Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 10 - Témoignages du 18 novembre 2009
OTTAWA, le mercredi 18 novembre 2009
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi concernant la sécurité des produits de consommation, se réunit aujourd'hui à 16 h 1 pour étudier le projet de loi.
[Traduction]
Keli Hogan, greffière du comité : Honorables sénateurs, à titre de greffière du comité, je dois vous signaler que le président a eu un empêchement, inévitable. Conformément au Règlement du Sénat, je doit maintenant présider l'élection d'un président suppléant aux fins de la présente réunion. Je suis maintenant prête à recevoir une motion à cet égard.
Le sénateur Callbeck : Je propose que le sénateur Pépin soit nommée présidente suppléante.
Mme Hogan : L'honorable sénateur Callbeck propose que l'honorable sénateur Pépin tienne lieu de présidente suppléante durant la présente réunion. Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord avec la motion?
Des voix : D'accord.
Mme Hogan : La motion est adoptée. J'invite le sénateur Pépin à s'installer dans le fauteuil.
Le sénateur Lucie Pépin (présidente suppléante) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente suppléante : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Je suis le sénateur Pépin et je présiderai la réunion de cet après-midi en l'absence de notre collègue, le sénateur Eggleton. Nous poursuivons notre étude sur le projet de loi C-6, Loi concernant la sécurité des produits de consommation.
Aujourd'hui, nous recevons Mme Chantal Bernier, commissaire adjointe à la protection de la vie privé. Mme Bernier est accompagnée de Mme Melanie Millar-Chapman, analyste principale de recherche et politique. Soyez les bienvenus au Sénat. Je vous cède la parole, madame Bernier.
Chantal Bernier, commissaire adjointe à la protection de la vie privée du Canada, Commissariat à la protection de la vie privée : Je vous remercie de nous avoir invitées à prendre la parole aujourd'hui. Je tiens à vous féliciter de l'intérêt que vous manifestez envers la protection de la vie privée. Nous avançons évidemment et nous sommes heureuses de voir que vous mettez en œuvre ce principe comme quoi la vie privée est véritablement une pierre angulaire de la démocratie et une valeur fondamentale des Canadiennes et des Canadiens.
Permettez-moi de préciser d'emblée que nous saluons l'objectif du projet de loi C-6. Nous considérons que son objectif de protéger la population en atténuant les risques que certains produits de consommation représentent pour la santé et la sécurité humaine est essentiel et nous acceptons les mesures de protection de la vie privée qui y sont incluses.
[Traduction]
Comme vous le savez, j'ai exposé ma position sur les répercussions du projet de loi du point de vue de la vie privée dans une lettre adressée au comité et datée du 26 octobre. Nous croyons comprendre que c'est la définition du terme « administration » du projet de loi, particulièrement en ce qui touche l'article 15 sur la communication par le ministre de renseignements personnels, qui inquiète certains d'entre vous. Nous sommes d'avis que les engagements pris par Santé Canada pallient au problème à l'origine de ces inquiétudes.
Je suis d'accord pour dire que le terme « administration » est défini largement, mais les politiques et procédures de protection que Santé Canada déclare avoir adoptées semblent adéquates. Dans ma lettre à Santé Canada, je cite les passages qui m'apparaissent être les plus pertinents dans la réponse du ministère à la question soulevée, soit celle de la communication des renseignements personnels. Tout de même, je voudrais maintenant vous exposer quelques précisions sur cette question.
Santé Canada nous a expliqué que le projet de loi C-6 mènera seulement à une collecte minimale de renseignements personnels et que ce n'est que dans de rares cas que les renseignements ainsi recueillis seront communiqués. De plus, la communication des renseignements ne se fera que dans les cas absolument nécessaires pour la protection de la sécurité et de la santé humaines. Le ministère a ajouté que, même si le projet de loi ne prévoit pas de pouvoir de réglementation qui permettrait au ministre d'obtenir une garantie quant à la confidentialité des renseignements prévus à l'article 15, la règle de base sera toujours la même : ne jamais communiquer de renseignements personnels, comme je l'ai dit, à moins qu'il ne soit impératif de le faire pour protéger la sécurité et la santé humaines. De même, le ministère a déclaré qu'il continuera d'appliquer des ententes de confidentialité avant de communiquer des renseignements. Il a aussi déclaré que les renseignements personnels communiqués en application de l'article 15 serviront uniquement à remédier à un grave danger pour la sécurité et la santé humaines.
[Français]
Par ailleurs, nous avons demandé aux représentants de Santé Canada comment ils avaient l'intention de conserver les rapports clairs au sujet de tous les renseignements personnels qui pourraient être communiqués, de manière à ce que notre commissariat puisse les surveiller et comprendre la justification de chaque communication. Le ministère nous a répondu que la communication de renseignements personnels par les responsables du Programme de la sécurité des produits serait effectuée selon le conseil et avec l'assentiment du coordonnateur à l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels de Santé Canada, cette personne exerçant les pouvoirs et fonctions du ministre de la Santé, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[Traduction]
Nous avons jugé cette réponse correcte. Comme nous l'avons aussi déclaré officiellement, nous souhaitons que toute question en suspens donne lieu à une explication présentée dans un rapport d'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, ou EFVP, à la suite de l'adoption du projet de loi C-6. Par question en suspens, nous entendons toute question qui pourrait survenir dans le contexte de la mise en œuvre du projet de loi C-6. L'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée constitue un instrument dont se servent les ministères au moment d'implanter un programme nouveau ou révisé afin de s'assurer que les questions relatives à la protection de la vie privée sont bien prises en considération. Nous examinons les évaluations ainsi effectuées et formulons des observations au besoin. Les évaluations se révèlent utiles pour déterminer les répercussions des nouvelles initiatives gouvernementales sur la vie privée.
En guise de conclusion, je dirai que le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada ne trouve pas à redire du projet de loi C-6; qu'il a apprécié la coopération des responsables de Santé Canada en vue de régler les éventuels problèmes relatifs à la vie privée; il entend continuer à travailler avec Santé Canada à la mise en œuvre du projet de loi C-6.
J'espère que ma déclaration fait mieux voir en quoi nous avons participé aux travaux entourant ce projet de loi jusqu'à maintenant. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
Le sénateur Callbeck : Merci d'être venue témoigner aujourd'hui et d'avoir présenté cet exposé. Nous tenons tous à ce que les produits de consommation soient sans danger.
J'ai une copie de la lettre que vous avez signée, madame Bernier. Je crois que nous en avons tous une copie. La lettre a été transmise à la directrice générale de la direction des politiques et de la planification à Santé Canada.
Je voulais vous poser quelques questions. Les informations que vous nous avez fournies englobent toutes les questions posées à propos du régime envisagé dans le projet de loi C-6. Dans cette lettre, vous abordez les questions qui se rapportent à l'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée. Est-ce que ce sont là les seules questions qui vous préoccupent?
Mme Bernier : Ce sont les questions qui doivent figurer, selon nous, dans une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée. Au moment où j'ai envoyé cette lettre-là, nous avions étudié le projet de loi et avions déterminé que les renseignements personnels étaient bien protégés. Pour être tout à fait rigoureux et exhaustifs, nous avons donc informé Santé Canada des questions susceptibles de se présenter et de celles dont nous voudrions qu'elles figurent dans l'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, tandis qu'avançait le travail de mise en œuvre du projet de loi. Comme vous pouvez le voir, ces questions ont trait à la mise en œuvre. Ce sont des questions concrètes, techniques, qui surgissent habituellement au moment de la mise en œuvre d'un programme.
Le sénateur Callbeck : Le projet de loi vous paraît donc adéquat. Les seules questions dont vous vous souciez sont celles que vous avez abordées dans cette lettre?
Mme Bernier : J'apporterai une nuance en disant que nous ne nous soucions pas de l'affaire. Nous avons soulevé les questions auprès de Santé Canada pour que le ministère l'ait dans sa mire, pour ainsi dire - ce sont des questions que Santé Canada peut décider d'aborder, par exemple les puces d'identification par radiofréquence. Nous ne savons pas si un problème se manifestera à cet égard, mais, pour être rigoureux, nous avons soulevé la question auprès de Santé Canada, advenant que les puces en question soient utilisées. C'est que nous voulons que cela soit pris en considération dans une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée.
Le sénateur Callbeck : Vous avez mentionné l'EFVP, et vous dites que c'est un instrument dont se servent les ministères au moment de l'introduction ou de la révision d'une mesure législative. De façon générale, l'EFVP était effectuée avant l'adoption du projet de loi ou par la suite?
Mme Bernier : L'EFVP peut s'appliquer au moment de l'introduction ou de la révision de tout programme. Ce n'est pas forcément lié à une loi. Il peut s'agir pour nous d'un programme qui ne découle pas de nos textes de loi; c'est simplement un nouveau programme. S'il y a des conséquences du point de vue de la vie privée, le ministère préparera une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, qu'elle nous soumettra, et nous chercherons à déterminer si le programme comporte bel et bien toutes les mesures nécessaires pour protéger la vie privée des gens. En fait, l'EFVP est habituellement effectuée à l'étape de la mise en œuvre.
