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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 2 - Témoignages du 13 décembre 2007


OTTAWA, le jeudi 13 décembre 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je déclare la séance ouverte. Bienvenu au Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Aujourd'hui, nous examinerons la pauvreté, l'itinérance et le logement.

[Traduction]

Notre comité est composé de deux sous-comités : le Sous-comité de la santé de la population, d'une part, et le Sous- comité des villes, d'autre part, qui examine les principaux défis auxquels sont confrontées nos villes. Comme la pauvreté, l'habitation et l'itinérance sont des questions qui intéressent les deux sous-comités, nous avons décidé de nous réunir en comité plénier.

De même, nous souhaitons faire fond sur des travaux antérieurs accomplis par le Sénat sur la question de la pauvreté. Je songe, par exemple, au rapport déposé en 1971 par le comité présidé par le sénateur Croll, de même qu'au rapport de 1997 déposé par le comité présidé par le sénateur Cohen intitulé La pauvreté au Canada : le point critique.

En même temps, notre étude vient compléter le travail réalisé par le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, présidé par le sénateur Fairbairn, qui est également membre de notre comité. À la demande du sénateur Segal, ce dernier traite la question de la pauvreté rurale.

Aujourd'hui, nous accueillons deux experts plutôt que quatre, contrairement à notre pratique courante, si bien que nous avons amplement le temps de débattre des questions qui nous intéressent. M. John Richards, professeur et responsable du Programme des politiques gouvernementales à l'Université Simon Fraser, est l'auteur de nombreux ouvrages sur la politique sociale au Canada, principalement par l'entremise de l'Institut C.D. Howe, où il est titulaire de la chaire Roger Phillips de la politique sociale.

Plus tôt cette année, l'Institut a publié un de ses articles intitulé Reducing Poverty : What Has Worked, and What Should Come Next. Nous avons lu un certain nombre de documents à ce sujet.

Un autre rapport, qui a attiré plus d'attention l'année dernière mais demeure tout à fait d'actualité, a été publié à Toronto.

M. John Stapleton, qui est associé à St. Christopher House, est notre autre invité. Il est l'ancien directeur en recherche du Task Force on Modernizing Income Security for Working-Age Adults, appelé le Groupe de travail MISWAA. Ce groupe de travail était composé de plus de 50 dirigeants civiques et bénéficiait de l'appui d'un groupe de travail composé de plus de 40 spécialistes des mesures de sécurité du revenu. En fait, j'étais présent lorsque le rapport a été diffusé à Toronto.

Messieurs, je vous invite à faire vos exposés selon l'ordre qui figure sur la feuille, ou si vous préférez, vous pouvez changer l'ordre, selon votre préférence.

John Richards, professeur, Programme des politiques gouvernementales, Université Simon Fraser : Merci de votre invitation. La pauvreté est un fléau et je tiens à féliciter le comité d'avoir décidé d'examiner en profondeur cette problématique. Mon collègue, John Stapleton, et moi ne sommes pas d'accord sur certaines questions, et je suppose que vous voudrez certainement aller au fond des choses. Ce sujet revêt toujours une importance critique. Il est évident que ni le comité, ni moi, ni M. Stapleton ne trouveront une solution ce matin, mais c'est un problème auquel chaque société civilisée doit s'attaquer.

J'ai voulu agrémenter ce dernier rapport d'une petite pointe d'ironie. J'ai voulu forcer mes lecteurs à prendre acte de la bonne nouvelle de cette dernière décennie, à savoir que, selon une mesure de la pauvreté au Canada — c'est-à-dire le seuil de faible revenu ou SFR — le taux de pauvreté a baissé d'un tiers au cours des 10 dernières années. Une autre tendance favorable, dont il est question dans le petit document que j'ai préparé à votre intention, concerne la montée en flèche du taux d'emploi, toujours au cours des 10 dernières années. Voilà qui est sans aucun doute une bonne nouvelle.

Pourquoi y a-t-il eu cette baisse importante du taux de pauvreté? Certes, la reprise économique y est pour beaucoup. De façon générale, on peut aussi parler de l'effet de trois grandes politiques gouvernementales. L'une d'entre elles — et c'est une mesure, pour dire les choses un peu crûment, que je qualifierais d'indulgente — soit la Prestation nationale pour enfants, a été extrêmement bénéfique. Elle a facilité la transition entre l'aide sociale et le marché du travail aux personnes à faible revenu ayant des enfants; elle a permis aux familles d'abandonner l'aide sociale à un niveau de revenu inférieur; et, elle suppléait au revenu de personnes se trouvant légèrement au-dessus du seuil d'accès à l'aide sociale. Cette initiative n'a jamais eu pour objectif d'accroître les revenus de personnes n'ayant pas de gains. En fait, lorsque ce programme a été conçu de concert avec les provinces, il était prévu que, pour chaque dollar de prestations pour enfants, le montant de l'aide sociale versé aux bénéficiaires diminuerait d'autant.

Comme les provinces allaient réaliser des économies au niveau de leurs budgets d'aide sociale, elles se sont engagées à investir ces économies dans d'autres programmes pouvant être bénéfiques aux familles à faible revenu avec des enfants, tels que de meilleurs services de garde d'enfants et de suppléments de revenus.

Dans le rapport que j'ai rédigé, de même que dans le résumé que je vous ai fourni, j'insiste beaucoup sur l'emploi, comme vous l'aurez peut-être constaté. Une autre bonne nouvelle de la dernière décennie a été l'augmentation en flèche des revenus d'emploi parmi les membres de groupes à risque, comme les familles monoparentales. Le taux de pauvreté reste encore trop élevé, mais il a beaucoup baissé, puisqu'il est passé de plus de 50 p. 100 il y a 10 ans à environ un tiers maintenant.

Le revenu marchand médian dont il est question au tableau que je vous ai fourni, a augmenté de façon impressionnante. Il y a eu surtout une augmentation du taux d'emploi dans cette catégorie de familles. Tout cela est très positif.

L'emploi comporte de nombreux avantages. Il y a l'avantage le plus évident, c'est-à-dire une augmentation des revenus. Des études longitudinales sur la pauvreté ont permis de constater que les parents qui travaillent, indépendamment d'autres facteurs, sont des modèles importants pour leurs enfants et le fait de travailler augmente la probabilité que les enfants qui naissent dans la pauvreté termineront leurs études secondaires et éviteront d'être des adolescentes-mères. Ce sont deux puissants indicateurs en ce qui concerne la possibilité pour les générations suivantes d'échapper à la pauvreté, c'est-à-dire le fait de terminer ses études secondaires et de ne pas devenir adolescente-mère.

Pour la première fois dans les pays riches, les pauvres tendent à être davantage atteints d'obésité que les riches. C'est un fléau. Le travail aide partiellement à éviter les maladies associées à un mode de vie inactif.

Enfin, notamment chez les hommes, de longues périodes de chômage favorisent la dépression et des comportements anormaux, y compris le suicide.

Pour toutes ces raisons, l'emploi doit être la clé de voûte d'une politique anti-pauvreté.

Voilà qui m'amène à un autre point. Si M. Stapleton et moi ne sommes pas d'accord, c'est parce que le Groupe de travail MISWAA et le Caledon Institute of Social Policy, qui proposent des programmes ou mesures offrant un revenu annuel garanti ou quelque chose du genre, tendent à minimiser la responsabilité professionnelle des travailleurs sociaux. Quand je parle à mes étudiants, je leur dis souvent que les travailleurs sociaux sont l'équivalent des omnipraticiens du secteur de la santé. Il faut passer par un omnipraticien pour accéder à des services de santé coûteux. Lui ou elle doit prendre des décisions sur les soins qui conviennent le mieux au patient. À bien des égards, un bon travailleur social professionnel doit faire la même chose — par exemple, déterminer si le demandeur est atteint d'une maladie mentale ou d'une incapacité physique ou s'il est employable. Des erreurs sont inévitables, mais nous ne pouvons nous permettre d'éliminer cette importante fonction.

À Ottawa, il existe le danger — surtout que le principal moyen pour le gouvernement d'atténuer la pauvreté consiste à mettre sur pied des programmes de transferts, que l'on sous-estime l'importance de ce rôle. Au cours des 10 dernières années, ce que nous avons observé dans les ministères provinciaux des services sociaux, quelle qu'ait été l'allégeance politique du gouvernement au pouvoir — et je ne défends aucun parti politique en particulier, qu'il s'agisse de Mike Harris ou des conservateurs de l'Alberta; pour ma part, j'ai grandi dans une famille néo-démocrate dans les Prairies — c'est que les gouvernements provinciaux ont décidé d'exercer cette fonction de travail social de manière plus ambitieuse.

Voilà donc quelques remarques liminaires très générales sur ce qui s'est produit au cours des 10 dernières années. Avant de céder la parole à mon collègue, je voudrais vous entretenir brièvement de ce que je considère comme des foyers de pauvreté persistante auxquels le comité devrait s'intéresser tout particulièrement et où l'intervention des autorités à la fois fédérales et provinciales s'impose.

Si vous voulez bien passer à la page 4 de mon texte, vous allez voir que l'éducation, de la maternelle à 12e année, chez les pauvres constitue une des grandes priorités en ce qui me concerne. Le Canada possède un assez bon système d'éducation de la maternelle à la 12e année, d'après des normes de comparaison internationales. Une nouvelle étude de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques dans le cadre du Programme international pour le suivi des acquis des élèves, ou PISA, a été diffusée la semaine dernière, mais ce que le PISA ou l'OCDE n'arrivent pas à bien évaluer, c'est le phénomène du décrochage scolaire. Il n'y a rien de plus important, à long terme, si l'on souhaite minimiser la pauvreté, que d'améliorer les acquis des jeunes de la génération suivante.

[Français]

Dans la présente édition du magazine L'actualité, un collègue à moi, Pierre Fortin, écrit un article sur la fiscalité au Québec. J'aimerais vous citer le dernier paragraphe de son article :

[...] nos principales armes de combat sont une lutte sans merci contre le décrochage et un appui ferme à la persévérance scolaire. C'est prouvé : l'éducation demeure la principale force pour faire progresser le pourcentage de la population qui occupe de bons emplois [...]

C'est très bien écrit. Je ne pouvais pas faire mieux que lui.

[Traduction]

Dans ce passage, Pierre Fortin, qui est peut-être le plus grand économiste de ma génération au Québec, fait valoir l'argument massue. D'ailleurs, dans le rapport que vous allez rédiger, je suppose que vous voudrez prêter une attention toute particulière aux problèmes de l'éducation parmi les pauvres et les mesures correctrices qui s'imposent à cet égard. Il n'y a pas qu'une seule solution magique. Je ne pense pas qu'un programme universel de services de garde d'enfants soit nécessaire ou constitue une grande priorité sociale. Par contre, je suis tout à fait convaincu de la nécessité de mettre sur pied un programme d'éducation de la petite enfance à l'intention des groupes défavorisés. Voilà justement un programme que les Américains évaluent sans arrêt depuis la mise sur pied de programmes de cette nature dans les années 1960 dans le cadre de l'initiative de la « Grande société ». C'est très important.

Je voudrais maintenant aborder la question de la pauvreté chez les Autochtones. Pendant mon séjour ici à Ottawa, j'ai donné une conférence sur les politiques qui visent les Autochtones. J'ai beaucoup écrit au sujet de la pauvreté chez les Autochtones. Les problèmes sont multiples. Ils sont aggravés par des tensions raciales et par leur sentiment d'avoir été traités injustement par le passé. Par contre, je ne suis pas de ceux qui croient que l'anthropologie et le droit sont les principaux moyens par lesquels nous pourrons régler le problème de la pauvreté chez les Autochtones.

À Ottawa, on a tendance à dire que nous avons appliqué les principes des programmes sociaux destinés aux populations se trouvant au nord du 60e parallèle aux territoires et aux membres des premières nations, comme vous les définissez, et que cela suffit. Eh bien, cela ne suffit pas. Les résultats des programmes d'éducation dans les réserves sont pitoyables. Il ne faut pas que cela continue d'échapper à l'examen des responsables. Voilà un sujet sur lequel j'ai écrit beaucoup de choses. Michael Mendelssohn, du Caledon Institute of Social Policy, a également écrit beaucoup de choses à ce sujet-là; d'autres ont fait de même. Il est grand-temps que les programmes d'éducation dispensés dans les réserves s'appuient sur le professionnalisme.

Il faut bien se rendre compte qu'à peu près les trois quarts des enfants autochtones sont inscrits dans les systèmes d'éducation provinciaux, plutôt que dans ceux qui existent dans les réserves. Seulement un tiers de la population autochtone vit dans les réserves et, sur ce tiers, environ un tiers des enfants font leurs études en dehors de leurs réserves. Les provinces affichent de meilleurs résultats mais, même les leurs ne sont pas suffisants.

Je profite de cette occasion pour féliciter ma province d'origine, soit la Colombie-Britannique. C'est la seule province qui publie des statistiques sur le rendement des enfants autochtones selon les écoles fréquentées. Si nous nous inquiétons de la pauvreté chez les Autochtones, et si l'éducation nous semble critique, nous devrions, dans un premier temps, essayer de réunir les faits. Nous ne savons presque rien de la prestation des enfants autochtones qui passent par le système d'éducation de la maternelle à la 12e année.

Votre comité pourrait potentiellement insister — doucement — auprès des dirigeants autochtones et des gouvernements provinciaux pour qu'ils documentent ce qu'ils font. Comment réussirons-nous à atteindre le noble objectif de l'Accord de Kelowna — soit, de combler l'écart entre les Autochtones et les non-Autochtones en ce qui concerne le taux d'achèvement des études secondaires si nous ne savons rien de ce qui arrive aux enfants entre la maternelle et la 12e année? Quand c'est fini, nous constatons que les taux de décrochage sont élevés et que les enfants autochtones ne s'en sortent pas.

Il y a bien d'autres choses à vous dire à ce sujet.

Étant donné que mon temps de parole est limité, j'invite le sénateur Keon à relancer le débat sur des questions liées à la santé de la population et la pauvreté quand nous aurons le temps d'en discuter entre nous.

De plus, nous désinstitutionnalisons trop de personnes atteintes de maladie mentale. Il faut aussi s'attaquer aux problèmes du logement chez ces personnes. Le volume de travail des services d'aide sociale a diminué de moitié au cours des 10 dernières années et une proportion grandissante des clients des services provinciaux d'aide sociale sont des personnes atteintes d'incapacités physiques et mentales. Mon collègue, M. Stapleton, vous parlera des taux effectifs marginaux d'imposition. En tant qu'économiste, je ne peux pas m'empêcher de faire quelques observations à ce sujet.

