Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 8 - Témoignages du 6 mai
OTTAWA, le mardi 6 mai 2008
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 18 h 15, afin d'examiner, en vue d'en faire rapport, les questions relatives au cadre stratégique actuel, en évolution, du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada.
Le sénateur Bill Rompkey (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs, je déclare la séance ouverte. Je m'appelle Bill Rompkey, et je représente Terre-Neuve-et-Labrador. Dans le cadre de cette séance du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, nous étudierons le programme du gouvernement en ce qui concerne les pêches, en mettant surtout l'accent sur l'Arctique et, plus particulièrement, sur la Garde côtière.
Nous avons entendu un certain nombre de témoins provenant d'est en ouest du Canada, un large éventail de personnes, et ce soir, nous sommes très honorés de recevoir un témoin spécial pour compléter les témoignages que nous avons déjà entendus. J'aimerais seulement effectuer un tour de table pour préciser qui est parmi nous ce soir.
Tout d'abord, nous avons le sénateur Robichaud, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard; le sénateur Adams, qui est originaire de Rankin Inlet mais qui représente tout le Nunavut; le sénateur Watt, du Nunavik; le sénateur Comeau, leader adjoint du gouvernement au Sénat et ancien distingué président de ce comité, qui s'est déjà rendu en Arctique; et enfin, le sénateur Cochrane, de Terre-Neuve-et-Labrador, qui est vice-président du comité.
Je suis particulièrement heureux d'accueillir notre témoin de ce soir, M. Donat Pharand, dont je ne suis pas certain d'avoir le temps de lire le curriculum vitae, car il contient beaucoup de détails. Mais selon ce document, M. Pharand est professeur émérite en droit international à l'Université d'Ottawa, ainsi que spécialiste en droit international et maritime; il a enseigné pendant 29 ans et compte à son actif de nombreuses publications sur des questions relatives au droit maritime et à l'Arctique. M. Pharand est titulaire de doctorats de l'Université de Paris et de l'Université du Michigan. Il a été consultant auprès de divers gouvernements, de même que membre d'un tribunal international dans le cadre de l'affaire La Bretagne, qui opposait la France et le Canada au sujet des droits de pêche de la France dans le golfe du St-Laurent.
Le Dr Pharand a été l'un des membres fondateurs du Conseil canadien de droit international, où il a occupé le poste de président de 1976 à 1978.
Nous avons donc devant nous, ce soir, un très distingué témoin que nous souhaiterons interroger. Il est accompagné de M. Denis Grégoire de Blois, qui le secondera pour son exposé. Il nous tarde d'entendre ce témoignage. Honorables sénateurs, nous écouterons M. Pharand pendant une vingtaine de minutes, puis nous lui poserons des questions.
Je me dois d'indiquer que le sénateur Cowan, de la Nouvelle-Écosse, s'est joint à nous; nous lui souhaitons la bienvenue.
Pour faire une mise en contexte, nous voudrions parler du passage du Nord-Ouest en tant que tel. M. Pharand est considéré comme l'expert en droit en ce qui concerne ce passage et, d'après ce que j'ai compris, il juge que la revendication de souveraineté du Canada est très solide, mais croit également qu'il nous faut étayer cette prétention. Nous trouverons intéressant de connaître son opinion sur le rôle de la Garde côtière canadienne, une question que nous étudions en particulier.
D'après ce que je comprends également, M. Pharand estime que nous devons nous montrer « raisonnables » envers les autres nations, y compris les États-Unis. Il nous faudra établir la définition du mot « raisonnable » dans le courant de la soirée; nous serons donc intéressés à entendre ces questions.
Honorables sénateurs, à notre dernière rencontre, je vous ai adressé une demande à laquelle vous avez acquiescé, à savoir si je pouvais fixer la limite de temps à dix minutes pour chacune des interventions de la première série de questions. On m'a toujours dit qu'il ne servait à rien de changer une formule gagnante; cette procédure a si bien fonctionné la dernière fois que je la mettrai de nouveau à l'épreuve ce soir. Cela ne veut pas dire que nous aurons une deuxième et une troisième série de questions, mais que nous respecterons un certain ordre en effectuant le tour de table.
Si cela vous convient, nous allons maintenant inviter M. Pharand à faire son exposé.
[Français]
Donat Pharand, professeur émérite, faculté de Droit, Université d'Ottawa, à titre personnel : Je suis de langue française et suis donc à l'aise en français. Je remarque aussi que certains membres du comité sont de langue française. Je serai donc très ouvert à vos questions et je répondrai à vos questions en français, si vous le voulez.
Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir fait cette invitation que j'ai acceptée avec plaisir. Je ne sais pas si je pourrai vous être utile, mais je vais essayer.
Quant aux questions, vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez. Le problème, bien entendu, sera si oui ou non je pourrai y répondre, mais je ferai de mon mieux.
[Traduction]
Monsieur le président, maintenant que j'ai prononcé ces mots d'introduction pour montrer que je suis principalement francophone, je précise que j'ai distribué un texte de dix pages en versions anglaise et française. J'ai dressé une table des matières après l'avoir rédigé. J'espère que le tout coïncide assez bien.
Monsieur le président, je crois avoir lu la plupart des témoignages qui ont été faits jusqu'ici. Cette lecture m'a été grandement bénéfique, et je tâcherai de tenir compte de ces informations dans mon propre exposé, dans la mesure où j'arriverai à m'en rappeler.
Je vais commencer par parler de la signification du mot « souveraineté ». Le sens de ce terme et la manière dont nous l'utilisons sont entourés de beaucoup de confusion. J'y recourrai au sens où on l'entend dans le droit international, puisque c'est le seul sujet sur lequel je m'y connais un peu. Il est important que nous établissions clairement cette signification dès le départ, du moins en ce qui concerne mon exposé, afin d'être certains de parler de la même chose durant la période de questions.
On peut dire que la souveraineté comporte deux caractéristiques principales. Elle est absolue; en effet, lorsqu'un État possède un territoire, il a la pleine souveraineté sur ce dernier, ce qui veut dire que sa compétence sur ce territoire est totale. Peu importe s'il exerce sa souveraineté. Cet État pourra conclure avec d'autres États un traité dans le cadre duquel il acceptera certaines limites, ce qui ne diminuera en rien sa souveraineté; cette entente accordera simplement certains droits à un voisin, par exemple.
Deuxièmement, la souveraineté s'applique aussi bien verticalement qu'horizontalement. Voici mon territoire, qu'on appelle le Canada. J'ai la compétence absolue sur ce territoire. Elle s'applique aussi verticalement, soit, comme le dit l'ancienne maxime romaine, usque ad coelum et ad infernos. Bien sûr, cela ne veut pas dire que parce qu'on a la souveraineté sur l'espace aérien, on ne peut accorder le droit de passage à un aéronef dans cet espace; nous le faisons en tout temps, surtout de manière multilatérale en vertu des conventions internationales. Il est très important de comprendre que la souveraineté est totale. Nous devons nous rappeler que cela s'applique au territoire continental proprement dit.
Mais qu'en est-il de la lisière de mer qui l'entoure, et qu'on appelle mer territoriale? Elle s'étendait jusqu'à 3 milles, autrefois, mais elle est maintenant passée à 12 milles en vertu de la Convention sur le droit de la mer de 1982. Toutefois, ce territoire est assujetti au droit de passage inoffensif de bateaux, y compris les navires de guerre. Cela a constitué un grand sujet de discussion à la Conférence sur le droit de la mer. On détient la souveraineté sur la mer territoriale jusqu'à 12 milles, mais elle est assujettie au droit de passage inoffensif des navires étrangers.
[Français]
En français, nous parlons de passage inoffensif. C'est beaucoup plus exact et plus représentatif, de la signification du mot « innocent » en anglais.
[Traduction]
Plus loin on ira en mer, moins grande sera notre compétence. C'est parfaitement normal. Nous avions une zone de pêche. Elle ne fait plus 20 milles. Actuellement, nous n'avons pas seulement une zone de pêche, mais aussi une zone économique exclusive qui va jusqu'à 200 milles. Cela signifie que l'État côtier a pleine compétence sur les ressources des fonds marins et leur sous-sol à l'intérieur de ces 200 milles, mais pas sur les eaux.
Quoi qu'il en soit, le statut juridique des eaux demeure essentiellement tel qu'il était, c'est-à-dire un statut de haute mer. Les mêmes libertés de navigation et de survol s'appliquent à la zone économique exclusive de 200 milles qu'à la haute mer proprement dite. Celle-ci commençait autrefois après 12 milles; maintenant, au sens de la convention, cette distance est de 200 milles.
Cela concerne les eaux. J'arrêterai là mes remarques d'introduction sur la définition du terme « souveraineté », mais nous parlerons plus tard de ce qu'on appelle, dans la convention, « droits souverains » — et non souveraineté — sur les ressources de la plate-forme continentale, ainsi que de la distance qu'elle couvre.
Deuxièmement, en ce qui a trait à l'archipel arctique canadien, la souveraineté du Canada ne fait absolument aucun doute. Nous ne devons jamais l'oublier. Notre souveraineté a été remise en question à quelques reprises. La première contestation a eu lieu en 1920, et elle provenait du Danemark. Rasmussen, un chasseur du Groenland, avait l'habitude de traverser l'île d'Ellesmere, où les Eskimos, comme nous les appelions, les Inuits, chassaient le bison. Rasmussen avait déclaré que cette terre était inoccupée, et le Danemark était d'accord avec lui. Cela avait donné lieu à un avis envoyé par la Grande-Bretagne au Danemark, et l'affaire a ainsi été réglée. N'oubliez pas qu'à l'époque, nous n'étions pas un pays indépendant.
