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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 4 - Témoignages du 28 février 2008


OTTAWA, le jeudi 28 février 2008

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé, ainsi que pour examiner, pour en faire rapport, les questions d'actualité des grandes villes canadiennes.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : La séance est ouverte. Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Aujourd'hui, nous examinerons la pauvreté infantile en milieu urbain.

[Traduction]

Avant de passer à l'ordre du jour du comité, je voudrais souligner qu'un photographe circule parmi nous. La plupart d'entre nous, dans l'arène politique, y ont peu d'objection. Nous n'avons encore jamais rencontré un photographe que nous n'aimions pas. Le photographe, aujourd'hui, va immortaliser les membres du comité en action.

Notre comité a deux sous-comités, l'un sur la santé des populations, présidé par le Dr Keon, et l'autre sur les grands défis que doivent affronter nos villes, que je préside. Les thèmes d'aujourd'hui — la pauvreté, le logement et l'itinérance — étant communs aux deux sous-comités, nous nous réunissons en comité plénier pour alimenter les deux projets avec les renseignements obtenus.

Nous tirons également parti du travail déjà effectué par le Sénat sur la pauvreté : notamment, en 1971, le rapport sous la direction du sénateur David Croll; ainsi que, en 1997, le rapport du sénateur Erminie Cohen intitulé La pauvreté au Canada : le point critique.

De plus, notre étude vise à complémenter le travail effectué par le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, présidé par le sénateur Fairbairn, qui est également membre de notre comité. En effet, à la demande du sénateur Segal, ce comité se penche sur le problème de la pauvreté rurale. Là encore, nous espérons réunir tous les morceaux du puzzle.

Aujourd'hui, comparaissent quatre témoins, une très belle brochette d'experts. Malgré notre désir de pouvoir les entendre à loisir, nous allons leur demander de s'en tenir à cinq minutes pour leurs remarques liminaires, afin que les membres du comité aient le temps de poser des questions et d'entamer un dialogue avec eux.

Laissez-moi présenter nos témoins. Tout d'abord, quelqu'un que je connais depuis longtemps, Frances Lankin, présidente et directrice générale de Centraide du Grand Toronto. En novembre 2007, Centraide a publié un rapport à la suite d'une étude des familles à Toronto. Intitulée Losing Ground : The Persistent Growth of Family Poverty in Canada's Largest City, c'est la dernière en date d'une série d'études effectuées par Centraide sur la question.

Elle montre clairement que le nombre de familles vivant dans la pauvreté dans la ville de Toronto est en croissance, en comparaison avec les autres villes.

Gina Browne est professeure en sciences infirmières et en épidémiologie à l'Université McMaster, où elle dirige un projet de recherche portant sur une évaluation économique des services d'intervention globaux pour les personnes vulnérables, enfants, adultes et personnes âgées.

Au lieu de s'attacher seulement aux soutiens du revenu, sa recherche souligne la nécessité de fournir aux familles bénéficiaires de l'aide sociale des services de soutien qui, par exemple, améliorent les compétences parentales ou préparent à une réinsertion sur le marché du travail. Elle nous fera part de ce point de vue aujourd'hui.

Armine Yalnizyan, économiste principale, travaillait auparavant pour le Community Social Planning Council de Toronto; elle est maintenant au Centre canadien de politiques alternatives. Elle a œuvré sur la scène fédérale, provinciale et municipale, et a travaillé avec des organisations non gouvernementales internationales ainsi que des organisations et coalitions communautaires. En 1998, elle a publié un rapport qui a fait date sur l'inégalité des revenus au Canada : The Growing Gap.

Ken Battle est un visage familier pour les membres du comité. Il est président du Caledon Institute of Social Policy et nous a été d'un grand secours à de nombreuses reprises. En janvier 2008, le Caledon Institute a publié un article intitulé A Bigger and Better Child Benefit : A $5,000 Canada Child Tax Benefit, qui appelle à une restructuration des prestations fédérales pour les parents.

Nous allons commencer par Frances Lankin, qui sera suivie d'Armine Yalnizyan, puis de Ken Battle et de Gina Browne.

Frances Lankin, présidente et directrice générale, Centraide du Grand Toronto : Merci beaucoup, monsieur le président, et merci de votre invitation. C'est un honneur que de comparaître devant les honorables sénateurs. En tant qu'ancienne politicienne, je trouve difficile de m'en tenir à cinq minutes pour une intervention. Mais laissez-moi essayer.

D'autres personnes aujourd'hui parleront des réponses précises en matière de politique et nous donneront une bonne idée du sujet. Je voudrais, quant à moi, revenir en arrière et parler du côté urgent de la question. Depuis plusieurs années, ceux de nous qui participent à la vie publique, à un titre ou un autre, et à l'élaboration de politiques comprennent les préoccupations et les besoins pressants que suscite la pauvreté, notamment chez les enfants. Laissez- moi toutefois préciser sans tarder que les enfants qui vivent dans la pauvreté vivent dans des familles qui vivent dans la pauvreté, si bien que nos politiques doivent toucher l'unité familiale.

J'estime, toutefois, que ces dernières années, vu la prospérité économique générale récemment enregistrée — différente de ce que nous prévoyons pour l'année prochaine ou celle d'après —, on a l'impression que les conditions se sont améliorées dans l'ensemble pour les familles canadiennes. D'ailleurs, les pourcentages de familles à faible revenu se sont améliorés à l'échelle nationale. Dans ma province, l'Ontario, elles se sont améliorées à l'échelle provinciale. À Toronto, où j'habite, ce n'est pas le cas.

Toronto est la plus grande ville du Canada. Selon le sondage Mercer, portant sur entre 100 et 200 villes dans le monde, Toronto reste la ville la plus dispendieuse du Canada. Quand on garde ce point à l'esprit, on comprend la préoccupation que suscite la persistance de la pauvreté des familles et l'accroissement des chiffres dans ce domaine, contrairement à l'évolution de la moyenne provinciale et nationale, et ce dans une région que nous considérons souvent comme l'un des moteurs économiques du pays.

Le rapport Losing Ground, dont le président a parlé, s'appuie sur d'autres rapports : Poverty by Postal Code réunit les résultats des travaux d'un groupe de travail sur les quartiers forts, avec l'aide financière et la participation du gouvernement fédéral; l'article précédent, A Decade of Decline, présentait un instantané de Toronto, en s'appuyant sur le travail de Mme Yalnizyan sur l'écart grandissant entre les revenus. Losing Ground brosse un tableau où, malgré une période de croissance économique et de prospérité généralisée dans la région du Grand Toronto, malgré une croissance démographique et beaucoup d'autres éléments positifs, le revenu moyen des familles ayant des enfants de moins de 17 ans à Toronto est resté inchangé par rapport à 1990, ce qui constitue un recul marqué en dollars constants.

Autrement dit, la reprise économique après la dernière récession n'a pas bénéficié aux familles à revenu moyen et faible. On constate une croissance soutenue du nombre de familles vivant dans la pauvreté, malgré l'amélioration des moyennes au pays et en Ontario. On constate d'énormes écarts dans les montants en dollars dont disposent en fait pour vivre les familles au Canada, dans la province, voire dans le reste de la région du Grand Toronto — la ceinture 905 autour de Toronto. Toutefois, notre recherche indique que les tendances désormais ancrées dans la ville de Toronto se silhouettent dans la région de l'indicatif régional 905 et dans la région du Grand Toronto. D'après certaines tendances que nous observons, la croissance rapide de la population dans ces régions nous montre qu'on y constatera bientôt la même situation que dans la ville de Toronto. Ce sont là encore des chiffres qui devraient nous préoccuper, la région urbaine économique n'étant pas limitée à la ville de Toronto; il s'agit plutôt de la région métropolitaine de recensement, la RMR; la région du Grand Toronto, toutes zones confondues.

Vous avez reçu un résumé du rapport et je laisserai aussi un exemplaire du texte intégral. Honorables sénateurs, je sais que vous avez énormément de documents à lire, mais si vous avez la possibilité de lire ce rapport, vous y trouverez beaucoup de renseignements au sujet des tendances et de l'emploi. Si nous voulons comprendre les défis que devront surmonter l'économie et les familles, nous devons comprendre ce qui s'est passé par rapport à l'emploi : la perte d'emplois dans le secteur manufacturier; l'augmentation des emplois temporaires et précaires; des salaires plus bas; moins d'avantages sociaux et plus de travailleurs détenant plus d'un emploi. Nous devons comprendre l'incidence de tous ces changements sur la possibilité d'élever des enfants.

Certaines de nos études montrent que pour plus de 80 p. 100 des familles à faible revenu vivant dans les quartiers les plus pauvres de Toronto, les parents travaillent. Il s'agit donc ici des travailleurs à faible revenu, et il demeure important d'envisager des mesures de sécurité du revenu en recourant à toute une gamme de mécanismes de soutien social. D'autres témoins développeront cette idée. À nos yeux, il est également important de comprendre les forces économiques qui ont une incidence sur l'emploi et de tenir compte de l'apport que représente un emploi pour les familles lorsqu'il s'agit de s'occuper des enfants.

J'aimerais aborder quelques questions précises. Le gouvernement de l'Ontario s'est engagé envers l'électorat et le public en général à lancer une stratégie de réduction de la pauvreté, assortie de cibles et d'échéanciers. Tous peuvent participer à cette initiative. Il est d'ailleurs impératif que les autorités fédérales participent à cet effort avec la province en concevant une gamme de politiques d'intérêt public. Au moment où vous réfléchissez au rôle que pourrait assumer le gouvernement national et à l'ampleur de sa participation, l'urgence de la situation montre qu'il importe de se concerter dès maintenant avec notre province tout au moins. D'autres seront sans doute au courant des initiatives qu'on prend dans les autres.

Lorsqu'on examine les coûts inhérents à la pauvreté dans notre ville, nous observons un nombre croissant de faillites personnelles et de recours aux services de conseil en crédit. À l'échelle nationale, le taux des faillites personnelles atteint 18 p. 100, et dans notre ville, les cas d'insolvabilité de consommateurs ont augmenté de quelque 53 p. 100 pendant la même période.

Nous nous rendons compte de l'importance que revêtent les mesures de sécurité du revenu. Au niveau fédéral, il a beaucoup été question de la nécessité de refondre l'assurance-emploi. Je sais pour ma part que l'Institut Caledon a effectué de solides recherches sur les grandes orientations politiques qui iraient plus loin que de simplement modifier les critères d'admissibilité régionaux. Je vous recommande d'ailleurs avec insistance d'agir afin de corriger la situation de ces dernières années, où seulement le quart des chômeurs de la ville de Toronto ont eu accès à l'assurance-emploi. Au moment où nous nous dirigeons vers une récession et constatons que de plus en plus d'emplois sont perdus, ce problème est très préoccupant.

Profitant de cette étude des stratégies nécessaires pour réduire la pauvreté, le message essentiel que j'aimerais vous laisser est que les stratégies de lutte contre la pauvreté doivent absolument tenir compte des particularités géographiques. Au moment où l'on entend dire que les niveaux de pauvreté sont à la baisse et que la situation s'améliore généralement dans l'ensemble du pays, l'émergence de tendances diamétralement opposées dans la plus grande ville du Canada doit nous inciter à mettre en doute le rôle des statistiques tant générales que régionales et nationales et à nous demander si ces données n'ont pas tendance à gommer les différences régionales.

Réagissant au plan du gouvernement provincial et à sa stratégie de réduction de la pauvreté, nous avons affirmé qu'il importe d'utiliser une grille géographique précise lorsqu'il s'agit de mesurer les niveaux de pauvreté, de fixer des cibles et de mettre en œuvre des politiques. Cela ne signifie pas que je me fais l'apôtre de la seule ville de Toronto.

Ailleurs dans notre province, Windsor fait face à un changement de la donne dans le secteur de l'automobile. Le Nord de l'Ontario quant à lui connaît des changements dans le secteur des ressources ainsi que des pertes d'emploi, les difficultés peuvent donc varier. Dans une conjoncture de changements économiques qui affectent l'emploi, les difficultés d'une grande ville sont encore différentes. Par exemple, étant donné qu'une forte proportion des familles à faible revenu sont des familles d'immigrants, tant les possibilités que les stratégies les concernant sont différentes.

Il est donc impératif d'utiliser une grille d'analyse qui ne soit ni vaste, ni nationale, ni provinciale, ni même régionale, mais de la taille appropriée aux petits ensembles, afin que notre travail puisse refléter la vie collective des quartiers. Je vous demande donc d'inscrire cela dans vos recommandations.

Armine Yalnizyan, économiste principale, à titre personnel : Merci, honorables sénateurs, de vous consacrer à cette étude et de vous inspirer directement des travaux novateurs du sénateur David Croll, qui remontent à 1971. Je suis vraiment honorée de pouvoir témoigner devant un auditoire aussi distingué et vous en suis reconnaissante.

J'aimerais aussi vous donner une perspective d'ensemble. Nous connaissons aujourd'hui une prospérité économique sans précédent dans l'histoire du Canada. Nous avons passé 17 années sans récession économique, chose qui ne s'est jamais vue depuis la fin de la guerre.

Récemment, la Banque mondiale a relevé notre classement économique mondial, le faisant passer du neuvième rang au huitième parmi 183 pays, et rappelons ici que nous comptons une fraction de la population des autres. Nous sommes la seule nation fortement industrialisée à avoir engrangé 10 excédents financiers successifs au niveau fédéral; les finances de toutes les provinces sont maintenant saines.

Notre forte expansion économique se maintient, malgré les signes de turbulence provenant de notre voisin du Sud et certaines faiblesses sectorielles. En tant que nation, sur les plans économique et financier, nous sommes donc en mesure de nous attaquer à toute question qui retiendra notre intérêt.

La pauvreté infantile a reculé au cours de la dernière décennie, mais n'oublions pas que cette baisse résulte de la conjoncture d'emploi la plus favorable que nous ayons connue en 33 ans. Lorsqu'il y a des emplois à occuper, les Canadiens les prennent. Cela dit, ce n'est que récemment que la pauvreté infantile a retrouvé son niveau de 1989, soit 11,7 p. 100. Cette année-là, les parlementaires avaient à l'unanimité affirmé que la pauvreté infantile était une honte nationale dans un pays aussi riche que le nôtre, et ils s'étaient engagés à l'éliminer. Si le moment n'était pas propice en 1989, je ne comprends pas comment il le serait maintenant.

Ainsi que l'a précisé Mme Lankin, la pauvreté infantile, c'est en fait de la pauvreté familiale. Récemment, le Centre canadien de politiques alternatives a mis à jour son étude intitulée The Growing Gap, où l'on peut lire que la moitié des familles canadiennes ayant des enfants à charge ont perdu du terrain par rapport à celles de la génération précédente.

J'aimerais que vous réfléchissiez un moment à ce que cela signifie. Les familles sont plus nombreuses à faire partie de la population active. Elles agissent le plus possible, et malgré cela, la moitié d'entre elles recule ou fait du surplace à grand-peine.

