Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 4 - Témoignages du 13 mars 2008
OTTAWA, le jeudi 13 mars 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé, ainsi qu'à examiner, pour en faire rapport, les questions d'actualité des grandes villes canadiennes.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue au Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Aujourd'hui, nous examinerons la pauvreté — les immigrants et les réfugiés.
[Traduction]
Notre comité a deux sous-comités, un sur la santé des populations et un sur les principaux problèmes éprouvés par nos villes. Puisque la pauvreté, le logement et l'itinérance sont des questions qui concernent les deux sous-comités, nous avons décidés de nous réunir tous ensemble pour en parler. Nous nous fondons également sur des travaux antérieurs effectués au Sénat sur la pauvreté. Le rapport de 1971 rédigé par le sénateur David Croll me vient à l'esprit, ainsi que le rapport de 1997 du sénateur Cohen. Elle a écrit un livre intitulé La pauvreté au Canada : le point critique.
En même temps, notre étude vient s'ajouter au travail effectué par le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, qui est présidé par le sénateur Fairbairn. À la demande du sénateur Segal, les membres du comité examinent la question de la pauvreté rurale. Nous tentons de rassembler ces éléments.
Aujourd'hui, nous avons avec nous quatre experts provenant d'un peu partout au pays qui nous aideront grâce à leur grande expérience et connaissance à traiter de la question des réfugiés et des immigrants. Nous avons avec nous David Ley du département de géographie de l'Université de la Colombie-Britannique. Les plus récents travaux de M. Ley ont porté sur l'immigration et le logement, l'intégration urbaine et l'établissement, ainsi que sur la concentration de l'immigration et de la pauvreté dans les plus grandes villes du Canada, et plus spécialement Vancouver.
Nous avons également Sarah Wayland, une associée de recherche au Centre Metropolis de l'Ontario, qui est une consultante indépendante s'intéressant depuis plus de dix ans aux questions d'immigration. Elle a un grand nombre de publications à son actif. Au cours des deux dernières années, elle a écrit deux rapports qui ont un lien direct avec le travail de ce comité. Le premier a été rédigé en 2006, et il s'appelle S'établir au Canada? Entraves politiques et juridiques; le deuxième a été rédigé en 2007 et il s'intitule The Housing Needs of Immigrants and Refugees in Canada.
Jean-Claude Icart est un professeur associé au Département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal, et il représente la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes ou TRCI. Celle-ci a notamment pour objectif de défendre les droits des réfugiés, d'encourager une plus grande collaboration entre les fournisseurs de services et le gouvernement et d'améliorer les services aux immigrants et aux réfugiés.
Avvy Go, avocate spécialisée dans les droits de la personne et l'immigration, dirige la Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic, et je sais qu'elle a fait du bon travail pendant de nombreuses années à Toronto. Elle est porte-parole de la campagne La Couleur de la Pauvreté. En septembre 2007, le Colour of Justice Network a annoncé le lancement de la campagne La Couleur de la Pauvreté, qui est un effort communautaire à l'échelle de la province visant à sensibiliser l'opinion au grave problème de la pauvreté chez les minorités raciales en Ontario.
David Ley, Département de géographie, Université de la Colombie-Britannique : J'ai souvent été considéré comme un Juif honoraire au Canada. Dans les quelques minutes dont je dispose, plutôt que de répéter les notes qui vous ont été distribuées, je parlerais brièvement des expériences d'immigration et d'intégration de deux groupes de personnes qui, nous pourrions le croire, devraient se débrouiller très bien au Canada compte tenu du capital qu'ils amènent avec eux. Je parlerai ensuite des gens d'affaires immigrants à Vancouver et des immigrants philippins à Toronto.
Ce sont deux groupes nationaux importants, Bien sûr, le Programme d'immigration des gens d'affaires, bien qu'il ne soit plus aussi fort aujourd'hui, a été très important par le passé, surtout pour les gens d'origine chinoise.
Premièrement, je dirai quelques mots sur les Philippins vivant à Toronto, et je me fonderai sur des recherches menées par Philip Kelly, un géographe à l'Université York. En 2001, le taux d'éducation des adultes d'origine philippine vivant à Toronto est de 57 p. 100, ce qui fait d'eux un groupe hautement éduqué. Le taux d'éducation du reste des habitants de Toronto, quant à lui, est de 35 p. 100. L'éducation aux Philippines est généralement offerte en anglais, et on utilise souvent un programme d'enseignement universitaire américain. Les gens de là-bas arrivent au Canada bien préparés en ce qui a trait au capital humain. En effet, 80 p. 100 de ces immigrants parlent l'anglais chez eux comme langue maternelle.
Cependant, un grand nombre de ces hommes occupent des emplois manuels et un grand nombre de ces femmes s'occupent de la garde d'enfants ou travaillent comme aides dans le secteur des soins de santé. Les revenus des hommes philippins à Toronto représentent seulement les deux tiers du salaire moyen à Toronto; et les revenus des femmes; les trois quarts. Dans un grand sondage, Phillip Kelly a découvert que la moitié des répondants affirmaient qu'ils avaient été victimes de discrimination au cours des cinq dernières années. C'est une des vignettes.
La deuxième concerne les gens d'affaires immigrants à Vancouver qui sont arrivés depuis le milieu des années 1980. Un grand nombre d'entre eux sont venus dans les années 1980 et 1990. Ils viennent essentiellement de Hong Kong et de Taïwan. Je les appelle les immigrants millionnaires, car ils ont été en mesure de démontrer qu'ils avaient des actifs personnels de plus de 1 million de dollars aux agents d'immigration à Hong Kong et à Taïwan. Ils viennent au Canada avec un capital financier considérable, mais aussi, puisqu'ils viennent dans le cadre du Programme d'immigration des gens d'affaires, avec une grande expérience du monde des affaires. En effet, ces gens ont en moyenne entre 10 et 12 années de réussite dans ce monde. Ils vivent dans des maisons d'une valeur de 1 million de dollars à Vancouver, mais, dans ce district de maisons de 1 million de dollars, le recensement de 2001 montre que la moitié de la population avait des revenus inférieurs au seuil de la pauvreté.
Que se cache derrière ces deux vignettes? Les membres de la population philippine de Toronto ont fait l'objet d'une considérable déqualification et déprofessionnalisation. Les titres de compétences qu'ils ont obtenus aux Philippines ne sont pas reconnus au Canada. Cette situation ne se restreint pas aux Philippins. Lorsque ceux-ci vont faire une entrevue d'emploi, le fait qu'ils ne possèdent pas d'expérience canadienne dans leurs professions leur nuit. Ils affirment qu'ils sont victimes de discrimination de la part des employeurs, et je n'ai aucune raison de douter de leurs allégations.
Le quatrième facteur est qu'il y a des renseignements échangés au sein de la communauté philippine qui ne sortent pas de celle-ci, ce qui leur permettrait d'avoir accès à des meilleures possibilités d'emploi.
Chez les gens d'affaires immigrants de Hong Kong et de Taïwan, la langue représente un problème important. Parmi les immigrants de Taïwan surtout, mais également parmi ceux de Hong Kong, très peu parlent l'anglais, et, dans les entrevues, il a été démontré clairement que cela a entravé leur succès commercial au Canada.
Ces immigrants ont aussi discuté de choses pour lesquelles je ne suis pas certain que le Sénat aurait une réponse immédiate. Ils ont parlé de la nature de l'environnement économique au Canada. Ils ont dit qu'il était extrêmement réglementé, et qu'ils n'étaient pas habitués à cela à Hong Kong ou à Taïwan. Les lois en matière de travail, d'environnement et de licences leur causent des graves problèmes. Ils sont également insatisfaits des niveaux d'imposition. Comparativement au taux uniforme de 15 p. 100 à Hong Kong, les niveaux d'imposition ici semblent punitifs.
Il n'y a pas d'immigrant moyen. J'ai parlé de ces deux exemples pour tenter de démontrer ce point. Ces deux groupes sont bien loin d'être les immigrants les plus désavantagés qui viennent au Canada. Les demandeurs d'asile de l'Afrique, par exemple, sont bien plus désavantagés. Nous nous attendrions à ce que ces deux groupes se débrouillent bien. Il est clair qu'ils se sont heurtés à une série d'obstacles.
En conclusion, les obstacles que je soulignerais ici sont ceux dont je parle davantage dans les notes d'allocation distribuées, à savoir la reconnaissance des titres de compétences au Canada; l'expérience canadienne dans la main- d'œuvre et la nécessité de s'assurer que ce n'est pas une forme de discrimination subtile contre les immigrants, ainsi que la question de la langue. Parmi les immigrants au Canada, 40 p. 100 ne parlent ni anglais ni français. C'est un obstacle considérable à l'entrée sur le marché du travail. Nous devons offrir des services linguistiques, en anglais ou en français, selon les besoins, afin de rendre ces immigrants prêts à intégrer le milieu du travail.
Sarah V. Wayland, associée de recherche, Centre Metropolis de l'Ontario : Je vous remercie de me donner l'occasion de parler de la pauvreté chez les immigrants et les réfugiés dans le cadre de l'étude que vous menez. Je suis venue au Canada en 1993 en tant qu'immigrante des États-Unis. Je suis ravie d'être ici. J'ai l'impression d'être finalement devenue une véritable Canadienne parce que j'ai été invitée à parler devant un comité sénatorial canadien.
Vous avez mentionné certains des récents projets sur lesquels j'ai travaillé. Le rapport S'établir au Canada? Entraves politiques et juridiques montre l'écart qui existe entre les besoins importants du Canada en matière d'immigration et les obstacles qu'il impose aux immigrants après leur arrivée. Mes observations ce matin seront d'une nature plus générale que celles du professeur Ley.
Les obstacles auxquels font face les immigrants nuisent à leurs possibilités d'être des membres complets et égaux de la société canadienne. Ces obstacles sont coûteux, pas seulement pour les nouveaux arrivants, mais aussi pour l'ensemble des collectivités où ils vivent. L'immigration a été et continuera d'être un élément clé du développement du tissu économique, social et politique du Canada. Nous sommes de plus en plus conscients des problèmes que rencontrent les nouveaux arrivants dans ce pays, et ceux-ci sont documentés de façon extrêmement détaillée dans le rapport. Toutefois, au-delà des détails, ce que je veux dire, c'est que ces problèmes et ces obstacles doivent être reconnus comme des problèmes canadiens plutôt que comme des problèmes d'immigrants. C'est dans notre intérêt que les nouveaux arrivants soient en mesure d'utiliser leurs compétences et leurs ressources.
Il est utile de penser à la démarche d'établissement comme un processus en trois étapes. Premièrement, les nouveaux arrivants ont des besoins immédiats d'aide et de services d'accueil, y compris de formation linguistique de base. Deuxièmement, ils ont des besoins intermédiaires, tels que l'accès au marché du travail, les logements, les services de santé et le perfectionnement des études. Troisièmement, ils ont des besoins à long terme où ils tentent de devenir des participants égaux dans l'économie et la société canadiennes. Cela comprend un engagement civique équivalent au reste de la population et une représentation dans les institutions politiques canadiennes.
Je dirais que Citoyenneté et Immigration Canada a fait un bon travail en ce qui concerne la première étape. Toutefois, on reconnait de plus en plus que nous avons des problèmes avec la deuxième étape, plus particulièrement en ce qui concerne l'accès à l'emploi. On ne parle pas de n'importe quel emploi, mais d'emplois compatibles avec les compétences possédées par les immigrants.
