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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 13 - Témoignages - 3 novembre 2010


OTTAWA, le mercredi 3 novembre 2010

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 47, pour étudier les progrès réalisés relativement aux engagements pris par les parlementaires des deux Chambres depuis la présentation des excuses par le gouvernement aux anciens élèves des pensionnats autochtones.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir et soyez les bienvenus, honorables sénateurs, membres du public et téléspectateurs partout au pays, à ces délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Je suis Gerry St. Germain, originaire du Manitoba mais habitant aujourd'hui la Colombie-Britannique, et c'est à moi qu'échoit l'honneur et le privilège de présider ce comité.

Le comité a pour mandat d'examiner les lois et les questions qui touchent les peuples autochtones du Canada en général. Notre séance d'aujourd'hui fait suite à un ordre de renvoi qui nous demande de faire l'étude et de rendre compte des progrès relativement aux engagements pris par les parlementaires des deux Chambres depuis la présentation des excuses par le gouvernement aux anciens élèves des pensionnats indiens.

En juin 2008, le premier ministre Harper a présenté des excuses, au nom du gouvernement canadien, aux survivants des pensionnats indiens. Dans sa présentation, le premier ministre a déclaré que toute la « politique d'assimilation » mise en œuvre par le programme des pensionnats était erronée et « a fait beaucoup de mal ».

Le premier ministre a affirmé que « la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens s'inscrit dans une démarche de guérison, de réconciliation et de règlement des tristes séquelles laissées par les pensionnats indiens ».

Nous entendrons sans doute des précisions au sujet de cette Convention de règlement négociée en mai 2006 lorsque notre témoin du Congrès des Peuples Autochtones fera son exposé.

Je présente maintenant les membres du comité réunis ici ce soir : le sénateur Nancy Greene Raine de la Colombie- Britannique, le sénateur Sandra Lovelace Nicholas du Nouveau-Brunswick, le sénateur Roméo Dallaire du Québec et le sénateur Salma Ataullahjan de l'Ontario.

Mesdames et messieurs les sénateurs, accueillons ensemble Betty Ann Lavallée, chef national du Congrès des Peuples Autochtones. Madame Lavallée, vous pouvez commencer votre exposé, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.

Betty Ann Lavallée, chef national, Congrès des Peuples Autochtones : Bonsoir à vous, sénateur St. Germain, et aux membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. C'est pour moi un honneur de m'adresser à ce comité dans le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin.

Je suis une Mi'kmaq inscrite qui a passé sa vie entière à l'extérieur des réserves. Originaire de Geary, au Nouveau- Brunswick, je suis l'ancienne chef et présidente du New Brunswick Aboriginal Peoples Council. Auparavant, j'ai passé dix- sept ans et demi dans l'armée.

J'ai été élue chef national du Congrès des Peuples Autochtones le 12 septembre 2009. Depuis 39 ans, le congrès représente les droits et les intérêts des Indiens, inscrits ou non, et des Métis des milieux urbain, rural, éloigné ou isolé, qui vivent à l'extérieur des réserves au Canada.

Je tiens à saluer, au nom du congrès, la ténacité et le courage des survivants des pensionnats et de leurs descendants. Nous honorons leur travail de guérison en cours et leur volonté de faire la vérité. Le congrès est déterminé à appuyer tous les efforts des Autochtones pour rompre le cycle dysfonctionnel entre les générations causé par les pensionnats.

Les excuses présentées en juin 2008 par le gouvernement du Canada et par les dirigeants de tous les partis ont marqué un tournant moral dans l'histoire du Canada. Il faut conserver le souvenir de cette reconnaissance collective de la perpétration d'un crime national contre les peuples autochtones. Ce moment doit rester au cœur de toute élaboration de politique, et servir aussi à encourager une réconciliation plus large qui englobe tous les Autochtones, qu'ils soient Indiens inscrits ou non, Inuits ou Métis.

La mise en œuvre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens a débuté en septembre 2007. Cinq éléments sont en place pour remédier aux séquelles des pensionnats, soit le Paiement d'expérience commune, le Processus d'évaluation indépendant, les mesures de soutien à la guérison, les activités de commémoration et la Commission de vérité et de réconciliation.