Le sénateur Callbeck : C'est habituellement entrepris après que le projet de loi est adopté?
Mme Bernier : Justement; nous jetons habituellement un regard différent sur le texte de loi, en nous assurant que tous les principes énoncés respectent les dispositions législatives en matière de vie privée au Canada - et l'EFVP, en ce sens, sert d'outil de travail plus que d'autre chose.
Le sénateur Callbeck : Pour parler du même passage, vous dites que les dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels destinés au secteur privé s'appliqueraient normalement. Vous souhaitez que les renseignements personnels soient dépersonnalisés. Maintenant, qu'est-ce qui s'applique normalement? Pouvez-vous me donner un exemple de ce que vous souhaitez voir?
Mme Bernier : À quoi faites-vous allusion?
Le sénateur Callbeck : Je fais allusion à la page 2 de votre lettre, au deuxième paragraphe.
Mme Bernier : Vous demandez quelles sont maintenant les dispositions en matière de protection des consommateurs; si le renseignement est communiqué, dépersonnalisé ou non, en ce moment? C'est bien votre question?
Le sénateur Callbeck : Oui, donnez-nous un exemple. C'est ce que vous dites. Autrement dit, qu'en est-il en ce moment et qu'est-ce que vous aimeriez voir?
Mme Bernier : Nous voulons voir ce qui est décrit dans ce paragraphe-là, mais je vais demander à notre analyste principale, Mme Millar-Chapman, de décrire pour vous ce que nous pouvons dire en ce moment des mesures législatives et du fonctionnement du système.
Melanie Millar-Chapman, analyste principale des politiques et de la recherche, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Les dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels dans le secteur privé s'appliquent aux renseignements personnels que détient le détaillant. En fin de compte, dans la mesure où nous adoptons de bonnes pratiques en la matière, nous voulons que ce soit non pas les renseignements personnels qui soient communiqués, mais plutôt — dans la mesure du possible — les renseignements dépersonnalisés. C'est ce que ces paragraphes visaient à dire.
Le sénateur Callbeck : L'EFVP réglerait cette question-là?
Mme Millar-Chapman : Oui.
Le sénateur Segal : Merci beaucoup d'être venue nous aider à étudier ce sujet. À propos de la dépersonnalisation et pour s'assurer que la pratique s'applique avant que les documents ne soient communiqués, croyez-vous que cela soit possible en l'absence d'une modification particulière de la loi ou d'une disposition particulière du règlement qui fait voir expressément, de fait, l'exigence de dépersonnalisation en question?
Mme Bernier : Nous avons jugé satisfaisantes les discussions que nous avons eues à cet égard avec Santé Canada, oui. Ses responsables nous ont dit qu'ils n'ont pas besoin de renseignements personnels dans ce sens-là, que, en rapport avec l'objet de ce projet de loi, il serait extrêmement rare de devoir rattacher une identité à une donnée quelconque. En rapport avec l'objet du projet de loi, nous croyons savoir que Santé Canada devra être au courant des incidents qui se produisent; le ministère pourra devoir être au fait des tendances qui se manifestent, pour être en mesure d'assurer la sécurité des consommateurs. Cependant, ces responsables n'auront pas forcément à connaître l'identité de la personne à laquelle, disons, le produit a causé du tort. Autrement dit, nous croyons savoir que le risque pour la vie privée est faible, étant donné que le besoin de communiquer des renseignements personnels l'est aussi.
Le sénateur Segal : Quand vous dites que vous faites confiance à Santé Canada, je présume que vous vous fondez non seulement sur les discussions que vous avez eues avec ses responsables, mais aussi sur ce que vous savez de Santé Canada en ce qui concerne la protection de la vie privée dans le passé, n'est-ce pas?
Mme Bernier : Nous analysons les mérites de chaque cas qui se présente et nous appliquons ce que nous appelons le critère à quatre volets. Pour chaque situation qui nous est présentée, pour chaque question, qu'il s'agisse d'un projet de loi ou d'une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, nous cherchons à voir s'il est nécessaire de recueillir, d'utiliser ou de communiquer les renseignements personnels en question; si l'utilisation, la communication ou la collecte des renseignements est proportionnelle au besoin ainsi relevé; si c'est une façon efficace d'atteindre l'objectif ainsi visé; et s'il existe d'autres moyens d'arriver à ce but. Nous appliquons ce critère à chaque question qui nous est présentée.
Dans ce cas, d'abord, nous voyons que les renseignements personnels sont seulement recueillis de façon tout à fait exceptionnelle. Ensuite, s'ils sont recueillis et communiqués, c'est parce qu'il est absolument nécessaire de le faire — je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que la santé humaine constitue une sorte d'impératif —, qu'elle est rigoureusement liée au besoin relevé, donc qu'elle est proportionnelle, et qu'elle permet d'atteindre efficacement le but que constitue la sécurité du public. Nous jugeons donc que le juste équilibre est atteint entre la possibilité de recueillir et de communiquer des renseignements personnels et la nécessité de protéger la sécurité du public, la sécurité des humains.
Le sénateur Segal : Je veux être sûr de comprendre : la confiance ainsi exprimée tient au projet de loi lui-même, à la mission particulière dont il est question, à votre interaction avec les responsables de Santé Canada à propos de préoccupations légitimes que vous avez concernant la protection de la vie privée et des mesures adoptées par Santé Canada pour régler la question? Il ne s'agit pas particulièrement d'une idée négative ou positive de toute relation que vous auriez eue avec Santé Canada antérieurement en exerçant légitimement votre fonction de commissaire adjointe à la protection de la vie privée. Ce sont les aspects particuliers du débat qui a lieu en ce moment qui entrent en ligne de compte. C'est bien cela?
Mme Bernier : C'est l'approche que nous adoptons. Tout de même, je dois dire que nous avons toujours eu de bonnes relations avec Santé Canada.
Le sénateur Segal : Selon vous, qu'est-ce que nous devrions dire aux petites entreprises qui nous ont fait part de la situation et à certaines sociétés fermées qui ont déclaré appuyer désespérément un resserrement de la réglementation et qui tiennent mordicus à garantir la sécurité de tous leurs produits et qui sont heureuses de coopérer de toutes les façons possibles, mais pour lesquelles la possibilité qu'un inspecteur communique leurs renseignements commerciaux en fonctionnant au petit bonheur la chance ou qu'une menace à cet égard puisse servir à quelque autre négociation revient à ce que certains juristes qualifieraient d'activités oppressives de la part de l'État?
Je suis certain que ce n'était pas là l'intention du législateur ou des distinguées fonctionnaires qui ont travaillé au projet de loi, mais, parfois, une situation oppressante naît d'un contexte précis où les négociations ne se déroulent pas aussi bien que le fonctionnaire ou l'homme d'affaires le voudrait. Comment protéger les innocents et leur droit à la vie privée, selon vous, dans ce genre de contexte-là?
Mme Bernier : Nous nous sommes penchés sur la protection des renseignements personnels, et non pas des renseignements commerciaux. C'est le mandat précis qui est le nôtre.
Le sénateur Segal : La question des renseignements commerciaux, quoi qu'il en soit, n'est pas une question sur laquelle vous vous êtes penchés officiellement.
Mme Bernier : Ça ne s'inscrit pas dans notre mandat, de fait.
Le sénateur Segal : Merci beaucoup.
Le sénateur Martin : Merci beaucoup d'avoir présenté cette déclaration liminaire. Je crois que cela nous a rassurés, tous, de vous entendre parler de la confiance que vous inspirent Santé Canada, le ministère et ses responsables. Vous dites que vous n'êtes pas préoccupés par la situation, étant donné que les conversations et les consultations que vous avez eues avec le ministère ont permis de régler les préoccupations soulevées.
Comme enseignant, je veux vous poser des questions sur l'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, sur l'importance d'une évaluation authentique de la situation, notamment pour savoir si l'évaluation permettra de prendre en considération des questions ou des problèmes imprévus qui subsisteront peut-être même après l'adoption du projet de loi.
Quel est le but du processus d'évaluation et que devrait-il se passer à l'étape de la mise en œuvre?
Mme Bernier : Premièrement, je veux vous remercier de me donner l'occasion de parler de l'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, car c'est un instrument peu connu qui se révèle extrêmement utile.
Nous entendons parler de nos vérifications, nous entendons parler de nos enquêtes. Nos évaluations des facteurs relatifs à la vie privée attirent moins l'attention; elles présentent néanmoins une valeur extraordinaire dans le sens où elles s'appliquent au début d'un processus qui vise à s'assurer qu'il y a en place des mesures pour protéger les renseignements personnels.
