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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 4 - Témoignages du 25 mars 2009


OTTAWA, le mercredi 25 mars 2009

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 16 h 2 pour étudier, afin d'en faire rapport, le Rapport de l'examen législatif d'Exportation et Développement Canada de 2008, déposé au Sénat le mardi 10 février 2009.

Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Nous avons le quorum. La séance est ouverte. Bienvenue au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

[Traduction]

Le comité examine actuellement le document intitulé « Examen législatif d'Exportation et développement Canada, décembre 2008 ». Tel qu'indiqué dans le document :

Le but de l'Examen est d'évaluer la façon dont évolue, et devrait continuer d'évoluer, EDC pour faire face à la situation concurrentielle et à la demande sur le marché international au nom de ses intervenants, et de présenter des recommandations le cas échéant, notamment d'éventuelles modifications à la Loi.

Le comité accueille aujourd'hui M. Gerry Fedchun, président de l'Association des fabricants de pièces d'automobile du Canada.

[Français]

Nous allons commencer avec la présentation de M. Fedchun, laquelle sera suivie des questions des membres du comité.

[Traduction]

Gerry Fedchun, président, Association des fabricants de pièces d'automobile : Je suis heureux d'être ici aujourd'hui. EDC nous a aidés, et nous tenions à expliquer ce que l'organisme a fait pour nous et ce que son mandat devrait être, selon nous, au cours de l'année, à l'occasion de cet examen.

Évidemment, EDC est une organisation qui évolue. J'ai participé au processus d'examen il y a 10 ans. À cette époque, je venais d'arriver à l'APMA. Pour vous dire à quel point les choses ont changé, j'ai comparu le même jour que John Roth, qui était alors chef de la direction à Nortel, la plus importante société du Canada en termes de capital investi. Comme nous le savons tous, Nortel est aujourd'hui, hélas, sous la protection de la Loi sur la faillite. Le cas de Nortel illustre bien avec quelle rapidité les choses peuvent changer, dans le monde et au Canada.

L'industrie de l'automobile a également changé radicalement depuis 1999. Cette année-là a été la meilleure sur le plan de la production de véhicules, et nous avions alors fabriqué presque trois millions d'unités. Les trois grands de Detroit — General Motors, Ford et Chrysler — détenaient 75 p. 100 du marché en Amérique du Nord. Aujourd'hui, notre volume au Canada est d'environ 2,5 millions. Quatre usines de montage ont fermé, depuis cette époque, et deux autres ont été mises en service. L'emploi dans le secteur des pièces est passé d'environ 96 000 à environ 77 000 cette année. La valeur de notre production est passée de 30 milliards de dollars à environ 24 milliards de dollars. Malgré une certaine contraction, nous demeurons une industrie viable et, à long terme, prospère.

Il importe de signaler qu'environ 80 p. 100 de tous les véhicules fabriqués au Canada sont exportés — surtout à destination des États-Unis, mais aussi vers le Mexique et d'autres pays. Quant aux pièces que nous produisons, environ les deux tiers sont exportées. Là encore, la majorité est destinée aux États-Unis, mais des pièces d'une valeur totale d'environ 1 milliard de dollars sont en outre exportées vers d'autres pays.

L'exportation de pièces a augmenté au fil des ans, et EDC a été un facteur déterminant de cette croissance. Aujourd'hui, EDC offre des financements à hauteur de plus de 900 millions de dollars à l'industrie de l'automobile et garantit pour plus de 330 millions de dollars sous forme d'assurance-crédit. L'an dernier, EDC a aidé près de 600 clients du secteur de l'automobile, et nous lui en sommes reconnaissants.

L'industrie de l'automobile est mondiale. Nos chaînes d'approvisionnement sont mondiales. Nous avons ce que j'appelle des chaînes d'approvisionnement locales, mais elles sont à l'échelle de l'Amérique du Nord et s'inscrivent dans l'Accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA. Nous avons calculé que la pièce qui a traversé et retraversé les frontières le plus souvent entre le Canada, les États-Unis et le Mexique avant de faire partie d'un véhicule terminé l'avait fait 18 fois. Toutefois, il n'est pas rare qu'une pièce franchisse ces frontières six ou sept fois avant que le véhicule arrive chez le concessionnaire qui le vendra.

Notre industrie a vraiment besoin d'une assurance comptes clients, sur la scène internationale, pour garantir que nous serons payés. L'industrie a aussi besoin de financement pour les entreprises. Nos entreprises doivent être en mesure d'offrir des services à leurs clients tant aux États-Unis et au Mexique qu'au Canada et parfois elles doivent établir des usines dans ces pays pour conserver leur compétitivité à l'échelle mondiale.

La croissance se fait maintenant dans les marchés émergents. La croissance à long terme dans les marchés traditionnels de l'Amérique du Nord, de l'Europe de l'Ouest et du Japon s'établit sans doute à 1 p. 100; elle est fonction de la croissance démographique et de l'immigration. Il est peu probable que le nombre de voitures aux portes de nos maisons augmente beaucoup. Au Canada, nous comptons déjà environ une voiture par conducteur, et plus que cela aux États-Unis. Les possibilités de croissance sont donc modestes. Toutefois, dans les marchés émergents, il n'est pas rare de recenser seulement 80 voitures pour 1 000 habitants. Les possibilités de croissance sont énormes.

Pour être concurrentiels à l'échelle mondiale, les fournisseurs de pièces canadiens doivent pouvoir se lancer sur les marchés émergents et livrer concurrence aux autres entreprises, tant locales qu'étrangères, sur ces marchés. Les entreprises locales sont généralement des producteurs dont les coûts sont faibles, mais qui n'ont pas la technologie nécessaire et qui auraient intérêt à s'allier à un bon partenaire, une entreprise canadienne par exemple. Les sociétés étrangères avec lesquelles nous sommes en compétition ont des niveaux de technologie plus élevés et elles sont dans la même situation que nous. Comme vous le savez sans doute, elles bénéficient toutes de crédits à l'exportation dans leurs pays respectifs. Elles sont à la pointe du progrès. Nous avons besoin d'EDC pour maintenir des règles du jeu équitables avec nos concurrents.

Au cours des trois dernières années, l'APMA a effectué des missions commerciales en Russie, en Inde, en Chine, en Hongrie, en Slovaquie, dans la République tchèque et au Japon. Ces 10 dernières années, nous avons envoyé des missions commerciales dans pratiquement tous les pays du monde où il y a un important producteur de véhicules et de pièces d'automobile. EDC a généralement participé à ces missions commerciales, et nous voulons qu'elle continue de le faire.

EDC possède aussi des spécialistes de l'industrie et du marketing qui peuvent nous aider à comprendre ce qui se passe dans un pays donné et à comprendre son marché. Ces connaissances spécialisées seraient très difficiles à acquérir pour chacune des entreprises, et EDC les offre à tout le groupe et diffuse cette information non seulement à l'industrie automobile, mais aussi à d'autres industries, car elle prépare des analyses de pays. Son appui, en termes d'analyse de pays, est précieux. Cette information est du domaine public, elle est à la disposition d'autres sociétés canadiennes, en particulier les petites et moyennes entreprises, les PME, des PME qui souvent n'ont pas la capacité de recueillir par elles-mêmes cette information.

Il convient de signaler que notre industrie, dans le monde entier, applique le principe du juste-à-temps, le JAT. Cela signifie que tous nos inventaires sont dans des camions entre les locaux du client et ceux du fournisseur. Cela signifie que les sociétés doivent construire des usines qui ne sont pas trop éloignées de leurs clients, et cette réalité ne changera pas. Dans les marchés en expansion, nous n'avons pas le choix, nous devons établir des usines si les entreprises canadiennes veulent faire des affaires sur ces marchés émergents que j'ai mentionnés précédemment.

Tout le monde le sait, notre industrie a été très malmenée par la récession. Les volumes nord-américains, du côté de la production, avaient reculé de 55 p. 100 au début de 2009. Les entreprises qui font des affaires avec les nouveaux fabricants sur le marché nord-américain ne sont pas épargnées. Elles ont perdu de 25 p. 100 à 30 p. 100. Il n'y a pas de refuge. La situation est mauvaise et empire. Dans l'industrie automobile, personne n'est à l'abri par les temps qui courent.

Je dois dire que dans cette situation, EDC a été particulièrement utile. Les institutions financières normales ont presque abandonné l'industrie automobile. Bien sûr, ces institutions n'ouvrent pas de nouveaux comptes. Elles ont peut-être maintenu les comptes existants, mais il est impossible d'ouvrir de nouveaux comptes. EDC est la seule grande institution qui a accepté d'assumer un peu plus de risques et qui pouvait intervenir et accorder du financement lorsque les autres institutions financières s'y refusaient.

L'autre partie du mandat d'EDC est l'assurance comptes clients. Cette assurance est essentielle pour la trésorerie des sociétés exportatrices. Nous avons découvert que l'assurance comptes clients était en voie de disparaître. Soit qu'elle n'est pas offerte soit que les taux sont si élevés que cette assurance devient inabordable sur le marché libre. EDC est l'un des rares établissements où il a été possible d'acheter de l'assurance comptes clients. Comment cela se fait-il? EDC applique des principes commerciaux et elle a des spécialistes pour évaluer les risques. À mon avis, elle évalue les risques avec plus de précision que les autres établissements. Elle travaille en outre plus en fonction du long terme que les prêteurs traditionnels, et ses actionnaires sont peut-être un peu plus patients.

Les règles actuelles d'EDC ont bien servi l'industrie automobile pour ce qui est des risques, mais en cette période troublée, les entreprises qui sont financièrement viables en temps normal et financièrement viables à long terme ont de la difficulté à satisfaire aux conditions commerciales d'EDC à court terme. Nous croyons qu'EDC devrait créer une nouvelle catégorie de prêt. Cette catégorie ne constituerait pas une partie importante de son financement, mais elle devrait être élargie, et j'appellerais cet élément du portefeuille le « capital patient ». Le capital patient est défini comme un capital qui pourrait être offert à de jeunes entreprises ou même à des entreprises bien établies, lorsque ces entreprises connaissent une période de ralentissement et doivent prendre le temps de réunir des capitaux. Le capital patient est également disponible en période de ralentissement économique ou en cas de difficultés financières; on traverse un creux, et lorsque le creux disparaît, il y a un plan viable à long terme. Les exigences ne seraient pas trop strictes au début, et le remboursement commencerait au bout d'un an ou deux. Les fonds ne viendraient pas du Compte du Canada, qui doit être approuvé par le ministère des Finances, mais ils auraient un niveau de risque plus élevé que les prêts commerciaux habituels d'EDC. Pour instaurer ce type de financement, il faudrait modifier la loi ou le règlement. Toutefois, nous croyons qu'il est nécessaire, à long terme, dans l'intérêt non seulement de l'industrie automobile, mais aussi d'autres industries qui traversent des périodes difficiles ou qui se lancent dans un nouveau secteur mal connu et qui, dans l'intérêt à long terme de la société canadienne, doivent être mieux financées.