Nous avons fait de notre mieux pour régler le problème de la pauvreté au moyen de transferts ciblés — c'est-à-dire en suppléant au revenu des pauvres en fonction de certaines règles, et en récupérant par la suite ces sommes au fur et à mesure que les bénéficiaires deviennent moins pauvres. D'ailleurs, nous avons appliqué ces mesures à la catégorie — et je vous en fais une description officieuse — des familles ayant des revenus se situant entre 20 000 $ et 40 000 $, c'est-à- dire les gens qui sont presque pauvres. Il est évident qu'elles ne sont pas pauvres et ne vivent pas dans la misère. Pour toute cette catégorie de personnes au Canada, le taux effectif d'imposition se situe en moyenne, pour une famille ayant un seul enfant, à plus de 50 p. 100; pour une famille ayant deux enfants, à 60 p. 100. Je suis gêné d'avoir à admettre que, dans ma province natale de la Saskatchewan, dont j'ai aidé à élaborer les politiques gouvernementales dans les années 1990, il y avait une fourchette de revenus de 5 000 $, vers la fin des années 1990, à laquelle s'appliquait un taux effectif d'imposition de 91 p. 100. Cela voulait donc dire qu'au-delà de ce seuil, une famille qui gagnait un dollar de plus en gardait seulement 9 ¢. Il faut comprendre que, pour les personnes se situant dans cette catégorie de revenus, les taux d'imposition réels sont beaucoup moins importants que les mesures de récupération des transferts ciblés, qui s'enclenchent dès lors que les revenus atteignent 20 000 $. Si les facteurs suivants sont réunis — impôts sur le revenu des particuliers, charges sociales, récupération de la Prestation nationale pour enfants et récupération des suppléments de revenu provinciaux — on finit par faire face à des situations bizarres où des gens ayant des gains de 25 000 $ constatent que, s'ils gagnent 100 $ de plus, ils ont le droit de n'en garder que 30 $. C'est tout à fait inacceptable.

Enfin, je suis un grand partisan des suppléments de revenu en tant que moyen de faire payer le travail. Il ne suffit pas de parler des principes d'une telle mesure; il faut surtout parler de son application et de sa mise en œuvre.

Le président : Je vous remercie. John Stapleton, vous disposez du même temps de parole pour votre exposé.

John Stapleton, associé, Maison St-Christophe, Toronto : Merci, monsieur le président, honorables sénateurs et invités, ainsi que mon collègue, John Richards.

On m'a invité à commencer par quelques brèves observations sur un rapport intitulé Why is it so tough to get ahead? qui vient d'être publié par la Fondation Metcalf. Ce rapport se trouve dans la documentation qu'on vous a remise aujourd'hui. M. Richards vous l'a déjà présenté de façon assez détaillée. Il présente les résultats d'une étude visant trois groupes de personnes vivant dans des quartiers pauvres à Toronto, à North Rexdale, à Parkdale et à Downsview, et explique ce qui arrive aux assistés sociaux et aux personnes bénéficiant de logements sociaux et les effets des taux effectifs marginaux d'imposition.

Ma principale thèse à ce sujet est la suivante : si les gouvernements sont résolus à maintenir des taux effectifs marginaux d'imposition élevés, ce qui semble être le cas — et nous voilà face à un dilemme inextricable — il convient, au moment où les enfants passeront de l'étape de l'indépendance aidée par l'État à celle de la véritable indépendance, vers l'âge de 18 ans, de prévoir une période d'arrêt ou de suspension, pendant trois ou quatre ans, des différentes mesures de récupération qui devraient normalement s'enclencher à ce moment-là, pour éviter de créer une classe marginale.

Je viens donc de résumer, en une minute, les 62 pages du rapport en question. Voilà ce que propose le rapport. J'espère que cette proposition saura vous intéresser.

Dans mes remarques liminaires, je vais aborder la question de savoir si la pauvreté au Canada s'aggrave ou non, dans quelle mesure les militants de la lutte contre la pauvreté font une utilisation abusive des données sur la pauvreté, dans quelle mesure la réforme du régime d'aide sociale a donné les résultats escomptés, quel est le rôle des programmes de la sécurité du revenu dans la lutte contre la pauvreté, ce que les gouvernements peuvent faire, ce qu'en pensent les Canadiens et, enfin, en guise de conclusion, s'il convient ou non d'essayer d'enrayer le problème de la pauvreté.

Je dois admettre — et j'avoue que c'est un petit peu injuste — mais j'ai déjà indiqué à M. Richards que je vais commenter non seulement les observations au nom de l'Institut C.D. Howe, mais également son public et les personnes qui ont fait part de leurs vues sur son rapport depuis sa parution — vues pour lesquelles il n'est évidemment pas responsable.

Bref, pour ce qui est de savoir si le problème de la pauvreté au Canada s'aggrave ou non, on peut dire que la pauvreté au Canada s'améliore ou s'aggrave selon la période de mesure retenue.

Si l'on mesure les résultats entre la fin d'une récession structurelle prolongée — par exemple, à compter de 1994 ou 1995 — et la fin d'une longue période de croissance soutenue — par exemple, l'année 2005 — il est clair que, d'après bien des mesures, l'on constatera une réduction considérable du taux de pauvreté. Voilà ce qu'a fait M. Richards, au nom de l'Institut C.D. Howe, dans ses observations sur la réduction de la pauvreté. De même, si la période de mesure se situe entre le sommet d'un cycle économique et le sommet d'une récession, ce qui arrive parfois, de nombreuses mesures indiqueront une augmentation considérable de la pauvreté.

Ces observations nous permettent de comprendre à quel point il importe de mesurer la pauvreté entre des étapes comparables des différents cycles économiques. Je dirais que c'est ce que Campagne 2000 a assez bien réussi à faire, même si un récent éditorial du Ottawa Citizen dit l'inverse. Le rapport de 2007 établit des comparaisons en fonction du sommet des cycles économiques en 1989 et 2005, comparaisons qui indiquent que le taux de pauvreté au Canada, malgré une très longue période de reprise économique au cours des 10 dernières années, est resté à peu près inchangé à 11,7 p. 100.

Le Groupe de travail MISWAA a essayé de mettre nos interventions en vue d'atténuer la pauvreté à l'abri de la récession. Or les interventions du Canada dans ce domaine ne devraient pas dépendre de l'étape du cycle économique que nous avons atteinte. La clé de voûte du récent rapport diffusé par le Groupe de travail MISWAA était une tentative pour écarter toute considération liée à l'existence ou non d'une récession de notre approche en matière de réduction de la pauvreté et de sécurité du revenu. Le Groupe de travail a tiré ce que je considère comme une conclusion importante, à savoir qu'une approche consistant à intervenir pour atténuer la pauvreté pendant des périodes de récession et à ne rien faire quand l'économie est plus prospère — comme cela se produit souvent, d'ailleurs — n'est pas une bonne approche pour le Canada et ne fait qu'aggraver la situation lorsque les inévitables ralentissements économiques se produisent.

Donc, on ne parle pas tout simplement d'un autre cycle économique. Nous sommes en présence d'un phénomène plus profond et plus troublant en ce qui concerne la plus récente période de croissance économique. J'ai une longue citation de l'économiste Armine Yalnizyan, mais pour gagner du temps, je vais passer directement au bas de la page. Elle dit ceci :

Face à la réduction des taux de pauvreté depuis 1996 que nous signale Richards, on doit automatiquement conclure que les taux de pauvreté sont meilleurs maintenant qu'ils ne l'étaient au milieu des années 1990. Mais, ils auraient pu difficilement être pires après deux longues périodes de transformation du marché du travail — c'est- à-dire à la suite des récessions de 1981 à 1982 et de 1990 à 1991. L'économie est d'une robustesse remarquable depuis plus d'une décennie; et le Canada a enregistré le taux de croissance le plus élevé, ou presque, de tous les autres pays du G7, au cours de la majeure partie de cette période. Mais, si l'économie canadienne n'est pas à même de répondre aux besoins fondamentaux des citoyens alors que l'économie n'a jamais été plus prospère, peut-on vraiment supposer que la situation s'améliorera en période de récession?

La deuxième question est de savoir dans quelle mesure les militants de la lutte contre la pauvreté se servent mal des données sur la pauvreté, car plusieurs articles ont paru récemment sur le sujet. Je constate depuis un moment une tendance troublante dans les éditoriaux et les journaux en général — à preuve, l'Ottawa Citizen et la chronique de Margaret Wente — en ce sens que les journalistes disent que les militants de la lutte contre la pauvreté ont tendance à se servir de statistiques trompeuses ou douteuses pour atteindre les objectifs de leur lutte anti-pauvreté. Parmi les exemples qu'on peut citer, notons l'utilisation par les militants de périodes de comparaison présentant le portrait le plus négatif possible en ce qui concerne la pauvreté au Canada; le fait que ces militants ne se servent pas de périodes de comparaison qui indiquent une diminution de la pauvreté, leur utilisation de seuils de faible revenu qui ne correspondent pas vraiment au seuil de la pauvreté, d'après Statistique Canada, et le fait qu'ils ne parlent jamais des succès. Les journalistes font parfois valoir que ces militants font partie d'une entité qualifiée par certains d'industrie de la pauvreté et que c'est dans l'intérêt des militants de présenter le portrait le plus négatif possible de la situation au Canada en ce qui concerne la pauvreté, afin de pouvoir continuer à obtenir ce qu'ils veulent et de conserver leurs propres emplois au sein de cette industrie de la pauvreté.

Nous avons déjà noté que le fait d'utiliser une période de comparaison allant de 1995 à 2005 signifie qu'on compare la situation au creux du long cycle économique à celle qui existe au sommet de ce même cycle. Et voilà justement ce qu'a fait l'Ottawa Citizen, Mme Wente et John Richards. Je dirais qu'il est irresponsable d'établir des comparaisons, et il serait donc tout aussi irresponsable de la part des militants de la lutte anti-pauvreté de se servir de périodes de ce genre pour établir des comparaisons.

Statistique Canada n'admet pas que son SFR puisse être considéré comme le seuil de la pauvreté. Il convient également de noter que, contrairement aux États-Unis, le Canada n'a pas de seuil officiel de la pauvreté. Nous sommes dans la minorité de pays qui n'ont pas de seuil officiel de la pauvreté. Par conséquent, quel que soit le seuil qu'on utilise, il ne sera jamais officiellement reconnu. Andrew Jackson, du Congrès du travail du Canada a récemment fait les observations suivantes dans une lettre qu'il a adressée au Ottawa Citizen :

Il est tout à fait exact de dire que le seuil de faible revenu (SFR) de Statistique Canada qu'utilise Campagne 2000 ne correspond pas à un seuil officiel de la pauvreté, mais c'est la meilleure mesure qu'on possède.

Il continue ainsi :

Le taux de pauvreté, selon la Mesure de la pauvreté fondée sur un panier de consommation, mesure élaborée par les gouvernements afin de déterminer combien de personnes ne sont pas en mesure de répondre à leurs besoins les plus fondamentaux, est environ le même que celui qu'on obtient en appliquant le seuil de faible revenu.

Je voudrais maintenant aborder la question de savoir si la réforme du régime d'aide sociale a donné ou non de bons résultats. Bon nombre de journalistes et d'universitaires qui ont fait part de leurs observations au sujet de la réforme de l'aide sociale dans les années 1990 ont avancé deux arguments clés. Premièrement, la reprise économique n'explique absolument pas la forte baisse du nombre d'assistés sociaux qui a été observée vers la fin des années 1990. Deuxièmement, à mesure que la récession s'estompait dans les années 1980, les programmes d'aide sociale continuaient à offrir des allocations de plus en plus généreuses et le nombre d'assistés sociaux a continué à augmenter, malgré les progrès économiques constants vers la fin des années 1980.

D'ailleurs, M. Richards fait lui-même cette même observation.

En réponse au premier argument, on peut facilement conclure que, si un gouvernement décide de limiter l'admissibilité à ses programmes d'assistance publique, il y aura nécessairement moins d'assistés sociaux. Les enquêtes menées auprès d'ex-clients indiquent qu'environ 60 p. 100 des personnes étant devenues inadmissibles ont changé l'aide sociale pour un travail, sans jamais échapper à la pauvreté, alors que 40 p. 100 d'entre elles ont fait autre chose. Soixante pour cent correspondent à une note de C, et ce n'est pas suffisant, surtout que les personnes qui composent cette catégorie sont maintenant ce que nous appelons des travailleurs économiquement faibles.

Le sort des autres 40 p. 100 des personnes qui sont devenues inadmissibles à l'aide sociale constitue une véritable tragédie canadienne. Ce sont les sans-abri qui se trouvent dans nos parcs, qui dorment dans la rue et qui vivent dans des quartiers pauvres d'un bout à l'autre du Canada. Il ne fait aucun doute que le nombre d'assistés sociaux continue de croître tout au cours des années 1980, au fur et à mesure que l'économie a repris. Toutefois, les programmes d'aide sociale ont toujours existé un peu dans l'ombre du Programme d'assurance-chômage, comme on l'appelait à l'époque. Or le Programme d'assurance-chômage a fait l'objet de réductions budgétaires excessives vers la fin des années 1980, ce qui a eu pour résultat de faire augmenter le nombre de personnes demandant à bénéficier des programmes d'assistance sociale. Quand le Programme d'assurance-chômage s'est trouvé en mauvaise posture au cours de cette période, les programmes d'assistance sociale ont connu une véritable crise.

En 1993, lorsque des réductions budgétaires encore plus draconiennes ont été mises en œuvre vers la toute fin de la plus récente période de récession, le nombre d'assistés sociaux a continué à croître, pour atteindre un sommet qu'on n'avait pas connu depuis la Grande Crise, jusqu'au moment où l'on a commencé à réduire l'admissibilité aux programmes d'assistance sociale, avec des résultats parfaitement prévisibles.

Je voudrais ouvrir une petite parenthèse pour vous dire que nous avons atteint un sommet en Ontario en juillet 1935, où 15,5 p. 100 de la population ontarienne bénéficiait de programmes d'aide sociale; en 1991-1992, c'était 12,7 p. 100 de la population ontarienne. Donc, nous parlons effectivement de sommet jamais connu depuis la Grande Crise.

Par conséquent, conclure que les programmes d'aide sociale avaient de plus en plus de clients, simplement parce qu'ils offraient des allocations généreuses, c'est refuser de tenir compte des politiques sociales qui étaient en vigueur à l'époque. Il faut toujours se rappeler que les programmes d'aide sociale constituent la dernière source de revenus pour ceux qui bénéficient du régime de la sécurité du revenu et, à ce titre, ils correspondent au dernier filet qui retient tous ceux qui n'ont pas réussi à bénéficier d'autres programmes.