Nous appuyons sans réserve l'élargissement de l'application de la Convention de règlement aux Métis et aux Inuits qui ont fréquenté les pensionnats indiens. Il n'y a pas de raison valable pour exclure ces survivants.

Le mandat de la Commission de vérité et de réconciliation est de cinq ans, mais nous croyons qu'il devrait être prolongé, parce que son travail revêt une très grande importance et qu'elle traite de questions peu simples. Son mandat devrait aussi être élargi de façon à englober toutes les victimes du système des pensionnats.

Il nous semble aussi que les survivants des pensionnats ne sont pas suffisamment au courant du Processus d'évaluation indépendant pour les abus sexuels ou les sévices physiques graves. Dans son témoignage, le juge Murray Sinclair a souligné l'importance de l'éducation pour donner des réponses. Le congrès partage son opinion.

L'amélioration des résultats scolaires des Autochtones est un élément indispensable de toute stratégie de réduction de la pauvreté. À la suite de notre rencontre d'août à Churchill, au Manitoba, les dirigeants autochtones nationaux et les premiers ministres des provinces ont recommandé au premier ministre Harper de convoquer une réunion des premiers ministres, dans le courant de l'année à venir, en vue entre autres de discuter de moyens pratiques de garantir à tous les Autochtones une éducation à la fois de qualité et adaptée à la culture. Nous sollicitons le soutien du comité pour cette initiative.

L'influence délétère et envahissante de l'épisode des pensionnats est ressentie par la plupart des Autochtones. La santé mentale et le bien-être font partie intégrante de la santé. Dans notre vision holistique, le bien-être découle d'un équilibre entre le corps, l'intelligence et l'esprit, et il est étroitement rattaché à l'identité culturelle, à l'autodétermination, à la collectivité, à la famille et bien entendu à la terre. J'ai bon espoir que cet esprit de réconciliation, allié à l'application juste de principes, se traduira par l'instauration d'une bonne relation renouvelée.

Le gouvernement fédéral a engagé des sommes considérables dans le règlement des séquelles des pensionnats. Santé Canada dispose d'un budget de 65,9 millions de dollars pour divers programmes de soutien à la santé offerts à tout ancien élève des pensionnats indiens, sans distinction de statut ou de lieu de résidence. Ces soutiens sont également offerts à la famille des survivants. Le congrès ne participe pas à ce programme, mais certaines de nos filiales sont engagées dans des activités de soutien culturel ou émotionnel.

Nous avons peu de communication avec la Commission de vérité et de réconciliation. Elle parraine des tribunes où les aînés peuvent parler de réconciliation, mais nous ne connaissons pas ces tribunes ni leur mode d'organisation.

Le juge Winkler de l'Ontario a appelé au versement rapide de l'indemnité due aux survivants des pensionnats. Les délais sont malheureusement très longs — il faut en moyenne 415 jours pour un recours en appel. Il nous semble que les survivants ne sont pas au courant du Processus d'évaluation indépendant à l'égard des réclamations pour abus sexuels ou sévices physiques graves.

Le congrès s'intéresse tout particulièrement aux projets de commémoration communautaires et aimerait y prendre part. Il nous semble que les centres commémoratifs de l'Holocauste pourraient servir de modèle pour les centres commémoratifs des pensionnats.

Le mandat de la Fondation autochtone de guérison prend fin en septembre 2012. Son œuvre doit être poursuivie, parce que bon nombre de survivants ressentent encore le besoin de soutien à la guérison. Je crois que tout le monde ici présent serait d'accord qu'il serait préjudiciable de commencer sur la voie de la guérison, pour être ensuite obligé de cesser par manque de fonds.

Nous savons tous que la résolution du deuil se situe au cœur de la réconciliation, et que chacun de nous a la volonté et la détermination d'y parvenir. Les Nations Unies ont proclamé 2009 l'Année internationale de la réconciliation. Dans cet esprit, j'invite les sénateurs à appuyer l'appel à la désignation des années 2011 à 2020 comme Décennie de la réconciliation mondiale. Nous croyons que ce serait une mesure juste et symbolique du soutien dont jouit le Canada sur la scène internationale.