Une affaire est survenue en 1928 avec la Norvège, et elle a été réglée en 1930. Le grand explorateur norvégien Otto Sverdrup avait découvert trois îles à l'ouest d'Ellesmere. En réalité, il avait déployé tellement d'efforts que la Norvège, à l'époque, aurait certainement pu revendiquer sa souveraineté sur ces îles. Toutefois, c'était une personne très aimable qui correspondait avec le Canada. C'est Skelton, je crois, qui était notre sous-ministre des Affaires étrangères à ce moment-là. Sverdrup est décédé, soit dit en passant, avant que le problème ne soit réglé. Peu de temps après, le Canada a conclu un traité avec la Norvège, après avoir versé à ce pays une petite somme d'argent qui représentait simplement le remboursement des dépenses de Sverdrup pour quelque trois ou quatre années.
Nous avons conclu un traité bilatéral avec la Norvège, par lequel celle-ci reconnaissait explicitement la souveraineté du Canada sur les îles Sverdrup à une seule condition — la Norvège était très avisée — : la non-reconnaissance du soi-disant principe des secteurs. Un tel principe n'existe pas. Il s'agit simplement d'une théorie qui est venue à l'esprit de ce bon sénateur acadien bien intentionné, Pascal Poirier. En 1907, M. Poirier avait noté que le capitaine Bernier était parti en expédition dans le Nord pour revendiquer la souveraineté du Canada sur les îles. Le sénateur Poirier avait proposé qu'on suive les lignes de longitude jusqu'au pôle Nord, et qu'on revendique tout ce qui se trouvait entre les 141e et 60e parallèles.
Cette motion du sénateur Pascal Poirier n'a même jamais été appuyée. Sir Richard John Cartwright, qui était leader du gouvernement au Sénat à l'époque, est intervenu. J'oublie ce qu'il a déclaré en termes exacts, mais il a demandé au sénateur Poirier de modérer ses ardeurs.
Quoi qu'il en soit, cette théorie des secteurs n'a aucune validité que ce soit pour ce qui est de fonder une revendication de souveraineté sur le territoire et, à plus forte raison, sur les eaux de surface. Permettez-moi de signaler que j'ai passé quelques années à travailler à ce petit ouvrage intitulé La théorie des secteurs en droit international public, au cours des années 1950.
Je pourrais peut-être ajouter, en ce qui concerne la base de notre titre, que ces îles nous avaient été transférées par la Grande-Bretagne en 1880. Ce transfert avait commencé en 1870, mais tout cela était si vague que le Canada avait déclaré : « Nous ne savons pas vraiment ce que cela couvre. Voudriez-vous prendre un autre décret? » Et c'est ce que la Grande-Bretagne a fait; alors les Britanniques nous ont cédé les îles en 1880. Ensuite, bien sûr, nous avons pris la relève des Britanniques en poursuivant l'exploration avec Joseph Elzéar Bernier, et ainsi de suite.
Parlons maintenant de la plate-forme continentale. Premièrement, de quoi s'agit-il? La plate-forme continentale est définie comme la continuation, mais pas n'importe laquelle — la prolongation naturelle du territoire terrestre sous la mer. Elle équivaut, en somme, à la continuation géologique. Où se termine-t-elle? Nous nous posons la question.
Nous avons deux questions fondamentales à trancher avec nos voisins dans l'Arctique. Premièrement, où commence la plate-forme continentale, et jusqu'où se rend-elle, pour chacun des deux côtés? En Alaska — c'est-à-dire, dans la mer de Beaufort — nous avons un petit problème avec les États-Unis. Nous avons un autre problème, assez minime, avec le Danemark, dans la mer de Lincoln. Il s'agit là de deux problèmes concernant nos délimitations latérales. Ensuite, nous avons un problème bien plus sérieux qui nous attend, bien qu'il ne se soit pas concrétisé, et qui concerne l'autre côté du pôle. Jusqu'où s'étend notre plate-forme continentale? Est-ce jusqu'au pôle Nord? La Russie, de l'autre côté, dit que c'est le cas de sa plate-forme. Nous parlons du même prolongement, appelé dorsale Lomonosov, qui est la crête qu'on peut voir ici, sur la carte. On voit que la dorsale Lomonosov va de l'île d'Ellesmere au Groenland. Elle commence ici, et se termine de l'autre côté. Toute la zone en bleu pâle représente la plate-forme continentale de la Russie, et de ce côté-ci se trouve notre plate-forme continentale canadienne.
Le Danemark et le Canada ont collaboré très étroitement sur ce dossier. Soit dit en passant, il est intéressant de noter que les deux personnes qui dirigent ces études sont des femmes. Une Danoise et une Canadienne sont à la tête de cette entreprise conjointe, pour ainsi dire, qui consiste à déterminer si la dorsale Lomonosov est un prolongement de notre plate-forme continentale commune.
La Russie, en revanche, étudie le bassin arctique depuis les années 1930. En 1937, Papanin fut la première personne à aller sur l'une de ces stations scientifiques flottantes et, au fil des ans, il y en a peut-être eu plus de 30 autres.
L'Union soviétique, et maintenant la Russie, connaît très bien le bassin arctique. En fait, elle a produit la première carte géologique dès 1964. Nous pouvons rire et nous amuser aux dépens de la Russie en disant que planter un drapeau ne donnera pas droit à quoi que ce soit. La Russie est la première à admettre qu'il s'agissait davantage d'un exercice qui tenait de la séance de photos. Il n'était pas question de revendiquer quoi que ce soit au motif qu'on a planté un drapeau au fond de la mer, à 4 000 mètres de profondeur; pas du tout. La Russie a rassemblé des données qu'elle a déjà soumises au comité des Nations Unies sur les limites au large, et le Canada est en train de faire de même, tout comme le Danemark, comme je l'ai dit il y a un moment.
Au nord de l'Alaska, il y a une autre crête, la dorsale Alpha. Elle n'est pas entièrement visible là-bas. Le Sénat est saisi de la question de la ratification de la convention, mais il n'y a pas jeté un coup d'œil. Comme vous le savez, pour cela, il faut qu'il y ait les deux tiers des votes au Sénat. Et pour les États-Unis, la convention n'entrera pas en vigueur tant que le Sénat n'aura pas décidé de la ratifier. Espérons que ce ne sera pas la même chose que pour la Société des Nations. Bien sûr, comme vous le savez, M. Wilson n'y voyait aucun problème, mais alors, le Sénat n'a pas ratifié le traité. Donc, les États-Unis ne sont pas devenus membres de la Société des Nations.
Pour en revenir à la dorsale Lomonosov, tous les pays signataires qui font partie des 155 États membres de la Convention sur le droit de la mer, chacun des cinq États revendiquant des limites de plate-forme continentale dans le bassin arctique, doit présenter ses données à la commission des Nations Unies. Après la ratification, chaque État a dix ans pour produire, devant la commission, ses données géologiques et autres renseignements scientifiques formant la base de la revendication qu'il présente.
L'Union soviétique a dû demander une prolongation, qu'il a obtenue parce qu'il avait ratifié la convention le 12 mars 1997. En théorie, les dix années sont arrivées à échéance en 2007, et les Russes ont obtenu une prolongation. J'oublie de quel délai il s'agit précisément, mais la Russie a encore trois ou quatre ans devant elle.
Ce n'est que le 7 novembre 2003 que le Canada a ratifié la convention, qui est entrée en vigueur un mois plus tard. Le Canada a donc jusqu'au 7 décembre 2013 pour soumettre ses données à la commission, et il les prépare actuellement.
Qu'en fera la commission? Tranchera-t-elle les litiges entre les revendications concurrentes? Non. Elle formulera des recommandations. En ce qui concerne le règlement des litiges proprement dit, il a lieu lorsque les négociations de bonne foi n'ont débouché sur aucune entente et que les parties ont des points de vue diamétralement opposés.
En vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, il y a divers moyens de régler des différends. J'ai tenté de les résumer en deux pages. Je peux vous dire que tout cela est très complexe, mais il s'agit d'un système de règlement. N'oubliez pas que cela aura pris 14 ans. J'ai entendu quelqu'un dire et, en fait, je l'ai lu quelque part, que la convention s'était concrétisée en 1982. Mais elle n'a pas vu le jour cette année-là. Il aura fallu 14 ans avant que cette convention soit adoptée. Elle est entrée en vigueur en 1994 seulement, après 60 ratifications. Aujourd'hui, nous avons 155 États membres.
Je n'entrerai pas dans les détails sur la façon de déterminer la pointe de la plate-forme continentale, ou la limite du bord ou du talus continental. Le grand problème est la base du talus continental. Il y a deux méthodes de base. Nous pourrons en parler plus tard.