Les services d'établissement fournis par le Canada, qui sont financés par le gouvernement fédéral dans une certaine mesure ainsi que par les gouvernements provinciaux, repoussent les limites de leur mandat à cet égard. Ils ont été conçus pour mettre l'accent sur la première étape du processus d'établissement, mais nous sommes conscients des problèmes relatifs à la deuxième étape, et nous devons nous pencher sur ceux-ci.
Le principal problème rencontré à la deuxième étape est l'emploi. C'est une question complexe sans solution rapide. Pourquoi les nouveaux arrivants ont-ils des difficultés à accéder à des emplois de qualité? Nous pouvons examiner quelques raisons.
Premièrement, nous pouvons envisager la question du capital humain. Les immigrants sont hautement éduqués et, dans l'ensemble, bien mieux éduqués que les Canadiens nés ici. Cependant, les Canadiens sont de plus en plus éduqués eux aussi, et cela rend la situation plus difficile pour les immigrantes. La vaste majorité des immigrants qui viennent dans ce pays ne sont pas admis selon le système des points. La connaissance de l'anglais et du français sont très utiles à leur établissement dans ce pays.
Deuxièmement, nous pouvons tenter de déterminer si le marché du travail est prêt à accepter les nouveaux arrivants. Comme le professeur Ley l'a mentionné, il y a un certain nombre de questions en jeu, à savoir l'accent mis sur les titres de compétences; la nécessité pour les employeurs et d'autres d'être en mesure d'évaluer les titres de compétences étrangers; le fait que l'insistance sur la possession d'une expérience canadienne pourrait être une forme subtile de discrimination; ainsi que l'existence d'une discrimination ouverte. Nous pouvons aussi examiner la vaste restructuration de l'économie canadienne, y compris l'augmentation de l'économie de la connaissance et la réduction du nombre d'emplois manuels bien rémunérés.
À Hamilton, en Ontario, où j'habite, il fut un temps où les nouveaux arrivants pouvaient débarquer en ville et trouver d'excellents emplois, souvent syndiqués, dans le secteur manufacturier. Ils pouvaient s'établir et gagnaient leur vie. Leurs enfants pouvaient étudier au Canada et ils accédaient à la réussite en moins d'une génération.
Nous savons tous que de tels emplois bien sont maintenant très rares rémunérés dans le secteur manufacturier. Les Canadiens de naissance aussi se les disputent âprement. Nous devons prendre en considération les tendances plus générales dans l'économie canadienne ainsi que les cas particuliers, notamment l'exigence d'expérience canadienne et la discrimination pure et simple.
Ceux qui s'en tirent le mieux dans ce pays comptent probablement parmi les 20 à 25 p. 100 des nouveaux arrivants qui sont jugés, selon le système de points, comme travailleurs qualifiés, qui sont demandeurs principaux et qui connaissent l'une des langues officielles. Toutefois, le Canada ne se résume pas à des données économiques. Notre politique d'immigration comporte plusieurs priorités, y compris la réunification des familles et les besoins d'ordre humanitaire. Par conséquent, nous ne pouvons pas oublier et laisser de côté ces populations.
Le gouvernement fédéral peut envisager des mesures dans différents domaines pour améliorer la situation et aplanir les obstacles pour les nouveaux arrivants : premièrement, il y a l'emploi, facteur auquel je reviendrai plus tard; deuxièmement, il faut faciliter l'acquisition de la langue et de capacités de communication chez les nouveaux arrivants; troisièmement, il faut aider les familles à rester ensemble et raccourcir les délais de traitement des demandes et les processus de réunification des familles et, quatrièmement, il faut améliorer les programmes sociaux pour tous les Canadiens à faible revenu. Le déclin de l'État-providence touche les personnes à faible revenu, mais les nouveaux arrivants sont touchés de manière disproportionnée, car ils sont proportionnellement plus nombreux à être pauvres au Canada.
Le président : Lors des questions, vous aurez la possibilité de parler davantage de ces mesures, plus particulièrement, pour le gouvernement fédéral.
[Français]
Jean-Claude Icart, représentant, Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes : Deux séries d'études préparées par Statistique Canada et le Conseil canadien de développement social on conclut, de façon claire, que les immigrants sont soumis aux mêmes forces que l'ensemble de la société. Toutefois, les problèmes sont, pour les immigrants, amplifiés en raison de différents déterminants, notamment la vulnérabilité liée au statut, la syndicalisation, les connaissances de la langue et les normes de travail.
Toutes les études entre 1980 et 2000 ont révélé, d'une part, que le nombre d'immigrants à faible revenu a augmenté au cours des 25 dernières années. Les immigrants restent pauvres de plus en plus longtemps. Ce qu'on appelait la période de rattrapage, soit le temps requis pour qu'un professionnel immigrant puisse retrouver le niveau de salaire de ses homologues canadiens, était d'environ 16 ans alors qu'aujourd'hui il est de 19 ans à 20 ans. La période de rattrapage s'allonge et le taux d'immigrants à faible revenu augmente. Pendant cette même période, on observe une polarisation croissante des revenus et des inégalités sociales dans la société.
Le premier facteur que j'ai considéré fut l'évolution du marché du travail au Canada durant les 25 dernières années, la forte croissance du travail précaire et du travail à temps partiel, et la hausse dans cette nouvelle catégorie que l'on appelle les pauvres à l'emploi. Il y a 25 ou 30 ans, le fait de toucher un revenu stable suffisait pour se situer au-dessus du seuil de la pauvreté. Or, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Dans toutes les provinces, on retrouve ce phénomène de pauvres à l'emploi.
Plusieurs causes structurelles réelles existent. Les différents groupes de travail sur la question de la pauvreté ont formulé toute une série de recommandations, au fil des ans. Le problème est appelé à s'aggraver dans la mesure où l'augmentation de la force de travail repose largement sur l'immigration — on parle des deux tiers de la force active.
Le deuxième facteur consiste à se pencher sur ce qui a changé, au cours des 20 ou 30 dernières années, par rapport aux immigrants. Le niveau élevé de qualification est un élément. Les immigrants sont de plus en plus qualifiés.
En 1993, on a adopté une grille plus sélective. L'hypothèse à l'époque était que les plus qualifiés pourraient s'ajuster plus facilement aux fluctuations du marché de l'emploi et à l'économie du savoir.
À part la question de reconnaissance des équivalences et de l'expérience, est-il vrai d'affirmer qu'une personne qualifiée est toujours plus flexible? À mon avis, les personnes surqualifiées ne le sont pas nécessairement. Un certain besoin demeure pour des ouvriers qualifiés et des cadres intermédiaires.
Il y a un certain nombre de besoins qui demeurent, besoins en termes d'ouvriers qualifiés, de cadres intermédiaires, et on a une croissance de la catégorie « visas temporaires », soit l'embauche de personnes avec des visas temporaires. Donc, la tendance a apporté une réponse conjoncturelle à des problèmes de nature structurelle.
Cela n'a jamais été une direction dans laquelle Immigration Canada s'est lancée. On a vu les problèmes que cela a pu causer ailleurs, notamment en Europe, qui est en train d'abandonner ce système aujourd'hui. En fait, on reprend un système que tout le monde abandonne.
Il est certain que quand on parle d'inégalité, toute inégalité n'est pas le résultat d'une discrimination. Cependant, la crainte c'est que des inégalités socioéconomiques importantes et persistantes entre des groupes puissent constituer un terreau fertile pour des explications faciles, justification idéologique facile au mode de la supériorité des uns et de l'infériorité des autres. On parle ainsi de plus en plus de la rationalisation de la pauvreté.
Pour conclure ces remarques liminaires, je vais rappeler la métaphore de « la caravane dans le désert » utilisée parfois pour rappeler l'inclusion sociale. On parle beaucoup d'inclusion sociale comme approche pour lutter contre la pauvreté.
La métaphore sert à illustrer combien la pauvreté est aussi une dislocation du lien et une menace pour la cohésion sociale; l'hypothèse était que si la distance entre ceux qui sont à l'arrière de la caravane et le reste du convoi ne fait qu'augmenter, il finit par arriver un moment de rupture.
Si on parle d'inclusion, l'intégration dans une nouvelle société est aussi un processus d'inclusion, un processus multidimensionnel qui se développe à plusieurs niveaux. Le rythme est différent selon les niveaux, mais la différence économique donne généralement le ton, conditionne toutes les autres. Oublier cela, c'est se condamner à ne trouver que le fanatisme et la haine comme explications à de réelles difficultés d'adaptation et ignorer les véritables obstacles à l'intégration qui entretiennent un terreau fertile au repli. Vous voyez bien que je viens du Québec pour les débats autour des accommodements raisonnables.
Lorsque le Conseil canadien de développement social a publié son rapport, l'an dernier, sur la pauvreté urbaine au Canada de 1990 à 2000, le titre du rapport était Une décennie perdue parce qu'en 1989, on avait décidé qu'en l'an 2000, il n'y aurait plus de pauvreté chez les enfants au Canada.
Je vous remercie de cette initiative et j'espère qu'on ne perdra pas d'autres décennies.
[Traduction]
Avvy Go, directrice de la clinique, Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic : Je suis la directrice clinique de la Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic. Je suis également ici comme porte-parole pour la campagne La Couleur de la Pauvreté, dont notre clinique est membre fondateur.
J'ai présenté au comité trois séries de documents qui formeront la base de ma présentation, ce matin : un ensemble de documents d'information très colorés sur la campagne; une présentation PowerPoint préparée par le professeur Grace-Edward Galabuzi de l'Université Ryerson et un mémoire que nous avons rédigé spécialement pour cette audience.
J'invite les sénateurs à lire attentivement ces documents. Au cours des cinq minutes dont je dispose, je vais en exposer les grandes lignes.
Quand je parle d'«ethnicisation de la pauvreté», je fais allusion à la façon disproportionnée dont les personnes ethnicisées et les personnes de minorités raciales risquent de gagner un faible revenu. Pour ces groupes, la pauvreté tient beaucoup de l'exclusion sociale et des inégalités entre citoyens découlant de l'inégalité sociale.
Les preuves montrant que les groupes ethniques connaissent un niveau de pauvreté disproportionné s'accumulent et deviennent de plus en plus irréfutables. Entre 1980 et 2000, à Toronto, pendant que le taux de pauvreté des groupes non ethnicisés reculait dans une proportion de 28 %, le niveau de pauvreté des familles ethnicisées a grimpé de 361 %. À Toronto, une personne ethnicisée court trois fois plus de risque d'être pauvre que les autres.
L'ethnicisation de la pauvreté n'est pas un phénomène exclusif à Toronto. À l'échelle du Canada, la croissance du pourcentage des personnes de groupes ethnicisés vivant dans la pauvreté est déconcertante.
Selon le recensement de 2001, 39 p. 100 des adultes et 47 p.100 des enfants de la communauté africaine vivent dans la pauvreté. Pareillement, 36 p. 100 des adultes et 40 p. 100 de la communauté arabe vivent également dans la pauvreté. Par contraste, dans la population canadienne en général, 15 p. 100 des adultes et 18 p. 100 des enfants vivaient dans la pauvreté la même année.