Nous prions chaque sénateur du comité de se joindre à nous dans la lutte engagée pour redresser les torts du passé, de manière à nous assurer un avenir meilleur.

Le président : Merci de cet excellent exposé. Nous passons la parole au sénateur Campbell, suivi du sénateur Dallaire.

Le sénateur Campbell : Je m'excuse pour mon retard. J'ai perdu la notion du temps, comme cela arrive parfois ici.

Le président : Vous travaillez trop, monsieur. Ralentissez un peu.

Le sénateur Campbell : J'ai deux questions. En premier lieu, en octobre, la présidente de l'Association des femmes autochtones du Canada a comparu pour nous recommander la création de deux sous-commissions supplémentaires sur la question du témoignage et de la réconciliation, l'une pour les jeunes et l'autre pour les femmes. Est-ce que le congrès souscrit à cette recommandation?

Mme Lavallée : L'idée est bonne, mais je ne suis pas sûre que la création de sous-commissions soit la réponse. Il me semble qu'on devrait peut-être établir des tribunes distinctes pour les jeunes et les femmes.

Mes contacts avec les jeunes Autochtones au fil des ans m'ont appris que les jeunes ont beaucoup de difficulté à se trouver dans une pièce avec des adultes, parce qu'ils se sentent alors dépassés et qu'ils ont tendance à se taire. Il leur faudrait une tribune où ils puissent s'exprimer librement, à la façon des jeunes.

Le sénateur Campbell : Je crois qu'on créerait une sous-commission où les jeunes discuteraient de ces questions, et une autre pour les femmes.

Mme Lavallée : Je suis tout à fait d'accord. Je ne crois pas que les femmes ou les jeunes puissent s'exprimer sans réserve dans un milieu mixte, parce que certains des sujets abordés sont tout simplement trop délicats.

Le sénateur Campbell : En deuxième lieu, on entend sans cesse les témoins dire qu'on ne leur demande ou permet pas de participer, ou qu'ils n'ont aucune communication avec la Commission de vérité et de réconciliation. Mais le sujet est tellement large qu'un grand nombre d'organisations souhaitent y participer, et je me demande si ce ne serait pas plutôt les organisations qui devraient prendre l'initiative de demander à la Commission de vérité et de réconciliation de les inclure.

Vous n'êtes pas le premier témoin à dire que vous souhaitez participer, mais que personne ne vous l'a demandé. À chaque fois que j'écoute la Commission de vérité et de réconciliation, elle est débordée, et son échéance — qui n'est peut-être pas réaliste — pèse sur elle. Je me demande donc s'il ne faudrait pas inverser la responsabilité.

Si je tenais à participer à l'action de la Commission de vérité et de réconciliation, je ferais le nécessaire. J'irais la voir pour faire valoir mes arguments. Est-ce que c'est logique, ou est-ce que je rêve en couleurs?

Mme Lavallée : Non, vous ne rêvez pas en couleurs. J'ai dit qu'il y avait peu de communication, ce qui ne se veut pas une critique de la Commission de vérité et de réconciliation. Mais la réalité, c'est que les difficultés inhérentes à sa mise en œuvre la forcent aujourd'hui à rattraper le temps perdu. Elle nous tient au courant des activités principales qu'elle organise, mais j'entends dire que l'information ne se transmet pas aux survivants eux-mêmes.

Mais à mesure que la Commission de vérité et de réconciliation s'acquittera de son mandat, il faut espérer que les communications avec les survivants s'amélioreront. Ici encore, la responsabilité incombe aux dirigeants, même à l'échelle nationale. C'est à moi qu'il appartient de transmettre à mes filiales provinciales toute information qui m'est communiquée.

La communication entre les organisations autochtones et la Commission de vérité et de réconciliation va dans les deux sens. Ce que vous dites est juste — le Canada compte des centaines d'organisations autochtones, et la question intéresse tout le monde.