Il y a deux façons d'obtenir la souveraineté et la compétence absolue sur les eaux arctiques. On peut soit revendiquer un titre historique, ce que le Canada fait à l'heure actuelle, soit tracer des lignes de base droites autour de l'archipel, ce que le Canada a fait en 1985. D'après ce que je comprends, le Canada a décidé de fonder sa revendication sur les lignes de base droites, mais principalement sur le titre historique. Personnellement, je ne trouve pas que l'argument qu'il a invoqué concernant les eaux historiques est valable. Je dois ajouter que cette question m'a donné du fil à retordre il y a quelques années. J'ai passé trois mois au Scott Polar Institute de l'Université de Cambridge à examiner les rapports des explorateurs britanniques. J'étais à la recherche d'une simple preuve, mais je n'ai rien trouvé. Il semblerait que ni les explorateurs britanniques ni les Canadiens n'aient déjà pris possession d'une étendue quelconque des eaux arctiques. Je n'ai fait que confirmer ce que Gordon W. Smith avait écrit quelques années auparavant, mais je pensais être capable de faire le travail moi-même. J'aurais aimé répondre à la question du pourquoi.
J'aimerais souligner qu'un livre, intitulé Historic Waters in the Law of the Sea : A Modern Re-Appraisal, a été publié il y a deux mois. On me l'a confié pour étude, mais je n'ai pas encore eu l'occasion de le lire. Il porte sur une affaire récente, aussi étrange que cela puisse paraître, entre l'Alaska et le gouvernement américain relativement aux îles de la Reine-Charlotte, au large de la côte.
Ce n'est pas une chose facile à faire. Le fardeau de la preuve à l'appui d'un tel titre est lourd, puisqu'il représente une exception au statut juridique qu'auraient autrement les eaux en question. Sans ce titre historique, résultant en un statut d'eaux intérieures, il s'agirait de mer territoriale ou de haute mer.
Cependant, le deuxième fondement à l'appui de la revendication, à mon humble avis, est beaucoup plus valable, et il s'agit des lignes de base droites tracées en 1985, peu après le passage du Polar Sea, le brise-glace américain qui a refusé de demander la permission au Canada pour pénétrer dans ses eaux.
Le ministère des Affaires étrangères a indiqué aux Américains qu'ils n'avaient qu'à nous demander la permission, et que nous la leur accorderions. Évidemment, non seulement ils n'ont pas obtenu notre autorisation, mais ils soutiennent maintenant qu'ils ne nous ont même pas avisés. Nous avons discuté, mais ils nous ont jamais donné un avis officiel, encore moins demandé la permission.
Par conséquent, le ministre des Affaires étrangères, subissant les pressions de plusieurs personnes, a établi un système de lignes de base droites. Il a tracé des lignes de base droites autour de l'archipel, de sorte que toutes les eaux situées à l'intérieur de ces lignes sont devenues des eaux intérieures canadiennes. Ensuite, il a décidé de construire un brise-glace polaire de classe 8, qui n'a finalement jamais vu le jour. Le gouvernement suivant a indiqué qu'il ne pouvait pas en assumer les coûts. Si nous l'avions aujourd'hui, ce serait beaucoup mieux. Je pense que nous en avons la preuve.
Si nous jetons un coup d'œil sur la carte, les lignes rouges représentent les lignes de base droites tracées par le Canada en 1985. Comment est-ce possible? La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, de même que l'affaire des pêcheries anglo-norvégiennes de 1951, prévoient que, dans le cas d'une côte fortement échancrée et découpée ou bordée par un archipel, plutôt que de suivre les sinuosités de la côte pour délimiter l'étendue des eaux territoriales, on peut faire abstraction des ouvertures, des « fjords », comme les appellent les Norvégiens, et utiliser ces lignes de base droites pour établir une zone s'étendant jusqu'à 12 milles de la côte. C'est ce que nous avons fait, si vous regardez la ligne rouge, en 1985. Ensuite, bien sûr, il y a la ligne verte, qui correspond à la mer territoriale de 12 milles, puis la zone économique exclusive de 200 milles.
Toutefois, il y a un inconvénient : les États-Unis. Ceux-ci soutiennent que l'archipel de l'Arctique du Canada n'est pas un archipel côtier et que les lignes de base droites qui doivent être tracées le long de la côte ne suivent pas la direction de celle-ci, parce que selon eux, l'archipel du Canada s'étend dans une direction nord-est.
C'est l'impression qu'on a, étant donné qu'on ne peut pas aplatir une balle sans la déformer. Heureusement, au National Geographic Society, un géographe du nom de Robinson a dessiné une carte du monde en 1988. Si vous regardez cette carte, vous constaterez qu'il y a beaucoup moins de déformation. Ce n'est pas tout à fait exact, mais cela ne peut jamais l'être de toute façon. En revanche, vous pouvez observer que l'archipel de l'Arctique du Canada ne s'étend pas vers le nord, mais plutôt de l'ouest vers l'est, le long de la côte canadienne. Tout dépend du type de projection que vous utilisez. La projection de Mercator, qui est une projection traditionnelle, est celle qui entraîne le plus de déformation. Évidemment, étant donné que Mercator a inventé sa méthode de projection il y a très longtemps, on ne veut surtout pas lui enlever son mérite.
En ce qui concerne la souveraineté du Canada sur le passage du Nord-Ouest, si celui-ci est considéré comme faisant partie des eaux intérieures du Canada, évidemment, les diverses routes lui appartiennent. Il y a sept voies navigables dans le passage du Nord-Ouest. Supposons qu'il n'y ait aucun problème, que tout le monde soit d'accord, y compris les États-Unis, avec le fait qu'il s'agit bel et bien d'eaux intérieures canadiennes, les diverses voies maritimes, ou quelques-unes d'entre elles, pourraient encore être des détroits internationaux. Cela est attribuable au trafic maritime international qui s'est développé au fil des années.
Soit dit en passant, il n'y a qu'un seul arrêt qui définisse ce qu'est un détroit international ou plutôt, aux termes de la convention, « un détroit servant à la navigation internationale ». La convention ne donne aucune définition. J'en ai donc proposé une à la délégation canadienne. On l'a essayé en comité, mais cela n'a pas fonctionné. J'ai suggéré un détroit qui ait servi historiquement de route utile au trafic international, en m'appuyant sur l'affaire du détroit de Corfou dans laquelle s'est prononcée la Cour internationale de la Haye en 1949. On ne peut donc pas compter sur la convention, mais plutôt sur la jurisprudence, et le seul arrêt est celui de l'affaire du détroit de Corfou de 1949. Pour qu'on puisse qualifier le passage du Nord-Ouest de détroit international, celui-ci doit avoir connu un niveau suffisant de navigation internationale.
J'ai réalisé une étude exhaustive à la fin de décembre 2005. L'utilisation des diverses routes du passage du Nord-Ouest se limite à 69 traversées complètes, et je peux vous fournir la liste, à partir de la toute première en 1903, par le bateau d'Amundsen. C'est tout ce qu'il y a eu cours de cette période, et bon nombre de ces traversées ont été faites par des petites embarcations de plaisance et des yachts. Au cours des dernières années, toutefois, il y a eu plusieurs navires de croisière et, évidemment, des brise-glaces américains. J'aimerais ajouter, sur la question des brise-glaces, qu'en 1989, nous avons conclu que nous ne pourrions pas nous entendre avec les Américains, alors nous avons signé un accord afin de constater notre désaccord. L'accord de coopération de 1988 prévoit l'autorisation préalable du Canada, ce qui veut dire que les États-Unis ont un droit de passage, mais ils doivent d'abord demander la permission et, bien entendu, on la leur accorde.
L'accord ne s'applique qu'aux brise-glaces et renferme une disposition de dérogation qui ne modifie en rien les positions respectives des parties, c'est-à-dire que les États-Unis continuent d'affirmer qu'il s'agit d'un détroit international, et le Canada, d'une route maritime nationale.
Le président : C'était fascinant. J'aurais bien aimé assister à vos cours. Merci beaucoup pour cette présentation très claire et complète.
Le sénateur Cowan : Merci pour votre présentation intéressante et instructive.
Si j'ai bien compris, dans votre récent ouvrage, vous avez indiqué que si on ouvrait le passage à la navigation étrangère sans que le Canada prenne des mesures de prévention adéquates, il est possible que celui-ci soit internationalisé et assujetti au droit de passage en transit.
Quelles mesures le Canada devrait-il prendre pour empêcher l'internationalisation du passage?
M. Pharand : Je vais commencer avec la question du passage en transit. Il est très important de comprendre que si le passage devient un détroit international, un nouveau droit de passage en transit s'appliquera en vertu de la convention. Cela signifie que les navires étrangers, de même que les navires de guerre, jouissent pratiquement du même droit de passage que lorsqu'ils naviguent en haute mer, dans leur mode de navigation normal. Par exemple, les sous-marins ne seront pas tenus d'être en surface. Il s'agit d'un passage en transit.
Le Canada devrait prendre des mesures de prévention adéquates en vue d'améliorer sa capacité à exercer ce que j'appelle un contrôle effectif sur la navigation étrangère. Cela devrait commencer par un système obligatoire de trafic maritime contraignant les navires étrangers à obtenir la permission du Canada avant de pénétrer dans les eaux arctiques et, s'il y a lieu, à se soumettre à une inspection, pour assurer la protection de l'environnement marin, qui est un système très vulnérable. À l'heure actuelle, NORDREG est un système complètement volontaire.