Je voudrais maintenant vous entretenir de ce que j'appelle la pathologie de l'aide sociale. Les arguments avancés en faveur d'une réduction du budget dévolu à l'aide sociale ne concernent pas uniquement le fait que, étant donné que les allocations sont généreuses, le nombre de bénéficiaires continue à augmenter. Au fonds, ce discours cache un autre argument, à savoir qu'il existe une sous-catégorie de personnes parmi nous dont les objectifs personnels sont suspects. Il s'agit de personnes qui préfèrent vivre du petit montant d'argent que leur fournit le programme d'aide sociale plutôt que devenir autosuffisants. Pour elles, la possibilité de toucher des allocations plus généreuses est une forte incitation à vivre sa vie dans un état de dépendance.

L'évocation de concepts tels que la « fermeté affectueuse » et la clémence invite les lecteurs à assumer le rôle condescendant de parents des pauvres. Nous traitons cette sous-catégorie de gens qui ne partagent pas nos valeurs comme des étrangers suspects, et non pas comme les voisins que nous connaissons. Bien entendu, il nous arrive rarement de connaître nous-mêmes des personnes qui font partie de cette sous-catégorie, même si John Richards et moi avons des contacts avec de telles personnes sur une base hebdomadaire. Il reste que nous sommes invités à comprendre que ces dernières sont toujours prêtes à abandonner le travail et toute possibilité d'auto-amélioration dès lors que le régime de la sécurité du revenu se montre plus généreux. Dans un article intitulé Reducing Poverty : What has Worked, and What Should Come Next, John Richards laisse entendre que le fait de toucher des prestations d'aide sociale incite les bénéficiaires à ne plus travailler. Il note également, comme il l'a fait ce matin, que cette situation donne lieu à des pathologies, telles que les grossesses chez les adolescentes et la dépression chez les hommes.

S'il est vrai que les prestations versées par l'État aux bénéficiaires ont de tels effets, peut-être devrions-nous commencer à nous intéresser à la situation de nos aînés et de nos enfants, qui peut également être compromise par les effets catastrophiques de programmes de la sécurité du revenu visant à les aider à joindre les deux bouts.

Bref, les défenseurs d'une réduction des prestations d'aide sociale cherchent à convaincre un public déjà séduit par l'idée selon laquelle le vrai problème de l'aide sociale est le type de personnes qui en bénéficient.

Depuis fort longtemps, les militants de la lutte contre la pauvreté et les groupes de réflexion, quelles que soient leurs convictions idéologiques, affirment que l'assistance sociale devient un piège qui empêche les bénéficiaires d'y échapper. Mais, plutôt que de chercher à recentrer les programmes de la sécurité du revenu selon les propositions faites par le Groupe de travail MISWAA, les groupes de réflexion et d'autres, afin de réduire l'influence des programmes d'aide sociale, ceux qui préconisent des réductions considèrent que la meilleure solution consiste à réduire l'admissibilité aux programmes, créant ainsi une double problématique, soit la création d'un groupe de travailleurs économiquement faibles et l'itinérance.

La plupart des personnes présentées par M. Richards comme démontrant le succès de nos politiques sociales ne seront pas en mesure de faire des économies en prévision de leur retraite ou d'aider leurs enfants à financer leurs études postsecondaires. Les politiques de restriction de l'admissibilité font subir aux bénéficiaires les contrecoups de programmes d'aide sociale mal conçus et de programmes d'intervention totalement absents. C'est le cas classique — comme l'a dit John Kenneth Galbraith — de celui qui donne un coup sur la tête à quelqu'un et lui reproche ensuite d'être tombé.

J'ai également quelques observations à faire au sujet de ce que nous consacrons actuellement aux programmes de la sécurité du revenu. Pour l'instant, c'est un chiffre qu'on retient facilement — et j'espère que vous le retiendrez : les programmes canadiens de la sécurité du revenu versent à la plupart des Canadiens des prestations qui coûtent plus de 100 milliards de dollars par an. Les familles qui ont des enfants reçoivent 10 milliards de dollars; les personnes âgées reçoivent 50 milliards de dollars, soit environ la moitié de la somme versée à l'ensemble des bénéficiaires; les personnes qui ont des incapacités touchent des transferts de presque 25 milliards de dollars; et les assistés sociaux et bénéficiaires employables reçoivent environ 5 p. 100 du montant de 100 milliards de dollars — selon la définition des différentes catégories de personnes et la façon de comptabiliser ceux qui sont malades; si on les inclut, cela fait monter la proportion à 10 p. 100.

En ce qui concerne les priorités des programmes d'aide sociale et de la lutte contre la pauvreté, personne ne pense sérieusement que l'aide sociale doit constituer la clé de voûte d'une stratégie anti-pauvreté. Il faut restructurer les programmes d'aide sociale et réduire leur rôle. Pourquoi entendons-nous constamment parler des problèmes qui caractérisent les programmes d'aide sociale dès lors que des mesures anti-pauvreté sont envisagées?

Le Canada a besoin de plus que de simples programmes de la sécurité du revenu. En plus de programmes appropriés de la sécurité du revenu qui atténuent l'importance de l'aide sociale, ce sont nos programmes — par exemple, l'amélioration des services de garde d'enfants, des logements, des études postsecondaires, des programmes de formation linguistique à l'intention des nouveaux arrivants et des programmes de formation — qui conduisent à de meilleurs emplois et au niveau de vie auquel aspirent la plupart des Canadiens.

Il nous faut également nous attaquer au problème de l'inégalité des revenus afin d'accroître le niveau de vie général. L'inégalité grandissante des revenus porte directement atteinte au tissu social lorsque ceux qui se trouvent au bas de la pyramide font partie de groupes qui sont défavorisés de multiples façons, comme les immigrants récents et bon nombre de membres des Premières nations.

Plutôt que d'écarter ou de minimiser les problèmes liés à la pauvreté, il nous faut réfléchir aux politiques qui s'imposent pour enrayer ce phénomène : des salaires minimums plus élevés, un meilleur accès à l'assurance-emploi, des prestations pour enfants plus élevées, des logements abordables, des programmes de formation et toutes ces diverses politiques qui permettront de créer de meilleurs emplois.

Que peut donc faire le gouvernement?

L'actuel gouvernement fédéral a annoncé des réductions budgétaires se montant à 191 milliards de dollars au cours des 21 premiers mois de son mandat. Voilà qui représente plus de 20 fois le coût actuel des programmes d'aide sociale, et ce dans l'ensemble du Canada.

Quatre-vingt pour cent des Canadiens estiment que la pauvreté représente un problème grave, et 75 p. 100 d'entre eux sont d'avis que le gouvernement ne fait pas assez pour régler ce problème.

Est-ce un problème qui vaut la peine d'être réglé? À mon avis, il est d'autant plus urgent de s'attaquer au problème maintenant, et étant donné que des progrès ont été réalisés, comme nous l'a fait remarquer M. Richards. L'attitude de ceux qui préconisent la restriction de l'admissibilité aux programmes semble être que, dès que l'on constate des progrès, il faut abandonner la recherche de solutions et ne plus songer à faire des améliorations. À mon avis, le Canada mérite mieux.

Le président : Merci à vous deux pour vos remarques liminaires très intéressantes.

Monsieur Richards, vous dites que la pauvreté est un fléau, et vous expliquez les raisons pour lesquelles vous estimez qu'il s'agit d'un fléau. Vous dites qu'il faut s'intéresser tout particulièrement aux problèmes suivants, soit l'éducation, le taux de décrochage scolaire, la pauvreté chez les Autochtones, la situation des personnes ayant des handicaps mentaux et physiques, et cetera.; mais, vous présentez ensuite des statistiques qui réconfortent ceux qui ne souhaitent pas faire quoi que ce soit pour enrayer ce fléau, puisque vous nous faites savoir que le taux de pauvreté a été réduit de presque un tiers.

Vous vous servez du seuil de faible revenu dans vos propres statistiques sur la pauvreté, alors que même Statistique Canada estime qu'il ne faut pas s'en servir pour cette fin-là. Avez-vous d'autres statistiques qui vous permettraient de justifier votre position? Et qu'en est-il de l'affirmation de M. Stapleton, selon laquelle le taux de pauvreté chez les enfants est environ le même qu'il ne l'était en 1989 quand la Chambre des communes a déclaré que la pauvreté chez les enfants serait éliminée avant 2000? Cela ne semble pas cadrer avec cette réduction d'un tiers.

Il y a d'autres statistiques également — d'ailleurs, c'est toujours le danger que présentent les statistiques; on peut les interpréter de nombreuses façons différentes. À Toronto, nous entendons parler de statistiques indiquant que l'écart entre les riches et les pauvres se creuse. Nous avons beaucoup de quartiers différents à Toronto. Centraide a recensé 13 quartiers, en fonction des codes postaux, qui sont considérés comme des foyers de grave pauvreté. N'êtes-vous pas en train de déresponsabiliser les élus à cet égard, si vous leur dites que le taux de pauvreté a été réduit de presque un tiers?

Par ailleurs, nous entendons parler de beaucoup de gens qui essaient d'échapper au piège de l'aide sociale en décrochant un emploi à temps partiel, et bon nombre de ces personnes sont des mères seules. Ces dernières finissent par trouver un emploi à temps partiel. En Ontario, elles perdent une bonne partie de leurs prestations d'aide sociale en conséquence — 50 p. 100, si je ne m'abuse. Elles peuvent également perdre des avantages en matière d'assurance des frais médicaux et des soins dentaires, et elles doivent supporter la dépense additionnelle que représentent les déplacements entre la maison et le travail. Quand on additionne tous ces éléments, on constate qu'il n'est pas payant d'abandonner l'aide sociale. Elles voudraient le faire, mais la nature du régime est telle qu'il devient alors difficile de joindre les deux bouts.

Si elles ont un enfant à la maison qui est en âge de faire des études universitaires ou secondaires et qui décroche un emploi afin de faire sa part, cela peut avoir un effet sur le loyer qu'elles ont à payer. Elles finissent par être obligées de payer un loyer plus élevé. Il y a beaucoup de gens qui tombent dans le piège de la pauvreté. Qu'en est-il de ces personnes? Est-il vrai que le taux de pauvreté a vraiment été réduit, vu le nombre de cas de ce genre qui existent? Si les statistiques sont exactes jusqu'à un certain point, permettent-elles vraiment d'avoir un portait exact de la situation? Voilà ce qui m'inquiète. Ne pensez-vous pas qu'elles démentent vos propres affirmations, à savoir que la pauvreté est un fléau et qu'il nous faut nous attaquer à tous ces problèmes?

M. Richards : Votre déclaration contient plus d'une question. Si vous me permettez, je vais essayer de traiter chacune séparément.

S'agissant des statistiques, au moment de publier cette monographie, je ne m'attendais pas à ce que tant de journalistes — du Toronto Star, du Globe and Mail et d'autres publications — décident de s'adonner à un exercice de statistiques.

Le seuil de faible revenu, ou SFR, est utilisé comme mesure officieuse de la pauvreté depuis presque 40 ans. Est-ce une bonne mesure? Le principe qui la sous-tend consiste à dire que les gens dépensent pour les nécessités de la vie. Prenons l'exemple du niveau de revenu auquel nous supposons que les gens dépenseront 20 points de pourcentage de plus que la moyenne pour être considérés comme étant pauvres. Elle a un caractère arbitraire qui lui est inhérent. Si je l'ai choisie, c'est justement parce qu'elle a été grandement utilisée au Canada. Il y a eu diverses tentatives pour en arriver à des mesures plus absolues — des mesures très conservatrices, d'une part, où la mesure de la pauvreté est fondée sur un panier de consommation, d'autre part.

À l'échelle internationale, les gens se servent fréquemment de ce qu'on appelle une mesure de faible revenu, qui correspond à la proportion de la population dont les revenus sont inférieurs à une fraction quelconque du revenu médian. Là, aussi, il s'agit d'une mesure arbitraire. Personnellement, si je pouvais remonter 50 ans en arrière, je proposerais que nous nous servions de la mesure de faible revenu, qui est sans doute préférable, puisqu'elle permet de plus facilement établir des comparaisons entre les divers pays.

Il reste que nous sommes Canadiens, et c'est seulement au Canada que l'on applique ce qu'on appelle le seuil de faible revenu ou SFR. Pour les fins de cet exercice, je n'avais pas du tout l'intention de me lancer dans une discussion sur les statistiques et la façon de mesurer ce phénomène.

Votre deuxième question concerne la période que j'ai retenue. À ce chapitre, je suis prêt à accepter certaines critiques. Si je devais refaire ce document, je vous présenterais les mêmes tableaux et les mêmes chiffres que je vous ai fournis dans le petit supplément. Si vous regardez les pages 7 et 8 du document en question, vous allez voir que je vous y présente trois séries chronologiques qui remontent à la fin des années 1970.

À la page 7, vous avez le taux de pauvreté en fonction du SFR après impôt, de même que les taux de participation aux programmes d'aide sociale au Canada, c'est-à-dire la proportion de Canadiens qui bénéficient de prestations générales d'aide sociale. À la page 8, vous allez voir les données sur le taux d'emploi.

Comme vous pouvez le constater, les taux de pauvreté augmentent en période de récession et baissent en période de reprise économique. Nous avons atteint le minimum — c'est-à-dire, un taux de pauvreté d'environ 10 p. 100, qui est le taux actuel — vers la fin des années 1980. Toutefois, nous l'avons atteint à une époque où les programmes d'aide sociale étaient assez fortement sollicités.

Au Canada, le recours à l'aide sociale est monté en flèche pendant la récession du début des années 1980, et n'a pas diminué dans l'ensemble du Canada. À la fin de cette récession, il y avait encore, proportionnellement, presque autant de Canadiens qui recouraient à l'aide sociale qu'à la période où la récession du début des années 1980 était la plus grave.

À l'époque, les militants de la lutte anti-pauvreté et les responsables de la politique sociale étaient généralement d'avis qu'il était tout à fait approprié d'avoir recours à cette méthode pour réduire la pauvreté. Dès que la récession s'est déclarée au début des années 1990, le recours à l'aide sociale a augmenté de façon phénoménale.

Il est vrai que bon nombre des innovations du milieu des années 1990 n'étaient pas le résultat de préoccupations sociales ou du militantisme de personnes comme M. Stapleton. La situation budgétaire du Canada était très grave. Les gens envisageaient sérieusement la possibilité de vendre la majeure partie de la dette canadienne. Il était question de mettre sous tutelle ma province natale de la Saskatchewan, de même que la province de Terre-Neuve. En raison de très graves difficultés budgétaires, il y a eu de grands changements en ce qui concerne le régime d'assurance-santé, les dépenses publiques et divers programmes, notamment celui de l'aide sociale. Les gouvernements provinciaux ont décidé qu'ils ne pouvaient tout simplement plus se permettre de financer des régimes d'aide sociale aussi généreux que dans les années 1980, au moment où la stratégie globale dans ce domaine avait été définie.