Ainsi qu'on vous l'a dit, la pauvreté perdure, et particulièrement la pauvreté chez les travailleurs. Pendant ce temps, les revenus des familles les plus riches, qui représentent 10 p. 100 du total, ont grimpé par rapport aux générations précédentes. Ce qu'il y a d'ironique ici, c'est que ce groupe participe moins à la population active. C'est justement là que le bât blesse : l'inégalité ne croit plus seulement entre les riches et les pauvres, elle s'étend maintenant à la majorité des Canadiens. Si l'on se reporte aux données disponibles, nous voyons que 80 p. 100 des familles ayant des enfants à charge rapportent chez eux une plus petite part du gâteau qu'elles ont contribué à créer que leurs prédécesseurs de la génération précédente.

Honorables sénateurs, ce phénomène ne peut durer. C'est une autre vérité gênante. Travailler davantage, tout simplement pour éviter de perdre du terrain ou tout en en perdant ne peut faire qu'un temps. Voici aussi une autre vérité gênante : selon la sagesse populaire des dix dernières années, les impôts ne sont qu'un fardeau et ce que les gouvernements peuvent faire de mieux, c'est de l'alléger pour les citoyens.

Or, les statistiques montrent que ce ne sont pas des abattements fiscaux mais des programmes gouvernementaux de soutien du revenu qui ont aidé le plus efficacement les familles ayant des enfants à charge dans notre pays. Étant donné l'effet dévastateur entraîné par l'érosion des prestations d'aide sociale et d'assurance-emploi au cours des quinze dernières années, on peut donc conclure sans peine que la mise en œuvre et l'élargissement de la prestation fiscale canadienne pour enfants mise en œuvre dans les années 1990 n'a servi qu'à endiguer quelque peu la dégringolade des revenus des familles les plus pauvres.

J'ai fourni des tableaux illustrant mon texte et je me ferai un plaisir de les expliquer, mais j'aimerais auparavant poursuivre encore un peu parce que ce n'est pas la seule chose qui a eu des répercussions sur les familles dans le besoin. Les transferts gouvernementaux destinés aux familles ayant des enfants à charge soutiennent la moitié la moins aisée d'entre elles. Ce sont les mesures de soutien du revenu, non le dégrèvement d'impôt, qui ont le plus amélioré la situation pécuniaire de ces dernières. En dépit de cela, au cours de la dernière décennie, nous avons accordé des centaines de milliards de dollars en abattements fiscaux.

Nous savons que les gouvernements ne se contentent pas de poser des gestes ayant une incidence sur le revenu des particuliers, que ce soit en remboursant de l'argent ou en en laissant un peu plus dans la poche des contribuables. En effet, les gouvernements créent des avantages collectifs qu'aucun ménage à lui seul n'est en mesure de créer. C'est seulement en mettant en commun nos ressources que nous construisons des hôpitaux ou des écoles, que nous pouvons créer un système de transport ou de l'eau potable. Ce n'est qu'en nous concertant que nous mettons sur pied des réseaux de sécurité et d'intervention d'urgence et qu'en réunissant nos ressources que nous construisons des systèmes permettant aux particuliers, aux familles et aux collectivités de s'adapter à la situation, qu'elle soit bonne ou mauvaise.

Nous savons que pauvreté veut dire revenus trop faibles, mais nous n'ignorons pas non plus que réduire la pauvreté signifie plus que de faire augmenter des revenus. En 1971, le Rapport Croll énonçait des paramètres essentiels n'ayant aucun rapport avec le revenu, et ils sont toujours d'actualité. Ce sont le logement, l'éducation, les services de santé, les questions liées à l'endettement et au crédit et l'accès à la justice fondamentale.

Votre comité a établi des liens entre la pauvreté, le logement et l'itinérance, et pour cause, car songez à ce qui s'annonce pour bientôt. Dans le monde entier, on assiste à une migration globale depuis les régions rurales vers les régions urbaines. Les gens quittent les pays pauvres pour se rendre dans les pays riches, et partout, ils essaiment vers les plus grandes villes, vers les pôles de croissance. Or, dans tous ces lieux, on est confronté à une pénurie dramatique de logements abordables. Au fur et à mesure que les enfants de l'après-guerre prennent leur retraite, nous tenons à accueillir des immigrants et nous en avons d'ailleurs besoin, mais dans quoi les accueillons—nous?

Selon un sondage effectué par Environics Research, au moins 80 p. 100 des Canadiens, quelle que soit leur affiliation politique, appuient les gouvernements qui rendent certains services plus abordables et accessibles : le logement, l'enseignement postsecondaire et les services de garde d'enfants.

Les Canadiens sont avec vous. Ils pensent qu'il est inacceptable que des Canadiens travaillent à temps plein une année entière sans pouvoir se sortir de la pauvreté. Il y a bel et bien moyen de réduire cette pauvreté. Nous savons ce qu'il faut faire. Il y a déjà des décennies, le rapport du sénateur Croll montrait la voie. Le budget alternatif publié lundi par le Centre canadien de politiques alternatives, et dont j'ai apporté un exemplaire avec moi si vous le voulez, a chiffré le coût des mesures appropriées pour aller de l'avant. Nous y apprenons non seulement qu'il est possible d'avancer, mais aussi que ça ne fera pas sauter la banque; c'est tout à fait abordable.

Avant de vous quitter, j'aimerais vous laisser en partage des paroles d'encouragement susceptibles de vous inspirer à agir. Elles sont de Bill Gates, l'homme d'affaires le plus prospère de notre époque. Il a dit, et je cite :

Les plus grandes avancées de l'humanité ne résident pas dans ses découvertes, mais la manière dont ces découvertes servent à réduire les inégalités. Que ce soit la démocratie, l'éducation, de services de santé de qualité, ou de vastes possibilités économiques, la réduction des inégalités est la plus grande réalisation humaine[...]

Il a tenu ces propos devant des étudiants, des professeurs et des anciens de l'Université Harvard lors de la collation des grades de juin dernier. M. Gates nous a alors exhortés à faire tout en notre pouvoir pour améliorer le sort du plus grand nombre, non pas une fois que nous aurons trouvé les solutions idéales, mais avec les ressources dont nous disposons.

Honorables sénateurs, nous disposons d'énormes ressources financières et économiques, grâce auxquelles nous pouvons atteindre les objectifs que nous nous donnons, quels qu'ils soient. J'espère que votre travail nous inspirera tous tant que nous sommes, citoyens et parlementaires, afin que nous prenions les mesures concrètes susceptibles d'apporter la sécurité, les possibilités d'épanouissement et l'espoir à tous les enfants et adultes de notre beau pays.

Ken Battle, président, Caledon Institute of Social Policy : Ce que j'ai à vous dire s'enchaînera sans peine aux exposés de Mme Lankin et de Mme Yalnizyan. Aujourd'hui, j'aimerais vous entretenir de l'un des plus importants moyens — c'est aussi l'un des plus mal compris et sous-estimés — de combattre la pauvreté chez les enfants : les prestations versées à leur intention. Les prestations pour enfants désignent les paiements en espèces remis aux familles, pour le compte des enfants, sous forme de chèques ou de réduction d'impôt sur le revenu. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux versent divers types de prestations pour enfants. Je m'attacherai aujourd'hui aux prestations fédérales.

Il importe d'abord de revenir aux principes sous-jacents de tout cela et de nous rappeler quels sont les deux principaux objectifs des prestations pour enfants. Le premier est de réduire et de prévenir la pauvreté chez les enfants et le second, qu'on a négligé quelque peu ces dernières années, est d'aider les parents à subvenir aux besoins de leurs enfants.

L'objectif de réduction de la pauvreté contribue à réduire l'écart entre les revenus des parents qui exercent un emploi peu rémunéré et les besoins financiers de leur famille car dans une économie de marché, les salaires et les traitements ne tiennent pas compte du nombre de membres de la famille tributaires de ce revenu.

Le deuxième objectif est de reconnaître le rôle des parents et de faire en sorte que les prestations pour enfants deviennent pour la société un moyen d'aider financièrement les parents à soutenir les dépenses pour les enfants que n'ont pas les ménages sans enfants ayant un revenu équivalent. Les économistes appellent cela le dédommagement, l'équité horizontale.

Les prestations fédérales pour enfants ont été modifiées maintes fois depuis leur instauration en 1919. Notre rapport, intitulé A Bigger and Better Child Benefit : A $5,000 Canada Child Benefit, comporte une discussion de cette prestation pour ceux qui souhaitent obtenir des renseignements plus détaillés. Aujourd'hui toutefois, j'aimerais me concentrer sur les modifications apportées au cours des dernières années aux prestations fédérales pour enfants.

En 1993, on a finalement fusionné les trois programmes — les allocations familiales, le crédit d'impôt remboursable pour enfants et le crédit non remboursable pour enfants — en un seul, la prestation fiscale pour enfants, qui était fixée en fonction du revenu. Cette prestation est également la contribution du gouvernement fédéral à la réforme fédérale- provinciale-territoriale de la prestation nationale pour enfants, effectuée il y a à peu près dix ans.

Il importe ici de garder à l'esprit les avantages et les points forts de la prestation fiscale canadienne pour enfants. Il s'agit d'abord d'un programme social non stigmatisant et inclusif qui verse chaque mois des prestations en argent à la grande majorité des familles de toutes les régions du Canada. C'est un programme transférable, qui assure un supplément de revenu stable aux familles, sans égard au lieu de travail ou de résidence (ou au fait que les parents ne travaillent pas, dans le cas de ceux qui touchent l'assurance-emploi ou l'aide sociale ou qui ont d'autres sources de revenu semblables).

C'est un programme progressiste, c'est-à-dire que les prestations diminuent à mesure que le revenu familial augmente. Le même montant est versé à toutes les familles ayant le même revenu net, indépendamment des sources de revenu, de la province ou du territoire de résidence. J'y reviendrai tout à l'heure.

Toutes les familles à faible revenu touchent la même prestation maximale de la Prestation fiscale canadienne pour enfants, qui sert aussi au versement de la Prestation pour enfants handicapés et du Bond d'études canadien. Un certain nombre de provinces et territoires recourent aussi à ce moyen pour verser leurs propres prestations pour enfants fondées sur le revenu, ce qui permet de réduire les dépenses administratives.

Malheureusement, le gouvernement fédéral a fait un énorme pas en arrière en 2006 lorsqu'il a créé la Prestation universelle pour la garde d'enfants, inspiré de l'ancien programme des allocations familiales. Le budget de 2007 a rétabli le crédit d'impôt non remboursable pour enfants, un autre programme boiteux des années 80.

Faire ainsi marche arrière en passant d'un à trois programmes a créé de nombreuses lacunes dans le régime fédéral de prestations pour enfants. Tout d'abord, le régime est confus et trompeur. La plupart des familles admissibles à la Prestation universelle pour la garde d'enfants ne touchent pas les 1 200 $ par enfant dont on a tant vanté les mérites, parce qu'elles doivent payer de l'impôt fédéral et provincial ou territorial sur la prestation.

En outre, pour contribuer au financement de la Prestation universelle pour la garde d'enfants, on a éliminé le supplément pour jeunes enfants. Du fait de la complexité des nouveaux programmes, je suppose que seules quelques familles qui bénéficiaient du supplément pour jeunes enfants se sont rendu compte de la suppression de cette prestation.

Malgré son nom, la Prestation universelle pour la garde d'enfants est en fait une simple prestation, et non pas une prestation pour la garde d'enfants. Les familles peuvent utiliser cet argent comme elles l'entendent, que ce soit pour payer des services de garde ou à toute autre fin. Si on veut à tout prix la faire passer pour une prestation de garde d'enfants, c'est une bien mauvaise prestation.

Le budget de 2007 a annoncé le nouveau crédit d'impôt non remboursable pour enfants en lui attribuant une valeur de 2 000 $ par enfant admissible. Cette information est tout à fait fausse. Le même budget indique également que pour calculer le montant réel de la prestation, il faut multiplier les 2 000 $ par le plus bas taux d'impôt, soit 15 p. 100, sans indiquer le montant obtenu. On laissait au lecteur le soin d'effectuer le calcul. La réponse est 300 $.

Le régime des prestations pour enfants est devenu inéquitable. La valeur effective après impôt de la Prestation universelle pour la garde d'enfants varie selon le type de famille. Une famille monoparentale, une famille où un seul parent travaille et une famille où les deux parents travaillent ayant toutes le même revenu ne touchent pas la même prestation. En outre, les familles ayant le même revenu net mais qui vivent dans des provinces ou territoires différents ne touchent pas les mêmes prestations après impôt, parce que leur prestation universelle pour la garde d'enfants est assujettie à des régimes d'imposition différents selon la province ou le territoire.

Le crédit non remboursable de 300 $ par enfant n'est pas équitable. Une famille monoparentale dont le revenu est de 21 000 $ reçoit 300 $ par enfant. Une famille dont le revenu est de 10 millions de dollars reçoit elle aussi 300 $ par enfant. Les familles dont le revenu est inférieur à 21 000 $ ne touchent pas un sou de ce programme.

Troisièmement, le régime des prestations pour enfants est devenu complexe et difficile à comprendre, comme devrait vous l'indiquer les fastidieuses explications. Nos rapports l'analysent en profondeur. Je n'entrerai pas dans les détails, mais les trois programmes, qui fonctionnent de façon tout à fait différente par rapport aux autres, ne sont guère compatibles entre eux. Nous connaissions déjà ce problème il y a 20 ans lorsque nous avons essayé de réformer le régime des prestations pour enfants, et c'est toujours la même chose aujourd'hui.

Caledon souhaite que cette situation déplorable soit corrigée et qu'on mette en place une prestation pour enfants équitable et rationnelle. Nous recommandons la suppression de la prestation universelle pour la garde d'enfants et du Crédit d'impôt non remboursable pour enfants, les fonds ainsi économisés étant consacrés à l'amélioration de l'efficacité de la prestation fiscale canadienne pour enfants. Nous proposons de faire passer le montant maximum de la Prestation fiscale canadienne pour enfants de 3 271 $ à 5 000 $ par enfant de moins de 18 ans. Un tel montant aiderait grandement les familles à faible revenu à subvenir aux besoins de leurs enfants, et cette mesure a reçu l'appui des groupes de défense des droits sociaux comme Campagne 2000.

Comme nous voulons augmenter les montants versés aux familles à faible revenu et aux autres familles, nous demandons de hausser la prestation de base, c'est-à-dire la partie de la prestation fiscale canadienne pour enfants accordée non seulement aux familles à faible revenu, mais également à la grande majorité des autres familles. La prestation de 5 000 $ que nous proposons augmenterait les prestations pour enfants non seulement pour les familles démunies, qui obtiendraient environ 1 200 $ de plus qu'actuellement, mais elle améliorerait aussi les prestations des familles à revenu modeste ou moyen d'environ 400 à 600 $ par enfant.

