Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 4 - Témoignages du 4 juin 2009
OTTAWA, le jeudi 4 juin 2009
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 45, pour étudier le projet de loi C-11, Loi visant à promouvoir la sûreté des agents pathogènes humains et des toxines.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Nous entamons aujourd'hui l'examen du projet de loi C-11, Loi visant à promouvoir la sûreté des agents pathogènes humains et des toxines.
Nous avons prévu deux réunions sur ce sujet, et aujourd'hui, nous entendrons des représentants du gouvernement ainsi qu'un professeur de l'Université Dalhousie. La semaine prochaine, nous avons prévu d'entendre des témoins qui ont des critiques à formuler, d'autres qui ont des modifications à proposer et, enfin, d'autres qui appuient le projet de loi. Le programme de cette deuxième réunion n'est pas encore arrêté, mais nous devrions donc entendre différents points de vue.
Même si nous approuvons l'objectif de ce projet de loi, nous devons cependant nous assurer qu'il n'aura pas de conséquences imprévues, et que ses dispositions ne vont ni trop loin ni pas assez loin. Comme on dit, nous sommes là pour faire un second examen objectif.
Nous accueillons aujourd'hui trois représentants du gouvernement. Le Dr David Butler-Jones est l'administrateur en chef de la santé publique, à l'Agence de la santé publique du Canada. La Dre Theresa Tam est la directrice générale de l'Agence de la santé publique du Canada, et Irit Weiser est avocate générale principale et chef des services juridiques, à Santé Canada. Comme je viens de le dire, nous entendrons ensuite Elaine Gibson, professeure et directrice associée du Health Law Institute, de l'Université Dalhousie.
Docteur Butler-Jones, nous allons commencer par vous.
Dr David Butler-Jones, administrateur en chef de la santé publique, Agence de la santé publique du Canada : J'ai le plaisir de me présenter aujourd'hui devant le Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie du Sénat afin de discuter du projet de loi C-11, Loi visant à promouvoir la sûreté des agents pathogènes humains et des toxines.
[Français]
Le projet de loi C-11 est une mesure législative importante qui permettra d'améliorer la sûreté au Canada puisqu'elle comble une lacune du système législatif canadien en ce qui concerne les agents pathogènes humains et les toxines.
[Traduction]
Votre comité a joué un rôle déterminant pour amener le gouvernement fédéral à répondre adéquatement aux problèmes de santé publique. Plus précisément, j'aimerais souligner le rapport préparé par votre comité en 2003, intitulé Réforme de la protection et de la promotion de la santé au Canada : Le temps d'agir, présidé par l'honorable sénateur Kirby et coprésidé par l'honorable sénateur LeBreton. J'aimerais également saluer le dépôt, hier, du rapport du Sous-comité de la santé des populations, par le sénateur Keon et le sénateur Pépin.
Le rapport sur la protection et la promotion de la santé a joué un rôle clé dans la création de l'Agence de la santé publique du Canada, et il a démontré la nécessité d'accorder au gouvernement fédéral la capacité nécessaire pour détecter les menaces pour la santé publique et pour agir en conséquence. Depuis sa création en 2004, l'Agence de la santé publique du Canada travaille à la mise en place d'un ensemble cohérent d'activités et de programmes qui, regroupés au sein d'une seule entité fédérale, permettent d'assurer la protection et la promotion de la santé publique.
Aujourd'hui, six ans après la crise du SRAS, qui était à l'origine du rapport du comité, et à la lumière de la récente éclosion du virus de la grippe H1N1, l'Agence de la santé publique du Canada joue incontestablement un rôle important dans l'amélioration de la protection de la santé des Canadiens.
[Français]
Au même titre que la création de l'agence, le projet de loi C-11 fait partie des étapes de mise en place des mesures appropriées visant à restreindre les risques pour la santé et la sécurité auxquels sont exposés les Canadiens.
[Traduction]
En vertu de la réglementation fédérale régissant actuellement les anthropopathogènes et les toxines, seuls les importateurs de ces produits sont tenus de respecter les Lignes directrices en matière de biosécurité en laboratoire, qui constituent la norme nationale en matière de biosécurité au Canada. Les laboratoires qui utilisent des agents pathogènes qui n'ont pas été importés ne sont soumis à aucune obligation fédérale en matière de sécurité. Ainsi, environ la moitié des laboratoires canadiens utilisant des anthropopathogènes ou des toxines ne sont pas tenus de respecter les Lignes directrices nationales en matière de biosécurité. Leur situation contraste vivement avec celle des quelque 3 500 autres installations du genre qui utilisent essentiellement les mêmes agents mais qui doivent respecter les Lignes directrices en matière de biosécurité en laboratoire depuis 15 ans, en application du Règlement sur l'importation des agents anthropopathogènes.
Ce vide juridique entraîne des risques inutiles non seulement pour ceux qui travaillent dans les laboratoires non réglementés, mais aussi pour la santé publique en général.
Actuellement, il est impossible de savoir avec certitude qui a accès à ces agents ou à ces toxines, et où ils sont entreposés. De plus, à l'heure actuelle, aucun organisme n'est chargé de recueillir des données à l'échelle nationale sur les infections contractées en laboratoire. Il s'agit d'une grave lacune en matière de sûreté, à laquelle nous devons remédier.
Les laboratoires universitaires et provinciaux du Canada réussissent à s'assurer que leurs étudiants respectent les protocoles de biosécurité appropriés. Cependant, il y a beaucoup d'autres laboratoires qui utilisent peut-être des agents dangereux comme la listériose et la salmonelle, mais qui ne sont pas tenus de respecter les Lignes directrices en matière de biosécurité en laboratoire parce qu'ils n'importent pas les agents en question.
Aucune exigence ne vise à assurer l'application appropriée des lignes directrices en matière de biosécurité dans ces laboratoires; il s'agit là d'une situation inacceptable. Qui plus est, et c'est sans doute encore plus grave, des personnes qui ont accès aux agents les plus dangereux ne sont pas tenus d'avoir une habilitation de sécurité.
[Français]
De toute évidence, il est nécessaire d'écarter ces risques.
[Traduction]
Selon les dispositions du projet de loi C-11, les personnes qui ont accès aux agents pathogènes les plus dangereux, classés dans les groupes de risque 3 et 4, et à certaines toxines en particulier devront avoir une habilitation de sécurité appropriée. Les laboratoires fédéraux observent déjà cette pratique, qui devrait devenir la norme partout ailleurs.
L'objectif du projet de loi C-11 n'est pas d'alourdir le fardeau réglementaire. En fait, comme la majorité des laboratoires respectent généralement les Lignes directrices en matière de biosécurité, en application du Règlement sur l'importation des agents anthropopathogènes, le projet de loi devrait avoir peu d'incidence sur leurs activités. Toute personne qui manipule des anthropopathogènes ou des toxines devra faire preuve de toute la prudence nécessaire, conformément aux dispositions sur le devoir de prudence, à l'article 6. Le projet de loi C-11 nous permettra de savoir qui est en possession d'anthropopathogènes et de toxines, en plus de nous aider à intervenir et à collaborer avec nos partenaires internationaux lorsqu'un problème se pose en matière de santé.
Le gouvernement a consulté les parties prenantes ainsi que les provinces et les territoires, avant de rédiger la Loi sur les agents pathogènes humains et les toxines, et leurs commentaires ont été pris en compte dans le projet de loi C-11.
Les provinces, les territoires et les parties prenantes ont par la suite comparu devant le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes, et leurs témoignages ont mené à l'adoption de 12 amendements prudents au projet de loi, par la Chambre des communes. Ces amendements ont pour objectif d'accroître la fermeté et la transparence du projet de loi. Ils en respectent l'intention stratégique et répondent directement à de nombreuses préoccupations exprimées par les parties prenantes. Ces amendements ont rallié un appui général à la Chambre des communes, ce qui démontre le bien-fondé de cet important projet de loi.
Au fur et à mesure que nous progresserons relativement à ce projet de loi et aux règlements subséquents, nous devrons trouver un juste équilibre entre les besoins de la science et de la recherche, d'une part, et la nécessité d'améliorer notre sécurité, d'autre part.
Pour parvenir à cet équilibre, l'Agence de la santé publique du Canada mènera des consultations de grande envergure sur la façon d'élaborer le programme et le cadre réglementaire du projet de loi C-11.
[Français]
La participation des intervenants est essentielle à la réussite de cette initiative. Nous espérons poursuivre le dialogue et aller de l'avant.
[Traduction]
Je vous invite à appuyer cette mesure législative, et je suis disposé à répondre aux questions.
Le président : Les deux personnes qui vous accompagnent ont-elles une déclaration liminaire?
Irit Weiser, avocate générale principale et chef des services juridiques, Santé Canada : Non, nous sommes ici pour répondre aux questions.
Le président : Il y a plusieurs points qui sont ressortis des témoignages déposés devant le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes et sur lesquels j'aimerais revenir. Il y a notamment le fait que les règlements d'application de ce projet de loi n'entreront peut-être pas en vigueur avant cinq ans. Est-ce exact? Si oui, qu'allons- nous faire en attendant?
Deuxièmement, il semblerait que les dispositions concernant le groupe de risque 2 puissent avoir des conséquences imprévues. Je sais que nous entendrons probablement des témoins à ce sujet la semaine prochaine, mais le Comité de la santé de la Chambre des communes a appris au cours de ses audiences qu'un permis ne serait pas nécessaire pour les produits du groupe 2, qu'il suffirait de s'inscrire auprès de l'agence.
Pourriez-vous nous dire ce qu'il en est exactement, et nous expliquer ce qu'il y a de différent, sur le plan administratif, entre le permis et l'inscription?
Dr Butler-Jones : Merci beaucoup de votre question. Je vais vous donner une brève réponse, et ensuite, je demanderai à la Dre Tam de vous donner plus de détails.
Les règlements vont prendre un certain temps. Nous voulons en effet faire toutes les consultations nécessaires et donner aux laboratoires le temps nécessaire pour s'y conformer. Parallèlement, une fois que le projet de loi sera promulgué, nous allons vérifier auprès de tous les laboratoires pour savoir lesquels sont vraiment en possession d'agents pathogènes. Autrement dit, s'il arrive quoi que ce soit, nous saurons qui est en possession de quoi. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la moitié des laboratoires respectent déjà ces normes étant donné qu'ils utilisent des agents pathogènes importés.
Deuxièmement, en ce qui concerne les agents du groupe de risque 2, nous avons déjà eu dans le passé un certain nombre d'incidents qui seraient tombés dans cette catégorie. Par exemple, dans les années 1970, il y a eu une mini- pandémie d'une souche H1N1 — différente de celle que nous connaissons aujourd'hui — qui a donné naissance à des souches circulantes depuis. La souche initiale n'est pas à l'origine de celle que nous connaissons aujourd'hui, mais elle semble provenir d'un laboratoire, et on sait qu'elle a touché des milliers et des millions de personnes dans le monde.
Nous avons eu un autre cas aux tout débuts de l'agence, lorsque, dans le cadre d'essais inter-laboratoires, on a fait circuler la souche H2N2, qui était la dernière pandémie des années 1960 et contre laquelle aucune personne née après cette date n'était immunisée, dans différents laboratoires du monde entier. Autrement dit, on a fait tester cette souche par différents laboratoires afin de déterminer s'il s'agissait du virus de l'influenza. Ça fait partie du processus d'homologation des laboratoires, et cela comprend les cabinets des médecins.