Nous croyons aussi qu'EDC doit être en mesure de financer plus d'entreprises nationales qui, à long terme, pourraient s'intéresser à l'exportation. Dans notre cas, presque tout ce que nous fabriquons pour l'industrie automobile est exporté, alors nous n'avons pas de problèmes, mais dans d'autres cas, l'industrie peut sembler pour l'instant essentiellement nationale, mais elle pourrait se lancer dans l'exportation. Pour croître, cette industrie a besoin de financement, et nous pensons qu'il serait bon qu'EDC puisse la considérer comme une éventuelle industrie exportatrice, même si elle n'a pas encore atteint ce stade de développement, et lui consentir des prêts dans cette optique.

Pour résumer, je dois dire qu'EDC a été utile à notre industrie. EDC est un service gouvernemental qui fonctionne en règle générale comme une entité commerciale, mais qui a jusqu'à maintenant fait preuve de plus de patience. Elle possède en outre probablement une expertise supérieure à celle de nombreuses autres institutions financières, et nous aimerions qu'elle continue à offrir des prêts à court terme et de l'assurance comptes clients. Elle s'est avérée efficace pour ce genre de prêts, et nous aimerions qu'elle continue dans cette voie. Nous ne croyons pas qu'elle ait causé de préjudices indus aux autres établissements financiers. EDC a trouvé d'excellentes façons d'aider l'industrie lorsque d'autres ont préféré s'abstenir. Je ne veux pas que son mandat soit limité, car sans ce mandat, dans les circonstances actuelles, notre industrie serait dans une position beaucoup plus précaire.

Le président : Avant d'inviter mes collègues à poser des questions, je dois signaler que le récent projet de loi sur l'exécution du budget a modifié l'autorisation et le capital mis à la disposition d'EDC. Dans les deux cas, il s'agit d'un accroissement. Si vous avez eu l'occasion d'évaluer cela ou de l'examiner, je sais que mes collègues du comité aimeraient savoir ce que vous en pensez.

M. Fedchun : D'après ce que je vois dans le projet de loi sur l'exécution du budget, et il n'y a pas beaucoup de détails, le plafond des responsabilités éventuelles a été relevé. Pour moi, qui ne suis pas un spécialiste des finances, cela revient à accroître la capacité d'offrir une assurance comptes clients. Je crois que cette assurance est essentielle, car il faut l'avoir dans le contexte contemporain, lorsque la viabilité du client est beaucoup moins certaine que par le passé. Les PME, en particulier, ont besoin de savoir qu'elles seront payées. L'assurance comptes clients est importante pour les petites entreprises. Elles ne peuvent pas risquer tout ce qu'elles possèdent pour une ou deux sociétés qui n'ont pas l'assurance comptes clients voulue pour éviter que leurs propres clients soient entraînés dans leur chute, même quand l'occasion semble belle. Le fait d'accroître l'assurance des dettes, le plafond des dettes éventuelles, comme on les appelle, cela est très bien.

Je remarque aussi que l'on a relevé la portion du Compte du Canada qui peut être utilisée. Cette mesure nous paraît importante. Nous pensons qu'il faudra utiliser ce compte cette année. Les automobiles, les véhicules, sont la principale dépense de consommation, à l'exception des résidences, et les gens n'achètent pas souvent de nouvelle maison, mais ils ont assez souvent besoin d'un nouveau véhicule. La confiance des consommateurs est à son niveau le plus bas depuis une génération ou deux — certains disent depuis 28 ans, d'autres, depuis 35 ans. J'ignore quel est le chiffre exact, mais c'est une très longue période. Je n'avais pas encore de cheveux gris à l'époque où la confiance des consommateurs était à un niveau aussi bas. Cette année, en raison de ce manque de confiance, nous devrons probablement utiliser les fonds du Compte du Canada pour aider l'industrie à traverser cette période difficile. Nous croyons que la situation va se redresser d'ici l'an prochain. L'économie mondiale a injecté des billions de dollars dans le système pour soulager la crise du crédit. D'autres mesures seront également prises, et les choses commenceront à se redresser. Lorsque tout ira mieux, la population sera plus optimiste, et les ventes de véhicules augmenteront à nouveau.

Le président : Merci, monsieur Fedchun. Je demande maintenant à mes collègues de poser leurs questions.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Monsieur Fedchun, dans votre lettre que vous avez fait parvenir en octobre dernier au ministre des Finances et à son homologue ontarien, vous avez exprimé l'avis que les compagnies ont un besoin pressant d'argent et n'ont pas de baisse d'impôt, car la plupart d'entre elles n'ont pas de revenus imposables. En outre vous avez dit que l'industrie a besoin de quatre éléments pour faire face à la tempête. le premier élément, ce sont les prêts à court terme et les prêts à faible taux d'intérêt, un ensemble de prêts séparés alignés proportionnellement sur le programme de 25 milliards US amorcé à Washington pour venir en aide aux manufacturiers de véhicules afin qu'ils puissent commencer à produire des véhicules économiques en essence, des crédits d'impôt pour la recherche scientifique et les dépenses liées au développement expérimental afin de permettre aux compagnies d'avoir accès aux fonds publics même quand celles-là ne font pas de profit et simplifier les règlements pour faciliter l'obtention de l'aide pour les PME.

Ma question est la suivante : est-ce que vous vous estimez satisfait jusqu'à maintenant des réponses à votre lettre provenant et du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial?

[Traduction]

M. Fedchun : Commençons par les prêts : nous attendons toujours les prêts et nous cherchons à offrir des prêts directement aux fournisseurs. Cela ne s'est pas encore produit. En outre, les négociations concernant les prêts à nos clients, les constructeurs, sont toujours en cours, alors nous croyons que tout cela va se faire.

Pour ce qui est des 25 milliards de dollars que les sociétés américaines ont reçus, nous n'avons encore rien touché de cet argent, mais la question est sans doute un peu moins pressante à l'heure actuelle, car notre première préoccupation est plutôt de survivre cette année, puis nous verrons comment utiliser cet argent pour le long terme.

Nous n'avons pas entendu parler de crédits d'impôt, mais là encore, la proposition est à plus long terme. Les crédits d'impôt sont excellents, mais il nous faut des crédits d'impôt remboursables, car les temps sont durs et les crédits d'impôt ne sont utiles que si nous avons des revenus imposables. Il faut songer à modifier cela. Je comprends bien que la proposition est faite parce que l'industrie automobile n'est pas la seule à souffrir. C'est peut-être beaucoup demander pour l'industrie automobile, mais il vaudrait la peine d'y songer à plus long terme.

Le programme de crédit d'impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental, la RS&DE, est un bon système, mais les entreprises qui ne sont pas rentables n'en profitent pas vraiment. Ces entreprises se stabiliseront à long terme, mais personne ne fait beaucoup d'argent à court terme. C'est l'un des problèmes.

Le sénateur Grafstein : Monsieur Fedchun, pour ce qui est de la taille du marché, de ces 11 milliards de dollars de pièces que votre industrie a exportées l'an dernier, en 2008, où ces pièces sont-elles allées?

M. Fedchun : La majorité des exportations était destinée aux États-Unis.

Le sénateur Grafstein : Dans quelle proportion?

M. Fedchun : Nous avons pour environ 1 milliard de dollars de marchandises qui ne sont pas allées aux États-Unis.

Le sénateur Grafstein : Où sont-elles allées?

M. Fedchun : Les trois quarts sont allés au Mexique et le reste, surtout en Europe et au Japon.

Le sénateur Grafstein : Est-ce la plus petite partie qui est allée au Japon et en Europe?

M. Fedchun : En effet.

Le sénateur Grafstein : Prenons le cas des mesures destinées au secteur de l'auto, qui ont un effet direct sur votre industrie et qui sont quelque peu asymétriques. Je parle par exemple de Toyota, parce que cette société a remplacé General Motors comme principal constructeur d'automobiles au monde. Si je comprends bien, les deux tiers des voitures fabriquées par Toyota sont importées du Japon ou d'ailleurs; est-ce exact?

M. Fedchun : Non.

Le sénateur Grafstein : Quel pourcentage des véhicules Toyota vendus en Amérique du Nord sont fabriqués en Amérique du Nord?

M. Fedchun : Je n'ai pas examiné la question sous cet angle, car je m'intéresse aux pièces, mais environ les deux tiers des véhicules Toyota vendus en Amérique du Nord sont fabriqués en Amérique du Nord.

Le sénateur Grafstein : Alors un tiers ne l'est pas?

M. Fedchun : Environ un tiers ne l'est pas.

Le sénateur Grafstein : Il n'y a pas de réciprocité sur le marché, n'est-ce pas?

M. Fedchun : Non, nous vendons relativement peu de nos produits au Japon.

Le sénateur Grafstein : La situation est-elle identique dans le cas de Honda? Quel pourcentage des voitures Honda viennent de Corée?

M. Fedchun : La majorité des véhicules sont fabriqués en Amérique du Nord pour le marché nord-américain, mais j'ignore les chiffres précis.

Le sénateur Grafstein : Pouvez-vous nous trouver ces chiffres?

M. Fedchun : Oui, je vais vous les trouver. Ils existent quelque part. Moi, je ne les ai pas.

Le sénateur Grafstein : Ces dernières semaines, nous avons entendu dire que l'Inde, la société Tata Motors, fabriquait une petite voiture économique qui se vendra environ 2 000 $ aux États-Unis. Au cours de la première semaine de janvier, je crois, on a annoncé que la société BDY, en Chine, fabriquait une voiture à batterie, qui se vendra entre 2 000 et 4 000 dollars américains.

Comment votre industrie réagit-elle à ces nouvelles menaces sur notre marché national, en termes d'emplois sur notre marché?

M. Fedchun : J'ai vu la Nano en Inde. Elle est fabriquée par Tata Motors. L'entreprise prévoit vendre la Nano pour l'équivalent de 100 000 roupies. Le montant que vous avez mentionné est sans doute le prix auquel la voiture se vendra en Inde. J'ai entendu dire que lorsque toutes les taxes seraient comprises, la voiture se vendrait environ 2 300 dollars américains en Inde. Cette voiture ne peut pas être vendue en Amérique du Nord ni en Europe de l'Ouest parce qu'elle ne répond pas aux normes de sécurité. Je n'ai aucune idée du prix qu'on en demandera lorsqu'elle aura satisfait aux normes en matière de collision et aux autres exigences que nous avons ici, mais son prix sera nettement supérieur à ce qu'il est pour le marché indien.

Le président : Sénateur Grafstein, à titre d'information, j'ai eu l'occasion hier soir de rencontrer le représentant canadien de Tata et je lui ai posé la question. Il m'a dit que pour l'instant, il était difficile de se prononcer, mais que l'on prévoyait que la voiture se vendrait environ 6 000 $ sur le marché nord-américain. C'est ma contribution à la discussion.

Le sénateur Grafstein : Je crois que vous confirmez ce que je disais, que la voiture fera un tort considérable à l'industrie des pièces en termes de rapport coût-efficacité, à moins que nous n'ayons un plan pour y faire face. Est-ce que votre industrie a établi un plan en vue de l'arrivée de cette voiture? Cela ne se fera pas avant un an ou deux, mais elle viendra.

M. Fedchun : C'est la raison pour laquelle j'étais en Inde. Je dirigeais une mission commerciale, à laquelle EDC participait, pour examiner la possibilité d'ouvrir des installations de fabrication pour pénétrer le marché indien. La grande majorité de ces véhicules sont destinés au marché indien, et une certaine partie sera exportée. L'industrie est vraiment mondialisée. Nous devons pouvoir participer à toute l'activité.

