique du Canada, que Santé Canada et les gouvernements des provinces se sont penchés sur une stratégie nationale en matière de soins à domicile, mais n'ont pas pris de mesures à cet égard. En particulier, j'attire l'attention sur la question de savoir si la dame dont nous parlions a besoin de soins palliatifs. Si c'est le cas, il nous faut examiner très sérieusement les options en matière de soins palliatifs, sous l'angle de la qualité de vie. Nous savons que pour cette dame, le choix le plus coûteux, tout de suite après un lit dans un établissement de soins actifs, serait de vivre dans la maison de soins de longue durée. Il me semble que le Canada ne lui rend pas service, et que l'inverse est aussi vrai. Elle a donc le droit de prendre ses propres décisions, et je recommande que nous l'appuyions de toutes les façons possibles, surtout si c'est une question de soins palliatifs ou de soins en hospice. Elle a le droit de prendre cette décision.

La présidente : Au Canada, nous savons également que si l'on a beaucoup d'argent et qu'on peut payer pour des soins à domicile, on pourra rester chez soi. Toutefois, une petite minorité de Canadiens seulement peut vivre ainsi. Nous avons également vu ce cas bien connu où, à New York, une dame âgée avait de l'argent mais n'obtenait toujours pas les soins dont elle avait besoin, parce que son fils ne veillait pas à ce qu'elle ait de l'argent à cette fin. Il a fallu que son petit-fils défende sa cause en son nom pour lui assurer ces ressources financières.

La décision est laissée à la famille et, à vrai dire, il s'agit d'une famille aimante et attentionnée qui souhaite les meilleurs soins pour sa mère. Les membres de la famille ont très peur qu'elle ne bénéficie pas de soins de qualité si elle retourne dans sa propre maison. Il ne s'agit pas d'argent, ni même de pouvoir. Il s'agit de leur souhait légitime d'agir de la meilleure façon possible dans l'intérêt de leur mère, alors que celle-ci s'y oppose en disant que cela n'est pas dans son meilleur avantage.

Dans ce type de situation, le dilemme auquel bon nombre d'entre nous seront confrontés se résume à la question suivante : « Comment puis-je éduquer la population canadienne afin qu'elle reconnaisse que ma mère ne se dirige pas vers une deuxième enfance? Elle est adulte et a le droit de prendre ses propres décisions, même si celles-ci me mettent mal à l'aise ».

Mme Desveaux : Vous avez utilisé le mot « à l'aise ». Vous êtes plus à l'aise avec l'idée qu'on prenne soin de votre mère parce que vous n'avez pas à vous inquiéter qu'elle se lève en pleine nuit et qu'elle trébuche sur le repose-pieds en se rendant à la salle de bain. Vous pouvez davantage dormir sur vos deux oreilles. Or, il ne s'agit pas de votre confort, mais de celui de votre mère. Elle a donc le droit de vivre dans des conditions à risque.

Le sénateur Mercer : Je trouve intéressant que vous utilisiez cette terminologie. Mais revenons à l'époque où nous élevions des enfants. Nos enfants partis de la maison, nous passons notre temps à nous tracasser en nous demandant ce qu'ils font, s'ils se lèveront en plein milieu de la nuit et trébucheront sur le repose-pieds, et cetera. Tous ceux parmi nous qui ont été parents ont dû apprendre à vivre avec ce genre d'inquiétudes. Nous ne nous sentons pas nécessairement à l'aise tout le temps dans ce contexte.

Je pense que vous avez raison : je suis très préoccupée par le fait que les gens optent pour la solution facile de placer leur mère dans un centre de soins infirmiers. C'est extrêmement cher, pas seulement pour la famille si elle en assume les coûts, mais cela épuise également toutes les ressources que les parents ont accumulées au cours de leur vie, en plus de réduire les ressources de la province où ils habitent.

Je ne crois pas que cela garantit la qualité de soins que l'on prétend. Si on cherche la sécurité, c'est probablement ce qu'on aura avec un centre de soins infirmiers. Mais si on cherche la qualité, on ne l'obtiendra pas nécessairement, à moins de payer beaucoup d'argent et, comme le sénateur Carstairs l'a dit, ce n'est pas garanti non plus.