Quoi qu'il en soit, la souche a été envoyée, par erreur, sous forme de H2N2. Normalement, on aurait dû envoyer le H3N2, l'un des virus en circulation à l'époque, qui ne constitue pas une menace supplémentaire. Nous avons toutefois réussi à retracer rapidement le H2N2 parce qu'il avait été importé, que les règlements étaient en vigueur et que, par conséquent, nous savions qui en avait et d'où il venait. Cela nous a permis de convaincre nos partenaires aux États- Unis et à l'OMS de contacter tous les laboratoires du monde entier pour les enjoindre d'éliminer ce virus qui aurait pu être la source d'une pandémie, ce qui aurait été particulièrement embarrassant pour nos cousins américains.
Cela dit, je vais laisser la Dre Tam vous donner plus de détails.
Dre Theresa Tam, directrice générale, Agence de la santé publique du Canada : La mise en œuvre du nouveau dispositif législatif se fera en trois phases. Dès la sanction royale, certaines interdictions entreront en vigueur immédiatement, notamment celle concernant l'utilisation de certains anthropopathogènes comme le virus de la variole. Personne ne pourra manipuler le virus de la variole.
Il sera également interdit, dès que le projet de loi aura reçu la sanction royale, de rejeter volontairement des anthropopathogènes ou des toxines représentant un risque pour la santé et la sécurité.
Entreront également en vigueur les dispositions sur les précautions raisonnables, c'est-à-dire l'obligation de vigilance qui s'appliquera à toute personne qui manipule sciemment des anthropopathogènes et des toxines.
Dès sa sanction royale, la loi obligera toute personne qui est possession d'anthropopathogènes ou de toxines de nous fournir certaines données de base. Dans les 90 jours, toutes les personnes qui utilisent ces agents pathogènes devront fournir à l'Agence de la santé publique du Canada leur nom et leurs coordonnées, ainsi que des renseignements de base sur le type d'agents pathogènes qu'elles ont en leur possession, en indiquant s'il s'agit d'agents des groupes de risque 2, 3 ou 4. Il ne s'agit là que de données de base, car on n'en est pas encore à l'étape des conditions à respecter pour obtenir un permis.
À ce moment-là, nous aurons une idée précise du nombre de laboratoires qui ne sont pas assujettis aux règlements sur les anthropopathogènes importés. Cela nous donnera aussi une occasion de communiquer avec tous ces laboratoires.
La phase 2, dont je ne peux pas prédire la durée, consistera à élaborer les programmes et le dispositif réglementaire. Étant donné qu'il faudra un certain temps pour procéder aux consultations qui sont prévues et pour élaborer les règlements et les autres programmes nécessaires, cette phase durera peut-être jusqu'à deux ans.
Pour ce qui est de la phase 3, elle nous permettra de donner aux laboratoires le temps de se conformer aux nouvelles dispositions de la loi. À cette étape-là, toutes sortes d'exigences devront être respectées, notamment l'obtention d'un permis et la communication de rapports sur les inventaires. Nous demanderons donc aux parties prenantes de nous indiquer de quel délai elles ont besoin pour se mettre en conformité. Ce sera peut-être cinq ans, nous n'en savons rien, mais en tout cas il faudra attendre un certain temps avant que cette troisième étape ne soit franchie.
Le Règlement sur l'importation des agents anthropopathogènes continuera de s'appliquer jusqu'à sa révocation pendant la troisième phase, si bien qu'il n'y aura jamais de vide à ce niveau-là.
Pour ce qui est des agents pathogènes du groupe de risque 2, le Dr Butler-Jones vous a expliqué pourquoi ils étaient dangereux et pourquoi il était important qu'ils tombent sous le coup de ce projet de loi. L'objectif du programme est avant tout de traiter ces agents pathogènes en fonction de leur niveau de risque, et il est prévu que les anthropopathogènes du groupe de risque 2 seront assujettis à des conditions d'utilisation moins rigoureuses.
Plusieurs amendements ont été apportés au projet de loi, lors de son examen à la Chambre des communes, qui en précisent l'objectif. Il a ainsi été décidé de ne plus exiger d'habilitation de sécurité pour les personnes qui ont accès à des agents pathogènes du groupe de risque 2. C'est maintenant plus explicite dans la loi. De plus, les amendements précisent que le gouverneur en conseil doit tenir compte des divers degrés de risque associés aux anthropopathogènes lorsqu'il prend des règlements. En conséquence, le groupe de risque 2 sera assujetti à des exigences réglementaires moins sévères puisque ces produits présentent moins de risques. D'autres amendements ont permis de réduire les amendes pouvant être infligées en cas de contravention à la loi et aux règlements, pour ce qui est des anthropopathogènes du groupe de risque 2. Par ailleurs, étant donné que certains témoins nous ont demandé de ne pas attendre les règlements pour préciser certaines choses, nous avons, par voie d'amendement, essayé d'apporter les précisions demandées.
Les laboratoires qui utilisent des pathogènes du groupe de risque 2 devront avoir un permis à partir de la phase 3. Pour l'instant, nous n'avons pas l'intention de supprimer cette exigence, mais les conditions pourront varier s'il s'agit d'inventaires, par exemple. Pour les agents pathogènes du groupe de risque 2, il suffira peut-être que les laboratoires inscrivent eux-mêmes le genre d'agents pathogènes qu'ils ont en leur possession. Autrement dit, il se peut que les exigences relatives aux inventaires et aux agents de la sécurité biologique soient moins rigoureuses,
Pour revenir à votre question, je vous dirai qu'il n'a jamais été question de dispenser cette catégorie de laboratoires de l'obligation d'obtenir un permis.
Dr Butler-Jones : Les modalités du permis seront bien sûr différentes si le laboratoire n'a en sa possession que des agents pathogènes du groupe de risque 2. Ils sont inclus dans les règlements parce que les agents pathogènes d'un même groupe de risque ne posent pas tous les mêmes risques. Dans le groupe 3, certains agents pathogènes ne présentent pas un risque aussi grand que d'autres, pour la santé publique ou pour les laboratoires. Il ne faut donc pas essayer de traiter tous les agents pathogènes du groupe 2 ou du groupe 3 de la même façon, et les consultations vont servir en partie à déterminer cela. Nos connaissances scientifiques évoluent avec le temps, et le soin que vous devez apporter à la manipulation d'un produit peut varier en conséquence, d'où la nécessité d'inscrire ces modalités dans les règlements plutôt que dans la loi.
Par exemple, si vous indiquez seulement H1N1 pour votre programme de vaccination, et qu'une forme totalement nouvelle du H1N1 circule dans la population et risque de causer une pandémie, vous devez, au moins au début, avoir la possibilité de traiter ce nouveau virus différemment du H1N1 normal. Les règlements vous permettent de le faire, mais avec une loi, c'est plus difficile.
Le sénateur Segal : Avant de poser des questions, j'aimerais, en tant que citoyen, exprimer ma reconnaissance au Dr Butler-Jones et à l'Agence de la santé publique du Canada pour la façon dont ils ont piloté le dossier du H1N1. La population a été tenue remarquablement bien informée, et je suis sûr que cela a aidé les Canadiens à s'acquitter de leurs obligations et de leurs responsabilités quotidiennes en ce qui concerne l'hygiène personnelle. Nos fonctionnaires sont trop souvent la cible de critiques injustifiées, et il ne faut pas hésiter à les féliciter quand ils réussissent à accomplir des merveilles malgré des circonstances très difficiles. Je suis donc ravi d'avoir l'occasion de vous le dire, et je sais que je m'exprime au nom de millions de Canadiens.
Pour ce qui est du projet de loi, j'ai quatre brèves questions à vous poser.
Premièrement, le rejet d'agents pathogènes n'est-il pas illégal, à l'heure actuelle? Il me semble que la Dre Tam a dit que le projet de loi rendait cet acte illégal, mais ne l'est-il pas déjà pour ce qui concerne un grand nombre d'agents pathogènes?
Deuxièmement, je pars du principe que les techniciens de laboratoire, les scientifiques, les médecins et les chercheurs sont des citoyens et qu'à ce titre, ils ont des droits, notamment celui d'être protégés contre des fouilles et des saisies injustifiées. Ils ont aussi le droit d'être présumés innocents, alors que ce projet de loi permet de les présumer coupables d'une infraction. J'aimerais que vous me disiez, madame l'avocate ou docteur Jones, ce que vous en pensez. Le ministère de la Justice vous a-t-il dit que l'article 41 du projet de loi, qui me semble très arbitraire, est conforme à la Charte des droits et libertés? Madame l'avocate pourrait-elle nous dire ce qu'elle en pense?
Je suis sûr que l'intention était bien de respecter la Charte des droits et libertés, mais le projet de loi risque de poser des problèmes. Il serait donc très utile que vous nous donniez quelques explications.
Je voudrais également parler de la différence qui existe entre une loi prophylactique, c'est-à-dire qui prévient les incidents néfastes, et je crois que ce projet de loi appartient à cette catégorie, et une loi réactive qui s'applique lorsque des incidents indiquent l'existence d'un grave problème qu'il faut corriger. S'il y a eu de graves problèmes dans le passé, mis à part les erreurs de laboratoire qui peuvent se produire de temps à autre et que vous avez répertoriées pour les États-Unis et ailleurs, pouvez-vous nous dire s'il existe une liste de ces problèmes? S'il n'y en a pas, ne craignez-vous pas que ce projet de loi, quoique plein de bonnes intentions, n'ait par la suite des conséquences négatives, comme l'a dit le président, qui iraient en fait à l'encontre de l'intérêt public à certains égards?
Permettez-moi de vous donner un exemple. Si, Dieu nous en garde, nous devons un jour intervenir d'urgence au sujet d'un agent pathogène, et que le chimiste ou chercheur qu'on nous recommande de consulter se trouve au Japon, devrons-nous l'obliger à demander une habilitation de sécurité alors que chaque minute, chaque heure sera peut-être cruciale? Je n'ai pas très bien compris non plus, mais je n'ai peut-être pas bien lu le projet de loi, qui va délivrer l'habilitation de sécurité. Va-ton poser à ces gens-là le même genre de questions que posent la GRC, le SCRS ou l'ARC avant de délivrer cette habilitation, ou bien va-t-on les soumettre à un processus spécial, davantage lié aux agents pathogènes? Je vais en rester là pour l'instant, et poserai mes autres questions plus tard.
Dr Butler-Jones : Merci, sénateur. Je vais voir si je peux répondre à toutes vos questions, et je donnerai ensuite la parole à la Dre Tam et à l'avocate.
Premièrement, il s'agit moins de sanctionner un cas de rejet volontaire d'agents pathogènes que de savoir précisément la nature et l'emplacement de ces agents. Le rejet volontaire est un acte peu courant, en fait, un acte terroriste, qui tombe sous le coup d'autres dispositions.
Ce projet de loi vise à garantir la mise en place des procédures bio sécuritaires appropriées dans tous les laboratoires canadiens qui manipulent des anthropopathogènes et des toxines. Ces procédures sont déjà en place dans les laboratoires qui importent de tels produits, soit environ la moitié de tous les laboratoires. Nous voulons les élargir à tous les autres laboratoires, mais nous ignorons tout simplement quels types de produits ils ont en leur possession. Le problème vient donc du fait que nous ignorons à la fois quels produits ils utilisent et s'ils respectent les règles élémentaires de biosécurité.
Ça ne devrait pas poser de difficultés aux laboratoires universitaires et autres laboratoires de pointe. Nous espérons que les autres se conformeront facilement aux normes, mais nous ne pouvons pas vous le dire aujourd'hui. Dans ce sens, on peut dire que la loi est prophylactique. Étant donné que nous nageons ici dans l'inconnu, le potentiel de risque est élevé.
