Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 5 - Témoignages du 5 mai 2008
OTTAWA, le lundi 5 mai 2008
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 17 heures pour étudier, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la Loi.
Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je m'appelle Maria Chaput du Manitoba et je préside ce comité. J'aimerais tout d'abord vous présenter les membres du comité.
À ma gauche se trouvent les sénateurs Andrée Champagne, notre vice-présidente, du Québec et Gerald Comeau de la Nouvelle-Écosse. À ma droite, le sénateur Rose-Marie Losier-Cool du Nouveau-Brunswick.
J'aimerais maintenant vous présenter notre témoin M. Jean-Louis Roy invité à comparaître par vidéoconférence à partir de Québec ce soir. De 2002 à 2007, M. Jean-Louis Roy était président de Droit et démocratie au centre international des droits de la personne et du développement démocratique. Il est maintenant président du conseil d'administration du Centre de la francophonie des Amériques qui vient d'être créé.
La réunion d'aujourd'hui a pour objectif d'étudier l'état de la culture francophone au Canada et plus particulièrement, dans les communautés francophones en situation minoritaire. Notre témoin nous donnera un aperçu du rôle que le gouvernement du Québec veut jouer dans le rayonnement de la langue française au Canada et ailleurs en Amérique. Nous avons déjà rencontré les associations communautaires de l' Ouest et du Nord du Canada. Et nous planifions aussi rencontrer les représentants des autres communautés à une date ultérieure ainsi que les associations nationales du secteur des arts et de la culture.
Monsieur Roy, le comité vous remercie d'avoir accepté notre invitation et d'avoir pris le temps de comparaître aujourd'hui. Je vous invite maintenant à prendre la parole.
Jean-Louis Roy, président du Conseil d'administration (par vidéoconférence) : Madame la présidente, je vous remercie. Je suis heureux de pouvoir travailler avec vous aujourd'hui, car j'ai passé les deux ou trois derniers jours avec le conseil d'administration du Centre de la francophonie des Amériques et parmi les membres de ce conseil, il y a une de vos compatriotes, Madame Muller, qui m'a fait promettre de vous saluer, madame la présidente.
Je voudrais demander en commençant l'indulgence des sénateurs. Ce Centre de la francophonie des Amériques vient d'être créé. Il a été, comme vous le savez, mis en place par une loi de l' Assemblée nationale du Québec, une loi votée à l'unanimité des membres de l'Assemblée nationale. Le ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes et de la Francophonie, M. Benoît Pelletier, présentait ce projet qui a été débattu dans les instances politiques partisanes, je dirais, dans un premier temps et ensuite, qui a été proposé à l'Assemblée nationale. Il y a des commissions parlementaires, beaucoup de témoins et ce qui est intéressant, c'est le résultat, c'est ce vote unanime de l'Assemblée nationale pour créer le Centre de la francophonie des Amériques.
Je demanderais votre indulgence, car nous venons de terminer, il y a trois heures, la première réunion du conseil d'administration, donc je serai, vous comprendrez, prudent, sur un certain nombre de questions. Nous sommes littéralement à mettre en place ce centre.
J'imagine que ce qui est le plus important pour vous, compte tenu de ce que vous venez de dire, madame la présidente, c'est la signification de l'émergence d'une nouvelle entité qui est ce Centre de la francophonie des Amériques. Je dirais d'abord que c'est la volonté du Québec d'effectuer des choix qui répondent aux deux objectifs suivants : que le Québec joue pleinement sont rôle dans l'espace canadien, dans la fédération canadienne, au titre de la consolidation de l'usage de la langue française, de la consolidation et du renforcement des communautés francophones où qu'elles soient à travers le pays. C'est une vieille histoire entre nous tous et je suis heureux de saluer le sénateur Comeau. J'ai beaucoup travaillé dans sa province et tout près de son cœur je suis sûr à l'Université Sainte-Anne. J'ai eu la chance d'être en relation avec les communautés francophones depuis Le Devoir que je dirigeais en 1980. Le Québec a décidé de renforcer ses liens et de prendre une posture de leadership, de rassembler et de se rapprocher dans un premier temps. Deuxièmement, d'assurer sa pleine participation.
Cette initiative du Centre de la francophonie s'inscrit dans cette perspective d'ensemble du gouvernement du Québec et je répète, dans le cas du centre, c'est une décision unanime de l'Assemblée nationale.
Qu'est-ce que ce Centre de la francophonie des Amériques? Je dirais que c'est la première institution des francophones qui est vraiment XXIe siècle. C'est l'idée de mettre en mouvement, en convergence, à travers toutes les technologies qui rendent ces mouvements et ces convergences disponibles, l'ensemble des francophones où qu'ils soient dans l'hémisphère. C'est donc le Québec, les communautés francophones du Canada, les francophones des États-Unis, c'est près de trois millions de francophones, 18 millions de francophiles. C'est 40 000 professeurs de français aux États- Unis et c'est aussi de nous rendre plus loin en direction de l'Amérique latine. Nous sommes, dans une première étape, en train de recenser ce qu'est l'activité liée à la langue française en Amérique latine. Ce que nous savons des travaux que produit notamment l'Organisation internationale de la Francophonie, des travaux qui sont conduits par l'Agence universitaire de la Francophonie, or, l'espace francophone convenu, c'est-à-dire le Maghreb, une partie de l'Afrique subsaharienne, l'ancienne Indochine. Et cet espace francophone contenu dans le monde, l'Amérique latine est le premier marché pour les produits culturels en langue française, le film, les émissions de télévision, les vidéos de toute nature, le livre, et cetera. Nous sommes à faire une très grande étude. Il y a près de 20 chercheurs attelés à ce travail pour avoir le recensement le plus complet de ce qui est en activité, de ce qui est en train de se faire du côté de l'Amérique latine. Nous connaissons évidemment les ressources du Québec. Nous connaissons les ressources des communautés francophones du Canada. Nous avons un aperçu intéressant de la francophonie aux États-Unis d'Amérique et nous sommes à faire ce recensement concernant l'Amérique latine.
