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VETE

Sous-comité des anciens combattants

 

Délibérations du Sous-comité des Anciens combattants

Fascicule 5 - Témoignages du 7 mai 2008


OTTAWA, le mercredi 7 mai 2008

Le Sous-comité des affaires des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 12 h 8 pour son étude sur les services et les avantages sociaux offerts aux membres des Forces canadiennes, des anciens combattants, aux membres des missions de maintien de la paix et à leurs familles en reconnaissance des services rendus au Canada. Sujet : Déductions des paiements du RARM.

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bon après-midi mesdames et messieurs. Je déclare la séance ouverte. Comme je l'ai expliqué à nos témoins, comme aujourd'hui est une journée de caucus, les sénateurs vont arriver petit à petit pendant nos délibérations. Nous avons, en tout cas, une honorable brochette de sénateurs qui sont déjà arrivés, que je veux vous présenter.

À ma gauche se trouve le sénateur Day, le vice-président du sous-comité. Le sénateur Day est du Nouveau- Brunswick, où il a eu une carrière fructueuse dans un cabinet privé de droit. Il siège au Sénat depuis octobre 2001 et il est président du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Français]

À ma droite, le sénateur Roméo Dallaire qui a connu une carrière très distinguée dans les Forces armées canadiennes. Il vient du Québec et a été nommé sénateur en 2005. Le sénateur Dallaire est membre du Comité sénatorial permanent des droits de la personne ainsi que du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

[Traduction]

À sa droite se trouve le sénateur Banks, de l'Alberta, qui a été nommé au Sénat en avril 2000. Il est connu de nombreux Canadiens comme un musicien et un artiste accompli et versatile, ce qu'il est depuis longtemps. Il est président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.

Nous poursuivrons aujourd'hui notre étude sur le RARM, le Régime d'assurance-revenu militaire. C'est un régime d'assurance collective qui verse des prestations aux membres réguliers et de réserve des Forces canadiennes.

La semaine dernière, le sous-comité a entendu le témoignage du président des Services financiers du RARM, André Bouchard. Cette semaine, nous portons notre attention sur les intervenants du domaine, dont certains ont qualifié de réductions injustes ces « dispositions de récupération » applicables aux prestations d'invalidité prolongée du RARM qui sont versées aux anciens combattants atteints d'une déficience.

Cette semaine, nous accueillons encore une fois avec plaisir M. Jack Frost, le président national de la Légion royale canadienne. Il est accompagné du colonel Pierre Allard, qui est le directeur du bureau d'entraide. Depuis sa formation en 1926, la Légion a concentré ses efforts sur la lutte pour obtenir des pensions suffisantes et autres prestations bien méritées pour les anciens combattants et les personnes à leur charge.

Nous avons avec nous aujourd'hui M. Sean Bruyea. M. Bruyea est un officier retraité des Forces canadiennes et un défenseur infatigable des droits des anciens combattants. Partout au Canada, il s'adresse aux médias à ce sujet. Avec lui se trouve M. Dennis Manuge, demandeur au recours collectif en justice visant à faire cesser les déductions injustes des prestations du RARM; aussi présent est M. Peter Driscoll, le conseiller juridique de M. Manuge.

Je vous souhaite à tous la bienvenue et je vous remercie d'être ici aujourd'hui. Je suis sûr que ce sera une séance des plus intéressantes. Je tiens à rappeler à tout le monde que nous devons achever notre réunion avant 13 h 30, en vertu des règles du Sénat. C'est à ce moment-là que le Sénat doit commencer à siéger. Par conséquent, je demanderai aux sénateurs, comme d'habitude, de poser des questions brèves. Je sais que je peux compter sur les témoins pour fournir des réponses tout aussi brèves et directes.

Nous allons commencer avec la Légion royale canadienne. Si j'ai bien compris, vous avez préparé une déclaration, qui a été distribuée.

Jack Frost, président national, Légion royale canadienne : Je vais exposer notre position et l'enjeu, et M. Allard parlera de cet enjeu.

Encore une fois, c'est un plaisir que de comparaître devant votre comité pour discuter des questions qui se rapportent au Régime d'assurance-revenu militaire, le RARM, et d'autres questions d'importance pour les anciens combattants. Nous reconnaissons que l'élaboration de politiques doit être fondée sur un entendement exhaustif de l'objet et des conséquences des décisions politiques. Elle doit aussi se fonder sur l'évaluation des conséquences qu'il y a à agir ou ne pas agir. Elle doit en outre relever d'un raisonnement clair sur la cause et l'effet. Je vous présente le directeur du bureau d'entraide de la Légion, Pierre Allard, qui discutera de ces questions.

Pierre Allard, directeur, Bureau d'entraide, La Légion royale canadienne : Il doit vous paraître évident après l'information que vous avez reçue la semaine dernière, que nous traitons de questions complexes. Les prestations d'invalidité pour les membres des Forces canadiennes et les anciens combattants et leurs familles sont versées par les Forces canadiennes, en vertu du Régime d'assurance-revenu militaire (le RARM), et par le ministère des Anciens combattants du Canada (ACC), en vertu de différentes lois, notamment la Loi sur les pensions et la nouvelle Charte des anciens combattants. Bien que le ministère des Anciens combattants ait adopté la nouvelle charte, la réalité est que les anciens combattants et membres des Forces canadiennes en service actif continuent de toucher des prestations que versent trois programmes, dont, notamment celui de l'assurance-vie temporaire complémentaire qui s'inscrit dans le cadre du Régime d'assurance-revenu militaire. Le défi pour ces fournisseurs de services est d'harmoniser la prestation des services tout en répondant aux besoins pressants de tous les anciens combattants et de leurs familles.

Nous avons l'intention de réviser ce qui est appelé la réduction des prestations mensuelles d'invalidité prolongée du RARM en raison des prestations d'invalidité accordées en vertu du Régime de pensions du Canada, dans le contexte de la nouvelle Charte des anciens combattants; d'examiner de très près les services de réadaptation offerts à la fois par le ministère des Anciens combattants et le Régime d'assurance-revenu militaire; de revenir encore une fois sur l'examen des soins de santé offerts aux anciens combattants, auquel le ministre Thompson a fait allusion lorsqu'il a comparu devant votre comité le 5 mars 2008; et de commenter les prestations du Fonds du Souvenir pour les funérailles et l'inhumation des anciens combattants.

Pour commencer, la réduction des prestations d'invalidité prolongée du RARM en raison des prestations d'invalidité versées en vertu du Régime de pensions du Canada doit être réexaminée dans le contexte des critères fondamentaux de la cause et l'effet. Vous avez sûrement eu une explication du programme d'invalidité prolongée du RARM et de son évolution historique. Les responsables de ce régime se sont toujours efforcés d'améliorer les prestations des membres des Forces canadiennes et des anciens combattants; cependant, au fil des années, certaines divergences sont apparues, tandis qu'avec la promulgation de la nouvelle Charte, un certain chevauchement des programmes se manifeste, notamment au titre de la réadaptation.

L'une des divergences qui datent de longtemps, même d'avant la nouvelle Charte, est liée au processus toujours appliqué du recouvrement des prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada. Ces prestations sont, en théorie, versées pour la douleur et à titre d'indemnisation. C'est plus qu'une théorie, c'est la loi. Le paragraphe 30(1) de la Loi sur les pensions stipule ce qui suit :

Aucune indemnisation ne peut être cédée, grevée, saisie, payée par anticipation, commuée, ni donnée en garantie...

La Loi sur les pensions poursuit, au paragraphe 30(1.1) avec ce qui suit :

Une indemnisation est, en droit ou en équité, exempte d'exécution, de saisie ou de saisie-arrêt.

Il y a un libellé similaire dans la nouvelle Charte des anciens combattants, qui stipule — et je le répète, que :

Aucune indemnisation payable en vertu de cette loi ne peut être cédée, grevée, saisie, payée par anticipation, commuée, ni donnée en garantie [...]

[...] Une indemnisation payable en vertu de cette loi est, en droit ou en équité, exempte d'exécution, de saisie ou de saisie-arrêt ».

Vous remarquerez que les deux lois sont assez similaires.

Pour compliquer davantage les choses, un membre qui est toujours en service actif peut toucher ses prestations d'invalidité sous le régime de la Loi sur les pensions alors qu'il touche son plein salaire de militaire, sans « déduction » ou « disposition de récupération ». C'est là le problème d'équité qu'ont soulevé MM. Marin et Côté, les deux ombudsmans précédents des Forces canadiennes. Si on part du principe que des membres en service actif peuvent toucher leur plein salaire et l'intégralité des prestations d'invalidité auxquelles ils ont droit en vertu de la Loi sur les pensions, alors que les prestations mensuelles d'invalidité des anciens combattants sont réduites s'ils touchent des prestations d'invalidité prolongée du RARM, l'équité exige que l'on cesse de faire des ponctions sur les prestations du RARM que touchent les anciens combattants, quel qu'en soit le coût.

La nouvelle Charte des anciens combattants a résolu cette question d'équité, à savoir que l'allocation d'invalidité, le paiement forfaitaire d'invalidité censé remplacer en partie les prestations de pensions mensuelles ne sont pas assujetties à la disposition de récupération du RARM, bien que l'indemnité pour perte de revenu le soit encore. Ainsi, dans le contexte de l'allocation d'invalidité accordée sous le régime de la nouvelle Charte, il n'y a pas de réduction des prestations versées au titre du RARM pour ce qui est considéré comme une indemnisation pour la douleur et la souffrance.