Par exemple, nous avons constaté que des réfrigérateurs pleins de virus avaient été laissés tels quels dans des laboratoires désaffectés et que personne ne savait ce qu'ils contenaient. Une fois les gens partis, que faites-vous? Vous ignorez où les produits ont été envoyés ou ce qu'on en a fait; très souvent, il n'y a pas d'intention criminelle, simplement de la négligence ou un manque de responsabilité.
Cela fait maintenant 15 ans qu'existent les règlements sur les importations et les exportations et les critères de délivrance des permis qui en sont issus. Nous n'avons jamais eu de problèmes avec ces laboratoires. Chaque fois qu'il y a eu des doutes, nous avons réussi à régler le problème en leur envoyant nos experts. Ils veulent tous être en mesure de le faire, et tous ceux qui manipulent des agents pathogènes vont pouvoir avoir accès à ces experts qui iront vérifier qu'ils respectent bien les procédures établies, dans l'intérêt à la fois de leur personnel et du public tout entier.
La Dre Tam va vous donner plus de détails sur l'habilitation de sécurité, mais je peux vous dire que, depuis 4 ou 5 ans, nous essayons d'améliorer la collaboration internationale, et on l'a d'ailleurs vu pour le H1N1. Nous avons fait des essais en laboratoire pour les Mexicains; nous avons travaillé en étroite collaboration avec les Américains et les Mexicains; nous avons réussi à identifier le virus mexicain et nous en avons informé l'OMS, les Américains et nos autres collègues. Lorsque nous avons besoin d'un scientifique d'urgence, il nous suffit d'appeler un laboratoire au Japon et de lui demander telle ou telle chose. C'est ainsi que nous travaillons depuis plusieurs années, et cette collaboration a porté ses fruits pour le H1N1 et continuera de le faire à l'avenir.
Ce n'est donc pas un problème dans ce sens-là, à mon avis. Bien sûr, les gens se demandent s'ils ont l'expertise suffisante et s'ils réussiront à embaucher les bonnes personnes, et je vais laisser la Dre Tam vous en parler. Mais auparavant, je vais demander à Mme Weiser de vous parler des aspects juridiques.
Mme Weiser : Merci. Si j'ai bien compris votre question, ce sont surtout les dispositions relatives aux inspections qui vous préoccupent.
Le sénateur Segal : La nomination des inspecteurs, leur pouvoir de pénétrer dans des lieux, de saisir et de détruire des biens, bref de faire un tas de choses sans avoir reçu un mandat d'un juge de paix.
Mme Weiser : Les pouvoirs d'inspection conférés par ce projet de loi sont semblables à ceux que prévoient la Loi sur les aliments et drogues, la Loi sur les produits dangereux et bien d'autres lois fédérales et provinciales. Ils font partie intégrante des lois qui réglementent les activités réputées bénéfiques aux Canadiens, à condition qu'ils soient exercés selon les modalités prévues par la loi et les règlements.
L'objectif des inspections est de veiller à ce que les laboratoires réglementés observent les normes établies et à ce que les procédures déficientes soient corrigées afin de ne pas risquer de nuire à la population. De par leur nature, les inspections sont d'abord des mesures de routine visant à prévenir des problèmes, et moins des interventions résultant systématiquement d'une contravention présumée.
Le ministère de la Justice a examiné minutieusement les dispositions sur les inspections, à la lumière de la Charte des droits et libertés. Je ne peux pas vous faire part de ses avis en raison du privilège avocat-client, mais je peux vous reporter aux décisions qu'a prises la Cour suprême du Canada au sujet des inspections, dans le contexte de la Charte des droits et libertés, notamment en ce qui concerne le pouvoir de pénétrer dans des lieux et d'examiner des documents. Il s'agit des causes Potash et Thomson et, plus récemment, de la cause Jarvis. La Cour suprême a reconnu que les inspecteurs devaient avoir une certaine latitude.
Permettez-moi de vous lire quelques phrases de la décision rendue dans l'affaire Potash, où la Cour se reporte à une décision prise antérieurement dans l'affaire Thomson Newspapers :
Dans une société industrielle moderne, on reconnaît généralement que de nombreuses activités auxquelles peuvent se livrer des particuliers doivent malgré tout être plus ou moins réglementées par l'État pour veiller à ce que la poursuite des intérêts des particuliers soit compatible avec les intérêts de la collectivité dans la réalisation des buts et des aspirations collectifs. Dans de nombreux cas, cette réglementation doit nécessairement comporter l'inspection de lieux ou de documents de nature privée par des fonctionnaires de l'État. Pour vérifier si le restaurateur se conforme à la réglementation sur la santé publique, si l'employeur se conforme à la législation sur les normes et la sécurité du travail et si le promoteur ou le propriétaire se conforme au code du bâtiment ou aux règlements de zonage, il n'existe que l'inspection des lieux, et encore, celle qui est faite à l'improviste.
Cela ne veut pas dire que la Cour donne à l'État carte blanche. La Charte exige que les actions soient raisonnables, et ce, en tout temps. Les actions des inspecteurs doivent être conformes à la loi. Par exemple, la loi ne leur donne pas le pouvoir d'examiner des dossiers concernant l'impôt sur le revenu car cela déborde du cadre de la loi. Les inspections doivent toujours se faire selon les paramètres de la loi.
De même, la Loi sur la protection des renseignements personnels s'applique à toutes les mesures prises par les inspecteurs dans le cadre de la loi que nous examinons, ce qui confirme que ces mesures doivent être conformes à la loi. S'ils emportent du matériel, ça doit être dans le but de vérifier que ledit matériel est conforme à la loi. Comme je le disais tout à l'heure, ils n'ont pas carte blanche.
Le président : La commissaire à la protection de la vie privée a-t-elle été consultée?
Mme Weiser : Oui, longuement.
Le président : Elle n'a rien trouvé à redire à ces dispositions? Elle a accepté vos explications?
Mme Weiser : La commissaire à la protection de la vie privée a soulevé plusieurs questions, pour lesquelles elle a reçu des explications. En fait, certains amendements adoptés par le comité permanent de la Chambre des communes découlaient de questions qu'elle avait soulevées.
Le président : Si vous avez une autre question, sénateur Segal, je peux vous inscrire pour le deuxième tour, à moins que vous ne vouliez qu'une petite précision.
Le sénateur Segal : Les témoins étaient sur le point de répondre à la question sur l'habilitation de sécurité.
Le président : C'est en effet une question qui mérite une réponse.
Dre Tam : Ma réponse est simple. L'habilitation de sécurité ne sera exigée que pour les agents pathogènes du groupe de risque 4 et pour certains agents pathogènes du groupe de risque 3, autrement dit les agents pathogènes les plus dangereux. Nous avons l'intention d'appliquer les formalités ordinaires en matière d'habilitation de sécurité, tout en respectant les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels ainsi que d'autres dispositions.
S'il est nécessaire de faire venir quelqu'un d'urgence, la loi permet de le faire accompagner par une personne qui possède une habilitation de sécurité, de sorte que la surveillance est assurée. Si un scientifique étranger devait pénétrer dans le Laboratoire national de microbiologie, il faudrait qu'il soit accompagné, et je pense que c'est raisonnable.
Le sénateur Callbeck : Docteur Butler-Jones, vous avez dit dans votre déclaration que les provinces et les territoires avaient été consultés. Ont-ils exprimé des réserves et, dans l'affirmative, y avez-vous répondu?
Dr Butler-Jones : Je vais vous répondre en deux temps. C'est vrai qu'ils ont exprimé des réserves, au niveau de l'application de la loi. Comme vous le savez, c'est la deuxième fois que le projet de loi est présenté. La première fois, il y avait eu des consultations auprès des universitaires, des provinces, des territoires et d'autres parties prenantes, et la première version du projet de loi avait été modifiée en conséquence. Par exemple, on avait supprimé les détails sur l'habilitation de sécurité et on n'avait pas séparé le groupe de risque 2 des autres, justement parce que, pendant ces consultations, on nous avait demandé d'intégrer tous ces détails dans les règlements, qui sont plus souples, qu'on peut adapter selon les besoins, et cetera. C'est donc ce qu'on a fait. Quand ce deuxième projet de loi a été présenté, les gens ont dit qu'il était trop vaste. Les amendements ont eu pour but de répondre aux préoccupations exprimées quant à l'objectif général du texte, et nous allons continuer de travailler avec les parties prenantes pour la rédaction des règlements.
Nous avons discuté avec tous les médecins chefs, adjoints et autres, et nous savons qu'ils approuvent l'objectif du projet de loi et ce que nous proposons de faire. Au final, ce n'est que lorsque les règlements seront en place et que les gens verront la façon dont ils sont appliqués qu'ils pourront dire s'ils sont satisfaits ou non. Nous avons déjà l'expérience de 15 années d'application des règlements sur l'importation et l'exportation, dont les gens sont tout à fait satisfaits. Nous ne pensons donc pas qu'il y aura des problèmes.
Il y a encore toute la question du niveau de détail des règlements, et nous avons bien l'intention de les consulter, d'abord sur le processus de consultation lui-même afin de nous assurer que nous nous adressons aux personnes qu'ils nous auront recommandées, que nous discutons des questions qu'il faut aborder, et cetera.
Le sénateur Callbeck : Vous avez donc l'intention de faire participer les provinces à l'élaboration des règlements? Mais comment allez-vous informer les autres parties prenantes?
Dr Butler-Jones : De la même façon : nous avons déjà commencé à les consulter, notamment des universités. J'ai rencontré des présidents et vice-présidents de facultés des sciences, entre autres, et ils m'ont écrit. Je leur ai répondu, et ils m'ont dit qu'ils approuvaient ma réponse et ce que nous proposions de faire. Ils comprennent mieux maintenant comment nous comptons procéder. Ils espèrent pouvoir bientôt participer aux consultations et à l'élaboration des règlements. Cela concerne des laboratoires, des universitaires, des chercheurs, des PT, des représentants de l'industrie, et cetera.
Le sénateur Callbeck : Vous dites à la page 4 qu'environ la moitié des laboratoires au Canada ne sont pas obligés de respecter les Lignes directrices en matière de biosécurité en laboratoire. Que sont-ils censés respecter, dans ce cas?
Dr Butler-Jones : Cela dépend. Nous ne le savons pas parce que nous ne savons même pas combien il y en a exactement. Certaines juridictions et certaines provinces appliquent des règlements, mais ce sont surtout des règlements sur la santé et la sécurité, sur la qualité des essais, lorsqu'ils en font, et cetera. Ces règlements ne portent pas vraiment sur les questions qui nous intéressent aujourd'hui. Il y a donc un vide juridique, que ce projet de loi va permettre de combler, même dans les juridictions qui assujettissent déjà leurs laboratoires à certains règlements.
Le projet de loi ne réglemente pas les laboratoires, il réglemente la manipulation des agents pathogènes.
Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé de la moitié des laboratoires. Combien y en a-t-il au Canada?
Dr Butler-Jones : Nous pensons que nous en connaissons à peu près la moitié, ou plutôt que la moitié d'entre eux sont des importateurs et des exportateurs. Il se peut que ce chiffre soit plus élevé. Une fois que la loi sera promulguée, ils seront obligés de s'inscrire, par conséquent nous saurons alors combien il y en a.
Le sénateur Callbeck : Quand vous dites la moitié, ça représente combien de laboratoires? Cinquante?
Dr Butler-Jones : Nous pensons qu'à l'heure actuelle, il y a autant de laboratoires réglementés que de laboratoires non réglementés, mais nous n'avons pas de chiffres exacts car nous ne savons pas où ils se trouvent.