L'idée est de mettre tout cela en mouvement et nous avons pour faire ce travail un certain nombre d'outils. Pour citer un membre de notre conseil, qui est en même temps la première responsable des Communautés francophones et acadienne au Canada, je suis très heureux de pouvoir vous dire que le premier outil que nous aurons est un lieu physique dans le Vieux-Québec, une adresse historiquement sans équivalent au pays, le 2, Côte de la fabrique, c'est l'entrée de la vieille université et nous sommes à achever des travaux considérables et ce sera le centre nerveux, la colonne vertébrale de ce déploiement dont je vous parlerai tout de suite. C'est un chantier considérable sur quatre étages où sera installé le siège social. C'est un investissement de plusieurs millions de dollars assuré par le gouvernement du Québec aux deux tiers et par la France dans le contexte du 400e anniversaire de Québec.
Cette adresse sera un lieu moderne dans un cadre le plus ancien, le plus historique au Canada. Nous aurons un portail pour lequel nous avons de très grandes ambitions. Nous dépensons beaucoup d'argent pour créer un très grand portail qui puisse contenir, à terme, l'ensemble des activités qui se déploient en langue française dans l'hémisphère et l'objectif est à partir de cette mise en situation, en convergence, de créer des liens de la seconde génération, des réseaux de la seconde génération. Le troisième outil que nous allons développer après l'adresse, j'ai l'air d'insister pour l'adresse, mais quand vous aurez vu le lieu, qui sera prêt à l'occasion du Sommet de la Francophonie, au milieu d'octobre prochain, vous verrez que c'est étonnant. Le cadre est totalement XVIIe ou XVIIIe siècle, toutes les technologies interactives qui sont là sont plutôt XXIe siècle avancé.
Le troisième outil, c'est une programmation. Nous allons chercher et nous avons commencé à faire ce travail.
Nous serons prudents et irons plutôt lentement pour définir la programmation. D'abord, nous n'avons pas envie de faire ce qui se fait déjà, et ce serait absurde. Notre intention — le nouveau paradigme — est une affirmation d'une francophonie dans les Amériques et c'est à ce niveau que notre programmation doit se développer, donc dans une perspective continentale. Cela prend des programmes qui peuvent avoir des partenaires aux États-Unis, au Mexique, au Chili, au Manitoba, en Acadie. Il y a donc une nouvelle circulation de ce que feront les francophones déjà regroupés, mais dans une perspective axée sur le XXIe siècle, donc dans une perspective de regroupement et de prise de conscience qu'il y a une francophonie continentale.
Je disais tout à l'heure, dans une cérémonie qui réunissait les premiers partenaires du centre à l'Université Laval, que cela me faisait penser un peu à ce que nous sommes en train de faire et — je le dis très personnellement — à ce que les Asiatiques ont fait aux États-Unis lorsqu'ils ont créé l'organisme Asia Foundation. Ils se sont donné, à travers cette fondation, des leviers considérables pour exister dans les médias et dans la culture, et pour créer des réseaux de circulation des produits culturels en provenance de l'Inde ou d'ailleurs dans le grand territoire des États-Unis.
Je terminerai en vous disant que nous venons de tenir une première réunion de ce conseil d'administration où sont représentées toutes les régions du Canada et où sont représentées aussi la Nouvelle-Angleterre et la Louisianne.
Je ferai d'ailleurs une exception et je vais vous nommer un membre de notre conseil d'administration de la Louisianne, puisqu'il s'agit d'un grand artiste, mais aussi d'un fin politique : M. Zachary Richard. Nous comptons des membres qui viennent de toutes les régions du Canada. J'ai été heureusement surpris. Je ne doutais pas de l'intérêt des membres, puisqu'ils avaient accepté d'être membres de ce conseil à la demande du gouvernement du Québec, mais ne savais pas que cette initiative du gouvernement du Québec répondait à de tels besoins, à de telles attentes. Cela a été exprimé très clairement dans un premier tour de table à cette première réunion. Chacun a pu dire son sentiment sur cette initiative et c'est un conseil où on parle franchement.
J'ai entendu, en provenance de l'Acadie, de l'Ontario, de l'ouest des États-Unis, et du Québec aussi, des points de vue extrêmement émouvants sur le besoin de passer à une nouvelle génération de projets, une nouvelle génération de réseaux et une nouvelle génération inclusive qui intègre les marchés culturels au Québec, au Canada, aux États-Unis et dans les Amériques.
Vous comprendrez que tout cela va se développer. Je vous redis donc mon grand plaisir de me retrouver avec vous. J'ai eu la chance, ces cinq ou six dernières années, d'être en lien avec le Sénat. J'avais depuis longtemps une très haute opinion des travaux de cette institution et dont les travaux sont très importants. Ces dernières années, j'ai eu la chance d'être, au titre des droits humains, en lien très étroit avec beaucoup de vos collègues. Je suis heureux d'être devant vous aujourd'hui et vous demande à nouveau votre indulgence puisque je vous parle d'une institution dont le fonctionnement vient d'être activé par la première réunion de ce conseil qui a commencé samedi matin et qui vient de se terminer.
Le président : Merci beaucoup. Dans un premier temps, vous avez une loi : la Loi sur le centre de la francophonie des Amériques. Vous avez aussi maintenant un conseil d'administration. Pourriez-vous nous dire qui sont les personnes membres du conseil d'administration? Avez-vous la liste avec vous?
M. Roy : Oui, je l'ai. En provenance de l'Ontario, Mme Linda Cardinal qui n'a pas besoin d'être présentée puisqu'elle est une grande spécialiste de toutes ces questions des minorités et des questions linguistiques, et qui est professeure à la Sorbonne et à l'Université d'Ottawa.
En provenance de la Nouvelle-Angleterre, un grand écrivain francophone qui écrit en français et en anglais aux États-Unis : M. Grégoire Chabot.