Le sénateur Grafstein : Ici, ils feront du dumping avec ces voitures.

M. Fedchun : Nous ne le permettrons pas. Il y a des règles qui nous aideront à éviter cette situation; cela est certain. Les Chinois l'ont tenté, et nous nous sommes adressés à l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC. Il nous a fallu trois ans pour remporter cette bataille, mais nous avons présenté une plainte concernant les pièces d'auto et nous avons fini par gagner. J'aimerais que ce processus puisse être accéléré. Il donne de bons résultats, mais il est un peu lent.

Le sénateur Grafstein : L'OMC et la Banque mondiale ont analysé les plaintes qui sont actuellement en cours, ils ont produit un rapport complet au sujet des mesures protectionnistes utilisées aux États-Unis et au Canada pour aider l'industrie automobile et qui, de toute évidence, aident aussi votre industrie. On soutient que l'industrie est protectionniste; cela va à l'encontre des règles de l'Organisation mondiale du commerce, entre autres.

Vous demandez maintenant des prêts à court terme — et je précise que je ne m'oppose pas à cette demande. Comment répondez-vous aux plaintes voulant que le Canada, dans cette industrie, soit de plus en plus protectionniste? Je ne dis pas que nous soyons les seuls dans cette situation. Personne n'est parfaitement innocent. L'Europe et d'autres pays le sont aussi. Les États-Unis le sont certainement, si l'on en juge par certaines dispositions explicites dans les accords concernant l'industrie automobile. Que répondez-vous à cet argument?

M. Fedchun : Lorsque tout un segment de l'économie est menacé, je crois que même l'OMC vous permet de prendre des mesures d'urgence pour empêcher votre économie de s'écrouler. Je crois que c'est une de ces mesures.

Il faut bien comprendre que si General Motors devait tomber, elle entraînerait dans sa chute un certain nombre de fournisseurs. Si ces fournisseurs disparaissaient, Honda, Toyota, Nissan et tous ceux qui fabriquent des voitures s'écrouleraient eux aussi. Il faudrait des mois avant que l'industrie automobile en Amérique du Nord ne se réorganise, et il faudrait des mois pour trouver des fournisseurs de rechange aux constructeurs encore capables de fonctionner. Ce serait un véritable cauchemar pour l'économie en Amérique du Nord.

Le sénateur Grafstein : Oui, je comprends bien cela. Je vous entends toutefois dire qu'il faut faire une exception à la règle en ce qui concerne les dispositions sur les obstacles tarifaires directs et indirects. Est-ce que vous nous dites que le problème est à court terme et qu'il y a des exceptions ou des dispositions qui permettent au Canada et aux États-Unis — parlons du Canada — de ne pas appliquer ces règles?

M. Fedchun : Selon moi, tout le monde le fait. Je ne sais pas quoi vous dire. Je ne suis pas un spécialiste en la matière.

Le sénateur Grafstein : Tout le monde enfreint peut-être les règles, si on en croit les études, mais donnez-nous la position officielle de votre industrie s'il vous plaît, pour le compte rendu.

Je crois que la question touche l'essence même du mandat d'EDC, c'est-à-dire la façon dont nous pouvons financer correctement les secteurs de notre économie qui éprouvent des difficultés en période de ralentissement économique. Monsieur le président, je crois que cette réponse nous est essentielle, car elle intéresse le fondement de notre position sur d'autres questions.

M. Fedchun : Je vais voir si je peux vous la trouver.

Le président : Monsieur Fedchun, envoyez-nous l'information à l'attention du greffier, et nous la distribuerons à tous les membres du comité.

Le sénateur Wallin : J'aimerais avoir deux ou trois précisions pour éclairer le débat. Si j'ai bien compris, la Tata Nano, malgré un prix de 6 000 $ pour le constructeur, ne sera jamais offerte sur notre marché en raison de nos règles en matière d'environnement et de sécurité.

M. Fedchun : Telle qu'elle est construite actuellement, non. Il faut satisfaire à de très nombreuses règles au Canada avant que la vente d'un véhicule soit autorisée. Dans le cas de la Smart, il a fallu trois ans et plusieurs millions de dollars pour l'adapter aux exigences au Canada, même si elle était déjà acceptée en Europe de l'Ouest. Il a notamment fallu faire des essais de choc sur 25 d'entre elles, je crois. Par ailleurs, nos normes sur les émissions sont strictes.

Je ne dirais pas qu'il s'agit d'obstacles « non tarifaires », mais selon le Canada d'autres pays appliquent des normes de sécurité terriblement inadéquates.

Je suis allé en Inde. M. Tata avait raison. Souvent, on voit un homme en motocyclette, son fils perché sur le guidon et sa femme et ses deux autres enfants derrière lui. Après avoir failli renverser un tel groupe, M. Tata s'est dit qu'il fallait faire quelque chose pour offrir plus de protection que ce que les gens ont sur une motocyclette. C'est ce marché qui est visé par le véhicule.

En réalité, je ne crois pas que la majorité des Canadiens voudront acheter cette voiture et la conduire. Ils ont l'habitude d'un meilleur produit.

Le sénateur Wallin : Oui, et nous ne parlons même pas de neige. Je demande encore une précision. EDC a accordé environ 4,2 milliards de dollars au secteur automobile, dont 3,2 milliards sous forme d'assurance comptes clients.

Comment expliquez-vous cet écart? Quelle part de cela est due au fait que des constructeurs d'automobiles n'ont pas payé — ou ont reporté les paiements — plutôt qu'à une baisse de la demande proprement dite?

M. Fedchun : Les fabricants d'automobiles ne sont pas de mauvais payeurs. Dans notre industrie, nous sommes payés le deuxième jour du mois pour ce qui a été livré le mois précédent. En conséquence, le 2 avril nous serons payés pour février.

Le sénateur Wallin : Il n'y a pas de retards importants, dans ce cas?

M. Fedchun : Les entreprises suivent bien les règles. Nous pouvons nous en contenter.

Le sénateur Wallin : Donc c'est la demande qui est en cause?

M. Fedchun : Oui, les usines fonctionnent à la moitié de la capacité de production, et cette situation est très difficile.

Le sénateur Andreychuk : J'aimerais changer un peu le sujet. Nous parlons de la crise économique, du ralentissement et de la demande. Toutefois, sur le marché, les discussions portent également sur le type de voitures qui sont construites.

Dans quelle mesure avez-vous collaboré avec l'industrie pour prévoir les difficultés relatives à la structure de l'industrie automobile ici, par opposition aux exigences de l'avenir? Indépendamment de la crise économique, une autre crise se profilait déjà à l'horizon. Est-ce que vous pouvez commenter cela?

M. Fedchun : Oui. Premièrement, il existe des véhicules de diverses tailles. Un petit véhicule ne convient pas à tous les consommateurs. Le meilleur exemple que je puisse vous offrir, personnellement, c'est celui de mon frère, à Calgary, qui a cinq enfants. Il n'utilisera pas de petite voiture. Il lui faut au moins une fourgonnette, et c'est ce qu'il possède parce que ce véhicule offre sept places. Si la famille doit aller un peu loin, il lui faut quelque chose de plus grand, et mon frère a un véhicule plus grand pour ces occasions.

Il faut étudier la taille totale des segments du marché des véhicules pour les diverses pièces. Nous sommes en bonne position à cet égard. L'usine de fourgonnettes à Windsor produit de bonnes fourgonnettes qui consomment moins de carburant qu'auparavant parce que leur efficacité a été améliorée. L'usine Ford, à Oakville, produit un VUS multisegment, un véhicule utilitaire sport multisegment, qui remplace le simple VUS. Le VUS multisegment consomme 25 p. 100 moins d'essence que le véhicule qu'il a remplacé, et pourtant il a la même taille, car les consommateurs ont besoin de véhicules de cette taille pour vaquer à leurs occupations. Nous fabriquons la Malibu à Oshawa, et c'est une voiture intermédiaire qui remplace une grosse voiture. Là encore, la Malibu est plus économe d'essence que les autres. L'usine de RAV4 qui a été mise en service à Woodstock produit un VUS multisegment de plus petite taille.

Je vais préciser ces termes. Un VUS est un véhicule construit sur une plate-forme de camion. Il est beaucoup plus lourd et convient au remorquage et au camping. Le VUS multisegment est construit sur une plate-forme de voiture. Son bâti pèse plusieurs centaines de livres de moins, et le véhicule est donc plus économe d'essence.

Il existe toujours des segments du marché où l'on a besoin de ces diverses tailles de véhicule. Nous produisons aussi de petits véhicules, par exemple la Civic, la Matrix et la Corolla. Il existe une diversité suffisante de véhicules qui conserveront toujours une part du marché. Nous ne fabriquons pas des dinosaures, au Canada. Je ne crains pas pour la part du marché. Nous sommes dans une excellente situation.

Le sénateur Andreychuk : Comment se porte le marché nord-américain? Vous avez dit que le Canada était en bonne position, mais nous sommes liés aux États-Unis.

M. Fedchun : Les véhicules que nous construisons sont principalement vendus aux États-Unis, et la demande pour ces véhicules s'est raisonnablement maintenue en termes de pourcentage. À l'heure actuelle, la demande pour tous les modèles est déprimée. En termes de pourcentage, toutefois, nous ne sommes pas dans la même situation que les usines qui produisent la Ford Explorer, qui, elles, éprouvent de sérieuses difficultés. Honnêtement, si l'usine de camions à Oshawa doit fermer c'est parce que la production de camions a diminué.

Cela fait partie du marché, et nous nous adapterons. Cette production est terminée. Le mois prochain, l'usine fermera, et nous devrons nous faire à cette idée.

Pour les usines qui restent ouvertes, la situation n'est pas si dramatique.

Le sénateur Andreychuk : Permettez-moi de résumer, selon vous l'industrie, au Canada, est en bonne position, à condition que nous prenions des mesures pour sortir de la crise économique qui a mené à cette diminution de la demande?

M. Fedchun : C'est exact; je crois en outre que les fournisseurs de pièces sont en assez bonne position, mais que nous devons nous montrer plus innovateurs parce que les entreprises de montage réclament de plus en plus des pièces plus légères et plus polyvalentes, des pièces qui sont plus intelligentes et qui favorisent l'économie d'essence ou la réduction des émissions. Nous devons nous maintenir dans ce marché, et il nous faut faire preuve d'un plus grand esprit d'innovation. L'innovation est la clé de la survie à long terme pour les fournisseurs de pièces qui alimentent les entreprises de montage.

Le sénateur Andreychuk : Pourquoi fait-on tant de cas, à la télévision et dans les journaux, du fait que c'est l'industrie elle-même qui est à l'origine du problème, plutôt que la crise économique? Vous semblez dire que l'industrie réglait ses problèmes et avait entrepris de se restructurer. Alors pourquoi l'industrie est-elle ainsi critiquée par tant de gens?