Malheureusement, on ne peut en dire autant des prestations mensuelles d'invalidité versées en vertu de la Loi sur les pensions. À tout le moins, le Régime d'assurance-revenu militaire devrait cesser de réduire ce qui est considéré comme la portion des prestations mensuelles des personnes à charge, ce qui était le cas avant 1988.

Il convient de souligner encore une fois que le même problème se pose avec l'indemnité pour préjudice financier accordée en vertu de la nouvelle Charte. L'indemnité mensuelle versée au titre de la Loi sur les pensions est aussi récupérée sur les prestations pour perte de revenus, alors que dans ce contexte, l'allocation pour préjudice financier est nettement un remplacement du revenu.

Pour être juste à l'égard du RARM, les prestations d'invalidité prolongée de ce régime sont versées en vertu du principe de la cause et de l'effet aux membres des Forces canadiennes libérés pour des raisons de santé, peu importe que l'invalidité soit ou non liée au service militaire, ce qui n'est pas le cas des prestations d'invalidité que verse ACC. Ainsi, on pourrait faire valoir que le programme d'invalidité du RARM est plus complet que le régime du ministère des Anciens combattants, au moins à cet égard. De plus, lorsqu'il a été reconnu que la rente d'invalidité mensuelle que versait le ministère en vertu de la Loi sur les pensions était insuffisante pour remplacer un revenu, le RARM a pris certaines dispositions en vue d'améliorer les prestations. Comme les anciens combattants des Forces canadiennes qui touchaient des prestations au titre de la Loi sur les pensions avaient besoin de revenus additionnels, le RARM, en 1976, a modifié son programme d'invalidité prolongée pour verser aussi une rente en cas d'invalidité imputable au service militaire. C'est à cette époque que la décision a été prise que les prestations mensuelles que versait le ministère des Anciens combattants au titre de la Loi sur les pensions seraient directement déduites des prestations d'invalidité prolongée du RARM, pour des raisons d'équité et de coût.

On peut supposer que le Conseil du Trésor ne pouvait pas prévoir qu'avec l'adoption du projet de loi C-41, les membres des Forces canadiennes en service actif pourraient un jour être admissibles aux prestations d'invalidité au titre de la Loi sur les pensions, ce qui a créé une iniquité flagrante dans le RARM.

Je tiens à rappeler qu'en 1971, la Loi sur les pensions a été modifiée pour que les membres des Forces canadiennes blessés dans une zone de service spécial puissent toucher la rente d'invalidité alors qu'ils étaient toujours en service actif. Ce n'était toujours pas un enjeu important parce que le nombre de membres blessés dans une zone de service spécial était négligeable. En octobre 2000, le ministère des Anciens combattants a modifié la Loi sur les pensions pour faire que tous les membres des Forces canadiennes en service actif soient admissibles à cette rente.

Parlons d'Anciens combattants Canada et de la réadaptation dans le cadre du RARM. Le RARM gère aussi un programme intégré de réadaptation professionnelle pour les personnes souffrant d'invalidité prolongée. Au fil des années, ce programme a été amélioré pour inclure une définition de l'invalidité totale « propre » à l'occupation au cours de la période des deux premières années d'admissibilité, plutôt que d'appliquer le critère plus restrictif de « toute » occupation. Le Régime a aussi établi une gamme de prestations à vie pour mutilation par accident imputable au service militaire, et prévoit aussi des prestations distinctes pour mutilation par accident non imputable au service, au moyen d'un régime d'assurance temporaire, sans qu'aucune exclusion ne s'applique en cas de guerre.

La promulgation de la nouvelle Charte des Anciens combattants en 2006 faisait entrer en vigueur la disposition législative imposant au ministère des Anciens combattants de créer son propre programme élargi de réadaptation comportant des éléments de réadaptation médicale et psychosociale. On a envisagé la possibilité de créer un programme unique de réadaptation. La gestion et la coordination requises entre les deux programmes pourraient engendrer un certain disfonctionnement.

Une solution simple pourrait être difficile à exécuter. Il ne faut pas oublier que le programme d'invalidité prolongée du RARM couvre à la fois l'invalidité imputable au service militaire et celle qui ne l'est pas, que le militaire soit libéré pour raisons médicales ou pour d'autres motifs, alors que les services de réadaptation d'ACC s'adressent strictement à ceux dont l'invalidité est attribuable au service militaire. Si l'invalidité n'est pas liée au service, le membre doit avoir été libéré pour des motifs d'ordre médical. Le RARM considère une libération pour raison de santé comme le point d'accès du militaire aux prestations d'invalidité prolongée, tandis que la fenêtre d'admissibilité d'Anciens combattants Canada peut être plus large.

Il ne faut pas non plus oublier que le programme de réadaptation du RARM est strictement d'ordre professionnel, alors que celui d'Anciens combattants Canada comporte des éléments de réadaptation médicale et psychosociale. Le programme d'ACC admet les conjoints ou partenaires, ce qui n'est pas le cas du RARM. Vous pourrez donc comprendre pourquoi la fusion des deux programmes de réadaptation devrait se faire avec prudence afin de s'assurer que les critères d'admissibilité ne soient restreints pour aucun des bénéficiaires actuels de l'un ou l'autre de ces deux programmes de réadaptation.

Nous savons que les Forces canadiennes, le RARM et le ministère des Anciens combattants s'efforcent actuellement de formuler une méthode harmonisée de prestation de services prolongés et de réadaptation aux membres des Forces canadiennes malades et blessés. Quelle que soit l'approche harmonisée qui sera adoptée, le principe prépondérant devrait être la protection des intérêts de tous les membres en service actif, des anciens combattants et de leurs familles qui sont actuellement couverts par le RARM et par le ministère des Anciens combattants. Il ne devrait y avoir aucune réduction de la couverture ni hausse des coûts pour les assurés.

Nous aimerions maintenant parler de l'examen des soins de santé offerts aux anciens combattants. Lorsqu'il a témoigné devant votre comité le 5 mars 2008, le ministre Thompson a fait une déclaration à l'effet que cet examen était presque achevé. Il est malheureux que bien que cet examen puisse être achevé, les recommandations du Conseil consultatif de gérontologie, dont l'examen est le pendant de l'examen des services de santé que fait le ministère à l'interne, n'aient pas été mises en œuvre.

À notre avis, le gouvernement n'a pas su, dans son dernier budget, répondre comme il le devait aux besoins des anciens combattants et de leurs familles. Bien que l'élargissement des prestations du Programme pour l'autonomie des anciens combattants aux survivants, qui jusque-là avaient été exclus, soit une bonne chose, il ne répond pas aux besoins réels des anciens combattants d'avoir accès à un des services fondés sur les besoins des anciens combattants contemporains et de leurs familles, et particulièrement de ceux dont la santé est fragile, de ceux qui ont servi au côté des alliés et de ceux qui ont servi au Canada qui pourraient ne pas avoir atteint le nombre magique de jours de services. Autrement dit, les veuves et les fournisseurs de soins sont maintenant admissibles aux prestations du PAAC, alors que certaines catégories d'anciens combattants ne le sont toujours pas.

Malheureusement, les équipes de service d'ACC œuvrent encore avec des grilles d'admissibilité beaucoup trop complexes et déficientes, et certains anciens combattants sont admissibles seulement aux soins les plus dispendieux alors que tout ce qu'ils voudraient, c'est rester chez eux et y vivre dans la dignité. Au lieu d'adopter l'approche exhaustive que prônait le Conseil consultatif en gérontologie dans son rapport intitulé « Parole d'honneur », ACC continue de fournir des services au moyen d'un ensemble de mesures disparates et spéciales, en sous-estimant constamment le coût des programmes et services alors que depuis 2002, le nombre de gestionnaires au niveau de l'exécutif, à ACC, est passé de 45 à 55.

D'autre part, il est bien évident qu'alors que le Canada participe à des interventions militaires à l'étranger et que des soldats gravement blessés sont rapatriés, il faut faire plus pour aider leurs familles en difficulté, comme le révèle une étude récente menée par l'Université de l'Alberta. Cette étude, intitulée Wounded Veterans, Wounded Families, soit Anciens combattants blessés, familles blessées, conclut que les familles de jeunes combattants blessés et libérés du service actif avec de graves handicaps ont un urgent besoin d'aide. Les conclusions de cette étude confirment nos propres craintes quant au bien-être des anciens combattants et de leurs familles, qui continuent de connaître d'énormes difficultés d'ordre financier, social, psychologique et médical. Ce rapport renferme des recommandations relativement à la rémunération directe des soignants et à des programmes améliorés pour répondre aux besoins des familles tout autant que des anciens combattants

Nous reconnaissons que l'étude ne décrit pas ce contexte, à savoir si les anciens combattants et les familles sondés touchaient ou non des prestations au titre de la nouvelle Charte des anciens combattants, de la Loi sur les pensions ou les deux. Néanmoins, nous sommes d'avis que la nouvelle Charte comporte une certaine flexibilité pour subvenir à ses besoins, en supposant que les équipes de service du ministère soient prêtes à faire preuve de la flexibilité que l'on voulait donner aux programmes de la nouvelle Charte. Malheureusement, on ne peut en dire autant des services de santé aux anciens combattants qui comprennent les soins prolongés, les services de traitement et le Programme pour l'autonomie des anciens combattants.