En provenance du Québec, la sous-ministre du ministère de la Culture du Québec : Mme Danielle-Claude Chartré, ainsi que M. Louis Comeau de Halifax qui est un de vos anciens collègues au Parlement fédéral et qui a été recteur de l'Université Sainte-Anne et qui est aujourd'hui dans toutes sortes de conseils d'administration et également chancelier de l'Université de Moncton.
Il y a aussi M. Guy Dumas qui est sous-ministre à Québec; et Mme Monique Giroux qui, depuis 20 ans, anime la première émission de musique des mondes francophones à Radio-Canada, une heure et demie tous les jours. Son apport sera très précieux puisqu'elle a un immense réseau dans toutes les Amériques.
Nous comptons aussi, comme je l'ai dit plus tôt, M. Zachary Richard qui n'a pas besoin de présentations, sinon pour dire qu'au-delà de l'artiste que l'on connaît et apprécie, il y a un fin politique et un homme extrêmement engagé dans toutes ces questions des droits des minorités aux États-Unis et notamment dans l'État de la Louisianne. Il est aussi très engagé dans les coalitions qui ont travaillé pour la reconstruction de la suite aux événements que l'on sait dans l'État de Louisianne.
M. Gaston Harvey est aussi membre du conseil d'administration; il est sous-ministre adjoint au ministère des relations internationales du Québec. J'ai mentionné tantôt Mme Mariette Mulaire, qui vient du Manitoba et qui a une formidable feuille de route dans toutes sortes de milieux, y compris à Patrimoine canadien, et qui aujourd'hui s'occupe plutôt de questions d'affaire et de commerce en langue française sur le plan national et international à la direction d'une institution financée à 85 p. 100 par le gouvernement du Manitoba.
Quelqu'un également que vous connaissez, Mme Lise Routhier-Boudreau, la présidente de tous les francophones hors Québec et de tous les Acadiens. Mme Claire Simard est aussi membre et apporte au comité une expertise très particulière puisqu'elle est la directrice de ce musée qui a réussi de façon exceptionnelle : le Musée de la civilisation à Québec. Et comme il y aura certainement un volet sur cet aspect de la culture qu'est la muséologie et la circulation des œuvres, je suis très heureux qu'elle soit avec nous. En dernier lieu, il y a également Mme Sylvie Lachance qui est au Secrétariat des affaires intergouvernementales au gouvernement du Québec.
La présidente : Merci beaucoup.
M. Roy : Il y a donc quelques membres du Québec, des membres de toutes les régions du Canada et deux membres des États-Unis. Nous espérons éventuellement compter un ou deux membres qui proviendraient de l'Amérique latine.
Le sénateur Champagne : Bonjour, Monsieur Roy. Il y a très longtemps que nous nous sommes vus, mais cela me fait plaisir de vous revoir. Je me souviens de vous alors que vous étiez au quotidien Le Devoir, mais je me souviens probablement davantage lorsque vous étiez délégué du Québec à Paris, et lorsque vous agissiez à titre de secrétaire général de l'Agence de la francophonie. Nous avions eu l'occasion de nous rencontrer à des réunions de l'AIPLF et je pense aussi, peut-être, à des rencontres de la CONFEJES et de la CONFEMEN. Cela me fait bien plaisir de vous retrouver ici.
Vous avez mentionné tout à l'heure un point qui a soulevé mon intérêt : vous parliez de l'importance du français dans les Amériques. En 1993, je crois, j'étais à une réunion de l'OÉA lorsqu'on a ouvert le nouveau siège social de l'Organisation des États américains à São Paulo. J'ai été assez étonnée de voir la quantité de gens qui parlaient un excellent français au Brésil.
J'ai eu l'occasion de discuter avec Mme Villa-Lobos, la veuve du compositeur, à une autre occasion, qui, elle aussi, parlait un français étonnant et qui ferait honte à nombre d'entre nous au Canada. Je me demandais si le Brésil était aussi un coin du monde où vous pourriez être appelé à raviver l'intérêt pour les choses francophones.
M. Roy : Madame le sénateur, je suis heureux, moi aussi, de vous retrouver. J'ai un souvenir précis et précieux de cette période, à compter de septembre 1984, tout le monde se souviendra de cette date, où nos routes se sont croisées dans toutes sortes de circonstances exceptionnelles et où le Canada apportait une contribution exceptionnelle à la francophonie internationale. Sans l'appui considérable du gouvernement Mulroney, il n'y aurait pas de TV5 dans le monde. Le signal de TV5 est maintenant capté dans 132 pays. Il y a eu des investissements vraiment importants au moment où vous étiez dans ce gouvernement. Je sors de ma fonction de président du conseil d'administration, vous avez évoqué mon passé de secrétaire général; on attend du gouvernement fédéral, au moment du sommet de Québec, les 18 et 19 octobre prochains, une mise à niveau indispensable de la contribution du Canada à la francophonie.
J'étais heureux de vous entendre parler de l'OEA. D'abord, la langue française est une langue officielle de l'OEA, c'est une donnée importante. J'étais à Santo Domingo il y a deux ans, je crois, pour la réunion annuelle ministérielle de l'OEA, et j'ai été, moi aussi, fasciné, comme vous l'avez mentionné, par les représentants des délégations d'un certain nombre de pays qui ont pris la peine de s'adresser à la conférence en français, ne serait-ce que symboliquement. Le débat portait très largement sur la situation en Haïti. Le Canada a apporté une contribution très significative, mais d'autres aussi, le Chili, le Brésil; et cela m'avait fasciné de voir que certains représentants de ces pays avaient souhaité s'adresser, au moins en partie, à Haïti en utilisant la langue française.