Comble de l'ironie, c'est un ministre autochtone de l'assistance sociale en Alberta, du nom de Mike Cardinal, qui d'après ce qu'on dit, a fait œuvre de pionnier pour ce qui est d'appliquer des critères plus stricts en matière d'admissibilité à l'aide sociale. Ont suivi de sinistres prédictions au sujet de l'impact potentiel sur la pauvreté.

Il reste que je défends ma thèse principale, à savoir que la situation actuelle est plus saine qu'elle ne l'était vers la fin des années 1980. Les taux d'emploi sont plus élevés, et les avantages de l'emploi parmi les groupes à risque sont plus favorables qu'ils ne l'étaient vers la fin des années 1980, alors que les programmes d'aide sociale étaient plus fortement sollicités.

Il ne fait aucun doute, toutefois, que la pauvreté chez les enfants continue à poser problème. Je ne suis pas en train de vous dire qu'ici au Canada, nous vivons dans le meilleur des mondes. Cependant, à Ottawa quand le gouvernement a de l'argent, il a tendance à considérer, face à tout problème, qu'il suffit d'enfoncer avec le marteau dont il dispose le clou qui ressort — autrement dit, il augmente les transferts.

Ils ont tendance à Ottawa à ne pas trop s'intéresser à l'administration des politiques sociales et à ne pas prendre suffisamment au sérieux les problèmes de mise en œuvre qui, dans la mesure où les fonctionnaires ont à les régler directement, se situent beaucoup plus au niveau provincial.

Mais, il est clair qu'il faut faire mieux pour ce qui est des services d'éducation de la petite enfance chez les pauvres. Faisons en sorte que ce programme soit mieux ciblé et plus efficace qu'il ne l'est actuellement.

Sommes-nous en train de déresponsabiliser les élus? Pour ma part, je ne souhaite pas déresponsabiliser les élus. J'ai consacré la moitié de mon rapport à une analyse des foyers de pauvreté persistante qui méritent une attention beaucoup plus soutenue. Donc, je n'ai certainement pas l'intention de déresponsabiliser les élus. Par contre, je ne suis pas convaincu que la solution consiste à augmenter les transferts.

Le président : Monsieur Stapleton, avez-vous des observations à faire en réponse à la question?

M. Stapleton : Je ne suis pas en désaccord avec les affirmations de M. Richards au sujet de l'augmentation du nombre d'assistés sociaux dans les années 1980 et de ce qui est arrivé dans les années 1990; tout cela est vrai.

Cependant, l'idée selon laquelle le problème de l'aide sociale se situe au niveau du type de personnes qui en bénéficient — autrement dit, que les gens recourent à l'assistance sociale en raison d'un ralentissement économique que l'on est incité à rester pauvre — autrement dit, il faut limiter l'admissibilité aux programmes — par opposition à celle qui consisterait à restructurer les programmes d'assistance sociale, me semble tout à fait aberrante.

En fait, je suis en désaccord sur un autre point; j'estime qu'il faut au contraire plus de transferts de revenus. Je vous ai fait remarquer dans mon exposé liminaire que, par rapport à l'ensemble du régime de la sécurité du revenu, la proportion des crédits consacrés à l'aide sociale pour les personnes employables est de 5 p. 100, si l'on retient l'estimation faible, et de 7 p. 100, si l'on retient l'estimation forte. Or nous avons pris l'orientation inverse. Autrement dit, il faut plus de transferts de revenus.

Pour ce qui est de l'autosuffisance, le fait est que très peu d'entre nous sommes véritablement autosuffisants et autonomes. À des degrés variables, nous dépendons tous de l'infrastructure publique, de services gouvernementaux ou de différentes mesures d'aide. Nous sommes allés trop loin dans l'autre sens. Nous avons trop misé sur l'aide sociale. Nous avons besoin de programmes d'intervention, surtout à l'intention des personnes qui essaient d'échapper au piège de l'aide sociale, comme l'a dit le sénateur Eggleton.

Le sénateur Munson : À mon sens, il faut employer une toute autre terminologie en parlant du problème de la pauvreté. Il faut faire changer les attitudes; les gens parlent sans cesse de « ces gens-là », de « nous » et « les autres ». Il faut cesser de faire cela.

J'ai parlé récemment avec un groupe de personnes vivant dans le comté de Renfrew, qui n'est pas trop loin d'Ottawa. J'étais choqué d'apprendre que, dans ces familles, les deux parents des enfants pauvres qui y habitent travaillent. Monsieur Richards, vous disiez que les taux d'emploi sont plus élevés parmi les membres de groupes à risque, mais cela ne suffit pas. Le problème, c'est que ces emplois sont saisonniers et paient seulement le salaire minimum.

Il y a donc des familles où les deux parents travaillent et font des heures supplémentaires. En ce qui me concerne, c'est ça le nouveau visage de la pauvreté au Canada.

Monsieur Richards, vous insistez sur l'importance de l'emploi pour permettre aux individus et aux familles d'échapper à la pauvreté, mais vous dites que des emplois qui ne paient que le salaire minimum ne permettent pas à une famille d'échapper à la pauvreté. Si un emploi ne suffit pas, que faut-il d'autre?

M. Richards : Voilà une belle entrée en matière qui me permet d'aborder la question des suppléments de revenu. C'est un terme de jargon que les universitaires, les gens qui s'occupent de politique sociale et les administrateurs connaissent certainement, mais cela vaudrait peut-être la peine de vous l'expliquer en termes généraux.

Au cours du dernier siècle, le niveau de revenu auquel peut aspirer une personne n'ayant pas fait d'études a baissé ou est resté inchangé dans tous les pays industrialisés. Par conséquent, les personnes qui n'ont pas fait d'études, ou qui ont un faible niveau de scolarité et qui travaillent à plein temps finissent souvent dans la pauvreté, comme vous l'avez dit.

Que faut-il donc faire? À terme, l'idéal serait d'essayer de minimiser le nombre d'enfants qui ne sont pas pris en charge par le système d'éducation de la maternelle à la 12e année, mais cette solution ne permet pas de répondre à vos préoccupations immédiates. La politique sociale des pays industrialisés repose en grande partie — et c'est aux Américains qu'il faut attribuer le crédit de cette approche, puisqu'ils ont été les premiers à l'adopter — sur les suppléments de revenu comme moyen de faire participer les gens à la population active. Il y a de nombreux avantages psychologiques dont bénéficient les personnes qui travaillent, par rapport à celles qui ne travaillent pas, de même que des avantages à long terme pour les enfants du point de vue de leur taux de succès. Mais comme vous l'avez dit à juste titre, même quand les parents travaillent à plein temps mais ne touchent qu'un faible salaire, la famille peut continuer d'être pauvre. D'où la nécessité de verser des suppléments de revenu.

J'aurais voulu qu'un collègue du nom de Rick August m'accompagne ce matin, mais il n'a pas pu venir. Vous pouvez toujours noter son nom et lui parler de votre côté. Il est haut fonctionnaire au ministère des Services sociaux de la Saskatchewan et c'est sans doute le plus grand spécialiste au Canada dans le domaine de la mise en œuvre de programmes de suppléments de revenu.

La Saskatchewan a mis sur pied un programme de ce genre vers la fin des années 1990 qui est très généreux du point de vue des suppléments de revenu qui sont accordés aux actifs. Il repose sur un système de distribution rapide des prestations qui prévoit un minimum de documentation. De même, il est possible de signaler ses gains par téléphone et de faire virer ses prestations à un compte de caisse de crédit à Swift Current, en Saskatchewan, dans un délai de deux semaines, si bien qu'on a l'impression de toucher un vrai salaire.

C'est un excellent programme. D'autres provinces ont suivi ce modèle, mais n'ont pas fait les choses aussi bien que la Saskatchewan. Le gouvernement fédéral met sur pied une mesure semblable qui est liée au régime fiscal — le programme dont le sigle anglais se prononce de la même façon que le nom de la circonscription électorale du ministre fédéral des Finances. C'est une mesure fiscale qui vise essentiellement le même résultat. Par contre, il s'attaque à un problème un peu différent, en ce sens que les personnes qui en bénéficient ont des emplois stables et essaient d'augmenter leur revenu. Il a des avantages; par contre, il est moins efficace que le système provincial de distribution rapide des prestations pour ce qui est de donner une très forte incitation aux chômeurs à entrer sur le marché du travail.

À la fois la mesure fédérale liée au régime fiscal et les régimes provinciaux de distribution rapide des prestations sont parfaits pour faire payer le travail — pour reprendre le vieux slogan — et, dans une certaine mesure, régler les problèmes qui vous inquiètent.

Le sénateur Munson : Monsieur Richards, vous dites que, depuis 1995, l'administration fédérale pénalise les réitérants de l'assurance-emploi, et que c'est une bonne chose — je pense bien que c'est cela que vous avez dit. Ensuite, vous avez dit que de longues périodes de chômage favorisent la dépression; malgré tout, vous semblez laisser entendre que les prestataires seront moins déprimés si on leur supprime leurs prestations. J'essaie de comprendre. Pourquoi des chômeurs ou des personnes qui ont été mises à pied devraient-ils être « pénalisés »?

M. Richards : Depuis fort longtemps, il y a tout un débat — dont vous êtes sans doute plus au courant que moi, sénateur — au sujet du rôle approprié de l'assurance-chômage. Doit-il s'agir d'un revenu de dernier recours, ou ce programme vise-t-il à remplacer les revenus de ceux qui se trouvent au chômage de façon tout à fait imprévue? La différence entre l'assistance sociale versée par les provinces et l'assurance-chômage était devenue beaucoup moins claire au milieu des années 1990.

D'ailleurs, le programme d'assurance-chômage risquait alors de ne plus jouir d'aucune crédibilité auprès des citoyens. La plupart des Canadiens estimaient que l'assurance-chômage devrait permettre de suppléer aux gains saisonniers de certains travailleurs. En conséquence, les réformes instituées en 1995 et 1996, ainsi que d'autres réformes, ont également influé de façon importante sur le système de soins de santé. Certaines d'entre elles étaient bonnes, et d'autres, mauvaises. Mais il fallait prendre un certain nombre de mesures énergiques afin de réformer le cadre des politiques sociales. Il n'était pas question de maintenir l'ensemble des programmes d'ordre social établis dans les années 1960, si on voulait éviter une catastrophe financière.

J'avance que l'objectif fondamental de l'assurance-chômage consiste à fournir un revenu aux personnes qui se trouvent sans emploi de façon imprévue. Dans la mesure où il y a des problèmes de pauvreté au Canada — et pas seulement au Canada atlantique — chez des personnes qui travaillent, il conviendrait de s'attaquer à ce problème par l'entremise de programmes autres que celui de l'assurance-chômage.

Le sénateur Munson : Je ne cherche pas à écarter M. Stapleton de cette discussion, mais les propos de M. Richards m'intriguent. Vous dites que des politiques plus fermes visant à limiter l'accès à l'assistance sociale et à réduire les prestations ont un impact négatif. La minorité qui ne trouve pas de travail se trouve en plus mauvaise posture. Après, vous dites que les problèmes liés à la pauvreté persistent encore et vous parlez de six foyers de pauvreté persistante qu'il faut essayer d'éliminer.

Est-ce possible que des politiques plus fermes aient contribué à aggraver les problèmes que rencontrent les personnes vivant dans ces foyers de pauvreté persistante? Pourriez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire en disant qu'ils sont en plus mauvaise posture? Pourquoi, et de quelle façon, ces personnes sont-elles en plus mauvaise posture?

M. Richards : J'en reviens à ce fait critique, à savoir que bon nombre des changements apportés à nos politiques sociales au milieu des années 1990 étaient des changements de programmes d'ordre général qui s'imposaient aux gouvernements fédéral et provinciaux en raison de leurs graves difficultés budgétaires. L'une des mesures qui permettent de savoir si les gens sont en plus mauvaise posture est ce qu'on appelle la mesure de l'écart de pauvreté. Je présume que vous en avez une copie ou que vous avez obtenu le rapport en question sur Internet. Il présente certaines données. Je vous invite à approfondir davantage la question en vous reportant à la page 6 du rapport. L'écart de pauvreté mesure le revenu de ceux qui se trouvent au-dessous du seuil de la pauvreté, quelle que soit notre façon de le définir.

Cette mesure indique que la situation s'aggrave, puisqu'il y a eu une augmentation de 5 p. 100 de l'écart. Là, nous mesurons la façon inverse, puisqu'il s'agit de l'écart entre le seuil de la pauvreté et le revenu de ceux qui sont au-dessous du seuil. Nous pourrions établir la mesure de l'une ou l'autre façon, c'est-à-dire mesurer le revenu de ceux qui sont au- dessous du seuil, ou encore mesurer l'écart entre le seuil et le revenu.

Donc, la situation s'est aggravée pour le petit pourcentage des personnes qui sont toujours au-dessous du seuil. Je ne veux pas donner l'impression de sous-estimer ce problème. J'avoue que je suis un professeur bien payé qui vit aisément et qui fait partie de la classe moyenne. Même si j'habite un quartier pauvre de Vancouver, je ne suis certainement pas pauvre. Dans l'ensemble, mon quartier s'est amélioré au cours des 10 dernières années. Il reste que je suis tout à fait conscient du fait que bien des gens sont encore très pauvres et souffrent de diverses façons qui ne sont pas captées par une simple mesure du revenu.

Le président : Avant de passer au prochain intervenant, souhaitez-vous vous prononcer sur l'un ou l'autre aspect de ces questions, monsieur Stapleton?

M. Stapleton : Oui. Les actifs pauvres devraient être un oxymoron au Canada, mais ce n'est pas le cas. Le fait que des gens puissent travailler à plein temps, toucher le salaire minimum et toujours être pauvres est une véritable honte au Canada. Je n'accepte pas les concepts de « fermeté affectueuse » et de clémence qu'on nous a présentés ce matin. Fait intéressant, cette expression « fermeté affectueuse » a été pondue par la compagnie Synanon aux États-Unis. C'était une méthode de traitement des toxicomanes. Cette méthode n'a eu qu'un taux de succès de 10 à 15 p. 100 et, en conséquence, la compagnie a fermé ses portes il y a plusieurs dizaines d'années et a complètement cessé d'exister.