M. Fedchun : Une grande partie de l'information qui circule est erronée. Les gens ont aujourd'hui des opinions fondées sur une information qui date de cinq ou dix ans. On dit que General Motors ne fait pas de bonnes voitures. Oshawa a produit la voiture de l'année, l'an dernier, et l'année d'avant l'usine avait reçu le prix du fondateur de J.D. Power and Associates. Elle a reçu des prix pour la qualité au cours des trois dernières années, et les consommateurs disent que ce n'est pas ce qu'ils veulent parce qu'ils sont mal informés. Ils disent se souvenir que leur voiture General Motors de 1992 n'était pas bonne. Peut-être qu'elle n'était pas bonne, mais nous sommes en 2009. Un des spécialistes a affirmé qu'il fallait 10 ou 15 ans pour changer les perceptions. Cela me paraît assez juste. Même si l'industrie a un rendement satisfaisait et que tous ses membres ont un rendement satisfaisant, nous devons bien reconnaître qu'à une certaine époque, notre rendement n'était pas satisfaisant, et il faudra du temps pour que les consommateurs l'oublient.

Les prix J.D. Power ont été annoncés la semaine dernière, par exemple, et l'usine de fourgonnettes de Windsor a remporté le prix décerné au véhicule de la meilleure qualité dans sa catégorie en Amérique du Nord. Dans les rapports des organismes de protection des consommateurs, qui reflètent les opinions des consommateurs, cette fourgonnette se classe au troisième rang. L'analyse objective dit qu'elle est au premier rang, mais les perceptions populaires ne le reconnaissent pas, et nous devons composer avec ces perceptions.

Le président : J'aimerais revenir à mon commentaire au sujet du budget 2009. Je crois que vous avez dit que l'assurance comptes clients était la grande question, la principale demande, pour les politiciens, lorsqu'ils ont préparé le budget. Pourquoi cette question a-t-elle pris autant d'ampleur?

M. Fedchun : Les institutions financières avaient cessé d'offrir de l'assurance comptes clients, et nous étions incapables d'en trouver ailleurs à un prix raisonnable. Je ne fais pas de reproches aux banques canadiennes. Un certain nombre de grandes institutions financières non bancaires offraient également de l'assurance comptes clients, par exemple GE Capital. Un certain nombre de quasi-banques — appelons-les ainsi — se sont complètement retirées du marché canadien. Elles ont fermé leurs bureaux. Elles ont fermé leurs portes et elles sont parties. Il nous fallait un remplaçant pour offrir cette assurance, et EDC pouvait le faire. Nous pensons que cette assurance est dans l'intérêt à long terme de l'industrie.

Le président : En fait, EDC n'offrait pas vraiment d'assurance comptes clients à un coût plus abordable; vous nous dites que le marché avait disparu, que ces services n'étaient plus offerts?

M. Fedchun : Le marché a disparu.

Le président : Mon autre question porte sur un changement dans le budget 2009, je veux parler de l'arrivée d'EDC sur le marché intérieur. Je crois savoir que votre organisation était favorable à ce changement. En quoi cela vous a-t-il aidé? En quoi l'arrivée d'EDC sur ce marché améliore-t-elle les perspectives pour vos nouveaux membres?

M. Fedchun : EDC connaît bien l'industrie automobile. Certaines entreprises avaient besoin de financement, mais elles ne se mêlaient pas d'exportation. EDC savait bien que le risque était faible, mais elle leur a dit qu'elle ne pouvait pas leur prêter d'argent parce que cela ne relevait pas de son mandat. Il y a de bonnes compagnies qui ne font pas d'exportations à l'heure actuelle, mais qui un jour, en raison de la nature de notre industrie, finiront par exporter des produits. À mesure qu'elles prennent de l'expansion, elles n'auront pas le choix, elles devront se lancer sur les marchés mondiaux pour demeurer concurrentielles. À long terme, elles doivent croître et se mondialiser. Elles n'ont pas le choix. Le marché canadien n'est pas assez vaste pour une société en expansion. J'ignore les chiffres exacts, mais si une entreprise affiche pour environ 400 millions de dollars de ventes annuellement, elle devra se tourner vers les exportations parce que le marché n'est plus assez grand pour elle. C'est là, je pense, qu'EDC peut aider les sociétés à faire la transition entre société nationale et société exportatrice. Je ne crois pas qu'EDC soit autorisée à prêter à ces entreprises aux termes des règles actuelles.

Le président : EDC a des concurrents. Ce sont des entreprises privées ou non gouvernementales. Est-ce que votre industrie utilise ces autres sources pour obtenir des services du type que fournit EDC?

M. Fedchun : À ce que je sache, oui. EDC établit des consortiums avec diverses entreprises et elle n'est pas toujours la banque responsable. EDC participe au financement de divers comptes clients ou au financement de sociétés et de fonds de roulement. Elle participe à divers aspects de ce financement.

Le président : EDC le fait, mais est-ce que les membres de votre association sollicitent aussi les services d'assureurs privés et d'autres organisations qui offrent des services similaires à ceux d'EDC, ou est-ce que cela ne se fait que par l'entremise d'EDC ou en participation avec elle, dans le cadre de coentreprises, et cetera.?

M. Fedchun : En temps normal, nos membres utilisent toutes les ressources dont ils disposent, et nous avons été de bons clients de diverses institutions financières au Canada. Ces sources de financement se sont largement taries au cours de la dernière année, alors EDC est devenue l'une des rares organisations qui peuvent encore offrir du capital. Cette situation est due à la récession.

Le président : Selon vous, est-ce que les changements apportés aux autorisations et au financement d'EDC dans le budget 2009 sont positifs, et pensez-vous qu'ils aideront les organisations ou les sociétés à traverser ces temps difficiles?

M. Fedchun : Tout à fait; les changements du budget qui accroissent l'autorité et la capacité de financement d'EDC ont aidé notre industrie et, sans doute, les fabricants en général à traverser la récession. Nous ne croyons pas que les difficultés actuelles vont se maintenir à long terme. Dans un an, tout ira beaucoup mieux. C'est l'opinion des économistes et c'est la nôtre. Il s'agit donc de survivre à cette année.

Le sénateur Grafstein : À titre d'information, si je comprends bien, et le président peut me corriger si j'ai tort, le projet de loi sur l'exécution du budget que nous avons adopté prévoit non seulement une augmentation du capital de la banque mais aussi une modification de son mandat pour englober les sociétés nationales et internationales. Eric Siegel, d'EDC, et d'autres témoins ont comparu devant le comité et ils ont expliqué les raisons de ce changement, qui sont identiques aux vôtres, c'est-à-dire préparer les entreprises intérieures canadiennes à réaliser leur potentiel d'exportation. Ce projet de loi a été adopté. Est-ce que j'ai raison, monsieur le président?

Le président : Soyons précis, est-ce que vous parlez d'EDC? Vous avez dit « banque ».

Le sénateur Grafstein : Oui, je parlais d'EDC. Si j'ai bien compris, le projet de loi a été adopté, alors vous pouvez vous adresser à cette organisation le plus tôt possible si vous pensez que vous avez des clients. Nous avons eu cette discussion et le projet de loi a été adopté.

M. Fedchun : Je croyais que le président me demandait si j'étais favorable à ce changement, et la réponse est oui.

Le sénateur Grafstein : Vous avez indiqué précédemment qu'il n'était pas certain que la Banque des exportations ait maintenant ce mandat. Elle l'a. Rendez-vous au guichet automatique le plus près, et voyez ce que vous pouvez obtenir.

Le président : Le sénateur Grafstein veut dire que nous avons mis de l'argent de côté pour aider l'industrie. Si vous n'avez pas encore utilisé cet argent, faites-le, je vous en prie, parce que nous voulons sauver des emplois. Est-ce bien cela?

Le sénateur Grafstein : Oui.

Le sénateur Mahovlich : À quel moment la demande de voitures plus économes d'essence a-t-elle changé? En quelle année cela s'est-il produit?

M. Fedchun : Je ne peux pas dire que cela s'est produit à un point donné dans le temps.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que cela a commencé il y a 10 ans?

M. Fedchun : Cela s'est produit il y a quelque temps déjà. La demande a vraiment monté lorsque le prix de l'essence a franchi le cap du dollar du litre. Jusqu'à ce moment, la demande n'était pas très importante.

Le sénateur Mahovlich : Des voitures comme les Kia et les Hyundai sont arrivées récemment sur le marché, et j'en vois beaucoup à Toronto. Elles sont économes d'essence, de bonne qualité, bon marché, mais quand même sûres. Il y en a énormément. Comment avons-nous pu perdre ce marché?

M. Fedchun : En Amérique du Nord, nous ne nous intéressions pas au marché de la petite voiture. Nous produisons des Corolla et des Civic, mais ce sont encore des voitures de bonne taille, plus grosses que les Kia que vous voyez un peu partout. Les Canadiens achètent des véhicules économes d'essence, mais ils n'aiment pas vraiment les très petites voitures. Ces voitures se comportent plus ou moins bien dans la neige, alors il n'y en a pas tellement. Nous aimons acheter des véhicules assez grands pour asseoir quatre personnes. Les Canadiens n'ont souvent qu'une voiture par famille, contrairement aux Américains, qui ont souvent plusieurs voitures à la porte de la maison. Les Américains ont une petite voiture, une intermédiaire et un gros véhicule pour remorquer le bateau.

Le sénateur Mahovlich : Vous parliez de la famille de votre frère, qui a un VUS et deux grandes fourgonnettes. Que se passerait-il si votre frère achetait deux voitures plus petites plutôt qu'une grande fourgonnette?

M. Fedchun : Alors, lui et son épouse seraient toujours au volant. Les familles n'aiment pas cette idée.

Le sénateur Mahovlich : Ils n'aiment pas être séparés.

M. Fedchun : En effet, ils veulent être tous dans le même véhicule. C'est pourquoi l'usine de fourgonnettes a tant de succès. Vous pouvez monter à sept dans la fourgonnette. Un des parents conduit. Il est plus facile de surveiller les enfants.

Le sénateur Stollery : En réalité, dans chaque voiture vous ne voyez qu'une seule personne, et c'est le conducteur. C'est ce qui se passe à Toronto, en tout cas.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce qu'un jour, pour aller dans le nord, il faudra se mettre à cinq dans la voiture? Croyez- vous que cela pourrait arriver?

M. Fedchun : Cette situation existe actuellement à Toronto. Nous avons des voies réservées que j'utilise constamment. Il est interdit d'utiliser ces voies s'il n'y a pas au moins deux personnes dans la voiture. La province pourrait modifier cela et exiger qu'il y ait trois ou quatre personnes, cela pourrait se faire n'importe quand. Les voies sont là, elles sont marquées et elles sont réservées aux véhicules à forte capacité. Il me paraît possible que cette tendance se dégage à la longue, par souci d'efficience.

Lorsqu'on n'a pas beaucoup d'argent, il faut avoir une voiture dans laquelle toute la famille peut monter. Pour se rendre au travail, toutefois, on n'a pas de deuxième véhicule. Dans les grandes villes comme Toronto, Vancouver et Montréal, un grand nombre de personnes utilisent les transports en commun, mais lorsque vous sortez de ces grands centres, dans des villes comme Regina et Winnipeg, le système de transport n'est pas extraordinaire. Il est adéquat, mais pas merveilleux. Il n'y a pas assez d'utilisateurs. Nous n'avons pas une densité de population suffisante. On parle de transport de masse, et nous n'avons pas la masse. Dans nos petites villes, et elles forment la majorité, je crois que nous aurons toujours besoin d'un moyen de transport personnel.