J'aimerais parler du Royaume-Uni, où les défenseurs des patients agissent vraiment dans l'intérêt des patients. Peut- être est-ce une chose que nous devrions examiner de plus près. Peut-être faudrait-il qu'il y ait un défenseur des aînés, et que ce défenseur travaille véritablement pour les personnes âgées et pas pour nous, ni pour la banque, la famille ou les compagnies d'assurances. Le gouvernement pourrait payer pour ces défenseurs; cependant, ceux-ci ne travailleraient pas pour le gouvernement, mais pour les personnes âgées qui se sentent lésées.

Je compatis vraiment avec la famille, car la plupart des gens veulent ce qu'il y a de mieux pour leurs parents âgés. Mais ils doivent également respecter les décisions que leurs parents prennent. J'aime l'idée que nous puissions faire des bêtises quand nous sommes âgés.

Mais comment en arriver à avoir un tel défenseur? Devrait-il être un agent fédéral ou provincial?

Mme Desveaux : Selon moi, les deux ordres de gouvernement pourraient jouer un rôle à cet égard. Quand je pense au curateur public, par exemple, ce ne sont pas toutes les provinces qui ont ce poste, ni celui de tuteur public. En Nouvelle-Écosse, nous avons un bureau fusionné formé d'une personne et d'un personnel réduit au minimum. La titulaire de ce poste est l'avocate qui travaille le plus fort en Nouvelle-Écosse. J'utilise cet exemple parce que je le connais bien.

Nous avons des gouvernements et des fonctionnaires de niveau fédéral et provincial. Nous pourrions assurer une supervision du fédéral et mettre en place des pratiques exemplaires pour que les provinces puissent remplir cette tâche. Les provinces pourraient avoir la responsabilité légale d'assumer cette fonction, mais le fédéral pourrait avoir compétence pour ce qui est de veiller à l'application des pratiques exemplaires, de sorte qu'on n'agirait pas en vase clos dans la Colombie-Britannique rurale, la ville d'Halifax ou le Québec francophone. J'utilise cet exemple parce que parfois, on fait les choses autrement au Québec. Les lois de cette province sont différentes.

Nous tiendrions compte du meilleur intérêt des personnes âgées, et pas de ce qui peut mettre à l'aise un fils de Colombie-Britannique qui fait soigner sa mère en Ontario. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire. Nous pouvons nommer des curateurs publics. Pourquoi ne pas nommer un ombudsman ou quelqu'un d'autre qui agirait à titre de défenseur des aînés?

Il nous faut nommer quelqu'un qui possède un bagage et des connaissances relativement à ces conditions, et non une personne qui tiendra compte des intérêts du médecin, intérêts qui ont été déterminés par la famille, ou encore de ceux de l'agent des opérations bancaires de la communauté rurale qui connaît la volonté de la famille et sait qu'elle agira à sa guise de toute façon. Nous voulons quelqu'un d'indépendant, qui représente véritablement la personne concernée. Cela peut se faire.

Le sénateur Mercer : En ce qui concerne votre description de la transférabilité des soins de santé, je pense que c'est vraiment une question que nous devons étudier sous tous ses aspects. Je bénéficie de cette transférabilité. Je paie des impôts en Nouvelle-Écosse, mais j'ai reçu des soins de santé en Ontario. Il est intéressant de noter que si l'on franchit les étapes du processus, on arrive à un point où il y a des accords réciproques entre les provinces seulement jusqu'à un certain niveau. Cela ne touche pas seulement les personnes âgées, mais chacun d'entre nous. Comment y remédier, et quelles sont les caractéristiques qui font défaut, selon vous, en ce qui a trait à la transférabilité des soins de santé aux aînés?