Comme l'a mentionné le professeur Icart, l'incidence grandissante de la pauvreté chez les immigrants est aussi alarmante. En 1980, par exemple, 24,5 p. 100 des immigrants arrivés au cours des cinq années précédentes vivaient sous le seuil de la pauvreté. En 1990, le taux de personnes à faible revenu parmi les immigrants récents était passé à 31,3 p. 100. En 2000, il était de 35,8 p. 100.
Lancée en septembre 2007, la campagne La Couleur de la Pauvreté a pour objectif de sensibiliser la population à l'ethnicisation croissante de la pauvreté au Canada. Nous croyons qu'il est capital de comprendre le lien entre la pauvreté et la race si nous voulons élaborer une stratégie globale de réduction de la pauvreté dans ce pays.
Nous avons rencontré un grand nombre de groupes communautaires et de personnes au cours des derniers mois. Un grand nombre d'entre eux ont signalé plusieurs problèmes et défis auxquels sont confrontés les groupes ethnicisés et qui contribuent à l'état de pauvreté. La principale cause de la pauvreté etchnicisée citée par tous est le racisme systémique et ses manifestations sous diverses formes. Les exemples donnés étaient, par exemple, l'absence d'équité en matière d'emploi au niveau provincial, les limites du programme d'équité en matière d'emploi au niveau fédéral, le profilage racial par la police et d'autres intervenants du système de justice ainsi que l'exigence du bilinguisme pour travailler au fédéral.
Bien sûr, les obstacles à l'accréditation, comme d'autres l'ont mentionné, sont également cités comme faisant partie des principaux obstacles à l'intégration économique des immigrants, en général, et des immigrants de couleur, en particulier. En outre, le financement insuffisant pour des services culturellement adaptés pose également un problème pour l'intégration tant des immigrants que des réfugiés.
Les communautés auxquelles nous avons parlé se préoccupent beaucoup aussi de l'absence du leadership politique nécessaire à la résolution des problèmes. On a le sentiment que les politiciens et les bureaucrates de tous les niveaux de gouvernement ne sont pas conscients des problèmes de racisme et des autres problèmes systémiques auxquels les communautés ethnicisées sont confrontées ou qu'ils ne comprennent pas suffisamment ces problèmes.
Ces communautés ont formulé plusieurs recommandations pour régler ces problèmes fondamentaux. Elles portent sur la nécessité de mesures ciblées, durables et de nature systémique.
Pour respecter le temps dont je dispose, je vais en mentionner quelques-unes qui sont pertinentes au niveau fédéral. Premièrement, elles ont mentionné que nous devions réformer le programme de prestations d'assurance-emploi pour le rendre accessible à ceux qui y cotisent, mais à qui des prestations sont refusées parce qu'ils sont appelés à changer d'emplois souvent — comme d'autres l'ont dit, le travail est de plus en plus subordonné à des conditions et de courte durée.
Deuxièmement, il faut utiliser les fonds de formation de l'assurance-emploi pour offrir des programmes de formation menant à la reconnaissance des titres de compétence acquis à l'étranger. Troisièmement, il faut recueillir des données désagrégées dans tous les ministères, services et institutions utiles, et en faire le suivi, afin de repérer les inégalités structurelles et systémiques qui contribuent à l'ethnicisation de la pauvreté. Quatrièmement, il faut se fixer des objectifs clairs et préciser des jalons et indicateurs afin de suivre les progrès de tout plan de réduction de la pauvreté visant les groupes ethnicisés et les autres groupes traditionnellement défavorisés et marginalisés.
Cinquièmement, il faut élaborer une stratégie nationale de garde d'enfants qui soit inclusive et globale. Sixièmement, permettre l'accès gratuit à l'éducation postsecondaire. Septièmement, réformer les politiques d'immigration de manière à ce qu'elles correspondent aux réalités du marché du travail et créer un programme pour régulariser la situation des immigrants sans statut au Canada.
Huitièmement, rétablir le financement du Programme de contestation judiciaire du Canada et, enfin, mettre en œuvre une stratégie globale du logement pour résoudre le problème de l'itinérance et redresser les conditions de logement inadéquates dans lesquelles vivent les membres de collectivités ethnicisées.
Je vous invite à lire certains des documents d'information, qui portent sur les questions dont vous discutez aujourd'hui. Le document numéro 4 porte sur la santé et le bien-être; le numéro 5 porte sur l'emploi; le numéro 8, sur l'immigration et l'établissement des nouveaux arrivants et le numéro 9, sur le logement et l'itinérance.
Je vous invite aussi à lire le rapport dressé en 2005 par le Congrès du travail du Canada et qui porte sur le statut racial et son impact sur l'emploi, selon le recensement de 2001.
Pour terminer, j'aimerais remercier le comité de la possibilité qu'il m'a donnée de parler de questions importantes qui touchent un grand nombre de Canadiens. Le dialogue sur l'ethnicisation de la pauvreté ne fait que commencer, mais il doit se poursuivre si nous voulons trouver des solutions efficaces et durables pour atteindre notre objectif.
Le président : Merci à tous pour vos présentations. Vous nous avez donné beaucoup de matière pour dialoguer avec vous et poser des questions.
Madame Go, dans votre présentation, vous avez donné quelques statistiques très alarmantes sur les minorités raciales — ou les groupes ethnicisés, comme vous les appelez. Vous nous avez aussi donné un ensemble clair de recommandations à la fin — un assez bon nombre de recommandations.
J'aimerais donner aux autres la possibilité de parler un peu de ce qu'ils considèrent comme le rôle du gouvernement fédéral dans ces questions d'immigration et de réfugiés. Il y a quelques années, d'après ce que je comprends, le gouvernement fédéral a commencé à verser un financement de base aux provinces, transférant une grande partie de la responsabilité d'intégrer les immigrants aux provinces et aux administrations locales, pendant qu'il continuait de contrôler l'entrée.
Vous avez mentionné plusieurs domaines. Ceux qui sont ressortis sont la reconnaissance des titres de compétence, l'expérience canadienne, les difficultés liées à la langue et la discrimination — dissimulée ou flagrante, comme l'un de vous l'a fait remarquer.
Le gouvernement fédéral continue-t-il à fournir un financement de base? Est-ce là une description juste de la situation actuelle et, d'après vous, quel devrait être le rôle du gouvernement fédéral en la matière, compte tenu du fait que d'autres niveaux de gouvernement interviennent?
Madame Go, vous avez présenté un ensemble très précis de recommandations. Vous pourrez en ajouter plus tard, mais je vais commencer par M. Ley.
M. Ley : Ce que vous avez dit est assez juste; il y a un transfert important de fonds aux provinces pour les services d'établissement. Différentes provinces ont pris des décisions différentes sur la façon de dépenser ces fonds.
La question qui nous préoccupe le plus, et qui a été soulevée dans plusieurs présentations ici, c'est la question de la langue et de son enseignement. Malheureusement, il existe différentes normes d'un bout à l'autre du pays en ce qui a trait au niveau d'anglais enseigné comme langue seconde aux immigrants.
Les normes les plus élevées, je crois, sont dans les Prairies. L'Ontario est presque au même niveau et je crois que c'est en Colombie-Britannique que les normes sont le moins élevées. Cette décision est prise par la province et il est très malheureux qu'il y ait de tels écarts.
J'entends souvent une critique de la part d'organisations non gouvernementales, des ONG en Colombie- Britannique, selon laquelle le niveau de l'enseignement de la langue anglaise offert et financé par les paiements de transfert du gouvernement fédéral n'est pas suffisant pour préparer une personne à l'emploi. Il rend simplement les gens capables de converser.
Toutefois, il y a un élément important à l'heure actuelle et c'est que, dans une économie postindustrielle, il ne suffit pas de connaître les rudiments de l'anglais. Il est important de comprendre les subtilités de la communication. Même un accent en anglais constitue une lacune sur le marché du travail. L'écart entre le niveau de l'anglais enseigné dans les programmes qui reçoivent un financement de base et le niveau nécessaire pour pouvoir travailler constitue une difficulté particulière.
Mme Wayland : Je verse dans le même sens que M. Ley. Pour compléter ses observations, je dirais que, d'après ce que j'ai lu sur ces questions au cours des deux dernières années, dans le cadre de ces transferts de responsabilités aux provinces, il y a eu des négociations avec chaque province. Il résulte de ces négociations avec la Colombie-Britannique, et aussi le Québec, que plus de la moitié de l'argent qui est transféré du gouvernement fédéral aux provinces aux fins de l'établissement est versé dans les recettes générales de ces provinces. Moins de la moitié de l'argent est réservé à des programmes d'établissement.
D'après ce que je comprends, au cours des deux dernières années, lorsque l'Ontario a négocié, avec le gouvernement fédéral, sa propre entente sur les services d'établissement, les choses ont été faites un peu différemment. En Ontario, nous avons maintenant plus d'argent. Les immigrants en Ontario avaient toujours été mal desservis, mais, maintenant, leur situation est meilleure que celle des immigrants en Colombie-Britannique pour ce qui est de l'argent consacré aux programmes d'établissement. C'est très inégal.
Ça vaut la peine de mentionner qu'il n'y a pas forcément de corrélation entre les programmes offerts d'un bout à l'autre du pays et le financement pour chaque province. C'est le Manitoba qui offre le niveau d'enseignement de l'anglais financé par la province le plus élevé, jusqu'au huitième niveau, je crois, par comparaison avec la Colombie- Britannique qui, comme le professeur Ley l'a mentionné, l'offre uniquement jusqu'au troisième niveau. Il y a de fortes variations d'un bout à l'autre du pays et c'est une question complexe.
Vouliez-vous que je réponde à d'autres questions sur les problèmes liés à l'emploi?
Le président : Jusqu'à maintenant, ce que je comprends, c'est que le gouvernement fédéral s'est trop désengagé et les normes ne sont pas égales d'un bout à l'autre du pays. L'établissement des immigrants se fait différemment à différents endroits du pays et le gouvernement fédéral doit s'engager davantage dans l'établissement de normes. Est-ce ce que vous dites?
Mme Wayland : Oui, ou, à tout le moins, il devrait exercer une surveillance pour s'assurer que l'argent versé pour des programmes d'établissement est consacré à des programmes d'établissement. De la façon que les choses se passent, au niveau provincial en Ontario, avec le programme d'anglais, langue seconde, l'argent est donné aux conseils scolaires, mais ils n'ont pas à l'utiliser pour des programmes d'anglais, langue seconde.
[Français]
M. Icart : Je vais revenir sur les questions de statut. À Montréal, à un certain moment, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié bénéficiait de 60 ou 70 commissaires alors qu'aujourd'hui on en compte 25; ce qui veut dire la création d'un nouvel arriéré. Et plus longtemps les gens sont gardés dans une situation d'incertitude, plus l'intégration devient difficile.
Une bonne part de l'image internationale du Canada est basée sur l'accueil aux réfugiés.
Aussi bien pour les réfugiés sélectionnés à l'étranger que pour les réfugiés sur place déterminés par la CISR, la dislocation familiale causée par le temps d'attente devient un handicap pour une intégration harmonieuse. Même s'il ne s'agit pas d'une mesure économique, puisqu'on ne parle pas directement de pauvreté, je suis persuadé que cette difficulté est un facteur fondamental des difficultés constatées par rapport à l'intégration dans la société. Cela est une première chose.
Deuxième chose, oui, il y a plusieurs dossiers délicats qui relèvent de négociations fédérale-provinciale, on est d'accord.