Permettez-moi d'expliquer un peu le processus. Selon la politique du Secrétariat du Conseil du Trésor, le ministère qui envisage d'adopter un programme ou une initiative ayant des conséquences importantes du point de vue de la vie privée doit procéder à une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée. Cette évaluation s'inspire d'un modèle où le ministère explique comment il s'y prendra pour protéger la vie privée des gens en rapport avec divers aspects où il y a un risque à cet égard.
Le ministère nous soumet cette évaluation, que nous examinons pour nous assurer qu'il a bel et bien envisagé toutes les questions possibles et mis au point des mesures de protection en rapport avec toutes les questions possibles. Nous entamons un dialogue avec le ministère touché, nous lui renvoyons nos observations, et il peut examiner ou refaire son EFVP jusqu'au moment où nous jugeons qu'il a produit une évaluation authentique et complète, de qualité.
Une EFVP ne nous permet pas d'approuver ou de rejeter une initiative. Nous nous prononçons sur les conséquences de l'initiative du point de vue de la vie privée. Même si nous formulons des observations défavorables, le ministère peut, de fait, aller de l'avant, mais l'expérience du Commissariat à la protection de la vie privée le démontre, les ministères tiennent compte de nos recommandations et adoptent des mesures conformes à nos recommandations en la matière.
Le sénateur Martin : Vous avez répondu aux autres questions que je souhaitais poser, à savoir s'il existait un modèle à employer et s'il existait un processus consultatif. Cet instrument d'évaluation n'est pas comme un examen qu'on réussit ou auquel on échoue; par contre, vos recommandations sont prises en considération.
Mme Bernier : Oui, et je suis heureuse de dire que les recommandations sont habituellement mises en œuvre.
Le sénateur Martin : Merci; vous avez bien expliqué cela.
Le sénateur Banks : Je trouve extraordinaire de savoir que, en ce moment, nous pouvons compter sur les assurances de fonctionnaires — qui nous disent : tout est bien, faites-nous confiance. Si je trouve cela particulièrement extraordinaire, c'est que, sous les deux administrations précédentes, où j'ai eu le plaisir de travailler, cela n'a pas toujours été le cas. Par le passé, nous avons parfois constaté que l'idée de compter sur de telles assurances — « faites- nous confiance, tout se passera bien, même si c'est dit dans la loi, nous n'allons pas faire cela, sauf dans certains cas » —, nous n'avons pas toujours pu nous fier à de telles garanties. Je suis sûr que vous connaissez certains des exemples auxquels je pense.
Je vais parler de l'article 15 de la loi, mais, d'abord, l'article 16 porte sur la communication de renseignements commerciaux confidentiels, qui ne relèvent pas, selon ce que vous avez dit, de votre mandat. Cependant, selon l'article 16, là où de tels renseignements sont communiqués, cela peut se faire sans la permission de celui qui détient les renseignements, les renseignements ne seront communiqués que dans la mesure où il existe une entente écrite prévoyant que les personnes et administrations auxquelles ils sont communiqués en protégeront la confidentialité et s'en serviront seulement à des fins précises liées à la protection de la santé humaine et le reste.
Cependant, aucune disposition du genre ne figure à l'article 15, qui porte sur les renseignements personnels, qui vous touchent directement et qui relèvent de votre mandat. Selon vous, ne serait-ce pas une bonne idée de s'assurer que, là où des renseignements personnels sont communiqués sans le consentement de la personne dont ce sont les renseignements, essentiellement, les responsables devraient également s'engager à se servir des renseignements en question uniquement pour protéger la santé des gens et que cela fasse l'objet d'un accord de confidentialité sous forme écrite, comme c'est le cas, par exemple, des renseignements commerciaux?
Une telle disposition me rassurerait en ce qui concerne la communication des renseignements personnels, ce qui n'est pas le cas de la disposition actuelle.
J'ai peut-être mal compris ce que vous disiez, mais vos propos m'amènent à penser que, selon vous, les renseignements personnels qui seraient communiqués se rapporteraient à une personne qui est peut-être la victime malencontreuse d'un incident malheureux, quelqu'un qui a ainsi subi un tort. Il est question aussi de la communication des renseignements personnels de personnes qui sont peut-être à l'origine du tort en question, même si c'est par inadvertance. La question est préoccupante des deux côtés. Ne serait-il pas bien de prévoir ce genre de disposition à l'article 15?
Mme Bernier : Nous avons justement soulevé la question en étudiant le projet de loi. Je l'ai abordé pendant ma déclaration liminaire en parlant du pouvoir du ministre. Il n'y a pas de dispositions qui disent que le ministre a le pouvoir d'obtenir des garanties par écrit.
Tout de même, Santé Canada nous a répondu en affirmant que le ministère continuerait d'appliquer les pratiques exemplaires de communication en la matière. Comme je l'ai dit plus tôt, si nous jugeons satisfaisante la réponse ainsi donnée — et cela me ramène aux critères à quatre volets qui nous permettent de déterminer si une mesure est proportionnelle —, c'est que nous avons abordé ce projet de loi en sachant que le risque que des renseignements personnels soient communiqués est faible et que ce serait là une occurrence rare qui se limite strictement à des situations où il y a un besoin critique. Ce risque nous paraît justifié.
Comme vous vous le rappellerez, pendant ma déclaration liminaire, j'ai dit que, grâce au dialogue permanent que nous avons entamé avec Santé Canada, si l'EFVP soulève des questions à cet égard, nous voulons voir quelles mesures seront adoptées pour assurer la protection de la vie privée.
Le sénateur Banks : Vous vous préoccupez d'une EFVP qui permettra de savoir, après coup, ce qui s'est peut-être produit. Nous devons nous préoccuper de l'idée de déterminer auparavant ce qui pourrait se produire et de tenir compte des conséquences imprévues.
Pour dire les choses de façon irrévérente, le meurtre est rare aussi, mais il y a une loi pour l'interdire. Si rares que puissent être les cas où les renseignements personnels sont communiqués, je ferais valoir qu'il faudrait les protéger au moyen du même type d'accords de confidentialité que celui qui est en place en ce qui concerne la communication des renseignements commerciaux. À mon avis, il ne devrait pas y avoir moins de rigueur dans le cas des renseignements personnels que dans le cas des renseignements commerciaux.
Une telle disposition vous rassurerait-elle davantage? Vous avez reçu une garantie.
Mme Bernier : Tout à fait; de la façon dont la question est conçue, présentée et traitée dans le projet de loi, nous croyons bien qu'il existe des mesures de protection suffisantes au regard du risque qui se pose. De toute évidence, nous ne tenons pas le travail pour achevé, pour les raisons que vous avez énoncées. Les renseignements personnels revêtent une importance capitale. La violation du droit à la vie privée, comme nous le savons, peut entraîner de graves problèmes. C'est pourquoi nous avons l'intention de continuer à travailler avec Santé Canada.
Par contre, en ce moment, nous croyons que le projet de loi renferme les mesures de protection nécessaires dans le contexte en ce qui concerne la possibilité que des renseignements soient communiqués et les motifs à évoquer pour le faire.
Le sénateur Banks : Merci. Je ne suis pas de cet avis.
Vous dites être rassurée sur ce point à la page 3 de votre lettre à Santé Canada : « Nous sommes soulagés d'apprendre que cette pratique continuera, dans la mesure du possible, en vertu du projet de loi... » J'aimerais mieux bien fermer l'enclos plutôt que de pourchasser la bête qui s'est enfuie.
S'il s'agit de procéder à l'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée une fois que la loi a été adoptée et qu'elle est en place, lorsque vous découvrirez — si c'était le cas — qu'il aurait fallu fermer l'enclos, qu'allez-vous faire?
Mme Bernier : La mise en œuvre du projet de loi nous laisse toute la latitude voulue pour nous assurer qu'il existe des politiques, des directives et des procédures qui protègent les renseignements personnels susceptibles d'être utilisés, recueillis et communiqués.
Le sénateur Banks : Ne vaudrait-il pas mieux protéger les renseignements personnels dans la loi plutôt que dans une politique?
Mme Bernier : Selon le niveau de risque dont il s'agit, nous demanderions un resserrement de la loi, compte tenu des répercussions de la situation sur la vie privée.
Par exemple, nous avons déjà écrit au président du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes pour signifier notre témoignage imminent devant le comité à propos des projets de loi C-46 et C-47, où nous allons défendre une position nettement plus tranchée. Pourquoi? Parce que ces deux projets de loi traitent de l'accès aux renseignements personnels. C'est un élément central des projets de loi en question. Le risque est élevé; nous allons donc demander des mesures de protection proportionnelles au risque.
Nous croyons que le projet de loi C-6 traite d'un risque qui est faible correspondant à un besoin faible en matière de renseignements personnels, et que les mesures de protection prévues dans le projet de loi sont adéquates.
Le sénateur Banks : Je ne comprends pas cette approche-là. Si le projet de loi cause du tort à 600 personnes, il importe de prévoir la protection en question, mais s'il cause du tort à 47 personnes, ne vous donnez pas la peine. Je ne vous prête pas ces propos, mais je ne comprends pas.