Mme Desveaux : Lorsque vous vivez dans un centre de soins en Ontario, que vous êtes couvert par l'Assurance-santé de l'Ontario ou le régime d'assurance-médicaments de la province et que vous déménagez en Nouvelle-Écosse, vous devez vous soumettre à une période d'attente. Une de mes clientes a été obligée de trouver un centre pour sa mère. Il n'y avait pas de place disponible. Sa mère occupait un lit dans un établissement de soins actifs. Elle a trouvé un foyer qui offrait des soins 24 heures sur 24, sauf que c'est la famille qui devait payer. La famille a dû assumer toutes les dépenses en soins de santé au cours de cette période. Or, l'assurance-santé devrait être transférable.

Je souscris une assurance auprès d'un fournisseur de soins de santé privé. De nombreuses personnes le font — l'assurance complémentaire couvre les frais de transport en ambulance. Ces frais ne sont plus couverts par les centres de soins. Voilà une autre question qui me préoccupe, surtout en ce qui concerne les personnes âgées. Quand on quitte le centre-ville de Toronto pour emménager au centre-ville d'Halifax, on devrait pouvoir transférer son assurance-santé. Elle devrait nous suivre, mais ce n'est pas le cas.

Pour ce qui est des améliorations à apporter, il y a, parmi nos clients, une personne âgée qui s'est fait prescrire un médicament de marque par son médecin. Si elle déménage dans une autre province, elle va être obligée de consulter un autre médecin pour obtenir le même médicament, parce qu'il figure sur une liste restreinte. C'est un problème auquel il faut s'attaquer. Les personnes âgées sont victimes de pratiques discriminatoires que nous semblons, pour une raison ou une autre, trouver acceptables. Nous devons nous débarrasser de cette perception avant de faire quoi que ce soit.

Concernant les centres de soins, j'ai travaillé dans un établissement pendant plus de 20 ans et je n'ai été témoin d'aucun cas de mauvais traitement au cours de cette période. Les soins dispensés étaient excellents. Pour ce qui est du personnel, les employés, pour la plupart, ne sont pas là par obligation, mais par choix : ils veulent travailler auprès des personnes âgées. Que vous soyez riche et que vous habitiez le quartier sud d'Halifax, Richmond Hill, à Toronto, ou ville Mont-Royal, au Québec importe peu. Que vous ayez ou non de l'argent, le personnel va continuer de fournir les mêmes soins de qualité. Je tenais à le préciser, puisque j'ai travaillé dans ce domaine. La qualité des soins est constante.

Le sénateur Mercer : C'est un point sur lequel nous nous entendons tous : les soins offerts sont d'excellente qualité. Toutefois, a-t-on suffisamment de personnel pour les dispenser?

Mme Desveaux : Non, il n'y en a pas assez. Nous sommes confrontés à une crise.

Le sénateur Mercer : Donc, la qualité des soins fléchit en raison d'un manque de personnel. Seul un nombre limité de personnes peuvent être desservies au cours d'un quart de travail de 8 ou de 12 heures, en fonction des contraintes temporelles et physiques auxquelles le personnel est soumis. Ils veulent fournir des soins de qualité, mais ils n'ont pas les ressources nécessaires pour le faire.

Le sénateur Cordy : Je vous trouve toutes les deux fort intéressantes. Laissons de côté les questions et poursuivons la discussion. Il y a de nombreuses personnes ici qui sont originaires de la Nouvelle-Écosse et qui connaissent le cas auquel vous avez fait allusion. Les médias en ont beaucoup parlé. On se demande qui dit vrai dans cette histoire : c'est la parole de l'un contre la parole de l'autre. On a tendance à oublier un peu la principale intéressée.

Mme Desveaux : Dans ce cas particulier, la dame avait pris des dispositions et je n'avais pas à me prononcer là- dessus.

Le sénateur Cordy : Justement. Voici une personne très intelligente, du moins, d'après ce j'ai lu, qui a préparé des directives. On penserait que lorsqu'on prend le temps de le faire, nos souhaits vont être respectés. Or, cela n'a pas été le cas. Ses directives n'ont pas été suivies, au grand désarroi des nombreuses personnes qui ont mis leurs volontés sur papier. Devons-nous actualiser les lois, ou seulement la Charte?