Il est aussi déplorable que l'examen des soins de santé des anciens combattants n'ait pas pu engendrer une intervention proactive pour le compte des anciens combattants et leurs familles qui ont déjà assez souffert. Le problème, c'est que le ministère n'a pas pris les mesures nécessaires pour traiter de la qualité de vie de l'effectif de plus en plus mince d'anciens combattants traditionnels dont la santé est fragile, et encore moins, pour s'occuper comme il le devrait des anciens combattants modernes et de leurs familles.

Nous nous inquiétons aussi beaucoup du fait que des modifications urgentes et importantes au programme de funérailles et d'inhumation subissent des retards inacceptables pour diverses raisons d'ordre bureaucratique. Le traitement de modifications aux règlements sur les funérailles des anciens combattants traîne depuis des années alors que des survivants d'anciens combattants restent, ce qui est lamentable, dans une situation financière précaire à cause de circonstances liées à l'inflation.

L'actuel programme accuse un retard sur celui des membres des Forces canadiennes et sur celui de la Gendarmerie royale du Canada en service actif. Le ministère de la Défense nationale et le Solliciteur général ont mis en œuvre des modifications à leur programme relatif aux funérailles et à l'inhumation alors qu'ACC et le Conseil du Trésor semblent incapables d'adopter des modifications même minimes au programme de funérailles et d'inhumation du Fonds du Souvenir, lesquelles visent à mieux soutenir les anciens combattants traditionnels et à offrir ces avantages aux anciens combattants contemporains.

Nous recommandons une action immédiate pour éliminer la déduction du RARM des prestations d'invalidité versées au titre de la Loi sur les pensions; l'harmonisation des programmes de réadaptation fournis à la fois par Anciens combattants Canada et le RARM, sans aucune réduction des prestations actuellement versées par ces deux fournisseurs de services; le versement de prestations, dans le cadre du Programme pour l'autonomie des anciens combattants d'ACC, aux anciens combattants de santé fragile, dont font maintenant partie les anciens combattants modernes qui vieillissent eux aussi; l'adoption de mesures appropriées pour améliorer la qualité de vie des anciens combattants contemporains et de leurs familles; et l'amélioration des prestations de funérailles et d'inhumation pour les anciens combattants.

Nous sommes prêts à répondre à vos questions, que ce soit en français ou en anglais.

Le président : J'aimerais faire un commentaire — et ce n'est pas une critique, croyez-moi. Tout ce que vous avez dit sera au compte rendu, mais en ce qui concerne l'objet de notre présence ici aujourd'hui, je pense qu'on peut dire sans se tromper que seules les deux premières de vos recommandations pourraient s'inscrire dans cette catégorie. Votre exposé sur l'examen des soins de santé aux anciens combattants et sur les prestations de funérailles et d'inhumation sont utiles, mais elles débordent du débat d'aujourd'hui.

Je dis cela surtout pour la gouverne de mes collègues du comité. S'ils veulent bien limiter leurs questions au sujet du RARM et des prétendues dispositions de récupération, ce serait apprécié.

Je serais tenté, si les sénateurs sont d'accord, de donner tout de suite la parole à M. Bruyea et à son collègue, pour que tout soit dit afin que nous puissions vous poser des questions à tous.

Le capitaine (à la retraite) Sean Bruyea, à titre personnel : Je remercie le comité de prendre le temps d'étudier la question des réductions injustes aux prestations d'invalidité prolongée versées aux soldats au titre du RARM. J'ai été pendant 14 ans agent de renseignements dans les Forces canadiennes. Je suis accompagné de M. Manuge, qui est le plaignant dans le projet de recours collectif visant à mettre fin aux déductions injustes, et de M. Driscoll, l'avocat dont les services ont été retenus pour ce recours collectif. Ils remettront tous deux leurs notes d'allocution au comité.

Le 5 mars 2008, le ministre des Anciens combattants a dit devant ce comité que les déficiences dont souffraient les soldats blessés pourraient s'avérer lucratives. Il a poursuivi du même souffle en disant que pour mettre fin à ces déductions profondément et fondamentalement injustes, « il en coûterait, entre les divers ministères, des milliards de dollars pour rétablir la situation ».

Ces deux déclarations sont on ne peut plus fausses. L'armée garde depuis longtemps en service des soldats qui ont été blessés et cette tendance n'a fait que se confirmer ces dernières années. Ces soldats blessés touchent leur plein salaire, en plus de prestations pour la douleur et les souffrances que verse ACC. Les soldats blessés déclarés être inutiles à l'armée sont évincés, sans que ce soit leur faute.

Le président : Je m'excuse de vous interrompre; avez-vous une copie de vos observations?

Le capt Bruyea : Je n'en ai que deux copies supplémentaires pour l'instant.

Le président : Peut-être pourrions-nous les photocopier. Il serait bon de les avoir dans nos propres dossiers pour consultation ultérieure. Veuillez poursuivre.

Le capt Bruyea : Ces soldats sont alors inscrits au Régime d'invalidité prolongée du RARM, qui leur verse 75 p. 100 de leur revenu. Le tragique là-dedans, c'est que ces soldats n'ont jamais voulu quitter l'armée. Ils ont perdu leur carrière et un mode de vie dont ils tiraient orgueil, qui ne peut se trouver dans aucun secteur de la vie civile. Il est peu probable qu'ils puissent appliquer leurs compétences militaires à un emploi civil, même s'ils pouvaient travailler.

Cette transition des plus difficiles est, pour tous les soldats souffrant d'une invalidité, la période la plus pénible et la plus douloureuse de leur vie, celle où ils se butteront au plus grand nombre d'obstacles. Au milieu d'un changement aussi accablant, de la tragédie et de la douleur, le gouvernement intervient et déduit le montant des prestations versées pour la douleur et la souffrance d'un revenu déjà restreint. Alors, on se demande bien si les 4 286 soldats invalides qui souffrent de cette déduction injuste, pour qui chaque jour est une lutte, voient ou verront jamais dans leur invalidité quelque chose de lucratif.

Quant aux milliards de dollars que coûterait soi-disant la correction de ces déductions injustes au moyen de changements nécessaires dans tout le ministère, je vous dirais ceci : les deux régimes d'invalidité de la fonction publique fédérale, y compris celui qui est offert à tous les membres du Sénat et de la Chambre des communes, ne déduisent pas l'allocation que verse ACC pour la douleur et les souffrances sous le régime de la Loi sur les pensions. J'ai communiqué avec tous les organes provinciaux et territoriaux de sécurité et de rémunération partout au Canada, et pas un seul ne déduit les paiements que fait le ministère des Anciens combattants en vertu de la Loi sur les pensions. Peu, sinon aucun des régimes d'invalidité prolongée offerts aux fonctionnaires des provinces ne sont autorisés à déduire les prestations que verse le ministère au titre de la Loi sur les pensions.

Les nouvelles prestations des anciens combattants remplacent cette rente mensuelle par un paiement forfaitaire. Ce paiement forfaitaire n'est pas déduit du programme d'allocation temporaire pour perte de revenus du RARM et d'ACC, mais l'indemnité mensuelle pour douleur et souffrances continue d'être déduite des deux programmes.

Il s'agit ici d'un régime d'invalidité prolongée unique et distinct qui s'adresse aux Forces canadiennes, et peut-être à la GRC, relativement à la politique isolée de déduction des prestations accordées par ACC sous le régime de la Loi sur les pensions, de prestations déjà limitées pour perte de revenus. Il est absolument révoltant que nos hauts fonctionnaires nourrissent de renseignements aussi faux un ministre bien intentionné — des renseignements qui tentent de rendre ce problème bien plus complexe qu'il ne l'est déjà.

Cela peut sembler coûteux, 270 ou 295 millions de dollars, mais c'est une somme qui couvre une période de 25 ans sinon plus, qui est calculé sur une base rétroactive et prospective. Cela revient à environ 10 millions de dollars par année pour réparer le mal qui a été fait. C'est la moitié du coût annuel d'entretien des nouveaux avions de transport militaire du Canada. L'entretien de la moitié d'un avion ne doit sûrement pas être plus important ou précieux que l'entretien de vies, le rétablissement de la confiance et la correction d'une injustice pour plus de 4 200 des hommes et des femmes les plus courageux du Canada, et leurs familles.

Même l'actuaire en chef du Canada entre 1992 et 1998, Bernard Dussault, s'est déclaré d'accord. Il a préparé un rapport pour l'ombudsman du MDN, Yves Côté, sur ces déductions injustes.

Si on part du principe que l'équité n'a pas de prix, il nous faut appliquer sans réserve la deuxième recommandation du rapport spécial d'octobre 2003 [...]

Cette recommandation portait sur l'arrêt des déductions.

On pourrait soutenir que le coût [...] peut sembler énorme [...] mais c'est en fait une dépense ponctuelle relativement minime qui résoudrait un problème fondamental d'équité qui touche l'un des plus importants groupes de Canadiens.

Ce comité m'a invité à témoigner il y a deux ans au sujet des prestations des anciens combattants, mais j'étais trop malade pour pouvoir répondre à cette invitation. J'attends que vous la renouveliez, mais d'ici là, j'aimerais parler d'une question qu'ont soulevée mes honorables collègues de La Légion royale canadienne, au sujet du régime d'invalidité prolongée du RARM et des nouvelles prestations des anciens combattants.