Concernant le Brésil, c'est depuis très longtemps un endroit où la culture française et francophone est présente, parce que le Brésil est très lié à l'Afrique et que, notamment, le président actuel, le président Lula, a recréé avec l'Afrique des liens considérables. En octobre dernier j'étais au Burkina Faso au moment où le président du Brésil était en visite dans ce pays. Je voyais des échanges culturels, des ententes qui étaient signées; il venait de faire la même chose avec le Bénin et en Afrique australe un peu plus tôt. Évidemment, être en lien avec le l'Afrique, pour le Brésil c'est être en lien avec l'Afrique francophone aussi.
Donc, à travers nos liens avec l'OEA, nous rejoignons les francophiles du Brésil et nous savons que nos amis du Brésil, en lien avec l'Afrique, sont aussi en lien avec la langue et les cultures de langue française présentes dans la francophonie.
Le congrès de l'Association internationale des professeurs de français a eu lieu il y a trois ans à Buenos Aires. La plus grande délégation venait du Brésil. Ce n'est pas trop surprenant en termes de démographie, me direz-vous, mais c'était tout de même surprenant de voir la vitalité, l'intérêt, le souhait que des pays comme le nôtre, le Canada, le Québec, appuient la francophonie internationale et que, en retour, cette francophonie marque son appui à l'Association internationale des professeurs de français. Il y a donc, dans cette région du monde, encore un espace intéressant pour la progression de l'enseignement du français, pour l'usage diplomatique, mais autre également, de la langue française.
La grande concurrence va venir, et vient déjà, dans les prochaines années, de la Chine. Il est sûr que, aujourd'hui, on n'est plus dans un face à face avec la langue anglaise, c'est complètement terminé. Je crois que nous sommes en face à face avec plusieurs langues, dont la langue chinoise. Le gouvernement de la Chine a une politique d'affirmation culturelle au moins aussi forte que sa politique d'affirmation économique. Elle est moins visible, les retombées sont moins spectaculaires au moment où nous nous parlons. La Chine a l'intention de faire passer de 30 millions à 100 millions les étudiants du mandarin dans les cinq à dix prochaines années. Elle est en train d'établir 1000 centres Confucius à travers le monde. Ils viennent d'en créer un à Edmonton, on l'a vu à la une du Globe and mail ces derniers jours. Il y a une immense opération en provenance de la Chine.
L'Inde a un concept différent, qui est celui de la grande famille globale indienne. Ils ont un ministère chargé de la diaspora avec des relais dans 130 pays; c'est tout à fait nouveau. La Russie a aussi une politique d'affirmation linguistique sans précédent.
Le sénateur Champagne : Permettez-mois de vous ramener un peu plus près de chez nous, puisque vous êtes à Québec, et de soulever un point qui pourrait faire partie de vos projets. Vous dites vouloir contribuer à la promotion et à la mise en valeur d'une francophonie porteuse d'avenir pour la langue française. Personnellement, je dois vous dire que je suis absolument désolée et très inquiète de la qualité du français au Québec. Plusieurs de mes collègues vous parleront du français ailleurs. Je suis absolument décontenancée d'entendre la qualité du français de nos jeunes qui nous disent : « J'm'a être la première, ça va-t-être super! » Ce n'est pas facile à comprendre dans le reste de la francophonie mondiale.
Je me demande si, dans vos projets, il n'y aurait pas une façon de se donner la main, tout le monde, et de trouver une façon de faire renaître la fierté d'un français parlé correctement chez nous au Québec. Je ne parle pas d'accent, mais de structure grammaticale et de la pauvreté de vocabulaire qui semble être ce que nous laissons à nos enfants et adolescents en ce moment. Est-ce qu'il y aurait un moyen de s'y mettre tous ensemble? C'est peut-être un nouveau sujet pour vous à aborder, une façon d'occuper vos moments libres, de penser comment nous pourrions encourager les jeunes Québécois à parler une langue un peu plus correcte. Je ne parle pas d'accent pointu, je ne veux pas en faire des petits Français manqués, mais des Québécois qui parlent bien.
M. Roy : Je reviens trente secondes sur le chinois et les autres langues; j'évoquais tout cela simplement pour dire que la concurrence linguistique dans laquelle nous entrons est sans précédent.
Concernant la qualité de la langue française au Québec, je crois que c'est un problème très vaste. Dans d'autres aires linguistiques, on se plaint aussi de la qualité, notamment, de la langue écrite, de l'affaissement, en tout cas apparent, de la maîtrise des structures du langage en raison des technologies qui permettent aux enfants d'écrire en trois voyelles des phrases nous prenaient trois lignes, et ce genre de choses.
J'espère que le travail du centre, qui n'a pas vocation à se substituer au ministère de l'Éducation, va quand même, ne serait-ce que par exemplarité, permettre au plus grand nombre de développer ses capacités linguistiques. Je viens de Saint-Georges de Beauce et je ne suis pas sûr que, lorsque nous étions plus petits, nous avions moins ou plus de vocabulaire qu'aujourd'hui. Il y a un problème, vous avez raison sans doute, et je prends note de votre préoccupation, de votre interrogation sur la qualité du français.
J'imagine qu'on parle d'un bilan. Il y a aussi des jeunes qui parlent un français assez remarquable chez nous, un assez grand nombre, et je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y a aussi un slang qui fait qu'on glisse facilement.
Le sénateur Champagne : Nous avons gardé le français pendant 400 ans, au moins, parlons-le bien.
Le sénateur Comeau : C'est toujours un plaisir de vous accueillir, M. Roy. Je félicite l'Assemblée nationale du Québec pour cette initiative formidable d'adopter à l'unanimité la création de ce centre et le gouvernement du Québec pour ce projet de loi.
Finalement, monsieur Roy, je tiens à vous féliciter d'avoir décidé de devenir le président du conseil d'administration de ce nouveau centre. Je sais que vous le servirez bien puisque vous connaissez bien la Francophonie nord-américaine. Je pense qu'on aura un bon chef à la tête de cette organisation.