Mme Desveaux : Uniquement si nous avons les moyens d'entreprendre une contestation en vertu de la Charte et de saisir les tribunaux de toutes ces affaires.

Mme Watts : Il faudrait alors trouver un avocat qui se spécialise dans le domaine.

Le sénateur Cordy : Il y en a déjà deux, ici, aujourd'hui.

Mme Desveaux : Les choses n'auraient pas dû se passer de cette façon. Dès qu'elle a su qu'elle était en Angleterre, la Gendarmerie royale du Canada aurait dû communiquer avec Scotland Yard, qui aurait dû aller la chercher et la renvoyer au Canada, en prenant soin de la faire accompagner d'une infirmière — ou d'un gériatre, par exemple. Elle aurait dû être ramenée ici, placée dans une unité spéciale au QE II et évaluée par des gériatres. Ils auraient pu la faire évaluer par un spécialiste en gériatrie indépendant. Nous avons essayé de la faire évaluer par un gériatre en Angleterre, mais il n'a pas voulu.

Il aurait fallu la ramener au Canada. Elle avait tout fait selon les règles, sauf qu'il y avait aussi une procuration. Aucune ordonnance du tribunal n'a été émise. Ils ont dit aux policiers qu'elle n'était plus là, qu'il l'avait emmenée, sauf qu'elle était partie de son plein gré. Ce que j'essaie de dire depuis le début, c'est que si vous demandez à une personne qui se trouve dans un centre de soins, « Veux-tu rentrer à la maison avec moi? », elle va vous suivre.

Ses droits n'ont pas été respectés. Les gens qui ont reçu l'information en Angleterre n'étaient pas au courant de tous les faits. Nous avons beaucoup appris de ce cas-ci et je pense que des modifications vont être apportées aux lois. Quand je prépare des documents pour mes clients, je n'inclus pas les souhaits visant les soins de santé dans la procuration relative aux biens, sauf si la personne insiste, mais plutôt dans une directive préalable.

La Nouvelle-Écosse s'est dotée d'une loi sur le consentement aux traitements médicaux, le Medical Consent Act, qui autorise une personne à désigner un mandataire qui va décider à sa place. Vous pouvez déléguer le pouvoir de consentement à quelqu'un d'autre. Or, il s'agit bien d'un consentement à un traitement médical.

À mon avis — et les avocats qui ont travaillé bénévolement sur ce dossier et certains médecins pensent la même chose —, quand il est question de démence, le consentement est primordial. Or, ce n'était pas suffisant. Nous devons manifestement faire plus de sensibilisation dans ce domaine.

Quand je prépare une directive préalable, j'inclus dans celle-ci une clause de consentement aux traitements médicaux. La personne désigne un mandataire, mais prépare des directives — qui s'apparentent à un testament de vie —, qui vont servir de guide à celui-ci.

Mme Munroe avait fait part de ses volontés à plusieurs personnes. Ses médecins la connaissaient. C'étaient des amis. Ce qui s'est passé n'aurait jamais dû arriver. Quand mes clients viennent me voir, ils disent, « Vous êtes l'avocate qui s'est occupée du dossier Heli Munroe. Que va-t-il m'arriver? » Je ne peux pas leur dire qu'ils ne vivront pas la même chose tant qu'il y a des lois, comme le Code criminel, qui disent que si vous n'aimez pas comment le mari de votre sœur traite celle-ci, emmenez-là dans un autre pays. Ce genre de situation va se produire de nouveau, tant que le Code ne sera pas modifié.

Je suis certaine que cela va se produire de nouveau, car on cherche maintenant à établir qui dit vrai dans cette affaire au lieu de mettre l'accent sur la principale intéressée, soit Mme Munroe elle-même.

Aucune des allégations n'a été prouvée. Il en a fait diverses, mais parce que les autorités de la province ont mené une enquête et que celle-ci n'a pas donné les résultats escomptés, il l'a emmenée. Nous ne devrions pas avoir le droit d'enfreindre les lois d'un pays, mais c'est ce qui a été fait dans ce cas-ci.

