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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 11 - Témoignages du 3 décembre 2009


OTTAWA, le jeudi 3 décembre 2009

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, saisi du projet de loi S-201, Loi modifiant la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada (Musée national du portrait), se réunit ce jour à 10 h 46, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

Nous examinons aujourd'hui le projet de loi S-201, Loi modifiant la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada (Musée national du portrait). Je suis heureux de voir que c'est un projet de loi d'une seule page. On ne peut faire beaucoup de mal avec un projet de loi d'une page, n'est-ce pas?

Je salue également le sénateur Nolin, qui remplace aujourd'hui le sénateur Keon. Tous les autres sont des membres réguliers. À l'autre extrémité de la table se trouve le parrain du projet de loi S-201, le sénateur Grafstein, qui va prochainement prendre sa retraite après une longue carrière remarquable, qui remonte à janvier 1984 lorsqu'il a été nommé au Sénat par l'ancien premier ministre Trudeau. Bien sûr, il est originaire de la même ville que moi, Toronto. Il a toujours porté avec fierté le titre de sénateur de l'agglomération de Toronto. Bienvenue au sénateur Grafstein, qui va maintenant nous parler de son projet de loi.

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein, parrain du projet de loi : Merci, monsieur le président. Je me suis senti privilégié et fier de vous servir lorsque vous étiez l'éminent maire de Toronto. Non seulement vous ai-je servi, j'ai aidé à vous faire réélire à plusieurs reprises. Toronto souffre de votre absence, monsieur. Vous avez assumé de plus hautes fonctions, mais vous manquez à Toronto. Où êtes-vous lorsque nous avons besoin de vous?

Cela dit, je veux remercier tous les honorables sénateurs de m'écouter aujourd'hui. Je sais que certains sénateurs jugent que je suis parfois trop passionné, parfois trop rugueux, parfois trop dominant. Ce n'est pas mon intention d'être ainsi, mais certains sujets me tiennent à cœur. Lorsque je m'engage sur une question, pardonnez ma passion. Mais sur celui qui nous occupe aujourd'hui, je suis enflammé depuis quelque temps.

J'aimerais commencer par parler du bâtiment lui-même. Vous remarquerez que le projet de loi ne vise pas seulement à créer le Musée national du portrait — initialement il prévoyait que le Musée national du portrait serait établi dans la région de la capitale nationale — mais, depuis le premier jour de cette idée, il devait être logé dans un site précis, au 100 de la rue Wellington, soit le bâtiment juste à gauche de nous.

Le sénateur Segal : Le projet de loi ne parle pas d'un site spécifique.

Le sénateur Grafstein : Si. Il dit : « 100, rue Wellington ». C'est très précis. Il prévoit un Musée national du portrait à cet endroit précis. Il y a une raison à cela.

Premièrement, permettez-moi d'expliquer brièvement la chronologie de ce bâtiment. Il représente un élément important de l'histoire canadienne. Ce bâtiment a été construit en 1931-1932. D'emblée, il a été applaudi à l'échelle internationale pour son architecture hors pair. Il a été construit par le gouvernement américain et il abritait l'ambassade américaine, en face des édifices du Parlement. La reconnaissance de la première mission étrangère au Canada a eu lieu là, en 1931-1932. La raison en est que les États-Unis ont reconnu cette année-là officiellement, dans leur politique étrangère, l'indépendance du Canada par rapport à la Grande-Bretagne. Ils ont été le premier pays à reconnaître notre souveraineté et, en ce sens, c'est un bâtiment symbolique et historique. De l'autre côté de la rue se trouvent la colline parlementaire et les édifices du Parlement et tout le monde s'accorde à dire que les édifices du Parlement sont la construction la plus symbolique du Canada. Ils sont probablement les édifices les plus connus au Canada. Alors que ce bâtiment n'est pas reconnu, il pourrait facilement devenir connu comme le deuxième plus important, sans qu'il en coûte rien aux contribuables, et je vais expliquer cela dans un instant.

En 1931-1932, il a été construit et occupé par les Américains, et puis les États-Unis ont décidé de construire un vaste bâtiment sur la promenade Sussex en 1995. En 1997, l'édifice de la rue Wellington a été acheté par le gouvernement fédéral, par l'intermédiaire de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, TPSGC. C'est à ce moment-là que j'ai pour la première fois soumis à M. Chrétien l'idée de créer un musée du portrait à cet endroit, car à l'époque aucun usage n'était prévu pour lui, sinon peut-être de le démolir pour créer un espace ouvert en face des édifices du Parlement.

Il y a eu de nombreuses variantes, mais en 1997 le bâtiment a été acquis par TPSGC et en 1998, je crois, j'ai approché M. Chrétien et demandé à mon collègue, le sénateur Joyal, que tout le monde au Parlement reconnaît comme notre grand expert en arts, de se joindre à moi. Il a probablement fait don d'un plus grand nombre d'œuvres d'art décorant les édifices du Parlement que tout autre sénateur. Ses donations ornent l'entrée du Sénat et il est considéré comme l'un des plus grands experts en arts du Canada. Le sénateur Joyal est un grand collectionneur et un grand ami du Sénat et à moi. J'ai décidé de faire équipe avec lui car le projet ne devait pas émaner d'une seule partie du pays, mais aussi du Québec. Par conséquent, nous avons de concert contacté M. Chrétien. Nous l'avons convaincu que ce serait un projet intéressant et il nous a fallu maintenir la pression de 1997-1998 à 2001, jusqu'à ce que M. Chrétien annonce la création du Musée national du portrait. Il a fallu tout ce temps à cause de l'énorme opposition à ce projet au sein de l'administration gouvernementale. Chacun se battait pour son budget propre mais, peu à peu, le sénateur Joyal et moi- même avons surmonté ces objections et convaincu non seulement M. Chrétien mais aussi son cabinet que ce serait la chose appropriée à faire. Le musée a été annoncé en 2001.

Immédiatement, une équipe a été réunie pour lancer un concours en vue de la rénovation du bâtiment. Il devait s'agir d'une rénovation mineure afin de préserver l'intégrité de l'architecture. Un concours international a eu lieu et, en 2003, M. Jones, un architecte britannique, a remporté le concours mondial et les plans ont été dessinés.

La situation financière devient un peu trouble car jusqu'à ce moment-là, le bâtiment était — et il reste toujours — inoccupé et des fonds étaient dépensés. Mon estimation n'est qu'anecdotique car nous n'avons pas accès aux chiffres officiels mais, d'après ce que j'ai entendu et crois savoir, entre 11 et 15 millions de dollars ont déjà été dépensés pour le bâtiment.

Ultérieurement, en 2004, le gouvernement de M. Martin était en mode d'austérité et le projet a ralenti. Puis, en 2006, le gouvernement conservateur est arrivé au pouvoir et M. Harper a annulé le projet.

Ce n'est pas nouveau au Canada. Lorsque certains premiers ministres lancent des projets patrimoniaux, on pourrait penser que, comme aux États-Unis, leurs successeurs les continueraient, mais cela n'est pas le cas au Canada. Je ne vais pas vous ennuyer avec le nombre de projets lancés par un premier ministre et annulés par le suivant. Il n'y a là rien de nouveau. Cela s'appelle « l'égoïsme politique », et je ne le critique pas. C'est une réalité de la vie. Un premier ministre, qu'il soit libéral ou conservateur, succède à un autre et tout d'un coup il faut tout changer et passer à autre chose.

Le résultat a été que le gouvernement a annulé le projet, en dépit des montants déjà dépensés, et a lancé en 2007 un concours qui, à mon avis, était défectueux car ce n'était pas un concours ouvert. Il était limité à un certain nombre de villes. L'idée était que ce serait un projet public-privé, pour des raisons financières. Dans l'intervalle, on continuait à dépenser pour le projet ici et pour la collection.

Aux alentours de 2007, nous avons introduit une résolution, pour faire contrepoids à la politique gouvernementale, visant à financer le musée du portrait. Puis, en 2008, j'ai introduit un projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi S-233 sur le même sujet que celui que nous examinons aujourd'hui. En 2008, je crois, faisant preuve de très bon jugement politique, le ministre Moore a décidé de saborder le concours parce qu'il était défectueux et ne donnait rien. Nous voici donc au jour d'aujourd'hui.

Je vais vous dire comment cette idée m'est venue. Je crois que tous les sénateurs ici présents sont des amoureux de l'art. Cependant, j'ai passé personnellement beaucoup de temps à visiter les musées d'art et l'un de mes favoris est la National Portrait Gallery de Londres. Ce musée est un joyau, pas plus grand que le bâtiment à côté de nous au 100 de la rue Wellington, mais c'est l'un des musées de portraits les plus renommés au monde.

Il n'existe pas un pays du monde qui n'a pas dans sa capitale un musée des portraits. En Australie, l'Australian National Portrait Gallery se trouve à Canberra; en Grande-Bretagne, il est à Londres; aux États-Unis, il est à Washington; en France, il est à Paris, et ainsi de suite. Chaque pays a un musée national du portrait pour célébrer ses personnages politiques, ses héros ou son histoire.

