Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 7 - Témoignages du 26 février 2008
OTTAWA, le mardi 26 février 2008
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 18 h 58 heures pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir, honorables sénateurs et messieurs les témoins, et bienvenue à ceux qui suivent à la télévision les audiences du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts sur la pauvreté rurale et le déclin rural. Les témoins de ce soir sont venus nous parler de l'activité criminelle et policière dans le Canada rural.
À en juger par les nouvelles du soir, la criminalité semble être surtout un problème urbain. Les drogues, la prostitution et les infractions contre les biens semblent bien éloignées de la vie rurale au Canada telle que nous la concevons : un endroit où les gens verrouillent rarement leurs portes, laissent la clé dans leur voiture et veillent les uns sur les autres d'une façon informelle qui s'apparente à la surveillance de quartier.
Dans bien des cas, ces stéréotypes sont vrais. Cependant, comme le comité l'a entendu tout au long de sa tournée au Canada d'un océan à l'autre, la pauvreté rurale et le dépeuplement des régions rurales sont en train d'effilocher le tissu qui a donné naissance à la réputation du Canada à titre de nation rurale, à titre d'endroit où il n'y a que peu ou pas du tout de crime.
Nous avons avec nous ce soir pour nous parler de ces questions des représentants de deux services de police qui ont un mandat étendu en région rurale, la Gendarmerie royale du Canada et la Police provinciale de l'Ontario. De la GRC, nous accueillons Michel Aubin, directeur, Drogues et crime organisé, et Marcel Lebeuf, agent principal de recherche; et de la Police provinciale de l'Ontario, nous recevons Mark Allen, inspecteur, gestionnaire, Section de la prévention du crime, Bureau des enquêtes.
Nous avons deux heures, chers collègues, pour explorer un vaste éventail de questions avec ces trois messieurs. J'invite donc mes amis à poser des questions aussi brèves que possible, pour permettre à nos témoins de donner des réponses complètes et pour que tout le monde puisse contribuer à la discussion ce soir.
Nous vous remercions beaucoup d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Cela peut vous sembler un endroit étrange, mais vous êtes les bienvenus ici et nous savons que vous avez des histoires à raconter.
Michel Aubin, directeur, Drogues et crime organisé, Gendarmerie royale du Canada : Bonsoir et merci beaucoup de nous avoir invités. Comme vous l'avez dit, je suis le directeur des drogues et du crime organisé à la Gendarmerie royale du Canada. À ce titre, je suis chargé de superviser les activités d'application de la loi dans ces domaines au nom de la GRC.
Le volet du programme consacré à la lutte antidrogue se compose d'unités d'enquête réparties au Canada, notamment des équipes spécialisées dans la lutte contre les installations de culture de la marijuana et les laboratoires clandestins, équipes disséminées stratégiquement un peu partout au Canada.
Du côté du crime organisé, la GRC dirige 13 équipes qui sont expressément chargées de mener des enquêtes sur les organisations criminelles. Ce sont des équipes complètement intégrées formées non seulement de membres de la GRC, mais aussi d'autres services de police municipaux et provinciaux.
Ces équipes ciblent les échelons les plus élevés du crime organisé dans leurs provinces respectives. Bien qu'elles soient situées dans les grandes villes du Canada, elles assument aussi des responsabilités qui s'étendent à la grandeur de la province. Les équipes adoptent le modèle d'intervention policière axé sur la cueillette de renseignements, modèle adopté par la GRC et les principaux services de police du Canada.
Ces enquêteurs utilisent comme point de départ de leurs enquêtes des rapports sur les renseignements recueillis rédigés par les équipes de renseignement criminel de la GRC réparties un peu partout au Canada, et aussi par le Service canadien de renseignements criminels, le SCRC, ainsi que les bureaux provinciaux et les services de renseignements des organismes participants.
En ce qui a trait à la présence du crime organisé en région rurale, il existe un certain nombre de rapports publics qui attestent de cette présence. En fait, grâce aux vastes ressources à sa disposition, le crime organisé est en mesure de s'infiltrer dans les structures sociales et économiques légitimes, ce qui lui donne le potentiel de causer d'énormes dommages au tissu de la vie canadienne en milieu rural. J'espère cependant jeter un peu de clarté sur cette question en mettant en lumière le fait que les services d'application de la loi connaissent bien les méthodes utilisées par le crime organisé pour s'infiltrer dans les communautés rurales et en expliquant ce que nous faisons pour contrer cette menace.
En général, le crime organisé concentre ses activités dans les régions du pays les plus peuplées et les plus florissantes économiquement. Les plaques tournantes sont le sud-ouest de la Colombie-Britannique, le Sud de l'Ontario et le Grand Montréal. En plus d'être à proximité des voies d'approvisionnement, ces régions regroupent également la plus grande partie du marché et de la demande.
La concentration des organisations criminelles a tendance à diminuer en fonction de la diminution de la densité de population. Cependant, il y a aussi du crime organisé dans les régions rurales. Beaucoup de groupes locaux et provinciaux de crime organisé, bien que relativement restreints et rudimentaires en comparaison des groupes plus traditionnels, peuvent néanmoins avoir une profonde incidence sur les communautés dans lesquelles ils sont implantés.
La plupart des groupes n'ont pas leur base d'opération en région rurale, mais font sentir leur influence dans ces régions par les produits qu'ils y vendent, notamment les drogues et les articles contrefaits, et aussi par leur présence nécessaire pour le transport des biens ou les transactions avec leurs clients.
Les activités de renseignement et d'application de la loi ont permis de constater que les organisations criminelles sont également présentes en région rurale par les installations de culture de la marijuana en plein air et à l'intérieur. Les secteurs boisés situés en périphérie des champs cultivés sont souvent choisis à cause du faible coût des terrains et de la protection offerte par l'éloignement. Ce soir, je vais laisser mon collègue vous parler plus longuement de ce problème. Les statistiques nationales de la GRC sur les saisies de plants de marijuana en région rurale indiquent qu'il y a eu une augmentation entre 2002 et 2004, les chiffres restant ensuite relativement stables jusqu'en 2007.
Dans certaines localités, le crime organisé se manifeste également par la présence de gangs de rue. Des cellules de gangs de rue urbains plus importants et, dans une moindre mesure, de nouveaux gangs de rue sont décelés dans des petites villes, en région rurale et dans les réserves autochtones. Les gangs de rue canadiens se livrent essentiellement à des activités allant des graffitis au vol, en passant par le trafic de drogue et le commerce du sexe. Dans certains cas, des gangs de rue peuvent aussi recourir à la violence et à l'intimidation pour atteindre leurs buts.
D'après le rapport annuel du SCRC pour 2006, les gangs de rue sont en hausse en région rurale et dans les réserves autochtones. Cependant, on ne sait pas avec certitude si cette augmentation est réelle ou si elle résulte de rapports policiers plus étoffés.
Je voudrais aussi prendre un instant pour vous signaler les possibilités qui se présentent dans les villes qui connaissent une croissance rapide. L'industrie pétrolière, notamment, a injecté énormément de richesse dans de petites localités qui étaient auparavant isolées. L'industrie du diamant, en plein essor dans le Grand Nord, a connu un succès semblable. Cet accroissement de richesse s'accompagne d'occasions plus nombreuses pour les organisations criminelles qui veulent s'implanter dans ces localités.
Grâce à nos efforts accrus en matière de cueillette de renseignements et à nos équipes intégrées d'application de la loi, nous sommes au courant des menaces qui peuvent se manifester dans ces villes champignons. La GRC et ses partenaires dans l'application de la loi, de concert avec les gouvernements municipaux, provinciaux, territoriaux et fédéral, déploient beaucoup d'efforts pour combattre ces menaces.
J'ai déjà mentionné que la GRC a 13 équipes intégrées de lutte contre le crime organisé qui sont réparties un peu partout au Canada et dont les activités se fondent sur la cueillette de renseignements. Ces équipes ont essentiellement été mises sur pied au cours des cinq dernières années et elles constituent notre réponse au problème du crime organisé au Canada.
La GRC a également créé un programme de lutte contre le crime organisé des Premières nations dans les provinces d'Ontario et du Québec. En fait, le modèle québécois a mené de nombreuses enquêtes couronnées de succès en ciblant des organisations criminelles qui étaient directement présentes dans les réserves autochtones de la province de Québec.
Au Québec et en Ontario, étant donné que la GRC n'est pas le service policier qui a le mandat provincial, la GRC participe à des équipes intégrées dirigées par les services provinciaux ou municipaux qui ciblent également les organisations criminelles. À titre d'exemple, dans la province de Québec, la Sûreté du Québec possède des équipes, tandis qu'en Ontario, nous participons aux équipes dirigées par la Police provinciale de l'Ontario.
Les enquêtes menées par les équipes dirigées par la GRC, tout en ciblant les organisations criminelles qui peuvent être basées dans les grandes villes, comprennent souvent des volets d'enquête ayant des ramifications dans les régions rurales. Dans les détachements de la GRC en région rurale, nos membres sont formés pour mener des enquêtes et, dans bien des cas, ils contrôlent des sources humaines, obtiennent et exécutent des mandats, et fournissent aux procureurs la documentation voulue pour les procédures judiciaires.