Cet argument rejoint celui de Mme Yalnizyan, à savoir qu'on ne peut pas axer uniquement sur les familles à faible revenu les mesures comme les prestations pour enfants. C'est l'approche que nous adoptons depuis une dizaine d'années. Elle se justifie parce que nous visions avant tout un objectif de lutte contre la pauvreté. Cependant, il est important d'améliorer également cette source de revenu pour la majorité des familles canadiennes à revenu modeste ou moyen qui, du reste, n'ont constaté que très peu d'augmentation dans leurs prestations pour enfants au fil des années. Il s'agit là d'un changement fondamental dans la façon d'organiser les prestations pour enfants, car il vise non seulement un objectif de réduction de la pauvreté, mais également de reconnaissance du rôle des parents.

Quel est le coût de cette proposition? Nous l'avons calculé soigneusement. Actuellement, le gouvernement fédéral consacre 13 milliards de dollars à ses trois programmes de prestations pour enfants. La prestation fiscale canadienne qui passerait à 5 000 $, comme nous le proposons, devrait coûter 17 milliards de dollars. Le coût net de notre proposition est donc de 4 milliards de dollars. Autrement dit, il faudrait dépenser 4 milliards de dollars de plus qu'actuellement pour financer notre prestation améliorée. Pour mettre ce total de 17 milliards de dollars en perspective, la Sécurité de la vieillesse coûte 33 milliards de dollars. Si l'on accepte de consacrer 33 milliards de dollars à nos personnes âgées, on peut certainement améliorer nos prestations pour enfants.

Notre proposition aurait également pour effet de réduire considérablement la pauvreté, et nous avons fait des calculs à ce sujet. Ils vous rappelleront que les prestations pour enfants peuvent être un outil extrêmement efficace pour lutter contre la pauvreté. S'il n'y avait aucune prestation fédérale pour enfants, les familles à faible revenu avec enfants représenteraient 15 p. 100 de l'ensemble des familles. On obtient ce taux en soustrayant du revenu familial les montants des prestations fédérales pour enfants. En vertu du régime actuel des prestations fédérales pour enfants, la proportion des familles à faible revenu avec enfants est de 9,3 p. 100, ce qui représente une diminution importante par rapport à 15 p. 100. En vertu de notre proposition, on gagnerait encore un point de pourcentage avec une proportion de 8,3 p. 100. Si l'on applique notre proposition, au lieu d'un taux de pauvreté de 15 p. 100, on réduit ce taux à 8,3 p. 100. La diminution n'est pas gigantesque, mais elle constitue un progrès réel. On estime que sans les prestations fédérales pour enfants, le nombre de familles à faible revenu ayant des enfants serait de 566 600. Grâce aux prestations actuelles, on en compte 352 800 et notre proposition réduirait ce nombre à 312 800.

En conclusion, je rappellerais que le président a signalé certains des rapports déposés par votre comité. Il n'a pas mentionné le rapport de 1990. Je le connais bien, car j'y ai travaillé en tant que bénévole. J'étais directeur du Conseil national du bien-être social. J'en ai rédigé une annexe, chiffrée pour moi par Richard Shillington, et c'était la première tentative de conception d'un régime fédéral-provincial intégré de prestations pour enfants.

Le fait que la prestation était nommée dans le rapport du comité du Sénat et que la prestation nationale pour enfants a été mise en œuvre six ou sept ans plus tard témoigne de l'influence que le comité peut avoir.

Merci. J'espère que vous avez raison en ce qui concerne l'influence que nous avons à titre de comité.

Gina Browne, professeure en sciences infirmières et épidémiologie, Université McMaster : Je suis tellement impressionnée par ce qu'ont dit M. Battle, Mme Yalnizyan et Mme Lankin que je crois qu'il vaut mieux que je dise autre chose. Jusqu'à maintenant, je suis d'accord sur tout ce qui a été dit.

Vous vous demandez probablement si je suis Canadienne. Je le suis. Lorsque je suis arrivée au Canada, il y a 30 ans, je ne pouvais dire que quelques mots. Aujourd'hui, je parle en phrases complètes, des phrases qui ont un début, un milieu et une fin. Je suis citoyenne canadienne.

En plus d'avoir déjà été infirmière aux soins intensifs et infirmière aux soins intensifs auprès des brûlés, j'ai aussi été thérapeute familiale pendant 30 ans. J'aimerais vous aider à mettre un visage sur ce dont on parle. Je veux vous parler d'une des familles pauvres dont je m'occupe et qui dépend de l'aide sociale. L'homme souffre d'une tumeur ponto- cérébelleuse cancéreuse. Il va mourir. Il ne peut pas marcher parce qu'il n'a pas d'équilibre; il est en fauteuil roulant et dépend de l'aide sociale.

Voilà son contexte. Toutefois, ce n'est pas le problème. Je travaille à un bureau de soins de première ligne avec six médecins de famille. Les soins de première ligne devraient plutôt être appelés soins chroniques et de longue durée, parce que nous avons des cas difficiles.

L'homme est marié à une maniacodépressive qui refuse de prendre son lithium. Pendant ses épisodes de manie, elle est sexuellement provocatrice avec les deux enfants adolescents, qui ont des démêlés avec la justice. Nous avons ensuite un enfant biologique non affecté qui a huit ans. Selon moi, on ne vise à régler qu'une partie des problèmes des gens, et non pas la situation dans son ensemble. Ainsi, bien que je sois en faveur de toutes ces mesures, je défends aussi une approche d'ensemble. Je crois qu'il faut également reconnaître qu'il y a de nombreux types d'appauvrissement, qui peuvent être interreliés. Il y a l'appauvrissement financier. Toutefois, rien n'est pire que des parents stressés, des conflits familiaux et des familles dysfonctionnelles, des parents inefficaces et des quartiers pauvres et à risque.

Il y a différents types de familles et différents types d'environnements. Les problèmes de santé mentale des parents se traduisent au cours d'une vie par des échecs scolaires, des problèmes de chômage, des conflits familiaux, du stress, une mauvaise capacité d'adaptation, l'échec des mariages et des rapports parents-enfants difficiles. L'interaction et l'accumulation de ces problèmes ont des effets néfastes importants, immédiats et envahissants pour un enfant. Aussi, ces problèmes s'accumulent avec le temps.

Nous savons que des traitements efficaces en santé mentale peuvent renverser la situation. Laissez-moi aussi vous dire que je travaille avec certaines familles qui doivent composer avec des handicaps et qui ont des besoins complexes. Ces parents doivent faire face à la pauvreté parce que la santé fragile de leurs enfants les empêche d'accepter des promotions et de meilleurs emplois. Je crois que des subventions devraient leur être offertes.

Ces nombreux types d'appauvrissement interreliés peuvent être le résultat et la cause d'un faible revenu familial. De nombreuses personnes croient que les gens sont tristes et déprimés parce qu'ils sont pauvres. Toutefois, à titre d'infirmière ayant examiné la situation de 765 mères et de leurs 1 300 enfants dans le cadre d'une étude financée par le gouvernement fédéral, je peux vous dire qu'ils sont pauvres parce qu'ils sont malades.

Près de 60 p. 100 de ces mères souffraient de deux troubles de santé mentale ou plus et 61 p. 100 de ces mères — 97 p. 100 étaient des mères — avaient des enfants âgés de plus de six ans. Toutefois, tous nos programmes s'adressent aux enfants âgés de moins de six ans. En plus de leurs deux troubles de santé mentale, elles souffraient aussi de dépression profonde. La dépression peut déranger une vie comme aucune autre maladie chronique. Les gens qui en souffrent ne peuvent tout simplement pas fonctionner; il est préférable d'être handicapé des deux jambes que de perdre la tête, parce qu'au moins on peut fonctionner sans jambes. De plus, ces femmes souffraient d'au moins trois autres troubles de santé, comme la fibromyalgie, l'hypertension et le diabète, et vivaient avec des enfants âgés de plus de six ans, dont 33 p. 100 étaient hyperactifs.

J'essaie de dire qu'il y a plusieurs niveaux d'appauvrissement. Je suis heureuse de voir la tête que vous faites, sénateurs, parce que j'essaie de vous faire comprendre l'ampleur des problèmes et l'interaction entre eux. Le gouvernement fédéral offre des programmes. Je reconnais que le gouvernement a travaillé fort — beaucoup plus fort que celui de nos voisins du Sud — pour lutter contre ces conditions injustes et inéquitables.

Le gouvernement fait toujours du travail à la pièce. Il y a le programme d'action communautaire pour les enfants, qui est fabuleux, merci, mais qui ne s'adresse qu'aux bambins. Le programme canadien de nutrition prénatale est fabuleux, mais ne fait rien en matière de logement. Le programme Bébés en santé; enfants en santé en Ontario s'adresse aux nouveau-nés, mais ne fait rien pour les enfants de 10 ans pyromanes ou les adolescents de 17 ans qui prennent de l'ecstasy dans la même famille. Il s'agit d'un très mauvais exemple à donner aux enfants de moins de six ans.

Les programmes que nous exécutons ne tiennent compte que d'une partie du problème. Je ne peux pas vous parler de mes études parce que vous avez d'autres preuves de la façon dont cela a une incidence sur la chance des gens dans la vie. Je remercie le gouvernement fédéral pour son investissement d'un million de dollars dans notre étude intitulée Les grandes douleurs sont muettes. Nous voulions l'intituler Tous les chevaux et tous les soldats du royaume ne pourraient réparer Humpty. Toutefois, les femmes s'y opposaient. Si nous n'avons pas une approche par famille qui puisse tenir compte de toutes les situations dans le ménage et non pas seulement d'un type d'appauvrissement, nous allons continuer de rater le coche.

Je veux remercier le gouvernement, entre autres, d'avoir financé mon étude. Lorsque les enfants développent ces troubles, nous avons calculé que le coût des services offerts aux enfants âgés de 10 à 17 ans dans un centre de soins de première ligne comme celui où je travaille — c'est-à-dire un organisme de soins de santé — était de 300 $ par enfant par année, si l'enfant n'avait pas de troubles psychiatriques. Si les enfants souffrent d'un ou de deux troubles psychiatriques comme la toxicomanie et l'hyperactivité, le coût passe à 600 $ par année par enfant, en dollars de 1996.

Plus rien dans la vie n'est pur. Les médecins veulent toujours un seul diagnostic. Les infirmières savent qu'il y a de nombreux diagnostics. Nombre de ces enfants souffrent de trois à cinq troubles psychiatriques à la fois, et coûtent au système 2 800 $ chacun par année. Ce coût représente une augmentation de près de 900 p. 100.

Bien que tout le monde parle d'enquêter et de dépenser pour régler le problème — et je ne suis pas économiste — j'essaie de faire valoir qu'au Canada, le système national d'assurance-maladie sera déficitaire cette année. Toutes les fois que les provinces annulent les programmes de counselling pour les mères qui dépendent de l'aide sociale, celles-ci se dirigent vers les soins de première ligne, lesquels sont facturés au RAMO.

Je crois qu'il faudrait favoriser le travail intersectoriel. J'aimerais qu'une initiative fédérale force les provinces à travailler de façon intersectorielle. Dans la trousse que je vous ai remise, vous trouverez ce tableau. Il s'agit de ma conceptualisation du travail intersectoriel, qui est nouvelle, parce que si vous consultez la documentation, « secteurs » veut dire « santé », « social » et « éducation ». Je parle de ces genres de secteurs. Toutefois, on entend ensuite « soins primaires », « soins secondaires » et secteurs « tertiaires » puis « publics », « privés » et « à but non lucratif ». Ils sont tous inclus dans mon tableau pour vous montrer ce que j'entends par travail intersectoriel, c'est-à-dire qu'il faut stimuler et inciter les provinces à travailler davantage de façon intersectorielle.

Le fait que l'aide sociale, les services sociaux et communautaires pour enfants et le secteur à but non lucratif — YMCA — aient investi dans des services à l'intention des enfants a engendré des économies pour le système de santé : réduction de 50 p. 100 des recours aux médecins spécialistes et réduction de 90 p. 100 pour les enfants de 0 à 20 ans qui habitent toujours à la maison.

Les économistes de la santé ont reconnu que nous dépensons trop aujourd'hui parce que nous ne faisons pas ce que nous devrions faire. Cela nous coûte plus cette année; pas dans sept ans ou dans 27 ans. Mais les coûts sont immédiats et les gens vont aller vers des services assurés, même si ce n'est pas la bonne solution. C'est pourquoi les médecins de famille doivent traiter des cas de santé mentale, mais ils ne savent pas comment.

Pour ce qui est des niveaux d'intervention, nous devons intervenir à tous les niveaux : à l'école, dans les établissements postsecondaires et dans le milieu du travail. Nous avons discuté de cette structure économique. Nous devons également intervenir au niveau de la famille et créer une structure de soins qui rassemble divers organismes indépendants de prestation de services sociaux.

À titre d'infirmière, j'ai vu de mes propres yeux les bienfaits des programmes d'intervention auprès des enfants d'assistés sociaux. Cela s'est réalisé dans le cadre d'une étude menée par 29 autres organismes de prestation de services destinés aux jeunes. Nous réalisons des économies grâce à l'intégration. Le programme s'est autofinancé car on a pu réduire l'appel aux travailleurs de la Société d'aide à l'enfance, aux policiers, aux travailleurs sociaux, et on a pu diminuer les visites à l'urgence.

Nous payons le prix de notre manque d'attention au problème.

Le président : Merci à vous tous de vos excellents exposés.

Madame Lankin, vous avez dit que vos études révèlent que Toronto a un taux de pauvreté — ou de pauvreté infantile, je ne me rappelle pas vraiment — plus élevé qu'ailleurs pour ce qui est des statistiques provinciales ou nationales. Comment expliquez-vous cet écart? Croyez-vous que cet écart existe également pour d'autres grandes villes canadiennes, ou est-ce un phénomène à Toronto?

Vous savez sans doute tous que le mot « pauvreté » ne figure nulle part dans le budget qui a été déposé cette semaine. Le budget ne contenait aucune mesure relative à la pauvreté ou au logement. En fait, le ministre des Finances a indiqué que dans un avenir proche, il n'y aura pas de nouveaux programmes. Le gouvernement se concentre d'abord et avant tout sur le déclin de l'économie et la possibilité d'une récession.

Nous avons tous des opinions politiques différentes au sujet des stratégies fiscales et économiques du gouvernement fédéral actuel, et je ne veux pas faire de politique. Mais si le gouvernement ne change pas de stratégie maintenant, personne ne parlera ni de pauvreté, ni de logement. Donc, étant donné la stratégie actuelle du gouvernement, que pouvons-nous faire? Que pouvons-nous faire à l'intérieur de ce cadre?

J'ai trouvé intéressante la suggestion de M. Battle d'éliminer la Prestation universelle pour la garde d'enfants et de la remplacer par une prestation fiscale pour enfants maximale de 5 000 $. Je crois qu'il a dit que cette mesure épargnerait 13 milliards de dollars et en coûterait 17 milliards, et les coûts seraient beaucoup moins élevés pour le trésor fédéral. Par contre, cette mesure réduirait la pauvreté infantile.

Avez-vous d'autres idées reliées à des consolidations ou à des changements qui inciteraient le gouvernement à changer ses priorités et à régler les problèmes dont vous parlez, étant donné la situation fiscale et les politiques du gouvernement actuel?