En substance, il a pour vocation d'être une histoire visuelle du Canada.

Je veux parler de la révélation biblique. Il arrive un moment dans la vie où des choses vous sont révélées. Certains ont une stature divine et d'autres sont des êtres humains ordinaires comme moi, mais nous avons tous des moments de révélation. Mon moment de révélation concernant ce projet particulier est survenu lorsque j'ai reçu une invitation à visiter les Archives nationales, qui venaient d'être déménagées d'Ottawa à Gatineau. Les honorables sénateurs qui ont visité les Archives nationales comprendront ce que je veux dire. J'ai découvert ce fait incroyable : il existe des milliers et des milliers de portraits et de tableaux qui représentent une incroyable histoire visuelle du Canada. Non seulement avons-nous des portraits de chefs autochtones, d'événements autochtones, de la vie villageoise au Québec, de la vie dans l'Ouest, mais nous avons aussi une incroyable collection de visages historiques du Canada. C'est une histoire visuelle du Canada. Jointe à cette collection, qui a été rarement vue — probablement une toute petite partie seulement a été vue du public canadien — il existe une collection incroyablement plus extensive de photographies, dont une collection des photographies de Yousuf Karsh, qui n'a jamais été vue en totalité.

Je le sais car j'ai rencontre M. Karsh. C'est lui qui a réalisé ce fameux portrait de Winston Churchill, pris dans l'antichambre du Président devant la Chambre des communes, lorsque M. Karsh lui a arraché son cigare, et c'est devenu un portrait symbole. Pour ceux d'entre vous qui seriez intéressés à le voir, vous pouvez le voir au Château Laurier, où M. Karsh logeait. J'ai décidé hier soir de séjourner dans la suite de Yousuf Karsh afin de m'inspirer pour cette audience. Il a fait don de tous ses portraits aux Archives nationales, comme un certain nombre de peintres. Je suis sûr qu'il l'a fait en comptant qu'ils seraient exposés pour le public canadien, et pourtant cette collection n'a jamais été vue en totalité. Certaines pièces sont maintenant exposées à la Bibliothèque nationale, dans le cadre du nouveau programme, mais à mon avis cela ne rend pas justice à M. Karsh. C'est presque triste de voir cette exposition montée de cette manière.

Parlons du coût et de certaines des objections que j'ai entendues en provenance de mes collègues d'en face. Le coût de ce projet était initialement chiffré à 44 millions de dollars et il devait être achevé en 2005. De 11 millions à 15 millions de dollars ont déjà été dépensés, les plans sont prêts, le bâtiment est prêt et il est vacant depuis 1997, soit 12 ans maintenant. Les contribuables entretiennent ce bâtiment phare vide. Le temps va manquer et aucun autre bâtiment n'est aujourd'hui disponible à Ottawa qui soit aussi rentable et qui puisse abriter ce musée.

Le coût n'est pas un problème. Prenons le dernier chiffre donné par le ministère : il ne serait plus de 44 millions ou 50 millions de dollars, mais de 100 millions de dollars. Admettons ce chiffre. Premièrement, cela s'inscrirait très bien dans les mesures de relance car cela créerait des emplois instantanés et de l'activité touristique à Ottawa, cela ne fait aucun doute. Admettant que 100 millions de dollars soit le bon chiffre, si c'est ce que le ministère dit que cela va coûter, c'est là le coût qui a dissuadé le gouvernement d'aller de l'avant avec le projet. Si vous estimez, comme moi, le nombre de visiteurs susceptibles d'aller voir le musée, les édifices du Parlement voient passer entre 875 000 et un million de visiteurs chaque année. Ce bâtiment est à 200 pas des édifices du Parlement. J'ai arpenté la distance.

Cela dit, supposons pour le moment que seuls 75 ou 80 p. 100 iront voir le musée; vous gagnerez quand même, en faisant payer 10 $ l'entrée, 8 à 10 millions de dollars par an, et cela n'engloberait aucune des autres sources de revenu dont disposerait le Musée des portraits. Le coût, à mon sens, ne peut être une objection.

La deuxième objection que j'ai entendue est que l'endroit est mal choisi; le bâtiment est trop petit, il y aurait des embouteillages et il n'y a pas de places de stationnement pour les cars. Franchement, je ne comprends pas cet argument. J'ai décidé hier, en prévision de cette audience, de demander à l'un des membres de mon personnel, Mary de Toro, de se pencher sur la question. Sur la base de son enquête et du rapport qu'elle m'a fait ce matin, je sais ce que font les autocars affrétés. Il est vrai qu'ils ne peuvent se garer le long de la rue Wellington, mais ils peuvent se garer dans l'une ou l'autre des rues parallèles, la rue Metcalfe ou la rue Bank, et c'est ce qu'ils font. En outre, la ville d'Ottawa et les fonctionnaires du Parlement conviennent que les cars affrétés peuvent se garer tout le long de la voie qui relie l'édifice de l'Ouest à l'édifice de l'Est. Cette route existe. De temps en temps, lorsque des dizaines de milliers de personnes visitent la colline du Parlement, les cars sont autorisés à se garer en file le long de cette voie interne.

Il est faux de dire que les places de stationnement sont insuffisantes. Les visiteurs affluent sur la colline du Parlement et ils n'ont alors plus qu'à traverser la rue, sans causer d'encombrement additionnel, pour se rendre dans ce bâtiment.

Un autre argument consiste à demander pourquoi Ottawa devrait bénéficier du musée. Nous en avons besoin à London, en Ontario, ma ville natale; nous en avons besoins à Calgary; nous en avons besoin à Toronto; nous en avons besoin à Québec. Pourquoi Ottawa devrait-il être la ville où l'on va dépenser tout cet argent? Pourquoi ne pas le répartir à travers le pays? Ma réponse à cela est simple : ceci est un musée joyau, et un bâtiment phare fantastique. Il sera facile d'en faire la publicité dans le monde entier, sans frais, en faisant une chose simple, et j'ai déjà vérifié qu'elle est possible. Nous demandons aux présentateurs des journaux télévisés de CBC, de Global et CTV de faire des prises de vue de temps en temps avec en arrière fond le Musée national du portrait au lieu du Parlement. En l'espace d'un an, je vous le garantis, ce sera le deuxième bâtiment le plus réputé du Canada parce que les Canadiens apprendront à le connaître, le verront en suivant l'actualité, et tout cela sans frais pour le contribuable canadien. C'est presqu'une offre que l'on ne peut refuser.

Cela étant dit, on nous oppose un autre argument : Est-il juste que seul Ottawa, la capitale nationale, puisse jouir de ce trésor? Il y a un facteur coût. Lorsque le gouvernement a envisagé de faire circuler une partie du trésor de Gatineau à travers le pays, il s'est avéré que cela coûterait des millions de dollars. De fait, l'un des programmes, qui coûtait entre 3,5 et 5 millions de dollars, a été annulé. Je ne conteste cela en aucune façon, mais à toutes fins pratiques, cela a été rétabli sous une certaine forme par le nouveau programme. Je suis sûr que le ministre vous en parlera. Je n'ai pas encore bien maîtrisé ces chiffres. Cependant, c'est une façon d'exploiter le programme du Musée national du portrait qui est actuellement logé dans l'antichambre, en quelque sorte, ou le foyer de Bibliothèque et Archives Canada. Je veux que vous alliez tous le voir, voir l'exposition de Karsh et que vous me disiez si vous ne convenez pas que c'est une triste exposition.

L'argument central est qu'il n'est pas juste que les contribuables de Québec, ou de Toronto paient pour encore un autre bâtiment à Ottawa. La réponse à cela est très simple : la baladodiffusion. Je me suis renseigné sur son coût également. D'autres m'avaient dit que la façon d'en faire un événement national, chaque fois que le musée national lancerait une nouvelle exposition — ce qui serait tous les mois, ou toutes les six semaines ou comme on le fait à Toronto et dans d'autres musées du pays — tout pourrait être diffusé pour baladeur; ce pourrait être visuel ou bien sur une ligne directe par câble. L'événement ne serait alors pas vu seulement à Ottawa mais par quiconque veut recevoir le signal. Je suis sûr que les câblodistributeurs collaboreraient et nous permettraient de retransmettre une fois par semaine, deux fois par semaine ou trois fois par semaine pendant une heure la dernière exposition présentée au musée. Ainsi, ce serait un mémorial virtuel et vivant de l'histoire canadienne.

Je terminerai là-dessus en vous remerciant tous de votre patience. J'ai apporté ceci, un portrait iconique. C'est un portrait accroché au Musée national du portrait et je vais vous lire la légende. Il montre le Cabinet de guerre impérial de 1918. C'est une image de la première tentative canadienne d'arracher son indépendance à l'empire britannique. Si vous vous en souvenez, Sir Robert Borden a décidé en 1917 qu'au lieu de laisser le cabinet des militaires britanniques gérer les affaires canadiennes, il allait créer un Cabinet de guerre impérial. Voici un portrait du premier Cabinet de guerre. Vous y voyez Sir Robert Borden, Winston Churchill et Loyd George.