Pendant plusieurs années, monsieur Roy, le Québec était à part de la Francophonie nord-américaine et je pense qu'on sait pourquoi. On ne fera pas un retour dans l'histoire, mais disons que les Québécois se sont mis à part de la Francophonie et les francophones de l'extérieur du Québec, auraient bien aimé que cet isolement arrive à la fin. Avec ce centre, nous pensons que la page est finalement tournée et que nous serons tous ensemble, des francophones d'Amérique du Nord et que vous pourrez être le rassembleur. Je pense que cela est indiqué dans votre charte.
Des régions ont besoin de ce leadership, dont la Louisianne, là où il y a des efforts pour conserver la Francophonie, mais ils ont besoin de ce leadership et je pense que le Québec peut leur offrir.
Dans vos plans, avez-vous ciblé un certain nombre de régions dans le nord de l'Amérique où vous devriez être plus présents en début de mandat comme la Louisianne ou la Nouvelle-Angleterre? Je ne vais pas aller en Amérique latine parce que je m'y connais plus ou moins. Avez-vous examiné cette approche au début?
M. Roy : Sénateur Comeau, le plaisir est partagé. Je suis content de vous retrouver. Je note avec plaisir votre appréciation de la création de ce centre par le gouvernement du Québec. Les propos que vous avez tenus à cet égard ressemblent à ceux que j'ai entendus, samedi, de la part des partenaires. Ces partenaires ont été échaudés dans le passé.
Comme je l'ai dit tout à l'heure il y a beaucoup d'enthousiasme. Je crois que l'enthousiasme est après vérification. Pour les raisons que vous avez mentionnées, il y a eu une rupture dramatique. Cela fait 25 ans que je dis que le Québec ne faisait pas ce qu'il avait à faire par rapport à la Francophonie canadienne et voilà pourquoi j'ai accepté de présider ce conseil parce que je crois que ce vote unanime de l'Assemblée nationale change les choses. Ce n'est pas le Parti libéral ou le gouvernement libéral avec un parti de l'opposition, c'est l'ensemble des partis politiques après de longues études en comité, qui ont adopté le 13 décembre 2006 à l'unanimité, une loi qui fait que le Québec, désormais, a un horizon extrêmement large, qui inclut en priorité les communautés du Canada, qui inclut plus largement les communautés américaines, les États-Unis, et au-delà celles dont on parlait tantôt.
J'ai été surpris ces derniers jours. À Québec, on nous présentait et on nous informait de toutes sortes d'initiatives. À côté du conseil de la Fédération, il y a toutes sortes d'instances qui font vivre aujourd'hui la Francophonie canadienne d'une autre manière. Par exemple, la conférence ministérielle sur la Francophonie canadienne qui réunit les ministres responsables de la Francophonie de toutes les provinces et de tous les territoires du Canada. Ce n'est pas rien.
Il y a des ministres chargés de la Francophonie dans l'ensemble du pays, et ce, sans exception. Il y aura d'ailleurs une conférence ministérielle prochainement à Québec. Il y aura aussi à Québec, comme vous le savez, un peu plus tard, deux grands forums qui vont élire des centaines de créateurs venant d'un peu partout : Forum sur la conférence ministérielle en septembre, il y aura le Sommet de la Francophonie évidemment en octobre et en novembre, il y a le Forum sur la Francophonie canadienne. C'est une chose et en suivi immédiat en termes de calendrier, un Forum sur les arts et la culture en provenance des communautés autochtones, y comprit le Québec, les communautés francophones du Canada.
Lorsque vous me dites que vous vous réjouissez que le Québec ait repris sa place, franchement, clairement, sans arrière-pensée dans la Francophonie canadienne, c'est tout à fait ce que ce projet de loi et cette loi représentent ou changent en quelque sorte.
Ce qui s'est passé est passé. Notre travail maintenant est de construire avec les outils du XXIe siècle, une nouvelle conscience à la fois la fragilité de tout ce que nous sommes, les communautés francophones, y compris le Québec, en Amérique du Nord et essayer de rassembler ce casse-tête virtuellement autour d'initiatives qui permettraient, sur le plan de l'économie, de la culture, de la création culturelle de prendre toutes sortes d'initiatives nouvelles. Est-ce qu'il y aura des régions privilégiées ou prioritaires?
On a commencé à avoir les toutes premières discussions sur la programmation et donc ce que je vais dire est mon sentiment personnel. Il me semble que là, je parle des États-Unis, où il y a encore des communautés avec des institutions, même si elles sont fragiles, il faudra s'y intéresser en priorité.
D'ailleurs, on a plein d'idées sur la programmation et elles ne sont pas sur la table et on ne les mettra pas sur la table avant que le directeur général du centre et le comité de programme ait largement circulé. On ne va pas définir cela. Le projet de loi québécois ne se réalisera jamais sans les partenaires. Donc, on va écouter les partenaires. On va essayer de voir au-delà de ce qui se fait déjà, parce qu'il y a beaucoup de choses qui se font déjà, quelles sont les initiatives de la deuxième génération qui sont souhaitées par les partenaires et qui sont un peu structurantes, qui ne sont pas de l'appui au cas par cas.
Nous avons 3,5 millions de dollars en budget pour la première année. Nous allons nous prévaloir de l'article de la loi qui nous permet d'aller chercher des ressources additionnelles, y compris dans le secteur privé. C'est sûr que je faisais référence tantôt à la fondation de l'Asie à New York. C'est sûr que nos ambitions de ce côté, des ressources vont se manifester très rapidement, on ne travaille pas à ce niveau dans les perspectives structurantes et dans le long terme sans ressource plus considérable. On espère que le gouvernement fédéral du Canada s'associera aux volets de la programmation et je sais qu'il y a eu des discussions à ce sujet avec Patrimoine canadien.
Le sénateur Goldstein : Le sénateur Comeau a posé la question primordiale. Je dois vous assurer, Madame le sénateur, que la pauvreté de la langue parlée et écrite n'est pas un malaise, une maladie ou une faille des jeunes francophones.