Le sénateur Callbeck : Combien sont actuellement réglementés?
Dr Butler-Jones : Trois milles cinq cent.
Le sénateur Eaton : Pourriez-vous nous parler des permis? Supposons que je représente un laboratoire, que je m'inscris en vous indiquant la nature des agents pathogènes que je manipule et que ces agents appartiennent au groupe de risque 2. Quel permis devrai-je demander?
Dre Tam : Ce genre de détails sera déterminé au cours de nos consultations. Par exemple, le permis s'adressera à ceux qui se livrent à des activités contrôlées. Pour ce qui est des agents pathogènes du groupe de risque 2, nous pensons que les formalités seront relativement simples. Par exemple, il vous suffira peut-être d'en fournir la liste en ligne et de vous engager à observer les lignes directrices en matière de biosécurité en laboratoire. Ce sont là les normes élémentaires que nous aimerions appliquer dans l'ensemble du pays. Donc, ils s'engageront à observer les lignes directrices et ils fourniront une liste en ligne des agents pathogènes qu'ils manipulent.
À partir de ce moment-là, ces laboratoires ne pourront se livrer à des activités contrôlées qu'avec des agents pathogènes du groupe de risque 2. Le permis portera également sur les exigences relatives aux inventaires, et les consultations vont nous aider à déterminer ce qui est raisonnable pour le groupe de risque 2 par rapport aux groupes de risque 3 et 4.
Pour le groupe de risque 2, nous ne pensons pas que nous aurons besoin de comptabiliser chaque flacon d'agents pathogènes. Nous aurons besoin de savoir quelle gamme d'agents pathogènes nous avons Canada, et leur nature. Pour les agents pathogènes du groupe de risque 4, par contre, nous avons besoin de savoir quelle quantité de virus Ébola un laboratoire a en sa possession et de comptabiliser chaque flacon. Bref, les exigences relatives à l'inventaire varieront selon les risques.
L'habilitation de sécurité ne sera pas exigée pour les agents pathogènes du groupe de risque 2, mais le sera pour les groupes de risque 3 et 4. Le permis précisera également les modalités de manipulation et de transfert des agents pathogènes. Par exemple, si vous en importez, le permis pourra en préciser les paramètres. Si vous transférez des agents pathogènes d'un laboratoire à l'autre au Canada, cela pourra être précisé dans le permis.
C'est donc ce que nous voulons essayer de faire au niveau de chaque laboratoire. Au moment où vous ferez votre demande, vous vous engagerez à n'avoir en votre possession que les agents pathogènes que vous inscrivez, à les manipuler conformément aux lignes directrices en matière de biosécurité, à ne les exporter qu'aux laboratoires indiqués, et, s'il y a lieu, à n'importer que les agents pathogènes indiqués.
Nous allons également déterminer les conditions dans lesquelles on doit disposer des agents pathogènes et des déchets. Voilà donc le genre de détails que devrait contenir le permis, mais cela pourra varier d'un groupe de risque à l'autre.
Le sénateur Eaton : Vous nous avez dit, docteur Butler-Jones, que les agents pathogènes et les toxines évoluent avec le temps et selon la façon dont vous les manipulez. Va-t-on revoir ces dispositions tous les deux ou trois ans? Qui va déterminer que, par exemple, le H1N1 n'appartient plus aux groupes de risque 3 ou 4 mais au groupe 2, et que le virus de la tuberculose n'appartient plus aux groupes 3 ou 4?
Dr Butler-Jones : L'un des amendements apportés au projet de loi permettra, c'est ce que nous voulions, de confier à un groupe consultatif le soin de vérifier régulièrement la composition des différents groupes de risque. Pour ce qui est de déterminer si un agent pathogène appartient au niveau 2 ou au niveau 3, les discussions se poursuivent, et c'est notamment l'une des raisons pour lesquelles ils voulaient que la loi soit plus générale, afin qu'on puisse préciser cela dans les règlements.
Les agents pathogènes du groupe de risque 2 ne présentent pas tous les mêmes risques et ne sont pas tous assujettis aux mêmes conditions de manipulation. Vous ne voulez pas nécessairement exiger une habilitation de sécurité pour le virus de la tuberculose, par exemple. Nous n'exigerons pas d'habilitation de sécurité pour les agents pathogènes du groupe 2, et pour ce qui est du groupe 3, nous en exigerons une pour certains agents pathogènes et pas pour d'autres. Par exemple, pour le virus du charbon, nous exigerons certainement une habilitation de sécurité. Un comité vérifiera tout cela régulièrement et donnera des avis scientifiques sur la façon de gérer les agents pathogènes.
Le sénateur Eaton : Madame Weiser, la loi prévoit que des accusations pourront être portées au pénal. Comment avez-vous déterminé les sanctions correspondantes?
Dr Butler-Jones : Par souci d'uniformité, nous avons veillé à ce que les dispositions de la loi soient, en substance, conformes aux dispositions des autres lois. Sur le plan pratique, si quelqu'un fait l'objet d'accusations, cela ne veut pas dire qu'il sera reconnu coupable ou qu'il se verra imposer une amende. Il faut donc prévoir certaines procédures, mais depuis 15 ans que nous réglementons 3 500 laboratoires au Canada, nous n'avons jamais eu à y recourir.
Le président : Puis-je poser une question supplémentaire? Que se passe-t-il en cas d'erreur administrative, si quelqu'un a fait preuve de négligence dans des écritures ou ce genre de choses? Vous allez maintenant avoir le pouvoir d'en faire un criminel. Il ne sera peut-être pas reconnu coupable, comme vous l'avez dit, mais il va devoir passer par des moments très éprouvants lorsqu'il va devoir se défendre contre des accusations. Comment allez-vous faire?
Dr Butler-Jones : Nous essaierons de régler le problème par la discussion, et non par des accusations. Dans le domaine de la santé publique, le dispositif législatif est assez musclé, mais nous utilisons rarement ce genre de dispositions. C'est vraiment le dernier recours face à une organisation ou à une personne qui refuse d'observer le règlement. Ce n'est pas l'erreur d'écriture en soi, c'est la menace que cela représente pour le public. Pendant les 15 années où nous avons appliqué des règlements et des dispositions législatives aux importations d'agents pathogènes, il n'y a jamais eu, que je sache, une seule accusation portée contre qui que ce soit. Personne n'a donc eu à se défendre contre une accusation, car le problème a été réglé par la discussion et le bon sens.
Le président : Certains des avocats vous diront que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Dans ce projet de loi, vous exposez les coupables à des sanctions beaucoup plus graves.
Dr Butler-Jones : Les dispositions de la loi sont raisonnables, et infliger une amende de plusieurs milliers de dollars à quelqu'un qui a commis une erreur d'écriture ou d'administration serait déraisonnable, à mon avis.
Mme Weiser : Les sanctions ont été calculées en fonction de la gravité de l'infraction. Par exemple, elles sont moins sévères pour le groupe 2 que pour les groupes 3 et 4, et selon qu'il y a eu ou non préméditation.
Par exemple, certaines infractions générales concernant des agents pathogènes du groupe de risque 2 sont passibles d'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et la sanction maximum pour une première infraction est une amende pouvant aller jusqu'à 50 000 $, sans peine d'emprisonnement. Les infractions concernant les groupes de risque 3 et 4 sont passibles de sanctions plus sévères, et le projet de loi prévoit des sanctions très précises lorsque les infractions sont commises volontairement, négligemment ou sciemment. Comme l'a dit le Dr Butler-Jones, ces dispositions sont semblables à celles qu'on retrouve dans d'autres lois contraignantes de ce type.
Ce projet de loi a été élaboré en vertu du pouvoir que la Constitution confère au Parlement de légiférer dans le domaine du droit pénal, et la Cour suprême a statué que ce pouvoir permettait au gouvernement fédéral de légiférer dans un grand nombre de domaines, pas seulement le Code criminel. Elle a ajouté que ce pouvoir correspondait à une rubrique de compétence, lorsqu'une interdiction est accompagnée d'une sanction et que l'interdiction se fonde sur un intérêt public légitime, ce qui comprend la santé et la sécurité du public. Comme vous le savez, ce projet de loi a pour objectif de protéger la santé et la sécurité du public.
De tout le dispositif législatif concernant la santé publique, le projet de loi C-11 n'est pas le seul texte à avoir été élaboré en vertu du pouvoir du Parlement de légiférer en droit pénal. Je vous signale que la Loi sur les aliments et drogues, la Loi sur les produits dangereux, la Loi sur le tabac et la Loi sur les armes à feu contiennent toutes ce type de sanctions.
Le sénateur Eaton : Vous avez dit que ce sont surtout des laboratoires universitaires et scolaires qui manipulent des agents pathogènes du groupe de risque 2. Par contre, si quelqu'un en déverse sciemment dans les eaux usées, c'est un autre problème. Un tel acte ne fait pas partie des activités normales du laboratoire. Ces dispositions sont donc là au cas où.
Mme Weiser : C'est exact.
Le sénateur Segal : L'avocate vient de dire que les tribunaux vous autorisent à utiliser le droit pénal de façon très large. D'aucuns prétendent que c'est la raison pour laquelle les gouvernements commencent à pénaliser des actes qui relèvent de la responsabilité civile, le projet de loi C-6 en étant un autre exemple. Ils le font essentiellement parce qu'ils en ont le droit, et moins que parce que c'est la meilleure façon de protéger le public. C'est ma question.
Mme Weiser : La rubrique de compétence relative au droit pénal est le principe selon lequel le gouvernement fédéral peut décider de légiférer. C'est tout. Selon la Cour suprême, il faut que l'interdiction soit accompagnée d'une sanction et qu'elle soit justifiée sur le plan pénal, ce qui comprend la santé et la sécurité du public. Nous utilisons cette rubrique de compétence dans un certain nombre de domaines importants pour le public, comme l'homologation des médicaments afin d'en assurer la sûreté, les restrictions imposées à la publicité sur le tabac afin de dissuader les gens de commencer à fumer. C'est donc cette rubrique de compétence qui permet au gouvernement de légiférer.
Le sénateur Keon : Le projet de loi me paraît assez clair, et il a déjà été pas mal trituré avant de nous parvenir.
Ma question porte sur les inventaires et la communauté internationale. Par exemple, pour ce qui est des anthropopathogènes et des toxines interdits, dans quelle mesure pouvez-vous vous fier à ce que vous disent les autres pays sur leurs inventaires? Avez-vous une idée de ce qu'ils ont en Corée du Nord?
Dr Butler-Jones : Je n'ai aucune idée de ce qu'ils ont en Corée du Nord. Cela varie d'un pays à l'autre. En tout cas, ce projet de loi nous permettra d'avoir une meilleure idée de l'inventaire des pays qui ont la même optique que nous.
À ce propos, on réfléchit déjà à ce qu'on pourrait ajouter aux règlements internationaux qui ont été établis dans le sillage du SRAS, soit avant le H1N1.
L'une des obligations qui incombent aux États membres consiste à ne pas exporter des problèmes, que ce soient des gens ou des produits. Or, si vous ne savez pas quels laboratoires ont des anthropopathogènes, qui les manipule et dans quelle mesure cette manipulation est raisonnablement conforme aux normes de sécurité, cela risque d'entacher votre réputation au niveau international. Cela dit, il est évident que certains pays manquent de transparence, mais il y a différentes façons de les sanctionner pour cela.
Le sénateur Keon : Pensez-vous que l'inventaire mondial auquel vous avez accès soit un reflet exact de la réalité?