Vous vous demandez peut-être où je me suis procuré cela. Je l'ai eu à la National Portrait Gallery à Londres, en Angleterre. Cela m'a coûté une livre. Lorsque vous sortez de la galerie, si vous voulez voir ou garder un portrait quelconque, vous allez à une machine, vous y déposez une livre ou deux et vous pouvez obtenir tout portrait que vous voulez — et vous pouvez l'avoir soit tout simple soit avec des fioritures. Je l'ai encadré et il est accroché dans mon bureau pour me rappeler ce moment où le Canada a pour la première fois réellement atteint l'indépendance souveraine par rapport à l'empire britannique. C'est un portrait monumental et il est accroché à la National Portrait Gallery à Londres, en Angleterre.

Nous avons des douzaines de portraits similaires dépeignant nos efforts de guerre, nos contributions politiques et nos contributions artistiques. J'ai parlé à des douzaines d'artistes de ce pays. J'ai une photo d'un groupe d'artistes que j'ai réunis dans mon bureau il y a quelque temps pour tenter de monter un groupe de pression. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi la communauté culturelle n'appuyait pas cela. Lorsque les producteurs de télévision veulent quelque chose, ils viennent en masse. Lorsque les grosses compagnies pétrolières veulent quelque chose, elles affluent ici. Lorsque les banques veulent quelque chose, on les voit ici partout. Tous ont des groupes de pression énormes.

Cependant, les artistes des arts visuels qui doivent gagner leur vie n'ont pas les moyens de payer des lobbyistes, et ils sont donc venus me voir dans mon bureau. Deux ou trois d'entre eux qui travaillent de projet en projet ont trouvé que c'était une excellente idée. Ils veulent faire don de leur collection aux Archives, mais ils tiennent à ce qu'elle soit vue. Par conséquent, pourquoi donneraient-ils l'œuvre de leur vie à Bibliothèque et Archives Canada où elle ne sera jamais vue? Ils voulaient m'aider avec cela, et donc des douzaines d'artistes m'ont écrit pour me dire que c'est un grand projet. Ils disent qu'ils vivent dans l'Île-du-Prince-Édouard, en Colombie-Britannique, au Québec, par exemple, mais ils veulent que leur collection, le labeur de leur vie, qu'ils ne peuvent vendre aux Archives nationales, soit vue au Musée national du portrait.

Une femme m'a dit qu'elle n'a jamais vendu une seule peinture. Je lui ai demandé pourquoi elle continue de peindre. Elle dit qu'elle continue à peindre parce qu'elle croit, comme Van Gogh, qu'un jour quelqu'un verra une de ses œuvres et qu'elle deviendra immortelle. Vous vous souviendrez que Van Gogh n'a jamais vendu une seule toile de sa vie. Aujourd'hui, ses peintures valent des millions de dollars.

Ce sera une histoire visuelle du Canada. J'espère avoir couvert tous les aspects. S'il y en a d'autres, j'attends vos questions. Merci de votre patience.

Le président : Je pense que vous avez déjà répondu à mes questions. Vous nous avez donné des arguments très complets et convaincants.

Vous avez parlé de baladodiffusion et des moyens qu'ont les habitants des autres régions du pays de jouir des trésors du Musée national du portrait et d'autres musées de la capitale, tels que le Musée canadien des civilisations, le Musée canadien de la guerre et le Musée des beaux-arts du Canada.

Je ne doute pas de vos connaissances expertes concernant l'utilisation des médias comme moyen de diffusion à travers le pays. Je me souviens très bien du concert des Rolling Stones à Toronto, le plus grand concert de l'histoire du Canada — peut-être du monde.

Le sénateur Grafstein : C'était le plus grand concert d'un groupe à entrée payante de l'histoire du monde.

Le président : Ne sous-estimez pas les conseils du sénateur Grafstein quant à la façon de communiquer les choses. C'était là un événement spectaculaire que lui et Dennis Mills ont organisé pour relancer le tourisme après le SRAS.

Vous avez dit que cela réglerait le problème du coût. N'avons-nous pas déjà des expositions itinérantes de ces autres musées que j'ai mentionnés? Ne pourrions-nous combiner des œuvres venant du Musée national du portrait avec des pièces du Musée canadien des civilisations, du Musée canadien de la guerre, et cetera?

Le sénateur Grafstein : Nous pourrions faire cela aussi. Si l'on regarde ce qui se fait au Musée des beaux-arts de l'Ontario, ou au Musée royal de l'Ontario, à Toronto, on y voit une exposition qui vient de New York à Toronto et s'en va ailleurs. Les manuscrits de la mer Morte y ont été exposés; les pharaons égyptiens et les toiles de Van Gogh sont passés là. Des expositions sont montées et se déplacent à travers le pays. Je ne vois pas pourquoi une exposition montée d'abord à Ottawa, si elle a eu du succès, ne pourrait pas devenir itinérante à travers le pays.

Mais cela coûte cher, de nos jours, à cause de l'assurance, du transport, de la fragilité, et cetera. Le gouvernement a dû effectuer des coupures et je ne sais pas où en sont les choses. Vous pourrez poser la question au ministre.

L'ère moderne nous donne la haute définition et maintenant presque le tridimensionnel. Le film le plus récent s'appelle Avatar; il est en haute définition et en 3D. C'est vivant. Vous devez aller le voir, c'est incroyable.

J'ai une proposition très simple : Nous demandons aux câblodistributeurs et aux radiodiffuseurs de contribuer des choses dans l'intérêt public. Je suis sûr que CPAC et d'autres transmettraient cela sans difficulté pendant une heure et répéteraient la retransmission en boucle et cela pourrait être vu à travers le pays. S'ils veulent la retransmission intégrale, ils pourraient recevoir le signal directement du musée. Le musée pourrait être équipé de caméras simples pour cela. Nous avons des caméras ici. C'est facile à faire et peu coûteux.

J'ai une anecdote concernant le concert du SRAS. Tout le but de ce concert n'était pas de s'adresser spécialement au Canada mais de dire au monde que Toronto était un lieu sûr et sans danger. Nous n'avions pas de budget. C'est pourquoi nous avons fait venir les Rolling Stones parce que nous nous disions que leur réputation ferait le tour du monde, et cela a été le cas.

Pendant cette période, j'ai également produit. Pendant le concert, je produisais dans les coulisses avec un budget d'environ 20 000 $, la plupart venant de ma poche. Nous avons diffusé sur l'Internet une aussi grande partie du concert que nous pouvions. J'avais une bande de gamins qui m'aidaient en coulisse. Nous avions 15 secondes de musique tous les quarts d'heure. Cela a commencé à midi, et à la fin de la journée, nous avions déjà eu 68 millions de visites en provenance du monde entier.

Les médias sont un moyen puissant et peu coûteux de promouvoir le Canada et son histoire, non seulement dans le monde mais chez nous. Le problème avec le Canada c'est que nous ne connaissons pas notre histoire. Nous ne connaissons pas l'histoire de la Colline. Nombre d'entre nous arrivons au Parlement et nous ne cessons jamais d'en apprendre sur notre propre histoire. À mes yeux, il est triste de ne pas regarder en face l'histoire visuelle du Canada. Elle est là pour nous.

Oui, nous pouvons le faire; oui, c'est peu coûteux; oui, nous pouvons régler la question d'argent; oui, nous pouvons régler le problème du stationnement; et oui, nous pouvons régler la question de l'histoire. C'est une offre que vous ne pouvez refuser.

Le président : Avant de donner la parole aux collègues pour leurs questions, nous devrions parler à la fin de la séance de la suite de notre étude. Nous avons invité le ministre à venir aujourd'hui. Il n'était pas disponible. C'est compréhensible car ceci est une situation de dernière minute, pour faire cette étude avant le départ à la retraite du sénateur Grafstein. Il nous faudra parler de la suite des événements, mais nous ferons cela plus tard.

La parole est au sénateur Segal de Kingston, Ontario, bien que jadis il ait vécu à Toronto.

Le sénateur Nolin : Il est de Montréal.

Le président : Il a vécu là aussi.

Le sénateur Segal : Je ne suis qu'un réfugié vagabond, monsieur le président.

Je fais remarquer, suite aux propos antérieurs de notre éminent invité et témoin, que le président de ce comité est le seul libéral pour lequel j'aie jamais voté — au cours de mes 59 années de vie — comme candidat à la mairie.

Le sénateur Grafstein : Il n'est jamais trop tard.

Le sénateur Segal : Il n'est jamais trop tard. Ce n'était pas seulement à cause de ses grandes qualités et de votre coprésidence de sa campagne, mais aussi parce qu'il était temps de battre son adversaire, dans l'intérêt de tout le monde.

Je veux rappeler une histoire à succès libérale, qui était une entreprise conjointe avec le premier ministre Davis et d'autres. L'année était 1977. C'était l'année juste après l'élection du Parti québécois. Le premier ministre Trudeau a demandé au Cabinet s'il y avait des plans spéciaux pour la fête du Canada cette année-là, étant donné les nouvelles pressions sur le marché. Le Secrétaire d'État à l'époque — que je ne nommerai pas — n'avait rien prévu de spécial. Cela a déplu au premier ministre. Il a chargé d'une mission spéciale un sous-ministre du nom de Bernard Ostry, et Hugh Faulkner, de Peterborough, un ancien d'Alcan ayant quelques relations à l'Université Queen's, a été nommé ministre responsable.