Nos membres sont également formés pour identifier les activités criminelles et faire rapport à ce sujet. Si les enquêtes sur les activités potentielles du crime organisé dépassent la capacité d'un détachement, des unités d'enquête régionales ou des unités de lutte antidrogue situées partout dans la province peuvent se charger de ces enquêtes. De plus, ces enquêtes peuvent être effectuées par les équipes spécialisées de lutte contre le crime organisé. Dans chaque province, il existe au moins une équipe à l'heure actuelle.
En matière de formation, le principal atout des services d'application de la loi demeure les sources humaines qu'il faut cultiver et contrôler. Grâce à ces sources, nous pouvons suivre les activités des organisations criminelles et mener nos activités d'application de la loi de manière à la fois stratégique et réactive.
La GRC veille à ce que ses membres soient formés pour encadrer et gérer des sources humaines. Nous avons aussi beaucoup investi dans la formation des éléments qui sont affectés aux équipes spécialisées de lutte contre le crime organisé.
La GRC a également connu beaucoup de succès avec ses programmes ciblés d'application de la loi. Dans le cadre de l'opération Pipeline et Jetway, par exemple, on forme des agents de police de première ligne dans l'art de déceler et d'intercepter la contrebande le long des grandes routes et dans les plaques tournantes des transports, par exemple les gares routières et ferroviaires. Ces programmes se sont révélés extrêmement efficaces pour ce qui est de perturber l'acheminement, par le crime organisé, de produits illégaux qui traversent les régions rurales pour aller rejoindre les marchés criminels plus importants.
Il importe toutefois d'insister sur le fait que le travail policier ne doit pas se limiter à l'application de la loi. La GRC croit en une approche équilibrée qui comprend l'éducation, la sensibilisation et l'application de la loi. Conscientiser les gens aide à les protéger et à leur éviter de devenir des victimes.
Le Service de sensibilisation aux drogues et au crime organisé (SSDCO) de la GRC appuie nos initiatives d'application de la loi depuis plus de 20 ans. Ce service se consacre, de concert avec nos partenaires, à renforcer la sûreté et la santé de nos collectivités en réduisant la consommation abusive d'alcool et d'autres drogues, les activités du crime organisé et les problèmes connexes. Son objectif est d'encourager, mobiliser et appuyer les initiatives communautaires qui bénéficient de l'aide de la police.
Je ne saurais trop insister sur ce point : réduire la consommation abusive d'alcool et de drogues, les activités du crime organisé et les problèmes connexes, ce n'est pas une tâche qui est limitée à la police. Il faut mettre en cause les dirigeants communautaires et les services sociaux dans un effort concerté d'éducation et de prévention. C'est vrai dans toutes les régions du Canada, mais particulièrement dans les collectivités rurales où les ressources sont plus limitées.
Je suis à votre disposition pour vous parler plus longuement de ces questions ou de tout autre sujet qui pourrait vous être utile ce soir.
Mark Allen, inspecteur, gestionnaire, Section de la prévention du crime, Bureau des enquêtes, Police provinciale de l'Ontario : Je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole devant votre comité sur les questions relatives au crime et au travail de la police, dans le cadre de votre examen de la pauvreté rurale au Canada. Comme on l'a dit, je suis le gestionnaire de la Section de prévention du crime à la Police provinciale de l'Ontario et l'on m'a demandé expressément d'aborder ce soir deux domaines : les installations de culture de la marijuana en milieu rural et la violence familiale.
Je voudrais d'abord faire à votre intention un très bref survol de la PPO. Nous sommes responsables des services policiers dans un territoire de près d'un million de kilomètres carrés et plus de 110 000 kilomètres carrés de plans d'eau. Nos 5 650 membres en uniforme, 2 194 membres civils, 68 membres des Premières nations et 853 membres auxiliaires fournissent un vaste éventail de services à la province et à 315 municipalités par l'entremise de nos 165 détachements, six quartiers généraux régionaux et de notre grand quartier général situé à Orillia.
Je vais commencer par vous parler des installations de culture de la marijuana. Les images que vous voyez derrière mois valent mille mots.
Les installations de culture de la marijuana et le crime organisé dans l'Ontario rurale, y compris la production, la distribution et le trafic de drogues illicites, ont été identifiées comme la principale source de revenus pour les groupes de crime organisé qui mènent des activités dans la province d'Ontario.
La prolifération des installations de culture de la marijuana dans l'Ontario rurale est attribuée directement à des groupes de crime organisé qui exploitent l'isolement des localités rurales pour y implanter leur entreprise criminelle.
En 2002, notre Section antidrogue a démantelé 480 installations de culture intérieure et 249 installations en plein air. Depuis ce temps, la section a vu un déclin constant du nombre d'installations de culture à l'intérieur, mais une hausse constante du nombre des installations en plein air. Le ratio des installations intérieures/plein air n'a cessé de s'inverser. En 2007, des 551 installations que nous avons démantelées, 365 étaient des installations en plein air par opposition à 186 installations intérieures; les deux tiers étaient donc en plein air.
Un certain nombre de raisons peuvent être avancées pour expliquer ce changement. Une raison est que le renforcement des activités policières pour démanteler les installations intérieures a poussé les criminels à aller s'installer à l'extérieur. La deuxième raison pourrait être d'ordre financier. Comme mon collègue l'a dit, la terre est bon marché en région rurale et une seule récolte annuelle de marijuana peut donner autant que dix récoltes cultivées à l'intérieur. Enfin, les caractéristiques rurales des régions où sont implantées la plupart de ces installations rendent souvent la détection plus difficile et, en général, nos agents sont plus éparpillés en milieu rural.
Au cours des cinq dernières années, la Section antidrogue et ses partenaires ont fait enquête sur près de 3 550 installations de culture de la marijuana et ont détruit 1,3 million de plants. En outre, nos agents de la Section antidrogue constatent un nombre inquiétant de saisies d'armes. Au cours des cinq dernières années, les agents ont saisi 3 200 armes dans le cadre des enquêtes antidrogue.
La menace à la sécurité publique posée par la prolifération des installations de culture de marijuana en plein air dans l'Ontario rurale est illustrée par l'émergence d'une nouvelle tendance, celle des expéditions menées par des groupes de crime organisé qui vont voler les denrées cultivées par d'autres groupes criminels.
Ces dernières années, les cultivateurs de marijuana montent la garde pour protéger leurs cultures contre les « pirates du pot ». Ces derniers, souvent lourdement armés, mènent des raids pour aller voler les récoltes de marijuana. Il y a eu des incidents dans lesquels des gens ont été tués ou blessés à coups d'arme à feu. La police trouve des pièges fort élaborés destinés à tuer ou blesser, ainsi que des postes d'observation et de sécurité creusés à même le sol ou camouflés dans les arbres, dans lesquels des observateurs peuvent se cacher.
La production de marijuana étant une entreprise valant des milliards de dollars, il existe des groupes qui n'hésitent pas à aller jusqu'à la dernière extrémité pour protéger leur produit et d'autres qui en font autant pour voler le produit.
Les agents de la PPO ont fait enquête sur un incident de fusillade nourrie à Greenfield, au nord de Cornwall, en rapport avec une installation de culture de la marijuana. Une personne a été tuée. Dans une autre fusillade près de Portland, en Ontario, un homme a été blessé par balle à propos d'une installation de culture. La police a récemment arrêté et accusé une personne en rapport avec un meurtre qui était directement lié au vol de marijuana dans une installation de culture située dans la région de Cobourg, il y a cinq ans.
Des agents de la PPO qui s'étaient aventurés dans un champ de marijuana pour en arracher les plants à Carnarvon, à l'est de Bracebridge, ont été accueillis par 20 suspects, dont certains étaient en possession de vestes pare-balles et d'armes de poing. Dans cette affaire, tous les suspects ont fini par être arrêtés. Plus récemment, six adeptes des véhicules tout-terrain qui se promenaient dans les pistes près de Minden, en Ontario, sont tombés sur des individus armés qui leur ont tiré dessus, les ont frappés à coups de crosse et se sont rendus coupables de kidnapping. La police est arrivée sur les lieux, a mené une enquête et a saisi plus de 1 800 livres de boutons de marijuana entassés dans des sacs de sport que ces pirates du pot venaient de récolter.
Dans un certain nombre de ces incidents, les voleurs de mari se faisaient passer pour des agents de police et portaient des vêtements semblables à des uniformes de police, avec dans le dos des écussons de police.
La vente et la consommation de marijuana en Ontario atteignent des niveaux sans précédent. D'après les statistiques, les étudiants d'école secondaire consomment moins de tabac que jamais. Cependant, ils consomment de la marijuana à des niveaux qui dépassent les niveaux de consommation records des années 1970. Ce problème de la consommation accrue est aggravé par le niveau accru de violence inhérente au crime organisé qui protège son investissement illicite, lequel s'est répandu dans les régions rurales.
Un dernier exemple d'incident mettant en scène des pirates du pot : des agents membres d'une unité tactique menaient des activités de surveillance dans une installation de culture de la marijuana de grande envergure, attendant le retour des exploitants qui faisaient la récolte. Des agents de la Section antidrogue étaient postés dans les environs, mais pas dans le secteur immédiat. Un agent de l'escouade tactique a remarqué un agent de police portant l'uniforme et armé d'une arme d'épaule qui s'approchait de la position où il était camouflé à l'intérieur du champ de marijuana. L'agent a communiqué par radio avec les agents de l'escouade antidrogue pour demander qui était cette personne et pourquoi il n'avait pas été informé d'un changement des plans. Les agents de la Section antidrogue ont vérifié que tous leurs membres étaient présents et ont donc fait savoir à l'agent tactique que la personne en question n'était pas l'un d'eux.