Notamment la question de la reconnaissance des acquis où ce ne sont pas seulement les provinces, mais chaque ordre professionnel qui doivent rendre une décision. Ce sont des dossiers extrêmement compliqués.
Il y a quand même des éléments importants concernant d'autres dossiers. Environ 80 p. 100 ou 90 p. 100 des immigrants s'installent dans de grands centres urbains. Depuis 20 ou 25 ans, le premier facteur de pauvreté en milieu urbain est le logement; la politique de logement social. Cela touche beaucoup les immigrants parce qu'ils sont dans les grands centres, mais cela touche également toute la population. Le logement social est le facteur numéro un en termes de pauvreté urbaine au Canada.
Le salaire minimum relève des provinces, mais théoriquement, il devrait être à 10,50 $ aujourd'hui afin de maintenir l'inflation. J'appuie les remarques de Mme Avvy Go en ce qui a trait au plan de l'assurance-emploi et au sujet d'une stratégie pour la petite enfance. Ce sont des choses importantes et structurelles. La pauvreté ne touche pas que les immigrants. Elle touche l'ensemble de la société. Selon moi, le gouvernement fédéral a l'autorité de prendre des mesures sur l'assurance-emploi et la petite enfance.
Je suis d'accord qu'il y a d'autres facteurs comme la reconnaissance des acquis. C'est un problème, mais disons que ce serait beaucoup plus long. Le gouvernement fédéral doit prioriser certaines actions.
[Traduction]
Le président : Monsieur Icart, j'ai une question au sujet des statistiques alarmantes que vous avez citées et attribuées au racisme systémique. Y a-t-il d'autres facteurs expliquant que ces statistiques soient si différentes? Vous avez dit que le taux de pauvreté de 28 p. 100 a chuté pour les personnes de souche européenne, tandis que, pour les familles de groupes ethnicisés, il a grimpé de 361 p. 100. D'autres facteurs sont-ils en cause?
Mme Go : Tout d'abord, cette statistique vient d'un rapport préparé par la United Way et intitulé Poverty by Postal Code. L'organisme a examiné différents quartiers et a noté un lien entre la concentration d'immigrants et de minorités raciales et la pauvreté. J'ai aussi mentionné le rapport du Congrès du travail du Canada parce qu'il est intéressant qu'il se soit aussi penché sur les personnes de couleur nées au Canada, les travailleurs de couleur par comparaison aux immigrants de couleur. Dans certains cas, il a constaté que les travailleurs de couleur nés au Canada s'en tirent moins bien que les immigrants de couleur. Les questions concernant le manque d'accréditation des professionnels formés à l'étranger, et cetera, ne s'appliquent pas aux personnes nées au Canada. Cependant, rien d'autre n'explique la différence. Elles sont aussi instruites que les immigrants, davantage même que les non-Canadiens de couleur et elles n'ont pas à faire face au problème des titres de compétence étrangers.
Ce rapport laisse penser que, peut-être, l'autre facteur à prendre en considération est la race. Selon les statistiques que nous voyons, et nous ne disons pas qu'il y a discrimination intentionnelle, il y a un grand nombre de problèmes systémiques qui font que certaines personnes ne progressent pas dans le monde du travail.
Pour revenir à la question que vous avez soulevée, la question concernant le transfert de responsabilités et la délégation mentionnée par d'autres ne s'applique pas seulement aux services d'immigration. Comme le professeur Icart l'a fait remarquer, nous parlons de tout un ensemble de problèmes et de facteurs qui contribuent au fait que des gens vivent dans la pauvreté, comme le manque de service de garde d'enfants, le logement et l'emploi. Ce sont là des problèmes qui maintiennent les gens dans la pauvreté ou les mènent à la pauvreté. Nous ne devrions pas nous limiter à prendre en considération l'argent consacré à l'établissement des immigrants, mais, de façon plus générale, tenir compte de la hauteur de l'investissement du gouvernement fédéral dans les services de santé, du type de normes nationales appliquées au financement des services de santé et du fait que, dans certaines provinces, comme l'Ontario, un nouvel arrivant n'a pas droit à l'assurance maladie provinciale avant trois mois.
Il existe, pour d'autres types d'immigrants et de réfugiés, des restrictions semblables qui contribuent à diminuer leur bien-être. J'entends aussi des gens, dans la collectivité, dire que le fait que le gouvernement canadien ne prévoie des services d'établissement que la première année ou les deux premières années après l'arrivée de la personne, alors que l'intégration est un long processus continu, pose un problème. Les gens ne cessent pas d'avoir besoin d'aide après la première ou la deuxième année. En outre, c'est un processus très personnel, par exemple, les réfugiés ont des besoins uniques par rapport aux immigrants. Les fournisseurs de services offrent les mêmes services à tout le monde parce que c'est à cette fin qu'ils reçoivent du financement du gouvernement et ils les offrent seulement les deux premières années suivant l'arrivée de la personne parce qu'il n'y a plus de financement par la suite. Il faut se pencher sur tous ces problèmes.
Le sénateur Keon : Les documents que vous avez fournis et vos déclarations soulèvent tellement de questions qu'il devient difficile de toutes les examiner.
Au sujet de la reconnaissance des titres de compétence — la question soulevée par M. Icart — il semblerait que, si les gens pouvaient la recevoir à leur arrivée et s'établir à un endroit au Canada choisi en fonction du titre, ils pourraient être orientés dans une voie où ils pourraient aller de l'avant, devenir rapidement des citoyens productifs et autonomes, et continuer d'avancer.
Ils pourraient profiter de leur connaissance de l'une des langues officielles pour obtenir ce dont ils ont besoin à l'endroit choisi. S'ils voulaient ultérieurement devenir sous-ministre dans le gouvernement fédéral, ils devraient aussi apprendre l'autre langue officielle. Au début, s'ils sont à l'aise dans l'une des langues officielles, selon l'endroit où ils se trouvent, cela les aiderait énormément.
Quelles recommandations pouvons-nous faire pour que les titres de compétence des immigrants soient reconnus, ce qui leur ouvrirait des possibilités de cheminement de carrière à leur arrivée au Canada?
[Français]
M. Icart : Au moins, pour le Québec et l'Ontario, il y a eu de gros efforts dans cette direction. L'Ontario a depuis l'an dernier un commissaire à l'équité pour la reconnaissance des acquis et au Québec il y a un programme assez vigoureux.
Sur le plan de la langue, je rappelle simplement que le Québec, à cause de sa situation spéciale, essaie de recruter autant que possible des immigrants francophones. Je pense qu'environ 60 p. 100 parle français à l'arrivée et bien sûr, il y a des cours de français, mais c'est un critère dans la sélection d'immigration pour le Québec pour des raisons historiques et évidentes.
Lorsque je parlais de la reconnaissance des acquis des immigrants qualifiés, je voulais aussi, et je me permets de revenir sur ce point, questionner le recrutement privilégié d'immigrants surqualifiés.
Je voulais également questionner le retour à des permis temporaires peut-être pour des emplois de techniciens, mais pour une main-d'œuvre dont on a besoin. Je pense que c'est un élément important : au niveau de la reconnaissance des acquis, est-ce possible d'avoir des normes nationales? Comme je le disais, je n'ai pas voulu m'avancer trop loin parce que nous savons que cela ne relève pas seulement des provinces, mais littéralement des ordres professionnels. Il y a donc d'abord un travail à faire au niveau de chaque province avec ses ordres professionnels et ensuite, une harmonisation.
C'est un processus relativement long, mais objectivement, je pense que les provinces qui accueillent des immigrants sont déjà pas mal sensibilisées et commencent à agir en se sens. Il faut les encourager à aller plus vite.
Je reviens là-dessus, il y a des types d'emplois pour lesquels on n'a pas forcément besoin de qualifications très élevées et pour lesquels on émet des permis temporaires. Je pense qu'il faut allumer des clignotants rouges et jaunes au moins pour attirer notre attention sur le problème.
[Traduction]
Mme Wayland : Nous devons améliorer l'accès à des titres de compétence de sorte que les employeurs et les gouvernements puissent mieux comprendre les compétences des nouveaux arrivants. La situation à ce chapitre s'est améliorée à plusieurs reprises au cours des dernières années. Les nouveaux arrivants peuvent maintenant apporter leur dossier de scolarité à des agences d'évaluation des compétences, leurs documents étrangers, puis recevoir un rapport. Le gouvernement de l'Ontario a recours à World Education Services, mais il existe un grand nombre de services semblables. Un nouvel arrivant peut présenter ce document à un employeur et dire : «Voici mes titres de compétence et voici ce qu'ils valent.» Cela est particulièrement important pour accéder aux professions réglementées, régies au niveau provincial et non fédéral, mais par l'intermédiaire d'organismes de réglementation des professions.
Toutefois, on a tellement parlé de la reconnaissance des titres de compétence dernièrement que cela a occulté d'autres obstacles auxquels les nouveaux arrivants sont confrontés. La reconnaissance des titres de compétence ne garantit pas un emploi. Ce n'est pas parce qu'un immigrant détient un document qui décrit ses compétences qu'un employeur va l'embaucher. C'est là le nœud du problème. Le gouvernement fédéral applique des normes pour l'entrée au pays, pour la majeure partie, ne s'occupe pas du tout de l'embauche des immigrants. L'accès au marché du travail se fait essentiellement dans le secteur privé et dans le secteur public. Le gouvernement fédéral pourrait donner l'exemple à cet égard. La reconnaissance des titres de compétence n'est qu'un petit élément dans l'ensemble.
Il y a eu des progrès au cours des dernières années, et c'est bien, mais je ne veux pas focaliser indûment le débat sur les titres de compétence. Ce n'est qu'un élément du processus. La vraie difficulté c'est de faire en sorte que les gens soient embauchés, qu'ils conservent leur emploi et qu'ils aient des possibilités d'avancement une fois qu'ils ont trouvé du travail dans leur domaine. La reconnaissance des titres de compétence ne constitue qu'une petite partie du puzzle.
Le sénateur Keon : N'est-ce pas le début? Au moins, cela indique à la personne quelle direction elle pourrait prendre pour faire carrière au Canada si elle sait quelles sont ses compétences de base et où elle peut aller pour les parfaire, qu'on parle d'une formation linguistique, scolaire ou technique. En nous contentant d'amener les gens au pays puis en les laissant à eux-mêmes, nous les mettons dans une situation où il leur est extrêmement difficile de trouver leur voie.
Mme Go : Je suis tout à fait d'accord à ce sujet. Je me fais l'écho du sentiment du professeur Icart en ce qui a trait à la coupure entre la politique d'immigration et la réalité économique. Dans un sens, nous amenons un grand nombre de personnes très instruites au Canada, puis nous ne leur permettons pas d'exercer leur profession, alors qu'il y aurait peut-être lieu d'évaluer les besoins du marché du travail.
Cela étant dit, il y a des postes très spécialisés à combler dans le domaine de la santé. Je connais davantage ce secteur, car je fais partie d'un organisme d'arbitrage provincial qui se penche sur l'accès à des postes pour les professionnels de la santé. Nous surveillons les professions de la santé réglementées. Il y a une demande pour certains professionnels de la santé; pourtant, des obstacles sont dressés pour les immigrants détenant des titres de compétence étrangers.
Les trois obstacles se situent principalement dans la façon dont la profession évalue la formation antérieure. D'abord, on n'accorde pas toujours à la formation avec laquelle les immigrants arrivent au Canada l'importance qu'elle mérite, en raison du pays d'origine, par exemple.