J'ignore pourquoi le Canada ne fait pas de NORDREG un système obligatoire. J'ai essayé de savoir pourquoi. Lors d'une conférence tenue à Victoria il y a trois ou quatre ans, j'ai posé la question à un représentant de Transports Canada. J'étais heureux de l'entendre me dire que 99 p. 100 des navires nous avisaient. À la pause, je lui ai demandé de me faire parvenir une note confirmant ses propos, parce que c'était très important pour moi. Je le lui ai même rappelé par écrit et je n'ai toujours pas reçu de réponse.
Il y avait un autre homme là-bas, un certain Allan Bartley, directeur de la politique en matière de sûreté maritime, à Transports Canada. Quand j'ai rédigé ce dernier article, le MAECI était coopératif et a indiqué que M. Bartley allait répondre à toutes mes questions. Dans un premier temps, je lui ai demandé ce qui régissait la création de NORDREG. Je n'ai jamais pu obtenir de réponse. J'ai ensuite consulté les Normes pour le système des régimes des glaces pour la navigation dans l'Arctique et je n'ai toujours pas eu ma réponse. Ma deuxième question était : serait-il possible de rendre NORDREG obligatoire par un simple décret en conseil? On ne m'a pas répondu. Ma troisième question était : les navires étrangers sont-ils tenus de transmettre une notification préalable avant de pénétrer dans les eaux canadiennes? Je me suis reporté à la Loi sur la sûreté du transport maritime. Contrairement à l'article 4 de la loi, l'article 201 semble s'appliquer aux navires étrangers, parties à la Convention SOLAS ou non. À titre indicatif, SOLAS signifie Sauvegarde de la vie humaine en mer. Ma quatrième question était : où exige-t-on que des renseignements nous soient transmis 96 heures avant d'entrer dans les eaux canadiennes? J'ai entendu dire qu'il y avait eu une modification récemment à cet effet. Le paragraphe 221(1) du Règlement sur la sûreté du transport maritime le prévoit, mais pas dans tous les cas. Enfin, je n'ai pas reçu de réponse à mes questions, et ce, malgré tous les appels que j'ai faits.
Ces quatre questions demeurent sans réponse, et c'est inacceptable. J'ignore pourquoi le Canada ne rend pas le système NORDREG obligatoire. La seule chose que je peux imaginer, c'est qu'il ne serait pas en position de l'appliquer. C'est seulement une hypothèse, mais je ne suis pas certain qu'on ait la capacité d'application nécessaire.
Le sénateur Cowan : Il va sans dire que nous aurions besoin de nous doter de davantage de brise-glaces.
M. Pharand : Absolument. Que peut-on faire? Dans ce dernier article, j'ai proposé 12 mesures que nous pourrions prendre, mais l'une des plus importantes est naturellement le brise-glaces polaire. Comme vous le savez, nous sommes assez dépourvus. L'Union soviétique possède 12 brise-glaces polaires et est sur le point de se procurer 12 autres brise-glaces. Si je ne me trompe pas, les États-Unis ne comptent que 3 seuls brise-glaces polaires, qui prennent de l'âge, mais ils prévoient les renouveler. Quant à nous, nous disposons seulement du Louis St-Laurent, qui est très vieux et de catégorie 4, et quelques autres de catégorie 3.
Le sénateur Cowan : Nous avons le Terry Fox.
M. Pharand : C'est vrai. Nous avons une capacité de déglaçage limitée. Même avec la fonte des glaces, nous avons besoin de nous doter de brise-glaces.
Il y a près de dix ans, j'ai passé 28 jours à bord du Sir John Franklin, maintenant appelé Amundsen, un navire de catégorie 3. Nous sommes arrivés ici, à cet endroit appelé le détroit de Victoria — ces deux lignes que je considère des futures lignes. Il est impossible de naviguer dans le détroit de McClure actuellement même si, l'an dernier, il était navigable, tout comme l'était le détroit du Prince-de-Galles.
Vous resterez coincés au détroit de Victoria, compte tenu de la glace qui date de plusieurs années qui descend du détroit de McClure, lequel a une ouverture de 100 milles. Elle passe par le détroit du Vicomte de Melville puis par le détroit de McClintock. Nous étions pris là. En 24 heures, nous avons parcouru à peine 20 milles alors que cela ne nous a pris que huit jours pour tout le trajet.
Malgré l'amincissement et le retrait de la banquise arctique, vous vous heurterez toujours au problème de la glace pluriannuelle. Les eaux sont peu profondes. C'est pourquoi, à l'avenir, il serait préférable de naviguer dans le détroit de McClure.
Le président : Vous êtes d'avis que le système NORDREG devrait être obligatoire. Selon vous, doit-on prévoir un soutien adéquat?
M. Pharand : Absolument. C'est bien beau de le rendre obligatoire, mais c'est comme n'importe quelle loi. Vous pouvez avoir la meilleure loi au monde, mais si vous n'avez pas la capacité de l'appliquer, elle ne vaut rien.
Le sénateur Hubley : Merci beaucoup pour votre présentation. Nous avons fait un retour à l'école, et j'espère que nous nous sommes bien comportés.
J'aimerais revenir sur le titre historique par opposition aux lignes de base droites. Vous avez indiqué que la revendication du Canada à l'égard du titre historique n'était peut-être pas valable.
J'aimerais que vous me donniez vos raisons et que vous répondiez à cette question : dans toutes les négociations et considérations, le fait que nous avons des gens habitant dans le Nord qui vivent de la terre et de la mer entre-t-il en ligne de compte?
M. Pharand : Absolument. Je suis très heureux que vous me posiez la question parce que je n'avais pas eu le temps d'en parler.
En dépit du fait que les titres historiques ne sont pas énoncés dans la convention, il y a beaucoup d'écrits et quelques précédents.
Le Canada peut invoquer les besoins vitaux de la population inuite, qui utilise les eaux de l'archipel depuis la nuit des temps pour faire la pêche et la chasse. Il est difficile de prouver un titre historique étant donné que cela doit se faire au niveau des États. En revanche, nous pouvons invoquer ces intérêts pour ce que la Cour internationale a appelé dans l'affaire des pêcheries anglo-norvégiennes, Royaume-Uni c. Norvège, « la consolidation du titre », le renforcement du titre.
Je vais maintenant m'attaquer à votre première question. Il y a trois conditions pour l'acquisition d'un titre historique et, comme je l'ai mentionné plus tôt, le fardeau de la preuve à l'appui d'un tel titre est lourd puisqu'on se trouve à changer le statut des eaux. Il est encore plus difficile de prouver notre souveraineté étant donné que c'est ce que nous revendiquons. Premièrement, il faut prouver que nous avons eu l'exercice exclusif des compétences d'un État, c'est-à-dire que si un navire souhaite entrer dans nos eaux, nous l'expulsons parce que les eaux nous appartiennent.
Ensuite, il y a la question de « l'usage prolongé ». À quoi cela se réfère-t-il? Aucun tribunal n'a statué combien de temps, mais c'est certainement depuis 1973. N'oubliez pas qu'en 1970, le SS Manathan s'est rendu aussi loin qu'ici, mais n'a pas réussi à traverser et est descendu par le détroit du Prince-de-Galles.
Le SS Manathan, à l'époque, restait en haute mer. Son voyage eut lieu avant que le Canada n'étende sa mer territoriale de 3 à 12 milles. Il serait resté en haute mer s'il avait navigué dans le détroit de McClure. Le Canada a eu peur et a su qu'il devait agir. Par conséquent, nous avons agrandi notre territoire pour faire ce que le conseiller juridique de l'époque appelait « une deuxième porte d'entrée aux eaux territoriales dans le passage du Nord-Ouest ». Étant donné que moins de 15 milles séparent les îles Lowther et Young et que celles-ci se trouvent à 12 milles de la côte, elles forment une porte d'entrée. L'autre se situe dans le détroit du Prince-de-Galles.
Si nous avions déjà eu un titre historique — si nous revendiquions ces eaux depuis 1970 en nous appuyant sur notre titre historique —, nous n'aurions pas eu besoin d'étendre nos eaux territoriales.
La troisième condition, c'est l'assentiment des États étrangers; ceux qui sont particulièrement intéressés. Les États-Unis le sont.
Ce sont là les trois conditions. Je répète que le fardeau de la preuve est très lourd.
J'ai parlé de 1973. C'était en 1973 que le Canada a déclaré pour la première fois qu'il revendiquait les eaux de l'archipel comme titres historiques, par l'intermédiaire du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Je peux vous assurer qu'on ne peut pas prouver l'existence d'un titre historique en aussi peu de temps, peu importe ce que l'on considère être la durée adéquate.
Cependant, pour revenir à votre question de consolidation du titre, nous pouvons faire ce que la Norvège a fait en 1951. Pour justifier certaines des lignes auxquelles la Grande-Bretagne s'opposait, la Norvège a dit:, « Nos pêcheurs autochtones dans le bassin Lopphavet — où l'on avait tracé une ligne de quelque 50 milles de long — ont obtenu des droits de pêche exclusifs que nous avons invoqués pour justifier et consolider la validité de cette ligne particulière. »
Ce que je dis, c'est que les Inuits sont là depuis des temps immémoriaux. Ils ont utilisé les eaux et la banquise pratiquement de la même manière que les terres pour assurer leur subsistance. Nous sommes certainement en mesure d'invoquer cette utilisation historique pour consolider certaines lignes.