Le leadership national de La Légion royale canadienne souhaite que le ministère des Anciens combattants « élimine le programme de réadaptation pour invalidité prolongée du RARM pour l'intégrer à un seul programme relevant d'ACC ».

Je remercie La Légion de reconnaître que la nouvelle Charte des anciens combattants comporte de nombreuses lacunes, comme Louise Richard, Harold Leduc et moi-même l'avons souligné quand nous avons eu l'honneur de témoigner devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales il y a trois ans cette semaine. À cette époque, le ministère avait promis que la loi serait un document vivant et qu'il y aurait des examens périodiques des mesures législatives. Il n'y a eu aucun examen public ou transparent des nouvelles prestations, et encore moins une procédure établie.

Il serait imprévoyant de dissoudre programme de réadaptation pour invalidité prolongée du RARM et la réadaptation professionnelle qui se sont avérés efficaces pendant une période de plus de 30 ans d'adaptabilité et de succès. Je vous demande de mettre fermement un frein à toute velléité d'imposer encore plus de programmes au ministère des Anciens combattants alors qu'il a déjà bien assez à faire, pas avant qu'il ait démontré qu'il peut résoudre les lacunes actuelles de la nouvelle Charte des anciens combattants, et composer avec elle.

Je tiens à remercier les membres de ce sous-comité d'avoir invité des anciens combattants à témoigner devant lui. Il est extrêmement important pour le comité parlementaire de s'entretenir directement avec les anciens combattants et leurs familles pour savoir comment le gouvernement les traite. Autrement, c'est aux anciens combattants atteints de déficience et leurs familles qu'il reviendrait de livrer une lutte quasi perdue d'avance, compte tenu de leurs moyens. Comme je suis un défenseur de leurs droits et que je souffre moi-même de stress post-traumatique et de dépression, je peux vous dire que le fait de se porter à la défense des anciens combattants et de leurs familles comporte un coût énorme, tant émotionnel que physique. Je peux aussi vous dire d'après mon expérience personnelle que le coût est encore bien plus grand quand certains bureaucrates du gouvernement cherchent à exercer des représailles contre ceux qui s'expriment.

Le ministère des Anciens combattants a un pouvoir sans égal sur la vie des anciens combattants atteints d'une déficience et leurs familles. Les représailles n'ont pas à être très lourdes pour causer des grands préjudices à un ancien combattant atteint de déficiences qui a de la difficulté à traverser les jours.

J'incite vivement les membres du comité à voir le jour dans la quantité d'obstacles qui entravent la voie de la justice pour ces 4 200 soldats atteints d'une déficience. Pour citer notre premier ombudsman du MDN, André Morin, qui a fait la lumière sur les déductions injustes du RARM : « Les bons gouvernements ont pour principe de ne jamais permettre à des obstacles techniques de les empêcher de faire ce qu'il faut. »

Je vous remercie de nous avoir invités ici aujourd'hui. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.

Le président : Est-ce que l'un de vos collègues a quelque chose à dire? Je vous rappelle nos restrictions quant au temps.

Peter Driscoll, à titre personnel : Nous avons remis des documents au comité. Nous ne les commenterons pas aujourd'hui, puisque le temps manque pour cela. J'ai moi-même préparé l'un de ces documents, qui porte sur des questions qui ont été soulevées la semaine dernière.

Si le comité veut bien entendre M. Manuge, il a une déclaration à faire au comité.

Dennis Manuge, à titre personnel : Merci, honorables président et sénateurs. Je n'ai besoin que de trois minutes pour fixer les projecteurs sur un aspect plus humain de la question. Je m'en tiendrai à ce sujet et je serai bref.

Je suis un ex-membre des Forces canadiennes atteint d'une déficience. J'ai été en service de 1994 jusqu'à ma libération pour motif d'ordre médical en 2003. J'ai notamment été en Bosnie, de mars à octobre 2001. Je suis aussi le représentant des plaignants dans un projet de recours collectif déposé à la Cour fédérale contre le gouvernement du Canada, qui vise à mettre un terme à la déduction des prestations accordées sous le régime de la Loi sur les pensions, de la rente d'invalidité de longue durée que verse le RARM.

Je tiens à remercier le comité de me donner cette occasion de parler de ce problème. Plutôt que de discuter du recours collectif, j'ai l'intention de vous parler de l'iniquité des dispositions de récupération, de mon expérience personnelle à ce titre et de l'expérience d'autres anciens membres frappés de déficience, telle qu'elle m'a été racontée. Je me considère chanceux. Depuis ma libération pour motif d'ordre médical en 2003, j'ai pu effectuer la transition à la vie civile. Aucune transition n'est facile, et la mienne n'a pas fait exception. Je voudrais demander à l'honorable comité de se mettre à la place d'un membre régulier comme moi en 2003, qui a été forcé pour des raisons médicales de quitter les Forces et d'embrasser la vie civile. J'ai perdu mon emploi. J'ai encore les mêmes engagements financiers et les mêmes factures. J'ai perdu un mode de vie. Je suis frappé d'incapacité. Je ne suis plus utile aux Forces canadiennes. Je suis incapable de continuer d'appliquer les compétences que j'ai acquises dans les Forces et j'ai 33 ans.

J'ai insisté sur l'aspect « des motifs d'ordre médical » de ma libération parce que, sans que ce soit ma faute ni celle des Forces canadiennes, d'ailleurs, je ne suis plus utile à cause de mon invalidité. La manière dont je suis traité, toutefois, relève du contrôle des Forces canadiennes et du gouvernement du Canada. Voici la situation, telle qu'elle était en 2003 : en conséquence de mes blessures, je demande et j'obtiens une rente d'invalidité sous le régime de la Loi sur les pensions. Je suis encore utile à ce moment-là, alors je reçois 100 p. 100 de mon salaire des Forces canadiennes, ainsi que des prestations mensuelles d'invalidité au titre de la Loi sur les pensions, pendant que je suis encore en service. Je suis, à mon corps défendant, libéré pour des raisons d'ordre médical. Je ne suis plus utile. Au moment de ma libération, je touche une rente de prestations d'invalidité prolongée du RARM représentant 75 p. 100 de mon salaire, dont est déduit le montant de mes prestations mensuelles d'invalidité du ministère des Anciens combattants. Ceci survient pendant la période de ma vie qui a été la plus difficile tant au plan personnel que financier. Le montant supplémentaire de 386,28 $ que j'aurais reçu si ma rente d'invalidité n'avait pas été réduite à ce moment-là pourrait difficilement être qualifié de lucratif, dans les circonstances. La frustration que j'ai ressentie à essayer de comprendre les déductions à ce moment-là est indescriptible.

L'incidence d'une blessure invalidante dépend entièrement de l'utilité continue de la personne au sein des Forces canadiennes. Par exemple, en vertu de ce système, quelqu'un qui se blesse le genou en jouant au hockey et est encore utile en sa qualité de membre des Forces reçoit 100 p. 100 de son salaire et une prestation d'invalidité. S'il perd le genou et ne peut plus servir, il est assujetti à la disposition de récupération. Du point de vue de membre frappé d'invalidité, il est difficile de comprendre cela, et c'est fondamentalement injuste. Comme je l'ai dit au départ, je me considère chanceux. Oui, j'ai vécu une transition difficile, mais ce n'est rien comparativement à d'autres membres à qui j'ai parlé, qui sont tout à fait invalides de façon permanente, et dont la rente d'invalidité de longue durée du RARM continue d'être grevée. Plusieurs d'entre eux souffrent de stress post-traumatique. Je ne peux que conclure, d'après mes entretiens avec ces membres, que leur frustration et leur impression d'inutilité et d'abandon sont décuplées, particulièrement quand ils comparent leur situation à l'exemple de la blessure subie en jouant au hockey.

Il y a deux autres situations auxquelles j'invite le comité à réfléchir : tout d'abord, la somme zéro — le montant que reçoivent les Anciens combattants qui ont une invalidité sous le régime de la Loi sur les pensions les rend inadmissibles à une rente d'invalidité de longue durée du RARM, quelle qu'elle soit; et deuxièmement, le recouvrement de la prestation d'invalidité du RARM — une prestation d'invalidité est versée rétroactivement après que l'ancien membre ait touché la rente d'invalidité de longue durée du RARM et la disposition de récupération forfaitaire est appliquée de manière agressive par le RARM à un moment où l'ancien membre est le plus vulnérable.

Pour terminer, j'aimerais dire à ce comité que ces délibérations, pour la première fois depuis longtemps, m'ont donné quelque espoir que le gouvernement va faire ce qu'il faut. Je suis un plaignant peu probable, mais après avoir vu la « ligne rose vif » des recommandations de l'ombudsman s'arrêter et rester bloquée au bureau du ministre de la Défense de l'époque, en 2003, après avoir vu qu'on faisait la sourde oreille à la motion d'adoption des recommandations; et avec la nouvelle Charte des anciens combattants qui traite de la question dans une optique axée sur l'avenir, et la motion non obligatoire adoptée à la Chambre des communes, j'estime le temps venu de me porter à la défense des anciens membres des Forces canadiennes. Après avoir observé les travaux du comité la semaine dernière, je suis maintenant rassuré que je ne suis plus seul.