Le président : Le CPA est le représentant historique des Métis, et on dirait que ceux-ci sont laissés pour compte dans le règlement de la question des pensionnats. Qu'en pensez-vous?

Clément Chartier, du Ralliement national des Métis, m'en a parlé. L'administration précédente et le gouvernement actuel ont abordé la question de la même façon. Beaucoup d'enfants métis fréquentaient les pensionnats, mais ils n'ont pas eu droit au même traitement que les membres des Premières nations.

Mme Lavallée : C'est bien pour cela que j'ai dit dans mon mémoire qu'il faut s'en occuper. Ils ont effectivement fréquenté les pensionnats et subi les mêmes sévices. Les effets des sévices et de la violence se font encore ressentir d'une génération à l'autre. Il est injuste d'exclure des gens.

Le sénateur Dallaire : Merci de nous avoir informés que vous avez servi dans l'armée. Saviez-vous qu'il y a aujourd'hui 18 élèves-officiers autochtones au Collège militaire royal?

Mme Lavallée : Je le sais, oui.

Le sénateur Dallaire : Beaucoup sont des femmes. Cela m'amène à l'aspect de la vérité et de la réconciliation qui concerne la réconciliation.

Sur la scène internationale, la réconciliation est surtout axée sur le renforcement de l'autonomie des femmes, puis sur l'éducation, afin de permettre aux jeunes de faire face à l'avenir.

Croyez-vous que le mode de fonctionnement de la Commission de vérité et de réconciliation place ces deux éléments dans l'ordre de priorité qui convient? Dans vos sociétés, la femme est loin d'être complètement autonome à bien des égards.

Mme Lavallée : Nos sociétés étaient historiquement matrilinéaires, et ce sont les femmes qui prenaient les décisions. On détruit une nation ou une communauté quand on lui retire son armature, en l'occurrence les femmes et les enfants. Il faut accorder une attention spéciale aux femmes, afin qu'elles prennent la place qui leur revient dans la société. En dernière analyse, nous nous éteindrions sans les femmes et les enfants.

Je crois qu'on ne s'est pas assez arrêté à la question des jeunes et des femmes. Nous avons adopté une approche indifférenciée, qui ne fonctionne pas. Les femmes, les jeunes et les hommes ont chacun leurs problèmes propres, qu'ils abordent chacun de leur façon. Il faut donc trouver une méthode différente pour chacun d'eux.

Le sénateur Dallaire : Votre opinion de la Commission de vérité et de réconciliation est donc que le renforcement de l'autonomie des femmes et l'éducation n'ont pas été suffisamment mis en valeur pour favoriser la vérité et la réconciliation. Est-ce que je traduis bien votre pensée?

Mme Lavallée : Pas exactement. La commission a entrepris ses travaux depuis moins d'un an. Elle a un énorme fardeau à porter, et il lui faudra un an au moins pour se mettre en train. J'ai été invitée à sa première rencontre communautaire, à Winnipeg. J'y ai dépêché un membre de notre organisation qui a fréquenté un pensionnat, parce que sa présence me semblait plus opportune que la mienne.

À mesure que la Commission de vérité et de réconciliation trouvera son rythme et entendra différents groupes, des femmes et des jeunes notamment, elle devra, je crois, ajouter aux sept rencontres prévues dans son mandat une réunion pour les femmes et une autre pour les jeunes.

Le sénateur Dallaire : Vous avez employé des termes bien sentis lorsque vous avez parlé des effets psychologiques exercés par les pensionnats sur les individus, les familles et les générations à venir. Tout ce travail est très limité dans le temps.

Faut-il songer à y consacrer plus de temps, pour aider ceux que cette expérience a profondément marqués sur le plan psychologique?

Mme Lavallée : On peut toujours changer des dates. Si la Commission de vérité et de réconciliation estime que le travail n'est pas achevé, il appartient à elle et aux organisations autochtones de demander une prolongation. Si cela se révèle impossible, j'espère que des mesures seront en place, à l'achèvement de son travail, pour aider les gens à effacer les effets résiduels de ce chemin de guérison. Une fois que ces plaies sont ouvertes, elles ne se ferment qu'avec difficulté. Tout comme le trouble de stress post-traumatique, c'est une blessure qui ne s'efface jamais.