Les États-Unis — j'imagine — s'opposent à toute l'idée des lignes, mais plus particulièrement celles du détroit de Lancaster et du golfe Amundsen. Ce sont les plus longues; elles sont non seulement les plus longues, mais elles feront aussi inévitablement partie du passage du Nord-Ouest dans l'avenir.
L'usage historique par les Inuits peut certainement être très utile à cet égard. Je dirai simplement que je ne suis pas une autorité en la matière, mais il en existe un à la faculté de droit de l'Université de Montréal. Il s'agit d'un professeur de droit international dont la thèse de doctorat, dont j'ai oublié le titre exact, traitait de l'usage historique autochtone dans un cas semblable à celui-ci. Son nom est Suzanne Lalonde. J'ai noté le nom de quelques personnes, deux ou trois qui pourraient vous être d'une aide précieuse, plus particulièrement sur la question du plateau continental, qui dépasse largement mes compétences.
Le président : Merci beaucoup. Nous communiquerons avec Mme Lalonde, et si vous pouvez nous donner le nom d'autres personnes, nous pourrons les contacter également.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Si on avait appuyé Pascal Poirier et sa théorie des secteurs, on n'aurait peut-être pas ce problème aujourd'hui.
M. Pharand : Je regrette, sénateur Robichaud, mais même à ce moment-là, cela ne valait rien comme fondement pour une revendication, non seulement sur du territoire qui est mis en doute, mais surtout sur des eaux. On parle de 1907! Alors non.
Le sénateur Robichaud : Je vais me faire l'avocat du diable. Si on avait à ce moment commencé à faire valoir notre souveraineté, peut-être qu'on aurait pu trouver d'autres arguments qui auraient remplacé l'argument des secteurs de Pascal Poirier.
M. Pharand : Vous avez parfaitement raison, sénateur Robichaud, nous aurions dû commencer plus tôt à faire valoir notre titre, parce que ce n'était pas clair, justement. Selon le décret en conseil de la Grande-Bretagne, en date de 1880, la description de l'archipel arctique du Canada était très vague. Un auteur bien connu, l'historien Gordon W. Smith, dit que c'est tellement vague qu'on se demande ce que cela couvrait. En passant, cela ne couvrait sûrement pas — ce que certaines personnes ont pensé — cette petite roche qui s'appelle Hans Island.
Oui, nous aurions dû commencer plus tôt à faire valoir notre titre, mais pas sur la base de la théorie des secteurs, je regrette.
Le sénateur Robichaud : J'accepte votre arguement. Maintenant, si nous réclamons la souveraineté sur le Passage du Nord-Ouest, nous devons en prouver l'usage historique. Si nous devions nous présenter devant une cour internationale, nous ferions valoir notre point en mentionnant l'usage historique de ce passage par les Inuits, les habitants de la région depuis toujours. Alors ceux qui voudraient défendre leur droit de passage n'auraient-ils pas aussi à prouver l'usage historique de ce passage, car le fait d'emprunter le passage une fois par décennie n'établit pas un usage historique, n'est-ce pas?
M. Pharand : Vous avez parfaitement raison. Le problème en est un de définition. Il n'y a pas de définition dans la convention. Les États-Unis prétendent que c'est un usage potentiel et non pas actuel. Ils font la distinction entre ces deux termes « potentiel » et « actuel ». Les États-Unis prétendent qu'il suffit d'utiliser un détroit aux fins de navigation internationale pour qu'il soit considéré comme étant international et donc sujet aux droits de passage en transit.
Durant la Conférence sur le droit de la mer, qui a duré 14 ans — ce n'est pas nouveau notre problème avec les États-Unis —, les États-Unis ont publié une liste — je ne me souviens plus du chiffre exact — d'environ 113 détroits à travers le monde, dont le passage du Nord-Ouest, qu'ils considéraient comme étant des détroits internationaux. Pourquoi? Parce qu'il y avait un principe pour eux, le plus important : la mobilité navale. C'était ce qui était le plus important. Le reste, en d'autres termes le politique, devait expliquer le juridique.
Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question, sénateur Robichaud.
Le sénateur Robichaud : Un peu. Vous dites qu'ils défendent un passage éventuel ou potentiel?
M. Pharand : Oui, c'est cela.
Le sénateur Robichaud : Mais nous pouvons défendre l'utilisation actuelle par les communautés qui vivent le long de ces détroits, n'est-ce pas? Les Inuits sont là et en utilisent la surface comme plate-forme soit de chasse ou de pêche.
M. Pharand : Vous avez raison, mais nous sommes en train de mêler les choses. Nous devons faire une distinction entre deux problèmes. En ce qui concerne le statut des eaux en général, vous avez parfaitement raison et je suis d'accord avec vous. Quant à l'usage historique de ces eaux, de façon générale, par les Inuits depuis les temps immémoriaux, c'est tout à fait exact, et nous pouvons évoquer cela, à mon humble avis, avec un bon fondement. C'est une chose. Toutefois, lorsqu'on parle plus particulièrement des routes constituant le passage du Nord-Ouest et qu'on dit que ce n'est pas un détroit international — ou des détroits, mais on parle au sens générique singulier —, que c'est une route maritime interne, là on parle du nombre de navires étrangers qui ont utilisé le passage. Nous disons, sur la base de la seule décision qui existe, celle du détroit de Corfou de 1949, qu'il n'y en a quasiment pas eu.
Quand je dis transits, de 1969 jusqu'à la fin de 2005, je parle de transits simples. Par exemple, je compte deux fois — je peux vous montrer la liste — pour le Manhattan, en 1969, qui a fait l'aller-retour. Cela fait deux transits sur les 69, n'est-ce pas? Ce n'est pas un voyage. Un voyage, c'est deux transits. Vous pouvez imaginer. Sur ce nombre, vous trouvez je ne sais pas combien de ces petits yatchs, 25 ou 30, qui nous causent des problèmes de surveillance, car ils restent pris. Ils s'en vont à l'aventure, c'est amusant d'aller à l'aventure, mais ils restent pris. Bien sûr, le Canada doit venir à la rescousse.
Le sénateur Robichaud : Ce qui renforce notre argument que nous devons y aller.
M. Pharand : Absolument, vous avez raison.
Le sénateur Robichaud : Vous avez dit que nous devrions utiliser des brise-glace afin de faire respecter nos droits?
M. Pharand : Oui.
Le sénateur Robichaud : Iriez-vous jusqu'à dire qu'on devrait saisir les navires?
M. Pharand : Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il faille utiliser des mesures coercitives à un point où nous pourrions peut-être — comment dirais-je — déclencher une guerre, non. Premièrement, les navires de brise-glace de la garde côtière ne sont pas des navires militaires comme ceux des Américains. La Garde côtière américaine a des navires armés même si c'est ce qu'on appelle en anglais « small armaments. » Personnellement, c'est ce que je recommande depuis des années : nous devrions avoir des armes légères, pour traduire littéralement de l'anglais, dans le but de donner des avertissements : « Vous n'avez pas demandé la permission, nous vous avertissons. » Cela ne veut pas dire que je vais déclarer la guerre, surtout moi, le petit Canada, la petite souris, à vous, le gros éléphant, les États-Unis. Je ne peux pas vous déclarer la guerre. Le but, c'est de donner un avertissement sérieux et, si vous passez quand même, à ce moment-là, si jamais nous allons devant un tribunal international pour régler notre différend, je ne considèrerai pas votre passage comme étant valide. On ne peut pas le considérer.
Le sénateur Robichaud : Oui, mais nous avons actuellement le moyen, avec RADARSAT-2, de connaître toute l'activité de surface dans le Grand Nord et envoyer des avertissements. Ce n'est pas un canon, mais c'est un avertissement qui a quand même autant de mérite, je crois.
M. Pharand : Vous avez parfaitement raison. Je suis bien content que vous ayez mentionné le RADARSAT-2. Je suis content aussi que, semble-t-il, le gouvernement ait changé d'avis sur ce point, parce que si nous le vendons aux États-Unis, je ne suis pas trop certain que nous allons garder la possibilité de l'utiliser. Mais le grand avantage, si je comprends bien, de ce RADARSAT-2, c'est qu'il nous permettrait au moins de voir s'il y a un navire qui entre à Lancaster Sound ou bien au McClure, et même un sous-marin.
Lorsqu'on compte les navires, si nous avons raison de croire que nous avons des sous-marins, cela sera peut-être à notre désavantage. Si nous n'avons pas raison de croire qu'il y a des sous-marins, cela ne compte pas.
Je n'ai pas parlé de sous-marins tantôt quand je parlais de 1969, mais dans ma liste, je fais mention du Nautilus et du Seadragon. Y en a-t-il eu d'autres? Le navire Charlotte, il y a trois ou quatre ans, est-il passé par nos eaux? Notre ministre des Affaires étrangères, Bill Graham à l'époque, a dit : « Je ne pense pas et, si oui, s'il a passé, c'était dans le cadre de nos ententes défensives entre les États-Unis et le Canada. »
Mais vous avez parfaitement raison lorsque vous dites que le RADARSAT-2 devrait nous permettre d'exercer au moins un contrôle visuel, quitte à ce que, s'il y a un navire qui ne devrait pas y être, nous prenions au moins des mesures d'avertissement. Encore une fois, je ne veux pas dire que le Canada devrait déclarer la guerre aux États-Unis.