Mme Bernier : Je me suis peut-être mal expliquée. Pour avoir lu ce projet de loi, nous croyons savoir qu'il n'entraînera pas de répercussions importantes du point de vue de la vie privée, étant donné que les renseignements personnels seront rarement mis en cause, voire jamais. Autrement dit, pour protéger la sécurité des consommateurs et tout le reste, le besoin de disposer de certains renseignements personnels est jugé faible. Santé Canada aura peut-être besoin de renseignements sur l'incident ou le produit, mais sans jamais avoir besoin, peut-être, de connaître l'identité de la personne lésée. Ce ne sera peut-être jamais pertinent.
Le sénateur Mitchell : Je voudrais approfondir cette question-là. À quel moment est-il nécessaire de communiquer des renseignements personnels? Vous dites que c'est rare, mais pouvez-vous me donner un cas où cela pourrait arriver?
Mme Bernier : Les responsables de Santé Canada seraient nettement mieux placés pour expliquer la situation; ce sont eux, les spécialistes des questions de santé et de sécurité qui entrent en jeu ici. D'après ce que nous en savons, habituellement, ce ne serait pas pertinent. Le petit garçon qui s'est blessé en jouant avec son camion s'appelle comment déjà?
Le sénateur Mitchell : Vous ne parlez pas d'une maladie infectieuse.
Mme Bernier : Justement.
En toute franchise, nous ne sommes pas spécialistes des politiques qui ont motivé ce projet de loi. Nous sommes des spécialistes de mesures de protection de la vie privée. Nous croyons savoir que les cas où il faudrait communiquer ou même recueillir des renseignements personnels seraient rares, si tant est qu'il y en aurait.
Le sénateur Mitchell : Je jouerai à l'avocat du diable. Quelles sont les dispositions qui protègent l'entreprise là où le gouvernement peut communiquer des renseignements commerciaux, mais en ayant l'assentiment de l'entreprise? Qu'advient-il si l'entreprise refuse de donner son assentiment et qu'il y a des motifs valables de communiquer l'information?
Mme Bernier : La Loi sur la protection des renseignements personnels s'applique uniquement aux renseignements personnels des particuliers. Elle ne s'applique pas aux entités commerciales.
Le sénateur Mitchell : Vous avez dû examiner cette disposition-là en examinant le projet de loi. C'est une disposition qui figure dans le texte.
Mme Bernier : Tout de même, nous n'envisageons pas les répercussions dans le cas des renseignements commerciaux. Nous nous penchons seulement sur le cas des particuliers.
Le sénateur Mitchell : Quelqu'un se penche-t-il sur les répercussions quand il s'agit de renseignements commerciaux?
Mme Bernier : Pas nous. Santé Canada a consulté les ministères qui s'intéressent à la question. Je suppose que les responsables de Santé Canada peuvent vous le dire. Cela ne relève pas de notre mandat.
Le sénateur Callbeck : Les questions que le sénateur Banks a posées m'ont permis d'obtenir la réponse à mes questions.
Le sénateur Segal : Avant que vous veniez témoigner aujourd'hui, nous avons entendu ici au comité que, à la décharge de Santé Canada, il existe un processus de consultation réglementaire détaillé qui s'appliquera une fois le projet de loi adopté, avant la rédaction du règlement. Quant à savoir comment les autorités se tireront d'affaire entre le moment où la loi et adoptée et celui où le règlement est mis en place, elles affirment qu'il existe une série de directives et de lignes directrices qui gouvernent leur activité à cet égard. Plusieurs des groupes qui sont venus témoigner devant le comité ont eu des échanges avec Santé Canada, mais, pour des raisons liées à confidentialité, ils ne peuvent révéler la teneur des directives en question.
En examinant le fonctionnement éventuel de la loi de votre point de vue, en tant que commissaire à la protection de la vie privée, avez-vous eu l'occasion d'examiner les politiques et directives qui régissent le fonctionnement du texte de loi avant l'adoption du règlement? Croyez-vous que les documents de travail et directives auxquels notre comité n'a pas accès permettent de se rassurer sur ce point?
Mme Bernier : Non; c'est ce que nous attendons, tout de même. Dans la lettre que nous avons adressée au ministère, nous avons dit attendre une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée qui traite justement des questions que vous soulevez.
Le sénateur Segal : À propos des évaluations en question, domaine où votre expertise peut nous être utile, pour avoir travaillé dans diverses administrations avant d'arriver au Sénat, je sais que ce sont ces documents complexes qu'il n'est pas facile de remplir. Il faut savoir retrouver son chemin en forêt pour s'en tirer.
Êtes-vous sûre que les évaluations, de par leur nature, peuvent être utiles et vous aider à procéder à votre évaluation à vous et que les gens qui sont appelés à participer au processus possèdent une expertise suffisante? Par exemple, le fabricant de jouets ABC ou les fabricants de jouets du Canada ont-ils eu l'occasion de voir en quoi consiste une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée de façon à pouvoir vous dire ce qui peut les inquiéter à ce sujet, sinon est- ce en dehors des activités ordinaires de votre bureau?
Mme Bernier : Ça ne fait pas partie de nos activités habituelles, étant donné que nous examinons l'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée qui a été préparée par le ministère. Vous avez raison de dire que les documents sont complexes, mais c'est pour cela que nous avons des spécialistes. Nous avons des gens dont l'examen des EFVP est un métier à temps plein.
Je suis d'accord avec vous. Quand j'ai lu les premières EFVP, leur complexité m'a intimidée, mais, en même temps, j'ai été encouragée de constater le degré de raffinement dont faisait preuve notre bureau pour traiter chaque aspect possible de diverses dimensions. Il y a la sécurité, d'une part, et la réglementation des droits fiscaux, d'autre part, et, chaque fois, nous parvenons à approfondir la teneur de l'EFVP et à soulever toutes les questions. Si justement l'EFVP n'est pas adéquate — parfois, ça arrive — nous la renvoyons à l'auteur jusqu'à ce que ça soit satisfaisant.
Le sénateur Segal : La grande idée des consultants nous vient souvent à l'esprit. Quelqu'un demande à un consultant : « Quelle heure est-il? » Le consultant répond : « Quelle heure voulez-vous? » Dans l'échange qu'il y a entre les responsables de Santé Canada ou de n'importe quel ministère et votre bureau, au fil du temps, dans la mesure où les gens savent ce que vous voulez dans une EFVP, y a-t-il un risque qu'ils vous disent ce que vous voulez entendre pour juger la chose satisfaisante, mais sans que cela module forcément la pratique du ministère, ses procédures opérationnelles ou la façon dont il respecte les droits. Par exemple, je présume, avec le superbe travail que votre bureau a fait dans le cas du CANAFE, qu'il y avait à un moment donné des EFVP jugées respectables au départ, au moment où ce programme a commencé à protéger notre sécurité — mais, maintenant, à la suite d'un travail d'enquête rigoureux, vous avez constaté que, dans certains cas, l'EFVP était observée davantage en théorie qu'en pratique.
Comment pouvez-vous nous rassurer — nous qui nous penchons sur ce projet de loi — et dire que nous n'imposons pas aux petits entrepreneurs, aux petits magasins, aux gens qui organisent des soldes dans les sous-sols d'église ou aux honnêtes fabricants des mesures excessives en la matière, même si vous avez trimé dur pour en arriver à la plus grande protection possible?
Mme Bernier : Vous avez raison. La vérification permet de vérifier l'application d'un programme; l'EFVP a donc ceci d'utile qu'elle arrive au moment de la conception d'une initiative. La vérification a ceci d'utile qu'elle est effectuée quelques années après la mise en œuvre et qu'elle permet de détecter l'écart entre ce qui était conçu au début et ce qui s'est vraiment produit.
La vérification du CANAFE est un excellent exemple de conséquences imprévues d'une formule qui était bonne au départ.
Le sénateur Segal : Avez-vous réalisé d'autres vérifications englobant la question de la vie privée à Santé Canada au fil du temps, mais sans lien avec ce projet de loi, et vous êtes-vous ainsi fait une idée de l'intensité et du niveau de rigueur avec lesquels le ministère respecte la vie privée des gens? Quel a été l'effet de cette vérification sur votre jugement dans le contexte?
Mme Bernier : Non; comme je l'ai dit plus tôt, nous nous sommes penchés sur ce projet de loi en appliquant nos critères, c'est-à-dire les obligations décrites dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et nous nous sommes assurés que c'est conforme à cette loi-là.
Le sénateur Raine : Cette discussion me fascine. J'ai une question sur les autres points que vous avez abordés, particulièrement la puce d'identification par radiofréquence. Vous avez demandé si Santé Canada envisageait d'en promouvoir l'usage, et je me demande si vous pourriez me donner quelques précisions encore là-dessus. Croyez-vous que Santé Canada devrait promouvoir l'utilisation de la puce en question et me dire si celle-ci a des effets sur les renseignements personnels?