Le sénateur Dallaire : Sans vouloir traduire votre pensée, il me semble que vous estimez qu'il faut prendre un engagement à plus long terme pour apporter une aide, sous forme de soutien psychologique, thérapeutique et communautaire, aux personnes souffrant de traumatismes.

Mme Lavallée : Ce soutien est en place, et porte le nom de Fondation autochtone de guérison. Celle-ci possède un fonds de dotation. Pourquoi ne pas investir ce fonds, vivre des intérêts et poursuivre l'excellent travail de la fondation dans nos collectivités? C'est précisément ce qui a été fait avec l'argent remis par le gouvernement du Canada à la communauté japonaise à titre de règlement. Je crois qu'elle a reçu 10 millions de dollars, je le dis sous toutes réserves, qu'elle a investis. L'intérêt sur cet investissement permet à son organisation de lutter contre le racisme dans l'ensemble du Canada.

Je crois savoir que la Fondation autochtone de guérison a reçu un fonds de dotation. Qu'elle l'investisse donc pour pouvoir devenir autosuffisante et dépenser seulement les intérêts.

Le sénateur Dallaire : Vous faites référence à la centaine de millions de dollars versés il y a deux ou trois ans?

Mme Lavallée : Elle possède encore un fonds de capital. Elle peut l'investir et vivre des intérêts, afin de poursuivre son travail actuel. Elle devra peut-être réduire la portée des projets communautaires, ce qui n'a rien de mauvais. De nos jours, tout le monde doit accepter des compressions et vivre selon ses moyens. C'est la réalité qu'une récession impose au Canada et au monde. Cela n'exigerait aucun autre apport gouvernemental, ni financement du gouvernement du Canada. Je le répète, qu'elle investisse le capital, vive des intérêts et poursuive son œuvre.

Le sénateur Raine : Pouvez-vous décrire la structure du Conseil des Peuples Autochtones, au profit des sénateurs de fraîche date? Quel est son mandat, son énoncé de vision? Quand vous aurez répondu, j'aimerais vous poser des questions sur les liens entre votre réponse et le conseil.

Mme Lavallée : Le CPA a des organisations provinciales et territoriales disséminées dans tout le Canada. Les provinces ont chacune un chef, président ou dirigeant, qui ensemble composent l'organe directeur du Congrès des Peuples Autochtones. Notre mandat nous oblige à tenir une assemblée générale annuelle à laquelle chaque province envoie seize délégués, qui doivent comprendre un jeune et un aîné. C'est cette assemblée qui établit le mandat annuel de l'organisation et qui nous élit, un peu comme les organes directeurs des libéraux, des conservateurs ou des néo- démocrates.

Le CPA a pour mission de défendre les Autochtones à l'extérieur des réserves pour qu'ils jouissent d'un accès égal et sans restriction aux programmes et services, notamment aux droits issus de traités pour les personnes qui relèvent d'un traité, comme c'est mon cas. Il veille aussi à ce que ceux qui s'auto-désignent comme des Métis soient pleinement reconnus et puissent obtenir leurs droits et avantages.

Le sénateur Raine : Vos organisations provinciales ont-elles moyen de communiquer avec les Autochtones à l'extérieur des réserves qu'elles représentent?

Mme Lavallée : Pour prendre l'exemple de ma province, le Nouveau-Brunswick, le CPA compte sept zones ayant chacune un directeur, un chef ou un dirigeant. Ces derniers composent l'organe directeur de cette organisation. Ces zones ont aussi un représentant des jeunes et un aîné. Des collectivités, qui ont chacune un dirigeant, sont sous leur responsabilité. L'information se transmet vers le bas et remonte aussitôt. Il y a toujours moyen de diffuser l'information.

La plupart de nos organisations ont des journaux trimestriels. Le congrès distribue le sien à tous les sénateurs, députés et premiers ministres — notre liste de diffusion est longue. Nous sommes parfaitement capables de diffuser un message.