Mme Browne a parlé de travail intersectoriel et des approches du haut vers le bas et du bas vers le haut. Il y a quelques années, on a conclu un accord de développement urbain. Il y en a un à Vancouver et un à Winnipeg. En vertu de ces accords, les différents paliers de gouvernement, les collectivités et le secteur privé travaillent tous ensemble. C'est une approche du bas vers le haut. Serait-ce une bonne façon pour relever les défis intersectoriels qui se posent à nous?

Mme Lankin : Je vais répondre à la première et à la troisième question, et je laisserai le soin de répondre à la deuxième à ceux qui ont plus d'expérience dans le domaine de l'analyse politique.

D'après notre travail avec nos partenaires dans les grands centres urbains du Canada, nous constatons que les mêmes tendances se dessinent en matière de pauvreté. La tendance est que les familles pauvres sont concentrées dans certains quartiers des grandes villes à cause de la disponibilité des logements abordables. Alors le défi qui se pose est d'empêcher que cette pauvreté ne se perpétue d'une génération à l'autre.

Clyde Hertzman et d'autres personnes ont réalisé une excellente étude sur les effets longitudinaux du fait, pour les enfants, de grandir au sein de familles ou de quartiers pauvres. En bref, le fait pour un enfant de grandir dans une famille ou un quartier pauvre a des effets beaucoup plus importants sur son avenir que dans le cas d'un enfant pauvre qui grandit dans une famille pauvre au sein d'un quartier à revenus mixtes.

En résumé, on appelle cela l'effet « des coudes pointus de la classe moyenne ». On parle ici de la capacité des collectivités de s'organiser pour obtenir l'engagement de ses résidents — créer le club de soccer local, garder une piscine ouverte dans les quartiers et fournir le capital humain qui permet de se réunir et de créer un bon sens du voisinage.

Souvent, dans la ville d'où je viens, les familles dont nous parlons occupent deux ou trois emplois et vivent dans la pauvreté. Un toit peut abriter deux ou trois familles parce que, même dans les quartiers les plus abordables, les logements ne sont pas abordables. Le stress vécu par la famille et l'incapacité de se déplacer à l'extérieur de l'appartement où ils se trouvent ou de penser à la collectivité en général signifient que ces enfants sont appauvris de nombreuses façons.

Vous avez demandé quelles sont les raisons pour expliquer la pauvreté dans la ville. Une ville où d'importants nombres de citoyens sont exclus socialement est l'envers de la médaille, par rapport à une ville qui ne réussit pas aussi bien du point de vue de sa prospérité économique. Tous ces éléments sont interreliés. Ce n'est pas aussi facile que de régler la question de savoir si l'œuf ou la poule est venu premier; s'il y a plus d'emplois, alors la prospérité en général sera meilleure et moins de citoyens vivront dans la pauvreté. On peut formuler un argument linéaire. Toutefois, pour qu'une région soit concurrentielle et prospère du point de vue économique, le bien-être collectif des gens qui vivent dans cette communauté est une composante essentielle de la compétitivité économique.

Dans son travail sur les principaux facteurs qui attirent les gens qui vont contribuer à la richesse économique d'une région, Richard Florida mentionne l'impression que la ville est sûre; l'impression que les arts et la culture sont florissants; la capacité d'attirer ceux qui constituent la force économique entrepreneuriale importante afin de vivre quelque part et d'y être à l'aise; et des normes générales de santé et d'éducation.

D'autres éléments permettent également de déterminer si une ville est en santé. Toutefois, plus la concentration de la pauvreté et des familles qui se sentent exclues socialement est importante, plus les problèmes surviendront du point de vue des indicateurs sociaux de la santé.

Dans les quartiers que nous avons identifiés, les problèmes que nous suivons sont les suivants : des taux de diabète plus élevés, un plus grand nombre de grossesses chez les adolescentes, un poids moins élevé à la naissance et une plus grande participation des jeunes dans les gangs, de même qu'une plus grande violence, une plus grande utilisation des armes à feu et davantage d'enfants qui meurent.

Nous avons indiqué sur une carte de Toronto où les fusillades ont eu lieu. En général, ces endroits correspondent aux quartiers que nous avons identifiés comme étant prioritaires pour ce qui est des investissements.

En ce qui concerne le bien-être collectif des familles dans notre ville, il faut établir un lien entre la compréhension de la prospérité et de la compétitivité économiques ainsi que les investissements que nous faisons et que nous demandons, et ce que signifie cet investissement pour la prospérité économique du pays également.

Dans le rapport, vous verrez des statistiques qui indiquent une croissance massive des emplois précaires et des détenteurs d'emplois multiples dans la ville de Toronto; vous verrez les différences par rapport aux moyennes nationales, encore une fois. Les changements dans l'économie sont un facteur majeur. En général, les nouveaux immigrants ont des niveaux d'éducation et de certification professionnelle plus élevés qu'auparavant; du moins, c'est plus élevé que chez la famille canadienne moyenne. En outre, notre économie n'est pas en mesure d'absorber ces gens, leurs compétences et leur contribution à l'économie de façon adéquate.

Dans les quartiers où la pauvreté est la plus importante, plus de 60 p. 100 des familles les plus pauvres sont des familles nouvellement arrivées. Dans notre ville, plus de 70 p. 100 sont des familles provenant de minorités visibles, que ce soit des immigrants ou non. Ce chiffre indique les problèmes raciaux et le lien entre la race et la pauvreté.

Je reviens une fois encore au ciblage géographique qui s'impose parce que les problèmes qui frappent les communautés du centre-ville de Vancouver qui vivent dans la pauvreté sont aussi oppressants, certes, mais différents de ceux qui caractérisent la pauvreté à Toronto. À Winnipeg, le ciblage des mécanismes d'appui et des conditions de vie des populations autochtones urbaines est très différent de ce qu'on trouve à Toronto, quoique les problèmes y soient aussi lourds et aussi difficiles.

J'utilise l'exemple de ces deux villes pour faire l'adéquation avec ce que vous disiez au sujet de l'accord sur le développement urbain. Le Groupe d'étude sur les quartiers forts est une initiative qui a été financée par un investissement gouvernemental tripartite dans la ville de Toronto avec la participation des secteurs communautaire, commercial et social. L'une de nos recommandations est basée sur son travail. Le Groupe avait mis en exergue la nécessité de conclure des accords de développement urbain qui permettraient aux différents paliers de gouvernement et au secteur communautaire d'apporter une réponse ciblée et coordonnée non seulement pour les nouveaux investissements parce que ceux-ci ne sont pas toujours disponibles à un moment donné — mais plutôt la coordination des investissements actuels et des structures politiques qui peuvent précisément être animées par ce genre de formule où l'impulsion vient de la base. Selon nous, ces ententes pourraient être des vecteurs importants.

Nous ne savons pas encore si l'accord de Vancouver ou de Winnipeg a porté fruit. Dans ces deux cas, l'évolution qui s'est faite avait un point de départ différent, mais nous pouvons constater que le vecteur que constitue une entente gouvernementale tripartite avec la collectivité présente à la table a beaucoup d'avantages. D'après ce que nous avons pu voir avec un programme qui avait été à l'origine financé sous forme de projet pilote par le gouvernement fédéral et qui s'appelait Quartiers en essor — un programme qui, d'ailleurs, avait eu un impact positif énorme sur les collectivités locales — je puis affirmer que la mobilisation, le soutien et la voix des résidents réunis à la table d'un tel accord de développement urbain sont également des composantes importantes.

Le président : En ce qui concerne les politiques économiques auxquelles nous sommes actuellement subordonnés, avec le tout dernier budget et l'exemple que je citais en particulier de la prestation fiscale pour enfants de 5 000 $ dont a parlé Ken Battle, auriez-vous d'autres pistes dans ce sens?

M. Battle : Je ne veux oublier aucun instrument de politique qui aurait, je l'espère, un avenir, en l'occurrence la prestation fiscale pour le revenu gagné. Cette prestation est un supplément dont bénéficient les salariés pauvres. C'est une idée qui est née déjà il y a plusieurs dizaines d'années, et plusieurs provinces ont tour à tour tenté différentes formules de supplément salarial. Le Québec en a une depuis plus de vingt ans.

Dans son dernier énoncé économique, Ralph Goodale avait lancé l'idée en l'illustrant par un modèle de prestation fiscale pour le revenu gagné, et M. Flaherty a concrétisé cette idée dans le premier budget conservateur.

Nous avions espéré que le budget de l'autre jour bonifie cette prestation, mais ce ne fut pas le cas, malgré les rumeurs qui couraient dans ce sens. C'est un instrument important parce qu'il offre un soutien du revenu aux petits salariés, qu'on appelle encore les salariés pauvres.

Nous avions toutefois critiqué cela en disant que même s'il s'agit d'un programme fédéral, le gouvernement fédéral est prêt à laisser les provinces et territoires décider chacun de l'orchestration de son programme en fonction de ses besoins et de ses critères propres, mais aussi pour mieux l'intégrer à son propre système de sécurité du revenu, par exemple, le salaire minimum, l'aide sociale et les compléments salariaux. Ce sont toutes de bonnes choses.

Mais ce qui n'est pas bon, c'est qu'à l'heure actuelle le programme est tellement radin qu'il ne vient même pas en aide aux salariés pauvres qui travaillent à temps plein. Ceux-là ne sont pas admissibles à une prestation parce qu'ils gagnent trop. Cette formule est là pour aider les gens à ne plus dépendre de l'aide sociale et ceux qui travaillent à mi- temps. C'est un objectif important, certes, mais nous aimerions voir ce programme élargi de manière à ce qu'il puisse offrir un soutien généralisé à tous les salariés pauvres.

Je n'ai pas grand espoir que le gouvernement fédéral actuel change d'avis sur les prestations pour enfants. Si vous voulez que nous parlions de politique, soit. J'espère tout simplement que d'autres gouvernements vont appuyer notre point de vue. Le NPD le fait déjà.

La prestation pour le revenu gagné a l'appui des deux partis et de façon générale, ceux qui s'intéressent à la politique sociale l'appuient. Encore une fois, il ne s'agit pas d'une panacée mais c'est un instrument important. J'espère qu'il évoluera à l'avenir et que le programme se bonifiera pour profiter à un plus grand nombre de travailleurs pauvres.

Les travailleurs pauvres ont toujours été les pauvres silencieux, les inconnus, au Canada. En modifiant les prestations pour enfants, on souhaitait que les familles des travailleurs pauvres aient un revenu égal à celui des familles d'assistés sociaux, pour ce qui est des prestations pour enfants. Comme je le disais tout à l'heure, la prestation fiscale pour le revenu gagné offre des possibilités.

Le sénateur Munson : Quand le revenu d'une famille de travailleurs pauvres est-il considéré trop élevé lui interdisant de toucher cette prestation?

M. Battle : Pour une personne seule, la limite est de 9 000 $, ce qui est incroyablement bas. Pour une famille, c'est environ 12 178 $. Cette prestation vise les plus pauvres d'entre les pauvres.

Le sénateur Munson : À combien s'élève la prestation?

M. Battle : Le maximum est de 500 $ pour un particulier et de 1 000 $ pour une famille.

Le sénateur Munson : Il semble que la limite fixée soit arbitraire.

M. Battle : Quand un programme est instauré, d'habitude il est modeste au départ et acquiert de l'ampleur. Il en fut ainsi pour la prestation fiscale canadienne pour enfants. C'est de bonne guerre, mais nous voulons que cela augmente, qu'on ne s'en tienne pas là. Ce programme risque de s'étioler. En l'état, son insuccès ne justifiera pas la dépense.

Mme Yalnizyan : Je voudrais dire quelque chose sur ce que l'on pourrait faire. Il y a un moment où l'on peut agir. Vous avez demandé ce que l'on peut faire dans ce contexte. Il y a bien des choses que l'on peut faire.

Avant de vous dire ce que l'on peut faire, il y a deux raisons de faire ce que je recommande. Tout d'abord, l'écart qui se creuse entre riches et pauvres tient au marché du travail. Qu'il s'agisse de la pauvreté des enfants, de la pauvreté des familles ou d'autres choses, nous devons comprendre ce qui se passe du côté du pouvoir d'achat des gens. Il ne s'agit pas ici uniquement des plus pauvres mais de la moitié inférieure. Cela touche aux arguments de Mme Lankin. En réalité, les gens rament aussi vite qu'ils le peuvent. L'économie tourne à plein régime, mais les gens tirent de l'arrière.

Après la guerre, l'objectif était d'édifier un pays où la prospérité serait partagée, cette dernière s'appuyant sur le plein emploi. Nous avons presque le plein emploi. Nous nous demandons quel genre de supplément de revenu nous pouvons offrir aux gens qui rament.

Il y a des distorsions dans le marché du travail mais je ne dis pas que vous devriez essayer de les supprimer. Je préconise que vous fassiez ce que vous pouvez faire, c'est-à-dire faire en sorte que la vie soit plus abordable.

Cela ne concerne pas uniquement les pauvres ou la classe moyenne. Le fait est que les riches s'enrichissent et que les riches fixent le prix du logement. Nous n'avons plus de programme national de logement, depuis 1993. Quand c'est le marché qui est le seul régulateur du prix du logement, les gens se débattent pour trouver un logement acceptable. C'est alors qu'ils aboutissent dans les quartiers que Mme Browne et Mme Lankin ont décrits.

Qu'est-ce qui fait qu'un quartier a des habitations à loyer modéré? C'est qu'il n'offre pas de services, qu'il n'y a pas de transport en commun et que les écoles sont médiocres. Ce ne sont pas des quartiers où on souhaite s'installer. Voilà pourquoi les loyers sont modérés. Vous pouvez faire quelque chose à cet égard. Le logement et le transport en commun sont intimement liés et le gouvernement fédéral a un rôle à cet égard.

Au niveau municipal, et l'objet de votre étude est de toute évidence les villes à l'échelle du pays, plus particulièrement les grandes villes — là où les gens vivent — on force l'électorat à choisir entre des compressions de services ou l'augmentation des impôts? C'est là la situation. La question n'est pas compliquée, c'est une question de moyens, n'est-ce pas? Si l'électorat veut garder les services qui existent, il doit consentir à payer davantage. À défaut de cela, il faut supprimer certains services. Ce genre de discours se tient au niveau local.

Au niveau national, les possibilités sont beaucoup plus grandes. C'en est presque gênant. Point n'est besoin de forcer l'électorat à se prononcer car nous disposons d'excédents tellement énormes qu'au niveau fédéral, on se borne à rendre aux contribuables leur argent. Ils ont déjà payé. Ils ne veulent pas payer davantage au niveau municipal. Ils veulent tout simplement que leurs impôts servent à quelque chose.

Récemment, le ministre des Finances, M. Flaherty, a dit que nous en sommes maintenant aux mêmes taux d'imposition qu'à l'époque de Pearson, c'est-à-dire environ 16 p. 100 du PIB au niveau fédéral. Toutefois, nous ne dépensons pas autant qu'à l'époque de Pearson. Nous dépensons environ 2 p. 100 de moins qu'à cette époque.