L'agent tactique a décidé sur-le-champ que cet homme n'était peut-être pas un agent de police, en dépit du fait qu'il était en uniforme de police et qu'il portait même une veste pare-balles clairement identifiée comme étant de la police. L'agent tactique a donc confronté l'homme, qui était armé. Heureusement, il a remis son arme et a été fait prisonnier sans incident. Cet homme faisait partie d'un groupe de plusieurs hommes tous vêtus d'uniformes d'agents de police et armés, qui ont tous été fait prisonniers.
Nous avons connu plusieurs autres incidents comportant un niveau élevé de violence ou un potentiel de violence, lorsque des membres du grand public se retrouvent sans le vouloir au mauvais endroit au mauvais moment, ou lorsque diverses factions du crime organisé entrent en conflit en essayant de se voler leur butin respectif.
Je mets l'accent sur les installations de culture de la marijuana, mais je voudrais signaler que l'isolement de localités rurales de l'Ontario est également exploité par divers groupes de crime organisé qui se consacrent à la production de méthamphétamine. En 2005, la PPO a saisi 2,85 kilogrammes de méthamphétamine, tandis qu'en 2006, les saisies ont été multipliées par 14 pour atteindre 40,5 kilogrammes.
Le risque d'explosions chimiques et de vapeurs toxiques dans les endroits connus comme étant des laboratoires de méthamphétamine faisait courir un grave danger aux premiers intervenants, y compris la police, les pompiers et les spécialistes des matières dangereuses. Ces laboratoires parfois rudimentaires posent aussi un risque sérieux pour ceux qui travaillent et habitent aux alentours.
À titre d'exemple, la PPO a démantelé un laboratoire résidentiel où l'on fabriquait de l'ecstasy et de la méthamphétamine, où habitaient deux jeunes enfants âgés d'un an et de huit ans. Des tests de dépistage des drogues effectués sur ces enfants après l'incident ont indiqué que le plus jeune avait dans son organisme une concentration très élevée de méthamphétamine, tandis que l'autre enfant avait une concentration de faible à moyenne.
Au cours des cinq dernières années, nos agents ont participé à des enquêtes ou au démantèlement de 40 laboratoires de méthamphétamine dans la province. Ces deux dernières années, il y a eu une évolution dans l'ampleur de la production. Nous avons maintenant de super laboratoires, ce qui reflète une augmentation inquiétante de la production et du trafic de méthamphétamine en Ontario.
Il est important de signaler que le crime en région rurale touche de façon disproportionnée la communauté autochtone de la province. Les groupes du crime organisé qui se livrent à la contrebande de tabac, de drogues et d'armes exploitent les communautés autochtones de l'Ontario. Ils profitent de l'isolement géographique et de la proximité des frontières internationales.
Outre les menaces graves et évidentes pour la sécurité publique, les activités criminelles organisées dans les réserves et aussi dans n'importe quelle petite localité amoindrissent considérablement la qualité de vie des résidents ainsi que leur sentiment d'appartenance et le mieux-être social.
Je vais maintenant vous parler de la violence familiale. D'après les données publiées l'année dernière par Statistique Canada, en 2006, le taux d'homicide en Ontario était en baisse de 11 p. 100 par rapport à l'année précédente. Cependant, le nombre d'homicides familiaux avait augmenté.
Nous devons faire très attention quand nous interprétons les statistiques criminelles. Même si le nombre d'homicides est en baisse au Canada, beaucoup croient qu'il y a une corrélation directe entre la baisse du taux d'homicides dans notre pays et les progrès réalisés au cours des dernières années dans les services médicaux d'urgence et les soins médicaux que les victimes reçoivent dans les salles d'urgence des hôpitaux. Autrement dit, des gens continuent de se faire tirer dessus et de se faire poignarder. C'est simplement qu'ils sont beaucoup mieux soignés qu'ils ne l'étaient il y a dix ans.
Cette corrélation semble être appuyée par le fait qu'en 2006, les tentatives de meurtre ont augmenté de 15 p. 100 en Ontario. De plus, d'autres formes de crimes avec violence, y compris les vols à main armée commis avec une arme à feu, ont augmenté de 16 p. 100. Nombreux sont ceux qui croient également que le crime, de façon générale, continue d'être sous-déclaré. Pour la période de six ans entre 2002 et 2007 inclusivement, des 174 homicides ayant fait l'objet d'une enquête sur le territoire desservi par la PPO, 38, ou 22 p. 100, étaient considérés comme des homicides au sein de la famille.
Notre expérience montre que, en particulier dans la partie septentrionale de notre province, lorsqu'il y a un ralentissement économique, par exemple lorsqu'une importante entreprise locale ferme ses portes, le niveau de stress parmi les personnes touchées augmente. Le niveau de conflits familiaux, y compris la violence familiale, augmente également quand les familles s'efforcent de surmonter la perte d'un emploi.
Historiquement, l'économie du Nord de l'Ontario dépend des ressources naturelles. L'épuisement des ressources naturelles, conjugué à d'autres facteurs économiques, a contribué au dépeuplement des localités nordiques et rurales.
Nous reconnaissons aussi qu'il y a un certain nombre de facteurs de risque contribuant à la fois à la continuation et à la sous-déclaration de la violence familiale au sens le plus large du terme. Ces facteurs sont l'isolement; le manque de services de soutien, y compris les refuges pour femmes et enfants dans les localités rurales; le manque de transport; et l'alcoolisme et les toxicomanies. Essentiellement, beaucoup de victimes de violence familiale se sentent tout simplement prises au piège. Les ressources sont limitées, les distances sont considérables pour rejoindre les services sociaux qui pourraient les aider et, dans bien des cas, les victimes ont le sentiment de n'avoir pas d'autre choix que de rester sur place et de continuer d'endurer leur sort.
D'autres facteurs qui peuvent influer sur la décision d'une victime de signaler les abus qu'elle subit peuvent comprendre les considérations suivantes : qui va s'occuper de la ferme, de la maison ou de l'entreprise si le délinquant est amené au loin? Qui garantira la sécurité des enfants et des animaux domestiques si la victime décide de partir? Dans certains cas, selon les origines ethniques, une problématique d'acceptation sociale peut entrer en jeu.
La PPO a placé la prévention de la violence familiale parmi les priorités dans notre modèle de prestation des services. Nous augmentons graduellement le nombre de coordonnateurs de lutte contre la violence familiale dans nos détachements partout dans la province, avec l'objectif d'avoir un coordonnateur à plein temps dans chaque détachement. Une formation plus poussée et une plus grande sensibilisation de nos agents de première ligne sont considérées essentielles.
Nous continuons d'apporter des retouches aux protocoles et aux partenariats avec les procureurs de la Couronne, les agents de probation, les agences de services sociaux, et les refuges pour femmes et enfants, et nous envisageons d'adopter une méthode de gestion des cas comme approche pour les cas les plus graves de violence familiale mettant en cause des récidivistes.
J'ai été commandant de détachement pendant 15 ans et j'ai toujours veillé de façon prioritaire à établir des liens très étroits avec notre refuge local. De concert avec le directeur général du refuge, nous élaborions un programme dans le cadre duquel nos agents de police de sexe féminin travaillaient dans le refuge pendant une semaine, afin de leur donner une expérience concrète et une meilleure compréhension de ce que les victimes vivaient quand elles décidaient de partir et d'aller vivre dans un refuge.
Nous insistons aussi davantage sur la gestion des délinquants-agresseurs dans notre collectivité, pour nous assurer que les délinquants de cette catégorie qui ont bénéficié de diverses formes de mise en liberté judiciaire, que ce soit la probation ou la libération conditionnelle, respectent les conditions de leur élargissement.
Même si l'on m'a demandé de mettre l'accent sur les installations de culture de la marijuana et la violence familiale, je voudrais ajouter brièvement un commentaire sur le taux de suicides en milieu rural. Une étude de 2006 révélait des taux de suicides plus élevés parmi les habitants des régions rurales. Le risque le plus élevé se situait dans la tranche d'âge des moins de 20 ans, les garçons habitant en milieu rural étant quatre fois plus nombreux, et les filles six fois plus nombreuses à se suicider que les jeunes gens habitant en région urbaine. Les chiffres étaient semblables pour les adultes.
La nation Nishnawbe Aski compte environ 30 000 habitants éparpillés sur un immense territoire au nord de Thunder Bay, en Ontario. Soixante-cinq pour cent de ces personnes ont moins de 26 ans. Au cours des 18 dernières années, il y a eu une épidémie de suicides avec plus de 254 suicides et quelque 4 000 tentatives de suicide.
En terminant, les agents de police de première ligne jouent un rôle important dans toutes les collectivités, mais surtout dans les localités rurales et éloignées. De toutes les agences de services sociaux — j'inclus la police dans cette catégorie — c'est nous qui sommes les plus visibles et les plus accessibles. Bon nombre de nos agents qui travaillent dans des localités rurales et septentrionales sont de jeunes agents qui sont encore en train d'apprendre leur métier. Ils sont confrontés tous les jours à des problématiques qui ne sont pas nécessairement des problèmes de police. Cependant, c'est à nous qu'il incombe de régler ces problèmes, car nous sommes sur place. Nous sommes visibles, et si nous ne nous en occupons pas, qui le fera?