Dr Butler-Jones : Non. Pour ce qui est du contenu de l'inventaire et de la localisation des produits, tout dépend du pays. Nous en avons une idée assez précise pour ce qui est des pays qui ont la même optique que nous — si je peux m'exprimer ainsi — et avec lesquels nous traitons régulièrement. Certains d'entre eux contrôlent d'ailleurs bien mieux que nous leur inventaire.
Par contre, dans d'autres pays, nous ne savons pas trop ce qui se passe, même si les choses évoluent quelque peu. À cet égard, l'établissement de règlements sanitaires internationaux a amélioré la situation, tout comme l'engagement direct de l'OMS dans ces pays. Ainsi, nos relations avec la Chine sont beaucoup plus transparentes depuis le SRAS. Un membre du personnel de l'Agence de la santé publique du Canada est même posté à Beijing où il est en contact constant avec les Chinois sur toutes sortes de dossiers de santé publique.
La situation s'est donc beaucoup améliorée, mais ça pourrait encore être mieux. Avec le temps, au fur et à mesure que d'autres pays mettront en place le dispositif dont nous sommes en train de nous doter — ce que beaucoup ont déjà fait — la sécurité des produits s'en trouvera grandement renforcée au niveau international.
Dre Tam : Du point de vue de la santé publique, nous savons, en tout cas nous pensons savoir, quels laboratoires ont le virus de la variole en leur possession. Mais il y a toujours un risque que quelqu'un l'ait oublié dans un réfrigérateur et que personne n'en sache rien. Le virus de la variole était jadis très répandu dans le monde.
Le virus de la polio en est un autre exemple. Des efforts sont déployés à l'échelle internationale pour essayer de localiser et de répertorier ce virus dans les régions où la maladie a disparu et où elle est sur le point d'être éradiquée. Le projet de loi C-11 nous permettra de savoir beaucoup plus précisément quels laboratoires au Canada ont en leur possession le virus de la polio. C'est une obligation que nous avons contractée au niveau international, et en retour, nous recevrons les mêmes informations des autres pays. L'OMS a des données précises sur la localisation du virus de polio dans le monde entier.
Le virus du SRAS en est un autre exemple. À l'heure actuelle, ce virus n'est plus en circulation chez les humains. Il ne peut réapparaître que de deux façons. Premièrement, il peut réapparaître là où il est apparu pour la première fois. Deuxièmement, de nombreux laboratoires ont fait des essais sur le virus du SRAS. Même au Canada, divers laboratoires ont un grand nombre de spécimens en leur possession. Il sera donc utile de savoir précisément qui en a au Canada, et également dans le monde entier.
Le sénateur Dyck : C'est un projet de loi important et nécessaire. J'ai deux questions à vous poser au sujet de l'inventaire et des inspecteurs.
En ce qui concerne l'inventaire, j'ai vu qu'il y avait plusieurs neurotoxines dans la liste d'éléments chimiques, notamment la tetrodotoxine et l'anatoxine coquelucheuse. Je suppose que ce sont les laboratoires neuroscientifiques qui manipulent ce genre de toxines. Or, ce projet de loi vise principalement les laboratoires microbiologiques. Comment allez-vous faire pour contacter les laboratoires qui se considèrent en dehors de l'Agence de la santé publique du Canada ou du réseau national de laboratoires microbiologiques, afin de leur demander de répertorier les toxines qu'ils pourraient avoir en leur possession?
Dre Tam : Nous avons élaboré une stratégie de communication qui nous permettra de diffuser très largement le projet de loi dès qu'il aura reçu la sanction royale. Nous utiliserons toutes sortes de réseaux, d'établissements universitaires et de sites Internet pour en faire la promotion. Nous attendons beaucoup de questions, et il se peut que, dans de nombreux cas, nous ayons à examiner la situation au cas par cas.
Après la sanction royale, les gens devront nous envoyer le nom et les coordonnées d'une personne-contact. À ce moment-là, nous aurons une meilleure idée de la situation dans les laboratoires dont vous parlez, et nous prendrons les mesures appropriées.
Donc, le projet de loi sera largement diffusé dès qu'il aura reçu la sanction royale.
Le sénateur Dyck : Et les fournisseurs de ces laboratoires? Allez-vous les contacter eux aussi?
Dre Tam : Oui, les gens qui exportent ou transfèrent des agents pathogènes sont inclus dans notre liste. Par exemple, les gens qui conçoivent les tests inter-laboratoires envoient des échantillons de virus à tous les laboratoires dans le but de tester leurs capacités de les identifier. Ces gens-là seront contactés. L'industrie l'a déjà été, mais nous enverrons d'autres communications.
Dr Butler-Jones : Il y aussi les associations professionnelles. Nous avons toutes sortes de réseaux à notre disposition.
Le sénateur Dyck : Pour ce qui est des inspecteurs, vous avez dit que le ministre de la Santé va mettre sur pied un comité consultatif. Le projet de loi définit le mécanisme selon lequel ce comité consultatif aidera le ministre à élaborer des règlements pour les agents de la sécurité biologique. Ce comité participera-t-il aussi à la rédaction des règlements relatifs aux qualifications et à la nomination des inspecteurs, qui vont avoir des pouvoirs importants et jouer un rôle déterminant dans l'application de ce projet de loi?
Dr Butler-Jones : Le comité sera mis sur pied dès que le projet de loi aura été adopté. Il permettra, après toutes les consultations, de poursuivre encore la réflexion. Nous avons déjà des règlements sur les qualifications des inspecteurs, mais par exemple, nous essaierons de discuter avec les provinces qui ont déjà un dispositif réglementaire pour les laboratoires, afin de voir s'il est possible de combiner nos efforts plutôt que d'avoir chacun nos propres inspecteurs. Ainsi, les inspecteurs provinciaux pourraient être habilités à exécuter les tâches prévues par le projet de loi, en plus de ce qu'ils font normalement. Il va donc falloir entamer un dialogue avec les provinces, les territoires et les autres juridictions. Il va également falloir déterminer les qualifications et les autres critères qui sont nécessaires pour ce genre de poste.
Tout cela reste à déterminer, et nous sommes prêts à examiner toute suggestion à ce sujet.
Le sénateur Dyck : Il me semble bien que le projet de loi oblige le ministre à consulter le comité consultatif au sujet des agents de la sécurité biologique, mais pas au sujet des inspecteurs.
Dr Butler-Jones : Nous avons l'intention de le faire.
Le sénateur Dyck : Peut-être, mais ce n'est pas prévu dans le projet de loi.
Dre Tam : Pas de façon explicite, mais le comité consultatif est mentionné dans deux articles qui portent sur les groupes de risque, aux annexes 1, 2, 3 et 4, et là, c'est plus explicite.
Nous pourrons en tenir compte lors de l'élaboration des aspects programmatiques.
Le sénateur Martin : J'aimerais me faire l'écho du sénateur Segal lorsqu'il a dit tout à l'heure que la récente épidémie de H1N1 avait été particulièrement bien gérée par les autorités et notre ministre. J'aimerais poser une question à ce sujet, car on en a beaucoup parlé aux nouvelles et cela a vivement inquiété les Canadiens. Nous avons aussi beaucoup appris de cette expérience.
Pensez-vous que le projet de loi nous donne davantage de moyens pour faire face à une épidémie?
Dr Butler-Jones : Oui, et pour plusieurs raisons. Par exemple, on a décelé l'agent pathogène H2N2 chez un individu, et, en remontant la filière, on a constaté que le virus avait été répandu à la suite de tests inter-laboratoires. Dans ce cas- là, il nous sera plus facile d'en suivre la trace car nous saurons quels laboratoires en ont en leur possession, avant d'en ordonner la destruction.
Dans le cas du virus actuel H1N1, je ne suis pas sûr que le projet de loi nous donne plus de moyens, car il s'agit d'un virus nouveau. Personne ne l'a en laboratoire. Il n'est pas en circulation. C'est un nouveau virus humain. Nous ne savons pas d'où il vient, si c'est de la Californie, du Mexique ou même du Canada.
Comme l'a dit la Dre Tam, le SRAS est très différent. Il a une longue période d'incubation, et il faut être malade avant de pouvoir le transmettre. Nous réussissons à le contenir en l'isolant et en l'empêchant de se propager.
Si le H1N1 était comme ça ou comme un autre virus, une fois qu'on a réussi à le contenir, on peut en limiter la manipulation aux laboratoires qui en ont. Par contre, et c'est là un gros souci, si des laboratoires du Canada ont le virus du SRAS en leur possession et que nous n'en savons rien, le virus risque de réapparaître.
Pour l'épidémie des années 1970, les gens supposent que le H1 provenait d'un laboratoire étant donné qu'il était différent du virus des années 1950 et, surtout, de celui que nous connaissons aujourd'hui. Encore une fois, il est important de savoir où le virus se trouve, afin qu'on puisse le circonscrire ou prendre les mesures pour que la situation ne se reproduise pas.
En Grande-Bretagne, les cas de charbon chez les bovins se sont produits à proximité du laboratoire qui manipulait ce virus. Nous avons pu le déterminer parce que nous savions que ce laboratoire était en possession de ce virus. Certes, cela n'a pas empêché la poussée épidémique, mais quand on sait pourquoi elle s'est produite, on peut demander au laboratoire de prendre les mesures nécessaires pour que cela ne se reproduise pas.
Il y a toujours des surprises. Dans le domaine de la santé publique, on ne peut pas tout prévenir. Et quand on ne peut pas prévenir certaines situations, on en tire des leçons afin d'éviter qu'elles ne se reproduisent.
Le sénateur Martin : Pour ce qui est de la communauté internationale, pensez-vous que ce projet de loi renforcera notre capacité de traçage des virus et que cela facilitera notre participation internationale?
Dr Butler-Jones : Cela va certainement nous aider à nous acquitter de nos responsabilités en matière de règlements sanitaires internationaux, comme l'a dit la Dre Tam, pour des virus comme celui de la polio, car nous connaîtrons mieux la composition et la localisation de nos inventaires.
Le sénateur Champagne : Je vous remercie de votre déclaration. Je me pose une question qui déborde peut-être un peu du cadre du projet de loi C-11. Vous dites que vous avez besoin de savoir précisément quels agents pathogènes se trouvent dans quels laboratoires, et cetera.
Le groupe de risque 2 comprend des agents pathogènes plus bénins que les autres groupes, mais je constate que la liste qui figure ici comprend des agents pathogènes qui causent régulièrement des problèmes dans nos meilleurs hôpitaux. Je pense par exemple au clostridium difficile, au pseudomonas aeruginosa et au staphylococcus aureus. Va-t-on réussir un jour à stopper la propagation de ces bactéries dans notre propre système de santé, dans nos propres hôpitaux?
Je sais de quoi je parle, car j'ai moi-même attrapé le neisseria meningits et le staphylococcus aureus, et j'ai failli en mourir, mais heureusement, je suis ici.
Quand je vois ces bactéries dans la liste du groupe de risque 2, je me demande si le projet de loi C-11 va empêcher quelqu'un dans un laboratoire de propager ces bactéries. Pouvez-vous empêcher quelqu'un de le faire dans un hôpital?
Dr Butler-Jones : C'est une bonne question, et je suis moi aussi heureux que vous soyez ici.
Le projet de loi ne vise pas à contrôler les infections nosocomiales, puisque c'est ce dont vous parlez. Notre rôle à cet égard est de collaborer avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, entre autres. Nous établissons des lignes directrices sur le contrôle des infections. On sait que des milliers de Canadiens meurent chaque année d'infections nosocomiales. C'est donc un défi de taille.