C'est une maladie et une faille des jeunes, point! Et ce, autant en anglais qu'en français, ce qui nous soulage très peu.
J'ai cependant deux questions à poser à M. Roy. D'abord, merci d'avoir pris la peine de parler avec nous aujourd'hui.
Dans quelle mesure aurez-vous des ressources suffisantes pour intervenir en Louisianne et en Nouvelle-Angleterre ou ailleurs aux États-Unis, étant donné la fragilité des communautés francophones à travers le Canada et les petites communautés dans l'ouest du Canada qui sont menacées de disparition?
À l'heure actuelle, croyez-vous que vous disposerez des ressources humaines et matérielles pour pouvoir faire toutes ces interventions?
M. Roy : Je partage votre avis selon lequel ce problème de qualité de la langue n'est pas propre à la langue française. Si vous trouvez un remède dans le monde anglophone, faites-le-nous savoir. Peut-être que si la maladie se ressemble, les remèdes pourront être utiles dans un cas comme dans l'autre.
Est-ce que nous aurons les ressources suffisantes? J'ai mentionné tantôt que le budget de la première année d'opération est de 3,5 millions de dollars. C'est à la fois une ressource d'un certain niveau qui provient du gouvernement du Québec, et nous les remercions. C'est absolument évident que c'est insuffisant et nous allons très rapidement nous mettre au travail. J'ai déjà mentionné les conversations qui ont eu lieu avec le gouvernement fédéral. Des conversations ont eu aussi lieu avec certains gouvernements provinciaux et les premiers éléments de réponse sont plutôt, je dirais, encourageants.
On ira beaucoup plus loin auprès des fondations privées et vers les groupes d'intérêt. Vous savez, chacun a ses failles, ses faiblesses et ses forces. Ceux qui me connaissent savent que généralement quand j'arrive dans une organisation, les budgets augmentent rapidement; en droits et démocraties, ils ont plus que doublé en trois ans.
Il est certain que si on veut travailler à l'échelle du mandat qui nous a été confié, il faudra avoir des ressources plus considérables.
Mais nous ne sommes pas non plus un organisme en substitution des responsabilités des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral; nous allons agir à un autre niveau pour apporter à ces communautés qui en ont besoin des ressources additionnelles. On va aussi essayer de travailler avec les plus jeunes générations, ceux qui peuvent assurer l'avenir en quelque sorte.
Je reviens à votre question : nous sommes satisfaits du budget de départ, cependant cela ne peut pas être le budget des prochaines années. Il faudra très rapidement que les ressources soient enrichies.
Le sénateur Goldstein : Avez-vous déjà élaboré un plan d'action quelconque pour que nous puissions voir où vous allez attribuer vos ressources actuelles?
M. Roy : On a examiné en fin de semaine des hypothèses d'intervention par rapport à l'éducation, aux médias, au multimédia, et à toutes sortes de domaines. J'ai souhaité que l'on garde toutes ces idées intéressantes comme des hypothèses et qu'on travaille d'ici le 15 octobre prochain à rencontrer les communautés. Il y a plein de choses formidables qui se font et qui ne sont pas forcément connues. On n'a pas l'intention de doubler ce qui se fait. Il y a un comité de programme composé de trois membres qui va circuler, ainsi qu'un directeur général. Je vais m'y intéresser aussi.
J'espère qu'à la mi-octobre on aura une perspective sur les cinq prochaines années dans quelques domaines jugés absolument essentiels, liés aux capacités qu'offrent les nouvelles technologies, d'obtenir des résultats en utilisant ces technologies.
Je serais surpris que cela ne touche pas l'éducation et l'économie. Il y aura dans le portail tout un volet sur l'économie. L'expérience du Manitoba à cet égard est absolument exceptionnelle. Ce que les francophones du Manitoba ont réussi à faire à partir du Manitoba, en langue française, en matière d'économie, par exemple le jumelage avec l'Alsace et les travaux avec la Beauce québécoise, est absolument étonnant et sert de modèle. Nous pensons donc à l'éducation et au volet culturel.
Personne ne comprendrait si, au-delà de ce qui existe déjà concernant notamment la circulation des artistes, des créateurs, des gens de théâtre, des gens qui font la musique et la danse, cette entreprise dans laquelle on va investir ne créait pas de nouveaux circuits, notamment vers l'Amérique et l'Amérique latine.
Voilà ce que je peux dire pour l'instant. Je serai heureux de revenir au comité lorsque notre réflexion sera plus avancée et que nos décisions seront mieux arrêtées.
Le sénateur Tardif : Je tiens également à offrir mes félicitations au gouvernement du Québec pour la mise sur pied du Centre de la francophonie des Amériques. Je suis très heureuse de voir le changement d'orientation du gouvernement du Québec, plus particulièrement du premier ministre Jean Charest et d'entendre les propos du ministre Benoît Pelletier aux Affaires intergouvernementales, en regard des francophones à l'extérieur du Québec.
Il y a un rapprochement qui se fait. Il y a aussi une orientation vers l'inclusion plutôt que l'exclusion des francophones à l'extérieur du Québec. Cela est vu de façon très favorable. La nouvelle politique du Québec sur la francophonie canadienne prévoit que le Québec jouera un rôle rassembleur et unificateur pour les francophones au Québec, à l'extérieur du Québec et ailleurs en Amérique du Nord.
De façon plus concrète, quelle forme prendra ce rôle de leadership du Québec au sein de votre organisation par rapport aux autres communautés francophones à l'extérieur du Québec? Quel rôle prévoyez-vous pour ces communautés minoritaires au sein du Centre?
M. Roy : J'ai un premier commentaire sur votre appréciation du changement de politique. Il est certain que le Centre est un élément d'une politique d'ensemble qui est une politique nouvelle du Québec envers les communautés. Mais j'ai plaisir à vous rappeler que le Centre a été créé par un vote unanime de l'Assemblée nationale. C'est le gouvernement qui a pris l'initiative, mais tous les partis politiques à l'Assemblée. C'est un élément du changement qui est important.