Mme Bernier : À notre avis, le ministère ne devrait pas faire cela. C'est une question stratégique qui échappe à notre expertise.
Nous savons que l'utilisation des puces en question entraîne certaines conséquences du point de vue de la vie privée. Je connais à peine ce monde de puces, mais permettez-vous moi de vous donner l'exemple de pilules qui peuvent contenir une puce d'identification par radiofréquence. Cela permet de s'assurer que le patient respecte un certain schéma. La technologie en est rendue là. Nous prenons conscience du potentiel de transfert de renseignements personnels associés à cette technologie par ailleurs utile. La puce d'identification par radiofréquence peut renfermer des renseignements personnels, de sorte qu'elle doit être soumise aux mesures de protection appropriées. C'est la seule raison pour laquelle nous la mentionnons ici. C'est pour être rigoureux; nous voulons couvrir tous les champs possibles. Je n'ai aucune idée si cet usage est prévu. Nous voulons simplement le mentionner pour nous assurer d'être tout à fait rigoureux.
Le sénateur Callbeck : Vous aviez dit, je croyais, que l'évaluation avait été effectuée tout de suite après la promulgation de la loi, mais, ensuite, vous avez dit que c'était deux ans plus tard.
Mme Bernier : Parlez-vous de l'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée?
Le sénateur Callbeck : Oui.
Mme Bernier : Ou parlez-vous des vérifications, ce qui n'est pas la même chose?
Le sénateur Callbeck : Expliquez donc la différence alors.
Mme Bernier : L'évaluation provient du ministère lui-même, dans le cas qui nous occupe, Santé Canada, qui prépare une analyse des facteurs relatifs à la vie privée, de la manière dont le ministère entend appliquer, faire respecter et mettre en œuvre le texte de loi. Le ministère nous remet cette évaluation-là. Il y englobe toutes les questions pouvant survenir relativement à la protection des renseignements personnels et nous dit comment il entend protéger les renseignements en rapport avec toutes ces questions-là.
Ensuite, nous examinons l'évaluation en question et formulons des observations. Soit que nous disons oui, nous sommes d'accord pour dire que vous avez tout prévu, soit — et c'est ce qui arrive le plus souvent —, nous demandons au ministère s'il n'a pas songé à ceci ou à cela et comment il s'y prendra pour renforcer telle ou telle mesure? Cette évaluation des facteurs relatifs à la vie privée est effectuée au départ. Elle vise à garantir que le programme ou l'initiative qui est mis en œuvre comporte une protection adéquate de la vie privée, dès le début.
La vérification vient de nous. Nous affirmons que, à nos yeux, le ministère X traite beaucoup de renseignements personnels; il présente donc un risque élevé et doit rendre compte de la façon dont il s'y prend pour protéger la vie privée des gens. Nous nous rendons au ministère même avec une équipe de vérificateurs, où nous déterminons comment le ministère a mis en œuvre le programme.
Le sénateur Callbeck : L'évaluation des effets sur la protection de la vie privée est donc effectuée au début; elle est menée par le ministère, qui vous consulte. Si vous n'êtes pas d'accord avec la mise en application ou la mise en œuvre que veut en faire le ministère, pouvez-vous agir?
Mme Bernier : Non, mais nous avons manifestement une influence morale, parce que, selon notre expérience, nos recommandations sont mises en œuvre.
Le sénateur Callbeck : Il s'agit de l'évaluation, de sorte que vous n'avez aucun pouvoir de ce côté.
Et du côté de la vérification? Vous menez la vérification; vous vous rendez sur place et vous cherchez s'il y a des problèmes. Avez-vous le pouvoir d'agir?
Mme Bernier : Encore une fois, nous n'avons pas de pouvoir juridique, mais nous avons un pouvoir moral. Si vous examinez les résultats de la vérification du CANAFE, vous constaterez qu'il a accepté toutes nos recommandations. Les résultats de la vérification ont été rendus publics hier, et leur réponse publique était la suivante : oui, nous réalisons qu'il y avait des problèmes; nous acceptons les recommandations et avons commencé à les mettre en œuvre.
Le sénateur Callbeck : Assurez-vous le suivi de ces recommandations?
Mme Bernier : Oui.
Le sénateur Ogilvie : Je pense que vous avez répondu clairement à la question que je vais vous poser, mais je veux m'en assurer.
À ma lecture du projet de loi, j'ai constaté qu'il est intitulé : « Loi concernant la sécurité des produits de consommation ». L'accent est mis sur la sécurité des produits de consommation. Les exigences détaillées en matière d'établissement de rapports sur les incidents renvoient aux effets secondaires du produit; de manière générale, la nature des renseignements personnels se présente sous la forme de la description générale du public touché par un produit : les bébés, les enfants, les adultes ou encore des circonstances générales, mais il n'est pas nécessaire de connaître l'identité d'une personne donnée — les caractéristiques personnelles, et cetera, à un degré qui permettait d'identifier une personne donnée.
Je crois que vous avez dit clairement que votre rôle consiste à examiner cet aspect des choses et que, en ce qui concerne ce projet de loi précis, vous considérez que votre rôle consiste à examiner au sens large la question des caractéristiques du produit plutôt que l'identité précise des personnes, sauf pour préciser à quel groupe les personnes touchées appartiennent, par exemple les enfants, et cetera.
Vous ai-je bien comprise?
Mme Bernier : Parfaitement.
Le sénateur Banks : Les inspecteurs qui sont nommés par la ministre mènent-ils leur enquête auprès des enfants qui ont été blessés par les jouets, ou mènent-ils l'enquête auprès des personnes qui leur ont donné les jouets?
Mme Bernier : Tout d'abord, nous n'étudions pas la structure constitutionnelle qui sous-tend ces pouvoirs. Selon ce que nous comprenons relativement aux pouvoirs — nous avons lu le projet de loi, tout comme vous —, les inspecteurs ont les pouvoirs de faire l'inspection nécessaire pour examiner un produit de consommation. D'après ce que nous comprenons des dispositions relatives à ce pouvoir, aucun renseignement personnel ne sera recueilli dans le cadre d'une inspection.
Le sénateur Banks : D'après ce que j'ai compris de la question du sénateur, pensez-vous que les « renseignements personnels » dont parle le projet de loi renvoient à des renseignements personnels liés à une personne qui pourrait avoir été blessée, dont la santé pourrait avoir été atteinte ou dont la sécurité publique pourrait avoir été mise en jeu, et ce, par opposition, de manière distincte et séparée, aux personnes qui pourraient être la cause de ces torts? Est-ce exact?
Mme Bernier : Il nous faut définir l'expression « renseignements personnels ». La Loi sur la protection des renseignements personnels protège les renseignements qui sont liés à l'identité d'une personne. Selon notre compréhension, en vertu de ce projet de loi, il sera exceptionnel que des renseignements recueillis puissent être liés à une personne parce que cette information ne sera pas nécessaire pour réaliser les objectifs du projet de loi.
Le sénateur Mitchell : J'essaie moi aussi de mieux comprendre cette question. D'accord, je comprends que vous n'avez peut-être pas d'exemples du genre de situation où le ministère pourrait vouloir divulguer des renseignements personnels, mais vous avez sûrement, dans le cadre de votre étude de cette question, demandé au ministère de la Santé de vous fournir un exemple. Si le ministère affirme que cela n'arrivera jamais, ou presque jamais, il faut sûrement que les paramètres d'un tel énoncé soient définis par une exception, et un tel exemple nous rassurerait, tout comme vous.
Avez-vous posé cette question au ministère? Quelle réponse avez-vous reçue?
Mme Bernier : Certainement, nous avons posé cette question. Elle s'impose. Le ministère a répondu que, pour garantir la sécurité des consommateurs, l'information dont il a besoin porte sur les tendances et les produits plutôt que sur le patient ou les victimes en tant que personnes caractérisées par un nom et un âge. Santé Canada n'a pas besoin d'identificateurs. Cela ne lui est d'aucune utilité.
Il aura peut-être besoin de savoir que tel produit a causé tant d'incidents et tel type de dommages, mais, selon ma compréhension, il n'a pas besoin de faire de lien entre cette information et l'identité d'une personne.
Le sénateur Mitchell : Pourquoi ne pas l'interdire? Interdisons tout simplement la divulgation de l'identité. Pourquoi ne pas dire qu'il ne peut recueillir cette information à moins de pouvoir nous donner un motif pour le justifier?
Je peux imaginer une situation où, disons qu'il existe un produit que quelqu'un, un enfant, pourrait avoir mangé et que cela ait causé une infection — pas du plomb, mais une infection —, et maintenant l'enfant est contagieux. Peut-être que quelqu'un doit être au courant et qu'il faut ensuite connaître le nom de ce pauvre enfant afin que quiconque ayant été en contact avec lui puisse être averti. Il m'appert que le ministère de la Santé pourrait être plus précis quant à l'information dont il a besoin. Si le ministère affirme qu'il n'aura jamais besoin de ce pouvoir, alors, ne le lui donnons pas.