Justement, en mettant l'accent sur la nécessité de se laver les mains et de mettre la main devant sa bouche quand on tousse pour lutter contre le virus H1N1, on réussira peut-être à convaincre le personnel des hôpitaux et d'autres de l'importance de se laver les mains. Ce sont mes collègues et moi qui propageons le virus de la grippe dans les maisons de soins infirmiers, d'une personne à l'autre. Ce ne sont pas les proches des malades qui les contaminent, car ces proches ne viennent voir qu'une personne. Nous, médecins, nous passons d'un malade à l'autre. Dans la plupart des juridictions, seulement la moitié d'entre nous se fait vacciner contre la grippe. C'est donc un gros problème, mais le projet de loi ne porte pas là-dessus.
Le projet a ses limites. Il ne porte pas sur les laboratoires qui ne font que des essais, mais plutôt sur ceux qui ont en leur possession, reproduisent et manipulent des agents pathogènes. Il ne porte pas non plus sur ce qu'il y a dans l'environnement. Or, la plupart des bactéries se trouvent dans l'environnement ou chez l'un d'entre nous. Enfin, il ne vise pas à réglementer les personnes qui sont infectées ou l'environnement dans lequel se trouve la bactérie. La listériose est présente dans l'environnement, tout comme le charbon et d'autres agents pathogènes.
Le projet de loi porte plutôt sur les laboratoires qui manipulent ces agents pathogènes, pas seulement pour poser un diagnostic, mais aussi pour la recherche, entre autres.
Dre Tam : Vous avez dit, je crois, qu'une personne qui utilise un échantillon ne tombe pas sous le coup de cette loi. Un technicien de laboratoire qui prélève un échantillon d'un agent pathogène dans le sang doit prendre des précautions afin d'éviter d'attraper le virus, mais cela n'est pas couvert par le projet de loi.
Même si un certain nombre de ces bactéries sont présentes dans l'environnement, ce n'est pas la même chose que dans un laboratoire, où on les produit en concentrations très élevées pour les placer dans des cultures spéciales. Ce n'est pas du tout la même chose que lorsque la bactérie se trouve dans son état naturel, même dans un poulet ou autre. Les techniciens de laboratoire manipulent ces produits dans des circonstances très différentes.
Je pense qu'en adoptant de bonnes pratiques de sécurité biologique, le technicien de laboratoire évitera d'attraper le virus, soit au contact des mains soit en s'infectant lui-même, et de le propager ensuite. Mais le projet de loi définit les précautions à prendre lorsqu'on manipule des agents pathogènes, afin de ne pas les propager à l'extérieur du laboratoire, que ce soit une collectivité ou une institution.
Le sénateur Segal : Il y a un syndrome qui apparaît à Ottawa de temps à autre, qu'on appelle la fièvre électorale. Si des élections sont déclenchées avant que ce projet de loi n'ait été adopté, pensez-vous que la gestion des agents pathogènes sera exposée à plus de risques au cours des six prochains mois, jusqu'à ce que le Parlement revienne?
Dr Butler-Jones : C'est un risque permanent. C'est déjà arrivé une fois, puisque c'est la deuxième fois que ce projet de loi est présenté, et il nous avait déjà fallu de nombreuses années pour préparer la première version. Ça ne sera pas pire qu'avant, mais plus nous attendons, plus il y a de risques.
Le président : Je vais terminer par une courte question. Nous avons parlé de sécurité publique, à juste titre d'ailleurs, mais il y aussi la question de la sécurité des malades.
Vous avez parlé de cas extrêmes où quelqu'un pourrait oublier un produit dangereux dans un réfrigérateur. Il y a aussi beaucoup d'analyses médicales qui sont faites dans les laboratoires, pour des patients ayant toutes sortes de maladies.
Le projet de loi va-t-il rendre la chose plus compliquée? Je parlais de la sécurité du malade, parce que je me demande si ce dernier va devoir attendre plus longtemps le résultat de ses analyses à cause des nouvelles procédures administratives. Si c'est le cas, cela va accroître son anxiété. Bref, le projet de loi va-t-il alourdir les formalités administratives de ces activités ordinaires? J'imagine que, dans ces cas, la plupart des agents pathogènes en cause appartiennent au groupe de risque 2.
Dr Butler-Jones : Le projet de loi ne s'applique pas à ces cas-là. Comme le disait la Dre Tam, il s'agit là d'activités de diagnostic : prélever des échantillons, faire des prises de sang, faire des cultures pour le diagnostic, et cetera. On s'attend cependant —et le projet de loi n'a rien à voir avec ça — que chaque laboratoire hospitalier du Canada observe des normes adéquates en matière de biosécurité, pour la protection de son personnel et des autres personnes qui se trouvent dans l'hôpital.
Comme le disait le sénateur Champagne, l'hôpital c'est bien quand on en a besoin, mais c'est aussi un lieu rempli de virus et de microbes, qu'il faut contenir du mieux qu'on peut. Toutefois, ce projet de loi ne porte pas sur cette question- là.
Le président : Je vous remercie, docteur Butler-Jones, ainsi que vos deux collaboratrices.
Pour la deuxième partie de notre réunion, nous allons accueillir Mme Elaine Gibson, professeure et directrice associée du Health Law Institute, de l'Université Dalhousie. Mme Gibson s'est spécialisée dans le droit de la santé, le droit relatif au respect de la vie privée et les questions de négligence, entre autres. Mme Gibson participe à un certain nombre de projets de recherche sur la protection de la vie privée et la confidentialité des données électroniques sur la santé, en particulier sur l'utilisation de l'information dans les domaines de la recherche en santé et de la surveillance en santé publique.
Elaine Gibson, professeure et directrice associée, Health Law Institute, Université Dalhousie : Merci de m'avoir invitée. J'aimerais dire, en réponse à ce que j'ai entendu, que l'Agence de la santé publique du Canada a bien réagi aux nombreuses critiques qui lui ont été adressées au Comité permanent de la Santé, de la Chambre des communes. Il reste encore toutefois de graves problèmes au niveau des chercheurs et des gouvernements provinciaux. Ces problèmes sont essentiellement liés à la lourdeur administrative, aux coûts et à la pénalisation des procédures.
Je crois aussi que la commissaire à la protection de la vie privée a encore des questions qui ne sont pas réglées, mais j'y reviendrai tout à l'heure si j'en ai le temps. Je vais donc commencer par aborder deux ou trois questions liées à ma spécialisation juridique.
La première concerne le recours abondant à des règlements, plutôt que d'inscrire le maximum de choses dans le projet de loi lui-même. La deuxième concerne la répartition des pouvoirs entre les provinces et le fédéral, et la troisième, si j'en ai le temps, portera sur la protection de la vie privée et de la confidentialité.
Comme je l'ai dit, il reste encore un certain nombre de problèmes à régler. Lorsqu'ils ont été soulevés, la réponse qui a été donnée aux chercheurs et aux provinces était que les consultations qui auraient lieu pendant l'élaboration des règlements permettraient de tout régler, et que le projet de loi ne représenterait pas un fardeau supplémentaire trop lourd. À mon avis, c'est problématique au niveau de l'approche générale adoptée par le Parlement, aussi bien par la Chambre des communes que par le Sénat. J'exagérerais sans doute en disant que ce projet de loi représente la fin de la suprématie du Parlement, mais c'est tout comme, étant donné qu'on laisse beaucoup de choses à régler par voie de règlement.
Je ne comprends toujours pas pourquoi on n'a pas commencé par faire des consultations, avant de présenter un projet de loi qui soit aussi complet que possible, afin de ne laisser qu'un minimum de détails administratifs à déterminer par voie de règlement.
Le problème fondamental est que les décisions relèvent du niveau ministériel. Je l'ai soulevé devant le Comité permanent de la santé, de la Chambre des communes, et on y a partiellement répondu par voie d'amendement, en prévoyant son renvoi aux deux chambres du Parlement avant l'approbation des règlements. Que je sache, la seule fois que cela s'est fait concernait la Loi sur la procréation assistée.
Cela pose quand même des problèmes. Je ne pense pas qu'on réussisse à tout régler de cette façon. Premièrement, il y a beaucoup moins de protections. Le ministre n'est pas obligé d'accepter les recommandations du comité permanent lorsque celui-ci exprime des réserves quant au contenu des règlements. Il doit simplement en tenir compte, ce qui ne veut pas dire grand-chose. De plus, le règlement peut être modifié par la suite, sans qu'il soit nécessaire de le soumettre au Parlement. Enfin, les règlements ne seront pas tous soumis à ce processus élémentaire.
Mais au fond, le problème est que ce projet de loi est un pis-aller, car on essaie de mettre un cataplasme sur une jambe de bois. Le vrai problème est que le projet de loi n'est pas complet.
Dans sa présentation du projet de loi, le sénateur Eaton a dit que c'était la fondation et la charpente de la maison, et c'est ainsi qu'il a été présenté. Permettez-moi alors de vous poser la question suivante : pourquoi acheter la maison avant qu'elle ne soit construite? J'estime, en substance, qu'on prévoit régler beaucoup trop de détails par voie de règlement, et que, ce faisant, le Sénat et l'autre chambre délèguent beaucoup trop de pouvoirs au ministre, si bien que l'application de la loi dépendra des caprices du gouvernement en place.
Sur le plan constitutionnel, il faut se demander si le gouvernement fédéral a le pouvoir de prendre des règlements dans ce domaine? L'Agence de la santé publique du Canada invoque le pouvoir du gouvernement fédéral de légiférer dans le domaine pénal, et cet argument a du sens. Comme on l'a déjà dit, la Cour suprême du Canada a donné une interprétation assez large à l'exercice de ce pouvoir dans le domaine de la santé publique, mais cette approche pose des problèmes. Pour résumer, plus une loi est assortie de règlements, moins elle est susceptible de tomber sous le coup de ce pouvoir pénal. Et si des détails essentiels du projet de loi sont déterminés par voie de règlement, la loi ressemble plus à un règlement qu'à une loi assortie de dispositions pénales.
Il est important de faire la distinction entre bioterrorisme et biosécurité. Les substances qui risquent de servir à des actes de bioterrorisme — notamment les virus du charbon et de la variole — vont certainement appartenir au groupe de risque 4, le risque le plus élevé, ou à l'Annexe 5, les substances interdites. Parfait. La prévention du bioterrorisme relève manifestement du pénal. Par contre, quand on parle de biosécurité, c'est différent, car il s'agit alors de prévenir des expositions involontaires à des agents pathogènes et des toxines dues à des rejets accidentels de ces substances. Ça commence à ressembler à des infractions pénales qui relèvent davantage de la responsabilité provinciale, surtout s'il s'agit de substances du groupe de risque 2. Par exemple, la bactérie E. coli, la salmonelle et d'autres toxines qui ont été mentionnées aujourd'hui sont des substances que nous pourrions produire dans nos réfrigérateurs ou trouver dans un plan d'eau.
Cet aspect de la loi vise principalement à protéger les employés de laboratoires, et peut-être leur famille, contre toute exposition accidentelle. À mon avis, cela concerne davantage la santé et la sécurité au travail, domaine qui relève indubitablement de la compétence provinciale. Je propose donc, en substance, que le groupe de risque 2 soit retiré du projet de loi.
À l'article 38, on a ajouté l'expression « pour des motifs raisonnables », mais on devrait l'ajouter aussi au paragraphe 41(2), qui prévoit que l'inspecteur a le pouvoir de saisir et de photocopier des documents, et cetera. L'inspecteur devrait avoir des motifs raisonnables de croire que ces mesures sont nécessaires à l'enquête.