Le deuxième obstacle concerne les conditions requises pour l'accréditation, l'évaluation et l'obtention d'un permis. Par exemple, un grand nombre de professionnels de la santé exigent que les personnes réussissent un examen pour pratiquer. On crée de plus en plus d'organismes pour les aider à passer les examens. Il y a des obstacles pour obtenir les notes requises pour être admis dans la profession. Des organismes sont donc créés juste pour les aider à faire les examens. Un organisme appelé CARE, Centre for Internationally Educated Nurses, par exemple, aide les infirmières à passer leurs examens en soins infirmiers. Les infirmières tendent aussi à mieux s'en tirer que les autres professionnels de la santé.
Le dernier obstacle serait l'emploi. Nous avons entendu que nous devrions peut-être avoir des programmes de préparation à l'emploi. Nous fournirions un financement ou des subventions pour que les employeurs embauchent les personnes qui ont déjà les titres de compétence, mais manquent d'expérience au Canada. Elles pourraient alors, à tout le moins, entrer dans la profession en participant à ce programme de préparation à l'emploi. On peut espérer qu'elles pourraient acquérir l'expérience canadienne nécessaire pour faire avancer leur carrière dans ce domaine. Le gouvernement pourrait peut-être envisager la possibilité de financer des programmes de préparation à l'emploi pour ces professionnels.
M. Ley : Je suis d'accord au sujet de la plupart des propos que j'ai entendus. Il existe une énorme disparité, comme vous l'avez laissé entendre, sénateur Keon, entre la politique d'admission, ou de sélection, au Canada, et la réussite de l'intégration. Nous avons réussi de manière extraordinaire à accueillir des immigrants très spécialisés. Il existe, à l'échelle mondiale, un marché pour de tels immigrants.
Le commentaire que je veux ajouter, c'est que cela crée une crise pour les immigrants. Dans le cadre de mes recherches, j'ai constaté que c'est souvent une source d'angoisse, voire de colère, chez les immigrants, que les conditions qu'ils doivent remplir pour entrer au Canada et l'évaluation de leurs titres de compétence au cours du processus d'admission ne sont pas conformes à la dévaluation de ces titres une fois qu'ils cherchent un emploi. C'est une source de grande frustration.
La crise pour les immigrants pourrait devenir une crise pour le Canada, car cela finit par se savoir, dans le monde, que les travailleurs spécialisés ont de la difficulté à réussir ici. On assiste actuellement à un retour important d'immigrants dans leur pays et, plus particulièrement, parmi les ingénieurs chinois venus au Canada au cours des cinq à dix dernières années. On voit maintenant un retour en Chine de gens qui n'ont pas pu réussir leur vie professionnelle ici. L'information circule et on sait que, sur un marché où règne la concurrence, il est beaucoup plus difficile de réussir au Canada que dans les pays européens, en Australie ou aux États-Unis, tous des pays où ce type d'immigrants est aussi convoité.
Nous devrions nous préoccuper non seulement des immigrants, qui devraient s'établir au Canada, mais également de la réussite continue de notre programme d'admission à l'immigration.
Le président : Il y a des renseignements très intéressants sur cette question.
[Français]
Le sénateur Pépin : Je vous remercie beaucoup d'être venus. Avant de poser mes questions, je pense à une chose, lorsqu'on parle des immigrants qualifiés. Je viens d'une province au Québec où nous avons des chauffeurs de taxi qui sont des médecins très qualifiés. On sait que lorsque les étudiants étudient en médecine, ils ont des bourses, et lorsqu'ils commencent à travailler, ils sont capables de rembourser. Est-ce que ce serait une bonne idée que les différents gouvernements offrent une bourse d'études? On dit toujours que le problème c'est l'accréditation ici du diplôme de médecine obtenu dans leur pays; pour pouvoir passer l'accréditation, ils pourraient avoir une bourse, comme les étudiants. Ils étudieraient le nombre d'années nécessaires pour obtenir l'accréditation, ensuite ils iraient travailler comme médecins professionnels. Ils seront capables rembourser leurs bourses facilement. Est-ce que ce ne serait pas une façon de le faire?
M. Icart : Non.
Le sénateur Pépin : Pourquoi?
M. Icart : Je ne voulais pas entrer en profondeur dans ce débat, mais au niveau de la reconnaissance des acquis et des équivalences, si nous prenons le cas de la médecine, ce n'est même pas une question de reconnaissance des acquis. Il y a un certain nombre d'examens à passer, les gens réussissent les examens. Le goulot d'étranglement, dans ce cas en particulier, est au niveau des places d'internat. Vous pouvez avoir 600 ou 700 médecins qui ont réussi leurs examens, mais au niveau de l'internat, vous avez 30 places offertes par années — parfois vous avez 30 à 40. Au fond, il faudrait donner la bourse aux médecins qui doivent accompagner l'étudiant pendant l'internat, parce que c'est là qu'est le véritable goulot d'étranglement.
C'est un peu plus complexe que cela, car quand on parle de reconnaissance des acquis, c'est comme si on ne reconnaissait pas leurs études. Ce n'est pas cela; ils passent leurs examens et au bout d'un an ou deux on peut très bien reconnaître leurs études. Mais comme le disait madame tantôt, entre la reconnaissance des acquis et l'embauche, il y a encore un écart important.
Là, c'est la structure de la profession au Québec parce que c'est l'exemple que je connais, mais je suis certain que dans d'autres provinces ou pour d'autres professions on va trouver des goulots d'étranglement et des facteurs systémiques autres. Ce n'est pas forcément de la discrimination, cela peut être un contrôle ou d'autres facteurs.
Pour rester sur les facteurs systémiques qui constituent des goulots d'étranglement et des obstacles à l'intégration, ç'en est un.
Le sénateur Pépin : Il est reconnu que les minorités visibles, particulièrement les Noirs, risquent d'avoir un revenu inférieur, et cela, quel que soit le temps passé au Canada. Disons que, pour les immigrants de la première génération, les raisons peuvent être la barrière linguistique et culturelle, mais cela ne s'applique pas à leurs enfants. Il y a plusieurs minorités pour lesquelles les gens pensent que c'est peut-être la race qui est le facteur qui va bloquer l'intégration complète. Qu'est-ce que vous en pensez et qu'est-ce qu'il faudrait faire pour améliorer la situation?
[Traduction]
Mme Go : Il y a une autre étude récente, mais je ne me rappelle pas si elle a été réalisée par Statistique Canada ou par un autre organisme. Quoi qu'il en soit, elle révèle que les enfants de parents immigrants sont, dans certains cas, plus mal nantis que leurs parents, particulièrement les hommes. Si on accepte l'hypothèse que cette situation est liée à la discrimination systémique à laquelle ils sont confrontés, il y a alors deux types d'approche possibles.
La première approche est axée sur l'équité en matière d'emploi. Elle oblige les employeurs à rendre leurs pratiques d'embauche plus équitables de façon à ce qu'elles ne soient pas discriminatoires, notamment à l'égard des femmes, des personnes handicapées et des personnes de couleur. C'est l'approche qui est appliquée dans une certaine mesure au niveau fédéral. Toutefois, d'après ce que nous avons entendu, elle n'est tout simplement pas suffisante. Au niveau provincial, cette approche est pratiquement inutilisée. Or, la plupart des milieux de travail sont régis par la loi provinciale.
La seconde approche vise à renforcer la législation sur les droits de la personne, notamment la Loi canadienne sur les droits de la personne et le code provincial des droits de la personne, pour faire en sorte qu'en cas de discrimination, les personnes lésées puissent se prévaloir d'un mécanisme efficace pour régler les problèmes. Comme M. Ley l'a mentionné — à l'instar de la collectivité philippine et de nombreux autres groupes — bon nombre d'immigrants ont vécu de la discrimination dans leur milieu de travail ou leur cas a été considéré comme tel. Voilà les deux principales approches qu'il est possible d'adopter, mais le gouvernement fédéral sera limité à ces mesures uniquement au niveau fédéral.
[Français]
M. Icart : Si on parle des enfants des minorités visibles nés au Canada, il y a des études, effectivement, qui montrent des difficultés, même dans le cas d'enfants qui n'ont eu absolument aucun problème dans le système scolaire. Je pense à une étude de l'UQAM où on a choisi des jeunes qui n'avaient jamais eu de difficultés dans le système scolaire et qui, malgré cela, éprouvent un certain nombre de difficultés sur le marché de l'emploi.
On voulait prouver, presque par l'absurde, un point; mais je crois que pour ces enfants, premièrement, cela ne relève pas du gouvernement fédéral, mais si on en parle de façon général, de la situation dans les écoles publiques. Dans les centres-villes, les écoles publiques ont tendance à devenir les écoles des minorités et la qualité se dégrade à niveau là; il y a beaucoup à faire là-dessus.
Les quartiers où ils habitent sont en cause, car il y a relation entre l'école, le quartier et l'emploi futur. Quand on parle de quartier pauvre, un quartier n'est pas seulement pauvre physiquement, il l'est en termes d'infrastructures sportives, culturelles, de services, et cetera. Il y a des difficultés à ce niveau-là. Effectivement, des programmes d'équité en emploi aideraient certainement. Pas seulement au niveau fédéral, mais dans les différentes provinces, c'est sûr.
Quelque part, on retrouve de plus en plus de ces familles de minorité visible dans la catégorie des pauvres. Des mesures sont recommandées depuis 20, 25 ans, concernant le soutien pour les enfants, pour le logement, et cetera, concernant la hausse du salaire minimum. Des mesures sont proposées depuis longtemps. Vous avez peut-être la chance de montrer l'urgence et les conséquences possibles du fait de ne pas bouger concernant ce dossier.
[Traduction]
Le sénateur Cordy : J'aimerais revenir sur la question de l'emploi, parce que si les gens n'ont pas d'emploi, ils n'auront pas de logement et ils vivront vraisemblablement dans la pauvreté et connaîtront tous les autres problèmes sociaux.
Quand j'ai grandi au Cape-Breton — Mme Wayland a pour sa part cité l'exemple de Hamilton — de nombreux immigrants arrivés dans la région au cours des années 1940 et 1950 ont trouvé du travail dans les mines de charbon et à l'aciérie. Le travail était dur et exigeant sur le plan physique, mais il permettait de bien gagner sa vie. Les immigrants ont pu s'établir dans de bons quartiers et bon nombre de leurs enfants ont pu faire des études postsecondaires, ce qui a été mon cas. Toutefois, les immigrants d'aujourd'hui occupent des emplois tertiaires mal rémunérés. Ils vivent dans la pauvreté et doivent travailler 80 heures par semaine pour essayer de nourrir leur famille.
Madame Ley, vous avez parlé des immigrants, des Philippins entre autres, qui obtiennent de l'information de l'intérieur. J'ai entendu à la radio une entrevue réalisée auprès de propriétaires de petites entreprises. On parlait de l'intégration des immigrants au marché du travail, en particulier dans le secteur professionnel. Les propriétaires de petites entreprises ont affirmé devoir compter sur le bouche à oreille et sur les recommandations. Ils parlent à leurs amis qui leur recommandent des gens.
La nature humaine est ainsi faite. Toutefois, cela exclut une portion énorme de travailleurs. Si un employeur blanc d'origine anglo-saxonne cherche du personnel, il s'adressera vraisemblablement à des hommes blancs d'origine anglo- saxonne. Ce n'est pas une critique, c'est tout simplement la réalité.