Si on augmentait les dépenses fédérales d'une somme équivalant à 2 p. 100 du PIB, combien d'argent cela représenterait-il annuellement? Ce serait environ 30 milliards de dollars de plus que ce que le budget fédéral alternatif aurait représenté. Ce serait plus que tout simplement intervenir au niveau de la TPS. Nous avons donc les moyens, nous devrions les utiliser. Nous devrions mettre à contribution cet extraordinaire moteur économique en vue de faire partager la prospérité.

Cette année, on adopte des stratégies de réduction de la pauvreté. Les gouvernements de Terre-Neuve, du Québec, de l'Ontario et de la Nouvelle-Écosse, ainsi que deux partis politiques fédéraux ont annoncé leur objectif en matière de réduction de la pauvreté. En fait, le parti au pouvoir au gouvernement fédéral est le seul qui n'ait pas annoncé de stratégie pour faire reculer la pauvreté. Des comités comme le vôtre peuvent tirer la sonnette d'alarme et prévenir qu'on ne peut pas se permettre de rester inactifs.

Les travaux du comité peuvent peut-être ne pas aboutir, mais si le comité ne commence pas à rouspéter, il est garanti qu'ils n'aboutiront pas. L'élan est donné et mon exposé aujourd'hui portait sur l'accélération de cet élan. Je vous exhorte à regarder les dernières diapositives. Il y a bien des choses que nous pouvons faire. Rien ne nous empêche d'agir.

Le président : Il me faut maintenant donner la parole à mes collègues. Quant à moi, je m'occupe des villes mais le vice-président du comité, le Dr Keon, se penche sur la santé des populations. Bien sûr, bien des éléments s'imbriquent et il y a des secteurs d'intérêt communs. Nous allons donc donner maintenant la parole au sénateur Keon, de la ville d'Ottawa.

Le sénateur Keon : M. Battle a déjà répondu à cette question par la négative. Qu'il soit donc le dernier à répondre à cette question mais le premier à réagir à la deuxième partie de la question.

J'ai demandé : pourquoi ne pas fixer un revenu familial minimum? Il faut une famille pour élever un enfant, un village pour élever un enfant et une collectivité pour élever un enfant. Pourquoi alors ne pas fixer un revenu familial minimum?

J'ai entendu de très bons exposés expliquant que nous pouvons fixer ce minimum grâce au cadre qui existe déjà au Canada. Point n'est besoin d'y introduire un élément nouveau. Je n'en dirai pas plus là-dessus. Je vais plutôt passer à un aspect de la santé des populations.

Malgré les centaines de politiques, programmes et initiatives du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux, des administrations municipales et des ONG au Canada, nous occupons encore le 16e rang en matière de santé dans le monde. Depuis 10 ans, je me demande ce qui explique cela et je suis parvenu à une conclusion.

Il est intéressant de constater que Cuba, un pays démuni qui doit composer avec des embargos, occupe le même rang que nous en matière de santé. Nous nous sommes rendus là-bas et nous avons demandé des explications. À la différence de ce que nous faisons ici, là-bas les programmes sont déployés à la base, là où l'on peut influer sur les 12 déterminants de la santé, y compris la pauvreté. À Cuba, les programmes sont concrétisés sur le terrain et ils sont suivis à tous les paliers, jusqu'à Fidel, quand il était encore là il y a quelques jours.

Sur le terrain, les polycliniques traitent de questions de santé, offrent des services sociaux, y compris le logement, et traitent de tous les autres facteurs, revenu minimum, sport, éducation, y compris l'éducation de la petite enfance, et ce qui est encore plus important, la santé maternelle. Les chercheurs d'élite des instituts de recherche doivent aller de polyclinique en polyclinique et faire des stages obligatoires afin de voir ce que les instituts de recherche pourraient analyser afin que la situation sanitaire de Cuba s'améliore. Pourquoi ne pourrions-nous pas avoir des polycliniques au Canada?

Mme Lankin : Comme vous le savez, sénateur, les choses varient d'une province à l'autre. Au Québec, depuis bien des années, on tente de combiner les centres de santé communautaire et les programmes de services sociaux. Je ne peux pas vous donner tous les détails de cette façon de faire — je ne saurais vous dire si cela couvre tous les éléments que vous avez cités — mais cela participe de la même notion.

En Ontario, les centres de santé communautaire financés au départ par le ministère de la Santé ont petit à petit offert des programmes pour influer sur les déterminants sociaux de la santé dans les quartiers où ils sont installés. On constate donc, à Toronto par exemple, qu'on offre des programmes aux sans-abri, aux adolescentes enceintes et aux diabétiques — une gamme de programmes, mais axés sur les problèmes des habitants du quartier où le centre est implanté.

En travaillant avec le groupe de travail sur les quartiers forts, un de nos partenaires, Centraide, l'organisation où je travaille, a mis au point sa propre stratégie complémentaire pour évaluer sa contribution dans une stratégie d'ensemble visant les divers quartiers de la ville de Toronto.

Je vous ai parlé du plan d'action pour l'évolution des quartiers. Nous avons cerné des endroits qui peuvent devenir des plaques tournantes communautaires dans les quartiers où il y a le plus de pauvreté, ceux où l'on constate le plus grand nombre d'indicateurs négatifs ou faibles en matière de santé et où on constate des indicateurs sociaux influant sur la santé, et les quartiers où l'infrastructure des services sociaux est la moins développée.

En créant ces plaques tournantes communautaires, nous nous sommes dit qu'il était inutile d'attendre 10 ou 15 ans pour qu'un centre de santé communautaire évolue au point de devenir un centre multiservices. Nous avons pressenti le ministère de la Santé qui était sur le point d'investir pour augmenter le nombre des centres de santé communautaire.

Nous avons signalé l'importance d'injecter les nouvelles ressources destinées aux centres de santé communautaire précisément dans ces quartiers-là. Nous nous sommes engagés à faire une levée de fonds et nous sommes en train de mener le projet à bien, de doubler l'espace disponible dans les centres afin de pouvoir y installer les services sociaux et les autres programmes communautaires d'appui dans ces plaques tournantes communautaires.

Ce partenariat entre le secteur caritatif privé, les bienfaiteurs du secteur privé et le gouvernement est épatant mais ce n'est pas un cadre stratégique. Je pense que vous évoquez vous-même un tel cadre pour nous aider à apprécier l'importance et la valeur de ces plaques tournantes communautaires. Il nous faut un plan pour réaliser de telles initiatives, un plan de politique publique et non pas des initiatives stratégiques privées philanthropiques, comme c'est le cas actuellement dans notre ville.

Ailleurs qu'à Toronto, le secteur philanthropique n'est pas assez développé pour soutenir ce genre de partenariats.

Mme Browne : L'idée est excellente. Le manuscrit Ensuring the Best Start in Life appuie l'idée de plaques tournantes, et il pose la question : les programmes devraient-ils être ciblés ou universels? Dans notre étude, nous avons inscrit les enfants dans des garderies de qualité, convenant à leur âge, et dans des programmes récréatifs et d'acquisition des compétences. Ils étaient inscrits à des programmes réguliers offerts à toute la population afin qu'enfants démunis et enfants nantis se rencontrent et que leurs mères lient des liens d'amitié, s'engagent dans des échanges de bons précédés et s'entraident. Par exemple, une personne ayant une voiture pouvait en ramasser une autre qui n'en avait pas. Une personne pouvait offrir de nettoyer une maison en échange d'un rôti. On constate un esprit innovateur chez ces gens parce qu'ils ne peuvent pas augmenter leurs revenus, si bien qu'ils procèdent au troc.

L'idée des plaques tournantes me plaît mais il est important de diversifier. Par exemple, dans les quartiers pauvres, on n'offre peut-être pas des leçons de ballet ou de guitare, qui sont importantes pour encourager les arts. Les programmes financés par le gouvernement fédéral défrayaient le transport et le coût pour l'accès à de tels cours.

Il y a un grand gaspillage d'argent. En raison d'un effet multiplicateur, les 400 000 $, c'est-à-dire 100 000 $ par année, fournis par le gouvernement fédéral pour des garderies axées sur l'âge s'est transformé en 1,5 million de dollars en services fournis. On a constaté qu'une mère qui souhaitait faire de la natation avec son bébé pouvait se prévaloir d'un programme. Deux places étaient attribuables dans le programme mais il n'y a pas de coûts supplémentaires pour la deuxième place. Ainsi, nous libérions deux unités de service pour pouvoir acheter des leçons de ballet dans le secteur privé dont profite un autre enfant. C'est ainsi que les choses se passaient. Nous avons donc réexaminé les budgets et procédé à des analyses. Plus de 18 études démontrent que quelles que soient les circonstances, la population ou les autres variables, une personne aidée quant à ce qui détermine sa santé dans un ménage donné aboutit à plus d'efficacité et moins de dépenses l'année même. Les preuves sont renversantes et c'est une solution canadienne.

Par conséquent, je ne suis pas prête à dire que cela va coûter davantage. Les activités récréatives ne coûtaient pas davantage — car si on met les enfants en présence d'un entraîneur, ils n'ont pas besoin de psychiatres. Je préconise avec vigueur de ne pas faire intervenir des traitements professionnels car je préfère compter sur les débouchés naturels. Je ne sais pas s'il est bon que les gens reçoivent une prestation fiscale pour enfants. Les gens qui n'ont pas de logement vont utiliser cette prestation pour se loger et non pas pour l'enfant lui-même. Je souhaiterais un endroit où les enfants de toutes les couches de la société et de tous âges puissent se rencontrer et rencontrer des groupes multiculturels. Ainsi, nous pourrons peut-être prétendre à une société plus civile.

Mme Lankin : La province d'Ontario tente de déterminer les causes profondes de la violence chez les jeunes. L'examen est sous la houlette de l'ex-juge en chef Roy McMurtry et de l'honorable Alvin Curling. J'ai eu l'honneur d'être consultée pour leur travail. Le système de justice pénale fait l'objet de leur étude mais les groupes qu'ils ont consultés appuient, pour la plupart, la notion de débouché naturel.

Je pense que le ministère des Services à l'enfance et à la jeunesse de l'Ontario qui réfléchit aux services à offrir à sa clientèle commence à comprendre, même si le vocable n'est pas utilisé, que des services obligatoires après l'école, c'est- à-dire des programmes structurés à des points d'accès universels comme les écoles et les bibliothèques, aux heures où les enfants ne sont pas à l'école, sont probablement ce qu'il y a de plus accessible, à la portée des enfants. Ce genre de programme a sans doute l'incidence la plus forte comparativement à tous les autres s'agissant des services offerts par les organisations communautaires, bénévoles ou autres.

Bien rares sont les endroits au pays où il existe une approche concertée, voire un cadre stratégique sur lequel s'appuie une telle notion. Je pense qu'un cadre stratégique profiterait énormément d'une telle approche nous permettant de comprendre comment les ressources existantes sont réparties et comment les accroître.

Mme Browne : Les agences financées par ce ministère doivent se voir attribuer le mérite des épargnes dont elles sont responsables et ce n'est pas le cas. Lors d'une vaste étude, on a constaté que nous pourrions épargner près de 34 000 $ par année par patient en traitant une personne âgée et seule dans une clinique de jour spécialisée dans les maladies cardiaques où elle pourrait s'entretenir avec une infirmière au coût de 4 000 $. Deux patients traités de la sorte généreraient assez d'épargne pour payer le salaire d'une infirmière mais pour équilibrer leur budget, les hôpitaux congédient les infirmières. Les agences ne sont pas récompensées pour les épargnes qu'elles engendrent dans les autres secteurs. Comprenez-vous? C'est là le problème. Il n'est pas payant pour les agences de permettre à d'autres secteurs, à divers paliers de gouvernement, d'épargner de l'argent. La concurrence est générale. Je ne sais pas si vous songiez au budget fédéral, au budget provincial ou au budget municipal? Je ne sais pas à quel budget vous songiez mais j'aborde les choses sur le plan sociétal.

Le sénateur Keon : Je songeais à tous les paliers.

Le président : Les liens horizontaux comportent un énorme défi.

[Français]

Le sénateur Pépin : Madame Browne, vous proposez d'offrir directement aux familles à faible revenu des services exhaustifs et intégrés plutôt que d'attendre qu'elles en fassent la demande. Pouvez-vous me dire pourquoi cette approche proactive est si importante?

[Traduction]

Mme Browne : Je souhaite que nous rejoignions ces familles vulnérables car elles manquent souvent d'énergie et n'ont pas la santé mentale voulue pour faire appel à nous. Elles ne peuvent pas demander de l'aide. Pour n'importe quelle mère, il faut beaucoup d'énergie pour gérer le programme de trois enfants, organiser les déplacements, et cetera. Une personne dépressive et atteinte de trois autres maladies n'a pas l'énergie ou le temps de faire cela. Feu le Dr Orford disait que nos programmes rejoignent la classe moyenne et non les plus vulnérables.

Par exemple, les infirmières hygiénistes disaient autrefois que la moitié des patients qu'elles voyaient étaient des assistés sociaux. Toutefois, elles ne faisaient que 4 600 visites et à ce moment-là, la population des assistés sociaux à Hamilton était de 100 000 personnes, au début des années 1990. Seulement 1 p. 100 des assistés sociaux recevaient la visite d'une infirmière hygiéniste. Nous ne rejoignons donc pas ceux qui en ont besoin. Le programme d'action communautaire pour les enfants de Hamilton a décidé d'emprunter notre approche car il n'y avait aucun client. Personne ne faisait appel aux responsables du programme. Il faut donc renseigner les gens sur le programme, mais qu'ils aient l'énergie d'y avoir recours. Les familles les plus nécessiteuses ne savent pas comment utiliser le programme.

Les mères que nous avions comme clientes ne voulaient pas aller aux parcs municipaux et participer aux activités récréatives parce qu'elles se sentaient dégradées d'avoir à prouver leur faible revenu. Notre coordinateur dit aux mères qui sont nos clientes qu'elles ont droit à ce programme pour tous les enfants de la famille et on les aide à préparer la documentation nécessaire.

[Français]

Le sénateur Pépin : Vous avez fait des travaux qui s'adressent particulièrement aux familles recevant de l'aide sociale. Toutefois, il semble qu'actuellement, la pauvreté devient de plus en plus prononcée même chez les familles qui n'ont qu'un seul revenu.

Les conclusions que vous avez émises sur les familles qui reçoivent l'aide sociale, pourrait-on les appliquer aux familles pauvres qui travaillent? Mais peut-être que cela engendrerait de l'économie qui profiterait plutôt aux différents gouvernements?

[Traduction]

Mme Browne : Absolument. Il n'y a personne de plus pauvre qu'un travailleur pauvre. Les gens qui sont assistés sociaux et qui ont besoin d'antidépresseurs peuvent les obtenir. Personne n'est plus pauvre qu'un travailleur pauvre.