Nos agents de première ligne font tout cela alors même qu'ils doivent patrouiller dans d'immenses territoires, en comptant sur de maigres ressources et souvent avec un soutien limité ou même inexistant. Pour toutes ces raisons et bien d'autres que je n'ai pas abordées, nous apprécions l'engagement du gouvernement d'accroître le nombre d'agents de police dans nos localités. Je vous remercie et j'ai hâte de répondre à vos questions.
La présidente : Merci. Nous allons maintenant boucler la boucle avec Marcel Eugène Lebeuf, agent principal de recherche à la GRC.
[Français]
Marcel Eugène Lebeuf, agent principal de recherche, Gendarmerie royale du Canada : Madame la présidente, je vous remercie de l'invitation. Je n'ai pas préparé de présentation d'ouverture puisque j'ai travaillé pendant près de 18 mois sur une recherche et je crois que vous avez eu accès au matériel.
J'aimerais vous rappeler que le travail date déjà un peu. La recherche a été faite durant l'année 2004. C'est une recherche qui visait essentiellement les questions suivantes : est-ce que les policiers de première ligne, c'est-à-dire les policières et les policiers dans les patrouilles, sont au courant du crime organisé? En ont-ils connaissance? Comment en ont-ils connaissance? Et sont-ils en mesure de le combattre?
Alors, je suis ouvert à vos questions, si vous en avez.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Je voudrais poser quelques questions sur la violence familiale parce que c'est une question qui a été soulevée à maintes et maintes reprises durant notre étude sur la pauvreté rurale. Des intervenants ont dit qu'en région rurale, il y a des obstacles qui nuisent à l'accès aux services d'application de la loi, que ce soit la distance, les transports ou le manque de services sociaux. Je m'interroge sur les liens sociaux serrés qui existent dans les collectivités rurales. Constatez-vous que bien des gens hésitent à signaler les cas de violence familiale?
M. Allen : La sous-déclaration est un problème important. Nous éprouvons de nombreuses difficultés dans nos communautés du Nord de l'Ontario. Par exemple, si un cas est signalé et qu'un suspect est amené hors de la localité, où cette personne peut-elle aller, puisque beaucoup de localités sont accessibles uniquement par avion? De plus, les conditions de libération en matière d'interdiction d'association posent de nombreux problèmes. Tout cela rend difficile de faire ce qui est juste.
En Ontario, notre politique est de porter obligatoirement des accusations quand nous avons la preuve d'agression dans la famille, c'est-à-dire que les agents sont obligés de porter une accusation — ils n'ont pas le pouvoir discrétionnaire de faire autrement —, après quoi ils laissent les procureurs prendre la décision. Parfois, cela peut être encore plus dévastateur pour la famille. Ce sont des problèmes extrêmement épineux pour nos communautés.
Le sénateur Callbeck : Est-ce que la plupart des enquêtes sont faites à l'initiative de la victime ou de quelqu'un d'autre?
M. Allen : Nous avons en Ontario une initiative qui s'appelle Voisins, amis et familles, dans le cadre de laquelle nous encourageons tous ceux qui sont au courant de violence familiale d'en faire le signalement. Nous constatons une augmentation du nombre de rapports provenant de gens autres que les victimes. Je ne peux pas dire avec certitude quels sont les pourcentages, mais il arrive souvent que quelqu'un d'autre que la victime fasse le signalement, parce que les victimes ont peur de le faire.
Le sénateur Callbeck : Quelle formation donnez-vous à vos agents sur la violence familiale? Dans ma province de l'Île-du-Prince-Édouard, on a uniformisé la pratique policière en la matière, grâce à une initiative concertée de la police, de la GRC, du directeur du bien-être de l'enfance et du procureur de la Couronne. Ils font partie d'un groupe qui se réunit de temps à autre pour se pencher sur les questions de violence familiale, et ils ont mis au point des formulaires et approches standardisés dans toute la province. Cela se fait-il dans toutes les provinces, ou bien est-ce particulier à l'Île-du-Prince-Édouard?
M. Allen : Je peux seulement me prononcer pour l'Ontario, où nous avons une approche semblable.
Le sénateur Segal : Monsieur Allen et monsieur Aubin, de votre point de vue, est-ce l'isolement des communautés rurales qui présente des occasions de commettre des crimes, ou bien est-ce la pauvreté des habitants de ces communautés qui les encourage à ne pas les signaler? Quel est l'élément moteur et en quoi, d'après votre expérience, est-il différent de l'élément moteur qui est présent au cœur d'une grande ville?
M. Aubin : Pardon, sénateur, votre question portait-elle sur l'élément moteur qui incite à ne pas faire de signalement?
Le sénateur Segal : Non, je veux savoir quel est l'élément moteur de l'augmentation de l'activité criminelle comme telle. Est-ce que cette augmentation est attribuable à la pauvreté environnante ou bien à l'isolement qui amène les gens à conclure qu'ils peuvent s'en tirer sans se faire prendre en menant des activités dans la culture de la marijuana ou les drogues en général?
M. Aubin : Plusieurs facteurs sont en jeu. Par exemple, dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique, l'Association des chefs de pompiers de Colombie-Britannique a des programmes visant à faire davantage d'inspections à domicile. Cela a poussé les gens qui cultivent de la marijuana à l'intérieur à s'éloigner des grandes villes pour aller s'installer dans les banlieues et les localités rurales.
Comme l'a expliqué M. Allen, les installations de culture de la marijuana ne sont plus simplement le fait d'un petit groupe de gens qui unissent leurs efforts pour cultiver de la marijuana afin de satisfaire les besoins du groupe. Ces opérations sont maintenant affiliées au crime organisé et correspondent à ce que nous appelons des activités « d'envergure commerciale ». Le rendement est considérable et, comme M. Allen l'a expliqué, les malfaiteurs sont prêts à prendre des mesures extrêmes pour protéger leur installation. On constate un déplacement vers la campagne, où leurs coûts de fonctionnement sont plus bas, notamment pour les maisons et les terrains. Le crime organisé y voit l'occasion de poursuivre ses activités et de continuer à cultiver de la marijuana ou de produire de la méthamphétamine à l'abri des regards de la loi.
Dans une certaine mesure, on constate un déplacement et l'émergence de crime organisé et de gangs de rue dans de petites localités. Beaucoup de ces gangs sont liées aux groupes plus traditionnels du crime organisé et mènent des activités comme la culture de la marijuana et la production de méthamphétamine en régions éloignées au nom de ces groupes plus traditionnels. Ils le font pour faire de l'argent et leur entreprise devient plus complexe et sophistiquée.
Le sénateur Segal : J'ai côtoyé pendant un certain temps des procureurs de la Couronne dans la région de l'Ontario où j'habite : le comté de Leeds, Frontenac et Kingston. Ils m'ont dit que beaucoup de leurs crimes les plus graves, en matière de violence familiale et dans d'autres domaines, sont liés à la pauvreté. Ils disaient aussi qu'il y a un lien intergénérationnel en matière de pauvreté et qu'il ne semble pas y avoir de solution, que le cycle se répète. C'est peut- être vrai statistiquement, mais est-ce vérifiable sur le plan anecdotique, est-ce que les agents de police le constatent quand ils voient des gens se livrer à de telles activités?
Le comité s'est rendu à Maniwaki pour y tenir une séance. Un professeur d'école secondaire a témoigné devant le comité et a demandé ce que les enseignants peuvent faire quand les enfants viennent à l'école pour y vendre des drogues parce que leurs parents leur demandent de le faire. Les parents habitent de belles maisons et semblent relativement à l'aise, mais personne dans la maisonnée n'occupe un emploi. Que faites-vous quand vous êtes confrontés à un tel scénario?
M. Allen : Ce que vous dites au sujet du caractère cyclique de la violence familiale est exact. Il y a des enfants qui grandissent dans des familles de criminels. Je voudrais ajouter une observation au sujet des gangs de rue. Dans le Grand Toronto, il y a deux ans, nous avons connu ce que l'on a appelé « l'été des fusils ». Pour nous attaquer au problème, nous avons mis l'accent sur les programmes communautaires, qui ont eu beaucoup de succès. Cependant, les membres des gangs en question ont simplement déménagé et ont été repoussés dans les régions rurales.
Nous essayons de faire du rattrapage dans beaucoup de régions parce que cette problématique est tout à fait nouvelle dans beaucoup de nos communautés. On a parlé de l'approche holistique et communautaire pour aborder ces problèmes, mais il y a des gens dans ces communautés qui refusent d'admettre qu'ils ont un problème, ce qui rend la tâche difficile. L'activité des gangs et en particulier des gangs de jeunes est inquiétante et à la hausse dans les communautés rurales où rien de tel n'existait il y a cinq ans.