Cela a donné naissance au Train de la découverte. Le Train de la découverte était l'ancien train du bicentenaire américain, et il y avait donc là une référence historique à la présence américaine. C'était le train utilisé en 1976 pour le bicentenaire des États-Unis. Le premier ministre Davis de l'Ontario a acheté le train, a payé le prix du train avec l'argent de l'Ontario et l'a cédé au gouvernement fédéral pour 1 $. C'est devenu une activité non partisane. Une série de gouvernements et de sociétés ont incité ensuite la Banque royale du Canada, John Labatt et d'autres à produire le Train de la découverte, dont on a rempli wagon après wagon d'autant d'objets de l'histoire canadienne que possible et on lui a fait sillonner le pays.

Je me souviens quel événement retentissant cela a été lorsqu'il est entré en gare de Kingston, dans l'ancienne gare. D'ailleurs, les foules les plus nombreuses étaient au Québec. Je songe à cet exemple, où des gens ont collaboré, géré les coûts et fait traverser à ce train tout le Canada. Il pourrait s'agir de la totalité ou d'une partie de notre Musée national du portrait. Je me demande si cela ne vaudrait pas la peine d'être envisagé, au lieu de ce projet très intéressant d'un merveilleux Musée national du portrait juste en face de la colline du Parlement, sachant qu'en période d'austérité financière et de récession, les gouvernements sont obligés de faire des choix, quelle que soit leur couleur politique. Ce n'est pas seulement parce que Kingston était la première capitale du Canada et que nous n'avons jamais pardonné à la Reine Victoria d'en avoir changé, même s'il y a un peu de cela.

Le sénateur Grafstein : Nous, à Toronto, ressentons la même chose.

Le sénateur Segal : Je comprends. Vous aussi auriez des raisons.

Le sénateur Nolin : Et nous à Montréal?

Le sénateur Segal : Montréal, c'est juste. Pouvez-vous imaginer que nous perdions la capitale au profit de Montréal parce que les législateurs trouvaient que les restaurants et la vie nocturne sont meilleurs à Montréal?

Cependant, je veux en venir à ceci : Je pense que tout comme M. Chrétien a proposé un musée politique que le premier ministre Martin, dans sa sagesse, a jugé d'un coût exorbitant...

Le sénateur Grafstein : Ce n'était pas un musée politique. Cela n'a jamais été un musée politique.

Le sénateur Segal : Non, je ne dis pas que les deux étaient la même chose. Il y avait le projet de transformer le vieux Centre des conférences en musée historique sur la vie politique canadienne, proposé par le premier ministre Chrétien, et le premier ministre Martin a dit non pour je ne sais quelle raison. Ce genre de chose arrive. Notre témoin a très bien rappelé que cela arrive à l'occasion.

Est-ce que, à un certain niveau, cela ne vous gêne pas de concentrer un autre élément du patrimoine dans un musée, alors que nous sommes probablement la ville du pays la plus riche en musées — ce qui est approprié pour une capitale nationale — alors que d'autres régions du pays ont tout autant le droit d'accès? Et je ne parle pas seulement de l'accès par baladodiffusion ou sur l'Internet, qui est important et utile, mais de la présence physique dans la salle pour voir de ses propres yeux les portraits que vous voulez accrocher ensemble dans une salle reflétant l'histoire.

Sans être opposé à l'idée, il faut me convaincre de la raison pour laquelle la capitale nationale a besoin de cet établissement alors que de nombreuses régions du pays ne possèdent aucun équipement de type patrimonial qui donne réellement vie à notre histoire. Vous pouvez songer au Quai 21, à Halifax, en Nouvelle-Écosse et à toute une série de choses merveilleuses qui existent ici ou là, mais cela ne suffit pas. On peut dire beaucoup de choses sur Ottawa et ses musées, mais le mot qui ne vient pas à l'esprit, c'est « insuffisant », et je vous invite à y réfléchir.

Le sénateur Grafstein : Je me souviens très bien du Train de la découverte. C'était une idée fabuleuse et cela a marché de façon sensationnelle et a aidé à unifier le pays de manière étrange, intéressante et convaincante. Les gens faisaient la queue, comme ils l'ont fait à Toronto, à Kingston, à London en Ontario, d'un bout à l'autre du pays pour le visiter. C'était un acte extraordinaire de construction nationale et aussi une merveilleuse exposition. Il est dommage que nous n'ayons pas continué.

De fait, j'ai volé cette idée. J'ai proposé au Parti libéral de mettre le Parlement dans un train, une fois par an, à l'automne, et de lui faire traverser le pays afin que les lointains confins du pays puissent nous regarder travailler. Mes collègues se sont moqués de moi et ont dit qu'ils ne tenaient pas réellement à ce que le public sache ce qui se passe à l'intérieur de l'usine à saucisse.

Le sénateur Segal : Déposez-vous une motion visant à mettre le Parti libéral dans un train et à l'envoyer à l'autre bout du pays? C'est une idée très constructive.

Le sénateur Grafstein : C'était le Parlement, Sénat compris, et je trouvais que c'était une excellente idée; mais mon idée est venue de là.

Permettez-moi de vous répondre plus directement. Premièrement, pour ce qui est de la représentation visuelle, il faut bien comprendre ce qui se passe dans le monde visuel. Si vous regardez les nouvelles techniques employées dans le film Avatar, par exemple, c'est presque de la réalité virtuelle. Dans les nouvelles situations Avatar, vous pouvez fabriquer si vous le voulez, une compagne ou un compagnon, créer ce partenaire et ensuite construire une maison et aller à l'école et construire un environnement virtuel sur le Web.

Le sénateur Segal : Est-ce que ce n'est pas contraire à des parties de l'Ancien Testament? Je suis sûr que oui.

Le sénateur Grafstein : J'essaie juste de répondre à votre question. Si vous voulez ouvrir un débat biblique, allons-y. Nous commencerons avec la Genèse I; je suis assez bon là-dedans.

Cela dit, il se passe quelque chose de magique avec les médias aujourd'hui et vous pouvez le voir fréquemment avec les nouvelles techniques qui sont mises au point. J'ai participé au tour de l'univers virtuel au pied de la Tour du CN. C'était une excellente idée, mais là encore le pays et la technologie n'étaient pas prêts. Cependant, la nouvelle technologie visuelle est extraordinaire. Je n'envisage pas de seulement asseoir les gens devant un écran plat, et cetera; la nouvelle réalité visuelle est incroyable et elle pourra capter cela à un coût très raisonnable.

Cependant, il n'y a rien de mal à faire tout ce que je dis et tout ce que vous dites. Nous ne voyons pas assez de choses dans ce pays. Il n'y a aucune raison de ne pas faire les deux. Si une exposition marche bien, qu'on la mette dans un train et qu'on lui fasse traverser le pays une fois par an. C'est peut-être ainsi que nous devrions célébrer la Fête du Canada.

Mon argument est que, quoi que vous fassiez, il y a des dizaines de milliers de portraits. J'en ai vu peut-être un millier; ils sont extraordinaires et personne ne les verra jamais. Personne ne les verra jamais dans un train ni ailleurs. Pour moi, c'est l'équivalent de « plus il y a de fous et plus on rit ».

Nous devons nous demander, comme sénateurs et parlementaires, comment faire cela à prix raisonnable. J'accepte les contraintes financières. Lorsque nous avons organisé le concert des Stones nous avons utilisé très peu d'argent fédéral, mais cela a produit des sommes incroyables pour la ville de Toronto, et la même chose vaut pour d'autres projets. Je comprends cela.

Je crois que plus il y a de fous et plus on rit. Le Train de la découverte serait excellent. Ce n'est pas contradictoire. Les deux idées ne sont pas mutuellement exclusives. Franchement, nous ne faisons pas assez pour l'histoire canadienne. Je vous exhorte d'aller au Musée d'histoire naturelle et au Musée de la guerre. Ce sont d'excellents musées, mais très peu de gens y vont.

Il y a une raison pour laquelle le Musée de la guerre n'a pas voulu ajouter une aile de l'Holocauste, qui a rencontré une opposition ici et dont j'espère qu'elle ne sera pas oubliée parce que j'ai l'intention de continuer cette lutte après mon départ du Sénat. Cependant, la raison pour laquelle le musée ne l'a pas construite, c'est parce que d'aucuns disaient que si nous faisons cela pour l'Holocauste, il faudra en faire autant pour les Ukrainiens et pour les Canadiens français et ainsi de suite. Soit dit en passant, la raison pour laquelle le conseil à l'époque voulait le faire, c'est parce que le Musée de l'Holocauste à Washington voit passer plus de visiteurs que tous les autres musées réunis.

Toute l'idée ici est de trouver un moyen d'attirer les jeunes qui viennent visiter le Parlement et adorent les édifices du Parlement, de les amener à traverser la rue pour leur montrer une histoire visuelle du Canada. Comment faire cela à faible coût? Je fais valoir que nous ne parlons pas là de gros montants et plus il y a d'idées et plus on s'amuse.