De même, le concept de la fermeté affectueuse devrait être tout à fait supprimé du discours. S'agissant d'assurance- emploi, par exemple, j'ai parlé à une dame à la Maison St-Christophe la semaine dernière qui touche 7 200 $ par an, soit 43 p. 100 du salaire minimum. De plus, elle paie les primes d'assurance-emploi qui correspondent à un pourcentage de ces 7 200 $ par an, alors qu'elle n'a aucune chance d'être jugée admissible au programme. Elle n'aura tout simplement jamais suffisamment d'heures pour être considérée admissible en vertu des normes variables d'admissibilité.

Compte tenu de l'exemple de cette personne qui ne touche que 43 p. 100 du salaire minimum qui ne sera jamais admissible à l'assistance sociale et à l'assurance-emploi, quoi qu'on fasse, êtes-vous toujours en mesure d'affirmer que les mesures prises par le gouvernement au cours de cette période en ce qui concerne l'assurance-emploi sont toujours positives? D'après les statistiques, 22 p. 100 des sans-emploi dans la ville de Toronto sont admissibles à l'assurance- emploi, alors que le Compte d'assurance-emploi du Trésor public affiche un excédent de 54 milliards de dollars. Je dirais que nous sommes allés trop loin.

Le sénateur Trenholme Counsell : Merci, messieurs, pour vos exposés inspirants et informatifs. Je voudrais m'attaquer tout de suite à la question soulevée par M. Richards au sujet de l'éducation de la maternelle à la 12e année parmi les pauvres. D'ailleurs, je vous remercie d'avoir tenu des propos aussi énergiques au sujet du développement et de l'éducation des jeunes enfants.

Les études démontrent que c'est dans la classe moyenne qu'il y a le plus grand nombre d'enfants vulnérables, compte tenu des problèmes d'apprentissage et de tous les autres problèmes de développement dont les enfants peuvent être atteints. Bon nombre de ces difficultés augmentent leur vulnérabilité dans le contexte scolaire. J'aimerais vous raconter une histoire et vous demander s'il existe d'autres exemples de ce genre d'initiative au Canada afin de savoir si c'est une idée qui pourrait éventuellement faire tache d'huile.

À Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, une initiative anti-pauvreté très énergique dirigée par le membre le plus ancien de la famille Irving est actuellement en cours. M. J.K. Irving a été qualifié de champion de l'éducation par Le Partenariat en éducation. Saint John est l'une des villes qui se trouvent en tête de liste parmi celles qui connaissent un problème de pauvreté. En fonction de sa population, elle est parfois au premier rang, mais j'espère qu'elle ne l'est plus. M. Irving a mis d'autres entrepreneurs et cadres travaillant au sein du groupe de compagnies qu'il dirige au défi de travailler avec les enfants et les jeunes. En tant que médecin, j'estime que le traitement et la prévention vont de pair notamment dans ce contexte, puisqu'il s'agit d'enfants qui sont déjà vulnérables.

Ces entrepreneurs ont donc joint le geste à la parole et leurs efforts ont été couronnés de succès. Ils font comprendre à ces enfants qu'ils s'intéressent à eux et ils leur donnent de leur temps, que ce soit pour lire avec eux, les emmener à un match de basket-ball, leur acheter un ballon de basket ou des patins, ou encore pour les emmener voir une exposition d'art ou une pièce de théâtre. De même, des gens qui travaillent sous les ordres de ces entrepreneurs très prospères travaillent directement avec les enfants. Ils ont ainsi réussi à réduire le taux de décrochage scolaire de 50 p. 100 dans une ou plusieurs écoles. Un nombre grandissant de compagnies participent à cette initiative. C'est un grand succès et c'est un projet qui, selon moi, nous permet de comprendre à quel point il est important de s'attaquer au problème de la pauvreté quand les enfants sont très jeunes. M. Irving a dit que si nous ne réussissons pas à rejoindre ces enfants, qu'ils soient en 6e ou en 8e année, nous allons les perdre. Il y a des exceptions, bien entendu, mais c'est cette philosophie-là qui anime le projet.

Donc, monsieur Richards, j'aimerais savoir ce que vous en pensez et que vous me disiez s'il existe des projets semblables dans d'autres villes et agglomérations du Canada; je voudrais savoir si vous pensez que ce modèle est intéressant et si vous seriez prêt à en faire la promotion.

M. Richards : Merci, sénateur. Je ne suis pas au courant du programme qui est actuellement en cours à Saint-Jean. C'est une coïncidence, mais l'un des devoirs que j'ai donnés à mes étudiants était de faire le travail d'analyste de politique hypothétique oeuvrant dans l'une des 10 provinces. Ils devaient donc proposer deux politiques à leur sous- ministre, qui allait assister à une réunion de sous-ministres provinciaux des services sociaux où des programmes futurs de longue durée seraient examinés.

Je vais donc aller voir les deux étudiants qui représentaient le Nouveau-Brunswick pour leur dire de se renseigner sur ce programme.

Le sénateur Trenholme Counsell : Le programme s'appelle Partners Assisting Local Schools, ou PALS.

M. Richards : Si je peux me permettre de faire un commentaire général concernant ce type d'initiative, il est évident qu'on pourrait être beaucoup plus efficaces au niveau municipal si l'on mobilisait les employeurs, les syndicats et les administrateurs des écoles afin de faciliter le passage de l'école au travail. Il n'y a pas qu'une seule solution.

Quand les entreprises locales offrent des emplois d'été à des étudiants de 10e année qui suivent un cours d'algèbre ou donnent des incitations à court terme à des enfants dont le milieu culturel accepte le décrochage scolaire, cela peut avoir un effet. Je félicite donc les entrepreneurs de Saint John, au Nouveau-Brunswick, qui songent sérieusement aux diverses mesures qui peuvent avoir un impact positif dans les écoles secondaires.

Le sénateur Trenholme Counsell : Non. Ils travaillent avec les élèves dans les écoles élémentaires parce que, selon eux, il faut les motiver à apprendre avant qu'ils soient en 6e ou 8e année, car sinon, nous les aurons perdus. Il s'agit de leur faire comprendre qu'ils peuvent participer à des activités sportives ou faire du théâtre; voilà ce qui est critique.

M. Richards : J'ai supposé que ce programme s'adressait à des étudiants plus âgés.

Je vais bientôt demander à mon collègue, M. Stapleton, de vous répondre, puisqu'il a des exemples plus concrets à vous fournir. Au niveau élémentaire, il est beaucoup question du rôle de l'éducation des jeunes enfants et des programmes extrascolaires comme moyen de renforcer la capacité des élèves émanant de familles potentiellement exclues de lire, d'écrire et de calculer. Si les entrepreneurs sont prêts à assumer cette responsabilité, tant mieux. J'insiste toujours sur l'importance des programmes dispensés au niveau secondaire, où le taux de décrochage est le plus important, et c'est pour cette raison que les programmes établis par les entreprises revêtent une importance critique.

Si cela vous intéresse, je vais vous fournir une copie des acétates que j'ai utilisés pour une conférence que j'ai donnée hier en Colombie-Britannique sur la pauvreté chez les Autochtones. Le chiffre que j'ai à l'esprit concerne la cohorte d'élèves qui entraient au système scolaire de la Colombie-Britannique en 8e année, en 2000; eh bien, la proportion d'enfants autochtones qui avaient obtenu leur diplôme d'études secondaires six ans plus tard était de seulement 40 à 45 p. 100.

J'invite maintenant M. Stapleton à intervenir.

M. Stapleton : À mon avis, l'éducation, et surtout l'éducation des jeunes enfants venant de familles pauvres, revêt une importance tout à fait critique. Lorsque les gens grandissent dans un environnement où des services de garde ne sont pas nécessairement disponibles et que les parents travaillent du matin au soir à des emplois faiblement rémunérés, les enfants se trouvent souvent devant la télévision après l'école. L'exemple de leurs parents n'est pas nécessairement le meilleur, mais ceux-ci n'ont pas à leur disposition les programmes adéquats. On pourrait faire beaucoup plus dans les écoles et dans le cadre du programme de la sécurité du revenu, de façon à offrir plus de possibilités aux élèves dans les écoles.

Je vous fais remarquer également que les enfants qui sont pupilles de l'État et qui doivent quitter à plusieurs reprises leur propre loyer pour être pris en charge par les services de protection de l'enfance sont particulièrement à risque. Selon une étude, leur taux d'obtention d'un diplôme d'études secondaires est de l'ordre de 8 p. 100. Il serait possible de faire beaucoup plus dans le cadre de nos programmes sociaux. L'une de mes principales conclusions est que, si nos programmes de la sécurité du revenu étaient plus généralement disponibles, nous constaterions une amélioration de la situation, et une mesure de ce genre serait importante par rapport à toute la gamme d'initiatives possibles.

Le sénateur Fairbairn : Je vous remercie pour vos observations, que j'ai écoutées avec attention. L'une des questions qui se posent pour moi, personnellement, et pour bon nombre de personnes autour de cette table, quand nous participons à ce genre de discussion, est celle de l'alphabétisation.

Des efforts ont été déployés en vue de créer dans toutes les régions du Canada un système qui aide les enfants et les adultes défavorisés qui ont beaucoup de mal à vivre leur vie. Tous les ordres de gouvernement devraient adopter une ligne de conduite commune, afin qu'il soit possible d'encourager et de favoriser l'alphabétisation d'un bout à l'autre du Canada.

Il y a quelques années, le gouvernement fédéral a failli réussir à conclure une entente avec toutes les provinces et tous les territoires. Mais, après, ce projet a carrément disparu de la circulation, de même qu'une somme assez importante qui n'était peut-être pas considérée comme telle par bien des gens, mais pour le milieu de l'alphabétisation, cette perte de financement était catastrophique.

Tous les sénateurs se sont battus pour obtenir de l'aide à l'intention d'un groupe d'organismes fort utiles qui s'attaquaient à cette problématique dans les villes où les gens rencontrent des difficultés. Mais la bonne volonté n'est pas suffisante; il faut également une aide financière.

Aussi étrange que cela puisse paraître, dans ce domaine les administrations fédérale et provinciales s'entendaient très bien. Elles travaillaient à l'élaboration d'une stratégie pancanadienne qui est tombée à l'eau par la suite. La situation s'est améliorée au cours des 18 derniers mois en raison des protestations; mais quant à savoir quelle sera l'ampleur des améliorations, nous n'en savons rien.

Par contre, qu'on parle des Autochtones ou des jeunes qui vont à l'école, nous savons que ce qui compte par-dessus tout, c'est l'endroit où ils habitent, avec qui ils habitent et dans quelle mesure ils ont la possibilité de bien commencer leur vie.

C'est un problème très épineux, mais personne ne veut le croire. Il n'est pas possible de le faire disparaître comme par magie. On ne peut pas acheter une solution; il faut bien y réfléchir pour la trouver.

Que pensez-vous donc du problème très généralisé de l'analphabétisme?

M. Stapleton : Il se passe quelque chose de très important chez l'enfant lorsqu'il quitte la petite enfance pour passer à l'étape intermédiaire. D'après ce qu'on dit, l'enfant apprend à lire, mais ensuite, il lit pour apprendre. Donc, cette période où l'enfant passe des toutes premières expériences de la lecture à une étape plus avancée, vers l'âge de 7, 8 ou 9 ans, est extrêmement importante sur le plan de l'alphabétisation.

Dans les familles monoparentales qui vivent dans la misère, le parent n'a tout simplement pas le temps de lire à ses enfants. Le fait de lire à ses enfants est une activité très importante pendant les premières années de vie, et le parent doit absolument trouver le temps de le faire.

Si ces parents ne peuvent le faire parce qu'ils ont des heures de travail malcommodes — par exemple, des postes fractionnés, des postes de nuit, ou le travail tard le soir dans les centres d'appels, les restaurants, et cetera. — les enfants sont susceptibles d'être installés devant la télévision. Il faut donc commencer à stabiliser la vie de ces personnes.

Les programmes de la sécurité du revenu font partie de la solution, mais il y a de nombreux autres éléments, comme vous le savez. M. Richards a déjà évoqué la question de la dépression, qui constitue l'un des facteurs les plus importants en ce qui concerne le développement, l'apprentissage et, évidemment, l'alphabétisation des jeunes enfants.

Il faut qu'il existe une zone de calme en milieu familial où la mère et le père sont disponibles et peuvent aider leurs enfants à apprendre à la maison. La création d'un milieu familial approprié est extrêmement importante pour favoriser l'apprentissage des jeunes enfants. Or ce milieu n'existe guère dans les familles pauvres. Il reste que nous pouvons faire bien des choses pour améliorer la situation.

M. Richards : Je voudrais faire un autre bref commentaire, si vous permettez. J'ai ici l'occasion de féliciter le gouvernement de la Colombie-Britannique et de reprendre l'un des thèmes que j'ai présentés dans mon exposé liminaire. Cette province est la seule à consigner les résultats scolaires chez les enfants autochtones. Encore une fois, environ les trois quarts des enfants autochtones ne fréquentent pas les écoles des réserves; ils fréquentent plutôt les écoles provinciales.

Pour répondre à votre question sur l'alphabétisation, je voudrais vous demander de regarder un acétate que j'ai utilisé dans le contexte d'une conférence que j'ai donnée hier. Cet acétate présente les résultats scolaires des élèves de 4e année — qui seraient âgés d'environ 8 ou 9 ans — dans les écoles de la Colombie-Britannique, pour le segment de lecture de l'examen. S'agissant des chiffres bruts, la province indique le pourcentage d'enfants dont les résultats correspondent aux attentes, ou les dépassent, pour l'âge en question. Pour l'ensemble de la population d'élèves de 4e année en Colombie-Britannique, le résultat pour le segment de lecture était de 80 p. 100 — c'est-à-dire que quatre enfants sur cinq lisaient à un niveau acceptable ou supérieur. Pour les enfants autochtones qui sont inscrits au système scolaire provincial, c'était trois enfants sur cinq.

Voilà donc des statistiques qui prouvent le bien-fondé de vos arguments au sujet de l'importance de l'alphabétisation. Déjà nous constatons que le rendement des enfants autochtones dans le domaine de la lecture est en deçà des attentes des enseignants des écoles primaires. Je vous ai cité cette statistique concernant les trois enfants sur cinq qui sont au niveau approprié — autrement dit, deux enfants sur cinq n'ont pas atteint le niveau approprié en matière de lecture — mais je précise que certaines écoles affichent de bien meilleurs résultats, alors que d'autres sont en retard. Voilà justement un autre aspect de ces données : on y relève d'importantes variations entre les écoles; les résultats ne sont pas uniformes.