Le sénateur Segal : Au sujet de l'éloignement, est-ce que la PPO et la GRC ont accès à la technologie par satellite aux fins de la surveillance et du contrôle dans les régions où il est impossible d'assurer une présence policière? Cet équipement est-il mis à la disposition des agents de renseignements criminels et d'autres groupes? Peut-être qu'ils en ont, mais que vous n'êtes pas autorisé à me le dire. Je ne veux pas vous tirer les vers du nez, mais nous avons entendu des policiers nous dire dans le passé qu'ils n'ont tout simplement pas assez d'effectifs pour se rendre sur place et assurer un suivi. J'aimerais croire que vous avez accès à une technologie qui rendrait votre tâche un peu moins accablante, sans vouloir diminuer l'ampleur du défi. Cependant, si vous ne pouvez pas me le dire, je comprendrai.
M. Aubin : Je vais laisser M. Allen vous parler de la situation des policiers de première ligne et de l'utilisation de la technologie. Pour le crime organisé, le recours à la technologie, de manière générale, est toujours problématique. Est-ce que nous nous en servons? Oui, nous le faisons. Nous essayons de l'utiliser parce que nous sommes constamment en mode rattrapage. Avec le crime organisé, nous n'aurons jamais une longueur d'avance. Nous sommes toujours en train d'essayer de faire du rattrapage et le crime organisé est toujours à la recherche de nouvelles techniques.
L'éloignement est un problème. Par exemple, dans les secteurs isolés où le crime organisé cultive de la marijuana, nous avons vu des cas où l'on enterre littéralement des conteneurs dans le sol pour échapper à la technologie de détection qui est à notre disposition. On les enterre profondément dans le sol, en-dessous des lignes électriques. Cela vous montre la complexité des activités du crime organisé. Des sommes énormes sont en jeu et ils sont prêts à investir beaucoup pour gagner encore plus.
En définitive, il faut que la société prenne conscience de ce que fait le crime organisé ou de ce que les gens font pour appuyer le crime organisé. Bien souvent, ce n'est plus un simple particulier qui cultive son petit champ de mari; ce sont des gens qui appuient le crime organisé. Ils sont responsables de certaines installations de culture de marijuana. Une maison est transformée en centre de production et devient un laboratoire d'envergure commerciale. Cela rapporte beaucoup et ces gens-là travaillent pour le crime organisé. Je suis d'avis que nous devons en arriver à cette conscientisation, sans vouloir être alarmistes.
Le sénateur St. Germain : Je pense que c'est vous, monsieur Allen, qui avez dit que la consommation de marijuana devient socialement plus acceptable parmi nos jeunes. Je ne me rappelle plus de vos paroles exactes, mais il est évident que le système d'éducation ne peut pas fonctionner efficacement si nos jeunes s'adonnent à la consommation de drogues, qu'il s'agisse de marijuana, d'amphétamines, d'ecstasy ou d'autres drogues. Est-ce que cette consommation est un fait statistique vérifiable?
M. Allen : Oui, la consommation de marijuana a augmenté considérablement parmi nos jeunes. L'éducation fonctionne en ce sens que les jeunes comprennent les dangers des drogues. Bon nombre d'entre eux s'imaginent que la marijuana est une drogue sans danger, ce qui n'est pas le cas. C'est l'un des plus grands défis.
Ils s'imaginent que c'est sans danger. Ils croient qu'ils peuvent en fumer pendant deux ans et s'arrêter et que cela n'aura aucun impact sur eux. Nous avons beau essayer de faire passer le message parmi les jeunes, de leur faire comprendre que la marijuana n'est pas une drogue sans danger et que son usage a un impact durable, beaucoup n'en croient rien.
Le sénateur St. Germain : On ne peut pas vraiment les blâmer quand il y a des politiciens qui répètent à gauche et à droite que c'est sans danger et que nous devrions le légaliser.
Je viens de Colombie-Britannique. J'habite dans la 8e avenue et, dès qu'on va quelque part, on doit passer par un tunnel. À quelques kilomètres de chez moi, ils ont creusé un tunnel sous la frontière américaine.
De nos jours, toutes les accusations doivent être à l'épreuve de la Charte et le crime organisé contre lequel vous luttez quotidiennement peut compter sur les meilleurs avocats. Nous avons chez nous des gens qui disent que nous ne pouvons pas faire preuve de fermeté. Ils nous donnent toujours l'exemple des États-Unis. Voyez les prisons américaines; elles sont pleines, ce qui ne les empêche pas d'avoir un problème là-bas. Dès qu'un trafiquant de drogue se sent menacé aux États-Unis près de la frontière, il se précipite du côté canadien, à tout prix. Il est prêt à sauter par- dessus des fossés, à grimper dans des arbres, à faire n'importe quoi pour se faire arrêter du côté canadien de la frontière.
Est-ce que vous croyez que, étant donné la nature de notre système, nous ne pourrons jamais exercer le contrôle si nous sommes perçus comme un endroit où l'on est indulgent? Je ne sais pas combien de fois nous avons entendu parler de criminels qui, lorsqu'ils ont des drogues dans leur véhicule et qu'ils sont poursuivis — même en avion et en hélicoptère —, foncent vers la frontière pour se réfugier au Canada. Nous sommes perçus comme des gens indulgents envers les criminels. Si cette perception n'existait pas, je vous le garantis, cela n'arriverait pas.
Comment peut-on surmonter ce problème et faire respecter la loi en vigueur dans notre pays et enrayer cet horrible fléau qui défigure notre société? Je suis un ancien policier; je pense que vous l'aurez deviné.
M. Aubin : Sur le plan de la détermination de la peine, il est bien connu qu'aux États-Unis, il y a des peines minimales pour les infractions en matière de drogues. C'est une échelle mobile et la sévérité de la peine dépend de la quantité de drogues dont on est en possession, dont on fait le trafic, et cetera.
Je ne suis pas expert en la matière, mais j'ai quand même fait l'expérience de traiter avec la Drug Enforcement Agency des États-Unis dans des dossiers internationaux. Au Canada, nos lignes directrices sur la détermination de la peine, telles qu'appliquées par la magistrature, ne sont pas nécessairement en fonction d'un minimum ou d'une échelle mobile. Cependant, il y a l'article 467 du Code criminel, qui a été ajouté il y a environ cinq ans. Il renferme des dispositions sur le crime organisé. Par exemple, l'article 467.13 traite des particuliers dont on constate qu'ils dirigent des organisations criminelles. On ne les a peut-être pas pris la main dans le sac, pour ainsi dire, mais si l'on constate qu'ils dirigent des organisations criminelles, on peut porter une accusation en ce sens.
Je parle en connaissance de cause. Pour ceux qui ont entendu parler du projet Colisée à Montréal, qui a débouché sur l'arrestation de 90 personnes liées au crime organisé, c'est moi qui était chargé de cette enquête à l'époque.
Mais pour revenir à votre question, je crois que la solution réside vraiment dans une approche équilibrée. Nous devons tenir compte de nos jeunes et de nos collectivités; l'approche ne doit pas être strictement fondée sur l'application de la loi. Cet élément existe et doit être appuyé par l'appareil judiciaire. Cependant, nous devons aussi nous tourner vers la prévention et l'éducation.
Il faut se tourner vers nos jeunes et leur donner le sentiment qu'il n'y a rien d'attirant dans les drogues, les gangs de rue et le crime; et il faut donner aux jeunes en milieu rural les commodités et les ressources pour leur donner autre chose à faire que de traîner dans les rues. Il leur faut des patinoires de hockey, des gymnases, des services de soutien. En l'absence de tout cela, bien souvent, ils se tournent vers le crime simplement pour avoir quelque chose à faire.
Le sénateur St. Germain : J'ai une brève question sur les Autochtones. Nous sommes nombreux ici à faire également partie de cet autre comité. Vous avez dit que nos jeunes Autochtones côtoient des gangs et en sont membres et se livrent également au trafic de drogues.
Ils font cela pour se sortir de la pauvreté, cette pauvreté qui est un véritable fléau dans les réserves des Premières nations et dans l'ensemble de cette communauté. Que ce soit à Winnipeg ou dans n'importe quelle grande ville, on trouve une forte concentration de jeunes Autochtones. Quelle serait à votre avis la solution pour décourager ce groupe? Essentiellement, ces activités leur permettent de se sortir de la misère et leur donnent accès au matérialisme, que ce soit sous forme d'argent ou de tout ce qu'ils peuvent acheter.
D'après votre expérience, quelle serait la manière la plus efficace de traiter avec cet élément de la société?
M. Allen : L'un des principaux problèmes — et ce n'est pas limité aux jeunes Autochtones, cela s'applique à tous les jeunes — est qu'ils ont besoin d'être guidés et encadrés pour emprunter le bon chemin dans la vie.
Votre question précédente portait sur l'éducation et la prévention. La GRC et la PPO participent toutes les deux au programme de sensibilisation aux dangers de la drogue, connu sous le sigle anglais D.A.R.E. J'ai assisté la semaine dernière à la première conférence canadienne du programme D.A.R.E. Des policiers de tous les coins du Canada se sont réunis à cette occasion. Un thème qui revenait constamment dans les interventions de nos agents de formation du programme D.A.R.E. est qu'ils devraient aller dans les écoles pour former les enfants. Cependant, ils sont trop peu nombreux et ont d'autres affectations, de sorte que leurs classes D.A.R.E. sont annulées parce qu'on a besoin d'eux ailleurs ou qu'il y a d'autres priorités.