Un avocat a déclaré devant votre comité que, pour la Cour suprême du Canada, c'était « implicite ». Je ne comprends toutefois pas pourquoi vous ne voulez pas inclure ces mots dans ce paragraphe, afin que chaque inspecteur en soit parfaitement conscient. Autrement dit, l'inspecteur devrait avoir un motif raisonnable de croire qu'il y a eu une infraction.
Par ailleurs, il devrait y avoir une clause générale sur la confidentialité, et une disposition générale stipulant qu'on ne doit recueillir, utiliser ou divulguer que le minimum d'informations nécessaires. Enfin, les informations devraient être aussi anonymes que possible.
Je recommande à votre comité d'inviter la commissaire à la protection de la vie privée à venir témoigner sur ces questions. Elle a adressé deux lettres au Comité permanent de la santé, de la Chambre des communes, où elle fait part de ses réserves quant à l'absence de toute évaluation de l'impact sur la protection de vie privée, et de son étonnement de ne pas avoir été invitée à comparaître devant ce comité.
Une dernière chose à propos de la protection de la vie privée et de la confidentialité : les pouvoirs que l'article 39 confère au ministre en matière de communication de documents sont encore trop vastes. La commissaire à la protection de la vie privée aborde cette question plus en détail dans sa lettre du 11 mars. En substance, comme l'a fait remarquer le sénateur Segal, toutes les réserves relatives à la protection de la vie privée et de la confidentialité se rapportent à l'article 8 de la Charte des droits et libertés, qui porte sur le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. C'est tout ce que j'avais à dire en guise de déclaration liminaire.
Le président : J'aimerais aborder pour commencer cette question de la pénalisation du processus. Je vous ai écoutée attentivement, et vous avez dit qu'il fallait faire une distinction entre le bioterrorisme et la biosécurité. Je ne pense pas que l'imposition de procédures pénales posera vraiment un problème en ce qui concerne le bioterrorisme, mais il n'en va certainement pas de même pour toutes les autres situations qui risquent de résulter de ce projet de loi.
Que peut-on faire d'autre? Vous y avez peut-être répondu en partie, mais si on n'a pose pas de procédure pénale, comment sanctionner des infractions?
Mme Gibson : Quatre provinces ont adopté des lois sur l'octroi de permis aux laboratoires : le Québec, l'Ontario, le Manitoba et la Saskatchewan. De façon générale, l'octroi de ces permis est réglementé au niveau provincial, même si certains aspects relèvent nettement du fédéral, comme la manipulation du virus de la variole. La loi interdit absolument la manipulation du virus de la variole par des chercheurs ou des laboratoires.
C'est une bonne question car il est certainement important que l'Agence de la santé publique du Canada dispose de ces informations. Elle est sans doute prête à les partager avec les provinces qui ont adopté un régime à ce sujet. On a déjà parlé de l'importation et de l'exportation des agents pathogènes, qui sont réglementées par le gouvernement fédéral.
Comme je l'ai déjà dit, mais je me permets d'insister, la solution consisterait à retirer du projet de loi les agents pathogènes et les toxines du groupe de risque 2. Si vous retirez ce groupe, votre système ressemblera davantage à un régime d'octroi de permis, et, au niveau de risque le plus élevé, c'est-à-dire là où il est question de biosécurité, il ressemblera davantage à un système pénal.
Le président : Au début de votre déclaration, vous avez employé trois mots : la pénalisation des procédures, la lourdeur administrative et les coûts. Pourriez-vous nous donner un peu plus de précisions?
Mme Gibson : Quand vous mettez en place un système d'octroi de permis et d'inspections, les laboratoires doivent s'y soumettre, et la lourdeur administrative du processus devient alors un problème que m'a mentionné au moins un responsable provincial de la santé. Si les laboratoires doivent se soumettre à des inspections — qui leur coûteront peut- être de l'argent, nous ne le savons pas encore —, obtenir des permis et demander des habilitations de sécurité, il se peut que cela entrave leurs activités quotidiennes.
Puis-je ajouter quelque chose à ce sujet? Parmi tous les témoins qui ont comparu devant le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes, il y en a au moins un qui a fait remarquer que, lorsque les États-Unis ont mis en place des règlements similaires, beaucoup de laboratoires ont cessé de faire de la recherche à cause des lourdeurs administratives. J'estime que cela est contre-productif, car nous voulons que les recherches sur les agents pathogènes et les toxines se poursuivent.
Le sénateur Eaton : Merci, madame Gibson. J'aimerais vous dire que j'ai lu le projet de loi, que j'ai assisté à une réunion d'information et que, très franchement, je n'en fais pas du tout la même interprétation que vous. Commençons par ce que vous avez dit au sujet des règlements provinciaux et sur le fait qu'il ne devrait pas y avoir de règlements, que tout devrait être précisé dans la loi.
Si nous avons prévu une phase 2, pour la détermination par voie de règlement des modalités d'inspection et des conditions d'octroi des permis, c'est parce que les provinces ont déjà des dispositifs en place en matière de santé et de sécurité. Ces dispositifs sont différents, chaque province ayant ses propres sensibilités, et le gouvernement fédéral a conçu le processus de consultation et de réglementation de façon à pouvoir mettre les choses à plat, à écouter les provinces et à adopter les meilleures pratiques possible.
En ce qui concerne les réserves que vous avez exprimées au sujet des inspecteurs, le sénateur Dyck a fait une excellente suggestion, que nous pourrons examiner de plus près.
Quant à la question de la protection de la vie privée, il faut bien que Revenu Canada ait le droit de frapper à votre porte et d'examiner le contenu de vos classeurs. Nous essayons de protéger la sécurité des Canadiens, et je suis sûr qu'aucun laboratoire qui applique les directives sur la biosécurité ne va s'opposer à ce qu'un inspecteur vienne vérifier la propreté des placards et la façon dont on se débarrasse des produits dangereux. Je ne vois pas en quoi cela constitue une lourdeur administrative, surtout quand cela permet d'accroître la sécurité des Canadiens.
Quant aux dispositions pénales du projet de loi, j'avais compris, à la réunion d'information, que ces dispositions étaient un dernier recours. Si un incident involontaire se produit dans un laboratoire, qu'il s'agisse de l'Université Dalhousie, de l'Université McGill ou de l'Université de Toronto, l'inspecteur intervient et le laboratoire reçoit une lettre. Au deuxième incident, le laboratoire reçoit une autre lettre. Par contre, s'il s'agit d'un acte criminel, avec préméditation, il faut qu'on puisse invoquer des dispositions de la loi.
Vous avez également parlé du « coût ». La Dre Tam a dit qu'il faudrait cinq ans pour mettre en place tous les règlements. Par conséquent, l'amortissement des coûts pourra commencer dès le début et s'étaler sur plusieurs années. Comme vous le savez, la plupart de nos grands laboratoires universitaires observent des normes de biosécurité depuis des années. L'entrée en vigueur des nouveaux règlements ne va pas représenter un gros fardeau administratif.
Ce qui inquiète Santé Canada et le ministre, c'est qu'il y a beaucoup de laboratoires dont ils ignorent beaucoup de choses, notamment les produits qu'ils ont en leur possession. Il est important de corriger ce problème.
Je regrette mais, de la même façon qu'il y a des formalités à remplir pour acheter une maison ou pour stationner sa voiture, un laboratoire qui manipule le virus de la tuberculose ou du charbon ou d'autres agents pathogènes et toxines répertoriés dans le groupe de risque 2 doit observer des lignes directrices en matière de biosécurité. Certes, les produits du groupe de risque 2 ne se propagent pas aussi facilement que ceux des groupes de risque 4 ou 3, mais ils peuvent néanmoins rendre des gens très malades, et il ne faut donc pas, à mon avis, les exclure du projet de loi. Je suis désolé, mais je ne suis pas d'accord avec vous.
Mme Gibson : Je ne m'attends pas à ce que tout le monde soit d'accord avec moi.
Pourtant, même les États-Unis, qui ont adopté une législation semblable, n'incluent pas le groupe de risque 2. Malgré toutes les mesures de sécurité qu'ils ont mises en place dans le sillage de la tragédie du 11 septembre, ils ont décidé de ne pas réglementer la plupart des agents pathogènes qui sont répertoriés dans le groupe de risque 2.
Quant au problème du coût, je ne fais que vous répéter ce que m'ont dit des chercheurs et des représentants des provinces. Personnellement, je ne fais pas de recherches sur ces agents pathogènes, je me contente de vous transmettre ce qu'ils disent, et vous en saurez sans doute davantage la semaine prochaine, lorsqu'ils comparaîtront devant votre comité.
Le sénateur Dyck : J'aimerais vous poser une question que j'ai déjà posée à d'autres témoins au sujet des inspecteurs. Le projet de loi prévoit que le ministre de la Santé doit consulter un comité consultatif en ce qui concerne les qualifications et les nominations des agents de la sécurité biologique, mais il ne dit rien des inspecteurs. Il me semble pourtant que le rôle de l'inspecteur revêt une certaine importance puisque c'est lui qui doit aller vérifier sur place ce qui se passe réellement dans les milliers de laboratoires qui existent au Canada.
Mme Gibson : Votre question me ramène à la remarque que je faisais tout à l'heure au sujet des nombreuses modalités qui ne seront précisées que dans les règlements. Nous ne savons rien sur la formation des inspecteurs, leurs qualifications, et cetera.
Je crois que l'ancien projet de loi ne prévoyait pas la création d'un comité consultatif. Celui-ci sera consulté sur les niveaux de risque et sur la composition de chaque groupe de risque, du groupe de risque 2 au groupe de risque 4, et jusqu'à l'annexe 5. Que je sache, le rôle de ce comité s'arrête là.
Le sénateur Dyck : Pensez-vous que ce comité devrait participer à l'élaboration du régime qui s'appliquera aux agents de la sécurité biologique et aux inspecteurs?
Mme Gibson : Je crois qu'on a décidé de créer le comité consultatif afin d'apaiser certaines critiques quant à la composition des listes actuelles. C'est le rôle limité qu'on a décidé de confier à ce comité consultatif, pour l'instant. Si vous décidez d'élargir son rôle, je pense que ça pourrait être une solution intéressante.
Le sénateur Dyck : Je vous demande si ça devrait être son rôle.
Mme Gibson : Si l'Agence de la santé publique du Canada était à ma place en ce moment, je pense qu'elle vous dirait qu'elle est prête à s'en charger en procédant à de nombreuses consultations, et qu'il n'est pas nécessaire d'en confier la tâche à un comité consultatif.
Personnellement, je vous encourage à inclure dans ce projet de loi le maximum de dispositions, afin qu'il en reste le moins possible à définir par voie de règlement.
Le sénateur Segal : Je vous remercie de votre déclaration. Vous avez abordé plusieurs aspects juridiques dans le contexte de la santé, et j'aimerais savoir ce que vous pensez des meilleures pratiques qui sont appliquées ailleurs. Cela n'a rien à voir avec le parti au pouvoir : confrontés à un problème, les bons bureaucrates, travailleurs et honnêtes, doivent trouver une solution. Comment faire pour rendre le monde plus sûr? Les bureaucrates peuvent recommander des consultations sur la création d'un registre public ou la mise en place d'un système de vérification de la conformité pour tous les laboratoires qui reçoivent des crédits à la recherche du gouvernement fédéral. Il y a bien des façons de s'y prendre, mais la plus simple pour les bureaucrates et pour le gouvernement fédéral, consiste à créer une infraction pénale dans la loi, en stipulant que tel acte sera passible de certaines sanctions.