Le sénateur Cordy : Devrions-nous modifier le Code?

Mme Desveaux : Absolument.

Mme Watts : Je fais partie de la Federation of Law Reform Agencies of Canada. Je travaille aussi comme avocate- conseil pour le British Columbia Law Institute, la Commission de réforme du droit de la Colombie-Britannique. S'il y a des lois qui doivent être harmonisées, voire uniformisées, ce sont bien celles qui régissent le consentement aux soins de santé, les directives préalables, les procurations.

Les provinces de l'Ouest ont créé un organisme, mais il n'est pas financé. La Commission du droit du Canada et la Commission de réforme du droit du Canada n'existent plus. Il n'y a pas d'entité nationale au Canada qui s'intéresse à la question de l'uniformisation des lois, sauf peut-être la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada et la Federation of Law Reform Agencies of Canada, deux associations qui ne bénéficient essentiellement d'aucun financement.

Comme il y a des limites à ce que nous pouvons faire, le dossier à l'échelle nationale est piloté par des avocats concernés qui croient fermement à la nécessité d'agir. Le gouvernement fédéral doit absolument faire montre de leadership dans ce domaine. J'ai rencontré le ministre de la Justice et des représentants d'autres commissions de réforme du droit, et nous leur avons proposé de créer un nouveau partenariat.

Le comité doit examiner, entre autres, la question du financement de la réforme du droit au Canada. Toutes les sociétés devraient avoir une commission de réforme du droit responsable qui relève du gouvernement fédéral, ou encore une fédération qui regroupe les commissions provinciales et territoriales. Je trouve honteux que le Canada n'ait pas d'organisme de ce genre. Par ailleurs, le fait de ne pas avoir de commission ne sert ni nos intérêts économiques, ni nos objectifs d'intérêt public.

Vous ne le savez peut-être pas, mais les questions touchant les procurations relatives aux biens ou aux soins de la personne, les directives préalables comme les directives de soins de santé, ainsi de suite, sont entièrement régies par les provinces. Ce qui est une bonne chose, sauf que ces directives ne seront pas reconnues, respectées ou comprises quand Gladys rend visite à Susan ou quand Susan rend visite à son neveu, à Halifax.

Les dispositions que j'ai prises en Colombie-Britannique ne seront pas reconnues automatiquement ou même jugées valides en Ontario. Nous n'avons pas, au Canada, de processus d'examen des lois ou de cadre cohérent qui régit la plupart de ces questions critiques et personnelles, surtout pour les personnes âgées.

Mme Desveaux : Comme il y a ici de nombreuses personnes originaires de la Nouvelle-Écosse, je tiens à préciser que, dans le cas de l'affaire Heli Munroe, Peter MacKay et Alexa McDonough ont tous deux reconnu que la loi présentait des lacunes. Ils sont conscients du fait que la loi doit être revue. M. MacKay a dit que le gouvernement allait s'en occuper. Il a dit qu'il représentait le gouvernement et qu'il tenait à faire quelque chose.

S'il vous plaît, aidez Heli Munroe, mais aidez aussi toutes les autres personnes âgées de la Nouvelle-Écosse et des autres provinces du Canada qui pourraient être emmenées à l'étranger. La fille qui est installée à New York peut décider d'emmener sa mère, qui habite Toronto, si elle n'aime pas les décisions que prend la sœur qui vit à St. Catharines. Tout est possible.

Le sénateur Cordy : De nombreuses personnes âgées sont isolées. Je tiens à préciser que ce ne sont pas toutes les personnes âgées qui sont maltraitées par leur famille. Toutefois, il y a des personnes âgées qui sont très isolées, qui comptent beaucoup sur l'aide de la famille qui, elle, ne les traite peut-être pas comme elle devrait le faire. Comment faire parvenir l'information aux personnes âgées, surtout celles qui sont isolées? Elles peuvent être isolées aussi bien en milieu rural qu'en milieu urbain. Comment s'assurer que les personnes âgées connaissent leurs droits?