Une étude faite aux États-Unis montre que pour chaque dollar consacré à la prévention, on économise 8 $ dans le système de justice pénale. Cependant, c'est difficile de convaincre les gens que la prévention en vaut la peine. Quand on parle des jeunes et de notre désir de les empêcher d'adhérer à des gangs et de les amener à choisir le bon chemin dans la vie, à faire des études et contribuer à la société, au lieu de se joindre à un gang — comme mon collègue le dit, c'est une question complexe. C'est vraiment un problème communautaire. Nous devons adopter une approche multidisciplinaire. Ce n'est pas simplement une affaire de police ou de drogue.
Je sais que je n'ai pas répondu à votre question, mais j'ai fait de mon mieux pour l'aborder sous plusieurs angles.
Le sénateur St. Germain : Je vous ai posé une question à laquelle il est impossible de répondre brièvement.
Le sénateur Gustafson : Quel pourcentage des crimes résultent de l'éclatement de la famille? Je veux parler d'une famille où il n'y a personne pour s'occuper des enfants, personne pour les élever comme il faut.
M. Allen : Je ne peux pas vous donner un chiffre précis, mais nous savons que, dans certains cas, c'est un facteur. Beaucoup de familles sont intactes et ont quand même des problèmes. Il y a des familles qui éclatent et où la situation est quand même bien maîtrisée; les enfants ont beaucoup de succès dans la vie.
Cependant, il n'y a aucun doute que, dans certains cas, cela a été cité comme facteur. L'unité familiale est importante, les enfants ont besoin de stabilité et d'encadrement et ils ont besoin d'adultes qui se soucient d'eux. L'un des éléments que nous avons étudiés la semaine dernière à la conférence était que chaque enfant a besoin de quatre adultes solides comme modèles de comportement et mentors durant sa vie; outre ses parents, il lui faut d'autres personnes pour le guider, vers qui se tourner pendant son enfance. C'est un cheminement difficile, surtout ces jours-ci.
Le sénateur Gustafson : Quelle est la principale cause d'accident de voiture parmi les jeunes? On dirait qu'il y en a toujours plus. Est-ce l'alcool ou la marijuana?
M. Allen : L'alcool continue certainement d'être un problème.
M. Aubin : C'est une question difficile, monsieur. Cependant, d'après mon expérience, l'alcool est la principale cause. Cela dit, la consommation de drogues est assurément un problème difficile à déceler pour les agents de police. Il est certain que c'est un facteur. Il est toutefois difficile de dire lequel est le pire. Beaucoup disent que la vitesse est probablement l'un des principaux facteurs également. Malheureusement, je ne suis pas bien renseigné sur cet aspect de la question.
Le sénateur Gustafson : Le sénateur St. Germain a dit qu'il fallait lutter plus fermement contre le crime. Croyez-vous que cela aiderait si le législateur était plus sévère et si les tribunaux étaient un peu plus sévères?
M. Allen : Différentes personnes réagissent à des dissuasions différentes. Pour certains, la crainte d'être incarcéré est une dissuasion. D'autres peuvent mener leurs activités criminelles à partir de la prison aussi bien qu'en liberté. Il faut une approche équilibrée. Il est certain que la crainte de l'incarcération donne de bons résultats pour certains, mais il faut beaucoup plus que cela. Il faut une approche équilibrée comportant la prévention, l'éducation et l'application de la loi. Il n'y a pas d'approche unique applicable à toutes les situations.
Le sénateur Gustafson : Combien de temps faut-il pour faire pousser un plant de marijuana jusqu'à ce qu'il soit prêt à récolter?
M. Aubin : Beaucoup d'organisations savent que ce n'est pas une question de rapidité, quoique la rapidité de la croissance influe sur le rendement. Ils ont étudié la question scientifiquement; ils savent exactement combien d'heures de lumière par jour il faut, et aussi combien d'eau, d'humidité et de ventilation. Ils ont perfectionné cela au point que les plants ont maintenant une teneur plus élevée en THC. Le sigle THC veut dire delta-9-tétrahydrocannabinol; c'est le produit chimique qui provoque l'euphorie.
En bout de ligne, ils sont en mesure de vendre un produit pour lequel il y a une demande sur le marché. La période de croissance varie de trois à six mois, selon la variété et le rendement souhaités. Certains tentent d'obtenir une croissance plus rapide, mais la puissance et le rendement par plant ne seront pas nécessairement au niveau souhaité. Il faut comprendre que cela exige quelques notions scientifiques. Les exploitants des installations de culture de la marijuana d'envergure commerciale y consacrent beaucoup d'efforts.
Le sénateur Gustafson : Quelle est la valeur marchande, au niveau du détail, d'un plant arrivé à maturité?
M. Aubin : J'ai été appelé à donner des témoignages experts à de nombreuses reprises devant des tribunaux, et j'essaie toujours d'être très conservateur dans ce domaine. On lance beaucoup de chiffres à ce sujet.
En moyenne, un plan donne une livre de marijuana. Ce chiffre s'applique à quelqu'un qui fait du bon travail au niveau de la production. Je répète que j'essaie toujours de m'en tenir au chiffre le plus bas, afin de ne pas induire en erreur les tribunaux ou les Canadiens dans leur ensemble. Est-ce que c'est un chiffre que la PPO accepte comme hypothèse de travail?
M. Allen : Oui, tout à fait.
Le sénateur Gustafson : Pourquoi la culture de la marijuana à l'intérieur détruit-elle la maison?
M. Allen : Il y a beaucoup d'humidité, ce qui donne de la moisissure. En Ontario, on a maintenant légiféré pour permettre l'identification des maisons qui camouflent de telles installations. Il y a des normes. Souvent, il est impossible de remettre la maison en état et il faut donc la détruire.
Je voudrais revenir à votre dernière question sur la qualité et le prix de la marijuana. Il n'y a pas de quoi être fiers, mais nous produisons la marijuana de la meilleure qualité au monde ici au Canada. Elle a la plus forte teneur en THC. On a parlé tout à l'heure de la consommation parmi les jeunes et de leur perception qu'il s'agit d'une « drogue douce » qui ne leur fera pas de mal. Le taux de THC était beaucoup plus bas dans les années 1970. De nos jours, les jeunes fument une drogue beaucoup plus puissante que dans les années 1970, ce qui est très inquiétant.
Le sénateur Gustafson : Parmi les drogues qui donnent lieu à des infractions graves, s'agit-il à peu près de la pire pour les jeunes?
M. Allen : Ils consomment plus de marijuana que de n'importe quoi d'autre, mais il y a d'autres drogues qui sont beaucoup plus nocives.
M. Aubin : Nous devons aussi tenir compte de la méthamphétamine. Dans le rapport Situation au Canada — drogues illicites — 2006, publié récemment par la GRC, on établit que le Canada n'est plus un pays victime. Auparavant, l'ecstasy était importé au Canada, alors que la réalité est que nous sommes maintenant un pays producteur. Nous produisons de l'ecstasy et en exportons aux États-Unis et dans d'autres pays. C'est une autre drogue dont nous devons nous préoccuper. Si nous en exportons, cela veut dire que nos rues en sont saturées, que l'on répond à la demande locale.
Le sénateur Gustafson : Nous avons un immense territoire et il est difficile de déceler tout cela.
M. Aubin : Oui, monsieur.
Le sénateur Peterson : Vous avez dit que le crime organisé est assez perfectionné. Qui est en cause exactement? On entend parler de la mafia et des bandes de motards. S'agit-il de Canadiens ou d'étrangers? Qui finance tout cela?
M. Aubin : Les groupes du crime organisé sont présents dans notre pays depuis longtemps. La mafia traditionnelle est arrivée au Canada en 1954, d'après les livres qui ont été écrits à ce sujet. Les Hells Angels sont présents chez nous depuis la Seconde Guerre mondiale.
Il est important de comprendre qu'ils ont réussi à évoluer au fil des années. Un certain nombre d'organisations, mais pas toutes, ont évolué pour atteindre un niveau de perfectionnement très élevé qui leur donne la capacité de financer leurs activités et de se mettre à l'abri de nos opérations policières. On a dit tout à l'heure qu'ils ont de bons avocats. Je dirais qu'ils ont des avocats expérimentés, pas nécessairement de bons avocats. Quoi qu'il en soit, ils ont des avocats expérimentés qui sont capables de les renseigner sur les techniques policières et la manière de se mettre à l'abri.
Nous les voyons maintenant se livrer à leurs activités dans plusieurs territoires en même temps. La tâche est d'autant plus difficile pour nous. Il peut s'agir de territoires à la fois au Canada et à l'étranger.
Leurs activités ne se limitent pas au trafic de drogues. Je suis au courant de toutes les opérations d'un bout à l'autre du Canada menées par la GRC dans le dossier du crime organisé. Ces organisations se livrent en tout temps à un certain nombre d'activités criminelles. D'après nos études, le trafic de drogues est l'activité principale de plus de 80 p. 100 des organisations criminelles. Cependant, elles ont aussi des activités secondaires. Certaines ont des opérations très perfectionnées de blanchiment d'argent, et la corruption est de plus en plus répandue comme outil pour le crime organisé. Ces criminels comptent sur des personnes qui travaillent dans différents services d'application de la loi ou divers ministères gouvernementaux pour avoir accès à des renseignements.
Le niveau de sophistication a augmenté, ce qui exige que la police ait également des méthodes très sophistiquées sur tous les plans.