Le sénateur Raine : Exploitez-vous des programmes nationaux, ou êtes-vous un service de coordination uniquement?

Mme Lavallée : Nous n'avons pas de programme national. À cette échelle, nous faisons uniquement œuvre de recherche et de défense des intérêts. Nous offrons un seul programme d'actifs pour l'emploi et la formation, qui permet d'aider nos organisations provinciales-territoriales et leurs membres à obtenir un emploi, à fréquenter un collège communautaire et au besoin à faire un peu de recherche. Tous les autres programmes et services sont offerts au sein des collectivités.

Le sénateur Raine : Quel est le mode de financement de votre organisation — du haut vers le bas ou vice-versa? Faut-il acquitter une cotisation?

Mme Lavallée : Non, notre organisation doit déposer une demande au gouvernement fédéral sous l'égide du Bureau de l'interlocuteur fédéral, bien que nous disposions d'un financement de base en capacité organisationnelle. Nous sommes tenus de remplir des formulaires, comme tout le monde, et de les soumettre. La demande fait l'objet d'une évaluation par les pairs, puis nous revient. Chaque organisation membre du Congrès des Peuples Autochtones doit répondre de sa propre demande et satisfaire aux mêmes normes. Un cabinet de vérificateurs externes vérifie nos comptes tous les ans, puis les résultats sont transmis à chacun de nos organismes de financement. Les organisations provinciales doivent exécuter ces mêmes tâches.

Le sénateur Raine : Votre financement de base est fourni par le gouvernement fédéral. Est-ce que celui des organisations provinciales a la même provenance?

Mme Lavallée : Elles sont assujetties au même processus que l'organisation nationale, c'est-à-dire faire une demande et satisfaire aux normes dans les directives du Conseil du Trésor de même qu'aux politiques du gouvernement fédéral, par le truchement du Bureau de l'interlocuteur fédéral.

Le sénateur Raine : À combien s'élève votre budget?

Mme Lavallée : Le BIF verse un million de dollars par année pour la capacité organisationnelle de base. Nous avons conclu un accord bilatéral avec le gouvernement fédéral à raison de 847 000 $.

Le sénateur Raine : Pouvez-vous expliquer cet accord bilatéral?

Mme Lavallée : L'accord bilatéral nous permet de rester en communication avec des ministères fédéraux sur des questions qui concernent les Autochtones, comme la santé. Nos quatre priorités actuelles sont l'éducation, le développement économique, la santé et la gouvernance, soit les quatre capacités prévues dans l'accord-cadre fédéral, du point de vue pangouvernemental.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Organisez-vous des séances de guérison pour les survivants?

Mme Lavallée : Non, nous n'avons pas la capacité voulue. Ces séances se tiennent au sein des collectivités locales.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Avez-vous idée de la façon dont ces séances se déroulent à l'échelle locale?

Mme Lavallée : Les différentes organisations ou collectivités ont chacune leur façon de faire, qui varie selon la région du pays. Nous avons tous nos traditions et cultures particulières.

L'Île-du-Prince-Édouard organise sans cesse des manifestations, que ce soit un pow-wow, une assemblée des jeunes ou une rencontre des aînés. À l'échelle nationale, nous essayons de rassembler nos aînés tous les ans pour échanger des idées et encadrer les jeunes — parce que nous faisons aussi venir tous nos jeunes une fois par an, avant l'assemblée. Nous essayons de structurer nos programmes de sorte que les jeunes puissent assister à tout, et aussi les aînés dans la mesure du possible. Il y a là un élément auquel ils peuvent contribuer, parce qu'après tout c'est leur avenir auquel nous veillons.

La guérison revêt une forme propre à chaque groupe. Certains de nos gens participent à des cérémonies de suerie. Au Nouveau-Brunswick, j'ai eu la chance de prendre part à différentes activités avec Imelda Perley et David Perly et son épouse.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Je les connais bien.

Mme Lavallée : J'ai eu la chance de participer à certaines de leurs activités.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Si je vous comprends bien, chaque collectivité est dotée d'un responsable du processus de témoignage et de réconciliation?