Mme Bernier : Selon la réponse que nous avons reçue, ce serait rare, et si cela devait se produire, cette mesure serait dictée par un besoin impératif de protéger la sécurité.
Le sénateur Mitchell : De quel type de besoin s'agirait-il? Vous a-t-on donné un exemple?
Mme Bernier : Je me tournerais vers eux pour qu'ils répondent à cette question, parce que ce sont eux les experts. Il s'agit d'une question de politique, et ce sont eux les spécialistes de la politique qui sous-tendent le projet de loi.
Le sénateur Mitchell : On peut imaginer que le ministère se garde cette possibilité, ce qui, pour ma part, m'inquiéterait sur le plan de la protection de la vie privée, tout comme pour le Commissariat à la protection de la vie privée.
Mme Bernier : Vous avez raison. Ce serait une préoccupation en matière de protection de la vie privée si elle n'était pas étroitement liée à la nécessité et à la proportionnalité avec le risque encouru.
Le sénateur Mitchell : Cependant, le ministère ne vous a pas expliqué en quoi ce serait nécessaire.
Mme Bernier : Le ministère a répondu qu'il n'envisageait pas en avoir besoin. Même si nous ne sommes pas des spécialistes, nous sommes capables de comprendre qu'il n'est peut-être pas nécessaire du tout de connaître l'identité d'une victime pour mettre en œuvre le projet de loi. Cependant, le ministère a déclaré que si jamais ces renseignements étaient nécessaires, ce serait strictement en raison d'un besoin impératif, ce qui répond à notre critère. Notre critère précise que des renseignements personnels peuvent parfois être divulgués si, effectivement, cette mesure est nécessaire, proportionnelle au risque encouru et efficace, et s'il n'y a pas d'autre solution.
Le sénateur Banks : J'ai encore une autre question.
Je suis perplexe. Le sénateur Ogilvie a posé une question dont la réponse pourrait dissiper mon inquiétude. Le sénateur Ogilvie a posé la question, et vous avez répondu de manière à laisser entendre que les renseignements personnels qui seraient recueillis — et peut-être rarement diffusés en ce cas — seraient relatifs à la victime d'un incident lié à la sûreté personnelle ou à la santé.
Cela signifie-t-il que vous croyez que la loi ne porte pas sur d'éventuelles collecte et divulgation de renseignements personnels sur qui que ce soit d'autre que la victime; par exemple, une personne individuelle ou une personne morale qui pourrait être responsable — de manière involontaire ou autre — d'avoir causé du tort? Êtes-vous en train de nous dire que, à votre avis, ce projet de loi n'envisage pas la collecte et la diffusion de renseignements personnels pour qui que ce soit d'autre que des victimes ayant été blessées ou dont la sécurité personnelle a été menacée?
Mme Bernier : Je dis que ce projet de loi n'envisage la collecte ou la divulgation d'aucuns renseignements personnels, au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels, notamment les renseignements permettant d'identifier une personne.
Selon notre compréhension, les renseignements recueillis en vertu de ce projet de loi ne seraient habituellement pas liés à des personnes individuelles, quelles qu'elles soient.
Le sénateur Banks : Je suis désolé d'insister, mais je vais lire l'article 15 du projet de loi aux fins du compte rendu, à l'intention des insomniaques qui sont peut-être en train de regarder cette réunion :
Le ministre peut communiquer à toute personne ou administration exerçant des fonctions relatives à la protection de la santé ou de la sécurité humaines des renseignements personnels [...]
Je présume que, avec un tel libellé, le projet de loi parle de renseignements personnels au sens de renseignements personnels.
[...] se rapportant à un individu sans obtenir son consentement, si cela est nécessaire pour établir l'existence d'un danger pour la santé ou la sécurité humaines qui est grave ou remédier à ce danger.
Je ne suis pas avocat, mais je sais lire. Selon cet article, si le ministre peut communiquer des renseignements personnels, ils doivent avoir été recueillis.
Ce projet de loi envisage la collecte et la communication de renseignements personnels. Je pense que ces renseignements pourraient inclure des renseignements personnels liés à des personnes autres que celles qui pourraient avoir subi du tort, selon le sens de ce projet de loi.
Personne ne remet en question le fait que cette disposition est une bonne idée. Cette disposition est une bonne idée. Nous devons être en mesure de recueillir ces renseignements. Dans l'intérêt national, il est impératif que nous soyons en mesure de recueillir ces renseignements. La question consiste à déterminer les circonstances dans le cadre desquelles nous pouvons recueillir ces renseignements et quelles sont les contraintes à imposer à cette collecte.
Compte tenu de l'article que je viens de lire, êtes-vous d'accord pour dire que le projet de loi que nous étudions envisage la collecte et une éventuelle communication des renseignements relatifs à des personnes autres que celles dont la santé et la sécurité pourraient avoir été touchées? Êtes-vous d'accord avec cela?
Mme Bernier : Je vous répondrai oui, parce que l'article 15 n'établit pas cette distinction. Je comprends qu'il s'agirait d'un événement rare, et qu'il serait justifié par une stricte nécessité; c'est pourquoi nous sommes satisfaits de cette disposition.
La présidente suppléante : Nous avons terminé de poser nos questions.
[Français]
Je remercie nos témoins de leur participation à l'étude du projet de loi C-6. Les informations qu'ils nous ont fournies seront très utiles.
Chers collègues, pour la deuxième partie de notre séance d'aujourd'hui nous accueillons le Dr Victor Goldbloom.
[Traduction]
Le Dr Goldbloom est un ancien professeur de pédiatrie sociale et d'économie de la médecine à l'Université McGill. Il a porté de nombreux chapeaux différents dans sa vie, y compris celui de député à l'Assemblée nationale du Québec, ministre québécois de l'Environnement et ministre québécois des Affaires municipales, de 1991 à 1999. Il a également été commissaire aux langues officielles du Canada.
[Français]
La présidente suppléante : Le Dr Goldbloom comparaît aujourd'hui à titre de président du Conseil consultatif de l'Institut canadien de la santé infantile.
Nous vous souhaitons la bienvenue et vous cédons la parole.
[Traduction]
Dr Victor Goldbloom, président du conseil consultatif, Institut canadien de la santé infantile : Mesdames et messieurs, je suis ici à titre de pédiatre et de membre de longue date du Conseil consultatif de l'Institut canadien de la santé infantile, dont j'ai récemment été nommé président. L'Institut canadien de la santé infantile voulait avoir l'occasion d'exprimer une préoccupation qui porte sur la santé et la sécurité des enfants canadiens. Mon exposé sera bref. Permettez-moi d'entrée de jeu de vous présenter mes lettres de créance linguistiques.
[Français]
Il ne conviendrait pas que je donne deux fois le même discours, mais je tiens à m'engager à poursuivre un dialogue dans l'une ou l'autre des deux langues officielles.
L'Institut canadien de la santé infantile existe depuis 1977 et sa mission est de surveiller et d'analyser la santé, la sécurité et le bien-être des enfants canadiens. C'est cette mission qui nous amène à vous encourager à adopter sans délai et sans affaiblissement le projet de loi qui est devant vous.
[Traduction]
Il se trouvera des gens qui jugeront ce projet de loi comme quelque chose d'extrême et sans précédent, quelque chose qui affaiblit la nature démocratique de notre société et qui limite les libertés au sein de notre société. Nous aimerions faire valoir que, dans le principe de la loi elle-même, il n'y a vraiment rien de nouveau. La déclaration obligatoire existe dans divers domaines depuis longtemps : déclaration obligatoire des maladies qui constituent un risque pour la santé publique; quarantaine obligatoire de lieux en raison de la présence de maladies; immunisation obligatoire contre les maladies; inspection obligatoire d'aliments et vérifications obligatoires de produits pharmaceutiques avant leur mise en marché;
Pour protéger la santé publique, une autorité efficace doit pouvoir intervenir. À un moment où nous ignorions que nous aurions l'occasion de présenter un exposé, l'Institut canadien de santé infantile a pris l'initiative et la liberté d'écrire aux sénateurs membres de votre comité. Dans cette lettre, l'Institut déclarait que quand la santé publique est en jeu, le fardeau de la preuve revient à la personne ou à l'entreprise qui affirme qu'un produit ou qu'un processus est sécuritaire.
Nous sommes également préoccupés par le fait qu'un produit introduit au Canada aujourd'hui aura un effet de plus longue durée dans la vie d'un nouveau-né d'aujourd'hui que dans la vie d'un adulte d'aujourd'hui. Cela ajoute une grande importance à cet effet, parce que l'effet de cette substance sur l'organisme de l'enfant se déroulera pendant les périodes de croissance où les tissus réagissent différemment aux éléments qui leur sont infligés. Les effets sur le développement de l'enfant ne seront peut-être pas immédiatement apparents, mais ils pourraient apparaître au fil du temps.