Madame Watts, vous avez parlé, plus tôt, du travail que vous effectuez en Colombie-Britannique. Mme Desveaux aimerait bien que les autres provinces en fassent autant. Parlez-nous un peu de ces projets. Pouvons-nous faire la même chose?

Mme Watts : Nous avons lancé une initiative qui a connu beaucoup de succès. Le Réseau de centres d'excellence, un organisme financé par le gouvernement fédéral qui regroupe les IRSC, le CRSH et le CRSNG, verse un million de dollars par année depuis quatre ans à l'Initiative nationale pour le soin des personnes âgées. J'ai l'honneur d'être la chef d'équipe de la division des soins en fin de vie et des soins palliatifs. Je m'occupe également d'autres volets stratégiques de l'Initiative.

Il s'agit d'une association merveilleuse qui regroupe des praticiens de diverses disciplines, chose unique au Canada. On retrouve au cœur de ce réseau des infirmiers et des infirmières gériatriques, des médecins, des travailleurs sociaux et quelques avocats. Mme Desveaux et moi agissons comme avocates-conseils. Il comprend aussi des thérapeutes, des physiothérapeutes et plusieurs autres professionnels qui se préoccupent du soin des aînés.

Ces personnes travaillent pour la plupart à titre bénévole. Encore une fois, il y a des limites à ce que nous pouvons faire. L'Initiative s'intéresse à cinq grands domaines, dont la démence, la prestation de soins et les questions de fin de vie. Une nouvelle équipe spécialisée dans les mauvais traitements infligés aux personnes âgées vient d'être créée.

L'Initiative travaille en collaboration avec le CRDI. Elle a reçu une aide financière du gouvernement fédéral pour mener une étude sur la façon dont nous pouvons mettre à profit les connaissances acquises par les autres pays d'origine des Canadiens. Au départ, neuf pays étaient visés. D'autres se sont ajoutés à la liste. Nous essayons de trouver des moyens de mobiliser les connaissances acquises par les différentes cultures, peu importe les barrières linguistiques qui existent.

Ce projet bénéficie de l'appui de ceux qui sont prêts à faire le travail. Toutefois, il a besoin d'une aide soutenue, puisqu'il va manquer de fonds dans environ un an et demi. J'appuie vivement les efforts que déploie l'Initiative nationale pour le soin des personnes âgées. Elle formule des recommandations concernant les programmes de formation, les programmes de spécialisation, les exigences et la réglementation professionnelles. Elle travaille aussi avec les entreprises et les industries qui fabriquent des équipements destinés aux personnes âgées. Toutefois, elle dispose de très peu de moyens.

Pour ce qui est de la mobilisation des connaissances, nous pourrions beaucoup apprendre à ce chapitre si nous avions accès à un financement sur une période de plus de quatre ans. Le travail dans ce domaine s'appuie sur les études que réalise la Fondation John A. Hartford, aux États-Unis, qui jouit d'un financement annuel totalisant des dizaines de millions de dollars. Compte tenu des fonds dont elle dispose et du travail qu'elle effectue, nous pouvons dire que nous sommes remarquablement efficaces.

Le réseau est financé dans le seul but de favoriser la mobilisation des connaissances. Nous disposons de données et d'éléments de preuve solides. Il suffit maintenant de les transmettre aux personnes compétentes. Pour répondre aux questions de ma collègue, des études sérieuses ont été réalisées au Canada. Il faut maintenant en confier les résultats aux personnes intéressées, c'est-à-dire les travailleurs en service communautaire, la famille, les amis, les avocats, les associations de personnes âgées et les usagers du Web.

En effet, les personnes âgées constituent aujourd'hui le groupe d'usagers le plus important d'Internet. Des études fort intéressantes ont été menées sur la question dans d'autres pays. L'INSPA cherche à savoir comment les gens absorbent les connaissances, comment ils se mobilisent, se tiennent au courant. Il s'agit d'un magnifique projet qui bénéficie de l'appui du gouvernement fédéral. Il faut absolument continuer de le soutenir et de le financer.