J'ai été ravie d'avoir la chance de conseiller la ville d'Edmonton pour son programme Les familles en premier, et ils font là-bas la même étude que j'ai faite sur les travailleurs pauvres et les assistés sociaux. Le programme d'Edmonton est remarquable et il est financé par le gouvernement fédéral à la hauteur de 3 millions de dollars. On a réuni de 9 à 12 millions de dollars de services à bien des paliers de gouvernement de sorte que c'est une expérience emballante.

La région de Peel a également reproduit l'étude que j'ai faite sur les assistés sociaux. On n'a pas voulu utiliser les places subventionnées car on souhaitait les conserver pour les travailleurs pauvres. Je suis allée à leur conseil réclamer de l'argent pour les autres places à l'intention des enfants assistés sociaux. La population d'assistés sociaux de la région était plus ancrée que celle de mon étude en ce sens que le gouvernement Harris avait éliminé une grande partie d'assistés sociaux. La répétition de mon étude a abouti à libérer 23 p. 100 de plus de clients de l'aide sociale. Cela signifie que pour chaque tranche de 100 mères à qui on offre le programme, 80 lui emboîteront le pas, selon mon étude. Le programme fédéral d'autosuffisance qui dispose de 125 millions de dollars pour que les mères quittent l'aide sociale a un taux de réussite de 24 mères sur 100. On ne peut pas parler de l'efficacité d'un programme s'il n'est même pas acceptable.

Si je commence à parler d'aide sociale là où on m'invite à prendre la parole, c'est parce que d'habitude dans la province d'Ontario, l'aide sociale relevant de l'administration municipale, celle- ci devait libérer des fonds pour les distribuer aux travailleurs pauvres. Le processus s'est donc déroulé par étape, non pas que les travailleurs pauvres ne nous intéressent pas.

Le sénateur Trenholme Counsell : Les exposés de ce matin sont d'un riche contenu qui témoigne d'une vaste expérience.

Madame Yalnizyan, je voudrais une précision. Dans la section des définitions pour le Canada, à la rubrique « pauvre », la tranche inférieure de 10 p 100 inférieurs représente des familles avec enfants qui gagnent moins de 9 500 $. Il doit y avoir une erreur ici.

Mme Yalnizyan : Non.

Le sénateur Trenholme Counsell : Ensuite, vous indiquez 23 500 $ après impôt.

Mme Yalnizyan : C'est parce que dans la tranche inférieure de 10 p. 100, certaines familles n'ont absolument aucun revenu gagné. La ligne de partage s'est rabaissée avec le temps; elle est passée de 14 500 $ à 9 500 $ de gains, car puisque dans la population il y a des gens qui ne touchent aucun revenu tiré d'un travail, on obtient ce résultat quand la population est partagée en 10 tranches égales.

Le sénateur Tricholome Conseil : Alors, pourquoi ces chiffres entre parenthèses, 23 500 $ après impôt?

Mme Yalnizyan : Cela inclut toutes les sources de soutien du revenu, après impôt, étant donné que les prestations d'assurance-emploi, l'aide sociale et les prestations fiscales pour enfants, et cetera, sont toutes des sources de revenu imposables.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je suis favorable à l'idée et à la nécessité absolue de réunir les services. Au Canada, je n'utiliserai pas le mot « polycliniques » car les cliniques accueillent des gens qui ont un problème. Je préfère de loin qu'on parle de centres de santé communautaire.

Je souhaiterais vivement que les centres de santé communautaire soient installés côte à côte avec les centres de ressources familiales, mais nous savons qu'au Canada, les centres de ressources familiales ont pour clientèle les enfants de moins de cinq ans. Je pense que le financement est accordé selon ce critère.

À la base, il faut une approche intersectorielle, les divers ministères devant travailler ensemble. À cet égard, les choses commencent à bouger. À propos des nouveaux modèles à instaurer dans les collectivités que vous avez si bien décrites, madame Lankin, pourrait-on envisager un centre de santé communautaire jumelé à un centre de ressources familiales qui comporterait également un centre de santé mentale. Il ne faudrait pas que les centres de santé mentale soient isolés pour lutter contre la stigmatisation associée à la maladie mentale. Dites-moi ce que vous en pensez.

Monsieur Battle, je vous ai écouté mal à mon aise quand vous avez préconisé qu'on augmente la prestation fiscale pour enfants. C'est une bonne suggestion mais malheureusement on nous rappelle constamment que les ressources et les budgets nous forcent à faire des choix, les ressources étant moins abondantes peut-être. Récemment, c'est le message que le ministre des Finances nous a transmis.

Je me tourne vers ce que le Québec a fait avec ses programmes familiaux. On a fait là-bas un gros investissement dans les familles avec les garderies et le développement de la petite enfance. Je suis allé en Nouvelle-Zélande, il y a peu, et j'ai eu la chance de passer beaucoup de temps avec le ministre de l'Éducation et les gens qui là-bas s'occupent de concrétiser les centres de la petite enfance. Le gouvernement, là-bas, a investi énormément, directement dans les programmes et services — de façon universelle et générale, mais certainement dans le domaine qui m'intéresse au plus haut point.

Si nous devons faire un choix, devrait-on verser l'argent aux familles en bonifiant la prestation pour enfants? Ce faisant, on ne sait absolument pas à quoi va servir cet argent ou bien s'il sera dépensé de façon à améliorer le développement, l'espoir, l'instruction et pour finir, les résultats. Au lieu de nous attarder aux programmes et services, devrions-nous plutôt nous tourner vers l'enrichissement communautaire? Bien entendu, nous souhaitons les deux. Au Canada, nous regardons ce que le Québec a fait, en tant qu'exemple, mais j'aimerais savoir ce que vous pensez?

Mme Browne : Cet exemple et toutes les preuves que j'ai pu vérifier démontrent que si un programme ne vise pas les enfants, les enfants n'en profiteront pas.

Le sénateur Trenholme Counsell : Pouvons-nous avoir accès à ces preuves?

Mme Browne : Pas immédiatement. Elles remontent au mois de décembre dernier et c'est un bon résumé de toutes les analyses canadiennes des coûts-avantages

Le sénateur Trendholme Counsell : J'aimerais obtenir cette étude.

Mme Browne : Volontiers, je vous l'enverrai. Dans ma propre étude, j'ai découvert que quand les infirmières hygiénistes aident les mères qui ont des problèmes de santé mentale, cela n'aide pas leurs enfants. Toutefois, quand les enfants participent à des programmes récréatifs — et un enfant hyperactif était inscrit à neuf de ces programmes en même temps — on peut imaginer que cela soulage les mères. Pendant l'étude, on a constaté que plus les enfants présentaient des problèmes intenses, plus ils étaient inscrits à une multitude de programmes, autant qu'ils voulaient. Par conséquent, c'est seulement quand des programmes visent l'enfant lui-même que cela a une incidence sur lui. Les familles sont si pauvres qu'en l'absence de tels programmes, l'enfant n'aura pas d'activité. La famille doit avoir un toit. L'argent sert à payer l'hypothèque, forcément.

Mme Lankin : Cela vous explique pourquoi un cadre de politique publique pour réduire la pauvreté comporte tant de volets. Comme Mme Yalnizyan et d'autres l'ont dit, toute une gamme d'éléments, notamment le logement, doivent retenir l'attention.

Toutefois, l'infrastructure sociale communautaire est un supplément capital pour appuyer les familles et les aider à élever des enfants en santé. L'infrastructure sociale communautaire ne remplace pas le revenu, mais elle est cruciale. Quant aux défis que comporte l'instauration de plaques tournantes communautaires, c'est une notion que nous préconisons depuis longtemps dans le secteur communautaire. Sénateur Keon, nous abondons tout à fait dans votre sens : il est vrai que diverses facettes d'un programme sont financées par divers services gouvernementaux. Au fil des ans — et je suis sûre que vous avez entendu dire cela auparavant — le financement visait les programmes, sans financer le côté matériel. Pour cette raison, il est difficile de trouver des installations. Il faut bien que quelqu'un achète l'immeuble ou paie le loyer, paie l'électricité, le chauffage, l'assurance et les services d'entretien. C'est là que se trouvent les obstacles. Dans nos projets de plaques tournantes et dans nos stratégies à Toronto, nous nous en tirons grâce aux œuvres caritatives qui nous fournissent ces services-là. Les gouvernements injectent de l'argent dans les programmes qu'ils veulent appuyer. À moins d'avoir des installations, nous ne pouvons pas faire le réseautage de ces programmes, les réunir en un seul endroit pour appuyer toute la famille car nous sommes forcés de nous éparpiller.

Finalement, vous avez parlé des centres de ressources familiales qui sont intégrés à un cadre stratégique pour la petite enfance adopté à l'échelle nationale et dans chacune des provinces. Les gens comprennent l'importance de la petite enfance et ont mis des stratégies en place. Au Canada, nous n'avons pas de cadre stratégique national exhaustif, voire pluri-provincial, pour les jeunes de cinq ans et plus et les adolescents, et l'approche de Mme Browne pourrait en partie constituer le cœur d'une telle politique. Il s'agirait de l'accès à des services et à des appuis autorisés pour les enfants. Pour l'heure, nous n'avons pas de politique cohérente.

D'après nos recherches, nous constatons que d'autres pays se sont donné des cadres stratégiques pour les enfants de plus de cinq ans et les adolescents de même que pour la petite enfance. Si nous réclamions un tel cadre pour notre pays, nous donnerions un élan important à la coordination et à la prestation des services auprès des familles.

Mme Browne : J'abonde dans ce sens car les années de la naissance à six ans sont celles qui comportent le moins de défis pour la mère. Les gros défis viennent quand les enfants ont dix ans.

M. Battle : Cette question ne date pas d'hier. Combien de fois nous a-t-on dit que nous devions faire un choix? Mais nous n'avons pas besoin de faire un choix. La pauvreté est un phénomène hétérogène et compliqué. Nous le savons, d'après ce que nous avons entendu aujourd'hui et ce que nous entendons depuis dix ans. C'est une question compliquée et pour la résoudre, il faut une gamme de solutions. Il faut une panoplie de services et des programmes de revenu majeurs. Nous n'avons jamais prétendu que les programmes de soutien du revenu étaient la réponse pour enrayer la pauvreté, ce n'est qu'une des réponses.

Quant à savoir si nous avons les moyens de financer ces programmes, eh bien prenons le dossier des garderies. Le gouvernement fédéral actuel pense qu'un programme de revenu qui verse 100 $ par mois aux familles, lesquelles peuvent dépenser cet argent comme elles l'entendent, pour faire garder leurs enfants ou pour autre chose, constitue un programme de garderie. À mon avis, un service de garderie est manifestement un des services qu'il n'est pas souhaitable de remplacer par un programme de revenu. Cela ne veut pas dire qu'il faut forcer les gens à utiliser leurs prestations pour payer des services de garde. En revanche, il nous faut augmenter le nombre de garderies acceptables.

Les gouvernements font des choix quant à la façon de dépenser ou de lever les impôts. La réduction de la TPS, décriée par presque tous les économistes, coûte plusieurs milliards de dollars et cet argent n'est plus disponible.

Nous parlons du remboursement de la dette depuis des années. Le ratio du Canada de sa dette par rapport au PIB a diminué progressivement avec le temps. Dans la mesure où le gouvernement maintient un budget qui s'accompagne d'une quelconque croissance économique, cette diminution se maintiendra. Les milliards de dollars que le gouvernement consacre au remboursement de la dette contribuent à cette diminution pour une fraction de 1 p. 100. Ces sommes pourraient être injectées dans des programmes de prestations pour enfants, dans la bonification de la prestation fiscale pour le revenu gagné, dans des prestations pour personnes âgées, et cetera.

Les déductions pour contributions à des régimes enregistrés d'épargne-retraite et à des régimes enregistrés de pension représentent des milliards de dollars de manque à gagner fiscal et profitent aux Canadiens à revenu élevé. Les 5 000 $ qui pourront désormais être versés à un compte d'épargne constituent un autre manque à gagner et par là on souhaite inciter à l'épargne les Canadiens à revenu moyen, qui n'arrivent pas actuellement à cotiser à des régimes enregistrés d'épargne-études ou à des REER. Les Canadiens à revenu élevé n'ont pas besoin d'un incitatif de 5 000 $.

Les gouvernements doivent constamment faire des choix et je n'accepte pas que nous qui nous occupons de pauvreté devions choisir entre des services ou des revenus. Mme Yalnizyan peut vous donner des chiffres, mieux que moi, mais des milliards de dollars ont été dépensés à mauvais escient.

Le sénateur Keon : Monsieur Battle, pourquoi pensez-vous qu'on ne peut pas supprimer tout le reste et ne conserver qu'un revenu familial minimum?

M. Battle : Je sais que le comité du sénateur Segal se penche sur cette question car j'ai été invité à témoigner. Quand vous parlez de revenu minimum, je pense que vous songez à un revenu annuel garanti, N'est-ce pas?

Le sénateur Keon : Oui.

M. Battle : Il faut se demander si un revenu garanti est une fin ou un moyen. Est-ce une chose que nous voulons réaliser ou est-ce un moyen de parvenir à quelque chose? Selon moi, j'ai toujours pensé qu'il s'agissait d'un objectif et non pas d'un moyen. Autrement dit, nous voulons donner aux Canadiens un revenu de base acceptable.

Comment alors créer ce revenu de base? Souvent les gens qui sont tenants d'un revenu garanti pensent que l'on devrait supprimer tous les programmes de revenu provinciaux et fédéraux actuels. Ces programmes sont compliqués. Pourquoi ne pas les supprimer entièrement et les remplacer par un seul programme? Par là, nous ferions du revenu garanti un moyen en même temps qu'un objectif.

Il serait difficile de supprimer tous les programmes actuels. Il serait difficile de trouver une formule de revenu garanti qui cadrerait avec les programmes actuels. La logique d'une prestation pour enfants acceptable est d'offrir un revenu garanti aux familles avec enfants. Cette prestation pour enfants ne vient pas en aide aux parents parce qu'elle vise les enfants. Les parents devraient recevoir une aide, une prestation pour adultes, et l'Institut Caledon et d'autres travaillent à cette notion de prestations pour adultes.

Pour les aînés, il existe un revenu garanti. Il n'est pas énorme mais il a aidé à réduire la pauvreté chez les personnes âgées au fil des ans. Je songe ici aux programmes provinciaux et fédéraux.

Les gens cherchent souvent la solution magique. Ils pensent que si on se débarrasse de tout et si on instaure un revenu garanti, tout ira pour le mieux. Je pense que nous aboutirions à réinventer le système actuel car un revenu garanti unique ne répondrait pas à tous les besoins des gens à faible revenu. Cela dit, le problème demeure entier et de nouveau, il est d'actualité, si bien que nous allons y réfléchir sans préjugés.

Le président : Le comité va se pencher sur cette question également dans le contexte de cette étude. Nous avons l'intention d'y consacrer une table ronde d'une journée.