Le sénateur Segal : Si je me souviens bien, le ministre Moore a mis le projet de côté parce que les diverses soumissions présentées à travers le pays n'étaient pas suffisamment économiques; je crois que c'était la raison. En tant que promoteur de ce projet, avec votre projet de loi, accepteriez-vous une stratégie comportant des commandites du secteur privé et sans but lucratif, à condition qu'une cloison étanche sépare les commanditaires privés et les décisions relatives à la conservation et au contenu des expositions de façon à préserver l'intégrité du lieu? Seriez-vous ouvert ou opposé à cela?

Le sénateur Grafstein : J'y suis ouvert, mais je ferai un pas de plus. J'abordais la question des revenus. Le Musée national du portrait proposé pourrait créer un certain nombre de sources de revenus. La première, bien sûr, serait le droit d'entrée; et là encore, s'il vend le billet d'entrée à 10 $, ce qui n'est pas exorbitant, et en supposant qu'il ait de 800 000 à un million de visiteurs par an, cela ferait 100 millions de dollars sur 10 ans. Vous pourriez amortir même les coûts les plus extravagants. Ce n'est pas le problème. Le vrai problème, ce sont les coûts de fonctionnement.

Encore une fois, je prends la National Portrait Gallery du Royaume-Uni, qui a une source de revenu distincte avec les portraits, comme celui que je vous ai montré, que vous pouvez reproduire vous-même avec une machine. Ils en vendent beaucoup. Par exemple, si nous mettions Karsh sur le web, je suis sûr que beaucoup de gens à travers le pays téléchargeraient les portraits et paieraient pour cela.

Lorsque j'ai parlé au chef de Bibliothèque et Archives Canada de la possibilité d'inscrire cela dans notre projet, il a dit que les Archives ont un problème. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'administration freine ce projet, ce qu'elle a fait. Il faut être juste, ce n'est pas seulement la faute du gouvernement, mais aussi de l'administration. La raison en est les enveloppes : chaque organisme gouvernemental a une enveloppe et ne veut que l'on touche à son enveloppe en aucune façon, il faut protéger son enveloppe. Le sénateur Eaton sait tout cela. Elle sait que les gens se battent pour leur budget et leur fief. L'un des problèmes avec l'idée que j'ai soumise au chef de Bibliothèque et Archives Canada, m'a-t-il dit, est que s'il faisait cela, l'argent n'irait pas aux Archives mais serait versé aux recettes générales. Je lui ai demandé de plus amples explications et nous allons modifier le projet de façon à ce que ces revenus soient à la disposition du Musée du portrait.

Nous pouvons prendre certaines mesures pour assurer la viabilité financière du musée. Je suis parcimonieux avec l'argent du contribuable, et je sais que vous l'êtes aussi, sénateur. Je ne suis pas en faveur de gaspiller l'argent du contribuable. Cependant, je pense que ce projet peut être réalisé de manière économique et je suis ouvert à une assistance du secteur privé, mais je n'aime pas l'idée.

J'ai eu un rôle dans de nombreux projets à Toronto où les Canadiens donnent leur argent et, pour 5 millions de dollars quelqu'un achète le droit d'y apposer son nom. Vous pouvez aller dans un établissement et tout d'un coup vous voyez une voiture trôner dans le foyer d'une structure qui a coûté 300 millions de dollars aux contribuables parce qu'un intérêt privé achète ce droit. Cela me choque et je suis sûr que cela choque le sénateur Eaton et d'autres qui se sont impliqués, tout comme moi, dans la vie culturelle de ce pays. Le sénateur Eggleton connaît très bien cela, lui aussi. Il y a eu toute une bagarre autour du droit d'appellation du Centre O'Keefe, dont le nom me chiffonne au plus haut point.

Cela dit, je suis ouvert à l'idée. Nous sommes dans un monde nouveau. Cependant, j'espère qu'il y aurait des limites strictes. Il y a des parrainages privés aux États-Unis et des parrainages privés maintenant à la National Portrait Gallery en Angleterre, mais avec des limites strictes. À condition qu'il y ait ces limites, je suis ouvert à l'idée.

Le sénateur Eaton : Sénateur Grafstein, vous avez présenté des arguments extrêmement convaincants. Tout comme vous, je suis un fervent porte-drapeau de l'histoire canadienne.

Le sénateur Grafstein : C'est vrai, vous l'êtes.

Le sénateur Eaton : Ayant siégé au conseil d'administration du Musée royal de l'Ontario et de sa fondation pendant presque 25 ans — j'ai démissionné l'an dernier seulement — je ne me fais aucune illusion quant au coût d'un musée, particulièrement l'assurance et les salaires. Monter une exposition coûte cher; la programmation et l'entretien sont extraordinairement dispendieux. Mon autre question concerne le point soulevé par le sénateur Segal, auquel vous avez répondu en partie.

Nous vivons dans un pays immense — et c'est l'un des reproches que je fais à la SRC — c'est que si vous vivez à Ottawa, Toronto, Montréal, Vancouver et même Calgary, vous avez accès au Ballet national et à nos grands musées. Cependant, si vous vivez en dehors de ces centres, par exemple à Yellowknife, au nord d'Edmonton, au sud de Winnipeg ou en Gaspésie au Québec, vous n'avez guère de ressources. Vous avez parlé d'Avatar, des énormes avancées de la télévision, du câble et des médias visuels et de l'Internet, mais rien ne vaut d'être en face des œuvres elles-mêmes.

Lorsque je songe au Festival Karsh, l'exposition itinérante qui va commencer à sillonner le pays en 2010, aux Portraits sur glace pendant Bal-de-Neige, aux Portraits dans la rue à Québec lors de son 400e anniversaire, qui va devenir une exposition itinérante, et aux portraits de famille rassemblés de concert avec le Musée de la Nouvelle-Écosse sur l'identité des immigrants, je suis impressionné. Si vous déplacez ces expositions à travers le pays, elles vont attirer les Canadiens. Tout un chacun, dans les agglomérations grandes et petites, trouvera le temps de contempler son histoire.

Si nous avions des fonds illimités dans le prochain budget, il serait bien sûr merveilleux d'avoir un Musée national du portrait qui puisse monter ses expositions. Cependant, je ne crois pas que nous aurons ces crédits budgétaires avant de nombreuses années. Si nous avons un peu d'argent, nous devrions envoyer ces expositions à travers le pays. Tant que l'économie ne sera pas rétablie — à savoir que le déficit sera maîtrisé et que nous serons sortis de cette récession — je ne crois pas que les Canadiens qui se débattent dans les difficultés en ce moment verraient cela d'un bon œil. Construire un Musée national du portrait à ce stade, même si, comme vous dites, il pourrait s'inscrire dans des mesures de relance économique, ne serait pas bien vu. J'apprécierais votre réaction à ce que je viens de dire.

Le sénateur Grafstein : Ce sont des arguments valables. Permettez-moi de les diviser en trois parties. Je suis d'accord avec vous, car moi aussi j'ai siégé à des conseils d'administration — pas autant que vous, mais je connais la lutte qu'il faut mener chaque jour dans tous les milieux artistiques, qu'il s'agisse de l'opéra, du ballet ou de divers musées, grands ou petits, pour subsister.

Cela me rappelle l'histoire d'un vieux fermier. Un citadin est venu frapper à sa maison de ferme et lui a demandé : « Quel est le chemin pour se rendre dans cette petite ville? » Le fermier a répondu : « Ce n'est pas un bon endroit d'où partir. Essayez ailleurs ». Mon argument, c'est qu'il faut bien partir de quelque part. Un début modeste serait d'avoir le musée ici. Sinon, il n'y aura pas de noyau central ou de cœur pour ces activités. Il faut partir de quelque part et je crois que ceci est la façon la plus économique de le faire.

Vous soulevez un argument plus large, et vous venez d'énoncer celui de ma femme. Elle me l'a dit à maintes reprises : « Les gens ont besoin d'hôpitaux et te voilà qui te met en tête de faire toutes ces choses pour les arts. Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux dépenser cet argent pour guérir le cancer ou aider les hôpitaux? Est-ce bien le moment, alors que le chômage est si élevé? » La réponse que je lui donne et à vous n'est ni complète ni convaincante, mais c'est la meilleure que je puisse donner.

Au milieu de la pire dépression que les États-Unis aient jamais connue, Franklin Roosevelt a compris qu'il ne suffisait pas de donner du travail aux gens afin qu'ils n'aient plus à faire la queue à la soupe populaire. Au cours des années 1930 — et cela a été le cas également au Canada — il y a eu une floraison de projets artistiques communautaires. Il y avait des colonies d'artistes. Du travail magnifique a été fait dans le domaine de la peinture, du théâtre. Roosevelt, dans sa sagesse, a décidé en plein milieu d'une récession ou d'une dépression que la meilleure chose à faire était de consacrer un peu d'argent pour aider les gens à s'impliquer dans la culture de leur pays et à construire la culture du pays et la faire avancer. Un grand nombre d'écrivains américains — Miller, Bellow pour n'en nommer que quelques-uns, et d'autres — ont mis à profit les subventions qu'ils ont reçues au cours de cette période pour se lancer dans l'écriture, et beaucoup d'artistes en ont fait autant. Vous pouvez retracer cette histoire, un grand nombre d'ouvrages en traitent.