[Traduction]
Le sénateur Cochrane : Puisque nous sommes sur ce sujet, quelles mesures le Canada peut-il prendre pour empêcher que le passage du Nord-Ouest ne devienne internationalisé? Vous avez dit qu'il pourrait y avoir des capacités militaires de déglaçage, de surveillance et de maintien de l'ordre. Dites-nous quelles mesures nous devrions mettre en place actuellement, d'après vous.
M. Pharand : Je crois avoir indiqué dix mesures à la page 9 et au haut de la page 10.
Le sénateur Cochrane : Je les vois. Merci.
M. Pharand : Je ne suis pas spécialiste. Je m'y connais un peu en droit international. En politique, je suis un néophyte. La politique et le droit se croisent inévitablement à un moment donné, plus particulièrement dans un système juridique comme le système international, qui est encore en cours de développement. Ce n'est pas comme un système de primauté du droit national, bien établi. Nous n'y sommes pas encore au niveau international. Nous n'avons pas de législateurs. L'Assemblée générale des Nations Unies ne fait pas de lois; elle formule des recommandations. Premièrement, nous n'avons pas de législateur. Deuxièmement, nous n'avons pas d'exécuteur. Et troisièmement, nous n'avons pas de tribunal ayant une compétence obligatoire. Vous pouvez aller devant la Cour internationale de justice de La Haye, si vous voulez.
À titre indicatif, voici certaines des mesures que nous devrions sérieusement examiner. Premièrement, il ne fait aucun doute dans mon esprit que le NORDREG doit être obligatoire. Deuxièmement, nous avons besoin d'au moins un brise-glaces polaire. Nous parlons de catégorie 6 au moins, sinon de catégorie 8. Comme je l'ai dit, si nous avons du trafic, il nous faut des services. Les membres de la communauté maritime n'emprunteront pas votre passage, même s'ils le veulent, à moins d'être raisonnablement sûrs qu'ils peuvent le faire de manière sécuritaire et sans retard. Chaque jour équivaut non pas à des milliers, mais à des millions de dollars pour les propriétaires de marchandises et les propriétaires de navires. Par conséquent, ils ont besoin d'un service terrestre et d'un service maritime, d'une infrastructure complète.
J'ai parlé du RADARSAT-2. Nous devrions bien entendu avoir un système de détection de sous-marins, comme nous en avons parlé plus tôt. Les Inuits connaissent leur territoire comme le fond de leur poche. Ils y ont vécu toute leur vie. Ils ont une tradition orale qui est peut-être plus sensée que les meilleurs livres que nous avons écrits, mais nous devons les équiper et tirer parti de leur savoir. Comment se fait-il que nous ne recrutons pas d'Inuits pour la Garde côtière? Je l'ignore. Nous devrions, il me semble. C'était mon septième point.
Le huitième, c'est qu'il nous faut une capacité de recherche et de sauvetage. Si un accident survient, l'avons-nous? J'en doute fort. Si nous voulons qu'il y ait beaucoup d'activité maritime, nous avons besoin d'un port de mer. Les Inuits en ont d'ailleurs fait la demande.
Pour terminer, je vais faire une suggestion que je propose depuis 1985, ou même avant : Nous devrions pouvoir négocier avec les États-Unis une entente satisfaisante pour les deux pays. Je pense qu'il serait dans l'intérêt des États-Unis de vraiment nous écouter quand nous leur demandons de reconnaître notre contrôle sur toutes ces eaux, car nous sommes très près d'eux. Qui dit qu'on ne pourrait pas venir les attaquer en passant par nos eaux à quelque part au nord, au nord-est ou au nord-ouest? N'oubliez pas cependant que nous ne sommes pas à l'abri des attaques nous non plus.
Je suis content que vous ayez posé cette question. J'ai l'impression que les États-Unis n'accepteront jamais de reconnaître notre contrôle absolu sur ces eaux à moins de savoir que nous avons la capacité d'exercer ce contrôle, que nous n'avons pas à l'heure actuelle. Si j'étais le conseiller juridique des États-Unis, je leur dirais qu'ils sont fous d'accorder au Canada le contrôle absolu.
Le sénateur Cochrane : Je comprends ce que vous dites.
Le président : J'aimerais préciser qu'on nous a fait une proposition concernant le contrôle du passage du Nord-Ouest et qui l'exercerait. On nous a proposé de créer une nouvelle commission de navigation canado-américaine de l'Arctique pour veiller aux intérêts communs des deux pays en matière de navigation, de protection environnementale, de sécurité et de développement économique durable. La commission de navigation de l'Arctique proposée suivrait le modèle de la Commission mixte internationale en agissant comme entité chargée de formuler des recommandations au Canada et aux États-Unis. Pourriez-vous vous prononcer sur cette recommandation?
M. Pharand : Nous devrions certainement nous entendre sur un code conjoint, mais pas seulement entre le Canada et les États-Unis. Comme vous le savez, cette entente porte sur la région polaire. Il s'agit après tout d'un problème circumpolaire qui nécessite une solution circumpolaire.
Si un déversement de pétrole majeur survenait à quelque part, de ce côté-ci ou de l'autre, peu importe, tous les États arctiques seraient touchés. L'OMI, l'Organisation maritime internationale, compte un spécialiste du nom de Lawson Brigham. Il est Américain et il est très ferré. Au Conseil de l'Arctique, nous travaillons à l'élaboration d'un code pour la protection du milieu marin. C'est très important.
Deuxièmement, même si c'est bien d'entretenir une étroite collaboration, et c'est ce que nous devrions faire, non seulement avec les cinq États arctiques, mais bien entendu aussi avec les États-Unis, surtout parce qu'ils sont nos voisins en Alaska. C'est bien. Toutefois, à mon humble avis, de là à parler d'une commission mixte comme celle que nous avons pour les Grands Lacs, je crois que c'est un peu dangereux étant donné que le statut des eaux n'est pas le même. Nous ne partageons pas la souveraineté sur le passage du nord-Ouest avec personne. Je ne pense pas que nous le voulons. Je crois que nous devons maintenir notre indépendance, si je puis dire, et notre souveraineté absolue sur ces eaux tout en travaillant le plus étroitement possible avec les États-Unis.
Le sénateur Adams : C'est très intéressant de vous entendre parler de notre région au Nunavut. Dans mon jeune temps, en 1953, j'étais censé aller travailler à Resolute Bay. M. Diefenbaker revendiquait la souveraineté dans l'Arctique. J'ai fini par aller à Churchill en fin de compte. Après avoir attendu deux mois que la glace fonde à Resolute, on m'a offert un poste pour travailler pour l'armée à Churchill, au Manitoba, où j'ai fini par rester 11 ans.
Je sais que vous avez fait beaucoup de recherches sur la souveraineté dans l'Arctique. Au Sénat, un sénateur m'a demandé comment c'était dans les deux communautés de Resolute Bay et de Grise Fiord quand Diefenbaker était au pouvoir et que la souveraineté dans l'Arctique a été proclamée. À l'époque, je me suis demandé quelle information le gouvernement fédéral mettait à la disposition des habitants du nord du Québec et de ceux de Pond Inlet qui ont été déménagés en 1953. Vous vous rappelez peut-être le C.D. Howe, qui était utilisé par les résidents de nos communautés pour procéder à des radiographies, car beaucoup de gens étaient atteints de tuberculose dans les années 1950 et 1960.
En outre, le gouvernement du Canada était aux prises avec le braconnage auquel se livraient les Américains, les Danois et les Russes. La seule chose que j'ai entendue, c'est que d'autres pays ne pouvaient pas revendiquer la souveraineté parce que les Inuits habitaient ces régions. À l'époque, dans les années 1950, les Russes ont tenté de revendiquer une partie des îles dans l'Arctique et des voies navigables.
M. Pharand : Oui, je crois que c'est vrai. Je m'en rappelle très bien. Il est vrai que pendant cette période, après la guerre, après 1945 et dans les années 1950 aussi, il y a eu des Américains dans l'Arctique canadien qui ont protesté et exprimé des doutes quant à la souveraineté du Canada, même sur les îles. Ça ne venait pas officiellement des États-Unis. Quand je parle de quelques-uns des Américains en affectation, je veux dire même s'il y avait des militaires dans l'Arctique canadien.
Je me souviens quand on a déménagé les Inuits du Nord du Québec, certains à Resolute Bay, d'autres à Grise Fiord, où aucun Inuit n'avait vécu auparavant. Les Inuits ont été cependant les premiers à y vivre. Si je comprends bien, l'intention du gouvernement visait à consolider et à renforcer son droit, sa souveraineté sur les îles, malgré le fait qu'il n'y avait pas eu d'opposition officielle d'État à État.
Vous vous souviendrez sûrement de la commission coprésidée par le juge de la Cour d'appel du Québec — son nom m'échappe — et George Erasmus. J'ai témoigné devant cette commission. Un ancien juge de la Cour suprême du Canada à la retraite qui en faisait partie, Bertha Wilson, m'a demandé pourquoi le gouvernement avait agi de la sorte. Pourquoi a-t-il déménagé à Grise Fiord pratiquement tous les Inuits du Nord du Québec contre leur gré?