Il existe des tendances voulant que ces véhicules soient plus légers et plus économes d'essence, qu'ils consomment moins d'énergie. La Volt que GM va mettre sur le marché est un véhicule entièrement électrique. Il pourra parcourir 64 kilomètres avant de devoir être branché à nouveau. La distance moyenne parcourue pour aller au travail n'est que de 50 kilomètres. La grande majorité des gens qui achèteront une Volt n'y mettront généralement pas d'essence, même si la voiture est dotée d'un moteur à essence qui lui permet de continuer sa route au besoin.

Ce type de tendances existe. Est-ce que les véhicules sont de plus en plus petits? Oui. Est-ce que nous nous dirigeons vers la voiture électrique? Oui, c'est indéniable. C'est dans cette direction que l'industrie s'oriente. Un véhicule hybride est essentiellement un véhicule avec un moteur électrique et un moteur à essence pour recharger la batterie, et c'est une tendance qui va demeurer.

Même le diesel utilisé dans les gros véhicules produit 30 p. 100 moins de carbone que l'essence. Sans nous attarder aux phénomènes chimiques, disons qu'il y a moins de molécules de carbone dans le diesel et donc que les véhicules qui tournent au diesel plutôt qu'à l'essence produisent moins de gaz à effet de serre.

Le sénateur Mahovlich : Je n'aime pas l'odeur du diesel.

M. Fedchun : Vous parlez de l'ancienne technologie. Les moteurs diesel de la nouvelle génération ne dégagent pas d'odeur. Prenez un véhicule de diesel de nouvelle génération, par exemple un Jeep Liberty, et vous ne remarquerez aucune odeur de diesel. S'il y avait cette odeur, autrefois, et cela aussi relève du fédéral, c'est que nous utilisions un diesel à forte teneur en soufre, 300 parties de soufre par million, alors qu'aujourd'hui nous utilisons un carburant qui en contient 15 parties par million. Lorsqu'on utilise un carburant à basse teneur en soufre dans un moteur carré, il n'y a ni odeur ni bruit. Les véhicules diesel faisaient un bruit d'enfer, en raison d'un taux de compression de 20 pour 1. La culasse du moteur faisait un bruit d'enfer à cause de la compression. Les nouveaux moteurs diesel ne sentent rien et ils sont silencieux. C'est la nouvelle technologie, par opposition à l'ancienne.

Le sénateur Mahovlich : J'en discuterai avec ma femme.

Le président : Monsieur Fedchun, merci de ce témoignage. Au nom de tous mes collègues, je vous invite à nous transmettre l'information que nous vous avons demandée, et si vous pensez à autre chose qui pourrait nous éclairer ou si vous avez des commentaires à ajouter, joignez cela à votre lettre et envoyez le tout à notre greffier qui le transmettra aux membres et veillera à ce que cela soit ajouté à votre témoignage pour que nous en tenions dûment compte dans le rapport que nous rédigerons. Merci beaucoup.

Le sénateur Dawson : Avant de passer au prochain témoin, je veux vérifier si j'ai bien compris. Est-ce que c'est notre dernière réunion officielle?

Le président : Sur cette question particulière, oui, en effet.

Le sénateur Dawson : Je sais que la séance n'est pas télévisée, mais je veux être certain que la population saura qui nous avons entendu et qui nous n'avons pas entendu, que si quelqu'un veut présenter des propositions par écrit, nous pouvons accepter des commentaires jusqu'à la semaine prochaine.

Le président : Certainement.

Le sénateur Dawson : Je veux qu'il soit indiqué dans le compte rendu que nous encourageons tous ceux qui auraient voulu venir, mais qui n'ont pas pu le faire à rédiger des propositions, parce que nous allons mettre un terme à nos audiences.

Le président : Nous compilerons les propositions comme s'il s'agissait de témoignages et nous les communiquerons à tous les membres, de sorte qu'elles seront officielles. Ces opinions, le cas échéant, pourront être reflétées dans le rapport.

Notre deuxième témoin, ce soir, est Denis Bélisle, de Dessau Inc. La société Dessau est un cabinet d'ingénieurs- conseils dont le siège social se trouve au Canada. Cette société compte actuellement 3 800 employés.

[Français]

Monsieur Bélisle, bienvenue au Sénat. Nous commencerons par écouter votre présentation et ensuite les membres du comité vous poseront des questions. À vous la parole.

J. Denis Bélisle, président du Conseil international de Dessau inc. : Monsieur le président, je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant vous. Mon témoignage sera court et ciblé. C'est celui d'une firme qui utilise déjà les services d'EDC et qui a vraiment besoin d'EDC pour continuer de grandir.

Mon témoignage s'articulera autour de quatre points : le premier, a trait à EDC et à Dessau; le deuxième, à la concurrence internationale accrue; le troisième, à une suggestion copiée d'un concurrent d'EDC et que j'aimerais vous laisser; et le quatrième point, traitera de la concertation nécessaire, à mon avis, si on est pour mieux faire sur les marchés étrangers.

Au sujet de Dessau, d'abord, permettez-moi de corriger une petite erreur, la compagnie compte 4 000 employés. Pour un bureau d'ingénieurs-conseils c'est passablement gros.

Dessau a été fondée en 1957 pour offrir des services de génie-conseil et, depuis l'an dernier, des services de construction.

Nous sommes présents dans 35 villes canadiennes et à l'étranger, principalement au Maghreb, en Amérique centrale, en Amérique latine et aux Antilles.

Notre taille, plus de 4 000 employés, nous oblige, depuis un bon moment déjà, à se tourner vers les marchés mondiaux pour poursuivre sa croissance. Vous pouvez être présents jusqu'à un certain point au Canada, toutefois le temps était venu pour nous de grandir à l'étranger. C'est dans ce contexte que l'appui de EDC nous est essentiel.

Présentement nous avons des assurances de lettres de crédit pour à peu près 35 millions de dollars avec EDC. Au cours des cinq dernières années, on a eu des garanties de prêts souverains de 250 millions de dollars. Nous avons aussi reçu des Cautions de performance dans l'exécution de contrats de construction pour environ 75 millions de dollars.

Nos relations avec EDC ont toujours été excellentes. Nous considérons l'organisation comme très compétente, très professionnelle, hautement qualifiée, et attentive aux besoins du secteur privé. Malgré tout le respect que nous avons pour EDC, à l'avenir, nous devrons faire encore mieux si nous voulons conserver nos marchés étrangers. Nous devrons être plus agressifs, plus souples, plus présents et plus créatifs pour battre nos concurrents, particulièrement ceux des pays émergents.

La concurrence internationale est devenue très vive et l'arrivée massive de la Chine, de l'Inde et du Brésil dans les pays en développement a changé la donne. Ils mettent des moyens très impressionnant en oeuvre pour s'installer à long terme sur les marchés d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Ils menacent sérieusement la présence canadienne sur ces marchés. Il faudra sortir des sentiers battus, il faudra faire plus et mieux, autrement c'est nous, Canadiens, qui sortiront de ces marchés très importants.

L'ouverture de bureaux d'EDC à l'étranger va dans ce sens et il est à espérer que ces bureaux se multiplieront. La concurrence entre les agences d'appui à l'exportation est devenue très grande. Il ne faudrait pas, non plus, hésiter à copier nos concurrents quand ils font quelque chose de bien.

Comme je l'ai indiqué précédemment, les coûts de développement des affaires à l'étranger sont devenus si élevés qu'une agence concurrente d'EDC, COFACE, l'agence française, a mis au point une assurance promotion des affaires. Les firmes qui font des affaires à l'étranger et qui ont une idée des coûts dans les prochaines années pour s'implanter dans ces marchés, peuvent s'assurer chez COFACE. Dans la mesure où leurs efforts ne sont pas fructueux, la COFACE leur rembourse 80 p. 100 des dépenses encourues. Bien sûr, il y a des conditions à respecter et des primes d'assurance à payer. Ce moyen permet à nos concurrents français d'aller plus loin que nous dans leurs efforts de pénétration des marchés étrangers.

EDC n'offre pas de mécanisme semblable. Un seul programme du gouvernement canadien s'y apparente jusqu'à un certain point : celui de la Coopération industrielle de l'ACDI, dans son volet de partage des coûts des études de faisabilité pour les grands projets d'infrastructures publics dans les pays en développement. Ce programme hautement utile et apprécié des firmes de génie conseil canadiennes, fait présentement l'objet d'efforts concertés pour son abolition. Nous excellons, dans le cas de Dessau, dans les pays en voie de développement. Ce programme nous est très utile. J'y reviendrai dans un instant.

Face à cette concurrence accrue et aux coûts presque exorbitants de promotion à l'étranger, j'ai l'impression qu'il faut faire quelque chose. Quoi? Je ne prétends pas avoir la réponse complète. J'ai l'impression que plus de concertation entre le secteur privé canadien et EDC, de même qu'entre les différentes agences fédérales d'appui aux exportations fait partie de la réponse. De même qu'un ciblage un peu plus précis et une approche à plus long terme de ces marchés, un peu comme le font nos concurrents, peut-être moins tous azimuts étant donné nos moyens plus limités que ceux qui sont mis en branle par les concurrents de Chine, d'Inde et du Brésil.

Bien que tous conviennent du mérite de la concertation, plus pourrait être fait. On dit en faire beaucoup, mais on en fait moins qu'on pourrait et qu'on devrait en faire. Je me rappelle de mes années au gouvernement, j'y ai travaillé un peu. Je pense que les choses n'ont pas changé selon les discussions que j'ai. Il faut aller un peu plus loin. Permettez-moi de revenir au Programme de la coopération industrielle de l'ACDI pour illustrer mon propos.

Ce programme de l'ACDI pourrait déménager, me dit-on. Ce programme permet à des firmes comme la nôtre de découvrir des opportunités de projets à l'étranger. Dans la mesure où nous pensons qu'il s'agit d'un projet sérieux, nous sommes plus que prêts à partager les coûts d'une étude de faisabilité qu'on remet ensuite aux gouvernements des pays en voie de développement. Ils ont tout à faire et ils ont besoin d'arguments pour emprunter des banques de développement, d'EDC ou d'ailleurs. En plus, bien souvent, ils sont mal équipés pour préparer ces demandes. Une étude de faisabilité de 500 000 $, qu'ils reçoivent gratuitement d'une firme canadienne, les dispose bien envers le Canada.

Ce programme, combiné à la capacité de CCC de signer des contrats de gouvernement à gouvernement, aux activités de prêts et d'assurance d'EDC, et à l'intelligence commerciale disponible auprès des délégués commerciaux canadiens nous permettent d'identifier des projets d'envergure et d'offrir aux pays en développement des « packages » canadiens attractifs, avant que leur financement ait été bouclé par les banques développement.

Au moment où tant de pays en développement s'apprêtent à investir massivement dans le développement de leurs infrastructures, ne serait-il pas approprié pour le Canada de trouver moyen de faire jouer ces programmes et antennes à leur plein potentiel et de façon concertée?

De plus, EDC demande des études environnementales sérieuses et je pense qu'il est de son droit de les demander. Cependant, il y a un coût très élevé et le Programme de la coopération industrielle va dans le même sens. Nous pouvons donc commencer à faire ces études pour ensuite aller plus loin lorsque vient le temps de présenter quelque chose chez EDC.