Le président : Merci, monsieur Manuge. Il était très utile pour nous d'entendre directement le témoignage de quelqu'un qui est passé par le système. Si je peux résumer, le noyau de votre témoignage semble être que les petites blessures sont avantageuses pour les soldats parce qu'ils reçoivent leur paie et les prestations d'invalidité de longue durée, tandis que ceux qui souffrent de graves blessures sont pénalisés, libérés et ne reçoivent que 75 p. 100 de leur salaire?

M. Manuge : Si vous permettez, je ne dirai pas que c'est un avantage supplémentaire pour le membre qui est encore actif parce qu'il est tout de même blessé, dans une certaine mesure.

Le président : Au plan financier, ils reçoivent plus, n'est-ce pas?

M. Manuge : Absolument. Ils se sont blessés pendant qu'ils étaient au service du pays. D'un autre côté, quand l'uniforme tombe et qu'on est rejeté par les Forces, c'est là que commencent les difficultés. Je vous rappelle que ma rente d'invalidité de 20 p. 100 et 386,28 $ à l'époque sont peu en comparaison de 1 500 $ ou 2 000 $ par mois que perdent bien des Anciens combattants avec qui je suis en communication, en raison des dispositions de récupération.

Le président : Sénateurs, il nous reste une trentaine de minutes pour les questions. Avant cela, je vais présenter le sénateur Nancy Ruth, qui est entrée après les présentations. C'est une féministe activiste de l'Ontario, et elle est au Sénat depuis 2005. Elle est membre du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration. Elle siège aussi au Comité national des finances.

Le sénateur Banks : Monsieur Driscoll, où en est le projet de recours collectif?

M. Driscoll : Au stade de la motion en certification.

Le sénateur Banks : C'est pour vous assurer d'être payé.

M. Driscoll : Non, pas du tout. C'est pour déterminer s'il convient d'aller de l'avant avec un recours collectif. Une audience de certification a eu lieu en février à Halifax. Si le recours collectif reçoit l'aval du tribunal, on passe au stade plus concret du litige. Nous attendons une décision.

Le sénateur Banks : Avez-vous une idée de quand ce sera?

M. Driscoll : Personne ne peut le dire avec certitude.

Le sénateur Banks : Quelle est votre réaction immédiate à l'idée que le RARM a toujours été censé être, et n'a jamais été destiné à être autre chose qu'une espèce de filet de sécurité ou de supplément, plutôt qu'une rente en tant que telle?

M. Driscoll : Je dirais que le programme de prestations d'invalidité prolongée du RARM est un programme de remplacement du revenu, et c'est ainsi qu'il devrait fonctionner. L'erreur, ça a été quand le RARM a décidé de tenir compte de ce qui est considéré comme des prestations de revenu telles que définies dans la politique, comme les prestations du RPC et d'autres sources de revenu. De fait, en vertu de la Loi sur les pensions, comme l'a expliqué le représentant de La Légion royale canadienne, ce n'est pas un remplacement du revenu, mais une indemnité pour la douleur et les souffrances.

Il est clair, d'après la loi, de notre point de vue, qu'il y a des dispositions pour le cas où, si on m'octroie une indemnité pour douleurs et souffrances sous le régime de la Loi sur les pensions, à la suite d'un accident dont quelqu'un d'autre est responsable, et je reçois de cette personne une indemnité pour douleurs et souffrances, laquelle est octroyée par un tribunal, le ministre peut récupérer l'indemnité pour douleurs et souffrances qu'il doit verser en vertu de la Loi sur les pensions. C'est clairement une indemnité pour douleurs et souffrances. C'est le seul moyen pour un membre de se faire indemniser pour ses blessures et ses pertes. Le membre ne peut intenter de procès contre le gouvernement. La loi l'interdit, alors c'est le seul mode de recours dont il dispose.

Le sénateur Banks : D'après ce que nous avons entendu, il en est autrement, et je suis sûr que c'est ce que vous entendrez en cour.

M. Driscoll : C'est vrai, et c'est aussi une partie de la présentation que j'ai laissée à ce comité.

Le sénateur Banks : Capitaine Bruyea, nous devons lire entre les lignes, ici. Je crois que vous avez parlé d'une expérience personnelle dans la dernière partie de votre présentation. Avez-vous fait l'objet, si c'est le terme, de représailles quelconques de la part de quelqu'un pour vous être exprimé et avoir fait du bruit?

Le capt Bruyea : Oui, il est très clair que c'est ce qui est arrivé.

Le sénateur Banks : Peut-être pourriez-vous résumer cette situation pour nous sur papier et envoyer le document à notre greffier, pour notre instruction?

Le capt Bruyea : D'accord. J'ai un exposé d'une minute qui est prêt, que je peux soumettre sur papier ou donner maintenant, selon vos préférences.

Le président : Est-ce que vous voulez bien le présenter maintenant?

Le capt Bruyea : Vous pourrez comprendre que je préfère ne pas entrer trop dans les détails pour l'instant, mais je vais dire ce qui suit. Je suis en train d'éplucher les 4 000 pages de ma demande d'accès à l'information de mon dossier personnel, et ce qui me frappe le plus, à part l'évidence même en ce qui concerne les représailles et le harcèlement, c'est qu'il y a très peu, sinon aucun, mot aimable à l'égard de ce soldat blessé et de ce défenseur des anciens combattants.

Des quatre bureaucrates que je connais qui prennent des mesures de représailles contre moi, je peux vous dire que les quatre ont apparemment reçu une promotion depuis que j'ai révélé leurs actions. Cela me dit que le ministère sanctionne, à un certain degré, le harcèlement des anciens combattants qui sont considérés comme des obstacles. Pour l'instant, il est écrit noir sur blanc que plus de 260 personnes du ministère, et probablement plus, ont vu des détails personnels de tout mon dossier, ou l'intégralité de mon dossier. Cela représente près de 10 p. 100 des employés du ministère. Cela soulève de graves questions sur la protection des renseignements personnels.

J'ai commencé à soumettre des détails au ministère sur ces représailles il y a plus de trois ans. La secrétaire parlementaire actuelle du ministre des Anciens combattants a communiqué des détails quand elle était porte-parole des Anciens combattants. J'ai livré moi-même des détails au ministre actuel. Mon député, qui est aussi secrétaire parlementaire auprès du Conseil du Trésor, a demandé deux fois une enquête depuis 20 mois. J'ai souvent offert de participer à une médiation pour aller jusqu'au fond du problème de harcèlement et des représailles, et je n'ai toujours rien entendu du ministère.

Bien qu'il n'y ait plus, de manière générale, de mesures mises en œuvre pour me harceler, il circule au ministère des propos diffamatoires à mon sujet, et ce qui est tout aussi troublant, c'est que rien de concret n'a été fait pour régler les infractions originales.

Si cette tendance à l'inactivité se maintient, ma famille et moi envisageons sérieusement de porter la question à l'attention du public pour obtenir un juste recours relativement à ces enjeux non résolus. Je vous remercie de m'avoir posé cette question.

Le sénateur Banks : C'est désormais connu du public. Je vous en remercie. Peut-être allons-nous étudier cela plus en profondeur.

Le sénateur Day : Je vais d'abord poser ma question à La Légion royale canadienne. Nous voyons intenter des recours collectifs, et nous voyons des personnes se défendre pour leur propre compte. Quel rôle joue la Légion royale canadienne dans ce processus? Y a-t-il un autre défenseur, ou est-ce que vous tentez d'assumer un rôle de leadership et de coordonner toutes les plaintes qu'expriment ici un grand nombre d'anciens combattants?

M. Allard : Je répondrais que nous sommes, c'est certain, au courant des problèmes qui existent. Nous n'estimons certainement pas que certains de ces problèmes qui sont dévoilés par des défenseurs indépendants doivent nécessairement être pris en main par de La Légion royale canadienne.

Cela étant dit, nous sommes fermement convaincus qu'il nous faut nous-mêmes défendre les membres des Forces canadiennes et les anciens combattants au mieux de nos capacités. Nous n'estimons pas les représenter, mais nous sommes fermement déterminés à défendre leur cause.

Le sénateur Day : En votre qualité de groupe général de coordination, quel est, selon vous, le véritable chiffre des coûts, si nous remontons rétroactivement jusqu'à l'année 2000? Nous avons entendu parler de milliards de dollars, et de 5 millions de dollars. Nous avons entendu dire que l'ombudsman s'est fait conseiller de remonter jusqu'à octobre 2000, et que cela coûterait entre 275 et 295 millions de dollars des deniers publics pour rembourser les anciens combattants dont les pensions ont été réduites à tort, s'il en est décidé ainsi. Cependant, nous aimerions entendre un chiffre qui soit fiable.

M. Allard : Je soupçonne que le chiffre qu'a présenté l'ombudsman est probablement le plus juste, parce que des projections actuarielles ont été faites, qui ont confirmé ce chiffre. Je crois que c'est 275 millions de dollars.

Cela étant dit, je comprends aussi que le gouvernement fait ses comptes d'une manière un peu différente aujourd'hui qu'à cette époque-là, en ce sens qu'il essaie de prendre en compte toutes les responsabilités qui pourraient lui être imputées en vertu de ce programme, en se disant qu'il y aura foule de nouveaux demandeurs de ce règlement. Avec la comptabilité d'exercice — j'ai oublié le terme exact — ce pourrait être un autre chiffre, mais celui de 275 millions de dollars semble être assez juste.