Comme le sénateur Joyal me l'a fait remarquer, cela est arrivé à Montréal. Au cours des années 1930, un groupe de peintres juifs s'est rassemblé, a obtenu des crédits publics et réalisé une collection incroyable d'œuvres d'art représentant Québec, Montréal et la vie à Montréal. Il a publié ce livre récemment. Le sénateur Nolin l'a peut-être vu. Il coûte 50 $, mais il en vaut la peine.

Si nous nous obnubilons sur la misère et le malaise causés dans le pays par la récession, je pense que c'est trahir l'esprit canadien. L'esprit canadien voit plus haut que cela. Je crois que les Canadiens vont voir plus haut que cela. J'ai débattu de cela avec d'autres aussi, chaque fois que nous voulions construire un opéra à Toronto. On me disait : « Ce n'est pas le bon moment ». Ce n'est jamais « le bon moment », mais il faut le faire quand même.

Le véritable argument économique ici, c'est que si nous ne le faisons pas, nous dépenserons de l'argent de toute façon. Nous dépensons de l'argent sur un bâtiment vide et pour accumuler dans les archives des choses que nul ne verra jamais. C'est une perte.

Il faut que ce soit rentable, mais je suis d'accord avec vous, sénateur. C'est un argument fort, mais parfois il faut faire preuve de leadership politique et de sagesse. En fin de compte, je crois que cela va amener un intérêt renouvelé pour les arts visuels qui sont négligés dans notre système. Nous aidons les cinéastes et nous finançons les événements publics, mais nous ne faisons rien pour les artistes visuels. Cela leur donnerait l'espoir de voir leurs œuvres exposées.

Le sénateur Ogilvie : Vous avez présenté un argumentaire convaincant et réfléchi. Nous avons entendu certains de nos collègues qui vivent dans les grandes villes du pays et dont l'action dans le domaine artistique, la préservation, la promotion, et cetera est reconnue.

Moi, je suis un simple gars de la campagne.

Le sénateur Grafstein : Justement, moi aussi.

Le sénateur Ogilvie : Je viens de la Nouvelle-Écosse rurale. Pour ce qui est de l'histoire de ce pays, j'arguerais que nous, Néo-Écossais, en sommes peut-être tout aussi imprégnés que toute autre région de ce pays. C'est peut-être dû au fait que nos racines remontent à cette période charnière de l'histoire où l'influence européenne a commencé à envahir ce grand continent, ce qui nous a conduits là où nous sommes aujourd'hui, avec l'apport des autres influences successives. Par conséquent, nous avons un certain sens de la réalité de l'évolution historique.

Personnellement, cet intérêt est sincère. J'ai eu l'occasion de visiter la plupart des grands musées d'Europe. Je trouve la National Gallery de Londres, juste à côté de Piccadilly Circus, particulièrement impressionnante. Je saisis l'occasion d'y aller à chacun de mes voyages en Grande-Bretagne. Je m'assois un moment pour contempler trois tableaux en particulier.

Le sénateur Grafstein : Est-ce la National Gallery ou la National Portrait Gallery?

Le sénateur Ogilvie : L'un des mes grands défauts dans la vie c'est que je me contente de faire les choses; je ne me souviens pas des noms. Je sais où aller, alors j'y vais.

Le sénateur Grafstein : C'est sur Grosvenor Square; c'est le gros musée. La Portrait Gallery est juste après le coin de rue.

Le sénateur Ogilvie : Peu importe, je sais comment y aller. Ce que je voulais indiquer, c'est que je l'apprécie énormément, quel que soit son nom; et elle est bien connue.

Il peut y avoir de bonnes raisons d'envisager des alternatives à votre proposition que je ne connais pas encore, mais un argument que l'on vous oppose et que je rejette est cette notion d'Ottawa opposée à Toronto ou à quelque autre ville. La plupart des provinces ont un grand musée, soit un musée provincial officiel soit un autre qui joue à peu près le même rôle.

La ville que les Canadiens visitent lorsqu'ils veulent se plonger un peu dans leur histoire, c'est Ottawa, selon mon expérience. C'est la raison qu'ils ont en commun de venir ici. De fait, on pourrait arguer qu'il existe d'autres raisons encore de venir. Ottawa est un site très historique et il y existe les autres musées que vous avez nommés, que certains viennent voir spécialement, et ils terminent leur séjour par les édifices du Parlement et autres.

D'autres possibilités ont été évoquées, des expositions itinérantes et ainsi de suite. Je trouve également convaincants les arguments en leur faveur. Ayant vécu dans une région rurale du pays, je trouve que les bibliobus sont une excellente façon de promouvoir la littératie et sensibiliser à la littérature; cet outil a eu un impact très profond. Je suis en faveur de la dissémination de la connaissance de notre histoire artistique ou de notre histoire par l'intermédiaire de l'art, et je pense qu'il ne faut pas négliger cela.

Ma question est très précise. Avec toute votre expérience, je suis sûr que vous pourrez y répondre rapidement. Depuis mon arrivée ici il y a peu de temps, je me suis efforcé de me familiariser avec les règles qui nous régissent et de déterminer ce que nous, au Sénat, pouvons faire et ne pouvons pas faire, et la règle qui revient sans cesse est la notion qu'un projet de loi de finances, ou un projet de loi entraînant des dépenses notables, ne peut être introduit au Sénat. Vous y avez forcément réfléchi et je suis sûr que vous pourrez me dire très vite pourquoi cela n'est pas un argument contre votre proposition.

Le sénateur Grafstein : Je regarde le sénateur Nolin qui me maintient dans le droit chemin sur les questions constitutionnelles et parlementaires. Il a soulevé ce problème contre plusieurs de mes projets de loi. Le Président du Sénat s'est prononcé sur la question même de savoir si le Sénat, qui ne peut introduire de projets de loi de finances, a le pouvoir d'introduire des projets de loi nécessitant des dépenses publiques. C'est là votre question.

La réponse est simple : Ce projet de loi ne prend pas effet à moins d'être approuvé par l'autre Chambre du Parlement, la Chambre des communes, et de recevoir la sanction royale. Par conséquent, ce projet de loi est conditionnel d'abord à l'approbation au Sénat, puis à l'approbation ultérieure sous la même forme par l'autre Chambre, qui a le pouvoir de dépense, et enfin à l'approbation du gouvernement. Il y a eu quantité de jugements à cet égard. Ce projet de loi, soit dit en passant, a fait l'objet d'une objection sous l'une de ses formes et a fait l'objet d'une décision du Président du Sénat qui l'a déclaré légitime. Par conséquent, il n'y a pas d'empêchement constitutionnel ou parlementaire à ce projet de loi particulier.

Le sénateur Ogilvie : Je vous remercie de cette réponse car dans la grosse pile de documents que nous avons reçus, il était explicitement dit qu'un projet de loi de finances ne peut émaner du Sénat. Vous dites que la question a été posée concernant ce projet de loi, qu'une décision a été rendue et qu'il peut être mis en délibération.

Le sénateur Grafstein : Si cela n'a pas été fait pour ce projet de loi, cela a été fait pour d'autres, mais les textes sont clairs. Le Sénat n'engage pas la confiance. Nous ne pouvons introduire des projets de loi de finances, mais nous pouvons les adopter ou les rejeter. L'initiative en appartient à l'autre endroit, la Chambre des communes, et au gouvernement. Il existe deux dispositions prophylactiques qui font que les projets de loi de finances ne peuvent prendre effet que si, tout d'abord, la Chambre les adopte, et ensuite le gouvernement les approuve.

Vous avez soulevé une autre question intéressante et je vais en traiter brièvement. La Galerie d'art Beaverbrook est un magnifique musée à proximité de chez vous. Je ne sais pas si vous l'avez visité ou non.

Le sénateur Ogilvie : C'est dans une autre province.

Le sénateur Grafstein : Je le sais. C'est au Nouveau-Brunswick. Je ne voulais pas vous froisser. La Nouvelle-Écosse m'est chère ainsi qu'à tous les autres sénateurs car sans elle, le Sénat n'existerait pas. C'est la province de Nouvelle- Écosse qui a insisté pour que l'autre chambre soit contrebalancée par une chambre plus restreinte. Sans la Nouvelle- Écosse nous ne serions pas ici.

Le sénateur Ogilvie : Une véritable démocratie parlementaire au sein du Commonwealth.

Le sénateur Grafstein : Exactement. Nous sommes reconnaissants aux pères fondateurs représentant la Nouvelle- Écosse, car nous ne serions pas ici sans eux.