Nous devrions nous intéresser de plus près à la situation des districts scolaires et des écoles qui s'en sortent bien. Que font-ils de positif? C'est ce travail-là que j'effectue actuellement en Colombie-Britannique, qui est la seule province où on peut examiner la situation particulière des écoles où les enfants autochtones ont un bon rendement en lecture, en écriture et en calcul. Nous essayons d'en dégager les grandes tendances. Est-ce le fait de la motivation des enseignants, la mobilisation des Autochtones du quartier, du désir des administrateurs de tenir des statistiques et de se préoccuper de ces questions? Il n'y a pas une seule réponse simple, mais vos propos concernant l'importance de l'alphabétisation sont tout à fait justes.

Le sénateur Fairbairn : J'ai un bref commentaire à faire. Depuis que je m'intéresse de très près à cette problématique, je constate que c'est vraiment le problème fondamental, et c'est d'autant plus vrai pour les collectivités autochtones. Les parents et les adultes peuvent apprendre si on leur donne la possibilité de le faire. Tout dépend de nous — c'est-à- dire les gouvernements et les intervenants qui travaillent sur le terrain pour améliorer la situation — il s'agit de travailler ensemble et de leur donner l'occasion d'apprendre.

Les parents eux-mêmes sont certainement les premiers enseignants. S'il leur est impossible de leur apprendre à lire des livres et à vouloir lire, les enfants auront déjà des problèmes avant même d'arriver à l'école.

M. Richards : J'ouvre une petite parenthèse pour vous dire que j'ai beaucoup travaillé au Bangladesh au cours des 15 dernières années. Il y a eu une augmentation massive du nombre d'élèves inscrits dans les écoles — environ trois fois plus — dans ce pays qui connaît de très graves problèmes. Bon nombre des parents sont analphabètes; à présent nous essayons d'élever une génération de garçons et de filles qui sauront lire et écrire et qui sauront quels moyens leur permettront de le faire.

Je vous invite à dire à vos collègues qui s'intéressent au travail de l'Agence canadienne de développement international, ou l'ACDI, de faire comprendre à cette dernière qu'elle doit insister davantage sur les programmes d'éducation et tenir compte des opinions des Canadiens qui possèdent une expérience pratique dans ce domaine. Dites donc aux responsables de l'ACDI d'insister davantage sur les programmes d'éducation dans les pays où nous sommes présents.

Le sénateur Fairbairn : C'est un problème fondamental.

Le sénateur Keon : Je suis fasciné par vos propos. Votre tentative pour disséquer cette situation terriblement complexe et nous la présenter sous une forme aussi simple que possible est tout à fait intéressante. Vous nous aidez peut-être à en comprendre les différents éléments pour être à même d'élaborer des solutions.

J'aimerais vous demander d'analyser le problème sous deux angles différents : d'abord, la pauvreté proprement dite et, deuxièmement, la pauvreté dans la mesure où elle concerne la santé de la population. Parlons d'abord de la pauvreté proprement dite.

Le commentaire le plus encourageant que j'ai entendu aujourd'hui concernait le programme mis sur pied en Saskatchewan. J'en avais déjà entendu un peu parler auparavant, mais, comme nous n'avons pas beaucoup d'information, il est évident que nous devrons nous renseigner davantage. Pourriez-vous nous parler un peu plus de ce programme, pour que nous commencions à mieux comprendre et mettre en application les divers concepts qui aideront à régler le problème de la pauvreté à proprement parler?

M. Stapleton : Merci pour cette question. S'agissant des suppléments de revenu, le gouvernement fédéral a annoncé la création de la Prestation fiscale pour le revenu gagné dans le discours du Trône. Ce programme entre en vigueur au début de l'année. Par contre, on ne sait toujours pas dans quelle mesure il est adapté aux besoins. M. Richards se pose des questions à ce sujet et pense qu'il vaudrait peut-être mieux qu'un tel programme soit exécuté au niveau provincial, plutôt qu'au niveau fédéral.

Par contre, la réceptivité du régime fiscal fédéral ne cesse de s'améliorer. C'est en 1978 que des prestations annuelles ont été versées pour la première fois par le biais du régime fiscal. Avec l'avènement du Crédit pour taxe sur les produits et services, le gouvernement a commencé à verser les crédits sur une base trimestrielle, et grâce au Supplément de la prestation nationale pour enfants, les prestations sont maintenant versées sur une base mensuelle. Dans le cas de la Prestation fiscale canadienne pour enfants, par exemple, un état est envoyé en juillet de chaque année à tous les parents qui reçoivent cette prestation pour leur indiquer combien ils toucheront au cours de l'année suivante. Si l'enfant n'habite plus chez les parents ou si ces derniers font l'objet d'une vérification fiscale ou quelque chose de ce genre, le montant indiqué sur le relevé est celui auquel ils peuvent s'attendre tout au cours de l'année suivante. Ainsi ils sont mieux placés pour planifier leurs activités en fonction de ce montant. Cela leur est possible car, contrairement aux prestations d'assistance sociale, à d'autres prestations et aux loyers dans les logements sociaux qui varient constamment, les parents savent qu'ils vont toucher ce montant. Il est très important de leur offrir des prestations de ce genre.

Je travaille directement avec les personnes à faible revenu vivant à Toronto, et ces dernières me parlent sans arrêt, pas seulement de la suffisance des prestations ou de la déconsidération sociale qui accompagne le statut de prestataire, mais aussi de la fiabilité des prestations. Un peu comme les chèques de paie qu'on attend de recevoir, les prestations arrivent régulièrement, et les gens savent généralement combien ils vont toucher. Or ce n'est pas nécessairement le cas des prestations d'assistance sociale, des loyers dans les logements sociaux ou des subventions versées au titre de la garde d'enfants.

En conséquence, les gens peuvent difficilement bien organiser leur vie. Je voudrais dire ceci à propos de la Prestation fiscale pour le revenu gagné : si le gouvernement fédéral est en mesure de faire des versements mensuels, dont le montant est établi 12 mois à l'avance pour que les gens puissent y compter, je pense qu'il serait possible de commencer à régler les problèmes des travailleurs pauvres. Ces personnes pourraient commencer à planifier leur vie de façon productive.

Quand l'accès à une prestation comme la Prestation fiscale pour le revenu gagné dépend du fait d'avoir ou non un emploi d'une semaine à l'autre, les gens ont beaucoup de mal à s'en sortir. Ils sont pris dans un cycle qui oscille constamment entre la prospérité et l'austérité. C'est justement cela qui arrive aux assistés sociaux qui ne savent pas où ils vont trouver leur prochain dollar. Il serait préférable de mettre sur pied des programmes qui assurent des prestations stables, plutôt que d'en créer qui sont trop réactifs et fluctuent de façon excessive. Ce n'est pas une bonne idée d'avoir des programmes où le montant des prestations varie tous les 15 jours.

M. Richards : Je suis un peu en porte-à-faux par rapport aux autres. Je ne voudrais pas dissimuler un élément de désaccord entre mon collègue et moi. J'attache de l'importance à l'emploi et à ses multiples avantages — par exemple, la possibilité pour les parents d'être des modèles pour leurs enfants et d'échapper à la dépression. Je suis donc prêt à accepter certains des coûts inévitables qui font partie intégrante d'un régime provincial étroitement lié aux revenus d'emploi — contrairement à M. Stapleton, qui préfère des transferts plus stables qui, à la limite, correspondent à une sorte de revenu annuel garanti. Je ne suis pas en train de vous dire que c'est ce que préconise M. Stapleton. Par contre, M. Stapleton a tendance à insister sur la nécessité d'accroître les revenus des familles d'une façon ou d'une autre, alors que moi, j'insiste sur la nécessité de les faire travailler, d'une façon ou d'une autre.

Pour moi, la non-insistance sur l'emploi parmi les personnes à risque constitue l'une des plus graves erreurs de la politique sociale canadienne depuis 25 ans. Certains des problèmes très réels que nous connaissons maintenant découlent du fait de ne pas avoir suffisamment insisté sur l'emploi. Je ne suis pas en train d'attaquer la moralité des personnes marginalisées. Par contre, je sais que dans certaines réserves, dans certaines communautés caractérisées par un faible revenu et dans certains quartiers qui ressemblent à des ghettos dans nos villes canadiennes, il est tout à fait acceptable de ne pas travailler. Même si cela crée d'importantes pathologies, dans ces milieux-là, on estime qu'il est tout à fait acceptable de dépendre de transferts d'un type ou d'un autre pour vivre.

Par conséquent, il est très important que le travail soit payant pour les personnes marginalisées. Le grand avantage d'un système provincial de distribution rapide des prestations est le fait que ce supplément de revenu ressemble à un salaire. Les prestations peuvent être versées au compte du bénéficiaire dans une caisse de crédit de Swift Current, en Saskatchewan, en moins de deux semaines. Le montant des prestations peut être généreux, et devrait l'être. Pour le moment, ce programme s'adresse uniquement aux travailleurs qui ont des enfants. Mais, je ne m'oppose aucunement à la possibilité qu'il soit élargi pour comprendre les adultes vivant seuls qui possèdent de faibles capacités. Les personnes seules sont souvent en situation de pauvreté grave.

Je me permets de vous faire une dernière mise en garde au sujet des suppléments de revenu : comme d'autres types de prestations ciblées, ces derniers sont visés par une disposition de récupération fiscale à partir d'un certain seuil. Ainsi le comité devrait fustiger les gouvernements à la fois fédéral et provinciaux qui, de façon générale, ferment les yeux sur ce problème. L'administration fédérale et les provinces ont créé des situations où les travailleurs pauvres qui dépassent le seuil établi pour l'accès à l'aide sociale n'envisagent pas de suivre des cours de formation avancée, étant donné que, s'ils touchent 100 $ de plus par mois, ils vont en perdre 75 $ en tout en raison des primes d'assurance-emploi, des primes du RPC, de la réduction des prestations pour enfants qu'ils touchent, et cetera.

D'ailleurs, ma province natale bien-aimée de la Saskatchewan n'est pas à l'abri de cette critique.

Le sénateur Keon : J'ai l'impression que nous réussissons à bien cibler un certain nombre de secteurs où il existe des problèmes, par exemple, la santé maternelle et celle des enfants. Il est possible d'agir sur la santé des enfants de diverses façons, mais le moyen le plus efficace sera certainement le Programme des écoles en santé, si nous sommes en mesure de l'établir d'un bout à l'autre du pays. Nous pouvons également orienter davantage nos efforts afin d'améliorer la santé maternelle.

Selon vous, est-il effectivement possible de recenser les domaines où il existe des problèmes de santé particuliers et de faire des recommandations sur l'amélioration de l'état de santé des personnes vivant dans des milieux pauvres?

M. Richards : Pour vous faire une réponse rapide, je dirais qu'il est effectivement possible de faire des améliorations. On pourrait peut-être m'accuser de trop insister sur la situation des Autochtones, un groupe que j'étudie et avec lequel je travaille depuis presque 10 ans.

Si nous examinons de façon générale tout ce qui s'est fait au cours des années depuis 1975, eh bien, au cours des 15 premières années, nous avons réussi à améliorer la qualité des soins de santé maternelle et d'autres services de santé auxquels ont accès les Autochtones. Vers le milieu des années 1970, le taux de mortalité infantile chez les Autochtones vivant dans la réserve était deux fois et demie plus élevé que celui de la population canadienne générale, et c'est tout à fait inadmissible. Grâce à l'amélioration des services, le taux de mortalité infantile dans les collectivités autochtones se rapproche beaucoup de celui des enfants canadiens en général.

Par contre, au cours des 15 dernières années — c'est-à-dire depuis 1990 — il n'y a eu guère de changement en ce qui concerne l'écart entre la population générale et les Autochtones en ce qui concerne l'espérance de vie à la naissance. Nous avons réussi à réduire cet écart, qui était de 12 ans au milieu des années 1970, à six ans en 1990, surtout en améliorant la qualité des services qui leur sont fournis.

Toutefois, il n'y a eu guère de changement depuis une quinzaine d'années. Je dirais que cette absence de changement est surtout le fait de maladies liées au mode de vie des Autochtones qu'il est impossible d'enrayer simplement en améliorant les services. Par exemple, il y a des problèmes d'obésité infantile qui se transforment, à l'âge adulte, en diabète de type 2. Il y a aussi le phénomène de la dépression, notamment chez les garçons. Au Nunavut, cinq jeunes Inuits sur six qui se suicident sont des garçons, et non des filles.

Les pathologies du chômage touchent davantage les garçons que les filles. On peut peut-être me reprocher de trop insister sur ce thème de l'emploi dans le contexte d'une politique anti-pauvreté. Si je le fais, c'est parce que, d'après ce que j'ai retenu des études sur la question, on ne tient pas suffisamment compte des effets bénéfiques du travail chez les personnes que nous devrions cibler à cause de nos inquiétudes au sujet de la pauvreté. Il reste que je ne cherche pas à écarter les préoccupations de M. Stapleton.

M. Stapleton : Pour vous répondre rapidement, je vous signale qu'il existe un certain Christopher Sarlo, qui travaille pour l'Institut Fraser, et qui est l'auteur du plus faible seuil de la pauvreté au Canada. Selon ses calculs — et il s'agit de la mesure la plus absolue de la pauvreté qu'on puisse avoir pour les personnes seules — le seuil est de 9 856 $ par année — il y a deux ans de cela. Le montant maximum d'aide sociale qu'une personne seule en Ontario puisse recevoir actuellement est de 7 200 $ par an, si les versements s'étendent sur toute une année.

La dame dont je vous ai parlé plus tôt, qui touchait également 7 200 $ par an en tant que gardienne de sécurité à temps partiel, est toujours en deçà de ce seuil de la pauvreté. Il lui manque encore 2 500 $ par rapport à ce que l'Institut Fraser considère comme étant la plus faible somme nécessaire pour survivre. Bref, la réponse à votre question est non.

Le sénateur Cordy : Merci beaucoup. Cette discussion est très intéressante et nous pouvons tous en conclure que la pauvreté est un problème qui exige de multiples solutions. Malheureusement, une seule mesure ne suffira pas. Nous souhaitons tous que la solution soit simple, mais nous avons tous compris que ce n'est pas le cas.

Je suis d'accord pour dire que le travail et la possibilité pour les parents d'être des modèles pour leurs enfants sont très positifs. Un emploi assure un certain revenu et améliore l'estime de soi, ce qui a pour conséquence d'améliorer la santé mentale générale de la famille et tous les autres éléments dont nous avons parlé tout à l'heure.