J'ignore évidemment quelle était l'intention du gouvernement. Toutefois, cela avait sûrement à voir avec le principe de l'occupation effective de cette immense île et de cette région, de Grise Fiord, plus particulièrement. Ça se limite bien entendu à la souveraineté territoriale, à la souveraineté sur les terres. Comme je l'ai déjà dit aujourd'hui, personne n'en doute. Même le président des États-Unis en visite au Canada il y a quelques années a dit : « Nous ne sommes pas d'accord avec vous pour ce qui est des eaux, mais nous ne contestons pas le fait que les îles vous appartiennent. » Quand vous entendez cela du président Bush, que vous faut-il de plus?
Je ne suis pas certain d'avoir vraiment répondu à votre question.
Le sénateur Adams : Je crois que vous y avez répondu. Je peux peut-être passer à d'autres questions.
Les lignes vertes et rouges que vous avez tracées sur la carte signifient qu'il y a eu une entente avec le gouvernement du Canada conformément à l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Dans les eaux internationales, nous n'avons que 12 milles également. Il n'y a aucun chevauchement. Le gouvernement du Canada dit que tant qu'il y a de la glace ici, on peut chasser au-delà de la limite des 12 milles. Nous ne pouvons pas dépasser cette limite pour la pêche. Nous devons nous entendre avec le MPO au sujet des quantités de poissons que nous avons le droit de pêcher dans cette zone.
C'est vraiment dommage que le sénateur Baker ne soit pas ici ce soir. Il y a 17 autres pays environ qui ont signé une entente avec le Canada sur le droit de la mer. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler. Les pays ont signé une entente concernant la délimitation et les eaux. Je pense que vous vous y connaissez plus en droit de la mer. Nous aimerions qu'un Inuit soit formé à Halifax pour apprendre le domaine. Le droit de la mer est difficile à comprendre, même pour nous.
M. Pharand : Si j'ai bien compris, la question consiste à savoir si le Canada vous donne l'autorisation de pêcher au-delà de la limite de 12 milles. Ça me semble être un problème interne entre le gouvernement du Canada et les Inuits. Après tout, comme je l'ai souligné, le Canada a le contrôle absolu sur les ressources, que ce soit sur les terres ou les eaux, à l'intérieur de la zone économique exclusive de 200 milles. S'il n'y en a pas, il y a bien entendu une ligne de délimitation sur laquelle le Canada s'est mis d'accord avec le Groenland — c'est-à-dire le Danemark. La seule partie sur laquelle les deux pays ne sont pas arrivés à une entente — en 1974 — concernant la délimitation par voie d'accord, c'était sur ce rocher. C'est la ligne de séparation, la ligne de délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive entre le Canada et le Groenland, ou le Danemark.
L'île Hans constitue l'un de nos problèmes. Nous sommes aux prises avec ce petit problème, dont les médias ont fait grand cas. D'après ce que je comprends, il s'agit d'un irritant mineur, voilà tout. Nous avons aussi un léger problème dans la mer de Lincoln. L'ennui, c'est que le Canada et le Danemark ne s'entendent pas sur les lignes de base à partir desquelles ils devraient mesurer pour arriver à l'équidistance. Cette ligne suit la méthode de l'équidistance. À l'intérieur de ces lignes, chaque côté a des compétences exclusives en matière de pêche. S'il y a un problème de notre côté, c'est entre le gouvernement fédéral et les Inuits. Autrement dit, c'est un problème interne et non pas international.
Le sénateur Adams : J'ai une autre question. Nous avons parlé des années 1980 et du brise-glaces de catégorie 6. Je siégeais au Comité des transports quand le sénateur Perrault en était le président. Si le gouvernement du Canada avait approuvé l'acquisition du brise-glaces, nous aurions plus de droits sur les eaux arctiques. Nous avons tenté d'obtenir un brise-glaces de catégorie 8.
M. Pharand : Vous parlez du brise-glaces polaire de 1985?
Le sénateur Adams : Oui. À cette époque, il ne coûtait que 500 millions de dollars. Cette année, il coûtera 750 millions et nous ne savons pas s'il sera de catégorie 5 ou 6. Nous l'ignorons.
M. Pharand : Sauf erreur, celui que le premier ministre Harper a promis est de catégorie 6, mais je ne suis pas entièrement certain. Il serait évidemment beaucoup mieux — et nous en avons grand besoin — que le meilleur que nous avons à l'heure actuelle, qui est de catégorie 4. Je ne suis pas certain si le Louis St-Laurent est opérationnel. Il se fait très vieux. J'ai oublié, mais il a été construit il y a plus de 30 ans.
Le sénateur Adams : Si la proposition d'acheter le brise-glaces de catégorie 8 avait été approuvée en 1985, nous aurions plus de droits sur l'Arctique maintenant. Le gouvernement l'avait toutefois rejetée.
M. Pharand : C'est dommage, mais c'est ainsi.
Le sénateur Watt : Votre exposé était très intéressant, surtout pour quelqu'un qui est très familier avec la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, son fonctionnement, ce qu'elle fait et ce qu'elle ne couvre pas.
Je vais m'en tenir à un sujet précis que vous avez abordé. Nous avons beaucoup entendu parler des changements climatiques. Puisque la banquise fond, et plus rapidement que prévu, le manque d'infrastructure en place constitue un problème.
Plus important encore, il y a l'éventualité d'une catastrophe environnementale dans l'Arctique. Le Canada n'est pas équipé pour ce type de situation, et les Américains sont dans le même bateau. Ils construisent actuellement l'infrastructure nécessaire pour faire face à une telle situation.
La Russie est beaucoup mieux équipée. Je crois que la Norvège et la Russie ont récemment conclu une entente contractuelle afin de construire de nouveaux équipements qui leur permettront d'être actives dans la zone dont nous parlons. Cela me fait peur.
Que disons-nous à notre gouvernement?
M. Pharand : Vous soulevez une question très importante. Auparavant, l'Union soviétique, maintenant la Russie, se servait de la route maritime du Nord pour le transport intérieur. Elle s'est pleinement préparée à l'ouverture de cette route à la navigation internationale.
En fait, il y a trois ans, la Russie, avec la collaboration du Japon et de la Norvège a terminé une étude réalisée sur six ans. Je possède les volumes qui la composent, car j'ai été réviseur pour trois ou quatre de ces études; ces volumes occupent quatre pieds d'espace sur la tablette et comptent entre 75 et 100 pages chacun.
Cette étude très sérieuse a été financée en grande partie par le Japon, sous l'égide de l'Institut Fridtjof Nansen de Norvège. Elle couvre tous les aspects possibles, y compris les volets économiques et juridiques, de l'utilisation future de la route maritime du Nord, que nous appelions le passage du Nord-Ouest. Il n'y a absolument aucun doute que les Russes sont prêts. Ils ont les infrastructures et les brise-glaces nécessaires. D'ailleurs, j'ai lu récemment que les Russes ont conclu un marché avec un chantier naval chinois pour l'acquisition de 12 nouveaux pétroliers brise-glaces, en plus des 12 brise-glaces à propulsion nucléaire qu'ils possèdent déjà.
Ces dernières années, nous n'avons pas entendu parler du Japon, mais de la Chine. Il semble que ce pays soit très intéressé à emprunter soit le passage du Nord-Ouest, soit celui du Nord-Est. Il y a moins de glace du côté russe.
L'autre jour, j'ai assisté à une conférence de Louis Fortier, qui dirige ArcticNet à l'Université Laval. Il mène des recherches depuis environ trois ans, principalement dans la mer de Beaufort.
Le président : Il va venir témoigner la semaine prochaine.
M. Pharand : C'est merveilleux. Il possède des connaissances théoriques et pratiques dans les sciences connexes.
Pour finir de répondre à votre question, je dirais que non seulement les Russes disposent des infrastructures et des moyens de contrôle, avec leurs brise-glaces, mais qu'en plus, ils semblent déjà collaborer avec les pays qui entendent utiliser le passage du Nord-Ouest ou celui du Nord-Est. Il n'y a aucune comparaison.
Monsieur le président, j'ai reçu ceci aujourd'hui de Ron Mcnab, un géophysicien du milieu marin et membre de la Commission canadienne des affaires polaires. C'est un grand expert de la question de l'étendue vers le large du plateau continental. Il a écrit un article qui sera publié dans l'édition printemps-été 2008 de la revue Lighthouse.
Il semble que l'on soit en train de mettre au point un nouveau navire appelé Double Acting. Mcnab indique, dans son article, que pour assurer le succès de cette proposition, on doit concevoir une nouvelle génération de cargo brise-glaces à système de propulsion rotatif. En eaux libres, ces bateaux se comportent comme des navires traditionnels, mais lorsqu'il y a de la glace, ils pivotent et poursuivent leur route par la poupe. C'est une technologie assez surprenante. Étant donné que je connais Ron Mcnab personnellement, je sais qu'il n'invente rien. C'est très sérieux.
Le sénateur Cook : Je vous remercie. C'est fascinant.
Vous dites que les Chinois et les Russes se préparent à utiliser ce passage. Je n'ai rien entendu au sujet des études d'impact sur l'environnement. Combien de temps cela prendra-t-il? D'après le peu que je sais sur la question, je crois que pendant que nous tentons de construire un port en eaux profondes, il y aura plus d'une douzaine de navires plus qu'adéquats qui traverseront nos eaux libres et poursuivront leurs activités.
Nous faisons ce qu'il faut pour nous assurer de l'ouverture de cette dernière zone vierge, l'Arctique. Nous parlons de services en mer et sur terre, du RADARSAT et des ports en eaux profondes. Je vous ai entendu dire avec inquiétude que les Chinois construisent les navires qui traverseront ces eaux, sans égard à ce que le Canada croit ou à ce que vous croyez être la bonne façon de procéder.