Mme Yalnizyan : Nous disposons de quantités de ressources. À Toronto, 100 écoles ont fermé leurs portes. Il n'y a plus assez d'enfants. D'aucuns parlent de polycliniques. Notre système scolaire a été constitué de telle sorte que les enfants puissent se rendre à l'école à pied, si bien que chaque quartier a son école alors que le taux de fécondité chute. Nous avons là un actif du domaine public, entièrement financé, qui se trouve dans chaque collectivité, à une distance raisonnable. Ces écoles pourraient être des guichets uniques pour des services et des programmes non seulement à l'intention des enfants, non seulement à l'intention des adolescents, ou à l'intention des personnes âgées ou des nouveaux arrivants mais elles pourraient constituer un espace public ouvert à tous.

Nous discuterons de la façon de les aménager. Nous sommes en train de nous pencher sur le dossier. La Commission scolaire du district de Toronto a un tel besoin de liquidités qu'elle songe à vendre ses 100 écoles, les immeubles comme les terrains. Quand la génération Nexus aura eu sa progéniture, il nous faudra voir comment on acquerra des propriétés pour y construire les écoles nécessaires.

Entre-temps, nous pourrions utiliser ces ressources-là après les heures et pendant les heures pour offrir des services publics comme ceux dont vous avez parlé, comme des soins de santé, des services de santé mentale et certaines des initiatives mentionnées par Mme Browne.

Il est aberrant que l'on continue de se départir d'actifs publics que la génération de mes parents est parvenue à construire avec une fraction des revenus que nous avons maintenant. Il est vrai que nous avons du mal à les entretenir, et qu'on ne peut pas songer à les agrandir, mais il n'en existe pas moins.

Un programme fédéral qui moderniserait ces actifs et qui permettrait de les maintenir serait génial. Ces édifices font partie du patrimoine que nous avons construit ensemble. Ne les abandonnons pas comme de vulgaires biens immobiliers. Ils représentent des gains en capital; servons-nous de ce que nous possédons et servons-nous en mieux.

Voilà une réponse aux polycliniques. Nous avons ce qu'il faut comme infrastructure massive. Je reprends ce que Mme Lankin a dit : il n'ait pas un programme qui desserve les enfants torontois qui n'ait de difficulté à trouver l'argent pour le chauffage, l'électricité et l'entretien. Cette situation est inouïe. Les gouvernements peuvent financer un programme mais ils ne financent pas l'édifice qui abrite ce programme. S'attend-on à ce que l'on fasse des levées de fonds pour cela?

Le gouvernement fédéral peut mettre au point une formule pour ce financement. Quand nous sommes rentrés de la guerre en 1948, nous avons construit ces écoles. Ne peut-on pas les garder ouvertes, avec un minimum d'aide?

Mme Lankin : Le gouvernement fédéral a constitué un groupe d'experts pour évaluer l'administration d'une somme de 24 milliards de dollars fédéraux distribués sous forme de subventions et contributions. J'étais la présidente de ce groupe et j'ai fait rapport au premier ministre Harper et à ses ministres, leur présentant certaines recommandations.

Le rapport recommande une comptabilisation du coût complet des programmes et — sans parler de financement de base, ce qui est démodé — il recommande que l'on comprenne les véritables besoins justifiant le coût de prestations. Quand le gouvernement choisit de faire dispenser ses programmes par des entités tierces, il faut que l'on cerne bien les coûts que cela représente.

Le gouvernement est saisi de certaines recommandations actuellement et on pourrait s'y reporter.

Mme Yalnizyan : Je voudrais parler de la question du revenu annuel garanti. Comme l'a dit M. Battle, cette idée n'est jamais tout à fait retenue ni tout à fait écartée. Il y a fort longtemps que nous en parlons. J'ai écrit un court rapport sur la question et je le fournirai volontiers au greffier.

Il y a eu deux tentatives d'instauration d'un revenu annuel garanti au cours des deux dernières décennies. La première faisait suite au rapport de la Commission Macdonald qui a appelé ce programme, programme universel de supplément du revenu. L'autre tentative découlait du rapport de l'Assemblée législative de Terre-Neuve en 1993.

Dans les deux cas, un tel minimum en dollars actuels serait de moins de 6 000 $ par an pour les pauvres et de moins de 3 000 $ par an pour les enfants. Il faudrait repenser tous les programmes comme le Régime de pensions du Canada, l'assurance-emploi, les allocations familiales, afin de financer ce revenu garanti. Songez à ce que représentent 6 000 $ par an pour vous.

Je voudrais revenir à la question des moyens à notre disposition. Nous en sommes à un point dans notre histoire économique où des quantités de gens prendront leur retraite et où nous inviterons plus d'immigrants à intégrer notre marché du travail pour combler les emplois vacants. Ils viendront s'installer dans les grandes villes. Si nous n'avons pas un programme de logements en place, la crise du logement va s'intensifier. Même si les gens ont des salaires plus élevés, une proportion toujours plus forte de leur revenu après impôt est consacrée au logement. Plus tôt cette semaine, Statistique Canada a fait rapport là-dessus.

Si le gouvernement ne fait rien pour que les Canadiens aient les moyens de se procurer les choses essentielles, nous allons être en difficultés. Ce n'est pas une question de revenu; c'est une question d'avoir les moyens. Ce n'est pas un problème qui touche les plus pauvres. Le problème touche une proportion de plus en plus importante des Canadiens. Il appartient au gouvernement fédéral de s'occuper des choses essentielles, la salubrité de l'eau, le logement, l'éducation et les soins de santé. Tout cela est en péril.

Les gouvernements auront beau remplir les poches des citoyens, cela ne va pas régler le problème de la réglementation de ces choses de base, pour qu'elles soient accessibles et abordables. Peu importe que les gouvernements haussent le supplément de revenu, les gens vont continuer de se démener pour se procurer les choses essentielles. Pas question de se procurer ce dont ils ont besoin pour élever leurs enfants, et pas question non plus d'épargner pour les mauvais jours ou pour la retraite. Ils n'arrivent pas à joindre les deux bouts.

Je vous exhorte à tâcher de comprendre que les solutions ne sont pas impossibles du point de vue économique ou financier, étant donné nos ressources. Nous pouvons le faire. Il faut avant tout être lucides en ce qui concerne les problèmes qui s'annoncent. Oublions le ralentissement économique. Quels sont les graves problèmes à long terme? Le logement en est un et voilà pourquoi il est épatant que le comité ait choisi de faire le lien entre la pauvreté et le logement. Une fois que nous aurons réglé le problème de logement, les gens auront à leur portée l'argent nécessaire pour s'occuper des autres besoins.

Le sénateur Munson : Votre remarque tombe à pic car j'avais pris note tout à l'heure de ce que vous avez dit à propos du marché qui fixe les prix, les riches devenant plus riches, et cetera. Vous reprenez cette question du logement de nouveau sous l'angle de la réglementation et de l'intervention gouvernementale.

Nous vivons dans un milieu démocratique. Pouvez-vous nous donner des modèles de réglementation permettant au gouvernement d'intervenir pour régler la question du logement abordable?

Mme Yalnizyan : Il existe plusieurs modèles et je vous exhorte à consulter des experts en matière de logement. Vous savez que le fonds de la Société canadienne d'hypothèque et de logement est excédentaire. On pourrait s'en servir pour construire des logements sans nécessairement avoir à négocier avec les partenaires provinciaux et on pourrait commencer à construire dès maintenant.

Nous savons que, quand vient le moment de construire, il ne suffit pas d'acheter des terrains; il faut aussi intensifier l'usage des terrains des centres-villes. Nous savons que, aux termes de certains règlements, on peut libérer l'espace existant déjà dans les grands immeubles. Nous savons que nous pouvons utiliser l'énergie de cette croissance colossale du logement au pays qui a fait grimper les loyers, en travaillant avec les villes et les différentes administrations pour s'assurer qu'une proportion de ces logements sont abordables.

Les gouvernements n'ont pas à construire toute l'infrastructure, le marché s'en occupera. Le rôle du gouvernement est de s'assurer que les gens aient un logement abordable et qu'ils ne soient pas expulsés de leur quartier quand ils s'embourgeoisent. Personne ne sait où se retrouvent ceux que l'embourgeoisement a chassé de leur quartier parce que cette question n'est pas étudiée.

Il existe de multiples modèles pour créer de plus grands parcs de logement abordables. Je ne suis pas expert en la matière, mais si l'idée d'une politique nationale du logement vous intéresse, bien des options s'offrent à vous. Elle ne s'adresse pas uniquement aux plus démunis ou aux itinérants.

Il faut toutefois que les femmes aient un endroit sûr où s'installer. Bien des gens restent où ils sont parce qu'ils n'ont aucun endroit sûr où aller. Il y a des refuges, des maisons de transition, des logements à loyer modique et des logements sociaux. Il existe toutes sortes d'approches et le gouvernement fédéral doit s'engager quelle que soit l'approche retenue, car il ne s'agit pas seulement de locataires pauvres, de propriétaires pauvres ou de personnes âgées. Il nous faut une bonne politique du logement. Nous en avons eu une de 1948 à 1993. Nous sommes le seul pays au monde qui n'a pas de politique fédérale du logement, et nous en avons désespérément besoin.

Le sénateur Munson : Je présume que d'autres témoins viendront devant notre comité pour traiter de ces questions.

La présidente : Nous avons déjà entendu des témoins sur ce sujet; cette semaine, nous mettons l'accent sur la pauvreté chez les enfants, bien que nous reconnaissions qu'il s'agit en fait de la pauvreté des familles. Nous avons eu quelques séances sur le logement, et nous en aurons d'autres.

Mme Yalnizyan : Si vous le souhaitez, je peux vous donner une liste de noms, d'organisations et de personnes- ressources.

Le sénateur Munson : Brièvement, monsieur Battle, vous avez parlé de la prestation universelle pour la garde d'enfants. Au début de vos remarques, vous avez dit que ce n'était pas une bonne mesure.

Avez-vous fait des enquêtes sur cette prestation? On a fait valoir que les familles devraient être celles qui, avant tout autre, aident leurs enfants. Pourquoi n'est-ce pas une bonne mesure?

M. Battle : Essentiellement, c'est une nouvelle forme d'allocations familiales, et ce programme était loin d'être parfait. La prestation universelle pour la garde d'enfants diffère tout de même un peu d'une allocation familiale mais si on la compare à la prestation fiscale canadienne pour enfants, elle ne fait pas le poids.

Comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, avec la prestation fiscale canadienne pour enfants, il n'y a pas de mauvaises surprises. Autrement dit, toute famille qui reçoit une telle prestation en garde l'intégralité.

La prestation universelle pour la garde d'enfants, elle, est imposable non seulement par le gouvernement fédéral, mais aussi par les provinces et territoires.

Mon mémoire donne des exemples de la prestation universelle pour la garde d'enfants nette, après impôt, pour chaque province et territoire. Les familles reçoivent des montants différents. Comment peut-on avoir un programme fédéral qui, dans les faits, prévoit une prestation différente non seulement selon la province, mais aussi selon le genre de famille. Les familles qui ont le même revenu n'auront pas droit à la même somme selon qu'il s'agit d'une famille monoparentale, selon la fourchette de revenus, même si le revenu et le nombre d'enfants est le même. Cela n'a aucun sens. C'est injuste et illogique.

Le sénateur Munson : Si cet argent servait à payer des services de garde, cela équivaudrait-il à quelques jours ou à un mois, pour une famille moyenne?

M. Battle : Cela dépend de l'endroit. Je n'ai pas vu d'enquête sur la prestation universelle pour la garde d'enfants, mais pour en avoir parlé récemment avec des prestataires d'aide sociale et des travailleurs, je sais qu'ils trouvent risible la somme de 100 $. Il est certain que, si on leur donne 100 $, les gens les prendront. L'autre jour, j'ai vu sur le site Web du gouvernement fédéral qu'il fait sa propre enquête, financée à même les fonds publics, je présume, dans laquelle il invite les familles qui reçoivent la prestation universelle pour la garde d'enfants à écrire pour raconter comment cette prestation les a aidées.

Le sénateur Munson : J'irai voir ce site.

Mme Lankin : Pour revenir à ce qu'a dit Mme Yalnizyan sur le défi du logement abordable, j'aimerais vous toucher quelques mots du coût de la pauvreté, outre les conséquences pour la santé et les autres dont il a été fait mention. Dans notre rapport, il y a des statistiques intéressantes, mais je vous dirai simplement qu'à Toronto, de 1999 à 2006, le nombre de demandes d'expulsion pour défaut de paiement du loyer a augmenté de 26 p. 100, et ce, pendant une période de croissance économique et d'importantes retombées économiques. Il est donc évident que l'abordabilité est un défi à bien des égards.

Pour cette période, nous avons toutes sortes de statistiques sur la croissance de l'endettement et de l'insolvabilité des consommateurs. Certaines de ces statistiques sont pour tout le Canada, mais dans la région de Toronto, nous savons que le nombre de cas d'insolvabilité a augmenté de 22 p. 100 entre 2000 et 2005. L'été dernier, le personnel et les bénévoles de Centraide ont fait une petite étude en parcourant les rues en voiture, ce qui nous a permis d'établir la carte des établissements de prêt sur salaire et des prêteurs marginaux. Il a été difficile de trouver des données historiques, mais nous avons été frappés de constater que pendant une période semblable, soit un peu plus de dix ans, le nombre de ces établissements est passé d'environ 37 à 40 à 317 situés surtout près des grandes lignes d'autobus et de métro et dans les quartiers les plus pauvres. Le taux d'intérêt et de refinancement de ces établissements va de 30 ou 40 p. 100 par an à plus de 1 000 p. 100. Voilà ce qu'il en coûte d'être pauvre et incapable de gérer les finances de la famille. Ces entreprises spécialisées se sont multipliées pour répondre à un problème mais ne font qu'accroître le fardeau des différents coûts que doivent assumer les pauvres.

On assiste à un désinvestissement des sociétés dans ces quartiers; les supermarchés s'en vont et il ne reste que les dépanneurs où on s'approvisionne pour plus cher. Quand il n'y a pas de banques, les gens vont chez le prêteur sur salaire, et c'est plus coûteux. Les familles, pas seulement les familles pauvres mais aussi celles de la catégorie de revenu médiane ne semblent plus avoir les moyens de vivre dans les grands centres urbains. Je ne connais pas les défis qu'on doit relever dans les régions rurales, mais comme Mme Yalnizyan, je vous encourage à traiter de ces questions dans votre rapport et à suggérer des orientations politiques. Vous feriez là un travail très utile.

Le président : Sur le sujet du logement, nous avons entendu des représentants de la SCHL, l'Association canadienne d'habitation et de rénovation urbaine, la Fédération de l'habitation coopérative du Canada et Derek Ballantyne de la ville de Toronto. La semaine prochaine, nous accueillerons le groupe de travail sur le logement du caucus des maires des grandes villes représenté par Anne Marie DeCicco-Best, mairesse de London, ainsi que des représentants de Vancouver, et Sean Gadon, du Bureau du logement abordable de la ville de Toronto. Nous n'avons donc pas fini notre examen des questions liées au logement.