Le sénateur Day : Par conséquent, il en coûterait de l'ordre de 275 à 300 millions de dollars si tout le monde venait présenter une réclamation?

M. Allard : Oui, si tout le monde en présentait une.

Le sénateur Day : Serait-il envisagé, si l'ancien combattant dont la pension a été réduite est décédé, de permettre à ses héritiers de présenter la demande?

M. Allard : Je ne m'exprime pas au nom de La Légion royale canadienne, mais à mon avis personnel, les conjoints survivants ont directement droit aux prestations. Je suis un peu moins sûr du cas des héritiers.

Le président : Nous avons demandé au président, la semaine dernière, de nous donner une estimation des coûts si nous remontions jusqu'en 1976. Nous avons ce chiffre de 275 à 300 millions de dollars si c'était à partir de l'an 2000, et nous attendons d'entendre ce que le président pense qu'il en coûterait de remonter jusqu'à 1976.

Le sénateur Day : Je m'en souviens, et je me souviens de les avoir interrogés tous deux sur leur position. Cependant, nous entendons de tellement de sources différentes qu'il serait bon d'avoir un chiffre commun entre tous les intervenants.

Monsieur Bruyea, ou l'un d'entre vous, avez-vous un commentaire à faire sur les questions que j'ai posées?

Le capt Bruyea : Si nous remontions au 27 octobre 2000, comme le recommandait l'ombudsman, il y a un vaste consensus sur le fait que le coût serait de l'ordre de 275 à 295 millions de dollars.

Justement, la semaine dernière, le sénateur Dallaire a parlé de la possibilité de remonter jusqu'à 1976. Peut-être pourrions-nous faire preuve d'un peu de bon sens et reconnaître que ce n'est pas un chiffre exact, mais s'il était question de 1988 et ensuite, pour le reste de la vie de ses anciens combattants, et aussi de l'année 2000 et ensuite, quand il y a une hausse importante de la rente d'invalidité prolongée parce qu'on a commencé à reconnaître les handicaps psychologiques, ce chiffre de 275 millions de dollars serait supérieur au règlement des 24 années antérieures. Je ne pense pas qu'il s'agisse ici de sommes astronomiques, même si on remontait jusqu'en 1976.

M. Allard : Selon notre expérience, le gouvernement trouve toujours le moyen de surestimer les coûts de ces programmes.

Le sénateur Day : J'ai remarqué que vous en avez parlé dans votre présentation. Est-ce particulier aux Affaires des anciens combattants, ou est-ce généralisé?

M. Allard : Peut-être le sénateur aimerait-il répondre à cette question.

Le sénateur Day : Nous essayons d'obtenir les chiffres réels, et vous serez heureux d'apprendre qu'il y a un nouveau directeur parlementaire du budget, un agent d'appui des parlementaires, dont le rôle est de nous aider à obtenir les chiffres réels relativement à ces questions. C'est une amélioration récente que nous étions impatients de voir apporter, et le poste de directeur parlementaire du budget vient seulement d'être créé. Je digresse un peu, mais peut-être cela vous intéresserait-il.

Aux fins du compte rendu, le calcul qui a été fait remonte à octobre 2000 parce que c'est là que l'on a accordé aux membres en service actif le droit de continuer de toucher leur plein salaire sans déduction de la rente d'invalidité qui pouvait leur être versée. Cette iniquité est devenue apparente à la suite de l'adoption du projet de loi C-41. C'est pourquoi nous sommes remontés à l'an 2000.

M. Driscoll : C'est octobre 2000.

M. Allard : Il y a probablement trois dates dont nous devrions tenir compte. Le sénateur Dallaire a fait allusion à 1976, ou encore nous pourrions envisager 1988. En 1988, la seule partie qui était réduite était la portion qui était versée directement à l'ancien combattant. La portion versée à la famille et aux personnes à charge était exclue. Il y a donc plusieurs dates qu'on pourrait prendre en compte.

Le sénateur Day : Est-ce que ce serait un compromis acceptable que de mettre fin immédiatement à ces déductions, sans aucune rétroactivité?

M. Allard : Je ne pense pas que cela satisferait au critère d'équité de la cause et l'effet.

Le sénateur Day : Il est important que ce soit au compte rendu.

Monsieur Manuge, j'aimerais que vous expliquiez une chose que vous avez dite quand vous avez demandé au comité de réfléchir à deux ou trois situations. L'une est le recouvrement du RARM, c'est-à-dire quand une prime d'invalidité est versée rétroactivement après que l'ancien membre des Forces ait commencé à toucher une rente d'invalidité prolongée du RARM. Pourriez-vous nous expliquer comment cela pourrait se faire? Vous dites que le RARM s'efforce agressivement de récupérer le paiement forfaitaire. Le RARM verse une somme forfaitaire à quelqu'un qui touche une rente d'invalidité prolongée du RARM.

M. Manuge : Je laisserai mon avocat répondre à cette question, parce qu'il pourra vous donner une réponse plus précise.

M. Driscoll : Merci pour cette question. La situation, c'est qu'en fait il arrive qu'il y ait des retards, compte tenu du processus d'appel relativement à l'octroi d'une pension d'invalidité du ministère des Anciens combattants.

Le sénateur Day : Est-ce vrai que c'est une pension qu'octroie le ministère des Anciens combattants après que vous commenciez à toucher une rente du RARM?

M. Driscoll : C'est vrai. On passe par tout le processus. On fait une demande de rente d'invalidité, qui est retardé par un recours en appel. Entre-temps, on est libéré du service et on commence à toucher une rente d'invalidité prolongée du RARM. Il se peut, en fait, qu'on passe l'intégralité de la période de 24 mois à toucher la rente du RARM. Si le ministère nous octroie les prestations d'invalidité, elles sont rétroactives à la date de la demande, et on reçoit un versement forfaitaire.

Pendant ce temps-là, le membre vivait de très peu, sans revenu et en éprouvant des difficultés financières, alors qu'il avait divers engagements financiers. Il reçoit un paiement forfaitaire en vertu de la Loi sur les pensions. À ce moment- là, le RRM communique avec lui et lui dit que puisqu'il a reçu une pension pour une période pendant laquelle il touchait aussi une rente d'invalidité prolongée du RRM, il doit rembourser cette rente d'invalidité, et c'est exigé avec vigueur.

M. Allard : C'est en réalité un paiement rétroactif d'une pension mensuelle d'invalidité. Ce n'est pas une pension, parce que la pension d'invalidité est strictement versée sous le régime de la nouvelle Charte des Anciens combattants. C'est un versement rétroactif parce que le traitement de la demande a pris du temps.

M. Driscoll : C'est moi qui ai fait l'erreur. J'en parle comme d'une pension.

Le sénateur Day : Cela devient une somme forfaitaire parce que pendant plusieurs mois, il n'avait rien reçu?

Le président : À titre de clarification, si on laisse de côté la question de l'équité de la mesure de récupération, au plan administratif, est-ce que vous diriez qu'il vaudrait mieux qu'on leur verse la pension réduite de ce qui est censé en être déduit? Au moins, ils n'ont pas à chercher à récupérer une pension après que l'argent ait été versé. Je sais que vous souhaiteriez que ce ne soit pas déduit du tout.

M. Driscoll : Ce serait beaucoup plus équitable.

Le président : Ce serait mieux si la déduction était faite à la source, n'est-ce pas, à tout le moins?

M. Driscoll : Oui.

Le sénateur Day : Est-ce que le problème ne vient pas du fait que le montant que vous appelez une pension vient des Anciens combattants, la disposition de récupération vient du RRM?

M. Driscoll : Oui, deux entités distinctes.

Le sénateur Day : Ce sont deux organisations différentes. Il est difficile de demander aux Anciens combattants de retenir le montant pour le RARM. Il y aurait alors deux organisations qui chercheraient à jouer au plus fin.

Le président : Qui gère le RARM? Est-ce que ce n'est pas le MDN?

Le sénateur Day : Nous avons rencontré le gestionnaire du RARM ici, l'autre jour.

Le président : Il relève du MDN.

Le sénateur Day : Oui.

Le sénateur Banks : Quel que soit l'inconvénient que cela causerait pour les bureaucrates, c'est bien peu, en comparaison.

Le sénateur Dallaire : J'aimerais bien vous comprendre. Quand le paiement forfaitaire est versé par le ministère des Anciens combattants, est-ce que les bénéficiaires sont avertis que le RARM cherchera à récupérer une partie?

M. Driscoll : À ce que je sache, ils ne reçoivent pas de tels avis.

Le sénateur Dallaire : Par conséquent, plusieurs mois après que la somme forfaitaire ait été versée, le RARM demande à ce qu'on le rembourse. Entre-temps, cet argent peut avoir été dépensé.

Le capt Bruyea : Dans mon cas, en 2000, j'avais eu des rapports étroits tant avec le RARM qu'avec les Anciens combattants, et j'avais fait beaucoup de recherches, alors j'étais au courant. Vous avez raison de dire qu'il n'y a pas de communication directe, et après six ou huit semaines, le RARM se manifeste et demande ce remboursement. Si je l'avais dépensé, je me serais retrouvé dans une situation difficile.

Le sénateur Dallaire : Je crois comprendre que bien souvent, les détails ne sont pas bien expliqués et que les militaires ne sont pas au courant. Ce qui est inquiétant, c'est qu'ils ne sont pas bien informés là-dessus, et qu'on recoure à la bonne vieille méthode du payeur pour récupérer l'argent. Le payeur garde tout jusqu'à ce que vous ayez payé ce que vous devez, et alors il vous verse un salaire. Je comprends cela.