Mme Lavallée : Non.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Comment ces gens sont-ils au courant de ces cérémonies de guérison?

Mme Lavallée : Dans chaque collectivité, un dirigeant communautaire peut diffuser l'information. Malheureusement, c'est la collectivité qui doit réunir les fonds nécessaires pour que ces gens assistent à certaines des activités. À ce que je sache, il n'y a pas de financement prévu à cette fin.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Les membres vous ont-ils fait part de leur impression — satisfaction ou mécontentement? Quelles étaient leurs préoccupations?

Mme Lavallée : Certaines de ces impressions concernaient l'incapacité de se rendre à ces activités, ce qui est d'autant plus regrettable qu'il s'agit parfois des gens les plus pauvres qui soient. Ils se sentaient laissés pour compte et regrettaient qu'on ne leur donne pas la chance de participer.

Comme nous n'étions pas un partenaire à part entière de la CTR à sa conception, nous pouvons seulement transmettre les coordonnées à ces gens et leur dire de prendre contact directement avec la CTR. J'espère que la CTR prendra conscience du besoin et rapprochera certains de ces forums des intéressés.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Campbell : Je ne veux pas donner la moindre impression que je critique votre organisation; je cherche seulement à bien comprendre la situation. Nous avons donc un million de dollars, puis 870 000 $, c'est-à-dire 1,8 million — et le total est d'un million de dollars.

Mme Lavallée : C'est le financement de base du fonctionnement de notre administration centrale pendant une année complète.

Le sénateur Campbell : Et c'est tout ce que reçoit le CPA.

Mme Lavallée : C'est bien cela.

Le sénateur Campbell : Combien de membres adhèrent au CPA?

Mme Lavallée : Le CPA ne représente pas toutes les Premières nations. Cela lui serait absolument impossible, en raison des différences — depuis les Mi'kmaq et Malécites à l'Est jusqu'au reste du Canada.

Nous représentons les organisations provinciales, lesquelles représentent leurs membres. Pour rester en règle avec le congrès, elles doivent entre autres nous faire parvenir chaque année des chiffres vérifiables, comme l'exigent aussi le Bureau de l'interlocuteur fédéral et le ministre.

Le sénateur Campbell : Je suis originaire de Colombie-Britannique. Ce que j'entends dire, c'est que le CPA représente les Premières nations de l'Est — l'Ontario et l'Est — et non l'Ouest. Le CPA a-t-il une organisation en Colombie-Britannique qui représente cette province?

Mme Lavallée : United Native Nations, dont Lillian George est présidente.

Le sénateur Campbell : Pouvez-vous nous dire où elle habite?

Mme Lavallée : Je crois qu'elle travaille depuis Prince George, mais le bureau principal est situé à Vancouver. United Native Nations est une filiale du congrès depuis le début des années 1970.

Le sénateur Campbell : United regroupe combien de membres?

Mme Lavallée : Honnêtement, je l'ignore, sénateur Campbell. Il faudra demander à la présidente George.

Le sénateur Campbell : Je peux m'en occuper. Je saisis mieux la situation depuis que vous avez mentionné United Native Nations. Je cherche le CPA, mais ce n'est pas le CPA — il peut porter un nom différent dans chaque province.

Mme Lavallée : Au Nouveau-Brunswick, c'est le New Brunswick Aboriginal Peoples Council, et en Nouvelle-Écosse, le Native Council of Nova Scotia. Notre fondation remonte à 1972.

Le sénateur Campbell : J'en suis conscient. Je savais que vous aviez des organisations provinciales, mais je n'arrivais pas à m'y retrouver à cause des différences de noms.

Vous avez dit qu'une vérification est effectuée tous les ans.

Mme Lavallée : C'est bien cela, sénateur.

Le sénateur Campbell : Quels ont été les résultats des vérifications des cinq dernières années?

Mme Lavallée : Affreux.

Le sénateur Campbell : Voilà une réponse honnête.

Mme Lavallée : Je ne mens jamais sur ce genre de choses. Consultez notre site Web, c'est affiché à la vue de tous.