J'ai l'impression que cette tendance s'installe. Dans le projet de loi C-6, dont nous allons bientôt être saisis et qui porte sur ce qu'on appelle les produits dangereux, on retrouve le même schéma que dans ce projet de loi, et je me demande si on ne s'oriente pas vers ce que j'appelle la pénalisation sur mesure. Quand mon parti était dans l'opposition, nous reprochions souvent au gouvernement au pouvoir d'imposer des taxes excessives sur des activités économiques provinciales. Lorsque les provinces n'avaient pas les moyens de plaider leur cause, le gouvernement fédéral annonçait des programmes fédéraux sur mesure pour régler le problème d'une façon politiquement attrayante. Dans l'opposition, nous disions qu'il valait mieux respecter les sphères de compétence et donner aux provinces la capacité financière de s'acquitter des responsabilités que leur confère la Constitution. Les laboratoires et les questions de sécurité relèvent indubitablement de ce que beaucoup de provinces et de ministres de la Santé provinciaux considèrent comme leur sphère de compétence constitutionnelle.
Vous avez fait plusieurs recommandations sur la façon dont ce projet de loi pourrait être renforcé. J'aimerais vous demander s'il est possible de contrôler efficacement toutes ces activités sans recourir à des dispositions pénales?
Mme Gibson : C'est une excellente question. J'aimerais bien avoir le temps d'y réfléchir quelques minutes, mais je vais quand même vous répondre. Quatre provinces ont déjà adopté un dispositif législatif dans ce domaine. À mon avis, le fonctionnement des laboratoires et l'inspection de leurs locaux et de leurs activités relèvent indéniablement de la compétence provinciale. Je ne parle pas, bien sûr, de l'importation et de l'exportation d'agents pathogènes, qui sont déjà couvertes par des dispositions fédérales. La solution la plus conviviale serait peut-être d'avoir des législations provinciales, conformément à la responsabilité première des provinces dans ce domaine, et de négocier des accords de partage des informations avec l'Agence de la santé publique du Canada, comme cela est envisagé dans d'autres secteurs pour les renseignements médicaux personnels.
Le président : La Loi sur la procréation assistée a été adoptée au niveau fédéral, et le Québec la conteste devant les tribunaux. L'affaire est en cours, et va aller jusqu'à la Cour suprême du Canada, je suppose. Savez-vous ce que les provinces pensent de ce projet de loi, notamment le Québec, qui conteste l'autre loi? Les deux situations sont-elles comparables?
Mme Gibson : Des parties importantes de la Loi sur la procréation assistée ont été déclarées anticonstitutionnelles par la Cour d'appel du Québec. L'affaire a été entendue par la Cour suprême du Canada, à la fin du mois d'avril, je crois, mais le jugement n'a toujours pas été rendu. La Cour d'appel a décrété que les dispositions visant à pénaliser certains aspects de la procréation assistée étaient en substance une tentative déguisée de réglementer ce domaine. La Cour suprême du Canada n'a pas encore rendu sa décision, et nous ne savons donc pas ce qu'elle dira, mais cette affaire laisse planer une incertitude quant à la constitutionnalité de la loi.
Lorsque vous mettez en place un régime où vous obligez tous ceux qui manipulent certains produits à obtenir un permis, faute de quoi ils seront passibles de sanctions pénales, et c'est essentiellement ce que vous faites avec ce projet de loi, c'est à peu près la même chose que ce que prévoit la Loi sur la procréation assistée.
Je crois également que la disposition concernant le renvoi des règlements au Parlement, avant leur entrée en vigueur, a été reprise de la Loi sur la procréation assistée. La discussion a alors tourné autour de la même question, à savoir si le comité devrait à nouveau être saisi du règlement plutôt que d'inclure la disposition dans la loi dès le départ.
La loi est entrée en vigueur il y a cinq ans, et un seul règlement a été adopté depuis. Elle va bientôt faire l'objet de l'examen quinquennal qui était prévu, mais il n'y a toujours pas de règlements.
Le président : Je vous invite à nous faire parvenir plus tard, s'il y a lieu, d'autres éléments de réponse à la question du sénateur Segal.
Le sénateur Keon : Votre dernière intervention porte sur la question que je voulais soulever. Vous avez dit qu'il faudrait élaborer des règlements sans tarder afin de les inclure dans le projet de loi avant qu'il ne soit adopté.
Paradoxalement, les bureaucrates nous disent qu'il va falloir cinq ans pour élaborer ces règlements, mais que les deux chambres du Parlement en seront saisies au fur et à mesure. Serait-il souhaitable de retarder l'adoption de ce projet de loi de cinq ans?
Mme Gibson : C'est une question intéressante. Si je me souviens bien de ce qu'ils ont dit, la loi, une fois adoptée, servira à exécuter certaines fonctions de base. Mais pour ce qui est de l'essentiel de la loi, il faudra attendre, dans un cas comme dans l'autre.
Il y a deux façons de procéder. La plus souhaitable, pour n'importe quel projet de loi, est de commencer par des consultations appropriées et de rédiger ensuite le projet de loi en y incluant les dispositions appropriées. Ce n'est pas ce qui s'est passé pour ce projet de loi. Les vraies consultations sont remises à plus tard. Une façon de s'en sortir serait de ne pas adopter le projet de loi, d'organiser des consultations et ensuite de présenter un projet de loi. Je serais tout à fait d'accord avec ça, car ce serait la meilleure solution.
La deuxième solution consisterait à exclure le groupe de risque 2 du projet de loi, ce qui en renforcerait la constitutionnalité et répondrait en même temps à certaines réserves importantes de la communauté des chercheurs. Je veux dire par là que, pour les chercheurs, l'inclusion du groupe de risque 2 constitue une entrave à leurs activités étant donné qu'ils manipulent quotidiennement ce type d'agents pathogènes.
Le sénateur Dyck : Vous parlez de retarder l'entrée en vigueur du projet de loi, mais je croyais qu'il était important qu'il entre en vigueur le plus vite possible afin que nous puissions répertorier tous les laboratoires qui ont en leur possession des anthropopathogènes et des toxines. On nous a dit qu'il y avait peut-être 3 000 ou 4 000 laboratoires au Canada qui avaient en leur possession ce genre de produits, et nous ne savons même pas qui ils sont ni où ils se trouvent. Il faut pourtant que nous sachions où ils se trouvent afin que nous puissions avoir une base de données nationale où tous les agents pathogènes sont identifiés et localisés.
Mme Gibson : Votre question est pertinente, mais elle déborde de mon champ de compétence, malheureusement.
Le sénateur Eaton : J'appuie ce que vient de dire le sénateur Dyck. Dès qu'il aura reçu la sanction royale, le projet de loi nous permettra de savoir qui fait quoi et où. On nous dit qu'il y a beaucoup de laboratoires qui n'ont jamais importé ou transféré des agents pathogènes et des toxines, mais qui en ont en leur possession sans que personne ne sache qui ils sont, ce qu'ils font, et où ils le font.
Le sénateur Segal : À propos de règlement et de projet de loi, rien n'empêcherait la Couronne, au niveau du Conseil privé, de prendre un règlement d'application à la Loi sur l'Agence de la santé publique du Canada afin d'obliger tous les laboratoires à enregistrer certains agents pathogènes. Cela n'irait pas à l'encontre de la loi en vigueur. Dans ces conditions, pourquoi a-t-on préféré recourir à des dispositions pénales plutôt qu'à un procédé aussi simple?
Le Dr Butler-Jones a tout à fait le droit de vouloir savoir où se trouvent ces agents pathogènes. Il pourrait tout aussi bien demander à la Couronne de préparer un règlement à sa loi organique qui lui donnerait ce pouvoir.
Mme Gibson : D'un point de vue juridique, il n'a peut-être pas le droit de le savoir. C'est pour cela que je soulève la question constitutionnelle.
Le gouvernement fédéral se trouve pris entre l'arbre et l'écorce car il a contracté l'obligation de faire des rapports, dans le cadre des normes sanitaires internationales, mais il n'a pas nécessairement le droit d'obtenir ces informations auprès des provinces. Ce n'est pas évident. Il faudrait voir si la loi portant création de l'Agence de la santé publique du Canada permet précisément de prendre ce genre de règlement. Si ce n'était pas pénal, ça pourrait ne pas ressortir à la compétence fédérale, et c'est sans doute pour cela qu'on a choisi ici la voie pénale.
Le président : Notre réunion est sur le point de se terminer. Je vous remercie, madame Gibson, de nous avoir donné votre point de vue et d'avoir répondu à nos questions. Si vous avez d'autres précisions à nous donner, n'hésitez pas à nous les faire parvenir par écrit. Il serait utile que vous nous fassiez un résumé de ce que vous nous avez dit aujourd'hui, car cela nous aiderait à formuler des questions à nos prochains témoins et à mieux explorer les points que vous avez soulevés.
Honorables sénateurs, j'aimerais vous donner une idée du programme de notre prochaine réunion et vous demander si vous avez des propositions à faire sur d'autres témoins que nous pourrions inviter. J'ai essayé d'inviter aussi bien des gens qui appuient que des gens qui dénoncent le projet de loi. Dans la plupart des cas, ce sont des témoins qui proposent des modifications. Je ne sais pas s'il y en a qui dénoncent vraiment le projet de loi, la plupart proposent des modifications.
Sont confirmés : Marc Ouellette, de l'Université Laval; l'Ontario Association of Medical Laboratories; l'Association des facultés de médecine du Canada; et un professeur de l'Université de Toronto. Nous attendons des réponses du McLaughlin-Rotman Centre for Global Health, de l'Association pour la microbiologie médicale et l'infectiologie Canada, et du Dr Don Low — qui est très connu dans le milieu — qui est directeur médical de l'OPHL, Ontario Public Health Laboratory.
La commissaire à la protection de la vie privée a été mentionnée; nous devrions l'inclure. Y a-t-il quelqu'un d'autre?
Le sénateur Dyck : Serait-il possible d'avoir quelqu'un de tout à fait nouveau, qui n'a jamais comparu devant nous?
Le président : Certains d'entre eux n'ont jamais comparu devant nous. Ce ne sont pas tous des « reprises ». Certains ont comparu devant le comité de la Chambre des communes, d'autres pas. Il y en a aussi qui estiment que leurs préoccupations n'ont pas été prises en considération. D'autres encore ont des choses à dire sur le projet de loi modifié, car lorsqu'ils ont comparu devant le comité de la Chambre des communes, il n'avait pas encore été modifié.
Le sénateur Dyck : Comme je viens de la Saskatchewan, j'aime bien faire comparaître des gens de cette province. S'il y a de la place, pourrait-on faire venir un représentant de la Vaccine and Infectious Disease Organization, qui est presque aussi importante que le Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg? C'est un centre de recherche important, qui se spécialise dans les vaccins.
Le président : Est-ce la même organisation que l'Association pour la microbiologie médicale et l'infectiologie Canada?
Le sénateur Dyck : Non, c'est VIDO, qui a une réputation mondiale.
Le président : Nous avons envoyé des invitations à tous ces gens-là, et c'est déjà plus que nous ne pourrons en accueillir, surtout si l'on compte la commissaire à la protection de la vie privée. Mais ils n'ont pas tous répondu.
Le sénateur Segal : Suite au témoignage de notre dernier témoin, pourrions-nous avoir un résumé des pouvoirs réglementaires que prévoit la Loi sur l'Agence de la santé publique du Canada, la loi qui régit les activités du Dr Butler- Jones, afin que nous puissions les comparer à ce qu'on nous propose dans ce projet de loi?
Le président : Oui, ça me paraît raisonnable. Avez-vous autre chose? Merci beaucoup.
(La séance est levée.)