En conclusion, au moment où les pays en développement s'apprêtent à dépenser des sommes colossales pour mettre à niveau ou même pour bâtir pour la première fois des infrastructures qui les aideront à développer leur économie, je me demande parfois s'il ne serait pas temps de réunir ces gens dont j'ai parlé, EDC, CCC, le Programme de coopération industrielle, les délégués commerciaux et les entreprises, pour voir un peu comment on peut en arriver à davantage de concertation et à une force de frappe plus grande sur les marchés qu'on tente de pénétrer.

Bien que ce que je vous dis n'affecte d'aucune façon la loi constitutive de EDC, nous tenions à venir témoigner pour vous faire part du respect que nous avons pour EDC, de l'importance qu'ils auront pour nous dans les années à venir, importance toujours plus grande, et à vous offrir les quelques suggestions que je vous ai offertes. Mes notes ayant été préparées en français, je m'en suis tenu à ma langue maternelle. Bien sûr, il me fera plaisir de répondre aux questions dans la langue de Shakespeare.

Le sénateur Dawson : Merci pour votre présentation. Comme vous le savez, notre comité a étudié l'Afrique il y a quelques années et en a fait un rapport exhaustif. Par exemple, il est très clair que les Chinois, entre autres, sont des compétiteurs qui n'étaient pas là il y a quelques années et qui risquent d'être nos compétiteurs pendant de nombreuses années, et que dans la créativité ils sont forts.

Il est évident que les contraintes qu'on impose à nos institutions et à nos entreprises nous empêchent de faire ce qu'ils font, mais la concertation peut certainement nous aider à s'assurer que le Canada soit capable de leur faire face.

J'aimerais prendre un cas concret comme celui de la République Dominicaine. En ce qui concerne le projet du bassin Guajimia, quel a été le cheminement du partenariat entre vous et EDC?

M. Bélisle : Avec plaisir, sénateur Dawson. Une étude de faisabilité comme celle dont je viens de vous parler a coûté à l'ACDI environ 400 000 $ et à nous environ 200 000 $. Cette étude nous a permis d'approfondir une idée qu'avait en tête le président de la République Dominicaine, soit d'assainir l'eau de la région de Santo Domingo. En fait, beaucoup de touristes étaient dégoûtés de voir à quel point c'était sale. Les canaux débordaient régulièrement et les gens y mettaient leurs ordures. Il y avait des problèmes de toutes sortes et l'eau à boire était contaminée.

On a réalisé cette étude que les Dominicains ont beaucoup aimée, à commencer par le président qui nous a demandé d'où proviendrait le financement pour ce projet. On a couru tout de suite chez EDC et on a organisé le financement pour un projet de 100 millions de dollars. Ce projet est en voie de réalisation et il est largement achevé.

Dans un premier temps, on a remboursé l'ACDI car c'est une des règles de ce programme. Si on a la chance de mener à bien un projet, on rembourse et l'ACDI est très heureuse. Les firmes canadiennes ont pu s'impliquer davantage qu'elles l'auraient fait si cela avait été fait par des concurrents européens ou chinois, et nous sommes en train de négocier la deuxième phase du même projet qui pourrait s'élever entre 125 millions et 150 millions de dollars.

Voilà un cas où on a pu se réunir, mais ces réunions ne sont pas nombreuses. Dans la mesure où la balle est dans notre camp, on n'hésite pas, on vient en courant. Je pense que plus souvent maintenant, surtout dans les pays où il y aura des représentants EDC, entre le représentant EDC et le délégué commercial, ces gens ne pourront pas faire autrement que de se parler s'ils sont à Lima, au Pérou, parce qu'il y a moins de Canadiens là qu'ici. Ils vont apprendre à se connaître et à se respecter. Ensuite il faut mettre les autres dans le coup. C'est un projet qui illustre la concertation qui devrait exister à mon avis de façon systématique.

Le sénateur Dawson : L'ACDI a une tradition un peu plus sociale, si vous me permettez l'expression, versus développement économique. Est-ce que vous recommandez que la coopération industrielle puisse possiblement être extraite de l'ACDI ou envoyée à EDC ou au Ministère du commerce extérieur? Est-ce que vous avez une recommandation concrète?

M. Bélisle : Oui.

Le sénateur Dawson : Le comité a exprimé des réserves concernant l'ACDI dans le domaine de la compétitivité.

M. Bélisle : Sans l'ombre d'un doute, je pense que ce programme doit sortir de là où il est. On me dit que c'est ce qui est suggéré. Je pense EDC n'a pas manifesté d'appétit pour le programme et que le Commerce International en a manifesté. Il serait définitivement mieux logé là. À mon avis, CCC pourrait probablement le recevoir également, mais Commerce international est un très bon endroit.

Des études sont en cours et d'ailleurs demain je dois témoigner à une commission de l'ACDI qui sera présente à Montréal et qui essaie de structurer le programme avant de l'envoyer. Le document d'arrière plan préparé par l'ACDI, qui accompagnait l'invitation reçue en dernière minute, propose justement d'abolir la partie du programme qui a trait aux études de faisabilité. Je crois qu'il s'agit là d'une grosse erreur.

Le sénateur Fortin-Duplessis : J'aimerais vous féliciter pour le succès de votre firme. C'est toujours plaisant d'entendre un témoin qui a 4 000 employés dans sa firme. Vous allez être surpris de la question que je vais vous poser parce que personnellement, je suis préoccupée par la question des droits de la personne. J'aimerais connaître votre opinion au sujet des droits de la personne et EDC.

Les agences de crédit à l'exportation font partie de l'appareil de l'État. En fait, EDC est expressément identifiée dans la Loi sur le développement des exportations comme étant une agence gouvernementale. Ce lien légal de l'État a beaucoup d'importance du point de vue du droit international.

Concrètement, cela signifie que les États ont une responsabilité juridique à l'égard des opérations de leurs agences de crédit à l'exportation. Et de ce fait, ils doivent s'assurer qu'ils ne violent pas leurs obligations à travers ces agences, et cela inclut évidemment la sphère des droits de la personne.

En ce qui concerne EDC, le Canada manque de dispositions législatives concernant les droits de la personne. Je ne sais pas si vous avez pris connaissance du fameux rapport qui a été fait sur EDC, mais il n'est pas fait mention des droits de la personne dans la Loi sur le développement des exportations, sauf quelques références vagues au principe de la responsabilité sociale des entreprises.

Personnellement, je trouve qu'ils manquent de transparence et qu'ils ne rendent pas public leurs critères. Il y a même des rapports, dont l'initiative de Halifax, qui mentionne que c'est vraiment obscur.

À votre avis, EDC devrait-il appuyer des projets dans les pays qui contreviennent aux droits de la personne? Ne pensez-vous pas que de telles obligations devraient être expressément enchâssées dans la Loi sur le développement des exportations? Est-ce que vous pouvez nous dire dans quelle mesure les projets récents de Dessau en République Dominicaine, ou ailleurs, ont été assujettis à l'application de ces principes de la responsabilité sociale?

Je sais aussi que Dessau a des intérêts importants en Algérie. Êtes-vous tenu de respecter les droits de la personne ou êtes-vous libre d'aller travailler dans des pays qui ne les respectent pas? C'est ce qui m'inquiète.

M. Bélisle : Ce n'est pas facile de répondre à la question que vous posez. De façon très honnête, je vais vous donner mon opinion quant à Dessau, que je connais davantage, et EDC, que je connais moins.

C'est une question de dosage. Premièrement, dans le cas de Dessau, nous ne travaillons pas dans tous les pays du monde, pas vraiment à cause des droits de la personne mais à cause de la taille de notre compagnie. Nous sommes très ciblés. On a choisi un nombre de pays, qui n'est pas très grand, inférieur à dix, parce que nous pensons qu'en ciblant nos efforts on a plus de chance de pénétrer le marché.

Dans ces pays, dont les deux que vous avez mentionnés, notre présence la plus grande est probablement en Algérie à ce moment-ci.

Nous sommes en République dominicaine, au Chili, au Pérou, en Amérique centrale de façon assez importante.

Dans ces pays, notre propre code d'éthique est de respecter non seulement les droits de la personne mais l'environnement et les mesures sociales, d'encourager les gouvernements locaux qui travaillent en ce sens dans la mesure où les projets qu'on veut faire peuvent aider à ce point de vue.

Je dois dire honnêtement que nous ne sommes pas devenus une ONG, qui parcourt le monde pour corriger des torts. Il faut faire très attention lorsque je dis que c'est une question de dosage. Il ne faut pas aller trop loin.

Le programme de l'ACDI dont je vous ai parlé met l'accent là-dessus. L'ampleur des études environnementales qu'ils demandent, au niveau de la faisabilité de même que l'impact social, est tellement grande que souvent des pays nous ont dit qu'ils aimeraient bien avoir nos études de faisabilité, que c'était très utile pour leur permettre d'emprunter, et qu'ils trouvent que l'importance que nous attachons au volet social, par exemple, à ce moment du projet, est démesurée. Ils veulent savoir d'abord si ce projet est faisable techniquement, commercialement d'abord, et ils nous demandent d'indiquer aussi où sont les points où nous devrions être très attentifs par rapport à un impact potentiel à ces autres niveaux.

Ils veulent savoir, dans un premier temps, s'ils font fausse route en voulant développer un projet ou pas. Par exemple, il y a quelques années, lorsqu'on a fait le projet de la République dominicaine, les exigences étaient moins grandes.

Malgré cela, nous avons inclus dans notre projet un volet environnemental, parce que nous travaillions dans un secteur où il fallait absolument s'assurer que l'on ne faisait pas de bêtise environnementale. On essayait de résoudre un problème environnemental alors il ne fallait pas en créer un autre. On fait bien attention à cela.

En ce qui a trait au volet social, on s'est demandé clairement ce que notre projet allait faire dans ce pays? Bien sûr, il apportera de meilleures conditions de la salubrité. Il contribuera à la santé de façon positive. Maintenant, de façon négative, que fera-t-il? Il va déloger des gens temporairement.

Dans un premier temps, il fallait déloger des gens qui habitaient le long d'un canal, des squatters qui vivaient dans des cabanes, mais ils vivaient là depuis toujours et il y avait une petite économie non déclarée qui faisait que ces gens vivaient ensemble, survivaient. Soudainement, on leur dit : Vous déménagez tous le temps qu'on refasse le canal.

On a alors dit qu'il fallait faire des logements sociaux, bon marché, mais meilleurs que ce qu'ils avaient avant et l'État, qui n'avait pas nécessairement prévu cela, est embarqué dans ce projet.

L'État n'était pas contre, au contraire, mais fallait expliquer un peu. Ensuite, il fallait aider ces gens à se développer une nouvelle économie à la grandeur de leurs moyens.

Pour ce faire, on a engagé des ONG locales pour nous aider. Les ONG, les résidants délogés et nous avons essayé de voir ce que l'on pourrait faire plus. Y avait-il dans le projet des aspects qu'on pourrait définir autrement pour abonder dans votre sens. C'est concret. C'est la façon dont nous espérons travailler.

Lorsque je dis que c'est une question de dosage, je ne suis pas certain que des grands textes, des grandes études, des critères qui sont moins directement reliés à ce qu'on veut faire soient appropriés. Si on regarde la concurrence, il y a des pays d'Europe de l'Ouest, les Scandinaves, en particulier, qui font comme nous et, à l'occasion, peut-être mieux. Mais la majorité de nos concurrents ne font pas cela. Alors pour continuer de gagner en concurrence avec eux, il faut être conscient et y aller par étape.