J'en reviens à mon sujet, soit la Galerie d'art Beaverbrook à Fredericton, qui a récemment fait l'objet d'une controverse. Il y a un lien direct entre la Galerie d'art Beaverbrook et le Musée national du portrait. La National Portrait Gallery de Londres est un musée de poche, trois étages, dont on peut faire le tour facilement en une heure ou une heure et demie. C'est un joyau de poche. Vous y verrez un, voire deux, magnifique portrait de Lord Beaverbrook qui, comme vous le savez, a quitté les Maritimes, le Nouveau-Brunswick, et est devenu l'un des hommes les plus puissants d'Angleterre. Vous y verrez des portraits de lui seul et avec d'autres qui sont absolument magnifiques. Lorsque vous parcourez ce musée, vous y voyez des échos de l'histoire canadienne. Ce portrait particulier est de taille gigantesque. Chaque fois que j'y vais, c'est l'un de mes premiers arrêts. Je jette un coup d'œil à Winston Churchill, Sir Robert Borden et mon grand héros, Lloyd George. On a demandé un jour à Lloyd George de définir le Parti libéral. Il a dit que le Parti libéral est un parti de principe, mais que notre premier principe est l'opportunisme — mon héros.

Le sénateur Martin : Sénateur Grafstein, je vous remercie de votre exposé. Vous avez défendu les artistes avec beaucoup de conviction. Je crois que vous avez raison en disant que nous tous autour de cette table sommes des Canadiens qui apprécient les arts et veulent soutenir les arts et l'histoire canadienne si merveilleuse et riche.

J'ai été enseignante pendant 21 ans. J'ai vu évoluer au fil du temps les outils pédagogiques dont disposent les enseignants. Plus récemment, avant mon entrée au Sénat, j'ai eu dans ma salle de classe cet excellent outil appelé le tableau blanc électronique, un tableau blanc interactif. C'est un écran d'ordinateur géant sur le mur, qui est interactif et tactile. Vous pouvez claquer des doigts et les élèves peuvent télécharger de chez eux leurs présentations diaporama et la présenter en classe. C'est un outil étonnant. Il permet aux élèves de voir les choses d'une manière aussi proche de la réalité que possible. Bien sûr, cela ne remplacera jamais le vécu direct. Cependant, nous avons visité la Tour Eiffel, le Colisée et le Parthénon.

Le sénateur Grafstein : Vous avez fait une visite virtuelle.

Le sénateur Martin : Oui, et le monde virtuel est très étonnant. Nous allions parfois sur des sites Internet et faisions une visite interactive d'un site avant de nous rendre sur place.

Je réfléchis à certaines des idées présentées ce matin. Est-ce que le Musée du portrait a un bon site Internet interactif utilisant la technologie informatique aujourd'hui disponible?

Le sénateur Grafstein : À ma connaissance, non, mais je pense que vous devriez poser la question au ministre lorsqu'il viendra.

Le sénateur Martin : Peut-être subissent-ils des contraintes budgétaires ou autres. Cette proposition m'intrigue, en tant qu'enseignante, car il coûtait cher d'amener ma classe dans ces endroits. Cependant, avec cette technologie, je pourrais amener le monde dans la salle de classe. Le Musée national du portrait ayant une collection si riche, il serait bon de pouvoir la projeter dans la salle de classe.

Vous avez mentionné l'importance de tendre la main aux élèves et aux jeunes. Les jeunes gens vivent aujourd'hui dans un monde très différent. Ma fille a 14 ans et je ne comprends pas comment elle et ses amies communiquent parfois, mais c'est en ligne. Je m'interroge sur l'utilisation de la technologie pour diffuser ces images non seulement dans les salles de classe et d'autres lieux à travers le Canada mais aussi dans le monde, comme première étape.

Qu'en est-il de la collection et qu'est-ce qu'on va y verser? Il y a des artistes dans tous les coins du Canada. Encore une fois, je songe à ceux qui n'ont peut-être pas l'anglais comme première langue ou qui se trouvent dans des lieux sans accès à l'information. Je suis curieuse au sujet de cette collection et me demande qui va y figurer. Un grand nombre d'artistes ne pourraient pas venir faire du lobbying à Ottawa et de nombreux Canadiens n'ont pas la possibilité de faire un voyage à Ottawa non plus.

Je suis en faveur de votre projet de loi en principe, vu tout ce qu'il offrirait aux Canadiens, mais je songe à l'accessibilité et peut-être à quels autres moyens nous pourrions utiliser, surtout les visites virtuelles.

Le sénateur Grafstein : Vous avez soulevé là trois questions. Premièrement, pour avoir une exposition, il faut un point de rassemblement et de départ. Le sénateur Eaton pourra vous le dire, elle a été impliquée dans quelques expositions magnifiques.

Allez aux Archives. Les œuvres d'art sont toutes rangées. Il faut les sortir sur leur rail. Vous les verrez toutes, et elles sont magnifiques, mais elles sont toutes entreposées. C'est un entrepôt, il n'y aucune salle pour les exposer. Cet espace a été soigneusement mesuré pour faire une série d'expositions thématiques, une à la fois.

Pour faire de la réalité virtuelle, il faut un lieu de rassemblement. Il faut un point de départ. Vous avez besoin de la Tour Eiffel pour faire une visite de la Tour Eiffel. C'est une façon économique de faire traverser la rivière aux portraits pour les exposer à intervalles réguliers. Ils avaient commencé à le faire et c'était un bon début et les vestiges de ce programme se poursuivent maintenant à Bibliothèque et Archives Canada après que le gouvernement l'a amputé. Mais on ne peut appuyer sur un bouton et faire apparaître une image à l'écran à moins qu'elle ne vienne de quelque part, et il vous faut un point de rassemblement pour cela.

Deuxièmement, vous avez soulevé l'autre question des artistes et de tous ceux, innombrables, qui n'ont pas les moyens de venir ici. Là encore je vais vous faire part d'une expérience personnelle. Je suis un gars d'une petite ville qui habitait du mauvais côté de la voie ferrée et je fréquentais une petite école. J'ai été forcé d'aller dans une école publique appelée Tecumseh Public School parce que j'habitais à proximité, du mauvais côté de la rivière. Elle est sur la rivière, à côté de la voie ferrée et j'ai dû m'inscrire dans cette école à la place d'Aberdeen Public School. Je ne savais pas ce que voulais dire Tecumseh, mais c'était à South London, en Ontario. Sur le mur il y avait un énorme portrait du chef Tecumseh. Il me fascinait. Chaque jour nous chantions l'hymne national. Nous voyions ce magnifique portrait de Tecumseh et il me hantait. Je ne savais pas grand-chose des Autochtones, mais plus tard, en me rendant de London à Toronto, je suis tombé sur un endroit appelé la Confédération des Six Nations. J'ai demandé ce que cela voulait dire puisque nous étions à Brantford, en Ontario.

Par ailleurs, l'une de mes héroïnes était Pauline Johnson, l'une des grandes poétesses du Canada et c'est à travers elle que j'ai appris à aimer la poésie, ce qui m'a amené à faire adopter ici la Loi sur le poète officiel. Tout cela, c'est grâce à Pauline Johnson.

Ces personnalités autochtones me fascinaient, mais l'on ne nous apprenait rien à leur sujet à l'école secondaire. Il n'y avait rien dans nos livres histoires, à part quelques photos de coureurs des bois et d'un Autochtone occasionnel. J'étais fasciné par Tecumseh et j'ai passé ma vie à étudier son histoire. Il était un grand chef. Tecumseh a sauvé le Canada à 60 milles de ma ville natale de London, Ontario. Au cours de la Guerre de 1812, lorsque les Américains ont envahi et ont remonté la Thames, une bataille s'est déroulée. Sans les Autochtones et sans l'initiative de Tecumseh, le Canada n'aurait pas survécu, nous serions aujourd'hui une colonie américaine. Il a enrayé l'invasion. Buchanan, qui est devenu président, était sur les lieux, tout comme Pike. Sans Tecumseh et les guerriers autochtones, la milice britannique n'aurait pas pu résister à l'assaut. Tecumseh a disparu. Il est mort au cours de cette bataille. Son corps n'a jamais été retrouvé. Peut-être la tradition autochtone le voulait-elle, mais cela m'a frappé. Lorsque je suis allé aux Archives, j'ai demandé s'ils avaient un portrait de Tecumseh, et ils n'en avaient pas; mais ils avait toute une série de magnifiques portraits de chefs et de simples Autochtones de ce pays que personne n'a jamais vus.

Lorsque l'on dit que nous sommes trop eurocentriques, je suis d'accord, mais si vous occultez votre propre histoire et ne permettez pas aux Canadiens de voir cette histoire, c'est une forme d'autodafé. L'autodafé est un suicide culturel; vous vous tuez vous-mêmes.

C'est cela qui nourrit mon intérêt, ma passion et mon amour pour l'histoire canadienne. Vous ne pouvez être un sénateur et comprendre ce pays si vous n'avez pas une passion pour l'histoire canadienne, car si vous comprenez l'histoire canadienne, vous comprendrez à quoi sert le Sénat. C'est un élément de notre raison d'être ici : faire connaître les histoires inconnues que les gens ne veulent pas entendre. En font partie les contributions des Autochtones, et leur représentation visuelle.