On peut parler des assistés sociaux et examiner toutes les statistiques, mais il reste que la pauvreté continue d'exister au Canada. Nous parlons du fait que les enfants vivent dans la pauvreté, ce qui veut dire que les familles sont pauvres. S'agissant de l'assistance sociale, il semble que nous soyons disposés à donner aux familles qui bénéficient de l'aide sociale suffisamment d'argent pour exister, mais pas assez pour échapper à ce système.

Nous entendons souvent parler du « cycle de la pauvreté » ou du « cycle de l'aide sociale », et il me semble qu'il faut justement faire davantage si nous souhaitons que les gens puissent réussir à échapper au cycle de l'aide sociale.

Je sais qu'il y a eu tout un débat en Nouvelle-Écosse dernièrement, parce que les bénéficiaires d'aide sociale devaient toucher une grande augmentation. Or il s'agissait d'une augmentation de moins de 10 $ par mois. On ne changera jamais la vie de quiconque en lui donnant 10 $ de plus par mois ou 2 $ de plus par semaine.

Que faire donc pour aider les gens à sortir du cycle de la dépendance sociale? Que peut-on faire? À cause du système actuel, les assistés sociaux peuvent se trouver dans une situation où ils n'ont aucun moyen de transport leur permettant d'avoir un emploi, étant donné qu'ils n'ont pas les moyens d'acheter une voiture, et en même temps, ils peuvent avoir des problèmes de garde d'enfants. Nous ne facilitons pas la tâche à ceux qui sont prêts à faire le premier pas vers la rupture du cycle de la dépendance sociale.

M. Richards : Sénateur, vous faites valoir un premier argument qui est en fait le plus important. La pauvreté est un problème multidimensionnel pour lequel il n'y a pas qu'une seule solution. Si j'ai réussi à différencier ma position dans le contexte de ce débat, c'est bien par l'accent que je mets sur l'emploi.

Si j'étais sous-ministre provincial responsable du budget des services sociaux, et si je devais déterminer comment je dépenserais X millions de dollars de plus qui ont été accordés à mon ministère, je peux vous dire — et je suis très franc — qu'il est peu probable que ma première réaction soit de relever le montant des prestations d'aide sociale. Je chercherais plutôt à améliorer les suppléments de revenu. Il faut que le travail soit plus payant. À ce moment-là, les parents seront plus à même de payer ou de trouver des services de garde d'enfants appropriés.

Sans vouloir être facétieux, les transports publics au Canada sont absolument abominables. À Vancouver, mes étudiants considèrent que l'autobus est le moyen de transport des losers. Nous sommes tout à fait disposés à investir 2 milliards de dollars dans la construction d'une ligne additionnelle du système de transport public qui permettra de transporter les gens de l'aéroport au centre-ville de Vancouver, et ce en prévision des Jeux olympiques d'hiver. Par contre, nous ne sommes pas disposés à investir dans l'exploitation d'un bon système d'autobus.

Et vous avez raison en ce qui concerne les coûts de transport pour ceux qui travaillent. Comment se fait-il que nous trouvions X milliards de dollars pour construire des métros ou nous attaquer à d'autres questions qui ont été fortement médiatisées, mais que le bon fonctionnement de notre humble système d'autobus ne soit pas une priorité?

Je ne cherche pas à vous faire des réponses faciles; j'essaie simplement d'illustrer les multiples facettes des problèmes que nous examinons ce matin.

M. Stapleton : Cette même question aurait pu être posée en 1947 au sujet des personnes âgées, puisque nous avions un programme d'assistance-vieillesse qui était tout à fait l'équivalent du Programme d'assistance sociale. Au cours des 30 années qui ont suivi, nous avons cessé d'appliquer ce programme, qui était essentiellement un programme d'assistance, pour leur offrir le programme moderne de Sécurité de la vieillesse et de SRG qui est actuellement en vigueur, et c'est grâce à cela que la plupart des personnes âgée ne vivent plus dans la pauvreté.

La même question aurait pu être reposée en 1995 et 1996 à l'époque où la plupart des enfants pauvres bénéficiaient de programmes d'assistance sociale, alors que nous avons maintenant la Prestation nationale pour enfants, la PNE, et le Supplément de la prestation nationale pour enfants ou SPNE. Ainsi on peut dire que, grâce à ces deux mesures, les enfants ne font plus partie de la clientèle des programmes d'assistance sociale.

Mais, il n'y a vraiment aucune raison au Canada de ne pas se poser la question que vous venez de poser. Si nous avons réussi à trouver d'autres solutions qui font que les personnes âgées et les enfants ne font plus partie de la clientèle des programmes d'assistance sociale, pourquoi ne pourrions-nous pas envisager de trouver pour les adultes en âge de travailler d'autres solutions qui leur permettent de ne plus être assistés sociaux?

Je suis d'accord avec M. Richards dans la mesure où il considère le travail comme une solution potentielle. Nous avons au Canada une demande nette sur le marché du travail. Il suffit d'offrir les avantages sociaux dont vous parlait M. Richards. Même si nous ne sommes pas tout à fait d'accord sur la structure et l'application de mesures de ce genre, nous sommes d'accord pour dire qu'il faut créer un certain nombre de programmes de base. Il ne s'agit pas d'accorder un revenu annuel garanti car, premièrement, selon notre façon de concevoir cette mesure, il n'y aurait pas de garantie; deuxièmement, ce n'est pas un revenu annuel; et troisièmement, ce n'est pas vraiment ce qu'on pourrait qualifier de revenu. Par contre, c'est une mesure qui permet de créer une prestation sociale qui serait généralement disponible.

S'agissant des personnes âgées, nous avons une prestation générale, c'est-à-dire la Sécurité de la vieillesse, qui est une prestation fondée sur le revenu, de même que le programme des Régimes enregistrés d'épargne-retraite, ou REER. De plus, nous avons un supplément ou ce qu'offre le gouvernement sous forme de déductions fiscales. La même chose existe pour les enfants — c'est-à-dire une prestation de base pour enfants, une prestation fondée sur le revenu appelé le SPNE, et maintenant nous avons également le programme des Régimes enregistrés d'épargne-études ou REEE. Nous avons également d'autres prestations, telles que le Bon d'études canadien et la Subvention canadienne pour l'épargne- études. Il n'y a pas de raison que nous ne puissions faire la même chose pour les adultes en âge de travailler et en tirer un bon modèle d'action. Cela a été fait deux fois, en 1947 et en 1995. Faisons-le à nouveau.

Le sénateur Cordy : Donc, il n'y a vraiment pas de raison de ne pas offrir ces mêmes avantages aux adultes en âge de travailler en créant un très bon modèle. Pour ce qui est des adultes en âge de travailler, vous avez tous les deux fourni une bonne description, mais vous parlez plutôt des mesures qu'on pourrait prendre. Or le marché du travail de nos jours offre beaucoup de travail à temps partiel et de travail contractuel, ce qui veut dire qu'il n'y a pas d'avantages sociaux, et il existe donc, dans certains cas, une désincitation à réintégrer le marché du travail en raison des mesures de récupération fiscale. Vous avez mentionné la possibilité de supplément de revenu, possibilité que nous devrions certainement explorer.

Mais il arrive aussi que les gens perdent leurs prestations. Je suis au courant du cas d'une personne en Nouvelle- Écosse qui a dû quitter son emploi parce qu'elle ne pouvait plus se permettre d'acheter des médicaments pour ses enfants, si bien que la famille s'est trouvée en bien plus mauvaise posture. Avez-vous songé à la possibilité de permettre aux gens de réintégrer progressivement le marché du travail, en exploitant certaines des idées que vous avez avancées, mais aussi en assurant de bonnes communications entre les ministères pour coordonner la distribution des prestations?

M. Richards : Il existe de nombreux obstacles cachés à l'emploi qui prennent la forme de pertes de service lorsque les gens cessent d'être assistés sociaux et deviennent des citoyens ordinaires. Ils peuvent perdre des avantages tels que les soins dentaires ou des subventions pour le transport. Il existe de nombreux problèmes administratifs de cette nature.

Pour reprendre votre exemple des médicaments, le rôle grandissant des médicaments, en tant que composante du système des soins, correspond à un changement majeur qui s'est opéré au cours de la dernière génération. Quand Tommy Douglas, dans ma province natale de la Saskatchewan, a créé le premier système d'assurance-santé dans les années 1960, les médicaments étaient — relativement parlant — beaucoup moins importants. À l'heure actuelle, la part des médicaments dépasse celle des honoraires de médecins par rapport à l'ensemble des dépenses du système de soins de santé; en même temps, nous n'avons toujours pas de programme approprié d'assurance-médicaments universel. Ce n'est d'ailleurs pas tâche facile. Cela suppose que des sous-ministres rigoureux réussiront à organiser des formulaires et à prendre certaines décisions au sujet de la structure d'un tel régime. J'invite le comité à consacrer une page ou deux aux raisons pour lesquelles un programme d'assurance-médicaments s'impose.

M. Stapleton : M. Richards a parlé des taux effectifs marginaux d'imposition visant les personnes qui bénéficient d'avantages sociaux complémentaires et, jusqu'à un certain point, je suis d'accord avec lui. Cependant, nous avons toujours les programmes d'assistance sociale au Canada. Il est certain que ceux qui ont exclu certaines personnes au cours des années 1990 avaient des taux de récupération de 100 p. 100. Selon ce qu'affirme M. Richards dans son article, la solution consiste à exclure certaines personnes du régime. Personnellement, j'estime qu'il faut créer ces avantages complémentaires pour ceux qui travaillent et offrir des prestations — qui ne soient pas des prestations d'assistance sociale — aux adultes en âge de travailler, comme nous l'avons fait pour les personnes âgées et les enfants.

[Français]

Le sénateur Pépin : J'aimerais revenir à l'éducation des enfants. Certains enfants laisseront leurs études parce qu'ils ne sont pas motivés. Vous avez parlé également de l'éducation ciblée dans la petite enfance.

Actuellement, l'éducation au primaire est obligatoire au Québec. Si on faisait de même avec les services de garde, ils seraient à la disposition de tous, sans que les parents soient obligés de payer un minimum de sept ou 10 dollars.

Ne pensez-vous pas que ce serait mieux pour les enfants? Ils arriveraient au primaire mieux disposés parce qu'ils auraient été stimulés. Cela permettrait aussi aux parents de se trouver un emploi.

Si les enfants sont pris en main à partir de l'âge de un ou de deux ans et qu'ils sont stimulés tous les jours, ce sera beaucoup plus facile pour eux au primaire et cela pourrait diminuer les décrochages scolaires plus tard.

M. Richards : Vous abordez un aspect très important de la discussion. Je ne suis pas expert des centres de la petite enfance au Québec, c'est le programme universel au Québec. Il n'y a pas eu beaucoup d'études qui ont examiné la performance de ce programme.

J'ai peut-être tort, pour être franc. La seule étude effectuée par des universitaires importants a démontré que chez les familles avec deux parents, il n'y avait pas de grandes améliorations psychologiques. Par contre, une vaste quantité d'études démontrent que, dans des conditions défavorisées, avec des familles monoparentales par exemple, parmi les pauvres, cela est extrêmement important.

Je reviens à mon métier d'économiste. Nous pensons toujours aux coûts. Le coût de ce programme de centres de la petite enfance pour le Québec est très élevé. Il en coûte plus de 2 milliards par année à la province. Je vous pose la question : Si vous étiez ministre responsable de ce dossier, accorderiez-vous 2 milliards de dollars à ce programme plutôt que de privilégier ceux qui sont défavorisés et peut-être dépenser davantage sur d'autres programmes, qui pourraient contribuer au soutien et à l'emploi des pauvres?

Pour généraliser ce qui s'est passé au Québec, ce sont les biens nantis qui ont le plus profité de ces garderies à sept ou 10 dollars. Si on regarde ceux qui les utilisent, disproportionnellement ce sont les gens qui sont relativement aisés financièrement qui ont accès aux meilleures garderies.

À mon avis, on n'a pas prêté suffisamment attention aux avantages que fournissent ces institutions, si on peut bien les cibler. Mais si on arrive à bien cibler, je crois qu'il s'agit là d'une priorité tout à fait différente. Que ce soit les Autochtones de chez nous, dans les Prairies, que ce soit dans les familles monoparentales ou dans les quartiers défavorisés de nos villes, c'est un programme qui devrait être crucial, mais nous sommes toujours aux prises avec des questions de budget. Le Québec compte parmi les provinces les plus aux prises avec cette problématique.

Le sénateur Pépin : Je sais qu'il existe des garderies où, grâce à des programmes sociaux, les parents ne paient pas et où il y a même un psychologue-psychiatre qui fait des visites une fois aux deux semaines afin de rencontrer les enfants sur place pour essayer de voir s'ils ont des problèmes spécifiques et tenter de les aider. Je suis d'accord avec vous, il faut choisir où placer nos budgets. Je persiste à croire que dans une famille monoparentale, cela donne une chance à la mère de se trouver un travail et dans la plupart des cas, ce sont des familles monoparentales qui sont concernées.

[Traduction]

M. Stapleton : Je voudrais ajouter qu'il y a une récente publication de l'OCDE, intitulée Bébés et employeurs — Comment réconcilier travail et vie de famille : Synthèse des résultats dans les pays de l'OCDE. Le Canada est cité comme exemple. Mais, par rapport à tous les autres pays de l'OCDE, le Canada se trouve au dernier rang pour ce qui est de scolariser les enfants avant l'âge de 5 ans. Là, notre bilan n'est pas particulièrement positif, surtout quand nos résultats sont comparés avec ceux d'autres pays.

Une autre conclusion de cette étude, qui concerne plus particulièrement le Canada, est le fait que les parents seuls qui ne travaillent pas sont parmi les personnes les plus pauvres de l'ensemble des pays de l'OCDE. Une attention plus particulière est portée à la situation de ces personnes au Canada, et on exhorte les pouvoirs publics à faire davantage dans ce domaine.

Le sénateur Trenholme Counsell : Bravo!

Le président : Le rapport de l'OCDE est également à l'étude dans ce comité. Le sénateur Trenholme Counsell s'y intéresse tout particulièrement, ainsi qu'à la question que vous venez de soulever.

Le sénateur Brown : J'ai trouvé les exposés de ces deux messieurs tout à fait fascinants. À mon avis, l'un d'entre eux a trouvé la bonne solution par rapport à la problématique actuelle. Depuis une génération, et presque deux, j'entends dire que l'assistance sociale n'est pas une bonne solution et que, dès que les gens commencent à gagner un peu d'argent, on le leur enlève.

Il est donc temps que nous fassions front uni pour revendiquer que les mesures de récupération fiscale soient supprimées, où qu'elles existent, qu'il s'agisse d'avantages sociaux prenant la forme de soins dentaires ou de certains frais qui sont exigés auprès des assistés sociaux, et cetera. Ainsi nous pourrions au moins aider les générations qui ont maintenant de mauvaises conditions de vie, ainsi que leurs enfants.