Le sénateur Campbell : Quelles sont les mesures prises? Vous ne voulez certainement pas que ce soit affreux indéfiniment. Quelles mesures sont prises pour veiller par exemple à ce que la vérification de cette année soit favorable?

Mme Lavallée : La vérification sera favorable cette année. Entre autres, nous avons engagé un comptable général accrédité à temps plein.

Le sénateur Campbell : C'est toujours utile.

Mme Lavallée : Ça l'est certainement. Nous aurons aussi un employé en ressources humaines qui s'occupera de l'embauche et de l'administration générale du personnel.

Le sénateur Campbell : Les Premières nations ont différentes façons de s'exprimer aussi bien que différentes organisations — des centaines d'organisations — pour les représenter. Le but n'était pas de vous mettre dans l'embarras. Je vous suis reconnaissant de votre honnêteté et de votre franchise.

Mme Lavallée : Il n'y a pas de quoi, sénateur.

Le président : Merci, madame Lavallée. Nous apprécions votre présence parmi nous ce soir, aussi bien que votre exposé et votre franchise. Je ne crois pas qu'il y ait d'autres questions.

Le sénateur Dallaire : Je voudrais m'étendre un peu sur les séquelles des pensionnats pour les collectivités, les sociétés et les individus. Je lis ma documentation et je note que la Fondation autochtone de guérison s'inscrit dans la série de programmes dont j'ai déjà parlé, avec les 134 projets financés qui traitent d'aspects divers de la question. C'est sans compter le Programme de soutien en santé — résolution des questions des pensionnats indiens, qui offre des services de soutien psychologique et affectif au mieux-être.

Là où je veux en venir, c'est que des gens ont souffert d'un traumatisme psychologique, et que nous sommes conscients qu'il faut beaucoup de temps pour qu'ils reçoivent les soins, le soutien et la priorité voulus pour effacer ce traumatisme. Ces deux programmes semblent financés pour une période fixe, durant laquelle ils épuisent leurs fonds.

Pourquoi la CTR n'envisage-t-elle pas de créer un fonds destiné expressément au soutien à long terme des personnes traumatisées, au lieu d'y engloutir constamment des sommes supplémentaires tous les deux ou trois ans, puis d'être obligée d'argumenter pour que tout recommence.

Mme Lavallée : En premier lieu, je ne pense pas que cela entre dans le mandat de la CTR, ou qu'elle dispose du pouvoir ou de la capacité nécessaire. Une telle mesure, selon moi, nécessiterait impérativement un changement de politique au gouvernement fédéral, et notamment à Santé Canada.

C'est pour cela que je mentionne qu'il existe déjà un organisme qui fait du bon travail dans tout le pays, et dont le financement est bien établi. Il n'est pas nécessaire de réinventer la roue, comme je l'ai déjà dit. Aucun financement fédéral ne serait nécessaire. Il suffirait d'investir le capital et de vivre des intérêts. Il faudra réduire la portée des projets communautaires, mais nous avons tous été obligés de réduire notre train de vie.

Le sénateur Dallaire : Nous revoici à la case départ, ce qui me pose problème. Si nous parlons de réconciliation, je le dis bien, il faut voir plus loin que 2014. Il devrait incomber à la commission de proposer d'autres politiques à long terme.

Mme Lavallée : Cela se produirait aussi au niveau communautaire. La plupart des collectivités situées dans les réserves reçoivent des soins de santé. Il faudrait que cela soit prioritaire au niveau communautaire. Beaucoup parmi nous sont obligés de trouver des partenaires pour faire durer leur argent. Il n'y a rien de mal à cela, et c'est ce que nous essayons de faire.

Ces fonds ne sont pas disponibles à ceux d'entre nous qui vivent à l'extérieur des réserves, ce qui veut dire que nous sommes largement à la merci du système de santé provincial, qui à mon avis n'est pas adapté aux personnes dans notre situation.

Le sénateur Dallaire : Merci d'avoir touché au point essentiel dont je voulais entendre parler.

Le président : Merci, madame Lavallée, et merci, mesdames et messieurs les sénateurs.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)


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