Comment pouvons-nous assurer l'ouverture de ces cercles? Comment pouvons-nous permettre aux immigrants d'obtenir de l'expérience sur le marché du travail? Mme Go a parlé d'un programme de transition. La Nouvelle-Écosse a fait l'essai d'un programme pour l'intégration au marché du travail — qui n'était pas appelé programme de transition — dans le cadre duquel, les nouveaux immigrants en Nouvelle-Écosse payaient des sommes astronomiques pour soi- disant acquérir de l'expérience dans leur domaine de compétence. Ce programme devait les aider, or il a été désastreux. Il a pillé les nouveaux immigrants en leur réclamant des sommes d'argent énormes, mais ne leur a pas permis d'acquérir de l'expérience dans leur domaine. Les immigrants n'ont réussi à acquérir de l'expérience que dans des emplois moins bien rémunérés où leurs compétences et leurs diplômes ne leur ont servi à rien. Le gouvernement a affirmé qu'ils ne se sont pas plaints. Les immigrants n'ont pas osé se plaindre parce qu'on leur a dit que s'ils se plaignaient, ils seraient chassés de la Nouvelle-Écosse et renvoyés dans leur pays d'origine.
Ce programme a été absolument horrible. Que faisons-nous pour assurer l'ouverture des cercles pour les nouveaux immigrants? En fait, la question ne se pose seulement pour les nouveaux immigrants; vous avez tous mentionné le fait que la préoccupation ne porte pas uniquement sur les premières années, mais aussi sur l'évolution de la situation au fil des ans. Comment faire pour ouvrir ces cercles?
Mme Go : Notre clinique dessert de nombreux immigrants à faible revenu. D'après mon expérience, les emplois à bas salaire ne sont pas uniquement limités au secteur des services. On en trouve même dans le secteur manufacturier. Bon nombre des clients qui viennent chez nous travaillent dans des fabriques de vêtements ou dans l'industrie automobile, à la fabrication de pièces spéciales pour les voitures. Ces emplois aussi sont de plus en plus mal rémunérés parce que dans la plupart des cas les travailleurs ne sont pas syndiqués. Dans le but de minimiser leurs coûts, les employeurs commencent d'abord par réduire le coût de la main-d'œuvre. D'un salaire horaire au départ, bon nombre de travailleurs passent ensuite à une rémunération à la pièce. Par conséquent, ils doivent travailler plus vite et plus longtemps pour obtenir le même salaire. Les violations des normes d'emploi sont monnaie courante.
J'ai l'impression de me répéter, mais, en bout de ligne, il nous faut un programme d'équité en matière d'emploi. Dans le cadre de l'évaluation de l'équité en emploi, on examinera la situation sur le marché du travail et les pratiques d'embauche. Pour éviter que les employeurs n'embauchent des gens uniquement sur recommandation verbale, il faut leur dire qu'ils doivent mettre en place et respecter une stratégie d'emploi ou d'embauche accessible, équitable, ouverte et transparente. C'est un élément essentiel de l'équité en matière d'emploi.
Je ne prône pas nécessairement la mise ne place d'un code du travail ou la syndicalisation, mais il va sans dire que le renforcement du pouvoir de négociation des travailleurs modifiera certainement le milieu de travail. À défaut de syndicalisation, il faudra une modification des normes d'emploi. Toutefois, cela relève de la loi provinciale.
Le président : N'ayez pas peur de vous répéter. C'est à force de répéter que les problèmes se règlent ici.
Mme Wayland : Pour poursuivre dans le même sens que Mme Go, je songe à une mesure efficace mais peut-être moins institutionnelle, mais que je ne sais pas exactement comment mettre en pratique. Il s'agirait de sensibiliser les employeurs à la qualité des nouveaux arrivants. Nombre de propriétaires de petites entreprises et même de grandes sociétés ne sont pas au courant des compétences remarquables que possèdent les gens qui arrivent au Canada. Ils voient des titres de compétences étrangers et les rejettent immédiatement. Il faut mener une vaste campagne de sensibilisation auprès du public pour faire valoir l'intérêt d'embaucher des immigrants.
Par exemple, de nombreuses villes canadiennes sont confrontées à une pénurie de travailleurs qualifiés. C'est le cas dans certaines provinces et régions du pays. Les employeurs cherchent de plus en plus à embaucher des gens très compétents, mais, parfois, aucun candidat du calibre voulu n'est disponible.
Nous devons inciter les propriétaires d'entreprises à s'intéresser à la main-d'œuvre immigrante. Ainsi, lorsqu'un employeur cherche une personne possédant des compétences particulières, nous pouvons lui suggérer au moyen d'un slogan accrocheur de songer à embaucher un immigrant. Cela semble idiot, mais ce genre de campagne fonctionne dans une certaine mesure. Toutefois, cette formule n'est appliquée qu'à petite échelle.
L'accès à la formation est offert plus largement. Comme Mme Go l'a indiqué, les nouveaux arrivants n'ont généralement pas accès à la formation et au développement des compétences offerts dans le cadre de l'assurance- emploi, parce qu'ils n'ont jamais contribué à ce programme. Ils n'y sont pas admissibles et c'est un énorme problème.
Le gouvernement fédéral pourrait également prêcher par l'exemple en embauchant davantage d'immigrants, notamment dans le cadre de programmes de mentorat et de stages, et mettre en évidence des exemples de réussite. Pour cela, il faudrait peut-être modifier certaines exigences — par exemple, la compétence dans les deux langues officielles. On pourrait faire un compromis, car il pourrait y avoir certains avantages à embaucher des gens qui connaissent des langues que de plus en plus de Canadiens parlent. J'invite le gouvernement fédéral à donner l'exemple.
M. Ley : Je reviens sur le changement de situation économique qui a été mentionné et sur lequel nous ne nous sommes peut-être pas suffisamment attardés. La situation économique dont les immigrants héritent à leur arrivée au Canada est fortement liée à la réussite de leur intégration économique. Plus tôt, il a été question d'une époque où les immigrants occupaient en général des emplois de cols bleus, fréquemment syndiqués — en Colombie-Britannique, par exemple, c'était dans les secteurs forestier et minier — mais ces emplois ont été sérieusement affectés dans le secteur manufacturier et il en est de même dans le centre du Canada.
Nous entrons maintenant dans ce qu'on appelle une économie du sablier où une proportion de plus en plus grande de travailleurs évolue dans le secteur des services. Toutefois, il y a deux genres d'emplois dans le secteur des services : les emplois de niveau inférieur, fréquemment des emplois au salaire minimum, et les emplois professionnels de niveau supérieur. On constate que les immigrants s'insèrent dans le niveau inférieur.
Autrement dit, les emplois à salaire moyen dans les secteurs manufacturier et de l'exploitation des ressources naturelles, qui dans le passé n'exigeaient souvent que des connaissances linguistiques minimales, sont désormais très peu nombreux. L'économie est actuellement en pleine évolution ce qui rend la situation nettement plus difficile.
L'importance du cycle économique constitue un autre problème. Dans les années 1990 à peu près, le gouvernement fédéral a décidé que le Canada accueillerait chaque année, sans égard au cycle économique, le même nombre d'immigrants, soit environ un quart de million. Si on remonte aux années 1950, 1960, 1970 et 1980, on constatera que l'immigration est cyclique. Alors que les emplois sont rares, plus d'immigrants ont été admis au Canada. Pendant la récession, le nombre d'immigrants admis a baissé. Toutefois, depuis 1990, ou à peu près, le Canada a décidé d'admettre un quart de million d'immigrants par année quelle que soit la situation économique. Évidemment, au début des années 1990, nous avons traversé une très grave récession. La cohorte d'immigrants, soit plus d'un million de personnes, qui est arrivée au pays au cours de la première moitié des années 1990 a hérité, sans en être responsable, d'une situation de l'emploi catastrophique. Le recensement de 1996 a révélé qu'ils étaient effectivement en grande difficulté.
Dans le recensement de 2006 — nous n'avons pas encore de données sur le revenu et l'emploi pour ce qui est des immigrants — il sera très important de voir si l'amélioration de la situation économique des immigrants les plus récents, qui s'est produite entre 1996 et 2001, se maintiendra parce que la conjoncture économique est nettement plus positive depuis les six dernières années.
Quand on examine les données et, par exemple, la situation actuelle des immigrants arrivés pendant les années 1990, il faut tenir compte non seulement de l'évolution de l'économie, mais aussi de l'étape du cycle économique pendant laquelle ils sont arrivés.
Une analyse à court terme tient uniquement compte de la situation des immigrants pendant une période de cinq ou de dix ans. Une analyse à plus long terme, qui s'inscrit dans une conjoncture économique plus favorable, devrait donner une meilleure idée de la situation.
En bref, c'est une politique fédérale qui a établi, il y a 15 ou 20 ans, que le niveau d'immigration demeurerait le même peu importe la conjoncture économique. Or, il est évident qu'une telle décision nuit aux immigrants qui arrivent en période de récession.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai écouté et j'ai examiné certaines statistiques et il semble que les immigrantes se tirent mieux d'affaire que les immigrants. Nous n'apprécions pas et nous n'admettons pas l'écart de traitement salarial entre les hommes et les femmes au Canada. Toutefois, si on passe en revue la liste des immigrants, il ressort clairement que, proportionnellement, les femmes s'en tirent mieux que les hommes.
Je note également les accomplissements exceptionnels de la collectivité japonaise. Il est assez intéressant de constater que les Jamaïcaines font bonne figure dans ces tableaux de situation économique. Je me demandais si vous aviez des observations à ce sujet. Les familles et les immigrants japonais sont toujours une source d'inspiration.
J'aimerais poser une question au sujet du tableau concernant la participation des jeunes de diverses origines raciales au marché du travail; je crois que ce tableau a été présenté par Mme Go. Comment se fait-il que le groupe des 15 à 24 ans ait été inclus dans la main-d'œuvre alors que ces jeunes devraient être aux études jusqu'à 18 ou 19 ans? J'ai l'impression que ce tableau est probablement faussé. En outre, j'ai été frappée du fait que les jeunes Autochtones y font plus mauvaise figure que les immigrants du même groupe d'âge. C'est probablement le plus grand problème qui ressort.
Voilà mes observations. J'invite tout le monde à les commenter.
Vous avez fait valoir l'importance de la situation et en avez fait une analyse pertinente en ce qui a trait aux professionnels de la santé et la question nous préoccupe. Au cours des dernières semaines, diverses organisations professionnelles nous ont parlé de la question, particulièrement l'Association médicale canadienne. Nous devons nous pencher sur le problème.
Au cours de la période de questions, M. Icart et Mme Go ont particulièrement parlé des garderies. Monsieur Icart, je voulais me concentrer sur la situation au Québec. À votre avis, et du fait que vous habitez au Québec, le système québécois progresse-t-il et donne-t-il de bons résultats pour Néo-Canadiens et les familles? La situation s'améliore-t- elle avec le temps? J'ai visité une garderie à Montréal et j'y ai vu un extraordinaire regroupement de nationalités et de familles, et cela m'a donné énormément d'espoir. Auriez-vous l'obligeance de nous faire part de vos observations à ce sujet?