Dans le cas d'EDC, devrait-il être contraint de faire plus? Honnêtement, je ne le sais pas. Je suis sûr que EDC sait bien ce que font les autres agences. Je suis certain que la nouvelle concurrence de la Chine, de l'Inde et du Brésil ne le fait pas. C'est sûr. Et c'est la concurrence réelle. Cela ne veut pas dire par contre qu'on doive agir comme eux.

Je recommanderais simplement une certaine prudence à la canadienne en se demandant ce qui est approprié.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je vous remercie. Vous conseillez presque à EDC d'y aller, comme vous avez dit, avec un bon dosage et pas nécessairement en étalant leurs critères trop fortement.

[Traduction]

Le sénateur Wallin : Par contre, comme nous l'avons vu dans la documentation, vous êtes une entreprise internationale très bien établie. Vous êtes en pleine croissance et vous avez de plus en plus d'employés, le chiffre corrigé, ici, est 4 000. Vous êtes présents sur des nouveaux marchés et des marchés en croissance. Compte tenu du fait que nombre des projets auxquels vous participez sont des projets risqués, ma question est simple : pourriez-vous exister sans EDC?

M. Bélisle : Oui, nous existerions. Nous avons d'abord existé sur le marché canadien. Heureusement, nous avons rapidement atteint le stade où il nous fallait aller plus loin. Sans EDC, cela aurait été beaucoup plus difficile.

Le sénateur Wallin : Est-ce que vous nous dites que votre travail n'aurait pas pu être financé par des sources traditionnelles?

M. Bélisle : Le travail nous vient de diverses sources. Une partie vient des banques de développement régional en Amérique latine et en Afrique. Nous ne sommes pas très actifs en Asie. Une partie vient du secteur privé. Au Chili, par exemple, nous travaillons beaucoup plus pour le secteur privé et les sociétés minières que pour le secteur public. Certaines de ces entreprises et sociétés minières souhaitent parfois emprunter auprès d'EDC. La décision leur appartient.

Autrefois, sans EDC, il nous aurait été difficile de croître aussi rapidement que nous avons pu le faire. Nous sommes convaincus qu'à l'avenir, si nous ne pouvions pas compter sur une EDC améliorée — plus alerte, plus agressive et plus présente au moment de passer les marchés — il est certain que nous aurions un handicap.

Le sénateur Wallin : Vous avez peut-être déjà expliqué cette information. La question est difficile. Quel pourcentage de vos activités totales se fait en participation avec Exportation et développement Canada, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et le service des délégués commerciaux et, peut-être, le programme de l'Agence canadienne de développement international?

M. Bélisle : Pour l'instant, environ 30 p. 100 de nos revenus proviennent de l'étranger, contre 70 p. 100 au Canada. La partie d'EDC s'applique uniquement à nos activités à l'étranger. Divers services interviennent.

Le sénateur Wallin : Je comprends. Donnez-nous une ventilation, si vous le voulez bien, plutôt que de tout grouper.

M. Bélisle : D'une façon ou d'une autre, la participation d'EDC à nos activités touche 25 p. 100 de notre volume d'affaires à l'étranger. Je vous donne un chiffre brut, sans le calculer.

Le sénateur Wallin : C'est donc 25 p. 100 de 30 p. 100.

M. Bélisle : Je tiens à souligner que pour nous, le travail à l'étranger constitue la seule façon de poursuivre notre croissance. Dans les années à venir, l'aide d'EDC nous sera indispensable.

Le président : Si ce 25 p. 100 n'est vraiment pas le chiffre qui convient, auriez-vous la bonté de nous communiquer le chiffre correct par courriel? Envoyez-le à notre greffier. Nous veillerons à ce que nos membres soient informés de cette correction.

M. Bélisle : Certainement.

Le sénateur Grafstein : Merci, monsieur Bélisle. Je tiens à vous féliciter, vous et votre société, de ces extraordinaires efforts à l'étranger. Cela est bon pour le Canada et bon pour vous. Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour vous aider.

Si je me fonde sur mon expérience personnelle, je crois pouvoir comprendre vos préoccupations au sujet des premiers fonds nécessaires, qui servent à l'étude de faisabilité, à l'étape de l'élaboration de projet. Cette partie du travail est la plus risquée. Si vous ne pouvez pas la mener à bien, vous n'allez nulle part. Je crois que votre suggestion est intéressante. Je sais que d'autres pays fournissent ce capital, directement ou indirectement, de diverses façons. Essentiellement, ils fournissent des capitaux d'amorçage pour permettre à la société de lancer le projet. Pour cette raison, votre proposition me paraît fantastique.

J'ai vécu cette situation moi-même, en Amérique du Sud et en Europe. Le plus difficile était de trouver les fonds de démarrage pour commencer — pour même déterminer si le projet en valait la peine et s'il était compétitif. Félicitations.

Nous avons entendu des représentants d'EDC et d'autres témoins dire que le Service des délégués commerciaux du Canada et EDC signalaient des débouchés aux entreprises, mais que parfois les entreprises hésitaient à les explorer. Avez-vous trouvé ces suggestions utiles dans certains pays qui vous intéressent?

M. Bélisle : Oui, mais cela varie. Dans notre cas, nous ne voulons pas être partout dans le monde. Nous pensons que c'est la meilleure façon d'échouer. Nous ne pouvons pas nous permettre d'explorer toutes les possibilités. Il y a des délégués commerciaux particulièrement compétents, que nous connaissons et que nous respectons, qui peuvent nous signaler un débouché fantastique en Chine, par exemple. Et nous répondrions simplement : merci, mais sans façon; nous ne pouvons pas nous le permettre.

D'autres sociétés canadiennes font la même chose. Lorsque des entreprises atteignent la taille de notre principal concurrent au Québec, qui est SNC-Lavalin, elles sont en mesure de s'installer dans plus d'endroits que nous. Ces entreprises seraient plus intéressées par les suggestions qui viennent d'un peu partout. Dans notre cas, notre première tâche consiste à déterminer s'il s'agit d'un pays accessible pour nous. La deuxième consiste à valider la possibilité.

Nous n'allons pas organiser une vaste campagne sur cette seule base, mais en règle générale nous connaissons suffisamment bien nos pays cibles pour pouvoir vérifier les débouchés proposés. Nous ne pouvons pas tout savoir. Nous examinons les suggestions de toutes les sources. Un bon délégué commercial peut attirer notre attention sur certains débouchés, et il le fait.

En matière de financement, ils peuvent en parler un peu, mais ils ne peuvent pas aller aussi loin qu'EDC. Si des délégués commerciaux sont au courant de débouchés qui leur paraissent intéressants et qu'ils font intervenir leurs collègues d'EDC dans le dossier, les deux peuvent fort bien promouvoir une approche canadienne, ce qui est un peu plus efficace. La société canadienne pourrait alors manifester plus d'intérêt.

L'étude de faisabilité est la première étape. La seconde consiste à déterminer si le pays sera en mesure d'emprunter les fonds. Certains pays peuvent payer eux-mêmes, mais ils sont rares. Les pays en développement qui possèdent des ressources naturelles, du pétrole et du gaz en particulier, paient eux-mêmes ou empruntent. Toutefois, la plupart des pays en développement ne sont pas en mesure de le faire.

Les agences de développement diront au pays en question : nous savons que vous faites du bon travail, monsieur le premier ministre, mais votre liste d'épicerie est beaucoup trop longue. Nous ne pouvons pas nous permettre de financer tout cela.

Si le représentant canadien d'EDC est dans ce pays, c'est sans doute parce qu'EDC est disposée à prêter ou à participer d'une façon quelconque. Elle saurait rapidement si le risque vaut la peine d'être examiné de plus près.

Lorsque le débouché proposé sera de nouveau présenté au Canada, je crois qu'on le prendra beaucoup plus au sérieux. Je me souviens de renseignements obtenus des délégués commerciaux disant qu'un pays était sérieux et voulait vraiment faire des affaires. Toute cette information était peut-être exacte, mais est-ce que le pays peut emprunter l'argent nécessaire?

Le sénateur Grafstein : C'est une arme à deux tranchants; les coûts initiaux concernent l'étude de faisabilité, et si l'étude de faisabilité donne des conclusions positives, il est fort probable qu'il y aurait des fonds adéquats pour ce pays, dans la plupart des cas.

M. Bélisle : La deuxième étape la plus difficile est celle du financement du projet.

Le sénateur Grafstein : J'aimerais changer un peu le sujet, si vous me le permettez. Il s'agit d'une question connexe : comment le gouvernement vous aide-t-il? Est-ce que cela vous serait utile si le Canada passait des accords de libre- échange partiels, par opposition aux accords de libre-échange complets? Autrement dit, quel est l'intérêt de conclure un accord de libre-échange partiel, même avec un pays en développement? Est-ce que ces accords sont utiles en termes de nouvelles perspectives?

M. Bélisle : Selon moi, ils sont utiles, mais pas tant que cela. Ils facilitent un certain nombre de choses, mais je ne crois pas qu'ils fassent une grande différence. Ils constituent un atout, mais je ne pense pas que cet atout soit aussi important que la capacité d'EDC de consentir des prêts et que la compétitivité de l'entreprise.

Le monde est vaste, et tout coûte cher. Les sociétés qui réussissent suivent toutes la même recette : où y a-t-il un besoin véritable pour un service dans lequel j'excelle? Et dans cette longue liste, qui peut s'offrir un tel service? En retour, pourquoi penseraient-ils que je suis meilleur que mes concurrents?

Lorsque l'on atteint cette troisième question, un accord commercial avec un pays est un atout, parce qu'il favorise la circulation des gens et qu'un plus grand nombre d'acheteurs ont une idée de la façon canadienne de faire des affaires.

Le sénateur Grafstein : Merci de ce témoignage. Il était fort intéressant.

Le sénateur Stollery : Si je comprends bien, EDC est une assurance. Elle assure les exportateurs. J'imagine qu'elle joue un rôle relativement modeste lorsqu'il s'agit de prêter de l'argent pour lancer un projet, mais cela n'est pas vraiment une des activités principales d'EDC.

M. Bélisle : Elle offre des garanties, essentiellement.

Le sénateur Stollery : Oui, elle garantit le contrat. Vous oeuvrez dans le domaine du développement, en quelque sorte. Notre comité connaît bien ce secteur d'activité. Pouvez-vous me donner rapidement une idée du pourcentage de cas où vous n'êtes pas payé et où vous devez vous adresser à EDC pour être payé? Cette situation est le fondement de toute l'opération.

M. Bélisle : Cela n'est pas fréquent.

Le sénateur Stollery : Je ne le croirais pas, car vous traitez avec des organismes gouvernementaux et ce genre d'entités.

M. Bélisle : Oui, c'est vrai, mais parfois ces organismes gouvernementaux sont pauvres.

Le sénateur Stollery : Je le comprends.

M. Bélisle : Le problème, c'est le risque. Je crois que nous sommes tous effrayés. Si un pays X, qui nous a bien payés par le passé, éprouve soudainement des difficultés, est-ce que nous pouvons continuer d'y assurer la même présence?

Le sénateur Stollery : Je vous comprends.