En ce qui concerne l'avenir, je suis d'avis — et je pense que M. Richards est d'accord — que le travail est sans doute la question la plus importante que nous devons régler. Le fait est que les gens réagissent de façon positive lorsqu'ils sont récompensés. Je croyais que c'est justement ce qui m'arrivait quand je suis devenu sénateur, mais étant donné le nombre d'heures que je dois consacrer à mon travail au Sénat, je dis que c'est peut-être une punition, plutôt qu'une récompense.

Quoi qu'il en soit, je suis fermement convaincu que les gens réagissent lorsqu'ils sont récompensés. La question du travail suscite beaucoup d'émotions. Il reste que le travail prévient la dépression et améliore l'estime de soi. Il a de nombreux effets différents. Nous savons tous à quel point le travail est important.

Enfin, je voudrais parler de l'avenir, et tout le monde semble penser que l'alphabétisation des enfants est critique sur ce plan-là. Je regardais une émission fascinante — c'était peut-être 60 Minutes. On parlait d'un Américain qui a connu un succès extraordinaire dans le domaine de l'informatique. Maintenant il voudrait faire quelque chose dans le domaine de l'alphabétisation des enfants. Il a donc élaboré des programmes et il fait le tour du monde pour distribuer des ordinateurs portatifs. C'est un homme extraordinairement ambitieux. Il ne veut pas simplement distribuer des ordinateurs portatifs aux enfants défavorisés vivant aux États-Unis ou au Canada; il veut faire ça dans le monde entier.

C'est à ce moment-là que j'ai commencé à me poser des questions. Cet homme pense que, s'il donne des ordinateurs aux enfants du Bangladesh, ils vont apprendre à lire et à écrire. Moi, je me disais qu'ils n'ont sans doute pas d'électricité et, donc, une fois que la pile sera morte, l'ordinateur ne marchera plus.

Mais voilà qu'il a créé un système semblable à celui qu'on utilisait pour les toupies — on tirait sur un fil pour la faire tourner — et son système est raccordé à un satellite. Pour conclure mon histoire, il vise, non pas un million d'enfants, mais un milliard d'enfants dans le monde entier. Une grande entreprise a essayé de racheter sa compagnie, mais il leur a dit qu'il n'en était pas question, et maintenant ils travaillent ensemble.

C'est un rayon d'espoir en ce qui concerne l'alphabétisation des enfants et un projet dont je n'avais pas entendu parler précédemment.

Le président : Merci, sénateur. Nos invités souhaitent-ils réagir?

M. Richards : Ce monsieur devait tenir compte de l'état du réseau d'électricité au Bangladesh en concevant son système informatique. Les ordinateurs sont munis d'une manivelle, si bien qu'on peut les activer manuellement en attendant que le réseau d'électricité très peu fiable du Bangladesh fournisse de nouveau de l'électricité.

Le président : Le rapport du sénateur Kroll, comme je l'indiquais au début de la réunion, remonte à 1971. Il préconisait la création d'un revenu annuel garanti. À l'heure actuelle, le discours s'articule davantage autour de l'impôt négatif. L'un des organismes que nous avons reçus comme témoins — soit Campagne 2000, soit le Caledon Institute of Social Policy; je ne m'en rappelle plus — a pondu une nouvelle expression pour décrire ce genre de choses, mais c'est un type de régime universel qui suppose une réforme générale de l'ensemble des programmes actuellement en vigueur.

J'aimerais que chacun d'entre vous m'indique les avantages et les inconvénients d'un tel régime. J'aimerais aussi que vous en parliez dans le contexte d'une récession, par opposition au contexte actuel. L'économie est assez forte. Nous avons parlé des statistiques de M. Richards concernant le temps qu'il a fallu pour en arriver là, mais qu'arrivera-t-il si le marché du travail subit une baisse importante? Vous mettez beaucoup l'accent sur le travail. Qu'arrivera-t-il si, tout d'un coup, notre économie n'est plus aussi saine et qu'il nous arrive d'être en récession? Que fera-t-on à ce moment-là? Et quel est le rapport avec un programme d'impôt négatif — si c'est bien ainsi que vous le nommez?

M. Stapleton : Le problème que présente le revenu annuel garanti n'est pas le concept lui-même, mais plutôt le fait que certains y voient un moyen d'obtenir de l'argent pour rien. Les Canadiens — et les citoyens d'autres pays également, je suppose — ont rejeté l'idée de donner quelque chose à quelqu'un pour rien.

Il faut donc changer de terminologie. Il faut cesser de parler de « garanties » et de « droits » et de ce genre de choses; il faut plutôt parler des besoins des citoyens. Voilà pourquoi j'ai bien aimé votre observation au sujet de l'effet d'une récession.

Quand l'économie est prospère, nous avons tendance à étoffer les programmes d'aide sociale, et ensuite, quand nous nous retrouvons dans une récession, étant donné que nous n'avons plus d'argent, nous excluons tout le monde. M. Richards semble penser que c'est une bonne chose.

Pour ma part, je pense qu'il faut mettre de tels programmes à l'abri d'une récession. Il ne s'agit pas de dire aux personnes âgées et aux enfants : « Eh bien, nous sommes en pleine récession, et par conséquent, vos revenus vont diminuer de 20 p. 100 ou de 10 p. 100; nous allons adopter des règles plus strictes pour que vous ne puissiez plus toucher de prestations. » Or nous pouvons toujours nous permettre, semble-t-il, de financer ce type de programmes.

Des programmes plus généralement disponibles — et certainement des programmes qui aident les travailleurs et soutiennent le travail — constituent la meilleure solution, puisque nous sommes actuellement dans une période de demande nette sur le marché du travail. Donc, donner un peu plus d'argent aux gens pour leur permettre de joindre les deux bouts, étant donné qu'ils n'y arrivent pas en travaillant — ne va pas les inciter à se dire : « Puisque vous me donnez un peu d'argent, je vais abandonner mon emploi. » Personne ne réagit de cette façon. Et, ce n'est certainement pas la façon de réagir des pauvres. Ils deviennent prisonniers de ces programmes justement en raison de la situation décrite par le sénateur Brown, qui disait que, dès lors qu'ils gagnent un dollar, on leur prend un dollar. Mais on n'a pas du tout fait cela pour les prestataires des programmes destinés aux enfants ou aux personnes âgées.

Nous pouvons nous permettre — nous l'avons déjà prouvé — de créer ces programmes et de les mettre à l'abri d'une récession. S'agissant d'un revenu annuel garanti, le secret le mieux gardé au Canada est justement le fait que nous avons d'ores et déjà un revenu annuel garanti, qui prend la forme du crédit pour taxe sur les produits et services. Le seul problème, c'est que le montant du crédit est très faible.

M. Richards : Sénateur, je voudrais répondre à vos deux questions dans l'ordre inverse. Je résume : premièrement, qu'arrive-t-il s'il y a une récession et, deuxièmement, qu'en est-il d'un revenu annuel garanti ou d'un système d'impôt négatif?

Pour répondre à votre question concernant les récessions, je peux difficilement imaginer une intervention plus appropriée en période de récession que l'assistance sociale, qui devrait être à la fois généreuse et accessible. Toutefois, il faudrait que l'admissibilité au programme soit déterminée par des travailleurs sociaux, et à cet égard, j'ai évoqué l'analogie de l'omnipraticien qui travaille au sein du système de soins. En ce qui me concerne, l'assistance sociale n'est pas un programme auquel certains ont automatiquement droit.

Il est vrai que nous avons connu 10 ans de reprise économique ainsi qu'une augmentation du taux d'emploi — deux éléments positifs qui ont permis de réduire le taux de pauvreté. En même temps, je trouve positif que nous ayons réussi à réduire le recours à l'assistance sociale d'environ 50 p. 100. Des erreurs ont été commises par le passé, mais ce résultat est le fait d'un ensemble de mesures d'incitation qui ont fait augmenter le taux d'emploi — un thème important sur lequel je reviens constamment. Pour la plupart des gens, les revenus d'emploi constituent le plus souvent leur principale source de revenu.

M. Stapleton fait allusion aux mesures très importantes que nous avons prises, évidemment, afin de réduire, et de plus ou moins éliminer, la pauvreté chez les aînés en versant une sorte de revenu garanti aux personnes âgées de plus de 65 ans. La distinction essentielle à faire dans ce contexte concerne l'estime de soi, de même que tous les autres avantages qui découlent du travail, et qui ne concernent pas les personnes âgées de plus de 65 ans. Donc, on ne peut établir un parallèle entre ces deux groupes pour cette raison-là. Nous ne nous attendons pas à ce que les taux d'emploi soit les mêmes pour les personnes âgées de plus de 65 ans — et, malheureusement, je vais y arriver plus tôt que je ne le souhaite. Là il existe d'importante désincitation au travail.

Mais, nous ne nous en préoccupons pas beaucoup, bien que les problèmes budgétaires que nous risquons de rencontrer, étant donné le vieillissement de la population et la montée en flèche des budgets dévolus aux soins de santé — nous obligerons peut-être à examiner plus sérieusement les désincitations à employer des personnes âgées de plus de 65 ans.

Pour en revenir maintenant à votre première question au sujet d'un revenu annuel garanti, j'avoue que c'est une question complexe. Il s'agit de savoir quel degré de générosité nous semble approprié à l'égard des pauvres, qui n'ont pas de gains — par exemple, pour prendre un chiffre au hasard — 15 000 $ pour un parent ayant un enfant. Si nous offrons des incitations raisonnables à travailler en appliquant un faible taux de récupération fiscale, nous finirons par avoir des familles avec des gains se situant entre 30 000 $ et 40 000 $ qui auront à payer des impôts excessivement élevés. Nous aurons donc créé un énorme fardeau budgétaire. Chez les individus vraiment pauvres, qui ont des revenus négligeables — des gains, mettons, inférieurs à 10 000 $ ou 15 000 $ — nous supposons que, s'ils sont qualifiés et jugés admissibles, ils toucheront un certain revenu. Ce n'est peut-être pas suffisant, selon M. Stapleton, et je suis d'ailleurs sensible à sa plaidoirie en faveur d'une augmentation des niveaux de prestations d'aide sociale; mais on ne peut pas se permettre d'envisager cette possibilité dans le contexte général des incitations liées aux dispositions de récupération fiscale. Il est évident qu'il faudrait à ce moment-là prévoir une disposition de récupération fiscale assez musclée, de l'ordre de 75 p. 100 dans la plupart des provinces.

Le raisonnement qui sous-tend cette proposition est tout à fait valable. Il faut faire preuve d'humanité et de générosité à l'endroit des personnes qui n'ont pas de revenu; mais, le fait est que ces mêmes personnes ont souvent une multiplicité de problèmes. Elles ont peut-être des problèmes de maladie mentale ou des incapacités physiques. Normalement, elles entretiennent des contacts avec des agences de services sociaux.

S'agissant des dispositions de récupération fiscale, je m'inquiète surtout de la situation d'une mère seule, par exemple, qui gagne 25 000 $ et à qui on appliquera un taux effectif d'imposition de 80 p. 100. C'est inadmissible. Mais, cela coûte cher de régler de tels problèmes. Les partis politiques sont beaucoup plus intéressés à inclure dans leur plate- forme électorale des initiatives anti-pauvreté — et je suis ravi de constater que le Parti libéral souhaite relever le profil de la pauvreté — et à dire aux électeurs qu'ils vont relever certains types ou un certain nombre de transferts. Quand à savoir ce qu'il faut faire pour régler le problème de la récupération fiscale chez les personnes qui sont presque pauvres, je doit dire que le situation est loin d'être claire. Cela n'excuse aucunement la mesure adoptée en Saskatchewan, qui a donné un très mauvais exemple en prévoyant un taux de récupération de 91 p. 100.

Le sénateur Munson : Monsieur Stapleton, j'ai bien aimé que vous nous fassiez remarquer que nous avons fait certaines choses pour les personnes âgées et pour les enfants, et qu'il faut donc faire de même pour les adultes en âge de travailler. Au début de notre discussion il y a deux heures, vous avez mentionné un chiffre — que nous n'avons pas vraiment retenu — à savoir l'excédent de 54 milliards de dollars du Compte d'assurance-emploi. On a accusé les gouvernements antérieurs de vouloir amasser de l'argent, et l'opposition les a vivement critiqués pour cette façon de faire. Mais, une fois qu'ils sont au pouvoir, ils se rendent compte qu'ils aiment bien avoir cet argent. Le gouvernement actuel est pareil. Dans l'esprit de Noël et de la saison des Fêtes, nous devrions nous demander pour quelle raison nous tenons à garder cet argent? Ce n'est pas en prévision d'une récession. Le fait est que le gouvernement — quelle que soit son allégeance politique — tient à conserver cet argent et donc, en ce qui me concerne, ferme les yeux sur la situation des adultes en âge de travailler.

M. Stapleton : J'ai cité tout à l'heure l'exemple d'une personne dont les revenus d'emploi sont de 7 200 $ par an, soit 2 500 $ de moins que le seuil de la pauvreté absolue établi par Christopher Sarlo pour le Canada. Cette femme cotise à la Caisse d'assurance-emploi et contribue donc à gonfler cet excédent de 54 milliards de dollars, alors qu'elle ne sera jamais admissible aux prestations en vertu de ce programme. Bien entendu, ces 54 milliards de dollars n'y sont plus, puisqu'ils correspondent à un excédent budgétaire qui relève à présent d'un nouveau programme appelé Avantage Canada, qui permettra peut-être de financer une réduction de l'impôt sur les sociétés. Donc, je pense que vous avez parfaitement raison. Nous devrions nous servir de ces crédits pour faire en sorte que des personnes comme la gardienne de sécurité soient admissibles à l'assurance-emploi et, pour alléger son fardeau en ce qui concerne les cotisations qu'elle doit verser à la Caisse.

M. Richards : Sénateur, parler d'une prime nous ramène au newtalk orwellien. Il s'agit en réalité d'une charge sociale. Je pense que nous tous pourrions nous entendre sur une petite réforme, à savoir l'établissement d'un plafond en ce qui concerne les cotisations d'assurance-emploi que l'on doit payer et d'un revenu plancher au-dessous duquel aucune cotisation n'est payable.

Le président : Peut-être que nous devrions en faire un véritable programme d'assurance.

M. Richards : Vous deux pourriez en discuter à ce moment-là.

Le président : Ce fut une discussion très intéressante et nous vous remercions tous les deux pour votre contribution.

La séance est levée.


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