Madame la présidente, la loi canadienne est lacunaire quand vient le temps de vérifier les substances introduites sur le marché. Nous n'évaluons pas de manière adéquate les effets de telles substances pendant la période prénatale. Il existe une possibilité particulière que quelque chose survienne pendant le développement utérin d'un enfant, et nous ne déployons pas suffisamment d'efforts pour évaluer les éventuelles répercussions.
Il y a un nombre considérable de nouveaux produits introduits chaque année. Vous possédez sans aucun doute de telles statistiques, que je n'ai pas. Les dispositions proposées par ce projet de loi sont raisonnables et nécessaires. Il est inévitable que, puisque la nature de ces audiences consiste à examiner l'application pratique des lois proposées, les personnes qui travaillent dans le domaine affirment qu'une exigence particulière est trop stricte et qu'il sera difficile de s'y conformer, mais qu'une modification de cette exigence rendrait son application plus simple et plus efficace. C'est un débat qui semble parfaitement raisonnable. Cependant, nous, l'Institut canadien de la santé infantile, n'avons ni doute ni hésitation sur notre position dans le débat sur la nature fondamentale de la loi. Nous vous exhortons à aller de l'avant avec ce projet de loi.
Le sénateur Banks : Je vais m'incliner devant les membres réguliers du comité, parce que je suis un invité.
La présidente suppléante : Je vous en prie, sénateur Banks, la parole est à vous.
Le sénateur Banks : Docteur Goldbloom, je suis honoré de faire votre connaissance. Nous sommes ravis que vous soyez parmi nous. Le travail précieux que vous avez accompli est bien connu des Canadiens. Tout ce que vous dites est exact. Personne ne peut s'opposer à l'assiduité et à la vigilance quand il s'agit de la santé des Canadiens, tout particulièrement des enfants.
Toutes sortes de lois contiennent des éléments dont les Canadiens ne voient pas la nécessité, comme les infractions de responsabilité absolue, où le fardeau de la preuve n'est pas celui que la plupart des gens croient être en vigueur au Canada. De telles choses sont normales et nécessaires, tout comme le sont certains des éléments de ce projet de loi, par exemple, la saisie de renseignements et de biens testés de manière inadéquate.
Je vais vous demander une précision à propos de l'aspect de ce projet de loi, et j'utiliserais votre exemple d'éventuels problèmes utérins causés par des produits pharmaceutiques testés de manière inappropriée qui ont été prescrits par des médecins et vendus à des patients. Supposons que des résultats utérins malheureux imprévus peuvent être liés à une procédure, à une ordonnance ou à une thérapie appliquée par un médecin ou un groupe de médecins. En vertu de ce projet de loi, les pénalités s'élèveront à des millions de dollars et à des années d'emprisonnement. Le projet de loi propose de laisser tomber presque 800 ans de common law et du concept d'apparence de droit. Une personne accusée d'une infraction aux termes de ce projet de loi ne peut se défendre en invoquant la diligence raisonnable pour empêcher l'infraction ou le fait d'avoir raisonnablement et honnêtement cru en l'existence de faits qui, s'ils s'étaient révélés vrais, auraient exonéré cette personne. Croyez-vous que cette loi est appropriée?
Dr Goldbloom : D'après la description que vous en faites, sénateur, je vous répondrais non.
Le sénateur Banks : La description que j'en fais, vous me pardonnerez, est celle qui se trouve dans le projet de loi. Ce projet de loi prendra force de loi si nous l'adoptons. Notre comité peut faire trois choses : nous pouvons recommander l'adoption du projet de loi, nous pouvons recommander d'y apporter des modifications ou nous pouvons le rejeter. L'extrait que j'ai lu était tiré textuellement du projet de loi.
Dr Goldbloom : Le problème que vous venez de soulever est un problème majeur aux États-Unis depuis de nombreuses années, où les poursuites sont devenues répandues et des dommages et intérêts extrêmement élevés sont accordés. Ce phénomène a été beaucoup moins important au Canada.
J'étais un médecin praticien et j'ai toujours été convaincu qu'un acte responsable et consciencieux devrait être sa propre défense, et que des résultats malheureux pourraient mener au retrait du marché d'un produit ou à des changements des politiques recommandées en ce qui a trait aux pratiques médicales. J'ai été perturbé par le phénomène américain qui va au-delà de ce qui est responsable pour évaluer la pratique d'un médecin et la manière dont il prend soin de ses patients.
J'ajouterai un point d'importance relativement aux effets prénataux des produits pharmaceutiques. Rappelons-nous de la tragédie de la thalidomide. Rappelons-nous qu'une fonctionnaire canadienne avait suffisamment de soupçons selon lesquels ce médicament n'était pas sécuritaire et qu'elle était intervenue pour veiller à ce qu'il ne soit pas utilisé au Canada comme il l'était dans d'autres pays. C'est ce type d'événement qui nous pousse à vouloir intensifier et améliorer notre vérification d'éventuels effets prénataux avant qu'un produit pharmaceutique soit mis en marché.
Le sénateur Banks : Je suis d'accord à 100 p. 100. Pour revenir à ma question originale, êtes-vous d'accord pour que le Sénat adopte le projet de loi afin qu'il prenne force de loi tout en sachant qu'un médecin praticien ne pourra invoquer pour se défendre le fait d'avoir agi de manière raisonnable dans les circonstances, ce qui devrait constituer une défense en soi? Ce projet de loi supprime cette défense.
Dr Goldbloom : En toute honnêteté, je suis d'avis que cette défense devrait être jugée valable et qu'elle ne devrait pas être supprimée.
Le sénateur Segal : Permettez-moi de vous dire que je partage avec le sénateur Banks sa grande appréciation de votre présence ici aujourd'hui. Je peux reconnaître autour de cette table que j'ai grandi au Québec. Le Dr Goldbloom était non seulement ministre, mais également député provincial de mon secteur de la ville. Comme j'ai mené une féroce campagne de porte-à-porte en tant que candidat de l'Union nationale, je peux vous dire que cela n'a eu absolument aucun effet. Nous n'avons jamais récupéré notre mise.
Le sénateur Munson : Ensuite, sénateur Segal, je l'ai couvert en tant que journaliste.
Le sénateur Segal : Ces années de service sur de nombreux différents fronts témoignent de ce Canadien plus grand que nature. Nous sommes honorés qu'il soit parmi nous aujourd'hui.
Je poursuivrai sur la lancée de la question du sénateur Banks. Ce projet de loi ne porte pas sur les produits dangereux; ils sont couverts ailleurs. Il ne porte pas sur les produits pharmaceutiques; c'est une autre loi qui s'en occupe. Il ne porte pas non plus sur la qualité de la pratique médicale, qui est régie par les collèges qui relèvent généralement de la compétence provinciale.
L'idée de se débarrasser du type de défense que vous jugez appropriée laisse entendre que nous pourrions augmenter la sécurité des produits pour les enfants et pour d'autres groupes cibles en augmentant les pouvoirs des bureaucrates du ministère. Je vous demande de réfléchir à votre expérience, non pas dans votre rôle actuel, mais en tant qu'ancien ministre de l'Environnement et d'autres ministères du Québec. Êtes-vous d'avis qu'il existe un lien direct d'équilibre — un équilibre constructif — entre, d'une part, l'augmentation de la sécurité publique et, d'autre part, l'augmentation des pouvoirs des bureaucrates?
En lisant votre mémoire et en écoutant les autres commentaires qui ont été faits... la sécurité du public relative aux produits s'appuie sur l'information, les pratiques exemplaires, la supervision parentale et le signalement de toute préoccupation que les médecins ou d'autres pourraient avoir auprès des organismes réglementaires. Elle s'appuie également sur des entreprises compétentes dont les pratiques sont honnêtes et respectables. Elle pourrait, à l'occasion, s'appuyer sur l'augmentation des pouvoirs bureaucratiques. Il m'appert que le fait de simplement faire un lien automatique entre l'augmentation des pouvoirs et l'augmentation de la sécurité des consommateurs est un pas que l'histoire et les ensembles de données disponibles ne nous permettent pas de franchir. Qu'en pensez-vous?
Dr Goldbloom : Il n'est pas facile de trouver le juste équilibre. Aucun des extrêmes n'est acceptable — l'autorité excessive d'un côté ou la liberté excessive d'agir sans supervision adéquate de l'autre.
L'équilibre se trouve quelque part au centre, mais où? Si on ressent le besoin d'une telle loi en ce moment, c'est qu'une partie du gouvernement, plus particulièrement le ministre de la Santé — estime que le contrôle n'est pas suffisamment ferme. Des comparaisons entre ce qui est proposé et des lois existantes indiquent que c'est le cas.
Quand nous créons des pouvoirs, nous créons la possibilité qu'on en abuse. Au moment de faire l'évaluation raisonnable de l'équilibre des pouvoirs, nous devrions présumer que la personne à qui ce pouvoir sera conféré l'exercera de manière appropriée, que l'abus de pouvoir sera une exception et qu'il existera des mécanismes de protection contre les abus de pouvoir. Par exemple, le projet de loi contient un mécanisme d'examen.