M. Bélisle : Cela n'est pas fréquent.

Le sénateur Stollery : Merci. C'est ce que je me demandais.

Le sénateur Mahovlich : Monsieur Bélisle, merci d'être venu témoigner devant nous. Avez-vous déjà travaillé en Afrique avec l'ACDI?

M. Bélisle : Dessau a peu travaillé là-bas, sauf en Algérie. C'est un choix que nous avons fait.

Le sénateur Mahovlich : Je peux vous indiquer un endroit en Afrique que j'ai visité et où l'on a besoin de routes. Je peux vous dire que c'est un bon projet. C'est un gros projet. Les routes sont dans un état lamentable, et vous pourriez probablement travailler avec l'ACDI à ce projet. Est-ce que cette route serait un bon projet?

M. Bélisle : Je suis tout à fait d'accord avec vous.

Le sénateur Mahovlich : Ils ont besoin d'aide.

M. Bélisle : J'ai vécu trois ans en Afrique et je visite ce continent depuis 35 ans. Tous ces pays ont besoin d'infrastructures, de routes, de chemins de fer. Certains sont dans une situation pire que les autres, mais la plupart sont très mal nantis. À l'exception de quelques endroits en Afrique du Sud, l'infrastructure est dans un piètre état. Le problème, c'est que ces pays ont rarement les moyens de payer si ce n'est, à l'occasion, l'Afrique du Sud; l'Angola aussi, parce qu'elle a maintenant du pétrole; et le Nigeria.

Le sénateur Mahovlich : Le Congo a de nombreuses mines.

M. Bélisle : Il y a des exceptions. Le Congo en est une.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que vous dites que leurs gouvernements sont corrompus?

M. Bélisle : Non, c'est une réalité partout. Pour être corrompu, il faut que quelqu'un vienne vous corrompre. Il y a deux côtés à cette médaille.

Les délais, en Afrique, sont énormes, à compter du jour où un gouvernement africain réussit à convaincre un organisme prêteur, principalement la Banque africaine de développement ou la Banque mondiale, de financer le projet.

L'ACDI ne peut plus rien faire parce qu'elle ne se mêle plus du tout de projets d'infrastructure. Par le passé, la plupart des cabinets d'experts-conseils canadiens commençaient en Afrique dans le cadre de projets d'infrastructures financés par l'ACDI. Il y une quinzaine d'années, l'ACDI a cessé de s'intéresser à l'infrastructure et s'est tournée vers des projets moins concrets, comme la mise en place d'institutions, la promotion de la transparence au sein des gouvernements — toutes ces choses qui doivent aussi être faites —, mais l'infrastructure n'était plus dans le tableau. Aujourd'hui, il ne reste que très peu d'organismes de financement dans ce domaine.

Il faut deux ou trois ans à un organisme de financement pour évaluer la faisabilité du projet et la capacité de remboursement. Un jour, une société reçoit une invitation à soumissionner. Si elle y répond, elle peut prévoir encore cinq ans avant que les choses aboutissent. Elle fait des propositions où elle s'engage à envoyer du personnel, parce que c'est de cette façon que l'emprunteur choisit le meilleur candidat.

Tout se ramène toujours à la compétence... En particulier, qui sera affecté à ce travail? Qu'est-ce que ces gens savent du Congo? Combien de fois sont-ils allés là-bas? Est-ce qu'ils ont déjà été en Afrique? Ont-ils déjà réalisé des travaux routiers comme ceux dont nous avons besoin?

L'entreprise engage ses meilleurs éléments, les CV qui conviennent le mieux au projet, mais il est difficile de promettre que, dans sept ans, c'est vraiment cette personne qui sera affectée au projet.

À l'heure actuelle, il y a tellement de travail à faire dans le monde que, dans notre cas, pour assurer notre croissance, nous choisissons les pays où les délais de réalisation sont les plus brefs et où la capacité d'emprunt est la plus importante. Dans l'ensemble de l'Afrique, nous avons choisi un seul pays comme pays cible. Nous avons constitué Dessau Maghreb. Nous avons maintenant 400 personnes dans ce bureau, quelques Canadiens, mais surtout des Algériens. Nous les formons à nos méthodes. Nous créons des emplois. Nous donnons quelque chose du point de vue social. Les Algériens sont contents, et nous aussi.

À ses débuts, Dessau a d'abord travaillé au Congo. Elle a effectué des travaux routiers.

Le sénateur Mahovlich : C'était en quelle année?

M. Bélisle : En 1973 ou 1974. Je parle du premier contrat. L'entreprise n'a pas fait grand-chose pendant quelque temps, mais elle a commencé là-bas. Le projet était dans une large mesure financé par la Banque mondiale, avec un peu d'argent de l'ACDI.

Le sénateur Stollery : Où se trouvait cette route?

M. Bélisle : Franchement, je l'ignore. Je n'y étais pas. Je suis entré chez Dessau il y a trois ans.

Le président : M. Bélisle est un jeune homme, sénateur Stollery.

Le sénateur Andreychuk : Je connais votre société, votre travail et votre réputation. Je ne vais donc pas aborder ces aspects. Je pense que vous nous avez expliqué votre position concernant EDC. Vous avez toutefois éveillé ma curiosité au sujet de cette question de l'Afrique. Autrefois, nous financions l'infrastructure, parce que nous nous disions que s'il y avait une infrastructure, des routes, des communications, tout cela, alors le pays pourrait améliorer sa situation dans le monde. Malheureusement, la gouvernance faisait défaut. Nous construisions un barrage hydroélectrique, et il sautait le lendemain; cela s'est produit dans l'un des pays où j'ai travaillé. Nous nous sommes dit qu'il fallait nous concentrer sur la gouvernance et les questions de ce genre avant de pouvoir ajouter de la valeur au moyen de l'infrastructure. C'est là-dessus que portait le débat, et je pense que nous nous sommes balancés entre les deux extrêmes. Vous avez parlé de la Chine et d'autres pays avec lesquels nous collaborons maintenant, où la question de la gouvernance est mise de côté et qui donnent des tonnes aux pays pour l'infrastructure, et cetera. Avons-nous raison de continuer à mettre l'accent sur la gouvernance et la gestion?

M. Bélisle : Personnellement, je pense que nous devons être prudents. Il faut travailler sur tous les plans. La gouvernance est un secteur où l'on a besoin de beaucoup d'aide, mais il s'agit d'aider ces pays à participer à l'économie mondiale, à commencer à vivre par eux-mêmes et à moins compter sur les autres. S'ils ne peuvent pas produire quelque chose, rien ne changera. Ils n'ont pas grand-chose, mais ils ont certaines ressources qui peuvent être exportées. S'il n'y a pas de route, pas d'infrastructure, rien ne bouge.

J'ai eu le plaisir de travailler au Centre du commerce international pendant quelque temps. Nous étions à même de constater que même si l'Afrique n'avait pas grand-chose, elle avait certaines ressources. Des fleurs fraîchement coupées, par exemple, sont livrées en Europe été comme hiver. En hiver, il en coûte beaucoup moins de les cultiver au Kenya, au Burkina Faso ou ailleurs en Afrique, de les transporter de nuit par avion jusqu'à Amsterdam et de les distribuer dans toute l'Europe. Bien des gens gagnent leur vie de cette façon. Pour ce faire, le pays a besoin d'un minimum d'infrastructure pour ramasser les fleurs là où elles sont cultivées et les amener à l'aéroport, dans des contenants réfrigérés ou de façon à ce qu'elles soient encore fraîches lorsqu'elles arrivent à destination.

C'est l'infrastructure qui compte, lorsqu'on veut stimuler l'économie. J'hésiterais à appuyer uniquement la gouvernance en pensant que lorsque cette question sera réglée tout le reste suivra. Les pays ont besoin de différentes choses. Le Canada ne peut pas aider sur tous les plans; il a des moyens limités.

Il faut cibler des pays où nous voulons faire quelque chose pour des motifs légitimes, politiques ou autres. Il faut choisir les pays en fonction des besoins et des secteurs de spécialisation du Canada, puis se demander sur quel front nous pouvons aider. Quelles sont les principales difficultés? Nous pourrions avoir certaines matrices pour dire que pour chaque route financée — si nous devions recommencer à le faire — nous pourrions aussi consacrer un pourcentage donné à ces autres aspects moins concrets, qui sont également nécessaires.

Toutefois, je ne recommanderais certainement pas de faire porter tous nos efforts sur les aspects moins concrets, puis un jour, de passer à autre chose. Je crois que cette approche est trop dangereuse.

Le président : Nous remercions notre témoin. Nous vous sommes reconnaissants de ces commentaires, qui nous seront utiles. Si vous avez des idées que vous n'avez pas exprimées ici ou qui vous viennent par la suite, et pour l'information que vous avez accepté de nous fournir, faites-nous parvenir tout cela et nous communiquerons cette information à nos collègues.

Monsieur Bélisle, merci beaucoup; nous nous reverrons.

Il faut mentionner deux ou trois choses. Je rappelle à tous que demain, à 14 heures, le sénateur Stollery accueille une délégation mexicaine dans la salle 256-S. Vous avez tous reçu au moins un courriel à ce sujet. Je veux vous rappeler qu'il serait bon que vous y soyez.

La semaine prochaine, nous poursuivons notre étude sur la Chine, l'Inde et la Russie. Mercredi, le nouveau haut commissaire pour l'Inde, M. S.M. Gavai, viendra témoigner. Je l'ai rencontré et c'est un homme fort intéressant. Nous avons réservé le mardi pour le projet de loi C-2, l'accord de libre-échange avec l'Association européenne de libre- échange. J'espère que nous aurons ce projet de loi en main. On me dit que le projet de loi C-2 pourrait arriver aujourd'hui ou demain : cela ne sera sans doute pas aujourd'hui, il est déjà trop tard. Nous avons réservé mardi pour l'examen de ce projet de loi. Franchement, nous pouvons aussi inviter un témoin, au cas où le projet de loi ne serait pas prêt, pour continuer notre autre étude, mais le délai est un peu court et cela complique les choses.

Par ailleurs, un groupe d'ambassadeurs africains a demandé à rencontrer les membres de notre comité. Après le congé de Pâques, nous organiserons une réunion avec eux. Je crois qu'ils sont une douzaine et ils souhaitent nous rencontrer.

Le sénateur Wallin : Pourquoi?

Le président : C'est une faveur que nous faisons à des membres du corps diplomatique, à l'occasion. S'ils devaient venir un à un, cela pourrait être difficile, mais comme ils nous ont offert de venir en groupe pour une rencontre informelle... C'est quelque chose que nous avons fait par le passé et nous le faisons encore, de temps à autre. C'est une faveur.

Au cas où vous n'auriez pas reçu l'avis, je mentionne que l'ambassadeur du Japon a invité les membres du comité à dîner le 28 avril — un mardi —, à sa résidence. Nous avons accepté, à condition que les membres du comité soient libres. Nous sommes invités pour 19 heures. Nous avons indiqué que nous siégeons généralement jusqu'à 19 heures, et que 19 h 30 nous conviendrait mieux. Nous vous reparlerons de cette invitation, mais au moins nous connaissons tous la date, maintenant, et c'est toute l'information que j'ai à vous communiquer.

Je vous remercie, chers collègues, d'être venus. Je vous reverrai la semaine prochaine.

(La séance est levée.)


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