Concernant le leadership du Québec, je crois d'abord que la création du Centre est un geste de leadership par le gouvernement du Québec, de toute évidence. Je ne vois pas qui, autre que le Québec, aurait pu faire cela et pouvoir y mettre les ressources que le gouvernement du Québec a décidé d'y mettre.
Cela étant dit, je reprends ma formule de tout à l'heure. Si le Québec a créé de toutes pièces ce projet, il ne pourra pas réaliser ce projet sans les partenaires, ce serait totalement absurde.
Dans ce monde de réseautage et dans ce monde d'activités qui circulent sur tous les nouveaux supports technologiques, si on veut vraiment avoir des initiatives à l'échelle du Canada et à l'échelle de l'Amérique du Nord et à l'échelle des Amériques, on a besoin d'une très forte implication des communautés. Les communautés ont déjà commencé par rapport au Centre. Je viens de donner l'exemple du Manitoba et de l'économie à nous fournir des éléments de référence.
Le comité de programmation est formé exclusivement de membres du Centre qui ne sont pas du Québec, c'est assez extraordinaire, vous me direz. Le rôle de leadership du Québec, j'utilise l'expression « J'espère qu'elle deviendra caduque » j'espère qu'on entre au XXIe siècle dans un rapport de complémentarité qui fera que les initiatives viennent de partout et que les idées intéressantes ne viennent pas d'une seule source et que la coordination et la cohérence viennent d'une volonté commune. C'est un projet du Québec qui est voué à l'échec si les partenaires ne le font pas vivre, voilà ce que j'ai à l'esprit.
Ce que le Québec offre, c'est un appui sérieux de départ, une adresse dans un monde où il n'y a plus beaucoup d'adresse. On écrit de partout et on reçoit de partout maintenant, ce que le Québec offre et que personne d'autre ne peut offrir, j'espère — on verra dans le temps — c'est une continuité par rapport à l'intention politique de faire réussir ce projet, donc d'y mettre les ressources qu'il faut.
J'ai pris quelques précautions avant d'accepter ce travail. J'ai l'impression que le vote unanime de l'Assemblée indique que s'il devait y avoir dans cinq ans, dans cinq mois, dans 50 ans un changement de gouvernement à Québec, que l'appui au Centre serait très solide aussi.
Le sénateur Tardif : Vous avez parlé d'adresse et aussi de programmation, mais y a-t-il un volet recherche qui sera inclus au Centre?
M. Roy : Merci de me poser cette question, je ne l'ai pas abordée spontanément. Nous avons actuellement une équipe de 25 chercheurs dans les universités un peu partout au Québec qui, à partir des travaux déjà effectués par l'organisation internationale de la Francophonie et d'autres, essaient de mettre à jour le portrait le plus exhaustif possible de la « Francophonie » aux États-Unis et en Amérique latine.
Entendons-nous, les données concernant la Francophonie au Québec et au Canada sont maîtrisées. Donc, on veut se doter du portrait de famille le plus complet possible. Il y a donc toute une équipe qui est au travail maintenant.
Je crois que la réponse à votre question, dans la plus longue durée est aussi affirmative. Je crois que la Francophonie a besoin de renouveler sa propre connaissance d'elle-même, des expériences qui se font. Je crois qu'on doit aussi chercher — je n'aime pas ces expressions, mais elles disent quelque chose aussi — tant mieux si la Francophonie intergouvernementale a progressé en même temps, la Francophonie intergouvernementale n'a de sens que dans la mesure où les sociétés francophones progressent. Quelles sont les conditions du progrès? Qu'est-ce qui fait que les enfants demeurent dans les écoles de langue française alors qu'ils ont 14, 15 ou 16 ans? Il y a des recherches qui se font par Statistique Canada, mais il y a sans doute des recherches additionnelles qui se feront aussi.
On va aussi s'intéresser aux circuits commerciaux, économiques et culturels nouveaux. Il est évident que lorsqu'on apprend que dans l'exportation des produits français — de France — en langue française, (cinéma et livre) l'Amérique latine est le premier marché. Il y a peut-être quelque chose pour les 14 éditeurs en langue française en Ontario et pour tous les éditeurs en langue française du Québec et plus largement pour le cinéma, pour le vidéo. Est-ce qu'il y a des radios, des télévisions en Amérique latine qui ont des programmes sur les plages en langue française? Est-ce qu'on le sait? Est-ce qu'on peut les alimenter, les nourrir? Y a-t-il des programmes d'enseignement du français qu'on peut enrichir à travers Internet, à travers les offres? Il y a donc une recherche de cette nature.
J'ai presque envie de parler concrètement de ressource du marché, une recherche de chute de points de repère. Là où on pourrait parler d'investissement. Pour reprendre la question du sénateur Comeau tout à l'heure qui me demandait où nous allions investir en priorité. Là, où l'investissement a des chances de donner le plus rapidement les meilleurs résultats possible.
Le sénateur Losier-Cool : À mon tour, il me fait plaisir de vous saluer. Nous sommes tous ici présents de grands défenseurs de la Francophonie. Le temps passe et je me ferai assez brève et précise. Je dois vous dire que j'ai savouré le dernier article paru dans Le Devoir, il y a deux semaines où vous parliez des enjeux du Sommet de Québec pour faire suite à la question des sénateurs Goldstein et Comeau au sujet de l'éducation et de l'éducation à distance, que je partage 100 p. 100 avec vous.
Cela étant dit, ce n'est peut-être pas au président du Centre de la francophonie des Amériques que je m'adresse, mais plus à la personne que vous êtes, grâce à votre expérience enrichie de tous les postes que vous avez occupés. Afin de conseiller ce comité qui a pris pour étude la culture francophone canadienne en mettant les enjeux sur cette Francophonie en situation minoritaire, d'après vous, le gouvernement fédéral devrait-il développer une politique nationale sur la culture? Si oui, que devrait-elle contenir? Si le Québec a une telle politique, de quelle façon pourrait-on se guider ou comment pourrait-il nous aider dans une politique nationale?