Le sénateur Fairbairn : Je serai brève. En vous écoutant et en vous regardant, surtout vous, monsieur Battle, je repense à ma vie. Nous avons tous participé à tant de réunions de ce genre au fil des ans. Je crois bon d'évoquer maintenant l'alphabétisation, car je sais que cette question est liée à bien des points que vous avez soulevés. Toutefois, le déficit est encore énorme à cet égard au pays. Peu importe qu'on offre toutes sortes de belles choses, ceux qui ne savent par lire ne pourront les trouver. Dans toutes les discussions que nous avons eues au fil des ans, nous avons constaté des progrès, mais on ne semble plus progresser. Il y a eu des changements, mais certaines des réalisations des dernières décennies sont maintenant en péril ou choses du passé. J'aimerais avoir votre avis sur le sujet.

Mme Yalnizyan : Je voudrais faire un lien entre les questions d'alphabétisation et d'immigration. Je sais que ce n'est pas un lien évident. J'ai été directrice de la recherche au Social Planning Council pendant 10 ans. Il y a beaucoup plus d'enfants musulmans qui viennent à Toronto ces jours-ci. Un des problèmes majeurs c'est le nombre de garçons préadolescents et adolescents qui suivent des cours sans une formation adéquate en anglais langue seconde. Ils sont laissés à eux-mêmes durant l'année scolaire, n'apprenant rien et ne comprenant pas ce qui se passe dans les cours. Ils ne se développent mais sont promus d'année en année, bien qu'ils soient illettrés et incapables de s'intégrer. Ils sont engagés dans leurs cultures et collectivités d'origine, ce qui est vraiment troublant puisque cet état de choses découle d'un manque d'argent.

Je suis pleinement d'accord pour dire que l'alphabétisation est un énorme problème. Pouvoir communiquer de façon efficace est un défi de taille pour tous et chacun, que l'on soit pauvre, de classe moyenne ou bien nanti. Si l'on considère cet aspect de la pauvreté sur lequel le gouvernement fédéral se penche, il faut comprendre que la politique d'immigration ne se limite pas au simple fait de donner de l'argent pour les services d'établissement. Nous apprécions grandement qu'il y ait davantage d'argent de disponible pour les services d'établissement dans les grands centres urbains, mais le droit à la citoyenneté ou au statut d'immigrant reçu au Canada tient en partie au fait que, lorsqu'on arrive au pays, on peut apprendre une des langues officielles, si ce n'est pas déjà acquis, et cela par l'entremise d'un programme fédéral parce que, bon Dieu!, nous avons besoin qu'ils s'intègrent dans le marché du travail et dans la société canadienne. Si ça ne fait pas partie des modalités d'accueil au pays, cette question majeure viendra nous hanter dans un avenir prochain.

Mme Lankin : C'est un énorme problème, madame le sénateur, et nous commençons à noter un recul, ce qui devrait tous nous préoccuper. Je souscris aux observations de Mme Yalnizyan, mais d'un point de vue pancanadien la question ne se limite pas seulement aux expériences des nouveaux arrivants et l'enseignement de l'anglais comme langue seconde. De par notre travail, qui se fait dans la collectivité et qui est axé sur le succès des jeunes, je fais le lien entre l'alphabétisation et la réussite et l'accomplissement scolaire de même que le niveau d'instruction. Récemment, nous avons beaucoup travaillé avec des programmes d'aide comme le programme Passeport pour ma réussite, qui a obtenu des résultats remarquables dans l'unique communauté où le programme a été mis en œuvre. Centraide a collaboré afin d'étendre le programme à d'autres collectivités, et certains projets démarrent dans diverses régions du pays. Le programme est axé sur le mentorat, le tutorat et l'interaction sociale, et octroie un soutien financier en forme de bourse d'études. C'est un programme qui contient beaucoup de mesures incitatives. Dans nos recherches, nous examinons les obstacles qui doivent être surmontés dans d'autres collectivités grâce à des mesures positives de développement communautaire.

Ce que nous devons aussi comprendre c'est que l'accès à l'Internet est un élément critique, et cet accès n'est pas fourni de façon équitable dans nos écoles. Lorsque nous comparons deux écoles, une d'un quartier pauvre et l'autre d'un quartier de classe moyenne ou aisée — je parle d'écoles publiques et non pas privées — on voit que l'équipement est déployé de façon différente indépendamment des attentes et des demandes des parents. Les parents sont prêts à faire un effort supplémentaire pour recueillir des fonds afin d'acheter les équipements nécessaires. Certains segments de la population sont privés des outils d'apprentissage de base, qui permettent l'égalité des chances.

Pas plus tard qu'hier, j'ai participé à un déjeuner-conférence organisé par le président de l'Université de Toronto et où participaient Michael Dell, le PDG de la compagnie Dell Computing. On y a parlé d'un programme où cette compagnie collabore avec le gouvernement du Mexique, qui a statué que tous les programmes d'études de 5e et 6e année soient basés sur une technologie assistée par ordinateur. On a entendu dire que dans certaines régions du pays le matériel informatique devait être livré par bateau et à dos d'âne. Toutefois, une fois le matériel branché, l'apprentissage des enfants se fait plus facilement grâce à cet accès à la technologie. On a aussi parlé de programmes tels le programme des Nations Unies visant à donner un ordinateur portable de 100 $ à tous les enfants. Selon les intervenants, ce genre de programme permet aux enfants de 5e et 6 années au Mexique de rapidement surpasser les étudiants de niveau secondaire dans plusieurs régions de l'Amérique du Nord.

Il existe des possibilités pour cet investissement, et je voudrais revenir à la période intermédiaire de l'enfance, non seulement à la petite-enfance, et le cadre politique sur toute une série de choses concernant les jeunes. Cela dit, la perpétuation d'une génération à l'autre de la pauvreté est énormément réduite par l'enseignement, l'alphabétisation et le succès scolaire, et les choix de finir l'école secondaire et de continuer des études après.

Le président : Il ne me reste que sept minutes, et j'ai la sénatrice Callbeck et la sénatrice Cordy qui veulent poser des questions. Je demanderais aux deux de poser leurs questions et je prierais ensuite les témoins d'y répondre avant de clore la séance à 13 heures.

Le sénateur Callback : J'ai deux questions, qui découlent toutes les deux du mémoire de Mme Lankin. Vous avez mentionné tantôt qu'il y avait eu une montée en flèche des services bancaires marginaux, des prêts sur salaire, de l'encaissement des chèques, et cetera. On constate ce phénomène partout au Canada. Ce genre de service s'est multiplié dans ma province ces dernières années. Le gouvernement fédéral a mis ce problème sur le dos des provinces. Dans certaines provinces, il existe maintenant des règlements. Je crois qu'il existe une réglementation stricte en Colombie- Britannique, en Saskatchewan, au Manitoba, en Nouvelle-Écosse et au Québec. Est-ce que le gouvernement fédéral a toujours un rôle à jouer? Lorsque ce projet de loi a été présenté au Sénat, j'ai été tout à fait choquée des frais et des taux d'intérêt payés par les utilisateurs de ces services. Il me semble qu'ils sont prisonniers d'un cycle de dette. Ils ne comprennent pas le contenu du document qu'ils signent, ou peut-être qu'ils ne prennent pas le temps de le lire. Le gouvernement fédéral a-t-il un rôle à jouer dans la sensibilisation de la population, ou peut-il modifier la Loi sur les banques pour obliger celles-ci à être plus accueillantes?

Le sénateur Cordy : Je suis d'accord avec les propos de M. Battle et des autres témoins : ce sont les plus vulnérables qui doivent toujours faire des choix. Par contre, les gens aisés doivent décider s'ils vont mettre leur argent dans un REER, dans un régime d'épargne-études pour leurs enfants ou leurs petits-enfants, ou dans le nouveau régime d'épargne où on peut investir 5 000 $ par an. L'un d'entre vous avait fait observer que les travailleurs à faible revenu étaient les plus pauvres de tous. J'aimerais parler de ces familles pauvres dans le contexte de l'assurance-emploi. On a toujours tendance à penser que le filet de sécurité qu'on appelle l'assurance-emploi vise à offrir des prestations à ceux qui perdent leur emploi. Mais on constate que le quart des gens dans le milieu du travail n'y ont pas accès. Ils ne peuvent pas demander et recevoir des prestations du programme d'assurance-emploi. Il s'agit dans ce cas d'une responsabilité fédérale. Quelle recommandation le comité peut-il faire pour améliorer le programme d'assurance- emploi? Quand j'ai lu le budget cette semaine, je suis devenue encore plus inquiète parce que l'assurance-emploi semble presque en voie d'être privatisée. Puisque ce programme est de compétence fédérale, que pouvons-nous faire au palier fédéral pour garantir que les gens toucheront les prestations auxquelles ils ont droit?

M. Battle : Je vais parler de l'assurance-emploi. Environ 44 p. 100 des chômeurs canadiens reçoivent des prestations d'assurance-emploi, je crois, le pourcentage étant différent d'une province à l'autre. Dans certaines provinces, le chiffre est même plus bas, ce qui est extraordinaire. Et la couverture dans les grands centres urbains est piètre aussi — 20 p. 100, 25 p. 100, 30 p. 100 ou 35 p. 100. C'est un programme social de grande envergure qui ne produit pas les résultats escomptés. C'est un programme complexe, sans doute le programme social le plus complexe que j'ai déjà vu, puisqu'il y a toutes sortes de conditions pour y avoir accès. Les règles d'admissibilité visent non seulement le nombre requis d'heures de travail, mais aussi les différences entre les taux de chômage dans les 50 et quelques régions économiques au Canada. C'est très compliqué : dans une région donnée, une personne pourrait recevoir des prestations d'assurance- emploi qu'elle ne recevrait pas dans une autre région. L'admissibilité peut varier à ce point là, ce qui est incroyable pour un programme fédéral.

Comment y remédier? Dans bien des cas, les immigrants récents et les travailleurs à temps partiel ne peuvent accumuler un nombre suffisant d'heures pour être admissibles. Il y a deux solutions possibles. On pourrait tout simplement assouplir les règles et les contraintes et revenir au système initial, qui était plus généreux. Ou bien — et c'est sur quoi nous nous penchons à l'Institut Caledon — on pourrait scinder le programme d'assurance-emploi en deux. Nous aurions tout d'abord un programme traditionnel, fondé sur le modèle d'assurance sociale, avec une admissibilité qui serait fonction du nombre d'heures travaillées, comme c'est le cas maintenant; avec un taux normalisé, il ne serait plus nécessaire de tenir compte du taux de chômage régional. Dans un deuxième temps, nous proposons un nouveau programme fondé sur le revenu, à l'intention des Canadiens sans emploi qui ne sont pas admissibles à l'assurance- emploi. Le Royaume-Uni offre ce type de prestation; leur prestation fiscale pour le revenu gagné pourrait servir de modèle pour ce programme. C'est une idée que nous sommes en train de peaufiner. Bien qu'un programme social comporte certains avantages, il est incapable de subvenir aux besoins de tous les Canadiens qui se retrouvent sans emploi; c'est pourquoi nous envisageons la création d'un autre programme fédéral qui serait financé à même les recettes générales.

Mme Yalnizyan : À la fin des années 1970, les compagnies émettrices de cartes de crédit aux États-Unis et au Canada ont convaincu les instances fédérales de réglementation de supprimer les lois relatives au taux usuraire, ce qui a eu pour effet d'augmenter les taux d'intérêt admissibles. Je ne connais pas le taux qui s'applique au niveau fédéral, mais je ne comprends pas pourquoi le gouvernement fédéral ne pourrait pas fixer un plafond pour ces taux d'intérêt. Il serait peut-être utile de se demander pourquoi ces taux sont au-delà de toute limite, et quel est le rôle de l'organisme de réglementation fédéral.

Pour ce qui est du régime d'assurance-emploi, l'augmentation du nombre de personnes n'ayant pas travaillé un nombre d'heures suffisant, ainsi que le nombre croissant de gens que l'on ne considère plus des employés mais plutôt des travailleurs autonomes, sont des enjeux importants. Ces phénomènes méritent un examen complet, plutôt qu'une intervention de deux minutes. J'espère que vous allez vous pencher sur la question.

Mme Lankin : Nous vous demandons de lire notre rapport intégral, et non seulement le résumé, afin de bien comprendre les distinctions qui existent entre les régions. Je suis du même avis que M. Battle pour ce qui est de la nécessité d'avoir une solution à long terme; cependant, à l'heure actuelle, le gouvernement applique des normes distinctes lorsque les taux régionaux sont élevés. Je vous ai expliqué comment les grandes superficies et les nombres moyens peuvent cacher des problèmes et des défis particuliers. Dans la foulée de l'épidémie du SRAS à Toronto, les employés du secteur du tourisme d'accueil, qui étaient, de surcroît, des nouveaux immigrants, se sont retrouvés sans le nombre d'heures requis. Ce sont des travailleurs saisonniers, tout comme ceux du Canada atlantique, mais parce que l'on tenait compte du taux de chômage régional à l'extérieur de Toronto, ils n'ont pas pu obtenir des prestations d'assurance-emploi. Nous avons dû faire appel à la bienfaisance. L'industrie du tourisme d'accueil et les entreprises connexes, ainsi que Centraide, préconisaient la création d'un fonds pour les locataires afin d'aider ces travailleurs et à leurs familles de conserver leur logement. Sans cette initiative, ils se seraient retrouvés dans des foyers d'accueil d'urgence, une solution dont s'inquiétaient les autorités municipales. C'est le genre de changement que l'on doit apporter immédiatement au régime de l'assurance-emploi, tout en considérant des solutions à long terme.

Il n'y a aucune raison de soustraire le secteur des sociétés de prêts sur salaire à la réglementation financière fédérale. Le gouvernement a choisi de ne pas règlementer ce secteur, et s'en est remis aux gouvernements provinciaux, ce qui explique que nous avons un ensemble de mesure disparates, situation que le gouvernement aurait pu éviter. Le gouvernement fédéral réglemente le secteur bancaire. Mis à part les mesures qu'ont prises les provinces, ce secteur n'est pas réglementé, et il n'existe donc aucune protection contre les taux usuraires et autres pratiques semblables.

En ce qui concerne l'éducation, une occasion réelle s'offre à nous. Si on réfléchit à la réaction de l'industrie des spiritueux et de la bière envers l'éducation du grand public concernant le problème de la conduite en état d'ébriété, et à la façon dont le gouvernement a exercé des pressions sur l'industrie, ainsi que les interventions réussies pour ce qui est de changer les attitudes et les connaissances du public, une occasion s'offre de sensibiliser les consommateurs à propos des véritables choix et pièges dans ce secteur.

Le gouvernement fédéral pourrait investir dans cette éducation et travailler avec des organisations comme la Fondation canadienne pour l'éducation économique, qui ont de bons programmes de savoir économique. Le fait d'offrir ces genres de programmes dans les collectivités en passant par les centres d'activités communautaires comme nous le disions tantôt, pourrait beaucoup aider les familles à renforcer les compétences dont elles auront besoin pour interagir avec le secteur financier.

Le président : Il ne nous reste plus de temps. Au nom de mes collègues, je remercie nos témoins. Vous nous avez donné aujourd'hui une mine incroyable d'informations, et cela nous aidera dans nos délibérations sur cette question.

La séance est levée.


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