J'ai remarqué que, dans les témoignages devant votre comité — je n'ai pas été en mesure de lire tous les témoignages — certains témoins ont indiqué que le fait qu'une seule personne procède à l'examen ne serait sans doute pas la formule à privilégier. L'examen devrait être mené par un petit groupe de personnes. Je peux appuyer ce point de vue. Je pense qu'une telle approche constitue une forme de protection supplémentaire.
Je souhaiterais pouvoir être plus précis pour définir où se trouve l'équilibre. Je comprends que vous soyez préoccupés par la possibilité que — permettez-moi d'utiliser l'expression franchement — des non-élus se retrouvent avec une quantité excessive de pouvoirs.
Une voix : C'est nous, ça.
Le sénateur Segal : C'est une autre boîte de Pandore.
Dr Goldbloom : Dans le projet de loi, le ministre se retrouve avec beaucoup de responsabilités. Je suis d'accord pour dire que je n'aimerais pas que des gestionnaires qui n'ont pas à rendre de comptes directs à l'opinion publique se retrouvent avec des pouvoirs illimités ou qu'il ne serait pas possible de contester.
Le sénateur Segal : Santé Canada affirme avoir consulté un large éventail de groupes pour élaborer le projet de loi. Le groupe que vous représentez a-t-il été consulté? Avez-vous eu l'occasion d'exprimer vos points de vue sur les aspects techniques et autres de la loi?
Dr Goldbloom : Notre point de vue n'a pas été sollicité. Nous l'avons présenté spontanément.
Le sénateur Martin : Docteur Goldbloom, à titre personnel, j'ai moi-même beaucoup d'estime pour votre opinion et pour l'évaluation que vous nous présentez aujourd'hui en tant que pédiatre et en tant qu'ancien législateur, ainsi que pour votre expérience très riche. L'institut que vous représentez existe depuis 1977. Vous êtes fort de l'ensemble du contexte et de l'autorité voulue pour nous parler de ce projet de loi et offrir votre opinion.
Selon votre avis de spécialiste, croyez-vous que le projet de loi C-6 est nécessaire en ce moment?
Dr Goldbloom : Je vous réponds simplement oui. Selon notre perception, il est nécessaire. Nous en sommes persuadés par les résultats de la comparaison entre ce qui existe présentement et ce que propose le projet de loi.
Le sénateur Martin : D'autres témoins nous ont dit que, dans le contexte de mondialisation actuelle, d'autres administrations renforcent leur régime de sécurité. Le Canada court le risque de devenir une décharge; il l'est peut-être déjà. Nous avons entendu cette phrase, et cela m'inquiète, en tant que consommatrice, en tant que parent et en tant que Canadienne. Partagez-vous cette préoccupation selon laquelle le fait de ne pas agir et de ne pas adopter ce projet de loi rend notre pays plus susceptible à de tels risques potentiels?
Dr Goldbloom : Sénateur, vous avez raison. Si nous prenons des mesures différentes de celles des autres pays industrialisés, nous nous exposons soit à des abus face à notre laxisme en matière de produits autorisés sur nos marchés, soit à des désavantages d'ordre économique si nous sommes plus stricts que tout le monde; les investisseurs iront peut-être voir ailleurs.
Encore une fois, il faut trouver l'équilibre. Le Canada devrait prendre le leadership et utiliser son ascendant pour pousser la communauté internationale à adopter de manière collective des pratiques exemplaires et à éviter une concurrence inappropriée pour la seule raison que certains pays sont plus stricts que d'autres.
Le sénateur Martin : Du point de vue de l'institut, puisqu'il existe depuis 1977, quelles lacunes avez-vous relevées? Comment ce projet de loi comble-t-il certaines de ces lacunes, sinon toutes?
Dr Goldbloom : Nous avons reçu des renseignements sur la fréquence des accidents et des maladies. Si vous me permettez de parler un peu de ce que fait l'Institut canadien de santé infantile, nous avons maintenant publié trois profils de la santé des enfants canadiens, en 1989, 1994 et 2000. Nous espérons publier une quatrième édition très bientôt. Ce profil mesure comment nous nous débrouillons.
J'arrive d'une réunion de l'institut. L'une de nos préoccupations est liée au fait qu'il nous faut examiner les lois provinciales dans différents domaines. Notre organisation sœur, la Société canadienne de pédiatrie, a publié un document qui fait l'évaluation de la manière dont les lois des différentes provinces protègent la santé et la sécurité des enfants, sachant que la santé est principalement une compétence provinciale. Ces organismes nous donnent l'occasion de nous faire entendre et d'affirmer que nous pouvons faire mieux.
J'ai apporté deux choses avec moi. L'un est un recueil des projets actuellement en cours à l'Institut. L'autre est une trousse qui encourage le lavage des mains. En français, elle est intitulée « Vincent, veux-tu te laver les mains? » et en anglais, « William, Won't You Wash your Hands? ». Ces documents pourraient peut-être vous intéresser.
Nous nous sommes donné pour mission de surveiller ce qui arrive aux enfants canadiens au fil du temps et la mesure dans laquelle nous nous améliorons pour protéger la santé et la sécurité des enfants canadiens.
Si vous me permettez d'ajouter une dernière chose, j'ai récemment reçu, par le truchement de l'Université McGill, un document d'évaluation des systèmes de soins de santé dans six pays différents — le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie, la France et l'Allemagne.
Le Canada s'en tire raisonnablement bien. Nous ne sommes probablement pas au sommet de la liste pour la plupart des aspects, et nous ne sommes certainement pas au dernier rang non plus. Comme je l'ai dit à mes collègues cet après- midi, cela m'a fait penser à mon grand-père : quand je lui demandais « Grand-papa, comment vas-tu? » Il me répondait toujours la même chose : « On peut toujours faire mieux ». Je pense que cela décrit bien notre situation.
Le sénateur Ogilvie : Docteur Goldbloom, j'ai suivi votre exposé avec grand intérêt et j'ai été tout à fait d'accord, jusqu'à ce que vous parliez d'un aspect qui m'a surpris dans le contexte de ce projet de loi, c'est-à-dire la question des problèmes prénataux. Cela m'a mené à me poser différentes questions liées à la responsabilité des médecins et ainsi de suite, questions auxquelles vous avez répondu de manière complètement appropriée.
Pourriez-vous m'aider à comprendre pourquoi vous avez soulevé cette question dans le cadre de ce projet de loi? Je vais vous dresser la liste des domaines qui sont précisément exclus de la portée de ce projet de loi et qui sont, d'après la manière dont j'ai interprété votre commentaire, des domaines que votre commentaire incluait, alors qu'ils sont exclus par le projet de loi.
Voici les domaines qui sont exclus de ce projet de loi, tel qu'énoncé à l'Annexe 1 : « Drogue au sens de l'article 2 de la Loi sur les aliments et drogues » ; « Instrument au sens de l'article 2 de la Loi sur les aliments et drogues »; « Cosmétique » et « Aliment au sens de l'article 2 de la Loi sur les aliments et drogues » et « Produit antiparasitaire au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les produits antiparasitaires. »
À la lumière de ces exclusions précises, pourriez-vous m'aider à comprendre à quels produits vous faisiez référence en parlant des répercussions sur le développement prénatal des enfants?
Dr Goldbloom : D'après ce que je comprends, ces exclusions sont couvertes par d'autres lois, ainsi que l'a signalé le sénateur Segal; par conséquent, ce projet de loi n'ouvre pas la porte à de malheureux incidents.
Mon commentaire sur l'évaluation des effets sur le développement prénatal était un commentaire de nature générale. Je voulais faire consigner au compte rendu notre préoccupation au moment d'évaluer de nouveaux produits, notamment les produits pharmaceutiques et d'autres choses, pour en déterminer les différents effets au cours d'une vie. Nous avons l'impression que nous n'accordons pas suffisamment d'importance à la période prénatale. Je voulais en faire un commentaire d'ordre général plutôt que de critiquer ce projet de loi de manière précise.
Le sénateur Ogilvie : Docteur Goldbloom, je comprends votre préoccupation et je partage l'inquiétude que vous avez exprimée. Cependant, la teneur de votre estimé témoignage et les implications de telles déclarations par rapport au projet de loi lui-même m'inquiètent. C'est pourquoi je vous ai posé cette question précise.
Si je vous ai bien compris, vous avez expliqué votre énoncé comme étant une préoccupation d'ordre général pour la société, par opposition aux éléments que vous avez relevés qui ont nouvellement été exclus de ce projet de loi.
Dr Goldbloom : C'est exact, sénateur.
Sénateur Ogilvie : Merci beaucoup.
La présidente suppléante : Docteur Goldbloom, merci beaucoup.
[Français]
Cela a été très agréable de vous accueillir. Nous allons sûrement prendre votre présentation en considération.
[Traduction]
Chers collègues, merci beaucoup. Nous allons nous réunir demain matin.
(La séance est levée.)