Mme Deveaux : En ce qui me concerne, je crois qu'il faudrait intervenir au niveau local. Nous envoyons des documents aux personnes âgées qui reçoivent, entre autres, le supplément de revenu garanti. Nous pourrions peut-être leur envoyer des renseignements sur la violente faite aux aînés. Le groupe de travail a pris de nombreuses mesures concrètes et renseigne les personnes âgées. La population en général est de plus en plus sensibilisée à la question de la violence faite aux aînés. Les incidents touchant des personnes isolées dans les collectivités sont maintenant signalés. Dans les régions rurales, les sapeurs-pompiers volontaires, les infirmières VON et même le laitier se rendent dans les foyers. J'ai entendu des choses très positives au sujet des interventions que ces personnes ont faites.

La Journée internationale de sensibilisation pour contrer les abus envers les personnes aînées va nous aider à diffuser le message. La femme âgée qui vit dans une collectivité rurale de l'Ontario, qui se berce dans sa chaise et regarde les nouvelles va entendre parler de cette journée. Il se peut qu'elle en parle à l'infirmière VON lors de sa prochaine visite, qu'elle se pose des questions et se rende compte que cela la vise. Ce message est le même que celui qui était diffusé il y a 30 ans, quand les femmes ont commencé à se rendre compte qu'elles étaient victimes de mauvais traitements. Nous devons faire passer le message. C'est ce que nous sommes en train de faire.

Mme Watt : Comme je l'ai dit au début de mon exposé, le vieillissement n'est pas seulement un phénomène physiologique, mais également un mouvement social. Il ressemble au mouvement en faveur des droits des personnes handicapées ou au mouvement féministe. Voilà où nous en sommes. Il s'agit d'un mouvement très important qui peut être appuyé de diverses façons.

Je voudrais vous parler de ce qu'une personne peut faire physiquement. Il existe actuellement des lacunes au niveau de l'accès à la justice. On peut aider une femme en l'informant des droits qu'elle possède et en lui expliquant quels sont les mauvais traitements qui sont infligés aux personnes âgées : mentionnons le fait de crier après l'aîné, les menaces, le fait de priver une personne de son courrier, et il s'agit là d'une forme courante de négligence, le fait de l'isoler en coupant sa ligne téléphonique, un geste qui peut être posé soit par un membre de la famille, soit par un aidant. Il existe aussi des formes plus subtiles de mauvais traitements. Mentionnons le recours à la force physique, la prise de sédatifs. Il existe diverses formes d'abus.

Une fois que la personne est sensibilisée, qu'arrive-t-il? Le fait est que s'il n'y avait pas d'avocats qui acceptaient d'offrir bénévolement leurs services, la femme âgée qui habite une collectivité rurale en Ontario n'aurait personne à qui s'adresser. Elle n'a sans doute pas d'argent pour retenir les services d'un avocat privé. Elle n'a peut-être pas accès à ses comptes bancaires. Elle ne sait probablement pas où aller. Il y a peut-être un numéro qu'elle peut composer dans sa région pour avoir accès à des services centralisés. C'est une bonne chose, mais en bout de ligne, qui va l'aider? Elle a besoin d'un avocat. D'où viennent les fonds? Notre programme d'aide juridique n'offre pas à l'heure actuelle de genre de soutien. Ce qui nous ramène à notre première question : comment peut-elle obtenir justice?

Nous devons mettre sur pied un programme fédéral à l'intention des personnes âgées, en collaboration avec des organismes comme l'Association du Barreau canadien. Nous devons appuyer les services d'aide juridique qui se spécialisent dans l'aide offerte aux personnes âgées, parce que, en bout de ligne, si les personnes âgées ne peuvent pas avoir accès à la justice, elles vont continuer de se trouver dans une impasse.

La présidente : Je tiens à vous remercier toutes les deux d'être venues nous rencontrer et d'avoir partagé avec nous vos connaissances sur le sujet. Vous avez formulé de nombreuses recommandations, et il y en a certaines qui vont figurer dans le rapport final.

La séance est levée.


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