M. Pharand : Je ne sais vraiment pas si les Chinois utiliseront notre passage. Toutefois, je crois qu'ils voudront, tout comme les Japonais, se conformer à notre Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, aux règlements et à toutes les autres mesures de protection maritime que nous avons mises en place et que nous instaurons dans le cadre du Conseil de l'Arctique.
Je peux vous laisser ce document paru récemment. Il est intitulé Impacts of a Warming Arctic. Il s'agit d'un rapport du Conseil de l'Arctique qui traite notamment des répercussions mondiales et du déplacement des espèces animales. Comme vous le savez, l'ours polaire, en particulier, serait menacé si les glaces continuaient de fondre, au point qu'il ne pourrait plus chasser les phoques. Le rapport parle aussi des impacts côtiers sur les communautés et le transport maritime. Ce sont des constatations clés. On y parle des multiples agressions contre l'environnement, y compris celles qui touchent les communautés inuites.
Je peux vous remettre ce rapport, si vous ne l'avez pas déjà. J'ai de nombreux autres documents. Je vais également vous laisser la version française de la Convention sur le droit de la mer. De plus, voici un livre dont je suis le coauteur : The Continental Shelf and the Exclusive Economic Zone. J'ai aussi plusieurs autres petites choses que je peux vous laisser.
Le président : Notre attaché de recherche est fou de joie.
M. Pharand : À l'étape de la rédaction, quelqu'un devra compiler tout cela.
Je me permettrai aussi de vous laisser cet article intitulé « The Arctic Waters and the Northwest Passage ». Il n'a que 69 pages. Il est paru l'année dernière dans une revue américaine de droit appelée Ocean Development and International Law. La seule raison pour laquelle je l'ai publié dans une revue américaine et non canadienne, c'est que je voulais que les lecteurs américains puissent en prendre connaissance. Je peux vous laisser tous ces documents, au cas où ils vous seraient utiles. Pour en revenir à votre question, je ne sais pas ce que je pourrais ajouter concrètement aux quelques recommandations que j'ai formulées à la fin de mon document.
Le sénateur Cook : J'ai une brève question sur laquelle j'aimerais connaître votre opinion. La Garde côtière canadienne n'a pas de mandat d'application de la loi actuellement. Croyez-vous qu'elle devrait être armée et être mandatée pour faire respecter la loi?
M. Pharand : Oui. Je vais répondre à votre question en deux parties.
Premièrement, je crois que c'est la Garde côtière, et non la marine, qui devrait s'occuper des opérations de déglaçage dans l'Arctique. Je n'ai rien contre la marine, mais le transfert de cette fonction, que le gouvernement semble envisager, comporte beaucoup de désavantages. Je parle de brise-glaces plutôt que de chasse-glace, car je crois comprendre que ce serait seulement l'équivalent d'un navire de classe 2 ou quelque chose du genre. De toute façon, la Garde côtière a développé une expertise en matière de déglaçage depuis longtemps, et cela coûterait très cher de former de nouvelles personnes ou de transférer cette fonction.
J'ai fait une petite présentation sur le cercle polaire à Ottawa; il y avait dans la salle un contre-amiral à la retraite, et à ce titre, il pouvait exprimer son opinion, bien entendu. Au cours de la période de questions, je lui ai demandé ce qu'il pensait de mon exposé, et il a reconnu qu'il n'était pas très logique que le gouvernement demande à la marine d'effectuer les opérations de déglaçage normalement accomplies par la Garde côtière.
J'ai écrit que notre Garde côtière devait être équipée, au moins, d'armes légères. Ça ne fait aucun doute. Ce serait utile pour donner à un navire étranger, au besoin, un avertissement ferme de ne pas entrer dans ces eaux. Je ne préconise pas l'utilisation de la force au point d'en arriver à une confrontation militaire. Je ne crois pas aux confrontations militaires, ni à la guerre.
Le sénateur Cook : Ils sont si loin. Quel moyen peuvent-ils utiliser, en cas de problème, s'ils ne sont pas armés? Ce n'est pas logique.
Le président : C'est une bonne question. Nous nous concentrons sur la Garde côtière.
M. Pharand : Dans ce cas, je pourrais vous laisser ce document. Au cours de mes 28 jours à bord du Sir John Franklin, en 1989, j'ai été tellement impressionné par la Garde côtière que j'ai rédigé : « Canadian Coast Guard : Its Arctic Sovereignty Role ». Je ne suis pas allé plus loin que la version préliminaire. Le texte est daté du 10 octobre 1989, et je l'ai écrit à bord du bateau.
J'y mentionne que la Garde côtière devrait non seulement avoir un rôle de protection de la souveraineté canadienne dans l'Arctique, mais aussi que ce rôle devrait faire partie de son programme d'enseignement. La Garde côtière devrait concevoir un livret traitant de sa mission. Je vous laisse un exemplaire du document; cela pourrait vous donner des idées pour la rédaction de votre rapport.
Le président : Je vous remercie. C'est exactement le genre de choses dont nous avons besoin. Je vois notre rapport grossir à vue d'œil.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Monsieur Pharand, vous avez été impliqué dans le différend qui impliquait le Canada et la France dans la zone entourant les îles Saint-Pierre et Miquelon, n'est-ce pas?
M. Pharand : Non, je n'ai pas été impliqué dans ce différend. C'était un différend concernant le plateau continental. J'ai été arbitre pour le Canada dans un autre différend entre le Canada et la France, qui concernait les droits de pêche de la France dans le Golfe du Saint-Laurent. C'est un autre différend complètement. J'ai été impliqué dans le différend du plateau continental, de loin, à titre de petit conseiller extérieur, mais sans plus. Excusez-moi, c'était seulement pour vous dire qu'il ne faudrait pas mêler les deux conflits. Nous avons eu deux différends avec la France.
Le sénateur Robichaud : J'ai été mandaté par le premier ministre du temps, Jean Chrétien, pour négocier un traité avec la France sur la zone de pêche entourant les îles Saint-Pierre-et-Miquelon. C'est pour cela que je vous posais la question de savoir quel rôle vous aviez joué dans le règlement de ce différend parce que c'était une zone qui était un peu curieuse. Il y avait une certaine zone alentour des îles et ensuite on avait un long corridor qui allait vers la grande mer mais qui ne sortait pas à l'extérieur de la zone de 200 milles du Canada. C'était curieux.
M. Pharand : Vous avez parfaitement raison. Ce n'était pas mon différend à moi. Je suis au courant et je vois l'image. Effectivement, je n'ai jamais vraiment compris pourquoi le tribunal d'arbitrage de cinq membres, remarquez bien, a fait ce genre de délimitation entre le Canada et la France.
Je ne me souviens pas de manière détaillée de la façon et des facteurs équitables dont ils ont tenu compte. Parce que la Convention sur le droit de la mer, dans la délimitation du plateau continental entre deux États adjacents ou deux États qui se font face, n'est pas très précise. Elle dit que les deux États doivent s'entendre pour conclure un accord équitable.
Il n'y a rien de plus flexible que de l'équité. Nous sommes tous en faveur de la vertu et contre le péché, mais lorsque vient le temps de déterminer en quoi exactement constitue la vertu, on ne s'entend plus, et c'est la raison pour laquelle la Cour internationale est en train, au fil des cas, de développer ce qu'on appelle des « facteurs d'équité »; la direction générale de la côte d'un des États par rapport à l'autre, l'usage historique, par exemple. Le Canada contre les États-Unis dans la mer de Beaufort invoque son usage historique de la prolongation du 141e degré de longitude plutôt que de suivre la méthode de l'équidistance que voudrait suivre les États-Unis. Je ne peux pas commenter de façon plus précise, je regrette.
Le sénateur Robichaud : J'essayais seulement de faire une constatation. Je vous remercie beaucoup, monsieur Pharand.
[Traduction]
Le président : Monsieur Pharand, vous avez captivé notre attention durant deux heures et demie, et cela montre bien la qualité de votre performance, qui a été magistrale. Votre exposé était complet, honnête et précis. Nous vous remercions d'être venu et d'avoir autant enrichi nos connaissances en la matière. Nous avons obtenu beaucoup d'éclaircissements. Cela n'a pas nécessairement répondu à toutes nos questions, mais cela a permis au moins de les clarifier.
M. Pharand : Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Ce fut pour moi un plaisir de venir témoigner. Si je peux vous être utile lorsque vous regrouperez toutes ces informations, et si vous souhaitez vérifier certaines choses, c'est avec une grande joie que je vous aiderai.
J'habite ici, à Ottawa, et je suis retraité. Je n'ai eu d'autres choix que de prendre ma retraite, même si j'aurais aimé continuer. À l'époque, à 65 ans, vous n'étiez plus compétent. Comme je l'ai dit à Gerry La Forest, je me demande pourquoi les juges restent aptes jusqu'à 75 ans, et moi, on ne me considérait plus utile après 65. Les universités se sont rendu compte que ce n'était peut-être pas une très bonne idée de se débarrasser de nous à cet âge.
Je vous remercie beaucoup, encore une fois, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs, de vos questions. Je suis désolé de ne pas avoir pu répondre à toutes de façon satisfaisante, mais ma visite fut très agréable.
La séance est levée.