Mme Go : J'aimerais faire une précision concernant le tableau dont vous avez parlé, notamment pour ce qui est des niveaux de pauvreté chez les divers groupes raciaux, qui comprennent entre autres les Japonais et les Jamaïcains. Je tiens à préciser la distinction entre les groupes raciaux et les immigrants et à souligner que les groupes raciaux ne sont pas nécessairement uniquement constitués d'immigrants. Par exemple, parmi les différents groupes raciaux, celui des Canadiens d'origine japonaise compte plus souvent des membres nés au Canada, parce que le Japon ne figure pas en tête de la liste des pays de provenance des immigrants qui arrivent chez nous. Il est important de faire la différence entre la notion de collectivité raciale et de collectivité immigrante parce que tous les immigrants n'appartiennent pas à des minorités raciales, et que les membres de ces minorités ne sont pas tous des immigrants.
Quant à la raison pour laquelle les hommes de minorités raciales, en particulier, se tirent moins bien d'affaire que les femmes, je ne la connais pas. J'aimerais croire que les femmes sont peut-être plus souples, mais l'explication vient peut- être aussi du fait que, dans le milieu de travail, les hommes de minorités raciales font face à un type particulier de discrimination auquel les femmes ne sont pas confrontées.
En fait, uniquement d'après mon expérience professionnelle, lorsque des clients se plaignent de discrimination au travail, les femmes ont tendance à parler de harcèlement sexuel alors que les hommes parlent plutôt de harcèlement racial. Je ne suis pas certaine de la raison qui est à l'origine de cette situation ou si les femmes font également l'objet de harcèlement racial, mais leur identité sexuelle les force peut-être à se concentrer davantage sur ces problèmes plutôt que sur leur identité raciale. Je ne sais pas. Il est vrai que ce sont généralement des hommes qui nous appellent pour se plaindre de discrimination raciale au travail. Les autres témoins peuvent peut-être fournir une explication à cette situation.
[Français]
M. Icart : Au Québec, le programme de garderie universelle a été très certainement l'une des meilleures choses à arriver au cours des dix dernières années. C'est relativement nouveau. Le mouvement des garderies populaires date du début des années 1970. Cela a pris 25 ans pour avoir un programme universel de service de garde. C'est une avancée importante, il n'y a pas de doute.
Le programme a tellement de succès qu'on manque de place. Cela a été la première annonce d'une politique familiale. Le Québec s'en est doté à partir des années 1990. Il y a d'autres morceaux qui doivent se mettre en place, d'abord la question des projets parentaux qui a déjà été mise en place et la conciliation travail-famille.
C'est dans le cadre d'un ensemble auquel je crois beaucoup. Et je pense que c'est probablement l'une des meilleures choses à être arrivé au Québec au cours des 15 dernières années. Il est peut-être un peu tôt pour les évaluer, mais toutes les analyses qu'on avait faites et toutes les expériences qui ont été faites dans le cadre des garderies communautaires montraient qu'il fallait passer par là. Toutes les études montraient que c'était la direction dans laquelle on devait s'en aller. Oui, cela commence avec la petite enfance. Tout se joue avant cinq ans et ensuite poursuivre le mouvement dans les écoles primaires et secondaires. Il y a un morceau posé, mais il ne faut surtout pas s'arrêter.
[Traduction]
Le sénateur Trenholme Counsell : Je n'ai pas vu de comparaison sur dix ans. Des immigrants de partout dans le monde arrivent au Canada pleins d'espoir. J'aimerais voir la différence entre la première année et la dixième année pour savoir si cet espoir a été satisfait. Les salaires et les niveaux de revenu sont-ils meilleurs? Les immigrants se débrouillent-ils relativement bien? Je ne sais pas si nous avons des données à ce sujet.
[Français]
M. Icart : On parlait d'études sur 20 ans, 1980-2000, 2000 étant la dernière année pour laquelle on a des chiffres. Ce qu'on a vu sur ces 20 ans, autant pour la population dans l'ensemble que pour les nouveaux immigrants, c'est ce que j'avais appelé un allongement de la période de rattrapage. Donc il y a davantage de pauvreté sur 20 ans dans les groupes immigrants. C'est certain que plusieurs personnes vont réaliser leurs rêves. Si on commence à avoir différentes catégories, certaines se sont ajustées mieux que d'autres si on parle en général. Si on parle de certaines catégories, on peut aller dans les détails, oui, on va avoir de la difficulté.
Dans l'ensemble, il y a une tendance générale qui s'applique aussi bien à l'immigration et qui reflète les difficultés sur le plan économique. Sur 20 ans, c'est ce qu'on a comme donnée objective aujourd'hui. Je pense que c'est ce dont il faut tenir compte. C'est quand même 20 ans. Cela veut dire que c'est une tendance importante, aussi bien en termes de restructuration du marché de l'emploi que de difficultés pour les immigrants. Il faut peut-être questionner la politique d'immigration comme telle, la grille de sélection ou les normes, mais aussi se demander pourquoi ces personnes se retrouvent dans certains secteurs d'emploi? La question que je voulais poser est la suivante : qu'est-ce qu'on peut faire pour améliorer les conditions dans ces secteurs?
D'autant plus qu'avec les changements, ce sont les secteurs où les conditions sont meilleures où on investit dans l'innovation qui résistent le mieux à la mondialisation.
La semaine dernière, une grande entreprise de Montréal a quitté et pour aller ailleurs. Une autre ne quitte pas, pourquoi? Parce que pendant dix ans, elle avait investi dans la formation de ses employés et dans l'innovation. Est-ce qu'il n'y a pas des leçons à tirer de cela? Est-ce que c'est seulement une question de responsabilité individuelle ou est-ce qu'il y a des facteurs systémiques qu'il faut prendre en considération. Je pense que tous les quatre, nous sommes relativement d'accord, il y a des facteurs structurels et ce n'est pas seulement une question individuelle. Ce n'est pas seulement l'individu, l'immigrant. On peut avoir des catégories spéciales pour des groupes bien particuliers. J'ai regretté de ne pas avoir parlé des réfugiés en régions. On les choisit et on peut les envoyer en région. C'est une façon de déconcentrer l'immigration. Mais est-ce que les services ont suivi? Est-ce que les endroits où on les envoie il y a des services? C'est peut-être 10 000 ou 12 000 personnes, ce n'est pas beaucoup, mais ce sont des personnes. Que ce soit 10 000 ou 2 000, c'est important.
Je pense que ce sur quoi on insiste, c'est qu'il y a des facteurs systémiques, des problèmes d'ordre structurel qu'il faut considérer.
[Traduction]
Le sénateur Cook : Merci de cette séance très informative. On a beaucoup parlé des processus ainsi que des raisons qui amènent les immigrants au Canada. J'aimerais aborder la question sous un autre angle. Il doit être très traumatisant de décider de quitter sa terre natale, et les circonstances entourant un tel départ varient en fonction du pays d'origine. Que les immigrants arrivent avec un rêve ou avec un grosse somme d'argent, la prise de conscience que la nouvelle réalité ne correspond pas du tout à ce qu'on attendait doit être aussi traumatisante que la décision de quitter son pays.
Les nouveaux arrivants au Canada doivent composer avec des situations terribles pour faire partie de notre société. Je dois avouer que je ne connais rien de la politique d'immigration et des services d'établissement. Toutefois, d'après ce que j'ai entendu ce matin, les immigrants arrivent dans une société mercantile, peut-être trop réglementée dans laquelle ils devront travailler. Ils arrivent avec des titres de compétences qui ne sont pas tout à fait équivalents ou les mêmes que les nôtres et, par surcroît, ils sont incapables de communiquer efficacement. Au bout du compte, ils doivent affronter un marché du travail qui n'est pas accueillant. Ils arrivent en famille, avec de jeunes enfants et des adolescents, les éléments de la famille qui posent un défi, ou encore, ils arrivent seuls.
Dans tout cela, où sont les faiblesses de notre politique d'immigration et dans la façon dont nous nous occupons de ces immigrants? J'utilise le verbe « occuper » parce que si on ne s'occupe pas d'une personne, son esprit sera anéanti. D'après moi, c'est de là que viennent les problèmes systémiques.
Nous parlons de cohésion sociale. Les immigrants viennent de climats probablement très différents. Je viens de Terre-Neuve, où le climat est très différent, ce que mes amis Canadiens ne comprennent pas.
Les immigrants arrivent avec leur bagage culturel. Les Terre-Neuviens constituent actuellement le groupe d'immigrants le plus nombreux à l'heure actuelle au Canada, à cause du déclin de l'industrie de la pêche. Lorsque les Terre-Neuviens s'établissent ailleurs au Canada, ils forment immédiatement un club social où ils peuvent manger les plats typiques de chez eux. Jusqu'à quel point la cohésion sociale dont on entend parler est-elle réelle?
Je me concentre sur les programmes de transition dont a parlé Mme Go. À qui pouvons-nous recommander la mise en place de programmes sociaux, de transition, d'apprentissage et de formation en cours d'emploi? Pouvons-nous créer des liens? Pouvons-nous intégrer ou rien ne fonctionnera pour les nouveaux venus chez nous?
On peut se pencher sur les titres de compétences et sur la langue. Ma province ne compte que 500 000 habitants. Y a- t-il un programme de transition qui nous permettre de répondre à tous ces besoins?
Mme Wayland : C'est peut-être le bon moment pour parler de l'importance de la famille. M. Ley a dit que le Canada est en concurrence avec de nombreux pays pour attirer des travailleurs immigrants qualifiés. Dans certains cercles, on entend dire que la situation est très difficile au Canada, ce qui dissuade des immigrants potentiels de venir chez nous. Les liens sociaux figurent parmi les principales raisons qui motivent les gens à vouloir s'établir au Canada. La seule étude longitudinale récente sur les nouveaux arrivants au Canada est l'Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada. Les auteurs de cette étude se sont penchés sur la situation d'un groupe d'immigrants à des intervalles de six mois, un an et deux ans après leur arrivée, et ils ont posé des questions aux membres de ce groupe au sujet de leur expérience. Une partie des conclusions de cette enquête a été publiée parce qu'elle portait sur des gens arrivés aux alentours de 2001.
Je signale que 87 pour cent des participants à cette enquête avaient déjà de la parenté et des amis au Canada au moment où ils ont immigré. Dans une large mesure, c'est ce qui motive le choix des immigrants. Les liens sociaux amènent les immigrants au Canada.
Toutefois, les délais de traitement sont longs et d'autres obstacles compliquent la réunification des familles. Compte tenu du système de points, le requérant principal, un travailleur qualifié, arrive souvent seul afin de s'établir d'abord et de faire venir le reste de la famille ensuite.
Souvent, lorsque les immigrants arrivent au Canada, ils n'ont pas la moindre idée du temps qu'il faudra pour traiter leur demande, pour s'établir et pour remplir toutes les formalités pour faire venir leur famille. On entend de nombreuses histoires désolantes, de conjoints qui ont évolué différemment à cause de la distance et de parents qui ne connaissent pas leurs enfants. Il faut accélérer la réunification familiale au Canada. De plus, cela faciliterait énormément le processus d'établissement. Nous nous sommes concentrés sur l'emploi et l'acquisition de compétences linguistiques, qui sont des éléments extrêmement importants, mais en troisième lieu, il faudrait aider les familles à rester ensemble.
L'enquête longitudinale auprès des immigrants au Canada révèle que la vaste majorité des gens obtiennent l'information concernant l'établissement de leur famille et de leurs mais, non des organismes gouvernementaux et des organisations d'établissement. Il est important de reconnaitre l'importance de ces liens.