Où est-ce que le Régime de pensions du Canada s'inscrit dans tout cela? Le RPC a un programme d'invalidité, auquel on peut faire une demande, et si on touche une pension, ces prestations sont aussi déduites de la pension. Est-ce que la Légion a étudié cet angle? M. Bruyea ou M. Driscoll, est-ce que l'un de vous a étudié la question?

M. Driscoll : Non, nous n'avons pas étudié cette question en détail.

Le sénateur Dallaire : Est-ce que vous l'avez examinée, monsieur Allard?

M. Allard : Non, nous ne l'avons pas examinée non plus. Nous sommes néanmoins intéressés aux dispositions de récupération du RPC dans le contexte de la pension de retraite, mais c'est autre chose.

Le sénateur Dallaire : C'est en fait ce que j'espérais entendre, que c'est un autre problème. Les dispositions de récupération visent aussi une pension de retraite ou d'invalidité, mais dans le passé, le conflit entre les deux était généralement réglé en faveur de la personne plutôt que du système. Je ne sais pas si cela a changé.

M. Allard : Cela ne se passe pas nécessairement toujours ainsi. Certaines personnes voient leurs prestations du RPC diminuer lorsqu'elles commencent à recevoir leur pension, et elles se retrouvent, au bout du compte, avec moins d'argent.

Le sénateur Dallaire : Il y a un lien avec le programme des pensions. C'est quelque chose qu'il nous faudra examiner de nouveau. Il ne faut pas oublier que les gens reçoivent exactement le même traitement avec le Régime de pensions du Canada.

La charte, bien sûr, vient changer la donne, car elle prévoit des dates et des chiffres bien précis. Soit dit en passant, je m'inquiète du fait qu'au cours des trois dernières années, il n'y a eu aucune transparence au sujet des activités de mise en œuvre de la nouvelle charte. N'a-t-on pas mis sur pied un comité consultatif spécial sur les cas particuliers? Je crois que Mme Michon en faisait partie. Ne devait-il pas s'occuper du sort de ces personnes? N'a-t-on pas créé un comité consultatif général pour se pencher sur ce problème et conseiller la sous-ministre? N'a-t-on pas entrepris de démarches en ce sens?

Le capt Bruyea : Voilà une excellente question. Heureusement que le Sénat a tenu des audiences sur la nouvelle charte il y a trois ans, car c'est juste après que le Groupe consultatif ad hoc sur les besoins spéciaux a vu le jour. Ce comité, composé de membres des plus qualifiés, a été présidé successivement par Peter Neary et Bruce Henwood. Il a produit trois rapports dont la publication n'a pas été autorisée. Les membres du comité ayant été obligés de signer une entente de confidentialité, ils ne peuvent parler de ce qui se passe au sein du groupe consultatif. Voilà qui n'est guère transparent.

Le sénateur Dallaire : Qu'en est-il de l'autre?

Le capt Bruyea : M. Allard est mieux placé que moi pour répondre à cette question. Je veux cependant ajouter que le Groupe consultatif ad hoc sur les besoins spéciaux a besoin d'un spécialiste en réadaptation de plus. J'ai recommandé la Dre Muriel Westmorland, et au lieu de suivre mon conseil, on l'a nommée présidente du Groupe consultatif sur la nouvelle charte, dont M. Allard pourra vous parler.

M. Allard : On a créé un nouveau Groupe consultatif sur la charte des anciens combattants, qui s'est réuni à trois reprises à ce jour. Le groupe est constitué de représentants de diverses organisations d'anciens combattants, dont Bruce Henwood, qui représente le Groupe consultatif ad hoc sur les besoins spéciaux. Il a déposé son rapport auprès du Conseil consultatif sur la charte des anciens combattants. Ce dernier est composé d'universitaires, dont le Dr Patrick Loisel, expert en réadaptation, qui est parfaitement qualifié pour faire partie de ce groupe.

Le conseil prépare actuellement un rapport devant être publié en octobre et dans lequel nous espérons pouvoir faire quelques recommandations. Nous avons signifié à nos mentors, si on peut les appeler ainsi, que si le rapport subit le même sort que celui du Conseil consultatif de gérontologie intitulé Parole d'honneur, nous perdons notre temps. Nous n'arriverons à rien et le concept de charte évolutive n'aura plus de sens.

[Français]

Le sénateur Dallaire : Il y a une raison pour laquelle j'ai soulevé la question. On est en train de regarder un problème qui date de 1976. Il y a tout de même une date déterminée dans la nouvelle charte. Cependant, ce qu'on est aussi en train d'entendre, c'est qu'on a un paquet de troubles qui s'en viennent. On a voulu, quand on a amené la charte, s'assurer qu'un comité consultatif soit entendu aux six mois — c'est ce qu'on avait dit à la réunion — et qu'il reviendrait au Comité des anciens combattants, par exemple, de faire un rapport sur l'évolution de la charte. Cela a pris deux ans avant d'installer le processus et on n'a rien vu. J'espère donc qu'on le verra en octobre parce que ce n'est pas vrai que ça va être inutile. Le comité qui a été là pour amener la charte a été instrumental. C'est ce comité, avec le sous-ministre Murray, qui a lancé la réforme qui, ultimement, a amené la charte. Il ne faut pas voir cela de façon péjorative, mais il est essentiel que ce comité s'assure qu'il n'y ait pas de nouveaux problèmes qui soient créés et dont on n'entendra parler que dans cinq ans.

Le président : Nous en avons pris bonne note et nous suivrons cela de près.

Le sénateur Dallaire : Merci, monsieur le président.

M. Allard : Le Comité des finances nationales avait approuvé la charte, ce n'est pas le Comité des anciens combattants. Le Comité des finances nationales avait eu le mandat de déposer un rapport régulièrement, soit aux trois mois ou aux six mois. Je pense que le mandat avait été transféré au Comité des anciens combattants.

Le sénateur Dallaire : Cela a été envoyé au Comité des finances nationales parce qu'on voulait le passer rapidement et c'était le seul comité qui était là. Cela aurait pu être envoyé au comité des langues officielles.

M. Allard : L'engagement était d'avoir une charte vivante qui serait révisée lorsque requis. La seule observation que je veux faire, c'est que faisant partie de ce comité, je ne voudrais pas que le rapport qui sera produit au mois d'octobre n'ait pas de suivi.

Le sénateur Dallaire : On comprend bien votre point de vue, mais c'était essentiel pour prévenir des coûts au lieu d'essayer de ramasser les pots cassés.

[Traduction]

Je vous rappelle qu'il est question ici de récupérer de l'argent. À part les aspects que nous avons abordés au sujet du RPC, entre autres, c'est le seul programme qui le fait, d'après ce que nos recherches ont permis de conclure. N'est-ce pas exact, concernant les régimes ou les programmes de pension des anciens combattants?

Le capt Bruyea : Selon mes recherches, oui.

M. Driscoll : Oui.

M. Allard : Si quelqu'un reçoit des indemnités pour accident de travail, ses prestations mensuelles d'invalidité diminuent.

Le sénateur Dallaire : Nous parlons d'indemnités pour accident de travail?

M. Allard : Oui.

Le capt Bruyea : Je ne suis pas d'accord. J'ai parlé à des représentants de tous les organismes versant des indemnités pour accident de travail, et tous m'ont officiellement répondu qu'il n'y avait aucune déduction ou déduction réciproque pour les anciens combattants.

M. Allard : Dans le formulaire de demande de prestations d'invalidité, le requérant doit indiquer s'il reçoit des indemnités pour accident de travail.

Le sénateur Dallaire : Il n'y est toutefois pas question des indemnités pour anciens combattants, pas plus qu'on ne vérifie, je suppose, ce qu'il en est des déductions.

Nous avons un système très changeant qui est lacunaire à cet égard. À mon avis, nous disposons d'un argument de poids si nous retournons jusqu'en 1976. C'est le seul moyen d'être réellement équitable.

Le président : Monsieur Allard ou monsieur Frost, j'aimerais que vous me clarifiiez quelque chose. Dans votre exposé, à la page 4, on peut lire ce qui suit :

Malheureusement, on ne peut pas dire la même chose au sujet des paiements d'invalidité mensuels, en vertu de la Loi sur les pensions. Certainement, le régime d'assurance-revenu militaire devrait cesser de diminuer ce qui est jugé la portion des prestations mensuelles des personnes à charge, ce qui était le cas avant 1988.

Est-ce qu'on diminue encore ces deux indemnités?

M. Allard : Oui. Autrement dit, on met toutes les indemnités mensuelles dans le même sac, qu'elles se rapportent à l'ancien combattant, à sa famille, à son conjoint ou à ses enfants. Avant 1988, on ne réduisait que ce qui était jugé la portion des prestations mensuelles des anciens combattants.

Le président : Et non celle des personnes à charge?

M. Allard : C'est cela.

Le président : Vous dites qu'on devrait au moins cesser de voir ces sommes comme un tout.

M. Allard : Oui.

Le sénateur Dallaire : C'est le côté pervers de la chose, résultat des efforts déployés par un organisme pour satisfaire aux exigences. Du jour au lendemain, on a proposé cette nouvelle méthode très mesquine qui a pris tout le monde par surprise et qui a fini par s'implanter.