Le sénateur Peterson : Est-ce que ce sont habituellement les simples soldats qui se font prendre, tandis que les dirigeants sont à l'abri? Ils ont l'argent et peuvent relancer le processus.
M. Aubin : C'est une bonne question. Les équipes de lutte contre le crime organisé mènent à la fois des enquêtes à court terme et à long terme.
Dans le cas des enquêtes à court terme, on s'attend à coincer un segment de l'organisation. Ce segment peut s'occuper d'importation de drogues, par exemple. Cependant, si nous voulons remonter la filière jusqu'aux dirigeants hiérarchiques d'une organisation bien établie, il faut déployer des moyens considérables. Il faut une enquête globale exigeant beaucoup de main-d'œuvre et nous permettant de contrôler les activités en continu, et nous devons être au bon endroit au bon moment en utilisant la bonne technique.
Cela peut devenir coûteux et la réalité, de nos jours, c'est que nous avons l'obligation de tout divulguer devant les tribunaux. Cela pose une grande difficulté aux équipes de lutte contre le crime organisé.
Je songe à une affaire en particulier au sujet d'une petite organisation criminelle installée à Orillia. Je me suis présenté en cour avec 20 boîtes de documents. C'était ma copie de la preuve pour ce procès. Or 20 boîtes de documents multipliées par 25 accusés, cela donne une procédure plutôt compliquée, qui coûte cher et prend beaucoup de temps. C'est une réalité dont nous devons tenir compte.
Le sénateur Peterson : Vous avez dit qu'il y a augmentation du nombre de crimes violents et de l'utilisation d'armes à feu? S'agit-il d'armes de poing?
M. Allen : Voulez-vous dire en rapport avec les installations de culture de marijuana?
Le sénateur Peterson : Vous avez parlé d'une augmentation du crime avec violence, y compris des tirs d'armes à feu et des vols à main armée.
M. Allen : La majorité des armes utilisées pour commettre ce type de crime sont des armes de poing. Cependant, les gens qui possèdent des installations de culture de marijuana se protègent en utilisant des armes d'épaule et des carabines de gros calibre. Il n'est pas rare de voir aussi des carabines de gros calibre.
Le sénateur Peterson : D'où viennent les armes de poing?
M. Allen : De diverses sources. Il y en a certainement qui viennent des États-Unis, et d'autres sont volées à l'occasion d'introductions par effraction dans des résidences. On peut donc aussi se les procurer localement.
Bien que les lois sur les armes à feu soient plus sévères au Canada qu'aux États-Unis, il demeure relativement facile de se procurer des armes à feu au Canada.
Le sénateur Peterson : Vous avez parlé du besoin de réorienter les jeunes à un jeune âge. Il y a quelques années, on entendait une chanson dont le refrain disait que le mot liberté n'est qu'une autre façon de dire qu'on n'a plus rien à perdre. Pour s'atteler à cette tâche, il faut déployer d'extraordinaires ressources humaines. Vous travaillez avec ces jeunes. Cependant, qui d'autre, à votre avis, devrait faire sa part : les villes, les provinces, le gouvernement fédéral?
M. Allen : Vous connaissez le vieil adage : il faut un village tout entier pour élever un enfant. Il faut que tous les niveaux de gouvernement, les services sociaux et les organisations non gouvernementales mettent l'épaule à la roue. Les enfants traversent une période difficile en grandissant. Je fais beaucoup de travail dans le domaine de la sécurité à l'école. J'ai examiné de près un projet de collaboration avec le Service de police de Toronto et la Commission scolaire de Toronto. Il faut beaucoup d'idées et de créativité pour rejoindre les jeunes. Je trouve toujours cela intéressant quand je vais à une conférence sur la jeunesse où il n'y a aucun enfant. Nous devons les écouter; ils doivent avoir leur mot à dire au sujet de leurs besoins et de la manière dont nous pouvons y répondre, au lieu de nous réunir à part, entre adultes, pour décider ce qui est bon pour eux.
M. Aubin : L'une des initiatives envisagées par les services de police relativement aux réserves indiennes et au Service de sensibilisation aux drogues et au crime organisé, le SSDCO, est de faire appel aux communautés elles-mêmes et de former des membres de la communauté qui peuvent ensuite retourner dans la réserve et devenir des chefs de file pour former les jeunes.
Traditionnellement, nous faisions appel à des agents de police pour cette tâche. Cependant, compte tenu des ressources limitées et du fait que les agents de police ne restent pas dans une communauté pendant dix ou 20 ans, nous avons dû changer nos plans. À la PPO et à la GRC, nous devons nécessairement muter nos membres. Par conséquent, nous envisageons maintenant de faire appel à des chefs de file de la communauté qui viendraient suivre une formation dans le cadre de ces programmes pour qu'ils puissent à leur tour instruire les jeunes. Nous devons donc envisager des manières novatrices de mettre en œuvre les programmes nécessaires.
Le sénateur Mahovlich : Quand vous évoquez la marijuana, je ne peux m'empêcher de songer à la capitale de la drogue au Canada, c'est-à-dire Nelson, en Colombie-Britannique. Cela date des années 1960, je crois, quand de nombreux hippies venaient s'installer dans notre pays. Cette réalité existe-t-elle encore à Nelson?
M. Aubin : Je suis désolé, je n'ai pas eu l'occasion de visiter Nelson, sénateur.
Le sénateur Mahovlich : La ville n'a-t-elle pas cette réputation?
M. Aubin : Je ne suis pas au courant qu'elle ait cette réputation plus que d'autres villes.
Le sénateur Mahovlich : C'est ce qu'on m'avait dit au sujet de Nelson.
Combien de maisons ont été démolies à Toronto parce qu'elles abritaient des installations de culture de la marijuana?
M. Allen : Je l'ignore.
Le sénateur Mahovlich : Il y en a eu un bon nombre. J'ai lu un article de journal où l'on parlait d'installations qui avaient été démantelées et de maisons qu'il avait fallu détruire. Vous n'avez pas de chiffres?
M. Allen : Non, je n'en ai pas.
Le sénateur Mahovlich : Qu'est-il arrivé de l'opium? Peut-on encore s'en procurer. Les Chinois ont la réputation d'en consommer et beaucoup de livres ont été écrits en Chine au sujet de l'opium. Je crois que les Chinois représentent le tiers de la population à Toronto.
M. Aubin : Pour ce qui est des Chinois, je ne saurais le dire. Je sais toutefois que dans le rapport sur les drogues au Canada en 2006, on mentionne que de l'héroïne est encore importée au Canada. La plus grande partie de l'héroïne vient d'Asie et non pas d'Amérique du Sud. Les consommateurs d'opium et d'héroïne se trouvent surtout à Montréal, Toronto et Vancouver.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce un problème comme la marijuana? Est-ce que cela vous préoccupe?
M. Aubin : C'est assurément préoccupant à cause des effets de l'héroïne, qui sont bien connus. On a décrit l'est de Vancouver comme un secteur où la consommation d'héroïne est généralisée et les effets sur la vie des gens sont épouvantables. La consommation d'héroïne détruit littéralement des vies. Peut-être que les consommateurs d'héroïne ne sont pas aussi nombreux que pour la marijuana, mais c'est quand même très préoccupant pour les services de police et la société dans son ensemble. L'héroïne est l'une des cibles prioritaires du programme antidrogue.
Le sénateur Mahovlich : Il y a un certain nombre d'années, je suis allé à Drummondville, au Québec, où il y avait un grand nombre de suicides dans les écoles secondaires. Est-ce que le taux de suicides a diminué parmi les adolescents? Je pense que neuf élèves d'école secondaire s'étaient suicidés en un an à Drummondville. C'est triste à dire, mais ils estimaient n'avoir rien à attendre de la vie. Avons-nous apporté des améliorations par des programmes d'éducation destinés aux jeunes au Québec?
M. Aubin : Je peux seulement parler au nom de la GRC, puisque je ne connais pas Drummondville ni la situation que vous évoquez. Toutefois, c'est tout à fait pertinent à la question dont nous discutions, à savoir le besoin d'encadrer les jeunes aujourd'hui. On a entendu des histoires provenant d'autres régions du Canada où des jeunes s'adonnent à l'inhalation d'essence ou autres activités parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire. Nous devons investir dans les jeunes et trouver des moyens de leur donner le soutien, l'orientation et les ressources nécessaires pour qu'ils ne se tournent pas vers ces activités faute d'avoir rien de mieux à faire.
Le sénateur Mahovlich : Y a-t-il des différences entre les provinces quant au nombre de jeunes étudiants qui se suicident?
M. Allen : Il y a des taux plus élevés ici et là à travers le pays. Je n'étais pas au courant du cas de Drummondville, mais c'est parfois cyclique. J'ai mentionné le Nord de l'Ontario, où certaines communautés ont des taux de suicides extrêmement élevés. Les Nations Unies ont établi qu'une localité du Nord de l'Ontario a le taux de suicide le plus élevé au monde.
Les problèmes des jeunes sont nombreux, en plus de l'isolement, par exemple l'intimidation et aussi la cyber intimidation, qui est un sujet complètement différent. Des suicides chez les jeunes ont été directement attribués à l'intimidation et à la cyber intimidation.