M. Roy : Madame le sénateur, je suis content de vous voir aussi, il y a longtemps qu'on se connaît et qu'on travaille ensemble. Vous me posez une question absolument redoutable. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que tous les grands pays, y compris notre voisin américain, investissent massivement dans les politiques culturelles.
Je suis certain que vous recherchez cet ouvrage qui est peut-être la plus importante et la plus récente étude en langue française sur la culture américaine et sur l'investissement que fait le gouvernement fédéral américain, que font les 51 gouvernements de chaque État des États-Unis et que font les 900 villes américaines qui ont des Conseils des arts et/ou équivalent. C'est un ouvrage par un monsieur français qui s'appelle Frédéric Martel et qui s'appelle De la culture en Amérique et on voit jusqu'à à quel point par exemple il n'y a pas d'accord de libre-échange signé par les Américains sans chapitre consacré à la culture. Je prends l'exemple américain parce que la culture y est forte — parce qu'il n'y a pas de ministère de la Culture, mais la culture est partout. L'appui de la puissance publique aux États-Unis — l'exemple américain est considérable — pas simplement en appui direct, mais en appui au titre de la fiscalité, au titre d'un élément très important de la politique étrangère des États-Unis. Je mentionnais les accords de libre-échange, la politique culturelle de circulation des œuvres, des artistes américains et d'accueil des artistes du monde aux États-Unis. Je pense qu'on n'a pas besoin ici de faire le portrait de ce que font les grands pays européens pour la culture.
Vous ne l'avez pas suggéré, mais ce serait extraordinaire que le Canada diminue son appui à la culture ou maintienne le statu quo. Je parlais tantôt des nouvelles technologies et madame le sénateur Champagne a parlé des jeunes et de la qualité de la langue.
Il faut absolument créer une nouvelle province de la politique culturelle. Peut-être que le mot « province » n'est pas bien choisi dans le contexte, mais disons plutôt qu'il faudrait créer un nouvel espace de la politique culturelle pour répondre aux sources d'alimentation culturelle des jeunes générations.
Les jeunes ne s'alimentent pas culturellement comme nous. Ils sont nés avec une souris, avec un ordinateur, avec un iPod. Il y a un immense travail à faire et si le Canada ne le fait pas, l'initiative viendra de l'étranger. Il n'existe plus de barrières non plus et ne serait ce que pour cette raison, l'équivalence entre le territoire et la production culturelle est abolie partout dans le monde.
Donc, il faut certainement revoir la politique culturelle canadienne. Je voudrais signaler quelque chose de très important. J'en ai parlé dans un article du Devoir et vous avez eu la gentillesse de le rappeler. C'est que la Chine fait un effort culturel au moins aussi grand que son effort économique, et c'est ce qui va se produire massivement.
Je vous rappelle qu'aux États-Unis, le sénateur Lieberman a présenté un projet de loi qui, au cours des prochaines années, appuiera les institutions américaines qui veulent intégrer le mandarin à leurs programmes. Cette initiative se chiffre à 1,3 milliard de dollars, et ce n'est pas rien. On voit que les choses changent. L'objectif fixé est que cinq p. 100 des étudiants américains sortent d'une formation équivalente au cégep avec une connaissance du mandarin. La connaissance des langues étrangères fait également partie de la culture. Je crois que la façon qu'a le Canada de se replier sur ses méthodes archaïques de quotas devra être revue parce que cela n'a plus de sens.
Il n'y a plus de barrières. Aujourd'hui, il est possible de syntoniser n'importe quelle chaîne de télévision ou n'importe quel poste de radio du monde. Comment le Canada doit-il produire sur le plan culturel? À quels niveaux le faire, avec quelle qualité, avec quelle sensibilité, pour que son offre globale ne soit pas totalement perdue? Voilà, à mes yeux ce qui représente un grand défi. Et c'est un défi d'autant plus grand, qu'on en connaît la difficulté.
On n'a qu'à regarder les cotes d'écoute de CBC, y compris les productions réellement canadiennes, pas simplement les mises à jour des émissions américaines. Lorsqu'on examine les cotes d'écoute, c'est un peu sidérant de voir comment on a de la difficulté au Canada à faire la jonction entre les citoyens de notre pays et ce qu'on leur offre comme production proprement culturelle.
Il y a donc beaucoup de travail à accomplir et je suis heureux que le Sénat s'y intéresse. Je suis certain que, ayant posé le pied dans le défi, vous serez obligés de parcourir tout le sentier et de vous rendre de prairie en prairie. Je crois que vous êtes dans cette trajectoire pour longtemps.
Le sénateur Losier-Cool : Je crois que nous avons tous le désir d'y poser les deux pieds maintenant. Vous avez mentionné qu'en novembre se tiendra un forum sur les arts et la culture à Québec. J'ose espérer qu'il y aura des artistes francophones hors Québec et je suis certaine que si Zachary Richard y est, il vous le rappellera.
Il serait bon d'examiner les initiatives qu'ont proposées les états généraux sur les arts et la culture qui ont eu lieu à Caraquet en 2007. J'espère qu'au forum de novembre prochain à Québec, la francophonie en situation minoritaire sera bien représentée. Je vous remercie.
M. Roy : Je crois que sur les 400 personnes qui participeront au forum, le trois quarts représentera des minorités qui viendront des autres régions du Canada.
La présidente : Monsieur Roy, encore une fois je vous remercie très sincèrement d'avoir accepté notre invitation. Je me fais porte-parole des membres du comité sénatorial pour vous souhaiter bon succès dans cette grande initiative que vous avez à cœur et que nous avons à cœur. Soyez assuré que nous suivrons de près votre travail et celui du conseil d'administration.
M. Roy : Merci, madame la présidente. Bonne suite dans vos travaux.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.