Le sénateur Banks : Pour en finir avec la Commission des accidents de travail, vous avez dit, capitaine, qu'elle ne faisait pas de déductions dans votre cas. Qu'en est-il de votre côté, monsieur Allard?

M. Allard : Dans ce cas, ce ne sont pas des déductions de la CAT, mais d'ACC.

Le sénateur Banks : Ce ministère considère qu'il peut appliquer des déductions si vous recevez des indemnités de la CAT?

M. Allard : Oui.

Le sénateur Banks : J'aurais quelques petites questions à vous poser pour être sûr de bien comprendre et avoir une réponse claire. Ce que vous appelez « indemnité forfaitaire » n'en est pas une, je crois. Il ne faut pas la confondre avec la nouvelle indemnité forfaitaire qui remplace les paiements mensuels. Lors que vous parlez d'indemnité forfaitaire, faites-vous référence à la somme des paiements rétroactifs?

M. Allard : Il s'agit du paiement rétroactif des prestations d'invalidité mensuelles.

Le sénateur Banks : Merci. Je voulais être sûr que tout était bien clair.

Le sénateur Day : Ce n'est pas une indemnité.

Le sénateur Banks : Je crois qu'il faudrait faire attention de ne pas parler d'indemnité forfaitaire, car c'est d'un chèque de paiement rétroactif dont il s'agit.

M. Allard : En effet.

Le sénateur Banks : Entre nous, nous appelons cette nouvelle prestation « indemnité forfaitaire », mais ce n'est pas la même chose.

Monsieur Frost, est-ce que la Légion appuie pleinement les démarches entreprises par M. Manuge?

M. Frost : Certainement.

Le sénateur Banks : Monsieur Allard, vous parlez, à la page 11, du solliciteur général. Or, ce poste a été aboli. À l'avenir, lorsque qu'il sera question du gouvernement fédéral, il faudra noter qu'il n'y a plus de solliciteur général, à moins que je me trompe. Vous pouvez vérifier.

Le président : Il faut soigner son vocabulaire en présence du sénateur Banks, car il est très pointilleux là-dessus.

Le sénateur Banks : Pouvez-vous nous dire si l'on insiste beaucoup pour récupérer les fonds lorsque vous recevez ce paiement rétroactif? Est-ce que les employés du RARM vous appellent pour vous dire qu'ils veulent ravoir leur argent? Et qu'entendez-vous par « insistant »? Vous appellent-ils souvent? Envoient-ils leurs agents de recouvrement à vos trousses? Intentent-ils des poursuites?

M. Manuge : Non. Ils ne font que téléphoner. Mais ils veulent leur argent sur-le-champ.

Le sénateur Banks : Tout le montant immédiatement?

M. Manuge : Oui.

Le sénateur Banks : Vous devez leur verser un montant — pardonnez-moi d'employer ce mot — forfaitaire?

M. Manuge : C'est un mot à utiliser avec précaution. J'ai bien compris, soit dit en passant. Et ils veulent effectivement le montant total. Je crois que le capitaine Bruyea pourra vous en dire plus long à ce sujet.

Le capt Bruyea : En un mot, oui. Ils insistent vraiment, à moins qu'il y ait des circonstances atténuantes. Les employés responsables du RARM ont fait preuve de compréhension et ont consenti à fixer des modalités de paiement, du moins dans mon cas et celui d'autres prestataires.

Le sénateur Day : J'aimerais bien comprendre moi aussi. Les prestations d'invalidité de longue durée du RARM équivalent à 75 p. 100 du salaire; et c'est à ce montant réduit que les déductions s'appliquent. Or, si on fait partie des forces armées et que l'on reçoit une pension, il n'y a pas de déductions et on touche 100 p. 100 de son salaire. Pour le RARM, les déductions visent ce qui n'est plus que 75 p. 100 du salaire, n'est-ce pas?

M. Manuge : Vous avez raison à 100 p. 100.

Le sénateur Day : Vous m'en voyez désolé.

Le sénateur Dallaire : Certains des mots que vous avez employés dans votre texte étaient très vifs, car on touche une corde sensible. Comme nous avons pu offrir un meilleur soutien aux membres actifs des FC, nous avons, en fait, égalé celui offert par Anciens Combattants Canada; ceux qui sont encore en service et qui sont blessés peuvent encore recevoir des indemnités d'invalidité d'ACC selon l'ancienne méthode; le RARM s'applique à ceux blessés alors qu'ils n'étaient pas en service.

Nous nous efforçons d'offrir un service équivalent raisonnable. Le fait que nous y parvenions ne veut pas dire que ceux qui ont quitté les forces armées et ne reçoivent plus que 75 p. 100 de leur salaire sont lésés; ils subissent simplement les inconvénients de la méthode de récupération actuelle. Il s'agit d'un problème différent. Il n'est pas question de faire main basse sur l'argent de ceux qui ont dû quitter les FC. Vous avez raison.

Vous avez quitté l'armée pour des raisons médicales, vous recevez 75 p. 100 de votre salaire et êtes censé pouvoir vous prévaloir d'une foule de programmes pour vous trouver un emploi et faire la transition, en plus d'obtenir des soins médicaux. Ce n'est pas parce que nous avons pu régler un dossier et que votre cas n'est pas résolu qu'il faut crier à l'injustice. Nous avons solutionné un problème et nous nous attaquons maintenant au vôtre; nous sommes ici pour cela.

M. Driscoll : Pour répondre à cette question, parlons d'équité. Si on verse un salaire et des prestations d'invalidité en vertu de la Loi sur les pensions, c'est pour la souffrance et la douleur que subissent les prestataires. C'est la raison pour laquelle vous pouvez recevoir ces sommes. Lorsque vous êtes libéré des FC, ces prestations deviennent en quelque sorte un revenu. C'est là le problème fondamental. Cette justification ne résiste pas à une analyse approfondie.

Le sénateur Dallaire : Dans ce contexte, les montants restent distincts.

Le capt Bruyea : Je vous ai fourni plusieurs documents, notamment un rapport d'actuaire remis à l'ombudsman et une fiche de renseignements. Pour remettre les choses en perspective, sachez que j'ai parlé aux représentants du ministère des Anciens combattants, qui ont indiqué qu'actuellement, plus de 9 000 membres actifs des FC reçoivent sans problème des prestations pour la douleur et la souffrance alors qu'ils sont toujours en service. C'est deux fois le nombre de personnes touchées par ce différend.

Le sénateur Day : Je vous ferais remarquer que les répercussions de la récupération sont d'autant plus graves que les prestataires ne reçoivent plus que 75 p. 100 de leur salaire. C'est là que je voulais en venir, et je crois que vous m'avez compris.

On a parlé, un peu plus tôt, du fait que la loi sur la Charte des Anciens combattants a été renvoyée au Comité permanent des finances nationales. Je crois que je devrais prendre la défense de ce dernier. Certains considèrent peut- être que ce comité possède les compétences nécessaires pour examiner cette mesure législative. Autrement dit, d'aucuns ont laissé entendre que c'était le seul comité disponible à ce moment-là.

Il y a un point que j'aimerais clarifier. Lorsque vous avez parlé du Groupe consultatif sur les besoins spéciaux, j'ai remarqué que trois rapports n'avaient pas été rendus publics. M. Allard a indiqué qu'au moins un de ces rapports avait été remis au Groupe consultatif sur la Charte des anciens combattants.

M. Allard : Les trois rapports ont été déposés. Nous avons cependant signé une entente de confidentialité.

Le sénateur Day : Lorsque le Groupe consultatif sur la Charte des anciens combattants remettra son rapport, en octobre, croyez-vous que les autres documents seront également rendus publics?

M. Allard : Je ne vois pas pourquoi ils ne le seraient pas. Ils regorgent de commentaires pertinents sur la nouvelle Charte des anciens combattants.

Le sénateur Day : Nous surveillerons cette affaire de plus près si vous croyez qu'ils ne seront pas publiés.

Le sénateur Dallaire : Nous pourrions le faire de toute façon. L'expérience a montré que ces rapports restent parfois lettre morte. S'ils ne sont pas publiés, comme ceux du comité spécial, ce serait contraire à l'esprit de la charte.

Le sénateur Day : En effet.

Le sénateur Dallaire : C'est une affaire à suivre. C'est complètement contraire à la philosophie de la nouvelle charte. Le ministre dispose de toute la marge de manœuvre nécessaire pour agir favorablement ou non, comme son prédécesseur avait d'ailleurs tendance à le faire.

Le président : Sur ce, je vous remercie, messieurs les sénateurs. Il y a un point que vous n'avez pas soulevé, mais que vous considérez probablement aussi comme une injustice. Les prestations versées en vertu de la Loi sur les pensions sont déduites des 75 p. 100 du salaire; or, si une autre blessure, qui n'a aucun lien avec la première, survient, elle entraînera de nouvelles déductions, n'est-ce pas?

Le capt Bruyea : Effectivement.

Le président : Est-ce que cela se produit assez souvent pour qu'il y ait lieu de s'inquiéter?

M. Allard : Probablement.

Le président : Merci beaucoup. Nous vous remercions pour votre franchise et les renseignements que vous nous avez fournis.

Je remercie également les sénateurs. La date de la prochaine réunion figure sur le document qui vous a été remis.

La séance est levée.


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