Le sénateur Mahovlich : Il n'y a pas beaucoup d'écoles au nord de Thunder Bay et je suppose donc que l'un des problèmes dans cette région, c'est l'éducation.
M. Allen : Il y a beaucoup de difficultés dans les régions isolées de notre pays. Il est certain que beaucoup d'enfants doivent se déplacer sur de longues distances pour fréquenter l'école, en particulier l'école secondaire.
La présidente : Ma question renvoie à une visite que notre comité a faite dans l'ouest du Canada. Je viens de Lethbridge, en Alberta. C'est une très belle région du pays, parsemée de collines et de rivières qui coulent dans de belles vallées, avec des montagnes tout près et des routes de campagne pittoresques. La GRC a débuté ses activités dans cette région, dans le merveilleux lieu historique qu'est Fort McLeod. À l'occasion de ce voyage, j'avais pensé que ce serait bien si les membres du comité pouvaient rencontrer en privé des maires et autres représentants locaux, parce que nous ne pouvions pas nous rendre dans toutes les localités. Je leur ai demandé de nous faire un rapide survol de la situation dans leur communauté. L'un après l'autre, ils sont venus au microphone et le premier mot qu'ils disaient tous, c'était : « crystal meth ». Cela m'avait renversée parce que je n'étais pas au courant du problème. J'ai appris que c'était un problème répandu dans plusieurs de ces localités.
Je n'arrive pas à comprendre comment les gens qui refilent ce truc à de jeunes enfants ne se font pas pincer dans d'aussi petites localités. Apparemment, il y a un groupe de gens énergiques qui font tout leur possible pour apporter ces drogues dans ces villages. Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions là-dessus, en adoptant un point de vue national?
M. Aubin : Je voudrais vous donner une réponse en deux parties, si vous le voulez bien. Premièrement, l'un des problèmes que présentent les producteurs de drogues chimiques pour les services de police est que le processus de production peut comprendre de nombreuses étapes. Aux termes de notre législation actuelle, la police doit attendre que le processus soit suffisamment engagé avant d'intervenir. Par conséquent, ces laboratoires, qui sont établis et dirigés par le crime organisé, changent d'adresse expressément pour échapper aux efforts de la police pour les détecter.
La loi exige que nous attendions que le laboratoire produise à un niveau tel que le produit final sera irréfutablement de la méthamphétamine, même pour porter une accusation de complot. Avant cette étape, on peut toujours prétendre que le produit final pourrait être bien d'autres substances, même du savon.
Pour ce qui est de déceler les centres de production, la police est confrontée à de nombreuses difficultés. Les rares cas sont ceux où nous avons une preuve directe avant même la production, lorsque la personne en cause est disposée à admettre qu'elle a bel et bien l'intention de produire de la méthamphétamine.
Le deuxième volet est celui du trafic. Nous savons que des gens font le trafic de ces drogues auprès de nos enfants, à proximité des écoles ou dans d'autres endroits fréquentés par les adolescents. Il n'y a aucun doute que le problème des ressources est constant et nous essayons d'utiliser nos ressources le plus stratégiquement possible.
Pour la lutte antidrogue, nous essayons toujours d'établir des priorités en fonction des renseignements dont nous disposons. Cela donne peut-être parfois l'impression que nous sommes largués et que nous ignorons ce qui se passe, mais c'est simplement que nous dirigeons nos ressources vers la priorité. Nous pouvons laisser tomber une enquête sur un petit trafiquant pour essayer plutôt de s'attaquer à une organisation qui produit des quantités beaucoup plus importantes de produits de contrebande ou de drogues destinés au marché canadien. Les difficultés sont nombreuses.
La présidente : Chose certaine, il est important que tous, de toutes les manières possibles, s'efforcent de travailler ensemble et non pas isolément.
M. Aubin : Je ne veux pas donner l'impression de radoter, mais le problème est que la police ne sera pas capable d'éradiquer le trafic de drogue, c'est la réalité. Nous n'avons pas les ressources voulues pour le faire. Il s'agit alors de cibler le marché. Nos jeunes sont le principal groupe de consommateurs et nous devons donc faire de la prévention et de l'éducation. C'est 66 p. 100 de notre effort, l'application de la loi représentant seulement 33 p. 100.
M. Allen : Nous sommes capables de réduire la demande en amenant les jeunes enfants à ne pas toucher à la drogue, ce qui peut avoir une incidence importante à long terme sur la réduction de la demande à l'avenir. Tant que la demande existe, il y a de l'argent à faire.
Le sénateur Callbeck : Au sujet du taux de suicide parmi les jeunes, je trouve choquant qu'il y ait une telle différence entre les jeunes ruraux et urbains. Vous dites que les garçons qui habitent en régions rurales se suicident quatre fois plus, et les filles six fois plus que ceux et celles qui habitent en ville.
Cela a-t-il beaucoup changé depuis 20 ans? Le nombre de suicides en milieu rural a-t-il augmenté en flèche, ou bien y a-t-il toujours eu un grand écart entre les jeunes urbains et ruraux?
M. Allen : C'est moi qui ai donné ce chiffre. Il est tiré d'une étude nationale de 2006 et je ne suis pas au courant du contexte historique.
Le sénateur Callbeck : Bon, je voulais seulement dire que cela me trouble énormément.
Le sénateur Gustafson : Est-ce que les gangs recourent à l'intimidation et aux menaces auprès des avocats — ceux qui essaient de les mettre en prison — ou des agents de police? Je ne serais pas trop brave si je devais entrer dans une maison que je soupçonnais d'être le repère d'un gang.
M. Aubin : Oui, nous avons vu un peu partout au Canada des procès dans lesquels des menaces avaient été proférées contre des avocats, des procureurs, des juges ou des agents de police. Nous le constatons de la part de certains gangs de rue et aussi des groupes plus traditionnels de crime organisé.
Je dois toutefois dire que la police et la magistrature sont tout à fait avertis. Le Code criminel comprend des dispositions applicables à ceux qui font de l'intimidation et dans plusieurs provinces, il existe une intervention organisée qui est immédiatement mise en branle par les services de police pour s'interposer.
Au besoin, dans le pire des cas, il y a aussi le programme de protection des témoins. Il est arrivé que nous ayons dû envisager d'inscrire des gens au programme de protection des témoins à cause d'une telle situation.
Le sénateur Peterson : Avons-nous une idée quelconque de la valeur en dollars du commerce des drogues, sur une base annuelle, approximativement?
M. Aubin : Dans le rapport Situation au Canada — drogues illicites — 2006 , pour la première fois, nous avons signalé la valeur marchande au détail des drogues qui ont été saisies par les services de police partout au Canada. Je pense que la valeur des drogues saisies était de 2,3 milliards de dollars.
Le sénateur Peterson : Que vous avez saisies?
M. Aubin : Oui, les drogues que nous avons saisies.
Le sénateur Peterson : Quel pourcentage du total cela représente-t-il? Quelle est l'ampleur du phénomène?
M. Aubin : C'est très difficile d'essayer de savoir si nous en saisissons 10 p. 100, 15 p. 100 ou 35 p. 100. Le Fonds monétaire international a publié un chiffre intéressant. Il indique qu'au Canada, le blanchiment d'argent, c'est-à-dire de l'argent tiré d'activités criminelles, représente chaque année une somme qui se situe entre 22 et 55 milliards de dollars. Cet argent provient de tous les types d'activités criminelles; mais n'oubliez pas que le commerce des drogues en est une composante très importante.
Quant à savoir ce que représente cette somme de 2,3 milliards de dollars, je ne suis pas en mesure de mesurer l'efficacité des activités d'application de la loi. Cependant, nous en constatons l'efficacité en observant le prix des drogues dans la rue. Si la police n'est pas efficace, on constate une augmentation de la quantité de drogues disponibles et une baisse des prix. C'est le simple fait de l'offre et de la demande. Quand nous sommes efficaces — et c'est particulièrement évident en région rurale —, quand nous faisons une saisie importante, quand nous parvenons à déplacer, arrêter ou incarcérer des trafiquants, soudainement, les drogues ne sont plus aussi faciles à trouver et le prix augmente. C'est ainsi que nous parvenons à mesurer en partie notre efficacité.
Le sénateur Mahovlich : Si nous éduquons nos jeunes et que la demande baisse, alors on commence à exporter, n'est- ce pas? En Amérique, il y a 30 millions de personnes illettrées, alors comment allons-nous résoudre ce problème? C'est encore un autre problème que nous devons résoudre.
M. Allen : Vous avez raison, mais nous devons nous occuper d'abord de nos propres affaires et de nos propres enfants.
Le sénateur Mahovlich : Le problème persiste, surtout si l'on trouve ici du stock de qualité.
M. Allen : Absolument.
La présidente : Merci, sénateur Mahovlich. Si nous voulons résoudre le problème de l'analphabétisme, il faut que chacun y mette du sien, depuis le gouvernement jusqu'aux échelons les plus bas. Nous ne sommes pas assez efficaces à ce chapitre et je suis contente que vous ayez soulevé cette question.
Je vous remercie tous d'être venus. Cette audience a été très différente de celles que nous menons habituellement. Par contre, elle reflète tout à fait ce qui se passe au Canada rural. Merci beaucoup et continuez le bon travail que vous faites parce qu'il est clair que l'on a besoin de vous.
La séance est levée.