Que tout cela soit rangé dans un entrepôt me gêne chaque fois que j'y pense. Ne me provoquez pas; j'essaie de me montrer gentil et positif. Ne me tendez pas la perche.

Au bout du compte, voilà ce que nous verrons. C'est ici que l'histoire sera montrée. Si nous avons un jour un musée de réalité virtuelle, il nous suffira d'appuyer sur un bouton et je pourrai voir Tecumseh sur ce mur.

Le sénateur Cordy : Ne vous excusez pas d'être passionné. Il est merveilleux d'être aussi passionné au sujet du Musée national du portrait. Votre amour des arts a été manifeste au cours des neuf années et demie depuis que je suis sur la Colline, et je vous remercie de tout le travail que vous avez fait dans ce domaine et plus particulièrement sur ce projet de loi.

Je suis également de Nouvelle-Écosse, comme le sénateur Ogilvie, et nous avons une histoire étonnante avec Louisbourg, les Acadiens, Joseph Howe, la liberté de la presse, et nous avons la chance d'avoir une autre personne passionnée en Nouvelle-Écosse, Ruth Goldbloom. Elle a joué un rôle de premier plan dans la construction du Quai 21, qui est un merveilleux musée montrant l'histoire des immigrants qui sont passés par-là pour s'établir en Nouvelle- Écosse et un peu partout au Canada.

Comme le sénateur Martin, je ne puis oublier mon passé d'enseignante, et c'est donc la voie que j'aimerais suivre, bien que je sois beaucoup plus âgée qu'elle. Nous n'avions pas de mon temps la technologie. Nous recevions des trousses de documents du Musée canadien de la nature dans notre école, et les choses ont beaucoup changé depuis.

Je suis très intéressée par la distribution dans les écoles car c'est important. Je conviens avec vous qu'il faut un lieu central. Sans le lieu central, les œuvres sont en entrepôt et les Canadiens ignorent ce qui pourrait être à leur disposition. Si rien n'est comparable à l'expérience directe — par exemple en faisant venir une classe à Ottawa pour visiter le Musée du portrait — la deuxième meilleure solution est d'amener le musée aux élèves à travers le pays, par réalité virtuelle, par des trousses de documents, des guides pour enseignants. À mon avis, cela aiguiserait l'appétit des jeunes gens dans les écoles pour que eux aussi, comme vous, ils veuillent en savoir davantage sur un aspect particulier, mieux connaître leur pays. Nous convenons tous que nous ne connaissons pas ou n'apprécions pas suffisamment notre histoire. Nous tendons à lire l'histoire des États-Unis, de notre voisin, car ils la font très bien connaître. Lorsqu'on voit les monuments de Washington, on se dit que nous devrions faire plus chez nous.

Envisagez-vous que le Musée du portrait se mette au diapason des écoles, en offrant des guides d'enseignants, afin que les écoliers ne soient pas obligés d'être sur place mais puissent faire une visite virtuelle? Envisagez-vous ce genre de chose pour aiguiser l'appétit des jeunes de notre pays?

Le sénateur Grafstein : Vous m'enlevez les mots de la bouche. Encore une fois, il faut un point de départ. Il faut rassembler les expositions. J'envisage des trousses créées régulièrement sur différents thèmes. Prenez la collectivité autochtone de ce pays, par exemple. Il n'y a pas une collectivité autochtone, mais des douzaines de collectivités dans ce pays. Nous tendons à les imaginer comme ayant un seul visage, comme étant un seul groupe, et ce n'est pas vrai. Il y en a des douzaines. C'est quelque chose que vous apprenez à Ottawa au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel j'ai siégé pendant des années. Le sénateur Nolin et moi avons siégé ensemble à différents comités, et tous deux avons été étonnés par le nombre de groupes autochtones dans ce pays qui ont des identités et des langues différentes dont ils sont fiers. Le Canada ne sait pas cela. Nous avons cette notion stéréotypée des Autochtones comme un seul peuple.

Louisbourg est un exemple. J'ai conduit le Groupe interparlementaire Canada-États-Unis et les premiers endroits où je les ai emmenés au Canada était Louisbourg et Charlottetown, pour faire comprendre aux Américains que nous sommes arrivés en Amérique du Nord avant eux. Ils ne le savaient pas. Tant et tant de fois je me sens offensé lorsque je vais aux États-Unis. Vous savez tous que je passe plus de temps aux États-Unis que pratiquement n'importe qui d'autre à Ottawa, pour défendre le Canada. Chaque fois que je vais sur la Colline du Capitole, à Washington, je vois l'énorme tableau qui couvre tout un mur. Il représente la Guerre de 1812 et la légende dit que c'est une guerre que les Américains ont gagné. Eh bien, ils n'ont pas gagné cette guerre. Teddy Roosevelt a rédigé un ouvrage sur la Guerre de 1812. Il y dit qu'ils ont gagné cette guerre. C'est de la foutaise, Ce n'est pas vrai. J'ai visité tous les champs de bataille. Nous avons gagné cette guerre. Très franchement, les Américains ne veulent pas admettre que nous avons gagné cette guerre parce qu'ils ont ce tableau que des milliers de gens voient et lisent et qui leur fait croire qu'ils ont gagné cette guerre.

Il importe d'avoir non seulement une histoire factuelle du pays mais aussi une représentation visuelle de cette histoire, et nous l'avons. Ce n'est pas comme si nous ne l'avions pas. Nous voulons simplement que les gens puissent la voir.

Les enseignants devraient être impliqués de très près. Le Musée de l'Holocauste à Washington, qui est excellent, envoie chaque semaine des documents dans le monde entier. Le Musée de l'Holocauste n'est pas seulement un musée, c'est un outil pédagogique. Le Musée national du portrait devrait être un outil d'enseignement de notre histoire. D'ailleurs, notre histoire n'a pas commencé en 1867. Elle a commencé bien avant. Il existe des portraits aux Archives qui le démontrent. Ce sont des choses passionnantes. Elles vous rendront tous aussi passionné que moi.

Le président : Merci. Nous allons maintenant passer à la partie de la réunion où nous traitons de la suite de l'étude. J'aimerais formuler deux ou trois suggestions sur les témoins à inviter. Bien sûr, nous devrions recevoir ici le ministre du Patrimoine canadien, M. Moore. Je connais peut-être trois associations nationales qui pourraient couvrir l'intérêt national, mais vous en aurez peut-être d'autres à recommander; par exemple, l'Association des musées canadiens, la Conférence canadienne des arts et l'Association de l'industrie touristique du Canada. Je n'ai pas retenu d'entités gouvernementales, préférant m'en tenir à des associations indépendantes.

Quelqu'un d'autre a-t-il des idées?

Le sénateur Segal : Je propose l'Historica-Dominion Institute. Le sénateur Nolin devrait pouvoir nous dire si le Québec a quelque chose de similaire.

[Français]

Est-ce qu'il y a une institution semblable au Québec, qui est dévouée à la promotion de l'histoire? Si oui, on pourrait inviter ses représentants.

[Traduction]

Monsieur le président, même s'il ne sera plus sénateur, il restera un fervent promoteur. Vers la fin des audiences, nous pourrions inviter le sénateur Grafstein à revenir pour une réflexion sur les témoignages que nous aurons entendus. Ce serait une façon de boucler la boucle. Son point de vue nous sera immensément précieux.

Le président : Je pense qu'il serait approprié d'inviter à revenir le citoyen Grafstein.

Je fais remarquer, cependant, que le sénateur Joyal va reprendre le parrainage de ce projet de loi des mains du sénateur Grafstein, et il va dorénavant assister à nos réunions à son sujet.

J'aimerais limiter cela à une réunion si possible, mais deux au maximum, à cause de notre charge de travail autre. Je pense que ce sera au début de la nouvelle année.

Le sénateur Eaton : Si nous invitons quelqu'un de l'Historica-Dominion Institute, pourrions-nous avoir quelqu'un qui se spécialise dans le montage d'expositions itinérantes pour nous parler des problèmes de conservation et de coût, quelqu'un ayant l'expertise technique du déplacement d'expositions à travers le pays? J'aimerais savoir si c'est facile ou non.

Le président : Voulez-vous dire quelqu'un de l'Historica-Dominion Institute ayant ces connaissances, ou bien quelqu'un en sus?

Le sénateur Eaton : Je songe à quelqu'un en sus qui pourrait comparaître, pour éviter d'avoir des jours et des jours de témoignages.

Le président : Il se pourrait que le ministre ait quelqu'un dans son personnel. C'est un endroit où nous pourrions chercher.

Le sénateur Eaton : L'un de nos grands musées aura des gens qui s'occupent d'expositions.

Le président : Nous essaierons de trouver une telle personne. Quelqu'un d'autre? Vu le nombre de témoins proposés, lorsque nous en aurons en sus du Québec, il nous faudra probablement plusieurs réunions. Nous devrions nous en tenir à cela. Nous nous limiterons à deux réunions et verrons comment les choses tournent.

Cela met fin à nos délibérations d'aujourd'hui. Sénateur Grafstein, je crois que tout le monde a trouvé vos arguments convaincants. Cela a été très édifiant et une façon très agréable de passer notre réunion un jeudi matin.

Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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