Je ne sais pas si cela répond à votre question.
Mme Go : Je partage entièrement l'avis du Mme Wayland au sujet de la famille et des délais de traitement des demandes. Par exemple, bon nombre de nos clients viennent de la Chine continentale et, en général, le traitement de la demande d'un immigrant indépendant de la Chine peut-être de quatre ans. J'ai déjà eu un client, un étudiant qui venait de la Chine continentale, et qui vivait en Allemagne au moment où il a fait sa demande d'immigration au Canada. Il lui a fallu 21 jours pour obtenir son visa d'immigration. J'imagine que ça dépend où on vit. Le temps de traitement des demandes diffère d'un endroit à l'autre et est fonction des ressources affectées aux divers bureaux de visas dans le monde.
Évidemment, cela dépend également du pays d'origine des immigrants. Toutefois, quatre ans, c'est un long délai pendant lequel des changements surviennent dans la vie d'une personne. Cela nous ramène à certaines autres absurdités de notre système d'immigration.
Je vous donne un autre exemple pour montrer qu'on laisse totalement tomber les familles. J'ai des clients de Chine, en l'occurrence une famille composée de deux parents et de deux fillettes, qui sont arrives comme immigrants indépendants, mais qui ont laissé une de leurs filles en Chine à cause de la politique de l'enfant unique. Ils n'ont jamais déclaré leur deuxième fille aux autorités chinoises. Par conséquent, lorsqu'ils ont voulu immigrer au Canada, comme ils ont eu peur de déclarer qu'ils avaient deux filles, ils n'ont déclaré qu'une. Ce n'est qu'une fois au Canada qu'ils ont entrepris des démarches pour faire venir leur deuxième fille. Or, à cause d'une disposition particulière de la Loi sur l'immigration, il leur est interdit pour toujours de faire venir leur deuxième enfant. Que s'est-il passé? Le père devait faire des allers retours pour s'occuper de l'enfant restée en Chine tout en essayant de s'établir au Canada. Pensez-vous que cette famille se porte bien?
Notre Loi sur l'immigration comporte bien des dispositions étranges. Ainsi, alors que nous parlons de réunification des familles, dans les faits, nous prenons bien des mesures qui les font éclater. Il y a de plus en plus de gens qui s'établissent au Canada à titre d'immigrants indépendants, mais cela ne signifie pas pour autant qu'ils n'ont pas de famille. De plus, ils ont une famille élargie et nous rompons également les liens avec cette famille. Un immigrant qui souhaite faire venir de Chine un membre de sa parenté, doit prévoir une attente de dix ans.
Tous ces facteurs nuisent au processus d'immigration et d'établissement au Canada et contribuent aux problèmes financiers auxquels les immigrants sont confrontés au Canada.
M. Ley : Sénateur Cook, vous avez demandé comment on s'occupe des immigrants. C'est une question vraiment fondamentale. Comme vous l'avez entendu, il y a énormément d'entraide dans ces collectivités. L'aide ne vient pas uniquement des familles, elle vient aussi des institutions, et il ne faudrait pas sous-estimer les institutions religieuses au sein des collectivités immigrantes. Dans le passé, évidemment, l'Église catholique a joué un rôle notable au Canada pour aider les catholiques d'Europe.
Cependant, aujourd'hui, la diversité des institutions religieuses est nettement plus grande. J'ai fait des recherches sur la question et l'éventail de services offerts est assez étonnant. À un niveau légèrement plus officiel, on trouve les ONG. Le Canada a la chance de compter sur un groupe d'ONG fantastiques qui servent la population immigrante. Je signale que le personnel de ces organisations soutient une pression énorme mais gagne très peu.
Je connais bien les organisations qui œuvrent à Vancouver, mais beaucoup moins celles qui sont actives ailleurs au Canada. Quoi qu'il en soit, ces ONG font un travail de première classe et accueillent généreusement des populations souvent très stressées. On pourrait avancer un argument minimal pour assurer qu'elles soient financées convenablement. En Colombie-Britannique, même l'existence des plus grandes ONG, en grande partie financées par le gouvernement provincial, est menacée. Toutefois, elles font un travail de première classe et j'entends régulièrement le même son de cloche des immigrants eux-mêmes.
Le sénateur Munson : En ce qui concerne les immigrantes, j'ai noté qu'elles sont disposées à faire le travail que d'autres ne veulent pas faire. Je bénis celles qui travaillent dans la maison de retraite où réside ma mère parce que 90 pour cent des femmes là-bas prodiguent des soins. On retrouve cette situation d'un bout à l'autre du pays. Les immigrantes occupent ce genre d'emplois, sans se préoccuper du salaire. On devrait les en féliciter. D'autres ne seront pas intéressées par ces emplois, ce qui est déplorable.
Ma première question porte sur la discussion concernant les restrictions en matière de soins de santé assurés par le régime d'assurance-maladie de l'Ontario, ou RAMO, pendant les trois premiers mois. Je crois que la même règle s'applique également dans d'autres provinces. Quel bureaucrate ou politicien a pu élaborer à une telle formule? Que raisonnement sous-tend la règle qui limite les soins de santé offerts aux immigrants et rend leur situation financière encore plus ardue et accentue davantage leur insécurité?
Ma deuxième question porte sur la surveillance concernant les paiements de transfert aux provinces. J'aimerais que vous nous disiez quels niveau et quelle portée de surveillance sont nécessaires. Le gouvernement fédéral est en train de devenir une banque, mais il faut mettre en place une sorte de norme nationale.
Mme Go : Pour ce qui est du RAMO, la question a fait l'objet d'une contestation judiciaire devant les tribunaux. Je ne me rappelle pas quel raisonnement sous-tendait la décision du tribunal, mais il a maintenu le statu quo, en partie parce que le gouvernement fédéral s'est déchargé de certaines responsabilités, qu'il a fait des compressions et qu'il accorde un financement insuffisant et également parce que la formule a été modifiée. La province utilise le gouvernement fédéral comme excuse pour justifier la mise en place de politiques qui nuisent à la population immigrante.
Mme Wayland : D'après moi, la restriction d'admissibilité au RAMO avait initialement été prévue pour les Canadiens qui changeaient de province de résidence; c'est d'ailleurs pour cette raison que bon nombre de provinces sont confrontées à ce problème à l'égard des immigrants. Voilà l'exemple d'une loi créée pour s'appliquer aux Canadiens, mais qui nuit maintenant aux immigrants.
Le sénateur Munson : Ma mère a été confrontée à une situation similaire lorsqu'elle avait 93 ans; elle a dû attendre trois mois après avoir quitté le Québec pour s'installer en Ontario.
Pourriez-vous nous faire part de vos observations sur la surveillance concernant les paiements de transfert?
M. Ley : J'estime à tout le moins que la reddition de comptes est une exigence minimale et que si des fonds sont transférés au titre de programmes particuliers, il devrait y avoir une reddition de comptes pour montrer qu'ils sont effectivement utilisés pour les programmes visés. Je ne veux pas parler uniquement du genre de surveillance qui est acceptable, mais j'estime que s'il y a un manque de transparence, il faut exiger une reddition de comptes.
Mme Wayland : Ce sont des questions qu'il faut négocier au départ, au moment de l'entente. Comme je l'ai déjà dit, j'estime que l'Ontario a tiré une leçon de ce qui s'est passé en Colombie-Britannique, malheureusement pour cette dernière.
[Français]
M. Icart : Au Québec, cela a été un sujet important. Ce sont les groupes sur le terrain qui ont amené les autorités du Québec à montrer plus de transparence dans l'utilisation de ces fonds.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Il va sans dire que je comprends bon nombre des problèmes et des préoccupations dont il est question ici ce matin parce que, il y a trois de cela, j'ai eu le privilège de présider un comité qui a parrainé une famille du Vietnam. En fait, je suis resté en étroite communication avec cette famille. Par conséquent, je comprends relativement bien ce que vous dites au sujet des services d'établissement.
Ma principale question porte sur le financement global parce qu'il y a des problèmes à ce niveau. Vous avez parlé des cours d'anglais, je signale à ce sujet que dans certaines provinces, on apprend aux gens à converser alors que dans d'autres on leur donne les outils linguistiques pour occuper un travail donné. Vous avez mentionné que la moitié de l'argent consenti n'est pas attribué aux services d'établissement.
Je sais que le sénateur Munson a déjà pose cette question, mais avez-vous quelque chose à ajouter à cela? Comme je l'ai dit, il y a des problèmes à cet égard. Le gouvernement fédéral devrait-il intervenir davantage au lieu d'exiger uniquement une reddition de comptes prouvant que l'argent a effectivement été affecté aux services d'établissement? Je ne connais pas les critères qui s'appliquent à l'heure actuelle, s'il y en a, mais j'aimerais vraiment entendre d'autres observations à ce sujet.
Mme Go : Si le gouvernement fédéral souhaite intervenir davantage, il doit non seulement prévoir certaines conditions, mais il doit également accorder le financement. Le problème vient en partie du fait que les paiements de transfert ont diminué au fil des ans et que les provinces disent maintenant au gouvernement fédéral « Vous ne nous donnez même pas assez d'argent, pourquoi devrions-nous vous écouter? » Ces éléments forment un tout. J'estime qu'il devrait y avoir une norme nationale, mais je crois également que le gouvernement fédéral n'investit pas suffisamment d'argent dans les secteurs dont nous avons parlé aujourd'hui.
Tant que le gouvernement fédéral ne consentira pas un financement suffisant, il ne peut exiger que les provinces se plient à sa volonté et acceptent de se soumettre à des conditions. J'estime que c'est une partie de l'explication.
Le président : Monsieur Ley, vous avez indiqué que, dans certains cercles, on entend dire que le Canada n'est pas un pays intéressant pour les immigrants. Vous avez entres autres mentionné que des ingénieurs retournent en Chine.
Nous avons parlé des raisons de ces départs, notamment la reconnaissance des titres de compétences ainsi que l'exigence d'une expérience professionnelle canadienne et de la connaissance de la langue. Pouvez-vous indiquer, dans un certain ordre, quelles sont les principales raisons qui incitent les immigrants à repartir, qu'il s'agisse des raisons que j'ai citées ou d'autres?
M. Ley : La principale raison est financière. Les immigrants sont arrivés au Canada avec certaines attentes financières établies en fonction de leur capital humain
Le mieux que je puisse faire pour illustrer cela est peut-être de citer un immigrant dont les propos figurent d'ailleurs dans le document que je vous ai remis. Cet immigrant chinois qui vit à Richmond, une banlieue en périphérie de Vancouver, a dit ceci : « Je suis ingénieur en mécanique et je possède deux diplômes universitaires, mais au Canada je travaille comme croupier dans un casino. J'ai besoin de faire autre chose. »
J'estime que c'est ce genre d'expérience qui amène les gens à envisager un retour en Chine. Il n'est pas nécessairement facile de se réintégrer au marché du travail là-bas, mais, dans une économie en croissance, les possibilités d'emploi sont substantielles. Voilà le principal problème.
Comment se fait-il que cet homme travaille comme croupier plutôt que comme ingénieur au Canada? Les titres de compétences et la langue sont les deux grands problèmes auxquels cette collectivité est confrontée.
Le président : Nous n'avons plus de temps. La séance a été très productive. Vous nous avez tous fourni énormément d'information, une mine de renseignements. Nous apprécions beaucoup que vous soyez venus témoigner aujourd'hui.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.